La Liste de Mes Envies

8/19/2019 La Liste de Mes Envies

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Maquette de couverture :Bleu T

Photo de la bande : MitchHrdlicka / go

premium / graphic obsession

© 2012, éditions Jean-Claude Lattès.

Première éditionfévrier 2012.ISBN : 978-2-7096-3854-8


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DU MÊME AUTEUR

L’Écrivain de la famille, Lattès2011.


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www.editions-jclattes.fr

http://www.editions-jclattes.fr/


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Pour l fillassise su

l

voiture oui, ellétait là


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« Toutesles peines

sont permises,

toutesles

peinessontconseilléil n’est

qued’aller,il n’est

que


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d’aimer. »


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On se ment toujours.

Je sais bien, par exemple, que je nsuis pas jolie. Je n’ai pas des yeux bleudans lesquels les hommes scontemplent ; dans lesquels ils ont envi

de se noyer pour qu’on plonge lesauver. Je n’ai pas la taille mannequin e suis du genre pulpeuse, enrobé

même. Du genre qui occupe une place edemie. J’ai un corps dont les bras d’uhomme de taille moyenne ne peuvent paout à fait faire le tour. Je n’ai pas l

grâce de celles à qui l’on murmure d


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ongues phrases, avec des soupirs eguise de ponctuation ; non. J’appellplutôt la phrase courte. La formul

brutale. L’os du désir, sans la couenne sans le gras confortable.

Je sais tout ça.

Et pourtant, lorsque Jo n’est paencore rentré, il m’arrive de montedans notre chambre et de me plante

devant le miroir de notre armoirependerie – il faut que je lui rappelle da fixer au mur avant qu’un de ces jours

elle ne m’écrabouille pendant m

contemplation.Je ferme alors les yeux et je m

déshabille doucement, comme personn

ne m’a jamais déshabillée. J’ai chaqu


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fois un peu froid ; je frissonne. Quand jsuis tout à fait nue, j’attends un peu avand’ouvrir les yeux. Je savoure. J

vagabonde. Je rêve. Je revois les corpémouvants alanguis dans les livres dpeinture qui traînaient chez nous ; plu

ard, les corps plus crus des magazines.Puis je relève doucement me

paupières, comme au ralenti.

Je regarde mon corps, mes yeux noirsmes seins petits, ma bouée de chair, mforêt de poils sombres et je me trouvbelle et je vous jure qu’à cet instant, j

suis belle, très belle même.Cette beauté me rend profondémen

heureuse. Terriblement forte.

Elle me fait oublier les chose


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vilaines. La mercerie un peu ennuyeuseLes parlottes et le loto de Danièle eFrançoise – les jumelles qui tiennent l

salon Coiff’Esthétique voisin de lmercerie. Elle me fait oublier les chosemmobiles, cette beauté. Comme une vi

sans histoires. Comme cette villépouvantable, sans aéroport ; cette villgrise d’où l’on ne peut pas s’enfuir et oùpersonne n’arrive jamais, aucun voleu

de cœur, aucun chevalier blanc sur ucheval blanc.

Arras. 42 000 habitants,

hypermarchés, 11 supermarchés, 4 fastfoods, quelques rues médiévales, unplaque rue du Miroir-de-Venise qundique aux passants et aux oublieu


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qu’ici est né Eugène-François Vidocq l24 juillet 1775. Et puis ma mercerie.

Nue, si belle devant le miroir, il msemble qu’il suffirait juste de battre debras pour que je m’envole, légèregracieuse. Que mon corps rejoigne ceu

des livres d’art qui traînaient dans lmaison de mon enfance. Il serait aloraussi beau qu’eux ; définitivement.

Mais je n’ose jamais.Le bruit de Jo, en bas, me surpren

oujours. Un accroc dans la soie de morêve. Je me rhabille à la va-viteL’ombre couvre la clarté de ma peau. Jsais la beauté rare sous mes habits. MaiJo ne la voit jamais.

Une fois, il m’a dit que j’étais belle


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Il y a plus de vingt ans et j’avais un peplus de vingt ans. J’étais joliment vêtueune robe bleue, une ceinture dorée, u

faux air de Dior ; il voulait coucher avemoi. Son compliment eut raison de meolis vêtements.

Vous voyez, on se ment toujours.Parce que l’amour ne résisterait pas

a vérité.


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Jo, c’est Jocelyn. Mon mari depuivingt et un ans.

Il ressemble à Venantino Venantini, lbeau gosse qui jouait Mickey le bègudans Le Corniaud et Pascal le flingueu

dans Les Tontons flingueurs. Mâchoirvolontaire, regard sombre, accent italieà se pâmer, soleil, peau doréeroucoulades dans la voix qui donnent lchair de poule aux poules sauf que moJocelyno Jocelyni lui, il a dix kilos dplus et un accent loin de faire s’étourdi

es filles.


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Il travaille chez Häagen-Dazs depui’ouverture de l’usine, en 1990. Il gagn

deux mille quatre cents euros par mois

Il rêve d’un écran plat à la place dnotre vieux poste Radiola. D’unPorsche Cayenne. D’une cheminée dan

e salon. De la collection complète deames Bond en DVD. D’uchronographe Seiko. Et d’une femmplus belle et plus jeune que moi ; mai

ça il ne me le dit pas. Nous avons deux enfants. Trois e

fait. Un garçon, une fille et un cadavre.

Romain a été conçu le soir où Jo m’dit qu’il me trouvait belle et où cmensonge m’a fait perdre la tête, le

vêtements et le pucelage. Il y avait un


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chance sur des milliers pour que jombe enceinte la première fois et c’esombé sur moi. Nadine est arrivée deu

ans après et depuis je n’ai plus jamairetrouvé mon poids idéal. Je suis restégrosse, une sorte de femme enceint

vide, un ballon rempli de rien.Une bulle d’air.

Jo a cessé de me trouver belle, de m

oucher ; il s’est mis à traîner devant lRadiola le soir en mangeant les glacequ’on lui donnait à l’usine, puis à boirdes 33 Export. Et j’ai pris l’habitude d

m’endormir seule.Une nuit, il m’a réveillée. Il était tou

dur. Il était ivre, il pleurait. Alors je l’a

accueilli en moi et cette nuit-là Nadèg


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s’est faufilée dans mon ventre et s’esnoyée dans mes chairs et mon chagrinQuand elle est sortie, huit mois plu

ard, elle était bleue. Son cœur étamuet. Mais elle avait des ongleravissants, des cils très longs, et je sui

sûre qu’elle était jolie même si je n’aamais vu la couleur de ses yeux.

Le jour de la naissance de Nadègequi fut aussi celui de sa mort, Jo a arrêtes bières. Il a cassé des choses dan

notre cuisine. Il a crié. Il a dit que la viétait dégueulasse, que la vie était un

pute, une putain de pute. Il a frappé spoitrine, son front, son cœur et les mursIl a dit c’est trop court une vie. C’esnjuste. Faut en profiter bordel de merd


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parce qu’on n’a pas le temps ; mon bébél a ajouté en parlant de Nadège, m

petite fille, où es-tu ? Où es-tu m

puce ? Romain et Nadine ont filapeurés dans leur chambre et Jo, cour-là, a commencé à rêver aux belle

choses qui rendent la vie plus douce ea douleur moins forte. Un écran plaUne Porsche Cayenne. James Bond. Eune jolie femme. Il était triste.

Moi, mes parents m’ont prénomméJocelyne.

Il y avait une chance sur des million

pour que j’épouse un Jocelyn et il a fallque ça tombe sur moi. Jocelyn eJocelyne. Martin et Martine. Louis

Louise. Laurent et Laurence. Raphaël


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Raphaëlle. Paul et Paule. MicheMichèle. Une chance sur des millions.

Et c’est tombé sur moi.


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J’ai repris la mercerie l’année de momariage avec Jo.

J’y travaillais depuis deux ans déjorsque la propriétaire avala de traver

un bouton qu’elle mordillait afin d

s’assurer qu’il était bien en ivoire. Lbouton glissa sur la langue humide, sficha dans le laryngopharynx, attaqua uigament crico-thyroïdien et se fich

dans l’aorte ; Mme Pillard ne s’entenddonc pas étouffer, pas plus que mod’ailleurs, le bouton bouchant tout.


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C’est le bruit de chute qui m’alerta.

Le corps entraîna dans soeffondrement les boîtes de boutons ; humille boutons roulèrent dans la petitboutique et ce fut la première chose aquelle je pensai en découvrant l

drame : combien de jours et de nuitallais-je passer à quatre pattes à trier lehuit mille boutons fantaisie, métal, boisenfant, haute couture, etc.

Le fils adoptif de Mme Pillard arrivde Marseille pour l’enterrement, mproposa de reprendre la boutique, l

banque fut d’accord et le 12 mars 199un peintre délicat vint typographie

ercerie Jo, anciennement Maiso

illard sur le fronton et sur la porte d


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a petite boutique. Jo était fier. Mercerio, disait-il en se bombant le torse, e

faisant le médaillé, Jo, Jo c’est mo

c’est mon nom !Je le regardais et je le trouvais bea

et je pensais que j’avais de la chance d

’avoir pour mari.Cette première année de mariage fu

flamboyante. La mercerie. Le nouvea

ravail de Jo à l’usine. Et la naissancevenir de Romain.

Mais jusqu’ici la mercerie n’a jamaimarché très fort. Je dois faire face à lconcurrence de 4 hypermarchés, 1supermarchés, aux prix scélérats dmercier du marché le samedi, à la cris

qui rend les gens peureux et méchants e


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à l’indolence des Arrageoises, qupréfèrent la facilité du prêt-à-porter à lcréativité du fait main.

En septembre, on vient mcommander des étiquettes tissées coudre ou thermocollantes ; quelque

fermetures éclair, des aiguilles et du fiquand on veut réparer les vêtements d’an passé plutôt que d’en acheter de

neufs.

À Noël, des patrons de déguisementLa princesse reste ma meilleure ventesuivie de la fraise et de la citrouille

Côté garçon, le pirate fonctionne bien e’an dernier fut la folie du sumo.

