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La gouvernance d’entreprise : mise en œuvre et nouveaux enjeux Juin 2019 Actes PLATEFORME RSE Responsabilité sociétale des entreprises Actes de la journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

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La gouvernance d’entreprise :mise en œuvreet nouveaux enjeux

Juin 2019 Actes

PLATEFORME RSEResponsabilité sociétale des entreprises

Actes de la journée d’étudedu vendredi 16 novembre 2018

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La gouvernance d’entreprise

Mise en œuvre et nouveaux enjeux

Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

Juin 2019

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Coordination

Kathia Martin-Chenut et Victoria Vanneau,

GIP-Mission de recherche Droit et Justice

Secrétariat permanent

de la Plateforme RSE

[email protected]

Crédits photos : France Stratégie, Thierry Marro.

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SOMMAIRE

SOMMAIRE ............................................................................................................................................. 3

PRÉSENTATION ..................................................................................................................................... 5

OUVERTURE .......................................................................................................................................... 7

(IN)EFFECTIVITÉ DES PRATIQUES DE GOUVERNANCE D’ENTREPRISE ? ................................. 13

Cadre juridique et efficacité ............................................................................................................... 13

Approche comparée et pluridisciplinaire ........................................................................................... 42

LA GOUVERNANCE D’ENTREPRISE DE DEMAIN : POSITIONS ET PROPOSITIONS ................... 61

Limites et renouvellement des finalités ............................................................................................. 61

Renouvellement des bonnes pratiques ............................................................................................. 86

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FRANCE STRATÉGIE - 5 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

PRÉSENTATION

Les crises financières de la fin du XXe et du début du XXI

e siècle ont eu pour effet de

faire prendre conscience de la nécessité de porter une réflexion sur les systèmes de

contrôle des entreprises. Combinant des dispositions législatives et des mesures non

contraignantes (soft law), codes de gouvernance et chartes d’éthique s’imposent

progressivement aux sociétés de manière à juguler toutes pratiques à risque. Mais en

marge le plus souvent des lois et des juridictions ordinaires, ces codes se distinguent

clairement par leur caractère non obligatoire et leur application volontaire. Le principe

anglo-saxon du comply or explain qui crée la possibilité d’aménager certaines règles

établies par ces codes, conduit à s’interroger sur la manière dont ces derniers

assujettissent les entreprises. Entre autorégulation et réglementation, la question se

pose alors de savoir jusqu’où les pouvoirs publics peuvent s’immiscer dans la

réglementation des sociétés.

À la demande de la Direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice,

le GIP-Mission de recherche Droit et Justice a lancé en 2014 un appel à projets sur la

mise en œuvre de ces codes de gouvernance. Quatre équipes de recherche ont été

retenues et ont rendu leurs rapports en 2017-2018 : Emmanuelle MAZUYER (dir.), Quel

cadre juridique pour une mise en œuvre effective des codes de gouvernance

d’entreprise ? ; Jean-Christophe DUHAMEL et Reda SEFSAF (dir.), Valeur de la

gouvernance d’entreprise et gouvernance des valeurs de l’entreprise. Recherche sur les

effets des codes de gouvernance et les stratégies de communication en matière de

gouvernance ; Sophie HARNAY, Tatiana SACHS, Katrin DECKERT (dir.), L’efficacité

des codes de gouvernance. Perspectives comparées et pluridisciplinaires ; Frédérique

COULÉE et Julia MOTTE-BAUMVOL (dir.), L’effectivité des codes de gouvernance

d’entreprise, de l’intérêt du droit international pour apprécier l’opportunité d’une réforme

législative en France.

Cette journée d’étude, organisée en partenariat avec la Plateforme RSE dans les locaux

de France Stratégie, est l’occasion de restituer ces travaux et de faire dialoguer

chercheurs et acteurs du monde de l’entreprise et de la société civile. Mais surtout, dans

le contexte du Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises

(PACTE), cette journée a pour objectif de faire le point sur les nouveaux enjeux de la

gouvernance d’entreprise et d’interroger, comme invite à le faire les rapports de

recherche, « le juste équilibre entre soft law et hard law ».

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OUVERTURE

Kathia Martin-Chenut GIP-Mission de recherche Droit et Justice

Je tiens tout d'abord à remercier France Stratégie et la Direction de l’information légale

et administrative (DILA) de nous accueillir ici aujourd'hui pour la réalisation de ce

colloque de restitution des résultats de quatre recherches soutenues par la Mission de

recherche Droit et Justice. Cette mission est un groupement d'intérêt public créé à

l'initiative conjointe du ministère de la Justice et du CNRS en 1994. Elle œuvre au

développement d’une activité de recherche dans le domaine du droit et de la justice, et

contribue à la diffusion des résultats obtenus par des équipes auprès des professionnels,

notamment les professionnels de la justice. La Mission est indépendante du ministère de

la Justice et se distingue d'autres instances de financement de la recherche nationales

ou internationales du fait d'assurer un rôle d'interface entre chercheurs et praticiens. La

Mission soutient depuis sa création en 1994 des équipes de chercheurs qui développent

des recherches collectives et interdisciplinaires, ou avec des approches comparatives,

voire internationales, sur le droit et la justice. Le soutien de la Mission est scientifique,

financier, administratif pour le développement des projets de recherche. Nous suivons

une soixantaine de recherches dont les projets sont retenus selon deux voies distinctes :

- celle des candidatures spontanées de la part des chercheurs, candidatures

analysées par notre conseil scientifique qui est composé de vingt membres

réunissant des universitaires, des chercheurs CNRS et des praticiens. Le conseil

se réunit deux fois par an ;

- l’autre voie pour choisir les projets est celle des appels à projets dans le cadre de

la mise en œuvre de la programmation scientifique annuelle de la Mission. C'est

dans ce cadre que les recherches présentées aujourd'hui ont été sélectionnées et

soutenues par la Mission de recherche Droit et Justice.

La Mission lance en effet chaque année une campagne d'appel à projets portant sur des

thèmes retenus dans le cadre de sa programmation scientifique qui est élaborée

notamment en faisant remonter des thématiques importantes pour les différentes

directions du ministère de la Justice. Dans le cadre de l'exécution de sa programmation

scientifique de 2014, la Mission a lancé des appels à projets, dont l’un portait sur la mise

en œuvre des codes de gouvernance. Cette thématique est remontée à la Mission grâce

à la demande de la Direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice,

la DACS. Mme Alice NAVARRO, magistrate, actuellement conseillère juridique de la

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FRANCE STRATÉGIE - 8 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Direction générale du Trésor et qui présidera la première table ronde de ce matin,

représentait la DACS dans ce processus lancé en 2014 et pourra nous en dire plus du

contexte de cet appel à projets et de l'intérêt que le Ministère avait au départ pour cette

thématique.

En 2014, nous avons reçu dix dossiers de candidature. Et à l'issue d'un processus

d'évaluation par un comité indépendant, quatre projets de recherche ont été sélectionnés

et accompagnés par la Mission. Leurs rapports ont été rendus entre l'année dernière et

le premier semestre de cette année :

la première recherche a été dirigée par Emmanuelle MAZUYER à l'université de

Lyon 2. Elle s'est penchée sur le sujet suivant : « Quel cadre juridique pour une

mise en œuvre effective des codes de gouvernance d'entreprise ? ». L'équipe

était composée de juristes des différentes branches du droit interne et

international ;

la deuxième recherche, dirigée conjointement par Jean-Christophe DUHAMEL et

Réda SEFSAF, à l'université de Lille, s’est concentrée sur les effets des codes de

gouvernance et les stratégies de communication en matière de gouvernance avec

un titre évocateur : « Valeur de la gouvernance d'entreprise et gouvernance des

valeurs de l'entreprise ». L'équipe réunit des chercheurs en droit et en sciences

de gestion ;

la troisième équipe de recherche, dirigée par Sophie HARNAY, Tatiana SACHS

et Katrin DECKERT, a analysé l'efficacité des codes de gouvernance sous l'angle

du droit comparé et dans une perspective interdisciplinaire droit et économie.

Cette recherche a été développée à l'université de Nanterre ;

la quatrième recherche, dirigée par Frédérique COULÉE, université Paris-Sud, et

Julia MOTTE-BAUMVOL, université Paris 5, s'est penchée sur l'intérêt du droit

international pour apprécier l'opportunité d'une réforme législative en France.

Les rapports finaux des recherches ainsi que leurs synthèses sont disponibles en ligne

sur le site de la Mission de recherche Droit et Justice. D'ailleurs, des exemplaires des

synthèses de ces rapports de recherche composent aujourd'hui le dossier que vous avez

reçu. Les quatre équipes de recherche sont représentées ici aujourd'hui pour une

restitution des résultats de leurs recherches. Il y a un grand intérêt à faire dialoguer des

équipes ayant travaillé sur un même sujet pour pouvoir mettre en évidence les différents

points de vue autour d'un même objet de recherche. La matinée sera consacrée à une

restitution classique des résultats des recherches : communication des chercheurs, puis

échange avec la salle. L’après-midi sera, en revanche, davantage tournée vers les

professionnels. Comme je l’ai déjà évoqué, la Mission de recherche Droit et Justice joue

un rôle d'interface entre le monde de la recherche et les acteurs de terrain, convaincue

de la richesse de tels échanges et des apports réciproques. Pour les praticiens, les

chercheurs peuvent apporter des données provenant d'une analyse scientifique

rigoureuse. Pour les chercheurs, les acteurs de terrain peuvent apporter un regard

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 9 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

critique et constructif, je l'espère, mais aussi des perspectives de perfectionnement de

leurs travaux ainsi que des nouvelles pistes de recherche. Je remercie la Plateforme

RSE de rendre possibles ces échanges, et en particulier Gilles BON-MAURY, secrétaire

permanent de la Plateforme RSE, de sa confiance. C'est toujours un plaisir de collaborer

avec la Plateforme RSE et son équipe.

La première partie de la journée sera consacrée à l’(in)effectivité des pratiques de

gouvernance d'entreprise, d'abord avec une analyse du cadre juridique et de l'efficacité

de ces codes, et ensuite une approche comparée et pluridisciplinaire. L'après-midi sera

plutôt consacrée à des propositions de réformes et des échanges avec des

professionnels. L'après-midi sera consacrée au thème suivant : « La gouvernance

d'entreprise de demain, positions et propositions », avec une première table ronde sur

les limites et le renouvellement des finalités et une seconde table ronde sur le

renouvellement des bonnes pratiques.

Je tiens enfin à remercier toute l'équipe du GIP Mission de recherche Droit et Justice

ayant œuvré à la mise en œuvre de cet événement, notamment Victoria VANNEAU, la

cheville ouvrière de l'organisation de cet événement, mais aussi l'équipe de

communication de France Stratégie et Flavio LEONI qui a mené d'une manière

incroyable, très professionnelle et efficace l'organisation de cette manifestation. Je passe

la parole à Michel LAVIALE, qui représente notre partenaire dans l’organisation de cette

rencontre : la Plateforme RSE.

Michel Laviale Plateforme RSE, vice-président

Merci de votre invitation. Merci de nous avoir associés à votre journée qui va être

passionnante. Hélas, je serai obligé de vous quitter assez rapidement car je vais

préparer le bureau de la Plateforme de lundi. Je m’absenterai pour une bonne raison.

Quelques mots sur la Plateforme nationale RSE dont je suis vice-président au nom du

Medef que je représente au sein de celle-ci. La gouvernance de la Plateforme,

indépendamment de Gilles BON-MAURY, qui va animer une table ronde cette après-

midi, est composée d'un président qui est Sylvain BOUCHERAND, qui représente le pôle

société civile, et de trois vice-présidents : Odile UZAN, enseignant-chercheur, la CFDT,

Frédérique LELLOUCHE, et moi-même au titre du monde économique. Un petit mot

rapide : vous pouvez aller sur le site de France Stratégie pour ceux qui auraient envie de

consulter les avis que nous avons rendus. Il y en a à peu près une vingtaine, je ne vais

pas vous les détailler, sinon la journée n'y suffirait pas. Juste un mot sur sa création,

cette instance a été créée en 2013 à l'initiative des parties prenantes. Il y avait

notamment un groupe de travail composé de CCFD-Terre Solidaire et du Medef. Nous

sommes partis du constat qu’il n'existait pas d'instance réunissant l'ensemble des parties

prenantes sur les questions de RSE. Nous nous sommes réunis à plusieurs reprises.

Nous avons écrit au Premier ministre de l'époque, Jean-Marc AYRAULT. Cela ne s'est

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pas fait tout seul. Finalement Jean-Marc AYRAULT s’est décidé et a créé la Plateforme

nationale RSE, placée d'emblée au sein de France Stratégie car nous avions souhaité

que, compte tenu du côté transversal de la RSE, elle soit positionnée auprès du Premier

ministre. Nous ne souhaitions pas d'autres rattachements ministériels pour bien traduire

cette transversalité.

C'est une instance multi-parties prenantes qui regroupe une cinquantaine d'organisations

réparties en cinq collèges : un collège pôle des entreprises et du monde économique

dont j'ai en charge l'animation, le pôle des organisations syndicales de salariés, le pôle

des organisations de la société civile, le pôle des chercheurs et développeurs de la RSE

(Kathia MARTIN-CHENUT est un membre très actif de ce pôle et je pense que l'on se

félicite de la coopération qui peut exister entre les opérationnels d'entreprise notamment

et le monde des chercheurs, cette journée en est une illustration), et le pôle des

institutions publiques qui participe très directement. Instance multi-parties prenantes,

instance d'échange, de concertation, de valorisation des bonnes pratiques dont

l'essentiel des travaux se matérialise par des avis. Vous avez la liste des organisations

qui font partie de la Plateforme. Nous avons rendu depuis 2013 une vingtaine d’avis sur

des sujets extrêmement divers. Nous avons traité des sujets de compétitivité des TPE

PME, des marchés publics, de la responsabilité des entreprises sur leur chaîne de

valeurs, avant l'adoption de la loi sur le devoir de vigilance qui nous a amenés à discuter,

parfois de manière un peu vive. Mais c'est la vocation de la Plateforme de se dire les

choses, de les acter, consensus ou dissensus, peu importe. L'idée est de dialoguer et

d'avancer. Nous avons pas mal travaillé sur les sujets de transparence de gouvernance,

l’un des trois piliers de la RSE avec l'environnement et le social. Et sur le reporting, nous

avons beaucoup discuté sur le projet de directive extra-financière adoptée par la

Commission européenne, et sur sa transposition en droit français. Nous avons rendu un

avis sur la norme ISO 26 000. Nous avons travaillé sur le projet PACTE pour donner

notre position sur un certain nombre de sujets, notamment sur un sujet de gouvernance

qui était la place des administrateurs salariés au sein des conseils d'administration. Nous

avons travaillé aussi sur la responsabilité territoriale des entreprises : RSE et territoire,

comment tout cela fonctionnait. Nous avons travaillé sur les ODD pour répondre à une

saisine. Soit nous nous saisissons nous-mêmes d'un certain nombre de sujets, soit nous

sommes l'objet de saisines ministérielles. En ce moment, nous travaillons sur les

addictions et nous allons rendre notre rapport avant la fin du mois. S’agissant des ODD,

c'était une commande ministérielle. De nouveaux sujets viennent d'arriver. Nous avons

travaillé sur le pilier social, c'était aussi une commande sur le handicap, et sur le pilier

environnemental de la RSE. Nous avons rendu un avis sur la feuille de route d'économie

circulaire. Nous avons beaucoup travaillé sur RSE environnement et notamment la

gouvernance environnementale.

L'idée est que chaque avis donne lieu à un groupe de travail en principe, avec un

animateur et deux co-rapporteurs appartenant chacun à des pôles différents. Nous

discutons, nous écrivons beaucoup et nous rendons ensuite un avis qui va acter les

consensus et qui va aussi acter les dissensus. Je ne dirais pas que les dissensus sont

plus intéressants que les consensus, mais cela permet à nos lecteurs et à nos autorités

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publiques de voir les points durs et les points d'achoppement. Honnêtement, nous

sommes plus souvent d'accord que pas d'accord, mais il y a des sujets où la

confrontation positive peut s'opérer. Évidemment, la gouvernance est l’un des piliers de

la RSE. Nous avons pas mal travaillé en transversal sur la gouvernance, et déjà dans

notre texte de référence adopté en 2015, nous faisons expressément référence à la

gouvernance. Nous avons eu un groupe de travail sur la transparence et la gouvernance

des entreprises. Nous avons travaillé en 2016 sur la contribution de la Plateforme au

plan national d'actions prioritaires pour le développement de la RSE, qui était une

commande adressée au gouvernement par l'Union européenne pour alimenter la

réflexion au niveau européen. Là aussi, nous rappelions l'importance du projet

d'entreprise qui est une forme de gouvernance. Nous avons travaillé sur la gouvernance

environnementale et nous nous sommes penchés aussi dans nos réflexions sur la

gouvernance au travers de la loi PACTE.

Voilà ce que je pouvais vous dire ce matin sur la Plateforme. Vous pourrez interroger

Kathia MARTIN-CHENUT et Gilles BON-MAURY pour satisfaire votre curiosité et surtout

aller sur le site de la Plateforme. Vous en saurez plus que ce que je viens de vous dire

rapidement. Je vous souhaite un bon travail et des conclusions positives. Il existe un

code de gouvernance Afep-Medef qui est d'ailleurs assez ancien et qui est réactualisé

régulièrement. Nous introduisons chaque année un petit peu plus de RSE à l'intérieur du

code de gouvernance. Nous l’avons fait cette année.

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(IN)EFFECTIVITÉ DES PRATIQUES DE GOUVERNANCE D’ENTREPRISE ?

Cadre juridique et efficacité

Alice NAVARRO

Magistrate, conseillère juridique de la Direction générale du Trésor

Bonjour à tous. Je tenais à remercier particulièrement la Mission de recherche Droit et

Justice de m'avoir invitée aujourd'hui. C'est une chance particulière pour le ministère de

la Justice, dont je ne fais plus partie, mais dont je dirigeais à l'époque de l'appel à projets

le bureau du droit des sociétés du ministère de la Justice. Nous nous trouvions en 2014

à une époque où le contexte, européen, posait la question de la gouvernance

d'entreprise, et particulièrement pour le législateur de l'option entre le droit dur et le droit

souple. Nous avions à cette époque notamment des discussions sur la parité, sur

l'engagement à long terme des actionnaires mais également sur la réforme de l'audit à la

suite des scandales financiers. 2013 avait vu la création du Haut Comité du

gouvernement d’entreprise (HCGE) qui était en fait la première institution à assurer un

suivi des dispositions du code Afep-Medef. Il nous semblait que nous étions arrivés à

une certaine maturité pour nous poser la question de l'effectivité de ces codes de

gouvernance. Cet appel à projets était aussi l'occasion d'avoir une vision assez générale

et de disposer d'informations sur les modalités de réalisation de ces codes de

gouvernance, et pas seulement des codes Afep-Medef et Middlenext, d'avoir une vision

de droit comparé, de droit européen, de droit international. Ce qui était particulièrement

intéressant dans cet appel à projets et a justifié aussi le choix des projets que nous

avons finalement retenus, c’était leur aspect pluridisciplinaire : avoir une vision de ce que

les sciences de gestion et le droit pouvaient apporter dans l'appréciation de cette

effectivité, au plan national mais aussi international, afin de dégager une réflexion sur ce

que la gouvernance et les concepts de gouvernance existant dans d'autres institutions

peuvent apporter et, à cette aune, être en mesure de mieux apprécier le fonctionnement

de nos propres codes. C’est dans cet esprit qu'ont été retenus les différents projets de

recherche.

Je vous remercie de me donner l'occasion de terminer ce processus, initié lors de la

sélection des projets et qui s’achève par cette journée de restitution, avec des travaux

extrêmement importants qui ont été réalisés. Je pense qu'une journée de restitution ne

sera jamais suffisante pour en apprécier le contenu. Je vais donner la parole à Sylvie

DUMANOIR, qui a travaillé sur le sujet suivant : « Quel cadre juridique pour une mise en

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œuvre effective des codes de gouvernance d'entreprise ? » Vous êtes doctorante en

droit au Centre de droit international de Nanterre et vous avez travaillé à cette mission

dirigée par Emmanuelle MAZUYER. Votre démarche est particulièrement intéressante

car elle s'appuie notamment sur un panel de plusieurs entreprises, vous nous

expliquerez ces éléments de méthodologie. Vous vous êtes attachée à répondre à

beaucoup de sujets, je vous laisse les présenter.

