La Marne en feu

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Le Goffic, Charles (1863-1932). La Marne en feu. 1921. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

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Marne Battle in War I

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Le Goffic, Charles (1863-1932). La Marne en feu. 1921.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :  *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.  *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :  *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits.  *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

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COLLECTION « LA FRANCE DÉVASTÉE »

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lA MARNE EN" PEU

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LIIlIiAiaiBPI!UXALCAN

COLLECTION « LA FRANCIS DÉVASTÉE »Volumesà 3 fr. 85 et 4 fr.

I. — LESRÉGIONSL'Alsace et la Guerre, par l'Abbé É. WETTERLË.

Unvol.in-16avec 6plancheset 2carteshors texte.La Lorraine dévastée, par MAURICEBARRÉS, de

l'Académie française. Un vol. in-16 avec 8planches et1 carte hors texte.

Verdun, par Louis MADELIN.Un vol. in-16 avec6 planches et 1 car.te hors texte. .

Reims dévastée, par PAULADAM.Un volumein-16.

La Marne en feu, par CHAULESLE GOFI'IC.Un vol.in-16 avec planches et cartes.

L'Oise dévastée, par lé Baron ANDRÉDEMARICOURT.Un vol. in-16 avec planches hors .texte.

L'Aisne pendant la Grande Guerre, par GABRIELHANOTAIIX,de l'Académie française. Un vol. in-16 avec6 planches etl carte hors texte.

La Somme dévastée, par GASTONDESCHAMPS.Unvol.in-16 avec planches hors texte.

Arras et l'Artois dévastés, par ANDRÉM. DEPON-CHEVILLE.Unvol. in-16 avec planches hors texte.

Le Nord dévasté, par HENRYGOCHIN,NICOLASBOUR-GEOISet ANDRÉM. DEPONCUEVILLE.Un vol. in-16 avecplanches hors texte.

II. — LESFAITS

Rapatriés: 1915-1918,par M'1'GHAPTAL.Unvol. in-16avec 7 planches hors texte.

En France et Belgique envahies. Les Soirées dela C. R. B., par M'"«SAINT-RENÉTAILLANDIER.Un vol.in-16avec 7planches hors texte.

La grande Pitié de la Terre de France, par GABRIELLOUIS-JARAY,maître des requêtes au Conseil d'Etat.Un vol. in-16 avec 7 planches hors texte.

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COLLECTION « LA FRANCE DEVASTEE »

DirigéeparM.GabrielL0U1S-JARAY

SérieI : LESREGIONS

CHARLES LE GOFFIG

Il MARNE EN FEU

Avec7planches et une carte hors texte.

DEUXIEMEEDITION

PARIS

LIBRAIRIEFÉLIX ÀLGAN

108,BOULEVARDSAINT-GERMAIN,VI'

1921

Tonsdroitsdetraduction,dereproductionetd'adaptationréservéspourtouspays.

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NincleeuhundrcdIwtmtycopyrightbyFélixAlcaiiandK.Lisbonne,

proprielorsofLihrairioFélixAlcan.

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LA MARNE EN FEU

;PR|îylIÈRE PARTIE

"I

LA MARNE

La Marne, au cours de celle guerre, est entréedeux foisdans l'histoire. Et nous ne songeons pointà l'en déloger. La première de nos victoiresporteofficiellementson x\om; elle continuera de le por-ter. Mais c'est un peu au détriment de la vérité,caria Marneétait franchie, la Seinepresque atteinte,sauf par l'armée de Langle, quand, à l'instigationde Galliéniet sous sa pression impérieuse, Joffrefitle geste décisif qui mit fin à la retraite : les désétaient jetés.

De fait, le nom de la Marne n'apparaît pour lapremière fois dans les communiqués officielsquele 8 septembre (ilsn'avaient parlé jusque-là que de

l'Ourcq et du Grand-Morin)et nullement pour an-noncer qu'on se bat sur cette rivière, mais seule-ment pour annoncer que l'ennemi, à l'aile gauche,se replie dans sa direction. Le 9, il est question

CH.LEGOFIMO. 1

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a LAMARNEENFEU

encore d'elle, en même temps que du Petit-Morinet de l'Ourcq, mais toujours par incidence, pourannoncer, à 0 h. 50, que les Anglais « poursuiventleur offensive dans la direction de la Marne »,et, "à 23 heures, qu'ils l'ont franchie. Rien le

10, qui fut la seule journée de la guerre où nousn'eûmes pas de communiqué. Et le 11 enfin, à17 h. 13, daus le long télégramme expédié de Bor-deaux et qui résume les opérations en cours, le

gouvernementsaute le pas et écrit :« Ainsi la première phase de la bataille de la

Marne se dessine en faveur des armées alliées,puisque, a l'aile droite, la situation reste sans chan-

gement notable. »Mais Joffre, lui, ne se départit pas de sa réserve.

Qu'on relise l'ordre général n° 1a, lancé le 12sep-tembre, sous sa signature : c'est le bulletin de lavictoire, mais d'une victoire qui continue à rester

anonyme : « La bataille qui se livre depuis cinqjours s'achève en victoire incontestable, etc.1 ».

Qu'est-ceà dire et n'est-il pas à présumer que, siJoffreavait été consultésur le nomque devaitportercelte victoire, il lui en eût choisiun autre, plus con-forme a la vérité historique et géographique, et lenommêmepeul-èlre dont,il s'était servi, le 4, danssa lettre au maréchal French? « Au cas où les ar-

1. 11y a biensansdoutele motrapportépar M.Hanolauxcl par lequelJoflVoauraitconclula longuediscussionde lanuildu4 septembre: «Ehbien,Messieurs,busebattrasurlaMarne!»Maisil paraîtà peuprèscertainque,danslapenséedugénéralenchef,le molne s'appliquaitqu'àl'annéeMIUI-noury,car louleladiscussiondu 4 cuirelui cl Galliéni,quiroulesurla Marnepoursavoirsi Maunouryattaquerasurcelterivière,puiss'ilattaquerasurlarivegaucheousurlarivedroite,a Iraitexclusivementau"rôlede la 0earméeet à sesrapportsavecl'arméeanglaise.

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môes allemandes poursuivraient leur mouvementvers le sud-sud-est, s'éloignant ainsi de la Seine etde Paris (éventualité qui allait justement se réali-

ser), peut-être estimerez-vouscommemoique votreactionpourrait s'exercer plus efficacementsur la rivedroite de ce fleuve, entre Marneet Seine.»

La bataille d'entre Marne et Seine,oui, voilà qui,topographiquement, serait déjà 1res préférable aunom qu'a reçu notre victoire,mais qui ne s'appli-querait pourtant avec une complèteexactitude qu'àla moitié au plus des opérations conduites le longde l'immense ligne de feu qui s'alluma, le S sep-tembre, du camp retranché de Paris à lafrontière des

Vosges : car ce n'est pas seulement la Marne et laSeine, avec leurs affluents,mais la Meuse,la Moselleet la Meurlhe qui, ce jour-là, prirent figure de

nymphes guerrières.La sectionhistorique de l'Iîlal-Majora bien essayé

de résoudre la difficultéen subdivisant la bataillede la Marne en batailles de Revigny, de Vitry, desMarais de Saint-Gond, des deux Morins et de

l'Ourcq, et en reléguant dans les opérations deLorraine les batailles de la Morlagne et du Grand-Couronné. 11est vrai que l'ennemidonne un peu derelâche à l'armée Dubail à partir du 4 ; mais, parcontre, c'est dans la nuit du 4 au Bqu'il déclanchesa massive attaque de front sur l'armée Caslelnau,attaque qui ne prendra fin que le 12. « En fait,observe avec infiniment de justesse M. Hanotaux,la bataille de la Marne a pour secteur oriental, àpartir du 5, la bataille du Grand-Couronné.» Ettelle est aussi l'impression du public qui ne séparepas la manoeuvrede conversiontentéedu Bau 12sep-tembre par les armées Maunoury, French, d'Es-

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perey, Foch, de Langle, Sarrail, el le pivot de celtemanoeuvre, dont le rôle est rempli par la 2" et lalvt armée. Conversion et pivot, s'arliculant l'un àl'autre, se tiennent étroitement à ses yeux ; il n'y alà pour lui qu'une seuleetmôme opération. Et c'estcette opération gigantesque de plusieurs centainesde kilomètres qu'il appelle, faute de mieux, labataille de la Marne.

Une telle amplilude de front ne s'était, à vraidire, jamais rencontrée dans l'histoire. Pour la con-tenir dans une appellation congruente, il eût fallurecourir au langage des abstractions : la bataille .de la Marne aurait pu s'appeler fort bien, parexemple,.la bataille du Redressement. En lui préfé-rant un nom plus concret, mais qui avait l'inconvé-nient de l'enfermer dans un canton trop étroit de la

géographie, l'opinion publique ne s'est pourtantpas décidée au hasard et aura cédé peut-être, sansle savoir, à l'obscure suggestion qui émane de cesvastes plaines de la Champagne, dont la craiesemble une poussière d'ossements et où, d'Aurélienà Napoléon, en passant par Attila, se sont jouéspresque à toutes les époques les destins de l'Occi-dentlatin aux prises avec la barbarie germaine.

11se peut enfin qu'un dernier élément ait agi sur

l'opinion et qu'elle ait été frappée par l'importancequ'occupaient dans l'ensemble des opérations les.batailles livréesà leur centre par la S°et!a 9'armée ;dans la poche largement ouverte dessinée parnotre ligne, la section inférieure du département dela Marne où manoeuvraient ces armées formait lefond de la poche ; c'est ce cul-de-sac que l'ennemicherchait surtout à crever; c'est donc là aussi quenotre résistance devait se faire la plus acharnée.

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Du succès ou de l'échec de cette résistance dépen-dait l'issue delà bataille générale. L'opinion gouver-nementale, reflet du sentiment public, en a pu êtrelégitimement impressionnée. Et, comme la Marnetenaitle premier rang dans ses préoccupations,"c'estle nom de la Marne qu'elle a imposé à notre vic-toire.

Symboliquementdu moins il n'en était pas de plusheureux. La Marneest un vieux nom celtique {Matra,Malrona, gaulois Matr, irlandais Mathyr) qui veutdire la Mère*. Et l'on s'étonne un peu d'abord d'unnom si grave donné à la rivière aux eaux claires,lentes et flexibles,que Diderotappelait ironiquementsa «tortueuse compatriote» ; plus qu'à une matrone,elle ressemblerait à une jeune nymphe nonchalantedu genre de celle que Bouchardon adossa au pié-destal qui porte la Ville de Paris dans sa fontainemonumentale de la rue de Grenelle-Saint-Ger-main.

Ainsi la voit encore Charles Maurras sous sapremière figuredel914 ; une naïade enfant, «auréoléede ces effroyables périls que firent alors l'imprépa-ration et l'insouciance, mais décorée aussi ducharme farouche de la volonté indomptée, d'ungénie virginal de l'improvisation et d'on ne saitquel enthousiasme divin ». L'autre Marne, celle de1918, lui montre un visage mieux composé, mais

1.Cf. bottin: la Languegauloise,et AugusteLongnon:Dictionnairetopographiquedu départementde la Marne:«Matrona,i01*siècleav.J.-C.(Coesar,debellogallico).—Flu-viusMaternas,v.670(Gall.christ,t. X,ch.ior).—Marternseflumen,1128(Saml-Pierrc-auxr-Monls,ch.i"). —Marna,1141(dioc.anc.deChâlons,t. 1,p. 361).—Maderna(Saint-Piorre-aux-Monls,c. î").—Merna,corn,du xu°siècle(Pertz,t. XVI,p. 335).—Marne,v. 1222(livredesvass.deChamp)>.

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b LAMARNEENFEU

toujours jeune, que la cruelle expérience a mûri,mais sans le flétrir d'aucune ride.

Image plus conforme peut-être à l'idée que se fai-saient nos aïeux de cette rivière aux lignes gracileset au grand coeur, de cette sorte de Vierge-Mèredes rivières françaises INi l'Aisne, sur les bords de

laquelle la bataille allait ensuite se transporter etse fixer pendant plus de trois années ; ni la Meuseaux heures rouges de Verdun, ni la Somme lors del'offensive de 1916ne connurent,le même honneur,ne furent l'objet d'une dévotion aussi fervente.

La Marne a repris sur nos autels figure de divi-nité indigète et, comme le disait son vieux nomceltique, de matrone, de mère : deux fois en cetteguerre elle a réengendré la patrie. Vainement l'en-nemi, quand elle le força de reculer, essaya-l-il decontester sa valeur symbolique. « Après tout,qu'est-ce que la Marne ? écrivait la Gazelle de Vossau lendemain de l'offensivevictorieuse de Gouraud.La Marne n'est pas autre chose qu'une certaine

quantité d'eau qui coule entre des collines boiséesou non boisées, à travers de larges marécages. Ellen'a aucune significationen un temps où il s'agit devictoires militaires et non d'expressions géogra-phiques. » Avec un mépris plus souverain encorede la vérité, l'Allemagne, après la première Marne,avait supprimé le nom de ce fleuve de ses comptesrendus. Il semblait, à entendre l'agence Wolff, quela Marne n'eût jamais existé. Et telle est la puis-sauce du mensonge que celui-ci finit par sur-

prendre la religion des neutres eux-mêmes. Onraconte que BenoitXV, recevant pendant la guerreun des plus ôminents catholiques de notre pays, luidemanda en fin d'audience :

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— Sincèrement, monsieur X..., est-il vrai que lesFrançais aient remporté la victoire surlâMarne ?...

C'est le 12septembre 1915seulement que la Post,de Berlin, se résigna pour la première fois à recon-naître qu'un an auparavant les armées allemandesn'avaient pas été « favorisées » sur la Marne. « Ilest certain, écrivait la Post, que la fortune desarmes, ce jour-là, sourit à l'ennemi... ». Mais ilfallut une autre année avant qu'un personnageofficiel, le lieutenant-général baron von Freytag-Loringhoven, qui faisait partie à la Marne de l'Etat-Major allemand, contresignât cet aveu. Encore lefit-il avec toutes sortes de circonlocutions et ennous prêtant une supériorité numérique qui n'existajamais que dans son imagination :

« Nous étions trop faibles pour nous frayer unchemin sur la Marne. Des troupes avaient dû êtredétachées pour être dirigées sur le front orientalmenacé ; d'autres étaient retenues par Anvers et

Maubeuge. De plus l'ennemi disposait d'une supé-riorité numérique d'environ 7150.000hommes (lit) Ilnous fallait protéger notre frontière orientale, tandisque les Français recevaient des renforts des Anglaiset des Belges (!)Maisl'armée allemande avait obtenudes résultats considérables avant de commencer saretraite et ce fait ne doit jamais être oublié. »

Slegeman et les autres historiens inspirés parl'Etat-Major allemand tenaient un langage ana-

logue. L'aveu complet, dépouillé d'artifice, nous nel'obtînmes de nos ennemis qu'à la fin de la guerre.N'ayant plus de réserve à garder, ICluck,d'abord,au cours de diverses interviews ', puis Biilow,dans

1. El, toutrécemment,clanssesMémoirespubliésparlalievuede Genève.

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son Rapport sur la bataille de la Marne, si diligem-ment traduit par le capitaine Jacques Netter, nefirent aucune difficultépour confesser l'échec alle-mand. Cependant, à en croire chacun d'eux, cet.échecn'eut pas un caractère personnelet, battus en

général, ils veulent avoir été vainqueurs en parti-culier : c'est ainsi que Bûlowconsent que Kluck,à

qui l'Elal-Majoravait prescrit de le suivre en éche-

lons, ait manoeuvrépitoyablement « en faisant,del'échelonnement en avant au lieu d'en faire enarrière » et, s'il a prêté le flanc à l'attaque fou-

droyante de Franchet d'Espércy, c'est que le

brusque raccourcissementdes lignes de son voisin,

obligé de faire face à Maunoury,le découvraitcom-

plètementsur sa droite.Aquoi le dit voisin riposte :« La situation de la 1" armée, vers midi, le 9 sep-tembre, était entièrementfavorable,mômeeu égardau recul de la II0armée (Bùlow)vers le Nord-Est.En effet, à l'aile décisive, l'aile de 1'allaque, lesuccès était certain ; l'aile gaucho n'était pasrefoulée ; le flanc, par le groupe Marwilz. étaitsuffisammentassuré ».Kluckne comprendpas que,dans ces conditions, on lui ait enjoint, l'après-mididu 9, de battre en retraite commel'armée Bùlow.11en fut, dit-il, «désolé», Desurcroît et sans que rien

expliquât cette défaveur, il était placé le lendemain« sous la subordination du commandant de laIIearmée », entre lequel et lui s'étaient déjà élevées« de graves divergences pour le règlement des

principales questions stratégiques ». Tout le plande Kluck s'écroulait.

Il est certain que l'État-Major allemand, à la

première Marne—la seule dont nous ayons à nous

occuperici —manqua essentiellementdecoupd'ceil

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LAMARNE 9

et de fermeté.Onest vraiment bien inspiré cheznousde reprocher à Joffre d'avoir transporté son Q. G. àChâtillon-sur-Seine,quand Moltke,jusqu'au 30août,avait le sien à Cologne et, pendant la Marne, àLuxembourg ! Mais, dès le 8 septembre, Moltke ne

croyait plus à la victoire, ce qui explique que bienavant le 11, où il vint à Reims signer l'ordre derepli général, il ait fait procéder aux replis partielsde la 11°et de la I™armée. Le Kronprinz, si durpour les généraux de son père, dont il a dit qu'ilsn'eussent pas perdu la bataille s'ils «avaient eu plusde sang-froid », aurait pu réserver une partie desa sévérité pour le grand Étal-Major siégeant àLuxembourg qui ne parait pas avoir été beaucoupplus maître de ses nerfs. Mais tout le monde enBochie avait perdu la tête. Kluck lui-même avouequ'il ne laissa pas d'être vivement impressionnépar le raid audacieux qu'exécuta sur ses derrières,dans l'après-midi du 8 et les jours suivants \ la5» division de cavalerie commandée à titre provi-soire par le général de Cornulier-Lucinière.-L'arméeMaunoury—•Kluck pourtant a raison sur ce point— ne s'en trouvait pas moins en assez fâcheuseposture le soir du 9 : chefs et hommes, ignorantque le mouvement,de retraite de la I" armée avaitcommencé dans l'après-midi, croyaient qu'ils n'a- >

1. C'estparerreurqueGalliéni,danssesMémoires,ditle9 :<cLecorpsdocavalerie,passélejourmême[9 septembre]souslesordresdu généralBridoux,tenteraenfinla manoeuvrequis'imposeet quel'onattendvainementdoluidepuisdeuxjours,deprolongerl'actionde la ti°arméeen recherchantlesflancsetlesderrièresde l'ennemi».Enréalité,c'estle 8queBridouxsuccédaaugénéralSordetà la tèteducorpsdecavalerie,pas-santlui-mêmela 5°D.C.à Cornulier-Lucinièrequise mettaittoutde suiteenmouvementsur lesderrièresde l'ennemiparlesforêtsdeVillers-Cotteretset deCompiègne.

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10 LAMARNEEN FEU

vaient plus qu'à mourir sur leurs positions, et cefut un êberluement sans égal quand ils apprirent,le lendemain, que l'ennemi avait disparu.

Quelles que soient les causes de l'échec allemandet qu'il provienne^de la carence du grand État-

Major, de la mésintelligence et de la présomptiondes chefs ou de l'amplitude démesurée donnée aumouvement de conversion des troupes, amplitudequi obligeait leur dispositifde marche à revêtiruneforme presque linéaire et absorbait d'avance latotalité des réserves, c'est un fait indéniable quecet échec, et c'est un fait aussi, et non moins indé-niable, que l'Allemagne, tant qu'elle put, le con-testa. Non que le grand État-Major allemand ou,commeil aime à s'appeler, le Directoire supérieurdes Armées (ObersleHeeresLeilimget, par abrévia-

tion, l'O. H. L.) ignorât la vérité. Il la connaissaitd'autant mieux que la bataille de la Marnefut essen-tiellement une bataille d'États-Majors.Et les consé-

quences mêmes de notre victoire lui échappaient,si peu qu'un Moltke,suivant les uns, un Ludendorff,suivant les autres, déclarait sans ambages auKaiser, le lor octobre 1914, que « l'Allemagne,vaincue sur la Marne,avait perdu la guerre ».Maisce sont là de ces aveux qu'on ne fait qu'entre soiet toutes portes closes. « Au commencement était,le mensonge », dit le deuxième Faust de Goethe.Parole digne de fournir une devise à l'Etat-Majorallemand. Les fumées de ce mensonge purent obs-curcir pendant quelque temps notre victoire : ellesne l'en firent paraître que plus brillante quand ellesse furent dissipées.

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I[

LES DÉBUTS DE FOCH

A LA TÊTE DE LA 9e ARMÉE

A 4 heures de l'après-midi, le 29 août 1914, unordre du généralissime faisait connaître qu'il étaitconstitué, entre l'armée Lanrezac et l'armée deLangle, un détachement d'armée, comprenant le9° corps (général Dubois), dont faisaient partie ladiyision marocaine et la 9» division de cavalerie,le 11»corps (général Eydoux) et la 52»division deréserve (général Coquet).

Le chef pour qui venait d'être constitué ce déta-chement d'armée, bientôt transformé en armée etdestiné à permettre l'extension de l'armée Lanrezacvers la droite, arrivait de Lorraine où il commandaitle 20» corps. Il s'appelait Foch. 11 n'était guèreconnu que des initiés par ses cours de l'Ecole deguerre et les deux livres puissants et rapides quien étaient sortis : De la conduite de la guerre et Lamanoeuvrepour la bataille. « C'est une très bellepartie à un capitaine que de bien dire », opinequelque part Montluc, qui observe par ailleurs« qu'un homme qui a lu et retenu est plus capabled'exécuter de belles entreprises qu'un autre ». Onpeut être cependant un très bon soldat et un exô-

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crable écrivain, commeil appert de Turenne. Et la

réciproque; aussi est vraie, commenous le montrelé pauvre Trochu. Le cas est plus rare d'un Foch

quC pourclaire apprécier des connaisseurs sesmérites d'écrivain, n'a pas attendu que ses victoiresdes Marais de Saint-Gond,de l'Yser, de la Sommeet de la seconde Marne, prélude dé la débâcleallemande, lui ouvrissent à deux battants les portesdu palais Mazarin.Lethéoricien, chez lui, a précé'dél'homme d'action et l'a préparé. Si, à première vue,par suitede l'arrivée tàrdivéde Grossettisusses posi-tions d'attaque et quand la retraite allemande était

déjà commencée,la manoeuvrede la42»division,tant

prônée, fait un peu l'effet d'un coup de poing.dansle vide, il est bien remarquable cependant qu'onpuisse trouver dans telles pages des Principes dela Guerrele dessin ou tout au moinsl'idée maltressede cette manoeuvrefameusequifonda la réputationmilitaire de son^auteur et qui, à l'heure où elle fut

conçue (le 8 au soir) et. où Bùlow, loin de vou-loir se dérober, s'apprêtait à donner le plein de soneffort dans la matinée du jour suivant, était bienla plus propre à. conjurer le désastre dont nous

menaçait l'effondrement d'Eydo.ux.Pour :1e moment, sauf pour Castelnau et-pour

Joffre .quU'ont.vuen Lorraine à la tète du-20»corps,Foch est stratégiquement un inconnu. Lùi-mème,quand,il débarqué avec son chef d'état-major, lecolonel NVey.gand,.au;Q. G-de Joffre, ne sait rienou. presque rien de. la situation générale. Nos

troupes vivent en vase clos ; ce qui se passe àl'aile:gauche est ignoré de l'aile droite. Le coupdetonnerre de Charleroi semble à peine avoir été

perçu dans les Vosges. Et l'on imagine assez bien

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LA MAIINMÏEN FEU. PL. II.

Foplfàla Marne

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DÉHUTSDEFOCHA LA TÊTEDE LA 9e ARMÉE 13

l'entrevue des deux hommes : Joffre, avec ce flegmesupérieur dont il ne se départit en aucune cir-

constance, conduit Foch devant une grande cartedu nord-est de la France toute rayée de lignes con-

centriques qui descendent comme des ondes vers lesbassins de l'Oise et de l'Aisne. Si maître de lui qu'ilsoit, Foch ne peut réprimer un sursaut : «Nous ensommes là 1 » Oui, nous en sommes là, et le toncalme de Joffre, ses yeux droits, tranquilles, ce jene sais quoi de solide, de puissamment équilibré,de magnifiquement inébranlable, qui se dégage du

grand chef, a déjà remis Foch d'aplomb. Ses ins-tructions reçues, il demande où il doit rejoindre ses

troupes. Joffre fait un geste vague : « C'est votreaffaire. » Fort bien !Et il est vrai que les flux ellesreflux de la bataille ne se prêtent pas à une démar-cation précise : nos troupes sont, en pleine actionde repli, mais d'un repli stratégique, coupé de con-tinuels retours offensifs comme celui que la divisionmarocaine vient d'exéculer à Dommery pour briserla dangereuse manoeuvré d'enveloppement queHausen et ses Saxons tentaient contre la gauche dela 4'»armée. Que cette manoeuvre réussit, au momentoù la o°armée était obligée de battre en retraite surVervins, et la route de Paris s'ouvrait toute grandeaux hordes du « Couteau de pierre» soudainementinsinuées entre l'armée Bùlow et l'armée du duc deWurtemberg. L'ordre général du commandant de la4» armée (Langle de Cary) constatant les heureuxeffetsde la contre-attaque du 9° corps sur Dommeryet du reste de l'armée sur la Meuse portait pour les

journées des 29et 30 août :« Le Chesne, 28 août 1914. — L'armée a infligé

hier et aujourd'hui à l'ennemi des pertes énormes.

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14 LAMARNEENFEU

Elle se porte sur la ligne de l'Aisne en exécutiond'ordres reçus, pour se préparer à l'offensive dansde nouvelles directions... ».

Ces directions étaient, pour le 9° corps, la régionRethel-Chàteau-Porcien-Vanç.on,par Poix-ïerron etLaunois ; pour le 11»corps et la 60° division deréserve, la région Attigny-Ambly, par Omont etïourteron; pour la S2° division de réserve, la

région Tugny-Perthes, par Bouvellemont-Ecordalet Amagne.

L'entêtement d'Hausen à vouloir nous déborder

obligeait bientôt de modifier ce dispositif : notam-ment le maintien du 9» corps dans la région Poix-Terron-Launois risquait de découvrir à nouveau leflanc gauche de l'armée, considération qui induisitson chef, avec l'assentiment,du général de Langle,à essayer de devancer l'ennemi dans la vallée del'Aisne. La chose d'ailleurs ne s'exécutait pas sans

à-coup : un ciel lorride, une marche épuisante etconfusedans un pays sans masque, sur une « routede crête très dangereuse »;,précise Moussy%et quel'encombrement des colonnes («on est •—à certainsendroits —sur seize files») rendait encore plus cri-

tique. Mais Dubois avait joué sous jambes son ad-versaire : tout finissait par se lasser et, à midi, le 29,quand Foch prenait possession de son commande-ment, le front Sorcy-Lucquy-Bertoncourl-Azincourlétait à peu près organisé, l'accès de Rethelprovisoi-rement inlerdil aux bandes saxonnes. Le chef dunouveau détachement d'armée occupait l'après-midià étudier la situation avec le colonelWeygand. Bien

1. Carnetderoule.LegénéralMoussycommandaitunedesbrigadesdelà 17edivisionoudivisionDumas(qu'ilremplaçapendantla Marnepardésignationdu généralDubois).

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DÉBUTSDEFOCHA LATÊTEDELA9° ARMÉE 1S

loin, commeon l'a dit, que ces deux hommes qui nedevaient plus se quitter de tout|e la guerre eussent

déjà partie liée, c'est le hasard d'une désignationd'ordre supérieur qui les avait rapprochés : Fochn'avait pas choisi son adjoint qui lui avait été im-

posépar le GrandQuartier Général el qui, d'ailleurs,présentait cette particularité de n'être pas breveté

d'Elat-Major,bienqu'il eût été admis, l'année précé-dente, à suivre les cours du Centre des Hautes-Etudes militaires.

Lieutenant-colonelde hussards, MaximeWeygandavait la tète froide et l'énergie concentrée de cetterace strasbourgeoise à laquelle il se rattache par sesracines les plus profondes : chez Foch, tout de pre-mier mouvement, qui saisit du premier coup d'oeiîle point faible de l'adversaire, qui ne tâtonne paset sait l'heure et l'endroit où son attaque, pousséeà fond, a le plus de chance de l'ébranler, il sembleau contraire que tout se passe comme chez les ins-

pirés, par illuminations soudaines, et nul hommede guerre en effet,pour avoir longtemps médité surla partie matérielle de son art, n'en a peut-être pos-sédé à ce degré la « partie divine ». Ainsi bâtisl'un et l'autre el. aussi dissemblables de caractèreque de physique, l'espèce de sympathie électivequi s'établit dès le premier jour entre le général etson chef d'ôtat-majorel qui finit par une communionsi parfaite ne peut être comparée qu'à celle de cer-taines couleurs pour leurs complémentaires. A10 heures du soir, ayant rassemblé tous ses élé-ments d'information, Foch dictait à Weygand son

premier ordre d'opérations : l'histoire, la psychologieet la logique seraient en déroute, si ce premierordre du futur vainqueur des Marais de Saint-Gond

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16 LAMARNEENFEU

n'avait été un ordre d'offensive.C'enétait bien unet aussi net, aussi tranchant, qu'on le pouvait sou-haiter :

La division du Maroc,disait-ilen substance, par-tant du front Novy-Bertoncourt,prendra pied surla crête 103« de manière que l'artillerie, faisantalors un bond en avant, puisse venir s'établir surcette crête pour appuyer une attaque ultérieure surCorny », par toutes les troupes disponibles de ladivision Dumas et la 9»division de cavalerie. Adroite, en soutien, le 11»corps portera pour 7heuresses têtes de colonnesur le front Chesnois-Aubon-

court-Sorcy;la 32»divisionde réserve s'établira dé-fensivement pour S heures sur la ligne Puiseux-côte214-côte236,etc.