Puis c’est calme jusqu’au printemps

Quelques ventes de boîtes à couture


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deux ou trois machines à coudre et dissu au mètre. En attendant un miraclee tricote. Mes modèles se venden

plutôt bien. Surtout les couvertures-sacpour nouveau-nés, les écharpes et lepulls en coton à crocheter.

Je ferme la boutique entre midi edeux et je rentre déjeuner seule à lmaison. Parfois, quand il fait beau, nouallons avec Danièle et Françoise mangeun croque en terrasse, à L’Estaminet oau Café Leffe, sur la place des Héros.

Elles sont jolies, les jumelles. Je sai

bien qu’elles se servent de moi poumettre en valeur leurs tailles fines, leurambes longues, leurs yeux clairs d

biches ; délicieusement effarouchées


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Elles sourient aux hommes qui déjeunenseuls ou à deux, elles minaudenroucoulent parfois. Leurs corps lancen

des messages, leurs soupirs sont debouteilles à la mer et parfois un hommen cueille une, le temps d’un café, d’un

promesse chuchotée, d’une désillusio– les hommes manquent tellemend’imagination ; puis vient l’heure drouvrir nos boutiques. C’est toujours

ce moment-là, sur le chemin du retourque nos mensonges refont surface. J’eai marre de cette ville, j’ai l’impressio

de vivre dans une brochure historiqueahhh j’étouffe, dit Danièle, dans un an jserai loin, au soleil, je me referai leseins. Si j’avais de l’argent, ajout

Françoise, je plaquerais tout, comme ça


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du jour au lendemain. Et toi, Jo ?

Je serais belle et mince et plupersonne ne me mentirait, pas mêmmoi. Mais je ne réponds rien, je mcontente de sourire aux jolies jumellesDe mentir.

Quand nous n’avons pas de clienteselles me proposent toujours unmanucure ou un brushing ou un masqu

ou une parlotte, comme elles disent. Dmon côté, je leur tricote des bérets odes gants qu’elles ne portent jamaisGrâce à elles, je suis ronde mai

soignée, manucurée ; je suis au courandes coucheries des uns et des autres, deproblèmes de Denise de La Maison d

Tablier avec la traîtresse Genièvre d


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Loos et ses 49° d’alcool, de lretoucheuse de chez Charlet-Fournie qua pris vingt kilos depuis que son mar

s’est entiché du shampooineur de cheJean-Jac, et nous avons toutes troi’impression d’être les trois personne

es plus importantes du monde.Enfin, d’Arras.

De la rue, en tout cas.


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Voilà. J’ai quarante-sept ans.

Nos enfants sont partis. Romain estGrenoble, en deuxième année d’unécole de commerce. Nadine est eAngleterre, elle fait du baby-sitting e

des films vidéo. L’un de ses films a étprojeté dans un festival où elle a gagnun prix et depuis, nous l’avons perdue.

La dernière fois où nous la vîmesc’était à Noël dernier.

Quand son père lui a demandé cqu’elle faisait, elle a sorti une petit


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caméra de son sac et l’a branchée sur lRadiola. Nadine n’aime pas les motElle parle très peu depuis qu’elle parle

Elle ne m’a jamais dit maman j’ai faimp a r exemple. Elle se levait et prenaalors quelque chose à manger. Jamai

dit : fais-moi réciter mon poème, meçon, mes tables de multiplication. Ellgardait les mots en elle, comme s’ilétaient rares. Nous conjuguions l

silence elle et moi : regards, gestessoupirs en lieu et place de sujetsverbes, compléments.

Sur l’écran sont apparues des imageen noir et blanc de trains, de railsd’aiguillages ; au début, c’était très lenpuis tout s’est accéléré lentement, le


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mages se sont superposées, le rythmdevenait envoûtant, fascinant ; Jo s’esevé, a été prendre une bière sans alcoo

dans le frigo ; je ne pouvais détachemes yeux de l’écran, ma main a pricelle de ma fille, sujet , des ondes on

parcouru mon corps, verbe, Nadinesour i , complément . Jo bâillait. Jpleurais.

Quand le film a été fini, Jo a dit qu’ecouleurs, avec du son et sur un écraplat, ça serait pas mal ton film fillette, emoi je lui ai dit merci, merci Nadine, j

ne sais pas ce que tu as voulu dire aveon film, mais j’ai réellement ressent

quelque chose. Elle a débranché lpetite caméra du Radiola et elle


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chuchoté en me regardant : j’ai écrit loléro de Ravel en images maman, pou

que les sourds puissent l’entendre.

Alors j’ai serré ma fille contre mocontre ma chair flasque, et j’ai laissmes larmes couler parce que même si j

ne comprenais pas tout, je devinaiqu’elle vivait dans un monde sanmensonges.

Le temps de ce lien je fus une mamacomblée.

Romain est arrivé plus tard, amoment de la bûche et des cadeaux. Iavait une fille à son bras. Il a bu deTourtel avec son père, en faisant ldifficile : c’est de la pisse d’âne, c

ruc, a-t-il dit et Jo l’a fait taire e


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âchant un méchant ouais, ben demande Nadège ce que ça fait la bibine, elle ve le dire, p’tit con, sale petit con. L

ille a alors bâillé et Noël a été gâchéNadine n’a pas dit au revoir, elle s’eséclipsée dans le froid, volatilisé

comme de la buée. Romain a fini lbûche ; il a essuyé ses lèvres avec lrevers de sa main, il a léché ses doigtet je me suis alors demandé à quo

servirent toutes ces années à luapprendre à bien se tenir, à ne pamettre ses coudes à table, à dire merci

ous ces mensonges. Avant de partir àson tour, il nous a informés qu’il arrêtases études et qu’il allait travailler avea fille comme serveur au Palais Breton

une crêperie sise à Uriage, vill


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hermale à dix minutes de Grenoble. J’aregardé mon Jo ; mes yeux criaient, diquelque chose, empêche-le, retiens-le

mais il a juste levé sa bouteille vernotre fils, comme le font parfois lehommes dans les films américains, et i

ui a souhaité bonne chance et ce fut toutVoilà. J’ai quarante-sept ans.

Nos enfants vivent leur vi

maintenant. Jo ne m’a pas encore quittépour une plus jeune, une plus mince, plubelle. Il travaille beaucoup à l’usine ; oui a donné une prime le mois dernier e

s’il suit une formation, on lui a dit qu’ipourrait un jour être contremaître contremaître, ça le rapprocherait de se

rêves.


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Son Cayenne, son écran plat, sochronographe.

Moi, mes rêves, ils se sont enfuis.


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Au CM2, je rêvais d’embrasseFabien Derôme et c’est Juliette Bocqu

qui a eu droit à son baiser.Le 14 juillet de mes treize ans, j’a

dansé sur « L’Été indien » et j’ai pri

pour que mon cavalier hasarde sa maisur ma poitrine nouvelle ; il n’a pas oséAprès le slow, je l’ai vu rire avec secopains.

L’année de mes dix-sept ans, j’ai rêvque ma mère se relève du trottoir où ellétait tombée brutalement en poussant u


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cri qui n’est pas sorti, j’ai rêvé que cn’était pas vrai, pas vrai, pas vrai ; qu’in’y eut pas soudain cette tache entre se

ambes qui mouillait honteusement srobe. À dix-sept ans je rêvais que mmère fût immortelle, qu’elle puiss

m’aider à coudre ma robe de mariée uour et me conseiller dans le choix dbouquet, le parfum du gâteau, la couleupâle des dragées.

À vingt ans je rêvais d’être stylistede filer à Paris suivre les cours dStudio Berçot ou d’Esmod, mais mo

père était malade déjà et j’acceptai cravail à la mercerie de Mme Pillard. J

rêvais alors en secret de Solal, dprince charmant, de Johnny Depp e


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Kevin Costner du temps où il n’avait pad’implants, et ce fut Jocelyn Guerbettemon Venantino Venantini enrobé

gentiment grassouillet et complimenteur Nous nous rencontrâmes pour l

première fois à la mercerie alors qu’i

venait y acheter trente centimètres ddentelle de Valenciennes pour sa mèreune dentelle aux fuseaux à fils continusrès fine, aux motifs travaillés en mat

une merveille. C’est vous qui êtes unmerveille, me dit-il. Je rougis. Mocœur s’emballa. Il sourit. Les homme

savent les désastres que certains motdéclenchent dans le cœur des filles ; enous, pauvres idiotes, nous pâmons eombons dans le piège, excitées qu’u


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homme nous en ait enfin tendu un.

Il me proposa de boire un café aprèa fermeture. J’avais cent fois, mille foi

rêvé ce moment où un hommm’inviterait, me courtiserait, mconvoiterait. J’avais rêvé d’être ravie

emportée loin dans le feulement d’unautomobile rapide, poussée à bord d’uavion qui volerait vers des îles. J’avairêvé de cocktails rouges, de poissonblancs, de paprika et de jasmin mais pad’un café au Tabac des Arcades. Pad’une main moite sur la mienne. Pas d

ces mots sans grâce, ces phrasehuileuses, ces mensonges déjà.

Alors ce soir-là, après que Jocely

Guerbette m’eut embrassée, affamé e


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mpatient, après que je l’eudélicatement repoussé et qu’il se fuéloigné en promettant de revenir me voi

e lendemain, j’ouvris mon cœur eaissai mes rêves s’envoler.


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Je suis heureuse avec Jo.

Il n’oublie aucun de noanniversaires. Le week-end, il aimbricoler au garage. Il fabrique des petitmeubles que nous vendons dans le

brocantes. Il y a trois mois, il a installe wifi parce que j’avais décidé d’écrir

un blog sur mes tricots. Parfois, aprèavoir mangé, il me pince la joue edisant t’es gentille toi Jo, t’es une bonnpetite. Je sais. Ça peut vous sembler ubrin machiste, mais ça vient de so

cœur. Il est comme ça, Jo. La finesse, l


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égèreté, la subtilité des mots, il nconnaît pas bien. Il n’a pas lu beaucoude livres ; il préfère les résumés au

raisonnements ; les images aux légendesIl aimait bien les épisodes de Columbparce que dès le début, on connaissai

’assassin.Moi, les mots, j’aime bien. J’aim

bien les phrases longues, les soupirs qus’éternisent. J’aime bien quand les motcachent parfois ce qu’ils disent ; ou ldisent d’une manière nouvelle.