Sylvie DUMANOIR

Merci de votre invitation. Emmanuelle MAZUYER, qui a dirigé notre recherche, regrette

de ne pas être là, elle vous demande à nouveau de l’excuser. Je faisais donc partie de

l'équipe « Quel cadre juridique pour une mise en œuvre effective des codes de

gouvernance d'entreprise ? ». Étant donné l'intitulé de notre recherche, je voudrais

préciser aux intervenants suivants que je ne vais pas empiéter sur les questions de

valeur juridique des normes de gouvernance ni même vraiment d'effectivité, en discutant

la définition, ni même sur la place de la RSE. Mais nous avons abordé tous ces sujets et

je vais essayer de vous présenter notre recherche de manière fidèle.

Avant les résultats de la recherche, je vais vous présenter la méthodologie. Et enfin, je

vais essayer de vous donner un aperçu de quelques réflexions conclusives que nous

avons pu avoir, suite à ce travail de recherche de deux ans effectué par des chercheurs

de différents horizons.

La première année du projet avait pour objectif de dresser un état des lieux des

pratiques des entreprises, qu’elles soient soumises à l'obligation de se référer à un tel

code ou qu’elles s’y soient engagées volontairement. Pour ce faire, nous avons analysé

101 documents de référence de 2013 et 2014. Je précise que notre recherche a eu lieu

en 2015 et 2016 et que nous avions les documents de référence des années

précédentes. Ce sont des rapports annuels, des centaines de pages réalisées par le

service communication à l'aide des services compétents. Il s'agit d'une obligation issue

du code de commerce, notamment son article L. 225. Ces 101 documents de référence

venaient de 50 grandes entreprises cotées, celles du CAC 40 bien connues comme BNP

ou AXA mais aussi 7 entreprises non cotées comme la Poste ou la SNCF. De manière

générale et en dehors du cadre de l'étude, le code qui est le plus une référence pour les

entreprises est le code Afep-Medef, celui auquel les entreprises font le plus référence.

Suit le code Middlenext. Les entreprises qui ne se réfèrent à aucun de ces deux codes

sont assez rares. Il va s'agir d'entreprises qui vont se référer à un code étranger car leur

siège social est à l’étranger par exemple.

Le but de cette analyse était d’évaluer ces pratiques en se référant à ces codes. Dans la

mesure où le code de commerce n'impose pas de se référer à un code mais invite les

sociétés à le faire, il n'y a pas de contradiction. La seule chose que va imposer le code

de commerce est de se justifier si elles ont choisi de se conformer à un code et qu'elles

s'écartent de certaines dispositions. C'est la seule obligation que va imposer le

législateur. C'est le fameux principe comply or explain sur lequel nous reviendrons et qui

pose aussi des questions par rapport à l'effectivité et la définition que l'on va donner à ce

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concept. Je voudrais profiter d'avoir fait cette parenthèse pour attirer votre attention sur

le fait que l’hétérogénéité des sources des obligations et des recommandations

auxquelles doivent se conformer les entreprises est aussi un sujet par rapport à

l'effectivité des bonnes pratiques et des principes de gouvernance puisque, parfois,

savoir si l'entreprise a telle pratique en lien avec la loi ou un code de gouvernance peut

être assez compliqué à déterminer. Parfois, les codes de bonne gouvernance vont

simplement compléter la loi, et parfois, vont au-delà. Je voulais aussi vous préciser qu'il

y a eu une nouvelle version du code Afep-Medef en 2018 dont notre recherche ne tient

pas compte. Il y a plus de dispositions liées à la RSE qui ont été incluses et il y a aussi

quelques changements, notamment par rapport à la rémunération des dirigeants et aux

attributions du Haut Comité de gouvernement d’entreprise, qui a plus de prérogatives,

comme la faculté d'utiliser le name and shame, concept assez fort en matière de

gouvernance.

La loi PACTE va arriver. Elle va avoir évidement des implications sur le sujet. Les

entreprises ont marqué leur préférence pour le droit souple et le sujet de la RSE plutôt

que d'aller très loin dans les obligations législatives.

À présent, je vais vous parler plus concrètement de notre travail de recherche. Il

s'agissait d'un travail de fourmi qui nous permet d'avoir des bases solides. Quand nous

avons fait un premier atelier de restitution à un niveau intermédiaire de notre recherche,

nous avons communiqué nos premiers résultats devant un panel de professionnels, dont

des membres des comités AMF ou du Haut Comité de gouvernement d’entreprise. Les

débats n'ont pas été simples car le fait que nous soyons universitaires posait des

questions quant à notre légitimité à creuser tous ces sujets. Toutefois, cela nous a paru

de bonne guerre dans la mesure où nous indiquions dans notre recherche que les codes

de gouvernance étaient faits par les destinataires qui contrôlaient donc eux-mêmes leur

mise en œuvre.

Notre première interrogation a porté sur l’intelligibilité des informations que l'on trouvait

dans les documents de référence. À quel point sont-elles compréhensibles, lisibles et

faites pour être compréhensibles et lisibles ? Ce n'était pas évident à la lecture, nous

nous sommes donc posé ces questions. Plusieurs fois, le caractère peu intelligible des

informations que nous avons trouvées nous a amenés à écarter ces questions et ces

réponses de notre analyse.

Nous avons pris les recommandations des codes et transformé celles-ci en questions.

Ensuite, nous cherchions les réponses dans ces documents de référence. La réponse

pouvait être oui, non, oui et justifié, non et justifié, oui et injustifié, non et injustifié ou

sans réponse.

Premier sujet : la réponse oui ou non n’implique pas qu'un oui est une bonne application

et qu'un non est une mauvaise application. À la question de savoir si les dirigeants

bénéficient d'une indemnité de départ, le fait que la réponse soit oui, au contraire,

indique une mauvaise application des codes de gouvernance, et la réponse non implique

qu'il s'agit d'une bonne application des codes de gouvernance. C'est à nuancer à chaque

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fois dans nos statistiques. Ensuite, le fait que la réponse soit justifiée est une manière de

se conformer au code car il est question de comply or explain. Toutefois, certes, le fait

de se justifier veut dire que le code est bien appliqué puisque l'on se justifie, mais on

peut s'interroger sur le caractère exigeant et réel de cette effectivité car justifier que l'on

n'applique pas revient à ne pas appliquer la règle.

Une fois que l'on a enlevé ce premier obstacle, il faut se demander à partir de quel seuil

on a considéré qu'une disposition était plus ou moins bien appliquée. Il y a deux

pourcentages à prendre en compte ici. Tout d’abord, le taux de réponse. Si l’on avait

80 % de taux de réponse à cette question, on pouvait commencer à considérer qu'il y

avait une bonne application et ce taux devait se croiser avec, selon les questions, par

exemple 70 % de bonne application. Si l’on avait à la fois un grand nombre de réponses

et un nombre important de bonne application, on considérait que la disposition en cause

était bien appliquée. Cela n'a pas pu être appliqué de manière machinale à chaque fois ;

c’est pour vous donner un exemple de la façon dont nous avons procédé à l’analyse et

utilisé nos chiffres ensuite.

Nous avons aussi étudié le code Middlenext, pour des entreprises diverses comme

Laurent Perrier ou Tipiac. Il y a une nouvelle version de septembre 2016 dont nous

avons en partie tenu compte. La particularité de ce code par rapport à notre étude est

qu'il se compose de deux catégories de propositions : les points de vigilance et les

recommandations. Les points de vigilance sont les questions principales que les

entreprises devraient se poser pour assurer une bonne gouvernance. Du fait de la

diversité des entreprises qui font référence au code Middlenext, il me paraissait difficile

de faire autrement que d'avoir des points de vigilance et inviter les entreprises à se

poser ces questions. Ensuite, il y a des recommandations. Ce sont des règles

auxquelles les entreprises qui adoptent le code comme référence dans le cadre de leurs

obligations légales doivent souscrire. Les entreprises en question sont en majeure partie

du secteur industriel.

Nous avons donc procédé à cette analyse en épluchant les éléments de référence, en

répondant aux différentes questions et en analysant les différentes statistiques. Les

premiers résultats à un niveau intermédiaire nous permettaient de dégager une première

analyse : les points de conformité et de divergence mis en valeur permettaient de mettre

en évidence des thématiques que les entreprises s'étaient plus ou moins mieux

appropriées que d'autres, et dans la mesure où il existait un relatif consensus, on pouvait

tout d'abord se questionner sur l'intérêt de la soft law : créer l’adhésion, faire évoluer les

conceptions pour ensuite amener un droit plus dur à une initiative législative

éventuellement. Mais encore une fois, je ne vais pas discuter de ce concept ici. Nous

avons aussi questionné plus précisément l'implication du comply or explain sur

l’effectivité qui est très importante dans le code Afep-Medef et dans la pratique des

entreprises. Nous avons aussi confronté nos résultats aux cadres juridiques de

gouvernance des autres pays européens sur lesquels nous pouvions travailler (Belgique,

Allemagne, Espagne et Royaume-Uni) afin d'avoir une perspective comparative dont il

sera question plus tard dans la journée et sur laquelle je ne vais pas m’attarder. Et dans

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FRANCE STRATÉGIE - 17 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

le cadre d'une démarche prospective, nous envisagions le cadre européen et les

institutions européennes, les questions que les institutions européennes avaient déjà

envisagées.

J'étais dans le groupe rémunération. Ce n'est pas très surprenant au final, mais le point

le plus problématique ici était sur la transparence et le manque d'informations par rapport

à la non-conformité sur le thème rémunération. De manière générale, en matière de

rémunération, les recommandations les mieux appliquées du code Afep-Medef étaient

liées à la rémunération des administrateurs. Ensuite, il y avait aussi une relative bonne

application sur la question de la prise en compte de la performance des dirigeants dans

la détermination des différents éléments de rémunération. Autre élément au sujet de

l'encadrement direct ou indirect de certains éléments de rémunération. Nous avons pu

dégager ces éléments généraux, mais, si l’on creuse à l'intérieur même de ces éléments

généraux, on va trouver des dispositions particulièrement mal appliquées. Si un thème

est considéré relativement conforme, tout à l'intérieur de ce thème n’est pas

nécessairement conforme aussi. C'est plutôt une moyenne.

Par exemple, quant à la rémunération variable annuelle, la majorité des dirigeants en

bénéficient, il y a donc une forme de cumul. Ce qui va poser problème, ce sont plutôt les

modalités d'attribution de ces différentes parties de rémunération. Ce n'est pas

forcément surprenant dans la mesure où le code Afep-Medef va lister des critères de

référence plutôt abstraits. Par exemple, la recommandation 23.2.2 évoque l'intérêt

général de l'entreprise, les pratiques générales du marché, les performances des

dirigeants comme étant des critères de fixation de rémunération. Les critères en soi sont

donc assez flous. Il est donc facile pour les entreprises de dire « oui, nous avons bien

appliqué les critères de fixation de rémunération » car les critères ne posent pas

spécialement de problème dans la manière dont ils sont formulés.

Un exemple : au titre des critères qualitatifs, le montant de la part variable retenue s'est

élevé à 30 % de la rémunération annuelle fixe de M. X. Le conseil d'administration a jugé

très satisfaisante la performance de ce monsieur. Cette performance a été jugée

particulièrement délicate au regard de la qualité globale de la Direction générale du

groupe assurée dans un environnement économique sensible. C'est par exemple la

manière dont on peut justifier le fait que les critères ont été bien appliqués. Je ne veux

pas aller dans la caricature mais illustrer le type de justification que l'on peut trouver. Ces

critères ne sont pas complexes, mais leur manque de précision peut nous conduire à

questionner les résultats de notre propre recherche puisque nous allons indiquer une

bonne application en nous basant sur ce type de critères.

Un exemple sur le code Middlenext. Les recommandations les mieux appliquées : il va

s’agir par exemple de celles liées à la délivrance de jetons de présence aux

administrateurs, avec des taux de bonne application de l'ordre de 90 %. Ce qui sera sur

le fond le moins appliqué a plus trait au régime de retraite.

Ne pas négliger les sociétés non cotées qui ont été prises en compte dans notre travail.

On ne peut pas dire qu'elles sont plus ou moins vertueuses, mais l'emploi du principe

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comply or explain a été le plus édifiant par rapport à la pratique de ces entreprises. La

manière de justifier est ce qui est le plus parlant.

De manière générale, sur l'effectivité de ces codes de référence, on peut dire qu'ils ont

une portée normative importante car la plupart des entreprises y font référence. Il n'y a

pas vraiment d'entreprise qui va totalement occulter ces codes. On peut dire qu'ils ont

une bonne diffusion et une portée normative satisfaisante. Là où il y a le plus d'écart

entre ce qui est annoncé dans les codes et la pratique, c'est par exemple au sujet de

l'indépendance des administrateurs, la thématique des rémunérations sur certains points

précis et aussi au sujet des dispositions relatives au comité d'audit et sur la fonction des

administrateurs. En revanche, les dispositions les moins sujettes à être mises à l'écart

sont relatives aux actionnaires minoritaires, aux formations des administrateurs et à la

mise en œuvre du principe comply or explain. Nous nous sommes souvent heurtés à

une conformité purement formelle mais cela ne remet pas en cause le fait de respecter

ou non le code. Nous avons aussi pu relever une forme d'inadéquation entre les

recommandations et les structures de certaines sociétés de plus petite taille. Elles ne

peuvent pas s'y conformer. En matière d'enseignements sur l'effectivité de ces codes,

c’est ce que je vous disais sur le côté très spécial et français : les auteurs, les

destinataires et les personnes qui contrôlent sont les mêmes. On peut aussi se

demander à quel point les entreprises réagissent et appliquent ces codes dans la

mesure où elles ont peur d'une initiative législative ; il y a une forme de menace du

législateur qui pèse en permanence sur ces pratiques. Des exemples ont fait l’actualité

comme la prime de départ de Carlos Ghosn et le fait que les actionnaires s'étaient

prononcés contre, mais la prime a tout de même été versée. Le législateur est intervenu

en réaction et, désormais, le vote est contraignant. Des évolutions se font de cette façon

avec la pression populaire et médiatique. Mais l'idée générale que nous avons tirée de

notre étude est que les entreprises vont préférer rester dans les codes de gouvernance

et s’y conformer pour éviter une intervention du législateur.

Alice NAVARRO

Je vous remercie. Beaucoup de questions sont posées par votre intervention. À moins

que vous n’ayez des questions propres à cette intervention, je propose de reporter les

échanges et débats après la présentation de l'ensemble des travaux. Je vais maintenant

donner la parole à Jean-Christophe DUHAMEL.

Vous êtes docteur en droit privé, ingénieur de recherche à l'université de Lille au Centre

de recherche Droits et perspectives du droit. Vous travaillez particulièrement en droit des

affaires et en droit des sociétés et vous avez co-dirigé la recherche sur le thème de la

valeur de la gouvernance d’entreprise et la gouvernance des valeurs de l'entreprise :

recherche sur les effets des codes de gouvernance et les stratégies de communication

en matière de gouvernance. Cela renvoie à ce que vous avez dit tout à l'heure sur le

sens de cette conformité formelle. Est-on dans une conformité de marketing ? J'ai trouvé

intéressant dans votre approche que vous proposiez d'admettre non plus que la

gouvernance soit une cause qui entraîne des effets mais l'effet de plusieurs causes. Je

vous laisse la parole pour nous expliquer cette approche.

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Jean-Christophe DUHAMEL

Je suis navré de vous décevoir car cet aspect des choses, je ne vais pas le traiter ; il

sera traité plus spécifiquement par Réda SEFSAF en fin de matinée. Et cet après-midi,

nous reviendrons sur nos résultats de recherches. On m'a demandé de traiter du

caractère juridique et de la juridicité des principes de gouvernance et je vais m'atteler à

cette tâche.

Avant toute autre chose, je voudrais remercier la Mission de recherche Droit et Justice

de nous avoir accompagnés dans ce projet. Le projet s’est inscrit dans la durée et a

demandé beaucoup d'énergie. Nous avons toujours pu compter sur le soutien de la

Mission. Et je voudrais remercier spécifiquement Victoria VANNEAU, notamment pour

ses relectures, qui ont toujours été bienveillantes et qui nous ont particulièrement aidés.

Je vais trancher par rapport à l'intervention précédente, je ne vais pas beaucoup parler

de méthodologie mais de considérations de fond liées à une question qui est finalement

assez théorique : la question de la valeur juridique des normes de gouvernance. Peser la

valeur juridique des normes de gouvernance telles qu’elles peuvent apparaître dans les

codes du même nom implique déjà de prendre position sur la question de savoir ce

qu'est une norme juridique. Il n'y a pas de consensus sur ce que l'on pourrait nommer la

juridicité d'une norme. Traditionnellement, dans une approche classique, deux critères

sont mis en avant :

- l’obligatoriété de la norme, c'est-à-dire son caractère contraignant, accompagné

le cas échéant par une sanction d'ordre juridique en cas de non-application ;

- la légitimité de l’auteur, du locuteur qui serait habilité par et au sein du système

juridique à produire/dire le droit.

Voilà les deux critères mis en avant pour assumer le fait qu'une norme aurait une nature

d'ordre juridique. Si l’on observe les principes de gouvernance qui figurent dans les

codes, force est de tirer la conclusion qu’ils ne seraient pas des normes proprement

juridiques. Elles relèvent de la soft law, elles n'ont pas de caractère contraignant, pas de

caractère obligatoire. Et on sait également qu'elles émanent, en tout cas si l’on raisonne

sur le cas français, de locuteurs qui ne sont pas par nature habilités à dire le droit, à

l’image de l’Afep-Medef. Si l’on adopte donc cette approche classique, on serait amenés

à exclure du champ de la juridicité les principes de gouvernance. Mais d'un autre côté, la

question n'est pas si évidente car une école moderniste, contemporaine dirons-nous, a

su démontrer avec beaucoup de conviction et de talent qu'à la fois l’obligatoriété et la

légitimité de l'auteur d'une norme n'étaient pas forcément des critères suffisants pour

pouvoir borner avec précision le champ de la juridicité. Par exemple, Nicolas

MOLFESSIS nous enseigne que l’obligatoriété n’est « pas apte à rendre compte des

manifestations plurielles du juridique » ; pour François OST et Michel VAN DE

KERCHOVE : « Il n’est pas de lien définitionnel, en effet, entre validité et obligatoriété de

la règle (on rappellera l’existence des normes permissives, des normes secondaires),

encore moins entre validité et devoir "intrinsèque" d’obéissance ». De même, il est des

normes proprement juridiques – c'est incontestable, cela figure dans la loi – qui ne sont

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pourtant pas sanctionnées. Ce critère de la contrainte n'est donc pas suffisant à pouvoir

représenter l'intégralité du champ juridique. Sur le plan de la légitimité, toute l’école du

courant pluraliste des sources du droit nous explique quant à elle que l'essentiel pour

une norme juridique n'est pas qu'elle émane d'une institution (Parlement,

gouvernement), mais qu'elle soit effective, et que c'est dans l'application, c’est-à-dire

l'effectivité de la norme, que l'on reconnaît finalement son caractère juridique.

Si l’on applique ces vues aux principes de gouvernance, quand bien même ne seraient-

ils pas obligatoires et n’émaneraient-ils pas de locuteurs habilités par et au sein du

système juridique à produire du droit, il conviendrait de ne pas les exclure du champ

juridique. À cela s’ajoute le fait que le mécanisme du comply or explain est un dispositif

de communication légal et d'ordre public, si bien que, même si les codes demeurent

facultatifs et d’origine privée, la société a l’obligation juridique de se positionner par

rapport à un code de gouvernement d'entreprise. Il y a un effet de contrainte. La

recommandation en tant que telle n'est pas obligatoire mais une contrainte déclarative

pèse sur la société. En outre, si l’on réfléchit à la question de la légitimité, l'article L. 225-

37-4 du code de commerce vise expressément un code de gouvernement d’entreprise

émis par les « organisations représentatives des entreprises ». Le législateur, par une

sorte de délégation légale, a concrètement remis à l’Afep-Medef ou Middlenext le

pouvoir d'émettre une norme. Il y aurait une sorte de délégation légale, donc une

légitimité. On voit bien que par le biais spécifique du comply or explain, et même à

travers une perception orthodoxe de la juridicité, l’essence juridique des principes de

gouvernance est une hypothèse plausible.

