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Cahuc P., Carcillo S., Galland O. et Zylberberg A., La machine à trier : comment la Francedivise sa jeunesse, Edition Eyrolles, Coll. La nouvelle société de l'emploi, 2013

(1ère édition 2011)

Introduction

La Machine à trier est un ouvrage d'analyse sociologique écrit par d'auteurs publié pour lapremière fois en 2011. Les auteurs sont Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo, Olivier Galland et AndréZylberberg. Pierre Cahuc est professeur d'économie à l'Ecole Polytechnique et dirige le laboratoirede macroéconomie du Centre de Recherche en Economie et Statistique de l'INSEE. StéphaneCarcillo est maître de Conférences à l'université Paris 1 Sorbonne et professeur associé audépartement d'économie de l'IEP de Paris. Olivier Galland est directeur de recherche au CNRS ; ildirige le Groupe d'Etude des Méthodes de l'Analyse Sociologique de la Sorbonne. AndréZylberberg est directeur de recherche au CNRS et est membre du Centre d'Economie de laSorbonne et de l'Ecole d'Economie de Paris. Ces auteurs expliquent qu'il existe deux catégories dejeunes en France : ceux pour qui la jeunesse est un passage permettant d'accéder à l'autonomie et àun emploi stable, et les autres, qui rencontrent beaucoup plus de difficultés dans cet accès àl'autonomie et à l'emploi. Ces difficultés les mènent parfois à une pauvreté durable, voire à une vieen marge de la société. Les auteurs s'appuient sur différents sondages, études statistiques et travauxde sociologues pour donner les différents facteurs explicatifs de cette division. Quels sont donc cesfacteurs ?

Dans un premier temps, les auteurs montrent que, contrairement aux idées reçues, les jeunesquels qu'ils soient n'ont pas renoncé aux valeurs qui constituent le socle de l'intégration sociale : letravail et la famille. Mais les jeunes les plus défavorisés estiment souvent inaccessibles cesobjectifs. La frustration qui en découle atteint leur sentiment d'appartenance à la société, leurcivisme, ils sont donc peu intéressés par la politique et plus méfiants envers la démocratie. Puis,dans un second temps, les auteurs expliquent que le système scolaire ne fait qu'accroître lesinégalités de base et met beaucoup de jeunes (surtout issus des milieux défavorisés) en échec àtravers une sélection sur les résultats. Enfin, dans un troisième temps, cet ouvrage montre quel'organisation actuelle du marché du travail français renforce le clivage entre les deux jeunesses. Lesjeunes les plus défavorisés et éliminés par l'école parviennent donc rarement à accéder à un emploistable et ils ne bénéficient alors ni d'aides ni de protections sociales suffisantes pour sortir de leursituation économique difficile.

Chapitre 1 - La montée des inégalités au sein de la jeunesse

Les jeunes connaissant un taux de chômage bien plus important que les générations précédentes :fin 2010, les 15-24ans étaient trois fois plus touchés par le chômage qu les 25-49ans. Bien que lechômage des jeunes soit un phénomène que l'on retrouve dans tous les pays, ce rapport est plusélevé en France que dans les autres pays comparables de l'OCDE. Le chômage est également enFrance plus stigmatisant qu'ailleurs (sauf en Espagne).On observe également une différence d'accès à l'emploi parmi les jeunes : un groupe s'en sort etl'autre non. L'origine sociale est souvent donnée comme explication à ce phénomène mais le facteurexplicatif essentiel est le niveau d'étude. L'origine sociale a un impact sur le niveau des diplômesdes jeunes, que la démocratisation scolaire a dans une certaine mesure limité. Les jeunes non-diplômés sont surreprésentés dans les ZUS mais ces jeunes ne représentent cependant que 12 % dela population des non-diplômés. En outre, bien que les jeunes non-diplômés soient principalement