Quand j’étais petite, je tenais u

ournal. Je l’ai arrêté le jour de la morde maman. En tombant, elle a aussi faomber mon stylo et se fracasser plein d

choses.


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Alors, quand on discute, Jo et moc’est surtout moi qui parle. Il m’écouten buvant sa fausse bière ; parfois mêm

l opine du chef, comme on dit, pour msignifier qu’il comprend, qu’is’intéresse à mes histoires et même si ç

n’est pas vrai, c’est gentil de sa part.Pour mes quarante ans, il a posé un

semaine de vacances à l’usine, il conduit les enfants chez sa mère et il m’emmenée à Étretat. Nous sommedescendus à l’hôtel de l’AiguillCreuse, en demi-pension. Nous avon

passé quatre jours merveilleux et il m’alors semblé, pour la première fois dma vie, que c’était ça, être amoureuseNous faisions de longues promenade


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sur les falaises en nous tenant la main parfois, quand il n’y avait pas d’autrepromeneurs, il me plaquait contre le

rochers, il embrassait ma bouche et smain coquine venait se perdre dans mculotte. Il avait des mots simples pou

décrire son désir. Le jambon sans lcouenne. Tu m’fais bander. Tum’excites. Et un soir, à l’heure violettsur la falaise d’Aval, je lui ai dit merci

e lui ai dit prends-moi, et il m’a fa’amour dehors, vite, brutalement ; e

c’était bien. Quand nous sommes rentré

à l’hôtel, nous avions les joues rouges ea bouche sèche, comme des adolescentun peu ivres et ce fut un beau souvenir.

Le samedi, Jo aime bien traîner ave


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es gars de l’usine. Ils jouent aux carteau Café Georget, ils se disent des trucd’hommes ; ils parlent des femmes, il

échangent leurs rêves, parfois ils sifflendes filles de l’âge des leurs mais ce sonde bons bougres ; d’grands parlou

’tits faisous , comme on dit chez nous ce sont nos hommes.

L’été, les enfants vont chez des amiet Jo et moi descendons dans le Midpour trois semaines, à VilleneuveLoubet, au camping du Sourire. Onretrouve J.-J. et Marielle Roussel qu’o

a rencontrés là, par hasard, il y a cinans – ils sont de Dainville, à quatrkilomètres seulement d’Arras ! – eMichèle Henrion, de Villeneuve-sur-Lo


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a capitale du pruneau, une femme pluâgée que nous, restée vieille fille ; çac’est parce qu’elle suce le noyau

prétend Jo ; qu’elle descend au barbuPastis égrillard, grillades, sardines ; lplage à Cagnes en face de l’hippodrom

quand il fait très chaud, une ou deux foiMarineland, les dauphins, les otaries epuis les toboggans d’eau, nos cris dfrayeur à chaque fois, qui finissent e

rires et en joies d’enfants.Je suis heureuse avec Jo.

Ce n’est pas la vie dont rêvaient me

mots dans le journal du temps où mamaétait vivante. Ma vie n’a pas la grâcparfaite qu’elle me souhaitait le soir

orsqu’elle venait s’asseoir à côté d


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moi, sur le lit ; lorsqu’elle caressaidoucement mes cheveux en murmurant u as du talent, Jo, tu es intelligente, t

auras une jolie vie.Même les mamans mentent. Parc

qu’elles aussi, elles ont peur.


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Il n’y a que dans les livres que l’opeut changer de vie. Que l’on peut tou

effacer d’un mot. Faire disparaître lpoids des choses. Gommer les vilenieet au bout d’une phrase, se retrouve

soudain au bout du monde.Danièle et Françoise jouent au lot

depuis dix-huit ans. Chaque semainepour dix euros de mise, elles font derêves à vingt millions. Une villa sur lCôte d’Azur. Un tour du monde. Mêmuste un voyage en Toscane. Une île. U

ifting. Un diamant, une Santos Dumon


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Lady de Cartier. Cent paires dLouboutin et de Jimmy Choo. Un tailleuChanel rose. Des perles, des vraie

perles comme Jackie Kennedy, qu’est-cqu’elle était belle ! Elles attendent la fide la semaine comme d’autres l

Messie. Chaque samedi leurs cœurs’emballent quand les bouleourneboulent. Elles retiennent leu

souffle, elles ne respirent plus ; à chaqu

fois on pourrait mourir, disent-elles echœur.

Il y a douze ans, elles ont gagné d

quoi ouvrir Coiff’Esthétique. Ellem’ont fait porter un bouquet de fleurous les jours qu’ont duré les travaux e

depuis, bien que j’aie développé un


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féroce allergie aux fleurs, nous sommedevenues amies. Elles occupenensemble le dernier étage d’une maiso

qui donne sur le jardin du Gouverneuravenue des Fusillés. Françoise a biefailli se fiancer plusieurs fois, mais

’idée d’abandonner sa sœur elle préféré abandonner l’idée de l’amour par contre, en 2003, Danièle s’esnstallée avec un représentant e

shampooings, soins et colorationprofessionnels L’Oréal, un granénébreux à la voix de baryton, au

cheveux noir corbeau ; un exotique. Ellavait succombé à l’odeur sauvage de speau mate, craqué pour les poils noirdes phalanges de ses longs doigts ; ell

avait rêvé d’amours animales, Danièle


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de combats, de catch chaud, de chairmêlées, mais si le grand singe avait lecouilles bien remplies comme il fallait

l se révéla l’intérieur videmmensément, tragiquement désertiqueC’était un très bon coup, me confia-t

elle un mois plus tard en rentrant, svalise sous le bras, un coud’anthologie, mais après le coup, plurien, le représentant fait dodo, ronfle

puis il repart à l’aube faire ses tournéevelues, niveau culture, zéro et moi, quoqu’on en dise, moi j’ai besoin de parler

d’échanger ; on n’est pas des bêtequand même, ça non, on a besoin d’âme

Le soir de son retour, nous allâmeoutes les trois dîner à la Coupole


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crevettes roses sur lit de perles du Norpour Françoise et moi, andouillettd’Arras gratinée au maroilles pou

Danièle, qu’est-ce que vous voulez, moune rupture ça me fait un trou, unbéance, faut que je comble, et après un

bouteille de vin elles se promirent ehurlant de rire de ne plus jamais squitter, ou que si l’une des deurencontrait un homme, de le partage

avec l’autre.Puis elles voulurent aller danser a

Copacabana ; on tombera peut-être su

deux beaux gars, dit l’une ; sur deubons numéros, fit l’autre en riant, et je nes accompagnai pas.

Depuis le 14 juillet de mes treize ans


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« L’ té indien » et ma poitrinnaissante, je ne danse plus.

Les jumelles ont disparu dans la nuiemportant avec elles leurs rires et lclaquement doucement vulgaire de leuralons sur les pavés, et je suis rentré

chez nous. J’ai traversé le boulevard dStrasbourg, j’ai remonté la rue Gambettusqu’au palais de Justice. Un taxi e

passé, ma main a tremblé ; je me suivue le héler, grimper à son bord. Je msuis entendue dire « loin, le plus loipossible ». J’ai vu le taxi repartir ave

moi à l’arrière, moi qui ne me retournpas, moi qui ne me salue pas, qui ne mfais aucun dernier geste, qui n’ai aucuregret ; moi qui pars et qui disparai


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sans laisser de traces.

Il y a sept ans.

Mais je suis rentrée.Jo dormait la bouche ouverte devan

e Radiola ; un filet de salive brillait suson menton. J’ai éteint la télévision. J’aposé une couverture sur son corps touordu. Dans sa chambre, Romain s

battait dans le monde virtuel d

reelancer . Dans la sienne, Nadinisait les entretiens d’Hitchcock et d

Truffaut ; elle avait treize ans.

Elle leva la tête lorsque je poussai lporte de sa chambre, elle me sourit et ja trouvai belle, immensément belle

J’aimais ses grands yeux bleus, je le

appelais ses yeux de ciel. J’aimais s


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peau claire où nul mal n’avait encoraissé d’écorchure. Ses cheveux noirs

un cadre autour de sa pâleur délicate

J’aimais ses silences et l’odeur de speau. Elle se recula contre le mur, ne dirien lorsque je vins m’allonger auprè

d’elle. Puis elle caressa doucement mecheveux comme le faisait maman ereprit sa lecture à voix basse cette foiscomme le fait un grand pour apaiser le

craintes d’un petit.


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Une journaliste de L’Observateur d’Arrageois est passée à la mercerie c

matin. Elle voulait m’interviewerpropos de mon blog, dixdoigtsdor .

C’est un blog modeste.

J’y écris chaque matin à propos dbonheur du tricot, de la broderie, de lcouture. J’y fais découvrir des étoffes

des laines ; les rubans pailletés, velourssatin et organdi ; les dentelles coton eélastiques ; les cordons queues de ratacet ciré, cordelière tressée rayonne


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es cordons anorak. J’y parle parfois da mercerie, d’un arrivage de scratch

coudre ou de bandes pression. J’y laiss

aussi couler quelques vagues à l’âme dbrodeuse, de dentellière ou de tisseuse es vagues à l’âme des femmes qu

attendent. Nous sommes toutes deathalie, l’Iseult de L’Éternel Retour .

— Vous avez déjà plus de mille deuxcents connexions par jour, s’écrie lournaliste, mille deux cents, rien qu

sur l’agglomération.

Elle a l’âge des enfants dont on es

fiers. Elle est jolie avec ses taches drousseur, ses gencives roses, ses dents sblanches.

Votre blog est inattendu. J’ai mill


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questions pour vous. Pourquoi chaquour mille deux cents femmes viennen

parler chiffons. Pourquoi soudain ce

engouement pour le tricot, la mercerie…e toucher. Est-ce que vous pensez qu’o

souffre de l’absence de contact. Est-c

que le virtuel n’a pas tué l’érotisme. J’arrête. Je ne sais pas, dis-je, je ne saipas. Avant, on écrivait un journal intimeaujourd’hui c’est un blog. Vous écrivie

un journal ? me relance-t-elle. Je sourisNon. Non, je n’écrivais pas de journal ee n’ai aucune réponse à vos questions

e suis désolée.Alors elle pose son carnet, so

crayon, son sac.