La fatigue des hommes, le manque de cohésionde certains éléments hachés sur la Semoy el. quin'avaient pu encore se regrouper, des erreurs d'in-terprétation dues à l'heure tardive où fut expédié"cet ordre nelui permirent pas de recevoir sa pleineexécution : l'artillerie de la 17»division, à peine enbatterie vers la cote 115, est contrebattue par uneartillerie plus nombreuse el. mieux nourrie; lescanons lourds de l'ennemi fouillent nos fonds. Ladivisionmarocaine gagne pourtant vers Bertoncourtqu'elle croit tenu par la 9»division de cavalerie.Mais cette division qui, la veille encore, avait sesavant-postes sur les berges marécageuses de l'Ur-fosse, s'est cherché d'autres cantonnementspour lanuit et, au moment où les coloniaux d'Humbertdébouchent en vue de Bertoncourt, les lisières duvillage s'allumentet couchentà terre leurs premiersrangs. Humbert doit aviser sur-le-champet, pourcommencer, faire appel à l'artillerie qui préparera

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DÉBUTSDEFOCHA LATÈTEDE LA9° ARMÉE 17

les voies à la brigade Blondlat chargée de l'attaque;puis, après avoir détaché le capitaine d'état?majorJumelle près du général de l'Espée; pour lui deman-der « d'intervenir le plus rapidement possible dansle sens des ordres qu'il a reçus », il porte en cou-verture le régiment Gros à la gauche de la brigadeBlondlat. Dispositions excellentes et dont les effetsn'auraient pas tardé à se faire sentir, si la brigadeMoussy, de la division Dumas, qui avait atteint sans

trop de difficulté la grande route Relhel-Novy, d'oùelle devait progresser en direction de la lisièresud-ouest de Bertoncourt, n'avait été mise, elle aussi,dans l'obligation de marquer le pas et de se terrer

provisoirement, tant par suite de la carence dela division de l'Espée que de l'impuissance desa propre artillerie à museler l'artillerie adverse« étonnante d'à-propos et de justesse 1 ». Quandla 9»division, vers 9 heures — trop tard — enta-ma enfin son mouvement en direction de Relhel,l'ennemi avait déjà pris pied sur tout le plateau.L'Espée cherche le passage par Château-Porcien :sans succès. Il recommence : nouvel échec. Maisllumbert, ni Dumas ne renoncent. D'Auboncourt àLucquy, tout l'horizon flambe : des rafales d'obusbalaient le terrain crayeux et nu : les brigadesBlondlat et Moussy, accrochées à l'accore du pla-teau, n'en poursuivent pas moins, avec une admira-ble ténacité, sous «une chaleur écrasante »°, l'inves-tissement de la position. Si la division de l'Espéene leur prête qu'une aide lointaine et peu efficaceenapparence, elles trouvent un appui plus sérieux dans

1.Moussy.Carnetde roule.2. Moussy.Ibid,

Cn.LEGOWIC. 2

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18 LAMARNEENFEU

le 7° hussards, dont les deux escadrons, par lacoulée du bas Sorcy, ont pu se faufilersur le flancgauche del'ennemietmenacentsescommunications.Que toutes les instructionsde Foch eussent été exé-cutées à cette heure par le reste du détachementd'arméecommeellesvenaient de l'êtreparle 9»corps,et Gornytombaitaprès Bertoncourt.Maisla 52°divi-sion, qui s'est mise en mouvement sur Chesnoy,ne bouge plus, commebrisée ; Eydoux ne parvientpas à se dégager de l'artillerie qui le bat de face etde flanc dans sa marche si lente vers Sorcy. A3 heures de l'après-midi cependant, l'acharnementdes brigades Blondlat et Moussy reçoit sa récom-pense : remarquablement soutenus par les groupesMartinet Geigerde l'artilleriemarocaine,les batail-lonscoloniauxVincentet Garillyfont le bonddécisifet parviennent à occuper la lisière ouest de Berton-court; le bataillon Gouraud, du 68»,qui y laisseracinq officiers, s'empare à son tour de la lisièresud du village. Un flottementse dessine chez l'en-nemi, en mêmetemps quenos autres élémentsd'at-taque se sentent comme « aspirés » par l'allantmerveilleuxde leurs camarades de première ligne." Sur la droite,qui a plus particulièrementà souffrirde l'inertie de la 52»division el des lenteurs du11»corps, la situationsans douteestmoinsbrillante ;la brigade Eon, de la division Dumas, a dû lâcherAuboncourt, puis la ferme Bellevue; l'ennemi dé-bouche sur Faux qu'il couvre d'obus incendiaires.Unepremière contre-attaquel'arrêté vers 10heureset le refoule dans Auboncourt; une seconde contre-attaque l'arrête encore un peu après midi. MaislesBochesse renforcent, tandis que nous luttons avecdes effectifsde plus en plus réduits; leur artillerie

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pÉBUTSDE FOCHA LA TÈTEDE LA9e ARMÉE 19

accélère son rythme, tandis que la nôtre, faute de

munitions, doit modérer le sien. Faux, Lucquybrûlent. Avec ce qui reste du 135»et un bataillondu 32»,détaché de son corps quiopère en Lorraine,le colonel Eon tient bon dans ces brasiers. 11ytiendra jusqu'au bout. La faible avance de l'ennemisur ce point est largement compensée d'ailleurs parles gains de Blondlat et d'Ilumbert au centre. Novyet ses hauteurs, les approches de la ferme Pornant,les lisières ouest et sud de Bertoncourt, la cote 148,durement conquises, nous appartiennent. Donc le

plus difficile est fait et, contre un ennemi aux trois

quarts ébranlé à son centre et qui ne paraît pastrès bien calé sur son aile gauche, il suffirait d'une

poussée de la 52" division, d'un coup d'épaule desrudes gars bretons du 11» corps. Dubois l'attend

impatiemment, celle intervention : l'après-midi n'est

pas si avancée qu'on ne puisse faire de bonne

besogne dans les heures de jour qui restent. Et voilà

qu'à son Q. G. de Chevrières arrive le comman-dant d'ôlat-major Berthon. Est-ce enfin la nouvelle

qu'Eydoux et Coquet s'ébranlent? C'est au contrairela nouvelle qu'ils se replient et que Dubois n'a plusà compter sur eux : Eydoux s'est enferré surAuboncourt; Coquet sur Chesnois, situé « dans unfond bondé d'Allemands » qu'il a fait attaquer sans

préparation d'artillerie et traverser par sa division

qui a fini de s'y disloquer 1. 11 est « 14 h. 30 ».

1. «Le lendemain[30août],à Ecordal,il nousfaitattaquerChesnois,placédansun i'ondbondéd'Allemands,sansuncoupde canon.Lesporta consistéà traversercevillagesouslafusil-ladeintensepartiedesmaisonscloseset à rassemblerlesdébris

~de la divisionen débandadeaprèscellebelleopération.J'ai vutomberlà biendescamaradesinutilement» (Lettreducomman-dantM...).

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20 LAMARNEENFEU

On lient encoredeux heures, «quand touslesautresont lâché »', mais pour.la forme, pour assurer ledécrochage par échelon qui ne s'opère pas sansdifficulté et qui aurait même tourné au désastre

pour la brigade Moussy,sans la splendideabnéga-tion des escadrons MontgaillardetMonlaigu renou-velant sur les pentes de la cote 148l'héroïque che-vauchée à l'abîme des cuirassiers de Morsbronn.D'ordre de l'armée, le 9» corps, victorieux surpresque Coulela ligne, doit abandonner ses con-quêtes, chèrement payées par 2.000 hommes el-80officiershorsde combat, et se replier avec le restedu détachement au sud de l'Aisne.La retraite con-tinue derrière le fleuve : Joffre n'a pas jugé qu'il fûtencore temps de l'arrêter.'Foch, qui a reçu peut-être les confidences du

grand chef et qui sait en lout cas que la date du2septembreest cellequ'il a choisiepour le redresse-mentdé sa ligne,n'a pas lieud'être surpris par celledétermination:il a attaqué, parce qu'il est dans soncaractère d'attaquer, mêmeen se repliant ; il a alla-qué pour une autre raison encore, parce qu'unetroupe ne se révèle véritablementque dans l'offen-siveetqu'ilvoulaitéprouverdès la premièreheurelavaleur des effectifsplacés sous ses ordres. Il a puapprécier en même temps le mérite respectif deschefs. La division marocaine, la 17°division, quiconstituentle 9»corps2, sont hors de pair et admi-rablement en main : Hunïberl,qui commande l'une,

1.Moussy: Ibid.. 2. Constitutionhétérocliteetprovisoire: la17°i). I. faisaitseulepartieorganiquementdu9°corpsavecla 18»laisséeenLorraineù la suitedenotreéchecsur Morhangeet remplacéele22aoûtauprèsdeDuboisparladivisionmarocaine.

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DÉBUTSDEFOCHA LATÊTEDE LA 9° ARMÉI5 21

comptera jusqu'au bout parmi iès grandes figuresde la guerre, mais il ne fait que d'entrer, en ligne ;J.-B. Dumas, qui Commandé l'autre et qui se bat

depuis lé début de la campagne, va être appelé in-cessamment à la tête du 17»corps ; leur chef à tousdeux est Dubois, homme d'initiative et tacticien coh--sommé,dontla contre-manoeuvre de Signy-l'Abbayerestera une des plus belles pages de la retraité. Le11°corps, qui méritait mieux, est commandé parEydoux, qui, après la décisive épreuve des lignesde Leiibàrrée, n'occupera plus que des postessubalternes; la52»division, désemparée, sans cohé-sion, réclame une main énergique et on croit latrouver dans Baltesti qui eslccunancien gendarme »et qui, dans quelques jours (3 septembre), rempla-cera l'incapable Coquel, relevé de son commande-ment,; la 9» division de cavalerie pourrait montrermoins d'indépendance et tenir plus strictement les

consignes données à son chef : on l'enlèvera au9»corps, dont elle dépend, et on la rattachera direc-tement à l'armée. 11apparaît enfin à Foch que sondétachement n'a pas la densité nécessaire pours'étendre sur la gauche : il a demandé el on luienvoie pour prolonger celle-ci une des meilleuresunités du 6»corps, la 42»division, qui reçoit elle-même un nouveau commandant en la personne deGrosselti, hier chef d'ôtal-major du général Rufféyet que sa carrure d'Hercule, son emprise merveil-leuse sur le soldat et sa bravoure à toute épreuveont désigné au choix de Joffre. Embarquée la veilleà Verdun, la 42»division rejoindra le groupement à11heures du malin, le 31, où Foch, dé son poste decommandement de Mâchault,. lui assignera cOmnièzoned'action ëtde stationnement provisoirelâ région

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« entre la route Rethel-Reims(exclu)et le cours del'Aisne ».

L'Aisnen'est là qu'à titre d'indication. On des-cend vers la Marne,mais, auparavant, il faut tenirquelques heures sur la Retourne.Plus ruisseau querivière, la Retournen'a aucune valeur stratégique.Foch le sait ; mais les instructions générales deJoffre recommandent d'utiliser tous les obstaclespour retarder la marche de l'ennemi, et le tempsqu'on gagnera ainsi permettra peut-être à la52°division de"souffleret de se reconstituer sur laSuippe. Si précaire d'ailleurs que soit sa ligne eten chef qui ne livre rien au hasard, Foch entendqu'on s'y organise à fond. Dans la nuit du 31aoûtau 1" septembre il fait parvenir à ses lieutenantsson ordre d'opérationspour le lendemain :

« En vue de couvrir le débouché de la 4»arméeet en particulier du 12° corps sur la rive gauchede l'Aisne à Vouziers, le détachement d'arméeorganisera fortement la ligne de la Retourne sur

laquelle elle aura à résister. On réquisitionnera aubesoin des outils dans les villages et on emploierales compagnies du génie pour l'organisation descentres de résistance. Il sera procédé en mêmetemps à l'organisation de la ligne de l'Arnes etde la Suippe en aval de Béthéniville,ligne au sudde laquelle on poursuivra la reconstitution desdivisions de réserve. »

Suivait l'indication des zones d'action et de sta-tionnementpour chaque unité. La précaution étaitbonne, commele prouvait bientôtl'acharnement del'ennemi à essayer de forcer le passage. Mais cetennemi, on le connaissait maintenant : la vertu deFoch avait opéré sur ses troupes et leur confiance

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DÉBUTSDEFOCHA LA TÊTEDELA 9e ARMÉE 23

renaissait peu à peu. « Avec du calme et de la

patience, nous les aurons », écrivait Moussy à cettemême date du 1°' septembre. Contenu sur tout lefront, l'ennemi, qui nous tàtait depuis 7 heures dumatin et donnait son plein effort à 3 heures de

l'après-midi, échouait dans toutes ses tentatives

jusqu'au moment où, « pour se conformer auxordres du commandant en chef » et la 4° arméedevant exécuter, le l°r septembre, « un mouvement

ayant pour résultat d'amener ses têtes de colonnesur la ligne Séchault-Somme-Py », il était enjoint audétachement de se décrocher afin de «conserver saliaison avec celte armée » et de « suivre son mou-vement ».

On arrivait ainsi à. cette journée du 2 septembrequi était la date primitive à laquelle le comman-dant en chef devait engager la bataille généraleprévue par son instruction du 25 août. Mais, dansl'intervalle, Joffre s'était ravisé. Il en donnait som-mairement les raisons dans son instruction n° 4 dulm septembre, confirmée et rectifiée, quant à lazone d'arrêt fixée aux armées, par la note n»3463du2 septembre1.L'ordre n° M, lancé ft la mêmedate et

1. Instruction générale n" 4 [du 1"' septembre].I. —Malgréles succèslactiquesobtenuspar les 3', 4° et

ii°arméesdanslarégiondola Meuseet à Guise,le mouvementdébordanteffectuéparl'ennemisurl'ailegauchede la 5»armée,insuffisammentarrêtépar les troupesanglaiseset la 0°armée,obligel'ensemblede notredispositifà pivoterautourde notredroite.Dèsquela 4»arméeauraéchappéà lamenaced'envelop-pementprononcéesur sa gauche,l'ensembledes3»,4eet 5°ar-méesreprendral'offensive.

II. —Le mouvementde replipeut conduireles arméesà seretirerpendantuncertaintempsdansladirectiongénéralenord-sud. La5earméeà l'ailemarchantenedoitenaucuncaslaisserl'ennemisaisirsa gauche; les autresarmées,moinspresséesdans l'eiéculionde leur mouvement,pourronts'arrêter, faire

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Wk LAMARNEENFEU

destiné aux troupes, se bornait à la simple consta-tation du repli»maiseny ajoutant un certainnombrede prescriptions impératives propres à rassurer les

impatients et à leur montrer que la penséedu chef*constante avec elle-même»n'avait varié que sur ladate où elle devait recevoir son exécution :

« Une partie de nos armées, disait ce document,

faceà i'enneriiiet saisirtouteoccasionFavorablepourluiinfli-gerunécliec.LémouvementdéchaqueavinéedoittoutefoisêtreIciqu'ilne^découvrepasles arméesvoisines,et les comman-dantsd'annéedevrontconstammentsecommuniquerleursinten-tions,leursmouvementset leursrenseignements.

.111.—Leslignesséparantleszonesdemarchedesdifférentesarméessontlessuivantes: Entrela 5°el la 4°armée(déta-chementFdch): rouléReîms-Ëpérnay(à la 4°armée),routeMonlmort-Sézanne-Romilly(à la5°,armée).Entre la 4°et la3°armée,routeGrandpré-Sainte-Menehould-Kcvigny(àla4°ar-rivée).Dansla zoneaffectéeà la 4>armée;le détachementd'ar-méedu généralFochse tiendraen liaisonconstanteaveclaî>ôarmée; l'intervallecomprisentrecedétachementet legrosdela4°arméeétantsurveilléparles7eet9°divisionsdécava-lerie,relevantdela4°arméeetappuyéespardesdétachementsd'infanteriefournisparcettearmée.La3°arméeeffectueraitsonmouvementa l'abridesHants-dc-Méuse.

IV.—Onpeutenvisagercommelimitedu mouvementderecul,et sansquocelleindicationimpliquequecettelimitedoiveêtreforcémentatteinte,le momentoùlesarméesseraientdansles situationssuivantes.: un corpsdecavaleriedenou-velleformation,enarrièredela Seine,au suddeBray; 5°ar-mée en arrièredo là Seine,aii sud dé Nogcnt-sur-Seino;4° armée(détachementFoch),en arrièrede l'Aube,au sudd'Arcis-sur-Aubç; 4° .armée(gros)en.arrièrede l'Ornain,àl'estdeVitry; 3earmée(aunord'deiïàr-le-Duc).La3°arméeserait,àcemoment,renforcéeparlesD.R.quiabandonneraientles Hauls-de-Mensopourparticiperaumouvementoffensif.Silescirconstancesle permettent,desfractionsdeslroet 2ear-méesseraientrappeléesen tempsopportunpourparticiperàl'offensive; enfuisles troupesmobilesdu CampretranchedoParispourraientégalementprendrepartà l'actiongénérale.Legénéralcommandantenchef,signé: Joffre.—P. A.L'aide-majorgénéral.Signé: Belin.

Notepour les commandantsd'ai'mêe[du â septembre].

Leplangénérald'opérations,quia motivél'envoidé l'ins-tructionn°4;visè-lcspointssuivants: a) Soustrairelèsannées

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DÉBUTSDEFOCHA LATÈTÈDÉLA9° ARMÉE 2b

se replient, pour resserrer leur dispositif, reco'mplélerleurs effectifset se préparer avec toutes chances desuccès à l'offensivegénérale que je donnerai l'ordrede reprendre dans quelques jours.

«Le salut du pays dépend du succès decette offen-

sive, qui doit, en concordance avec la poussée denos alliés russes, rompre les armées allemandes quenous avons déjà sérieusement entamées sur diffé-rents points.

« Chacun doit être prévenu de cette situation ettendre toutes ses énergies pour là victoire finale.

« Les précautions les plus minutieuses, commeles mesures les plus draconiennes, seront priséspoûi' qtié lé mouvement dé repli s'ëffëctué avec unordre complet, pour êvilêr les fatigues inutiles.

« Les fuyards, s'il s'en trouve, seront pourchassésel passés par lés armés.

« Les commandants d'ârmêe feront donner desordres aux dépôts, pour que, d'urgehce, ceux-cienvoient aux corps le nombre, très largement cal-culé, des hommes nécessaires pour compenser les

perlés failcs cl celles à prévoir dans lés prochainesjournées.

à lapressiondel'ennemiet lesamenera s'organiseret à se for-tifierdansla zoneou elless'étabiiroiiten findorepli,b)Éta-blir l'ensembledo nosforéessur iih'olignegénéraleihatquéèparPont-sur-Yonne,Nogent-sur-Seine,Arcis-sur-Aube,Brienne-le-CbiUeau,Joinville,sur laquelleellesse récompîèterbntparlesenvoisdesdépôts,c) Renforcerl'arméededroitepardeuxcorpsprélevéssur les arméesde Nancy,et.d'Epinal.d) A cemoment,passerâ l'offensivesur toutlé front,e) Couvrirnolrëailegâùcliëpar toutelà cavaleriedisponibleentreMontereauet Melun.f) Demanderà l'arméeanglaisede participer,à lamanoeuvre: 1°en tenantlà Sëincde Melunà Juvisy; 2° endébouchantsur le mômefrontlorsquelà 5°arméepasseraàl'attaque,g) Simultanémentla garnisonde Paris agiraitendirectiondéMeaiix.Legénéralcommandantcii chef,signéJoffi'é.—P. A.Lerftâjorgénéral.Signé: Bëlin.

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26 - LAMARNEENFEU

« Il faut que les effectifs soient aussi completsque possible, les cadres reconstitués par des promo-tions, et le moral de tous à la hauteur des nouvellestâches, pour la reprise du mouvement en avantqui nous donnera le succès définitif. » Signé :« Joffre. »

Quand nous ne posséderions pas les textes del'instruction n»4 et de la note n° 3463,l'ordre qu'onvient de lire suffirait à prouver que, dans lapenséedu chef, l'offensivegénérale n'était pas renvoyéesinedie, commeon l'a prétendu, mais reculée seu-lement de « quelques jours ». La sévérité de cer-tains paragraphes de cet ordre n'était pas non pluschose si nouvelle et Joffre n'y faisait qu'appliquerà la.troupe la doctrine qui lui avait dicté sa notede service du 13 août 1914,lancée de Neufchâteauet concernant les généraux el chefs de corps :

« Dans les engagements partiels qui se sont pro-duits jusqu'à présent, disait cette note qu'on trou-vera publiée ici pour la première fois, nos troupesde toutes armes ont fait preuve des qualités d'en-durance, de courage et d'entrain que nous atten-dions d'elles. Ellesse sont montréesnettement supé-rieures à celles de l'ennemi et, presque toujours,nous avons obtenu des succès. Sur quelquespointscependant, les résultats n'ont pas été conformes àce que nous espérions : la faute en est uniquementimputable au commandement. J'ai déjà pris desmesures et relevé de leurs fonctionsun comman-dant de corps d'armée et deux commandants dedivision. Si vous avezconstaté ou si vous constatez

parmi les généraux et chefs de corps sous vosordres la moindre défaillance, je vous prie de me

signaler d'urgence ces officiersqui seraient immé-

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DÉBUTSDEFOCHA LATÊTEDELA9e ARMÉE 27

diatement remplacés, sans préjudice des sanctions

plus graves qui pourraient être prises contre eux.Dans les heures graves que nous traversons, il nedoit plus être question d'indulgence ; lé succès

complet ne sera obtenu que si les qualités de nos

troupes sont exploitées par des chefs ayant ducaractère et la volonté de vaincre à tout prix. Vousme signalerez également d'urgence les généraux ouchefs de corps qui ont déjà fait ou feront preuve deces qualités, pour que je puisse immédiatementleur donner des lettres de commandement leur per-mettant, quelle que soit d'ailleurs leur anciennetérelative, de remplir les emplois qui deviendrontvacants. » Signé : « Joffre. »

Le généralissime, on le voit, n'a pas deux poidsel deux mesures. Impitoyable pour les soldatssans courage, il l'est également pour les chefssans initiative ni autorité.

La retraite continue donc else poursuivra jusqu'àce que les troupes aient atteint une ligne généralefixée par la note 3463et « marquée par Pont-sur-Yonne, Nogent-sur-Seine, Arcis-sur-Aube,Brienne-le-Chàleau, Joinville ». C'est l'affaire d'une semaineau plus, temps compris pour s'installer solidementsur les nouvelles positions... A cette date du2 septembre, qui s'annonçait comme devant êtreune dale historique el qui fut une journée si« calme », il n'y aura guère à signaler pour ledétachement d'armée, avec la nomination à litre

provisoire du général Moussy au commandementde la 17* division, où il remplace le généralDumas « appelé à d'autres fonctions », que le

prôl fait à Foch, pour vingt-quatre heures, d'unefraction du 10«corps (le 41»R. I., colonel Passaga)

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28 LAMARNEENFEU

qui opère à sa droite et qui lui est détaché sursa demande en soutien d'artillerie. Le fait n'au-rait aucune importance en soi, si l'on n'y pouvaitvoir l'indication et comme la première esquissede la coopérationautrement importanteprêtée à la9° armée le malin du 9 septembre par ce môme10»corps qui, en relevant la 42»division sur ses

positions, permit à Foch d'exécuter sa célèbre ma-noeuvrede flâne en directionde Fère-Champenoiseet d'OEuvy.

Déjàrenseigné sur notre «capacitéde résistance»

par les divers « coupsdeboutoir » qu'il avait reçusde nous au cours de la retraite, l'ennemi, depuisque nous étions entrés eii Champagne et tout ennous tàtant ça et là par ses uhlâns, ne montraitpas un grand désir de réprendre le contact. Biilowmarchait sur ïteims; Hausen sur Chàlons, maissans y mettre l'un et l'autre l'effarante vélocitédeKluck,qui toutjustemenlauraildû régler sa marchesur celle de Biilow el qui le devançait au lieu dele suivre, le débordait au lieu de le flanquer. Visi-blement les montres des hauts commandants del'armée allemande ne marquaient plus la mêmeheureet, quant au cadran del'O. H. L. ou Directoire

supérieur, ses aiguilles avaient continué à tourneraprès Charleroi, comme s'il n'y avait pas eu dansl'intervalle Guise, Signy l'Abbaye et la Meuse.Bûlow,à qui Moltkefaisait connaître par radio quela « prise de Reims » serait. « désirable dès le2 septembre », n'arrivait péniblement qu'à Fismèsdans là soirée et n'entrait dans Reims que le 4.Les rapports allemands, systématiquement opti-mistesjusqu'au 6, étaientunanimes pourtant à cons-tater la désorganisation croissante del'armée fran-

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DÉBUTSDE FOCHA LATÈ1J5DE LA9° ARMÉE 29

eaise. « Comme indices à ce sujet, écrivait Bùlowle 3\ on peut à bon droit tenir compte des grandesquantités d'équipements et de munitions abandon-nées le long des routes de retraite el sur les empla-cements de batteries évacués. Le G.Ç. Kichthoffen

signale qu'un bataillon de zouaves s'est disperséaux premiers coups de canon en jetant bas armeset bagages. » On aimerait connaître le matriculede ce bataillon qui était peut-être de ceux qui fon-dirent quelques jours plus tard avec un si magni-fique-entrain, la baïonnette haute, sur les redoutesallemandes de Congy el d'Oyes. A la vérité lesbois de pins dont celle région de la Champagne estloule fourrée offraient les meilleurs défilements ànotre infanterie ; il n'était pas aussi aisé d'y fairefiltrer l'artillerie el les convois, qui devaient em-

prunter les roules oit ils étaient tout de suite

repérés. L'artillerie de la 17° division avait subi dece chef, le l»r septembre, des pertes assez sensiblesavant de franchir la Suippe. Cependant, à notreextrême droite, le 41° régiment, par Hermonville et

Houilly, se dirigeait fort paisiblement sur Tillois ;'la42°division n'était pas plus inquiétée dans sa marchesurFresnesetLaNeuvillette. Onnesouffraitquedelachaleur,particulièrement accablante dans les fonds,d'où montait une vapeur dorée qui enveloppait toutle paysage et faisait à l'énorme vaisseau de la calô-drale de Reims, seul visible sur l'horizon, commeun nimbe d'ardente spiritualité. « L'air est enôbullition, dit le D» Georges Vaux, attaché au2° bataillon du 41°-... On somnole" On ne peut se

1. Monrapport sur la bataillede la Marne.2.En suivantnossoldatsd_el'Ques.t.Ob.erlhur,Rennes.

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30 LAMARNEENFEU

croire à la guerre, car on n'entend pas un coup de

canon, pas un coup de fusil. » Et c'est ainsi qu'on

atteignit la ville du sacre.Était-ce la « base » cherchée par Joffre?Lesnon-

initiés le croyaient. Ce vaste camp retranché, avecses forts détachés de Fresnes, deWitry,deBéru,deNogent-l'Abbesse,de la Pompelle, de Saint-Thierry,surtout de Brimont, paraissait imprenable. Ils bas-tionnenl la ville comme autant de gigantesquesbrise-lames : bétonnés, cuirassés, garnis de pièceslourdes, ils pouvaient apporter l'appui le plusefficace à l'armée qui se déploierait autour d'eux ;même si celle-ci continuait son mouvement de

repli, ils avaient encore un rôle utile à jouer,comme Liège, Namur et Maubeuge, en obligeantl'ennemi à les masquer par d'assez gros détache-ments, ce qui diminuerait d'autant ses disponibi-lités au jour de la bataille. Le 1" septembre, dèsson arrivée à Ceray-les-Reims,le commandant du9» corps tentait de se mettre en rapport avec le

gouverneur de la place. Mais déjà cet officiergéné-ral et son état-major avaient été dirigés sur l'arrièreet il ne restait à son poste que le commandant del'artillerie du front Est, lequel n'avait pas d'ordres.Ce silence des forts, l'écoulement de nos troupes,les raids desuhlans, letravail souterrain desespions,qui n'étaient nulle part aussi nombreux et aussiremuants qu'à Reims, avaient jeté l'alarme dans larégion dont toutes les roules s'encombraient defuyards. Et, dans l'après-midi du 2, au milieude ce « tohu-bohu », on avait la surprise de voirdeux autos allemandes pénétrer dans la ville avecdes parlementaires.

