La guerre au miroir de la littérature

18
La Guerre au miroir de la littérature Essai sur Claude Simon Christophe Luzi colonna édition

description

Essai sur Claude simon Nombre de pages : 276 Auteur : Christophe LUZI ISBN : 978-2-915922-28-8 Prix Public : 15€TTC

Transcript of La guerre au miroir de la littérature

La Guerreau miroir de la littérature

Essai sur Claude Simon

Christophe Luzi

colonna édition

La Guerreau miroir de la littérature

Essai sur Claude Simon

Christophe Luzi

colonna édition

ISBN : 978-2-915922-28- 8

Colonna édition, 2009 Jean-Jacques Colonna d’Istria

La maison bleue - Hameau de San Benedetto20 167 Alata – Tel/fax 04 95 25 30 67Mail : [email protected]

© Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction réservés pour tous pays.

À Thomas, à Josephet à Jeanne-Marie Livrelli

PRÉFACE

À l’heure où, dans les mains des enfants du Darfour s’adonnantà une sorte de ludus pro patria, l’altière Kalachnikov a remplacél’innocent sabre de bois et, qu’au mépris d’instantes résolutionsonusiennes, nombre de conflits armés perdurent insolemmenten d’autres coins d’Afrique, d’Asie voire d’Amérique, dissertersur la guerre revient à s’exprimer sans fard sur l’une des plussensibles thématiques de notre société.

Comme en témoigne l’abondante littérature de guerre, auxorientations diverses qui, des anciens Paul Adam (La Guerre quitonne), Philippe Barrès (La Guerre à vingt ans), Paul Cazin(L’Humaniste à la guerre), Roland Dorgelès (Les Croix de bois),André Ducasse (La Guerre racontée par des combattants) auxmodernes Jean-Marie Le Clézio (La Guerre), CatherineMilkovitch-Rioux et Robert Pickering (Écrire la guerre), Luc Rasson(Écrire contre la guerre) et autre Bernard-Henri Levy (Réflexionssur la Guerre, le Mal et la fin de l’Histoire) –, a sans conteste usé etabusé de cette thématique, le sujet peut paraître éculé et in concretodépourvu d’originalité.

Mais évoquer la guerre et la substantifier ont parfois donnélieu chez certains narrateurs à quelques dévoiements au plan de

l’heuristique, aux dépens d’une vérité d’expérience qui seule, atoujours répondu à l’attente du lecteur.

Brillant universitaire, Christophe Luzi ne s’y est pas trompéqui, faute d’avoir été lui-même en contact avec le polemos, maisnéanmoins soucieux de donner de la geste martiale une prégnanteet authentique image, s’est fort habilement doté d’un moyenressemblant à la fois de l’abyme, et de la critique littéraire : passerau crible d’une rigoureuse exégèse trois sur onze – recouvrantplus de trois décennies – des œuvres romanesques de ClaudeSimon, l’iconoclaste écrivain « au tempérament rebelle, libertaireet solitaire », l’homme qui a tutoyé et ressenti la guerre au plusprofond de lui et qui a pu s’écrier sans crainte d’être démenti :

« Faire la guerre, c’est la voir de près ! »

Formule dont l’auteur de la présente étude va, comme il sedevait, souligner la richesse sémantique qui, associée à saconcision ne pourra que frapper notre esprit.

Suivant fidèlement l’itinéraire martial qui, de La Route desFlandresau relent de débâcle fangeuse et meurtrissante, va succes-sivement mener d’abord aux Géorgiques, au titre virgilien puis àl’allégorique et régénérateur Acacia, Christophe Luzi va doncs’appliquer à extraire de ces œuvres en nécessaire intertextualitéet s’éclairant les unes les autres, la « substantifique moelle ».Afin que de la guerre simonienne telle que narrée à travers cesromans, le lecteur puisse avoir une vision « sinon panoptique,

du moins la plus complète et surtout la plus rigoureusementproche du texte original ». Lequel ne cessera de côtoyer l’oxymoreet, témoignant d’un constant polissage lexical, va trouver dans lanature métaphorique de la langue, le moyen de transcrire ce que« les sens perçoivent, chaotiquement, du réel ».