Elle plante ses yeux dans les miens


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Elle écrase sa main sur la mienne et dit ma mère vit seule depuis plus de dians. Elle se lève à six heures. Elle s

prépare un café. Elle arrose ses plantesElle écoute les nouvelles à la radio. Ellboit son café. Elle fait un brin d

oilette. Une heure plus tard, à sepheures, sa journée est finie. Il y a deumois, une voisine lui a parlé de votrblog et elle m’a demandé de lui achete

u n machin – un machin, dans soangage, c’est un ordinateur. Depuis

grâce à vos passementeries, vo

bouffettes et vos embrasses, elle retrouvé la joie de vivre. Alors ne mdites pas que vous n’avez pas dréponses.


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La journaliste a rassemblé ses affaireen disant je reviendrai et vous aurez leréponses.

Il était onze heures vingt ce matiorsqu’elle est partie. Mes mainremblaient, mes paumes étaient moites.

Alors j’ai fermé la boutique et je suirentrée chez nous.


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J’ai souri en redécouvrant moécriture d’adolescente.

Les points sur les i étaient des rondses a en caractères d’imprimerie et sues i d’un certain Philippe de Gouverne

es points étaient des cœurs minusculesPhilippe de Gouverne. Je me souvienC’était l’intellectuel de la classe ; lplus drôle aussi. On le raillait à causde sa particule. On le surnomma

ourta. J’étais terriblement amoureusde lui. Je le trouvais redoutablemen

séduisant avec son écharpe qui faisa


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deux fois le tour de son cou et tombausqu’à sa taille. Quand il raconta

quelque chose, il parlait au passé simpl

et la musique de sa conjugaisom’envoûtait. Il disait qu’il seraécrivain. Ou poète. Qu’il écrirait de

chansons. Qu’en tout cas, il ferait battre cœur des filles. Tout le monde riaitPas moi.

Mais je n’ai jamais osé l’aborder.

Je tourne les pages de mon journaDes tickets de cinéma collés. Une photde mon baptême de l’air à Amiens-Glis

avec papa, en 1970, pour mes sept ansIl ne s’en souviendrait plus aujourd’huDepuis son accident, il est dans l

présent. Il n’a plus de passé, pas d


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futur. Il est dans un présent qui dure siminutes et toutes les six minutes, lcompteur de sa mémoire retombe à zéro

Toutes les six minutes il me demandmon prénom. Toutes les six minutes idemande quel jour on est. Toutes les si

minutes il demande si maman va arriverEt puis je retrouve cette phrase

’encre violette des filles, vers la fin dmon journal, écrite avant que maman ns’effondre sur le trottoir.

J’aimerais avoir la chance ddécider de ma vie, je crois que c’est l

lus grand cadeau qui puisse nous êtrait .

Décider de sa vie.

Je referme le journal. Je suis grand


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maintenant alors je ne pleure pas. J’aquarante-sept ans, un mari fidèle, gentisobre ; deux grands enfants et une petit

âme qui me manque parfois ; j’ai umagasin qui, bon an mal an, parvient nous rapporter, en plus du salaire de Jo

de quoi avoir une jolie vie, d’agréablevacances à Villeneuve-Loubet epourquoi pas, un jour, nous permettre dréaliser son rêve de voiture (j’ai vu un

occasion qui m’a semblé très bien rente-six mille euros). J’écris un blo

qui procure de la joie à la maman d’un

ournaliste de L’Observateur d’Arrageois, probablement à mille cenquatre-vingt-dix-neuf autres damechaque jour. Et au vu des bons chiffres


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’hébergeur m’a tout récemment proposd’y vendre de l’espace publicitaire.

Jo me rend heureuse et je n’ai jamaieu envie d’un autre homme que lui, maidire que j’ai décidé de ma vie, ça non.

En retournant à la mercerie, j

raverse la place des Héros quansoudain j’entends crier mon nom. Csont les jumelles. Elles boivent un caf

en faisant leur loto. Joue, pour une foisme supplie Françoise. Tu ne vas parester mercière toute ta vie. J’aime biema mercerie, dis-je. T’as pas envi

d’autre chose ? renchérit Danièle. Allezs’il te plaît. Alors je me dirige vers lburaliste et demande un bulletin

Lequel ? Lequel quoi ? Le loto Loto o


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’Euro Millions ? Je n’en sais rien, moL’Euro Millions alors, il y a une bellcagnotte vendredi. Je lui donne les deu

euros qu’il réclame. La machine choisdes chiffres et des étoiles pour moi puil me tend un bulletin. Les jumelle

applaudissent. — Enfin ! Enfin notre petite Jo v

faire de beaux rêves cette nuit.


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J’ai très mal dormi.

Jo a été malade toute la nuiDiarrhées. Vomissements. Depuiplusieurs jours, lui qui ne se plainamais, se plaint de courbatures. I

frissonne sans cesse – et ce n’est pas cause de mes caresses fraîches sur sofront brûlant ni de mes massages sur spoitrine pour apaiser sa toux, padavantage parce que je chantonne decomptines de maman pour le rassurer.

Le médecin est venu.


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C’est probablement la grippA/H1N1, cette saloperie meurtrièrePourtant, à l’usine, ils appliquent toute

es consignes de sécurité. Port dmasque FFP2, gel hydro-alcooliqua é r a t i o n régulière des ateliers

nterdiction de se serrer la main, ds’embrasser, de s’enculer ajoutait Jo eriant, il y a deux jours, avant que ça nui tombe dessus. Le docteur Caron lui

prescrit de l’Oseltamivir (le fameuTamiflu) et beaucoup de repos. Ça fervingt-huit euros, madame Guerbette. J

s’est endormi au matin. Et bien qu’n’ait pas d’appétit, je suis allée cherchedeux croissants beurre chez FrançoiThierry, ses préférés, je lui ai prépar


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un thermos de café que j’ai déposé susa table de nuit, au cas où. Je l’aregardé dormir un petit moment. I

respirait bruyamment. Des perles dranspiration naissaient à ses tempes

glissaient sur ses joues et venaien

silencieusement éclater et mourir sur spoitrine. J’ai vu ses rides nouvelles sue front, de minuscules ridules autour d

sa bouche, comme de minuscules ronces

sa peau qui commençait à se détendrdans le cou, là où il aimait que j’embrasse, au début. J’ai vu ces année

sur son visage, j’ai vu le temps qui nouéloigne de nos rêves et nous rapprochdu silence. Je l’ai alors trouvé beau moJo dans son sommeil d’enfant malade, e

’ai aimé mon mensonge. J’ai pensé qu


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si l’homme le plus beau du monde, lplus gentil, le plus tout , apparaissait làmaintenant, je ne me lèverais pas, je n

e suivrais pas, je ne lui sourirais mêmpas.

Je resterais là parce que Jo a besoi

de moi et une femme a besoin qu’on abesoin d’elle.

Le plus beau du monde, il n’a besoi

de rien puisqu’il a tout le monde. Il a sbeauté ; et l’irrépressible fringale doutes celles qui veulent s’en repaître e

finiront par le dévorer et le laisseron

mort, les os bien sucés, brillants eblancs, dans le fossé de leurs vanités.

Plus tard, j’ai appelé Françoise. Ell

va scotcher une petite affichette sur l


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vitrine de la mercerie. Fermé deux jourour cause de grippe. Puis j’ai relay’information sur mon blog.

Dans l’heure, je reçus cent mails.

On me proposait de tenir la mercerie temps que mon mari se rétablisse. O

me demandait la taille de Jo pour luricoter des pulls, des gants, des bonnets

On me demandait si j’avais besoi

d’aide, de couvertures ; besoin d’unprésence, pour la cuisine, le ménage, unamie pour discuter, faire face à cmauvais moment. C’était incroyable

ixdoigtsdor avait ouvert des vannes dgentillesse enfouie, oubliée. Mehistoires de cordelières, de coulisses e

de fil pâtissier avaient, semble-t-il, cré


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un lien très fort ; une communautnvisible de femmes qui, e

redécouvrant le plaisir de la couture

avaient remplacé la solitude des jourpar la joie d’être soudain une famille.

On sonna à la porte.

C’était une femme du quartier, unadorable petite branche d’arbre seccomme l’était l’actrice Madelein

Renaud. Elle apportait des tagliatelleJe toussai. Tant de sollicitude inattendum’étouffait. Je n’avais pas l’habitudque l’on me donne quelque chose san

que je l’aie demandé. Je ne pus parlerElle sourit, si douce. Elles sont auépinards et au fromage frais. De

féculents et du fer. Vous avez besoin de


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forces Jo. Je balbutiai un remerciemenet mes larmes jaillirent. Inextinguibles.


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Je suis passée voir mon père.

Après qu’il m’eut demandé qu’étais, il réclama des nouvelles d

maman. Je lui dis qu’elle faisait decourses, qu’elle passerait un peu plu

ard. J’espère qu’elle m’apportera moournal, dit-il, et de la mousse à raser, j

n’en ai plus.

Je lui ai parlé de la mercerie. Et m’a demandé pour la centième fois sc’était moi la patronne. Il n’en revenapas. Il était fier. Mercerie Jo


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anciennement Maison Pillardercerie Jo, ton nom sur une enseign

Jo, tu te rends compte ! Je suis conten

pour toi. Puis il a relevé la tête, m’regardée. Qui êtes-vous ?

Qui êtes-vous. Six minutes venaien

de passer.Jo allait mieux. L’Oseltamivir, l

repos, les tagliatelles aux épinards et a

fromage frais et mes comptines douceeurent raison de la grippe assassine. Iresta quelques jours à la maison, fit upeu de bricolage et, lorsqu’un soir i

ouvrit une Tourtel et alluma lélévision, je sus qu’il était tout à fa

rétabli. La vie reprit son cours, calme

docile.


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Dans les jours qui suivirent, lmercerie ne désemplit pas edixdoigtsdor comptabilisa plus de cin

mille visites par jour. Pour la premièrfois depuis vingt ans, je fus en rupture dstock sur les boutons en caséine, e

corozo et galalithe, sur les dentelles aacet et les guipures, les marquoirs eabécédaires ainsi que les pompons. Cqui était le pompon puisque je n’e

avais vendu aucun depuis un an. J’eu’impression d’être au cœur d’un film a guimauve de Frank Capra et je peu

vous dire que parfois, la guimauve, c’esrudement bon.

