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Al^ V. 5=be^^ LA LANTERNE MAGIQUE RAPPORT FINAL par Jean-Jacques Tatin - Courier ( Université François-Rabelais, Tours) et Catherine Velay - Vallantin ( Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris) Presenté le Í5 novembre Î995. , MINISTERE DE LA CULTURE-DAPA 9042 006924

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LA LANTERNE MAGIQUE

RAPPORT FINAL

par Jean-Jacques Tatin - Courier

( Université François-Rabelais, Tours)

et Catherine Velay - Vallantin

( Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris)

Presenté le Í5 novembre Î995.

, MINISTERE DE LA CULTURE-DAPA

9042 006924

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Bien que portant sur des corpus divers et suscitant des questionnements

difTérents, nos études ont donné lieu à une concertation constante et nous ont

permis de dégager une problématique et des hypothèses communes, quant à la

figure du projectionniste dans ses représentations multiples du XVIIIè au XXè

siècle, et quant aux modalités de la mise en scène écrite ou ¡conique du spectacle

de lanterne magique.

Ce rapport ne constitue qu'une brève synthèse des réflexions et des analyses

menées. Il a été rédigé parallèlement à Torganisation de Texposition " Lanternes /

magiques. Tableaux tranparents ** dirigée par Ségolène Le Men. Le catalogue de

cette exposition constitue sa participation au rapport final.

Notre contribution a pour perspective l'organisation du colloque ''Lanterne y

magique" à l'Université François Rabelais de Tours, début juin 1996, et la

production d'un ouvrage présentant les résultats de recherches précises, au delà

de clichés séduisants mais trop souvent impressionnistes.

Jean-Jacques Tatin-Gourier

Catherine Velay-Vallantin

N.B.

Pour la constitution des corpus du XVIIIè siècle, les plaques conservées sont en

petit nombre et les textes, quels qu'ils soient ( du théâtre au pamphlet ) ,

s'avèrent répérables et constituent des séries limitées.

H en va tout autrement pour le XlXè siècle oii des choix s'imposent : les

interférences entre plaques et séries Imprimées sont trop diversifiées.

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Jean-Jacques Tatin-Gourier

Professeur à l'Université F-Rabelais de Tours.

Groupe de recherches sur la lanterne magique.

I. La lanterne rtegique au XVIIIè siècle : descriptions et témoignages.

Même si notre objectif n'est pas de constituer une histoire de la lanteme

magique (que Laurent Mannoni a largement développée dans Le qrand art de la

lumière et de l'ombre, archéologie du cinéma, Nathan-Université, 1995) nous

avons dû tout d'abord rechercher et étudier les textes décrivant l'appareil sur

le plan technique et précisant ses spécificités par rapport aux autres appareils

optiques : chambres noires, boîtes d'optique. Ces descriptions permettent

d'éviter toute confusion dans l'interprétation ultérieure des ténxDignages et

des textes littéraires intégrant l'effet d'image projetée. Nous avons donc

essentiellement pris en compte les traités techniques de la fin du XVIIè siècle

et du premier versant du XVIIIè siècle : Pierre Le Lorrain, La Physique occulte

ou Traité de la baguette divinatoire (1693), Abbé Nollet, Leçons de physique

expérimenta le (1743), M. Thomin, Traité d'optique méchanique (1749). Les des¬

criptions dans les dictionnaires et les encyclopédies du siècle -ainsi que les

planches accompagnant parfois les notices- ont également retenu notre attention:

du Dictionnaire universel de Furetière (1690) ("Lanterne magique, est une petite

machine d'optique qui fait voir dans l'obscurité sur une muraille blanche plu¬

sieurs spectres et monstres si affreux, que celui qui n'en sait pas le secret

croit que cela se fait par magie.") â 1 ' Encyclopédie de Diderot (1753) et à

l'Encyclopédie Méthodique de Panckoucke (publiée à partir de 1782).

La collecte et l'étude des textes évoquant ou relatant des séances de

projection permettent de constituer une première typologie des spectacles

présentés. De nombreux témoignages attestent le caractère théâtral des spectacles

donnés par les colporteurs généralement savoyards dans un espace public (la

foire, la place villageoise) ou dans un cadre privé (les colporteurs proposent

souvent des spectacles à dcmicile le soir venu). L'image atteste elle aussi

cette ambiguïté spatiale de la projection de lanteme magique. Les évocations

des séances de projection permettent de constater des traits dominants de mise

en scène : accent savoyard des kísexxhkxskeeiíe commentaires, accompagnement

musical, présence d'accessoires (la traditionnelle marmotte, les marionnettes).

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Nombreux sont les récits qui soulignent le caractère grotesque des images proje¬

tées. Des témoignages plus précis permettent de distinguer le caractère spécialisé

des projections privées : images satiriques projetées par Voltaire à Cirey (lettre

de Mme de Graffigny du Io décembre 1748), utilisation pédagogique de la lanterne

par Mme de Genlis ou par les éducateurs du Dauphin, fils de Louis XVI (cf. Comte

de Paroy, Mémoires, Paris, 1895), usages pornographiques en milieu libertin (les

Mémoires du Maréchal de Richelieu évoquent les projections erotiques réalisées

pour le Régent )

Dans ces divers témoignages, l'appréciation du spectacle est le plus souvent

ambiguë : le mépris aristocratique à l'égard de la "ridicule lanterne des "Savoyards"

côtoie la fascination pour un type de spectacle dont les ressources et les perfec¬

tionnements sont multiples et envisageables. Cette ambiguïté de jugement ne concerne

pas seulement les spectacles de lanterne magique : elle est en fait constitutive

du regard porté par les élites sur les diverses pratiques culturelles pagix populaires

parades, théâtre de la foire, théâtre de marionnettes.

La constitution d'un corpus de gravures et de dessins représentant le colpor¬

teur projectionniste ou la séance de projection elle-romK même a permis de

constater la présence presque constante du manipulateur de lanterne magique

dans les séries consacrées aux petits métiers de la rue. Dans les grav\jres de

François Guérard (Les Cris de Paris, 1700-1710), dans les dessins de Huet destinés

à la fabrique de porcelaine de Meissen (1753) conme dans ceux d'Edme Bouchardon (1742)

et de Michel Poissen (1775), le colporteur projectionniste est présent aux côtés

du vinaigrier, du mendiant et du marchand de chansons. La comparaison des figures

permet de plus de dégager des variantes dans le costume ou les accessoires. Il

est enfin toute une iconographie de la lanterne rtegique révolutionnaire : qu'il

s'agisse des illusturations de pamphlets intitulés Lanterne magique ou de gravures

indépendantes conme La Lanterne magique républicaine. (Cf. reproductions pages

suivantes )

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II. Les traces des projections : la nécessité de constituer le corpus des plaques

utilisées au XVIIIè siècle.

Ces plaques, aisément identifiables par leurs techniques de fabrication (cf.

L. Mannoni, Le qrand art de la lumière et de l'ombre), sont dispersées dans les

musées et les collections privées. Isks II est de plus tout-à-fait exceptionnel

qu'une série complète, permettant de reconstituer une projection dans son intégra¬

lité, ait été conservée. Les exemplaires détenus par le Musée du cinéma de Paris,

par le Musée du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), par le Musée

du cinéma de Turin et par divers collectionneurs privés (Laura Minici Zotti -Italie-,

David Robinson et John Jones -Grande Bretagne-) permettent d'esquisser une typologie

des sujets représentés : scènes grotesques, diableries, scènes erotiques, expressions

du visage (une série complète est conservée à Turin), scènes champêtres, reproduc¬

tions de gravures de maîtres, représentations d'événements officiels de caractère

public ( scènes de couronnement en grande Bretagne ) . Dans la mesure où une part

importante de notre travail porte sur les pamphlets de l'époque révolutionnaire

intitulés "Lanterne magique" , nous avons recherché avec une attention particulière

les traces des spectacles politisés de la Révolution française : il n'est guère

qu'une plaque conservée au CNAM qui rappelle, par sa tonalité antinobiliaire et

anticléricale, les caricatures de 1789. Sur ce point notre recherche se poursuit

actuel lement -

III. Les mises en scène littéraires de la lanterne magique.

A. La lanterne magique au théâtre.

Nous avons constitué le corpus des pièces qui font intervenir des projections

de lanterne magique ou la simple présence sur scène de l'appareil :

-La Lanterne magique ou le Mississipi du Diable, comédie italienne, par J.D.C.,

La Haye, Mathieu Roguet, 1723.

idem. Comédie en trois actes, en prose, dédiée à MM. du parterre de l'Opéra de La

Haye, in-12, La Haye, 1724. (Nous prendrons ce texte en compte dans le corpus des

pamphlets . )

-La Lanterne magique, divert. (Favart), repr. Bagatelle, chez Mme de Mauconseil,

1759.

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-La Lanterne magique, ou les pourquoi ? comédie, un acte, par Maillé de Lamalle,

repr. en province, 1772; Ambigu-Comique, 1er février 1786.

-La Lanterne magigue, in Oeuvres mêlées de M. AP... de Verdan (attribué à

Maupinot), 1778, 4 vol. in-4.

-La T_anterne magique ou le retour des époux. Comédie, en un acte en prose, mêlée

de vaudevilles; par F. Bernard-Valville, auteur de Marcelin, Représentée pour la

première fois, â Paris, sur le Théâtre des Jeunes-Artistes, le 24 Floréal an 8,

14 mai 1800, chez Fages, Libraire, boulevard Saint-Martin.

-La Lanterne magique de 1 ' amour , par Reichardt, 1773.

-La Lanterne magique, pantomime, ( s . 1 . n . d . ) par le citoyen Lazarri .

-Le Cordonnier de Damas ou la Lanterne magique. Pièce curieuse en trois actes, en

prose, par le citoyen Pigault-Lebrun , représentée pour la première fois sur le

Théâtre de la Cité-Variétés, le 24 Nivôse, an VI de la République, 13 janvier

1798, vieux style, chez Barba, 1798, an VI.

-Cora lie ou la Lanterne magique, opéra comique, en un acte et en prose, par

André Grétry, neveu, musique del Sig. Blanchi, Représentée pour la première fois

sur le Théâtre de Molière, rue Saint-Martin, le 18 Messidor an XII (7 juillet I804),

A Paris, chez Madame Masson, Libraire.

-La Soirée des Champs-Elysées, proverbe-folie en un acte-

Dans cette étude que nous menons en collaboration avec Mme Michèle Sajous

d'Oria, professeur à l'Université de Bari (Italie) et auteur de l'ouvrage

Les Théâtres de paris pendant la Révolution (1990), nous nous interrogeons sur

la signification de ces références à la lanterne magique dans les pratiques

théâtrales du XVIIIè siècle. Pour chaque pièce considérée, nous cherchons à carac¬

tériser les modalités de l'insertion de scènes de lanterne magique. Nous comparerons

cette insertion â la présence de treize actes d'ombres chinoises dans Le Drame de la

vie (1793), ample pièce autobiographique de Rétif de la Bretonne.

B . La Lanteme magique et les autres genres littéraires,

Il s'agit en fait de recenser les genres textuels où la lanteme magique

affirme sa présence et d'analyser les modalités de cette émergence : de l'évo¬

cation ponctuelle à la mise en scène d'ensemble qui affecte les formes et l'écri¬

ture du texte. Du conte au pamphlet ce sont en fait des genres littéraires

extrêmement divers qui sont ici concernés.

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Dans les contes merveilleux, la lanteme magique apparaît parfois comme

attribut d'êtres au pouvoir magique. Ainsi dans les Contes très mogol s (ouvrage

anonyme publié en 1746), la princesse fée possède une lanterne magique et décide

d'en répandre l'usage par tout son royaume. Mais c'est surtout le colporteur

savoyard qui, tard dans le siècle et en Hollande, est promu héros d'aventures

aussi multiples que comiques. Dans les années 1780, une suite de textes hollan¬

dais narre et met en scène -ces récits sont largement dialogues- les aventures

de Sneog le Savoyard. L'étude de ces textes qui mêle la langue française au hollandais

est en cours. Nous en donnons ici la liste :

-Lanterne magique of Toverlantaern , sq si., 1782.

-Het Lanterne Magique der Stad Gend, sind.

, -Le Nouveaux Lanteme magique ou comique Toverlantaern, déc. 1782.

