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    LA JUSTICE TRANSITIONNELLE PENDANTLA PERIODE DE LA TRANSITION POLITIQUE EN RDC

    par Martien Schotsmans

    AbstractThe article examines the various transitional mechanisms used in the DRC during the

    political transition (leading up to the elections) that were used to respond to international crimescommitted since 1996. Amnesty legislation, the Truth and Reconciliation Commission, domesticJustice and the role of the International Criminal Court are analysed and assessed in order todraw some lessons for possible transitional justice interventions in the post-electoral period.

    The main conclusion is that various international and national actors have made careful

    but nevertheless important efforts during the political transition. Unfortunately, the impact ofthese efforts has been limited because of an absolute lack of political will to have independentand fair accountability mechanisms. Other minimal conditions for transitional justice were notmet either. It seems that transitional justice can contribute more to sustainable peace after apolitical transition under the following conditions: that state institutions perform at least minimalfunctions or that an effective reform of these institutions can take place after a reasonable delay,that the need for national ownership is respected, that a minimal level of security and protectionis established and that reflection on and commitment to possible reparation mechanisms exist.Meanwhile, provisional measures need to be taken, such as mapping the mass graves andcollecting testimonies. Specifically regarding the DRC, looking into the role of beneficiaries ofthe violence and taking into consideration the regional aspect of the conflict remain importantchallenges.

    1.

    INTRODUCTION

    Depuis 1996, la Rpublique Dmocratique du Congo a t plongedans plusieurs guerres meurtrires, qui ont caus la mort directement ouindirectement de quelques millions de personnes. LAccord Global et Inclusifdu 17 dcembre 2002 et la Constitution de la Transition adopte le 6 mars 2003ont marqu la fin dune longue priode de ngociations de paix, menes par lesdiffrents participants au Dialogue intercongolais, avec une trs forteimplication de la communaut internationale. La priode de la transitionpolitique, qui a dbut le 30 juin 2003 pour terminer la mme date 3 ans plustard, a prpar la transition du pays vers un systme bas sur des lectionsdmocratiques.

    De nombreux rapports successifs des organisations de droits delHomme tant congolaises quinternationales, ainsi que des rapports desNations Unies, ont fait tat des crimes internationauxet des violations massivesdes droits de lHomme commis depuis octobre 1996.1

    Quel choix la RDC a-t-elle fait pour grer ce pass douloureux, pourpunir les responsables, restaurer la dignit des victimes, rparer le mal qui leura t fait et rconcilier la nation ? A-t-elle renvoy ce pass loubli ou a-t-elle

    1 Voir notamment de nombreux rapports Human Rights Watch, www.hrw.org, AmnestyInternational, www.amnesty.org, de la Fdration Internationale des Ligues des Droits delHomme, www.fidh.org, ainsi que les rapports de la MONUC, www.monuc.org.

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    compris quaucun futur nest possible sans quon ne tire les leons du pass ?Quels mcanismes de justice transitionnelle ont t retenus et dans quellemesure ces mcanismes ont-ils t oprationnels pendant la priode de latransition politique ?

    Cette tude portera sur la mise en uvre des mcanismes de justicetransitionnelle pendant la priode de la transition politique, mais comprendragalement certaines volutions depuis les lections. Lobjectif est den tirer desleons pour une justice transitionnelle plus efficace dans la priode post-lections.

    2. LA TRANSITION POLITIQUE ETLA JUSTICE TRANSITIONNELLE

    Bien que ces deux notions comprennent le concept de la transition, il ya lieu de les distinguer.

    La priode de la transition politique en RDC 2 concerne la priodependant laquelle le pays tait gouvern par le gouvernement de transition, entrele 30 juin 2003 (instauration du gouvernement de transition) et le 30 juin 2006(fin de la deuxime prolongation de la priode de transition, qui, en pratique at prolonge jusquaux lections en aot et octobre 2006 et la prestation deserment de Prsident Kabila, le 6 dcembre 2006). Comme lon sait, cegouvernement tait compos des participants au Dialogue intercongolais, dontles ex-belligrants, sous la formule de 1 Prsident + 4 Vice-prsidents. Il sagit

    donc in casu de la transition dun rgime tabli sur base dun accord de paixvers un rgime lu.3

    Selon le International Centre for Transitional Justice, la notion de justice transitionnelle fait rfrence lensemble des approchesdveloppes par des socits qui veulent grer lhritage de violations massivesou systmatiques de droits de lHomme lorsquelles voluent dune priode deconflit violent ou doppression vers la paix, la dmocratie, lEtat de droit et lerespect de droits individuels et collectifs.4

    La justice transitionnelle commence prendre une place de plus enplus importante dans les analyses sur les mcanismes de rsolution de conflit etdinstauration dune paix durable. Avec Kofi Annan, les Nations Unies ontintgr le concept de la justice transitionnelle5 : Le concept dadministration de la justice pendant la priode de transition quiest examin dans le prsent rapport englobe lventail complet des divers

    2 Ou plutt la dernire transition ou la dernire phase de la transition politique.OMASOMBO TSHONDA, J., OBOTELA RASHIDI, N., La dernire transition politique enRDC, dans : LAfrique des Grands Lacs, Dix ans de transitions conflictuelles, 2005-2006,Paris, LHarmattan, p. 233.3 Du moins du point de vue des lections.4 International Centre for Transitional Justice, www.ictj.org, 28.12.2006.5 Notre traduction. NATIONS UNIES, The Rule of Law and transitional justice in conflict andpost-conflict societies, Report of the Secretary General, 23 August 2004, S/2004/616, par. 8,www.un.org.

    http://www.un.org/http://www.un.org/
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    processus et mcanismes mis en oeuvre par une socit pour tenter de faire

    face des exactions massives commises dans le pass, en vue dtablir les

    responsabilits, de rendre la justice et de permettre la rconciliation. Peuvent

    figurer au nombre de ces processus des mcanismes tant judiciaires que non

    judiciaires, avec (le cas chant) une intervention plus ou moins importante de

    la communaut internationale, et des poursuites engages contre des individus,

    des indemnisations, des enqutes visant tablir la vrit, une rforme des

    institutions, des contrles et des rvocations, ou une combinaison de ces

    mesures. Sur base des sources cites6, les objectifs des mcanismes de justice

    transitionnelle peuvent tre rsums ainsi :o identifier les responsables des crimes internationaux et les violationsmassives des droits de lHomme et les mettre devant leurs

    responsabilits travers des mcanismes judiciaires ou non-judiciaires ;

    o mettre en place des mcanismes de rparation en sens large pour lesvictimes ;7

    o identifier les causes du conflit afin dy remdier (rformeinstitutionnelle, justice sociale et mesures de non-discrimination) ;

    o rconcilier les individus, les groupes, les communauts et la nation, cequi comprend la restauration de la confiance ;

    o prvenir de futurs conflits violents.En guise de conclusion en ce qui concerne les concepts, laspect t

    ransition de cette justice ne concide pas avec la notion de la transitionpolitique, du moins en ce qui concerne la dlimitation dans le temps. Celaimplique que les mcanismes de justice transitionnelle peuvent tre appliqusau-del de la priode de la transition politique mme.

    Ainsi, une analyse de la mise en uvre des mcanismes retenuspendant la priode de la transition politique permettra de tirer des leons pourla justice transitionnelle pendant la priode post-transition politique .

    3. LES MCANISMES DE JUSTICE TRANSITIONNELLEPENDANT LA TRANSITION POLITIQUE

    Cette analyse portera sur quatre mcanismes, dont seulement deux ontfait lobjet de discussions explicites lors des ngociations de paix : lamnistie8

    6 Source additionnelle : The Encyclopedia of Genocide and Crimes Against Humanity,Macmillan Reference USA, 2004, vol. 3, pp. 1045-1047, cit sur le site www.ictj.org.7 Principes fondamentaux et directives concernant le droit un recours et rparation desvictimes de violations flagrantes du droit international des droits de lHomme et de violationsgraves du droit international humanitaire, adopts par lAssemble Gnrale des Nations Unies le16 dcembre 2005, Rsolution A/RES/60/147. Les 5 mcanismes de rparation reconnus sont : larestitution, la radaptation, lindemnisation, la satisfaction, et les garanties de non-rptition.

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    et la Commission Vrit et Rconciliation. Or, des poursuites des crimescommis ont galement eu lieu devant la justice congolaise et devant la justiceinternationale.

    LAccord Global et Inclusif du 17 dcembre 2002 naccorde pasbeaucoup dattention la justice :o Le point III.8 prvoit une amnistie, qui sera tudie plus loin.o Le point V.3 confirme que le pouvoir judiciaire doit tre indpendant et

    quil fonctionne sous la supervision du Conseil Suprieur de laMagistrature. Renvoi est fait la Constitution de la Transition et uneloi spcifique qui sera vote pour rgler lorganisation judiciaire.

    o Finalement, le point IV prvoit la mise en place des institutions dappui la dmocratie, dont la Commission Vrit et Rconciliation.

