La Lex Rupilia, un modèle de régime judiciaire provincial à l’époque républicaine ?

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    Cahiers du Centre GustaveGlotz

    La Lex Rupilia, un modle de rgime judiciaire provincial lpoque rpublicaine ?Monsieur Julien Fournier

    Rsum

    Cet article revient sur les clauses judiciaires de la lex Rupilia rapportes par Cicron aux paragraphes 30-34 de la

    Seconde action contre Verrs. Ces clauses offrent un aperu dtaill du rgime de rglement des litiges dans la province

    de Sicile lpoque rpublicaine. On sefforce ici de les confronter aux affaires judiciaires dtailles dans le reste des

    Verrines, mais surtout aux donnes disponibles dans les provinces orientales de lempire romain, qui nous renseignent de

    manire parse sur le partage des comptences judiciaires entre les cits grecques et la juridiction provinciale. On se

    demande cette occasion si la lex Rupilia reprsentait un rgime propre la province de Sicile, ou si elle refltait ltat

    ordinaire de ladministration judiciaire provinciale.

    Abstract

    This paper focuses on the judiciary dispositions of the lex Rupilia reported by Cicero in his speech against Verres (II Verr.

    2.30-34). These dispositions provide a clear overview of the procedures applied in the different categories of litigations

    which could arise in the province of Sicily during the republican period. The study tries to confront this construction to the

    concrete cases exposed in the following paragraphs of the speech and, above all, to a few scattered regulations known in

    the eastern provinces of the Roman empire. At the same time, the author wonders if the lex Rupilia was a special regime

    for Sicily or reflected the ordinary administration of justice in the Roman provinces.

    Citer ce document Cite this document :

    Fournier Julien. La Lex Rupilia, un modle de rgime judiciaire provincial lpoque rpublicaine ?. In: Cahiers du CentreGustave Glotz, 21, 2010. pp. 157-186.

    doi : 10.3406/ccgg.2010.1722

    http://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2010_num_21_1_1722

    Document gnr le 26/01/2016

    http://www.persee.fr/collection/ccgghttp://www.persee.fr/collection/ccgghttp://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2010_num_21_1_1722http://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2010_num_21_1_1722http://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2010_num_21_1_1722http://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2010_num_21_1_1722http://www.persee.fr/author/auteur_ccgg_80http://dx.doi.org/10.3406/ccgg.2010.1722http://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2010_num_21_1_1722http://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2010_num_21_1_1722http://dx.doi.org/10.3406/ccgg.2010.1722http://www.persee.fr/author/auteur_ccgg_80http://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2010_num_21_1_1722http://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2010_num_21_1_1722http://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2010_num_21_1_1722http://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_2010_num_21_1_1722http://www.persee.fr/collection/ccgghttp://www.persee.fr/collection/ccgghttp://www.persee.fr/
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    Cahiers Glotz, XXI, 2010, p. 157-186

    J F

    LA LEX RVPILIA, UN MODLE DE RGIME JUDICIAIRE

    PROVINCIAL LPOQUE RPUBLICAINE ?

    Bien quils aient t dfinis en 132 av. J.-C., les dispositifs judiciaires de la lexRupiliaexposs par Cicron aux paragraphes 32 34 du De Praetura Siciliensi,

    faisaient toujours autorit et taient toujours appliqus ou censs ltre lpoque de la prture de Verrs en Sicile (73/1). Comme le rappelle Cicronau paragraphe 40, les gouverneurs successifs de la Sicile avaient pour coutumeden reprendre sans condition les principales dispositions dans ldit provincialquils mettaient en dbut de mandat.

    Or, le ersicle av. J.-C. est une priode pour laquelle nous disposons dunnombre consquent de dispositions caractre normatif pour lorganisationjudiciaire des provinces en cours de formation dans lOrient romain enpremier lieu pour la province dAsie, mais aussi, plus tard, pour le Pont-Bythinie, la Cilicie, la Lycie ou la Cyrnaque. Lattention porte la partie

    orientale de lempire ne tient pas qu la richesse du corpus documentaireet sa relative concidence chronologique avec les donnes disponibles surla Sicile. Il sagit, dans tous les cas, de provinces o ladministration romainereprsentait une sorte de superstructure venue se greffer sur un tissu de citsdont les institutions et le droit restrent en place aprs la conqute et lephnomne de provincialisation1. Elles prsentaient ainsi la mme dichotomieentre juridiction provinciale et tribunaux locaux, entre droit romain et droitgrec. Ce constat rend lgitime une rflexion sur les points de comparaisonpossibles entre la norme rapporte par Cicron et diffrents rglements

    connus dans le monde hellnophone la fin de la Rpublique ou dans lespremires dcennies du Principat. Cette dmarche revient tudier ce qui,structurellement, rapprochait ou distinguait la lex Rupiliade dispositions misesen dautres parties de lempire, mais dans des circonstances approchantes.

    Dans sa partie judiciaire, la lex Rupilia se prsente comme un rgimede rglement des diffrentes catgories de litiges pouvant survenir dansun territoire donn, en tenant compte des multiples statuts juridiques despopulations qui y rsidaient. Le paragraphe 32 expose de manire synthtiqueun certain nombre de clauses relevant de la catgorie du droit internationalpriv, dans laquelle entrait toute forme de conflit entre deux systmes

    juridiques trangers lun lautre2.

    1. Voir ce sujet les remarques gnrales de Lintott 1993, p. 54-59 ; Cotton 2007, p. 236-237.2. Voir Cotton 2007, p. 234-235, qui dfinit le droit international priv comme that part of

    the national law of a country which deals with cases where a foreign element intrudes in oneform or another .

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    Siculi hoc iure sunt ut, quod ciuis cum ciue agat, domi certet suis legibus, quod Siculus cumSiculo non eiusdem ciuitatis, ut de eo praetor iudices ex P. Rupili decreto, quod is de decemlegatorum sententia statuit, quam illi legem Rupiliam uocant, sortiatur. Quod priuatus a

    populo petit aut populus a priuato, senatus ex aliqua ciuitate qui iudicet datur, cum alternae

    ciuitates reiectae sunt ; quod ciuis Romanus a Siculo petit, Siculus iudex, quod Siculus aciue Romano, ciuis Romanus datur ; ceterarum rerum selecti iudices ex conuentu ciuiumRomanorum proponi solent. Inter aratores et decumanos lege frumentaria, quam Hieronicamappellant, iudicia fiunt.Le droit en vigueur chez les Siciliens prvoit que, si un citoyen agit en justice contreun concitoyen, le procs est organis dans leur cit et selon leurs lois ; si cest unSicilien qui agit contre un autre Sicilien, mais dune cit diffrente, dans ce cas, leprteur tire au sort des juges en vertu de lordonnance de P. Rupilius, prise sur avisdune commission de dix lgats les Siciliens lappellent la loi Rupilia. Si cest unparticulier qui introduit une action contre un peuple ou un peuple contre un par-ticulier, on donne pour juge le snat dune cit, aprs que chaque partie en a rcusun. Si cest un citoyen romain qui introduit une action contre un Sicilien, on donnecomme juge un Sicilien, si cest un Sicilien qui introduit une action contre uncitoyen romain, on donne un citoyen romain ; dans toutes les autres affaires, lusageest dafficher une liste de juges choisis dans le corps des citoyens romains. Entre lescultivateurs et les dcimateurs, cest en vertu de la loi sur les grains, quils appellentloi dHiron, que les tribunaux sont constitus3.

    La loi visait tablir quel tribunal tait habilit dans chaque cas, et en application

    de quel droit. En cela, la lex Rupiliane fait pas figure dhapax et rencontrediffrents chos en Orient. Toutefois, elle prsente certaines spcificits dont ilfaut imprativement tenir compte.

    - En premier lieu, sa nature. Il sagit dun dcret labor par le consulP. Rupilius avec laide de dix lgats dpchs par le Snat. Lautorit fondatricedu Snat comme la longvit dont fit preuve le rglement font que, aux diresde Cicron, les Siciliens de son poque parlaient de la lex Rupilia4. Celle-ci estaujourdhui assimile ce que les historiens nomment encore, par commodit,une lex prouinciae, sorte de charte fondatrice mise lors de la fondation ou de

    la rorganisation dune province

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    . cet gard, elle ne comportait pas que desdispositions judiciaires : cest ce que rappelle incidemment Cicron au para-graphe 40, en affirmant Verrs que ses prdcesseurs avaient observ les loisde Rupilius dans toutes les autres matires et surtout en matires dactionsjudiciaires (in ceteris rebus et in iudiciis maxime)6.

    Dans la partie orientale, nous connaissons dautres rglements assimils avecplus ou moins de certitude au modle de la lexprouinciae, mais aucun qui nenous rapporte de clauses judiciaires. Ce que nous savons de la lex Pompeia

    3. Traduction provisoire propose par le groupe Verrinesdu Laboratoire ANHIMA (UMR8210), dans le cadre dune nouvelle dition des Verrinespour la CUF.

    4. Cicron, Verr., II, 32.5. Sur la notion de lex prouinciae, voir en dernier lieu le bilan dress par Coudry & Kirbihler

    2010.6. Le terme de leges Rupiliae, employ au paragraphe 90, suggre lexistence dun ensemble de

    dispositions. Mais lemploi du pluriel reste trs minoritaire dans le texte par rapport au singulierlex Rupilia. Sur cette distinction, voir Lopez 1972, p. 180, n. 7.

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    donne au Pont Bithynie en 65/4, travers des textes de Pline le Jeune et duDigeste, concerne surtout lorganisation du recrutement des Conseils civiqueset les rgles de concession de la citoyennet entre les diffrentes communautsprovinciales7. Lexistence dune lex prouinciaeen Asie est peine entrevue dans

    la mention dune nomothsia romaine dans un dcret de Pergame contemporainde la fondation provinciale8. En Achae comme en Lycie-Pamphylie, le terme delexnest pas attest en ce sens, mais certaines mesures attribues L. Mummiusen 145 av. J.-C. dune part9, lempereur Claude dautre part10, font tatdinterventions dans le rgime des cits au moment o ces rgions passrentsous domination romaine. En tout tat de cause, il nest pas possible de comparerles clauses judiciaires de la lex Rupilia celles dun document de mme nature.

    Les autres sources normatives dont nous disposons directement ouindirectement sont des traits conclus entre Rome et un peuple ou une cit

    libres11

    , des snatus-consultes destination de cits12

    ou mme de particuliers13

    ,des dits provinciaux14, des dits impriaux comme ceux dAuguste Cyrne15,voire mme la relation dune pratique personnelle avec le gouvernement deCilicie de Cicron dans la correspondance de 51/0 av. J.-C.

    - Les rglements qui y sont rapports diffrent de la lex Rupiliasur certainspoints, et dabord sur leur porte. En Sicile, la loi valait pour toute uneprovince et sappliquait en principe toutes les communauts dpendant de

    7. Pline le Jeune, X, 112 ; 114 ;Dig.,L, 1, 1, 2.Sur la lex Pompeia, ses composantes et ses effets,voir Fernoux 2004, p. 129-146.