-De Goudasche en Utrechtsche Optica, (L 'Optica de Gouda et d' Utrecht), 1783.

-De Vrolyke Walon met de Rarekiek-Kas (Le Joyeux Wallon avec l'armoire aux

curiosités), sept. 1782.

Ces textes sont le plus souvent illustrés.

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Le compte-rendu des salons de peinture parisiens fait lui aussi place à la

mise en scène de la lanterne magique. La Lanterne magique aux Champs Elysées

(sind) se présente comme le commentaire burlesque du salon de 1775 : aux

ordres de Mercure, un Savoyard, manipulateur de lanterne magique, projette

les copies sur verre des tableaux présentés. Les grands peintres qui assistent

à la scène ( et notamment Raphaël , Rubens , Le Titien et Poussin} exigent que

le Savoyard cesse son "baragouinage indécent".

Nous avons plus précisément étudié cette question du traitement littéraire

de la lanterne magique à propos du pamphlet.

IV. Les mises en scène pamphlétaires de la lanterne magique.

Les mazarinades, si elles impliquent dans quelques cas l'évocation de dispositifs

optiques (lunettes déformantes, boules de verre qui permettent de faire apparaître

et de caricaturer l'ennemi) ne font pas intervenir as la projection de lanterne

magique. C'est dans la littérature pamphlétaire dénonçant le caractère dangereuse¬

ment illusoire du Système de Law qu'un tel recours se produit. Dans La Lanterne

magique ou le Mississipi du diable ccmédie pamphlet publiée en Hollande en 1723,

la "Cassette des illusions" est le symbole même du Système de Law. La lanterne

éblouit et égaxii égare ceux qui ne sont animés que par la soif de s'enrichir et

de parvenir. Arlequin qui "contrefait les Savoyards avec leurs Lanternes Magiques

et fait voir dans l'éloignement ce qui suit" commente ironiquement iaoïs les

méfaits de Law qu'illustrent les plaques projetées. Une planche d'occasionnel

hollandais conservé à la Trinity College Library de Dublin (Ka die Torer Lantaren)

et dénonçant la banqueroute de Law développe une même assimilation du Système

et des images projetées par la lanterne magique?:.

Dès le début du siècle, les principaux procédés de composition et d'écriture

des Lanternes magiques de l'époque révolutionnaire se mettent ainsi en place.

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Nous avons retenu une dizaine de pamphlets intitulés "Lanterne magique",

en distinguant la production brabançonne (liée au soulevaient des provinces

belgiques contre l'emperexor Joseph II en 1788 et 1789), les pamphlets des

premières années de la Révolution française et les textes publiés sous le

Direcoire, où des thèmes nouveaux apparaissent (l'instabilité des images

projetées rend ccmpte de l'instabilité politique).

I. Révolution brabançonne.

-La Lanteme magique du Brabant, en Brabant, 1787.

(pamphlet antérieur aux pamphlets français, mise en scène

d'une projection privée.)

II. Révolution française.

-La Lanterne magique ou la pièce curieuse. Spectacle national

pour les aristocrates ( sind )

-La Lanteme magique de la France. Nouveau spectacle de la

Foire Saint-Germain, chez le marchand de dragées de M. de

Calonne. Par MXXX CLSDRDGFDR. l'an de grâce 1789.

-La Lanteme magique ou Fléaux des aristocrates, étrennes

d'un patriote dédiées aux Français libres. Berne 1790.

(Un exemplaire avec illustrations couleurs â la Bibliothèque

historique de la Ville de paris.)

-Mirabeau, la Lanteme magique (I. II. III.) , 1789.

III. Thermidor et Sirectoire.

-La Lanterne magique ou les qrands conseillers de Josephle S

Bon, représentés tels qu'ils sont. A Paris, an III, 1795.

(pamphlet antirobespierriste)

-La Lanteme magique des réputations (1.2.) sind .

(Dénonciation jacobine de l'instabilité politique.)

(BN 8° Lb 41 5344 (I) (2) )

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Dans les pamphlets de la Révolution française, la figure

du montreur de lanterne magique est sans doute plus récurrente que

celle du colporteur. Les nombreux pamphlets intitulés Lanterne

magique , mettent en scène la diffusion du message politique,

suggèrent les images commentées, leur enchaînement chronologique et

les réactions du public que le montreur prévient, approuve ou

encourage. Le personnage du montreur de lanterne magique est en fait

proche de celui du colporteur. Cette contiguïté est souvent

soulignée. Ainsi la Lanterne magique du Brabant (1787) met en scène

un colporteur, qui, parcourant les rues la nuit tombée, offre des

projections à domicile :

"Rare et curieuse ! Qui veut voir la Lanterne Magique?

crioit dans Bruxelles, à neuf heures du soir, un

de ces Savoyards économes, industrieux et quelquefois

même spirituels, dont nous achetons dans le jour des

parapluies et des corbeilles, ou à qui nous faisons

rémoudre nos couteaux, et qui, dès que la nuit est

tombée amusent nos femmes et nos enfants à l'aide d'un

miroir concave et de deux lentilles de verre, au foyer

desquelles, agitant à l'envers quelques Figures

grotesques et colorées, ils en font réfléchir les

traits sur une muraille"

L'origine savoyarde du montreur de lanterne magique est souvent

mentionnée en incipit du pamphlet . Conseil est également donné

de "prendre le ton savoyard" . Le montreur de lanterne magique,

souvent accompagné d'un jeune aide , est à l'occasion montreur

de marionnettes. Ainsi la Lanterne magique ou la pièce curieuse.

Spectacle National pour les aristocrates fait allusion à la présence

de cet aide et se clôt par un refus d'animer un pantin :

"En recommençant, vous en verrez autant ; vous ne vous

en souciez pas ; ni moi non plus ; ma poitrine est

aussi fêlée que vos oreilles.

Un verre de tisane, coco.

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ne ferai point danser aujourd'hui la charmante

Catin ; ses ressorts sont usés. Elle est comme M. de

Favras et autres, qui se sont donnés trop de mouvement

pour la révolution : ce sera donc pour une autre fois"

Le discours d'introduction du spectacle suggère généralement les

impatiences d'une foule qui se presse :

"(...) approchez, et vous serez satisfaits !... Ne

vous pressez pas tant... Prenez garde en poussant, de

renverser ma pièce curieuse..."

La désignation dégradatrice de l'ennemi quel qu'il soit permet

d'établir presqu' immédiatement une complicité avec le public :

"Oh ! Oh ! on s'agite bien fort par ici. N'y a-t-il

point quelques Aristocrates ! Si cela est, Messieurs,

laissez les passer. N'est-il pas juste qu'ils voient

les premiers ! Ce sont eux qui ont fourni les sujets

de mes Tableaux. Ils n'occuperont pas longtemps la

place... Allons, Messieurs, attention ; voilà que nous

allons commencer"

Le texte simule souvent la rapidité de la succession des images :

répétition alternée des présentatifs ("Ah ! voici. Ah ! voilà,

voici, voilà." ) , adresses aux spectateurs sur le mode impératif

("Voyez", "Regardez"), commentaires brefs ponctués d'exclamations

valorisantes ("Rare et curieuse !") ou de constats exclamatifs

suggérant l'animation des images ("Il parle. Comme il s'anime !

Comme il s'échauffe ! ') , . Le discours incitatif adressé au public

est souvent complexe : tout comme le camelot, le montreur de

lanterne magique fait mine de prévenir impatiences et objections :

"(...) et dès lors, si vous le désirez, messieurs et

Mesdames, il ne me seroit pas difficile de vous rendre

la conversation des quatre voyageurs précédents (...)

Mais cela seroit trop long, trop long, surtout pour

ces jeunes Dames... Quoi ! vous auriez la patience!...

voilà qui est exemplaire... Eh bien ! puisque vous me

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l'ordonnez, je vais les faire parler comme ils est

vraisemblable qu'ils parlent en ce moment (...)"

Le texte simule de plus les suspensions du discours, les prétendues

pertes de mémoire qui visent en fait à maintenir l'attention du

public :

"Eh bien ! ces beaux messieurs que vous voyez, en les

voyant, se parlent les uns aux autres, et se

disputent, non pas pour savoir s'ils doivent

contribuer aux besoins de la nation, mais pour ne rien

donner ; parce que, disent-ils, ils sont gens comme il

faut : et pour être gens comme il faut... il faut

être... Attendez, je vais vous le dire... Il faut

être... Le diable de mot m'échappe !... Ah ! le voici,

ah ! le voilà, je vais vous le dire tout bas, de

grâce, n'en parlez à personne, il faut être un petit

peu Mandrin : c'est-à-dire, faire beaucoup de dettes,

promettre beaucoup et ne rien payer"

La valorisation de l'image qui va être projetée est développée en

termes hyperboliques :

"Après cela, messieurs et dames, que vous avez vu avec

vos yeux, voici, voilà, regardez, c'est du superbe !

voici, voilà une nouvelle scène non moins intéressante

que la première. Faites bien attention, messieurs et

dames ; car c'est du touchant, c'est du larmoyant, et

tout-à-fait du tragique que vous allez voir, ce que

vous allez voir" /).

Le montreur de lanterne magique se présente comme détenteur d'un

savoir précis et complet, fût-ce en tant que médiateur de la rumeur:

"Quand, par ma Lanterne, je fais voir un Personnage

c'est que je le connais à fond, soit par moi-même,

soit par ce qu'on m'en a dit..."

Le montreur de lanterne magique peut même prétendre au rang

d'historien. Ainsi la Lanterne magique ou Fléaux des Aristocrates

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(Berne, 1790)", où la simulation de l'oralité est limitée à

l'introduction du spectacle, constitue un récit détaillé des

événements de l'année 1789, que limite cependant l'intervention

explicite du public, tout à fait exeptionnelle dans un tel pamphlet

Cette mise en scène de la lanterne magique,

valorisatrice de la transmission du message politique, implique donc

une simulation particulière de l'oralité populaire, très proche du

discours mimant le camelot ou le charlatan. Des mises en scène

inverses mais complémentaires dans leurs objectifs (élaborer une

représentation dégradée de la diffusion du message de l'adversaire

et célébrer l'expression de son propre camp) présentent ainsi bien

des traits similaires. Et cette simulation assumée de l'oralité

retentit même dans le conseil d'une lecture à haute voix :

"Pour goûter ce Pamflet, il faut le lire à haute voix

et du ton que prennent les Savoyards, en montrant

leurs Lanternes Magiques. Quant à leurs expressions

italo-galliques, on les a omises : y suppléera qui le

voudra"

Le lecteur est invité à clamer et jouer le texte, à restituer le

spectacle mimé : avec les "Lanternes magiques" le jeu théâtral

s'affirme ainsi source et horizon du pamphlet.

Mais cette mise en scène connaît aussi bien des

développements particuliers. De tels pamphlets semblent certes se

prêter a priori à l'illustration. Pourtant ce n'est

qu'exceptionnellement que les "Lanternes magiques" ont été

illustrées. Un seul pamphlet a été "orné d'estampes" : mais le texte

alors ne suggère plus l'image. Il en commente au contraire de façon

très didactique les allégories complexes et, au-delà de

l'introduction, toute simulation de l'oralité populaire s'estompe

La mise en scène -assez rare- d'une projection dans

un espace privé permet d'autres focalisations. L'assistance

restreinte est désignée comme public privilégié auquel est réservé

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un spectacle d'exception . L'établissement d'une complicité

d'ordre intime renforce la connivence politique de l'ordonnateur du

spectacle et de son public. Ainsi la Lanterne Magique du Brabant se

clôt-elle par un discours grivois adressé aux deux jeunes couples

spectateurs :

"Mais il est temps de finir. Car voici, car voilà ma

lumière qui s'éteint. Voilà que vous aussi. Messieurs

et Mesdames, n'aspirez qu'à vous éteindre dans vos

draps. Je vous souhaite de bons éteignoirs"

Mais le spectateur de la projection privée peut aussi

être l'ennemi en personne. La mise en scène de l'intimité redouble

alors l'intensité d'une menace de mort imminente. Dans la gravure

commentée la Lanterne Magique Républicaine

"un bon Sans Culotte montre la Lanterne Magique au

gros Georges Dandin et à son piteux Ministre ; il leur

fait voir dans le disque lumineux tout ce qui se passe

en France, la vertu y est à l'ordre du jour, la

Guillotine fait justice des traîtres, la fabrication

du Salpêtre, et des Armes en activité, nos armées

victorieuses du Nord au Midi, la marine sur un pied

respectable, à cette vue gros Georges s'efforce de

retenir sa couronne chancelante ; Pitt voit avec

désespoir échouer ses tristes projets de trahison ;

enfin pour achever de les confondre un jeune

républicain leur joue sur la vielle le reffrein Ca

ira."