Voilà, j'ai fini mon intervention. Maintenant, choisissez votre camp ! Juridique ou pas

juridique ? Cela dépend de l'angle sous lequel vous l'observez. Les principes de

gouvernance sont l'exemple parfait de la norme quantique. Il peut y avoir deux états

différents en même temps et cette ambivalence dépend de la façon dont vous

l'observez. C'est cela, le phénomène quantique : une unique chose simultanément dans

deux états différents. Avec Réda SEFSAF, nous avons voulu dépasser ce constat qui

était assez frustrant pour essayer de se départir, de se libérer de cette alternative qui,

d'un point de vue méthodologique, paraît assez stérile : cette alternative binaire qui

imposerait aux juristes de réfléchir le droit comme étant un phénomène qui soit

s'accomplit, soit ne s'accomplit pas. Une norme est-elle juridique ou non juridique ? Nous

avons souhaité dépasser cette question, et pour en sortir, nous avons sollicité les

travaux de Boris BARRAUD, qui a publié des choses importantes en théorie du droit.

Nous nous sommes dit la chose suivante : pourquoi une norme devrait-elle être juridique

ou non juridique ? Ne peut-elle pas avoir des intensités juridiques différentes ?

Finalement, une norme ne peut-elle pas être un peu juridique, ou inversement, très

juridique, et ce en dehors de la question classique de la hiérarchisation entre elles des

normes de droit ? N'y aurait-il pas une échelle d'intensité juridique qu’il serait nécessaire

de créer afin d’y positionner les normes sociales ? N’est-il pas possible d'imaginer la

force juridique d'une norme plutôt que d'imaginer, sur un mode binaire, la juridicité ou la

non-juridicité ?

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Cette question de la force juridique rejoint celle de la force normative sur laquelle

beaucoup de choses ont été écrites ; elle ne la recoupe ceci étant pas totalement, car la

force juridique me semble d'un point de vue conceptuel assez différente de la force

normative, laquelle a une dimension bien plus polysémique. L'objectif pour nous a été

quoi qu’il en soit, dans la toute première partie de notre rapport, de retenir des critères

de juridicité qui font consensus, et d’observer dans quelle mesure les codes de

gouvernement d'entreprise répondaient à ces différents critères de sorte à pouvoir les

positionner sur une échelle du droit et surtout apprécier la dynamique de ces principes

en termes de promotion ou de dégradation juridique. Nous avons donc plutôt abordé la

question de la juridicité des codes de gouvernement d'entreprise dans une perspective

dynamique et non pas statique. Pour résumer notre travail, il nous a semblé que la

juridicité des principes de gouvernance a ou devrait avoir une vocation tendancielle à se

renforcer.

Tout d'abord, s’agissant du renforcement de la légitimité des auteurs des codes.

Actuellement, par délégation légale, une « organisation représentative des entreprises »

peut émettre un code qui pourra servir de référence à une entreprise cotée sur un

marché réglementé dans le cadre de sa déclaration annuelle de gouvernance. Quand on

observe concrètement la situation, il s’agit essentiellement du code Afep-Medef et, pour

les sociétés du compartiment B et C d’Euronext, du code Middlenext. Il nous a semblé

que ces auteurs, fussent-ils adoubés par la loi, pouvaient utilement améliorer leur

légitimité, et partant, la juridicité de leur production normative. La question est assez

irritante et politique. Parce que nous sommes des chercheurs, nous n’avons pas hésité à

la soumettre à Pascal DURAND-BARTHEZ, qui était secrétaire général du Haut Comité

de gouvernement d’entreprise (HCGE) à l’époque de la recherche. Il nous a regardés

avec de grands yeux, et nous a dit en substance (citation non fidèle) : « Comment cela,

nous ne sommes pas légitimes ? Oui, nous nous étions fait tancer par l'AMF car la

procédure de réforme du code Afep-Medef n’était peut-être pas suffisamment ouverte,

démocratique, mais cela a changé. Il y a des appels à contribution maintenant. La

dernière réforme du code Afep-Medef a été managée par un universitaire, Bertrand

Fages. En outre, le processus est public, et qui voulez-vous que l’on n'entende pas à

cette occasion ? ». Il est vrai que le processus de réforme fait que l’Afep-Medef intègre

dorénavant beaucoup plus de parties prenantes dans l’élaboration de ses normes de

gouvernance, mais il nous a semblé assez légitime que le code de référence en matière

de gouvernement d'entreprise en France puisse éventuellement émaner d'une autorité

nationale qui pourrait être constituée sous une égide gouvernementale ou un comité qui

rassemblerait sur le papier toutes les parties prenantes. Le code allemand du

gouvernement d'entreprise est issu d'une commission paritaire. Vous avez des

représentants du monde salarial, des représentants des actionnaires institutionnels, des

représentants des minoritaires, du monde de l'entreprise. Et ne serait-ce que sur un plan

symbolique, ce serait assez utile, nous semble-t-il.

Je ne veux pas trop occuper la parole. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cette

question de légitimité, mais je vais passer aux autres éléments. Sur le plan du degré

d'obligatoriété, il nous semblerait assez intéressant d'améliorer l'obligatoriété des codes

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de gouvernement d'entreprise, sans pour autant sortir de la soft law, sans forcément

créer un code légal de gouvernement d'entreprise. Je ne suis pas du tout pour que l’on

traumatise le code de commerce car j’estime qu'il y a beaucoup de dispositions du code

Afep-Medef qui n’ont pas à y figurer. En deçà donc de l’opportunité de légaliser les

recommandations, il y a tout de même des possibilités d'améliorer l’obligatoriété du

régime de gouvernance d’entreprise. Par exemple, s’agissant de l'option tout à fait

exceptionnelle et singulière de la France en matière de comply or explain : les sociétés

ont la liberté de choisir un code de référence ou pas ; si vous n'en choisissez pas, vous

avez l'obligation de justifier pourquoi vous n'avez pas choisi de code de référence. C'est

une singularité française. Le renforcement de l’obligatoriété d'un code pourrait passer

par la suppression de cette option, qui en plus n’est pour ainsi dire jamais retenue.

Quand on regarde en effet les déclarations de conformité annuelles, toutes les sociétés

quasiment se réfèrent à un code. Une société cotée qui prendrait le risque de dire « on

n'adhère pas à un code de gouvernance de place, nous préférons avoir notre propre

référentiel de bonne conduite », prendrait un pari audacieux au moment de s’adresser à

un marché financier international.

Deuxième évolution qui nous semblerait intéressante : sortir du caractère facultatif du

code à appliquer. La loi ne vise pas le code Afep-Medef mais un référentiel issu des

« organisations représentatives des entreprises ». Cela peut être le code Afep-Medef, le

code Middlenext, mais cela peut aussi être le code « Duhamel-Sefsaf » ! Il suffit par

exemple que nous déclarions en préfecture une association qui aurait vocation à

représenter les entreprises et que nous produisions un code. Une entreprise pourrait

appliquer ce code qui pourrait le cas échéant ne comporter qu’une seule

recommandation : « soyez sympathique lorsque vous gérez une société ! » Évidemment,

c'est un exemple absurde, mais le caractère indéterminé du code est gênant en tant que

tel : quel code appliquer véritablement ? Qu’est-ce qu’une organisation représentative

des entreprises ? On sait ce qu'est la représentativité en droit du travail, mais dans le

monde des affaires, je pense que cela mériterait d’être précisé.

Autre chose importante : renforcer l'objectivité des recommandations. Vous avez abordé

la question du bout des lèvres. Ce n'est pas forcément la question de la clarté

rédactionnelle du code. Le code est souvent rédigé de manière très claire. Mais c’est la

question de l'objectivité de ce que l'on demande aux entreprises. Vous avez un tas de

principes qualifiés par nos soins d’« éthico-subjectifs » pour lesquels l'occurrence d'une

non-conformité ne se conçoit pas, et c’est vrai s’agissant des codes de gouvernance

français, mais également britannique ou allemand. On y trouve des recommandations

d'ordre véritablement subjectif liées à des notions d'équilibre, d'indépendance, d'écoute,

de dialogue pour lesquelles l'occurrence d'une non-conformité est impensable. On ne

peut pas concevoir qu'une société dise « nous assumons de ne pas dialoguer avec nos

actionnaires, nous ne sommes pas conformes ». Ou encore : « quand nous fixons les

rémunérations des dirigeants, notre objectif n'est pas d'atteindre un équilibre souhaitable

comme le requière la recommandation du code Afep-Medef ». Impossible ! La non-

conformité se conçoit seulement sur des recommandations objectives. Par exemple, la

société n'a pas 50 % d'administrateurs indépendants, ou elle emploie des critères de

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FRANCE STRATÉGIE - 23 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

qualification pour l'indépendance des administrateurs qui sont des critères propres et

non pas des critères standards comme une présence inférieure à douze ans dans le

conseil d'administration ou l’absence de relations personnelles avec les dirigeants

exécutifs. Des choses objectives donc, vis-à-vis desquelles on peut assumer une non-

conformité et fournir une explication. Mais quand ce sont des principes éthico-subjectifs,

on ne peut pas se déclarer non conforme. Nous, qui avons dépouillé depuis les origines

les déclarations de conformité aux codes de gouvernance, n’avons jamais croisé ce

genre de déclaration de non-conformité. Les exemples allemand et britannique sont

intéressants à ce titre, car ils ont pris conscience de cette limite. Dans le code allemand

est opérée la différence entre les suggestions et les recommandations. Les suggestions

ne servent pas de support à l’exercice du comply or explain ; les recommandations, si. Et

quand on regarde le code allemand, les suggestions concernent beaucoup de principes

éthico-subjectifs. Je trouve que c’est intelligent. En Angleterre, c'est la même chose : on

fait la distinction entre les principes essentiels, qui doivent faire l'objet d'une

transparence narrative (descriptive), et non pas d'un exercice de conformité, et les autres

principes plus objectifs qui font l'objet du comply or explain. En France, le comply or

explain s'applique à toutes les recommandations du code, sans distinction dans le code

Afep-Medef. Même sur les principes éthico-subjectifs, vous devez dire si vous êtes

conforme ou pas, sauf que l'occurrence d'une non-conformité ne se pense pas. Cela

biaise l’exercice.

Dernière chose, la question très complexe de la sanction du comply or explain et de la

sanction des principes de gouvernance. Les principes de gouvernance français se lovent

dans le comply or explain qui est une procédure de communication d'ordre public. C’est

de l'information réglementée au sens du droit financier. Vous ne pouvez pas mentir à

l'occasion de votre exercice de déclaration de conformité. Si vous dites publiquement,

sous-entendu aux marchés, que vous êtes conforme, c’est parce que vous êtes

conforme, vous ne pouvez pas faire de fausse déclaration de conformité. On entre ici

dans la réglementation « abus de marché ». La question de la sanction des fausses

déclarations est importante. Cela renforce le caractère d’obligatoriété. Une

recommandation, fût-elle non obligatoire, à laquelle vous dites que vous vous conformez,

devient obligatoire du fait de cette déclaration : la société doit la mettre en œuvre. Quand

vous dites quelque chose, cela doit être vrai. Si ce n'est pas vrai, que se passe-t-il ? La

question de la sanction est triple : sanction civile, sanction en droit de la régulation et en

droit pénal. Pour faire très simple, le cadre civil et celui du droit de la régulation a évolué

pour aboutir à un état qui veut qu’aujourd’hui, on ne peut sanctionner juridiquement, en

droit de la régulation et en droit civil donc, qu'une information qui est susceptible d'avoir

un impact sur les investisseurs. Or, et cela a donné lieu à beaucoup de discussions avec

mon collègue Réda SEFSAF, bien malin celui qui pourra dire quel est l'impact des

informations en matière de gouvernance d'entreprise sur les investisseurs. Les

investisseurs en tiennent-ils compte pour arbitrer, cela peut-il affecter les cours ou pas ?

Beaucoup d’études économétriques disent oui, beaucoup d’autres disent non, et d'autres

encore disent que l'on n'en sait rien du tout ! Quand vous amalgamez tout cela, c'est un

grand point d'interrogation. Et pourtant, le critère juridique est assez nettement posé

aujourd'hui : il faut un impact, une influence sur les investisseurs, sur les marchés.

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Paradoxalement, en droit pénal, alors qu’il était explicitement exigé au début, on a abouti

aujourd'hui en matière de délit de communication de fausses informations à un

effacement de ce critère d’impact sur les cours pour simplement s'en remettre à la

qualité de l'information. Une information fausse délivrée au marché est une information

pénalement sanctionnable ès qualité, peu important l’impact qu’elle aurait pu avoir ou

non sur les marchés. Mais le parquet conserve l'opportunité des poursuites et je n'ai

personnellement jamais vu un procureur s'émouvoir qu'une déclaration de conformité en

matière de gouvernance puisse prendre certaines largesses avec la vérité, fût-elle

stigmatisée par le rapport de l’AMF. L’hypothèse se concrétise essentiellement lorsque

la société omet de déclarer une non-conformité, ce qui, sur un plan juridique, revient à se

déclarer faussement conforme. Par exemple, une société se déclare full compliant, sans

mentionner des écarts aux recommandations qui pourtant existent bel et bien. Cette

déclaration de conformité totale est en théorie une fausse information transmise au

marché. Mais comment le parquet pourrait-il poursuivre cela, alors qu’on ne sait même

pas si quelqu’un a pu un jour en subir quelque impact que ce soit… ? On rentre dans

des considérations assez folles qui effacent à mon sens toute possibilité de poursuites

pénales sur ce fondement.

Pour conclure, en voulant réfléchir à la promotion juridique des normes de gouvernance,

nous avons pesé les différents moyens de renforcer la légitimité de leurs auteurs ainsi

que l’obligatoriété des principes qu’elles énoncent ; parfois le législateur est beaucoup

plus direct et tranche dans le vif. Certaines recommandations figurant à l’origine dans le

code de gouvernance sont devenues de la loi dure. On a des exemples connus :

l'obligation d'instaurer un comité d'audit, l'obligation d'avoir un administrateur

indépendant dans un comité d’audit, la question de la parité des sexes dans les conseils

d'administration, tout cela figurait dans des recommandations molles de soft law et, du

fait du législateur, est devenu du droit pur, des normes véritablement juridiques,

affectées d’un coefficient de légitimité et d’obligatoriété maximal. Je vous remercie de

votre attention.

Alice NAVARRO

Un grand merci pour cette description très complète de cette subtilité juridique, qui fait

aussi d'ailleurs que la thématique des codes de gouvernance a été appréciée sous

l’angle de l'effectivité plus que sur sa juridicité. Nous sommes tous bien conscients du

caractère flou de sa nature juridique, mais pour autant absolument pas dépourvue

d'effet.

Je vais maintenant passer la parole à Katrin DECKERT, qui nous parlera également de

comply or explain sous un aspect plus économique. Vous êtes maître de conférences en

droit privé à l'université de Nanterre, chercheur au centre de droit civil des affaires et du

contentieux économique. Vous travaillez en droit des affaires, en droit des sociétés, en

droit des marchés financiers et particulièrement sous l'angle du droit comparé qui est

aussi un élément très intéressant. Particulièrement en droit comparé et analyse

économique du droit. Vous allez nous présenter les grandes lignes de l’axe de recherche

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 25 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

qui a été celui de votre groupe, qui avait comme particularité d'assurer une sorte de

cartographie des codes de gouvernance. Vous avez analysé près de trente codes, c'est

un aspect de comparaison très utile. Et vous reviendrez plus particulièrement sur le

comply or explain d'un point de vue économique.

Katrin DECKERT

Au nom de notre équipe, je remercie la Mission de recherche Droit et Justice de nous

avoir confié cette étude. Nous souhaitons remercier Victoria VANNEAU, qui nous a

toujours donné de bons conseils précieux et un grand soutien tout au long de cette

recherche très longue.

Je souhaiterais d'abord présenter le contexte et la problématique de notre recherche,

puis quelques mots sur les axes et les méthodes adaptées de recherche, et pour

terminer, je voudrais vous présenter les principaux résultats de notre recherche

s’agissant d'un point en particulier, à savoir le comply or explain.

C’est notamment la crise financière de 2008-2009 qui a contribué à mettre en lumière les

limites non seulement de plusieurs dispositifs de gouvernance contenus dans les codes,

mais plus fondamentalement de l'effectivité des codes à des fins de régulation du

comportement des entreprises. La question qui se posait alors était de savoir s'il était

préférable, afin de dissuader les pratiques à risque et d'encourager les comportements

vertueux, de recourir à des codes de gouvernance ou de privilégier plutôt le recours à

des technologies juridiques alternatives. L'objectif de notre recherche était donc

d'analyser en quoi les codes de gouvernance, compte tenu de leurs spécificités,

constituent un instrument juridique original remplissant une fonction spécifique, tout en

présentant certaines limites liées à leur originalité.

Articulant la double perspective de science juridique et économique, notre recherche

avait pour point de départ une interrogation, à savoir : comment rendre les codes de

gouvernance plus effectifs et pour quelle finalité ? D'une réflexion autour de la

signification du terme effectivité découlaient deux déclinaisons de cette question.

Premièrement, nous nous sommes intéressés à l'effectivité des codes de gouvernance.

Effectivité des codes entendue comme la faculté à orienter les comportements des

entreprises, et plus précisément leur capacité à assurer la conformité des

comportements réels des entreprises aux dispositions des codes de gouvernance. Cela

nous a amenés en particulier à étudier la position entre hard law et soft law. Cette

première orientation de la recherche nous a conduits à analyser les modes d'effectivité

des codes de gouvernance opérant le plus souvent non pas au moyen d'une sanction

étatique associée à la contrainte mais selon une logique d'encouragement, voire

d’incitation des comportements, directement liée à l'exercice d'une discipline de marché.

Deuxièmement, notre questionnement sur l’efficacité des codes de gouvernance nous a

amenés à nous intéresser à leur aptitude à améliorer la gouvernance d’entreprise et,

partant, à nous interroger sur le concept même de « bonne gouvernance ». Cette

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La gouvernance d’entreprise. Mise en œuvre et nouveaux enjeux

FRANCE STRATÉGIE - 26 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

approche nous a conduits alors à analyser la proximité des logiques existant en matière

de responsabilité sociale et environnementale des entreprises et de gouvernance

d’entreprise.

Voilà quelques mots sur la problématique de notre recherche. Maintenant, rapidement, je

voudrais vous présenter les axes et les méthodes de notre recherche. Notre

problématique était développée selon trois axes de recherche :

Selon le premier axe, il s'agissait d'établir une cartographie des codes de gouvernance.

En particulier, nous avons étudié trente codes de gouvernance. Cette cartographie

mettait en évidence une communauté de thèmes, de vocabulaire, de préoccupations, qui

concerne l'ensemble des codes. En même temps, on a pu observer une certaine

diversité, nationale ou locale, de ces codes. On parle toujours d'homogénéité, en réalité

il y a une diversité qui les caractérise, même si cette diversité porte sur des points de

détail dans la plupart des cas.

Le deuxième axe de notre recherche portait sur l'effectivité des codes. Plusieurs

explications ont été proposées face au constat de l’ineffectivité relative des codes de

gouvernance et certaines voies ont ensuite été envisagées en vue d'une meilleure

effectivité des codes. En particulier, nous avons analysé le principe comply or explain.

Le troisième axe de recherche était de s'employer à mieux cerner la place des codes de

gouvernance d'entreprise et leurs spécificités parmi les autres outils de gouvernance

d'entreprise. Cet axe développait une réflexion quant à la capacité des codes de

gouvernance à contribuer aux évolutions des finalités de la gouvernance d'entreprise.

Voilà également un vaste sujet.

Quels sont donc nos principaux résultats de recherche ?

Je vous invite à lire notre rapport. Ici, je vais me concentrer sur un aspect étudié plus en

détail : le principe comply or explain, étudié dans le cadre du deuxième axe de recherche

portant sur la question de l'effectivité des codes.