    8.SEG, L, 1211. Aprs la probable lex Aquilliatablie lors de la fondation provinciale, Coudry

    & Kirbihler 2010 songent aussi une lex Corneliade 85, sanctionnant la reprise en main delAsie par Sylla aprs la premire guerre de Mithridate.

    9. Pausanias, VII, 16, 7-10. Il est possible, toutefois, que la description de Pausanias mle desmesures prises en 145, en 86, voire en 27 av. J.-C. ce sujet, voir Ferrary 1988, p. 199-209.

    10. Lexistence dune lex prouinciaeen Lycie-Pamphylie a t infre en premier lieu de lamention dedans le dcret de ratification de la fondation de C. Iulius DmosthnedOinoanda, dat de 124 apr. J.-C. (SEG, XXXVIII, 1462, l. 111). De nouvelles prcisionsfigurent dans une ddicace des Lyciens lempereur Claude, prcdant la liste des routes dont ilavait ordonn la construction (SEG,LI, 1832 ; voir dsormais ahin & Adak 2007). Lempereur

    y tait honor pour avoir rtabli la concorde dans la rgion, dbarrasse des dissensions internes,de lanarchie et du brigandage ([][] [], l. 16-19).

    loccasion de ce qui ne fut rien dautre que la provincialisation de la Lycie, la populationrecouvra ses lois ancestrales ([] , l. 24) et une juridiction quitable ([][], l. 22-23). Ces valeurs, dont le rtablissement tait attribu lempereur ont tinterprtes comme deux composantes desvoques dans linscription dOinoanda.

    11. Voir en particulier le trait entre Rome et la Lycie de 46 av. J.-C. : PSchyen1, 25 ; SEG,LV, 1452 ; Bull.2006, 143, avec quelques nuances apportes par J.-L. Ferrary.

    12. Voir le dossier des dcrets de Colophon pour les ambassadeurs Polmaios et Mnippos,entre la fin du e et le dbut du ersicle av. J.-C. : SEG, XXXIX, 1243-1244. Les clauses caractre judiciaire de ces dcrets ont suscit de nombreuses discussions : en dernier lieu,Snchez 2010 rcapitule les diffrents lments du dbat.

    13. Snatus-consulte De Asclepiade, dat de 78 av. J.-C.: Sherk, RDGE, 22, rdit par Raggi2001.

    14. On songe notamment ldit de Q. Mucius Scaeuola en Asie, seulement voqu parCicron,Att., VI, 1, 15. Le gouvernement de Scaeuola en Asie doit tre plac soit pendant ouaprs sa prture (donc entre 99 et 97), soit aprs son consulat (donc en 94/3). R. Kallet Marx,CP, 84, 1989, p. 305-312, opte pour la datation haute aprs discussion des diffrents points devue. Ferrary 2000, p. 192, situe son gouvernement en 99, 98 ou 97.

    15. Oliver, Greek Constitutions, 8-12.

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    lautorit romaine. Dans les provinces hellnophones, les normes conservessont gnralement de porte plus limite, sappliquant un peuple alli, unecit libre ou un individu distingu pour les services rendus ltat romain.Seuls les dits de Cyrne avaient un champ dapplication provincial, analogue

    celui de la lex Rupilia.- Celle-ci se distingue aussi par une nature programmatique et systmatique

    sans gale, pas mme dans les dits de Cyrne. La gamme des litiges envisagsest la plus prcise que nous connaissions dans un document de ce genre.Par nature, les traits ne sintressent quaux litiges entre citoyens romains etressortissants de la puissance allie ; la clause de ldit de Scaeuola rapportepar Cicron ne concerne que les litiges entre prgrins16. Les dits de Cyrnene prennent en compte que les procs dans lesquels taient impliqus desHellnes, sans tablir de distinction plus prcise que celle qui spare les affaires

    capitales de toutes les autres affaires17

    .- Il faut rappeler galement que les clauses de la lex Rupiliane nous sontconnues que de manire indirecte, dans la source secondaire que constitue lediscours de Cicron. De ce point de vue, la faon dont nous apprhendons lecontenu de la loi sapparente quelque peu celle dont nous sont parvenus lessnatus-consultes rendus en faveur de Colophon : nous nen connaissons quele compte rendu peut-tre tronqu quen font les dcrets honorifiquespasss en lhonneur des ambassadeurs qui avaient dfendu les intrts de lacit Rome. ce point du discours, le propos de Cicron, videmment par-tial, vise en premier lieu exposer les multiples faons dont un prteur mal

    intentionn pouvait peser sur le cours de la justice : en influant sur le choixdu juge, en rdigeant une formulaqui liait le juge (paragraphe 31) ou bienencore en passant un dit qui menaait de casser les jugements rendus par lui(paragraphe 33).

    Son intention, aux paragraphes 31-32, est plus prcisment de rvlercombien cette pratique arbitraire de la justice avait pu nuire aux habitantsdes cits. Ainsi, Cicron ne cite et ne commente en dtail que des normesimpliquant des Siciliens ce quil nomme les iura Siculorum, en esprantprouver que Verrs les avait systmatiquement bafoues. Ce faisant, il laisse de

    ct, dans la catgorie trs vague des autres affaires ( ceterae res), une sriede litiges qui faisaient sans doute lobjet dun traitement plus prcis dans unrglement originel : on songe par exemple aux affaires entre citoyens romains,qui sont peine voques au paragraphe 31, o il est indiqu que Verrsles dfraient des juges Siciliens plutt que de les renvoyer vers des jugesromains. Pour cette raison, il importe tout particulirement aussi de confronteraux clauses de la loi voques par Cicron les exemples dvelopps dans lasuite du discours, principalement aux paragraphes 35 67.

    La lex Rupiliane peut donc pas se prter une comparaison, point par point,avec un document analogue. Mais chacune de ses clauses peut tre confronte

    une ou plusieurs fractions de rglementation spcifique issues de diffrentes

    16. Voir infra.17. Le quatrime dit (Oliver, Greek Constitutions, 11) traite ainsi des litiges entre Hellnes

    () lexception des affaires capitales ( (...) , l. 63-65).

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    parties gographiques de limperiumromain, voire mme de la pratique judi-ciaire des cits du monde hellnistique. Cest ce que je me propose de faireici, en analysant dabord la matire mme des clauses, puis la manire dontsoprait la slection des juges et la procdure qui en dcoulait.

    L S

    Le discours de Cicron invite en premier lieu sinterroger sur le champdapplication des normes exposes en dtail au paragraphe 32. Celles-ci, mon sens, ne concernaient pas lensemble des affaires pouvant clater en Sicile,mais excluaient les affaires capitales. Cette conviction se fonde sur lexamende la procdure dcrite et du vocabulaire employ aux paragraphes 30 32.

    lexception de la premire clause, lensemble des dmarches dcrites dansce passage reposait sur le principe de la iudicis datio, cest--dire sur le renvoidune affaire porte devant la juridiction du prteur vers un ou plusieursjuges dsigns sous son autorit. Au paragraphe 30, Cicron distingue ceuxqui organisent les instances (ei qui iudicia dant) et ceux qui rendent lesjugements (ei qui iudicant). Or, dans les exemples dtaills qui suivent, auxparagraphes 35 67, cette procdure parat bien associe aux affaires noncapitales. Elle fut employe, mme de manire irrgulire, pour des affairesciviles ou pnales telles que la revendication dhritage contre Hraclius deSyracuse puis contre picrate de Bidis, ou encore la poursuite pour faux

    en criture publique intente contre picrate (paragraphes 60-61). Elle futgalement utilise dans la procdure civile o Hraclius de Centuripe taitimpliqu en tant que dfendeur (paragraphe 66). Au paragraphe 68, Cicronmarque une csure importante en annonant quil en vient aux poursuitesentranant la peine capitale (rerum capitalium quaestiones). Le changement dequalification des causes saccompagne dun changement dans la procdure.Dans les poursuites intentes contre Sopater dHalicye comme contre Stheniusde Thermes, Verrs exerce chaque fois sa propre cognitio, en principe entourde son consilium, en ralit de sa seule cohorte. Si les dfenseurs de Sopater

    dnoncent la composition irrgulire du conseil (paragraphes 71-73), ils nerclament aucun moment le tirage au sort de juges en vertu de la lex Rupilia.Par ailleurs, le vocabulaire de la procdure accusatoire conforte ce point de

    vue. Aux paragraphes 30 32, Cicron emploie plusieurs reprises le verbepetere ab. Cest celui qui figure dans les clauses mmes de la loi, au ct duverbe agere: quod priuatus a populo petit aut populus a priuato, senatus ex aliquaciuitate, ou encore : quod ciuis Romanus a Siculo petit, Siculus iudex. Or, diffrentsparallles dans des documents mis destination des provinces orientalesmontrent que ce verbe tait ordinairement employ, dans la terminologiejuridique des rglements romains, pour dsigner la revendication en justice

    engage par le demandeur dans une affaire non capitale.Le terme apparat en particulier dans le snatus-consulte De Asclepiade,

    rdit et comment rcemment par Andrea Raggi18.Peterey est employ pourdsigner les poursuites que le navarque rcompens par Rome et sa famille

    18. Raggi 2001, en particulier p. 107 pour le commentaire du verbepetere.

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    pouvaient intenter contre un particulier, ou quun particulier pouvait intentercontre eux : [quaeque ei, leiberei, posterei uxoresue eoru]m ab altero petent seiue quidab eis, leibereis, postereis uxo[ribusue eorum aliei petent]. Comme demandeurs oucomme dfendeurs, le navarque et sa famille avaient reu le privilge de loptio

    fori : toute affaire les concernant pouvait tre juge devant le tribunal de leurchoix. La version grecque du texte nous fait connatre le verbe quivalent : , . Or, le verbe est prcisment celui quiest utilis dans la clause du trait romano-lycien de 46 consacre aux affairesnon capitales (l. 37-39), certainement en traduction du verbe petereemploydans loriginal latin : on y trouve la formule | ( si, sagissant des autres catgories

    daffaires, un Romain intente une poursuite contre un Lycien [] ), demme que la rciproque ( si,dautre part, un Lycien intente une poursuite contre un Romain [] ). Laclause consacre aux affaires capitales emploie plutt le passif pourdsigner laccusation subie par un Romain ou par un Lycien dans une affairecapitale : ( si un citoyen romain estaccus en Lycie ) et ( si, dautre part, uncitoyen Lycien est poursuivi )19.

    Le plan choisi par Cicron, qui rserve un traitement particulier aux affairescapitales, me parat donc se conformer une distinction habituelle dans les

    rglements de la fin de lpoque rpublicaine ou du dbut du Principat, entre lesaffaires capitales et les autres affaires . Outre le trait entre Rome et la Lycie,elle se retrouve notamment dans les dits de Cyrne : le quatrime dit traitedes litiges entre Hellnes () lexception des affaires capitales . Les affairescapitales, elles, taient spcifiquement rglementes par le premier dit.