Avec un même soin du point de vue formel, car traquant lemot juste, au risque d’apparaître par trop ésotérique pour lesnon-initiés, Christophe Luzi allie avec talent une éruditionscrupuleuse, une démarche critique et une exceptionnelle densitéde pensée pour reconstituer les points forts du texte simonien.Ainsi après avoir noté combien ce texte oscille entre la guerrevécue et la guerre rapportée et relevé comment, au sens de ClaudeSimon, la guerre, nécessité vitale, se confond avec l’homme, ils’attache à bien décomposer le schème martial en mettant enrelief ses composantes essentielles : la cruauté, la perception etla reprise. Autant de sous-schèmes qui se caractérisent parl’insigne récurrence du sang, des larmes et de la boue, cette bouecorrosive et déshumanisante à propos de laquelle Ernst Wiechert,l’auteur du récit guerrier La Grande permission, a écrit à son tour :« Les semaines passent, les mois montent comme les godets dela noria, emplis de souffrance, d’effroi, de lassitude etredescendent dans le gouffre sans fond de la guerre pour y puiserune nouvelle charge. On n’espère plus vider cette poche de bouesans cesse renouvelée. Il semble que les cellules des morts s’ydissolvent pour reparaître, pourriture de l’au-delà… ». Souillureparadoxalement à l’origine d’une reverdie agraire par lafécondation d’une terre dont Claude Simon, à cet égard en phase

préface

épistémologique avec Lucien Dällenbach, va parfaitement rendrecompte, en même temps que du rapport à la guerre à travers lecouple associatif Homo-humus combien évocateur !

Enfin, avec toujours autant d’acuité intellective etpsychosociale, manifestement sous-tendue par un scientismeagissant, Christophe Luzi retient notre attention en rapportantle fruit de ses investigations autour de l’espace sensoriel simoniencompris dans une Nature indifférente à la guerre ; une Natureayant d’autant moins cure des meurtrissures et autres agressionsde la guerre que celle-ci demeure sans influence sur son cycleimmuable et, qui plus est, comporte les signes latents de sa revivis-cence.

Ainsi, telle qu’elle se présente comme un compte-rendu fidèleet exhaustif du triptyque simonien relatif à la guerre, dans unstyle travaillé, vigoureux, incisif et visant à l’effet, l’étude deChristophe Luzi révèle, outre la vaste culture classique dunarrateur, la profonde et subtile méthode du critique littéraire.Autant de qualités qui devraient, pensons-nous, permettre desceller, selon le mot de Sartre, un « pacte de générosité entrel’auteur et le lecteur ».

U Sulaghju, août 2007Henri ROSSI

Docteur en droit, Magistrat honoraire,Ex Pdt. de la Commisssion des thèses universitaires

de l’Académie des Corses de Nice

« Quant à la guerre, qui est la plus grande etpompeuse des actions humaines, je sçauroisvolontiers si nous nous en voulons servir pourargument de quelque prerogative, ou au rebours, pourtesmoignage de nostre imbecillité et imperfection ».

Montaigne, Essais, II, XII

INTRODUCTION

« La nature de la guerre ne consiste pas dansun combat effectif, mais dans unedisposition avérée, allant dans ce sens ».

Hobbes, Léviathan, chap. XIII

La guerre se confond avec l’homme

« Qu’est-ce que la guerre ? ». Au laconisme de la questionet à l’immémorialité du débat qu’elle pose fait face une réalitéanthropologique irréductible. La guerre se confond avecl’homme. Elle est ce qui l’anime naturellement et tient à sesqualités intrinsèques. Conçu comme « le Père de toutes

choses » 1 par la pensée héraclitéenne, le polemos est inné etinfus. Générateur des êtres, il l’est plus universellement dumonde qui résulte de la querelle perpétuelle des contraires.