Les différentes contributions réalisées dans le cadre de cet axe de recherche

conduisaient à des conclusions nuancées quant à cette effectivité des codes. D'emblée,

le caractère largement optionnel des codes de gouvernance conduit à rejeter une

transposition pure et simple de la définition de l'effectivité. En effet, le code de

gouvernance repose le plus souvent sur le principe du comply or explain. Ce dernier

prévoit que l'entreprise peut soit mettre en œuvre les recommandations du code, soit

s’en écarter tout en justifiant leur non-respect. En vertu de ce principe, deux

comportements radicalement différents peuvent alors, au moins en théorie, s'interpréter

comme des manifestations de l'effectivité du code, dont il revient alors complexe

d'apprécier le degré d'effectivité ou d’ineffectivité relative.

Dans notre étude, après une analyse économique sur l'effectivité des codes, nous avons

procédé à une analyse juridique des difficultés auxquelles se heurte la réalisation du

principe comply or explain, et ce, spécifiquement en France mais aussi au Royaume-Uni,

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FRANCE STRATÉGIE - 27 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

pays d'origine du comply or explain. Notre étude fait apparaître que ces difficultés

tiennent une large part à l'existence d'un double niveau de mise en œuvre de ce principe

comply or explain. En effet, il y a d’une part un niveau déclaratoire et, d'autre part, il y a

l'adoption de modalités de gouvernance d'entreprise conformes aux prescriptions du

code. La discipline de marché prenant appui sur les déclarations des entreprises, la

dimension déclaratoire revêt donc une grande importance. Et cette dimension

déclaratoire comporte deux volets. En premier lieu, si certaines entreprises ont

l'obligation de se référer à un code de gouvernance, elles demeurent libres de choisir le

code de référence. Plus précisément, il faut distinguer ici que c'est le cas en France. La

France a fait le choix de laisser aux sociétés la liberté de choisir si elles souhaitent ou

non adhérer à un code de référence. C'est différent dans la plupart des autres pays,

notamment au Royaume-Uni où les listing rules imposent aux sociétés le UK corporate

governance code. Il n'y a pas le choix. Quoi qu'il en soit, la mise en œuvre d'un code de

gouvernance suppose en premier lieu que les entreprises déclarent choisir ces codes

comme code de référence. Ce premier niveau nécessaire ne garantit en rien que

l'entreprise se conforme réellement aux dispositions du code choisi. Et voilà le second

volet déclaratoire, qui est le plus important. En effet, le second volet déclaratoire prend

place dans la mise en œuvre du principe comply or explain. Les entreprises, dans leurs

déclarations, doivent rendre compte des modalités de gouvernement d'entreprise

choisies et doivent éventuellement justifier le fait de ne pas appliquer certaines

dispositions du code. Les rapports produits par les sociétés ou les déclarations produites

par les sociétés font l'objet d'un contrôle. En France, c’est le Haut Comité de

gouvernement d'entreprise et l’AMF. Ces déclarations font l'objet d'un contrôle, mais

sans que ne soit toujours vérifiée la correspondance avec les modalités effectivement

adoptées. Autrement dit, les autorités de contrôle ont tendance à examiner la

disponibilité d'informations sans vraiment évaluer la véracité des explications avancées

par les sociétés. Il en est de même, en fait, pour les investisseurs. En conséquence, la

dimension déclaratoire de la mise en œuvre des codes de gouvernance produit des

effets, quand bien même la réalité du gouvernement d'entreprise ne lui correspond

souvent pas.

Un des risques associés à cette situation est notamment la transparence conformiste.

Les investisseurs ont une préférence pour les entreprises qui déclarent se conformer au

code de gouvernance. Et en conséquence, les entreprises ont tendance à déclarer un

comportement de conformité même s'il ne correspond pas aux modalités effectives de la

gouvernance. À cela s'ajoute une sorte de réticence des sociétés à donner les

explications adéquates, suffisantes et précises pour justifier leur écart le cas échéant.

En définitive et pour conclure, notre analyse montre que les obligations de transparence

imposées par le principe comply or explain présentent un écueil, un obstacle, une

difficulté, à savoir la création d'une bulle au sein de laquelle le code et les déclarations

correspondent sans que les liens avec la réalité ne soient pris en compte. Il y a un

décalage entre les déclarations et la réalité. Voilà ce que l'on peut dire en quelques

minutes sur ce thème.

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FRANCE STRATÉGIE - 28 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Alice NAVARRO

Merci beaucoup et merci pour cette analyse plus économique qui va contribuer au débat.

Les derniers travaux qui vous sont présentés ce matin par Frédérique COULÉE se sont

particulièrement intéressés à l'effectivité des codes de gouvernance d'entreprise, et à

l’intérêt du droit international pour apprécier l'opportunité d'une réforme législative en

France. Le sujet est un peu surprenant. Cela dit, pour qui pratique le droit international,

je pense notamment aux questions de lutte contre le blanchiment de capitaux, on voit

qu'il y a des interactions possibles. C'était aussi l'originalité de votre proposition de sujet :

comment le droit international et les institutions du droit international peuvent nous aider

à réfléchir à ce qui est fait dans le cadre de la gouvernance d’entreprise. Frédérique

COULÉE, vous êtes professeur de droit public à l'université de Paris-Sud et vous dirigez

la section droit international et européen de l'université de Saclay. Vous avez conduit

des recherches depuis plusieurs années sur le droit international public, la protection

internationale des droits de l'Homme, et vous vous intéressez particulièrement aux

thématiques émergentes de la protection internationale des droits de l'Homme. Je dis

émergentes, mais elles ne le sont plus tellement maintenant car cela fait quelques

années que l’on y réfléchit. Vous avez cherché à établir des rapports entre la

gouvernance d'entreprise et le droit international. Je vous donne la parole pour présenter

le résultat de ces travaux.

Frédérique COULÉE

Merci. Avant de débuter, je voudrais moi aussi adresser mes remerciements à la Mission

de recherche Droit et Justice pour la confiance qu'elle nous a témoigné, en particulier au

regard du caractère un peu hétérodoxe du projet que nous avions soumis. Je voudrais

tout spécialement remercier Victoria VANNEAU, qui nous a accompagnés tout au long

de ce projet avec bienveillance, y compris dans des moments difficiles et de doute, elle

verra à quoi je fais allusion.

Pour expliquer le projet et pouvoir le partager, je vais donner quelques indications

générales en reprenant d'ailleurs la suite du propos de Jean-Christophe DUHAMEL sur

les questions de juridicité et obligatoriété. Je vais donner quelques indications sur la

composition de l'équipe. Et je déroulerai à partir du titre nos questions terminologiques

autour de la notion de gouvernance, nos questions de méthode, l'analyse des

instruments mobilisés et j'insisterai sur quelques éléments de conclusion auxquels nous

sommes parvenus.

Je m'inscris dans le prolongement de Jean-Christophe DUHAMEL sur les questions de

vocabulaire et de qualification sur la juridicité et l’obligatoriété. Comme cela a été dit, je

suis internationaliste, qui plus est publiciste. Il y a un cumul d'éléments qui crée le doute

immédiatement. Ce qui nous caractérise en tant que communauté scientifique parmi les

juristes, c’est ce rapport particulier aux questions de juridicité et d’obligatoriété, car la

plupart des juristes internistes assimilent largement l'obligatoire à la sanction, alors

même que nous sommes, pour des raisons structurelles, amenés à distinguer

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 29 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

l'obligatoire de la sanction, tout simplement car il y a beaucoup d'instruments en droit

international qui ont un caractère obligatoire sans pour autant qu'un régime institutionnel

sanctionné soit mis en place. On peut avoir une obligation juridique qui lie les États sans

pour autant avoir un juge qui serait compétent et viendrait sanctionner le non-respect du

droit. C'est en ayant cela à l'esprit qu'il faut aussi comprendre notre rapport et nos

interrogations. Et bien évidemment, sur ces questions, nous demeurons dans la droite

ligne d'un auteur majeur sur la question qui est Prosper WEIL, qui avait publié un article

connu, « Vers une normativité relative en droit international », sur un mode interrogatif et

critique, dans lequel il faisait la part sur ce qui était du droit et ce qui n'en était pas, avec

une ligne très nette séparant les deux. On ne s'inscrit pas ici dans cette dynamique, mais

je pense que ce sont des éléments de contexte importants pour comprendre le travail

mené.

Les chapitres du rapport ont été rédigés par des internationalistes publicistes et

privatistes ayant des spécialités qui les amenaient à saisir le sujet de manière différente

car, selon que l’on est spécialiste du droit de l’OMC ou spécialiste de droit international

public très public avec une approche droits de l'Homme, comme c’est mon cas, on ne

s'empare pas de ce sujet d'une manière identique. Nous avons bien naturellement

bénéficié de l'expertise d'internistes. Vous entendrez cet après-midi Jean-Marc MOULIN,

spécialiste de droit des sociétés, et Laurence VAPAILLE, fiscaliste, qui ont joué un rôle

essentiel dans la réalisation de ce rapport.

La question posée était celle de l'effectivité des codes de gouvernance d'entreprise, de

l'intérêt du droit international pour apprécier l'opportunité d'une réforme législative en

France. Il y avait d'abord un positionnement à adopter sur ce que nous mettions dans la

gouvernance d'entreprise, sur la méthode à retenir, la place du droit international. Que

voulions-nous faire du droit international ? Ce sont les éclaircissements que je voudrais

apporter tout d'abord. Nous avons travaillé bien sûr sur l'article L. 225-37-4 du code du

commerce qui évoque des codes de gouvernement d'entreprise. Sur le code Afep-Medef

et le code Middlenext. Mais nous nous sommes intéressés également à une série

d'autres instruments qui n'ont pas été étudiés dans les autres rapports : tout ce qui

relève des chartes éthiques, documents de référence, codes divers. Il y a une telle

diversité de nomenclatures qu'il serait difficile d’être exhaustif ici. Relevant de la

responsabilité sociale des entreprises, avec beaucoup de vague dans le vocabulaire.

Nous nous sommes intéressés aux instruments qui sont produits par les entreprises et

dans lesquels il est question de droits de l'Homme, de droit social, de protection de

l'environnement, voire de lutte contre la corruption, tout simplement parce que ces

instruments trouvent des pendants en droit international et qu'il semblait intéressant de

travailler sur ces questions, ce qui nous a d'ailleurs amenés nécessairement à

approfondir les questions d'autorégulation, de co-régulation, à constater une implication

variable des parties prenantes, mais je n'insiste pas ici, le temps ne le permet pas.

Cette étude nous a d'ailleurs amenés à constater qu'il y avait un décalage important. Le

code Afep-Medef ou Middlenext, on y a accès rapidement, on sait assez facilement

quelle est leur place au regard d'une entreprise donnée. Pour les chartes, les documents

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FRANCE STRATÉGIE - 30 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

divers dont on parle, la publicité n'est pas toujours assurée de manière correcte, il y a un

vrai travail de collecte d'informations à opérer pour se faire une idée précise des

engagements pris de manière volontaire par les entreprises.

Pour ce qui est de la méthode, dès lors qu'il s'agissait d’appréhender un cadre national

en raisonnant à partir d'instruments internationaux, nous avons travaillé sur la base d'un

raisonnement par analogie. Et nous avons comparé un certain nombre d'instruments

internationaux. Nous les avons comparés entre eux et avec ce que l'on trouve dans

l'ordre juridique interne français. Nous avons apprécié leur faculté à orienter le

comportement des acteurs concernés. Cette méthode a déterminé l'ensemble de notre

travail. Et parce que ces instruments, dont je vais parler dans quelques minutes, étaient

d'une très grande diversité, nous sommes allés plus loin dans la conclusion que ne le

laissait entendre le titre du rapport. Il ne s’est pas seulement agi de proposer une

réforme législative en France qui aurait porté particulièrement sur les codes Afep-Medef,

Middlenext et la manière dont ils sont appréhendés dans l'ordre juridique français. Nous

sommes allés au-delà et certaines des propositions que nous faisons concernent

directement l'État français et la manière dont il peut jouer, imprégner pour porter un

certain nombre d'idées développées dans le cadre du rapport.

Les instruments internationaux sur lesquels nous avons travaillé pour trouver des

inspirations aussi bien du point de vue des obligations, ou pas, que du point de vue des

mécanismes de contrôle, voire de sanction, sont des instruments internationaux qui ont

des forces juridiques très variables, qui n'en ont pas nécessairement mais qui peuvent

avoir une force juridique et être des instruments obligatoires. C'est le cas quand on est

en présence de traités internationaux qui tendent à créer des obligations relativement

aux droits de l'Homme en matière sociale, en matière d'environnement, qui concernent

les entreprises directement. Reste à savoir comment cela peut s'articuler. Nous nous

sommes intéressés également aux instruments internationaux qui s'adressent

directement aux entreprises et qui n’ont généralement pas de caractère obligatoire et

même pas nécessairement de mécanisme de garantie.

Les instruments mobilisés l'ont été du plus général au plus spécifique. Bien sûr, les

instruments qui ont été adoptés dans le cadre des Nations unies avec, de manière

historique, le Pacte mondial, qui débute cette dynamique de dialogue avec les

entreprises au sein des Nations unies mais qui, du point de vue des mécanismes de

vérification d'accompagnement, se manifeste beaucoup par ses lacunes, ou en tout cas

qui n'a pas été pensé comme cela. Bien sûr, les principes directeurs des Nations unies

sur les droits de l'Homme et les entreprises, les principes de John RUGGIE de 2011 et

leur prolongement dans le cadre européen comme dans le cadre national avec le plan

national d'action français de 2017, qui est intéressant du point de vue du développement

qui peut être donné dans un contexte régional et dans un contexte national à des

principes qui ont été pensés comme une interface entre les traités de protection des

droits de l'Homme qui s'adressent aux États et les entreprises. C'est un développement

qui a été assez intéressant sur les années qui se sont écoulées entre le début du projet

et sa fin. Nous nous sommes également intéressés à des instruments divers, regroupés

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 31 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

sous une catégorie commune, que sont les instruments à dimension sociale, avec des

instruments dont le statut juridique est très différent : les conventions de l'OIT, qui sont

historiques et auxquelles les entreprises se réfèrent d'ailleurs volontiers, et les accords-

cadres transnationaux qui sont conclus par les entreprises. Nous avons constaté en la

matière une certaine incompréhension concernant les conventions de l'OIT puisque ces

conventions ont un caractère tout à fait obligatoire et ont d'ailleurs été négociées avec la

participation des entreprises, ce qui est quelque chose de très original. Les accords-

cadres transnationaux ont nécessité un gros travail de collecte et de systématisation de

l'information. La chercheuse qui a travaillé sur ce pan du projet a commencé par réunir

les plus de 200 accords-cadres qui ont fait l'objet d'une analyse comparative.

Je ne vais pas être systématique car le temps ne le permet pas. Ce qui est apparu en

filigrane et n'avait pas été évident dans la manière dont le projet avait été conçu

initialement, c'est l'importance d'un instrument qui a priori ne s'était pas vu reconnaître

une éminence particulière ; je veux parler des principes directeurs de l'OCDE à l'intention

des entreprises multinationales, qui ont su s'imposer via le rôle reconnu aux points de

contacts nationaux. On parlait tout à l'heure de l'originalité du droit international qui ne

reconnaît pas nécessairement compétence à un juge. Les points de contacts nationaux

ne sont pas des juges, et pourtant ils ont des rôles importants, ne serait-ce que par la

méthodologie qu'ils proposent et le cheminement qu'ils accompagnent.

Le rapport a également permis de mettre en évidence l'intérêt qu'il y avait à s'attarder sur

la rédaction des traités d'investissements, et notamment l'intérêt qu'il y avait à proposer

de nouvelles générations de traités d'investissements qui remettent en cause une

approche initialement assez inégale, où les intérêts de l'État n'étaient pas tellement

préservés. De nouvelles clauses sont introduites dans les traités d’investissements et

proposées dans le cadre du rapport, qui rééquilibre quelque peu la relation, avec des

clauses qui portent sur les objets que nous avons ici évoqués.

Enfin, l'étude a porté sur les accords de libre-échange hors chapitre investissements,

avec là aussi la mise en évidence d'une montée de la problématique de la responsabilité

sociale des entreprises, avec un affinement dans l'identification de plusieurs catégories

d'accords.

Naturellement, il est impossible d'aller plus dans le détail dans le cadre qui est le nôtre

ici. À partir de ces analyses d'instruments divers, ayant été accompagnés par des

mécanismes de contrôle ou pas, efficaces ou pas – c'était l'objet de notre rapport –, nous

avons été amenés, dans la conclusion, à essayer de tirer un certain nombre de

conséquences de cette comparaison. Nous en avons tiré un certain nombre qui

concernent les codes Afep-Medef et Middlenext, mais qui concernent aussi la

problématique plus large de la responsabilité sociale des entreprises dans les domaines

identifiés dès le début : droits de l’Homme, droit social, protection de l'environnement et

lutte contre la corruption. Sans être exhaustive car ces questions seront évoquées par

les deux membres de l'équipe qui interviendront cette après-midi, nous avons fait un

certain nombre de recommandations en matière de publicité des instruments relatifs à la

gouvernance des entreprises. Pour assurer une meilleure lisibilité de ces instruments.

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FRANCE STRATÉGIE - 32 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Dès lors que l'on affiche un objectif d'assurer une publicité et une transparence, il faut

que les conditions de cette publicité, de cette transparence, de cette lisibilité, de cette

accessibilité des documents soient garanties. Il y a un certain nombre de préconisations

en la matière. Je laisse de côté nos préconisations sur la question fiscale, que Laurence

VAPAILLE évoquera cette après-midi. Nous avons également fait un certain nombre de

remarques concernant la procédure de révision du code Afep-Medef et du code

Middlenext, avec un souci d'ouverture et de transparence qui ne nous semble pas être

connu dans le cadre actuel, avec un rôle possible des parties prenantes. Et nous avons

également jeté un regard relativement critique sur le rôle du Haut Comité de

gouvernement d'entreprise, la manière dont il assume sa mission, sur sa composition et

la difficulté que cela soulève, justement pour assumer un rôle de juge, la difficulté qu'il y

a au regard d'une indépendance à l'égard des entreprises. Je vous renvoie aux

conclusions du rapport. Nous avons également fait, dans une perspective

internationaliste, des recommandations qui concernent l'Union européenne dans le

champ de la négociation des accords d'investissements, car l’Union européenne a

compétence en la matière maintenant, et sur un rééquilibrage des traités

d'investissements qui pourraient comporter des obligations strictes directement

adressées aux entreprises.

Voilà donc pour ce qui est de l'esprit général de ce rapport et la manière dont cette

recherche a été menée. Merci.

Alice NAVARRO

Merci beaucoup. Merci à tous pour ces interventions et les travaux que vous avez

menés, pour les réponses que vous apportez. Cela me fait réagir sur un point qui est

celui de mon expérience en tant que participante à l'élaboration des normes de droit du

point de vue du gouvernement. Ce constat d'une certaine inefficacité des codes de

gouvernance, les critiques sur les conditions d'élaboration, sur les insuffisances du

contrôle, ont conduit, me semble-t-il, le législateur au sens large à changer ses

méthodes d'élaboration des normes, particulièrement en matière de gouvernance. Il ne

vous aura pas échappé que le projet de loi PACTE comporte des dispositions de droit

dur relatives à la gouvernance des entreprises. Ces dispositions traduisent évidemment

une volonté d'universalisme de la loi, d'affichage politique de l'importance de ces

matières qui n'appellent pas de dérogation. Mais je vois également, dans ce qui a été

pratiqué particulièrement pour la Direction générale du Trésor, une approche dans

l'élaboration des textes plus collaborative. La loi PACTE est le résultat de groupes de

place qui ont été menés, de binômes qui avaient été institués avec des parlementaires et

des représentants de la société, de consultations publiques qui permettaient à la fois aux

organismes professionnels, aux représentants des sociétés mais à toute autre personne

intéressée de venir exprimer son avis sur les projets proposés. Et finalement, je trouve

que cela a été, pour la gouvernance d'entreprise, une évolution de la méthode de

fabrication de la loi. Du coup me vient cette question aux membres du panel pour les

sujets qui les concernent. Compte tenu de cette évolution de la façon de fabriquer les

textes en matière de gouvernance d'entreprise, quel est à votre avis l'avenir des codes

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FRANCE STRATÉGIE - 33 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

de gouvernance ? Pensez-vous qu'ils ont toujours leur place, peut-être pour certaines

dispositions plus que d'autres ? Ou ont-ils leur place à condition de certaines évolutions

et quelles évolutions avez-vous en tête pour leur redonner cette place ? Ou pensez-vous

que cette concurrence dans la fabrique collective de la loi fait que les codes de

gouvernance n’ont plus trop d’avenir ? Je vous redonne la parole.

