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32 Le ministre a annoncé qu'il comp- tait « modifier l'apprentissage du calcul ». Qu'en pensez-vous ? Si on est dans le prolongement de ce qui se passe pour le lecture, on peut avoir de grandes inquiétudes. Il y a une idée force dans ce que veut mettre en place le ministre, c'est la fin des cycles. La commission qui va mettre les programmes en adéquation avec le socle commun a un cahier des charges très clair : « Les programmes com- porteront dorénavant des repères annuels permettant aux élèves de situer leur progression dans l'acquisi- tion du socle. » D'autre part, je consi- dère que les programmes de 2002 de mathématiques sont ambivalents. En quoi les programmes sont-ils imparfaits ? Concernant le nombre à l'école mater- nelle, par exemple, les programmes ne distinguent pas les configurations de doigts (l’enfant montre le pouce, l’in- dex et le majeur quand on lui demande de montrer 3, par exemple, mais c’est la seule configuration qu’il sait montrer) des collections-témoins de doigts (il sait que n’importe quelle collection de 3 doigts désigne 3). Or, seules les collections-témoins de doigts sont des symboles numériques. De plus, les programmes accordent une place excessive au comptage. En fait, il y a plusieurs façons d’inter- préter les travaux en psychologie cognitive et en neuro-psychologie. Un fort courant de psychologues innéistes pensent que l'enfant naît « équipé » pour comprendre le comp- tage. Cela résulterait de l'évolution des espèces. Il suffirait donc de faire pratiquer le comptage aux élèves pour qu’ils le comprennent. D'autres psychologues dénoncent une interprétation abusive des résultats expérimentaux et mettent en avant le fait que les enfants qui ont des diffi- cultés graves et durables en mathé- matiques… comprennent mal le dénombrement jusque vers 7-10 ans. Avez-vous un deuxième exemple ? Prenons la division, dont les docu- ments d’application des programmes repoussent l'usage du symbolisme (le mot « division », les signes qui l’ac- compagnent) au-delà de ce qui est raisonnable. Les travaux dont je m'inspire beau- coup viennent d'un courant qu'on appelle « les maths de la rue ». Il vise à étudier ce que savent faire et ce que ne savent pas faire avec les nombres les enfants qui n'ont jamais été scola- risés. Dans la même perspective, j’ai étu- dié les problèmes que les élèves savent résoudre avant toute leçon et ceux aux- quels ils échouent massivement (pour moi le mot « leçon » a un sens très large :il renvoie par exemple à une réso- lution collective d’une situation-problème). Avant toute « leçon », les élèves savent résoudre un grand nombre de pro- blèmes à l'aide de procédures infor- melles, par exemple partager sans connaître le symbolisme de la divi- sion, anticiper le résultat d'un grou- pement dans des cas simples. Si on demande en début de CE2, combien de paquets de 50 objets, on peut faire avec 163 objets, les élèves savent compter : 50, 100, 150 donc 3 paquets. Mais si on leur demande partager 163 objets entre 50 personnes, ils sont incapables de dire combien d'objets aura chaque personne ! L'enfant scolarisé qui, de plus, a eu des « leçons » sur la division, sait qu'on peut traiter les deux sortes de pro- blèmes de la même manière, avec une division. Les psychologues considè- rent cette connaissance comme étant au cœur de la « conceptualisation » de la division. Mais ces questions sont fondamentales pour les pédagogues aussi, parce qu'elles permettent de dire ce que les enfants savent faire ou peuvent inventer avant tout ensei- gnement et ce qu'ils ne savent pas faire, ce qui dépend de manière cru- ciale de la scolarisation. Il est de la res- ponsabilité sociale des enseignants de donner aux enfants les outils qui vont permettre la résolution de ces problèmes. Quels sont les besoins des ensei- gnants aujourd'hui? Les maîtres sont demandeurs de posi- tions mesurées, ils redoutent les posi- lorence Suire est enseignante de CP à l'école du Boulingrin à Vau- réal dans le Val d'Oise. Elle tra- vaille en collaboration avec Rémi Brissiaud. Dans sa classe, les élèves apprennent en parallèle 2 suites verbales : celle qu'on connaît bien, 11, 12, 13... et une autre (« à l'asiatique »), 10 et 1, 10 et 2, 10 et 3, ..., 10 et 9, deux dix, deux dix et un.... . Des recherches montrent que les ancrages dans les apprentissages numériques sont plus L’ENSEIGNEMENT DES MATHÉMATIQUES À L’ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE, MAIS SURTOUT AU CP, FAIT DÉBAT. QUEL APPRENTISSAGE DES NOMBRES ET DES OPÉRATIONS, LES RÉPONSES DE RÉMI BRISSIAUD ET ROLAND CHARNAY, ALORS QU’UNE INTERVENTION DU MINISTÈRE SUR LES PROGRAMMES ET LES MÉTHODES PÉDAGOGIQUES N’EST PAS EXCLUE. « Se raccrocher aux connaissances scientifiques disponibles, à l'expérience des maîtres, à l'histoire des pratiques » Mathématiques F

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Le ministre a annoncé qu'il comp-tait « modifier l'apprentissage ducalcul ». Qu'en pensez-vous ?Si on est dans le prolongement de cequi se passe pour le lecture, on peutavoir de grandes inquiétudes. Il y aune idée force dans ce que veut mettreen place le ministre, c'est la fin descycles. La commission qui va mettreles programmes en adéquation avec lesocle commun a un cahier des chargestrès clair : « Les programmes com-porteront dorénavant des repèresannuels permettant aux élèves desituer leur progression dans l'acquisi-tion du socle. » D'autre part, je consi-dère que les programmes de 2002 demathématiques sont ambivalents.

En quoi les programmes sont-ilsimparfaits ?Concernant le nombre à l'école mater-nelle, par exemple, les programmes nedistinguent pas les configurations dedoigts (l’enfant montre le pouce, l’in-dex et le majeur quand on luidemande de montrer 3, par exemple,mais c’est la seule configuration qu’ilsait montrer) des collections-témoinsde doigts (il sait que n’importe quellecollection de 3 doigts désigne 3). Or,seules les collections-témoins dedoigts sont des symboles numériques.

De plus, les programmes accordentune place excessive au comptage. Enfait, il y a plusieurs façons d’inter-préter les travaux en psychologiecognitive et en neuro-psychologie.Un fort courant de psychologuesinnéistes pensent que l'enfant naît «équipé » pour comprendre le comp-tage. Cela résulterait de l'évolutiondes espèces. Il suffirait donc de fairepratiquer le comptage aux élèves pourqu’ils le comprennent. D'autres psychologues dénoncent uneinterprétation abusive des résultatsexpérimentaux et mettent en avant lefait que les enfants qui ont des diffi-cultés graves et durables en mathé-matiques… comprennent mal ledénombrement jusque vers 7-10 ans.

Avez-vous un deuxième exemple ?Prenons la division, dont les docu-ments d’application des programmesrepoussent l'usage du symbolisme (lemot « division », les signes qui l’ac-compagnent) au-delà de ce qui estraisonnable.Les travaux dont je m'inspire beau-coup viennent d'un courant qu'onappelle « les maths de la rue ». Il viseà étudier ce que savent faire et ce quene savent pas faire avec les nombresles enfants qui n'ont jamais été scola-

risés. Dans la mêmeperspective, j’ai étu-dié les problèmesque les élèves saventrésoudre avant touteleçon et ceux aux-quels ils échouentmassivement (pourmoi le mot « leçon» a un sens trèslarge :il renvoie parexemple à une réso-lution collectived’une situation-problème). Avanttoute « leçon », les élèves saventrésoudre un grand nombre de pro-blèmes à l'aide de procédures infor-melles, par exemple partager sansconnaître le symbolisme de la divi-sion, anticiper le résultat d'un grou-pement dans des cas simples. Si ondemande en début de CE2, combiende paquets de 50 objets, on peut faireavec 163 objets, les élèves saventcompter : 50, 100, 150 donc 3 paquets.Mais si on leur demande partager 163objets entre 50 personnes, ils sontincapables de dire combien d'objetsaura chaque personne ! L'enfant scolarisé qui, de plus, a eu des« leçons » sur la division, sait qu'onpeut traiter les deux sortes de pro-blèmes de la même manière, avec une

division. Les psychologues considè-rent cette connaissance comme étantau cœur de la « conceptualisation » dela division. Mais ces questions sontfondamentales pour les pédagoguesaussi, parce qu'elles permettent dedire ce que les enfants savent faireou peuvent inventer avant tout ensei-gnement et ce qu'ils ne savent pasfaire, ce qui dépend de manière cru-ciale de la scolarisation. Il est de la res-ponsabilité sociale des enseignantsde donner aux enfants les outils quivont permettre la résolution de cesproblèmes.