    La Constitution de la transition du 6 mars 2003 reprend en grandeslignes les mmes lments, tout en apportant quelques prcisions. Ellecomprend plusieurs dispositions concernant la justice en gnral (8 articles) etles mcanismes de justice transitionnelle :o Dabord, lindpendance du pouvoir judiciaire est confirme par

    larticle 147 et sera garantie par le Prsident et un Conseil Suprieur dela Magistrature, qui sera mis en place par une loi organique.

    o Il est galement prvu quun nouveau statut des magistrats sera adopt.o Pour ce qui concerne la justice des crimes du pass, larticle 154

    prvoit la mise en place de la Commission Vrit et Rconciliation,

    comme lune des 5 institutions dappui la dmocratie. Importante noter est la disposition qui accorde ces institutions une indpendancelune vis--vis de lautre, mais aussi vis--vis des autres institutions dela Rpublique (art. 156).

    3.1. La loi damnistie

    3.1.1. La mise en oeuvre

    En excution du point III, 8 de lAccord Global et Inclusif, qui stipuleque : Afin de raliser la rconciliation nationale, lamnistie sera accorde

    pour les faits de guerre, les infractions politiques et dopinion, lexception

    des crimes de guerre, des crimes de gnocide et des crimes contre

    lhumanit, et de larticle 199 de la Constitution de la Transition, une loidamnistie a t vote par le Parlement congolais le 29 novembre 2005 etpromulgue le 19 dcembre 2005. Ladoption de la loi a donc pris prs de deuxans de retard.

    8 Lamnistie est parfois considre comme labsence dun mcanisme de justice transitionnelle,opinion que nous ne partageons pas, tant donn quil sagit dun acte positif pos concernant lescrimes commis dans le pass, mme si ce nest quen les annihilant.

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    La loi confirme lexception pour les crimes de guerre, crimes contrelhumanit et crime de gnocide et donne une dfinition des faits de guerre, desinfractions politiques et des infractions dopinion. Certaines dfinitions sonttellement restrictives quon peut mme se demander sil sagit de crimes etdonc dactes amnistiables9. La loi a aussi lavantage de fixer la priodecouverte par lamnistie, qui est du 20 aot 1996 (dbut de la premire guerre)

    jusquau 30 juin 2003 (installation du gouvernement de la transition) (art. 5 dela loi). Il est galement spcifi que lamnistie ne porte pas prjudice auxrparations civiles ou aux restitutions (art. 4 de la loi), bien quon puissecraindre que cet article reste lettre morte.

    La mise en application de la loi relve de la comptence du ministre de

    la Justice (art. 7). Jusqu ce jour, il nest pas trs clair qui a finalementbnfici de lamnistie. La presse a mentionn quelques cas de mise en libertsuite lapplication de lamnistie, mais il nest pas toujours spcifi pour quelscrimes les bnficiaires en question avaient t condamns, ce qui ne permetpas danalyser linterprtation faite de la loi.

    Jusquen juin 200610, trois groupes de dtenus condamns mortauraient profit de lamnistie : un groupe de 58 militaires des Kivus, anciensAFDL11, condamns mort par lex-Cour dOrdre Militaire en avril 2003 12 ;un groupe danciens militaires de Mobutu arrts en 2003 leur retour deBrazzaville et qui auraient t, bizarrement, acquitts par lauditoratmilitaire ; et finalement 3Mayi Mayi du Katanga, anciens FAC13, condamns la peine capitale en fvrier 2001.

    Le seul cas qui a provoqu beaucoup de dbats publics est celui despersonnes condamnes pour lassassinat du prsident Laurent-Dsir Kabila etcela dj depuis les dbats parlementaires sur le projet de loi. Malgrlopposition et mme le boycott du vote de la part des reprsentants du PPRD 14(parti li au prsident Joseph Kabila) et des Mayi Mayi, la loi a t adopte. Iltait craint que cette loi puisse sappliquer ces condamns, qui ont dailleurstoujours clam leur innocence.15 Or la loi sera interprte de faon restrictivepar la suite, sur base dun avis donn par la Cour Suprme, avec commersultat que les condamns en question en seront exclus.16 En effet, le point de

    9 Par exemple : la dfinition de faits de guerre dit quil sagit dactes inhrents auxoprations militaires autoriss par les lois et coutumes de guerre, qui, loccasion de la guerre,

    ont caus un dommage autrui. 10 RFI, 8 juillet 2006.11 Alliance des Forces Dmocratiques de Libration.12 AFP, 22 mars 2006.13 Forces Armes Congolaises.14 Parti du peuple pour la Reconstruction et la Dmocratie.15La loi sur lamnistie vote au parlement, ferme soutien du cardinal Etsou ladoption de cette

    loi, Agence Dia, 1 dcembre 2005.16 Ce qui a amen une ONG congolaise, la Voix des Sans-Voix, rclamer une rvision duprocs loccasion du 6ime anniversaire de la mort de Kabila et mme demander la mise enplace dune commission denqute internationale aux Nations Unies. AFP, 17 janvier 2007. Cespersonnes avaient t condamnes par la hautement conteste Cour dOrdre Militaire, qui a tabroge lors de la rforme de la justice militaire en conformit avec lAccord Global et Inclusif.

    http://www.rodhecic.org/article.php3?id_article=312http://www.rodhecic.org/article.php3?id_article=312http://www.rodhecic.org/article.php3?id_article=312http://www.rodhecic.org/article.php3?id_article=312http://www.rodhecic.org/article.php3?id_article=312http://www.rodhecic.org/article.php3?id_article=312http://www.rodhecic.org/article.php3?id_article=312
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    vue du PPRD est quune telle amnistie na jamais t ngocie lors duDialogue intercongolais et que lassassinat de feu Kabila nest pas uneinfraction politique mais un crime de droit commun.17

    3.1.2. Analyse

    Le choix entre amnistie et poursuites pose trs souvent un dilemmepour les pays qui veulent sortir dun conflit par la voie des ngociations : dunepart, seule une amnistie peut parfois convaincre les combattants dposer lesarmes et donc tablir la paix ; dautre part, laisser les crimes les plus gravesimpunis peut donner lieu des actes de vengeance et donc une recrudescence

    du conflit, mme par-del des gnrations. En plus, lamnistie ne tient compteque des combattants et de leurs vux, tandis que les intrts des victimes(connatre la vrit, retrouver leur dignit, recevoir une rparation, obtenir unereconnaissance de leur souffrance et une prise de responsabilit de la part desauteurs des crimes) sont mis de ct.

    Dailleurs, certaines conventions internationales, dont les quatreConventions de Genve de 1949 ratifies par la RDC, obligent les Etats poursuivre et punir les auteurs des crimes concerns par ces conventions (lescrimes de guerre). Accorder une amnistie pour ce genre de crimes serait doncen contradiction avec les obligations de lEtat et le droit coutumierinternational qui est en train de sinstaller sur cette question.18

    Kofi Annan, dans son rapport sur la justice dans les pays post-conflit19,

    confirme cette volution de limpunit et de lamnistie vers le respect pourlEtat de droit et la justice, et recommande que lors des ngociations de paixaucune amnistie ne soit accorde pour les crimes mentionns et quuneamnistie ne puisse pas empcher des poursuites devant une Cour cree ouassiste par les Nations Unies.

    La loi damnistie nexclut donc pas que les auteurs des crimesinternationaux, y compris les participants au Dialogue intercongolais, puissenttre poursuivis aussi bien devant la justice congolaise que devant la justiceinternationale.

    La question est de savoir si ces personnes navaient pas plutt droit un nouveau procs, comptetenu du manque de procs quitable, avant danalyser leur droit une amnistie.17 AFP, 2 dcembre 2005.18 Du moins on peut dj parler dune opinio juris, selon Cassese. CASSESE, A.,InternationalCriminal Law, 2003, p 315. Sur limpact du droit conventionnel sur la formation de lopinion juridique de la communaut internationale, voir HENCKAERTS, J.-M., Etude sur le droitinternational humanitaire coutumier,Revue Internationale de la Croix Rouge, volume 87, 2005,p. 298.19 NATIONS UNIES, The rule of law and transitional justice in conflict and post-conflictsocieties. Report of the Secretary General, 23 August 2004, S/2004/616, 40 et 64. Bien que cerapport date daprs la signature de lAccord Global et Inclusif, il reflte les volutions issues desexpriences passes des Nations Unies.

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    3.2. La Commission vrit et rconciliation

    3.2.1. Mise en uvre

    La Commission vrit et rconciliation (CVR) est lune des cinqinstitutions de la transition instaures par lAccord Global et Inclusif (point V).

    Le mandat suivant tait prvu : tablir un bilan des crimes et violationscommis, dterminer le sort des victimes et prvoir des mesures deddommagement, promouvoir la rconciliation. Une rsolution du Dialogueintercongolais rgle en dtail le mandat, le fonctionnement et les procdures dela Commission et prvoit entre autres la possibilit pour la Commission

    damnistier toute personne qui rempli des conditions fixer.20

    Intgr dans lAccord Global et Inclusif, la cration de la CVR commeinstitution dappui la dmocratie sera ensuite confirme de la Constitution dela transition et cre par la Loi organique n 4/018 du 30 juillet 2004.

    Les caractristiques les plus importantes de la Commission21, dans lecadre de notre analyse, sont les suivantes : Dure : en tant quinstitution dappui la dmocratie, la dure de son

    mandat conciderait avec la dure de la transition politique et seraitdonc en principe de deux ans, prolonger de deux fois six mois aumaximum, sauf que la loi na t vote quen juillet 2003, ce qui alimit la priode un an, et avec les prolongations de la transition prs de deux 2 ans

    Composition : comme toutes les institutions dappui la dmocratieelle a t prside par un reprsentant de la socit civile, tandis que lesmembres de son bureau sont issus des diffrentes composantes auDialogue intercongolais. Le nombre de membres initialement prvutait de huit. En pratique, chaque composante a annonc toutsimplement le nom de son reprsentant, ce qui tait en contradictionavec lesprit du Dialogue intercongolais qui prvoyant la nomination par consensus conformment des critres de moralit, crdibilit,connaissance des ralits sociales du terrain, comptence, patriotisme,esprit rassembleur et rconciliateur . La dsignation des membresavait mme eu lieu avant ladoption de la loi.