    Au paragraphe 32, Cicron ne dtaille peut-tre que les clauses relativesaux autres affaires (cest--dire non capitales), celles qui entranaient ladsignation de juges sous lautorit du prteur. Il est possible quaient existaussi des normes consacres aux affaires capitales, organises selon dautres

    modalits. Auquel cas, elles instituaient peut-tre la cognitio du prteursur lensemble des affaires, y compris entre Siciliens dune mme cit. Ledroulement du procs capital intent Sopater dHalicye laisse en effetpenser quil nexistait pas dautre possibilit. On apprend au paragraphe 68que Sopater avait dj subi une accusation capitale, intente par les mmesennemis, ses concitoyens, et quelle avait t juge de manire rgulire parle prdcesseur de Verrs, C. Sacerdos. Par la suite, les dfenseurs de Sopaterne rclament aucun moment le renvoi de laffaire aux lois de la cit, bienque les deux parties appartiennent la mme communaut. Contrairement ce qutablit la lex Rupiliapour les autres affaires, il ne semble pas quune

    juridiction civique ait t qualifie ni dans le premier procs, ni dans le second.Les clauses rapportes au paragraphe 32 sappliquaient donc, me semble-t-ilaux affaires civiles et pnales lexclusion des affaires capitales. la lumire decette prcision, les clauses de la loi ncessitent dtre commentes une par une.

    19. Sur ce trait et ses clauses judiciaires, voir infra.

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    Les litiges entre Siciliens dune mme cit

    La premire catgorie de litiges envisage est celle qui oppose deux Siciliensappartenant une mme cit : dans ce cas-l, le procs est organis dans leur

    cit et selon leurs lois (domi certet suis legibus). Cicron nvoque pas encorela lex Rupilia, qui napparat qu la clause suivante20. Mais le paragraphe 90semble indiquer que cette garantie figurait bien dans la loi et quelle taitmme habituellement reprise dans ldit provincial, y compris dans celui deVerrs (Publius Rupilius postea leges ita Siculis () dedisset ut ciues inter sese legibussuis agerent, idemque hoc haberet Verres ipse in edito). Cette premire clause estla seule qui ne contienne pas de mention un ou des juges dsigns par leprteur. Le jugement se tenait donc en dehors de la juridiction provinciale,comme le confirme lexpression domi suis legibus. La tenue dun jugement dans

    la cit des parties et selon leur loi impliquait quelle se ft devant un tribunalcivique21. Cicron confirme dailleurs au paragraphe 33 que le juge, en cecas-l, tait un de leurs concitoyens. Les mots latins domi suis legibustrouventleur quivalent exact dans lexpression qui figure dans le snatus-consulte De Asclepiade (l. 18-20). En loccurrence,lorganisation dun procs dans la patrie selon les lois sopposait aux deuxautres possibilits offertes au navarque rcompens : devant des magistrats etjuges romains dune part ( ),dans une cit libre dautre part ( ). Elle ne pouvait doncrenvoyer, elle aussi, qu un tribunal civique.

    Une clause de ce genre assure lexistence, en Sicile, de juridictions civiquesautonomes, qui pouvaient tre saisies de manire indpendante par les jus-ticiables22. Le fonctionnement de ces tribunaux civiques nest gure voqudans les Verrines23. Il est attest et relativement bien connu, en revanche, dansquelques cits de Grce ou dAsie Mineure, jusque sous le Principat 24.

    LAthnes impriale offre peut-tre limage la plus complte de la persistancedes juridictions locales dans lOrient romain. Diffrents organes continuaientdy exercer une activit judiciaire souveraine, en application du droit de lacit. Textes littraires et inscriptions font connatre la persistance dudikastrion,

    hritier de lancienne Hlie, mais dont le recrutement et les comptences20. Lopez 1972 estime que cette premire clause nappartenait pas aux dispositions originelles

    de la lex Rupilia, limites selon lui aux affaires opposant des Siciliens de cits diffrentes. Cf.Mellano 1977, p. 19 : quindi quanto mai logico dubitare che la paternit giuridica dellanorma, quod ciuis cum ciue agat domi certet suis legibus, sia da attribuire alla c.d. lex Rupilia .

    21. Cf. Mellano 1977, p. 12-13.22. Le degr dautonomie relle de ces tribunaux reste cependant incertain et dbattu,

    compte tenu des lacunes de la documentation : voir Mellano 1977, p. 12-21, avec la bibliographieantrieure. Lauteur conclut nanmoins une autonomie gnrale des cours locales. Voir aussi,dans le mme sens et en dernier lieu, Cotton 2007, p. 239 ; Maganzani 2007, p. 130-131.

    23. Cicron, Verr. IV 100, rapporte tout de mme que le snat de Catane condamna unesclave accus de vol dobjets sacrs. Lpisode donne voir le fonctionnement autonome duntribunal local, en application, selon Mellano 1977, p. 20, du principe quod ciuis cum ciue agat domicertet suis legibus.

    24. Sur lorganisation des tribunaux civiques dans les provinces dAchae et dAsie entre leersicle av. J.-C. et le esicle apr. J.-C., voir Fournier 2010, p. 97-256 (part. p. 111-164) pourle cas athnien voqu ci-dessous.

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    province plutt que dans le cadre daccords bipartites, il est plus vraisemblableque ces juges taient tirs au sort en dehors des deux cits dappartenance.Cest ce que suggre le parallle fourni par les dits de Cyrne. Le quatrimedit, relatif aux affaires non capitales entre Hellnes, prcise ainsi que, dans

    un cas de figure quon devine identique celui de la clause sicilienne, il nepourra tre nomm aucun juge originaire de la cit laquelle appartient soitle demandeur ou laccusateur, soit le dfendeur ou laccus ( () , , l. 67-71).

    Il apparat en tout cas qu la diffrence des affaires entre Siciliens de mmecit, il ntait pas envisag dautre possibilit que le passage par la juridictionprovinciale et le tirage au sort des juges par le prteur. Par comparaison, noussavons que certaines cits libres gographiquement inscrites dans la province

    dAsie conservaient encore le droit, la mme poque, de convenir entre ellesde la manire de rgler les litiges opposant leurs ressortissants. Lillustrationen est donne par le trait entre Sardes et phse27, conclu vers la fin duesicle ou le dbut du ersicleav. J.-C., sous lautorit dun gouverneur dela province dAsie - trs probablement Q. Mucius Scaeuola.

    Deux cas de figure sont envisags. Le premier concerne les cas o aucunaccord nexistait entre la cit du dfendeur et celle du demandeur. Le traitstipule ainsi que si quelquun de Sardes ou dphse est victime dune saisieou dune injustice commise par quelquun qui nest citoyen ni de Sardes nidphse, il est permis au citoyen dphse de rclamer justice Sardes, et au

    citoyen de Sardes de rclamer justice phse, daprs les lois de la cit o at apprhend lauteur de linjustice28. Le trait dessine ici une forme diso-politie entre le citoyen dphse et celui de Sardes, qui leur donnait des droitsquivalents devant les tribunaux de lune ou lautre cit. Mais cest le litigeavec le particulier originaire dune cit tierce qui attire plus particulirementlattention. Il apparat que si un citoyen de Sardes ou dphse tait victimedune injustice commise par cet tranger dans lune ou lautre cit, il pouvaitporter plainte devant les tribunaux de Sardes ou dphse, suivant le cas, et ytre jug selon le droit local. Cela signifie quen absence daccord avec la cit

    du dfendeur, le jugement avait lieu sur place, dans la cit du demandeur etsuivant ses lois.Le second cas concerne les litiges entre les ressortissants de deux cits lies

    par des accords, comme ltaient Sardes et phse. Le dbut de la clause esttrs mutil, mais lexistence dun accord rciproque en vertu duquel le pro-cs aurait toujours lieu dans la patrie du dfendeur (auteur de linjusticecommise)29 et probablement daprs le droit de sa cit30 indique qutaientpris en compte les litiges opposant entre eux des ressortissants dphse et deSardes. Daprs les parallles fournis notamment par un trait entre Prine et

    27. IK 11/1-Ephesos7. Texte rdit et comment en dernier lieu par Laffi 2010.28. Fragments D + E, l. 4-7: [] [ ]

    , [ ] [ , ] .

    29. Fragments D + E, l. 3-4 : (...) [][ ] [] .

    30. Gauthier 1972, p. 182 n. 28.

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    Milet31dat du dbut du esicle av. J.-C., on devine que le citoyen dphseaccus Sardes avait lassurance dtre entendu par une cour dphse et selonles lois de sa cit, tandis que le citoyen de Sardes accus phse jouissait dudroit quivalent.

    On sait toutefois que le traitement de ce type de litige relevant du droitinternational priv fut progressivement confisqu par lautorit provinciale enAsie. Cest ce que suggre, lpoque impriale, une lettre dHadrien la citlibre dAphrodisias date de 119 apr. J.-C. Lune des clauses en stipule que si unGrec originaire dune autre cit tait poursuivi par un Grec dAphrodisias, leprocs se tiendrait devant un tribunal provincial et selon le droit romain ( [ , ] )32 cest--dire au moins selon la procdure judiciaire romaine. long terme,la norme applique tendit ainsi se rapprocher de celle que prvoyait la lex

    Rupiliadans la Sicile rpublicaine.Les litiges entre un peuple et un particulier

    La troisime clause indique que les litiges entre un particulier et un peupledonnaient lieu la dsignation du snat dune cit tierce, qui exerait sonjugement : quod priuatus a populo petit aut populus a priuato, senatus ex aliquaciuitate qui iudicet datur, cum alternae ciuitates reiectae sunt. Cicron revient surce cas de figure au paragraphe 33, en indiquant quau cours de sa prture,Verrs avait dune part influ sur la sentence rendue par certains Conseils,

    dautre part pass un dit lui permettant de revenir sur ces sentences, commeil revenait sur celle des juges. Cest donc que le dispositif tait encore appliqu la fin des annes 70. Pourtant, Cicron nexpose aucun exemple dtaill deces jugements, corrompus ou non, rendus par les Conseils des cits de Sicile.Nous ne disposons donc que de la clause rapporte au paragraphe 32, dont lasignification appelle ncessairement quelques explicitations.

    Le texte ne prcise pas si son contenu sappliquait aux cas o le particulieret le peuple en litige appartenaient une seule et mme cit, ou bien aux caso le diffrend opposait le particulier une autre cit que la sienne. Plusieurs

    arguments permettent nanmoins dincliner en faveur de la seconde proposition.Le premier tient lconomie gnrale du paragraphe 32. Alors que leslitiges entre concitoyens ont t traits en premire position, la clause qui nousintresse suit celle qui concernait les affaires opposant des Siciliens de citsdiffrentes. Lordre logique du dveloppement pourrait expliquer llisionpar Cicron de la mention non eiusdem ciuitatis pour qualifier immdiatementaprs les litiges opposant unpriuatus unpopulus33.