Quels sont les besoins des ensei-gnants aujourd'hui? Les maîtres sont demandeurs de posi-tions mesurées, ils redoutent les posi-

lorence Suire est enseignante deCP à l'école du Boulingrin à Vau-réal dans le Val d'Oise. Elle tra-

vaille en collaboration avec Rémi Brissiaud.Dans sa classe, les élèves apprennent enparallèle 2 suites verbales : celle qu'onconnaît bien, 11, 12, 13... et une autre (« àl'asiatique »), 10 et 1, 10 et 2, 10 et 3, ..., 10et 9, deux dix, deux dix et un.... . Desrecherches montrent que les ancrages dansles apprentissages numériques sont plus

L’ENSEIGNEMENT DES MATHÉMATIQUES ÀL’ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE, MAIS SURTOUT AU CP,

FAIT DÉBAT. QUEL APPRENTISSAGE DESNOMBRES ET DES OPÉRATIONS, LES RÉPONSES

DE RÉMI BRISSIAUD ET ROLAND CHARNAY,ALORS QU’UNE INTERVENTION DU MINISTÈRE

SUR LES PROGRAMMES ET LES MÉTHODESPÉDAGOGIQUES N’EST PAS EXCLUE.

« Se raccrocher aux connaissancesscientifiques disponibles, à l'expérience desmaîtres, à l'histoiire des pratiques »

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précoces dans les pays qui comptent decette manière sans doute à cause du rôlecrucial du langage.Cette comptine va favoriser la compréhen-sion de la numération décimale et l’ap-prentissage du calcul. Pour calculer 9 + 4,l'enfant va dire « ça va dépasser 10, c’estdix et trois, 13 » sans compter 1 à 1. Pour 12+ 4, « c’est 10 + 2 + 4 c’est 10 et 6, 16 »

Certains enfants arrivent au CP sans avoirconstruit le concept de quantité pour lesnombres. Pour eux les nombres fonctionnentcomme des numéros. Florence travaille alorsavec eux différentes situations d’anticipationsur les nombres inférieurs à 5.Par exemple le jeu du gobelet : « J'ai 5

jetons, il y en a deux en dehors du gobelet,combien y'en a t-il sous le gobelet? » Avecces activités de décomposition, en situationd'anticipation, la conceptualisation, puisl'automatisation se construisent.

Florence est en train d’adapter pour les CPun outil existant pour les GS « Je compte, tucompares » qui propose d’anticiper la com-paraison de deux collections.Sur un grand carton que seul le maître voitsont dessinées deux collections. C'est lemaître qui compte et qui demande : « Qui a le plus d'images? Combien en a-t-il enplus ?» La réponse est validée ensuite parune correspondance terme à terme.

tions extrêmes et les retours de balan-cier. Entre 1970 et 1985, il était inter-dit de compter à l’école maternelle.Aujourd’hui certains voudraient queles enfants apprennent à dénombrerjusqu’à 5 ou 6 en PS ! Certains aujour-d’hui voudraient que l’on revienne àl’enseignement des 4 opérations dès leCP ! Il faut essayer le plus possible dese raccrocher aux connaissances ouaux « non connaissances » scienti-fiques disponibles, et tenir compte del'expérience des maîtres et de l'his-toire des pratiques. Enseigner serait-ille seul métier où on ne tiendrait aucuncompte de l'expérience des prédéces-seurs?

Propos recueillis parDaniel Labaquère

Rémi Brissiaudest maître de conférencesen psychologie cognitive àl'IUFM de Versailles.Equipe : « Compréhension,raisonnement et acquisitionde connaissances ».

« Des acquis forts en mathématiques doiventfaire partie de la culture des individus »

Quels automatismes en calcul faudrait-il créer le plus tôt possible?Dans la société d'aujourd'hui, on calcule dedeux façons : soit mentalement, soit enutilisant une machine (calculatrice,tableur...) Si on se situe uniquement sur leterrain de l’utilité « pratique », on peutconclure qu’il faut arrêter d’enseigner lestechniques opératoires. Une telle conclu-sion serait hâtive ; il faut continuer à ensei-gner ces techniques, mais avec un objectifqui se situe davantage du côté de la com-préhension, car derrière l’automatisme, il ya une justification, des explications et deslois mathématiques intéressantes pour laformation mathématique des élèves.

Les 4 opérations dès le CP, qu’en pensez-vous ?C’est une erreur. Travailler sur la tech-nique indépendamment de la compréhen-sion, c’est prendre le risque d’enfermercertains élèves dans une vision complète-ment fausse de ce qu’est l’activité mathé-matique. Enseigner une notion le plus tôt possible,c'est enseigner les aspects de cette notionque les élèves sont capables de comprendreet de maîtriser à un moment donné. Quandon examine la technique opératoire de ladivision, on s’aperçoit que, pour la mener

à bien, il faut maîtriser ses tables de mul-tiplication, faire intervenir deux autres opé-rations et avoir une compréhension assezapprofondie de la numération décimale.Tout ça met du temps à se mettre en placeet rend cet apprentissage impossible avantle cycle 3. La division doit être raccrochéeà la fois à des catégories de problèmes et àdes pratiques mettant en jeu d’autres opé-rations.

Qu’est-ce que maî-triser un conceptmathématique?C’est l’appri-voiser, lerendre « à samain et à satête » . Lamaîtrise s’orga-nise autour dequatre pôles quiavancent simulta-nément : la recon-naissance des pro-blèmes qu’il permetde traiter, les tech-niques pour le mani-pu le r ,l e spro-

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RRoland Charnay a été formateur à l'IUFMde Lyon et co-responsabledu groupe de rechercheERMEL. Il a assuré lepilotage de la commissionchargée de l’élaborationdes programmes demathématiques de2002..

Du savoir imposé à la liberté de choix

« Demander à des enfants demanipuler des nombres sansqu’ils maîtrisent la notion dequantité, c’est leur deman-der l’impossible », assure Cha-nel Mallinger, directeur del’école élémentaire Belle-croix de Metz, située en zonesensible. De ses nombreusesannées passées à enseigner àdes élèves de SEGPA, il a tiréla leçon suivante : « Il fauttoujours rapporter les opé-rations à des exemplesconcrets, comme des prix eneuros, des unités de lon-gueur, etc., toujours vérifierquelle représentation lesélèves se font des quantités,car il peut y avoir entre euxdes différences énormes. Etquel que soit le niveau, il nefaut jamais complexifier latâche demandée, ne pas par-tir de nombres trop grandspour travailler sur l’addi-tion ou la multiplication. »S’il reconnaît que, commebeaucoup d’enseignants, il alongtemps « considéré le cal-cul mental comme un rabâ-chage qui n’a pas sa place àl’école, car celle-ci doit êtreun lieu d’élaboration com-mune du savoir », il préco-nise pourtant une pratiquequotidienne du calcul. « Maispas forcément sous forme de «séance de calcul mental ». Onpeut faire des jeux mathéma-tiques, basés sur la recherchedes différentes manièresd’écrire un même nombre, quitransforme la contrainte dusavoir imposé en liberté dechoix. Par exemple, si je prendsle nombre 12, je peux l’obte-nir par 10 + 2, ou par 4 fois3 : il n’y a pas qu’une réponsepossible, l’imagination tra-vaille, et l’école ne se réduitpas à la transmission du savoir,rôle auquel veut la res-treindre le socle commun. »

priétés qui lui sont afférentes et enfinla possibilité de l’évoquer et d’effectuerdes traitements, ce qui passe par la maîtrised’un langage verbal et symbolique.