    Membres supplmentaires: suite aux protestations de la part de lasocit civile, et avec le soutien des ONG internationales, telles queICTJ, HRW et la FIDH, la loi organique a prvu dans sont article 9 quetreize membres supplmentaires sont ajouts et quils doivent trechoisis parmi les personnalits des confessions religieuses, desassociations savantes, des associations fminines et dautres

    20 BOUVIER, P.,Le Dialogue intercongolais. Anatomie dune ngociation la lisire du chaos,Editions LHarmattan, Paris, 2004, pp. 178-179. Rsolution n 20 DIC/CPR.21 BORELLO, F., Les premiers pas. La longue route vers une paix juste en RpubliqueDmocratique du Congo, International Centre for Transitional Justice, octobre 2004, p. 42 e.s.

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    associations dont les activits ont un rapport avec lobjet de laCommission Vrit et Rconciliation . Ainsi, la Commission seraitcompose de 21 membres. Nanmoins, il tait prvu que la slectionaurait lieu sous la direction du bureau , ce qui a permis auxcomposantes du Dialogue davoir la main mise sur la slection.

    Priode sous examen : la Commission devait examiner les crimes etviolations commis en RDC depuis lindpendance du Congo en 1960

    jusquen 2003 (dbut de la transition) Possibilit damnistie : inspir par la Commission vrit et

    rconciliation de lAfrique du Sud, larticle 8 de la loi prvoyait que laCommission puisse proposer lautorit comptente lacceptation ou

    le rejet de toute requte individuelle ou collective damnistie pour lesfaits de guerre et les infractions politiques et dopinion . En effet, letexte de la rsolution du Dialogue intercongolais sur la CVR prvoyaitla possibilit damnistier des crimes et des violations massives desdroits de la personne conformment aux standards internationaux enla matire . Ces standards internationaux ont fait que le texte originalde larticle, qui prvoyait la possibilit dune amnistie pour dautrescrimes et violations galement, a d tre revu, dans le mme sens de ceque nous avons vu en ce qui concerne la loi damnistie. Or, il faut noterque la loi sur la CVR a t adopte avant la loi sur lamnistie, dontnous avons dj analys la porte limite, prcisment en consquencedu droit international. Comme cette dernire dcide dune amnistie

    blanche pour les mmes infractions, cet article de la loi sur la CVR at vid de son sens.

    Rparation : la Commission a obtenu le mandat daccorder elle-mmedes rparations aux victimes selon une procdure lamiable (art.41). Cet article est galement issu de la rsolution du Dialogueintercongolais sur la CVR, qui donnait la Commission la mission de dterminer le sort des victimes et de prendre toutes les mesuresncessaires pour les ddommager. Pour autant quun arrangement lamiable ne puisse pas avoir lieu, la loi prvoyait que la Commissionfasse des recommandations concernant la rparation et la rhabilitationdes victimes (art.55)

    Mdiation de conflits : finalement, une tche importante est accorde la CVR, celle de faire la mdiation entre des communauts dchiresafin de prvenir ou grer les conflits

    Aujourdhui tous les observateurs saccordent dire que la CVR napas rempli sa mission et na mme pratiquement pas fonctionn.22

    22 WAKENGE, R., BOSSAERTS, G., La Commission Vrit et Rconciliation en RDC. Letravail na gure commenc, SNV Kivu, 23 aot 2006.

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    La Commission a mis en place deux sous-commissions : laCommission Spciale Vrit, compose de trois sections qui devraientsoccuper respectivement des crimes politiques et des violations massives desdroits de lHomme, des crimes conomiques, sociaux et environnementaux etdes biens mal acquis, et finalement des violences faites aux femmes et auxenfants. La Commission Spciale Rconciliation est galement compose de 3sections qui devraient soccuper respectivement de la prvention, de lamdiation des conflits et de lducation la culture de la paix.

    Or, en ralit la CVR ne sest occup que dateliers de formation deleurs membres, de missions de pacification dans diffrentes provinces,dactivits de mdiation entre les groupes ethniques dans lEst du pays, de

    lorganisation de barzas communautaires aux Kivus et de la recherche definancements.Il est donc clair que la Commission na mme pas entam son travail

    de recherche de la vrit.En mai 2006, le prsident de la Commission, Monseigneur Jean-Luc

    Nkuye, fait un bilan mitig de son mandat et avoue n'avoir pas pu aborder, toutau long de ce mandat, le volet Vrit de la mission qui lui tait confie. 23 Ilattribue cet chec au retard avec lequel son institution est entre en fonction, etnotamment en ce qui concerne ladoption des lois organiques, linscurit quinaurait pas permis son quipe de raliser toutes les tapes de cette mission etenfin au manque de moyens suffisants.

    En ce qui concerne le financement, Wakenge et Bossaerts ont dress un

    tat des lieux du financement reu : pour la priode 2003-2005 il sagit de1.699.347 $US. A titre de comparaison, la Commission vrit et rconciliationen Sierra Leone a fonctionn et rempli son mandat avec un budget total de3.700.000 $US, ce qui implique que la CVR en RDC aurait quand mme puremplir une plus grande partie de son mandat que ce quelle na fait.24

    3.2.2. Analyse25

    Bien quenviron 25 commissions de vrit aient t tablies depuis une

    vingtaine dannes maintenant, et que les premires aient vu le jour enAmrique du Sud, cest surtout la Commission vrit et rconciliation delAfrique du Sud, instaure en 1994, qui a rendu ce mcanisme de justicetransitionnelle populaire, surtout en Afrique. Depuis lors, aucune ngociation

    23 Radio Okapi, le 8 mai 2006.24 Witness to Truth: Report of the Sierra Leone Truth and Reconciliation Commission, 2004,Vol. 1, p. 103. La Commission sierra leonaise tait une commission mixte, ce qui implique laparticipation de commissaires et de staff internationaux.25 FREEMAN, M., Truth Commissions and procedural fairness, Cambridge University Press,Cambridge, 2006. HAYNER, P., Unspeakable Truths, Facing the challenge of TruthCommissions, New York and London, Routledge, 2002. HUYSE, L., Alles gaat voorbij, behalvehet verleden, Leuven, Van Halewyck, 2006. ROTBERG, R. I., THOMPSON, D. (ed.), Truth v.justice. The morality of truth commissions, Princeton and Oxford, Princeton University Press,2000.

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    de paix na t mene au cours de laquelle lide na pas au moins texamine. Les exemples les plus rcents sont la Sierra Leone, le Libria et leBurundi26.

    Le problme est que ce mcanisme est parfois intgr la lgre dansles accords de paix, comme lun des outils de construction de paix prvoirpresque automatiquement. Souvent, une commission de vrit est ajoutecomme une sorte de compensation pour labsence de poursuites, encombinaison avec une amnistie blanche ou conditionne, comme si unecommission de vrit ne servait qu satisfaire les victimes. Dans les mmesaccords, on prvoit des programmes de dmobilisation et de rinsertion des ex-combattants, tandis que la rparation est renvoye aux recommandations

    formuler par la commission de vrit, qui ne seront dans la majorit des casjamais excutes.Tel est aussi le cas pour le Dialogue intercongolais, qui a trs vite

    inscrit la cration dune commission de vrit dans son agenda. Finalement,cette commission sera accepte en tant quinstitution de la transition, sansquune vraie rflexion semble avoir eu lieu sur lutilit de la crer dans unepriode dincertitude politique et alors que la violence continue.

    Trop souvent, les ngociateurs perdent de vue que les commissions devrit ne sont pas des solutions miracles qui peuvent rsoudre tous lesproblmes. Il sagit de vritables mcanismes de justice transitionnelle, quicompltent les poursuites devant la justice nationale ou internationale, au lieudtre une solution qui intervient l o la justice fait dfaut. Les commissions

    de vrit offrent plusieurs avantages : elles peuvent analyser les causes et lesstructures dun conflit, identifier les commandants, les acteurs et lesbnficiaires, mme si ceux-l sont absents, dcds ou ports disparus ; ellespeuvent identifier le rle dorganes de lEtat, de certains groupesprofessionnels ; elles offrent un forum dcoute officiel aux victimes quiveulent faire entendre leur voix, mme si celles-ci narrivent pas identifierlauteur du crime dont elles ont souffert ; elles ont la possibilit de travailler surle long processus de la rconciliation au niveau interpersonnel, intra-communauts ou inter-communauts et au niveau national et elles ont lapossibilit de proposer des rformes institutionnelles et de faire derecommandations sur des mesures de rparation et de rhabilitation pourlensemble des victimes.

    Or, afin de pouvoir raliser ces missions, la nature de la commission devrit doit tre respecte et certaines conditions minimales doivent tre misesen place.