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d'origine française (ils représentent 67 % des 18-30ans sans diplôme), les enfants d'immigrés sontpénalisés à trois niveaux : dans leurs études (par exemple 37 % des jeunes issus d'Afrique, Maghrebcompris, sont sans diplôme), dans leur accès à l'emploi et dans leur rémunération.Le marché du travail amplifie par la suite l'inégalité entre les jeunes diplômés et ceux qui ne le sontpas, et l'écart n'a fait que croître ces dernières années, en particulier avec la crise financière de 2008.Les non-diplômés sont défavorisés sur le plan de l'accès à l'emploi mais aussi sur celui de la qualitéde l'emploi occupé (seulement un tiers d'entre eux sont en CDI contre trois quarts des diplômés dusupérieur trois ans après la fin de leurs études). Toutefois, on remarque que, par rapport aux années80, tous les jeunes accèdent plus difficilement à un emploi stable aujourd'hui.Les jeunes, et en particulier les jeunes non-diplômés, se sentent défavorisés particulièrement dansles domaines économiques et professionnels. Ce qui ne se traduit cependant pas pour eux par unconflit entre les générations . D'ailleurs ils jugent que les inégalités d'âge sont parmi les inégalitésles moins marquées. Ils accusent plutôt l'organisation sociale de les maintenir très longtemps enmarge de la société, temps qui peut, de plus, s'allonger avec le manque ou le peu de qualification.L'image des jeunes (jeunes et adultes partagent globalement la même vision) en France se situe dansla moyenne européenne, c'est-à-dire ni très bonne ni très mauvaise. Cependant, si les français nemanifestent pas d'hostilité vis-à-vis des jeunes, ils conçoivent difficilement que ceux-ci puissentoccuper des postions élevées ou jouer un rôle éminent, notamment occuper des postes de direction.Une enquête sur l'ouverture aux jeunes dans les pays d'Europe classe donc la France dernière.

Chapitre 2 - Des aspirations contrariées, un défaut d'intégration

Les auteurs s'appuient ici sur diverses enquêtes françaises et européennes et particulièrement celleréalisée sur les valeurs en France en 2008Le schéma classique, toujours valable aujourd'hui, du passage de la jeunesse à l'âge adulte (c'est-à-dire l'accès à l'indépendance) se fait par l'obtention d'un emploi stable puis l'accès à un logementindépendant, et enfin par la fondation d'une famille. Ainsi d'après plusieurs enquêtes les jeunes(diplômés ou non) ont tous envie d'accéder à l'indépendance, et la famille et le travail sont pour euxdes valeurs essentielles. Ils sont également majoritairement satisfaits de leur emploi. Il n'y a doncpas, contrairement à l'idée commune, de rejet du travail chez les jeunes. Les jeunes non-diplômésvalorisent cependant plus que les diplômés le fait "d'avoir des responsabilités" au travail et lasécurité de l'emploi. Le travail est considéré comme un devoir social par la majorité des jeunes, bienque ce soit un peu moins le cas des non-diplômés dont une partie plus importante que les diplômésestime que le travail est un devoir moral. Ceux-ci se considèrent plus défavorisés que les diplômésdans plusieurs domaines : études, logement, revenus, frustrations face aux biens nouveau (écransplats, téléphones portables…) et inégalités liées aux origines ethniques.Sur le plan des mœurs, les jeunes non-diplômés sont beaucoup plus conservateurs (opposés àl'avortement, condamnant plus sévèrement l'usage de drogues douces, etc...) que les jeunes ayantfait des études générales ou supérieures. Ils ont également une vision plus traditionnelle de lafamille notamment en ce qui concerne la différenciation des rôles homme/femmes. Ils ont donctendance à rester à l'écart de "l'individualisation" de la société (comprise, ici, comme une libertétotale de choix dans la manière de vivre sans pressions religieuses, morales ou idéologiques).Les Français en général ont peu confiance en leurs concitoyens et sont peu civiques. C'est unphénomène ancré dans la culture nationale. Mais si les jeunes se méfient de leurs concitoyens autantque leurs parents, ils sont encore moins civiques et c'est particulièrement le cas des jeunes non-diplômés. Par exemple, alors que 32 % des plus de 25ans considèrent qu'il est injustifiable depercevoir indûment des transferts sociaux, ce n'est la cas que de 15 % des jeunes Français de 25anset moins. Les jeunes, qu'ils soient ou non diplômés, ne s'opposent cependant pas massivement auxnormes qui régissent la vie publique : par exemple 75 % des jeunes « trouvent que c'est une bonne