Jean-Christophe DUHAMEL

Merci de me redonner la parole pour une question d'une redoutable simplicité ! Quel est

l'avenir des codes de gouvernance d'entreprise ? N'y a-t-il pas une concurrence

normative qui s'instaure aujourd'hui avec le législateur et rend caduque une initiative

privée en matière de gouvernance ? Déjà, premièrement, je ne partage pas totalement le

constat que vous tirez. Peut-être qu'avec la loi PACTE, il y a eu une procédure de

concertation avec beaucoup de parties prenantes, pourquoi pas. Il y a aussi des

commissions parlementaires qui existent depuis longtemps et qui auditionnent beaucoup

de monde. Mais je ne suis pas au cœur de ce processus. Vous avez une expérience

plus importante que moi. Si j'observe le passé récent, la plupart des hypothèses de

légalisation de ce qui était avant de simples recommandations de gouvernance s'est fait

dans la douleur, conséquemment à des hypothèses traumatiques pour l'opinion publique

ou dans des champs véritablement portés de manière revendicative par les personnes

intéressées. Je travaille depuis dix-huit ans sur la question de la gouvernance et de la

rémunération : à chaque scandale, une loi. Avant, tout était quasiment dans le code de

gouvernement d'entreprise, il n’y avait pas grand-chose dans la loi. Et il suffit que les

journalistes stigmatisent l'ignoble rémunération de tel dirigeant, l'opinion publique

s'émeut, le politique s'émeut et une loi est adoptée. C'est la logique. C'est un courant en

matière de rémunération qui est très fort. Si l'on parle de la parité des sexes dans les

conseils d'administration, c'est très étonnant. J'ai fait partie d'un projet de recherche dont

vous avez peut-être entendu parler, qui s'appelait REGINE (Recherche et Études sur le

Genre et les Inégalités dans les Normes en Europe), acronyme fantastique s’il en est.

J'avais travaillé sur la parité dans les conseils d’administration et observé l'amélioration

très concrète de la situation sous pavillon « principes de gouvernance ». À partir du

moment où l’on avait mis dans le code Afep-Medef cet objectif de 40 % de personnes de

chaque sexe dans le conseil d'administration à horizon 2016, les sociétés qui étaient

contraintes d'appliquer ou de se justifier avaient vraiment entamé un processus de

parité, qui n'était peut-être pas assez rapide ou ne satisfaisait pas suffisamment

l'urgence d'arriver à un équilibre de sexes. En tout cas, il est très clair que la loi Copé-

Zimmerman a surfé sur une vague et a surenchéri sans laisser au dispositif de soft law

instauré moins d’un an avant la chance de monter en puissance jusqu’en 2016. La loi

Copé-Zimmermann énonce ainsi, en janvier 2011, un passage impératif à 40 % de

personnes de chaque sexe à l’horizon 2017. La loi n’a finalement fait que reprendre les

objectifs du code, mais en les décalant d’une année supplémentaire ! Or quand vous

observez les statistiques, les taux avaient réellement commencé à augmenter

consécutivement à l’adoption en avril 2010 de la recommandation adossée au comply or

explain, sans qu'il fût nécessaire de passer par une loi dure. Le jeu dialectique que

jouent les principes de gouvernance et le législateur a donc été troublant en la matière…

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La gouvernance d’entreprise. Mise en œuvre et nouveaux enjeux

FRANCE STRATÉGIE - 34 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Le législateur répond à l'opinion publique, aux scandales, mais s'inscrit parfois aussi

dans une stratégie de mieux-disant alors que les recommandations de gouvernance

pouvaient laisser entrevoir une certaine efficacité. Cela étant, dans REGINE j'ai eu des

difficultés à l’époque à faire passer cela, car la perspective d'une loi d'ordre public de

40 % de personnes de sexe féminin dans le conseil d'administration était quelque chose

de très séduisant, eu égard à la contrainte portée par la loi. Pourtant, quand vous laissez

le choix aux sociétés, on constate qu'elles adaptent leur comportement en faveur de la

parité. Pour elles, c'était en effet difficile d’exposer leur réputation. C'est la logique même

du comply or explain. C'est difficile de déclarer ne pas assumer un objectif de 40 % qui

figure dans les recommandations, car il faut dire pourquoi vous ne voulez pas atteindre

cet objectif. Il y a une pression exogène et les recommandations de gouvernance sont

efficaces dans ce champ objectif que sont les quotas sexuels. Mais le législateur a dit

qu’il fallait faire cela de manière obligatoire…

J’ai répondu par l'exemple à votre question et non par le concept, ce qu’il convient

d’éviter ; mais c’est parce que votre question est difficile : quel est l'avenir des codes de

gouvernance ? Je crois qu'ils ont un avenir, mais dans l'urgence de la situation et sur

des sujets ressentis comme épidermiques par le législateur, on n'est jamais à l'abri que

ce dernier intervienne. En l'occurrence, sur l’affaire Renault, c’est emblématique. On a

cru qu’il convenait de donner le pouvoir juridique aux actionnaires en matière de

rémunération des dirigeants, sur les bases d’un scandale chez Renault, société pourtant

en bonne forme à l’époque, mais dont un actionnaire de référence, l’État, ne pouvait

tolérer le montant de la rémunération du dirigeant. On a alors adopté une loi sur le say

on pay, applicable erga omnes, alors qu’il était auparavant une recommandation de

gouvernance. Sauf que depuis, tous les actionnaires s'alignent et toutes les

rémunérations sont votées par eux… Cela a probablement engendré l’effet

contreproductif de légitimer encore plus les fortes rémunérations…. Ce n'est pas parce

qu’on a doté les actionnaires d’un nouvel outil légal et impératif qu’ils s’en sont pour

autant emparés afin de pourfendre les politiques de rémunération des grands patrons

français… Ce n’était pas vrai avant sous l'empire des principes de gouvernance, ce n'est

toujours pas vrai maintenant sous l'empire de la loi dure. Ce passage de la soft à la hard

law est soit de la naïveté de la part des pouvoirs en place, soit une mise en application

exemplaire de la réplique « il faut que tout change pour que rien ne change ». Il y a une

dialectique entre les codes de gouvernance et la loi dure intégrant parfois des enjeux de

pouvoir, des réactions politiques, des choses qui troublent la donne. Je laisse la parole

aux autres.

Alice NAVARRO

J'étais volontairement polémique.

Katrin DECKERT

Je ne partage pas ce constat. Je pense que les problèmes, ce ne sont pas les codes. Ils

présentent des avantages en matière de souplesse et de flexibilité. De plus en plus de

pays adoptent les codes de gouvernance d'entreprise. Dernier exemple : le Japon, en

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 35 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

2015. Récemment encore, au printemps 2018, le Japon a refait son code, l’a actualisé. Il

est convaincu de l'importance d'avoir un code. Personne ne met en cause le principe du

code. Ce qui est problématique, c’est leur application dans la pratique et les problèmes

de contrôle de ce que déclarent les entreprises. Je pense qu'il faudrait intervenir là,

assurer un meilleur contrôle de ce que déclarent les entreprises. Peut-être proposer,

voire imposer, un contrôle. L'autorité des marchés financiers le fait déjà dans une

certaine mesure, mais il est très compliqué en pratique de contrôler autant de

déclarations, une autorité privée pourrait aussi le faire, sous certaines conditions. Ou

encore, plus efficacement, les acteurs de marché, notamment les investisseurs

professionnels, qui ont les capacités et les moyens pour le faire. Il faudrait changer la

culture des investisseurs généralement. Déclarer ne pas se conformer (entièrement) à

un code n'est pas forcément mauvais. C'est l'avantage du code de déclarer. Chaque

entreprise est différente. Il n'y a pas qu'une seule approche. Il y a des approches en

matière de gouvernance adaptées à chaque entreprise. Il faut que les investisseurs

changent d'attitude en disant que l'entreprise qui déclare ne pas respecter un code (ou

certaines de ses dispositions) est forcément une mauvaise entreprise. Il faut que les

investisseurs changent d’état d’esprit et s'intéressent à ce que déclarent vraiment les

entreprises, et pourquoi, ainsi que ce qu'elles font. Les investisseurs peuvent et doivent

changer d'attitude et être impliqués dans ce contrôle.

Il faudrait aussi valoriser les entreprises qui justement jouent le jeu. Des études montrent

que les entreprises qui font de bonnes déclarations – même si elles ne respectent pas le

code, qui expliquent bien pourquoi – ne sont pas valorisées. Il y a un problème. Il faut

encourager les entreprises à bien déclarer et les valoriser ensuite. Et pour ceux qui ne le

font pas, renforcer les sanctions civiles et administratives, voire pénales. Actuellement, il

y a très peu de cas d’entreprises qui ont été poursuivies ou sanctionnées pour mauvaise

déclaration. L'autorité, l'État, devrait intervenir.

Frédérique COULÉE

Je vais répondre de mon point de vue à la question de la logique plus collaborative, mais

comme j'ai le micro, je vais réagir à ce qui a été dit précédemment sur la question de la

parité, en tant que femme et ayant vécu le monde universitaire sans une législation en la

matière, puis le monde universitaire après, en tant que membre du CNU avec une parité

appliquée dans ce cadre. J'étais contre au début. Légiférer sur ces questions me

semblait parfaitement humiliant pour les femmes. Je ne m'étais jamais sentie une

minorité dans mon propre pays et j'avais une hostilité idéologique à la chose. Quelques

années après, que constate-t-on de manière purement factuelle ? Au CNU, le Conseil

national des universités qui est l'instance qui qualifie les thèses, vous avez des hommes

et des femmes, et la question ne se discute pas. Le champ d’application de la parité se

discute dans les universités. Par exemple, il y a des doutes sur l'application qui peut en

être faite dans les jurys de thèse. En tant que membre du CNU, je me livre à un exercice

régulier qui consiste à regarder la composition des jurys de thèse pour lesquels on

n'applique pas ce référentiel. Les jurys de thèse exclusivement masculins sont nombreux

et quand il y a des femmes dans les jurys de thèse, elles sont seules ; quand il y en a

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FRANCE STRATÉGIE - 36 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

deux, c’est formidable ; quand il y en a trois, c’est que le directeur de thèse est une

directrice de thèse. Il faut dire les choses telles qu'elles sont. Par ailleurs, pour être

complète, je fais un exercice d'introspection publique, je remarque à titre tout à fait

personnel que mon nom a été proposé dans un certain nombre de circonstances pour

des fonctions éminentes dans lesquelles on a parfois beaucoup mis en avant le fait que

j'étais une femme et quand il n'y avait pas de texte, étonnamment, dans la dernière

phase où il restait deux noms, mon nom passait en deuxième position et on me préférait

un homme qui avait en général vingt ans de plus que moi. Je ne vais pas parler de cela

maintenant.

Les instruments internationaux donnent quelques indications sur le rôle de la logique

collaborative et l'apport de cette logique collaborative. Je vais dire quelque chose de très

positif sur le plan national d'action français pour la mise en œuvre des principes

directeurs. Je trouve que c'est un exercice réussi de ce point de vue. Il y a un vrai

respect des interlocuteurs, une identification claire des parties prenantes, de la part qui a

été la leur, et il y a même une identification extrêmement claire de leur désaccord

ponctuel, ce qui est un élément utile pour l'observateur, et je pense qu'il sera utile pour la

suite, pour la mise en œuvre de ce plan national d'action. Évoluer vers une logique plus

collaborative est quelque chose que l'on constate déjà, mais il faut continuer dans cette

voie. Par ailleurs, les instruments internationaux qui apparaissent les moins efficients

aujourd'hui sont ceux qui n'ont pas joué ce jeu-là. De ce point de vue, je pense en

particulier au Pacte mondial (Global Compact). Il y a une absence de logique

collaborative en réalité. Quand on s'intéresse au Pacte mondial de manière précise,

derrière les affichages, en réalité il n'y a pas de collaboration. Le Pacte mondial est

extérieur aux Nations unies, il n'y a pas de dialogue avec les États. Il y a une fausse

transparence et c'est un défaut qui est mis en évidence. Ce qui me frappe également sur

la logique collaborative, c’est que quand elle est vraiment là, il y a une vraie

transparence sur le processus de construction de l'instrument et, de ce point de vue,

peut-être y a-t-il des choses à améliorer en France pour les codes de gouvernement.

Alice NAVARRO

Je vais maintenant donner la parole aux personnes se trouvant dans la salle. Souhaitez-

vous poser des questions aux membres de ce panel ?

Pascal VERNERIE

J'étudie actuellement en master développement durable organisation de Paris Dauphine

et je suis également sélectionneur de fonds financiers dans la société Amundi. Ma

question est relative à ce que vous disiez tout à l'heure, Katrin DECKERT, sur le fait que

vous ne voyez pas de mise en pratique du code de gouvernance, tandis que Jean-

Christophe DUHAMEL a plutôt dit que l'on est obligé de déclarer quelque chose qui est

vrai, sinon on tombe sous la loi des abus de marché. Je vois des positions qui sont peut-

être inconciliables.

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FRANCE STRATÉGIE - 37 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Katrin DECKERT

Pas du tout, nous disons la même chose en fait. Le problème est le volet déclaratif.

Beaucoup d'entreprises déclarent quelque chose qui ne correspond pas à la réalité. Et le

problème est ensuite l'application de sanctions, car très peu de sanctions sont

appliquées dans ce cas-là. Dans la pratique, on ne voit pas (beaucoup) de contentieux,

de cas où l’on sanctionne les sociétés qui n'ont pas fait une bonne déclaration. Ce n'est

pas le code, le problème, c'est la déclaration et éventuellement sa sanction. L'entreprise

applique-t-elle correctement le code ?

Pascal VERNERIE

En principe on aurait les moyens juridiques d’intervenir et sanctionner par les abus de

marché, mais on ne peut pas en pratique ou on n'a pas le temps de le faire ?

Jean-Christophe DUHAMEL

Le vrai problème est simple : on a beau dire qu'il y a de fausses déclarations, de fausses

informations délivrées au marché, qu’est-ce qu'une fausse information en matière de

gouvernance ? D'un point de vue juridique, le principe de sanction doit être fondé sur la

caractérisation d'un fait fautif. Quand vous êtes dans un exercice d'essence

communicationnelle qui est de dire à quel point vous respectez les principes de

transparence, d'indépendance, à partir de quand franchit-on la frontière de la fausse

information ? Quel est le fait fautif ? Mutatis mutandis, sur les bases d’une campagne

marketing, c'est la différence entre un consommateur qui est trompé et un

consommateur dont on travaille la subjectivité de sorte à susciter l’adhésion, le désir, et

à déclencher l’acte de consommation. Là, vous n'êtes pas consommateur, mais vous

êtes investisseur, actionnaire. On vous donne une information. À partir de quand cette

information vous trompe-t-elle ou est-elle faite pour travailler votre subjectivité, votre

regard bienveillant vis-à-vis d'une entreprise par rapport à ces pratiques ? À partir de

quand franchit-on la frontière de la fausse information ? C’est très compliqué.

Deuxièmement, la plupart des dispositifs juridiques de sanction (droit civil et dispositif

abus de marché) nécessitent que cette fausse information, si tant est qu'elle existe, ait

un impact concret sur les cours, sur les investisseurs ; or, je le répète, on n’est pas du

tout certain de l’impact des déclarations de gouvernance, et plus globalement du

reporting éthique et responsable, sur les décisions d’investissement et donc sur la

formation des prix sur les marchés financiers.

Déjà, parfois, sur des éléments pourtant très objectifs, un bilan comptable, un résultat

trimestriel, c’est compliqué car il y a une interprétation comptable des choses. Mais sur

la gouvernance d'entreprise, l'éthique d'entreprise, à partir de quand considérer qu'une

entreprise déclare des choses alors que ce n'est pas vrai ou que cela ne correspond pas

exactement à la réalité ? C'est très compliqué. La gouvernance d'entreprise n'est pas

faite pour être sanctionnée. Elle a été conçue initialement comme un outil mis à

disposition des entreprises, un outil éthique, un outil relevant de l'éthique des affaires,

pour qu’elles expliquent et se justifient de leur comportement. Ce n’est pas un exercice

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FRANCE STRATÉGIE - 38 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

de vérité, la gouvernance d'entreprise, mais un exercice de démonstration

/argumentation des valeurs qui sont portées par l'entreprise. C'est forcément quelque

chose qui va être stratégisé, cela ne peut pas être autrement.

Je ne suis pas d'accord avec la proposition que vous faites : remettre à des organismes

privés le contrôle de l'information de gouvernance. Déjà, quand on voit à quel point il y a

des difficultés pour noter objectivement la dette d'une entreprise qui paye celui qui

délivre la note… Je doute par exemple qu’un auditeur payé par l’entreprise puisse dire :

« Vous déclarez cela, d'accord. Je débarque dans l'entreprise. Êtes-vous vraiment

indépendants ? Travaillez-vous vraiment à l'équilibre des rémunérations ? Je ne pense

pas. Je vais mettre une mauvaise note. » Pour moi, à part rajouter encore et encore des

certificats de conformité qui vont d'ailleurs coûter cher à l'entreprise, je ne vois pas

vraiment d’efficacité à la chose. Ce n'est pas fait pour être contrôlable et soumis à un

exercice de vérité ; je me trompe peut-être, mais c’est là ma conviction profonde, qui

découle de nombreuses années de réflexion sur ce domaine. C'est un outil de

communication au service des entreprises, il faut le prendre comme tel. Cela ne veut pas

dire, attention, qu'une déclaration trop angélique de la société sur son comportement

éthique ne pourrait pas servir à caractériser, dans une hypothèse de préjudice causé par

l’activité de l’entreprise (environnemental, sociétal…), des indices pouvant concourir à la

révélation d'une faute, ne serait-ce que d’imprudence ou de négligence. Pourquoi pas.

Mais en tant que tel, qu’est-ce qu’une fausse déclaration de gouvernance, sanctionnable

pour elle-même ? Il me semble très compliqué de le dire, sauf peut-être sur la base de

recommandations très objectives, lesquelles ceci dit ne posent en général pas de

problème de fausse déclaration car l’entreprise n’y aurait aucun intérêt. J'ai posé cette

question au HCGE, à Pascal DURAND-BARTHEZ. Il m'a dit (citation non fidèle) : « Si

l’on vous dit que dans cette société il y a deux tiers d'indépendants au conseil

d'administration et que ce n'est pas vrai, on ne va pas dire qu'il y a deux tiers s'il n'y a

pas deux tiers. Et si l’on considère qu'ils sont indépendants, de quel droit allez-vous dire

"j'ai été trompé, il n'est pas indépendant ?". »

Katrin DECKERT

Je ne partage pas votre point de vue car une grande partie des déclarations sont

globalement vérifiables, contrôlables. Vous avez choisi l'indépendance de

l’administrateur, dont le concept est particulièrement délicat. Et encore, il y a surtout une

définition négative. On peut donc vérifier l'indépendance ou la non-indépendance.

Quand le Haut Comité constate une non-conformité, il envoie des lettres aux entreprises

en question. Et à l'étranger, cela se fait aussi. À mon sens, ces déclarations sont donc

contrôlables, au moins sur certains points.

Le problème, ce ne sont pas seulement les fausses déclarations qui ne correspondent

pas à la réalité, mais aussi les déclarations trop vagues, standardisées. Il faudrait

demander un peu plus d'exigences en la matière, être plus clair et précis de la part des

entreprises.

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 39 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

La répression des agissements pouvant être qualifiés d’abus de marché étant difficile,

alors pourquoi pas la sanction civile ? C’est tout à fait possible. Dans d'autres pays, cela

se fait (et d’ailleurs plus facilement qu’en France). Il est tout à fait envisageable de

sanctionner civilement les entreprises qui font de fausses déclarations, encore faut-il que

les conditions de la responsabilité civile soient remplies. Et pourquoi pas prévoir une

sanction spécifique en cas de mauvaises déclarations ?