    La dfinition gnralement accepte dune commission de vrit est lasuivante27 :

    26 Voir ailleurs dans cetAnnuaire.27 HAYNER, P., op. cit., p. 14

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    o Elle doit tre revtue de certains pouvoirs, tel que le pouvoir de saisine,de citation, de perquisition et de protection de victimes.

    o Ses activits principales seront la prise de dclaration des victimes, detmoins et dauteurs des crimes. Certaines commissions organisent desconfrences, ou mnent des enqutes quasi-policires, des recherchespratiquement acadmiques ; elles mettent en place des bases dedonnes ou organisent des exhumations.

    De cet aperu de caractristiques et de critres des commissions devrit, il sera clair que le pige de la CVR congolaise a t labsence duneappropriation par la population congolaise et surtout la politique dfaillante de

    nominations des commissaires reflet dun manque de crdibilit de lautoritqui la mise en place. A la base de ces deux dfauts principaux se trouve lemanque de volont politique pour faire la lumire sur lhistoire des violations etcrimes commis en RDC.

    La communaut internationale, qui a soutenu cette ide avecenthousiasme au dbut, a vite t due et est revenue sur ses engagementsfinanciers, suite au fait que la procdure de nomination ne prsentait pas desgaranties suffisantes dun fonctionnement indpendant de la Commission.

    Suite cet chec, la question se pose de savoir si la CVR, dont lemandat a pris fin avec la fin de la Transition, doit tre prolonge, remplace ouplutt abandonne.

    A lissue dun atelier d'valuation de la CVR qui a eu lieu du 22 au 24

    juin 2006, avec l'appui du PNUD, de la MONUC et de ICTJ, le prsident de laCVR a rappel sur Radio Okapi29 que la nouvelle constitution30 donne lapossibilit au parlement lu de voter une loi pour prolonger le mandat duneinstitution dappui la dmocratie ou pour en crer une autre. Il souhaite doncque la mission de la Commission vrit et rconciliation soit poursuivie aprsles lections, et il a mme dj prpar un projet de loi ce sujet.

    En raction cela, la Coalition congolaise pour la JusticeTransitionnelle a rappel31 quelle a particip cet atelier et que lune desrecommandations de ce dernier tait le principe de la cration d'une nouvellecommission, mais aprs avoir not l'imprieuse ncessit de procder

    pralablement de larges consultations populaires avec laide de la socitcivile.

    Une telle consultation qui est distinguer dun rfrendum sembleutile, non seulement pour prendre lavis de la population et notamment desvictimes, mais surtout pour arriver une appropriation du mcanisme par lapopulation, vu que son succs dpend largement de la participation populaire ses activits. Dautres voies dappropriation peuvent galement tre imagines.

    29 Radio Okapi, 8 mai 2006.30 Art. 122 de la Constitution.31 Communiqu de presse de la Coalition de la Justice Transitionnelle, 19 dcembre 2006.

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    Ensuite, si cette consultation donne comme rsultat que les Congolaissont favorables la mise en place dune nouvelle Commission vrit etrconciliation32, il faudra veiller ce quune procdure transparente denomination des membres soit prvue sur base de critres objectifs et que despersonnes respectes et de haute moralit soient nommes. Seule une telleprocdure de nomination peut garantir une indpendance suffisante vis--vis dupouvoir en place. La ralisation de cette condition ncessite donc une volontpolitique claire et nette et il reste voir si une telle volont existe aujourdhui.

    En outre, il faudra retravailler le mandat de la CVR et voir si ses tchesne peuvent pas tre allges (limiter le spectre des crimes examiner, ainsi quela priode). Nanmoins, il faut reconnatre que la CVR na pas vu le jour sous

    une lumire favorable : ingrences politiques, contraintes qui ont pes sur laCommission lors de la priode lectorale, et une violence qui a continu dansde grandes parties de lEst du Congo.

    Mme avant ladoption de la loi sur la CVR, certaines organisationsont exprim ouvertement leurs doutes sur lutilit de la mettre en place durantla priode de la Transition politique.33 Cette question, quon appelle en anglaisle sequencing, lordre chronologique dans laquelle les diffrents mcanismesde justice transitionnelle doivent tre mis en place, fait lobjet de beaucoup dedbats34. Dans un pays qui vient de sortir dun conflit, il y a souvent dautrespriorits : reconstructions des institutions tatiques, organisation dlectionslibres, garantie dun minimum de scurit physique et une aide humanitaire auxvictimes, stabilit et ouverture du rgime, etc. Il faudra donc tablir le moment

    o un pays est prt avoir une Commission vrit et rconciliation. La simpleorganisation dlections dmocratiques ne suffit pas cet gard.

    En guise de conclusion, nous voulons suggrer de ne pas jeter le bbavec leau du bain : mme si la CVR a t un chec, une analyse plusapprofondie de lutilit et du timing dune telle commission simpose, prcdedune consultation populaire et accompagne des conditions minimales pour unfonctionnement indpendant et crdible.

    3.3. Les poursuites devant la justice nationale

    3.3.1. Mise en uvre

    La justice na pas fait objet de beaucoup de discussions lors duDialogue intercongolais. La discussion sur lamnistie, qui a finalement taccepte avec les limits dcrites ci-dessus, montre que la volont dentamer

    32 Pour dautres recommandations, voir : WAKENGE, R., BOSSAERTS, G., La CommissionVrit et Rconciliation en RDC. Le travail na gure commenc, SNV Kivu, 23 aot 2006, pp.8-9.33 Entre autres la Fdration Internationale des Ligues des Droits de lHomme, La justicesacrifie sur lautel de la transition, juin 2004, p. 35.34 Voir entre autres : BLOOMFIELD, D., BARNES, T., HUYSE, L., La rconciliation aprs unconflit violent, Stockholm, International IDEA, 2003, p. 27 e.s.

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    des poursuites pour les crimes internationaux et les violations massives desdroits de lHomme tait limite.

    Ceci se reflte dans les textes de lAccord Global et Inclusif quiconsacrent peu dattention la justice en gnral et ne mentionnent nulle partun engagement poursuivre les responsables au niveau national. La demandede mettre en place un tribunal spcial pour la RDC 35 reflte sans doute le peude confiance que ceux qui taient en faveur de poursuites faisaient au systme

    judiciaire congolais.Nanmoins, les efforts de la part de la communaut internationale, et

    notamment des Nations Unies et des bailleurs de fonds, pour instaurer un Etatde droit et entamer la lutte contre limpunit nont pas fait dfaut36. Par contre,

    la volont politique nationale de poursuivre les responsables des crimes estreste limite, pour ne pas dire inexistante.Les quelques rares poursuites qui ont lieu durant cette priode ont t

    luvre de certains juges courageux, srieusement encourags et soutenus parla Section Droits de lHomme de la MONUC et par les bailleurs de fonds, quiont leur tour soutenu les activits de deux ONG belges actives dans cedomaine : RCN Justice & Dmocratie en ce qui concerne la restauration de la

    justice Bunia et Avocats Sans Frontires en ce qui concerne la formation desmagistrats et des avocats ainsi que lassistance judiciaire offerte aussi bien auxaccuss quaux victimes afin darriver des procs quitables. Les effortsimportants de certaines ONG locales, souvent la base des plaintes dposesdans des circonstances difficiles et mme dangereuses, y ont galement

    contribu.

    35 La demande de cration dun Tribunal pnal international, formule lors du Dialogueintercongolais, sera formule dans une lettre envoye au Conseil de Scurit le 17 janvier 2003par lAmbassadeur de la RDC auprs des Nations Unies, et rpte plusieurs fois. Elle resterasans suite, malgr le soutien que certaines ONG internationales y apportent. Labsence derponse cette demande est sans doute inspire par les expriences plutt mitiges avec lestribunaux ad hoc pour le Rwanda et lex-Yougoslavie, jugs trop chers et trop lourds. La crationde ce genre de juridictions temporaires et purement internationales a compltement disparu delagenda de la communaut internationale, qui est aujourdhui plus favorable lide demcanismes hybrides ou mixtes.36Audit organisationnel du secteur de la justice en Rpublique Dmocratique de Congo, ralis

    en 2003-2004 par la Commission Europenne, conjointement avec la Grande-Bretagne, laBelgique, la France, le Haut Commissariat des Droits de lHomme, le PNUD et la MONUC.Rapport de synthse des ateliers pour llaboration dun programme cadre de la justice, rapportdes ateliers finaux de laudit pour un programme cadre de la justice en RDC, novembre 2004.Mise en place dune Commission Mixte Justice entre les participants laudit et le Ministre dela Justice, qui ne se runit pour la premire fois que le 3 novembre 2005 et dont la conclusionofficieuse des bailleurs de fonds est quun partenaire fiable manque au niveau institutionnel etquil vaut donc mieux attendre les lections et la mise en place du nouveau gouvernement.Programme de restauration durgence du systme judiciaire pnal Bunia, mis en uvre parlONG RCN Justice & Dmocratie avec le soutien financier de la Commission Europenne dejanvier 2004 jusque fin avril 2006. Un autre programme de soutien urgent la justice, Rejusco,cofinanc par la Commission Europenne, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la Belgique, etgr par la Coopration Technique Belge, a dmarr avec du retard en 2007.