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chose qu'on respecte davantage l'autorité ». Les jeunes non-diplômés sont donc plus inciviqueslorsqu'il s'agit de la fraude aux allocations ou de la fraude dans les transports, sans doute en raisonde contraintes matérielles et financières.L'incivisme des jeunes non-diplômés est inversement corrélé à la politisation, à la participation à lavie associative, à la confiance dans les autres et les institutions, à un sentiment d'appartenance pluslarge que la localité et à une forte implication dans le travail. On peut donc là-aussi distinguer deuxjeunesses : les diplômés qui ont le sentiment d'appartenir à un cadre collectif dans lequel ils vonts'intégrer et les non-diplômés qui se sentent plus mis à l'écart et se replient sur la sphère privée oules attaches locales.Bien que la plupart des jeunes (et c'est particulièrement le cas chez les non diplômés) estiment quela valeur égalité est plus importante que la valeur liberté et bien qu'ils soient sceptiques quant àl'efficacité du marché du travail pour trouver un premier emploi, ils ne soutiennent pas pour autantune conception étatiste de l'économie. Cependant les jeunes non-diplômés adhèrent majoritairementà une conception « égalitariste » (en raison de leur plus faible confiance dans un fonctionnementéquitable du marché du travail) de la société alors que les jeunes diplômés défendent plutôt uneconception « méritocratique ». Mais tous les jeunes français voudraient que les efforts individuelssoient mieux prix en compte, que l'implication dans le travail soit mieux récompenséeindépendamment du niveau d'étude ; alors qu'actuellement c'est le diplôme qui joue un rôleimportant dans le classement social en France, ce qui stigmatise et discrimine les jeunes non-diplômés.

Chapitre 3 - Un désinvestissement politique et des risques de radicalisation

Comparé à la moyenne des 98pays du Word Values Survey (représentant environ 90 % de lapopulation mondiale), les Français sont nombreux à n'avoir aucun intérêt pour la politique et c'estparticulièrement le cas chez les jeunes. L'intérêt pour la politique est lié au niveau d'étude : 53 %des jeunes n'ayant pas le bac se désintéressent totalement de la politique. Le désintérêt pour lapolitique ne manifeste pas un manque d'opinion : les personnes, qui ne sont pas intéressées par lapolitique, pensent généralement que la démocratie n'est pas la meilleure forme de gouvernement. Lacritique de la démocratie s'accompagne généralement d'opinions extrémistes sur le changementnécessaire de la société et par de la sympathie pour les gouvernements autoritaire. Si la majorité desjeunes est favorable à la démocratie, les jeunes non-diplômés sont plus sceptiques que les jeunesdiplômés quant à son fonctionnement effectif (sur le plan économique, sur sa capacité à maintenirl'ordre…). Ce rejet de la démocratie et de la politique est sans doute dû à leur manque de confiancedans les institutions ; ce déficit de confiance risque de mener, selon les auteurs, à une fragilisationdu soutien à la démocratie et de favoriser les mouvements xénophobes.Les Français dans leur ensemble ont un penchant pour la manifestation comme mode d'expressionpolitique et chez les jeunes diplômés c'est également le cas. Mais seulement 18 % des jeunes nondiplômés, issus de l'enseignement professionnel ou de groupes sociaux peu favorisés disent avoirdéjà manifesté (contre 49 % chez les diplômés). Les émeutes dans les banlieues parisiennes en 2005étaient plus une révolte mettant en jeu une demande de reconnaissance des jeunes qui se sententabandonnés (sur-chômage des jeunes des cités, échec scolaire important, sentiment dediscrimination…).La faible participation des jeunes aux élections est une constante mais leur désintérêt pour lapolitique a augmenté ces dernières années et ce désintérêt est plus marqué chez les jeunes non-diplômés (lorsqu'on leur demande s'ils voteraient au cas où des élections nationales auraient lieudemain, 52 % déclarent qu'ils ne voteraient pas contre 16 % des diplômés). Ainsi, le sentimentd'intégration des jeunes non-diplômés paraît aujourd'hui affaibli. Ces jeunes, qui auraient des motifsd'exprimer des revendications ou des sentiments de révolte contre leur situation, sont peu enclins à

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le faire, ce qui souligne leur sentiment d'exclusion qui semble aboutir à une forme de résignation etde repli identitaire.