Le visage du musicien qui s'inscrit sur le halo lumineux de l'image

projetée de l'exécution capitale et de la guerre terrestre et

navale, contraste avec les grotesques visages du ministre et de son

roi, dont le regard et la gestuelle manifestent l'effroi. Le texte

du couplet chanté, invitation de Pitt à Paris, redouble le message

icônique menaçant .

La Lanterne Magique ou Fléaux des aristocrates (Berne,

1790), seul pamphlet illustré des images projetées, développe une

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mise en scène plus complexe fondée sur l'allégorie : face à l'hôtel de ville,

la lanterne magique manipulée par un jeune patriote a remplacé sur un socle

marqué du bonnet phrygien le buste de Louis XIV. Ce buste posé sur l'auvent de

la maison d'un épicier a désormais pour perspective la lanterne. Alors qu'un

vaste public de citoyens et de soldats attend avec impatience que conmence le

spectacle, la "Déesse de la Vérité lève le rideau qui couvrait la machine",

mais le foyer est étrangement dirigé vers la place elle-même et inonde le

public de sa lumière : au symbole magnifiant l'absolutisme royal a succédé, pour

tous, le soleil de la Vérité. La Lanterne magique des pamphlets révolutionnaires

apparaît ainsi pleinement dans sa dimension symbolique.

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-IL ^i

L A

LANTERNE MAGIQUE,

o u

FLEAUX

. DES ARISTOCRATES.

PREMIER TABLEAU.

J-'A miifoo de rép'cier , en f.ice dc l'hôtc^-d«-^'¡!!e ,au-deHui d« l'suvcnt , fe voit le bjfle de Locii XIV ,

qui t poUi perfpeAivc b branche de (et ^ i laquelle

lient ordîn«Iremenf le trop fjmeux Reverbere. II eft

déi«cb^ \ te l'on a mil i fa place U Lanteme In.^fi«[ \

celai qui U fiit Toir , fe tient aup:¿i ; îl efl enviafjnrf

¿'vm groupe de perfoonc» qui écoutent fnn »fw>ooce , o«

Toit le» («ntei, lei foldirt qui font en f»<1ion fur la plate.

L« DífíTe d* U vétité , l«v« le lidcaJ qu couvicit

U Backioe. yA J

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^?

Dans les demières années de la Révolution française, la composition et l'écriture

des pamphlets intitulés Lanterne magique s'infléchissent et tendent surtout

à suggérer l'instabilité politique. L'accélération de la projection des portraits

des dirigeants politiques successifs s'inscrit dans un procès de l'instabilité

des réputations et de la versatilité de l'opinion publique. Ce procès transcende

les clivages politiques : il peut être résolument anti-robespierriste aux

lendemains de Thermidor (Cf. La Lanterne magique ou les grands conseillers de

Joseph Le I3on, Paris, an III). Plus tardivement, sous le Directoire, il peut

exprimer des nostalgies jacobines ( Cf. La Lanterne magique des réputations, sind)

V. Les infléchissements du XlXè siècle.

La tradition de la lanterne magique pamphlétaire àa se transforme et

s'épuise dans le premier versant du XlXè siècle. Sous l'Empire et la Restauration

nous ne connaissons guère, à cette étape de notre recherche, que deux Lanternes

magiques qui reconduisent les procédés du pamphlet des années révolutionnaires.

La Lanterne magique de la rue impériale (sind) dénonce violemment l'empereur

vaincu et se c7c''>t-*'l' image de l'entrée tricmphale du roi IaaMÍX3¿ííi Louis XVIII

à Paris :

"Voyez, voyez comme il étend ses bras sur la

Prusse; tue-dieu! quel appétit! il lui faut

encore un aigle pour son diner. Voyez, voyez

quel soin il prend de ses enfants : quelle

prévoyance paternelle ! quelle attention il

met à multiplier les hôpitaux, les ambulances,

et â faire fabriquer des jambes de bois . ( )

Voyez, voyez l'entrée triomphante de Louis

XVIII dans la ville de paris ! Quel beau jour!

Quels transports ! Quel enthousiasme ! Le Monarque

s'avance à pas lents ... Ses yeux se mouillent

de larmes Pour moi. Messieurs et Mesdames, il

m'est impossible de continuer, ma voix est étouffée

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-^^

par les sanglots : je ferme ma Lanteme magique."

Mais dans W La Lanterne magique de la Restauration (Paris, I8l5), c'est au tour

de Louis XVIII d'être brocardé.

La tradition de la lanterne magique politique se maintient mais évolue :

l'écriture spécifique {a\rBC ses effets d'oralité et d'images projetées) de

ce type de pamphlet disparaît au profit des supports nouveaux que sont la

chanson et le placard. Les titres "lanteme magique" renvoient désormais

essentiellement â des chansons satiriques. La Révolution de 1830 et la conquête

de l'Algérie donnent lieu à des chansons intitulées "Lanterne magique" et

xxi violemment critiques à l'égard de Charles X ou de Bugeaud

"C'est dans ma lanterne magique

Qu'on voit tout pour un sou comptant.

On voit, au son de la musique.

Le soleil et le firmament.

Approchez-vous, prenez vos places;

C'est curieux à voir :

On voit Charles X et sa race

Chevaliers d ' éteignoir ,

Qui, à présent, n'ont plus de pouvoir, (bis)

Air de la Muette de Portice.

La Lanterne magique, sind.

Voyez dans le désert.

Courir Abd el Kader

Monté sur son chameau.

Poursuivi par Bugeaud

Suant, la larme à l'oeil etc..

La Lanterne magique Africaine sur un air qui

pourrait être celui de la fricassée, mais qui

ne l'est pas, puisque c'est sur l'air du Tra

la la la la. sind.

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^

En 1848, chansons et récit en images se conjuguent dans La Lanterne magique

ou Tableaux historiques de la République française. Cette Lanterne magique constitue

en fait un placard composé de onze vignettes renvoyant aux événements révolutionnaires

de février â juin 1848. Chaque vignette est accompagnée d'un commentaire chanté.

"1er tableau. Révolution de février.

Voyez ce vieux filou royal

Qui s'échapp dans un fiacre.

Voyez, à caus' d'cet animal,

Comm' 1' Peuple se massacre.

Air : J'suis né paillasse, et mon papa.

Ces chansons intitulées Lanterne magique, qui supplantent les pamphlets du même

nom, n'ont pas toutes une dimension politique. Certaines ont simplement une tona¬

lité ludique et parodique voire même grivoise. (Cf. Chanson nouvelle. La Lanterne

magique, 1837, où une jeune fille perd tout â la fois sa lanterne et sa vertu.)

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2J)

MAGIQUEOU

hleaux historiquesde la

1>IIBLIQUE FRANÇAISE.

u,' àllavcu) fa Iditcltc^

; J'jui.r//<''/w///¿urr.r////mpa/ki,..

> ru()Di;cTiON. P'¿:v¿z.»fA7:2 mm

iiple.vencz pour (hi;iiim' liareisw ma I.ant eu'- magique.|ii(»clir¿ lous, ¡cuness'. vieillards,iij'ncz noir république .

Fi (lu rococo!

Ici chaqu' lableaujioinl 7.»inc ba^^atclle :On ^ \-u il 1res- clair. >far, sorti d' l'Knfpr.

iHiible J- lient la chandelle.

1'!' TAItl.EAi;. «¿TOA/T/AV ÜE FÉVRIER.

.\fy í*í» vn-dx filou royalni, .scchapjr dans tin fiaerp,i\e7. ,à caus' ti' cet atn'tnal,

1' Peuple se ina.ssncrc.Voyez, oe OuizoL,l.a cli«(uc cn tripotsauvfr la rég'tiiice :

V.llc csl dans un coin,l'rcsscp d'uu besoin

' oatts" l'intenipcrance.

3*^ Txni.nM'. riMijri-: üt:s p(mEssFi'Rs,Voyez, fuir ces rieliards v'>iiiju,sRticc, noire. értoisU';Il.s vont r.iciicr It.'iirs beaux cous

De peur qu'on n'Ios dépiste.0>iv.-lcs crierTunlre 10uMÍt;i'

Dont ils reduni" Iriiidaee.Avare insoi'vit.

Pourqudi ernins-tii laiil .'Somm' nous dour .te ta race'

l'.TAUi.K.vi . imcrniy des pmitis.

Voyez et-N iinii-.s.i-c.s veris, ces lllallt^^,Coiiinu' ils i-elr-\ 'la t(4c;Un rabriqueiii .sur divers plansUn' couroiir.ir si-cfcin»:

Uni la purU'raC'est cque l'on verra . . ,

Chaqoii ¡larti coinploie'I'tniN .sniil bien rouients,l'yr leui s r']irt\senlinil.s

"Sous lir" /une lio'iUe .

r

T. TAiiuKAi!. inxiDU'rys/: i:rPt:.^iTifj\.Ici le Uiahle e.st invité

A inmirher sa rliadolle.Nous vcrron.v mieux l'atrooili,*lie l'union rraUMni-lli-.

\\\'. ne rions jilo:;.l';ir > üiiupienr.s a;iii'n.>--.

lirons teUr !ii;iiii<|;i!Mc .Si' .s'.iii! iifjsV..M"; r'-;

l'iiiir ;iMiirl'iiucun \a rerniiipe;iSi.- '

'-\j v.'v. j., Xíi.ívi^.A. -'Ji!-ftî'i'AUi.Kii. i>ih!i,n/://i .".'.li'tr.

\iiNe/ , jiiiiir Ciilnu'r ies¡l.e IriUiiilleui' Joeili;l'ediini si-s fusils . se;>

.M'ir. ou' loiU .suit iiMinitiille .l.u 1.1)11 ( -Ion en.II ue \rui p"i».s rien

Que Iravoil el .Milis l'ri':hc iii.Miliiiii'.

I.iii dit. en ehantaur.Vas le fail- lanlaiic ".

à. TAiiLMi . !/ /// li .)iAi.

lUi mic-iiiai' (¡ne l'nii vuil y.ie.i .l." luniulle épouvantableN'fulpa.i srrieux, ear. Dieu luerei,C' n'est pa.^ l'ieinre du Diable:

t"'i-sillarbé.N, lllauqiii,C'est moi. \ ous ou lui

Qui, dans une réplitpie,\ ouiions bien .savoirSi l' nouveau Pouvoir

Marchait eu République.

;tvhi.km:. .»/tti7;A-,/.'i,v/.v. rr ytonr

Voici ^ eulin 1' dernier t.ililvau

De noire histoire piiliiiqiu-;C'est bien le plus Iri.sie tnorocauDt: ma lantern' ma>í¡(|Uf;

VI-CIT L'UUVRIeR.Toujours le premier

A scr\'ir .sa Pairie;Sans travail, à, m.s pniii,11 se meurt, de faim

Dans un' longue atíonicl

2? TAUi.K.Ai:. F,.\Tiwii.\m.vi:.aiÉüiii,iT£.i\ ! l' paii\Tc I'eiijilc ércinlc

1" feu tics fusillndcs;tiic:\ictoire et Liberté!

Ill pietl d' .SCS bnrrioadfs.n met son espoirllans 1' nouveau pouvoir

'l's bnnun's ipi'il croit sincères;Mai.s quelqni'S uàclieiirs,Viinide.s piéebeur.s

'I'I biouillé ^es aflaires.

^)^r,AnI.^;. jounvm de juin.France, obi pour le coup ceUc Ibis.Tu l'a.s échappée belle !Ou voulait taïuencr des rois,l)il-on, une Kiriiîlle;

Ksi- ce vrai zou non'I.

T'est c (|ue le canonPcmlanl cinq jours demande.

Disons- 1' snns di'lonr:Tou.'i CCS ('o.\rnr. ct Pijvn.

Celait d'Ia contrebande.

EXHORTATION.

Peuple, vcnc'/. souvent rcvuirMa Lanteruc-inartj(juc.Coiirag'e encore.. . d. bon es|n.iiKn notre Kcptibliqur !