Quand l’émotion fut retombée, noufîmes, Danièle, Françoise et moi, de


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paquets avec les couvertures, les pullses taies d’oreillers brodées que l’o

avait offerts à Jo et Danièle se charge

de les donner à une œuvre dbienfaisance du diocèse d’Arras.

Mais l’événement le plus important d

cette période de notre vie, celui qurendait les jumelles hystériques depuideux jours, c’est que le bulletin gagnande l’Euro Millions avait été validéArras. Arras, merde, dans notre trou dcul, ça aurait pu être nous ! crièrentelles, dix-huit millions d’euros

d’accord d’accord, c’est un petit gaicomparé aux soixante-quinze millions dFranconville, mais quand même, dix-humillions ! Ah, ça me fait un deuxièm


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rou du cul tiens !

Ce qui les rendait plus bouillanteencore, pratiquement au bord d’apoplexie, c’était que le gagnant n

s’était toujours pas manifesté.

Et qu’il ne restait que quatre jour

avant que la somme ne soit perdue eremise en jeu.


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Je ne sais pas comment, mais je sus.

Je sus, sans avoir encore regardé lechiffres, que c’était moi.

Une chance sur soixante-seizmillions, et ça tombait sur moi. Je lu

’encadré dans la Voix du Nord . Tout était.

Le 6, le 7, le 24, le 30 et le 32. Le

étoiles numéro 4 et 5.Un bulletin validé à Arras, place de

Héros. Une mise à deux euros. U

système flash.


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18 547 301 euros et 28 centimes.

Alors je fis un malaise.


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Jo me trouva par terre, dans la cuisin– comme j’avais trouvé maman sur l

rottoir, il y a trente ans. Nous partions faire les course

ensemble lorsque je m’aperçus qu

’avais oublié la liste sur la table de lcuisine. Je remontai ; maman attendasur le trottoir.

Quand je redescendis, au momenmême où je débouchai sur la rue, je lvis me regarder, ouvrir grand la bouchemais aucun son n’en sortit ; son visag


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se tordit, il eut la même grimace qu’horrible personnage du tableau d

Munch, Le Cri, et elle s’affaissa su

elle-même à la manière d’un accordéonIl avait suffi de quatre secondes pouque je sois orpheline. Je m’étai

précipitée, mais trop tard.On se précipite toujours trop tar

quand quelqu’un meurt. Comme pahasard.

Il y eut quelques cris, un coup dfrein. Les mots semblaient couler de mbouche, comme des larmes ; il

m’étouffaient.Puis la tache apparut sur sa robe

entre ses jambes. La tache grossit à vu

d’œil, comme une honteuse tumeur. Dan


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ma gorge, je sentis aussitôt le froid d’ubattement d’aile, la brûlure d’ungriffure ; alors, après celle d

personnage sur le tableau, après celle dma mère, ma bouche s’ouvrit à son touet d’entre mes lèvres grotesques u

oiseau s’envola. Une fois à l’air libre, ipoussa un cri terrifiant ; son changlaçant.

Un chant de mort.

Jo paniqua. Il crut que c’était lgrippe criminelle. Il voulut appeler ldocteur Caron, mais je revins à moi, l

rassurai. C’est rien, je n’ai pas eu lemps de déjeuner, aide-moi à m

relever, je vais m’asseoir cinq minute

et ça va aller, ça va aller. T’es tout


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chaude, dit-il, sa main sur mon front. Çva aller je te dis, en plus j’ai mes règlesc’est pour ça que j’ai chaud.

Règles. Le mot magique. Qui éloigna plupart des hommes.

Je te réchauffe quelque chose

proposa-t-il en ouvrant le frigo, à moinque tu veuilles commander une pizza. Jsouris. Mon Jo. Mon doux. On pourra

peut-être manger dehors, pour une foismurmurai-je. Il sourit, attrapa unTourtel. Je mets une veste, ma belle, ee suis ton homme.

Nous dînâmes au vietnamien à deurues de la maison. Il n’y avapratiquement personne et je m

demandai comment ils faisaient pou


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enir. Je commandai une soupe légèraux nouilles de riz (bùn than), Jo depoissons frits (cha ca) et je pris sa mai

dans la mienne, comme aux heures dnos fiançailles, il y a vingt ans. Tu as leeux brillants, chuchota-t-il dans u

sourire nostalgique.Et si tu pouvais entendre battre mo

cœur, pensai-je, tu craindrais qu’iexplose.

Les plats arrivèrent assez vite ; jouchai à peine à ma soupe. Jo s

rembrunit. Ça ne va pas ? Je baissa

doucement les yeux.Je dois te dire quelque chose, Jo.

Il dut sentir l’importance de mo

aveu. Il posa ses baguettes. Essuy


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délicatement ses lèvres à l’aide de lserviette de coton – il faisait toujourdes efforts au restaurant –, prit ma main

Ses lèvres sèches tremblèrent. Ce n’erien de grave, rassure-moi ? Tu n’es pamalade, Jo ? Parce que… parce que s’

’arrivait quelque chose, ça serait la fidu monde, je… Des larmes montèrentmes yeux et en même temps je me mis rire, un rire contenu, qui ressemblait a

bonheur. Je mourrais sans toi, Jo. NonJo, non, rien de grave, ne t’inquiète paschuchotai-je.

Je voulais te dire que je t’aime.Et je me jurai qu’aucune somm

d’argent, jamais, ne vaudrait de perdr

out ça.


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Nous fîmes l’amour très doucemencette nuit-là.

Était-ce à cause de ma pâleur, mfragilité nouvelle ? Était-ce à cause da peur irraisonnée qu’il avait eue de m

perdre, quelques heures plus tôt arestaurant ? Était-ce parce que noun’avions plus fait l’amour depuiongtemps, qu’il lui fallut du temps pou

réapprendre la géographie du désirréapprivoiser ses brutalités d’homme Était-ce parce qu’il m’aimait jusqu’

placer mon plaisir au-delà du sien ?


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Cette nuit-là, je ne le sus pasAujourd’hui je le sais. Mais Dieu que cfut une belle nuit.

Elle me rappela les nuits des débutdes amants, celles où l’on accepte dmourir à l’aube ; ces nuits qui ne s

soucient de rien d’autre que d’ellesmêmes, loin du monde, du bruit, de lméchanceté. Et puis, avec le temps, lbruit et la méchanceté passent par là ees réveils deviennent difficiles, le

désillusions cruelles. Après le désioujours vient l’ennui. Et il n’y a qu

’amour pour venir à bout de l’ennuL’amour, avec un grand A ; notre rêve àoutes.

Je me souviens avoir pleuré à la fi


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de la lecture de Belle du Seigneur . Jfus même en colère lorsque les amantse jetèrent par la fenêtre du Ritz

Genève. Je jetai moi-même le livre à lpoubelle et, dans sa courte chute, iemporta le grand A.

Mais cette nuit, il m’a semblé qu’était revenu.

Quand ce fut l’aube, Jo disparu

Depuis un mois, il suit une formation dsept heures trente à neuf heures chaqumatin, afin de devenir contremaître et dse rapprocher de ses rêves.

Mais tes rêves mon amour, je peux tes offrir désormais ; ils ne coûtent pa

bien cher tes rêves. Un écran plat Son

52’ : 1 400 euros. Un chronograph


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Seiko : 400 euros. Une cheminée dans lsalon : 500 euros, plus 1 500 pour leravaux. Une Porsche Cayenne : 89 00

euros. Et ton intégrale de James Bond22 films : 170 euros.

C’est horrible. Je pense n’import

comment.Ce qui m’arrive est terrifiant.


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J’ai rendez-vous à la Française deJeux, à Boulogne-Billancourt, en régio

parisienne.J’ai pris le train tôt ce matin. J’ai dit

Jo que j’avais des fournisseurs à voir

Synextile, Eurotessile et FilagSabarent. Je rentrerai tard, ne m’attendpas. Il y a du blanc de poulet au frigo, ede la ratatouille à réchauffer.

Il m’a accompagnée jusqu’à la garepuis il a couru jusqu’à l’usine pour êtrà l’heure à sa formation.


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Dans le train, je pense aux rêves deumelles, à leurs désillusions chaqu

vendredi soir, quand les boules tomben

et portent d’autres numéros que leurnuméros réfléchis, leurs numéros penséspesés, soupesés.

Je pense à ma communauté dedixdoigtsdor , ces cinq mille PrincessAurore qui rêvent de se piquer le doigau fuseau de leur rouet pour êtrréveillées d’un baiser.

Je pense aux boucles de six minutede papa. À la vanité des choses. À c

que l’argent ne répare jamais.Je pense à tout ce que maman n’a pa

eu, dont elle rêvait, et que je pourrais lu

offrir désormais ; un voyage sur le Ni


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une veste Saint Laurent, un sac Kellyune femme de ménage, une couronne ecéramique au lieu de cette horribl

couronne en or qui ternit somerveilleux sourire, un appartement rudes Teinturiers, une soirée à Paris

Moulin Rouge et Mollard, le roi d’huître, et des petits-enfants. Elle disa« les grands-mères sont de meilleuremères, une mère a bien trop à faire à êtr

une femme ». Ma mère me manque autanqu’au jour de sa chute. J’ai toujourfroid autour d’elle. Je pleure toujours.

qui dois-je donner dix-huit millions cincent quarante-sept mille trois cent ueuros et vingt-huit centimes pour qu’ellrevienne ?


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Je pense à moi, à tout ce qui me serapossible maintenant et je n’ai envie drien. Rien que tout l’or du monde puiss

offrir. Mais est-ce le cas de tout lmonde ?

L’hôtesse est charmante.