Jean-Christophe DUHAMEL

Qui seraient les victimes sur un plan civil que vous indemniseriez ? Les investisseurs ?

Comment savez-vous que l'investisseur a arbitré ses positions en fonction d'une

déclaration de conformité qui est la même depuis nombre d’années ? Personnellement,

je trouve étrange que l'investisseur puisse avoir une telle stratégie d’investissement. Il

est vrai qu’avec les derniers états de la jurisprudence en matière d’indemnisation de la

perte de chance de l’investisseur en cas de fausse information, on maximise la

probabilité d’aboutir à une indemnisation… Mais si la démonstration d’un investisseur

trompé n’est plus requise, encore faut-il que l’information en cause ait été susceptible de

tromper le marché, de fausser le prix d’un actif financier (la Cour de cassation insiste sur

une information « de nature à gonfler artificiellement le cours de la bourse et à inciter les

actionnaires à acheter des titres à un cours supérieur à sa valeur réelle, ou à les

conserver »). On retombe sur le sujet fondamental de l’impact incertain du reporting de

gouvernance en matière de formation des prix du marché. S’agissant des parties

prenantes salariées, comment, sur un plan juridique, caractériser un lien de causalité

entre la fausse information de gouvernance et un préjudice salarial ? Autant lire dans

une boule de cristal ; tout cela me paraît très compliqué.

Alice NAVARRO

Il y a le problème du lien de causalité, qui s'apprécie au cas par cas, et la capacité à être

sollicité par ces parties prenantes, même si cela n'aboutit pas in fine à une

condamnation. Cela crée au moins un dialogue, on vient dire : « Vous avez dit cela, vous

ne l'avez pas respecté et j’ai un intérêt à agir pour venir vous rappeler ce que vous avez

indiqué. »

Jean-Marc MOULIN

Je voulais réagir à ce que j’ai entendu car je ne suis pas en désaccord, mais il y a peut-

être différentes écoles en matière de gouvernance. Avant tout, pour répondre à ma

collègue et amie, Frédérique COULÉE, en matière de quotas, les lois sur les quotas,

l'humiliation ne doit pas être du côté des femmes, mais des hommes, car ce sont eux qui

ne voient pas l'autre moitié de l'humanité. Cela me permet de rebondir sur ce que vous

disiez, monsieur, au tout début : si vous prenez la loi Copé-Zimmermann, ce n'était pas

le fruit d'un dialogue mais d'un non-dialogue. Vous aviez l'air de présenter les sociétés et

notamment les sociétés cotées au CAC 40 comme des sociétés vertueuses, inscrites

dans un processus de recrutement de femmes. Quand vous regardez les statistiques

après l'adoption de la loi, beaucoup n'étaient pas conforme à la loi. Il n'y avait quasiment

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FRANCE STRATÉGIE - 40 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

pas de femmes. Dans certains conseils d’administration, c'était zéro. Les sociétés cotées

se sont trouvées bien embêtées d'aller rechercher dans leur organigramme des femmes

en capacité d’être montées dans les conseils d’administration. C'est pourquoi elles ont

demandé un délai. Il y a même eu un cas fameux chez LVMH : on a recruté une

personne dont on savait qu'elle n'était pas compétente, mais on affichait qu'elle était une

femme.

Depuis la loi Copé-Zimmermann, le quota de 40 % est respecté, mais quand vous

regardez où se trouve le vrai pouvoir dans une société cotée, dans les comités exécutifs,

vous n'avez pas de femmes : 19 % en moyenne sur le CAC 40. Et les cinq plus grosses,

zéro femme. Il me semble qu’en cette matière, penser que les sociétés par elles-mêmes

sont vertueuses sur ce genre de thématique est une vision des choses angélique.

Pour l'avenir des codes de gouvernance, il faut regarder les différents systèmes

juridiques. On revient sur une dimension un peu plus internationale. Que peut faire le

code de gouvernance Afep-Medef en France ? Pas grand-chose, car on est dans un

système romano-germanique, on a une loi et ce code doit a minima répliquer la loi, ne

peut pas aller contre la loi et ne peut pas faire moins que la loi. Il peut faire une chose :

plus que la loi. Parfois il le fait, peu de fois, notamment en matière de cumul contrat de

travail, mandat social. Ou alors il vient expliciter la loi en matière de rémunération, mais

les règles pour fixer des rémunérations dans le droit français ont toujours figuré dans le

code de commerce. Après, on peut s'émouvoir du montant des rémunérations. Et de

nouveau, quand vous dites que les rémunérations sont systématiquement votées, cela a

été vrai, mais les dernières campagnes d’assemblées générales montrent que c’est

moins vrai. C'est moins vrai en France et surtout en Allemagne cette année. Les taux

d'approbation à 98 % tombent à 70 %-65 %. Dans ce monde, c'est un message qui est

envoyé aux directions générales en disant « attention, on vous regarde de plus près ».

En revanche, dans les mondes anglo-américains, les codes sont généralement

obligatoires. Et là, on n'est que dans le comply or explain. Ils font partie des règles

minimales à adopter pour être coté. C'est le cas à Londres et New York. On est dans le

système de common law, même si c'est un peu moins vrai dans le système anglais avec

leur loi de 2006. La problématique est un peu différente. C'est pourquoi l'avenir d'un

code de gouvernance dépendra de l’environnement juridique dans lequel il émergera. Un

bon code de gouvernance en France est un code qui disparaît. Soit les sociétés l'ont

adopté et sont devenues vertueuses, soit la loi l’a repris et c’est devenu de la hard law.

Sur les stock options, la loi va très loin dans le détail. Il faut tempérer.

Je vous rejoins sur la difficulté de la sanction actuellement, mais on a des sanctions

légales. Dès lors que vous faites une infraction au code du commerce, on peut avoir des

systèmes d'injonction. Il n'y a pas au niveau de la Cour de cassation un arrêt qui

viendrait dire qu’un investisseur a subi un dommage car il a été mésinformé dans le

rapport de gouvernance. Il peut y avoir aussi des dialogues. Il y a des dialogues entre les

directions générales et les principaux investisseurs. L’AMF, tous les ans, pointe la

superficialité des justifications qui sont apportées dans certains codes. C'est écrit dans le

rapport AMF. Cette justification, on n'en veut plus l'année prochaine, elle est trop bateau.

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FRANCE STRATÉGIE - 41 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Le fait que l'on va passer d'un système bicéphale de gouvernance à un système

monocéphale pour nous expliquer que l'on n'a pas trouvé quelqu'un d'autre qui puisse

challenger un peu le directeur, c'est trop bateau. Peut-être pouvez-vous justifier ce mode

de gouvernance, mais allez plus loin dans l'explication.

Alice NAVARRO

Une dernière question.

Denis VILLAGE

J'anime un groupe gouvernance sur ces questions entre directions de Bercy.

Ma question très brève est en direction de Katrin DECKERT, qui a cité les proxy

advisors. Parmi ceux qui peuvent observer et pointer les divergences entre ce qui est dit,

déclaré par les entreprises et le réel, et influer sur les investisseurs, donc créer une sorte

de régulation, il peut y avoir les proxy advisors. Que pensez-vous de leur rôle réel ?

Font-ils vraiment ce rôle d'analyse critique ou pas encore ?

En France d'abord, et éventuellement dans d'autres pays, bien sûr.

Katrin DECKERT

Merci beaucoup. Il faut bien distinguer États-Unis et France. Aux États-Unis cela marche

très bien, il y a beaucoup de proxy advisors ; en France, en revanche, les agences de

conseil en vote sont moins actives, mais plus encadrées.

Je ne pense pas que leur activité soit dangereuse. Toutefois, on observe dans la

pratique que les proxys ne font pas toujours une analyse précise de la situation de

chaque entreprise mais appliquent la même politique pour toutes sortes d'entreprises

qu'ils représentent, ce qui est critiquable. À cela s’ajoutent des problèmes de

gouvernance et des conflits d’intérêts des proxys. En revanche, un vrai dialogue puisse

s'instaurer entre les proxys et les dirigeants de l'entreprise, ce qui en soi est bénéfique,

au moins en théorie. Mais il faut les encadrer.

Alice NAVARRO

Nous avons légèrement dépassé le temps qui nous était imparti. Un grand merci à

l'ensemble des participants. Un grand merci à l’assistance pour les questions qui ont été

posées.

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La gouvernance d’entreprise. Mise en œuvre et nouveaux enjeux

FRANCE STRATÉGIE - 42 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Approche comparée et pluridisciplinaire

Odile UZAN

Vice-présidente de la Plateforme RSE

Je remercie l'ensemble des organisateurs de m'avoir confié la présidence de cette table

ronde qui propose un regard pluridisciplinaire sur ce thème de la gouvernance, qui me

va assez bien puisque j'ai commis moi-même un ouvrage, « regards croisés sur la RSE,

droit et gestion ». Après ces remerciements, nous allons aborder la table ronde. Je vais

garder l'ordre du programme. Chacun des intervenants aura vingt minutes.

Réda SEFSAF

Je suis maître de conférences à l'université de Lille dans la discipline sciences de

gestion. Je ne suis pas juriste.

Avec Jean-Christophe DUHAMEL, nous avons travaillé sur la gouvernance des

entreprises sous l'angle juridique mais également sous l'angle des sciences de gestion.

La gouvernance des entreprises est un sujet qui a été largement débattu en sciences de

gestion, mais sous un angle totalement différent de ce que l'on voit pour l'angle juridique.

En sciences de gestion, on considère qu'il n'y a pas un mécanisme de gouvernance qui

prévaut, pas vraiment un référentiel ou un principe. On considère qu'il y a une bonne

gouvernance à partir du moment où il y a une maximisation de la richesse, une création

de valeur, tout simplement. À partir de nombreux aspects théoriques, notamment la

théorie de l'agence, on considère que les mécanismes de bonne gouvernance sont des

mécanismes qui permettent d'aligner les intérêts des dirigeants à ceux des actionnaires,

les principaux porteurs de risques. Forcément la création de la richesse et la

performance des entreprises. D'un autre côté, on a des codes de bonne gouvernance

avec des principes préconçus et qui ont été également conçus dans cette même optique,

c'est-à-dire dans une vision actionnariale : création de richesse, création de valeur,

meilleure performance financière. L'objectif de notre recherche était de voir ce qui

pousse les entreprises à mettre de côté leurs propres principes de gouvernance, les

principes qui ont été conçus en interne pour atteindre la meilleure performance, et

adopter des codes de bonne gouvernance. Qu’est-ce que les codes de bonne

gouvernance apportent de plus à ces entreprises ?

En sciences de gestion, on considère qu'il n'existe pas un modèle universel de bonne

gouvernance. Les mécanismes s’adaptent à chaque entreprise en fonction de son

environnement, sa culture, sa structure, la conjoncture économique. Il y a de nombreux

facteurs qui font que les mécanismes de gouvernance en sciences de gestion, en tout

cas le caractère de bonne gouvernance, changent d'une entreprise à une autre, en

fonction de l'environnement de l'entreprise et de ses caractéristiques. Notre question de

recherche était de savoir quels sont les déterminants qui poussent les entreprises à se

conformer à ces codes. En dehors de la performance, n'y a-t-il pas une recherche en

quelque sorte d'une réputation pour les entreprises ? Sachant qu'il y a bien sûr l'objectif

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de la performance, mais peut-être les entreprises, en se conformant à ces codes de

bonne gouvernance, cherchent-elles tout simplement à mettre en confiance les

investisseurs ou peut-être la gouvernance dépend-elle de l'environnement de

l'entreprise, de variables structurelles à l'entreprise, de sa taille, de nombreux autres

facteurs ?

Au niveau des sciences de gestion, on a des recherches qui ne donnent pas les mêmes

résultats. On a des études qui affirment un impact positif de la conformité des

entreprises, de la conformité au code de bonne gouvernance sur la performance.

D'autres affirment le contraire. Et des recherches n'arrivent pas à trouver une conclusion

sur l'impact de la conformité sur la performance des entreprises.

Bien sûr, cette divergence peut s'expliquer par différents éléments. Les études n'ont pas

été menées sur la même période. Les échantillons n'étaient pas identiques. Les codes

de gouvernance n'étaient pas non plus identiques. Certaines recherches ont été

appliquées ou testées sur un échantillon d'entreprises allemandes, d'autres sur un

échantillon d'entreprises françaises, britanniques et ainsi de suite. On n'est pas dans les

mêmes environnements.

Nous avons émis une l'hypothèse de base : que les entreprises se déclarent conformes

au code de bonne gouvernance pas forcément pour chercher une meilleure performance

mais pour maintenir leur image, pour leur réputation tout simplement. Cela véhicule

toujours une bonne image quand l'entreprise dit « je suis full compliant ». C'était notre

hypothèse de base, mais il y avait encore d'autres hypothèses sur des variables

structurelles. Quel est l’impact de la taille de l'entreprise sur le taux de conformité ? Une

entreprise plus grande va-t-elle se conformer plus ou moins au principe des codes de

bonne gouvernance ? L'endettement, la croissance. De nombreux facteurs dont nous

avons supposé qu’ils pouvaient expliquer le taux de conformité aux recommandations

des codes de bonne gouvernance.

Revenons à la performance des entreprises. Nous nous retrouvons devant deux

situations : des entreprises qui affichent de faibles performances, qui peuvent être

amenées à se conformer davantage au code de bonne gouvernance pour redonner

confiance aux marchés, et, de l'autre côté, des entreprises qui n'ont pas trop intérêt à se

conformer car elles affichent déjà une bonne performance. Nous sommes toujours dans

les sciences de gestion et dans le cadre théorique de la théorie d'agence qui cherche

toujours à aligner l'intérêt des dirigeants sur ceux des actionnaires. Le dirigeant va

chercher à donner confiance aux investisseurs à travers les déclarations de conformité.

À partir de là, nous avons notre hypothèse de base.

D'un point de vue méthodologique, dans notre étude, nous avons travaillé sur trois piliers

différents. Nous avons pris les échantillons français, allemands et britanniques. Nous

avons pris les trois codes de bonne gouvernance. Pour la France, le code Afep-Medef.

Pour l'Allemagne, le Kodex. Et pour le Royaume-Uni le UK corporate governance code.

Nous avons pris la période de 2011 à 2015, soit une antériorité de cinq ans, et constitué

une base de données à partir des dépouillements des rapports annuels, où il y a les

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FRANCE STRATÉGIE - 44 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

déclarations de conformité. Nous nous sommes également servis d'une autre base de

données, le Thomson Reuters Datastream, dans notre laboratoire de recherche, pour

récolter ou collecter les données financières ou structurelles des entreprises. Au final,

nous nous sommes retrouvés avec 1 500 documents de référence, que nous avons

dépouillés.

Par la suite, il fallait refaire un travail car les déclarations étaient faites de manière

narrative. Il fallait faire un codage. À toute déclaration de conformité, nous avons affecté

la valeur 1. Et quand il n'y avait pas de conformité, nous avons affecté la valeur 0. À

partir de l'ensemble de ces éléments, nous avons pu constituer notre base de données.

Par rapport aux variables de gouvernance, c’est-à-dire les déclarations de conformité,

nous les avons regroupées en trois thèmes : toutes les recommandations relatives au

statut individuel de l'administrateur, la composition et le fonctionnement du conseil et des

comités, le statut individuel des dirigeants et leur rémunération. Au niveau des

documents de référence, nous nous sommes intéressés à soixante-cinq

recommandations. Cela faisait beaucoup pour faire tourner par la suite un modèle de

régression, pour voir le lien de causalité entre les variables structurelles des entreprises

et de la performance et leur impact sur la conformité de ces items de gouvernance.

Soixante-cinq, cela faisait beaucoup. C’est pour cette raison que nous avons fusionné

certaines variables de gouvernance en méta-variables. Au final, nous avons eu trois

grands thèmes : statut de l’administrateur, composition du conseil et des comités, statut

des dirigeants et leur rémunération, composés de méta-variables regroupant les

variables de gouvernance testées (i.e. les recommandations de gouvernance figurant

dans les codes).

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FRANCE STRATÉGIE - 45 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Les trois thèmes sont divisés en méta-variables en fonction de l'objectif des

recommandations que nous avons trouvées dans les codes de bonne gouvernance. Par

exemple, si je prends la composition et le fonctionnement du conseil et des comités, on a

des recommandations qui parlent de la composition du conseil et des comités, du

fonctionnement du conseil, de l'existence et du fonctionnement des comités, du

fonctionnement du comité d’audit. À chaque fois qu'il y avait des recommandations qui

parlaient de ces thèmes, nous leur affections 0 ou 1 (non conforme/conforme).

Par la suite, nous avons utilisé notre deuxième base de données pour collecter nos

données de performance et nos données structurelles. Par rapport à la performance des

entreprises, nous nous sommes intéressés à la performance économique/comptable

(ROA : Return on Assets), à la performance opérationnelle mesurée par le chiffre

d'affaires (RP : Ratio de Profitabilité) et à la performance financière (RET : Rentabilité

des Titres), reflétée dans le cours boursier. Pour les trois types de performances, nous

avons supposé une relation négative. Les entreprises les moins performantes sont les

entreprises qui cherchent à être plus conformes au code de bonne gouvernance.

Inversement, les entreprises fortement performantes vont être moins incitées à se

déclarer conformes. Ce sont les entreprises dans lesquelles on devrait théoriquement

trouver plus de déviations aux recommandations des codes de bonne gouvernance. Bien

sûr, quel que soit le type de la performance.

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FRANCE STRATÉGIE - 46 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

La deuxième variable testée dans notre modèle est la croissance des entreprises. Cela

veut dire forcément de plus grandes restructurations, une gouvernance plus ou moins

instable. Et qui dit instabilité, dit moins de conformité au code de bonne gouvernance.

Nous avons supputé un signe négatif. Une entreprise qui est en forte croissance n'aura

pas forcément dans ses priorités de se conformer davantage au code de bonne

gouvernance. On a les opportunités d'investissement. Nous les avons mesurées par la

proportion des immobilisations corporelles. Une entreprise qui a beaucoup

d'immobilisations corporelles est dans un stade de stabilité, elle aura donc le temps de

se conformer au code. Nous prévoyons un signe positif. Plus la proportion des actifs

corporels est grande, plus il y a de conformité. Les dépenses discrétionnaires sont les

dépenses en R & D, des dépenses que les investisseurs ou les actionnaires ont du mal à

comprendre et à maîtriser. Les dirigeants peuvent être amenés à déclarer plus de

conformité pour rassurer les investisseurs quant aux dépenses discrétionnaires.

Concernant la structure du capital, nous avons pris comme première variable la structure

du passif, notamment l'endettement à long terme. Nous sommes dans un dilemme car

nous considérons que les entreprises fortement endettées vont forcément nécessiter

plus de contrôle de la part des investisseurs. Plus de dettes, cela veut dire plus de

risques. Cela veut dire plus de conformité pour rassurer les investisseurs. De l'autre

côté, le fait que les entreprises aient des dettes fait qu’il y a partage dans le contrôle : les

actionnaires partagent ou donnent une certaine partie de leurs risques au banquier. Cela

peut mener à moins de conformité. Nous n’avons pas d'hypothèse là-dessus, nous

sommes mitigés.

Par rapport aux autres variables de structure de capital, on a la proportion des actions

détenues par les employés et les investisseurs institutionnels. Nous considérons que

plus cette proportion est grande, plus il y a de la conformité au code de bonne

gouvernance. Les investisseurs institutionnels et les salariés vont exiger des dirigeants

de se conformer au code de bonne gouvernance, contrairement aux investisseurs que

l'on appelle les insiders, les dirigeants qui ont une part dans le capital des entreprises.

Dans ce cas, il y a moins d'incitations à se conformer aux recommandations des codes

bonne gouvernance. C'est pourquoi nous avons émis l'hypothèse négative.

Par rapport à la volatilité des titres sur le marché financier, nous considérons que plus le

marché est volatil, plus les investisseurs et les dirigeants auront besoin de se conformer

au code de bonne gouvernance. Enfin, nous avons pris d'autres variables de contrôle :

secteur d'activité et taille de l'entreprise.