Peut-on évaluer aujourd'hui l'impactdes programmes de 2002 ?Porter un regard aujourd’hui sur les résul-tats des programmes de 2002 est prématuré.Les seuls élèves qui ont suivi intégrale-ment ces programmes sont rentrés au CP en2002 et donc seront en 6ème en 2007.Ensuite, on sait que l'appropriation desprogrammes par les enseignants n’est pasinstantanée. Il faut du temps et des moyens.

A-t-on donné aux enseignants les moyensen terme de formation ?Les mathématiques représentent environ1% de l'offre des stages de formation conti-nue auquel on doit rajouter les animationspédagogiques. Les maîtres ont besoin qu'onles aide mieux à s'approprier de manièreintelligente les programmes 2002. S’il y ades points qui méritent d’être discutés, fai-sons-le, mais avec un minimum de sérénité.Dans les années 70, à la suite de l’expé-rience des maths modernes, on a fait beau-coup de formation en mathématiques, etdans les années 80 il y a eu un retour debalancier. Depuis, l’incitation sur lesmathématiques n’a jamais existé.

Qu’en sera-t-il des débats qui s’amorcentaujourd’hui ? Et la formation initiale?Les choses ont radicalement changé. A

l'école normale, la majorité des enseignantsavait un bac « sciences expérimentales ».Aujourd’hui les recrutements sont diffé-rents. Le nombre d’enseignants qui ont uneorigine scientifique dans les IUFM est faible.C’est une donnée importante qui devraitêtre corrigée par la formation initiale et parla formation continue.

Vous parlez de culture mathématique...Elle fait partie du patrimoine commun. Acôté du langage, les mathématiques sont leplus ancien des outils dont l’homme s’estdoté pour comprendre et agir dans lemonde qui l’environne. Des acquis fortsdoivent faire partie de la culture des indi-vidus, d’autant plus que dans la sociétéactuelle on fait un usage souterrain desmathématiques. Sondages, pourcentages,statistiques, représentations graphiques,etc… doivent être regardés avec vigilance! Ce qui complique la question, c'est que lesproductions de la science ordinaire trouventdes applications qui sont quasiment immé-diates, alors que les connaissances mathé-matiques qui s’élaborent n’ont pas deretombées directes et sont très difficiles àexprimer dans un langage simple. Qui peutdire quels sont les travaux de WendelinWerner, la dernière médaille Fields?

Propos recueillis par Daniel Labaquère

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a tribune de Gilles deRobien parue dans Libéra-

tion le 2 novembre sur l’apprentissagede la lecture, montre qu’il a été placédevant la nécessité de reculer, ce quipeut conduire à un apaisement decette polémique dont l’école se seraitbien passée. Le texte du ministre a dumoins été interprété comme tel parnombre d’observateurs, dont leSNUipp. En demandant que la «créativité pédagogique reprenne tousses droits », en affirmant « qu’ il fauttout aussi bien insister dès le début duCP sur les relations graphèmes-pho-nèmes et analyser des mots connus enles décomposant… », « en réprou-vant ceux qui cherchent à monter lesenseignants contre les parents », leministre de l’Education nationale

L

LLECTURE, L

APRÈS DES MOIS DEPOLÉMIQUE SUR LA

LECTURE LESDÉCLARATIONS DU

MINISTRE MONTRENTUN PREMIER RECUL ET

LA NÉCESSITÉD’APPAISER LE CLIMAT.

UN ESPOIR DE VOIR LEDÉBAT S'ÉLEVER AU

NIVEAU DE L'ENJEU DELA RÉUSSITE DE TOUS.

Lecture

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cherche à sortir d’une polémique àlaquelle il a largement contribué.La probable levée de la procédure dis-ciplinaire touchant l’inspecteur PierreFrackowiak, et la réintégration du cher-cheur Roland Goigoux dans les for-mations, semblent aussi être le signeque Gilles de Robien a entendu lesarguments de ses contradicteurs. Jus-qu'ici l'affaire ressemblait pourtant aumonologue d'un sourd. Depuisnovembre 2005, dans son combat pourimposer la méthode syllabique, leministre est parti bille en tête et n'aécouté ni les enseignants, ni les cher-cheurs, faisant preuve d'un autorita-risme inédit dans le ministère.La colère a grondé (courrier des syn-dicats, lettre ouverte des chercheurs,pétitions, publication unitaire, tribuneslibres d’enseignants parues dans lapresse) car la caricature qu'a fait leministre de la lecture ne rendait pascompte des recherches, des expéri-mentations menées ces dernièresdécennies.L'objectif de faire réussir tous lesenfants a fait de la question de la lec-ture un objet crucial de réflexions desenseignants et des chercheurs. A cetitre, les programmes de 2002 sontle reflet d'un consensus qui associel'identification des mots par leur déco-dage et le travail de compréhension etce, loin des querelles de méthode.Dans les classes, de la maternelle aucycle 3, les enseignants mettent enplace des activités qui prennent encompte toutes ces dimensions. Et leCP reste le maillon essentiel dans leprocessus d'apprentissage, les élèvesy automatisent la lecture de mots, detextes par des exercices sur les sons,le code, les lettres. L'entêtement, le caporalisme du

ministre étaient d'autant moins accep-table que même son arrêté du 24 mars2006 qui modifie les programmes de2002 sur la lecture maintient un équi-libre entre maîtrise du code et com-préhension. La question de la lecture mérite mieuxque la polémique à laquelle elle a étésoumise ces derniers mois. D'autantque certains sujets restent à débattre.

« Pierre Frackowiak :les textes, rien que les textes »

Inspecteur dans le Nord, vous avez subiune procédure disciplinaire. Pourquoi ?Au début, je ne savais pas qu’il s’agissait demoi. Le document officiel m’est arrivé aprèsla campagne de presse. J’étais passible d’unavertissement ou d’un blâme. Au ministère,mon dossier comprenait trois pièces : unenote de mon IA sur ma manière de servir(jusqu’alors je n’avais jamais eu de pro-blème), un compte-rendu d’une rencontreavec le recteur au sujet de mes communi-cations dans la presse et deux pages dumagazine « Femina » dans lesquelles j’étaisinterrogé sur le retour à la méthode sylla-bique avec comme contradicteur Marc LeBris. Le ministre a jugé que je m’opposaisaux directives ministérielles. Or, je ne metspas en cause les textes que je respecte : lesinstructions officielles, les programmes de2002 et l’arrêté qui modifie légèrement celuide 2006. On m’a aussi reproché le titrechoisi par les journalistes : « le retour à ladiligence ». C’est une image que j’utilisesouvent. Si un TGV ne fonctionne pas bien,ce n’est pas en faisant rouler une diligencesur les rails qu’on améliorera la situation.

Vous êtes-vous senti soutenu par les ensei-gnants ?Ce problème a suscité une vraie mobilisa-tion. Les enseignants ne supportent pasl’idée qu’on balaie d’un revers de main toutce qu’ils ont fait de mise au point deméthodes conciliant l’entrée par le Ba-Ba et

la compréhension. Le sentiment que du jourau lendemain, on exigeait d’eux qu’ilsreviennent à des méthodes anciennes leur estinsupportable moralement, humainement etaffectivement. Dans quelle autre corporationpourrait-on voir une chose pareille ? Ima-gine-t-on le ministère de la santé imposantaux médecins de prescrire la saignée commesolution miracle ?

Le 30 octobre, le ministère a annoncél’arrêt de la procédure disciplinaire.Quelle est votre réaction ?Le ministère a diffusé un communiqué fai-sant état d’une lettre que j’aurais écrite auministre, prenant acte que j’aurais exprimédes regrets et constatant ma loyauté. Enfait, la procédure me permet de faire desobservations. Ce sont elles qui lui ont étéadressées. J’y rappelle ma loyauté envers lestextes, mes regrets de l’impact pris par cetteaffaire et du préjudice créé à l’école et auxenseignants. Je prends quand même ce com-muniqué comme une mesure d’apaisement.Il laisse supposer qu’on devrait débouchersur un abandon de la procédure. Mais jen’ai pas encore été saisi d’une lettre offi-cielle. J’espère que ce geste permettra d’ins-taurer un meilleur climat dans les écoles etdans les relations entre les enseignants, lescadres et le ministère.