    Le second argument repose sur lobservation des affaires dHraclius deSyracuse expos dans la suite du discours. Le procs opposait un particulier sa cit, sans ambigut possible. Sous linfluence de deux Syracusains, ce sont

    bien les administrateurs de la palestre qui rclament lhritage pour le compte

    31. I.Priene28, l. 8-9 : [ ] , [].

    32. SEG, L, 1096, l. 8-9.33. Voir, en ce sens, Mellano 1977, p. 39, n. 106.

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    de leur tablissement (paragraphe 36). Au paragraphe 38, Hraclius demandequil lui soit permis de discuter, conformment un droit quitable,avec lesadministrateurs de la palestre, cest--dire avec le peuple syracusain (postulatut sibi cum palaestritis, hoc est cum populo Syracusano, aequo iure disceptare liceat).

    Au paragraphe 43, Cicron blme Verrs pour avoir impos lhonorable citde Syracuse la honte dintenter une accusation indigne (imponatur honestaeciuitati turpissima persona calumniae ?)34. Or, tandis que diffrentes modalits sontsuccessivement envisages, le renvoi devant le Conseil dune cit tierce nest aucun moment voqu par le prteur, ni mme rclam par les parties. Larunion de ces deux arguments suggre que les affaires opposant un particulier sa cit ntaient pas rgies par cette clause35, mais que seuls les litiges entre unparticulier et une autre cit taient concerns36.

    Le fait quau moins une cit soit partie prenante distinguait ces affaires des

    simples litiges entre deux Siciliens non eiusdem ciuitatis, et entranait un autremode de rglement que le tirage au sort de juges dcrit dans la deuximeclause. Le procd rapport par Cicron a parfois t rapproch du recours auxjuges trangers37, trs bien attest dans le monde des cits grecques jusquaudbut de lempire romain38. Toutefois, les circonstances et les modalits deleur intervention ne sapparentaient pas exactement au cas de figure pris encompte dans la clause des Verrines. Les juges trangers intervenaient en prio-rit pour rgler des affaires internes une cit, lorsque les tribunaux locauxtaient dfaillants ou saturs. Ces juges pouvaient venir dune seule cit ou deplusieurs, auquel cas ils formaient ce que Louis Robert a appel un tribunal

    panach. Mais, dans tous les cas, ils opraient dans la cit qui les avait sollicitset selon son droit, et formaient une sorte de tribunal de substitution pluttquun organe externe, relevant dune cit tierce.

    Le traitement des litiges entre unpopulus et unpriuatusse rapproche davan-tage de la pratique grecque des arbitrages internationaux , courammentemploye lorsquun litige opposait deux cits grecques entre elles ou mmeune cit certains ressortissants dune autre cit39. La cit arbitre, qui pouvaittrancher des affaires prives aussi bien que publiques, tait parfois choisie parles cits elles-mmes, parfois dsigne par un souverain puis, partir du dbut

    du e

    sicle av. J.-C., de plus en plus frquemment par le Snat romain. Grce la compilation des rglements arbitraux effectue par S. L. Ager, on recense

    34. Lopez 1972, p. 184, assimile laffaire dHraclius un litige entre unpriuatus et son proprepopulus. Mellano 1977, p. 34, rappelle nanmoins que ce rapprochement est gnralement nonaccept .

    35. Voir, en ce sens, Maganzani 2007, p. 131.36. Ce point de vue est dj dfendu par Lopez 1972, p. 181 et 184-185, ainsi que par

    Mellano 1977, p. 39 : la norma quod priuatus a populo petitva riferita ai casi in cui ilpriuatusnonappartenga alla stessa citt con cui in contesa (voir aussi p. 85).

    37. Voir Mellano 1977, p. 87, avec renvoi la bibliographie antrieure38. Cette institution typique de lpoque hellnistique a t prsente avec clart et

    concision par Robert 1973. En dernier lieu, Cassayre 2010, p. 127-175, analyse cette pratiqueet en recense les occurrences. Sur sa persistance lpoque romaine, voir Fournier 2010, p. 102-104 et 536-543.

    39. Pour ce dernier cas de figure, analogue la situation prise en compte par la clause desVerrines, voir notamment Ager 1996, n 83 (arbitrage drtrie entre Naxos et Paros, vers 194-166), frag. B, l. 4-12 ; n 90 (arbitrage de Chios entre Lampsaque et Parion, vers 190), l. 1-11.

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    au moins une trentaine de cas o le Snat, sollicit par les parties, renvoyalarbitrage une cit tierce de son choix40. Cest ainsi, par exemple, que vers175-160 av. J.-C. Mylasa, aprs que le Snat avait mis un snatus-consulte ence sens, fut dsigne par le prteur M. Aemilius pour arbitrer un litige terri-

    torial entre Magnsie du Mandre et Prine41. partir du ersicle av. J.-C., ledveloppement de ladministration provinciale provoqua le dclin progressifdu recours aux cits tierces : sous le Principat, les procdures arbitrales taientpresque exclusivement effectues par le gouverneur ou par un lgat imprial42.

    En Sicile, le choix de la cit tierce seffectuait sous lautorit du prteur.La procdure de dsignation appelle quelques commentaires, par comparai-son avec les pratiques connues dans le monde hellnistique. Cicron indiquequon donnait pour juge le snat dune cit, aprs que chaque partie ena[vait] rcus un (cum alternae ciuitates reiectae sunt). Aprs que trois cits avaient

    t prslectionnes, peut-tre par tirage au sort au sein des communautsappartenant au mme conuentus, les parties au procs liminaient celle quileur paraissait la moins favorable leurs intrts43. lpoque hellnistique, ilexistait deux manires principales de choisir une cit tierce en vue dun rgle-ment judiciaire. Quand elles concluaient un trait, il arrivait que des cits semissent daccord sur le choix dune cit qui exercerait son arbitrage pour tousles types de litiges publics ou privs qui pourraient se faire jour entre les com-munauts ou leurs ressortissants. Cette cit tierce pralablement choisie taitnomme le plus souvent ekkltospolis44. Lautre possibilit consistait dsignerune cit au moment o survenait le litige, au choix des cits en conflit ou de

    lintermdiaire dsign45. La procdure pouvait tre plus complexe et mler lesdeux pratiques. Cest ce quon observe notamment dans le trait entre Sardeset phse46. Les deux cits staient mises daccord pour confier Pergame lerle de cit mdiatrice ( ). Celle-ci navait pas officier elle-mme comme arbitre. Son rle consistait, chaque fois qutait commise uneentorse au trait, recevoir les dlgus des cits en litige et organiser le tirageau sort du peuple arbitre ( ) au sein dune liste de cits prtablie.Il revenait au peuple choisi dinstituer le dikastrionqui entendrait les deux

    40. Ager 1996.

    41. Ager 1996, n 120.42. Sur lvolution des pratiques darbitrage lpoque de la domination romaine, voir lesprsentations de Marshall 1980 ; Burton 2000 (avec le recensement des conflits frontaliers souslempire) ; Fournier 2010, p. 537-543 (lien entre le dclin des formes grecques de juridiction internationale et le dveloppement de ladministration romaine).

    43. Cette interprtation de la clause (comme sa traduction) correspond celle deL. H. G. Greenwood dans ldition Loeb de 1966 ( each party being entitled to challenge oneCouncil thus proposed ). Elle me parat plus conforme la ralit que celle qua retenue H. dela Ville de Mirmont, CUF, 1960 : aprs la rcusation des cits du demandeur et du dfendeur (cf. aussi, pour ce point de vue, Lopez 1979, p. 181 et 184). Ds lors que le processus devaitncessairement aboutir au choix dune cit tierce, une telle rcusation aurait sans doute tsuperflue, le rsultat en tant fix et connu lavance.

    44. Voir par exemple Ager 1996, n 13 : Mytilne est dsigne comme ekkltos polis pourtout litige qui pourrait survenir entre Tos et Lbdos (vers 303 av. J.-C., sous le patronagedAntigone le Borgne).

    45. Ager 1996, n 83 : rtrie est ponctuellement choisie comme arbitre dans un litige entreNaxos et Paros.

    46. Voir supra. Le dossier est galement examin par Ager 1996, n 170.

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    parties47. Mais la reiectio, telle quelle se pratiquait en Sicile, tait trangre auxarbitrages du monde hellnistique48. Il sagit dune forme typique de la proc-dure romaine, quon retrouve tous les chelons de la juridiction, aussi bien Rome que dans les provinces. Jy reviendrai propos de la slection des juges.

    Un autre aspect remarquable est la nomination dun snat comme organede jugement. Le snat, dans la terminologie romaine, dsignait le Conseilou Boul des cits grecques. Dans les procdures darbitrage de lpoquehellnistique, il ntait pas dusage de dsigner comme tribunal un Conseilni aucune autre institution politique permanente. Lhabitude consistait plutt renvoyer le jugement vers un tribunal constitu ad hoc. Dans la formationde ce tribunal, deux approches idologiques coexistaient49. La premire,considrant que lquit naissait de la sollicitation du plus grand nombre,prnait la constitution de tribunaux dmocratiques. Dans le premier tiers du

    e

    sicle av. J.-C., 301 juges drtrie, tirs au sort dans tout le peuple, rendirentainsi un arbitrage entre les cits de Paros et de Naxos50. La seconde approcheprivilgiait lexpertise des hommes de bien sur lquit du plus grand nombre,optant ainsi pour la constitution de cours tendance aristocratique. Vers192, des juges de Cassope en pire et de Thyrrheion en Acarnanie furentchoisis sur des critres de richesse et de noblesse ( )pour exercer leur arbitrage entre Aigosthne et Pagai51. Il arriva aussi que lesdeux solutions fussent adoptes successivement dans une mme procduredarbitrage. Vers 110 av. J.-C., un litige entre Chalcis dune part, rtrie etCarystos dautre part, fut arbitr dabord par 31 juges dHypata tirs au sort52.

    rtrie et Carystos ayant contest le jugement rendu en faveur de Chalcis,Hypata reforma un tribunal de 31 juges, mais cette fois lus selon des critresaristocratiques. Il semble nanmoins que le second jugement ait lui aussi trendu en faveur de Chalcis.

    Lintervention de Rome dans le processus darbitrage ne parat gure avoirmodifi la donne, puisque les deux options continurent tre adoptes. Vers138, cest sous mandat du Snat que 600 juges choisis dans tout le corpscivique de Milet tranchrent un litige territorial entre Sparte et Messne53. la mme poque, le consul L. Calpurnius Piso encouragea la nomination de

    31 juges choisis dans la population de Magnsie pour arbitrer unlitige entre Hirapytna et Itanos54.En Sicile, le choix de renvoyer certaines affaires vers le snat dune cit tierce

    me parat en revanche reflter le parti pris de Rome de favoriser limportance duConseil au sein de lappareil politique et judiciaire des cits. On sait aujourdhuique lvolution du Conseil vers un organe litaire, compos de membres

    47. Sur cette procdure, voir dsormais Laffi 2010, p. 74-77 ; Fournier 2010, p. 409-415.48. La rcusation de personnes juges trop proches des parties dans le cadre dune procdure

    interne, au moment de la constitution du tribunal civique, tait cependant connue des Grecs :voir Cassayre 2010, p. 369-371.