Chapitre 4 - Les jeunes et la politique : défense d'entrer

Les jeunes sont très peu présents en politique en France : pour un député de moins de quarante anson trouve douze députés de plus de 60ans, et aucun député n'a moins de trente ans. L'âge moyen dessénateurs en 2008 était de 62ans. Cet âge avancé des élus français, plus important que dans lesautres démocraties européennes, s'explique principalement par la possibilité de cumuler desmandats dans l'espace et dans le temps. Cette pratique est peu courante dans d'autres paysdémocratiques européens puisque le cumul est souvent limité par des dispositions législatives oubien dans la pratique en raison de la culture du pays.

Chapitre 5 - Le poids de la famille

Dans tous les pays, l'accès aux études, à l'emploi et à l'indépendance dépend de l'origine familiale.Ainsi en France, un jeune ayant un père ouvrier aura 2 chances sur 10 d'obtenir le baccalauréatcontre 6 chance 10 si son père est cadre ou technicien. En outre, les jeunes issus de milieux sociauxfavorisés sont en meilleure santé, ont une plus grande espérance de vie, sont moins souventdélinquants, au chômage, ou occupant un emploi instable. Ils perçoivent également des salaires plusélevés et ils sont généralement plus heureux.La réussite scolaire et l'insertion professionnelle et sociale des jeunes sont fortement liées auxcapacités individuelles des jeunes (l'auteur s'appuie ici sur les travaux de Mathilde Almlund, AngelaLee Duckworth, James Heckman et Tim Kautz). Ces capacités sont cognitives, mesurées par destest de QI, et non-cognitives, mesurées par des tests psychologique pour évaluer les traits depersonnalités. A seize ans, les jeunes des milieux favorisés ont en moyenne des capacitésindividuelles différentes des jeunes des milieux plus défavorisés. C'est ce qui explique leur plusgrande réussite, leur meilleur état de santé et leur plus longue espérance de vie. Les inégalités sontdonc établies dès le plus jeune âge de l'individu. L'hérédité compte pour moitié dans l'explication deces capacités. L'autre facteur important serait l'environnement (en grande partie familial) : lescapacités cognitives évoluent en fonction de l'environnement jusqu'aux dix ans de l'enfant et lescapacités non-cognitives jusqu'à ses 21ans. C'est surtout sur la qualité de l'environnement en dehorsdu milieu scolaire que les contraintes financières et l'éducation des parents jouent un rôle. En effet,la réussite scolaire dépend en grande partie du confort psychologique et sanitaire des enfants. Lareproduction sociale est donc liée à ce qui se passe dans la famille lors de l'enfance et del'adolescence.Le développement des capacités pourrait être compensé (ce qui est en réalité rarement le cas) àpartir de l'adolescence par un soutien psychologique ou financier de la part des parents, ou bien parla mise à profit des éventuels réseaux de relations des parents pour aider leur enfants à accéder à desformations ou à des emplois, ou au moins les aider à trouver des bonnes informations. Les jeunesdiplômés du baccalauréat ou d'un équivalent et plus disposent d'un plus grand soutien financier(pour le loyer par exemple) et psychologique par rapport aux non-diplômés, qui se sentent donc plussouvent isolés, et restent plus longtemps vivre chez leurs parents.Pour augmenter l'égalité des chances, les auteurs défendent donc l'idée qu'il faut agir dès le plusjeune âge sur les capacités cognitives et non-cognitives, comme le fait, par exemple, le PerryPreschool Project dans l’État du Michigan. D'après les auteurs, pour les adolescents et jeunesadultes ayant décroché du système scolaire et généralement peu aidés par leur famille, seules des

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actions adaptées peuvent avoir des effets significatifs, via des programme longs et intensifs, parexemple les Job Corps : un programme américain fondé en 1960. Si ces dispositifs semblent plutôtefficaces et s'ils commencent à se développer depuis quelques années en France, leur efficacité n'ajamais été réellement prouvée et les compétences acquises lors de ces programmes manquent dereconnaissance vis-à-vis des employeurs, ce qui limite leur développement. Ce dernier estégalement freiné par leur coût important.