Propos recueillis par Pierre Magnetto

LE DOSSIER

Les moyens en formation pouraccompagner les enseignants et pourconstruire des outils efficaces sontinsuffisants. Un travail d'expertisereste à faire sur les dosages à privilé-gier entre code et sens selon lesbesoins des enfants. Des enjeux detaille, qui méritent qu'on s'y interessedans un climat plus serein.

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« Donner au maîtres les moyens d’expliquerde mieux en mieux leur travail »

Le débat qui traverse la psycho-logie et les sciences de l'éducationsur l'apprentrissage de la lecturea pris cette année une acuité nou-velle en se déportant sur le ter-rain de l'opinion publique, leministre s'efforçant d'affirmerqu'il a rétabli la méthode sylla-bique. Mais que disent concrète-ment les programmes qu'il a lui-même modifiés en janvier ? Les programmes dans leur dernièreversion de 2006 sont en contradic-tion avec les propos médiatiques duministre. Les textes officiels ne pré-conisent pas la méthode syllabique.Ils stipulent au contraire sans ambi-guïté qu'il faut mener à la fois un tra-vail synthétique qui permet de com-biner les valeurs sonores des lettrespour former des syllabes puis desmots mais également une approcheanalytique qui procédant à l'inverseconduit des mots aux correspon-dances lettres-sons. Cela estd'ailleurs en cohérence avec lesseules données scientifiques dont

nous disposons qui nefont pas ressortir de dif-férences significativesd'efficacité entre ces dif-férentes approchesqu'elles soient synthé-

tiques, analytiques ou mixtes. Lesouci , c'est que pour la premièrefois, les enseignants et les parents setrouvent face à un ministre de l'Edu-cation qui dit à la télé autre choseque ce qui est écrit dans les pro-grammes qui ont pourtant force deloi. Cette stratégie du double jeucrée de fait de la défiance enversles enseignants et un malaise per-ceptible chez eux.

De quoi, selon vous, ce double dis-cours du ministre est-il le révéla-teur ?Très clairement, le ministre a laisséentendre à plusieurs reprises quel'enjeu était de contrôler cette grandemachine qu'est l'éducation nationaleet notamment ses cadres. C'estd'ailleurs ce que l'on peut lire à tra-vers la procédure disciplinaire enta-mée à l'encontre d'un inspecteur.Avec la volonté d'imposer, non pluspar la voie légale des programmes,mais de prendre à témoin lesfamilles pour qu'elles jouent elles-mêmes le rôle de surveillant, decontrôleur de l'activité des ensei-gnants, avec en plus pour la lecturel'objectif d'influer sur les pratiquesenseignantes. La campagne de SOSéducation qui appelle les familles à

la délation illustrebien cette volontéde gouvernance del'école par lesfamilles.

Dans ce contexte,n'y a-t-il pas pourles enseignants unenjeu à renforcerle lien, la confianceavec les familles ? Absolument, car siles parents s'intéressent à la manièredont les enfants apprennent, toutcela reste un peu mystérieux poureux. Les enseignants ont des savoir-faire très automatisés, et il leur estdifficile de décrire le détail de leursgestes professionnels. Si bien quedans un contexte polémique commeen ce moment, la confiance, a priori,peut très vite se fragiliser et se trans-former en défiance vis-à-vis del'école. Il y a donc nécessité de com-muniquer plus avec les parents, deles guider dans l'aide qu'ils peuventapporter le soir à la maison, de lesrassurer. C'est un facteur de sécuritédans la relation entre parents etenseignants et une garantie face auxprocédés manipulatoires qui tendentà accuser l'école. Même si des ensei-

gnants le font déjà, cela doit, parconséquent, devenir un enjeu plusfort pour les formateurs que de don-ner aux maîtres les moyens d'ex-pliquer de mieux en mieux préci-sément leur travail.

Au delà du déchiffrage, qui estune des voies pour identifier unmot, se pose la question du dosagepar les enseignants des différentséléments qui composent l'ap-prentissage de la lecture....Apprendre à lire repose surune diversité d'approchesindispensables, présentéesdans les programmes, quiva du déchiffrage à la com-préhension en passant parla culture écrite, entre autre.Concernant ces éléments, il

ous savons par exemple désor-mais, grâce aux neurosciences,que la méthode syllabique estplus efficace ». Avec Gilles de

Robien, la science a bon dos, justifiant à elleseule, de relancer le débat sur les méthodesde lecture. Ce qui d'une part, occulte ladiversité des réponses enseignantes appor-tées au quotidien dans leurs classes pourapprendre à lire aux enfants mais qui d’autrepart, à l'évidence, permet au ministre defaire quelques « petits arrangements » avecla réalité scientifique.

LES NEUROSCIENTIFIQUES ONT PRIS LEURSDISTANCES, RIEN NE PERMET DANS LEUR

TRAVAUX D’IMPOSER UNE MÉTHODE PLUTÔTQU’UNE AUTRE POUR L’APPRENTISSAGE DE

LA LECTURE. LA COMBINAISON DESAPPROCHES SYNTHÉTIQUE ET ANALYTIQUE,

L’ACCÈS À LA CULTURE ÉCRITE,CONSTITUENT LA PRATIQUE LA PLUS

RÉPANDUE DANS LES CLASSES COMMECONTINUENT DE LE PRÉCONISER

LES PROGRAMMES.

Lecture etdésaccords

Lecture

N

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Très vite, la recherche a tenu à prendre sesdistances avec les positions tranchées duministre. « Les sciences cognitives ne doi-vent pas servir d'alibi à une politique d'en-seignement », a déclaré Stanislas Dehaene,professeur au Collège de France et directeurde l'unité Inserm-CEA de neuro-imageriecognitive lors d’un séminaire le 3 octobredernier sur l'apprentissage de la lecture. Etpour cause, comme l'affirme un récent texteco-signé par une trentaine de scientifiquesdont Frank Ramus, l'état actuel de larecherche sur les méthodes d'enseignementde la lecture suggère que « s’il faut ensei-gner les relations graphèmes-phonèmes demanière systématique et explicite, dès ledébut du cours préparatoire, il existe de

n o m b r e u s e smanières de les ensei-gner ». A ce titre poursuitle texte, « les études d'éva-luation ne font pas ressortirde différences significativesd'efficacité entre les différentesapproches » possibles.Ce qui, concluent les chercheurs,n'exige des enseignants aucun recoursà une quelconque méthode unique et nepermet pas « de leur imposer l'usage d'une méthodeexclusivement synthétique, parfois appe-lée « méthode syllabique ».

n'existe, là aussi, aucune don-née scientifique concluant àl'efficacité supérieure d'un typede dosage sur un autre. Mêmesi les enseignants prennent unmanuel identique, ce qu'ils enfont d'après nos observationsest assez différent d'une classeà l'autre. Ainsi, lorsque l'onrestitue les pratiques ensei-gnantes, on remarque le plus

souvent, que chacune a samanière de faire, de conce-voir, qui au final touche des

points d'équilibre.Tous les enseignants essaientde trouver le bon dosage entredes activités où pour l'enfant lajubilation vient parfois du plai-sir du texte, parfois à d'autresmoments de se sentir capablede lire de mieux en mieux endécouvrant la mécanique de lalangue écrite. C'est d'ailleursune des fonctions de la

recherche que de décrire ladiversité des pratiques pourpouvoir la restituer et affinerles connaissances sur lesmanières de faire les plus per-tinentes. Mais tout cela ne peutse construire que sous formede dialogue et d'échangesérieux, bien loin du mensongeet de la démagogie.

Propos recueillis parSébastien Sihr

Roland Goigoux,professeur desUniversités,directeur dulaboratoire PAEDI àl’IUFM d’Auvergne et à l’universitéBlaise Pascal, s’est retrouvé au cœur dela polémique sur la lecture pour sonlivre co-écrit avec Sylvie Cèbe, «Apprendre à lire à l’école ».