    49. Voir, sur ce point, Ager 1996, p. 11-12.50. Ager 1996, n 83.51. Ager 1996, n 85.52. Ager 1996, n 166.53. Ager 1996, n 159.54. Ager 1996, n 158.

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    recruts vie sur des critres de naissance et de fortune, samora par endroitsds le milieu du esicle av. J.-C., avant mme lintervention de Rome en cesens55. Par principe, Rome voyait dun il favorable linfluence croissante delinstitution civique dont le modle se rapprochait le plus de son propre Snat.

    Limportance du Conseil dans les cits de la Sicile des annes 70 av. J.-C. se devineassez bien travers lexemple de Syracuse, o le snat local apparat comme leprincipal organe de gouvernement et de justice56. Au paragraphe 47, Cicronindique que les Syracusains qui avaient fait le partage des biens dHracliusrendirent des comptes devant ce Conseil. Au paragraphe 48, il rapporte queVerrs, souponn davoir dtourn lhritage son profit, reporta le souponsur son propre gendre. Pour se tirer dune situation dlicate, ce dernier comparutdevant le snat de Syracuse pour sexpliquer et dmontrer que cette affaire nele concernait pas. La responsabilit de cet organe dans les affaires de la cit

    apparat encore au paragraphe 63, lorsque le successeur de Verrs, L. Metellus,arrive en Sicile et ordonne que lon se saisisse de la personne de tout snateursyracusain quHraclius aurait fait assigner. Limportance du Conseil civiquesexplique sans doute en partie par les comptences que lui avait confies la lexRupiliads 132. Cette tendance nest pas propre la Sicile, mais sobserve aussidans les cits de vieille Grce. Nous avons rappel limportance croissante prisepar lAropage dans les affaires judiciaires athniennes, ou par la Boul dansun certain nombre de cits, comme Mylasa en Asie Mineure57, au dtrimentdes anciens tribunaux populaires. Le phnomne transparat aussi, la mmepoque, dans les provinces de la pninsule ibrique, comme en tmoigne la

    Tabula Contrebiensis. Je dlaisse un instant la comparaison avec lOrient pourrappeler que cette table de bronze comporte une srie de documents en latinretraant les tapes dun procs jug sous lautorit de limperatorC. ValeriusFlaccus, proconsul dHispanie citrieure, le 15 mai de lanne 87 av. J.-C.58Le litige soumis au jugement concernait le percement dun canal dirrigationet impliquait trois communauts voisines, les Salluienses, les Sosinestani et lesAllauonenses. Sollicit par lune des parties, le gouverneur choisit de remettre lejugement entre les mains du Conseil de la communaut de Contrebia (dsigncomme senatus Contrebiensis). Comme en Sicile, le gouverneur pouvait donc

    confier un jugement au snat dune cit tierce.La promotion du rle judiciaire du Conseil est un lment qui sobserve danstoutes les provinces, jusque sous le Principat. Elle concernait aussi les affairesinternes des communauts. En Espagne encore, la lex Irnitana, lpoque deDomitien, faisait de la curie du municipe le tribunal qualifi pour tout procsrelatif largent de la communaut (iudicium pecuniae communis), en particulier

    55. Voir Hamon 2005, trs largement suivi par Heller 2009.56. Cicron voque quelques autres reprises limportance du snat des cits de Sicile : voir

    en particulier Verr.,II, 120-125 (sur les cr itres de recrutement des snateurs) ; IV, 100 (jugementrendu par le snat de Catane, cf. supra, n. 23). ce sujet, ltude de rfrence, dj ancienne, estcelle de Gabba 1959. Voir aussi Ferrary 1988, p. 9 et n. 14. Sur le rle judiciaire du Conseil lpoque romaine, de manire gnrale, voir Laffi 1989.

    57. Pour ce cas prcis, voir Fournier 2010, p. 205-243.58. La premire publication de linscription est due G. Fats, Boletin de la Real Academia de

    la Historia, 176, 1979, p. 421-438 (AE, 1979, 377). Ldition et ltude de rfrence sont celles deRichardson 1983, avec les complments de Birks, Rodger & Richardson 1984.

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    contre les magistrats manieurs de fonds publics souponns de malversation lissue de la reddition de comptes tenue devant les dcurions (chapitre 69). Lesaffaires dont lenjeu tait infrieur 500 sesterces taient juges par cinq dcu-rions. Lorsque lenjeu excdait les 500 sesterces, la curie tout entire avait le droit

    denqute, daction en justice et dvaluation de la peine (cognitio iudicatio litisqueaestumatio)59. La curie pouvait galement agir comme une juridiction dappel dansle cas o un citoyen du municipe contestait une amende inflige par les duumvirsou les diles en vertu de leur pouvoir de coercitio60. Les dcurions exeraient dansce cas un vritable iudicium, destin ratifier ou casser lamende inflige.

    Les litiges entre citoyens romains et Siciliens

    La quatrime clause est relative aux affaires entre Siciliens et Romains : quod

    ciuis Romanus a Siculo petit, Siculus iudex, quod Siculus a ciue Romano, ciuisRomanus datur. Le critre discriminant tait cette fois le statut personnel desparties au procs, celui de prgrin ou de citoyen romain, indpendammentde la communaut de rsidence. Le principe appliqu voulait que le jugementet lieu devant des juges de lappartenance civile du dfendeur : le Sicilienpoursuivi par un Romain tait entendu par un juge sicilien, le Romainpoursuivi par un Sicilien tait entendu par un juge romain. En cela, la clausese conformait au principe que les juristes appellent actio sequitur forum rei.

    Ce principe tait familier aussi bien des Grecs que des Romains. Il seretrouve dans un certain nombre de rglements consacrs au droit international

    priv. Un passage du discoursSur lHalonnsedu Pseudo-Dmosthne indiquequelle rgissait dj les rapports entre Athniens et Macdoniens au esicleav. J.-C., en labsence de toute convention judiciaire. Selon lauteur, on netrouvait pas avantageux de conclure des symbola, ni pour les Macdoniensplaignants qui venaient Athnes, ni pour nous en Macdoine ; mais lesplaignants obtenaient justice, nous l-bas selon leurs lois, eux ici selon lesntres61. Dans les conflits opposant des ressortissants des deux communauts,les Macdoniens demandeurs se rendaient Athnes pour y obtenir justiceselon les lois athniennes, tandis que les Athniens demandeurs se rendaient

    devant les tribunaux macdoniens, o ils se pliaient au droit local.Comme je lai rappel prcdemment, le mme esprit rgissait les clausesjudiciaires du trait conclu entre Sardes et phse. Dans le mme cas de figure,il tait prvu que la victime de linjustice, conformment ce qui a t fixplus haut, sera juge dans la cit de celui qui la commise ( [][ ] [] )62, cest--dire dans la cit du dfendeur.

    59. Lorganisation judiciaire du municipe dIrni est tudie en particulier par Wolf 2000 ; 2006.60. Lex Irnitana, ch. LXVI : si is, cui ea multa dicta erit, aut nomine eius alius postulabit, ut de ea addecuriones conscriptosue referatur, de ea decurionum conscriptorumue iudicium esto. Sur le jugementconcernant lapecunia communiset le rle de la curie dans la lex Irnitana, voir Mantovani 2006.61. [Dmosthne], VII, 13. , , , . TraductionGauthier 1972, p. 171.

    62. Fragments D + E,l. 3-4.

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    Ce principe, surtout, fut privilgi par Rome au moment de codifier lerglement des litiges entre citoyens romains et prgrins, que ce ft dans lecadre dune loi provinciale, dun snatus-consulte ou dun trait dalliance. Ilse retrouve dans lune des affaires rapportes par le long dcret de la cit de

    Colophon en lhonneur de son ambassadeur Mnippos, la fin du esicleav. J.-C. Au cours de sa cinquime ambassade Rome, Mnippos sauva unconcitoyen mand Rome par les consuls pour y rpondre dune mortromaine ( )63. Cette expression et les circonstances quilentourent font difficult. Diffrentes interprtations en ont t donnespar J. et L. Robert64, J.-L. Ferrary65et G. A. Lehmann, suivi en dernier lieupar P. Snchez66. Tous ont admis dans un premier temps que le snatus-consulte obtenu en fin de compte par Mnippos consacrait le droit de lacit juger devant ses tribunaux et selon ses propres lois un citoyen romain

    aussi bien accus quaccusateur ( ) dunColophonien. Ainsi entendue, cette disposition posait elle-mme problme,dans la mesure o elle allait rebours du principe habituellement observ,en vertu duquel laccus comparaissait toujours devant un tribunal de sonappartenance civique. U. Laffi a rcemment propos une interprtation quidonne un nouvel clairage au texte et lve cette difficult, en suggrant que lesdeux termes ne se rapportaient pas unaccus ou un accusateur romain, mais dsignaient dune part lauteur du dlitet accus (sous-entendu : colophonien), dautre part laccusateur romain67: Ila maintenu lautorit de nos lois pour tout chef daccusation, (autorit valant)

    mme pour les Romains, car le Snat a dcid que (et) lauteur du dlit (notreconcitoyen) et le Romain accusateur de lun de nos concitoyenspassent enjugement chez nous68. Lambassadeur de Colophon obtint du snat, nonpas la garantie du droit dune cit grecque condamner mort des citoyensromains, ce quaucun autre rglement natteste, mais la raffirmation du droitdun accus tre jug par les tribunaux de sa patrie et selon ses lois. Le dcretindique ensuite que Mnippos sauva laccus colophonien ainsi que les lois dela cit, qui furent respectes lors du procs69.

    Les clauses judiciaires du trait romano-lycien de 46 av. J.-C. se conforment

    au mme principe. En matire capitale, il est prcis que si un citoyen63. SEG, XXXIX, 1244 I, l. 27-31 ; 40-47.64. Robert , p. 87. Le passage ferait allusion au meurtre dun Romain par un citoyen de

    Colophon, jug et acquitt par un tribunal civique. Avertis, les consuls auraient rcus le verdictde la cit et fait comparatre ce citoyen Rome pour y tre jug nouveau.

    65. Pour Ferrary1991, p. 568-569, la mort romaine ferait rfrence non pas un meurtrecommis par un particulier, mais la condamnation et lexcution dun Romain sur dcisiondun tribunal de Colophon.

    66. Lehmann , comme Snchez 2010, estiment que dsignerait lex-cution la romaine quencourait le citoyen de Colophon mand Rome par les consuls.

    67. Laffi .68. SEG, XXXIX, 1244, col. I, l. 40-44 :

    , .

    69. SEG, XXXIX, 1244, col. I, l. 40-47 : .

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    L LEXRVPILIA, 173

    romain est accus en Lycie (sous-entendu : par un Lycien), il sera jug selonses propres lois, Rome, et nulle part ailleurs. Si un citoyen lycien est accus,il sera jug selon ses propres lois (en Lycie), et nulle part ailleurs 70. Le mmeprincipe sappliquait pour le reste des affaires pnales et civiles : si un Romain

    intente une poursuite contre un Lycien, il passera en jugement daprs les loislyciennes, en Lycie, et nulle part ailleurs71. linverse, le Lycien qui intentaitune poursuite contre un Romain devait le faire devant un magistrat oupromagistrat romain le plus proche, et, par consquent, selon le droit romain.Il sagit dune clause tout fait parallle celle de la lex Rupilia.