HicutôL dos lablciiux

Plus brillants. plus lieunv,IMiis diune.s de l.i l'rar.ce,

Keï-oiil oublier

.Au |iaii\rc OuvrierL'cxec.s de sa. . .snnl'franc.-.

V,,. /i, /

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Catherine Velay-Vallantin

Sid Xj L^ t^* tJ»

Pans

RAPPORT FINAL DE L'ENQUETE :

LES CONTES MIS EN SCENE POUR LA LANTERNE

MAGIQUE.

Mes interrogations sur íes plaques de lanterne magique sont au coeur d'un

questionnement plus général sur l'articulation de Timprimé illustré avec l'image mise en

mouvement, qu'il s'agisse de plaques de lanterne magique, de photographies ou de

mises en scène cinématographiques. D'un point de vue méthodologique, ceci pose le

problème de l'association des approches thématiques avec une étude dont l'objet est

l'image elle-même.

Cest ainsi que j'analyserai tout d'abord la fonction symbolique du manipulateur de

lanteme magique, le bonimenteur, successeur de la conteuse ; le frontispice des Contes

de Charles Perrault, oti l'acte de conter est mis en représentation, sera d'abord traité

d'après les enracinements référentiels de ses représentations iconographiques dans

Hmprimé ; le lien de l'image, de l'écrit et de l'oralité, par le biais des rôles symboliques

du projectionniste, lui-même participant des usages et des fonctions de la lanteme

magique, sera ensuite abordé au travers de cette première étude de cas.

Les usages des images des contes de fées seront ensuite plus précisément analysés,

d'après des exemples précis de plaques de lanteme magique, en particulier celui du

conte Le Chat Botté. Les documents et les plaques ici analysés sont présentés au cours

de l'exposîtion-dossier du Musée d'Orsay Lanternes magiques. Tableaux transparents,

et sont classés dans le catalogue sous les n" 95-102.

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Le problème de l'image-mouvement sera enfin étudié, au travers des mises en rapport

des fonctions des plaques de lanteme magique, du cinéma muet et du cinéma parlant.

1 L'ÔRALftÊ MISE EN SCENE :

LA REPRESENtAtlÛM DU MANIPULATEUR DE LANTERNE MAGtQUË HERITIERE DU

FRONTISPICE DES CONTES DE PERRAULT

Le singe projectionniste représenté par Grandville en 1854 pour son affiche Les

Métamorphoses du jour est un des demiers avatars d'une longue tradition : la tradition

des singeries, celle du singe peintre de Chardin, ou encore l'illustration de la fable de

Florian, Le singe qui montre la lanterne magique. L'apparence comique de cette

représentation a donné lieu à trop d'interprétations réductrices pour qu'on ne s'attache

pas à cemer cette inscription animalière de l'oralité et du spectacle au travers de ses

enracinements du XVTfe siècle, en particulier la mise en représentation de la conteuse

par Perrault. Cette étude trouve toute sa légitimité dès lors que l'on observe une sur¬

représentation des animaux dans les corpus de plaques de lanteme magique mettant

les contes en scène; cette illustration surabondante de l'animal des contes ne peut être

analysée qu'en association avec la figure métaphorique du singe bonimenteur.

Le traité de l'abbé Nollet, L'Art des expériences, de 177Ü, présente des planches qui ne

laissent pas de doute sur l'association de l'oralité des contes avec celle indispensable

aux compréhensions des représentations de lanteme magique : comparant les

dispositifs optiques du microscope solaire et de la lanteme magique, une de ces

planches montre la projection d'une puce immensément grossie d'un côté et de l'autre,

une tête de vieille femme grotesque. Cette récurrente dans le corpus des

"grotesques" , est évidemment bien connue du public : il s'agit de la conteuse, de "Ma

Mère L'Oye", que Charles Perrault a popularisée et mise en scène dans un frontispice

dessiné et peint à la gouache des la production en 1695 du manuscrit de ses Contes.

Le cas Perrault et les séries editoriales de ses Contes sont les exemples les plus

didactiques qui nous permettent d'explorer le problème de la représentation picturale,

narrative ou encore politique de la conteuse, du bonimenteur, et du projectionniste de

lanteme magique . Mais il nous amène aussi à nous interroger sur les relations d'une

histoire culturelle et d'une "hétérogénéité sémiotique" de l'image à l'écriture. Car il ne

peut être question d'universalité de la catégorie de texte et de lecture. Le conte lettré

de la fin du XVflè siècle, parce qu'il est oral, écrit, imprimé, illustré, lui fournit un objet

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d'expérience : tout en dévoilant les "plaisirs de la narration", ce travail se fonde sur la

conscience aiguë de l'historicité et de la discontinuité des fonctionnements

symboliques. Car la figure de la conteuse est essentielle pour qui veut cemer la

représentation et le rôle du bonimenteur de lanteme magique.

Le frontispice des Contes de Perrault a été étudié d'après une série de gravures sur bois

et sur acier depuis la fin du XVIIè siècle jusqu'à nos jours. A travers le découpage d'un

corpus d'éditions - découpage dont on peut mesurer, à la suite de Pierre Bourdieu, le

risque de se voir imposer une méthodologie par la force du texte même- , on s'est

attaché à reconstituer la grammaire complexe de la lecture d'un texte, et plus

précisément la grammaire de la représentation de ce texte. Grâce à ses gravures, un

texte se donne pour visible selon tout un système hiérarchisé. Nous sommes alors

confrontés à une "lecture-vision" d'un livre, à la fois livre d'images et livre écrit.

Quel type de subordination existe-t-il entre les images illustrantes et les textes illustrés?

Pourrait-on soumettre l'hypothèse que les Contes de Perrault ne seraient qu'images?

Pourtant, même dans ce cas, il existe pour le lecteur des références à un texte

antérieur. En clair, l'illustration est-elle un supplément par rapport au texte écrit? Et

quelles sont les variations de lisibilité ? Un texte non illustré est-il mieux lu ? La

présence de l'illustration libère-t-elle la lecture ou au contraire contraint-elle la lecture

du texte ? Présente-t-elle le sens de ce qui doit être retenu ? En fait, l'illustration réalise

tous les possibles du texte et elle prescrit l'extraction de certains possibles, ce qui

signifie que la lecture est entendue comme production de sens : nous rencontrons ici

une des approches les plus apparemment paradoxales des recherches sémiotiques

puisqu'ainsi, on est amené à appeler à une socio-histoire de la pratique culturelle de la

lecture.

Le lecteur qui regarde, alors constmit par l'image qui lui est donnée à voir, et le lecteur

constmit par le texte qui lui est donné à lire, autant de sujets qui définissent un autre

texte qui est lui-même le scénario de leur lecture. Un texte cible donc un public de

lecteurs : c'est ainsi qu'il existe aussi bien de la part de l'auteur que de celle des éditeurs

successifs, des stratégies et des tactiques de 'visée de ce lecteur probable et souhaité.

Le manuscrit des Contes de Ma Mère Loye que Perrault fait circuler dès 1695, et les

deux premières éditions des Histoires ou Contes du temps passé qu'il publie dès 1697,

ne présentent pas de nom d'auteur dans le titre. Ces stratégies correspondent aux

démarches obliques de Charies Perrault depuis sa "disgrâce" de 1682, date à laquelle il

doit quitter sa charge auprès de Colbert et, banni de la Cour, se réfijgier dans sa

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maison de la me Saint-Jacques. Le frontispice du manuscrit de 1695, repris dans

l'édition de 1697, présente le texte tel qu'il est dans son oralité. Laissons Louis Marin

nous décrire le frontispice tel que Perrault nous Ta donné à voir: " Une vieille nourrice,

gouvemante ou "mie", assise sur un tabouret, filant avec son fiaseau la laine de sa

quenouille, parle - la bouche est ouverte et sa main gauche esquisse le geste archaïque

du comput digital - à trois jeunes personnes "de qualité", un petit garçon portant

chapeau, debout, la main posée sur le giron de la vieille, une adolescente avec une

coiffiire Fontanges, mains glissées dans un manchon et un jeune homme chapeauté,

assis dans un fauteuil, dos à la cheminée où flambe un feu de bois : espace clos du

foyer et de l'intimité - la vieille narratrice se détache de profil sur le fond d'une porte

fermée dont l'huis de la sermre est à la hauteur de son oeil - , espace noctume de la

veillée que signalent non seulement le feu de l'âtre, mais la bougie allumée et

rayonnante dans son bougeoir posé sur le manteau de la cheminée, mais un chat

pelotonné, tapi, les yeux ouverts -"face au spectateur" - : Mise en scène de l'oralité

dans ses représentants canoniques, la toute puissante maîtresse de la voix narratrice et

ses destinataires, enfants et adolescents, fille et garçons, dans la fascination de

l'écoute". ( Louis Marin, "Préface-image. Le frontispice des Contes-de-Perrault",

Europe, Paris, novembre-décembre 1990, p. 116.)

Le principe d'encadrement "architectural" qui, selon Furetière, règle le frontispice,

réapparaît subrepticement dans l'image de l'édition de 1697. Dans la pénombre du fond

de la pièce, à peine éclairée par la bougie et le feu de l'âtre, se déploie une plaque de

pierre fichée par quatre clous sur la porte close, une plaque qui offre aux regards les

mots gravés : Contes / de ma / mère Loye. Ce titre pourrait bien valoir pour celui de la

page imprimée en regard du frontispice : Histoires / ou / Contes du temps passé, ce

titre qui est celui-là même du manuscrit de 1695. De ce fait, l'image de la première

édition des Contes de Perrault et qui réglera, par excès ou par défaut, toutes les autres,

perd une part de sa cohérence, celle d'une mise en représentation d'une scène de

narration orale, pour retrouver la valeur normative du genre "frontispice". Mais en

même temps, ce retour à l'écrit sous forme d'une inscription gravée manifeste la

stratégie de Charles Perrault, cet auteur qui eflface son nom de la page de titre et dont

on dit que son fils écrit des contes.

L'on comprend bien dès lors la signification de cet effacement de l'auteur-écrivain

devant une instance d'énonciation orale : le titre en regard du frontispice et plus

encore, l'image que celui-ci montre, annoncent les protocoles obligés - obligatoires -

du livre; il faut, pour "bien lire", que le lecteur retrouve imaginairement ou réellement

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ces mêmes circonstances que le frontispice lui représente; il faut que la lecture se fasse

écoute, et les pages imprimées, voix sans nom.

Bien sûr, c'est avant tout un jeu de la lecture lettrée avec elle-même. Mais lire en

adoptant une autre attitude mentale, c'est aussi une nouvelle réception des contes qui

constitue une sorte de culture inconsciente de l'enfance. A quelle pédagogie avons-

nous affaire? Des enfants -des adolescents plutôt- qui écoutent une vieille nourrice,

qui une fois lecteurs, restituent dans leur imaginaire un intérieur paysan fantasmé, un

auteur anonyme légitimé par ses dissimulations, une stratégie d'enchevêtrement de

l'oral, de l'écrit et de l'image, bref un statut nouveau de l'écrivain-enseignant et de son

lecteur-audîteur-élève ne sommes-nous pas devant un programme précis

d'acquisitions sensorielles et motrices, devant un jeu qui tend à devenir un moyen

d'expression et de motivation ?

C'est bien ce qu'ont compris les éditeurs, en particulier dès le début du XlXè siècle ;

une édition de colportage, imprimée pour L. Duprat-Duverger, à Paris, présente, sous

le titre Contes des Fées par Monsieur Perrault de TAcadémie française, le frontispice

comme une sorte de marque d'éditeur. Certes, nous retrouvons la vieille avec son

fuseau et sa quenouille, entourée de six enfants et adolescents, mais désormais, ils sont

sortis de l'espace réservé, intime et clos de la narration, celui du foyer et de la veillée,

pour être disposés sur un présentoire de terre, d'herbes et de plantes. Le frontispice a

dispam comme tel, même si quelques uns de ses éléments sont conservés, pour devenir

un signe icônique autonome et stéréotypé dont le sens serait : "Contes-de-fées-pour-

enfants", contes naïfs, contes de nature, et dont L. Duprat-Duverger se serait fait une

spécialité d'éditeur. Cette configuration se retrouve fréquemment, surtout dans les

éditions de colportage, tout au long du XlXè siècle : les éditeurs constituent le genre

"contes-de- fées".