« il faut savoir que la guerre est universelle, […] et que, engendrées,

toutes choses le sont par la joute, et par elles nécessitées » 1bis

.

– 1 –

1. & 1bis. Voir la traduction d’Héraclite que propose Marcel CONCHE inHÉRACLITE, Fragments, traductionet commentaire de Marcel Conche, P.U.F., « Épiméthée », 1986, Aphorismes 128 et 129.

Dans la conscience hellénique, le conflit est conçu commeune force « élémentaire » que l’on ne peut refouler car elletranscende la volonté. Son énergie pulsionnelle est telle qu’elleémeut l’homme. Claude Simon, lorsqu’il en définit la nature,situe la guerre au cœur des nécessités humaines. Celle-ci estappréhendée comme un besoin fondamental qui échappe àl’activité inhibitrice de la raison ou du jugement éthique et seplace sous le signe instinctuel :

« La guerre m’intéressait […] parce que je voulais essayer decomprendre cette occupation si importante et pour ainsi dire essentielleen ce sens qu’elle rentre dans les trois ou quatre besoins fondamentauxcomme coucher avec des femmes, manger, parler, procréer, pour lesquels

les hommes sont faits et dont ils ne peuvent se passer » 2.

Son site se trouve dans le fond commun de l’espèce, « cettemer, cette vieille mare, cette antique matrice, ce creuset

originel » 3 pour reprendre la métaphore simonienne du berceauméditerranéen. Une telle approche renonce à considérer sesmanifestations comme un des épiphénomènes du comportement.Selon le mot de Freud, elle « démasque sous l’homme la bêtesauvage ». L’état naturel porte en lui la nécessité de défouler lespulsions de destruction « dont le but final est de ramener ce qui

vit à l’état inorganique » 4. Ainsi la guerre constitue-t-elle unexutoire inéluctable au thanatos, ce que Simon nomme

– 2 –

La guerre au miroir de la littérature : essai sur Claude Simon

2. La Corde raide, Paris, Minuit, 1947, p. 54. Repris en note par Lucien DÄLLENBACH, Claude Simon,« Les contemporains », Seuil, 1988, p. 200.

3. La Route des Flandres, Paris, Minuit, 1960, p. 200.4. Sigmund FREUD, Abrégé de psychanalyse (1938), trad. A. Bernan, Paris, P.U.F., 1975, p. 8-9.

« ce permanent et inépuisable stock ou plutôt réservoir ou plutôtprincipe de toute violence et de toute passion qui semble errer imbéciledésœuvré et sans but à la surface de la terre comme ces vents ces typhonssans autre objet qu’une aveugle et nulle fureur secouant sauvagement et au

hasard ce qu’ils rencontrent sur leur chemin » 5.

Les grandes conflagrations ne sont pas seulement l’occasionde la résurgence d’une bestialité foncière car il faudrait pourcela que l’état d’animalitas ne soit pas permanent. Ellesreproduisent aussi à l’échelle pluri-humaine sur un espace etdans un temps donné ce « combat de chacun contre chacun »

dont parle Hobbes 6, caractéristique du comportement.Guerroyer, c’est exprimer l’instinct individuel de laconservation de soi et de la mort de l’autre,

« [la] conséquence de l’ancestrale terreur de la faim et de la mort quifaisait que voler tuer piller et vendre n’étaient en réalité qu’une seule et

même chose, un simple besoin, celui de se rassurer » 7.

L’« ennemi intérieur », tel que le surnomme Nietzsche,pousse inévitablement aux confrontations belliqueuses. Celadit, il serait abusif de faire de la guerre le moteur desdestinées collectives. La violence des conflits « erre imbécile

désœuvrée et sans but » 8, sans tracer à l’avance et program-matiquement sa voie au devenir historique. Une idée chère

introduction

– 3 –

5. La Route des Flandres, op. cit., p. 265.6. HOBBES, Léviathan, trad. François Tricaud, Sirey, 1971, partie I, chapitre XII.7. La Route des Flandres, op. cit., p. 44.