« Gesontles généraux von Arnimet vonKummer,

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DÉBUTSDEFOCHA LATÈTEDELA9° ARMÉE 31

lit-on dans le carnet de route d'un officiersupérieurde la 42°division ', qui viennent demander à la villeune indemnité de guerre de deux millions pour luiéviter lebombardement. Une femme du peuple giffle•

un des généraux qu'on fait rentrer dans la mairie.Mais pourquoi ces parlementaires ont-ils des armesdans leurs voitures, n'ont-ils pas les yeux bandés etnese sont-ilspas arrêtés aux avant-postes ?Je ne saisce qu'iladvinld'eux, mais Margot[coloneldu 94»R.1.de la 42»D.] envoya ses hommes en tenue très

propre pour crâner devant les Boches. Le généralcommandant à Reims ayant refusé de les recevoir,-on envoya un colonel d'artillerie fort piteux s'en-tretenir avec eux, tandis que ces généraux mar-

quaient fort bien... »La veille, assez tard dans la soirée, ordre était

venu du Grand Quartier de désarmer les forts, « enemmenant tous les canons mobiles et en mettanthors de service ceux sur plate-forme ». Cet ordredevait être exécuté le 2 au matin. Il y eut ce jour-là,nous l'avons dit, une espèce de trêve qui s'étendità presque toute l'aile gauche de l'armée française :l'ennemi, qui connaissait peut-être les intentions

premières de Joffre, mais qui ne savait pas qu'ils'était ravisé, s'imaginait-il que nous allions passerà l'attaque et se tenait-il prudemment sur l'expec-tative? On l'a supposé, mais le rapport de Biilow,si sec et si linéaire d'ailleurs, ne laisse rien voir desemblable; il y est même question d'une brigadefrançaise que «le X»C. R., appuyé parlel»r C. G.,dispersa » et qui devait avoir une vertu de résistance

peu commune pour qu'une si petite unité ait exigé

1. CommandantdeBontin.

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32 LAMARNEENFKU

contre elle la coopération de deux corps d'armée.Il est possible, au surplus, que quelques accro-

chages se soient produits çà et là, mais i]sn'eurent

pas de conséquences et, pour le dôlaçhemenl d'ar-mée Foch, cette journée du 2 septembre fut en toutcas une journée de pleine détente. Le matin seule-ment on lui fil faire une petite conversion qui portases gros un peu plus au sud, sur la ligne Reims-

Berru-Beine-Marqnvilliers.Fochprofitade ce relâche

inespéré pour procéder au regroupement de ses uni-tés elàlareconsliluliondeleurs cadres. Lesouvragesavancés de la place n'avaient pas sauté encore :Fresnes el Brimont, tenus par les éléments de la42»division, venaient seulement d'être évacues pareux. Quand le détachement d'armée quitta Reimsle 3 septembre, à 1 h. 30 du malin, accompagnédans sa marche par les sourdes détonations desorts et de la gare qui sautaient derrière lui, il pré-sentait la plus remarquable homogénéité el n'avaitplus, pour faire figure d'armée, qu'à en recevoir lelitre qui devait lui être conféréle lendemain '.

Rien d/ailleurs, ni ie 3, n; ie it>ne gena noshommes dans leur repli : la manoeuvrevers le sudse poursuivait d'un cours régulier, et c'est à peinesi lesarrière-gardes échangeaient quelques coups defusil avec les patrouilles de uhlans-. Les batteries,

1.Enmémotemps,l'arméeFochrecevaitunnouvelélémentdétachéde l'arméede Langle: la (ÎQ°divisionderéserve(géné-ral Jpppé),etJoffredirigeaitverselle,deLorraine,la 18»divi-sion(généralLefebvrc),antérieurementpartieorganiquedu9»-corps,maisqui,débarquéeàTroyesle6 au soir,soraportéelelendemainensoutiendEydou$.

2. C'estce que confirmenettementle rapportdeBiilow:« Bienqu'auprix'd'uneffortconsidérabledemandéà touteslestroupes,la 2°arméeeût continuéle 3 septembrelapoursuitede l'ennemijusqu'àla Marne,on.ne réussitpas à accrocher

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DÉBUTSDEFOCHA LATÈTEDELA9° ARMÉE 33

en position sur toutes les hauteurs, surveillaient lesmouvements de l'ennemi. On savait qu'il avait

passé la Marne à Châlons et à Port-à-Bjnson. Onlui avait livré sans combat « cette coupure d'uneforce si exceptionnelle »,pour parler commeBiilow,et, chezquelques sceptiques qui voyaient avec éton-nement le généralissime négliger ainsi toutes lesdéfenses naturelles et abandonner l'un après l'autreà leur destin tous nos camps retranchés du Nord etde l'Est, Reims, Verdun et Paris après Maubeuge,la Fère etLaon, demainpeut-être le (îrand-Couronnê

'

et Toul, la croyance commençait à s'ancrer qu'on«lâcherait la Seine, commeon avaitlâché la Meuse,l'Aisne etla Marne » et qu'on allait tout simplement« chercher l'adossement du Plateau Central ».Le 5 septembre encore, alors que Joffre avait prissa décision, lemouvement.de retraite continuait surtoute la ligne : c'est ainsi que, dans le détachementd'armée Foch, devenu la 9» armée, la 42»division,par Soisy-en-Brie, Coizard, Broussy-le-Grand, se

dirigeait sur Pleurs; le 9°corps se portait surGour-

gançon ; le 11°sur Sommesous; la 62°division sur

Plancy, etc. Foch avait dû être avisé cependant,au moins en gros, des intentions du généralissime,car, à 6 h. 45, de Fère-Champenoise, que venaientd'atteindre les têtes de colonne de la 17»division, ilmandait à Dubois :

« En vue de réaliser un dispositif permettant -,depasser à l'offensive le 6 seplembre.le 5» corps d'ar-

encorcunefoisl'adversaireaunordde .cetterivière; il livramômesanscombatcettecoupured'uneforcesi exceptionnelle,detellesortequel'impressionsefortifiadeplusen plusquelaretraitedesFrançaisavaitrevêtu.partoutle .caractère.de lafuite.LeQ.G.A."futportécejour-làà Fèré-en-Tàrdcnois"».

Cu.LEGopFic. O

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34 LAMARNEENFEU

mêe arrêtera sa marche de façon qu'aucun de seséléments combattants ne dépasse au sud la ligneConnantrê-OEuvy.Il maintiendra ses arrière-gardessur la ligne Aulnay-aux-Planches-Morains-le-Pelil-Ecury. La 52»divisionsera maintenue dans la régionCorroy-Courcelles,ausuddelaMaurieniie. »Signé :« Général FOCH.»

Des ordres analogues sont donnés aux chefs du11»corps, de la 42»division d'activé, des 52»et 60»deréserve et de la 9»de cavalerie. C'est la limilaliondu repli en vue d'une offensive imminente, maisdont il semble que Foch ne connaisse pas très bienencore le thème, ce qui explique que le mouvementse poursuive dans la plupart des unités jusqu'à11 heures du matin, pour certaines même jusqu'àmidi, heure à laquelle enfin, par des instructions

expédiées à 10h. 30de Fère-Champenoise,Foch les

pousse résolument en avant : le 9» corps, devantattaquer en direction générale Sézanne-Montmirail,occupera, dès le soir môme, par de fortes avant-gardes, Congyet Toulon-la-Montagne; le 11»corps,avec la 60»D. R. en soutien, s'étendra de Morains-le-Petit à Sommesous; la 42»division fera face aunord par Soizyet Chapton ; la division de l'Espée,en liaison avec la division d'infanterie.Legrand, del'armée de Langle, bouchera l'hiatus du camp deMailly; la 52»D. R. organisera les crêtes sud desMarais...

Bûlow et Hausen,qui venaient de recevoir l'ordred'orienter leur front vers Paris, ce qui changeaittout leur dispositif de manoeuvre, avaient atteintdéjà, en certains endroits, la rive septentrionale decette grande fosse verdàtre el, s'il n'était pas troptard pour couvrir les Marais, gardés à l'Ouest et

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DÉBUTSDEFOCHA LATÊTEDELA9° ARMÉE 35

au Sud par les hauteurs de Mondement,d'AUemantet du Mont-Août,il était plus difficilede s'ouvrir

passage au delà, même en occupant Mont-Toulonet les crêtes voisines, commandées par les puis-santes articulations qui se déploient en arc decercle de Bayes au Mont-Aimé.Foch n'a pas choisison terrain : il doit s'accommoder à la nature deslieux qui lui impose une bataille de défensive. C'est

par une illumination de génie que le 8 au soir,accablé sous des forces disproportionnées, il imagi-nera celle rocade de la 42» division aux consé-quences immédiates de laquelle Biilow put bien

parer par sa brusque évasion, mais dont l'effetmoral fut prodigieux sur nos troupes du 9»corpset, en bouchant la brèche de notre flanc droit, leur

communiqual'élan nécessaire pour se jeter aussitôtsur les talons de l'ennemi et lui enlever Fère-Cham-

penoise dans la nuit mêmedu 9 au 10.

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m

LES PRÉLIMINAIRES DE LA MARNE

Le 2 septembre était, on le sait, la date primitiveà laquelle Joffre devait engager la bataille prévuepar son instruction générale du 25 août. Le 1" sep-tembre il faisait connaître à ses lieutenants que ladate était remise ; le 2, ceux-ci recevaient commu-nication de la note 3463, puis de l'ordre n» 11cité plus haut. Le premier de ces documents conte-nait un exposé succinct des raisons qui avaientdéterminé Joffre à continuer la retraite : une note

personnelle publiée par M. Hanotaux et adressée

par le généralissime au ministre de la Guerre à ladate du 3 septembre les reprenait, les développait,et c'est à cettenote surtout qu'il convient,de recou-rir pour entrer dans la pensée du futur vainqueurde la Marne.

La principale et la meilleure des raisons invo-

quées par l'auteur pour expliquer sa déterminationétait « le rapide recul de l'armée anglaise effectué

trop tôt et trop vite », recul qui « avait empêchél'entrée en jeu de l'armée Maunoury dans de bonnesconditions et compromis le flanc gauche de l'arméeLanrezac ». Tout accrochage décisif devenait ainsitrès dangereux. Joffrepréférait donc prendre encore

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LESPRÉLIMINAIRESDELAMARNE 37

du champ jusqu'au moment où, « en liaison avec

les Anglais et avec la garnison de Paris » et « en

utilisant sur certaines parties du front les organisa-tions défensives préparées », il pourrait « assurer

la supériorité numérique dans la zone choisie pourle principal effort ».

Cen'est un znystère aujourd'hui pour personne —

et ce n'en était pas un dès cette époque pour leministre et pour les lieutenants de Joffre — quecette zone se trouvait derrière la Seine, sur une

ligne jalonnée approximativement par Pont-sur-

Yonne, Nogent-sur-Seine, Àrcis-sur-Aube, Brienne-le-Châteaû et Joinville. De n'importe lequel de ces

points au plateau de Langres il y a une belle

marge. Et, plutôt que de prêter à Joffre des inten-tions qu'aucun texte n'appuie, il serait plus équi-table et plus raisonnable de se demander si unebataille livrée sur la Seine était pour cela mômeune bataille où le camp retranché de Paris et laC»armée (Maunoury)"n'avaient aucun rôle à jouer.Rien ne permet de le penser et c'est abuser un peude notre crédulité de donner comme preuve de

l'opinion contraire que Joffre avait transporté son

Quartier Général à Châtillon-sur-Seine1.Aussi bienla conclusion de la noie publiée par M. Hanotaux

prôcise-t-elle que l'offensive nouvelle se fera « enliaison avec les Anglais et avec la garnison deParis ». Pour la garnison de Paris, qui brûlaitd'entrer en action, le difficileétait plutôt d'assoupirque d'attiser ses ardeurs ; mais pour les Anglaisqui, tout en se repliant, ne cessaient de regarder

1. GénéralH. Le Gros: la Genèsede la bataillede laMarne; lieutenant-colonelMaver,Progrèsciviquedu 7février1020;généralde Maud'huy,Gauloisdu17juillet1920,

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38 LAMARNEENFEU

vers le Détroit, c'était, comme disent les plaisants,une autre paire de manches, et leur concours sem-blait beaucoup plus incertain.

On peut parler net aujourd'hui, même aux An-

glais qui ont fini par se rendre à la nécessité ducommandement unique, combattu jusqu'au derniermoment dans leur presse par des hommes commele colonel Repington. C'est leur honneur sansdoute d'avoir accepté d'en faire un premier « essai

loyal », mais sans caractère officiel, lors de l'offen-sive de 1917sur le Chemin des Dames et, malgrél'échec de l'offensive, du à des causes plus poli-tiques que militaires, de ne s'être pas laissé prendreaux apparences et d'avoir insisté un an plus tard,à Doullens, près de M. Clemenceau, •—qui se fûtvolontiers satisfait,à moins, —pour l'institution d'un

gônéralissimat des troupes alliées sur le front occi-dental 1.Volte-faceaussi complète qu'on le pouvaitsouhaiter ! En 1914, l'éventualité d'une pareillesubordination des troupes* britanniques à uncommandement français n'était môme pas envi-

sagée, tant elle répugnait à l'esprit de la race8. S'ilarrivait que noire presse en discutât, on lui répon-dait qu'elle n'y entendait goutte, que la supérioritéde nos ennemis venait beaucoup moins de la cen-tralisation de tous les pouvoirs aux mains du GrandQuartier allemand que de leur forte discipline

1. V. lesdéclarationsdumaréchalFochdansleMatinduSnovembre1920et l'article-deM.StéphaneLauzannodanslemômejournaldu13.

2. « Votrecommandementest entièrementindépendantetvousneserezjamais,enaucuncaset dansaucunsens,sousles ordresd'ungénéralallié ».(Instructionsdonnéespar legouvernementanglaisaumaréchalFrenchetpubliéesparcelui-ci dansson1914.)

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et de leur conception scientifique de la guerre.~« Un généralissime améliorerait-il cet état de

choses? demandait le colonel Repington. Ses ordresseront bien reçus pour autant qu'ils seront agréablesà ceux à qui ils seront donnés ; mais qu'arriverait-il si les ordres donnés étaient désapprouvés parle chef d'État-Major et le cabinet de guerre britan-

niques? Rapidement il y aurait des frictions. Unearmée peut être battue sous les ordres de ses propreschefs, alors qu'elle ne supporterait pas la défaitesous les ordres d'un général étranger. »

Notre échec de Chaiieroi, dû pourtant en partie àl'intervention tardive des troupes anglaises', n'avait

pas été pour affaiblir cette manière de voir. Toutde suite le maréchal French avait fait montre d'une

indépendance d'esprit qui, sans le caractère conci-liant de Joffre, sa patience à toute épreuve, eûtentraîné les plus graves conséquences. Décimée àMons el au Gâteau, enveloppée dans la retraite deLanrezac, l'armée anglaise gardait rancune au com-mandement français de cet échec initial qui avaitfailli ouvrir la campagne par- un désastre : sans

1. Onsait qu'avisé,le 10août 1914,à 2 h. 25 de l'après-midi,parlegénéralJoffre,quele généralLanrezacavait«reçumissiond'opérercontrele groupeallemanddu Nord,de con-cert avecles deuxarméesanglaiseet belge», le maréchalFrenchrépondaità Lanrezacle 17qu'il-étaitau regret, maisqu'ilnepourraitpasmettresonarméeen marcheavantle24etil refusaitenmômetempsde joindresoncorpsde cavalerieàceluidu généralSordet,sousprétexteque n'ayantquedeuxcorpsd'arméeau lieu de trois,il voulaitgardersa cavaleriecommeréserve.V. là-dessuset pour ce qui suit la remar-quable,maisun peutendancieuseétudedu généralLanrezac:lePlan decampagnefrançaiset lepremiermoisde laguerre.11est indiscutablequ'iln'apasdépendudeLanrezacqueChar-leroine lût unevictoireet que,tantdansl'offensivequedansl'organisationdu repli,le chefde la 5»arméemontrales pinshautesqualitésmilitaires,

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examiner si les quatre ou cinq jours perdus par elleà garnir ses cantines el à polir ses buffleteriesn'avaient pas été utilisés par l'ennemi pour renfor-cer ses troupes de couverture, ellereprochait à notre

Élat-Majorde ne s'être pas mieux renseigné sur ladensité des effectifscontre lesquels on la jetait. Lerésultat de ce déplorable malentendu ne tardait pasà se faire sentir, le 29 août, devant Saint-Quentinoùla 5»armée devait attaquer à 5 heures du matin enliaison avec le l»r corps anglais du général DouglasIlaig. A la requête de ce dernier, l'attaque est

reportée à 9 heures : Lanrezac modifie ses dispo-sitions en conséquence, quand, dans la nuit, nou-veau message téléphonique de Ilaig, mandant quele l»r corps ne pourra participer à l'offensive surSaint-Quentin,commeil était convenu, le maréchalFrench ayant subitement décidé que le 29 août se-rait jour de repos général pour l'armée anglaise.

Est-ce à cette occasion que fut prononcé le motde « félonie», auquel le vainqueur de Guise attri-bua sa disgrâce qui eut peut-être des causes plusprofondes et notamment sa complètedivergence devues, affirméeau cours de maints conseils, avec legénéralissime el son Élat-Major,— d'où la boutadeun peu vive du grand chef à l'issue d'un de cesconseils où sa patience avait été plus particulière-ment mise à l'épreuve : « 11n'y a qu'à le fusiller ouà lui céder la place »? Lanrezac, quoi qu'il en soit,dut abandonner son commandement, sans qu'ilparût que cette satisfaction eût désarmé complète-ment les préventions de nos Alliés,à qui Joffrepour-tant s'était hâté d'en faire part1.11arrivait couram-

1. «... J'ail'honneurdevousconfirmerla nouvellequeje

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ment, pendant la retraite et avant que la Marnen'eût lavé l'échec de Charleroi, que des officiers

anglais, tout en rendant justice à l'héroïsme du trou-

pier français, fissent en public des gorges Chaudesde ses chefs, dontl'infériorilê sur les chefs allemandsvenait de s'attester à Morhange el à Charleroi.

C'avait été déjà de la part du gouvernement britan-

nique un assez joli défi à l'opinion d'avoir expédiésur le continent la presque totalité de celle Expedi-lionary Force que la Grande-Bretagne devait réser-ver jalousement à la défense de ses colonies : l'ac-cord conclu en 1904entre la France et l'Angleterrene comportait rien de semblable. Un membre de laChambre des lords qui se dissimulait sous le pseu-donyme de an Islander prenait soin de nous enaviser à la veille môme de la guerre dans sa rudebrochure The Naval and Military Situation of IheBritish Isles (1913):

« Ce serait peut-être une mauvaise diplomatie,disait-il, mais ce serait une politique droite et hon-nête, si le premier ministre de ce pays expliquait,en termes sans équivoque, que notre Eo;pedilionaryForce est une réserve constituée dans le but d'ap-puyer, d'augmenter nos effectifs dispersés le longdes frontières de l'Empire el qu'elle n'esl ni organi-sée, ni équipée, pour servir sur les champs debataille européens. »

Il convient d'ajouter que celte ExpeditionaryForce se composait en tout et pour tout de six divi-

vousavaisannoncéehierdelanominationdugénéralFranchetd'Kspéroyaucommandementdela 51'armée.Jesuiscertainqu'ilrésulteradevotrecollaborationau combatlesmeilleursrésul-tats(Lettredugénéralcommandanten chefau feldmaréchalsir JohnFrench,commandanten chefdesforcesbritanniques,4 septembre1914).

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sions d'infanterie el d'une division de cavalerie —

plus les réserves. Et il convient surtout d'observer

que si, contre toute attente, quatre de ces divisionset la division de cavalerie avaient passé avec lemaréchal French sur le continent, le souci d'amé-liorer notre situation personnelley était parfaitementétranger : ces troupes n'avaient franchi le Détroit

que pour défendre la neutralité belge el sauverAnvers, dont l'Angleterre, suivant le mot célèbre,ne pouvait pas plus permettre au Kaiser de braquerle canon sur « son coeur» qu'elle ne l'avait permisà Napoléon.Refouléede Belgique,coupéede l'armée

belge, la pelile armée anglaise avail perdu son

objectif et, plus elle s'éloignait du littoral, moinselle comprenait sa coopération avec l'armée fran-

çaise. Il faudra bien du temps à l'opinion britan-

nique et aux gouvernants anglais eux-mêmes

pour discerner que l'Angleterre n'a pas de meilleurboulevard sur le continent que la France et que,ce boulevard une fois forcé, l'Angleterre est à lamerci des événements. Nous n'avons point la cor-

respondance complète du maréchal avec son gou-vernement, mais ce qui en a été livré au public etce qui en transparaît dans ses Mémoiressuffisentamplement à notre édification : on y peut suivreheure par heure au cours delaretraite l'inquiétudegrandissante, les fluctuations, le désarroi d'uneâme profondémentloyaleet dont lepatriotismescru-

puleux est travaillé d'aspirations contradictoires :s'il consent à lier son repli au nôtre, c'est à condi-tion de'se tenir à notre aile gauche, qui est la plusrapprochée du D'étroit. Et, ce repli, il entend lelimiter dans l'espace et dans le temps. On n'a quetrop reculé déjà à son gré et quand Joffre,le 1»'sep-

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tembre, décide de reculer encore, il perd presquetout à fait confiance; il se demande jusqu'où lemènera cette retraite qu'il a plus que tout autre con-tribué à précipiter par le décousu de ses mouve-ments et L'abandonirraisonné des positions les plusessentielles. Intervenant dans les projets du généralen chefau lendemain même dujour où il vient de les

désorganiser par le lâchage du massif de Lassigny,il le.presse d'examiner si l'on ne pourrait pas dis-traire deux ou trois corps d'armée pour assurer sescommunications avec la mer, moyennant quoi il ne

répugnerait plus à nous prêter son concours pourl'offensive en préparation qui serait prise sur laMarne au lieu de l'être sur la Seine \ C'était aussi,

1. Ceci6laitécritavantlesrévélationsd'unsi hautintérêtpubliéesdansle Malindu o septembre1020par M.Raymondl'oincaréet quinefontd'ailleursqueconfirmer,enlesprécisant,lesobservationsqu'ona luesplushaut:

« Peut-êtreM.Alillorand,quiavaitéténomméministredelàGuerrele 2Gaoût,se souvjent-ild'uncoupdetéléphonequ'ilareçu du commandanten chefle dimanche30? Le généralJoiTresodemandaitavecinquiétudesi lesAnglais,tvèséprouvésdepuisle débutde la campagne,étaientencoredisposésà sebattre: ils sereliraientversMcaux,d'oùilsdevaient,croyait-on,gagnerla basseStdneen tournantParisparle sud.Lelen-demainlundi,le colonelPénelon,aujourd'huisecrétairegénéralmilitaireà l'Elysée,venait,dela partdu commandantenchef,meprierd'intervenirpourqueles Anglaisconsentissentà nepaspoursuivretroprapidementleurretraiteet à contenirl'en-nemisur leur front.D'accordavecM. Millcrand,je mandail'ambassadeurd'Angloterre,sirFrancisBcrtie,queje savaisundesplusfidèlesamisdela France.Je luiexposaibrièvementlasilnation.ilmepromitdetéléphoneraumaréchalFrench.Versdixheuresdusoir,sir Francisrevintavecun officierd'ordon-nance,quim'apportaituneréponseécritedumaréchal.Celui-cirappelaitleslourdespertesenhommeset en matérielquel'ar-méebritanniqueavaitsubies.Depuisqu'elleavaitquittéMous,ellen'avaitcessé,disait-il,d'êtreengagée.Il luifallaitaumoinshuitjourspoursereconstitueret redeveniruneunitécombat-tante,Lemardii01',le maréchalFrencharrivaitlui-mêmeàPariset se rencontraità l'ambassaded'AngleterreavecM.Mil-lcrandet lordKitchener,ministredela Guerredu gouverne-

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mais d'un tout autre point de vue, Fidécde Galliéni.Pour les raisons exposées dans ses ordres et notesdu i-3 septembre etdont la principale—que les con-venances lui interdisaient d'invoquer près du maré-chal %—est tirée justement du rapide « recul del'armée anglaise effectué trop tôt et trop vite ».Joffredécline la suggestion ; French ne peut qu'enprendre acte, mais une indépendance déplus en plusgrande et commeun détachement de tout ce quin'intéresse pas directement le salut de ses troupess'observent dès lors dans sa marche qui s'accélèreau point d'ouvrir entre Franchet d'Espérey et luiun vide où va se jeter tout de suite Kluck. Les ins-tructions de ce dernier2lui prescrivaient de suivreen échelonla 2°arméedont il devait se borner à cou-vrir le flancdroit, mais l'occasionétait trop tentante

mentbrilanniquo.Lemaréchaldéclaraqu'ilvoulaitbienretran-chersonarméeversMcaux,maisà unecondition: ildemandaitquele généralJoffreenvoyâtdusforcespourdéfendrela SeineenavaldeParisel assurerlescommunicationsdesAnglaisavecla mer.Informédecelteconversation,le commandantoncheffrançaisrépondaitqu'illui étaitimpossibled'accepterce pro-grammeet qu'ilentendait,aucontraire,pivotersurParispourreprendre,le plustôtpossible,l'offensivegénérale»...

1.Joffresefyornesimplementà répondreauxpropositionsdumaréchaldontl'a saisileministredelaGuerre:«J'ail'honneurdevousadressermesremerciementspourlespropositionsquevousavezbienvoulusoumettreau gouvernementde la Répu-blique,relativesà la coopérationde l'arméeanglaiseet quim'ontétécommuniquées.Enraisondesévénementsnuisesontpassésdepuisdeuxjours,je ne croispaspossibled'envisageractuellementunemanoeuvred'ensemblesur la Marneaveclatotalitédenosforces»...{2septembre1914.LalettreestcitéeparGalliénidanssesDocuments).

2. Aremarquerpourtantquecesinstructionssontdu 3 sep-tembreet queKluckpeutinvoquerà sadéchargequ'ellesarri-vaientbientard,surtoutqu'ellesétaienten contradictionaveclesordresdu30quiluiprescrivaientd'infléchirsamarcheversle Sud,sanstenircomptedel'arméenouvellequivenaitdeserévélersursonflanceldontil n'eûtpasfaitsibonmarché,con-

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que lui offraitle maréchal de rabattre Franchet surBiilowet de gagner à peu de frais une nouvelle ba-taille de Cannes, et Kluck passa outre.

Sans Galliéni, a-t-on dit, le coup réussissait. Cen'eslpas sûr, mais il est certain que Galliénil'a faitéchouer ' et Joffren'a pas plus songé à le contester!qu'à contester la part brillante prise par ses autreslieutenants à la victoire: car Galliéni— on l'oublie

trop — n'est qu'un lieutenant de Joffre, sous lesordres duquel il est placé depuis le 2 septembre,avec le camp retranché et l'armée de Paris ; il estun des éléments dont dispose et sur qui compte etn'a jamais, quoiqu'on dise, cessé de compter le

généralissime pour son offensiveprochaine3.Et cet

trairemcnl.à cequ'onavaitcrujusqu'ici,si l'O.H. h. uel'avaitinexactementrenseignesurla foréeet lemoraldecellearmée.

1. ... « Il est donccertainquelecommandantenchefdesarméesde Parisa euspontanément,dès la premièreminute,la visiontrèsnettedelagrandebatailleà livrer» (RaymondPoincaré,ibid.).

2. Locontester,nonpeut-être.Maisl'a-l-ilreconnu?nousobjecteM.HenriLapau'/.o: • QueM.L.G.nousdisedoncdansqueldocumentpublicJoffrea rendujusticeà Galliéni.Joffrea écritpersonnellementà Galliénipourle remercier,maisil afallula mortde celui-ci- el sesMémoires—pourquelesnoninitiésconnussentlesbilletsdeJoffre.MaislorsqueJoffrefit rédigerl'historiquede la batailledela Marne—à la findo1914—il omitle nomdeGalliéni.Et je puisaffirmerceci:le nomde Galliéniayantété écrittoutdo même,il futbiffésurlesépreuvesparordresupérieur».(lienaissancedu 27no-vembre1920).Mêmeen admettantlaversionde M.Lapauzc,il resteraitqueJoffre,aumoinsdansseslettresprivéesîiGal-liéni,a reconnula part considérableprisepar celui-ciet la0°annéeà la victoire,puisqu'ille remerciaitchaleureusementdesonconcourset qu'ilne.pouvaitcaresserl'illusionque.ceslettresdemeureraientéternellementsousleboisseau.C'estfoutcequenousavonsprétendudire,nefaisautpasici métierd'apo-logisteet nousbornantà la simpleconstatationdesfaits.

3 «... Il n'estpasdansmesintentions,écrit-ilencoreà Gal-liénile4 septembre,à 2b. 55,d'associerlestroupesterrito-rialesducampretranchédeParisauxopérationsdesarméesen

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élément sans doute va se révéler tout à coup sin-

gulièrement rétif, personnel et volontaire el, commeKluck chez l'ennemi,comme French chez nos alliés,Galliéni aussi entendra n'en faire qu'à sa tète. Ilfera si bien, encore un coup, que la manoeuvre de

"Kluck échouera, mais peul-élre eût-elle échoué da-

vantageet d'un échecfât devenuun désastre, si Gal-liéni n'était pas allé si vile de l'avant et n'avait passubstitué ses directives à celles de son supérieur '.

Yoilà tout le débat. Ou, du moins, c'est ainsi

qu'il conviendrait de le poser. Et j'entends bien

qu'il n'est point de ceux qu'on tranche catégorique-ment dans un sens ou dans l'autre. Nous sommesici en plein royaume d'hypothèse et il est toujoursfacile de reconstruire les batailles dans les nues ousur le papier ; ilest plusdifficiled'assurer queles évé-ments se seraient ajustés à nos calculs, pour aussi

rigoureux fussent-ils. Si quelquechose par exemplesemblait mathématiquement infaillible, c'est l'ef-

froyable gâchis où aurait du nous jeter la dualité deconceptionqui se manifestaau cours de ces confuseset tragiques journées de la premièresemaine de sep-

campagnedansle voisinagedola placeen raisondosfaiblescapacitésmanoeuvrièresdecestroupes.Par contreje meré-servedevoxisdemanderlaparticipationdes troupesactivesel de réservede la garnisonà cesopérations,particulière-mentpouragirdansladirectiondeMeaux,lorsdelareprisede l'offensiveprévuepar l'InstructionÎI° 4 et la Noien"3403..

1.Cetteopinion,quiaétérepriseparlecommandantGrassetdansVllluslraliondu 21février1920,commenotrerécitdel'entrevuedeVlamertinghe,futprésentéeparnous,trèsantérieu-rement,unepremièrefoisen septembre1916,dansla séried'articlesquenousdonnâmesauPetit Parisienà l'occasiondudeuxièmeanniversairedelaMarne,elunesecondefoisen1916dansla Guerrequi passe(Bloud,édit.,p. 122).Cecipourrépondreà certainesinsinuationsel réglerpardesdatespré-cisesla questiondepriorité;

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tembre 1914et ne prit fin que le 8 par la lettre,aussi ferme que courtoise, dans laquelle Joffre

priait Galliéni de trouver bon que, désormais, il

envoyât directement ses instructions à Maunouryet qu'il communiquât seul avec le gouvernement.Jusque-là il n'y a qu'un généralissimede droit,maisil y a en fait, depuis le 3, deux généraux en chef àl'aile gauche des armées françaises et dont l'un,celui qui justement n'est pas investi officiellementde la fonction, met perpétuellement le second en .

présence du fait accompli. Sans l'admirable sagessed'un Joffre, sans son esprit conciliant, sans cette

souplesse de caractère qu'on n'a pas assez remar-

quée chez cet homme d'apparence si massive, quese fût-ilpassé et ne frémit-onpoint à la pensée queGalliéniaurait pu trouver devant lui un autre Gal-liéni?