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En quoi les pratiques d’écri-ture aident-elles à l’appren-tissage de la lecture ?Pour l’enfant de 5-6 ans, les situa-tions de lecture partagée sontutiles. Pourtant, dans ces situa-tions, l’enfant n’est pas naturel-lement conduit à s’intéresser ausystème écrit. Et le pédagogue nepeut pas considérer qu'il l’a aidéà clarifier la nature de l’écrit etcelle de la lecture.À l’inverse, quand le grand débu-tant écrit un texte, cela l’amène àrésoudre toutes sortes de pro-blèmes dont la solution l’aide àapprendre à lire. Il peut anticiperce qu’un destinataire doit fairepour lire le texte qu’il a écrit. Enprenant la position d’émetteur,l’enfant comprend la nature del’activité du récepteur qui, autre-ment, reste assez opaque. Il com-prend que l’écriture note le lan-gage. Il doit segmenter le langageen mots, ce qui n’est pas naturelquand il entend une histoire que

l’adulte lui lit à hautevoix. Il est aussiamené à épeler, car,pour faire apparaîtrele mot sur la page, ilfaut le produire lettre

après lettre. Ce faisant, il repèredes régularités. Par exemple, pourécrire merci ou mercredi, il doitd’abord écrire les lettres m, e, r.Or, s’il connaît déjà « mer », il nepeut pas « les rater » dans merci,mercredi… En situation de lec-ture, cette régularité serait peut-être passée inaperçue. L’écriturede textes permet ainsi l’acquisi-tion du principe graphophonolo-gique de manière active. Plusgénéralement, quand l’enfantécrit, il accorde une attention pré-cise à la langue écrite. Le tempspassé à l’école est alors 100%efficace !

Quelles formes ces pratiquespeuvent-elles prendre ?Les situations d’écriture vont dela dictée à l’adulte, individuelleou collective, aux « ateliersd’écriture ». Dans la dictée àl’adulte, l’enseignant est à la foisécrivain public et pédagogue. Aucours de la production il fait descommentaires comme celui-ci : « Pour écrire On a sauté dans legrand bain, je dois d’abordécrire on a sauté, et pour écrireon a sauté, il faut trois mots, lesvoilà : on… a… sauté…».

Mais, dèsdécembre ou jan-vier en GS, l’en-seignant peutaussi susciter uneprise en chargeplus autonome dutexte. Pour cela, ilfaut donner auxenfants des outilspour écrire toutseuls. A l’intérieurd'un classeur, ontrouvera un trom-binoscope desélèves de laclasse, la liste des jours de lasemaine, celle des adjectifs decouleur, des fichiers images/mots(dans la forêt, dans ma chambre,un fichier des animaux, etc.),mais aussi des textes collectifs,parfaitement connus des élèves etsegmentés en clauses (une lignepar clause). Exemple : « Vendredi 5 novembre - on estallé au bois - avec Martine etSylvie… »L’enfant doit être capable de direle texte en faisant correspondrechaque ligne à ce qu’il dit,comme s’il s’agissait d’unecomptine. Il peut alors localiser

très facilement la ligne qui portele mot ou l’expression dont il abesoin. Ce procédé a été mis aupoint par Danielle De Keyzer.L'enfant dispose ainsi de troistactiques pour écrire : les motsconnus de mémoire, les motsissus des textes ou écrits-réfé-rences, le recours ausavoir de l’adulte qui resteson secrétaire à chaquefois que nécessaire. Pro-gressivement, dès la finde la GS, une quatrièmetactique émerge dans laclasse : le recours à la gra-phophonologie.

ravailler en équipe pour éva-luer les compétences des élèves,construire un projet commun

et ainsi favoriser la réussite de tous... Douxrêve que propose de réaliser André Ouzou-lias en mettant en place des MACLE ouModules d'approfondissement des compé-tences en lecture et écriture.Ces dispositifs, qui se répandent, privilé-gient l'aide massée et intensive aux élèves lesmoins avancés en lecture. Les interventions,

TFAIRE ÉCRIRE DES TEXTES AU CYCLE 2, DÈS LA

MATERNELLE, PERMET DE FAVORISER LARÉUSSITE ULTÉRIEUR DE TOUS EN LECTURE.EN PRENANT LA POSITION DE L’ÉMETTEUR,

L’AUTEUR, L’ENFANT COMPREND LA NATUREDE L’ACTIVITÉ DU RÉCEPTEUR, LE LECTEUR,

AFFIRME ANDRÉ OUZOULIAS.

Lecture et écriture

Lecture

« Ecrire, un levier puissant pour unapprentissage réussi de la lecture »

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Petite définition…« La situationgénérative est un texte court à

structure forte, qui constitue untexte-matrice. Il suffit de le

reparamétrer pour obtenir un «nouveau texte » » explique

André Ouzoulias. Illustrationdans le texte et en image à

travers cette bibliographie non-exhaustive.

A lire et donc à reparamétrer enclasse…

Maxou, Nadja, Ecole des Loisirs

Les petits riens (et autresouvrages) Elisabeth Brami,

Seuil-JeunesseLes crêpes, Les ciseaux, et

autres albums de la collection :Histoires de mots chez PEMF

Chaussettes, Lynda Corraza,Editions du Rouergue

La souris qui cherche un ami,Eric Carle, Editions MijadeLe livre des si, le livre des

peut-être, Ghislaine Roman,

Tom Schamp, Milan JeunesseOuvrages de Yak Rivais : Jeux

de langage et d’écriture, Pratique des jeux littéraires

en classe, RetzUn poème

de Pierre Gamarra

A lire et à transformer

en classe

Pour rendre possible la mise en place depetits groupes, André Ouzoulias proposede mobiliser tous les personnels qui peuventl'être. Outre les enseignants responsablesdes classes, sont mis à contribution lesmaîtres E des réseaux d'aide, les ZIL qui lepeuvent, des enseignants retraités, les inter-venants expérimentés de l'accompagnementscolaire. Ce dispositif montre s'il en étaitbesoin l'importance de la présence d'unmaître supplémentaire dans les écoles pourla mise en place de ce type de pratiques quivient en aide aux élèves en difficultés.

AAndré Ouzoulias, professeur à l’IUFM de Versailles

Quels sont les typesd'écrit les plus adap-tés à ces pratiques ? Les récits de vie sont lessituations les plusfécondes, du fait que l'en-fant parcourt toutes lesétapes de la situationd'écriture du choix duthème à la segmentationen mots. On peut se fixerl’objectif ambitieux quechaque enfant écrive dequatre à six récits de vie,de une à trois phrases,dans l'année de GS etautant au premiersemestre de CP.Ces situations nécessitentun fonctionnement enateliers. Pour rendre leschoses plus faciles, onpeut partir de textes àtransformer (tel « La sou-ris verte »), à augmenter

(tel « Bon appétit mon-sieur lapin »), à complé-ter (tel l’autoportrait), delistes à enrichir, etc. C’estce que j’appelle des«situations génératives».On comprend aisémentl’intérêt de cette autresorte de situationsludiques : les enfants sontbien plus autonomes. Apartir du CP, on peut pro-grammer une situationpar semaine. Or, commele dit Jean-Émile Gom-bert, la quantité de textesécrits est un levier puis-sant pour un apprentis-sage réussi de la lecture.C’est vrai en GS et auCP. Et c’est encore trèsvrai au-delà !

Propos recueillis parLydie Buguet

Ouzoulias A., «Écrire en GS, oui mais comment ?»,l'Éducation Enfantine, n°8, Nathan, 2005.Ouzoulias A., « La production de textes courtspour prévenir lesdifficultés dansl’apprentissage de lalecture et/ou yremédier », inComprendre et aiderles enfants endifficulté scolaire,coll. sous la dir. deToupiol G. etPastor L., FNAME-Retz, 2004.

en groupes de 4 à 6 élèves, sont concentréessur une durée de trois semaines à un mois,à raison de deux ou trois heures par jour.Suite à une évaluation diagnostique, quipeut être faite à partir des évaluations CE2,les compétences qui ne sont pas acquisessont repérées précisément et les élèves sontpris en charge par groupes de besoins. Desactivités adaptées leur sont alors proposées.Elles peuvent privilégier la mémorisation demots courant, le traitement des subsitutspour la compréhension de textes mais aussiet de façon importante la production detextes.

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Comment ont évolué les pro-grammes récemment?Dans les années 1970, on a assisté àl'importation des théories linguis-tiques du moment, grammaire géné-rative et transformationnelle. Lesenfants ont eu à effectuer des mani-pulations pour dégager des critères dereconnaissance du sujet. On s'estrendu compte ensuite qu’un arbrepour un linguiste et pour un gamin deCE2, ce n'était pas la même chose...Il me semble qu’il faut faire en sorteque, face à la langue, les enfantssoient en situation de curiosité (moije dis de gourmandise) et aient enviede regarder comment elle fonctionne.