La vieille nourrice, maîtresse de la vobc, s'évanouit donc peu à peu de l'illustration du

livre et des protocoles iconiques de ses usages, pour être remplacée par les

personnages des Contes, et souvent parmi eux, encadrée comme un tableau, la fée.

Cette fée reçoit les hommages de deux jeunes filles. Les "Contes-de-Perrault", comme

on dit "contes de fées", ont un auteur si anonyme qu'il en devient sumaturei :

l'éducation ne se fait plus par le biais de la voix parentale, nourricière, mais par celui de

l'oralité merveilleuse d'un personnage irréel et imaginé. Cette transformation radicale

montre l'importance prise dans la stratégie éditoriale par l'illustration

l'autonomisation de cette illustration va de pair avec la disparition de renonciation et de

sa mise en scène au profit de l'énoncé. Car cette fée ne parle pas : le statut de l'auteur

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est ainsi modifié; Perrault a perdu son statut d'écrivain, nié par les éditeurs, et U est

devenu un personnage stéréotypé, tout comme "sa" fée; quant aux jeunes filles, elles

sont à la fois des personnages de ses Contes -toutes les "bonnes" jeunes filles des

contes -, et ses auditrices : il en ressort pour le lecteur l'impossibilité de s'affranchir de

l'identification moralisatrice qui lui est alors imposée. Cette évolution est déterminante

au XlXè siècle. Mais il est un autre narrateur qui s'impose aux éditeurs : c'est un

personnage des Contes, le Chat Botté, si présent à l'esprit de tous, que lorsque Gabriel

Pech offre, en 1908, à la demande de Jean Jaurès, pour les Tuileries, son Monument à

Perrault, il sculpte au pied du socle trois jeunes filles dansant une ronde et le fameux

Chat, paré de ses fameuses bottes. Ce Chat deviendra l'emblème de nombreux

imprimeurs, en particulier Pellerin d'Epinal ; nous verrons que cet animal ne surgit pas

au hasard des choix éditoriaux.

C'est ainsi que l'on peut suivre les transformations des éditions des Contes de Perrault.

Deux stratégies editoriales opposées peuvent être dégagées : d'une part, la

transcription de la tradition orale, d'autre part, la disparition complète de la référence à

cette tradition, dans des éditions où, l'image résumant ce qui est raconté, le livre

banalisé absorbe l'auteur dans son titre. Avec la disparition de la vieille qui trônait au

coeur du frontispice, s'amorce une transformation définitive : la vieille nourrice est

devenue d'abord la vieille fée déguisée, enchantant la parole du personnage positif du

conte Les Fées, ensuite, et conjointement, l'animal secourable. Le transit de

renonciation à l'énoncé est alors acquis. Il sera définitif lorsqu'au début du XlXè siècle,

les éditeurs introduisent le portrait de l'auteur dans le frontispice. Cet auteur représenté

en conteur, mêlant d'abord sa voix à celles de ses personnages et de ses publics, puis

déléguant sa narration, signe le glas de la première fonction de l'ouvrage, telle que

Perrault l'avait voulue : la transcription d\ine oralité et de sa mise en scène en texte

écrit. Les éditeurs, les graveurs, les illustrateurs, ont préféré représenter

l'autonomisation du texte écrit en conte-de-fée. L'on peut donc conclure à une

nécessité de distinction entre les procédures de mise en texte et de mise en livre, qui

dans leur diversité, ne peuvent qu'affecter la constmction du sens des textes.

Le montreur de lanteme magique hérite donc d'une multiplicité de charges

significatives et symboliques : le voici amené à montrer des images qui sont associées à

un texte qu'il doit lire et commenter. Le plus souvent, à la suite du spectacle, il devra

vendre des livres où l'image 'vive projetée par la lanteme magique sera off'erte au

lecteur, dans une apparente stabilité : en fait, la plupart du temps, le lecteur est actif; il

colorie l'image, selon les souvenirs que le bonimenteur lui a laissés, ou bien selon ses

goûts. Les corpus de plaques de lanteme magique consultés laissent apparaître une

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apparente étrangeté : la place donnée aux animaux des Contes de Perrault y est plus

massive que les textes originaux ne le laissent entrevoir. L'on pourrait en conclure à

une prédominance d'un public enfantin, ainsi renforcé dans ses intérêts affectifs, en

particulier celui pour un animal de compagnie : si une telle hypothèse n'est pas à

négliger, il reste que le conteur-animal est une tradition dont l'éditeur de plaques de

lanteme magique ne veut certes pas se priver.

L'ENSEIGNEMENT DES ANIMAUX : LE SINGE PROJECTIONNISTE DE CONTES MIS

EN SCENE

Un singe montreur de lanteme magique, des animaux qui enseignent, une tmie qui file

et qui conte - tout comme notre vieille nourrice - , un âne à l'école, autant de

représentations comiques récurrentes dans nos corpus de plaques de lanteme magique,

autant de rappels d'une oralité joyeuse. Encore faut-il se garder d'interpréter ces

plaques selon une lecture documentaire réductrice : le singe qui montre la lanteme

magique ou les animaux détenteurs du pouvoir narrateur des Contes de Perrault ne

sont pas seulement des figures illustrant la condamnation du charlatan ou au contraire

la valorisation du pédagogue vulgarisateur ; ce sont surtout des signes d'inscription

dans une tradition bien cotmue : celle du monde à l'envers. Sur les planches gravées par

Dembour de Metz ou encore Pellerin d'Epinal, Timage du singe projectionniste s'insère

dans la série bien connue des animaux prenant la place et le pouvoir des humains, en

particulier pour tout ce qui relève du spectacle. Ces images doivent être perçues

comme autant de socles de représentations imposées aux publics.

Cest dès le XVIè siècle que des séries de dessins montrent des scènes où des hommes,

des animaux, des éléments naturels ou constmits, des objets se trouvent en situation

inverse de leur situation habituelle. Citons au hasard : le boeuf débitant son boucher,

l'âne donnant à manger à son maître, deux femmes tirant la voiture conduite par les

chevaux, le poisson péchant le pêcheur, etc. Cet ensemble est souvent précédé d'un

premier dessin intitulé La folie des hommes ou L'Homme renversé représentant un

homme au corps sphérique, tête en bas, jambes en l'air, entouré de deux personnages

qui semblent vouloir le porter, l'un vers la gauche, l'autre vers la droite.

Le propos semble évident. Deux sujets de l'image ont été inversés par rapport à leur

situation ordinaire afin de créer un effet d'étrangeté, effet destiné à montrer la folie du

monde et des hommes. N'importe quel ensemble de deux composants peut être ainsi

interverti, de manière plus ou moins significative ou spectaculaire. Il suffit pour cela

d'isoler un "couple" et d'intervertir les places respectives des deux éléments. L'écrivain

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Il édt à son bureau; donc, le bureau écrira sur le dos de l'écrivain. Seul le don graphiquepermet de rendre la scène plausible, même si elle est foncièrement aberrante, dans la

mesure où ce type d'inversion en appelle automatiquement à une signification seconde,

que l'écrit à lui seul laisse poindre.

Ainsi s'agit-il bien d'un système d'mversîon généralisée auquel est attribuée une valeur

particulière : la folie, laquelle a un sens inverse de ce qu'il est convenu d'appeler la

raison. Le boucher débitant le boeuf est raisonnable. Mais le boeuf débitant le boucher

est-il fou ? Ou est-ce le boucher qui est fou ? Ou n'est-ce pas plutôt Timage qui est

folle ? Et comme on se doute bien que le dessinateur n'est point fou, et qu'il a conçu

expressément cette image comme étant folle, c'est que derrière cette folie se cache une

autre raison.

Parce quil est un système de dualisme, d'opposition terme à terme, tout allant par paire

inversée, le monde à l'envers ne laisse place qu'au constat de cette inversion. En cela, et

malgré les apparences, c'est un dispositif à fonctionnement rigoureusement éthique

d'où tout imaginaire est exclu. Il signifie, en un incessant rebâchage, qu'il est une

soupape de sécurité pour tout monde social organisé. Cette signification est d'ordre

lettré, même s'il s'agit de dessins "populaires" destinés à être immédiatement lisibles

pour le plus grand nombre. Or la présence d'un singe ou d'un âne comme éducateurs,

même si leur place est reprise dans la série du monde à l'envers ne relève pas de ce

système de confortation des rôles sociaux. Par le fait même que l'inversion n'est pas

illustrée terme à terme, par le seul fait de son étrangeté, laquelle incite spontanément le

spectateur à imaginer l'animal et les auditeurs, cette rencontre ne peut jamais être

hétéroclite. Il suffit de la situer dans l'imaginable - et c'est imaginable : les occasionnels

des XVIIè-XVIIIIè siècles, tes canards du XlXè siècle, la présence dans les fetes

foraines et les cirques de personnages "monstmeux", aux apparences animalières, les

mmeurs concemant certains groupes sociaux que Ton associe volontiers aux animaux -

telle la fameuse tmie "mère nourricière" de tous les juifs - , autant de représentations

imposées de la réalité sociale et cuhurelle. Revenons à Perrault : en 1695, l'année

même de la diffusion du manuscrit de ses Contes, le voici qui publie sa traduction des

Fables de Faëme : un frontispice éloquent raccompagne :

"La Fable a des charmes .si doux

Pour cesjetmes Enfants dont Tâme e/¡y innocente, OJ '-¿^^

Que même sous la forme et des Ours et des Loups,

Son simple récit les enchante. "

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Le terme "forme" utilisé par Perrauh prend ici le double sens de forme dessinée, de

figure, et de métaphore. Le véritable réfèrent que l'on a des contes et des fables ne se

rencontre en fait ni dans l'art ni dans le langage, mais dans la conscience que l'on a du

réel. Non dans une conscience pleinement lucide, mais dans une conscience voilée, en

état de possible, d'où lui vient sa force instantanée de démonstration.

Les bestiaires du Moyen Age sont peuplés d'animaux occupant la place des humains ou

échangeant leurs caractères avec eux. Les fiises de la cathédrale de Strasbourg ( XlIIè

siècle) représentent des ours, des chats, des lièvres... défilant en procession ou

célébrant la messe, subversion cérémonielle rappelant la Fête des Fous. Aucune de ces

figures ne mérite qu'on la rattache aux thèmes de l'inversion proprement dite. Les unes

relèvent de la symbolique du monde animal, d'autres de la dérision carnavalesque,

d'autres de la fantaisie burlesque. Mais ici notre cas repose sur deux systèmes de

représentation graphique : d'une part, sur une apparence de réversibilité : Tanimal

montre les vues de la lanteme magique, il conte et enseigne tout à la fois ; cette figure

est bien celle du monde â l'envers des écoliers. D'autre part, l'am'mal est à son tour

ostensiblement représenté, surabondamment dessiné, et c'est son histoire qui est

contée: cette image est celle de la métamorphose. Celle-ci décrit le passage d'un état à

un autre , mais ne retient rien de son état premier ; elle épuise tout son sens dans la

transgression. Le topos du renversement - ici, à première vue, ajout de

surdétermination -, s'inscrit dans une relation constante , réciproque et nécessaire entre

les deux pôles de l'antithèse : d'un côté, le pôle négatif correspondant à ce que perçoit

le regard, et de l'autre, son réfèrent positif, absent de l'image, mais inscrit en filigrane

du précédent. Autrement dit, avec notre singe montreur d'une lanterne magique

dévoilant des histoires animalières, on se trouve devant l'image réelle d'une réalité

virtuelle. Mais d'autre part, tandis que la métamorphose ne fonde jamais qu'une

stmcture unique et autonome, le renversement impose une stmcture dualiste. Cette

tension et ce croisement entre l'univocité de la métamorphose et la dualisme du monde

renversé est ce qui permet de trouver un sens aux multiples représentations des

montreurs de lanteme magique. Le monde renversé ne produit de sens qu'autant qu'il

se confronte au monde à l'endroit. Et dans notre cas, en associant la métamorphose au

monde à l'envers, la réciproque est aussi vraie. Le contraire du réel joue en quelque

sorte dans l'imaginaire, comme métaphore du réel : si l'animal est imaginable dans son

rôle de bonimenteur et de montreur d'images, c'est parce qu'il peut s'enseigner lui-

même; et c'est parce qu'il peut être enseigné qu'il est une métaphore de la conteuse.