    On observe, dans tous ces cas, que le jugement devant un tribunal de la patriedu dfendeur saccompagnait du respect des lois qui sy rattachaient. Cettegarantie est clairement exprime dans le cas dAthnes et de la Macdoine :les plaignants obtenaient justice nous l-bas selon leurs lois, eux ici selon les

    ntres ( , ). Elle est implicitedans le trait entre Sardes et phse. Elle est raffirme dans le snatus-consulteremis Mnippos - lambassadeur a sauv les lois, cest--dire obtenu leurapplication - et nouveau dans le trait romano-lycien : le dfendeur lycienest jug . Mme si la nature du droit employer ne figure pas dans la clause de la lex Rupilia, on peut supposer quilen allait de mme en Sicile, et que le dfendeur sicilien tait entendu parun juge sicilien, selon le droit sicilien, tandis que le dfendeur romain taitentendu par un juge romain, selon le droit romain72.

    . L

    La iudicis datio, prrogative du gouverneur

    Il a t rappel plus haut que le cur de lorganisation judiciaire provincialedcrite au paragraphe 32 reposait sur le principe de la iudicis datio. La iudicis datiotait une prrogative attache tous les gouverneurs de province lpoquerpublicaine. En Orient, elle tait sans doute concomitante ltablissement des

    provinces. Lattestation la plus ancienne que nous en connaissions se rencontredans la loi sur les provinces orientales (dsigne parfois comme lex de prouinciispraetoriis), date de 100 av. J.-C., qui reconnaissait le droit aux proconsuls dAsieet de Macdoine de nommer des juges et des recuperatores ([] )73. Toutefois, lobjet principal de la loi tait la juridiction conserve parles gouverneurs depuis le dpart de leur province jusqu leur retour Rome,dabord applicable aux citoyens romains. On ne peut donc y voir une garantieformelle de lapplication de ces procdures aux provinciaux ds cette poque.

    70. P. SchyenI, 25, l. 32-37 : , , .

    71. P. Schyen I, 25, l. 37-38 : , .

    72. Voir, en ce sens, les rflexions de Cotton 2007, dans la rubrique intitule The Principleof the Personality of the Law , p. 242-244.

    73. Roman Statutes I, 12, Cnidos IV, l. 35.

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    En Sicile, le gouverneur procdait la nomination de juges a minimadansles affaires entre Siciliens de cits diffrentes, comme dans les affaires entreSiciliens et citoyens romains. La dsignation du snat dune cit tierce, dans lesaffaires entre un particulier et un peuple, relevait galement de la iudicis datio74.

    Le seul type daffaire chappant thoriquement cette rgle tait celui quiopposait des Siciliens dune mme cit, tant donn quen ce cas les tribunauxciviques pouvaient tre saisis indpendamment de la juridiction provinciale.Il apparat toutefois, au regard des exemples dvelopps par Cicron, que leprteur semblait habilit procder la iudicis datioaussi dans ce cas de figure.

    cet gard, laffaire dHraclius est la plus riche denseignements75. Le procs,comme on la vu, opposait un particulier sa cit. Au paragraphe 32, Cicronnvoque aucune procdure spcifique pour les affaires opposant un Sicilien sa cit. Plutt que de supposer la disparition dune clause couple celle des

    litiges entre Siciliens de cits diffrentes76

    , il est plus logique de penser que cetype de procs entrait dans la catgorie gnrale des affaires entre citoyens demme cit, entendues par les tribunaux civiques et selon le droit local77.

    Le souhait formul par Hraclius dtre jug selon un droit quitable (aequumius) reflte peut-tre sa volont initiale de voir laffaire entendue devant la juri-diction de la cit, et selon son droit78. Toutefois, le dbat porte rapidement surlidentit des juges que donnera leur gouverneur et sur leur mode de slection. cette occasion, Hraclius ne dnonce en rien le fait que le gouverneur puissedonner des juges, mais seulement diverses entorses faites au principe de slectiontabli par la loi79. Dans un premier temps, au paragraphe 37, Verrs annonce en

    effet son intention de procder au tirage au sort les juges pour les actions judi-ciaires. Hraclius ne conteste pas le tirage au sort, mais rclame simplement ceque soit respect le dlai de trente jours prescrit par la loi. Puis, au paragraphesuivant, les adversaires dHraclius rclament que lon donne les juges quil plaira Verrs de choisir dans les cits appartenant la circonscription judiciaire deSyracuse. Hraclius lui-mme sy oppose en demandant ce que les juges soientdonns conformment la lex Rupilia, cest--dire tirs au sort, comme on lap-prend dans les deux paragraphes qui suivent. Pour finir, alors quHraclius a prisla fuite, Verrs renonce confier laffaire aux cinq juges quil avait dsigns lui-

    mme et procde au tirage au sort de trois juges, selon les prescriptions de la loi.Le gouverneur tait ainsi fond procder la iudicis datiodans des casrelevant en principe de la juridiction locale. Cette apparente contradiction ne

    74. Cf. Mellano 1977, p. 85.75. Sur cette affaire, voir en particulier Lopez 1972 ; Mellano 1977, p. 28-55 ; Maganzani

    2007, p. 134-141.76. Lopez 1972, p. 187-188, suppose que la lex Rupiliacontenait aussi une norme renvoyant

    les affaires opposant un particulier et sa cit des juges tirs au sort, raison pour laquelleHraclius aurait rclam lapplication de cette loi. Toutefois, lauteur ne peut expliquerson absence au paragraphe 32 que par une hypothtique lacune dans le texte transmis. Leraisonnement demeure trs fragile.

    77. Voir, en ce sens, Mellano 1977, p. 34 : le cause tra un privato e il suo populus rientrano nelprincipio dellautonomia giurisdizionale locale, contemplato nella prima regola di 2.2.13.32 ;cf. aussi p. 20-21 et p. 88.

    78. Mellano 1977, p. 37. On remarque dailleurs que dans une affaire du mme type, picratede Bidis rclame le renvoi de laffaire ad leges suas(paragraphe 59).

    79. Voir, en ce sens, Mellano 1977, p. 28.

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    ncessite pas, comme on a pu le faire, de supposer lexistence dune clause quiaurait institu le tirage au sort de juges pour les cas opposant spcifiquementun Sicilien sa propre cit. Il est possible, me semble-t-il, de concilier le modeopratoire suivi dans laffaire dHraclius avec la lettre mme de la loi cite au

    paragraphe 32, condition de prendre en compte deux cas de figure distincts.- Si une affaire entre concitoyens tait porte directement devant la juridic-

    tion civique, elle tait juge sur place, par un tribunal local, sans que le prteurintervnt daucune faon dans la procdure.

    - En revanche, si la mme affaire tait porte devant le prteur par lune desparties, celui-ci avait le pouvoir de procder datio iudicis. Mais il tait tenu,si le dfendeur le rclamait, de procder au tirage au sort de juges selon lesmodalits dfinies par la lex Rupilia. Ces juges taient certainement siciliens,choisis dans la cit dappartenance des deux parties80.

    Il faut peut-tre dceler un cho cette alternative dans un passage duparagraphe 59, relatif laffaire dpicrate de Bidis. Dans des circonstancesanalogues celles du procs dHraclius, les dfenseurs dpicrate demandentque le prteur renvoie laffaire leurs lois propres ou bienquil ordonne lanotification par crit de laction, conformment la lex Rupilia (procuratorespostulant ut se ad leges suas reiciat aut ex lege Rupilia dicam scribi iubeat). Le choixleur semble thoriquement offert entre le circuit interne de la juridictioncivique (domi suis legibus) et le passage par la juridiction provinciale avec tirageau sort des juges selon la lex Rupilia. De mme, au paragraphe 60, les dfenseursrefusent quait lieu aucun iudicium ou aucune cognitio du gouverneur en

    labsence dpicrate, tandis quils persistent rclamer le renvoi de laffaire leurs lois civiques.

    Le droulement des affaires dHraclius et dpicrate suggre que dans lecas de figure o laffaire passait devant la juridiction provinciale, il existaitune interprtation et une application gnrale des principes de la loi par lesgouverneurs de Sicile. Au paragraphe 39, Cicron indique quil existait un droitrglant les procs que les Siciliens avaient entre eux (ius esse certum Siculis inter sequo iure certarent). Au paragraphe 40, il rappelle que la loi prescrivait suivant quelmode il fallait dsigner des juges dans un procs entre Siciliens (quem ad modum

    iudices inter Siculos dares). Dans les faits, cette catgorie trs large des affaires entreSiciliens regroupait sans doute tous les litiges ports devant le gouverneur,quils opposassent des concitoyens entre eux, des particuliers leur cit, oudes Siciliens de cits diffrentes. Dans tous ces cas, on appliquait visiblement letirage au sort de juges siciliens dfini par la lex Rupilia, une procdure dcriteuniquement pour les litiges entre Siciliens de cits diffrentes au paragraphe 32.

    Lauretta Maganzani estime que cest ldit du gouverneur qui permettaitcette application trs gnrale du tirage au sort toutes les affaires entre Siciliensportes devant le gouverneur81. cet gard, il est possible de rapprocher ce

    80. Voir Mellano 1977, p. 51, propos de la nationalit des trois juges tirs au sort danslaffaire dHraclius de Syracuse.

    81. Maganzani 2007. Voir dj Mellano 1977, p. 42 et 53 : dans laffaire opposant Hracliusaux administrateurs de la palestre, loption consistant tirer au sort des juges, selon le procddfini par la lex Rupilia, ne reposait pas sur lune des normes exposes au paragraphe 32, maissur le pouvoir du gouverneur de prsider la iudicis datio.

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    dispositif de ldit provincial sicilien dune clause de ldit de Q. MuciusScaeuola reprise par Cicron dans son propre dit provincial loccasion deson gouvernement de Cilicie82.

    Multaque sum secutus Scaeuolae, in iis illud, in quo sibi libertatem censent Graeci datam, utGraeci inter se disceptent suis legibus (). Graeci uero exsultant quod peregrinis iudicibus utuntur.

    Jai repris plusieurs dispositions de Scaeuola, en particulier ce en quoi les Grecsconsidrent avoir recouvr la libert celle qui les invite rgler leurs litiges entreeux suivant leurs lois propres (). Quant aux Grecs, ils exultent davoir recours des

    juges prgrins.

    Cette clause, daprs Cicron, permettait aux Grecs de la province dAsie dergler leurs litiges entre eux suivant leurs lois propres . Lexpression Graeci

    inter seest le parallle exact du Siculi inter sedes Verrines, avec une acceptiontout aussi large. En Asie puis en Cilicie, de la mme manire quen Sicile, lesaffaires entre Grecs , sans plus de prcision, taient renvoyes devant desperegrini iudices, qui jugeaient aussi suis legibus, daprs les lois grecques. Cicronne fait cependant pas allusion au procd de slection de ces juges83. On serappelle aussi que le quatrime dit de Cyrne stipule que pour toutes lesautres affaires entre Hellnes (cest--dire les affaires non capitales), il convientde donner des juges hellnes ( ), moins queles plaignants ne rclament eux-mmes des juges romains.