Qu'apportent les programmes de2002?Ils se caractérisent par une focalisa-tion sur un nombre restreint denotions-noyaux. Elles sont incon-tournables et doivent être abordéesdans un ordre prédéfini. Par exemple

on ne peut pas travaillersur les accords sujet-verbe si on ne sait pasreconnaître un verbe. Lesnotions ainsi travailléessont au carrefour de

divers sous-domaines : ainsi lesaccords se rapportent à la fois à lagrammaire et à l’orthographe, lesconstructions du verbe « jouer » à lagrammaire et au lexique. Les pro-grammes insistent aussi sur le lienavec les autres disciplines, mathé-matiques, sciences ou langues étran-gères ou régionales. Les notions sontalors à travailler en rapport avec unprojet, sur l’ensemble du cycle.

Réduction d'horaires, fin dudécoupage traditionnel, vocabu-laire, orthographe, conjugaison,grammaire... L'ORL réduit-elleles ambitions des enseignants etles acquis des élèves?Les programmes 2002 ont pu par-fois être mal compris si les ensei-gnants ont cru qu'il fallait faire un tra-vail occasionnel, lors de la rencontreavec tel ou tel texte. Pour qu'il y aitdes apprentissages, il faut consacrerdu temps aux notions-noyaux, pourlesquelles on met en œuvre la voielongue, qui consiste à demander auxélèves d’identifier le problème, d’ob-server et de classer les faits de langueet de formuler des régularités.Ensuite ce n'est pas fini. Il faut y

revenir par des exercices de systé-matisation et de réemplois nom-breux. Sinon, on parcourt le pro-gramme trop rapidement et on laissesur le bord de la route beaucoupd'enfants.

Sur la manière de faire, quel est lerapport optimal entre les activitésde découverte et de classement et letravail de mémorisation et de sys-tématisation?De même qu’il y a des savoirs ensciences, il y a des savoirs à connaîtresur la langue : ce n'est pas parcequ'on parle une langue, qu'on a lessavoirs pour en décrire le fonction-nement. Par exemple, en conjugaison, quandj'entends [e], comment je l'écris? Ilexiste une vingtaine de manières pos-sibles de l'écrire. C'est une jolie situa-tion-problème qui répond à une vraiedifficulté. Après en avoir constaté lebesoin, on procède à un relevé et unclassement des graphies possibles,et on fait formuler les régularités parles élèves. Cette démarche en voielongue, qui constitue le noyau de ladémarche d’observation réfléchie dela langue, est appropriée ici car la

notion a une forte rentabilité ortho-graphique. Mais une fois qu'on a faitces relevés, on a fait la moitié duchemin. Il va falloir ensuite systé-matiser pour conduire les élèves àune automatisation de l’écriture desformes verbales les plus usuelles.Pour cela, on peut utiliser des acti-vités ritualisées, des jeux de déficonjugaison, le réemploi dans desphrases que les enfants construisenteux-mêmes ainsi que des exercicesd'application. Il faut prendrele temps de structurer cesapprentissages, les stabiliseret les automatiser.J’ai envie d'insister sur lepetit nombre de notions àaborder, inscrites dans uneprogrammation de cycle,(d'où l'intérêt d'avoir un clas-seur de cycle), sans oublier

RL et langues vivantes : l’avis deMarie-Claire Mzali, IEN dans leTarn.

L'école doit prendre en compte les élèves dontle français n'est pas la langue maternelle.Avec l'introduction du portfolio pour leslangues, dans lequel on demande, entre autres,aux enfants de faire mention de leur biogra-phie langagière, on permet à ces enfants desortir du bilinguisme clandestin, et d'établirdes ponts cognitifs entre les langues. Il estimportant qu'un enfant bilingue soit à l'aisedans et avec sa langue d'origine pour pouvoirêtre à l'aise dans la langue de scolarisation.

EN OBSERVATION RÉFLÉCHIE DE LA LANGUE(ORL) LES PROGRAMMES PRÉVOIENT UN

NOMBRE RESTREINT DE NOTIONS NOYAUXQU’IL CONVIENT D’ABORDER DANS UN

ORDRE PRÉDÉFINI. STRUCTURER LESAPPRENTISSAGES, LES STABILISER ET LES

AUTOMATISER DEMANDE DU TEMPS ET DE LARÉGULARITÉ DANS LE TRAVAIL EXPLIQUE

CLAUDINE GARCIA DEBANC.

Lecture etgrammaire

« Face au fonctionnement de la langue, faire en sorteque les enfants soient en situation de gourmanddise »

Lecture

O

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Articuler étudede la langue et écriture

que l'écriture est une occasionimportante de réemploi ou d’ap-propriation des structures gram-maticales. Les activités d’obser-vation de régularités et lesactivités de mémorisation sontcomplémentaires et égalementnécessaires pour la réussite desélèves.

Il y a un courant qui poussevers un retour à « la bonne

grammaire »Il faut prendre en compte lefait que la norme écrite esten train de bouger à cause

de la multiplication des écrits (duchat au sms). Toute révolutiontechnologique (internet) entraîneen effet une modification des pra-tiques et de la norme. Il y a doncnécessité de se recentrer sur desfondamentaux. Mais cela nesignifie pas de faire apprendrepar cœur toutes les formes deconjugaison. Comme je l’ai mon-tré plus haut, il faut tenir comptedes acquis des recherches lin-

guistiques pour amener les élèvesà dégager des régularités à partird’une observation de faits delangue mais il faut aussi prendrele temps de stabiliser les appren-tissages en faisant appel à lamémorisation. Les programmes2002 l’ont souligné, la morpho-logie, la grammaire de phrasesont des acquisitions indispen-sables en raison de la complexitéde l’orthographe du français.

Propos recueillis parDaniel Labaquère

Claudine Garcia-Debanc est professeure des universités en sciences dulangage et didactique du français. Elle travailleà l'université de Toulouse-Le Mirail(laboratoire Jacques-Lordat) et à l'IUFM Midi-Pyrénées (GRIDIFE-ERTe 46).Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages, dont« Comment enseigner l'oral à l'école primaire? »avec Sylvie Cèbe ( Hatier – 2004)

Dans l'enseignement d'une langue étrangère,il y a un véritable axe pour l'ancrage de l'ana-lyse de la langue française : les enfants, par cedétour, revisitent leur propre langue. Ils peu-vent ébranler les représentations simplifiées eterronées qu'ils se sont construites sur la seulebase du rapport qu'ils ont à une seule langue,la leur. Un enfant qui a compris petit qu'unelangue n'est pas le calque d'une autre et qu'elleest régie par des règles et une norme, peutensuite interroger la variabilité entre leslangues. On peut essayer en classe d'élaborer des cor-pus, de chercher des régularités, d'analyser, declassifier et d'essayer de voir ce qui est pareilet ce qui est différent. On est en plein dans ladémarche de l'observation réfléchie de lalangue... et ce travail de comparaison estsource de jubilation intellectuelle pour lesenfants ! »

La comparaison est inscrite dans les pro-grammes, par exemple au cycle 2 : « Leslangues étrangères favorisent une attitudeactive et confiante dans l'utilisation d'autreslangues. Elles facilitent par comparaisonles apprentissages de langue française quicaractérisent le cycle 2 : reconnaissancedes unités distinctives (phonèmes néces-saires à l'apprentissage de la lecture), repé-rage des constructions syntaxiques, et pre-mière attitude réflexive face au lexiquesusceptible d'améliorer la compréhension. »

QQue disent les programmes? Philippe Hitier, enseignant maître

formateur de l'école Bénezet àToulouse, participe à une

recherche-formation sur « lesliens entre l'étude de la langue et

le savoir écrire dans l'articulationCM2-6ème ». Inscrite au plan de

formation, cette rechercheregroupe à la fois des professeurs

d'IUFM, des enseignants decollège, des maîtres-formateurs et

Claudine Garcia-Debanc pourl'université.