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2 UNE ETUDE DE CAS :

LE CHAT BOTTE MIS EN IMAGE POUR LA LANTERNE MAGIQUE

La relation entre la forme et le sens constitue le point d'appui analytique des

transformations des contes, entre imprimé et image, entre livre de colportage, livre

pour enfant et plaque de lanterne magique. De fait, la forme qui donne à lire un texte

participe à la constmction de sa signification. Le même texte, fixe dans sa lettre, ta

même image, fixe ou mouvante, ne sont pas les mêmes si changent les dispositifs du

support qui les transmet. Lecteurs ou spectateurs constmisent alors de nouvelles

histoires, de nouvelles interprétations des contes, en fonction des protocoles de

signification que les éditeurs leur suggèrent. Ce travail sur le texte et l'image s'organise

au moment même de la lecture comme lors de la réception du spectacle, ainsi

actualisées dans un rapport dialectique entre le lecteur et le spectateur, l'effectuation de

leur activité et le résultat final, c'est-à-dire de nouvelles donnes de compréhension.

Mise en livre, mise en image : le conte dans la littérature de

colportage.

La notion de circulation est essentielle pour juger des modifications narratives d'un

conte comme de ses appropriations multiples, concurrentes et parfois contradictoires

par les publics diff'érents qui l'abordent, soit par la lecture du livre, soit par la

contemplation d'une image fixe et gravée dans l'objet imprimé, soit enfin, par la

réception de l'image mouvante offerte par la lanteme magique. Un conte nous présente

tous les cas de figures que le lecteur et le spectateur peuvent rencontrer, entre livre et

image , entre vue sur papier et -vue sur verre : il s'agit du Chat Botté.

Ce conte, que Charies Perrault a édité dans son recueil Histoires ou Contes du temps

passé en 1697, est connu en Europe occidentale par une large diffrision lettrée. Cest

ainsi que l'essentiel du Chat Botté se trouve déjà dans une nouvelle de Straparole,

traduite en français dès 1560 et dans Le Conte des Contes de Basile ( 1634). Ces deux

auteurs italiens , bien connus de Perrault, ont véhiculé par leurs récits une tradition

orale où l'animal est souvent une femelle, ou encore tout autre animal ingénieux

susceptible de devenir par ses astuces la providence de son maître . Perrault n'hésite

pas à traduire cette habileté par des escroqueries et des menaces : le chat se livre en

toute impunité au braconnage et il pratique sans scmpules le mensonge et

rîntimidation; s'il est vrai que le jeune meunier, devenu le marquis de Carabas, lui est

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redevable de sa fortune, il reste que le chat propose, dispose, dirige les opérations en

maître. Le "maître-chat" n'a pas volé son titre : prenant finitiaitve des opérations et

gardant la main-mise sur la quête de la fortune, il s'attribue en fait plus qu'il n'offre au

marquis de Carabas; pour lui , Tenjeu consiste à prendre le pouvoir; l'épilogue montre

qu'il y parvient.

Dès le début du XVIIIe siècle, la composante menaçante du personnage du Chat est

repérée par les éditeurs. A la suite de l'édition de 1697, et suivant en cela la vignette de

Clouzier qui surplombe le titre, les éditeurs lettrés du XVIIIè sélectionnent, pour

mieux illustrer le conte, l'épisode de la rencontre du Chat et des moissonneurs. Le Chat

y est montré, debout, pattes en avant et toutes griffes dehors, menaçant les paysans

dans la scène célèbre :

"Bonnes gens qui fauchez, si vous ne dites au Roi que ¡e pré que vous fauchez

appartient à Monsieur ¡e Marquis de Carabas, vous serez tous hachés metms comme

chair à pâté."

Cette injonction est soulignée dés la première édition par lltatique, dont l'usage a sans

doute été conseillé par Perrault lui-même.

Or, il existe un autre corpus que ces éditions savantes : c'est celui que, tout en

cheminant courbés sous leur besace, les colporteurs diffusent. Ils vendent du fil, des

aiguilles, des mbans, des petits miroirs et des images pieuses que l'on cloue aussi bien

aux poutres des chaumières, qu'aux lambris des chambres enfantines les plus fortunées;

et ils offient aussi à la vente les éditions de la Bibliothèque bleue. Au début du XVIIè

siècle, les Oudot, une famille de libraires de Troyes, a l'idée dimprimer de petits livres

in-12° et de les confier à ces marchands ambulants. De mauvaise qualité, ces livrets ne

se vendent qu'un sol ou deux. Le succès de Tentreprise est prodigieux. Les Troyens

sont copiés à Caen, Rouen, Lyon et Paris. Dans toute la France, dans toute TEurope où

les éditeurs de colportage font aussi fortune, ceux qui savent lire dévorent ces li-vrets,

ces feuilles volantes, ces occasionnels, ces planches d'images. Cest par la parole qu'ils

transmettent les récits et les chansons, ajoutant quelques inventions personnelles ou

transformant textes, timbres de chansons, compréhensions des illustrations à la

demande de telle ou telle communauté culturelle. Nicolas Oudot, le premier éditeur

français, avait mis sous presse quelques romans médiévaux, dans des versions

simplifiées. A sa mort, en 1636, le catalogue de la Bibliothèque bleue, dont tes

couvertures étaient faites de ce fort papier bleu dont on enveloppait les pains de sucre.

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compte déjà une centaine de titres. En cette fin du XVIIè siècle, Charles Perrault Ta

bien compris : pour mieux asseoir sa polémique avec Boileau et les "Anciens", il n'a

qu'une hâte, entrer dans ce répertoire . Produire, en 1691, La Marquise de Saîusses ou

la Patience de Grisélidis, constitue une première tentative de conquête du grand

public de la Bibliothèque bleue. En vain. C'est quelques décennies après sa mort que

les Contes de Perrault trouvent une place prépondérante dans les catalogues des

imprimeurs-libraires troyens et parisiens : le succès est tel qu'il dépasse les frontières.

L'Europe entière traduit les Contes, les réécrit, les illustre au gré des besoins inventifs

de chaque région, de chaque pays.

Sous forme d'éditions séparées, de planches d'images et de livres illustrés. Le Chat

Botté est publié par les éditeurs de la Bibliothèque bleue, durant les XVIIIè et XIXé

siècles. Les transformations sont riches et plurielles dans les interprétations qu'elles

suggèrent. Elles sont particulièrement visibles sur les planches d'images du XIXé

siècle, dont l'éditeur le plus connu est Pellerin à Epinal.

Une planche de Pellerin, Le Chat Botté, ou Le Maître Chat, paraît en 1843; il s'agît

d'un bois repris d'après Godard d'Alençon ( 1820). Cette planche donne une lecture

proche du conte initial, mais sous une autre forme : la planche présente en une image

centrale, la fameuse scène de la rencontre du Chat et des moissonneurs. Le texte, dans

son intégralité, encadre cette image. Si Téditeur a rendu Tanimal le plus familier

possible, par son pelage, celui d'un chat tigré, en revanche, il a joué sur le débordement

des coloris : le Chat brandit une épée face aux paysans, ce qui relève d'une stratégie

cumulative, puisqu'ici, Tillustration précise la menace de Tanimal par une arme. Mais le

vert du pré recouvre l'épée en majeure partie; la planche vue de loin, lorsqu'elle est en

vente chez le libraire ou encore brandie par le colporteur, ne rend compte que d'une

scène bucolique; mais regardée avec attention par le lecteur, elle signifie autre chose, la

violence latente du personnage.

Une autre production de Pellerin, Le Chat Botté. ( Conte des Fées), de la seconde

moitié du XIXé siècle, est une planche de vingt images sous-titrées, réparties en quatre

alignements, comme une bande dessinée. La représentation d'un Chat Botté dont la

sauvagerie et la composante diabolique sont marquées par la nudité de Tanimal, colorié

uniformément en gris, ce qui exclut toute des fameuses bottes, apporte une

grande force à cette planche; te naturalisme du dessin et du coloris restitue aussi la

bmtalité des rapports animaliers, lors de Tépisode de la capture des lapins ou encore

lors de celui de la métamorphose de Togre en lion. Dans ces conditions, que le texte

s'approche du conte initial importe peu : Timage est porteuse de lourds effets de sens.

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L'ingéniosité méchante du Chat ne peut se comprendre que dans ses relations suspectes

avec les forces de la nature, que le jeune meunier, pas plus que les autres personnages,

ne peuvent maîtriser.

Nous sommes ici devant deux stratégies editoriales complémentaires : si l'image

centrale peut conforter la signification du texte, par un débordement d'un trait de

pinceau, comme s'il s'agissait d'une maladresse, en revanche, la planche d'images, qui se

présente sous forme de bande dessinée, offie une compréhension différente du statut et

de la fonction de Tanimal dans le conte. Le lecteur, déjà prévenu de la -violence du

Chat, en connaît enfin l'origine : ses relations originelles avec une nature incontrôlable

et dangereuse.

Les éditeurs n'en restent pas là : ils ont à teur disposition tout un éventait de formes

multiples qui leur permet de jouer sur plusieurs registres et plusieurs genres. Par

exemple, une chanson est éditée par Gustave Richard à Paris vers 1862. Reprenant à

son compte la disposition initiée par Godard d'Alençon en 1820, reproduite par

Gtemarec en 1857, enfin par Pellerin, comme nous l'avons vu, c'est-à-dire ta désormais

classique image centrale encadrée de texte, il choisit d'illustrer son Chat Botté. Conte

desfees. - Pot- Pourri en vingt-quatre couplers, , par la fameuse altercation du Chat et

des moissonneurs. Mais il se garde d'afïubler le Chat d'une arme et se contente d'un

apport pauvre en couleurs : le sens de l'illustration en est modifié. Car si le Chat est

bien dans la même posture face aux paysans, son attitude est plus du ressort de la

conversation courtoise que de la dispute. La chanson reprend chaque épisode du conte

avec un grand luxe de détails; chaque couplet peut être chanté sur un air différent. Il

n'est pas impossible que cette chanson se veuille concurrente du Marepus de Carabas

de Béranger; en tout cas, dans le texte comme dans te choix des timbres, elle cherche à

minimiser Timpact socio-culturel du conte, dont elle fait une histoire cocasse.

Les éditeurs n'ont de garde, en effet, d'oublier ta fonction ludique de leurs productions:

c'est le cas, manifeste, de Louis Vagné, qui publie à Pont-à-Mousson un Chat Botté en

Espagne, associant la veine comique aux ajustements narratifs. A Pont-à-Mousson,

vers 1890, Marcel Vagné, son père, était allé plus loin : Le Royatmie des Chats

montrait un Chat Botté "Ronron 1er" , fort belliqueux, dont les conquêtes étaient

couronnées par un mariage avec ta "gracieuse princesse Patte-de-Velours". Sll s'agit

bien d'un détoumement comique du conte originel, it reste quil n'est pas îrmocent.

Quelques mots tout d'abord sur la famille Vagné : Marcel Vagné achète en 1880 te

fonds dimprimeur-tithographe d'Haguenthat, chez qui it était chef de travaux. Décédé

en 1901, il laisse sa maison à ses deux fils, dont l'un, Louis, exerce jusqu'en 1919. Il

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cédera son affaire à la Société des Arts Graphiques de Nancy et Jarville dont la

production, moins élaborée dans la capacité inventive et la qualité dimpressîon n'ont

^ plus aucun rapport avec celled de l'époque d'Haguenthal. En effet, dans sa quête

d'originalité, Marcel Vagné choisit un épilogue qui n'est pas sans rappeler celui d'un

autre conte, Im Chatte Blanche de Madame d'Autnoy, où le héros, amoureux de la

jolie chatte, après avoir espéré en vain une métamorphose en chat qui lui aurait permis

une union animalière, est enfin autorisé à épouser la princesse animale devenue jeune

fille. Linscription d'un autre conte, lui-même plus proche de Toratité pour tout ce qui

conceme ta sexualité des personnages, humains et animaux, révèle bien des recherches

documentaires, bien des libertés inventives, bien des suggestions dlntelligibitité. Mais

d'autres lectures de cette planche /^ Royaume des Chats sont encore possibles : par

exemple, Timage qui clôt la planche de Marcel Vagné est certes la caricature du

mariage du marquis de Carabas; mais le costume de T "illustre Raminagrobis ministre

de la religion chatte" n'est pas sans rappeler tes oripeaux de Togre-magicien, décorés au

gré des fantaisies editoriales et des souvenirs des versions orales du conte. Quant à la

mise en scène de la bataitte des troupes félines contre teurs ennemis canins, elle n'est

rien d'autre que te décalque de la bataitte de Valmy, ce qui donne à ta planche une

lecture politique autrement plus percutante que son apparence comique ne te laissait

entendre. Enfin, la forme même des encadrements : ostensiblement circulaire, pour le

bénéfice d'une image choisie au sein de la planche pour Timportance de sa signification,

elle renvoie, bien sûr, au cercle lumineux de Timage projetée par la lanteme magique.