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    Suite ces efforts conjoints, plusieurs jugements ont t rendus, dontles suivants sont signaler :o La condamnation de 7 militaires des FARDC37 le 12 avril 2006 par le

    Tribunal Militaire de Garnison de Mbandaka pour crimes contrelhumanit, notamment le viol38. Il sagit de faits commis SongoMboyo en dcembre 2003 lorsque 67 militaires se sont rebells contreleur capitaine parce quils estimaient que le payement de leurs soldesaccusait trop de retard. Plus de trente femmes avaient subi des viols,parmi lesquelles la femme du capitaine qui succomba plus tard sesblessures. Des dommages et intrts ont t accords. Le jugement at confirm par la Cour Militaire le 7 juin 2006. Nanmoins, certains

    des condamns se sont vads plus tard, suite linfrastructuredfaillante des prisons.o La condamnation du 21 juin 2006 de 42 militaires de la FARDC par le

    mme Tribunal Militaire de Garnison de Mbandaka, pour crimes contrelhumanit, notamment meurtre et viol, commis en juillet 2005. Unefois de plus, les militaires sen taient pris la population civile. Desdommages et intrts ont t accords plus dune centaine devictimes.39

    o Le 24 mars 2006 le Tribunal Militaire de Garnison de lIturi a sontour condamn un capitaine des FARDC pour crimes de guerre,notamment lassassinat de 5 garons commis en octobre 2005 40. Enattendant que laffaire soit traite en degr dappel, le capitaine sest

    vad de la prison en dcembre 2006.o On peut y ajouter un autre jugement exemplaire : la condamnation 20

    ans de servitude pnale principale prononce le 2 aot 2006 par leTribunal Militaire de Garnison de lIturi contre Kahwa Panga MandriIves, le chef du PUSIC41, lune des milices les plus froces de Bunia,pour des crimes contre lhumanit et des crimes de guerre commis enoctobre 2002.

    Ces jugements constituent un pas en avant important vers la luttecontre limpunit parce que ce sont les premires dcisions qui appliquent lesdfinitions de crimes contre lhumanit et de crime de guerre du Statut deRome, cest--dire de la Convention qui a cre la Cour Pnale Internationale,ratifie par la RDC le 30 mars 2002 (voir ci-dessous).

    Il est important de noter que la Haute Cour Militaire, dans un arrt du12 mai 2006 concernant laffaire contre Germain Katanga et consorts, aconfirm lapplication directe du Statut de Rome. Plus quune discussion

    37 Forces Armes de la RDC, larme officielle.38 Avocats Sans Frontires, communiqus de presse du 12 avril 2006 et du 8 juin 2006.www.asf.be.39 Avocats Sans Frontires, communiqu de presse du 21 juin 2006. www.asf.be.40 Avocats Sans Frontires, communiqu de presse du 27 mars 2006. www.asf.be.41 Parti pour lUnit et la Sauvegarde de lIntgrit du Congo.

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    juridique, il sagit ici dune victoire du pouvoir judiciaire sur le pouvoirlgislatif, qui continue retarder le vote de la loi dadaptation qui doit intgrerle Statut de Rome dans le droit congolais, 42 ce qui rendrait la tche des jugesbeaucoup plus facile.

    Effectivement, lengagement des composantes au Dialogue afin demettre en place une justice indpendante, gre par le Conseil Suprieur de laMagistrature tel quannonc dans la Constitution de la Transition, est restlettre morte. Le projet de loi devant organiser le Conseil Suprieur de laMagistrature na toujours pas t vot. Ce qui na pas empch les magistratsde le constituer dj sur base des dispositions de la nouvelle Constitution. Or,la loi organique reste ncessaire pour organiser son fonctionnement. Seul le

    statut de magistrats a t adopt par lAssemble Nationale.43

    Au crdit du pouvoir lgislatif (ou plutt du pouvoir excutif ?), il fautnoter que la justice militaire a t rforme, mme avant la fin du Dialogueintercongolais,44 et que la Cour dOrdre Militaire a t abolie.

    3.3.2. Analyse

    Comme la RDC a ratifi le Statut de Rome crant la Cour PnaleInternationale, elle est oblige duvrer sur base du principe fondamentale duStatut : celui de la complmentarit.45 Cela signifie que la responsabilitprimaire pour juger les crimes de guerre, crimes contre lhumanit et crimes degnocide, revient la justice nationale de chaque pays et que la Cour

    nintervient que de faon complmentaire.En ratifiant cette convention la RDC sest donc engage traduire en

    justice les auteurs des crimes. De toute faon, le nombre de cas quune courinternationale peut poursuivre sera toujours limit, comme lexprience avec leTribunal Pnal International pour le Rwanda, celui pour lex-Yougoslavie,ainsi quavec la Cour Spciale de la Sierra Leone, la dmontr46.

    Dautre part, la justice classique a commenc reconnatre ses limites :aprs des annes de conflit et de violations massives des droits de lHomme, ilest impossible de poursuivre tous les excutants. Nanmoins, afin de mettre finaux cycles de violences et la culture dimpunit, il est important depoursuivre au moins les plus grands responsables : ceux qui ont donn lesordres, planifi ou incit commettre les crimes, ainsi que ceux au niveauintermdiaire qui ont organis ou command leur commission.

    42 Cela a t possible parce que la RDC suit le systme moniste, qui permet lapplication directedes conventions internationales ratifies. Art. 193 de la Constitution de la Transition. Art. 215 delactuelle Constitution.43 La loi 06/020 sur le statut des magistrats, promulgue le 10 octobre 2006.44 Code pnal militaire et code judiciaire militaire. Lois n 023/2002 et 024/2002 du 18novembre 2002. La Cour dOrdre Militaire a t supprime le 25 avril 2003.45 Art. 1, Statut de Rome.46 A noter que ces juridictions ont une comptence prioritaire vis--vis de la justice nationale, cequi est le contraire du principe de la complmentarit.

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    Larrestation des chefs de guerre de lIturi en mars 2005, qui a eu lieusous une forte pression internationale suite lassassinat de 9 casques bleus, acr beaucoup despoir en ce qui concerne la prise de responsabilit par lesautorits congolaises.47 Lanalyse initiale, selon laquelle larrestation de ceschefs militaires rencontrait peu dobstacles politiques, car ceux-ci navaient pasparticip aux ngociations de paix et quelle a permis au gouvernementcongolais de gagner des points aux yeux de la communaut internationale, napas survcu au test de la ralit, tant donn que leur procs devant la hauteCour Militaire Kinshasa na toujours pas eu lieu.48

    Outre les chefs de guerre de lIturi qui attendent leur procs, dautreschefs de milices sont rests en libert et ont continu commettre des exactions

    et des massacres. Plusieurs dentre eux sont impliqus dans des ngociationssur une dmobilisation, accompagne dune amnistie ou du moins duneimpunit de fait, ce qui cre une forte impression dune politique de deux poidset deux mesures.49 Dans tous les cas, accorder une amnistie blanche ceux quiont continu semer la terreur dans lEst du Congo pendant des annes, nedcouragera pas ceux qui continuent aujourdhui commettre des crimes.

    De cet aperu on ne peut que conclure que les efforts de certainsacteurs judiciaires congolais, des ONG et des bailleurs de fonds dpassent defaon importante ceux des autorits congolaises. Les rsultats obtenus, bien quesymboliquement et juridiquement importants, sont limits : seuls des faits plusau moins rcents sont poursuivis, suite au manque de comptence denqute dela police judiciaire et des magistrats des parquets et des auditorats, seuls

    quelques chefs de milices ou des militaires moins haut grads sont poursuivis etseuls quelques dossiers aboutissent un procs, suite aux interfrences desautorits politiques et militaires dans ladministration de la justice, comme laclairement dmontr la MONUC.50

    Ces quelques dcisions exemplaires qui ont t prises montrent que la justice congolaise est suffisamment comptente pour faire son travail,moyennent un soutien sous forme de formation, documentation et appuilogistique. Le plus grand obstacle semble tre le manque de volont politiquepour remdier aux nombreux problmes dun systme judiciaire en tat dedlabrement, du moins pendant la priode de transition. Ce manque de volonttrouve son expression dans le fait que les lois ncessaires pour rendre la justiceindpendante et plus efficace ne sont toujours pas votes et dans le fait que lebudget de la justice reste extrmement limit.51

    47 WOLTERS, S.,Is Ituri on the Road to Stability? An update on the current security situation inthe district, Institute for Security Studies, DRC,12 mai 2005.48 Radio Okapi, 8 mai 2006.49 DORE, J., VAN WOUDENBERG, A., Le Congo ne peut cautionner limpunit des seigneursde guerre, Le Soir, 11 octobre 2006.50 MONUC,Etat de la lutte contre limpunit, note de 2006.51 Analyse du budget 2005 par la socit civile/forces vives. Message de 13 mai 2005. Selon cedocument, le budget de la justice est de 2.019.192 US$. A titre de comparaison : le budget duPrsident de la Rpublique est de 17.184.661,9 US$.

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    Le fait que le Gouvernement de la Transition, ainsi que le Parlement,taient composs de mouvements dont certains reprsentants pourraient bienfaire objet de poursuites judiciaires nest pas tranger au blocage de la rforme

    judiciaire. Il reste voir si les choses vont changer avec le nouveauGouvernement et le nouveau Parlement.

    3.4. La Cour Pnale Internationale

    3.4.1. Mise en uvre

    La Cour Pnale Internationale (CPI) a t cre par une convention,

    signe Rome le 17 juillet 1998. Il tait prvu que cette convention entre envigueur une fois que 60 pays lauraient ratifie (art. 126 Statut). Grce unecampagne intensive des ONG membres de la Coalition pour la Cour PnaleInternationale52, ce quota a t atteint assez vite, de sorte que la Cour a tcre le 1 juillet 2002.