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FRANCE STRATÉGIE - 47 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Nous avons testé nos variables sur un modèle de régression. Nous avons pris une

variable dépendante qui est la gouvernance, que nous avons essayé d'expliquer avec

des variables indépendantes : la performance, la structure.

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FRANCE STRATÉGIE - 48 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Je vous présenterai les résultats dans l'après-midi. Merci.

Odile UZAN

Merci pour avoir fini sur un slide qui demande de nombreux commentaires et d'avoir

respecté le temps.

Dans l'ordre du programme, je passe la parole à M. BERTHILLON en lui demandant de

préciser sa discipline.

Florent BERTHILLON

Je suis juriste, doctorant à l'université Jean-Moulin Lyon 3. Le fait de me présenter me

permet de faire part de l’illégitimité totale qui est la mienne à traiter ce sujet car je ne suis

pas comparatiste, même si l'exercice s'est avéré au final plutôt significatif, notamment au

regard de l'étude que nous avons pu mener. Je voulais remercier les organisateurs de

ce colloque qui nous donnent l'occasion de restituer les résultats de notre recherche et

Mme MAZUYER, qui n'est pas là malheureusement et qui a supervisé celle-ci. Pour ma

part, j'interviendrai sur la question de l'effectivité de la rémunération, grande composante

de notre recherche, et essaierai de procéder à une analyse comparée de celle-ci au vu

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 49 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

des différents pays étudiés dans notre recherche : l'Allemagne, le Royaume-Uni, la

Belgique et l'Espagne.

Pourquoi la thématique des rémunérations ? Elle est centrale dans les codes de

gouvernance, ne serait-ce que formellement. En tout cas, pour ce qui est du code Afep-

Medef, elle prend une place importante, c'est la majorité des recommandations qui

concerne la rémunération. Cela peut s’expliquer dans un premier temps par la

complexité de la structure de celle-ci et la difficulté que l’on a à l'encadrer. Cela peut

aussi s'expliquer à mon sens par la dimension symbolique dont relèvent les

rémunérations dans le cadre de la corporate governance. Si l’on se rappelle que l’objectif

de la corporate governance est de rééquilibrer le pouvoir entre actionnaires et dirigeants,

on se rend bien compte que la rémunération est l’un des thèmes où, précisément, les

intérêts de ces deux parties seront les plus susceptibles d'être antagonistes. Et la

rémunération impacte évidemment la vie de l'entreprise, que ce soit quand on la

considère en tant que dépenses mais aussi dans des aspects plus généraux. Le nombre

de scandales médiatiques dont elle a pu être la source impacte la vie de l'entreprise,

peut générer des grèves et influer le cas échéant sur le cours de bourse. C'est pourquoi,

à mon sens, la thématique des rémunérations est un bon indicateur de l'application

globale des codes.

Pourquoi le droit comparé ensuite ? Et pourquoi ce panel ? Premièrement, parce que la

corporate governance est un outil juridique importé, étranger à la culture juridique

française, qui vient d'une tradition juridique présentée en général comme assez éloignée

de la nôtre. La perspective de droit comparé permet de voir comment la France s’est

acculturée à cette thématique. Toute la difficulté est donc d'encadrer la rémunération des

dirigeants de manière souple. C'est là tout l'intérêt de cet outil juridique, car les

entreprises auxquelles s’adressent les codes sont cotées et opèrent à une échelle le

plus souvent internationale. Toute la dimension de concurrence des différents ordres

juridiques prend son sens. On cherche à encadrer plus qu'à limiter la rémunération des

dirigeants, afin de préserver la compétitivité des entreprises françaises et, pour chacun

des pays considérés, des entreprises nationales sur le plan boursier, qui est

intrinsèquement mondial. Plutôt que limiter, on va chercher à rationaliser cette

rémunération autour de deux aspects sur lesquels je reviendrai.

Quelques précautions méthodologiques avant de livrer les résultats de cette étude.

Partant de cette base franco-française, en tout cas de notre rapport de recherche, j'ai

essayé de consulter les différents rapports disponibles, délivrés pour les différents codes

de gouvernance étrangers (Belgique, Espagne, Allemagne et Royaume-Uni), sachant

que les rapports ne sont pas faits par les mêmes acteurs, n’ont pas les mêmes degrés

de précision, n’évaluent pas les mêmes codes, n’étudient pas les mêmes panels.

J'essaie de garder un niveau de généralité qui permet d'en tirer des conséquences, mais

on peut s'interroger sur la légitimité d'une comparaison entre l'indice belge qui comporte

20 entreprises et l'indice Financial Reporting Council (FRC) qui en comporte 350. Peut-

être y a-t-il un biais à ce niveau, mais toujours est-il que, malgré ces précautions

méthodologiques, il y a un constat de convergence globale qui résulte de la comparaison

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FRANCE STRATÉGIE - 50 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

de l'effectivité des codes de gouvernance en matière de rémunération. Un constat de

convergence qui est plutôt positif puisque, pour ce qui est de la rémunération des

dirigeants, on observe que les « bonnes pratiques » les plus symboliques et les plus

importantes du fait des objectifs de la corporate governance sont majoritairement

suivies. Autant évacuer le suspense tout de suite. Et un constat plus négatif.

Évidemment, le détail est peut-être moins positif. Nous avons divisé le code de

gouvernance Afep-Medef en 263 questions, dont 100 étaient dédiées à la rémunération.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur chaque poste et chaque question. D'une

manière générale, un constat positif sur le bon suivi des recommandations. Nous avons

discuté ce matin de ce que signifie bien appliquer un code de gouvernance. C'est là où

le constat est beaucoup plus négatif et partagé à l'échelle des différents pays comparés.

Car quand on ne suit pas la recommandation des codes, dans une majorité des cas –

c'est ce qui ressort de notre étude – on ne justifie pas pourquoi. Je reviens dans un

premier temps sur le point positif : le bon suivi des recommandations. La rémunération

des dirigeants a une structure très complexe. Il faudrait distinguer entre les dirigeants

exécutifs, non exécutifs. Et il y a les spécificités de chaque système, notamment le

système allemand qui est principalement dualiste alors que l'on a plutôt une préférence

pour le système moniste en France. J'ai choisi de présenter certaines thématiques qui

me semblaient essentielles. Le premier objectif de la corporate governance est de faire

en sorte que le dirigeant ne soit pas impliqué dans l'élaboration de sa propre

rémunération, ce qui passe nécessairement par la création de comités de rémunération.

Existe-t-il des comités de rémunération ? Si l’on compare les différents pays, dans une

écrasante majorité des cas la réponse est oui. La plupart des entreprises se sont dotées

d'un comité de rémunération. En France, c'est le cas. Au Royaume-Uni, le rapport du

FRC fait état de 99 % sur un panel de 350 entreprises. En Belgique, 95 %. On parlait ce

matin de l'articulation droit souple, droit dur. Ce qui m'a interpellé, c'est que le rapport

espagnol ne fait pas état du pourcentage d'entreprises qui se sont dotées d'un comité de

rémunération. Il se contente de préciser que c'est une obligation légale. Quand on

revient dans le droit dur, les autorités de contrôle des codes de gouvernance ne s'en

préoccupent plus et se contentent de rappeler le caractère légal de l'obligation.

Avoir un comité de rémunération est une chose, encore faut-il que les membres qui le

composent soient indépendants. À cet égard, notre propre recherche aboutit à un

résultat de 86 %. Ce sont différentes questions qui sont agrégées pour arriver à ce

chiffre. Il y a beaucoup de discussions sur ce qu'est l'indépendance et ce qui ne l’est

pas. Les chiffres sont comparables. Pour ce qui est du Royaume-Uni, on aboutit à 95 %.

On est sur des taux de suivi des recommandations élevés. Et le rapport belge fait état de

99 %. Encore une fois, s’agissant de l’Espagne et de l’Allemagne, j'imagine que les

chiffres existent mais je n'ai pas réussi à les trouver. En Allemagne, il n'y a pas d'autorité

chargée du contrôle des codes, et en Espagne, c'est une obligation légale. D'une

manière générale, la rémunération formellement échappe au pouvoir du dirigeant.

Le deuxième objectif de la corporate governance en matière de rémunération est

d'objectiver et rationaliser cette rémunération, la faire coïncider avec des critères de

performance. Là aussi, les chiffres sont assez édifiants. En France, en tout cas dans

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 51 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

notre rapport, on aboutit à 97 %. Au Royaume-Uni, on est à 95 %-100 % de conformité.

En Belgique, 90 % à 95 %. En Espagne, 100 % sur l'indice Ibex 35. 87,5 % hors Ibex 35,

sur un panel plus large. À s'en tenir là, les recommandations en matière de rémunération

des dirigeants sont globalement bien suivies. La question est de savoir si l'esprit de la

corporate governance est respecté. On parlait de conformité communicationnelle et de

transparence conformiste ce matin ; les chiffres semblent en attester, d’autant plus que

la deuxième partie du constat de la convergence est beaucoup plus négative, appelle à

beaucoup plus de questions. On pourrait résumer l'étude comparée en disant qu'il y a

trop de comply et pas assez d’explain. Quand il y a une déviation, la justification reste

trop faible. Et trop de comply dans le sens où les entreprises ne saisissent pas les

opportunités de souplesse et de dérogation que leur offrent les différents codes de

gouvernance.

Les débats ce matin ont essentiellement porté sur l'aspect qualitatif de l’information :

savoir si c'est une fausse ou une vraie information, si elle est pertinente, si les

justifications sont pertinentes ou pas, si elles sont vraiment le signe d'une stratégie

particulière de l'entreprise qui est une stratégie cohérente. Nous ne nous sommes pas

intéressés à cela. On a parlé d’ « éthico-subjectivité », de « subjectivité ». Nous

trouvions déjà assez délicat d'apprécier la bonne recommandation des codes. Le terrain

de la qualité de la justification en cas de déviation nous a semblé particulièrement

glissant et nous avons fait le choix de l'écarter.

Pour en dire un mot rapidement, si l’on regarde les différents rapports des pays

étrangers, l'alarme est toujours tirée par les contrôleurs sur la qualité de la justification.

Quand vous déviez par rapport aux recommandations du code, vous avez tendance à

fournir des explications qui sont d'une qualité médiocre, qui sont passe-partout. Le FRC

en Angleterre utilise l'expression de « justification passe-partout ». Nous ne nous

sommes pas aventurés sur ce terrain. Sur le terrain quantitatif, quand on sait qu'il y a

une déviation, sur la simple question de la présence de la justification notre rapport fait

état de chiffres globalement mauvais. Si l’on prend le total des déviations, la justification

est systématiquement minoritaire. Si on le fait par poste, le plus haut résultat auquel on

arrive est 38 %. Si l’on prend 100 déviations en matière d'attribution d'option d'action et

d'action de performance, 38 % des déviations sont justifiées. Le taux descend à 30 %

sur l'information permanente des actionnaires en matière de rémunération. À 25 % en

matière de retraite supplémentaire. Et à 12,5 % en matière d'indemnités de départ.

Connaissant la dimension polémique des indemnités de départ, on voit que les choses

ne sont pas acquises ; en tout cas l'esprit du code n’est sans doute pas totalement

respecté ou en tout cas compris à ce niveau. Si l'on regarde à l'étranger, au Royaume-

Uni c'est la même chose. Le FRC indique avoir dû contacter 46 % des entreprises pour

requérir de leur part des justifications quand elles déviaient par rapport aux

recommandations du corporate governance code britannique. Le rapport belge met

l'accent sur la qualité des recommandations ; ce n'est pas vraiment une approche

quantitative. Quand on lit le code en matière de rémunération, le rapport nous dit que sur

neuf sociétés qui dérogent à certaines recommandations, sans préciser lesquelles, il n'y

en a que deux qui se justifient. Sept entreprises ne prennent pas la peine de justifier les

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FRANCE STRATÉGIE - 52 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

raisons pour lesquelles elles dérogent à certaines recommandations du code. C’est

d'autant plus sujet à interrogations que, comme rappelé ce matin, l'obligation de formuler

une explication sur la déviation a une origine légale, cela pose la question de la sanction.

Regarder ce qui se fait à l'étranger en matière de sanction ou pas, quand la justification

n'est pas présente, peut être intéressant. Le fait que l'obligation de se justifier figure dans

la loi, et non pas seulement dans les codes de gouvernance, est une constante. Que ce

soit au Royaume-Uni, en Allemagne, en France, en Espagne ou en Belgique, c’est

systématique. Et pourtant, face à cette obligation légale, on ne trouve jamais de

sanction. Le fait qu’adhérer à un code de gouvernance soit une condition de cotation

pour la bourse de Londres n'est pas exactement la même chose. Sur la nécessité de se

justifier, si l'on regarde les différents pays, je n'ai pas trouvé de sanction en cas

d'absence de justification, sauf en Allemagne où la responsabilité du conseil de

surveillance peut être engagée sur le fondement du paragraphe 161 de l’Aktiengesetz :

une possibilité de responsabilisation personnelle des membres du conseil de

surveillance lorsque les justifications n'apparaîtraient pas dans le code de gouvernance.

Dans les autres pays, a priori, il n’y a pas tellement de fondement légal pour poursuivre

l'absence de justification en cas de déviation.

C'est là où l'on retrouve la spécificité française de pouvoir ne pas adhérer à un code de

gouvernance. Si l’on s'arrête là, on peut se dire que la France est encore plus souple

que d'autres systèmes quant aux codes de gouvernance et à la gouvernance

d'entreprise. Si l'on regarde la question de la sanction de l'absence de justification, peut-

être l’AMF a-t-elle trouvé une solution intéressante en appliquant le name and shame en

la matière. À ma connaissance, c'est une spécificité française qui montre une exigence

supplémentaire à l’égard du droit souple.

On voit que le législateur court après les codes de gouvernance qui eux-mêmes courent

après le législateur. Il y a une course à l'armement entre droit souple et droit dur et on

légifère au cas par cas. Peut-être le comply or explain est-il suffisamment central et

l'obligation de se justifier quand on dévie devrait-elle être considérée pour permettre au

code de gouvernance d'avoir un avenir pérenne, ou en tout cas ne pas passer pour un

simple outil communicationnel des entreprises. Je vous remercie.

Odile UZAN

Merci. J'ai le plaisir de passer la parole à ma collègue de Nanterre.

Sophie HARNAY

Bonjour à tous. Je remercie le GIP et particulièrement Victoria VANNEAU pour son

soutien très constant. L'étude que je vais vous présenter aujourd'hui fait partie des

travaux de l'équipe nanterrienne. Ce sont des travaux qui ont été plus spécifiquement

réalisés par les économistes de cette équipe qui ont eu comme objectif de mesurer

autant que possible, avec évidemment beaucoup de prudence, l'effectivité comparée des

codes et de la législation en l'appliquant à la question de la parité femmes-hommes dans

les conseils d'administration.

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FRANCE STRATÉGIE - 53 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Pourquoi ce sujet ? Il nous a semblé tout à fait intéressant de faire un pas de côté par

rapport à une grosse partie de la littérature, aussi bien en sciences économiques que de

gestion, qui analyse vraiment la question de la gouvernance d'entreprise sous l’angle de

ses effets sur la performance économique. Nous avons eu en tête de nous écarter de

cette littérature dominante pour nous intéresser plus spécifiquement à la question des

effets des modes de production, appelés de façon un peu barbare « technologies

régulatoires », sur l’effectivité des règles de gouvernance. Ces modes de production de

droit, ou ces technologies régulatoires, sont évidemment plurielles, mais celles que nous

avons plus spécifiquement examinées sont évidemment les codes de gouvernance

d'entreprise et les textes législatifs, sachant qu'en matière de gouvernance on trouve

vraiment une imbrication des deux dispositifs de production de droit dans les différents

pays.

Notre grande question a été celle de l'effectivité de ces dispositifs régulatoires. Une

même disposition de gouvernance, avec un contenu très proche, est-elle susceptible

d'engendrer les mêmes effets selon que ce contenu est porté par le code ou par le droit

dur, la loi ?

Nous avons choisi de l'examiner sur un cas précis. Ce qui nous a plus particulièrement

intéressés, c'est d'appliquer cette question à celle de la parité femmes-hommes dans les

conseils d'administration. Je vais revenir là-dessus dans un instant. L’idée était vraiment

de comparer l'effectivité de dispositifs normatifs visant à cette parité femmes-hommes

selon qu'ils sont portés par une loi (en France, la loi Copé-Zimmermann) ou par un code

(le cas britannique).

Pour traiter cette question, nous sommes allés chercher ce qui se dit dans la littérature

académique à ce sujet. Nous avons mobilisé deux grandes familles de littérature.

Première famille : les apports de l'économie du droit. Nous avons fait une grosse revue

de littérature concernant ce que l'économie du droit peut nous dire sur les codes et nous

avons essayé d'organiser les éléments de cette littérature à travers une analyse coûts-

avantages comparant ce que la littérature nous dit sur les avantages et les inconvénients

des codes versus sur ce qu'elle avance sur les coûts et avantages de la législation.

Pour être relativement rapide, car un certain nombre d'éléments ont déjà été avancés ce

matin à ce sujet, concernant le code, ce qui apparaît vraiment de façon très récurrente

dans la littérature d'économie du droit, c'est que le comply or explain est valorisé

positivement. Cette idée que les entreprises ont le choix d'adhérer ou de ne pas adhérer

à des dispositions est vraiment valorisée comme apportant de la flexibilité et de la

souplesse au niveau microéconomique. Et évidemment, c'est aussi une façon de gérer

l’hétérogénéité des besoins éventuellement divers que peuvent avoir les entreprises en

matière de gouvernance, et de gérer aussi le fait qu'il n'y a pas un modèle unique de

gouvernance qui s'imposerait à tous. Évidemment, le versant sombre de cette flexibilité

du comply or explain est l'effectivité, dont on peut soupçonner qu’elle va être plus faible

que dans des dispositifs plus coercitifs, avec des comportements qui peuvent être

simplement du façadisme (on coche des cases mais on ne sait pas trop ce qu'il y a

derrière) ou simplement ne pas adopter du tout les règles qui sont considérées comme

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FRANCE STRATÉGIE - 54 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

étant des règles de bonne gouvernance. A contrario, et il s’agit ici d’une idée fortement

répandue et pas très originale dans la littérature d’économie du droit, la législation, la

hard law est obligatoire, il y a des sanctions juridiques qui lui sont attachées. Nous avons

entendu ce matin que les choses sont en réalité un peu plus compliquées, mais je vais

m'abriter derrière le fait d’être économiste et l'effet disciplinaire pour être un peu

caricaturale et considérer la hard law comme obligatoire, en tant qu’attachée à des

sanctions juridiques. On peut donc en attendre une effectivité forte. Mais évidemment,

cela a une possible contrepartie négative qui passe notamment par des coûts

d'ajustement à la norme obligatoire importants pour les entreprises et ce que l'on

appellera plus tard des effets disruptifs éventuels, potentiellement coûteux pour les

entreprises quand elles mettent cette règle en application.

De cette revue de la littérature, nous avons sorti une première prédiction théorique qui

est que la loi va avoir une effectivité supérieure, contraindre davantage les

comportements des firmes par rapport aux codes. Il s’agit d’une prédiction certes

intuitive, mais tellement intuitive qu'il n'y a pas de vérification empirique à ce sujet dans

la littérature et qu’il nous a donc paru important de tester la véracité de cette prédiction.

Nous avons donc proposé une première hypothèse H1 : effectivité supérieure de la

législation. Et nous nous sommes dit que nous allions le tester sur la loi française.

Deuxième grande famille de littérature à laquelle nous nous sommes intéressés : une

littérature toujours économique, plus spécifiquement orientée vers la question des

quotas, notamment des quotas de genre dans les conseils d'administration, sachant que

depuis quelques années, il y a une littérature de plus en plus fournie dans le domaine qui

met en évidence des effets négatifs des quotas sur le fonctionnement des conseils

d'administration. À grands traits, quels sont les arguments principaux de cette

littérature ? C'est de dire que les femmes, pour un certain nombre de raisons, ont des

caractéristiques différentes des hommes en tant qu'administratrices. L'idée est que

l’ensemble de femmes d’où sont tirés les administrateurs femmes ont des

caractéristiques différentes des hommes. Elles ont plus souvent le statut d'administrateur

indépendant. Et elles ont moins d'expérience sectorielle que les hommes. Ce n'est pas

un effet lié au genre en soi, mais au fait qu’il y a une pénurie d'administratrices avec

exactement les mêmes caractéristiques que les hommes.