L'ogre des versions françaises du conte a souvent été perçu en Europe comme un

magicien, sans doute sous ta pression de versions orales autochtones. La plupart des

éditions anglaises, surtout lorsqull s'agit de littérature enfantine, font état de cette

préférence. Certaines cltromolithograptiies françaises, de la fin du XIXé siècle, à

Tévidence traduites de Tangíais, préfèrent mettre le persormage du magicien en avant :

c'est te cas de ces chromos où " le chat .séduit par d'habiles moyens / Un vieux .sorcier,

maître de très grands biens. " Examinons de plus près le fauteuil du sorcier : sur le

fond de velours rouge, apparaît nettement un signe maçonnique, habituel symbole de

Téquilîbre et de l'harmonie. Devons-nous y voir une caricature de la franc-maçonnerie

que la naïveté et la sottise du magicien tirent vers te grotesque ? Ou bien s'agit-it d'une

réécriture du conte, où le Chat Botté s'approprie tes avantages financiers et savants du

magicien franc-maçon, pour mieux tes exploiter dans le gouvemement du royaume,

une fois celui-ci en possession d'un marquis de Carabas à sa dévotion ?

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Mise en image, mise en scène : les plaques de lanteme magique.

L'examen des supports de ce conte et de leurs articulations a révélé une inscription

constante de Timage dans le texte du support imprimé, et réciproquement, une

référence à l'écriture manuscrite et au livre. Cette référence est omniprésente sur la

plaque de lanteme magique, indispensable à la "bonne" tecture voulue par le

manipulateur de lanterne magique.

En France, ta série des plaques Lapierre de la seconde moitié du XlXè siècle rend

compte de Teuphémisation des rapports de violence inhérents au thème du Chat Botté,

et ceci en adéquation avec Tappropriation du conte par tes éditeurs de littérature

enfantine, soumis dès 1880-1890 à ta mode de la "littérature de ta Décadence". Le

personnage du Chat Botté, cet animal sumaturet, anthropomorphe, volontiers

menaçant, s'affadit et se banalise : son aspect animalier lui est rendu, comme si Téditeur

et le fabricant de plaques se voulaient respectueux d'une narration vraisemblable et

autorisée. Les plaques de lanteme magique se font certes le retais d'une littérature

enfantine - en particulier, des éditions Lefèvre et Guérin de Paris - , mais aussi celui de

la littérature de colportage - Pellerin d'Epinal par exemple - . L'adéquation de timage

du livre illustré pour enfant, de la planche dlmages sous forme de bande dessinée, et du

dessin de la plaque de lanterne manque, mais aussi tout le potentiel de variabilité

inhérent à cette adéquation, semblent une spécificité aussi bien française que

britannique.

SU est -vrai que la violence paraît bannie des plaques qui présentent le conte du Chat

Botté, la bestialité du personnage est en effet maintenue, comme par exemple sur cette

plaque où te Chat présente un inquiétant aspect simiesque, qui n'est pas sans rappeler le

singe manipulateur de lanteme magique. Animal narrateur de sa propre histoire, te

projectionniste se met ici en scène pour mieux affirmer une éthique animale, qui sans

aller jusqu'à devenir une contre-culture, ne prend pas moins un statut contestataire,

délibérément hostile à la pédagogie normative et contraignante des débuts de la

Troisième République. Car c'est surtout Thabiteté de cet animal roué qui est

ostensiblement marquée : par exemple, notons ta vigilance du Chat braconnier tenant

les cordons du piège tendu aux lapins. Et sî le lion disparaît des plaques au profit d'un

éléphant, te choix n'est pas arbitraire : en effet, l'éléphant ne semble guère effiayer le

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Chat, et pour cause; sî la solidarité animale est constamment avancée et valorisée, c'est

aussi parce que cet éléphant est à la mesure de ces éléphants de cirque, le dos

recouvert d'un tapis persan richement décoré, la trompe levée, comme slt était prêt à

exécuter un tour. Le Chat sembte jouer te rôte d'un dresseur sûr de son fait. Ce rappel

d'un exercice bien connu des enfants, rassurant dans sa forme comme par le lieu de la

performance animale, te cirque, n'est pas seutement ta marque de ta transformation et

de ta revalorisation éthique de ta violence, sensibles à la vue de toute plaque de

lanterne magique. C'est aussi pour Téditeur de ces plaques une façon de rappeler ta

scène où se tient ta représentation, ta fete foraine, et de permettre au manipulateur

d'annoncer d'autres plaques, plus centrées sur te spectacle d'animaux savants. Du conte

au spectacle de foire et au cirque, Tidenfication à Tanimal est peu à peu imposée et

martelée lors du défilé didactique des plaques, où image et parole vont de pair, pour

mieux rendre à la performance du montreur de plaques toute sa dimension, de conteur

et de manipulateur de sa propre histoire de vie.

De leur côté, les plaques anglaises du XlXè siècle révèlent plus de diversité dans teur

capacité dinvention et d'autonomie face au livre. Sll est vrai que les plaques

représentant ITiistoire de Puss in Boots - cataloguées par Will Day et datées par tui de

1810 environ ( date sans doute volontairement avancée pour tenter ta clientèle des

collectionneurs ) - rendent compte d'un décalque trait pour trait de Tédition The

surprising ad\>entures of Fuss in Boots or the Master-Cat, de John Harris (Londres,

ca. 1820 ), et ainsi posent le problème des relations entre imprimeurs et fabricants de

plaques comme celui de la circulation économique des gravures, en revanche, d'autres

éditions - "chapbooks", planches d'images, feuilles volantes - dévoilent toute la

capacité dinvention offerte au spectateur de la lanteme magique. C'est ainsi qu'une

édition The adventures of my grandmother's cat, or Puss in Boots, de W. Darton

(Londres, 1818 ) présente quinze petits poèmes , chacun d'entre eux associé à une

image destinée à être coloriée selon la projection de ces mêmes images par la lanteme

magique. Non seutement la représentation du Chat Botté y est nouvelle et chargée de

nouveaux sens, - te Chat est habitté en "bourgeois" - , mais aussi il s'avère que le

spectateur est suffisamment libre d'utiliser le livret seton ses propres donnes de

compréhension et non plus celles qui lui sont suggérées par le manipulateur : l'achat du

livret, sa possession, Tusage privé qui peut en être fait une fois la séance de projection

terminée, déterminent de multiples interprétations et reconstmctions de Thistoire selon

le souvenir plus ou moins pregnant du spectacle, mais aussi selon les différentes

connaissances déjà acquises du conte sous d'autres formes.

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Une série anglaise de douze plaques, de forme carrée, entourées de cadres noirs,

présente un exemple de Tassociation de Timage mouvante et de Timprimé : sous le titre

Fuss in Boots, elle restitue lliistoire selon la perspective que Walter Crane a choisie; la

toute première plaque, qui présente le prologue du conte, démarque llnterprétatîon de

Crane : le Chat a perdu son aspect anttiropomorphe et conseille en un geste

bienveillant te jeune meunier désespéré. Cette série, du début du XXè siècle, doit donc

son origine aux Waller Crane's Toy Books. New Series. Puss in Boots., publiés par

Routledge à Londres en 1873, ce qui révèle bien la longévité du succès des ou-vrages

illustrés par Crane et timpact des ouvrages bibliophiliques pour enfants sur tes

fabricants de plaques de lanteme magique. Llnterprétatîon sinscrit, quant à elle, dans

la lignée des effets de sens propres aux imprimés de large circulation : le magicien est

représenté dans un cadre aux composantes magiques et scientifiques propres à ta franc-

maçonnerie. Cette série révèle ainsi Timbrication des multiples origines socîo-

culturettes des supports matériels originels. On ne saurait donc envisager ces séries de

plaques sans évoquer le traitement cognitif de Timage par tes fabricants, image

mouvante élaborée à partir de Tanalyse des textes et des descriptions contemporaines

des oeuvres : description et interprétation ont présidé, n'en doutons pas, à ta création

d'un spectacle réactualisé du conte.

Cependant on ne saurait envisager une fracture entre tes fabricants européens. Pour

preuve cette série de plaques françaises, apparemment identique aux Lapierre de la fin

du XlXè siècle, mais dont le Chat, roux et tigré, est en habit; la redingote, le chapeau,

la canne et les bottes bleues nous renvoient à la mise en scène d'un Chat Botté

embourgeoisé que plaques et livrets anglais ont si bien su dénoncer. La circulation

entre fabricants européens, les compréhensions partagées d'une histoire complexe par

les affects qu'elle met en scène, les actualisations des "lectures" du conte par Timage :

autrant d'émergences socio-culturelles de ces "affects obligatoires" dégagés par

Marcel Mauss. Au cours de ses passages de limage imprimée à limage mouvante,

l'affect se traduit en changeant de registre. Il passe d'une forme narrative à une forme

plus abstraite ou à une forme plus immédiatement sensorielle. Il peut se conceptualiser

sous la forme codifiée d'un emblème - comme c'est le cas pour les marques de la franc-

maçonnerie - , pour ensuite, reprendre ta forme d'une traduction nouvelle. L'animal

manipulateur de tanteme magique est un des sujets organisateurs de ces transferts. Et

ce parcours de Taffect qui va d'une image à Tautre, d'un matériau à Tautre, induit et

soutient un autre parcours, entre imagination, affect et concept chez te spectateur.

Identifier la réception d'une image, ta position du spectateur, préciser tes contextes,

souvent ritualisés, de cet accueil de Timage, sont nécessaires pour en déterminerl'efficacité.

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3 L'IMAGE - MOUVEMENT

Une étude de la représentation du mouvement par la lanteme magique ne peut

s'effectuer sans analyser te support matériel et les usages de cette matérialité. La plaque

de tanteme magique nécessite aussi une étude comparative avec d'autres approches

visuelles de timage mouvante : c'est te cas des dessins d'enfant.

Dans les dessins d'enfant, les rabattements sont fréquents. En circonscrivant Tespace

par une ligne de terre périphérique, Tenfant établit un enchaînement logique entre

plusieurs images. It nlmite pas seutement t'espace, il montre quil le connaît. Le dessin

est d'abord une écriture. Cette vision démultipliée n'est pas sans rapport avec cette que

nous avons torsque nous toumons autour d'un objet pour en connaître toutes tes faces.

Les choses ne se révèlent complètement à nous qu'au prix d'une dispersion du regard,

de cet éclatement du point de vue, où le centre n'est pas cetui qui regarde, mais ce qui

est regardé. Pour représenter, autrement que par une succession dlmages fixes dans

Timprimé, te déroulement de ce parcours visuel, it faut imaginer, non pas un oeil se

déplaçant, mais une infinité d' yeux qui encerclent simultanément te même objet,

comme si Ton devait faire le portrait d'un trapéziste vu par Tensemble des spectateurs

placés sur les gradins d'un cirque, c'est-à-dire composer Timage collective qui résulte

de tous ces points de vues différents. Et ce n'est pas un hasard si les éditeurs ont si

souvent choisi dinsérer des numéros de cirque dans teur corpus de plaques.

Ainsi, dans une même perspective, assiégées par ce regard enveloppant, les formes

étalent d'un coup toutes leurs faces sur les plaques de lanteme magique; celles qui sont

invisibles, pour nous, se déploient autour de celles qui ne le sont pas. Cette image qui

permet de confronter le dessous et le dessus, le devant et le derrière, sî elle est à

première vue étonnante, traduit peut-être mieux que toute autre perspective cette

sensation que Tespace est une chose continue et que la connaissance d'une forme ne

résulte jamais d'un point de vue ura'que. Dans la pratique, la vision directe est toujours

stimulée par le souvenir des visions précédentes, la mémoire du caché participant à

Témotîon du visible.