La question centrale de larecherche concerne l'articulation

entre la production d'écrits etl'analyse de la langue. Alors

même que n'ont toujours pas étépubliés les documents

d'accompagnement concernant cedomaine pour l'enseignement du

français à l'école primaire, larecherche est focalisée sur deuxpoints qui posent des difficultés

aux enseignants : en situationcomplexe de productions de

textes, les élèves ont beaucoup demal à ponctuer et segmenter leurs

écrits efficacement.Philippe a utilisé dans sa classe

l'outil qui a été élaboré parl'équipe de recherche pour faireémerger les représentations des

élèves sur la phrase. Il a suivi lemême protocole de passation que

celui qui a été utilisé en 6ème. Lesdonnées qu'il a recueillies doivent

maintenant servir à dégager lesnotions prioritaires à travailler auxdeux niveaux d'enseignement et à

concevoir des activités à mettre enoeuvre dans les classes. Celles-ci

seront filmées et évaluées avantde déboucher sur un document

descriptif et sur des exemples deprogrammation CM2/6ème sur «

la grammaire de phrase ».

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ourquoi êtes-vous devenuauteur de littérature jeunesse ? Ce sont mes premiers élèves, en1978, qui m’ont donné envied’écrire des histoires. J’ai été undes tout premiers instituteurs enmaternelle et je dis d’ailleurs sou-vent que la maternelle devrait plu-

tôt s’appeler « la parentèle », pour donneraux enfants une représentation plus justede la diversité homme-femme dans lasociété… Mais ce qui m’a d’emblée motivé,c’est le côté créatif de l’enseignement du trèsjeune enfant. La présence de l’image, desarts plastiques, des histoires à lire, de l’ima-gination est très forte en maternelle.Enfant, je n’étais pas un grand lecteur. Il n’yavait pas de BCD dans mon école, pas debibliothèque dans ma petite ville du PaysBasque et c’est à la bibliothèque du lycée, àBayonne, que j’ai vraiment découvert leslivres, la fonction de l’écrit qui ne consistepas simplement à raconter, mais à parlerau plus profond de soi, de tous les mys-tères de l’humanité, de toutes ses colèresaussi. C’est à ce moment-là, sans doute,que j’ai ressenti pour la première fois ledésir de prendre une revanche du côté del’alphabet, de conquérir un territoire deparole, moi l’enfant d’une famille de che-minots qui y accédait bien peu. Et lorsquej’ai eu mon premier poste d’enseignant,dans cette maternelle du quartier du ValFourré, à Mantes-la-Jolie (78), j’ai rencon-tré des enfants issus de milieux très popu-laires et en difficulté face à la vie ; cela n’afait que me conforter dans cette volontéd’écrire les livres qui auraient pu me donner

PIL Y A DIX ANS NAISSAIT RUE DU MONDE. DANS UNPAYS OÙ LA LITTÉRATURE JEUNESSE FAISAIT FIGURE

D’EXCEPTION CULTURELLE, ET OÙ CE SECTEUR DEL’ÉDITION CONNAISSAIT DES DIFFICULTÉS,

IL FALLAIT OSER. RENCONTRE AVEC ALAIN SERRES,

AUTEUR MILITANT DE LA LECTURE ET FONDATEURDE LA MAISON D’ÉDITION. ENTRETIENS, AVEC

QUELQUES UNS DE SES AUTEURS ET ILLUSTRATEURSFÉTICHES : SIMÉON, ZAÜ, CORVAISIER ET PEF.

C’est parce qu’il a « ressentiun affaiblissement de l’offre édi-toriale, après des années debouillonnement et d’explosionde la littérature jeunesse »,qu’Alain Serres a créé, il y adix ans, Rue du monde. Publié,connu et reconnu, l’auteur de «Puni-cagibi » relève alors undouble défi : imposer une ligneéditoriale novatrice « dans unpays où le livre jeunesse faitfigure d’exception culturelle »,réussir à développer une nou-velle maison d’édition indé-pendante dans un contexte dif-ficile pour ce genre d’entreprise(les éditions La Farandole

avaient fermé leursportes deux ansplus tôt). La ligne éditorialeest empreinte de

militantisme . Partant du prin-cipe que l’on peut parler de toutaux enfants, à condition de n’ex-clure « ni l’humour, ni la poésie,ni l’imaginaire », elle traite depoésie («Dis moi un poème quiespère »), des cultures dumonde (« Une cuisine grandecomme le monde»), l’Histoire(« il faut désobéir »), la citoyen-neté («Le grand livre contre leracisme»), sans oublier bien sûrles contes, les romans, lescomptines, les histoires pour lestout petits… L’autre parti priséditorial, c’est celui du gra-phisme autour d’auteurs telsAlain Serres, Siméon, DidierDaeninckx, Jean-Marie Henry,des illustrateurs comme Zaü,Corvaisier, Pef. Au total, près de125 albums au catalogue aujour-d’hui, et l’aventure continue.

Elle continue notamment grâceau réseau de distribution mis enplace avec Harmonia Mundi.400 à 500 librairies qui ont tou-jours les livres de Rue dumonde, dont les librairies spé-cialisées jeunesse. « Le livrejeunesse n’existerait pas sansles militants du livre et de lalecture que sont les réseaux delecture publique, les biblio-thèques, les BCD dans lesécoles, les enseignants qui cher-chent pour trouver les bonslivres chez les petits libraires.Nous ne pourrions pas faire ceslivres-là, nous avons besoind’eux » conclut Alain Serres quin’a pas oublié que lors de lacréation de Rue du monde, c’estpar souscription avant éditionque les premiers livres ont étéfinancés.

Littératurejeunesse

Lecture

Il y a dix ans, Rue du Monde

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ALAIN SERRES A PUBLIÉ « PAIN,BEURRE ET CHOCOLAT » EN 1982 AUX

ÉDITIONS LA FARANDOLE. AUTEUR

DE PLUS DE 50 ALBUMS EN COLLA-BORATION AVEC DE NOMBREUX

ILLUSTRATEURS, IL A ÉTÉ PUBLIÉ PAR

LA PLUPART DES ÉDITEURS DE LITTÉ-RATURE JEUNESSE. IL EST AUSSI

AUTEUR DE POÉSIES, DE CHANSONS,DE PIÈCES DE THÉÂTRE ET DE DES-SINS D’ANIMATION. DEPUIS 1996, ILSE CONSACRE ESSENTIELLEMENT À

SA MAISON D’ÉDITION RUE DU

MONDE. SON DERNIER ALBUM, «PREMIÈRE ANNÉE SUR LA TERRE», AÉTÉ RÉALISÉ AVEC LA

COMPLICITÉ DE

ZAÜ.

envie de lire quand j’étais enfant.

Ces années-là ont connu une forte évolu-tion de la littérature pour enfant. Com-ment l’avez-vous vécue ?Oui, les années 75 correspondent à une vraierenaissance du livre jeunesse. Dans l’édition,à cette époque, il y eut de l’audace, uneexplosion, un bouillonnement. Les rapportstexte-image bougeaient, des sujets qu’onn’aurait jamais osé aborder avant entraientdans le livre jeunesse : la mort, l’amour, laguerre... Tout ça me passionnait. Je medisais qu’en s’ouvrant ainsi lelivre pouvait devenir l’alliédes enfants, de tous lesenfants dans leurconstruction. Nousétions alors bien loin deces livres édulcorés quiavaient fait l’histoire dulivre jeunesse depuis ses ori-gines ; des livres dans lesquels onentassait savoirs et connaissances, après yavoir aligné morale et religion. La littératureentrait enfin vraiment dans les livres pourenfants et ce mouvement n’a fait depuisque se développer en spirales. Dans cecontexte, j’ai d’emblée donné une orienta-tion créative à mon métier d’enseignant,avec le désir de voir les enfants, notam-ment ceux issus des milieux populaires,s’accaparer la parole écrite et à travers elle,s’emparer du monde d’aujourd’hui sanstabou, sans zone d’ombre. Je me suis alorsamusé à écrire des histoires pour les enfantsde ma classe, des poèmes et des chansonsaussi, et puis un jour, j’ai osé envoyer unmanuscrit à un éditeur…

Vous avez été à la fois enseignant etauteur durant 13 ans. Le travail de l’en-seignant a-t-il nourri celui de l’auteur ?Le quotidien des enfants a alimenté toutmon travail. J’ai ainsi écrit « Puni cagibi »,un petit album qui a connu un beau succès,en pensant à l’un de mes élèves. Je l’avaismis à l’écart au fond de la classe pour qu’ilse calme, et lui se régalait à faire tourner sapetite voiture sur les autoroutes des tuyauxdu radiateur… Alors j’ai raconté l’histoired’un gamin qui fait tout pour être puni dansun cagibi plein de vieux objets intéressantspour lui !