    La Constitution de Transition prvoit que cest le Prsident qui ratifieou approuve les traits et accords internationaux (art. 191 de la Constitution).Ainsi, la RDC a ratifi la Convention sur le Statut de Rome par le dcret-loiN013/2002 du 30 mars 2002. Il ne semble pas que cette ratification ait faitlobjet de discussions lors du Dialogue intercongolais.

    La Cour Pnale Internationale est comptente pour juger les crimes deguerre, crimes contre lhumanit et crimes de gnocide commis aprs le 1

    juillet 2002, date de sa cration. Il sen suit que les crimes commis pendants lesguerres successives en RDC depuis 1996, mais avant le 1 juillet 2002, nerelvent pas de la comptence de la Cour (art. 11 Statut).

    Comme expliqu plus haut, la Cour fonctionne sur base du principe dela complmentarit, ce qui implique quelle na pas de comptence ds quuneenqute est ouverte ou une poursuite entame dans le pays concern. En outre,elle ne peut pas juger une deuxime fois une personne qui a dj tcondamne ou acquitte dans son pays. Afin dviter que des pays de mauvaisefoi organisent des procs pour soustraire une personne la justice de la CPI,des exceptions sur ces rgles sont prvues. Si un pays a ouvert un dossier maisest en ralit incapable ou na pas la volont de mener ce procs jusquau bout,la Cour peut quand mme se saisir du dossier (art. 17 Statut)

    Cest ainsi que la Cour a pu se saisir de laffaire contre ThomasLubanga Dyilo. La Cour na pas fait cela de sa propre initiative, mais suite unrenvoi fait par le Prsident de la Rpublique en mars 2004 (art. 14 Statut) Plusspcifiquement, le Prsident Kabila na pas renvoy le dossier de Lubanga laCour, mais a demand la Cour douvrir une enqute sur tous les crimesinternationaux commis depuis le 1 juillet 2002 dans lensemble du pays. Sansque le Prsident nait motiv cette demande, elle fait supposer que la justicecongolaise est incapable ou na pas la volont de poursuivre ces crimes.

    52 www.iccnow.org.

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    Comme la justice a quand mme pris dj quelques dcisions concernant cegenre de crimes, cette condition pourra encore faire lobjet de discussions lorsdu procs.

    Un tel renvoi trs large a donc laiss au procureur de la Cour toutelibert de choisir les affaires sur lesquelles il veut enquter. La dcision depoursuivre (dabord) Thomas Lubanga Dyilo, prsident de lUPC 53 de lIturi, adonc t prise par le Procureur. Comme il faisait partie des chefs de guerrearrts le 19 mars 2005 et en prison Kinshasa depuis cette date, la Cour asimplement d demander son transfert La Haye, ce qui a t fait le 17 mars2006, aprs approbation du mandat darrt par la Chambre Prliminaire de laCour, le 10 fvrier 2006.

    Thomas Lubanga aurait fond lUPC en septembre 2000 et son brasarm, les FPLC,54 en septembre 2002 dans le district de lIturi. Laresponsabilit de lUPC dans les attaques, massacres et viols systmatiques depopulations civiles comme dans lenrlement denfants soldats a t rvlelors denqutes menes par des ONG et par la MONUC55.

    Aujourdhui, il est uniquement accus de conscription et denrlementdenfants de moins de 15 ans et de les avoir utiliss dans les hostilits. Pardcision du 29 janvier 2007, la Chambre Prliminaire de la Cour a confirm lescharges portes contre Lubanga, ce qui implique que son procs pourradmarrer vers la fin de lanne 2007.56 Quatre victimes ont t autorises participer cette procdure.57

    Le 28 juin 2006, le Procureur de la Cour a annonc quil suspendait

    temporairement lenqute mene contre Lubanga concernant dautres faits, cequi implique quaucune autre charge ne sera ajoute au dossier actuel. Cescharges trs limites par rapport lensemble de crimes commis par lUPC enIturi ont provoqu de vives ractions de la part des ONG congolaises commeinternationales, qui sont davis que ces accusations ne sont pas reprsentativesde la ralit des crimes commis et quelles empcheront les victimes dautrescrimes de participer la procdure.58

    Il est galement craindre que la poursuite unilatrale des crimescommis par lUPC, en absence de poursuite des crimes commis par le FNI,59qui est galement montr du doigt par le rapport cit de la MONUC, cre la

    53 Union des Patriotes Congolais.54 Forces patriotiques pour la libration du Congo.55 MONUC,Rapport spcial sur les vnements dIturi (janvier 2002-dcembre 2003), 16 juillet2004.56 AVOCATS SANS FRONTIERES, Fiche informative affaire Lubanga, www.asf.be.Communiqu de presse du 29 janvier 2007, www.asf.be. Voir aussi le site de la Cour : www.icc-cpi.int57 Dcision de la Chambre Prliminaire de 28 juillet 2006. www.icc-cpi.int.58 Lettre ouverte envoye au Procureur de la Cour, le 31 juillet 2006, par Amnesty International,Avocats Sans Frontires, la Coalition Congolaise pour la Cour Pnale Internationale, laFdration Internationale des Ligues des Droits de lHomme, Human Rights Watch, et Redress.www.asf.be.59 Front National de lIturi.

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    perception que seul un groupe est responsable des massacres commis Buniaen 2003. Cela risque de crer des tensions srieuses, compte tenu du caractreethnique de ces milices. Le Procureur a ragi en disant quen ce qui concerneLubanga, il ne sagit que dune suspension, suite aux problmes scuritaires Bunia, et que lenqute pourra tre rouverte sur dautres faits aprs le premierprocs. Il a galement annonc quil y aura un deuxime mandat darrt en cequi concerne lIturi, ainsi quune troisime enqute en ce qui concerne dautrescrimes commis en RDC.

    3.4.2. Analyse

    Laffaire contre Thomas Lubanga est la toute premire affaire surlaquelle la nouvelle Cour Pnale Internationale se penche. Or, les chargeslimites retenues contre lui font que certains observateurs considrent laffaireLubanga comme une sorte de test case pour la Cour au dtriment de la qute de

    justice des victimes de lIturi. Le fait que seules des charges de recrutementdenfants-soldats ont t retenues ce qui aux yeux dune bonne partie de lapopulation de lIturi nest pas tellement grave, dautant plus que beaucoupdenfants ont t envoys par leurs parents dans une ide dautodfense confirme limpression que cette premire affaire a plutt t slectionne pourrencontrer les souhaits de la communaut internationale. La Cour PnaleInternationale, considr comme lmanation de cette communaut inter-nationale, devra encore prouver quelle uvre aussi pour les Congolais.

    En outre, les enqutes sur dautres affaires ventuelles ne semblent pasavancer. Le Procureur dfend sa stratgie de focused investigations et desequencing : au lieu douvrir des grandes enqutes sur lensemble des crimescommis pendant une priode et de risquer darriver des procs interminablesstyle Milosevic, il slectionne quelques faits bien circonscrits sur lesquelstoutes les enqutes ncessaires peuvent tre menes en trs peu de temps avecune quipe denquteurs rduite. Il compte ainsi mener une enqute la fois, cequi implique que lenqute ouverte sur les crimes commis par un groupe serafinalise avant den ouvrir une deuxime sur un autre groupe.60

    Or cette stratgie ne peut tre valable que si les crimes sur lesquelsportent les enqutes sont reprsentatifs de lensemble des crimes commis, cequi veut dire en ce qui concerne Bunia quil faut au moins enquter sur lesmassacres, les viols et les pillages. Ensuite, il faut tenir compte des effetsimprvus du sequencing en fonction du contexte spcifique du conflit etnotamment de la perception que lun des deux groupes (ethniques) estpoursuivi, tandis que lautre continue bnficier dune impunit.

    De toutes les faons, le choix du Procureur de la CPI de commencer lesenqutes en Ituri ne doit pas tonner, compte tenu du nombre de rsolutions desNations Unies qui dnoncent les crimes commis dans cette rgion, du nombre

    60 Cour Pnale Internationale, Bureau du Procureur, Report on prosecutorial strategy, La Haye,14 septembre 2006.

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    de rapports des organisations des droits de lHomme et de lindignation de lacommunaut internationale sur les reprises frquentes des violences en Ituri,dues des milices considres comme des personnes interposes du Rwandaet/ou de lOuganda. Ainsi, louverture de cette premire affaire en Ituri sembleun choix logique et un avertissement vis--vis de ces pays.

    Finalement, la Cour a comptence pour poursuivre des personnes denationalit ougandaise, car lOuganda a galement ratifi le Statut de Rome.Or, aucune enqute ne semble tre en cours en ce qui concerne le rle jou parcertains Ougandais lors du conflit en Ituri. Ce rle est pourtant tabli par unarrt de la Cour Internationale de Justice, bien quil ne sagisse pas, devantcette Cour-l, dune responsabilit pnale (mais dune responsabilit de lEtat

    Ougandais).61

    Mme si le Rwanda na pas ratifi le Statut de Rome, ce dernier prvoitque la Cour sera comptente ds que le pays sur le territoire duquel les crimesont t commis est membre, mme vis--vis dune personne qui na pas lanationalit de ce pays (art. 12.2.a), dans les limites, videmment, de lacomptence temporelle de la Cour.