Ah ! c’est vous le bulletin d’ArraElle me fait attendre dans un petit salonm’offre de la lecture, me propose un th

ou un café ; merci, dis-je, j’en ai déjà brois depuis ce matin et je me senaussitôt stupide, tellement provinciale si cruche. Peu de temps après, ell

revient me chercher et me conduusqu’au bureau d’un certain Herv

Meunier qui m’accueille les bra

ouverts, ah, vous nous avez donné de


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sueurs froides, dit-il en riant, mais enfivous êtes là, c’est le principal. Asseyezvous, je vous en prie. Mettez-vous

votre aise. Vous êtes ici chez voumaintenant. Mon chez moi est un granbureau ; la moquette est épaisse, j

glisse discrètement un pied hors de mechaussures à semelles plates pour lcaresser, m’y enfoncer un peu ; unclimatisation douce diffuse un ai

agréable et, au-delà des vitres, il y d’autres immeubles de bureaux. Odirait d’immenses tableaux, des Hoppe

en noir et blanc.C’est ici le point de départ des vie

nouvelles. Ici, en face d’Hervé Meuniequ’on découvre la potion magique. Ic


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qu’on reçoit le talisman qui change lvie.

Le Graal.

Le chèque.

Le chèque à votre nom. Au nom dJocelyne Guerbette. Un chèque d18 547 301 euros et 28 centimes.

Il me demande le ticket, ainsi que mcarte d’identité. Il vérifie. Il passe u

bref coup de fil. Le chèque sera prêdans deux minutes, souhaitez-vous ucafé ? Nous avons toute la gamm

Nespresso. Cette fois, je ne réponds paComme vous voulez. Personnellemene suis accro au Livanto, à cause de so

côté onctueux, hum, suave, moelleux

bon, euh, en attendant, se reprend-il


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’aimerais vous faire rencontrer ucollègue. En fait, vous devez lrencontrer.

C’est un psychologue. Je ne savaipas qu’avoir dix-huit millions était unmaladie. Mais je me retiens de tou

commentaire.Le psychologue est une psychologue

Elle ressemble à Emmanuelle Béart

comme elle, elle a les lèvres de DaisDuck, des lèvres si gonflées, dit mon Joqu’elles exploseraient si on les mordaitElle porte un tailleur noir qui met e

avant sa plastique (comme danchirurgie), elle me tend une maiosseuse et me dit ça ne sera pas long. I

ui faut quarante minutes pou


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m’expliquer que ce qui m’arrive est ungrande chance et un grand malheur. Jsuis riche. Je vais pouvoir m’acheter c

que je veux. Je vais pouvoir faire decadeaux. Mais attention. Je dois mméfier. Parce que lorsqu’on a d

’argent, soudain on vous aime. Soudaides inconnus vous aiment. On va voudemander en mariage. On va vouenvoyer des poèmes. Des lettre

d’amour. Des lettres de haine. On vvous demander de l’argent pour soignea leucémie d’une petite fille qu

s’appelle Jocelyne, comme vous. On vvous envoyer des photos d’un chiemartyrisé et vous demander d’être smarraine, sa sauveuse ; on vou

promettra un chenil à votre nom, de


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croquettes, du pâté, un concours caninUne maman de myopathe vous enverrune vidéo bouleversante sur laquell

vous verrez son petit tomber dan’escalier, cogner sa tête contre le mur e

elle vous demandera de l’argent pou

nstaller un ascenseur dans la maisonUne autre vous enverra des photos de spropre mère en train de baver, de sfaire caca dessus, et elle vou

demandera avec des mots pleins darmes et de douleur de quoi l’aider

payer une aide à domicile, elle vou

enverra même le formulaire pour quvous puissiez déduire votre aide dempôts. Une Guerbette de Pointe-à-Pitr

se découvrira être votre cousine et vou


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demandera l’argent du billet pour venivous voir, puis l’argent d’un studio, pui’argent pour rencontrer son am

guérisseur qui vous fera perdre ces kiloen trop. Je ne parle pas des banquiersTout sucre tout miel tout à coup

Madame Guerbette par-ci, courbettepar-là. J’ai des placements défiscalisésInvestissez dans les Dom. La loMalraux. Scellier. L’or, la pierre et le

pierres précieuses. Ils ne vous parleronpas des impôts. De l’ISF. Des contrôlefiscaux. Ni de leurs frais.

Je comprends de quelle maladie parla psychologue. C’est la maladie de ceu

qui n’ont pas gagné, ce sont leurpropres peurs qu’ils essaient d


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m’inoculer, comme un vaccin du mal. Jproteste. Il y a quand même des gens quont survécu. Je n’ai gagné que dix-hu

millions. Et ceux qui ont gagné cencinquante, même trente millions Justement, me répond la psychologu

d’un air mystérieux, justement. Alorsseulement maintenant, j’accepte un caféUn Livato je crois, ou un Livatino peuêtre, onctueux en tout cas. Avec un

sucre, merci. Il y a eu beaucoup dsuicides, me dit-elle. Beaucoupbeaucoup de dépressions, de divorces

de haines et de drames. On a vu decoups de couteaux. Des blessures apommeau de douche. Des brûlures aButagaz. Des familles déchirée

anéanties. Des belles-filles trompeuses


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des gendres alcooliques. Des contratpour éliminer quelqu’un ; oui, commdans les mauvais films. J’ai eu un beau

père qui a promis mille cinq cents euroà celui qui éliminerait sa femme. Ellavait gagné un peu moins de soixante-di

mille euros. Un gendre qui a coupé deuphalanges pour avoir un code de cartbleue. Des fausses signatures, defausses écritures. L’argent rend fou

madame Guerbette, il est à l’origine dquatre crimes sur cinq. D’undépression sur deux. Je n’ai pas d

conseil à vous donner, conclut-elleseulement cette information. Nous avonune cellule de soutien psychologique svous le souhaitez. Elle repose sa tass


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de café dans laquelle elle n’a pas trempses lèvres daisyduckiennes. Vous l’aveannoncé à vos proches ? Non, réponds

e. C’est parfait, dit-elle ; nous pouvonvous aider à le leur dire, trouver lemots pour minimiser le choc, parce qu

ça sera un choc, vous verrez. Vous avedes enfants ? J’opine. Eh bien, ils nvous verront plus seulement comme unmère, mais comme une mère riche et il

voudront leur part. Et votre mari ; peutêtre a-t-il un travail modeste, eh bien iva vouloir arrêter de travailler

s’occuper de votre fortune, je dis bievotre fortune parce que désormais ellsera à lui comme à vous puisqu’il vouaime, ah ça oui, il va vous le dire qu’i

vous aime, dans les jours et les mois qu


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viennent, il va vous offrir des fleurs, jsuis allergique la coupé-je, des… dechocolats, je ne sais pas, moi, poursuit

elle, en tout cas, il va vous gâter, il vvous endormir, il va vous empoisonnerC’est un scénario écrit d’avance

madame Guerbette, écrit depuis bieongtemps, la convoitise brûle tout suson passage ; souvenez-vous, les Borgiaes Agnelli et, plus récemment, le

Bettencourt.Puis elle me fait promettre que j’a

bien compris tout ce qu’elle a dit. Ell

me tend un petit bristol avec quatrnuméros d’urgence ; n’hésitez pas à nouappeler, madame Guerbette, et n’oubliepas, on va vous aimer pour autre chos


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que vous désormais. Puis elle mramène auprès d’Hervé Meunier.

Lequel sourit de toutes ses dents.

Ses dents me rappellent celles dvendeur de notre première voiturd’occasion à Jo et moi, une Ford Esco

bleue de 1983, un dimanche de mars sue parking du Leclerc. Il pleuvait.

Votre chèque, dit-il. Voilà. Dix-hui

millions cinq cent quarante-sept millrois cent un euros et vingt-huit centimes

articule-t-il lentement comme uncondamnation. Vous êtes sûre que voune préférez pas un virement bancaire ?

Je suis sûre.

En fait je ne suis plus sûre de rien.


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Mon train pour Arras est dans sepheures.

Je pourrais demander à HervMeunier, puisqu’il me le propose, dfaire changer mon billet, de réserver u

rain plus tôt, mais il fait beau. Je veumarcher un peu. J’ai besoin d’air. DaisDuck m’a laissée K.O. Je ne peux pacroire qu’un assassin, ni même umenteur, encore moins un voleur sclaquemure dans mon Jo. Pas croire qumes enfants vont me voir avec les yeu

de Picsou, ces gros yeux avides d’o


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sortait le S du dollar dans les albumllustrés de mon enfance quand i

regardait quelque chose qu’il convoitait

La convoitise brûle tout sur soassage, avait-elle dit.

Hervé Meunier me raccompagn

usqu’au trottoir. Il me souhaite bonnchance. Vous avez l’air de quelqu’un debien, madame Guerbette. Quelqu’un d

bien, tu parles. Quelqu’un avec dix-humillions, oui. Une fortune que secourbettes ne lui rapporteront jamaisC’est drôle comme souvent les laquai

donnent l’impression de posséder lrichesse de leurs maîtres. À un tel poinde génie parfois qu’on se laisse aller

devenir son laquais. Le laquais d


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aquais. N’en faites pas trop, monsieuMeunier, dis-je en retirant ma main qu’imaintient avec une insistance moite dan

a sienne. Il baisse les yeux et retourndans l’immeuble, badge le tourniquet. Iva retrouver le décor de son bureau où i

ne possède rien, pas même l’épaissmoquette ou le tableau des immeubleaccroché au mur. Il est de la famille dces caissiers de banque qui compten

des milliers de billets, qui ne font queur brûler les doigts.

Jusqu’au jour où.

Je remonte la rue Jean-Jaurèusqu’au métro Boulogne-Jean Jaurèigne 10, direction Gare d’Austerlitz

changement à la Motte-Picquet. J


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regarde mon petit papier. Prendre la 8direction Créteil-Préfecture et sortirMadeleine ; traverser le boulevard de l

Madeleine, descendre la rue Duphot eremonter la rue Cambon sur ma gaucheusqu’au 31.

J’ai à peine le temps de tendre lmain que la porte s’ouvre toute seule paa grâce d’un portier. Deux pas et j

pénètre dans un autre monde. Il fait fraisLa lumière est douce. Les vendeusesont belles, discrètes ; l’une d’elles’approche, chuchote, je peux vou

aider, madame ? Je regarde, je regardemarmonné-je impressionnée, mais c’eselle qui me regarde.