Chapitre 6 - L'école : au cœur de la machine à trier

Le niveau scolaire français d'après l'enquête PISA 2009 se situe dans la moyenne et ces dernièresannées le niveau a globalement monté. Ce niveau moyen masque les inégalités, qui ont d'ailleursaugmenté en même temps que le niveau global. La France est ainsi parmi les premiers pays pourl'élitisme et les inégalités suscités par son système scolaire, qui, au lieu de résorber les inégalités dedépart, au contraire les amplifie. Les écarts entre élèves s'observent dés l'école primaire : 4 enfantssur 10 sortent de CM2 avec des lacunes en lecture, écriture et calcul. Ces enfants sontmajoritairement issus de milieux défavorisés. Au terme de la scolarité obligatoire environ 20 % desélèves n'ont pas les compétences de base en lecture et 1 jeune sur 5 n'a pas de diplôme dusecondaire ou uniquement le brevet des collèges. C'est le milieu familial notamment via le « capitalculturel » (plus ou moins proche de l'univers scolaire) qui explique les différences de performancesentre élèves. En effet, les programmes scolaires valorisent la culture des catégories socialementfavorisées (maîtrise d'un savoir mathématiques et théorique et maîtrise de la langue française). Désle collège le système très académique pénalise ceux qui ont plus de mal à s'adapter, les évaluations àrépétition dévalorisent et contribuent à l'échec des plus faibles, et le travail hors temps scolaire étantimportant il profite à ceux qui disposent d'un soutien à domicile ou peuvent bénéficier de coursprivés.Les jeunes qui échouent à l'école voient cette dernière comme une institution qui les rejette et laplupart ont subi une orientation par l'échec, c'est-à-dire un processus d'affectation autoritaire à la findu collège non en fonction des goûts mais des résultats scolaires. Ce système d'orientation estsource d'abandon et d'échec. Ce dispositif devrait plus prendre en compte le choix etl'expérimentation, éléments culturels communs à toute la jeunesse (et n'appartenant pas seulementcelle issue des milieux favorisés). Dans le cas des études supérieures, 20 % des jeunes ayant entamédes études après le baccalauréat abandonnent leurs études sans diplôme généralement parce qu'il nesont pas assez pourvus en "capital social" (c'est-à-dire en réseaux de relations et de connaissances)pour s'en sortir.Il existe deux manières d'enseigner différentes : l'enseignement "vertical" (comme en France) quimet l'accent sur la relation maître-élève dans le sens où les professeurs délivrent des coursmagistraux, posent des questions aux élèves et ceux-ci prennent des notes et lisent des manuels, etl'enseignement "horizontal" (comme au Danemark, en Finlande…) où les élèves travaillent engroupe, réalisent des projets communs et ce sont plutôt les élèves qui posent des questions auxprofesseurs. Ces méthodes influencent, négativement pour la première et positivement pour laseconde, le "capital social" des élèves, celui-ci étant dans ce cas la confiance qu'ils acquièrent poureux-mêmes et celle qu'ils projettent dans les autres et les institutions. Ce capital n'est donc pasuniquement dépendant de la culture du pays dans lequel la personne vit ou de son milieu familial,mais aussi de l'enseignement qu'il reçoit. Donc si on veut que les Français aient plus confiance dansles autres et les institutions, il faut changer la méthode d'enseignement.En outre, l'école française fonctionne sur un système de classement et de compétition entre élèves.André Antibi, professeur à l'université Paul-Sabatier de Toulouse, a montré que les enseignants,pour paraître, crédibles se sentent obligés de donner environ un tiers de mauvaises notes. C'estpourquoi de nombreux élèves (et il s'agit généralement des jeunes issus des milieux les plus

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défavorisés et donc éloignés des codes et de la culture scolaire) vont obtenir de mauvais résultatsscolaires, quels que soient leur bonne volonté et le travail qu'ils fournissent. De plus, le diplôme estvu en France comme un titre qui confère des droits et une place donnée dans la hiérarchie sociale,c'est pourquoi le diplôme est évalué selon son niveau et non selon son contenu. Ceux qui échouent àl'école sont donc stigmatisés et se sentent voués à rester dans les strates inférieures de la société. Cequi explique que les jeunes français sont les moins nombreux parmi les jeunes occidentaux à penserqu'ils ont une liberté et un contrôle sur leur avenir et à penser que les autres jeunes français peuventchoisir leur propre vie.Enfin l'échec de la mise en place d'un "socle commun de compétences" visant à se rapprocher d'uneméthode d'enseignement horizontal révèle l'organisation trop rigide de l'enseignement pardisciplines, toutes constituées de programmes lourds qui demandent donc beaucoup d'heuresd'enseignement. Or tous les pays obtenant les meilleurs résultats dans l'enquête PISA ont une duréecumulée d'enseignement plus faible que celle de la France.Il faut donc selon les auteurs non pas compenser les handicaps des élèves les plus faibles par desdispositifs limités et ciblés comme c'est le cas actuellement mais réformer le contenu et la forme del'enseignement.