    En guise de conclusion, on peut constater que la population congolaisea mis beaucoup despoir dans le renvoi des crimes commis en RDC la CPI.Pour linstant, les ractions sont mitiges : poursuites trop limites etunilatrales, test case au dtriment des victimes, pas en avant dans la luttecontre le recrutement denfants-soldats au niveau mondial62, occasion uniquepour les victimes qui veulent faire entendre leur voix.63 Il est clair que la Cour

    devra encore faire des efforts pour gagner de la crdibilit auprs desCongolais.

    4. LEONS DE LA PRIODE DE LA TRANSITION POUR LAPRIODE POST-TRANSITION

    La conclusion de cette analyse est donc que des efforts importants maisprudents ont t dploys par plusieurs intervenants internationaux et nationauxpour la mise en uvre des mcanismes de la justice transitionnelle pendant lapriode de la transition politique. Mais ces efforts se sont vite heurts aumanque absolu dune volont politique pour faire fonctionner une justiceindpendante et quitable. Trs vite, les bailleurs en ont tir des leons : lesprogrammes de renforcement institutionnel de la justice ont t mis endemeure, en attendant les lections et linstallation du nouveau gouvernement,des programmes plus modestes ont t financs travers des ONGinternationales et les diffrents organes des Nations Unies.

    La mise en place de mcanismes de justice transitionnelle, dans lecadre dun processus de construction dune paix durable, nest pas une chose

    61 Activits armes sur le territoire du Congo (Rpublique Dmocratique du Congo v. Ouganda),arrt de la Cour Internationale de Justice, 19 dcembre 2005.62 www.redress.org.63 AVOCATS SANS FRONTIERES, Communiqu de presse, 29 janvier 2007. www.asf.be.

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    facile. La justice transitionnelle pose plusieurs dfis qui sont variables selon lecontexte spcifique. La recherche dans ce domaine dmontre que cesmcanismes ne peuvent pas atteindre les rsultats escompts si les suppositionsqui sont la base de leur mise en uvre ne sont pas ralises (un tat cohrentet lgitime, une socit civile indpendante et des citoyens avec un pouvoirdaction politique) ou si par contre trop de conditions ngatives sont runies(un tat faillite, des institutions dfaillantes, leadership pauvre, la pauvret engnral et la foss entre lEtat et le citoyen). 64

    La question qui simpose est de savoir si les donnes de base peuventchanger dans la priode post-lections. Nous analyserons donc les leons tirerde cette priode et ferons des suggestions pour le futur.

    4.1. Commencer la justice transitionnelle aprs la transition politique

    La premire leon apprise de lexprience congolaise est que lesmcanismes de la justice transitionnelle sont difficiles mettre en uvre dansune priode de transition politique, cause des faiblesses qui marquent cettepriode : le pouvoir politique du gouvernement nest pas encore reconnu par lapopulation, des personnes reprsentant les composantes impliques dans lescrimes sont au pouvoir et nont donc pas la volont politique ncessaire pourque justice soit rendue ; et finalement le climat propice pour entamer desrformes institutionnelles est absent.

    Cela implique, que la justice transitionnelle peut seulement commencer

    fonctionner avec une certaine crdibilit aprs les lections et la mise enplace des nouvelles institutions politiques. La priode de transition ne permetpas de constater lchec des mcanismes mis en place et il est donc trop ttpour que la communaut internationale se dsiste dun investissement dans cedomaine. Le discours du Premier Ministre Gizenga semble prometteur.65 Il y alieu daccorder aux nouveaux lus le bnfice du doute, en attendant depouvoir vrifier leur engagement rel.

    4.2. Entamer des rformes institutionnelles

    Le manque dindpendance de la justice congolaise est souventmentionn comme un obstacle important. Une rforme institutionnelle estncessaire pour arriver une plus grande indpendance de tous les mcanismesde la justice transitionnelle vis--vis du pouvoir excutif.

    Ceci pose un dilemme : les mcanismes de la justice transitionnelle ontcomme rle de renforcer lEtat de droit et de proposer des rformesinstitutionnelles, et en mme temps un minimum dindpendance et de

    64 BOSIRE, L., Overpromised, Underdelivered: Transitional Justice in Sub-Saharan Africa,International Centre for Transitional Justice, Occasional Paper Series, juillet 2006, p. 2.65 Le nouveau gouvernement travers le Premier Ministre Gizenga, sest engag pour unprogramme de refondation ax sur la scurit, la justice et la lutte anti-corruption pourconstruire le dveloppement de ce pays sortant de cinq ans de guerre. AFP, 22 fvrier 2007.

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    structures institutionnelles est ncessaire pour que ces mcanismes puissentfonctionner. Cest ce que lICTJ appelle le pige institutionnel66 : il faut unseuil minimal de fonctionnement des institutions pour que la justicetransitionnelle puisse tre efficace.

    Il est donc ncessaire dvaluer si ce fonctionnement minimal estprsent en RDC ou sil peut ltre court terme. La nouvelle Constitution,adopte par rfrendum le 18 et 19 dcembre 200567, compte plusieursdispositions qui peuvent renforcer lindpendance de la justice.

    Ainsi, le budget de la justice sera dsormais labor par le ConseilSuprieur de la Magistrature et transmis au gouvernement pour tre inscrit auBudget, ce qui donnerait donc au pouvoir judiciaire un budget spar de celui

    du Ministre de la Justice.Une autre disposition qui va contribuer lindpendance de la justiceest larticle 150 qui prvoit que le magistrat est inamovible et quil ne peut tredplac que par une nomination nouvelle, ou sa demande ou par rotationmotive dcide par le Conseil Suprieur de la Magistrature. En effet, dans lepass, lingrence de lexcutif dans le judiciaire impliquait non seulement quedes juges recevaient des ordres pour juger dans tel ou tel sens, que lexcutionde jugements qui ne plaisaient pas au gouvernement taient bloque parlInspectorat Gnral du Ministre de la Justice, mais aussi que des juges qui nesuivaient pas les instructions taient muts vers des endroits dans des coinslointains du pays, coups de leur famille et de services de base. 68 Ceci estdailleurs confirm par linterdiction explicite pour le pouvoir excutif de

    donner des injonctions au juge dans lexercice de sa juridiction, dentraver lecours de la justice ou de sopposer lexcution dune dcision en justice (art.151).

    Larticle continue en disant que le pouvoir lgislatif ne peut paschanger une dcision de justice, ni sopposer son excution.

    Cette volution vers une plus grande indpendance de la justice trouveaussi son expression dans la nouvelle composition du Conseil Suprieur de laCour Suprme, dans lequel ne sigent dsormais que des magistrats (art.152)tandis que dans le pass il tait prsid par le Prsident de la Rpublique quidlguait cette fonction au Ministre de la Justice.

    Il sera donc ncessaire de voir si cette indpendance est devenueeffective dans un dlai raisonnable. Dans le cas positif, cela donnera plus dechances de russite la justice nationale en tant que mcanisme de justicetransitionnelle. Il est prvoir que des efforts importants de la part des bailleursde fonds, notamment au Conseil Suprieur de la Magistrature, serontncessaires afin dy arriver.

    66 BOSIRE, L., op. cit., p. 2.67 Publie dans le Journal Officiel le 18 fvrier 2006, date de sa mise en vigueur.68 Nos interviews avec plusieurs magistrats en 2003.

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    4.3. Prendre des mesures conservatoires

    En attendant la rforme institutionnelle, la poursuite des auteurs descrimes internationaux et des violations des droits de lHomme devant la justicecongolaise doit continuer et mrite dtre soutenue.

    La justice internationale, travers lenqute ouverte par le procureur dela Cour Pnale Internationale et les arrts rendus par la Cour Internationale deJustice, sont des pas en avant, mais beaucoup defforts seront encorencessaires pour que cette justice internationale gagne en crdibilit. Untribunal pnal spcial na pas t mis en place et ne le sera pas. Le dbat sur lapossibilit de crer des chambres mixtes au sein de lappareil judiciaire

    congolais est en cours et mrite une analyse approfondie, pas uniquement surles modalits ventuelles, mais aussi et surtout du bien-fond de ce genre demcanismes dans le contexte de la justice congolaise.

    En attendant la rforme et pendant que les efforts de la justice nationaleet internationale continuent, il y a lieu de prendre des mesures conservatoires,telle que lidentification et le mapping des fosses communes, les enqutes depolice scientifique,69 la prise de dclaration de tmoins et de victimes etlarrestation des chefs des milices accuss de crimes internationaux.

    4.4. Veiller lappropriation congolaise des mcanismes

    Les mcanismes de la justice transitionnelle doivent tre appliqus

    compte tenu dune analyse raliste des dfis auxquels des socits qui sortentdun conflit sont confrontes et de leur contexte historique et culturel commun,sans que ces ralits puissent servir dexcuses pour sabstenir daction. Enprincipe, toutes les parties concernes doivent tre consultes lors de laconception et de la mise en uvre des stratgies de justice transitionnelle.70

    Cela est surtout le cas pour les mcanismes ad hoc, tels quuneCommission vrit et rconciliation ou des chambres mixtes. Ce type demcanismes ne peut pas fonctionner sils ne sont pas soutenus ou mmedemands par la population et les acteurs concerns. Au lieu donc dimporterdes solutions trangres, qui peuvent bien avoir fonctionn ailleurs, il fautveiller lappropriation par les Congolais travers de larges consultations cequi nest pas la mme chose quun rfrendum ou par dautres voies, afindarriver la cration de mcanismes qui sont adapts la nature du conflit, aucontexte du pays et aux souhaits des personnes concernes.