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En 1894, Etienne-Jules Marey publie son livre Le mouvement : il y étudie les

mouvements des animaux et de Thomme. Une de ses premières constatations est de

relever combien les figures sont parfois hors d'aplomb, en particulier dans les

représentations de la course. Lorsqull marche ou court, lliomme déplace en sens

inverse le bras et la jambe du même côté; les mouvements du bras et de ta jamt>e

correspondants sont associés diagonatement. Or, dans la majorité des illustrations des

livres imprimés, en particulier les planches de colportage, on peut constater que le bras

et la jambe du même côté se meuvent dans le même sens. Cette allure, qui rappelle

celte de Tambte des quadmpédes, est celle qui est adoptée par les dessinateurs de

plaques de lanteme magique. Est-elle due à une erreur de Tartisan qui a dessiné ta

plaque ? N'y a-t-il pas plutôt une telle pesanteur de timage illustrée que Téditeur de

plaques se doit de recopier la planche quit a sous les yeux ? A moins que nous ne

soyons devant une emprise plus grande que prévu de ta perception du mouvement

animal ? Toujours est-il quit existe un éditeur de plaques de lanteme magique qui,

mettant en image mouvante les tmcages exploités pour le théâtre Robert-Houdin,

nliésite pas devant ta représentation juste des mouvements humains : c'est Georges

Méliès.

On ne saurait en effet traiter des contes mis en spectacle pour la lanteme magique sans

étudier les premiers films de Méliès, en particulier les Contes de Perrault, tels que

Barbe Bleue ( 1901 ) ou Cendrillon ( trois versions : 1899, 1909 et 1913 ) : ces films

ont été analysés au cours de mon séminaire à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences

Sociales, après des projections de lanteme magique effectuées par Béatrice de Pastre,

conservateur à la Cinémathèque de la Ville de Paris. La notion de peur, inhérente aux

premières représentations de lanteme magique, a été saisie à travers le traitement que

Méliès en fait, dans la mise en scène des Contes, perçus comme autant dliistoires

bonifiques grâce aux notions de dissociation corporelle et de démembrement

quimposent les tmcages exploités cette fois-ci pour le cinéma.

D'autre part, Tétude des rapports de cette image mouvante qu'est la plaque de lanteme

magique avec ces autres images mouvantes que sont te cinéma muet et le cinéma

pariant a fondé ces analyses. En effet, le passage de la lanteme magique au cinéma

muet équivaut au passage du cinéma muet au partant. Le problème des intertitres pose,

une fois encore, in fine, ta question de Tînscription de Toralîté. Une large partie de cette

enquête a été consacrée à Tanalyse comparée des contes mis en image pour la lanterne

magique et conjointement, ou successivement, pour le cinéma muet. L'étude des

rapports complexes du cinéma muet avec le parlant est capitale pour mesurer

Tambivalence des spectacles de lanterne magique : limage y est fixe et mouvante à la

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fois; Tintertitre - manuscrit ta plupart du temps, ce qui pose toute ta question des

relations de Timprimé avec le manuscrit - est lu par le bonimenteur, et interprété par le

spectateur au moment même où it découvre Timage; Tensemble est commenté à -vive

voix par le public. Oralisation de paroles libérées des contraintes de Timprimé,

spectacles visuels, lectures enfin s'actualisent en même temps : tes données de teurs

eff^ectuations participent aussi bien du cinéma muet que du parlant.

On a souvent marqué ta mpture du partant avec le muet, et les résistances qu'etle a

suscitées. Mais on a montré avec autant de raisons comment le muet appelait le

pariant, Timptîquait déjà : le muet n'était pas muet, mais seulement "silencieux". Ainsi

des comparaisons peuvent être faites entre tes composantes de Timage muette et de

Timage partante. Limage muette est composée de Timage vue, et de Tintertitre qui est

tu, ce qui implique pour Toeil une seconde fonction. Lintertitre comprend entre autres

éléments les actes de parole. Ceux-ci, étant scripturaux, passent au style indirect :

tintertitre qui inscrit : " Je vais te tuer", est tu sous la forme "Il dit quit va le tuer". Ces

actes de parole expriment à quelque égard une loi, tandis que Tîmage -vue se charge de

Taspect naturel des choses et des êtres.

Limage visuelle montre la stmcture d'une société, sa situation, ses places et ses

fonctions, tes attitudes et les rôles, tes actions et tes réactions des individus, bref la

forme et les contenus. Ette montre aussi ta condition d'un acte de parole, ses

conséquences immédiates et même sa phonation. Mais ce qu'etle atteint ainsi, c'est la

nature d'une société, la physique sociale des actions et des réactions, ta physique même

de la parole. Dans le cinéma muet en général, Timage visuelle est comme naturalisée,

pour autant qu'elle nous donne Têtre naturel de Thomme dans THÎstoîre ou dans ta

société, tandis que Tautre élément, Tautre plan chargé de Tintertitre passe

nécessairement dans un discours : nous retrouvons ici, à travers les travaux de Gilles

Deleuze, la distinction de Benveniste, entre le plan du récit qui rapporte tes

événements, et cetui du discours qui énonce ou reproduit des paroles.

Qu'arrive-t-îl avec te cinéma partant ? L'acte de parole ne renvoie plus à la seconde

fonction de Toeil, il n'est plus lu mais entendu. H devient direct et récupère les traits

distinctifs du discours qui se trouvaient altérés dans le muet ou Timprimé. A ta

différence de Tintertitre qui était une autre image que Tîmage visuelle, le partant, te

sonore sont entendus, mais comme une nouvelle dimension de Timage visuelle, une

nouvelle composante. Cest même à ce titre quils sont image. Il est probable dès lors

que le parlant modifie limage visuelle : en tant qu'entendu, îl fait voir en ette quelque

chose qui n'apparaissait pas librement dans te muet. On dirait que Timage visuelle est

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dénaturalisée. Elle se charge en effet de tout un domaine qu'on pourrait appeler des

interactions humaines. Ces interactions se donnent à voir dans tes actes de parole.

Précisément parce qu'elles ne découlent pas dîme stmcture, les interactions ne

concement pas seulement les partenaires d'un acte de parole; c'est plutôt Tacte de

parole qui, par sa circulation, sa propagation et son évolution, va créer Tinteractîon

entre individus et groupes distants, dispersés, indifférents les uns aux autres.

Le muet opère une répartition de timage visible et de la parole lisible. Mais quand la

parole se fait entendre, on dirait qu'elle fait voir quelque chose de nouveau, et que

Timage visible commence à devenir lisible pour son propre compte, en tant que -visible

ou visuelle. Cest donc ce type de renversement qui tend à se produire dans le parlant

par rapport au muet : au lieu d'une image vue et d'une parole lue, Tacte de parole

de-vient visible en même temps quil se fait entendre; mais c'est aussi Timage visuelle qui

devient lisible, en tant que telle, en tant quimage visuelle où sinsère Tacte de parole

comme composante. On aura reconnu, dans ces descriptions évolutives des rapports à

Timage, la richesse fonctionnelle de la lanteme magique. C'est ainsi que, prenant en

charge toutes ces composantes, entre muet et parlant, plusieurs décenm'es avant que te

cinéma ne soit reconnu comme un art à part entière, ta tanteme magique offiait à ses

spectateurs tout te potentiel cognitif nécessaire aux échanges culturels et sociaux.

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s Îi'.r, 3'j tocniiil l'une et au troiiièm'e lt

Le plus jeune croyant qu'il ¿Lait mal por¬tase , l'arrachait les cLctcux île déteipoir.

Le chat vojant le chagrín da soo maître,

lui dt-miade on sac el odc paire de botte*.

Ayant cr qu'il at ail demandé, il fut dsu

ooe {¡arcnne et y atlrapa na la|,ÍD blanc.En nommant ton maître ülarquit de Ca

rahaM , ti fui de sa pari priUeoler son lapi.

t..;L- jii'rt: loi* , il lui p.irta oncorc Jrus

qu'il a>ail priK< de la mOuic ma-S:ich;inl que ir. roi A<\-*il |iauer , il cuii-

M'iMe à son maitre Je se baigner daos larifièra.

Voyant passer le cortege d'i roi, U cbal

cria : Au secours ! luilà le Uarquit de Cara¬bas qui se Do«.

Leroia)3ulcii'0)^(lciiK liom mes d'armes

i mn aide, it lui Til douner dc braux habiUdorés.

Les hubiti qu'il irait jf^u» lut donnaieal

bonne mine ; auui le rot et u fille lui firoatbon accueil.

Vûui s«rct bichÁ comine cbair Í p&té,

L le ctiat à lies fauchcDn , ai vooi ne ditci

e cei pr¿s tútit au Uar-jui* de Carsbii.

II CD dit autant k des moinonnruK», qui

lurent tî effrayée» qu'elles obéireol de suita.

Le chai forc« ansi le* Tasaex d'oo ogrevoisin de cri«r : Vira U Roil TÍre la Uar-

quii de Carabul

L« chai aa rtodant ehei l'ogre lai tl «1

tt reçot mille poIil«He*.

L*«lir«, ftOÊt mumtn'^ tr> c^l «on poo:«ir de tntt*ávs»(rxi , o «^sge ao ui

'agre so change vnsiilte cq wur^i^ I«

, qai était Laul prêt , se précipite dcstascroque.

La roi eOa princcwe furent ilors rrçna

par le chat-hotlé dans le chiltrau de l'ogre ,cuoiinu ¿tant à «on iraitrc.

L'ogre avalt préparé dr boa déjcitné poux

¿tt imii. ce qai fll l'allaire de* oosTcauxarrivés.

Séduit de* richcs.vi du Mrirquis de Ca¬

rabas, le roi lui doDHC sa fille unique ca

Le chat , dercnu grand selgneor , ne coa-

rirt plus apr¿s les toarîs que poor h di-TCrtir.

f;.>fri.l, <Ii- Tèditcur. (If.-n.i^-., F;ii>ri.iucilf I Kl.I.KIU.N. Imi.ritnciir-Lilwairi: ^ KI'INAL.

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PLANCHE N» 1335 LE ROYAUME DES CHATS NII.I IMAGES

AUX ARMES

ARTISTIQUES

DE FRANCE

Le Ropumo df» Chat*, ritoé dans HIo de Boua-Hook-Minou. vivrait cn pnix, si ses étemels ennemia, les Chien»,

inépria d'un tr&ilà, ne vonftient chaque nuil itnuiclerdes malb«ur«ux matoux. Cela cria Tcn^eance 1

U Cbot-Boti*. roi des CUts

le nom de Ronron 1", miaule

à son peuple un diicours belli¬

queux contre tes chiens.

Aux applaudlssemeoU unanimes des Chais*, Uguerre conlre les Chiens esl Tol¿e. Immédiatcmeot,

toutes les troupes de l'armée chatte sont appeléessous les armes.

Le marquis de ltaut-Ta-t>allc, ambassadeur de Ronron 1«, vientdéclarer la guerre 4 Durcroc, president de la République des Chiena.Une niche somptueuse lui tenant lieu de palais, c'est U qu«

Durcroc recoil en grognant l'ambassadeur et sa auil£.

Graod« batailla entra les Chiens et les Chats, où

R^mrwi J** ct Durcroc accomplirent tous deux des prodigesda TaJeur.

Pour célébrer cet heureux événement, Ronron I" donne one fêle

.splcodide dons «on pal.iis. Au bal, 11 remarriue la princaMaPallft^e-Veloura, jolie chatte blanche au poil long el aoyeux.

' I \vvv^ ,\v¿.üA^_l^\\^^^ ^iiij^.

Imageria de Poot-i-Moustoo, Marcel VAGNÊ. Imprimeur-tditeur (Déposé).

Le Chat-Botlé Ronron I" ayanl obtenu la patte de U gradeuaeprincesse Patte-de- Velours, une foule Immense assista k oa

mariage, que consacra llUustro tiamlnagrobis, ministre d« la- religion cbatta.

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OfílMt** pour íocwtiplir sat exfiljihi' >^ j' .fwir fair» la loçôn au)íp>yi*n». .. -,;'?i'

vous SEREZ HACHÉS COMME- MEHÜE PAILLE

'pitisnt, lt chat cris: .su stcoura*!- -1^' hais a mofilap tn carrcM* il I imila.

; . ^AUaPAïïYRE: DI^BW-'- /"^¿i/cr"^^ .".