Mon vieux manteau gris, mais s


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confortable vous n’avez pas idée, mechaussures à semelles plates – je les achoisies tôt ce matin car mes pied

gonflent dans le train –, mon sanforme, usé ; elle me sourit, n’hésite

pas à me demander tout ce que vou

voulez. Elle s’éloigne, discrète, racée.Je m’approche d’une jolie vest

bicolore en tweed de lin et coton, 2 49euros. Les jumelles adoreraient. Jdevrais en prendre deux, 4 980 eurosUne belle paire de sandales en PValons 90 mm, 1 950 euros. De

mitaines, forme biseautée en agneau, 65euros. Une montre toute simple, ecéramique blanche, 3 100 euros. Uravissant sac en crocodile, maman aura


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adoré mais jamais osé ; prix sudemande.

Ça commence à combien un prix sudemande ?

Soudain, une actrice dont je ne mrappelle jamais le nom sort de l

boutique. Elle tient un grand sac danchaque main. Elle passe si près de moque je sens l’effluve de son parfum

quelque chose de lourd, d’un peécœurant ; vaguement sexuel. Le portiefait une courbette qu’elle ne remarqupas. Dehors, son chauffeur se précipite

s’empare des deux sacs. Elle s’engouffrdans une grosse voiture noire puidisparaît derrière les vitres sombres

avalée.


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Quel cinéma !

Moi aussi, Jocelyne Guerbettmercière à Arras, je pourrais dévalisea boutique Chanel, louer les service

d’un chauffeur et me déplacer dans unimousine ; mais pour quoi faire ? C

que j’ai vu de solitude sur le visage dcette actrice m’a effrayée. Alors jquitte discrètement la boutique de rêvea vendeuse m’adresse un sourir

poliment désolé, le portier m’ouvre lporte mais je n’ai pas droit à lcourbette, ou alors je ne la remarqu

pas.Dehors, l’air est vif. Le bruit de

klaxons des voitures, la menace de

mpatiences, les envies de meurtre de


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automobilistes, les coursiers kamikazerue de Rivoli à quelques dizaines dmètres de là, tout me rassure soudain

Plus de moquette épaisse, plus drévérences grasses. De la violencordinaire enfin. De la douleur mesquine

De la tristesse qui ne sort pas. Deodeurs brutales, vaguement animaleschimiques, comme à Arras derrière lgare. Ma vraie vie.

Je me dirige alors vers le jardin deTuileries ; je serre contre mon ventrmon vilain sac, mon coffre-fort ; Jo m’

dit de faire attention aux filous à Paris. I a des bandes d’enfants qui vou

dévalisent et vous ne vous rendecompte de rien. Des mendiantes ave


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des nouveau-nés qui ne pleurent jamaisbougent à peine, assommés au Dénoraou à l’Hexapneumine. Je pense

’Escamoteur , de Jérôme Boschmaman adorait ce tableau ; elle en aimaes moindres détails, comme les noix d

muscade sur la table de l’escroquerie.Je remonte l’allée de Diane jusqu’

’exèdre nord, où je m’installe sur upetit banc de pierre. Il y a une flaque dsoleil à mes pieds. L’envie d’êtrPoucette tout à coup. Plonger dans cettflaque d’or. M’y réchauffer. M’y brûler

Curieusement, même cernéed’automobiles et d’horribles scooterscoincées entre la rue de Rivoli et le qua

Voltaire, les particules d’air me


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semblent plus claires, plus propres. Jsais bien que ce n’est pas possible. Quc’est le fruit de mon imagination, de m

peur. Je sors le sandwich de mon sac c’est Jo qui me l’a préparé ce matinalors qu’il faisait encore nuit dehors

Deux tartines, du thon et un œuf dur. Jui ai dit je t’en prie, j’achèterai quelquchose à la gare, mais il a insisté, ce sondes voleurs, surtout dans les gares, ils t

vendent un sandwich huit euros et il esmoins bon que le mien et c’est même pasûr qu’il soit frais.

Mon Jo. Mon prévenant. Il est bon tosandwich.

À quelques mètres, une statu

d’Apollon, poursuivant Daphné et cell


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de Daphné poursuivie par le mêmApollon. Plus loin, une Vénus callipygecallipyge, adjectif dont je me souvien

avoir appris la définition en cours ddessin : qui a de belles fesses. Voir gros, gras. Comme moi. Et me voilà

moi, quelqu’un d’Arras, assise sur sebelles fesses en train de manger usandwich au jardin des Tuileries à Paricomme une étudiante alors que j’ai un

fortune dans mon sac.Une fortune terrifiante parce que j

me rends soudain compte que Jo

raison.Même à huit euros, à douze, à quinze

aucun sandwich ne serait aussi bon qu

e sien.


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Plus tard, j’ai encore le temps avane départ de mon train, je vais fouiner a

marché Saint-Pierre, rue Charle

odier. C’est ma caverne d’Ali Baba.Mes mains plongent dans les tissus

mes doigts tremblent au contact de

organdis, des feutrines fines, des jutesdes patchworks. Je ressens alor’ivresse qu’a dû ressentir cette femm

enfermée toute une nuit dans un Sephoradans leur beau film publicitaire. Tou’or du monde n’achèterait pas c

vertige. Toutes les femmes sont belle

ci. Leurs yeux brillent. D’un morceade tissu elles imaginent déjà une robeun coussin, une poupée. Elles fabriquendes rêves ; elles ont la beauté du mond


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au bout de leurs doigts. Avant de partir’achète du Bemberg, quelques sangle

polypropylènes, des serpentines coto

croquet et des pompons perles.Le bonheur coûte moins de quarant

euros.

Pendant les cinquante minutes drajet, je somnole dans l’air feutré d

TGV. Je me demande si Romain e

Nadine ne manquent de rien maintenanque je peux tout leur offrir. Romaipourrait ouvrir sa propre crêperieNadine, faire tous les films qu’ell

souhaite et ne pas dépendre du succèpour avoir une vie décente. Mais celrattrape-t-il le temps que nous n’avon

pas assez passé ensemble ? Le


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vacances loin les uns des autres, lemanques, les heures de solitude et dfroid ? Les peurs ?

L’argent réduit-il les distancesrapproche-t-il les gens ?

Et toi, mon Jo, si tu savais tout ça, t

ferais quoi ? Dis-le-moi, tu ferais quoi ?


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Jo m’attendait à la gare.

Dès qu’il me vit, son pas accélérsans aller toutefois jusqu’à courir. Il mprit dans ses bras, sur le quai. Cetteffusion inattendue me surprit ; je ris

presque gênée. Jo, Jo, qu’est-ce qui spasse ? Jo, murmura-t-il à mon oreillee suis content que tu sois rentrée.

Et voilà.Plus les mensonges sont gros, moin

on les voit venir.

Il desserra son étreinte, sa main coul


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usqu’à la mienne et nous marchâmeusqu’à la maison. Je lui racontai mournée. J’inventai brièvement un

réunion avec Filagil Sabarent, grossistdans le III arrondissement. Je lumontrai mes merveilles achetées a

marché Saint-Pierre. Et mon sandwichl n’était pas bon mon sandwich demanda-t-il. Je me hissai alors sur lpointe des pieds et embrassai son cou

Le meilleur du monde. Comme toi.

e


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Françoise se précipita dans lmercerie.

Ça y est ! cria-t-elle, elle est alléchercher son chèque ! C’est une femmeC’est marqué là, dans La Voix du Nord

quelqu’un d’Arras, qui tient à conserve’anonymat ! Là, regarde ! Tu te rend

compte, elle a attendu la dernièrminute ! Moi, j’y serais allée tout dsuite, j’aurais eu bien trop peur qu’ils nme payent pas, dix-huit millions, tu trends compte Jo, d’accord, c’est pas le

cent millions de Venelles, mais il


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étaient quinze à jouer, ça leur a fait qusix millions chacun, alors que là, c’esdix-huit millions pour elle toute seule

dix-huit millions, plus de mille ans dsmic, Jo, mille ans, et crotte ! Danièlentra à son tour. Elle était toute rouge

Elle apportait trois cafés. Oh là là làsouffla-t-elle, quelle histoire. Je suipassée au tabac, personne ne sait quc’est, même pas cette bignole d

shampooineur chez Jean-Jac. François’interrompit. On verra bientôt un

Maserati ou une Cayenne, alors on saur

qui c’est. C’est pas une voiture dfemme ça, plutôt une Mini ou une Fia500. J’intervins, rabat-joie.

Peut-être qu’elle n’achètera pas d


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voiture, peut-être qu’elle ne changerrien à sa vie.

Les jumelles s’esclaffèrent. Parce quu ne changerais rien, toi ? Tu resteraià, dans ta petite mercerie, à vendre de

bouts de tissus pour occuper des bonne

femmes qui s’ennuient, qui n’ont mêmpas le courage de prendre des amants Oh non ! Tu ferais comme nous, tchangerais de vie, tu achèterais une jolimaison à la mer, en Grèce peut-être, te paierais un beau voyage, une bell

voiture, tu gâterais tes enfants, et te

copines ajouta Françoise ; tu referais tgarde-robe, t’irais à Paris faire leboutiques, tu ne regarderais plus jamaie prix des choses, tiens, et comme t


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culpabiliserais, tu ferais même un don acancer. Ou aux myopathes. Je haussai leépaules. Tout ça, je peux le faire san

avoir gagné, dis-je. Oui, mais ce n’espas pareil, répondirent-elles, pas pareidu tout. Tu ne peux pas…

Une cliente entra, qui nous fit taire ravaler nos gloussements.

Elle regarda avec désinvolture le

anses de sacs, en soupesa une, en abacrigide, puis, se retournant, me demanddes nouvelles de Jo. Je la rassurai, lremerciai.

J’espère que mon gilet lui a faplaisir, dit-elle, un gilet vert avec deboutons de bois, puis elle me confi

dans un sanglot que sa grande fille éta


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à l’hôpital, en train de mourir de cettgrippe scélérate. Je ne sais plus quofaire, plus quoi dire. Vous avez de s

olis mots dans votre blog Jo, qu’est-cque je peux lui dire pour lui dire arevoir ? Est-ce que vous pouvez m

donner des mots ? S’il vous plaît.Danièle et Françoise s’éclipsèren

Même si elles avaient eu dix-humillions, même si nous avions toutes edix-huit millions, nous n’avions soudaiplus rien face à cette maman.