Chapitre 7 - Le marché du travail : le tremplin ou la précarité

Le marché du travail aggrave les inégalités créées par le système scolaire, et cela pour 4 raisons :- L'organisation duale du marché du travail entre CDD et CDI : les CDI, stables, qui coûtent cher etsont protégés par des nombreuses règles contraignantes et les CDD qui sont faciles à rompre maissouvent de très courte durée. Les entreprises préfèrent donc recourir à des CDD (90% desembauches). Mais retrouver un emploi prend du temps. Ce recours fréquent aux CDD participedonc à un taux de chômage élevé. Or les nouveaux entrants sur le marché du travail sontgénéralement ceux qui sont employés en CDD et ces nouveaux entrants sont généralement desjeunes : la fréquence des emplois à durée déterminée en 2009 chez les jeunes était 5 fois plus élevésque chez les plus âgés. Si le CDD est censé être un tremplin pour les emplois stables, cela concerneen réalité uniquement les jeunes plus qualifiés.- L'inadéquation des politiques d'emploi en direction des jeunes : pour l'instant les politiquesmenées en France sont plus orientées vers la création d'emploi dans le secteur public. Mais il s'avèreque ces politiques coûtent cher à l’État et n'offrent par la suite pas de réelle perspective de carrièreaux jeunes qui en ont bénéficié. Selon les auteurs, il faudrait plutôt favoriser la création d'emploipour les jeunes dans le secteur privé par la baisse du coût de leur travail, comme par exemple avecla mesure "zéro charge".- L'inefficacité des formations professionnelles hormis l'alternance : les jeunes salariés (en dessousde 30ans ont moins accès à la formation que les adultes. De plus, les jeunes sans-diplômes (20 à29ans) ont presque trois fois moins de chances d'accéder à une formation que les jeunes diplômésdu supérieur. L'alternance a prouvé son efficacité. Cependant ce dispositif n'est pas encore assezdéveloppé en France (il concerne 600 000 jeunes en France contre 1 200 000 pour le même type deformation en Allemagne) ; et l'alternance n'est pas assez ciblée : depuis la fin des années 1990 lesjeunes sans qualification ne représentent plus qu'un tiers des personnes en contrats d'apprentissage,les deux autres tiers sont des jeunes ayant le baccalauréat, voire plus. Ce sont donc les jeunes lesmoins qualifiés qui profitent le moins des formations professionnelles alors que ce sont eux qui enont le plus besoin.- Le faiblesse de l'accompagnement : d'une part, il n'existe en France (contrairement à d'autre payscomme le Royaume-Uni, le Danemark ou la Nouvelle-Zélande) aucun dispositif qui contraindrait leservice public de l'emploi à agir en faveur des jeunes demandeurs d'emploi sans qualification et quiinciterait fortement ces jeunes à reprendre des études, un apprentissage ou une formation. D'autre

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part, lorsqu'un accompagnement a lieu, il s'agit souvent de simples entretiens trop espacés dans letemps (généralement plusieurs mois), alors que l'accompagnement doit plus relever du "coaching" :il s'agit de redonner confiance au jeune et de le motiver à toutes les étapes de la recherche d'unemploi ou d'une formation (préparation à la rencontre avec les entreprises et les organismes deformation, acquisition d'un logement, d'un moyen de transport ou de documents administratifs).