à Claude Simon, qu’il tire de l’expérience d’une vie, est lanon-signification de la violence, de la souffrance et de la mortdu monde.

« J’en ai vu, [dit-il] de toutes les couleurs dans mon existence et si j’enai tiré une leçon, c’est que le monde […] n’a pas de sens. Ce n’est pas être

stoïque que de faire ce constat, c’est purement du domaine pratique » 9.

Le constat est repris et amplifié dans le Discours de Stockholmoù il se trouve étayé par l’expérience de la Seconde GuerreMondiale. À défaut des certitudes hégéliennes sur l’existenced’une Raison prédéterminée qui fait progresser l’Histoire,Claude Simon insiste sur l’importance du « n’avoir rien à dire »sartrien et fait l’aveu d’une impuissance et d’une ignorance,d’une impossibilité à accorder un sens à « tout cela ». Puisque

« l’être du monde est hasard » 10 et qu’il naît des coups de roueimprimés par Fortune, a fortiori il ne peut être attribué de sensaux conflits humains. Aux membres de l’Académie royalesuédoise, il déclare :

« Je suis maintenant un vieil homme, et comme beaucoup d’habitantsde notre vieille Europe, la première partie de ma vie a été assezmouvementée : j’ai été témoin d’une révolution, j’ai fait la guerre dans desconditions particulièrement meurtrières […], j’ai été fait prisonnier, j’aiconnu la faim, le travail physique jusqu’à l’épuisement, je me suis évadé,

– 4 –

La guerre au miroir de la littérature : essai sur Claude Simon

8. Ibid., p. 265.9. Entretien avec Alain POIRSON, « Un homme traversé par le travail », La Nouvelle critique,

n° 105, juin-juillet 1977, p. 44.10. Jacques ISOLERY, La Cruauté dans l’œuvre de Claude Simon, Thèse de Doctorat (N.R.), Université

des Sciences Humaines de Strasbourg, novembre 1995, Introduction, p. 8.

j’ai été gravement malade, plusieurs fois au bord de la mort, violente ounaturelle, […] et cependant je n’ai jamais encore à soixante-douze ans,découvert de sens à tout cela, si ce n’est comme l’a dit, je crois, Barthesaprès Shakespeare, que « si le monde signifie quelque chose, c’est qu’il ne

signifie rien » sauf qu’il est » 11.

La guerre ne réalise pas « l’exploit titanesque d’accoucher

un monde » 12 qui est attribué au régicide général d’Empiredes Géorgiques. L’allusion simonienne à la conception marxistede la violence guerrière et révolutionnaire comme grande accou-cheuse de l’histoire permet un rattachement intertextuel. « Laviolence, affirme Marx, est l’accoucheuse de toute vieille sociétéqui en porte une nouvelle dans ses flancs ». La nuance est chezSimon que le monde fait, pour continuer la métaphore, unefausse couche. Il n’est ni vieille ni nouvelle société car « lemonde ne signifie rien sauf qu’il est ». Les conflits existent,mais ils ne servent pas pour autant de fanal au destin, non pluscollectif qu’individuel. Tout au plus correspondent-ils à unenécessité héraclitéenne, indissociables de l’Homme etpermanents dans l’Histoire. L’agressivité originelle latente,« la barbarie des commencements » et ses potentialitésdestructrices ne font aucune concession à l’amélioration et auxavancées de la conscience morale. Ici s’opère un point detangence avec la théorie bergsonienne du décalage inéluctableentre le progrès et l’éthique. Mais alors, une fois remis en causece postulat du climax, qu’en est-il de la perfectibilité humaine ?

introduction

– 5 –

11. Discours de Stockholm, Minuit, 1986, p. 24.e, le roman. Réflexions sur la production romanesque.

– 6 –

La guerre au miroir de la littérature : essai sur Claude Simon

Pour commander cet ouvrage :

www.editeur-corse.com