Par bonheur, jamais tempéraments de chefs nefurent plus différents.Et Galliéni,d'ailleurs, commeFrench, a ses excuses. Rappelé à l'activité led»raoùt, confirmédans ses fonctions de successeuréventuel du général-commandanten chçf, fonctions

qui lui avaient été assignées par une lettre de ser-vice de M.Millerand,ministre de la Guerre, en datede décembre 1912, il peut accuser l'injustice de

l'âge qui l'a placé sous les ordres de son anciensubordonné de Madagascar, sans lui conférer, jusvqu'àsanomination degouverneurdu campretranchéde Paris, aucune espèce de pouvoir effectif.Quandil prend la direction de ce camp en remplacementdu général Michel, qui avait bien pu prévoir lamanoeuvre allemande par la Belgique, mais quin'avait rien su faire, pendant près d'un mois, pourmettre Paris à l'abri des effetsde cette manoeuvre,

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il ne trouve ni canons dans les forts, ni équipementsdans les magasins, ni matériel dans les arsenaux,ni instruction chez les soldats. Tout est à créer etl'ennemi est à nos portes. Mais nos armées sontintactes : elles couvrent Paris. Leur repli va s'ar-rêter d'un moment à l'autre : la bataille générale selivrera sous ses murs et la garnison de Paris qu'ila mise debout en quelques heures, à laquelle il ainsufflé sa grande âme, est assurée d'y participer,Ce dernier espoir est enlevé à Galliénile l°r septem-bre, ou du moins il s'en persuade — et celle foisil s'insurge. Il n'accepte pas cet abandon de Paris,abandon qu'il croit, décidé dans l'esprit de Joffre,malgré les assurances multipliées de celui-ci.Mau-

noury, dès le 31 août, a signalé au Grand QuartierGénéral, qui en a avisé le ministre de la Guerre, quin'a pu manquer d'en avertir Galliéni, « que la pre-mière armée allemande délaisse la direction deParis ». Ce renseignement capital a été fourni à

l'élal-major de la 6° armée par le capitaine Lepic,descendant du fameux Lepic d'Eylau, qui, versSaint-Maur, embusqué derrière des bottes de paille,a pu voir « défilerpendant plusieurs heures une co-lonne allemande qui, laissant la route d'Eslrôcs,a pris celle de Compiègne' ».

<lhose curieuse, Galliéni n'y prèle aucune atten-tion ; du moins ses Mémoiressont-ils muels sur cellecommunicalion, contredite d'ailleurs par les rensei-

gnements de ses propres avions qui lui indiquent

1. J. Héthay: le Rôlede la cavaleriefrançaiseà l'ailegauchedç la premièrebataillede la Marna.C'estle 30,onle saitaujourd'hui,quel'O.H.L.avaitdonnéordreauxannéesallemandesde s'infléchirversle Sud.Laconcordancededates(3.0-31)est doncparfaite.

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l'ennemi comme « poursuivant sa marche versParis ». Le 3 seulement, « à 48 h. 30»,précise-t-il Sen rentrant à son Q.G. il apprend, par l'aviateur Brin-

dejonc des Moulinais, selon les uns, par une com-munication téléphonique du lieutenant Remy, selonles autres, que la Ir6 armée allemande s'infléchitbien décidément vers le Sud-Ést, à l'exceptiond'un corps qui semble vouloir rester en flanc

garde devant l'armée Maunoury et qui est entréen contact avec elle à Luzarches. Est-ce possible etla Fortune jusqu'au bout va-l-elle lui demeurer con-traire ? Après Joffre, qui « sacrifie » Paris, laIroarmée allemande va-t-elle se dérober à sonétreinte et suivre Joffredans son interminable repli ?Devra-t-il,par la force des choses, assister les bras

1. «Le3septembre1914,Brindejoncvîntde lui-même,sansconsulterses chefs,trouverGalliénià sonQ. G.Galliéniétaitabsent.ttrindejoncl'attenditdolonguesheures.11putluisigna-ler qu'ilavaitobservédesonavionqueles Allemandsse diri-geaientversle Sud-Est.Galliénilui dit dorepartiraussitôtetdevérifiersi l'arméeallemandecontinueraitsonmouvement; illepriadovouloirbiendonnerà lui-même.,le 4 aumatin,lesrenseignementsqu'ilauraitpuavoirsurlamarchedol'ennemi»(Communicationdu DrBaratoux).—M.H. Roulleau{Démo-cratie nouvelledu 2 décembre1020)raconteautrementlefait ; « [Le3 au matin],dit-il, un aviateurde Galliéni...remarquequelesBochesprogressentversl'Estet nonplusversleSud(?).L'observateurenregistreégalementquede très-im-portantescolonnesallemandesremontentle longdu coursdel'Automne...LelieutenantRemy,chargédecentraliserleBren-seignementsaériens,transmetcette importantenouvellepartéléphoneà l'éLat-majordu généralGalliéni.Le chef d'état-major(Clergerie)demandel'envoiimmédiatd'un deuxièmeavionde contrôle.Vers11heures,l'avionrevientetlepassagerpréciselesobservationsmatinalesen ajoutant: • Le mouve-mentde translationeffectuépar l'arméeallemandecréemêmedes embouteillagesconsidérablesaux carrefoursdesgrandesrouteset en particulierà Villers-Golterets«... L'après-midi,ces renseignementssont encoreconfirméspar une troisièmereconnaissance.A nouveau,Rémytéléphonela certitudedumouvementd'infléchissement.»

CH.LE'GOFFIC. 4

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BO LAMARNEENFEU

croisés aux péripéties du grand choc dont il es-comptait l'imminenceet pour lequel il ceignait déjàses reins, forgeait l'arme qui eût peut-être trouvéle défaut de la cuirasse allemande? Si ce ne sont

pas là les sentiments publics de Galliéni, si sesMémoiresn'en contiennent pas l'aveu formel, est-ilsi téméraire de les lui prêter et de croire qu'ilsn'ont pas été étrangers à la décision qui se fait jourdans cette àme- volontaire de s'opposer à l'inéluc-table et de violenter le destin ? Pour justifier ladétermination qu'il va prendre de lui-mêmeet quibouleverse les plans de Joffre, qui remet tout encause, il invoquera — de très bonne foid'ailleurs —

l'intérêt supérieur du pays, la stratégie dilatoire dugénéralissime, ce dangereux esprit de temporisa-tion qui le ferait reculer au besoin jusqu'à Rive-salles, surtoul l'impossibilité pour nos troupes de

gagner les lignes de la Seine avant l'ennemi, qui semontre pourtant —sauf Kluck el encore ! — si peupressant depuis le 1" septembre : on voudrait desfaits el on ne trouve laque des impressions person-nelles, discutables comme toutes les impressions. Sila Marne avait élôun échec, on aurait,vu-ce qu'elleseussent pesé devant un conseil de guerre.

Quoi qu'il en soit, Galliéni a pris son parti, dontl'exécution n'est plus subordonnée qu'à la confirma-tion ou à l'infirmation du renseignement qu'il vientde recevoir : tous les avions du camp retranché

reparlent séance tenante à la découverte ; enlre

temps Galliéni interroge un réfugié de la Sommequi a vécu avec les Allemands dans la région deSaint-Just-en-Ghaussêe cl. qui ne se montre pasmoins formel que son premier informateur ; unereconnaissance en auto poussée par l'interorëte Pré-

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LESPRÉLIMINAIRESDELAMARNE, 81

chetjusqu'à Princhard lui rapporte de nouvelles pré-cisions sur le fléchissement de Kluck. Les avions

rentrent, et toutes leurs déclarations concordent. Ilne reste plus qu'à en tirer les conséquences : uneoccasion exceptionnelle se présente de surprendrel'ennemi en flagrant délitde manoeuvre,de l'attaqueren plein liane : il importe peu que cette attaque pré-maturée jette bas tout l'échafaudage de Joffre elmême il est à désirer qu'il en soit ainsi et que Joffres'en voie contraint à suspendre sa retraite et à livrerla bataille qu'il diffère scandaleusement. Soucieux

cependant de ne rien laisser au hasard, d'opérer en

pleinecertitude, Galliénimultiplie les investigations,dépêche à l'aube du 4 dans toutes les directions denouvelles reconnaissances aériennes. French, luiaussi, s'est aperçu du glissementde l'armée ennemieet il téléphone à Galliénià 10 h. 23du matin : «Le4»corps de réserve allemand parait resler à l'Ouest.Maisles autres corps de la I" armée semblent avoirtourné vers le Sud-Est et avoir atteint hier soir laMarne entre Chàteau-ïhierry el Lizy-sur-Ourcq.»Maisdéjà, dès 9 heures, Galliéni, pour créer le fait,forcerla main de Joffre,dont il pressentla résistance,a prévenu Maunoury qu' « en raison du mouvementdes armées allemandes », il avait décidé de porterson armée « en avant dans leur flanc, c'est-à-diredans la direction de l'Est en liaison avec les armées

anglaises ». La direction sera donnée à Maunourydès que Galliéniconnaîtra celle de ces armées : enattendant, qu'il tienne ses troupes en alerte et pousse« immédiatement des reconnaissances de cavaleriedans tout le secteur entre la route de Chantilly etla Marne »; à cet effet la cavalerie disponible du

camp retranché est mise tout entière sous ses

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ordres, en même temps que la 45»division, etc., etc.Toutes ces dispositions, encore une fois, Galliéni

lésa prises de son propre mouvement sans consulterson chef, malgré son chef'1. C'est quand elles sonten voie d'exécution qu'il les soumet à l'homologa-tion de Joffre, dont elles contredisent les ordres de

repliement du 2 septembre 8, et qu'il court à Melun,essayer d'arracher à French une adhésion que lemaréchal ne pouvait hiérarchiquement lui accorder.Lehasard d'ailleurs veut que French soit absent, etson chef d'état-major ne se sent pas l'autorité néces-saire pour s'affranchir des directives de Joffre

acceptées par le maréchal et impliquant la conti-nuation de la retraite. Galliéni retourne à Paris sansavoir rien pu obtenir el il n'est pas plus heureux

près de French lui-même quand celui-ci, dans lasoirée, l'appelle au téléphone. Atonies les instancesde Galliéni pour lui arracher un ordre d'offensiveou simplement d'arrêt de ses troupes, le maréchalrépond : « No ». Ses troupes sont épuisées ; elles ontbesoin de se refaire en lieu sûr; la retraite conti-nuera donc, comme il est convenu avec Joffre. Et lefait est qu'elle se précipite. Galliéni, de toute évi-dence, n'a aucune prise sur son interlocuteur : il nesait pas le manier comme Joffre. Sera-l-ilplus heu-reux avec ce dernier, qu'il peut aborder à la fran-

1. « Je pensaisdonc,dès ce moment,à prendrel'offensivecontrel'ailedroiteennemie,maigrelesrisquesquepouvaitpré-sentercelleopération,malgréles directivesdu généralenchefprescrivantauxarméesde se replierau sudde la Seineet de l'Yonne»(Mémoires,p. 95).

2. « La décisionbienprise et les ordres étant donnés,monchefd'état-majortéléphonaitauGrandQuartierGénéralpourle mettreau courantdesdispositionsréalisées» (Ibid.,p. 114).

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LESPRÉLIMINAIRESDE LA MARNE 53

çaise, ex abrupto ? Voici les deux hommes à l'appa-reil. Joffre est au courant du changement de frontde Kluck et il reconnaît sans difficulté qu'il y a làun fait nouveau qu'il est peut-être tentant d'exploiter.De quelle manière? C'est la question. Elle est sus-

ceptible de deux solutions : celle que propose Gal-liéni, la plus simple, et celle, plus subtile, que pré-conise Berthelot et qui consisterait à laisser Kluck« foncer dans la nasse ». Joffre ne cache pas quec'est cette solution qui a ses préférences, parcequ'elle lui permettrait de gagner du temps : l'immense

ligne brisée dont il règle le mouvement et qui con-tinue sa délicate manoeuvre pivotante pour obtenirune liaison complète des armées, ce qui n'arrivera

que quand les renforts appelés de Nancy et d'Epi-nal seront en place, French d'aplomb sur ses jambesel Maunoury en mesure d'agir vers Meaux, cette

ligne est loin encore de présenter le dispositif qu'ilsouhaile. En outre le moral des troupes n'est pasaussi bon que le laissent croire les communiqués :des divisions, comme la 32° du groupement Foch,sont « momentanément inutilisables 1 »; certains

corps d'armée môme, comme le 18»,à la tête duquelvient d'être appelé Maud'huy, sont ou paraissent(car, d'après Maud'huy, le 18»corps, harassé de

retraite, était cependant fort capable d'attaquer) en

pleine décomposition. Enfin l'adhésion anglaisereste fort hypothétique, et Galliéni a pu en jugerpar lui-même. Cependant et tout compte fait,si cette adhésion peut être obtenue, Joffre veutbien ne pas s'opposer à la continuation du mouve-ment offensif esquissé parla 6° armée, mais à con-

1. Expressiondu généralDubois,commandantle9"corps.

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dition que ce mouvement se fasse par la rive

gauche de la Marne. Galliéni proteste1: c'est la

déformation de sa pensée, sa ruine plutôt, qu'uneopération conduite de cette façon el le coup qu'ilmédite de porter aux communications de l'ennemin'est plus possible, si on prend par la rive gauchedu fleuve au lieu de prendre par la droite.

Là était en effet la grande pensée de Galliéni,telle du moins qu'il l'a exposée dans ses Mémoires,en exprimant le regret de n'avoir pu lui donner levaste développement.qu'elleaurailprise, siMaunouryn'avait été sousIrait le 8à soncommandementdirect :avec deux corps d'année qu'il eût jetés le mêmejourvers le Nord, dans la direction de la Ferté-Milon,ilserait tombé « en plein dans les lignes de commu-nication de l'ennemi, sur ses derrières », et l'eûtforcé de reculer jusqu'à la Meuse, sinon par delà.Beau rêve, dont on ne voit malheureusement' pascomment Galliéni eùl fait pourlc réaliser cl souteniren môme temps Maunoury qui, avec « toutes lesressources » dont disposait le camp retranché deParis, pouvait à peine lenir debout le soir du 9 et sefût effondré, le 10, sous une attaque sérieuse deKluck1.

Il reste qu'en demandant à porter la 6earmée surla rive droite de la MarneGalliôniavaitraison contreJoffre, si tant est que Joffre ait parlé d'une attaquede la rive gauche autrement que pour le cas où il

1. Remarquonspourtantquelui-mêmeavaitsoumislesdeuxpropositionsà Joffre,commeil résultedu télégrammechiffréendatedu4 septembre,14heures,publiéauxDocuments: « Desdeuxpropositionsquevousm'avezfaitesrelativementà l'emploitroupesgénéralMaunoury,je considèrecommela plusavanta-geusecollequiconsisteà porterla Gearméesurla rivegauchedelaMarne,ausuddeLagny...»Signé: « Jofîre».

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aurait lui-même continuéson repli vers la Seine.Dèslors qu'il renonçait à ce repli, l'attaque sur la rivedroite s'imposait. Kluck, averti du danger par le

dômasquage trop rapide de l'armée Maunoury,étaitdésormais sur ses gardes, et le Grand Quartier alle-mand, ouvrant les yeux à son tour, allait lui ordonnerde resserrer au plus vite ses lignes : le poisson s'éva-dait de la nasse avant d'y avoir fait entrer tout le

corps, comme l'espérait Joffre.C'était une nouvellebataille qu'il fallait improviser de toute pièceet jouerde surcroît sans l'atout anglaisqui nous avait glissédes mains : French a si bien reculé et, quand ilrefait front sur les instances de Joffre, plus habileà le manier queGalliéni, il le fait avec une si déses-

pérante lenteur, un tel luxe de précautions, qu'iln'accrochera les Allemandsqu'à la finde la batailleet quand elle est à peu près gagnée. Mais commentne pas regretter cette abstention de l'armée anglaiseen songeant à tout ce qu'aurait pu donner une coo-pération immédiate et pleinement effective de60à 70.000hommes de troupes régulières et bien en-traînées? Joffrevoit bien que c'est par où boite le

plan qu'on lui propose et que tous ses effortspour leredresser sur ce point —et il n'en négligera aucune—risquent de rester inopérants. Pourquoi donc nerôsiste-t-il pas à Galliéni? Pourquoi ne s'en tient-il

pas à son projet initial d'une retraite sur la Seine?Il ne l'a pas dit, mais on le devine assez et l'on con-

çoit aussi qu'entre une bataille longuement combi-née, mais compromisepar l'initiative de Galliéni,etune bataille nouvelle oùcette initiative pouvaitpor-ter certains fruits, il ait opté finalement, quoiqu'àcontre-coeur, pour la bataille qui n'avait pas son

agrément. Et il est possible en outre que des const-

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dérations d'un autre genre aient agi sur lui, qu'iln'ait pas été sans se laisser impressionner parl'atmosphère de sourde hostilité qui l'enveloppaitdepuis le début de la retraite : visiblementiln'a plusla confiance des parlementaires, dont certains,parmi les plus influents et qui sont de l'entourageimmédiat de Galliéni, intriguent dans la coulisse,ramassent des signatures et parlent de le mettre enaccusation. Il est l'homme de Morhangeet de Char-

leroy ; il est le passé, avec toutes ses déceptions, etGalliénil'avenir, l'inconnu, avec tous ses espoirs etle prestige de la nouveauté, si puissant sur l'àmemobile des Français. A un autre qu'à Galliéni, ilest probable que Joffreeût résisté. Et ilest probableaussi qu'un autre que Galliénin'eût pas osélui rompreen visière ouvertement. C'est l'honneur de Joffre,quoi qu'il en soil, de ne s'être pas obstiné, d'avoir fait

passer l'intérêt général avant son amour-propre dechef, de s'être rendu en personne près du maréchalFrench pour tâcher de pallier dans la mesure du

possible les fâcheux effetsd'une abstention complètede l'armée anglaise et, cette précaution prise, des'en être retourné dans la petite salle d'école de Bar-sur-Aube où l'attendaient ses adjoints, les vraiset sûrs confidents de sa pensée, le général Belin,le général Berlhclot, le colonel Pont, le colonelGamelin, etc., dont il voulait recueillir une.dernière fois les avis. La discussion fut longue,car les avis différaient. Berlhelot, notamment,tenait mordicus pour la continuation du repli.Mais la majorité flottait, séduite par l'occasionofferte ou troublée dans sa confiance en l'ancienplan par l'intempestive immixtion de Galliéni. Onsait le reste et comment Joffre termina la discus-

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sion par le mot fameux qu'a rapporté M.Hanotaux :—Eh bien, messieurs, on se battra sur laMarne ILa pensée de Galliénidevenait dès ce moment la

sienne. Il l'épousait, mais en lui imposant sa forme

propre • et en l'adaptant à la situation généraledont Galliéni,qui ne voyait que son coin de bataille,ne semblait pas tenir assez de compte. Et ce n'estsans doute pas le seul mariage de raison qui aitdonné des fruits heureux. S'il est vrai que Joffreait dit un jour : « J'aurais dû gagner Charleroi et

perdre la Marne », il faut convenir qu'il a tout fait,— et Galliéni aussi d'ailleurs, mais sans l'espritd'abnégation de Joffreet donc avec moins de méritechrétien — pour que cette dernière éventualité nese réalisât pas.

I. VoirJCBInstructionsn0Dfiotsuivantes,tropconnuespourêtrerapportéesici.

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IV

LE THÉÂTRE DU DRAME

« Il n'y a pas de plus bel excès que celui de lareconnaissance », dit La Bruyère, cité par FernandLaudet au début du rapport qu'il adressait au Comitéconstitué sous la présidence de M«rTissier, évèquede Châlons, pour ériger sur les champs mêmes denosvictoires un monumentcommémoratifdes deuxMarne. On sait que, sur les indications du maré-chal Foch, le choix du Comité s'est porté surDormans, « considéré comme le lieu synthétiquedes deux batailles libératrices ». S'il ne s'était agique de la première Marne, le choix sans doute eûtété autre. El c'est sur les crêtes boisées qui domi-nent les Marais de Saint-Gondque se fût élevée « laChapelle delà Reconnaissance».

C'est que nous sommes, dans ces Marais, aunoeud stratégique du drame. Nulle part la poussée.ennemiene s'exerça sur notre ligne avec autant deviolence : à travers ces prairies tremblantes l'élitedes troupes allemandes, les régiments de fer de laSaxe, la Garde prussienne elle-même, considérée

jusqu'alors comme invincible, foncèrent pendantcinq jours, en formations massives, sur les minceseffectifs de la !)• armée, avec le dessein arrêté de

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LE THÉÂTREDUDRAME 59

crever notre centre, de nous rejeter en deux tron-

çons sur la Meuse et la Seine, de prendre Paris etVerdun à revers. Le plan faillit réussir : au soirdu 8 septembre, l'aile droite de Foch était disloquée ;nous lâchions, en même temps que la Somme

champenoise, la rive méridionale des Marais. Lemerveilleux « allant » de Franchel d'Espérey, qui,à notre gauche, violentait la victoire et l'arrachaità l'ennemi sur les champs mêmes de l'épopée napo-léonienne, el une admirable et suprême manoeuvre

tactique de Foch en direction de Fère-Champenoiseet d'OEuvy, rétablirent la situation. Dans la nuitdu 9. les troupes saxonnes se repliaient sur Nor-mée ; la Garde avait pris les devants et, dés 3heuresde l'après-midi, sans attendre l'attaque de Foch,bouclé ses sacs et repassé les Marais.

Les voici devant nous. Us s'étendent de l'Est àl'Ouest, sur près de 18kilomètres de long ; mais ilsn'ont, qu'une largeur moyenne de a.000 mètres.Sur la carte, ils apparaissent ramifiés, digitôs commeune algue : ils jettent un bras vers Coligny, unautre vers Broussy-le-Grand, un troisième vers laGravelle. Leur configuration est moins facile àsaisir sur place, à cause des grandes colonnadesde peupliers en bordure sur leurs chaussées et surles deux rives du Pelit-Morin qui les traverse danstoute leur longueur, comme le Rhône traverse leLéman, mais sans se confondre avec eux : sonfossé peu profond, creusé droit jusqu'à Anglure, oùil fait un coude vers Saint-Prix, est la seule ligned'eau qu'on aperçoive nettement ; tout le reste estcouvert par la forêt des roseaux.

1. four toutcequiconcernecettebatailledu centre,je me

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60 LAMARNEENFEU

Il y eut là, vraisemblablement, aux premiersâges du globe, un vaste réservoir central, unesorte de petite Méditerranée champenoise, dont lebassin n'est plus dessiné qu'en partie par la lignerompue des collines : les seuils se sont abaissés ;certaines articulations isolées, commele Mont-Août,qui devaient se rattacher primitivement au système,s'en sont séparées à la longue. L'eau s'est frayéun chemin par ces brèches, et le grand lac de

l'époque quaternaire est devenu un marécage.Mais l'activité qu'il avait suscitée sur ses berges

s'atlesle encore aux riches dépôts préhistoriques dusous-sol. Us affleurent en certains endroits. « A

chaque instant, dit M. Roland, le regard du pro-meneur est attiré par des éclats de silex quiportent la trace du travail do l'homme primitif. »S'avise-t-on de gratter l'humus, d'y donner un

coup de pioche? On y rencontre aussitôt « lesmarques du séjour de cet ancêtre : foyers, puits àsilex, trappes, ossémenls. débris de poterie, etc. ».

M. Roland, sans grande peine, a pu réunir de lasorte, dans les salles de la mairie de Villevenard,une collection très précieuse et peut-être unique dopoteries, nucléus, (lèches, burins, grattoirs, haches,colliers, etc., de l'époque néolithique. Ce simpleinstituteur de campagne esl un archéologue de

premier ordre. Il a fouillé je ne sais combien destations et d'hypogées. Sa grande terreur, pendantl'occupation ennemie, était qu'on ne déménageaison petit musée : l'ennemi n'en a pas eu le temps.Il l'a môme enrichi, sans le vouloir, d'une section

permetsde renvoyerle lecteurà monlivre : -LesMaraisdeSaint-Gond(Pion,édil.)

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LAMARNEENFEU.PL.III.

LesMaraisdeSaint-Gond.

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LE TRÉATREDUDRAME 61

nouvelle, en défonçant, à l'aide d'un de ses obus,près d'Oyes, le plafond d'une grotte funéraireinsoupçonnée des chercheurs. Les pièces trouvéesdans la grotte : couteaux de silex, haches en

pierre polie, coquillages de nacre., bélemnites, etc.,figurent aujourd'hui dans le musée de Villevenardsous celte rubrique originale ; « Mobilier funéraired'une grotte effondrée par un obus allemand à Oyes,lieu dit la Crayère. » Et c'est bien peut-être la

première fois qu'un projectile boche a fait oeuvreintelligente.

D'année en année, les Marais se rétrécissent.Peut-être finiront-ils par s'assécher complètement.Il semble bien, par exemple, qu'au temps desinvasions barbares leurs -tourbières s'étendaient

jusqu'au pied du Mont-Aimé. La tradition localeveut qu'Attila, dans sa fuite,- y ait laissé tomberson « casque d'or » ; mais il ne fuyait pas versl'Ouest et c'est vraisemblablement un peu plusloin, vers Châlons, qu'Aêtius et les Armoricainsaccourus sous ses aigles lui infligèrent la sévèreleçon qui le décida à repasser la Marne et quin'est pas sans analogie avec celle que « notre »Joffre infligea plus tard, sur les mêmes rives, auxhordes de son successeur.

Entre temps, un saint ermite du vu» siècle, Gondou Gaond, qui a donné son nom aux Marais, s'étaitavisé de les purger de leurs hydres et, pour ce, yavait jeté les fondements d'un monastère, dont sevoient encore les débris. Le moutier, à la fois lieude prière et colonie agricole, était sous l'invocationde saint Pierre. Il couvrait sept arpents, qui for-maient comme un Ilot au milieu des Marais. Maisles grenouilles tout autour y menaient tel tapage

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62 . LAMARNEENFEU

que Gond dut recourir au ciel pour leur imposersilence. « Onassure, écrivait au xvnr»sièclel'auteurdes Mémoires de Champagne, qu'encore que cemonastère soit au milieudes marais, on n'y entend

jamais qu'une seule grenouille, ce qu'on attribueaux prières du saint. » Le monastère tombé, ces

bruyants batraciens ont recouvré la voix et ils

prennent si 'bien leur revanche aujourd'hui qu'àcertaines heures du printemps, les Marais ne sont

plus qu'un immensecoassement.

Cependant l'oeuvre du saint n'a pas toute péri :

l'exemple de cet antique précurseur de nos défri-cheurs modernes a porté d'heureux fruits ; les drai-

nages dont il avait donné le premier modèle sesont multipliés, el, peu à peu, les Marais se sontassainis, la fièvre en a disparu. Avant la guerre,vingt petitesbourgades, plus jolies les unes que icsautres, agenouillées autour du palus, comme deslavandières, y menaient un assourdissant concertde battoirs et de caquets. ; sur les pentes des« côtes », au soleil, les grappes mûrissaient ; enautomne les faucheurs entraient vaillamment dansles Marais et, de leur grand geste circulaire, abat-taient les roseaux pour en faire de la litière aubétail ; en quelques endroits, la tourbe, plus"con-sistante , fournissait un excellent combustibled'hiver. C'était l'aisance, presque la richesse. Leséglises, de pur style roman presque toutes, avec debelles grilles en fer forgé du xvm» siècle, témoi-gnaient, malgré leur abandon, d'une certaine per-sistance de la vie spirituelle.

Le S septembre 1914au matin, les dernières,troupes françaises, traversaient les Marais. A midiordre leur arrivait d'en tenir les débouchés et la

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LETHÉÂTREDUDRAME 63

bataille s'engageait. Lutte formidable 1 Cinq joursde corps à corps, de charges à la baïonnette, deduels d'artillerie ininterrompus. Les Marais ne sont« qu'un brouillard de fumée », écrivait le 8M. Roland, dont on lira plus loin le journal. Quandces vapeurs se dissipèrent, le 10 au matin, vingtcadavres de villages jonchaient les berges des

Marais; le bétail gisait les pattes en l'air, les

vignes pendaient calcinées, la volaille donnait des

signes d'empoisonnement, — mais, sur toute la

ligne, l'ennemi battait en retraite et dans un telétat d'épuisement que derrière lui, sur les chaus-sées jusqu'à la Marne, la boue, au dire d'un témoin,« était rouge comme s'il avait plu du sang. »

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V

LA PREMIÈRE PHASE DE LA LUTTE

Jusqu'au 4 septembre au soir, nous le savons, ilétait dans les intentions de Joffre de se replierjusqu'à l'Aube et à la Seine. Toutes ses disposi-tions avaient été prises pour engager l'offensivesur cette ligne vers laquelle il faisait converger lesrenforts et les convois de ravitaillement 1. Dansla nuit, après trois longues conversations télépho-niques avec Galliéniqui le pressait de saisir l'occa-sion et d'avancer la date de l'offensive, Joffre

improvisa l'ordre général du 4 septembre au soir,qui, porté à la connaissance des chefs d'arméevers dix heures du matin, détermina dans l'après-midi du 5 le brusque arrêt de la retraite, maisseulement pour les armées alliées d'extrême gauche.