Chapitre 8 - une protection sociale défaillante

En France, le taux de pauvreté n'a pas augmenté depuis 1980 et est plus faible que dans les autrespays. Mais les jeunes français (18 à 25ans) sont plus pauvres que les plus jeunes ou plus âgées : aumilieu des années 2000 leur taux de pauvreté était 1,4 fois plus élevé que celui de l'ensemble de lapopulation. Leur situation relative s'est dégradé depuis les années 1990, ce qui est un effet despolitiques publiques menées depuis 1980.La pauvreté peut être combattue par les transferts sociaux, ce qui est la cas en France (depuis lemilieu des années 2000 la France est le pays du monde qui dépense le plus en terme de prestationssociales). Mais les jeunes âgés de 18 à 25 et ne vivant plus chez leurs parents bénéficientgénéralement peu des prestations sociales. 15 % des jeunes (20 à 25ans) sont « laissés pourcompte » selon les termes de l'OCDE, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas de travail et ne font pas d'études.La plupart des dispositifs s'adressant aux jeunes ne sont accessibles qu'à ceux ayant travaillés ouvivant toujours avec leurs parents. Ainsi les personnes recherchant pour la première fois un emploin'ont aucun soutien financier en France, contrairement aux jeunes dans la plupart des paysdéveloppés. L'assurance-chômage ne bénéficie qu'à ceux ayant déjà travaillé et seules les personnesde plus de 25ans peuvent bénéficier du RSA (la France est le seul pays d'Europe dans ce cas hormisle Luxembourg et l'Espagne). Cette absence de prestations sociale répond à la crainte du jeuneinactif "chasseur de prime", qui est infondée puisque, d'après plusieurs études, le montant des aidesversées aux jeunes influe autant chez les jeunes que chez les adultes sur la durée de perception decelles-ci.L'absence de soutien aux jeunes existe également pour les étudiants : si les frais de scolarité enFrance sont peu élevés, les aides financières apportées aux jeunes sont très modestes (la Francedépense 7 % de ses dépenses d'éducation sous forme d'aides aux étudiants, trois fois moins que lamoyenne de l'OCDE). Ce déficit d'aides directes aux étudiants est partiellement comblé par lesaides personnelles au logement. L'aide au logement est censée bénéficier sous conditions deressources à tout les jeunes ne vivant plus chez leurs parents. Mais dans la réalité ces aides touchentgénéralement les étudiants issus de milieux favorisés et qui sont directement aidés par leur famille,qui elles-même bénéficie en plus d'un avantage fiscal via le quotient familial.Pour les auteurs, il faut fournir des aides aux jeunes en les associant à des dispositifs "d'activation"(participation obligatoire à des programmes actifs de formation, aide à la recherche d'emploi…)comme ce qui a été mis en place dans plusieurs pays européens (Royaume-Uni, Danemark…) oùces mesures ont montré leur efficacité sur la facilitation de l'accès à l'autonomie des jeunes et deleur accès à l'emploi et qui ne les rendent pas dépendants des aides (contrairement à ce qui est crainten France).

Conclusion - De l'égalité fictive à l'égalité réelle

Les auteurs ont donc montré qu'il existait deux types de jeunesse : celle pour qui la jeunesse est untremplin vers l'emploi stable (les jeunes issus des classes moyennes et supérieures), et celle pour quielle mène à la pauvreté. A partir des causes qu'ils ont dévoilées tout au long de cet ouvrage, il font

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des proposition de réformes qui, selon eux, devraient réduire l'écart entre ces deux jeunesses.L'école étant au cœur du système de tri, il faut la réformer en profondeur en réduisant le primat desdisciplines, en allégeant les programmes et le nombre d'heure de cours, en révisant la méthoded'évaluation (voire en supprimant les notes et les classements), en développant des méthodes"horizontales" d'apprentissage et en cassant l'organisation des études par filières rigides. Grâce àcette réforme du système scolaire, les jeunes bénéficieront alors d'une réelle égalité des chances.Mais si actuellement le système scolaire fonctionne selon le système de sélection, c'est parce que lesplaces en CDI sont rares. Il faut donc réformer en priorité le fonctionnement du marché du travailpour accroître le nombre de CDI (en réduisant l'écart de statut entre CDD et CDI) et donner uneréelle deuxième chance aux jeunes qui ne trouvent pas de travail. Enfin, il faut accorder le RSA àtoute personne de plus de 18ans (et non pas 25) mais en "activant" le RSA c'est-à-dire que les jeunesle toucheraient sous condition d'obligation de recherche d'emploi réellement contrôlée, d'unaccompagnement personnalisé et éventuellement de formations qualifiantes. Ce qui faciliteraitl'autonomie des jeunes et leur accès à l'emploi.