Quand nous arrivâmes à l’hôpital, s

grande fille avait été placée en soinntensifs.


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J’avais caché le chèque sous lsemelle intérieure d’une vieill

chaussure.Parfois, la nuit, j’attendais que Jo s

mette à ronfler pour quitter le li

marcher sans bruit jusqu’à l’armoirependerie, plonger la main dans lchaussure et en sortir le trésor de papierJ’allais alors m’enfermer dans la sallde bains et là, assise sur la cuvette deoilettes, je dépliais le billet et je l

regardais.


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Les chiffres me donnaient le tournis.

Le jour de mes dix-huit ans, papm’avait donné l’équivalent de deumille cinq cents euros. C’est beaucoud’argent, avait-il dit. Avec ça, tu peuxpayer la caution d’un appartement, t

peux faire un joli voyage, tu peu’acheter tous les livres de mode que t

veux ou une petite voiture d’occasion su préfères ; et il m’avait alors sembl

être riche. Je comprends aujourd’hui que fus riche de sa confiance ; ce qui esa plus grande richesse.

Cliché, je sais. Mais vrai.Avant qu’il ne fasse cet AVC qu

depuis l’emprisonne dans une boucle d

six minutes de présent, il avait travaill


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plus de vingt ans à l’ADMC, l’usinchimique de Tilloy-les-Mofflaines,quatre kilomètres d’Arras. Il supervisa

a fabrication du chlorure de didecyammonium et du glutaraldéhyde. Mamaavait exigé qu’il prît systématiquemen

une douche dès qu’il rentrait à lmaison. Papa souriait et se prêtait dbonne grâce à cette exigence. Si lglutaraldéhyde était en effet soluble dan

’eau, ce n’était pas le cas du chlorurde didecyl. Mais jamais à la maison leomates ne virèrent au bleu, les œufs n

se mirent à exploser et des tentacules nnous poussèrent dans le dos. Il faucroire que le savon de Marseille faisades miracles.


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Maman enseignait le dessin auclasses primaires et animait l’atelier dmodèle vivant le mercredi soir au musé

des Beaux-arts. Elle avait un ravissancoup de crayon. L’album-photos dnotre famille est un carnet de dessins

Mon enfance ressemble à une œuvrd’art. Maman était belle et pap’aimait.

Je regarde ce maudit chèque et c’esui qui me regarde.

Qui m’accuse.

Je sais qu’on ne gâte jamais assez separents et que lorsqu’on en prenconscience il est déjà trop tard. PouRomain, je ne suis plus qu’un numéro d

éléphone dans la mémoire d’u


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éléphone mobile, des souvenirs dvacances à Bray-Dunes et quelquedimanches en baie de Somme. Il ne m

gâte pas comme je n’ai pas non plus gâtmes parents. On transmet toujours nofautes. Nadine, c’est différent. Elle n

parle pas. Elle donne. C’est à noud’apprendre à décoder. À recevoirDepuis Noël dernier, elle m’envoie sepetits films de Londres, par Internet.

Le dernier dure une minute.

Il n’y a qu’un seul plan et des effetde zoom un peu violents. On voit un

vieille femme sur un quai, à VictoriStation. Elle a des cheveux blancs ; odirait une grosse boule de neige. Elle es

descendue d’un train, elle fait quelque


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pas, puis pose sa valise trop lourde. Ellregarde autour d’elle ; la foule lcontourne, comme l’eau un galet ; et pui

soudain elle est toute seule, minusculeoubliée. La femme n’est pas une actriceLa foule n’est pas une foule de figurants

C’est une image vraie. Des vrais genUne histoire vraie. Une défaitordinaire. Pour la musique, Nadinechoisi l’adagietto de la cinquièm

symphonie de Mahler et elle a fait dcette minute la minute la plubouleversante qu’il m’ait été donné d

voir sur la douleur de l’abandon. De lperte. De la peur. La mort.

Je replie le chèque. L’étouffe danmon poing.


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J’ai commencé à maigrir.

Je crois que c’est le stress. Le mide ne rentre plus à la maison, je reste a mercerie. Je ne déjeune pas. Leumelles s’inquiètent, je prétexte de

comptes en retard, des commandes régler, mon blog. J’ai près de huit millvisites par jour désormais. J’ai acceptqu’il y ait de la publicité sur le blog etavec l’argent gagné, je peux payeMado. Depuis qu’une infectiopulmonaire a emporté sa grande fille au

soins intensifs le mois dernier, Mado


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du temps. Elle a des mots en tromaintenant. De l’amour en trop. Elldéborde de choses inutiles, de recette

qu’elle ne fera jamais plus (une flamichaux poireaux, un biscuit à la vergeoisbrune), de comptines pour les petits

enfants qu’elle n’aura pas. Elle pleurencore parfois, au milieu d’une phrasou lorsqu’elle entend une chanson oqu’une jeune fille entre et demande d

ruban sergé ou gros-grain pour sa mèreElle travaille avec nous maintenant. Ellrépond aux messages laissés su

dixdoigtsdor ; elle prend et suit lecommandes depuis que nous nouessayons à un mini site marchand. Sgrande fille s’appelait Barbara. Ell

avait l’âge de Romain.


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Mado adore les jumelles ; elles sonfolles, me dit-elle, mais quel pepsDepuis qu’elle m’aide pour le blog, ellessaie des mots jeunes.

Quelle niaque !

Tous les mercredis, elle part déjeuneavec Danièle et Françoise, rue de lTaillerie, aux Deux Frères. Ellecommandent une salade, un Perrier

parfois un verre de vin, mais surtouelles remplissent leurs grilles. Ellefouillent leurs mémoires à la recherchdes numéros magiques. Un anniversaireLa date d’une rencontre amoureuse. Leupoids idéal. Leur numéro de Sécuritsociale. Celui de leur maison d’enfance

La date d’un baiser, d’une première fois


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Celle, inoubliée, d’un chagrin inconsoléUn numéro de téléphone qui ne réponplus.

Chaque mercredi après-midi, quanelle rentre, Mado a les yeux brillantsronds comme des billes de loto. E

chaque mercredi après-midi elle me dit oh Jo, Jo, si je gagnais, si je gagnaivous n’avez pas idée de tout ce que jferais !

Et aujourd’hui, pour la première foise lui demande, vous feriez quoi Mado

Je ne sais pas, répond-elle. Mais ç

serait extraordinaire.C’est aujourd’hui que j’ai commenc

a liste.


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Liste de mes besoins.

Une lampe pour la table de l’entrée.

Un portemanteau perroquet (stylbistrot).

Une sorte de plat pour ranger leclés et le courrier (chez Cas xpress ?).

Deux poêles Tefal.

Un nouveau micro-ondes.

Un presse-légumes.

Un couteau pour le pain.


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Un économe. (Amusant quand ondix-huit millions !!!!)

Des torchons.

Un couscoussier.

Deux paires de draps pour notrchambre.

Une couette et une housse dcouette.

Un tapis antidérapant pour lbaignoire.

Un rideau de douche (pas dleurs !).

Une petite armoire à pharmaci(murale).

Un miroir grossissant lumineux. (Vu


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Londres. (Avec Jo. Deux jours amoins.)

Un petit poste radio pour la cuisine.

Une nouvelle planche à repasser.

Un fer (très jolie centrale vapeuCalor vue à Auchan, 300,99 euros).

Un dissolvant et un masquréparateur pour mes cheveux(Marionnaud, 2,90 euros et 10,20.)

Belle du Seigneur . (Relire. Vu enolio chez Brunet.)

Les Finances personnelles pour le

uls. Des slips et des chaussettes pour Jo.

Un écran plat. (???)


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L’intégrale de James Bond en DVD(???)


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La journaliste est revenue.

Elle a apporté des croissants et upetit magnétophone. Je ne peux pam’esquiver.

Non, je ne sais pas comment ça

commencé. Oui, j’ai eu envie dpartager ma passion. Non, je n’ai jamaivraiment pensé que ça intéressera

autant de femmes. Non, dixdoigtsdon’est pas à vendre. Ce n’est pas pou’argent. Non, je crois que l’argen

n’achète pas ce genre de choses. Ou


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c’est vrai, je gagne de l’argent avec lpub. Ça me permet de payer un salairen plus, celui de Mado.

Oui, ça me fait plaisir et oui, je suifière. Non, ça ne me monte pas à la têtet puis non, on ne peut pas vraimen

parler de succès. Oui, le succès c’esdangereux, quand on commence à nplus douter de soi. Ah oui, je doute dmoi tous les jours. Non, mon mari nm’aide pas du tout pour le blog. Iréfléchit avec moi à la manière dstocker les choses, oui, parce que l

vente marche bien ; on a même expédiun kit point de croix à Moscou hierMoscou ? Je ris. C’est un quartier prèdu Canal du Midi, à Toulouse. Ah. Non


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l n’y a pas de message dans ce que jfais. Juste du plaisir, de la patience. Ouie pense que tout ce qui vient du pass

n’est pas dépassé. Faire soi-mêmpossède quelque chose de très beau prendre le temps, c’est important. Ou

e pense que tout va trop vite. On parlrop vite. On réfléchit trop vite, quanon réfléchit ! On envoie des mails, deextos sans se relire, on perd l’éléganc

de l’orthographe, la politesse, le sendes choses. J’ai vu des enfants publiedes photos d’eux sur Facebook où il

vomissent. Non, non, je ne suis pacontre le progrès ; j’ai juste peur qu’isole davantage les gens. Le moi

dernier, une jeune fille a voulu mourir

elle a prévenu ses 237 amis et personn


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ne lui a répondu. Pardon ? Oui, elle esmorte. Elle s’est pendue. Personne ne lua dit que c’était vingt minutes d’atroce

douleurs. Qu’on a toujours envie d’êtrsauvé, qu’il n’y a que le silence qurépond aux suppliques asphyxiées. Alor

puisque vous voulez tellement unformule, je dirais que dixdoigtsdor c’escomme les doigts d’une main. Lefemmes ce sont les doigts et la main l

passion. Je peux vous citer ? Non, nonc’est ridicule. Au contraire, je trouve çouchant. C’est joli comme image.

Puis elle coupe son magnétophone.Je crois que

La Liste de Mes Envies

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