Si l'insistance de Galliéni fut absolument heu-

reuse, si nos chances de succès n'eussent pas été

plus grandes sur l'Aube et sur la Seine, si lamenace même que dirigeait la 6e armée sur le

1. Il est vraique,suivantle généralH. LeGros(la Genèsedela bataillede la Marne),« si,mettantsonplanàexécution,le généralJoffres'étaitretiréderrièrela Seineetl'Aube,jamaisil n'auraitpu les repasser.»Maisonnevoitpasbienclaire-mentpourquoicequiauraitétépossiblesurlaSomme,"l'Aisneoula MarnedevenaitsoudainementimpossiblesurlaSeineetl'Aube.

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LA PREMIEREPHASEDE LA LUTTE OÔ

liane de Kluck n'eût pas été plus efficace en ne se

prononçant qu'après que celui-ci eût été complète-ment engagé dans le couloir de l'Ourcq, c'est la

question que nous nous sommes posée plus hautet que nous n'avons pas osé trancher catégorique-ment. Kluck, quoi qu'il en soit, eut le temps deresserrer sa ligne trop distendue : l'attaque de

Maunoury agissait sur lui, selon le mot célèbre, àla façon d'une ventouse. Mais il faut bien recon-naître aussi que, par cet « effet de succion »,l'armée anglaise se trouva dégagée el qu'il ne

dépendit ni de Galliéni — ni de Joffre — qu'elle n'en

profitât pas plus sérieusement el ne devint un élé-ment actif de notre victoire ; Franchet d'Es.péreydu moins, libéré de la menace qui pesait sur sonliane, put opérer en toute sécurité contre les corpsde Bùlow, el Foch lui-môme, qui avait sur les brasune partie de ces corps (dont presque toute l'infan-terie de la Garde) el un bon tiers de l'armée vonIlausen, put. résister jusqu'au bout à la pressionformidable de ces troupes d'élite agissant en coin

pour rompre l'unité du front français.Le 5 au soir, Kluck touchait Eslernay ; Bùlow,

Bayes ; Ilausen, Sompuis. Heureusement pour nousl'ennemi ne s'était pas avancé partout du même pasel, d'Eslernay à Sompuis, sa ligne affectait une forme

presque circonflexe. Dans lamatinée du bnotamment,alors qu'il pouvait enlever sans coup férir lesMarais, puisque nous nous repliions vers l'Aube, ils'était arrêté devant celte grande tranchée de dix-huit

kilomètres, se bornant à lancer des avant-gardesaux deux extrémités, sur Morains et Saint-Prix 1.

1. Onsaitaujourd'huilepourquoideceshésitations,quipro-

Cn.LEGOFFIC. 5

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66 LAMARNEENFEU

Nous pûmes de la sorte occuper fortement, dansl'après-midi, les débouchés méridionaux des Marais.La 42»division (Grossetti)s'établit à gauche, de laVilleneuve à Chapton, sur les.crêtes boisées de laBranle, de Mpntgivroux et de Mondement ; le9° corps (Dubois) le long des Marais, d'Oyes àMprains ; le 11»corps (Eydoux),le long delà Somme

champenoise.,de Morains à Sommesous ; la 9°divi-sion de cavalerie (de l'Espée) faisait la liaison versMailly avec la 4»armée ; la 52»(Baltesti) et la 00»(Joppé) divisions demeuraient, provisoirement, enréserve, l'une sur la ligne du Mont-Août,l'aulre surla ligne de la Maurienne...

Dans la dernière phrase de son ordre du 4, Joffreavait nettement spécifié que l'arrêt de la retraite elles diverses positions assignées aux troupes pourle 5 n'étaient, qu'une préparation à l'offensivegéné-rale. Celte offensive, précisail-il, devait être déclen-chée « le Cseptembre dès le malin ». Et il paraitbien, quoi qu'en ail dit l'Elal-Major allemand,qu'elle ait été une véritable surprise pour l'ennemi,bien loin que celui-ci nous ail. imposé son initia-tive. Ses combinaisons en furent sensiblementdérangées, sa désorientalion évidente pendant lesdeux premiers jours de la bataille, d'autant que,pour ajouter à la confusion, lui-môme, le 5 sep-tembre, avait vu tout son plan initial bouleversépar les nouvelles instructions de Moltke : au lieude continuer à pousser dans le Sud, il lui étaitintimé « de disposer contre le front est de Paris el

venaient,commeonle verraplusloin,duchangementapportépar1*0.H.L.,le Sseptembre,à 8 h. 30dumatin,auxdirec-tivesde Biilowet deKluck.Et,là-dessusaumoins,Biilowestfondéàdéclinertouteresponsabilité.

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LA PREMIÈREPHASEDE LA LUTTE 67

à distance suffisante de cette forteresse la Ir" armée(IÇluck) entre l'Oise et la Marne ; la IIe armée(Bùlow) entre la Marne et la Seine ».

Bûlow, docilement, rectifia la direction, tout enlaissant sa gauche descendre jusqu'à Mqrains-le-Petit, et, avec le reste de ses corps, pivota versMontmirail et Marigny-le-Grand, de manière à« orienter complètement son front face à Paris ».Mais, pour la bonne exécution de ce mouvement,il eùl fallu que Kluck opérât une conversion sem-blable, ce qu'il ne fit pas tout de suite et qui eutpour résultat de masquer une partie de la II» ar-mée par la I" ; et il eût fallu en outre que Joffregardât son altitude passive, et Joffre, précisément,poussé par Galliéni, eut le mauvais goût de choisirce moment-là pour passer à l'attaque. Biilow,canonné de liane, se vit brusquement obligé defaire demi-tour et de reprendre son .ancienne posi-

' lion, face au Sud ;il croyait du moins n'avoir affairequ'à l'aile droite de Françhet d'Espérey, et sadéception fut vive quand se révéla sur sa gaucheune armée « de la formation de laquelle ni le GrandQuartier Général ni le Quartier Général d'armée nesavaient, encore absolument rien le 5 septembre ' »et qui n'était autre que l'armée Foch.

Mais que pesait au demeurant cette petite, armée,môme appuyée, sur l'aile droite de Françhetd'Espérey, près des huil.co.rps de Bùlow, avec leurartillerie lourde de campagne et .l'artillerie lourded'armée qui doublait l'artillerie de corps ? EtHauscn, d'ailleurs, n'allait-il pas jeter dans labalance; sur la Somme champenoise, le XII» corps

1. Expressionsmêmesde Biilowdanssonlïappori.

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68 LAMARNEEN FEU

actif elle XII»corps de réserve de l'armée saxonne?C'était plus qu'il n'en fallait à un adversaire décidé— Kluck n'ayant pas encore raccourci sa ligne etlâché d'Espérey — pour démanteler rapidement lefront vacillant que nous venions d'improviserdans ces tourbes de Saint-Gond,•—et deux jours-vont se passer sans que Bùlow ni Hausen aientmarqué un progrès sérieux I De fait, sauf à lapointe orientale des Marais, qu'une fraction de laGarde réussit à emporter, mais sans pouvoirdéboucher de Bannes où l'artillerie de la 17°divi-sion la mit littéralement en marmelade, tout le 6 etune partie du 7l'ennemi piétine ; il avance à peine ;on dirait qu'il ne sait où diriger ses coups, alorsqu'en . raison de sa supériorité numérique et parune concentration rapide de ses forces sur nosdeux ailes il lui eût été si aisé de nous cerner dansles Marais. Si, au soir du 7, il a réussi à prendrepied au Petit et au Grand-Broussy, el pendantquelques heures à Oyes, s'il occupe encore versSaint-Prixla crête du Poirier, d'où le b»el le 7»tirail-leurs n'ont pu le déloger, s'il s'est infiltré, à notregauche, jusqu'à Soisy, malgré l'héroïsme du 162"deligne, Foch lient, bon partout ailleurs et remplitpleinement le rôle de « défensive active » qui lui aété assigné dans le dispositif.

Nous n'avons pu sans doute forcer les débouchésseptentrionaux des Marais, enlever les hauteurs de

Voizy, de Courgeonnet, de Toulon, de Mont-Aimé,quilesbastionnentel, à Morainsmême, le 32°,unpeuavant huit heures du malin, le 7, a dû sereplier versles bois voisins, menacé qu'il était d'être coupé parles forces ennemies qui s'avançaient avec des mi-trailleuses le long de la voie ferrée.

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LA PREMIÈREPHASEDE LÀ LUTTE 69

L'artillerie allemande nous prenait de plein fouetsur ce point de notre ligne, qui faisait charnièreentre le 9» et le 11° corps. Quelque fléchissements'en était suivi à leurs ailes. Deux escadrons de la17° division de hussards et de la 32°division de dra-gons expédiés en soutien s'étaient laissés envelop-per dans la débandade. Mais,' tout de suite, le géné-ral Radiguet, commandant la 21° division, faisaitouvrir le feu sur Morains et, le soir encore, appre-nant que le village était toujours occupé et en ayantbesoin pour ia ravitaillement en eau de ses troupesde gauche, il priait Moussy, qui commandait ladivision voisine du 9° corps, de le faire battre à lamélinile, de 6 heures à 6 h. 20 du soir, concurrem-ment avec sa propre artillerie. La 41°brigade, aprèscette préparation, devait essayer de reprendre levillage. Moussy lui-même, dans l'après-midi, mon-taitunereconnaissancesur Aulnizeux,del'autre côtédes Marais, où son chef d'état-major, le comman-dant Jette, était tué, et qui nous coûtait cent vingthommes,sans aucun résultat.

Mais cette activité môme de nos troupes, contras-tant avec la démoralisation dans laquelle les croyaitplongées le Quartier Général allemand, faisaitréflé-chir l'ennemi qui, d'autre part, à notre droite, bienque maître de Soisy-aux-Bois et parvenu à s'infil-trer entre la Villeneuve et Mondement jusqu'auxabords de Chapton, ne réussissait pas à nous chas-ser de l'extrémité orientale du plateau de Sézanneet du château même de Mondement, qui commandeles Marais.

Enfin, à notre extrême droite, où nous n'avionsque la cavalerie de la 9°division et où, entre l'arméeFoch et. l'armée de Langle, s'ouvrait un dangereux

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70 LAMARNEENFEU

« hiatus » de 15kilomètres, l'une des brigades aumoins de cette division, la brigade de dragons com-mandée par le général de Séréville, s'acquittaitavec tant d'adresse, une mobilité si heureuse, dela mission délicate qui lui était confiée qu'elle arri- .vait à tromper l'ennemi sur la faiblesse de noseffectifs.Ni le 6, ni le 7, la division de l'Espée nese laissait entamer par le détachement saxon detoutes armes qu'elle avait devant elle et qui nemontrait pas au reste beaucoup de mordant, et l'on

pourrait en définitiveexcuser son chef d'avoir cédédu terrain le 8, après la débâcle du 9»corps cl

pour conformerses mouvementsà ceux de l'armée,s'il avait fait un plus vigoureux effort les jours sui-vants pour reprendre ce terrain et tomber clans ledos de l'ennemi, commeFoch l'en conjurait.

La situation étant telle cependant le soir du 7 etBiilow se jugeant impuissant à briser notre centreavec les forces qu'il avait mises jusqu'alors en ac-

tion, le chef de la II»armée allemande se concertaavec celui dola III»pour faire bloc de toutes leurs

disponibilités et déclancher, dans la nuit du 7 au 8,une attaque massive sur notre aile droite.

La bataille des Marais entrait dans sa seconde

phase

Page 83: La Marne en feu

IV

LA VICTOIRE

C'est vers trois heures et demie du malin, le 8, quese déclancha, sur Normêe-Lenharrée d'abord, puissur toute la ligne, de Morains-le-Petità Sommesous,l'attaque massive de Bùlowet d'Hausen 1.Celte ma-noeuvresuprême n'avait que le toit de se prononcerquarante-huit heures trop tard, quand déjà Kluckétait obligé de rappeler Unepartie de ses troupes en-

gagées trop au Sudet quand Françhet d'Espérey lui-môme, dont on ne dira jamais assez la part brillanteel décisive qu'il prit à la-victoire, dominait,complè-tement l'aile droite de Bùlow el la rejetait sur Monl-mirail.

Le coup d'arrêt frappé par Joffre avait de touteévidence ébranlé le front allemand et il n'y a pasde paradoxe à prétendre avec le général Baumgar-len - que, dès le début de la bataille et même dèsla veille, « le plan allemand était déjà en échec »du fait que « l'O. H. L. n'avait pas manoeuvré

1. Ouplutôtde BùlowappuyéparHàusenqui,commeonleverraplus loin,luiavaitprêtédeuxdesesdivisions,puisunetroisième,commandéesparlegénéralvonKirchbâch.

2. Sousla signaturedeCrusius: die Marneschlachl1914.Legénéralliaumgarlenfaisaitpartieà la Marnedela111"arméevonIlausen.

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72'

LAMARNEENFEU

ni coordonné l'action des armées, se contentant deles lancer droit devant elles à toute allure » ou neles reprenant en main que lorsqu'il n'était plustemps. Mais n'est-il pas excessif d'ajouter avec cer-tains critiques français que la fortune nous servit

singulièrement en opposant, à Foch un adversaireaussi «flasque»que lechefde la 11°armée? Bùloweneffet,dont la retraite entraina celledes autres arméesallemandes, devait llôchir brusquement le 9. Pouremployer une expression vulgaire, il manqua d'es-lomac vers la fin de la bataille ; mais ce n'étaitpourtantpas le chef invertébré el passif qu'on nousdit, celui qui, complètement découvert en flanc le7 au soir par la remontée de Kluck avec lequel iln'était plus en liaison que parla cavalerie Marwitzet voyant s'élargir d'heure en heure la brècheoù s'était lancé aussitôt, d'Espérey — d'Espéreyqu'il avait obligé la veille encore à lui céderla coupure du Polil-Morin' — ne renonçait, pas

1.Hestbonderappelerici,pourl'intelligencedesfaits,letextedesradiosallemandscaptésparnotreservicedesrensei-gnementsaucoursdolabatailleetquiontétérécemmentdivul-guésparl'Intransigeant:« Ir°arméeà 11°armée,7 septembre10'h. 10.—Les2",i11et 5»régimentslivrent,un combatdifficileà l'ouestdel'Ourcqinférieur.Oùsontles111"cl 1X°corps[queKluck,enremon-tant,,avaitlaissésà Biilowet qui,enmêmetempsqu'ilsassu-raientsaliaisonaveccelui-ci.taisaient,pressionsurlecentreetla gaucheded'Espérey]*?Quelleest.la situationchezvous?

« lTearmëe,7septembre,11h. 15.—L'interventiondesIJIrcl.IX°corpssur l'Ourcqestde« nécessitéurgente». L'ennemiserenforced'unefaçonimportante.Prièredemettrecesdeuxcorpsd'arméeenmarcheversla régiondelaFcrté-MilonetGrouy.« Ir°armée,7septembre,il h. 20.—Oùsetrouvele11ecorpsde cavalerieVPendantl'attaquede l'ennemi,le maintiende lacoupureduPotit-Morin,entrelaFcrté-sous-Jouarreet Boilron,estdenécessitéurgente.« III»armée,7septembre.—SaMajestéquittela 111°arméepourrentrerà Luxembourgà 17heures».

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LAVICTOIRE 73

cependant à son objectif initial et cherchait aucentre et à gauche la décision qu'il ne'pouvait plusobtenir à droite. Entre 3 et 4 heuresdu matin,dansle trouble du petit jour favorable aux surprises, la32°D. I. et la 29° D. R. du XII» corps saxon deréserve, sur la Somme champenoise, les VII» corpsactif et de réserve de la Garde, à l'est des Marais,s'ébranlaient en môme temps et. fonçaient sur l'ailedroite de la 9° armée.

La pression était si formidable, a-t-on dit, qu'onn'y pouvait résister. Mais les mêmes troupes quiplièrent si rapidement sous le choc de la Garde etdes hordes saxonnes devaient résister plus tard, surl'Aisne et devant Verdun, à des pressions autrementformidables, lit il n'y eut d'ailleurs ici, au commen-cement, de l'action, ni résistance ni essai de résis-tance : tout de suite Normôe et Lenharréc furentemportées, et l'ennemi au coeur de la place. Gom-ment cela s'étail-il produit elfùt-ce, chez ces hommesde l'Ouest, si braves en plein jour contre le dan-ger, la réédition de la grande peur nocturne quisaisit leurs pères de 70 à la Tuilerie cl, leur fitlâcher sans combat une position considérée commeimprenable? Rien n'autorise à le penser et, si le

coup de Bùlow el. d'tlausen fut si rude pour nouset presque mortel,' il le dut à d'autres causes nulle-ment mystérieuses.

A son imprévu d'abord. Les renseignements duG.Q.G., oeux-mèmesdclaS-'armée, montraient l'en-nemi en désarroi complet, malgré les quelques succèslactiques qu'il avait obtenus sur noire centre, ettout près d'abandonner la partie. Le X° corps deréserve de la Garde et la 13°division d'infanteriene se maintenaient sous Montmirail qu'au prix

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74 LAMARNEENFEU

des plus lourds sacrifices : Frânchet d'Espérey,pivotant sur sa droite qui restait en liaison avecnous, gagnait toujoursvers le Nord et,dans l'énormetrou de 38 kilomètres ouvert entre là I™et laII»armée allemande, l'armée anglaise, si lente às'ébranler, commençait à s'engager à son tour. Ons'attendait si bien à ce que Biilow, conscient dupéril qui le menaçait et ne voulant pas s'exposerdavantage à être tourné, rompit le combat, queFoch, dans ses instructions pour la journée du 8 elsans rien changer à ses ordres de la veille, pre-nait soin d'inviter ses chefs de corps à « faire, dèsla pointe du jour, des reconnaissances sur tout lefronten vue'de déterminer lespoinls encore occupéspar l'ennemi ».

Cette recommandation resta-t-ellc lettre mortepour le 11°corps? Elle fut en tout cas exactementsuivie par Dubois et par Grosselti. Dubois ordonnamôme à ses troupes d'entamer immédiatement lapoursuite, « si l'on constatait que l'ennemi cher-chait à se dérober ». Sur quoi, dès 3 h. 30 dumalin, après un tir de préparation systématiqued'Humbert et de Grossetti, les régiments Gros elFeller se mettaient en mouvement vers les lisièresd'Ôyes et de Saint-Gond ; la brigade Blondlat versla crête du Poirier ; lo 131°vers les Culots; le 162»vers Soizy; le 16° bataillon de chasseurs à piedvers les Grandes-Garennes. Et, sur ces •dernierspoints en effet,nous constations tout de suite queBùlow avait lâché les positions qu'il occupait laveille. « L'ennemi bat en retraite, lit-on dans leJournal de marché de la 42°division à la date du8 septembre au matin. Pourquoi? Vraisemblable-ment ce mouvement a dû commencer dans la nuit

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LA VICTOIRE 75

du 7 au 8. » Mais le mouvement ne se précisa pas :l'ennemi n'avait fait que se replier légèrement versTalus Saint-Prix qu'il organisait fiévreusement, etce n'était môme pas sans nous opposer une assez

vigoureuse résistance qu'il nous abandonnait, àlafinde la journée, la rive sudduPelil-Morin dontilparais-sait décidé à disputer énergiquemenl la coupureaux troupes de Grossetli. Le repli volontaire qu'ilavait exécuté à cette extrême gauche de notre lignetenait uniquement à l'inquiétude où le mettait lasituation aventurée du X» corps de réserve de laGarde et de la 13°division d'infanterie, pressés de

plus en plus par Françhet d'Espérey el obligésfinalement de lâcher Montmirail et Vauchamps.Sur tous les autres points de sa ligne, Bùlow étaitencore si peu enclin à rompre le combat qu'il l'enga-geait avec une violence frénétique, dès 3 heures 30du malin, à l'est des Marais, et, vers 2 heures do

Nl'après-midi, à l'Ouest, sur Broussy-le-Petit el la

croupe de Monlgivroux. « A la suite des engage-ments du 7, pourra très justement écrire le généralDubois dans son Historique du 9°corps à la bataillede la Marne, il étailrestô un doute sur le but pour-suivi par l'ennemi. On se demandait s'il voulait,soit faciliter par une énergique offensive de soncenlre le mouvement de repli de son armée dedroite, soit plutôt tenter un suprême effort pourbriser noire centre et couper en deux les armées

françaises. C'est celte dernière impression que lais-saient les attaques du 8 et que devaient confirmercelles du lendemain, attaques de plus en plus vio-lentes, où l'on eût dit que l'ennemi jouait son va-loul. » Et l'on conviendra que ce n'est point là —

bien au contraire —l'attitude d'un chef sans énergie

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76 LAMARNEENFEU

et qui flotte au gré des événements. Maisles coupsde désespoir ne peuvent, réussir à moitié: il leurfaut la réussite immédiate et complète. Et celui-ci,

grâce à la constance de Foch, ne devait aboutir

qu'à un demi-succès.Il avait pourtant biencommencé et l'on peut dire

que jamais armée ne fut dans une situation pluscritique que l'armée Foch entre le S septembre et

l'après-midi du 9. Tout y aida, outre l'imprévu : lafaiblesse du commandement (lîydoux) sur le pointde la ligne attaquée, une sûreté inexistante, destroupes de couverture (93°notamment) engourdiespar leurs libations imprudentes dans les caves dela contrée ' et à qui les premiers rangs ennemis,pour achever leur confusion, se présentaient en

capotes el avec les sonneries des fantassins fran-

çais5. Foch sans doute n'avait qu'une confiancemédiocre dans la solidité d'Eydoux3; mais il luiavait envoyé la veille au soir la 18» division(Lefèvre)qui venait de débarquer à Troyes et il

pouvait croire qu'ainsi calée la ligne tiendrait. Elpeut-être eût-elle tenu en effet avec un chef quiaurait donné aux divisions de granit qui la com-posaient une cohésion moins incertaine. A 1 heuresdu matin, le 8, dans le moment môme où Grosselti

1. Cf.La-Guerreen Champag7ie: « DanscesbataillesdesMaraisde Saint-Gond,il y eut dosperteségalesde pari etd'autre,y comprisla tueriede Fère-Champcnoiseoùunrégi-mentfrançais,surprisdansle6ommeil,futégorgéparl'ennemi,lesfusilsétantrestésen faisceauxderrièrelestranchées.»

2. Cetteruseinfâmeavaitdéjàétéemployéeà notregaucheparlesAllemandscontrelestroupesd'IIumbert,Ellefutcons-tanted'ailleurschezl'ennemijusqu'àla findeshostilités.

3. Duboissembley avoirmoinscru encore,commeentémoignelacommunicationqu'iladressaitdansl'après-mididu7à lîydouxoùil le«suppliait»denepasdécouvrirsadroite.

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LAVICTOIRE -77

et Humbert entraient sans coup férir à Soizy et à

Oyes et fortifiaient ainsi notre créance dans lesintentions de retraite prêtées à Biilow, Foch appre-nait que toute son aile droite ôlait enfoncée sur une

profondeur de 4 kilomètres.Nous ne tenions plus que par des fractions iso-

lées dans les petits bois de pins qui rompent lamonotonie de cette partie de la Champagne pouil-leuse. Et, si ce n'était pas la débâcle complète,cela en approchait singulièrement. Toutes les for-mations étaient mêlées. J'ai raconté ailleurs 1com-ment, vers une heure de l'après-midi, dans un petitbois, à 2 kilomètres de Fère, deux cents hommesdu 66°et du 32° se trouvèrent ainsi brusquementcernés. Leurs officiers étaient morts ou disparus.Il ne restait plus que quelques gradés, dont un

sergent-major du 66»nommé Guerre, en qui s'éveil-lèrent tout à coup l'âme audacieuse et le caractèreréfléchi d'un vrai chef.

L'ennemi grouille sur le plateau, mais Guerre ne

songe pas un moment à se rendre. C'est que le

drapeau du 32° se trouve là, avec un sergent-major au bras fracassé, un sergent-fourrier, unsoldat et un sapeur, tout ce qui subsiste de sa

garde, et,Guerre ne veut pas que le drapeau tombeentre les mains de l'ennemi. L'ascendant qu'il a

pris sur sa petite troupe est tel que les adjudants,d'un accord tacite, lui cèdent le commandement. 11divise ses hommes en quatre sections et organiserapidement la défense du bois, qui a la forme d'un

rectangle, une section sur chaque face. Les souve-.nirs de la légende napoléonienne l'enflamment.

1. Y.mesMaraisdeSaint-Gond(Pion,édit.).

Page 90: La Marne en feu

78 LAMARNEENFEU

— Ce sera le carré de Waterloo, dil-il à seshommes. Nous avons un drapeau à défendre. Nous

resterons ici jusqu'au dernier.— Qui, chef 1 Oui, chef I crient ses hommes,

gagnés par sa merveilleuseardeur.Sûr de lui, de sa supériorité tactique, l'ennemi

s'avançait en formationdémarche sur colonne parquatre.

-r- Laissez-le approcher, dit Guerre.Et, seulement quand l'ennemi fut à bonne portée,

il commanda le feu. Les Boches, surpris, se déban-

dèrent, mais pour revenir avec une batterie de 77,qui s'installa à cinq cents mètres du bois. Nos

rangs s'éclaircissaient, le bois devenait intenable.Alors Guerre décida qu'on tenlerail une sortie.

— Je partirai le premier avec ma section, dit-il.Si je réussis à passer, suivez-moi. Si je tombe,comme c'est probable, prenez par un autre côtéavec le drapeau.

Il partit, mais n'alla pas loin. Contrairement àses ordres, ses hommes se serraient autour de lui,au lieu de s'espacer. Une salve de mitrailleuses lesfaucha. L'adjudant Ferdor et le sergent Sauzeau,

qui avaient pris le commandement des autres sec-

tions, furent plus heureux et réussirent à traverserles lignes ennemies avec le drapeau. Partis cent

vingt, ilsn'étaient plus qu'une trentaine en arrivant.De la garde même du drapeau, il ne restait que le

sapeur, Ce fut lui qui, le soir, eut l'honneur de'remettre le glorieux emblème au colonel du régi-ment.

Le refluxdu 11°corps avait été si brusque que nila division Lefèvre ni la division Joppô n'eurent le

temps de se ressaisir. La 32»brigade notamment,

Page 91: La Marne en feu

LA VICTOIRE. 79

qui bivouaquait sur la route de Fère-Çhampenoiseà Normôe, derrière la division Pembet, fut presqueentièrement détruite ou faite prisonnière, « Sasûreté rapprochée, ses liaisons avec le 11° corpsne purent-elles fonctionner? demande Dubois. Com-

ment, au bruit de la fusillade, au passage des

fuyards, les régiments ne se déployèrent-ils pasou ne s'êchelonnèrent-ils pas ? » Il est malaiséencore de le dire. Mais l'ébranlement de la ligneétait tel qu'il se communiquait bientôt aux troupesmômes du 9° corps. « Vers 4 h. 30, écrit le témoin

précité, un violent incident se produit à la droitedu général Moussy. Des unités en désordre apparte-nant au 11°corps (291°,292° et 65»d'infanterie) re-fluent dans le secteur du 90° et dans les batteriesde l'artillerie de la 17° division. Pour rétablirla situation, Moussy engage les éléments dis-

ponibles du 90° et garnit avec un bataillon dece régiment les lisières du bois à l'est du Champ-de-Bataillc V Mais la brigade de droite (Dpur-soult) de la 52° division se laisse entraîner parles unités en désordre du 11» corps et découvreentièrement le flanc de la 17°division ». Moussy sevoit contraint de replier sa droite, et ainsi l'ordredonné par Foch, à 7 h. 30 du matin, de Pleurs,au 9»corps, de se lier étroitement avec le 11°corpsel la 18° division vers Fère-Champenoise pouroccuper et maintenir cette ville « à tout prix », està peu près rendu inexécutable. Le 11»corps, d'ail-leurs, totalement désagrégé, et la 18° division,réduite à la brigade Guignabaudet, n'avaient plusque des squelettes d'effectifs ; la 60»division, rejetêe

1. Lieudit, au suddeMorains-le-Pelit,dontlenomvientducombatsoutenuen 1814parles gardesnationaux"çlePacùipd,

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80 LÀMARNEENPEU

de Sommesous;ne valait guère mieux. A10heuresdu matin, clairons el fifres en tête, la 1™divisionde la Garde faisait son entrée dans Fère* et ce quirestait de, notre aile droite, brisée, s'ahallait ausud de la MaurienneV

Lesquelquesgainstactiquesque la42°D.I. etla di-visionmarocaineavaient faitsà notregauche étaientloindecompenserla perlede-laligne de la Sommeet

1.RadiodeBiilowcap1.6parnoireservicederenseignements:« il0avinéeau G. Q'.&.',8septembre,11h.45.—Lal10divi-siondela Gardeesldéjàà Fôre-Champcnoise.Uneaction-éner-giqueesldemandéeà la 3°divisionde la'Garde,la droiteàGonuanlre.L'ennemicherche"'à envelopper.la droitede laUXavïji6e.Je'n'aiplusderéserves»..2. Chose-curieuse,centansplustôt,lesmêmeslieuxavaient

étélestémoinsd'unesurpriseet d'unedéroulescmhlablesdenosarmées.«Le25'nmrs'1814,uncombateutHeunonloindebenharréc:Laveille,Marmont,partantdeVertus,et Mortier,parlantd'Eloges,dansle butderejoindreNapoléonauxenvi-ronsdeSaint-Dizier,,arrivèrent'le soir,le premierà Soudé-Sainle-Groix,lesecondàValry: leurstroupes,fortesd'environ30.000hommes,étaientéchelonnéesentrecesdeuxvillages.Etloul'àcoup,"lé 25aumatin,alorsqueMortier,assezinquiet,arrivait'àSoudéréveillerMarmont,les divisionsfrançaisesfurentinopinémentattaquéesparlestroupesalliées.Repousséesau delàde Sommesous,ellesse reformèrentenbataillesurlahauteurau-dessusde Cbapelaniejusqu'àVaurefroy.Malgréuneyigoureuserésistance,ellesdurentévacuerla position,sereti-rant, la'droite' sur Cômiaiïlrayila gauchesur Lenhurrée.Legénérarrusse,Phalen,à la têtede la cavalerielégère,débou-chant sur Lcnhari'ée,s'emparade quatrecanons(dont-unnépave,mfcaissoïid'ôbusdefipouces,sevoitencoreàLcnharrêechezM.Arthur.Félix),culbutanoscuirassierselmitondéroulelesdragonsdugénéralRoussel,qui,envoyésausecours,furentpris de'paniqueel se'sauvèrentjusqu'àConnaulray.11étaitalors2.heuresde l'après-midi: unviolentorageaccompagnéd'unepluietorrentielle,ballantleshommesau visage,vinl

compléterle désarroidestroupesfrançaises,quis'entassèrentdansle-défilédela-Vaure.à Gonnantray,yabandonnèrentcais-sonsel canons,traversèrentFère-Champenoiseel se retirèrentsûr/leshauteurscl'Âllcmanfc,"tandisquelesalliésoccupaientundemi-cercles'élendantdeBroussy-le-Grandà Pleurs.TelleTutVajournée'dû25mars». (HistoiredeLenharréeparTh.-P.Erisson,éditéeel complétéeparl'abbéA.Millard).