    Le fait de pouvoir recourir des juges de leur appartenance civile et, de

    surcrot, tirs au sort, tait toujours prsent comme un instrument de dfenseaccord aux prgrins. Cicron rappelle que la lex Rupiliaimposait la sortitiodes juges, du moment surtout quHraclius le rclamait (negare non potes te exlege Rupilia sortiri iudices debuisse, cum praesertim Hraclius id postularet). proposde la Cilicie, il remarque que les Grecs estimaient avoir retrouv la libertgrce lapplication dune telle mesure. Cette dfense restait fragile malgrtout, car il semble que le gouverneur ait toujours eu la possibilit dexercersa propre cognitioplutt que de procder la iudicis datio. Au paragraphe 60,comme je lai soulign, les dfenseurs dpicrate demandent ce quil ny ait

    ni iudicium, ni cognitio du gouverneur en labsence du dfendeur (amici recusarene quod iudicium neue ipsius cognitio illo absente de existimatione eius constitueretur),comme si les deux procdures soffraient galement au prteur. Juste avant, onapprend que les adversaires dpicrate avaient tent dacheter le decretumqueVerrs lui-mme aurait pu rendre dans laffaire (paragraphe 59), plutt quede donner des juges. Le parallle peut nouveau tre tabli avec le quatrimedit de Cyrne qui rvle quen matire de juridiction capitale, le gouver-neur pouvait soit remettre le jugement une cour de jurs provinciaux, soit connatre et statuer lui-mme ( )84.

    82. Cicron,Att., VI, 1, 15.83. Plutt que comme des juges trangers, lesperegrini iudicesdoivent tre considrs comme

    des juges grecs, choisis dans les cits, par opposition aux juges romains, de mme que les jugessiciliens des Verrinesou les juges hellnes des dits de Cyrne sopposaient aux juges romains. ce sujet, voir Fournier 2010, p. 308-311.

    84. Oliver, Greek Constitutions, 11, l. 66.

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    Le mode de dsignation des juges et la question de lalbum

    Pour les cas o la iudicis datiotait pratique, la lex Rupiliafixait la procdurede dsignation des juges. Il semble mme quil sagisse dun des points

    fondamentaux de la loi85, ou du moins dun point sur lequel Cicron metlaccent, pour dnoncer les entorses commises par Verrs. Les lments donnsde manire parse par Cicron permettent de reconstituer quelques tapes dela procdure.

    - Celle-ci dbutait par la notification comparatre transmise par crit audfendeur, voque au paragraphe 37 (scribitur Heraclio dica)86

    - Au mme paragraphe, on apprend que la loi imposait un dlai de trentejours entre la notification par crit dune affaire et le tirage au sort quilassignerait des juges87.

    - Pass ce dlai, cette assignation seffectuait par tirage au sort, commelindique le paragraphe 42 : ex lege Rupilia sortiri dicas oportere. Pour chaquecause elle-mme tire au sort, on procdait immdiatement la slection desjuges par un second tirage au sort : educit ex urna tres, pour laffaire dHraclius.La sortitio des juges se fit sous la responsabilit du prteur, mme si, comme onlapprend au paragraphe 44, cest le questeur qui se chargeait habituellementde lopration : ceteras dicas omnes illo foro M. Postumius quaestor sortitus est. Leprocs dHraclius est le seul de ceux qui se tinrent Syracuse pour lequelVerrs stait lui-mme occup du tirage au sort.

    - Dans certains cas au moins, la sortitiodes juges tait suivie par ltape de la

    reiectio: au paragraphe 41, Cicron dnonce le fait que cinq juges avaient tdsigns par Verrs nulla reiectione, nulla sorte. Les trois juges finalement dsignsen accord avec la lex Rupiliacondamnrent Hraclius en son absence, sur ordrede Verrs. Cicron ne fait pas allusion une rcusation dun juge par chaquepartie qui aurait pu avoir lieu sil avait t prsent. Mais certaines affaires taientjuges par un juge unique, peut-tre aprs rcusation : au paragraphe 66, Cicronvoque le jugement rendu en faveur dHraclius de Centuripe par un jugeunique, son concitoyen, que Verrs avait tent de faire annuler en contestantsa validit. Par ailleurs, la rcusation sexerait en principe dans le cas o un

    snat dune cit tierce devait juger une affaire entre un peuple et un particulier,comme on la vu. Cicron y fait galement allusion dans le De Frumento, propos de la procdure rcupratoire dont elle est un trait caractristique, aumme titre que la sortitio88. Au paragraphe 136, propos du procs du dcimateurQ. Apronius, il voque les citoyens romains de Syracuse parmi lesquels il fallaitprocder la rcusation des recuperatores(ex qua copia reciperatores reici oporteret).Au paragraphe 140, il rappelle le pouvoir laiss chacune des deux partiesdexercer son droit de rcusation parmi les hommes justes.

    85. Voir, ce sujet, les remarques de Lopez 1972, p. 186 : lex Rupilia= sortitio iudicum .86. Voir le commentaire de cette expression par Mellano 1977, p. 30-31, qui souligne que la

    comparution devant le gouverneur nest pas dnonce par Hraclius ni par Cicron commeune entrave lautonomie juridictionnelle de la cit.

    87. Lopez 1972, p. 179, estime que le dlai de trente jours entre la notification de la procdureet la dsignation des juges rsultait dune extension dune clause de la lex Pinariavoque parGaius, Institutes, 4, 15.

    88. Lintott 1990, p. 4.

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    Lapplication de la sortitioet de la reiectiodes juges en Sicile tait calque surle modle de la procdure civile Rome. En contexte provincial, les allusions ce systme sont en revanche beaucoup plus lacunaires. En Asie, lexistence dejuges et de recuperatoresrappele par la loi sur les provinces orientales implique

    que ces deux tapes y aient aussi t suivies. Nous manquons toutefois dedtails sur leur application. La seule allusion la sortitiodes juges figure dans letitre depraef(ectus) fabr(um) i(ure) d(icundo) et sortiend(is) iudicibus in Asia dans lecursus de Q. Decius Saturninus89.

    Les informations sont un peu moins maigres pour la province de Lycie,grce une inscription pourtant fragmentaire trouve dans la cit de Pinara90.Le texte jette un peu de lumire sur le processus daffectation des commissionsde recuperatores aux diffrents procs ports devant la juridiction provinciale.Le notable lycien du ersicle apr. J.-C. qui y est honor stait charg, auprs

    du gouverneur, de la [] des . D. Nrr a reconnu dans lesecond terme les recuperatoresprovinciaux, et dans le premier lquivalent dela sortitioromaine91.Le notable lycien avait galement effectu le paiement decinq mille drachmes chaque systmade 92. D. Nrr propose de rap-procher les quatre systmata entre lesquels ils se rpartissaient des dcuries quicomposaient lalbum iudicum Rome, dans les provinces93et dans les municipeslatins, comme celui dIrni94. Chaque procs renvoy devant les recuperatoressemble ainsi avoir donn lieu au tirage au sort dun chantillon de juges prisdans les quatre sections (systemata)de lalbum provincial.

    Cest pour la Cyrnaque et les affaires capitales que la procdure est la

    mieux connue. La composition du tribunal soprait en deux tapes, cellesde la sortitio,puis celle de la reiectio. Dans le cas dun jury mixte, composdHellnes et de Romains, vingt-cinq jurs de chaque catgorie taient tirsau sort distinctement, au moyen de deux klrtria. Les parties procdaient alors tour de rle la rcusation des juges : laccusateur en cartait un dans chaquegroupe, laccus trois au total, la condition quil ne sagt exclusivement ni deRomains ni dHellnes (l. 25-29)95.

    Dans le cadre de la juridiction provinciale, le prteur, en Sicile, pouvaittre amen dsigner des juges originaires de la cit des parties, parfois aussi

    extrieurs leur cit, des juges siciliens comme des juges romains. Ce constatincite rflchir la constitution du rservoir au sein duquel taientslectionns ces juges.

    89. CIL, X, 5393.90. TAM, II, 508. La mention, l. 26, du appellation frquemment donne au

    gouverneur de Lycie assure que linscription, parfois date du er sicle av. J.-C., est postrieure la provincialisation de la Lycie survenue sous le rgne de Claude.

    91. La dmonstration principale est effectue par Nrr 1995. Nrr 1999, p. 276-279,rcapitule ses arguments.

    92. TAM, II, 508, l. 21-22 : () [][][][ ]( ?) .

    93. Cicron, Verr., III, 28, propos du procs du dcimateur Q. Apronius dans la Sicile de Verrs :quid praetor ? Iubet reciperatores reicere. Decurias scribamus. Quas decurias ? De cohorte mea reicies, inquit.

    94. Cf. la lex Irnitana,LXXXVI et LXXXVII : les iudices de lalbum taient rpartis ennombre gal entre trois dcuries.

    95. Le nombre de jurs rcusables par laccus tait identique celui fix par lesleges Corneliae,au moins pour les accuss nappartenant pas lordre snatorial : Cicron, Verr.,II,77.

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    La Sicile, comme un certain nombre dautres provinces dOrient oudOccident, tait dcoupe en circonscriptions judiciaires que Cicron nommetantt conuentus, tant forum, suivant laspect mis en valeur96. Lquivalenceest perceptible au paragraphe 44, propos du tirage au sort : deinde ceteras

    dicas omnes illo foro M. Postumius quaestor sortitus est : hanc solam tu illo conuentureperiere sortitus. Dans chaque circonscription, une cit faisait office de chef-lieu et recevait tous les procs ports devant le prteur au cours dune sessiongnralement annuelle97. Syracuse apparat principalement dans ce rle, maisCicron voque aussi Agrigente, Lilybe, et Panhorme au paragraphe 63.

    Laffaire dHraclius suggre que la slection des juges soprait habituel-lement au sein du conuentus. Au paragraphe 38, les adversaires dHraclius, Syracuse, demandent ce que les juges soient choisis par Verrs dans les citsqui relvent de cette circonscription judiciaire (ex iis ciuitatibus quae in id

    forum conuenirent). Hraclius rclame des juges tirs au sort, sans doute parmiles citoyens de Syracuse, mais le passage montre que le conuentusservait ordi-nairement de base au recrutement des juges. Une source beaucoup plus tardivelaisse penser que le principe tait le mme dans toutes les provinces organisesen conuentus, et que ntaient convoqus au moment des assises que ceux desjurs qui appartenaient la circonscription judiciaire. Dans une lettre Trajan,Pline le Jeune, qui tait alors lgat proprteur de la province de Pont-Bithynie(111-113 apr. J.-C.), indique quil avait convoqu ses jurs au moment mmeo il sapprtait ouvrir son tribunal Pruse98. Cette prcision parat indiquerque ceux-ci ne le suivaient pas dun chef-lieu lautre, mais taient appels

    chaque nouvelle tape. Le philosophe Flavius Archippus, qui demanda alors tre exempt de service judiciaire, tait dailleurs lui-mme citoyen de Pruse.