Voilà pour le sourire, le pied de nez salva-teur de l’enfance mais j’ai aussi vu desgamins qui souffraient et dont le mondeexcluait de surcroît la souffrance. J’en aivu qui avaient des difficultés quotidiennespour bien dormir, se nourrir, être propre,se faire comprendre, être aimé. Je n’avaispas envie que l’on ferme les yeux sur ladureté de ces vies. Dans notre société, lesmédias nous montrent un monde de l’en-fance policé, peuplé de millions de petitsconsommateurs. Il y a pourtant tous ceux qui« morflent », ici et ailleurs. Je me bats pour

que la littérature jeunesse, si elleveut mériter son titre de lit-

térature, n’occulte rien decette complexité dumonde.Mais je n’ai jamais voulu

exclure de ce regard sur lemonde ni l’humour, ni la

poésie, ni l’imaginaire, ni l’art.C’est peut-être pour cela que nous

parvenons dans nos livres à parler du mondeaux enfants, de sa beauté et de ses laideurs,sans jamais les désespérer…

Vous posez-vous la question de l’enfantlecteur dans votre travail d’auteur oumême d’éditeur?Quand j’écris, je n’imagine pas, assis enface de moi, l’enfant lecteur idéal. Si j’ef-fectuais cette projection, je canaliserais mespropos, mon vocabulaire et couperais lesailes à mes idées. La production qui enrésulterait ne serait pas de la littérature parcequ’elle serait mue par la cible de l’enfantauquel on s’adresse. C’en serait fini avecl’authenticité de mes choix d’auteur. Cetteapproche vaut aussi pour les livres que nouséditons à Rue du monde.Le meilleur moyen d’apporter quelque choseau lecteur, qu’il soit enfant ou adulte, cen’est pas de le ranger dans une tranche d’âgethéorique ou une catégorie sociale, de selimiter aux mots qu’il est sensé avoir apprisà l’école, mais plutôt de laisser parler libre-ment sa voix d’auteur. C’est ainsi que l’ons’adresse le mieux à la personne que chaquelecteur est en train de construire : lui-même.Et si un certain nombre de choses lui échap-pent dans ce que nous écrivons, ou dessi-nons, tant mieux ! Si dans un livre, il n’ya pas cette part d’obscur, de mystère,

« S’adresser à la personne que chaque lecteur est entrain de construire »

«Lemeilleur moyen

d’apporter quelque chose aulecteur, qu’il soit enfant ou

adulte, ce n’est pas de le ranger dansune tranche d’âge, mais plutôt de

laisser parler librement savoix d’auteur.»

Alain Serres

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« Dans chaque livre, des balisespour mener l’enfant à imaginer quelhomme, quelle femme il a enviedd’être parmi les autres »

C’est signé Serres

Il est l’auteur de plus cinquantealbums de littérature jeunesse. En

voici quelquees uns, triés au hasard :

« Du commerce de la souris »,illustré par Claude Lapointe,Gallimard jeunesse (1984).

« N ‘écoute pas celui qui répète »,illustré par Martine Mellinette,

Cheyne éditeur (19886).

« Kinon, le kiwi qui dit oui »,illustré par Tony Ross, Gallimard

jeunesse (1989).

« Puni cagibii », illustré par ClaudeK. Dubois, Pastel/L’école des loisirs

(1990).

« Tempête sur la piscine », dee lasérie des Pastagums illustrée parPef, Gallimard jeunesse (1994).

« Prière de ne pas entrer danss lachambre des parents », illustré par

Klaas Verplanche, Casterman(1996).

« Le garnd livre des Drooits del’Enfant », illustré par Pef et 70

photographes, Rue du monde(1997).

« Un air de famille », illustré parMartin Jarrie, Rue du monde

1998.

« Le grand livre des filles et desgarçons », ouvragee collectif

illustré par Antonin Louchard etMonike Czarneki, Rue du monde

(2000).

« Les étonnants annimaux que le filsde Noë a sauvé », illustré parMartin Jarrie, Rue du monde

(2001).

« On n’aime guère que la paix »,illustré par Nathali Novi, Rue du

monde 2003.

« La ville aux 100 poèmes »,illustrré par Edmée Cannard, Rue

du monde 2006.

d’images étranges que l’on n’a pas comprises ou qu’on interprèteà sa manière, alors de quoi va se nourrir l’activité du lecteur ? Si onlivrait du pré-mâché, si on ne laissait pas de jeu entre les lignes, s’il n’yavait pas de flou entre le texte et l’image, comment le jeune lecteurpourrait-il produire ? Il est décisif que l’enfant cherche, sinon commentaurait-il une chance de pouvoir se trouver ?

Cela ne pose-t-il pas un problème de compréhension, parfois ?Il ne s’agit pas non plus de produire des textes semés d’embûches, quivisent à faire échouer l’enfant lecteur à chaque ligne pour se confor-ter dans son statut d’adulte ! Il faut qu’il y ait le sentiment partagé deréussir dans un livre ; réussir ensemble, l’auteur et le lecteur. Et réus-sir en lecture, c’est réussir à trouver activement sa place dans le livre,parler à hauteur d’homme avec le créateur du livre. C’est avec cetteambition que l’on a enfin fait entrer la littérature jeunesse à l’école, parla grande porte, il y a quatre ans. Elle est reconnue comme une chancepour les enfants d’accéder aux multiples plaisirs libérateurs de la lec-ture. Et l’on voudrait aujourd’hui, par quelques décisions ministérielles,ramener l’enfant à l’état de simple déchiffreur des lettres qui lui suf-firont pour remplir sa déclaration d’impôt ? Heureusement que laplupart des enseignants ont une autre ambition pour l’école en cedébut de troisième millénaire ! Ils ont perçu qu’il y a dans la littéra-ture de jeunesse - ça ne veut pas dire dans tous les livres pour enfants! - une magnifique chance pour chaque enfant. Alors, pour le coup, l’ob-jectif de l’apprentissage de la lecture prend un tout autre souffle : nouerentre chaque enfant et les livres des liens définitifs qui nourriront savie d’adulte libre.Nous devons agir de manière à faire ressentir à l’enfant que danschaque livre, mais aussi chaque bon film, pièce de théâtre, ballet ouœuvre plastique, un humain s’adresse personnellement à lui et luifabrique des lucioles pour éclairer la nuit des mystères, des balises pourl’aider à quitter l’aéroport de son quotidien et le mener à imaginer quelhomme, quelle femme, il a envie d’être parmi les autres. Si l’enfant per-çoit ces enjeux, il va aimer les livres et il va évidemment, avoir envied’apprendre à lire. C’est pour cela que, dès le plus jeune âge, la fré-quentation des livres de qualité est déterminante.

Si votre démarche s’inscrit dans la réalité du monde, l’imaginairey trouve aussi une grande place ?Ce sont les rectos et versos d’un même feuille. Nous venons ainsi deréaliser Il était une fois, il était une fin, un album sans texte qui pro-pose sur la page de gauche une image (il était une fois …) et sur la pagede droite une deuxième image ( il était une fin). Entre les deux, l’en-fant est invité à jeter un pont d’histoire. Il doit chercher les infos, recou-per, recroiser, faire des hypothèses, les vérifier… accomplir des gestesintellectuels proches de ceux qui permettent de lire. Par des livres trem-plins comme celui-ci, loin de positions idéologiques stériles, notre petite

Rue du monde essaie de répondre, concrètement, depuis 10ans maintenant, aux questions que nous soulevons.

Propos recueillis parPierre Magnetto

Dans les pages suivantes nouspublions des planches inédites,

illustrées par Zaü, Pef et LaurentCorvaisier, sur des textes d’Alain

Serres. Elles ont été réaliséesspécialement et gracieusement pour

Fenêtre sur cours. Merci auxprotagonistes de Rue du monde

pour leurs interventions poétiques etémouvantes, pleines de respect, de

confiance et d’ambition pour lesenfants, pour les enseignants.

Lecture

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