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LAMARNEESFEU.PL.IV.

Gourgançon.

(Pointd'arrêtdesarméesallemandes.;

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LA VICTOIRE- 81

la chute de Fère, mais ils nous donnaient du moinstoute sécurité pour l'une de nos ailes que Françhet

û'Espérey d'ailleurs, avec cet esprit dé camaraderiequi est peut-ètr.e la plus rare des vertus militaires,consolidait spontanément en ordonnant au généralDeligny d'appuyer à droite sur Gharleville et la rueLecomte *. Cette sécurité, l'apparente inaction del'ennemi à notre centre, allaient être immédiatementutilisées par Foch. Dubois s'était étendu sur lagauche avec le 77»pour soutenir l'attaque conju-guée d'Humbert et de Grossetti. « Vite, lui CrieFoch, portez à droite toutes vos forces disponibles,même celles du centre qui n'ont rien a faire. » Et,à peine le mouvement exécuté, tandis qu'un élé-ment dé la 18°division, le 114»,disputait âprementà Kirchbach le passage de laMaurienhe et l'arrêtaitdevant la cote 128, il déclanchâit sur Fère-Ghampe-noise, avec les débris du 11" corps, la 52°divisionet les éléments disponibles de la 17°,une premièrecontre-offensive qui n'emportait pas la position,mais qui empêchait du m'oins la Garde d'en débou-cher. Dans la soirée encore, il reprenait le bombar-dement de Fère. Visiblement l'ennemi avait donnéle plein de son effort et, quoique Biilow, avec unesûreté de coup d'oeil remarquable, eût mis à pro-fit l'affaiblissement de notre centre pour y dirigerdans l'après-midi une attaque vigoureusement con-duite qui lui rendit toutes les positions que nouslui avions enlevées le malin, il lui fallait bienreconnaître enfin de journée qu' «un succès décisifn'avait pas encore été obtenu par la II»armées » .

i. LouisMadelin: LeCheminde la Victoire.2. Monrapportsur la bataillede laMarne.

CH.tiHGOFFIC. 6

Page 96: La Marne en feu

82 . LAMARNEENFEU

son flanc droit pantelait de plus en plus sous les

coups de Françhet d'Espérey et de ce 3» corps,commandé par Hache, dont les divisionnaires

s'appelaient Pôlaincl Mangin : Biilown'en avait puéviter renveloppeme.nlqu'en le ramenant vivement« en arrière jusqu'à la ligne Margny-Le-Thoult'».Maisdemain le péril renaîtrait, l'élan se resserre-rail, si Kluck n'arrivait pas à se dégager sur l'Ourcqet à se ressouder avec la II»armée. Se11allant qu'il yréussirait et jouant son « va-loul » sur celle cariede fortune, Bùlow ordonna, dit-il, « pour le 0 sep-tembre, la continuation de l'attaque par l'aile gau-che, qui avait d'ailleurs été renforcée dans la jour-née du 8 par la 24»D. I. de la 111°armée ». Foch,de son côté, rassemblait son effortpour une nou-velle contre-offensive. Rien ne le démontait. « Leclou de la journée de demain, écrivait-il en posl-scriptum à ses instructions de la nuit (Sseptembre,22heures), va être de déboucher par Fcre-Champe-noise. » Mais il fallait d'abord reprendre Fère, el,avec quoi1

Seule, noire aile gaucho tenait bon. 11y avait làla fameuse43»division de Verdun, ôtayée d'ailleurs

par une des divisions du 10»corps, el la divisionmarocaine, resiée en l'air par le dépari du 77»etqui s'accrochait désespérément au rebord orientaldu plateau de Sêzanne : la 1™compagnie dubataillon de zouaves Lachôzeperdait à elle seule,devant Oyes, tous ses gradés moins un el les deuxtiers de son effectif.Par Soizy, le bois de la Branleet Ghapton, l'ennemi essayait de se glisser versBroyés, tandis que, par la rive méridionale des

\. Monrapportsur la.bataillede la Marne.

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LA VICTOIRE 83

Marais et le Signal-du-Poirier, il resserrait sonétreinte autour de Mondement.

Mais le vieux château féodal, massif cube de

pierre posé sur une falaise qui commande les

Marais,'malgré un bombardement formidable con-tinuait à résister : tirailleurs et zouaves y faisaientdes prodiges avec Blondlat, Cros, Feller et lasouple artillerie du 49».La situation cependant était

précaire : dans la soirée du 8, une brigade toutentière de Hanovriens avait pu se glisser jusqu'auxtranchées creusées par l'ennemi au pied du château,après qu'il eut emporté Beuves et Oyes. Elle ensortit à l'aube et se jeta sur Mondement. Le châteautomba, livrant avec lui la clef des. Marais. Et, quel-ques heures après, à notre droite, pour achever ledésastre, l'ennemi nous chassait de Gourgançon ;Moussy lâchait le Mont-Août ; L'Espée êvaeuait

Mailly...Tout semble perdu. Une illumination de Foeh va

tout sauver. Peu importe que Bùlow, au momentoù son irréductible adversaire passe de la pensée àl'acte, se soit déjà ravisé : le plan de Foch est né laveille au soir, quand aucune velléité de retraite nese manifestait encore chez Biilow et chez Hausen,si bien décidés à exploiter largement leur succès de.la journée qu'ils renforçaient leurs troupes d'atta-

que d'une nouvelle division saxonne, et Foch,ce même soir, s'est entendu pour son exécutionavec Françhet d'Espérey. Bûlow pourra plus tard

passer sous silence la fameuse « manoeuvre par lescordes » de son adversaire et attribuer à d'autrescauses son brusque désistement personnel ; mais,d'abord, s'il s'était résigné à la retraite dès lematin « en plein accord, dit-il, avec le délégué de

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84 LAMARNEENFEU

l'O. H. L., lieutenant-colonel lîentoch 1 », il n'endonna l'ordre pour une partie de ses troupes qu'à1heure de l'après-midiet, pour les autres, beaucoupplus tard. En outre il n'était pas seul en jeu et lamanoeuvre de Foch visait autant les troupessaxonnes de von Kirchbach que les siennes. Et ilest.vrai cependant qu'il y eut d'autres causes, plusopérantes, au désistementde Bùlow,lequel entraînacelui d'Hausen, et la première de toutes : l'entête-ment de Kluck à ne considérer que sa proprebataille, d'où l'ôtirement excessif de la ligne alle-mande et enfin la rupture de liaison qui s'en-suivit et que Françhet. d'Espérey avait si remar-

quablement mise à profit. C'est toute la 5» armée

française qui va retomber de tout son poids surle flanc de la II»armée allemande, tandis que l'ar-mée anglaise prendra la l™ à revers ; ce quin'était hier qu'une menace est en train de devenirla réalité d'aujourd'hui. Françhet d'Espérey elFrench ont le champ libre devant eux. Maître deses directions, Françhet peut nous prêter son10»corps au complet; Foch enlève alors de sa

gauche la 42»division et la porte à sa droite où il

compte qu'elle pourra entrer en action vers midi.Tous ses ordres sont déjà donnés pour la repriseimmédiatede l'offensive.

« La 42»division, mande-t-il de son Q. G. de

Plancy, à 10 h. 1S, arrivera sur le front Linthes-Pleurs. Quelle que soit la situation plus ou moins

i. Radiode BUlow: «IIearméeà \rbarmée,9 septembre,•1h. 15.—L'ailedroitedela11°armeeestretiréesurlaligneLeThoull-Margny.LaD.G.C, quia tenujusqu'à8heuresdusoirversDollan(sansdoutele Dolloiz,affluentdelaMarne),serepliesousla pousséedel'ennemidansladirectiondeCondé-en-Brie.La5"fi. 0.ëslrefouléesurlarivenorddela Marne».

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LA VICTOIRE 85

reculée du 11» corps d'armée, nous comptonsreprendre l'offensive avec cette 42»division d'infan-terie sur Gonnantre et Corroy, offensive à laquellele 9» corps d'armée aura à prendre part contre ladroite Morains-Fôre-Ghampenoise. La 42»divisiond'infanterie est en route depuis 8 li. 30 et sera enmesure d'agir vers midi. »

Elle ne devait arriver qu'après 4 heures du soiret quand l'effort ennemi, qui avait atteint sonmaximum de violence à ?. h. 45, où le Mont-Aoûtnous était enlevé par la Garde et où les troupessaxonnes pénétraient dans Gourganç.on, commen-çait seulement à se ralentir sans qu'on en comprîtbien la raison. C'est que, dans l'intervalle, Bùlowavait transmis à la Garde et aux divisions saxonnesl'ordre, tant de fois différé et auquel il se résignaitenfin, de battre en retraite sur toute la ligne 1, —

et l'on aura peine à croire, malgré tout, que l'entréeen scène imminente de la 42°division ait été totale-ment, étrangère à celle résolution : de l'avis de bonsjuges, comme le général Boichul, à qui nous fai-sions part de nos doutes quand nous écrivions nosMarais de Saint-Gond, la manoeuvre de Foch fut

probablement, sinon la raison principale, du moinsla raison finale qui emporta les dernières hésitationsde Bùlow".

1.Radiode Biilow: « 11earméeà 111'C. G., 9septembre,157i.15.—LeG.Q.G. ordonnedeseretirer,la 1'»arméesurSoissons,laII"arméesurEpernayet Saint-Quentin(vraisembla-blementSainl-Quentin-des-Marais,8 kilomètresnord-ouestdeVitrv-le-François).Unenouvellearméeesten formation.»

«ÏI»arméed G.Q. G.,'9septembre,14h. 30.—LaI™arméebalenretraite.Souailedroiteestà Coulombs-Candelu.LaII»ar,niéesuspendsesattaques,quiprogressaientlentement,et gagnela rivenorddela Marne,sonailedroiteàDormans.Unonvoiprochaind'hommesderemplacementest denécessitéurgente.»

2. « UnaviatilenoussurvolaitdepuisBroyés,nousdisaitle

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86 LAMARNEENFEU

On sait le reste el comment Foch, sitôt la42»division en main, reprit immédiatement l'offen-sive. Ses troupes étaient à bout de souffle; Eydoux,dans son affolement,avait reculé son Q. G. jusqu'àl'Aube, derrière celui du chef de l'armée, et l'ennemi

enfin,pour masquer son mouvement, s'était couvert

partout de' solides arrière-gardes « pourvues d'uneforte artillerie »'. Elles ne nous empêchèrentpas de

reprendre Mondement dans la soirée même et, sila 42»division, trompée par elles et craignant de

s'engager par nuit noire en terrain mal connu, secontenta de bombarder Connanlre, un élément dela 17edivision, plus audacieux, poussait droit surFère qu'il traversait à 1 heure du matin, dans lanuit du 9 au 10, el touchait Morainsà 5 h. 30.C'estcet élément, commandé par le colonel Simon, qui,de Fère, renseigna Foch sur la réalité de la retraiteennemie. Et Foch, dès ce moment*, ne laissait plusde répit à ses chefs de corps. 11n'avait qu'un molà la bouche : «BourrezI Bourrez! » Tous ne «bour-raient »peut-être pas avec la mêmeénergie :L'Espéeet Legrand:iperdaient un temps précieux à Mailly;

généralBoichutquicommandait,dansla divisionGrosselli,lestroisgroupesdu (il»régimentd'artillerie(lesdeuxgroupesdu48»R. A. étantcommandéspar le colonel,aujourd'huigéné-ral Coffec)et il ne put manquerdo porterà Biilowla nou-vellede notreinterventionimminente.»

1. Monrajyportsur labataillede la Marne.2. VoirplusloinnotreentretienavecleMaréchal.a. Commandantdu21°corps,d'abordauxordresdeLangle

de Caryet quiavaitétéadjointà Fochle 11: c'estce corpsqui,avecla divisionde cavaleriede l'Espée,étaitchargédeboucherletrouducampdeMailly.Fochluiavaitdonnel'ordrede foncersur laMarnedansla directionde Sainte-Rlenehouldpourenleverle pont : sonpelotonde cuirassierss'enétaitemparé,maisLegrandarrivasi tardavecses grosque lesAllemandss'étaientdéjàrepliés.

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LA VICTOIRE 87

Lefèvre, qui aurait pu surprendre dans Chàlonstout un état-major saxon avec le prince Eilel, atten-dait que la ville fut évacuée pour y entrer. MaisDubois, Humbert, Grossetti talonnaient de si prèsBùlow qu'en maints endroits sa prétendue retrailo

stratégique se. changea en déroute. Le 12 enfin,Foch installait son Quartier Général à Chàlons. Larive sud de la Marne était nettoyée de son dernierennemi et à Mf Tissier, qui le complimentait de cebeau résultat, le vainqueur de Saint-Gond répondaitmodestement par le verset de l'Ecriture :

— Non nobis, Domine, sed nomini tuo da gloriam.

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DEUXIEME PARTIE

Telle fut la bataille des Marais de Saint-Gond. Ala distance où nous sommesdes événements, aprèsla publication des rapports allemands et avec ce

que nous savons des rapports français, il est assezaisé de se la représenter dans ses grandes lignes.Mais quelle impression fit-elle sur le moment auxacteurs et aux témoins du drame? Nous en avonsévoqué trois : un chef, le général Moussy, comman-dant par intérim la 17°division; un gradé, le ser-

gent Charles Penther, du 19» d'infanterie, et uncivil, l'instituteur Roland, de Villevenard (Marne).C'est eux maintenant qui vont parler ou plutôtleurs carnets de campagne, encore inédits et quenous publions dans l'état même où ils nous sontparvenus. Et il est vrai que le style en est quelque-fois télégraphique. Mais, si sommaire, haché, tré-pidant, que ce style a de vie, d'humour, de liberté,et quelle émotionpoignante, çà et là, s'en dégage 1El, aussi, comme les plus grands événements, vus,dirait-on, par le gros bout de la lorgnette, y tiennentpeu de place, se réduisent, s'amenuisent presquejusqu'à l'insignifiance 1 On en jugera par les feuil-lets qui suivent et qui sont détachés du carnetde l'héroïque Moussy.

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1

LE CARNETDU GÉNÉRALMOUSSY

Mercredi S septembre1014.— Prêts à 4heures dumalin. Déport d'Epoye à îi h. 30, arrivée à Berru à7 heures ; bien installés dans maison vide. A10heures, j'apprends (par lettre de service du géné-ral Dubois)que j'assurerai le commandementpro-visoire de la 17»division d'infanterie, en remplace-mentdu général Dumas,appelé à d'autres fonctions,jusqu'à ce que le ministre ait l'ail savoir qui il a

désigné pour ce commandement..Organisation dela position 143, Alger, face à Epoye. Les chevauxse reposent bien. Journée calme, dormihabillé.

JeudiSseptembre.—Leverà 2heures el demie.Enroute par Nogent-l'Abbesse.Sillery-Beaumonl,où, à8 heures, nous sommes arrêtés par un croisementavec les deux divisions de réserve. A8heures, inci-dent de l'avion criblé. Un[des aviateurs], indemne,esl faitprisonnier. Il excite la curiosité : course deshommes el des civils vers le lieu de la chule, enter-rement du tué. Halte à Verzy, à Villers, à Mar-

mery, d'où le 68»a filépar erreur (quellechaleur !)à Tréfail, enfin à Ambonnay à 1 heure. Déjeuner2 h. 15. A peine lavé, travaillé cl dîné 7 h. 30.

Page 105: La Marne en feu

LE CARNETDUGÉNÉRALMOUSSY . 91

J'apprends que Coquet' est relevé [de ses fonctions].

Coucher à 9 h. 1B.Bonne nuit.

Vendredi J<septembre. — Départ 4 heures matin.Relards causés par émigrants et coincement danstournants difficilesde Condô-sur-Marne. Je coupe laroute, suivie avec le.89»,pour aller de Mareuil au -

camp. Le 68° forme arrière-garde, risque d'êtreaccroché, mais s'en (ire grâce au brouillard (départdu colonel Génot, fatigué). A 8 heures, dégagé à

Jalons, grande chaleur ; à Champigneul à 10 h. 30;halle à la Tour près Poucancy, puis à Rennevilleà midi ; arrivée à Yoipreux à 2 heures. Déjeuner.Village vide, voilures d'émigrants pleines d'enfantset de femmes. Image dé la désolation et de noire

impuissance. Une attaque de nuit a été repousséeaux Peliles-Loges, à 3 h. 30, par la 9»compagnie :3 tués, 12 blessés et le commandant de la compa-gnie. On a l'ail 4 prisonniers et rapporté une ving-taine de casques. On m'en offre un.

Samedi 5 septembre. — Départ, 2 h. 4b par Ber-

gères-les-Vertus, Ecury et Fère-Champenoise, pourOËuvy. Temps frais et couvert jusqu'à 11 heures,puis soleil et chaud. A Fère-Champenoise, contre-ordre : au lieu de prendre offensive demain, on vafaire plastron au Monl-Toulon. Hésitation et retardau C. A. Déjeuner à 2 h. 30. Mouvement délicat.Demain, on devait reprendre offensive, seulementderrière l'Aube, et on la prend avant. Pourquoi 1...Nous sommes ici au-dessous de la ligne Paris-Châ-lons. Alors les Allemands ne doivent pas être loin

1. Legénéralcommandantla 52°D.R., remplacépar un desesbrigadiers: Battosti.

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92 LAMARNEENFEU

de la capitale ! Cantonnement excellent à Fère-

Champenoise ; inquiétude jusqu'à minuit sur 135°.

Etal-Major à Yert-la-Gravelle : coucher, à celteheure là (minuit), el réveil à 3 h. 30du matin.

Dimanche 0 septembre. — Départ à 4 h. 30, enauto, à Bannes, à Aulnizeux,la Chapelle1; tir surCormont : obus nous ramonent à Bannes. A9 heures, prêts à l'offensivesur Champauberl. Maisaucun ordre. Armée allemande se renforce :135»cède à 10heures. Alors, ordre reprendre Mon.l-Toulon à 10 h. 45. Envoi du 77». Pris 'd'éeharpe,11 h. 45, s'arrête Coizard. Mon poste, vers 150(arbre), pris dans salves shrapnells, obus, explo-sifs de 10a.De 11 h. 15 à 12 heures, avec artillerie :on s'en lire sans perles. Maisquelle émotion ! Quellefatigue I Le 135°dépasse Bannes. Impossible del'arrêter : nous restons seuls avec artillerie. Arrêtaux Meules : un cheval tué. Je vais aux bois, per-sonne : j'obtiens soutien de 52«division de réserve(58»bataillon chasseurs) qui vient bien à contre-coeurI!! Nous revenons dans vallon sud de Bannesde 2 h. 30 à 5 h. 30. Plateau toujours arrosé pro-jectiles direction Bannes, Broussy, à 6 h. 43 auxbois... d'où débouche la 33» brigade qui va

occuper 154, Bannes, Champ-de-Balaille, Pctite-Perme. Tout se passe bien. A 9 h. 30,à la fermeNozets, diner rapide ; couché dans un grenier ;réveillé à 1 h. 30 matin.

t. « La Chapelle,f. communed'Aulnizcux»; « CormonL,montagneboisée,communedeVertus» (AugusteLonguon:Dictionnairetopographiquedudépartementde laMarne).

2. OuNozay,« f. communedeConnanlre»(Longnon,ibid.)aupiedduMout-Août.

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LAMARNEENFEU.PL.V.

ClichéMénard.Fontainebleau.

Pontdétruitst/rlePetit-Morin.

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LE CARNETDUGÉNÉRALMOUSSY 93

Lundi 7 septembre. — Couché à Ecury, réveillé,tous à 3 heures et 3 h. 30. Départ 4 heures. Tout vabien. Ordre de tenir. A 8 h. 30 café nous réconforte.Action du 11* C. A. (21°division, Radiguet) quicherche à reprendre Morains. Et, au Nord, c'est lagrande bataille d'où dépend le sort du pays. Rela-tivement tranquille jusqu'à 16 heures. Alors jemonte une reconnaissance sur Aulnizeux. Le com-mandant Jette va l'organiser vers 13 heures. A16heures, les Allemands reprennent violente canon-nade sur Bannes jusqu'à 18 heures. Puis nous[dirigeons à notre tour canonnade] sur Morainsjusqu'à 6 h. 30. A i9 heures, nous arrive la nou-velle de l'occupation d'Aulnizeux, apportée par lesous-lieutenant du génie Boucher ; combinée pour2 h. 30, elle fut faite et arrêtée à 4 h. 30, reprise à6 h. 30, conduite par le commandant Jette qui futblessé, ainsi que le capitaine Romet. La Canonnadeel celte attaque coûtent 120hommes au 90°.Lecom-mandant Jette, entraîné par son ardeur, a dépassémes instructions et me laisse sans chef d'état-major.

Mardi S septembre. — Au poste de commande-ment à 4 h. 30. Le commandant Jette a disparu.Blessé 1 Mort ?... Attaque à revers de Grosse etPetite-Ferme; fusillade, canonnade, fuite des291°,293°,65°,de ma cavalerie qui reflue en désordre dansmon artillerie. Recul à 7 h. 30. Suis à 9 heuresdans les bois, ligne Monts-Aoûl-Puils(combinaisondu général commandant corps d'armée, une trou-vaille 11!) Je reprends le commandement dû secteurnord, face à Oyes. A 11 h. 30 je reprends la.17»di-vision (crevant. I!). Attaque monstre à 15 Heures,

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94 LAMARNEENFEU

avec 52°division de réserve sur Fère-Champenoise,que le 11°corps a lâché de 4 kilomètres sud. Q. G,à Ferme Nozet.Il pleut. La marche réussit, violentecanonnade à proximité de mon poste. A 6 h. 30,installatian Nozet et dîner sous le canon. Je reçoisnote suivante : « 5 heures du soir, général Duboiscommandant9»corps au général commandant 47»di-vision (Moussy).—Legénéral commandant 17»divi-sion a commis une erreur grave en laissant partirson chef d'ôlal-major avec une petite fractionchargée d'une reconnaissance et de l'occupationd'un village. Le chef d'ôtat-major doit rester aucours du combat avec son chef, et ce sont les offi-ciers subalternes qui doivent être employés auxliaisons avec les unités subordonnées. »—Explica-tion du général Moussy : « Je lui avais donnéune heure pour organiser cette attaque. Parti à13 heures ; il n'est revenu qu'à 19 h. 30, malgrémon ordre formel, porté par le sous-lieutenant Bou-cher, du génie, qu'il avait gardé avec lui el quiétait venu à ce moment me rendre compte qu'Aul-nizeuxétait pris ».C'estrisqué, mais tant pis. Nuitsurla paille. Vu le sous-lieutenant Ravaux, ancien du89»,réserviste 245°.Ce régiment esl commandé parLévy, qui fut relevé le lendemain.

Mercredi 9 septembre, — Couvert : la pluie n'apas duré. Lever 3 h. 30. Retraite probable de l'en-nemi.-Allons-nous en avant? Eh bien, non! Le11°[corps] a cédé, ainsi que 5?»D. R. et, sous uneoffensiveviolente,prise à 8heures par lesAllemands,tout recule. On occupait : 1°d'abord la ligne Mont-Août-Puits; 2»Mont-AoûtSainte-Sophie,où l'on tientà peine (90e),10 h. 30 à 11h. 30; 3»134,Monl.-Chal-.

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LE CARNETDUGÉNÉRALMOUSSY 95

monl-Linthes. Heureusement les Allemands s'ar-rêtent à Connantre-Nozet.Je vais jusqu'à Saint-Loup:on y reçoit nouvelle de l'arrivée 42»division et

reprise do l'offensive de suite. En avant! 90», 68»

atteignent Nozet. Canonnade, à 8 heures [du soir],d'artillerie.42° division sur Connantre (elle produi-suit effet certain,'vérifié le lendemain). Impossiblesavoiroù sont mes éléments. Je trouve le-135»désem-

paré : plus de colonel ni officiers supérieurs, et jel'envoie en avant 1Règlele mouvement dos T. R. àLinlhes, où nous couchons de 24heures à 3 heures.Soiréed'espoir. Maiscombienje suis fatigué !

Jeudi 10septembre. — On pousse sur Morains-le-

Pelil, où 6S°et 97»arrivent à 5 h. 30.(Imprudence, lereste delà division très échelonné.)Aspect des tués,blessés. Nozetdétruite, station roule Bannes-Fère-

Champenoisc. Arrivée à Morains 11heures. Détruit.Odeur !!! Morts !!!Triste 1C'esl le revers du vain-

queur. Mais la 52»D. R. ne peut enlevel' Ecury ;action infructueuse, de 5heures à 7 h. 30,surPicrre-Morains (68°)el Ecury (90°).Repli sur Morains etbivouac ; couché à la station sur sommieret paille.Ai eu froid ! Note de service : « La 33»brigade aatteint Morains-le-Pelit à 5 heures : elle s'y estrassemblée en formation articulée au S.-O.du vil-

lage, couverte sur le front. Station source du Petit-MorinborneN. dubois.àl'esl.deMorains. Lepostedecommandement du colonel commandant 33»est àMorains-le-Pelit, entrée 0. du chemin de Bannes.La liaison est établie à droite avec des éléments dela 52»division »P. O. signé : « Boisanger* ».

. Lecapitainedo Boisanger,signatairede cellenote,étaituni es officiersd'état-majordugénéralMoussy.

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96 -LAMARNEENFEU

VendrediH septembre.— A 4 h. 30. En place àMorains. Départ à 5 h. 30 par Pierre-Morains,l'Alsace1,Petit-Voipreux2,"Villeneuve.Je circule enauto et toujours en avant; à Vertus, vu généralBoutigand,nouvelles du général Leleuqui attaquaitPierre-Morains en même temps que nous hier etqui faillit,recevoir nos projectiles (manquede liai-son 11).Villeneuvede 12 heures à 14 heures. Puisen auto vers le Mesnil, Flavigny. Obliqué versFerme Renaissance, Saint-Mard,Rouffy, Pocancy.Orage de grêle. Enfin Bucy 4 heures. Départ à5 h. 30sur Athis, entrée 7 h. 30.Ponts sautés par-tout, colonnes [allemandes] en désordre, abandonmatériel ; hier, fait reconnaître par ordonnanceAulnizeux, trouvé corps commandant Jette, têtecriblée de balles. Enlerré par capitaine Chanoine.Laisse quatre filles. Action lente et timorée,de lacavalerie. Logéau château de Mons.Chahut,craintede canonnade, mais rien. Lever 3 heures. Douleursau pied qui m'inquiètent.

Samedi -12septembre. — Les ponts de la Marnesont sautés. ACondô-sur-Marne,saule à 15heures.Celuidu canal ne l'est pas. On y fait le pont debateaux. Matinée occupée à passer d'abord sur

barques et radeaux, puis, dès 11 h. 30, sur pontsbateaux construitsen deux heures. Je reste à Jalonsjusqu'à 12h.30,puis à Gondé (petite place) jusqu'à6 heures. On fait des prisonniers saxons : l'airsatisfait. Un café et du pain frais. Les habitantsracontent ce qu'ont fait les Allemands. Pillage,

i. «F. communedeVertus».(Longnon,ibid.).2. «^MaisonisoléedeYoiprëux. (Lortgnon,ibid.).

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LE CARNETDUGÉNÉRALMOUSSY 97

emballem'entsur des voitures. Ontabandonné beau-coup de matériel de l'arrière. Avec de la cavalerie,ce qu'on aurait ramassé 11! Canon à gauche(10° C. A.) jusqu'au soir. Devant nous rien, etcependant tout était préparé I! Retard des deuxdivisions voisines. Impossible aller Vesle ; alorsIsse, Grandes-Loges. Q. G.Aigny (abandonné aprèscombat 11»C. A., le 4). J'ai un lit, mais un bruiténorme qui me fait mauvaise nuit (arrivée à 2 h. 45en pleine nuit).

Dimanche 13 septembre. — Lever 3 h. 15. Hiernombreuses averses et froid le soir. Malin cou-vert et. froid. En auto à 6 heures aux Grandes-Loges voir 36° brigade partie en retard (cyclisteségarés). Vu général Dubois, toujours occupé detout; puis à la 33»par Vandemange : cabaret de

l'Espérance, route du 89°au camp de Billy-le-Grand,les Petites-Loges. 11fait un vent, une averse! Puistemps se remet et reste beau, quoique frais. Arrêtd'une heure, 9 à 10h. 30, renseignements de la cava-lerie : retranchement formidable III Rien! Alors,marche sur Septsaulx (renommée de la matelote).Puis, avec l'avant-garde, sur Thuisy, que l'auto suitdoucement. Entrée à midi. Uneauto du G.A. rejoint,annonce que Prunay est pris par division du Ma-roc. On cause sous la canonnade d'obusiers de105. Coups plutôt longs, mais crac... un court tapedans le pignon d'en face et, sur 6, 4 officiers sontblessés : colonel Besse légèrement à la tempe, capi-taine Camors, du C.A., à la jambe, Perreau àla jambeplus grièvement, capitaine Bourgens jambe. Moi,rien, ni le capitaine Hench, C. A., qui vomit pareffet de commotion,-Quël^miracle ! Vite un COUD

CH.LEGOFI'IC/ v-O'"

l/\, \ 7

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98 LAMARNEENFEU

d'oeilauxblessés,et auxdevoirsducommandement!