    Les efforts des bailleurs de fonds et des ONG de droit de lHommepour lutter contre limpunit sont louables, mais il faut aussi veiller ce que lacommunaut internationale et ceux qui linspirent ne dcident pas en lieu etplace des Congolais.

    69 Et de renforcer les capacits des enquteurs congolais travers des formations et des stages.70 BOSIRE, L., op. cit., p. 3.

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    Finalement, un lment important prendre en compte lors de ladcision sur les mcanismes ad hoc, sera la durabilit ou, en dautres mots,lhritage que ces mcanismes peuvent laisser. Mme si des mcanismes adhoc sont crs, il y a lieu de donner la prfrence ceux qui peuvent avoir unimpact long terme.

    4.5. Mettre en place les conditions scuritaires ncessaires

    Il sest avr trs difficile de mettre en uvre des mcanismes de justice transitionnelle tant que le conflit continuait encore dans une partie dupays, et tant que les programmes de Dmobilisation, Dsarmement et

    Rhabilitation nont pas abouti. Au Congo, le brassage ou lintgration delarme na t ralis quen partie et la majorit des crimes et des violationsgraves de droits de lHomme sont aujourdhui commis par les militaires decette arme brasse .

    Ce manque de scurit fait que beaucoup de victimes et de tmoins ontpeur de parler ou de porter plainte : les cas de menaces et de violence enversces victimes sont monnaie courant aujourdhui.

    Un investissement important sera donc encore ncessaire de la part desautorits politiques et des bailleurs afin de mettre en scurit ceux qui devraienttre les premiers bnficiaires de la justice transitionnelle, ce qui demande desmodifications lgislatives, mais galement des fonds pour mettre en place desmcanismes de protection et de soutien des victimes, des tmoins et des

    dfenseurs de droits de lHomme.En outre, des efforts importants seront galement ncessaires afin de

    crer au sein de larme congolaise un esprit de discipline et de responsabilit :aujourdhui, une culture ngative de silence rgne dans larme, et lesmagistrats qui se plaignent du manque de collaboration de la part de lahirarchie militaire lors des enqutes et poursuites ne font pas dfaut.

    4.6. Mettre en place un programme de rparation

    Il tait prvu que la Commission Vrit et Rconciliation mette enplace une programme de rparation pour les victimes. Or, comme elle napratiquement pas fonctionn et que les bailleurs ont trs vite dcid de ne pasinvestir dans ce mcanisme, la rparation a t mise de ct.

    La rparation fait partie intgrante des conditions pralables toutprocessus de rconciliation. Or, cet aspect a tendance effrayer aussi bien lesautorits que les bailleurs de fonds, compte tenu du nombre de victimes et delampleur et de la dure de leur souffrance. Cette crainte repose sur unemauvaise comprhension de la notion de rparation, qui est souvent identifieavec lindemnisation. Or, la restitution des victimes dans leurs droits (p.ex. ledroit la proprit), la rhabilitation mdicale ou psychosociale travers desprogrammes collectifs, des mesures symboliques (telle que des excuses offertespar les ex-belligrants ou autres responsables) et des garanties de non-rptition

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    (p.ex. travers des mesures dloignement des auteurs de crimes des organestatiques, le vetting) sont galement des mesures de rparation.71

    Un vrai programme de rparation demande une rflexion beaucoupplus approfondie, une analyse des possibilits et surtout un engagement de lapart des autorits. Dans ce domaine aussi, une consultation large despopulations concernes simpose, ainsi quun exercice de recherche dquilibreentre des mesures de rparation pour les victimes qui ont particulirementsouffert et des programmes de dveloppement au sens large. La mise en placedun tel programme peut faire partie des responsabilits dune Commissionvrit et rconciliation, mais rien nempche de trouver dautres voies pourprparer la rparation des victimes.72

    4.7. Analyser le rle de ceux qui ont bnfici du conflit

    Beaucoup de conflits ont aujourdhui des dimensions conomiques, quipeuvent tre les causes du conflit ou mme devenir un motif de continuation decelui-ci. Or, la majorit des mcanismes de transition sont axs sur les aspectscriminels et sociaux du conflit. Le fait que le fait de profiterde la guerre nestpas suivi de sanctions vis--vis des Etats, des entreprises ou des individus quien bnficient ne contribuent pas la prvention des conflits.

    Si un nouveau mcanisme de recherche de la vrit est mis en place,une attention particulire devrait tre accorde cet aspect, mais il y a lieudexaminer galement dautres voies judiciaires ou non-judiciaires.

    Lautre face de cette mdaille est la mise en place dune justicedistributive, parfois appele la troisime dimension de la justice, aprs la

    justice lgale (Etat de droit) et la justice restauratrice, qui concerne les crimeset les violations commis pendant le conflit.73 La justice distributive soccupera son tour des problmes qui font souvent partie des causes du conflit : desinjustices socio-conomiques, politiques ou culturelles relles ou ressenties. Ilva de soi que la soumission de lexploitation des ressources naturelles en RDC des codes thiques et des strictes doit en faire partie.

    71 Basic Principles and Guidelines on the right to a remedy and reparation for victims of gross

    violations of international human rights law and serious violations of international humanitarian

    law, adopts par lAssemble Gnrale des Nations Unies le 16 dcembre 2005, RsolutionA/RES/60/147.72 Il est important de noter que le Fond des Victimes de la CPI ne pourra intervenir quau profitdes victimes des crimes qui relvent de la comptence de la Cour. Une autre possibilit derparation des victimes congolaises se trouve dans la condamnation de lOuganda par la CourInternationale de Justice, mentionne ci-dessus, rparer le prjudice entran pour la RDC,ainsi que pour des personnes prsentes sur son territoire et dont le montant doit encore trengoci entre la RDC et lOuganda.73 MANI, R.,Beyond retribution. Seeking justice in the shadows of war, Cambridge, Polity Press,2002, p. 5 e.s.

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    4.8. Tenir compte du caractre rgional du conflit

    Un autre dfi est le fait que des conflits tel que celui du Congodbordent souvent les frontires du pays tandis que la plupart des mcanismesde la justice transitionnelle sont dordre national.

    Mme si une Commission vrit et rconciliation peut analyser lescauses rgionales du conflit et formuler des recommandations, ces dernires neseront opposables quau gouvernement congolais, au mieux. La mise en placedune Commission vrit et rconciliation pour la rgion des Grands Lacs estcertainement intressante, mais va sans aucun doute se heurter aux sensibilitspolitiques.74

    La Cour Pnale Internationale prsente des possibilits intressantes,mais il reste voir si la CPI va poursuivre des non-congolais ayant contribuaux crimes internationaux commis en RDC.

    Il faut donc entamer une rflexion sur la possibilit de mettre en placedes mcanismes rgionaux pour identifier les causes des conflitstransfrontaliers et de mettre les responsables devant leur responsabilit, dont lesconclusions seraient contraignantes pour les participants.

    5. CONCLUSIONS

    La justice transitionnelle nest que lun des maillons dans la longuechane de la construction dune paix durable aprs une priode de conflits et de

    violations graves et massives des droits de lHomme.Cette tude a analys les mcanismes mis en place en RDC et dress

    un tat des lieux des rsultats obtenus ou plutt non obtenus pendant la priodede la transition politique.

    La conclusion est que cette priode ne prsentait pas les conditionsncessaires afin que ces mcanismes puissent atteindre des rsultatssatisfaisants : manque de volont politique, institutions tatiques dfaillantes,manque de textes lgaux ncessaires, absence de conditions scuritaires,manque dappropriation des mcanismes par la population.

    Limpact de ces mcanismes est donc assez rduit aujourdhui, et celamalgr les efforts et les investissements de plusieurs organes et pays de lacommunaut internationale. Lchec de la justice transitionnelle en RDC estessentiellement d au climat de la transition politique qui ntait pas assezfavorable pour que ces mcanismes puissent fonctionner.

    La priode actuelle post-lections devra dmontrer si ce climat changeet si une relle volont politique pour adresser les crimes du pass sedveloppe. Des messages clairs, unanimes et consquents de la part de la

    74 Nous navons pas analys ici le mcanisme des confrences des Grands Lacs, dontloprationnalisation des engagements et protocoles adopts reste valuer. Voir entre autres :GRIP , La confrence internationale sur lAfrique de Grands Lacs. Enjeux et impact sur la paixet le dveloppement en RDC, Les rapports du GRIP, 2/2006.

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    communaut internationale peuvent y contribuer, ainsi que la continuation desefforts de la justice nationale et internationale pour poursuivre les responsables.

    Or, le grand dfi sera de prendre en compte la dimension conomiqueainsi que la dimension rgionale du conflit qui a divis la RDC, ce qui dpasseles possibilits des mcanismes classiques de la justice transitionnelles.

    Terminons cette tude avec les paroles dun magistrat : La fin de la transition politique ne doit pas concider avec la fin de la justicetransitionnelle qui, en ralit, na pas fonctionn jusqu ce jour. Je souhaite

    vivement quil y ait la fin de la transition politique un dmarrage clair et

    efficace de la justice transitionnelle. 75

    Bruxelles, avril 2007

    75 FLORET, M., NYAMUGABO, C., Rencontre Lubumbashi autour de la justicetransitionnelle en RDC, dans :Justice et Transitions II, RCN Justice & Dmocratie, le Bulletinn 16, 2006.