    Le texte des Verrinesest en revanche beaucoup moins disert sur les critresncessaires la qualification et linscription parmi les juges potentiels. Lesdonnes issues des provinces orientales rvlent que les juges ntaient paschoisis sans condition dans toute la population, mais quils taient inscrit surdes listes formant un album. Au paragraphe 11 du Pro Flacco, Cicron voque lenumerus recuperatorumde la province dAsie, dont avait t exclu le publicain M.Caelius parce quil avait rpugn prononcer contre un autre publicain. Pline

    le Jeune, dans le passage que jvoquais prcdemment, signale Trajan que lesadversaires de Flauius Archippus voulaient le faire exclure du numerus iudicumde la province de Pont-Bithynie, parce quil aurait tent de se soustraire unecondamnation prononce par un prcdent gouverneur.

    Linscription sur ces listes se faisait certainement en fonction de critrescensitaires, comme ctait le cas tous les chelons de la juridiction romaine. Rome mme, aprs la lex Aurelia de 70 av. J.-C., les juges taient rpartisen trois dcuries composes respectivement de snateurs, de chevaliers et detribuni aerarii, mais requrant toutes la mme qualification censitaire, celle de

    96. Les conuentusles mieux connus sont ceux des provinces de la pninsule Ibrique (voiren dernier lieu Le Roux 2004), de lAsie (Mitchell 1999 ; Campanile 2003 ; Fournier 2010,p. 62-87) et de lgypte (Haensch 1997).

    97. Sur le rythme de la tenue des conuentus, voir Fournier 2010, p. 56-61, avec renvoi labibliographie antrieure.

    98. Pline le Jeune, X, 58 : cum citarem iudices, domine, conuentum incohaturus (). Sur ce passage,voir Gaudemet 1964, p. 340 ; Fournier 2010, p. 34 et 38.

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    lordre questre99. lchelon provincial, un certain niveau de fortune taitncessaire pour lappartenance aux cours criminelles de Cyrnaque : le censexigible, de 2500 deniers pour les seuls citoyens romains, fut port 7500 pourles Romains comme pour les Hellnes dans le premier dit dAuguste100. Il

    tait prvu toutefois quil pt tre rduit de moiti au cas o ne se seraientpas trouvs dans la province suffisamment de personnes qualifies. lchelonmunicipal, le chapitre 86 de lalex Irnitanaindique que les jurs du municipedevaient possder un capital dau moins 5000 sesterces.

    Il est donc trs probable que de telles conditions sappliquaient aussi auxjuges de la province de Sicile, mme si nous disposons de peu dindices ence sens. Au paragraphe 28 du De Frumento, Cicron voque les dcuriesde recuperatores partir desquelles il convenait de procder la reiectio. Il estpossible quen Sicile aussi, les dcuries aient reflt des critres censitaires. Par

    ailleurs, certaines remarques de Cicron vont dans le mme sens. Le juge deCenturipe ayant rendu une sentence favorable Hraclius se vit ainsi privpar Verrs du droit de siger au snat, ce qui indique quil possdait le niveaude fortune et de respectabilit ncessaire pour y entrer (paragraphe 66)101. Auparagraphe 70, Cicron indique aussi que Verrs avait dans son conseil deshommes honorables du conuentusde Syracuse (homines honestos e conuentuSyracusano) : il faut peut-tre y voir aussi une allusion au statut social des juges.

    La liste des juges provinciaux suivait aussi une distinction entre les prgrinset les citoyens romains. Elle est sensible dans le premier dit de Cyrne : lesHellnes accuss dans un crime capital avaient en effet le choix entre un jury

    compos uniquement de juges romains et un jury mixte, compos parit dejuges romains et de juges hellnes. Le verdict du tribunal de quarante-cinqmembres ainsi compos procdait dun vote opr sparment par les jursromains et hellnes (l. 29-33)102.

    Nous avons vu quen Sicile, juges romains et juges siciliens ntaient pas qualifispour les mmes types de litiges. De fait, Cicron voque les juges romains commeune catgorie en soi, en prcisant aux paragraphes 32 et 34, et plusieurs reprisespar la suite, quils taient choisis au sein du conuentus ciuium Romanorum. Le sensde conuentus, ici, se distingue de celui de circonscription judiciaire. Son unit

    rside dans le statut civil de ses membres, qui taient les citoyens romains installsdans la province, et distincts des Siciliens. Le conuentus ciuium Romanorumfaisaitoffice de rservoir do taient issus tous les juges romains slectionns pourrendre leur sentence dans les affaires judiciaires de la province, aussi bien civilesque criminelles. Au paragraphe 28 du De Frumento, Cicron indique ainsi queVerrs navait donn aucun juge ni recuperatorissu du conuentus(nam de conuentunullum umquam iudicem nec reciperatorem dedit). Au paragraphe 136, il ajoute que les citoyens du conuentusde Syracuse formaient un ensemble trs honorable,o se trouvaient beaucoup de chevaliers romains, hommes du premier mrite

    99. Voir Nicolet 1976.100. Oliver, Greek Constitutions, 8, l. 13-21.101. Sur le cens ncessaire lentre dans les snats des cits de Sicile, voir Cicron, Verr., II,

    120-125.102. De Visscher 1940, p. 71, estime que le vote par catgorie nationale en Cyrnaque

    tait une transposition en province du vote spar des dcuries de juges (tablies quant ellessur des critres sociaux et censitaires) Rome, prvu par lalex Aureliade 70 av. J.-C.

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    L LEXRVPILIA, 181

    (praetera conuentus honestus Syracusis, multi equites Romani, uiri primarii). Par ailleurs,les membres du consiliumchargs dassister Verrs dans le jugement dun procscapital intent contre le Sicilien Sopater avaient eux aussi t choisis dans leconuentusdes citoyens romains de Syracuse (paragraphe 71). loccasion de ce

    procs, Verrs ordonna au chevalier M. Petilius, membre de son consilium, dequitter la sance pour aller connatre dune affaire prive pour laquelle il avaitt dsign comme juge. Un mme homme pouvait donc tre qualifi lafois comme membre du consiliumet comme iudex dans une affaire prive. Cespassages rvlent en mme temps que le conuentus des citoyens romains taitorganis lui aussi lchelle de la cit, ou du moins lchelle du chef-lieu decirconscription judiciaire. De ce fait, il est parfois difficile de faire la distinctionentre le conuentuscomme circonscription judiciaire et le conuentusdes citoyensromains. Dun point de vue juridique, le conuentus ciuium Romanorumapparat en

    tout cas comme le groupe des citoyens romains qui, dans chaque ville dassises,taient inscrits sur les listes de juges provinciaux.Une remarque de Cicron au paragraphe 34 laisse penser que les negotiatores

    de la province occupaient une place particulire au sein des juges romains, sansquon comprenne exactement la manire dont ils se rattachaient au conuentusciuium Romanorum. Je remarquerai simplement que la prsence des negotiatoresparmi les juges provinciaux sobserve galement dans la province dAsie,o ils formaient une fraction importante des rsidents romains au ersicleav. J.-C. Dans un passage de La prture urbainerelatif un procs capital intentcontre Philodamos de Lampsaque (paragraphes 63 85), Cicron indique quefiguraient dans le consilium du gouverneur dAsie C. Nero un certain nombrede togati, cranciers des Grecs (creditores Graecorum), qui taient certainementdes negotiatoresde la province, mais dont on ignore le mode de recrutementau sein du conseil.

    Le recours la procdure formulaire

    La question de la iudicis datioen contexte provincial soulve ncessairementcelle de la procdure suivie au cours des procs. Aux paragraphes 31-32,

    Cicron associe trs clairement le clivage entre ceux qui tablissent lesinstances et ceux qui rendent les jugements avec lmission deformulaepar leprteur destination des juges provinciaux. Cicron cite mme un exemplede formula rdige dans des termes qui contraignaient le juge rendre unesentence inique.

    La procdure formulaire sappliquait certainement pour toutes les affairesdans lesquelles un citoyen romain tait impliqu en tant que dfendeur, quitaient ncessairement entendues par des juges romains, selon le droit romain.La mission premire de la juridiction provinciale consistait en effet garantirapplication du ius ciuileaux citoyens romains prsents dans les provinces. Onpeut lgitimement sinterroger, en revanche, sur lapplication de cette procdureaux procs dans lesquels un prgrin tait impliqu comme dfendeur et quise droulaient devant des juges siciliens. Autrement dit, la dsignation des jugessaccompagnait-elle ncessairement de la transmission du point de droit surlaquelle les juges avaient prononcer ?

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    J F182

    la faveur dune relecture des Verrines, L. Maganzani a estim que laprocdure formulaire tait couramment employe dans celles des affairesopposant des prgrins qui taient portes devant la juridiction romaine. Ellemontre en effet que le procs dHraclius prsente toutes les caractristiques

    des tapes in iureet apud iudicesde la procdure formulaire103. Le procs intentcontre Hraclius sapparente unepetitio hereditatis. La premire tape prend laforme de la notification par crit de laction intent. Hraclius fut convoquin ius devant Verrs au sige du conuentuspour la sortitio dicarum. Aprs quele dbat eut lieu devant le gouverneur intervint la nomination du jury, quidclencha la phase apud iudices. Il semble bien que cette tape ait t assortiede la transmission dune formula. Ce point apparat surtout dans le procsdpicrate, au paragraphe 61 : alors que les amis dpicrate ne voulaient passe porter dfenseurs pour une accusation de faux en criture publique, Verrs

    assure quil dlivrera la formule daction prcisment sur ce point (adseueratse eius rei in primis actionem daturum).Je reviens encore une fois la comparaison avec les provinces orientales : les

    donnes disponibles assurent que la procdure formulaire put tre appliqueau moins ds le premier sicle av. J.-C. des ressortissants trangers de citslibres thoriquement indpendantes de la juridiction romaine, sans mmequun citoyen romain ft ncessairement impliqu dans le litige trancher.En 78 av. J.-C., le snatus-consulte De Asclepiade104donnait trois navarquesgrecs ayant bien mrit de Rome la possibilit dtre jugs devant nosmagistrats (sc. romains) avec des juges italiens (

    ), une expression qui se rfre probablement aux deuxtapes de la procdure formulaire105. En 68 av. J.-C., la lex Antonia deTermessibus offrait aux habitants de la cit de Pisidie la possibilit dintenterune procdure rcupratoire auprs dun magistrat ou promagistrat romainpour recouvrer les hommes libres et les esclaves perdus au cours de la guerrecontre Mithridate106. Au milieu du ersicle av. J.-C., La lex Gabinia Calpurniade insula Deloassurait aux Dliens la possibilit de poursuivre en justice lespossesseurs de biens dont ils avaient t spolis. Les procs envisags sont detype formulaire, en deux tapes : le magistrat auquel sadressaient les plaignants

    probablement le proconsul dAsie devait dsigner des juges aprs avoirtabli uneformula