Prunay est conquis à trois heures et, alors, la17»divisionmontel'attaque de Prosnesavec appuide 52»divisiondeR. De1b h. 15à 5h. 45, artillerietonne, réussit à jeter désarroi : les fantassins alle-mands fuient, abandonnant tout. Maison ne peutoccuperProsnes,brûlant; ilfautbivouaquerà proxi-mité. Retourdes corps très tard au cantonnementde Wez-Thuisy.A 3 heuresarrivée du général Gui-

gnabaudet,nomméau commandementde la 17»di-vision le 6. Je lui passe la consigneà 19 heures el

je regagnela 33»brigade et Thuisy à 21heures. Jetrouvelemairequimemèneàla ferme-château.Queldésordre! Les Allemandsont tout pillé. J'y laisseles chevauxet je vais en face chezla vieilledemoi-selle,où je fais préparer à dîner pour mon étal-

majorqui n'arrive qu'à 11h. 30. Coucherde minuità 4 heures du matin.Bonnenuit.

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II

LE CARNETDUSERGENT CHARLESPENTHER

3 septembre1914.—Le 19»d'Infanterie, ayant tra-versé Sommesous, s'arrête sur la route de Mailly, —

à 1 kilomètrede Mailly.—Celtehalte est la dernièrede la randonnée. Je me rappelle une longue routeblanche, poussiéreuse, un temps trop beau, et l'im-mense plaine brûlée par le soleil d'août (nous aussi).Il n'y a d'ombre nulle part; il n'y a d'eau nulle part.Dans les puits, taris parla soif de tous les régimentsqui ont passé, il n'y a plus que la craie humide dufond. On le sait; mais on se bat pour y faire des-cendre et en remonter les 30mètres de corde et leseau. La soif et la faim sont.l'obsession générale.

Des histoires d'ordonnances et des rapports, decuisiniers «en pied » affirment que nous allons surParis. Le 5 au soir, la halte terminée, nous prenonsla direction Nord. Donctoutes les suppositions s'ef-fondrent; avant peu nous reverrons les Boches.Nouscampons dans'un petit bois de sapins. La nuit:patrouilles habituelles. Le calme est seulement trou-blé par des cris d'oiseaux, qui ressemblent à s'yméprendre aux signaux de' commandement alle-mand ; d'où quelques fausses alertes, que pro-voquent surtout notre anxiété et notre ignorancede tout.

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100 LAMARNEENFEU

6 septembre.—Noustraversons Haussimont,Vas-simont, et arrivons à Lenharrée. Nous y prenonsposition de combat et surveillons les caves, troppleines pour des gens qui meurent de soif.

Dans l'après-midi, nous percevons les premierssons du canon, puis sans larder, sur les crêtes, lesfloconsblancs révélateurs. Notreartillerie a repéré,dans les bois de sapins, qui, au Nord, bordent Len-harrée, l'infanterieennemie.Nousautres (fantassins)ne voyons pas encore grand'chose, si ce n'est de

temps en temps les déplacements imperceptiblesdepetits êtres confondus avec le gris du sol, le vertsombre des arbres... Vers 5 heures, un incident :de deux boqueteaux surgissent à fond de train descavaliers. Un escadron de uhlans ? — Nous tironset arrêtons cette tentative de charge, que reprendaussitôt une deuxième masse de cavaliers plusnombreux. Notreartillerie les a repérés et déclanchevers eux un formidable barrage. Après trente se-condes, il ne reste rien que, sur la crête, les sil-houettes découpéesde chevaux qui fuient, qui ruent,blessés, ou se sont arrêtés, broutant. Quelqueséga-rés viennent vers nous : l'un a le ventre ouvert; ilmeurt peu après et son cadavre reste sur la route.Un autre sans blessure, beau cheval, est pris parmoi et emmenépar les gendarmes.

Le 19»,en position sur les .coteaux qui dominent

Lenharrée, tire sans arrêt sur des objectifsen mou-vement dans la plaine. Ma section avait pour mis-sion de' garder la roule de Vassimont. Elle étaitdonc établie à l'entrée-du village, à 400mètres envi-ron de Lenharrée. L'ennemine fait aucune tentative

de ce côté. Par contre, il doit se passer dans le bas-fond quelque chose de sérieux, car, dans la nuit,

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LE CARNETDU SERGENTPENTHER 101

subitement, nous entendons une fusillade, brève

d'ailleurs, puis, peu après, des cris de massacre. Jen'ai jamais su ce qui s'était passé; mais, après cetteaffaire, qui fut chaude, je crois, on rapporta le lieu-tenant Gay, tué d'une balle au front (enterré main-tenant au cimetière de Lenharrée et dont la tombefut bouleversée le 7 par un obus), un soldat délirantdont les entrailles pendaient, un. cavalier fou quihurlait dans la nuit au rythme du pas, sonore surla route, de son cheval blessé...

Les faits d'ensemble nous étant inconnus, la cu-riosité s'émousse et, d'autre part, un soldat ou un

sergent ne peut pas voir au delà de sa section —

surtout dans la nuit: N

7 septembre. — Le 7, au matin, dès l'aube, la fu-sillade reprend. Ma section a pris position sur lacrête en avant de Lenharrée, une partie à découvert,une partie dissimulée par une haie à gauche, un

gros arbre à droite. Nous sommes criblés d'obus,77, 105, 150 peut-être, quelques 210, mais je n'ensuis pas sûr. L'infanterie allemande tente toujoursd'avancer, mais elle a fort à faire et ne réussit pas.Nous tirons sans arrêt ; l'artillerie couvre de floconsblancs les bois de sapins en avant de nous. Toutesles tentatives d'avance sont arrêtées, et le Bochedoit savoir ce que sa témérité lui coûte. En revancheles 77, 105, 150 font autour de nous de grossesgerbes noires de fumée, de terre, de cailloux, avec,au-dessus de nos têtes, les déchirements secs etverdâtres de la cheddite qui explose dans sa boîtede fonte ; les mitrailleuses s'en mêlent, fauchant lesbrindilles et faisant voler de petits nuages de pous-sière ; leurs ricochets bourdonnent comme des chats

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102 LAMAR.NKKNl'EU

qui miaulent, tandis que les bulles de plein fouel

cinglent comme un frelon qui passe très vile. Maistous tes obus el toules les balles l'ont,le mêmebruilet je n'en parie ici que parce qu'en celte nialinèeextrêmement sereine du 7 septembre, les bruitsétaient facilement perceptibles ei (pie le calme delànature (si ce n'est celui des hommes) prédisposai!peut-être à celte euriosilé analylique.

A 16 heures, un 150éclate sur un gros arbre, à

.Lenharrée,l'abat el tue 11soldats, clonlmon frèreLucien.Je n'oublieraijamais le spectacle île ce coinde bataille el je n'essaierai 'pas (Jedécrire,le char-nier rouge que j'ai vu.

A partir de ce mom-'.tli! y a de grandes lacunesdans mes souvenirs. J'ai essayé d'enterrer moufrère et, le soir venu, je promenais une lanternedans ce coin sanglant duquel je ne pouvais nénr-racher. Des soldais ou des u''iiei"rs.venus pour mefaire éteindre,ma lumière (ilpara:! qu'on,me tirm

dessus) n'ont pas compris ce (pueje faisais là. mai-gre mes explications, ei je n'ai pus compris qu'ilsne comprissent pas.

Bref, on me fait emmeneren arriére par des ca-marades de ma section, el je traverse, titubant.Lenharréeen l'eu,escaladant des charpentes enlîam-mées ou me pertiaui dans le noir.

6'septembre.— Le4'J"avais qc.iUéses position*etéié mis, disait-on, au repos"Verrièrela voie ferréeLenharrée-Sommesous, à 1 kilomètre environ enarrière de Lenharrée. Macompagnie (ou ses débris)éiait placée, si on regarde vers ITJsl.à 30umètresenviron de la station, à gauche, en une excavationcaractérisée par un passage de caniveau sous la

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LAMARNIENFEU. 'i.\

CiltIK'Jl™..rJ.luuUmeble.il

LagrandetombedeLenharrée.

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LE CARNETDUSERGENTPENTHER 103

voie ferrée. Vers 4 heures du matin, quelques obusnous sortent brusquement de l'état de léthargie oùnous avait plongés notre immense fatigue. Nousprenons rapidement position sur le talus de la voieferrée d'où, bien qu'il fasse à peine jour, on découvrela plaine, en avant de nous, entre Lenharrée elnous. Mais quoi ! c'est une cohue, et la plainegrouille de troupes qu'il est impossible d'identifier.Des officiers près de moi commandent le feu : ilscroient avoir reconnu les Allemands ; d'autres crientà la méprise et.essaient de faire cesser le feu : ilscroient avoir reconnu les uniformes français. A lavérité les uns et les autres (comme la suite nous le

prouva) ont raison, mais leurs ordres contradictoiresjettent le trouble parmi nous. Je traverse la voieferrée par le tunnel du caniveau afin de tirer auclair celte énigme. Apeine me suis-je montré qu'unerafale de balles s'écrase autour de moi sur les

parois du tunnel. Je suis d'ailleurs amplement ren-

seigné, car j'ai entendu distinctement, lant lesBoches, déployés en tirailleurs, sont déjà près dela voie, les ordres en langue allemande que lançaientleurs officiers.

Dans l'intervalle le jour s'est levé. Et la situation,déjà critique, achève de se gâter tout à fait : vers7 heures du malin, nous nous apercevons que des

balles, en arrière de nous, au-dessous de nous,font voler en éclats, les pierres du remblai' : desmitrailleuses boches se sont insinuées à droite et à

gauche à la faveur du désordre, de la nuit, etc., etnous canardent dans le dos. Plus de doute : l'en-nemi a débordé les positions de Lenharrée.

Mais comment ? Par quelle ruse ou par quelletrahison '?L'explication est plus simple, hélas !Cre-

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104 LAMARNEEN FEU

vant de soif et de faim, le régiment qui nous a

remplacés s'est répandu dans les caves de Len-harrée et s'est fait surprendre et massacrer sansrésistance. D'où la pagaye de la nuit et cette confu-sion d'uniformes, que le Bocheatout de suite exploi-tée pour tenter de nous surprendre à notre tour.Bref, au moment où nos officierss'aperçoivent quenous sommes cernés, deux solutions se présententet j'entends entre eux, tout près de moi, leur dis-cussion rapide pour l'adoption de telle ou telle

ligne dé conduite : la charge à la baïonnette pournous dégager —ou le repli vers les bois, à travers500mètres de plaine. La charge est d'abord adop-tée, car nous mettons baïonnette au canon — etnous nous préparons à traverser la voie ferrée;puis la deuxième solution l'emporte. Le 19»(etautres débris disparates de régiments quicomposentla précaire défense de la voie ferrée) quitte sa posi-tion el se jette en plaine... Le Boche grimpe aussi-tôt sur le talus (il y a là, entre autres unités, le2» grenadier de la Kronprinzessin, car j'ai lu cesindications sur une musette allemande et sur un bi-

don) et, commeà la cible, lire à répétition sur nous.Un vrai massacre.

Je ne sais commentj'y échappai, étant parti dansles tout derniers. Le fait est que j'en fus quitte pourune simple balle dans le poignet el, à la distanceoù je me trouvais des tireurs, j'aurais pu tomber

plus mal. Les bois devant nous étaient bombardés,mitraillés.'Il pleuvait des shrapnells et des ballesde partout. Ce pauvre Lenharrée, que nous avionsvictorieusement défendu pendant trois jours, l'en-nemi maintenant en était maître. Toute la ligneavait

craqué. Et notre artillerie même ne ripostait plus...

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111

LE CARNETDEL'INSTITUTEUR ROLAND

Mercredi 2 septembre (Villevenàrd).— Les jour-naux sont lus avidement el anxieusement par la

population. La poste fonctionne irrégulièrement, et

les femmes, les parents, attendent fiévreusementles courriers. Quelquespleurs, mais aucune récrimi-nation.

Jeudi 3 septembre. — Le canon s'entend au loin,direction de Vervins. Les aéroplanes arrivent nom-breux et. atterrissent à Champaubert. De la cava-lerie de remonte, venant du Campde Chàlons et se

dirigeant vers Montereau, loge au village. 4 sacsd'avoine el 500 kilos de foin environ sont, réquisi-tionnés. Le facteur-receveur apporte, le soir, une

dépêche préfectorale informant les instituteursinstitutrices qu'ils sont rendus libres. Le maireannonce, par voie de tambour, que les habitantsdoivent avoir déposé les armes en leur possessionà la mairie. Le facteur-receveur est avisé de faire

expédier lematérielmobiledes postes et la compta-bilité à Sé/.anne. D'autre part, tout esl. calme etsilencieux ; aucun effarement ou affolement.

Vendredi 4 septembre. — Al heure du matin,

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106 LAMARNEENÏEU

nous sommes réveillés par les aboiements du chienel un coup de sonnette. Deuxfemmesde gendarmesde la brigade d'Eloges, avec leurs jeunes enfants,viennent nous demander l'hospitalité jusqu'aumatin. Les émigrés affluent par longues files devoitures qui encombrent les routes. A10heures dumatin, un officierse présente à la mairie pour pré-parer le cantonnement de ia 51»division. L'après-midi, le 243»débouche dans notre rue. Le bureaudu général est installé à la mairie ; il loge à la poste,le colonel à l'école. Des bruils circulent : c'est ledernier jour du repli. Les officiers supérieurs, con-sultés, ne savent s'ils doivent me conseiller decacher ma collection. On verra demain matin. Ledépart, subit des troupes a lieu à 11 heures du soir.

Le capitaine de gendarmerie a laissé l'ordre aumaire de faire connaître aux habitants qu'ils nedoivent pas ômigrer et nous ne voulons pas, le len-domain, prendre la responsabilité de confier cetordre au tambour : chacun est laissé libre d'agir àsa guise.

Samedi 5 septembre. — Des troupes de toutes'armes, infanterie, artillerie, cavalerie, défilent,versles Marais. Des blessés font connaître que l'artillerieallemande, placée vers Monlemont,les a canonnésà Etoges. Un commandant du 10» d:arlillerie abesoin d'une carriole pour transporter de la viande.Nous lui indiquons celle de M. Renard (Bénoni);nous l'accompagnons el il en fait l'acquisition. Dans

l'après-midi, un avion allemand survole dans ladirection de Villevenàrd, venant d'Eloges : un avion

français s'avance à sa rencontre et, après un

échange de coups de feu, l'ennemi rebrousse chemin.

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LE CARNETDEL'INSTITUTEURROLAKD 107

Je propose une fusée paragrôleàl.600 mètres, maisle Génien'accepte pas. M.Barnier (Anatole), domes-tique de M.Valet, est réquisitionné pour transporterles blessés vers Broyés. M. Truchon conduit aussi,avec ses attelages, du matériel vers Sézanne. Usn'ont pu rentrer qu'après la bataille. Quelques habi-tants sont partis.

LABATAILLE.— A 3 h. 30 [bseptembre], le son ducanon se rapproche : il est décidé de chercher unrefuge dans les grottes, à 300mètres du village, surle flanc de la colline de Chènaille : les familles Fau-fier, Thibault, Basset, Hiernand, Landrêa, Barnier(Anatole),Barnier (Armand).Dagonet, veuve Guilbot,Canal, Roland, etc., s'y rendent avec quelquespaquets, faits en hâte, de leurs objets les plus pré-cieux. D'autres personnes se retirent dans leurscaves. A i heures, le canon tonne dans la directionde Saint-Prix. A 6 heures, il se fait entendre surGoizard,colline du Razot ; la fusillade et les mitrail-leuses s'entendent distinctement du côté de l'étangde Chenevry, au bas de Joches. Apartir de 11heuresdu soir, la nuit est calme. Un incendie, à Vert-la-Gravelle probablement, jette ses tristes et sinistreslueurs.

Dimanche.G.—Léjour vient. Le calme se prolonge.Nous croyons tout danger écarté : aussi nous redes- .cendons au village verso heures, pleins de confiance.En attendant le café, nous gravissons l'éminencesituée à l'ouest de l'école pour jeter un coup d'oeilsur la plaine. Pas de soldats, aucun bruit. Tout àcoup des balles sifflent à nos oreilles et nous rega-gnons en bâte la maison en faisant signe à d'autres

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108 LAMARNEENFEU

habitants qui s'apprêtaient à nous rejoindre de fairedemi-tour. A 8 heures, le canon se met à tonnertout près de Congy et Courjoennet. La véritablebataille s'engage ici. Nous emportons précipitam-ment quelques objets etnous retournons aux grottes.Noire groupe de la veille est très réduit ; beaucoupont préféré chercher un refuge dans leurs caves. Lacanonnadedevientde plus en plus intense ; l'incendies'allume à Gourjeonnet,au Petit-Oyes, etc., et dure

jusque dans la nuit.

Lundi 7.— Les Allemands tirent par-dessus nostêtes. Commeles Français ne répondent pas, nousdescendons aux provisions. Les Allemands ontvisité la mairie : ils ont lacéré le drapeau des sapeurs-pompiers, arraché l'écharpe tricolore du buste dela République, ployé les sabres, cassé les fusils dechasse, éparpillé les capsules de carabine ; d'autressont venus demander un petit verre, sans rien tou-cher, et échanger du pain. J'emporte vin et provi-sions dans un panier. Des soldats, avec unebrouette, chargent à la boulangerie d'à côté; en faceils boivent à la cuisine et me laissent passer avecma charge. Nous retournons auprès des femmes. Lesobus passent avec un bruit de sirène tournoyante ;trois Allemands viennent s'installer pour tirer surles marches de notre grotte. Aprèsavoir inspecté les

environs, ils partent. Je leur ai demandé : « Est-ceque vous allez tirer ? Faut-il rentrer à l'intérieur'? »Ils ne m'ont pas répondu. Un avion français survoledans la journée, et vient reconnaître l'emplacementdes batteries allemandes. M. Leblanc retourne auvillage chercher des provisions en compagnie deM. Hiernand, charron, et Jaergé, de Fromentières,

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venus nous rejoindre le matin ; il revient seul etretourne encore, à 6 heures du soir, chercher du

pain, une bonbonne de 7 litres de vin, des corni-chons en bocal, des pommes de terre, du chocolat,une lampe à alcool, des oeufs, etc. Je suis de gardeauprès des femmes et des enfants. Le soir, je puisme promener dehors et je remarque de petits globeslumineux, des signes certainement, de couleur rose,au-dessus de l'emplacement de l'artillerie. Le tempsest beau, un peu froid dans la nuit ; les incendiescontinuent à Oyes, Reuves, etc., à Villevenardmême. La canonnade tonne une partie de la nuit.

Mardi S septembre. — Canonnade intense. Lemarais n'est qu'un brouillard de fumée; les obuspleuvent sur Oyes, Reuves, Mondemenl. Les Alle-mands descendent, espacés, les pentes des vignes,en tirailleurs, à 200 mètres de nous. Le 75, à diffé-rentes reprises, riposte : il balaie notre colline, les

pentes des vignes, les Usages, Voizy et l'autre ver-sant de la côte de Saint-Prix, au-dessus des vignesd'Oyes. Derrière les maisons du village, les hommesd'infanterie fourmillent : on les voit s'avancer versle marais par le ruisseau le Bonon. Des piècesviennent s'installer contre les enclos et les jardins.Le village est bombardé par les Français ; un nou-vel incendie s'allume à la maison Thibault (Nar-cisse). L'artillerie ennemie est aussi exposée à notrefeu ; les floconsblancs sontreconnaissables : ce sontnos obus. Amidi, je regarde du couloir : un officierallemand, jeune, parlant un excellent français, sansaucun accent, m'apostrophe : « Qu'est-ce que vousfaites ici? — Notre devoir, nous nous mettons àl'abri du bombardement avec des femmes malades

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110 LAMARNEEN FEU

t des enfants. — Pourquoi regardez-vous toujourscomme cela'? On vous voit à chaque instant delà-bas? (Il signale les derrières du village). — Nousregardons si la bataille s'éloigne. — Qu'est-ce quec'est que cela? (Il'désigne notre refuge). —Cesontdes grottes préhistoriques (il n'a pas l'air de tropcomprendre).—Combieny ena-t-il? —Quatre.—Les

gens de par ici bavardent beaucoup trop, j'ai lamission de fouiller. Tout le monde dehors! — Vouspouvez fouiller, vous ne trouverez rien. »Unefemmeest malade : il lui dit de ne pas se déranger. Les sol-dats alors, après un « heraus » guttural de l'und'eux, qui me fait au contraire des autres l'effetd'unebrute, nous font rentrer (les deux civils) en avant,fouillenttous les recoins, délient les gerbes d'avoinequi nous servent de couche ; l'officier décroche labêche du sac d'un homme cl cherche à creuser,scrute les parois, la voûte, tout en demandant enquoi c'est fait. Le linge, les ustensiles, ne sont pastouchés, M. Leblanc seul est palpé. A un certainmoment un soldat trouve ma grosse jumelle dansla paille et la tend à l'officier. M. Leblanc dit :« M. Roland, c'est votre jumelle. •—Oui, c'est majumelle. » L'instant est assez critique pour nous.L'officierl'examine et nous la rend. Nous respirons,Les femmes et les enfants peuvent rentrer. Nous,les hommes, devons marcher en avant et pénétrerles premiers dans les autres grottes. Arrivés à ladeuxième, sur l'invitation d'entrer, je réponds quema corpulence ne me le permet pas, l'ouvertureétant trop étroite : l'officier se contente alors d'exa-miner et de scruter le fonden yjetant des allumettes-tisons. Peu après nous sommes groupés dehors aumilieu de la plaine; les Français de là-bas nous ont

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LE CARNETDE1,'lNSTITUTEURROLAND 111

aperçus probablement, car un obus arrive dansnotre direction et éclate. Les Allemands, avec un

parfait ensemble, comme à la manoeuvre, font unsaut penché, plutôt une conversion. L'officier,pluscrâne, n'a fait qu'un léger mouvement et nous dit,car nous étions restés sur place : « 11ne faut pasavoir peur. Gen'est rien, cela ». .Teréponds : « Jen'ai pas peur. » Les deux autres grottes sont égale-ment examinées avec soin : deux médailles bronzeet vermeil (récompense agricole), perdues le samediet m'appartenant, sont retrouvées dans la paille.L'officierlit: Agriculture. « C'est à vous? » etil meles rend. Je suis resté dehors sur les marches pen-dant la dernière perquisition. Un jeune soldat, vingtans à peine, debout[surlavouledela grotte] etnousdominant, campé d'un air suffisant, les pouces pas.ses dans son ceinturon, regarde, satisfait, d'un air dedire : « Pauvres Français ! » Un de ses camarades,plus âgé, se lienlprès de moi; il peut avoir trente-cinqans ;sa physionomieest grave, presque timide; il tiresa montre â bottierde cornequi marque midi cinq; ilveut m'expliquer : « Midi ici •—Paris là », et sondoigt indique la petite aiguille à 1 heure. Je lui

réponds oui. Il parait rassuré. Dans son imagination;il se figure que Paris se trouve à 5 kilomètres der-rière les Marais et que les Français défendent lesapproches de la capitale.

La perquisition est terminée. Je demande à l'offi-cier si nous devons rester ou redescendre au village.Il me répond : « Vous pouvez rester ici, vous êtespeut-être plus en sùrelê qu'au village, onne sait pasce qui peut arriver. — [En ce cas] auriez-vous unmédecin pour notre femmemalade? —-Je ne sais sicelui du régiment est au village. Si je le trouve, je

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112 LAMARNEEN FEU l

vous l'enverrai. » —Nous n'avons rien vu. Je luidis encore : «Voilà des chevaux tués dans la plaine,près des maisons, ils sentent mauvais : c'est capabled'amener des épidémies. »Il merépond : «Qu'est-ceque vous voulez'?Partout où nous passons, c'est lamême chose. C'est triste, la guerre, surtout celle-ci,qui n'était pas nécessaire. On pouvait parfaitements'en passer. —Oui, quel désastre pour l'agriculture,l'industrie, le commerce et. la civilisation ! Est-cequevoustouchezauxcivils, au linge,aux meubles?—

Non.—J'ai une collectionà la mairie et j'aurais une

grande peine si elleétait brisée. Je suis l'instituteurdu village. — Depuis combien de temps ètes-vousici? — Dix-sept ans » — J'ajoute : « Vous parleztrès bien le français. Vous êtes donc venu à l'écoleen France? a Un « non » sec est la réponse et,sur ce, les voilà défilés vers le village en s'égail-lant.

J'ai oublié de lui demander un sauf-conduit pouraller chercher du pain. Vers le soir, M. Leblancveut redescendre aux provisions en profitant de lanuit et passant par les jardins. Nous nous y oppo-sons et nous avons bien fait, car il se serait embar-rassé dans leurs fils téléphoniques posés à terre entravers des chemins et reliant les batteries placéesderrière les maisons et le pré Canal au poste d'ob-servateur de Chenaille.Une des femmes,Mm°Barnier(Anatole),souffrebeaucoup d'un mal blanc au doigtqui lui est poussé subitement. Je lui ai conseillé dele mettre dans un oeuffrais. La douleur s'est apaiséepetit à petit et, le lendemain, elle ne souffrait pas.Nous avons fait un repas avec des pommes de terrefrites et des oeufs pour les femmes, mais le lard

manque; la lampe s'éteint, faute de combustible,et

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LE CARNETDEL'INSTITUTEURROLAND 113

nous mangeons avec les mains les pommes de terreà moitié crues.

Mercredi 9 septembre. — La bataille fait toujoursrage. Les incendies continuent de s'allumer, nousn'avons toujours pas de pain ; les enfants sucentun reste de chocolat; les grandes personnes serestaurent, avec un verre de vin qui creuse plutôtFeslomac. La situation intéressante de Mm°Landréadevient de plus en plus inquiétante : elle souffrebeaucoup. Comment va-t-on faire? Un événementsemblable ne doit pas se passer en présence defillettes. Les rafales de 75 arrivent toujours. Jedécide d'évacuer la grotte avec une femme,M'"0Barnier, et tous les enfants. Par une pluied'obusqui arrose la colline de Chenaille en passant par-dessus nos tètes, nous gagnons au plus tôt la2°grotte près du chemin. Le combat devient de

plus en plus violent ; les éclatements d'obus se

rapprochent. Dans l'après-midi nous croyons notredernière heure venue : les schrapnells tombent vio-lemment sur la toiture des grottes. Les enfantspleurent, lassés contre les parois. De 10 heures dumatin à la nuit, que nous attendons impatiemment,nous sommes sans nouvelles de nos voisins. Dans

l'après-midi, pendant un moment d'accalmie, nousouvrons la porte et sortons dans le couloir : unAllemand assez âgé, fusil à la main, -lirant forte-ment la jambe, passe en courant dans la directiondu village et du marais. Il dit .d'un air très, douxen passant : « Bonjour madame 1» Nous n'osonssortir pour jouir du spectacle. La nuji, si impa-tiemment attendue, arrive ; le canon français tonne

toujours ; les obus balaient .les pentes ; la l'une ne

CH.LKGorFin. 8

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114 I.AMARNEENFEU

se lève que plus lard et l'obscurité est grande. Je

me décide à mettre le nez'dehors et à aller, sous

une pluie fine, chercher des radis dans le champde betteraves voisin en bordure du chemin. Je sais

que je puis en faire provision. Je me traîne, en

pantoufles, dans la terre devenue grasse et collante ;

je veille et je guette ; l'ennemi passe à 50 mètres

de là sur la route de Gongy. Je perçois nettementles voix et les commandements, et je crains qued'autres n'arrivent par mon chemin de traverse. Jene suis qu'à moitiérassuré ; j'appréhende de tomberdans une vedette. Je làle les feuilles pour éviter

de me tromper et de me charger de betteraves. Jen'ai pas de couteau et ce n'est pas sans, effortsréitérés que je parviens à déraciner deux radisnoirs et un navet. A ce moment une auto, muniede deux puissants réflecteurs, remonte à touteallure la roule vers Congy : pour ne pas être

aperçu je nie couche à plat ventre. Ce doit être lecommencement de la débâcle et la fuitedes grandschefs. Je retourne vivement à la grotte. Jejelte unradis pour distribuer aux enfants et je cours en

porter un aux autres restés là-bas. Je n'entendsrien et je me demande s'ils ont été moins heureux

que nous. Un obus aurail-il fait des ravages? J'ap-.pelle bien bas : la porte s'ouvre. Je constate quetout va bien ; l'état de notre malade n'a pas empiréet nous pouvons tous nous réunir à nouveau.Chacun calme sa faim avec une rondelle de radis

qui nous pique la langue. M. Leblanc boit le

vinaigre d'unbocal à cornichons. Dehorsune longuesuite de chariots descend au pas vers le villagechercher très probablement les blessés. Ils revien-dront tout,à l'heure et toujourssans courir. D'autres

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LE CARNETDEL'INSTITUTEURROLAND 115

troupes passent. Vont-elles ou reviennent-elles ?On ne sait. Des bâtiments du château de Monde-ment flambent; une maison brûle dans la directionde Broussy ; des lueurs d'incendie partout, à Ville-venard, Oyes, Reuves, etc. ..(maisons brûléesErnest Vallat et Paul Gagneux, grange Oudiné,route de Reuves, et maison Thibault, Narcisse). Lecanon français lance encore quelques obus à inter-valles plus espacés, puis tout retombe dans lesilence de la nuit.

Il était temps : nous sommes énervés, légèrementdéprimés et nous disons : «Qu'ils passent ou qu'ilsreculent, mais que cette situation cesse ! » (L'état-major allemand occupait la maison Brochot.)

Jeudi '10 septembre. — Le lendemain, à b h. 30,au jour, toujours le môme silence. Nous nous hasar-dons à mettre le nez dehors et, n'apercevant riende suspect, nous nous disposons à regagner levillage, car nous avons l'intuition que le grand..drameest joué. A ce moment, le jeune vacher denotre voisin arrive nous apporter du pain. Plusd'Allemands à l'horizon. Nous "cheminons en fileindienne : chacun porte une partie du matérielamené. Quel soupir de soulagement s'échappe denos poitrines 1 Je ferme la marche et, au- tournantde la rue du Graud-Puils, je croise une douzained'Allemands qui remontent en silence vers Congy.Celui qui semble être le chef du détachement sedistingue des robustes et blonds Teutons; sa barbenoire, son physique maigrelet forment contraste.Il porte un tambour sur le dos et un brassard dela Croix-Rouge sur la manche. Il me demande enbon français où se trouve le 164» régiment. Je

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116 LAMARNEENFEU

réponds : « 11était au village.—Tout le régimentn'y étail pas. » Où le régiment étail-il? Je ne sais

pas et je m'empresse de continuer mon chemin elde lui brûler la politesse.11n'a pas l'air très rassuréet je ne liens nullement,à lui servir de guide. Nousrentrons à la maison : quel désastre!

Les vitres brisées par les schrapnells, les fusilsde chasse déposés à la mairie brisés dans la cour,le drapeau des sapeurs-pompiers et l'écharpe tri-coloredu buste de la République lacérés, lesvieuxsabres de sapeurs-pompiers plies, le tronc de lacaisse des écoles forcé et volé, les plus bellespiècesde ma collection emportées : bracelets argent,bagues or-sbronze, cuivre, monnaies el médaillesanciennes cl modernes (30 romainesl Romulus-Remus, Cérôs-Augusta, les enfants à la Louve,Louis le Débonnaire, Bonaparte aux Pyramides,Croix de soldat pontifical en argent, Croix de la

Légion d'honneur de 1830, palmes académiques,croixdu mérite agricole, médailles argent, vermeilel bronze de l'enseignement, pièces de b francsrares, etc). Tout est retourné de la cave au grenier.Le vin bouché, la limonade, l'eau de Vichy n'exis-tent plus. Nous marchonssur des pilesdo vaissellecassée el sur les restes de leurs orgies. Montres,bracelets et une foule d'autres objets manquent à

l'appel. Un tiroir secret du bureau de salon forcéet brûlé. Les chemisessont enlevéesavec beaucoupd'autre linge, dans les armoires bouleversées. Le

violon, le phonographe, l'appareil à projectionsont été forcés,une tirelire d'enfant éventrée et vidée.Aucuncoin n'a échappé aux investigations cupidesdes barbares qui convoitaient l'or, l'argent, les

objets de valeur et bibelots.

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LE CARNETDEL'INSTITUTEURROLAND 117

Près des bâtiments [scolaires], Gagneux (Adolphe)nous raconte avoir eu à subir les outrages et lescoups de manche de lance dans les reins de cava-liers, parce qu'un homme tué était tombé en face lafenêtre de l'évier [d'où soupçon], puis parce qu'ilne l'avait pas enterré, suivant les recommandationsmalgré et sous le bombardement. Les camaradesdu défunt lui avaient enlevé sa médaille d'identitéet donné au cultivateur un écrit au crayon surpapier d'emballage relatant rétal-civil du dit. Nouscreusons une fosse commune sur le sommet dulieu dit la Croix du Cour. Los plaques d'identité,les livrets, sont recueillis el déposés à la mairie,.le reviens, demandé à la mairie par un officier[français]. Un soldat allemand, callot sur la tôle,manteau sur le bras, sans armes, vient à marencontre dans le chemin de traverse, amené parM. Léon Langlois. Il m'aborde et me demande enbon français d'accent, lorrain de le conduire à uncommandant. Il s'est caché dans la cave du curéde Saint-Gondel il vient se rendre. 11en a assez docombattre les siens, dont beaucoup habitent lesenvirons de Nancy. Son village, dont je n'ai pasretenu le nom, est à 7 kilomètres de la frontière enLorraine allemande. 11a profité de la retraite deon régiment. C'est la première fois qu'il combat

enlro ligne : auparavant il était ordonnance; mais,à Vervins, son officier a été tué. Il a reçu dans lesMarais une balle au doigt majeur de la main droitedeux jours auparavant et il a besoin d'être pansé.Nous arrivons tout en causant au pré Canat etnous rencontrons un commandant du génie qui; àcheval, inspecte la plaine : deux autres officiers setiennent à ses côtés. Le prisonnier parle avec lui

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118 LAMARNEENFEU .

et répond aux questions qui lui sont posées. Leslarmes montent aux yeux du Lorrain et il se sentrassuré, lorsque le commandant lui dit : « Necrainsrien, mon ami, on ne te fera pas de mal, on va

soigner ta blessure et on te mettra un brassard dela Croix-Rouge.» Je continue mon chemin vers lamaison : l'officierqui me demandait est parti. Noustransportons des obus de 10b et des gargousscsabandonnées dans le pré Canat vers un champau-dessus de la maison d'école. Des habitantscreusent une large et profondetranchée pour mettreles bestiaux tués : 17vaches el chevaux, dont 8d'unobus dans l'écurie de la ferme Canat. D'autres vontles enfouir dans le marais. Sur les entrefaitesj'apprends qu'un Allemand et un civil âgé sanspapiers ont été trouvés tués côte à côte entreVillevenard et Courjeonnel (lieu dit Entre-les-deux-Chemins) et déposés dans la fosse commune deCour; un autre est inhumé sur le Moulin: quatresur les Gravelottes.

Le haut du village ,n'a pas souffert des obus

depuis la Poste jusque chez Brochot. Par contre, le

quartier Achille Guenon, Achille Ghéré, Léon Lan-

glois ont beaucoup souffert: bâtiments criblésd'obus, toitures crevées, pans do murs abattus. Lesmaisons de Thibaut (Narcisse),Vallat (Ernest), Ga-

gneux (Paul) et la grange Oudiné sont en cendres;les pressoirs Achille Guenon et Sommesous forte-ment endommagés ; la boutique Thibault Martialet petite maison veuve Oudin, face au midi, ôven-trées.

Chez Gré (Marie),67 vitres brisées. A l'église, lesvitraux descendus, le plancher du clocher cassé.Chez Léon Langlois, Maurice Jacquesson, écurie

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LE CARNETDE L'INSTITUTEURROLAND H 9

Narcisse, des obus clans l'intérieur, brisant le mo-bilier. Le portail de Gaston Renard démoli. Unobus à !a mélinite, près du soupirail de la caveDennevert, où se trouvaient des émigrés qui l'ont

échappé belle. Un-obus dans la maison Canat, au-dessus de la cuisine, n'a pas traversé le plancherheureusement. La maison du garde-champêtreMittelette est aussi en piteux étal. Le génie, pressé,nous abandonne, sans les faire éclater, les obus nontirés et nous recommande de les enterrer. L'après-midi nous allons avec le maire et le facteur faireune tournée dans le bois des Usages à la recherchedes morts ou des blessés. Un réserviste allemanda été enterré par ses camarades dans une tranchéed'artillerie sur les pâtis. Une croix de bois frusteel deux branches de chêne croisées en palme indi-

quent la tombe.Nous apprenons que M. Diard (Adrien), de la

ferme de Thoury, a été assez malmené. Sur sonrefus de boire un litre d'eau de Javel et pour avoirsouffléune chandelle, il a été enfermé dix-sept heuresdans une cave. Ensuite, muni d'un sauf-conduit

pour se diriger vers Congy, il est tombé dans desartilleurs allemands qui l'ont retenu prisonnier ; sursa demande un officier lui a donné à manger. Il a

pu profiler d'un moment de panique pour s'esquiverdans les bois et se réfugier à Baye. Aimée Guenon,

réfugiée dans la cave de son père, au hameau de

Voisy, y a donné le jour à un garçon au momentdu plus furieux bombardement. Ladauge (Maurice),fermier à Le Vieil-Andecy, menacé par les Alle-

mands, a dû se réfugier dans les bois qui avoi-sinent sa ferme.

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120 LAMARNÉENFEU

Vendredi ii septembre. — Nous allons enterrersix soldais ennemis dans les tranchées àu-dëssuset à l'ouest de Voizy. Là, les 7b ont dû pleuvoir.Tous lès 6ihq mètres, en moyenne, nous rencon-trons dés trôûs d'ôbûs. Un Allemand assez âgé,déjà chauve, est démoli-en deux dans son_abri.Deux autres faisaient lé café dans la cavité d'uneancienne carrière où ils pouvaient se croire ensûreté, lorsque la mort est venue les surprendre.Dès midi, j'accompagne le voisin Renard (Bénoni)à Reuves pour donner la provènde au bétail aban-donné de son fils. Lé facteur vient avec nous. Toutle long du ruisseau le Bohon, qui côtoie la roule,les Allemands ont laissé la trace de leur passage,dansle lit à sec, en deux filesindiennes. Toujours là,commeailleurs, dos bouteilles et des boîtes de con-serves vides. Les meubles de la maison isolée ditela Lune ont été jetés à l'eau pour servir de passe-relle sûr le Petil-Morih.Le pont avait été barricadéavec du grillage et une chaîne métallique àfaucar-der. Sur la route de Reuves, quantité de tranchéesel de trous d'obus. A l'entrée du village, vestigesd'une barricadé faite de troncs d'arbres et de pierressèches. Jusqu'à la rué de l'école, les maisons sontcomplôtementbombardéesbtenmajeureparlieincen-diôés ; le clocher est à jour, la toiture sud-ouestenlevée.Unlustre et la clochese maintiennentdeboutcommepar miracle. La couverture de la mairie estfortement endommagée. Un tirailleur s'est fait cal-ciner lé long du mur Mançuy, dont les bâtimentssont brûlés : les cartouchières et la chéchia sont làëiiéore. A l'extrémité sud du village, les quartiersde viande abandonnés répandent une puanteurinsupportable et il en sera ainsi tout le long de la

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LE CARNETDEL'INSTITUTEURROLAND 121

roule dé Reuves a Oyes. Les objets les plus hétéro-clites gisent abandonnés dans lés fossés.

Nous arrivons à Oyes. Là, dans un pré, destranchées allemandes larges et profondes et, auprès,dès caissons d'àrtillériè remplis de munitions.L'un d'eux a sauté et provoqué la panique : 8 che-vaux sont étendus avec des hommes et des équi-peihents. Dans le village, partout, des maisonsincendiées, des murs ôvcnlrés, la mairie cribléepar les schrapnells el dix-sept obus, un chevalennemi tout sellé étendu devant la grille aux bar-reaux lordus. Nous entendons des clameurs ou plu-tôt des hurlements de «A boire! » qui proviennentd'un pâté de bâtiments côté sud-otiest. Personnedans le village. Nous continuons notre chemin etnous finissons par rencontrer M. Royer et sa fillequi rentrent de Sézanne où ils étaient évacués. Chezeux, comme ailleurs du reste, tout est au pillage :trois Allemands sont étendus morts sur de la lite-rie dans la cave. Sur notre demande, la demoisellenous donne deux bouteilles d'eau et un verre, carnotre intention est d'allerporter à boire aux blessés,fussent-ils des ennemis. Ce sont des hommes aprèstout...

Nous poursuivons notre route. Près du pont, dessoldats français sont tombés, l'un dans ie caniveau,près d'une génisse éventréc, trois autres zouavesprès de la mare à gauche. Le quartier de maisonavoisinant est consumé. Dans la ruelle de l'égliseun lieutenant allemand, abattu avec son cheval,gisent tous deux le long d'un mur. Des blessés(60, paraît-il) sont dans l'église ; nous laissons auxmédecins le soin d'aller les panser et nous rebrous-sons chemin après avoir à nouveau aperçu des ca-

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122 LAMARNEENFEU

davres ennemis dans les cours et le cimetière.Nous revenons par Saint-Gond: trois Allemands

sont tombés près de la haie, au pied des noyers,en face la maison Gobin.Près du calvaire, un cais-son est abandonné. En face de l'ancien monastère,deux autres caissons, la roue de l'un emmanchéedans la pile du pont, ont été également dételés parl'ennemi qui fuiten toute hâte : les reliefsd'un repas,une boîte de conserves de tomates ouverte et non

entamée, desassiettes en ferbattu, desfourches, etc.,posées sur le derrière de la voilure, témoignentd'un départ précipité. Unsoldat adossé à un noyer,glace d'une main, mouchoir de l'autre, a été tué aumoment où il procédait à un brin de toilette. Nous

passons devant les bâtiments de l'ancienne abbayede Saint-Gondbombardée el à moitié incendiée.

Samedi 1Î septembre.— Nous faisons une excur-sion vers lenord-estdu territoire. Nousrencontrons

beaucoup de tranchées à parlirdes lieux dilsTouf-

y-Brùle,les Clos-Prieurs.Les Allemandsles ont con-solidées avec des betteraves arrachées dans le voi-

sinage. Despapiers, des cartes postales gisent par-tout, çâ et là éparpillées.

Dimanche i8 septembre.— Nous visitons le der-rière de la colline de Chenailles, le long du ruis-seau le Bonon : c'est là que se trouvaient abritées,cachées, des masses d'infanterie de réserve, soute-nues par les pièces de 110et de 150.

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EPILOGUE

OU LE MARECHAL FOCE ÉVOQUE

SES SOUVENIRS

DE LA PREMIÈRE MARNE

Morlaix,6 septembre1920.

Trôfeunleuniou \ la demeure d'été du maréchal.Foch, au bout, de sa seigneuriale avenue de tilleuls,s'estompe dans la brume. Il pleut, et les premièresrouilles de l'automne, si précoce- cette année, ontcommencé de tacher les feuilles. Le maréchal, quis'apprête à rejoindre M. Millerand à Paris pourl'accompagner dans son pèlerinage aux champssacrés de la Marne, veut bien interrompre ses prérparatifs de départ el me recevoir dans son cabinet,de travail.

— Asseyez-vous, me dit de sa voix brève le grandsoldat, et, si vous avez apporté votre pipe, sortez-la. Elle tiendra compagnie à la mienne... Et, main-

tenant, cher monsieur, que voulez-vous savoir demoi?

On ne biaise pas avec des hommes comme leo

1. OuTraofeunteuniou{leValdesFontaines).Surcetterési-dencede Focti,voiriioi.relivre: LestroisMaréchaux(Blond,édit.).

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124 LAMARNEENFEU

maréchal et je lui dévoile tout à trac l'ambitieux

objet de ma visite, qui esl de l'entendre évoquerpour mes lecteurs quelques-uns de ses souvenirs

personnels sur la première Marne.

— La première Marne ! me répond le maréchalen poussant vers le plafond une boufféede sa petitepipe de bruyère au liiyàù recourbé. Mais que vousen dirai-jequin'ait déjà étédit? Leschefs allemands,Bùlow, Kluck, îlausen, contestent notre victoire,paraît-il, et, vaincus en général, ils veulent avoirété vainqueurs chacun en particulier. C'est assezdrôle. Pour moi, la défaite allemande à la Marne,c'estl'histoire d'une musiquedésaccordée... Jusqu'au5 septembre, accord parfait — ou presque parfait.A partir dii 5, plongeon du chef d'orchestre : leGrand Quartier Général allemand pique Unetêtedans la trappe etlaisse les exécutants se débrouillertout seuls. Si encore ils s'entendaient 1Mais chacun

joue sa partie sans se soucier du voisin, el le résultaide cette cacophonie, c'est le fiasco militaire quevous savez.

— En d'autres termes, monsieur le maréchal,c'est l'Etat-Major allemand que vous rendez surtout

responsable de la défaite allemande?— Assurément et la responsabilité personnelle de

ses généraux ne vient qu'après. Les Allemandssont partis avec un plan tout fait, un plan rigide,un de ces plans commeil n'en ôclôt que dans lescervelles d'outre-Bhin et qui ne tiennent aucun

compte de l'imprévu, lequel est bien souvent,d'ailleurs, l'imprévisible. L'ordre, après Gharleroi,

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ÉPILOGUE 125

est de pousser les armées françaises l'épée dans lesreins et, pour Kluck particulièrement* de déborderet d'enrouler à marches forcées la gauche ennemie.El Kluch va de l'avant. I! fonce devant lui commeun buffle. Quand on étudiera plus lard ces marchesde Kluck, on sera stupéfait. Positivement, elles sontextraordinaires. Toujours obsédé par son idée d'en-

veloppement de la gauche française, il glisse devant

Paris, sans se méfier de Galliéni ; il continue dansle Sud à toute vitesse...

— 11y était attiré peut-être par le trou que le

repli, trop précipité, de l'armée anglaise avaitouvert entre elle et l'armée Franchet d'Esperey ?

— Oui, on l'a dit. Mais moi, je n'en suis pas biensûr. A la guerre on ne voit pas si loin, allez ! On nefait pas tant de combinaisons : c'est beaucoup plussimple, c'est le fameux « plan incliné » de Josephde Maislre, sur lequel on roule, on roule... jusqu'àla victoire finale... ou à la culbute. En l'espèce,dans des manoeuvres d'une aussi grande envergureet conduites à.cette allure vertigineuse, il est impos-sible qu'il ne résulte pas un certain décousu dansles mouvements. Ça s'est produit, surtout vers la

fin, dans la manoeuvre allemande en direction deParis, puis de la Marne. Mais, dans la tête des

grands stratèges de Berlin, il élait entendu que toutdevait se dérouler comme sur le papier, sans ani-croche, sans à-coup'. Et voilà qu'au plus beau de lamanoeuvre Kluck est mordu au flanc par Galliéni.Le dôcousu's'accuse. Il n'y avait qu'un moyen .des'en tirer pour le G. Q. G. allemand ; c'était deserrer la trame, de reprendre en main .ces armées

déjà flottantes, qui ne tenaient plus les unes auxautres, que par des fils si légers... Et que fait le G.

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Q. G. allemand ? Le G. Q. G. allemand, qui est à

Luxembourget encore seulement depuis le 30août,ne faitrien, ne dit rien. ALuxembourg! Voyez-vousle G. Q. G.de Joffre installé à Lyon ou à Marseille?

— En effet.— Et puis voilà qu'en môme temps que Galliéni

tombe sur Kluck,loutes les autres arméesfrançaisesse redressent el se mettent à cogner à tour de brassurBùlow, Hausen, Wurtemberg,le kronprinz. Ah!cette fois ce n'est plus du décousu, c'est le désarroicomplet. L'un tire à hue, l'autre à dia. Mollkeest

impuissant à ressaisir les rênes qui lui ont échappé.Il semble ignorer tout de la bataille, et l'aveugle-ment d'en haut descend sur le commandementsubalterne et. de celui-ci, sur les troupes. Beauxfruits de l'orgueil allemand.de sa confiance imper-turbable dans les plans « rigides » dont la pre-mière et si rude expériencedelà Marne, dont l'Yseret Yerdun même ne le guériront pas. « Chassezlenaturel, il revientau galop» .comme ditlefabulisle.A preuve l'anecdote que voici el que je tiens du

bourgmestre de Spa, M. de Kroweck,qui, pendanttonte la guerre, demeuradans sa chargeetme paraîtdonc un témoin de tout repos. Le 8 juillet 1918,à laveille de la suprême offensiveboche, grand brou-haha dans toute la ville, où le kaiser, commevoussavez, avait son Quartier Général. On bâfre, ontrinque, on hurle, c'est la gogaille classique quiprécède là-bas tous les grands coups. Et celui-cidoit être de taille, car on déménage déjà les éche-lons et jusqu'aux guérites des factionnairesdevantla villa dukaiser. Le bougniestre, inquiet, s'informediscrètement. « On part pour Versailles ! » luirépondent les factionnaires. Tout simplement... Je

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ÉPILOGUE .127

ne sais pas si les guérites rappliquèrent. Ce qu'il ya de sûr, c'est que le 20 ou le 22 — je n'ai plus ladate bien présente à l'esprit —le bourgmestre voyaitrevenir à Spa le kaiser et sa suite, l'oreille basse.Il n'était plus question du voyage à Versailles :

'

Gouraud etMangin, sur lesquels on ne comptait pas,y avaient, coupé court.

Le maréchal s'arrête pour débourrer sa pipe et

je dépose la mienne par déférence.—Revenons à la première Marne, continue mon

illustre interlocuteur. Oui, nous avons passé là derudes, mais aussi que de belles heures I Je me rap-pelle surtout ce soir du 9, où la 42»division, que jevoulais lancer dans le liane de Hausen, se faisaittant attendre. Grossetti arrive enfin, un peu lard.Oh! ce n'était pas de sa faute : on ne «décolle » pastoujours comme on ve'.ull II est 5 h. 30 du soir.J'ai donné l'ordre de reprendre l'offensive sur toutela ligne, mais on est si las I Grossetti lui-même, labravoure faite homme, n'ose pas trop s'aventureren pays inconnu et s'arrête pour reprendre l'attaqueau malin. Et, brusquement, vers minuit, un coupde téléphone : «Nous sommes dans la gare de Fère-

Ghampenoise. » Je sursaute. « Qui, nous? — Lecolonel Simon, de la division Moussy. » Et Moussylui-même qui n'en savait rien, ni Dubois! Ce sontles surprises de la guerre. Je réponds : « Ala bonneheure ! Bravo ! Bourrez 1 Bourrez t » Et en même

temps je crie à toutes mes divisions : oGrand branle-bas ! En avant, Grossetti! En avant, Humbert! En

avant, Baltesti ! En avant, Lefôvre ! Vous n'en pou-

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vez plus, Radiguet? Ça m'est éga} : à o h. 30,tous vos éléments en action, allez ! Je ne veux riensavoir... » Parbleu, chacun avait de bonnes raisonspour se défiler. J'étais sourd à tout, parce qu'on sefiche de tout, qu'on doit se ficher de tout, dans cesmoments-là... J'arrive moi-même à Fère-Champe-noise vers midi. Je n'ai jamais vu spectacle pareil.Littéralement, on ne pouvait avancer ni en auto, nià cheval, ni à pied, tellement les rues étaient héris-sées de tessons de bouteille. Ah! ils en avaientfaitune noce, la veille, messieurs les Boches, une tellenoce que des centaines d'entre eux cuvaient encoreleur vin dans les caves. J'en ai vu sur les toits quicouraient comme des lapins de gouttière et qu'ontirait à la volée. Et je vois aussi le général Dubois,le commandant de mon 9°corps, dont un des élé-ments venait de réussir le joli coup de surprise surFère, s'en venant à ma rencontre, son orteil endom-magé sortant de la botte droite. 11était avec sonchef d'ètal-major Nourrisson. «Eh bien, vous voyez,Dubois, Nourrisson, ça ne va pas trop mal !Allons,à l'ouvrage 1 II y a encore à faire. » Je voulais

pousser tout de suite sur Morains, mais le colonelGoffecs'interposa : « Vous n'y pensez pas, mon

général. La roule est prise d'enfilade derrière lacrête par l'artillerie boche. C'est à peine si l'on esten sûreté dans la gare. — Va donc pour la gare ! »Le toit flambait au-dessus de nous pendant quenous piochions nos cartes. Des poutres craquaient.On n'y faisait pas attention... Les troupes, c'estcomme des vibrions : ça ne demande qu'à valser,mais il faut leur donner le mouvement, l'impul-sion, régler la danse. Gros travail. Je n'en pouvais

'

plus à la fin de la journée. J'ai dormi, cette nuit-

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ÉPILOGUE 129

là, d'un sommeil de plomb. Et pourtant c'était àla mairie de Fère, pleine d'allées, de venues, aumilieu d'un bruit infernal, sur un vieux matelas

qu'on avait étendu pour Weygand et pour moidansune pièce sonore comme une cloche. A minuit, onme réveille pour m'annoncer que le G. Q. G.venaitde me faire grand-officierde la Légion d'honneur.« Bien! Bien! » dis-je. Et je repique du nez sur ma

paillasse. Une demi-heure après, nouveau réveil enfanfare : « Mon général, le Grand Quartier vousenvoie des cigares et des couvertures. » Ça, parexemple, ça.valait mieux qu'un grognement. On

grelottait par ces nuits de septembre et, depuishuit jours, nous n'avions pas « touché »une miettede tabac!...

Ce disant, le maréchal, avant de bourrer unenouvelle pipe, me tend sa blague, — « du caporaltout ce qu'il y a de plus ordinaire », me prôvienl-il,mais que, fervent de la pipe comme lui, j'ai le mau-vais goût aussi, comme lui, de préférer à tous lestabacs prétendument supérieurs. Quelques boufféesjumelles vers le plafond, pour évoquer ces cruellesminutes où, contre le cafard et les obus boches, onn'avait même pas la ressource d'une simple ciga-rette, et le monologue du grand soldat reprend :

—J'ai eu de bons aides, des lieutenants d'une ar-deur et d'une intelligence admirables dans ces jour-nées de la première Marne, mais j'en ai eu aussique, volontiers, j'enverrais encore à tous les diables.Passons 111ne faut pas assombrir par des récrimi-nations personnelles, si légitimes soient-elles, des-commémorationscomme celle que nous allons célé-

GH.LEGOFL-IG. 9

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brer. Malgré les erreurs des uns, les défaillancesdes autres, on a été vainqueur sur toute la ligne.Et c'est l'essentiel,n'est-ce pas? Ah! elle n'était pasdésaccordée chez nous, la musique ! Joffre tenaitsolidement son bâton de chef d'orchestre et on yallait tous, à son commandement,du mêmerythme,du môme coeur.Les Boches ont beau ergoter, chi-caner notre victoire, traiter de légendes des faits àla vérité quelquefoisgrossis ou défiguréspar l'ima-

gination populaire...— Gommel'enlisement de la Garde aux Marais

deSaint-Gond,par exemple,monsieur le maréchal?— Précisément. Ona dit quecette histoire de l'en-

lisement de la Garde à Sainl-Gond, c'était, à centans de dislance, l'histoire des marais d'Auslerlilz,sur la glacs desquels l'artillerie de Napoléon avaitdémoli et noyé, au rapport des témoins et de tousles historiens subséquents, je ne sais combien demilliers de Russes, el il n'y avait qu'un malheur àl'histoire, c'est que les étangs n'étaient pas gelés.Cependant,je vais vous étonner : la légende de l'en-lisement de la Garde à Saint-Gondn'est pas tout àfait une légende. La Garde prussienne, le 6, avaittraversé les Marais et s'était emparée de Bannes,qui est à l'une de leurs extrémités.Mais, quand elleen voulut déboucher et pousser sur Fère, elle fut

prise par l'artillerie du colonelBessedans une telletrombe de feu qu'il y avait de quoi dégoûter à tout

jamais les survivants, s'il en restait, de l'envie derecommencer. Eh bien 1ils recommencèrent... Oh!cette armée allemande de 1914,il n'y a pas à dire,c'était un outil magnifique.Jamais l'Allemagne n'aretrouvé par la suite d'armée de cette trempe.Quatre fois la Garde, avec un courage, un entête-

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EPILOGUE 131

ment auxquels il faut rendre hommage, essaya dedéboucher de Bannes ; quatre fois ses colonnes os-cillèrent, tourbillonnèrent. La' Garde, ou du moinsla fraction de ce corps qui s'était glissée dans Ban-nes, eut vraiment là son tombeau. Et, comme Ban-nes, je vous le répète, est. au bord des Marais deSaint-Gond, c'est sans doute ce qui a donné nais-sance à la légende de l'enlisement de la Garde dansces mômes marais...

11y avait une heure que le maréchal feuilletaitdevant moi sa mémoire. Sous le charme de cetteparole si alerte et si prodigieusement vivante, je meserais bien gardé de l'interrompre, quand elle eûtcontinué toute l'après-midi. Mais on annonça unevisite : le général Prax, en tournée d'inspection àMorlaix,et, après m'être confonduen remerciementsprès de mon hôte, pour son extrême condescen-dance et l'intérêt passionnant des souvenirs qu'ilavait bien voulu évoquer à l'intention de mes lec-teurs, je quittai Trôfeunteuniou, dont un rayon desoleil, perçant, le maussade plafond des nuées,.do-rait maintenant le perron où jouait un des-pètils-r'fils du grand soldat. / .:-'''

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/i r, TABLE DES PLANCHES

. PLANCHEI. — Mondement Couverture.

PLANCHEII. — Foch à la Marne 12

PLANCHEIII. — Les marais de Saint-Gond. . 00

PLANCHEIV. —Gourgançon 80

PLANCHEV. •—Pontdétruit sur le Petit Morin. 92

PLANCHEVI. — La'grande tombe de Lenhar-rôe 102

PLANCHEVII. — Carte 132

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TABLE DES MATIERES

PREMIERE PARTIE

I. — La Marne I

II. — Les débuts de Foch à la tète de la 9°ar-mée 11

1IL — Les préliminaires de la Marne .... 37

IV. — Le théâtre du drame . 38

V. — La première phase de la lutte 64

VI. — La victoire 71

DEUXIÈME PARTIE

I. — Le carnel du général Moussy 90

II. — Le carnet du sergent Charles Penther . 99

III. — Le carnet de l'instituteur Roland . . . 105

EPILOGUE.— Où le maréchal Foch évoque sessouvenirs de la première Marne 123

KVKKUX,IMPH1MEMEOH.HÉKISSKY(3-1921)

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La Collection«.La France Dévastée »parait sousle.patronage du ComitéFrance-Amérique

et du Tonring-ClubdeFrance.

OFFICE NATÏOÏVA.Ï.»U TOURISME11,rue de Surine, Paris.

L'Officenational du Tourisme,rattaché au Minis-tère des Travaux publics,a pour missionde recher-chertouslesmoyenspropresàdévelopperletourisme.11provoque dans ce but toutes initiatives admi-nistratives et législatives et prend toutes mesurestendant à améliorerles conditionsde transport, decirculation et de séjour des touristes. 11coordonneleseffortsdesgroupementset industriestouristiques.Il organise la propagande touristique à l'étranger.

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