Du coup, on s’est servi de cela dans la littérature pour expliquer que ces caractéristiques

différentes des femmes pouvaient affecter la capacité des conseils à exercer leurs

fonctions traditionnelles, qui sont au nombre de deux : une fonction de contrôle et

monitoring d'une part et, d'autre part, une fonction de conseil, avec le rôle d'orientation

stratégique que peut jouer le conseil d'administration dans une entreprise. Un certain

nombre de travaux met en avant que l'entrée des femmes sous la forme de quotas

législatifs obligatoires auxquels on ne peut pas déroger peut affecter négativement

l'activité des conseils d'administration dans le sens où, si l’on modifie de façon

obligatoire la composition des conseils en y mettant des femmes qui ne font pas la

même chose que les hommes, les conseils ne vont plus faire la même chose qu'avant et

cela peut potentiellement poser des problèmes. C'est documenté dans la littérature. Il y a

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FRANCE STRATÉGIE - 55 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

pas mal de choses là-dessus, notamment sur le cas plus fameux, le plus ancien, qui est

le cas du quota norvégien. On a montré que, dans ce cas, le quota avait plutôt eu des

effets pas très positifs sur les conseils d’administration. La question que nous nous

sommes posée par rapport à cela est la suivante. À partir du moment où la littérature

économique est totalement muette sur la question de potentiels effets différenciés des

codes et de la loi sur les aspects que je viens de citer, et notamment la performance des

conseils d'administration, peut-on dire quelque chose plus particulièrement sur leurs

effets sur le fonctionnement des conseils ? Notre objectif était à ce titre de tester

empiriquement les effets relatifs d'un quota législatif et d'un code sur la capacité des

conseils à assurer leurs missions traditionnelles : contrôle et stratégie. D’où une seconde

hypothèse, nourrie par la littérature : on pourrait attendre des effets disruptifs, de

perturbation, supérieurs dans les conseils d'administration en présence d'un quota

législatif par rapport à ce que l'on attendrait dans un système où la parité femmes-

hommes est gérée par un code de gouvernance.

Comment avons-nous traité cela ?

Nous avons eu la chance qu'à peu près au même moment, avec les mêmes dispositions

et selon le même calendrier, se mettent en place en 2011 un code au Royaume-Uni pour

favoriser la parité femmes-hommes dans les conseils d'administration et la loi Copé-

Zimmermann en France. C’est vraiment le parallélisme entre les deux événements

juridiques qui nous a intéressés, mais évidemment, nous a encore plus intéressés le fait

que d'un côté on avait un code, et de l'autre côté, de la législation.

Quelles sont en quelques mots nos données ? Nous avons travaillé sur les 120 plus

grosses sociétés françaises et leurs symétriques britanniques, sur 2007-2015. Il ne vous

échappe pas que 2011, le choc régulatoire, le code et la législation, est juste au milieu

de cette période, ou à peu près. Et nous avons utilisé plus spécifiquement deux bases

de données qui nous ont permis d'obtenir des informations assez complètes sur les

caractéristiques individuelles des administrateurs et administratrices : leur genre, leur

statut, leur expérience, leur âge, etc. Nous avons également exploité un certain nombre

de données financières et organisationnelles sur les firmes.

Quels sont nos résultats ? L’idée est de regarder si l’on a un résultat différent dans un

pays par rapport à l'autre.

Premier résultat : nous avons trouvé des effets indéniables sur la proportion de femmes

dans les conseils d'administration sur la période qui nous intéresse. Dans les deux cas,

on a observé une féminisation très nette des conseils d'administration ; la forme très

croissante des courbes vous le montre. Et nous avons également observé, à partir d'une

proportion de femmes grosso modo analogue en début de période, une très forte

augmentation post-2011, postrégulation, dans les deux pays, avec cependant un

ajustement plus rapide en France vers l'objectif quantifié.

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Cela nous permet de valider notre première hypothèse : l'idée d'une effectivité

supérieure de la législation. A priori, ce petit graphique permet de vérifier cela.

Mais il fallait aller plus loin et s'assurer que cette meilleure performance de la France

dans l'obtention d'une parité plus rapide était bien liée à l'outil choisi et pas autre chose.

Il faut comprendre de cette équation que ce qui nous intéresse est le terme en bleu :

l’effet sur la proportion d'administrateurs femmes, d'administratrices, d'être dans une

entreprise française après 2011.

%female_directorsj,t = a.FRj + b.PRt + c.FRj.PRt + Xj,t.d + εj,t

Cet effet, on peut l'isoler en mettant à part le premier terme FR, qui est le fait d'être une

entreprise française, dont on peut imaginer que cela pourrait avoir un effet dans l’absolu,

l’effet d'être PR, ou « postrégulation ». On le « nettoie » et on arrive à isoler l'effet simple

FR PR : l’effet d'être en France après la régulation, donc d’être obligé d'appliquer le

quota législatif. Nous avons trouvé un impact positif et significatif de ce fait d'être en

France après le quota puisqu’il y a au moins un différentiel de 7 points de pourcentage

expliqué par le quota législatif en France, toujours en comparaison de la situation

britannique. Cela valide notre première hypothèse. Ce n'est pas très surprenant en soi

d'avoir une loi obligatoire plus effective qu'un code de gouvernance. Mais cela apporte

une validation empirique qui manquait jusqu'à présent dans la littérature.

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Deuxième résultat : nous nous sommes intéressés à l'impact comparé du code versus le

quota législatif sur la capacité du conseil d'administration à assurer, de façon inchangée

par rapport à avant la régulation, ses fonctions de contrôle et ses fonctions d'orientation

stratégique.

Nous avons utilisé grosso modo la même méthodologie que précédemment. Nous avons

essayé d'isoler, « nettoyer » des effets. Nous avons trouvé que, dans les deux pays, il y

a une tendance générale à plus d'indépendance et moins d'expertise, quel que soit le

mode de régulation utilisé : code ou législation. La régulation affecte l'activité des

conseils. Mais nous avons trouvé, et cela nous semble particulièrement important, que

contrairement à ce que la littérature laissait entendre, il n'y a pas a priori d’effet supérieur

en termes de désorganisation, d’effet disruptif plus important associé au quota législatif,

bien qu'étant obligatoire, par rapport à un code assis sur le principe du comply or

explain. Cela signifie en termes plus brutaux que la législation ne semble pas à l'origine

d’effets plus distorsifs que le code de gouvernance.

Je conclus avec les rapides implications que cela pourrait avoir en termes de politique

régulatoire. Notre étude montre que l'on ne peut pas écarter l'outil législatif comme

technique effective pour atteindre la parité femmes-hommes dans les conseils et cela

nous semble important car cela va vraiment à l’encontre d'un discours assez largement

dominant dans le domaine de la gouvernance d'entreprise où l’on dit qu'il faut laisser les

entreprises s’autoréguler, elles font cela très bien. On montre qu'au moins sur le cas de

la parité femmes-hommes, la loi ne fait pas pire.

Odile UZAN

Merci à tous d'avoir respecté le temps, ce qui nous permet d'avoir dix minutes de débat.

Je passe la parole à la salle. Avez-vous des questions ?

Henri SERRE

Je suis administrateur d'entreprise publique. Je voulais savoir s'il y avait des éléments

qui montraient l'influence de l'éthique des investisseurs, ce que l'on appelle parfois les

fonds éthiques, ou des investisseurs comme le fonds souverain norvégien qui a des

règles propres plus strictes que celles de gouvernance des pays pour orienter ses

investissements. Est-ce que ce sont des points que vous avez été amenés à regarder ?

Réda SELSAF

Pour notre échantillon, nous avons pris un échantillon français, britannique et allemand,

nous n’avons rien remarqué là-dessus. Peut-être sur l'échantillon norvégien. Mais à ma

connaissance, il n'y a pas d'impact.

Sophie HARNAY

Je n'ai pas une réponse documentée avec une référence précise en tête, mais je sais

qu'il y a des travaux académiques qui sont produits sur le sujet avec, effectivement, la

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FRANCE STRATÉGIE - 58 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

nature des investisseurs ; on montre que cela a des effets sur les choix de gouvernance

d'entreprise. Après, c'est toujours la même question sous-jacente, en tout cas dans

beaucoup de travaux : l'idée ultime est de regarder si cela a un effet sur la performance

économique ou boursière de l'entreprise. Cela a pu m'échapper, mais sur les choix

purement organisationnels en termes de gouvernance de l'entreprise, je n'ai pas

connaissance de travaux spécifiques sur cette question. En revanche, ce sont des

questions qui se posent quand même, que mes collègues coauteurs se posent sur la

question de la parité femmes-hommes.

Pascal VERNERIE

Je travaille à Amundi et suis étudiant à Dauphine dans le master développement durable

organisation. Une question technique à Mme HARNAY : dans votre modèle, vous avez

deux échantillons, vous testez le code en Angleterre versus la législation en France. J'ai

fait un peu d'économétrie, on se méfie des modèles. Si l’on avait par exemple plaqué la

législation en Angleterre et le code à la France, si l’on avait fait l'inverse… Ma remarque

est la suivante, ce n'est pas vraiment une question : dans la culture anglo-saxonne on

préfère le droit mou, le code, la recommandation, on ne veut pas trop de l'État, et dans la

culture française, on fonctionne plus grâce aux lois. La remarque est la suivante. Cela ne

marche-t-il pas de la même manière dans les deux pays ? Vous avez observé le même

effet dans l’hypothèse 2 dans les deux pays, avec deux dispositifs différents. N’est-ce

pas parce que le dispositif du code est plus adapté à la culture anglo-saxonne et le

dispositif de la loi plus adapté à la culture française ? Si l’on plaquait la loi chez les

Anglo-Saxons, cela générerait peut-être quelque chose de différent. Et le code chez

nous, de la même façon.

Sophie HARNAY

Je vois ce que vous voulez dire. Une fois de plus, je ne suis pas juriste, j'ai une vision

caricaturale, mais il me semble que malgré tout, si l’on introduisait une loi au Royaume-

Uni, il n'en demeurerait pas moins qu'il y aurait des sanctions juridiques associées à

cette loi et que l'effet de la loi au Royaume-Uni pourrait être le même.

Ce qui nous arrangeait par rapport à notre démarche, c'est que le code français s’est

aussi saisi de cette question de la parité. On n'avait pas juste d'un côté le code versus la

loi, mais le code et le code et la loi. Cela rend d'une façon encore plus propre, si je puis

dire, l'effet précis que l'on isole pour la loi en France.

Pascal VERNERIE

Je comprends. Merci.

Mme PIRON

Je suis consultante, je travaille auprès d'organismes pour faire de l'évaluation de la

performance RSE. C'est un sujet intéressant par rapport au sujet de ce matin qui était de

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FRANCE STRATÉGIE - 59 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

savoir comment faire avancer dans l'encouragement cette évaluation. On parle de charte

et souvent, on met des labels pour essayer de faire avancer de manière opérationnelle

les choses. Cela peut être une voie pour faire avancer. J'avais une question à

M. BERTHILLON. Vous avez parlé de responsabilité du conseil de surveillance en

Allemagne s'il n’y avait pas de justificatif de la déviation. Je me demandais quelle était la

responsabilité des administrateurs dans l'application ou non de ces codes de

gouvernance. C'est de la responsabilité de l'exécutif ou des administrateurs ?

Florent BERTHILLON

Je crois savoir que c'est une responsabilité collective et non pas individuelle. C'est une

responsabilité collective du conseil de surveillance mais c'est dû à la structure dualiste

du système allemand. On a une indépendance entre le directoire et le conseil de

surveillance. Cela me permet de rebondir sur les sanctions en cas d'absence de

justification. J'ai conclu un peu trop vite. Sur l'obligation de se justifier, c’est l'article 161

de l’Aktiengesetz, la loi sur les sociétés cotées. L’article 243 évoque la possibilité de

l'annulation d'actes et de délibérations faits en Assemblée générale en cas de non-

respect des obligations de reporting. Clairement, on peut faire le lien entre l'obligation de

se justifier quand on ne respecte pas les recommandations du code et les obligations de

reporting mises à la charge des sociétés cotées, qui est moins difficile d’évaluation que

ce que l'on connaît en France sur les fausses déclarations. C'est beaucoup plus binaire :

vous avez déclaré ou non. Responsabilité civile du conseil de surveillance, je ne sais pas

comment c’est censé marcher très concrètement, mais d'autres voies seraient le retour

en arrière pur et simple et l'annulation des délibérations.

Odile UZAN

Merci à tous.

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FRANCE STRATÉGIE - 61 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

LA GOUVERNANCE D’ENTREPRISE DE DEMAIN : POSITIONS ET PROPOSITIONS

Limites et renouvellement des finalités

Gilles BON-MAURY

Secrétaire général de la Plateforme RSE

La première table ronde que j'ai le plaisir d'animer porte sur les limites et le

renouvellement des finalités. Je ne vais pas dire grand-chose en ouverture, à part

souligner le fait que c’est un plaisir d'animer un échange entre chercheurs et praticiens.

C'est un des exercices de la Plateforme RSE que de débattre entre acteurs différents et

avec les chercheurs sur les enjeux de la responsabilité des entreprises.

De façon générale, la Plateforme depuis sa création en 2013 a souvent eu comme

débats ceux que l’on a pu commencer ce matin sur l'articulation ou la relation entre les

initiatives volontaires et leurs promotions, et les démarches contraignantes, les

différentes formes de régulation. C'est vraiment au cœur de nos réflexions. Si on doit

avoir une intersection entre la valorisation de l'initiative volontaire et la contrainte, c’est

peut-être justement le principe de déclaration de conformité et de reporting car les

acteurs sont obligés de rendre compte de ce qu'ils font volontairement. C'est à la

Plateforme de trouver des sujets de convergence entre les différents acteurs autour de

ces thèmes. Cela touche à la dimension volontaire, au droit souple et aux éléments de

contrainte.

Notre objectif est d'amener les entreprises vers des démarches RSE, trouver les leviers

pour amener les entreprises à faire de la RSE. Nous le faisons à la Plateforme entre

parties prenantes. Je voudrais insister sur la place de la recherche, France Stratégie est

un lieu qui a l'habitude de travailler avec les chercheurs (certains travaillent parmi nous,

nous avons également des conseillers scientifiques) qui sont des parties prenantes de

l'entreprise car ils sont membres et contribuent aux délibérations qui permettent aux

parties prenantes de l'entreprise représentées à la Plateforme d'exprimer à l'intention du

gouvernement et des autres parties prenantes leur position sur différentes questions

relatives à la RSE et comme on l'a dit ce matin, la gouvernance est l'un des piliers de

cette responsabilité sociétale.

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FRANCE STRATÉGIE - 62 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Nous avons un praticien avec nous, M. BRABANT, avocat et universitaire. Deux équipes

sont représentées ici, l'équipe lilloise et l’équipe nanterrienne. C'est avec ce panel que

l'on va débattre des limites et renouvellements des finalités. De façon très disciplinée,

nous allons répartir le temps avec deux présentations de communication des équipes de

vingt minutes chacune, avant d'ouvrir le débat avec Stéphane BRABANT. Je passe sans

attendre la parole à Jean-Christophe DUHAMEL et Réda SEFSAF.

Réda SEFSAF

Je vais continuer ce que j'ai expliqué ce matin. L’objectif de notre recherche est

d’essayer d'expliquer la conformité à la gouvernance par différentes variables,

notamment des variables de performance et de structure de l'entreprise. Nous avons

conceptualisé le modèle sur le slide :

Dans ce modèle, la variable que l'on cherche à expliquer (variable dire « expliquée » ou

« dépendante ») est la conformité à la gouvernance (à droite de l’égalité). Cette variable

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FRANCE STRATÉGIE - 63 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

est binaire, elle prend une valeur 0 ou 1. Quand l'entreprise se déclare conforme, c'est 1,

sinon c’est 0.

Nous avons essayé d'expliquer cette conformité à travers différentes variables (dites

« explicatives », ou « indépendantes » ; à gauche de l’égalité), comme par exemple la

performance économique (ROE), la performance opérationnelle (RPL), la performance

boursière (RET). Nous avons essayé de voir si les entreprises cherchent à se conformer

à ses codes de bonne gouvernance en fonction de leur performance donc, mais aussi en

fonction d'autres variables structurelles telles que les dépenses en recherche et

développement, tout ce qui est recherche discrétionnaire, l'endettement, la taille de

l'entreprise, la proportion des investisseurs institutionnels, la proportion des salariés dans

le capital et la part des dirigeants dans les capitaux de l'entreprise. Nous avons ajouté

d'autres variables de contrôle, telles que le secteur d'activité et la volatilité.

Nous avons fait tourner ce modèle de régression et avons obtenu quelques résultats.

Les résultats par rapport à la performance n'ont pas été très satisfaisants. Nous n’avons

trouvé pour la France qu’une corrélation significative négative entre les principes du

code Afep-Medef concernant la rémunération des dirigeants lors de la prise et de la

cessation des fonctions et la performance économique (ROA). Pour l'Allemagne, nous

avons trouvé une corrélation significative négative entre les recommandations relatives à

l'âge des dirigeants et à leur rémunération courante, et la performance opérationnelle de

l’entreprise (RP). Au Royaume-Uni, nous n’avons pas trouvé de résultat significatif.

L’explication voulant que les entreprises se conforment au code de bonne gouvernance

en raison d’une mauvaise performance n’est donc que très marginale. Nos résultats ne

permettent pas de confirmer que les entreprises se conforment au code de bonne

gouvernance pour compenser une faible performance, sauf de manière très négligeable.

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FRANCE STRATÉGIE - 64 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Lecture : une corrélation négative significative existe en France entre la performance de l’entreprise

(ROA) et la rémunération des dirigeants lors de la prise et de la cessation des fonctions.

Concrètement, plus la société est performante, moins elle aura tendance à être conforme aux

préconisations du code AFEP-MEDEF concernant les « parachutes dorés ».

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FRANCE STRATÉGIE - 65 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Lecture : en France, sur la période de référence de notre étude (2011-2015), la présence

d’investisseurs institutionnels dans le capital (> 5 % dans notre modèle) augmente la probabilité d’une

conformité de la société aux recommandations du code Afep-Medef relatives au statut individuel de

l’administrateur et au statut individuel du dirigeant.

Jean-Christophe DUHAMEL

Réda SEFSAF vient de nous dire que quelques corrélations significatives peuvent

exister entre la performance d'une société et sa propension à se conformer au code de

gouvernement d'entreprise ; mais nous sommes loin de pouvoir en tirer des généralités.

Si l'on recadre cela dans notre problématique générale qui était de s’interroger sur les

raisons qu’a une société de se conformer plus ou moins à un code de gouvernance

d'entreprise, l'hypothèse voulant qu'il y ait une forme de stratégie à l’œuvre, à savoir par

exemple que l'entreprise n'affichant pas de très bonnes performances pourrait essayer

de compenser cela par sa mise en conformité en matière de gouvernance, ne peut pas

être confirmée. Plus précisément, elle peut l’être sur quelques items de gouvernance

uniquement, quelques méta-variables, mais c’est très loin de pouvoir nous apporter des

certitudes sur l’intégralité de notre champ de prospection.

Nous avons doublé cette logique sur la performance avec des variables explicatives

d’ordre structurel, qui sous-tendent chacune des sous-hypothèses. La question est

assez simple, je vais raisonner par l'exemple avant de détailler les différentes variables.

On peut imaginer qu'une société composée massivement d'investisseurs institutionnels

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FRANCE STRATÉGIE - 66 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

ait tendance à se déclarer davantage conforme qu'une société dirigée par un actionnaire

de référence, une famille ou un actionnariat très concentré par exemple. Si effectivement

on attache quelque crédit à la théorie de l'agence, la gouvernance d'entreprise est faite

pour discipliner les dirigeants par rapport au marché pour réduire leurs latitudes

discrétionnaires. Il y aurait une sorte de volonté de contrôle de la part du marché pour

discipliner les dirigeants, qui opèrerait une pression sur eux pour qu'ils adoptent les

meilleurs standards de gouvernance. Si les actionnaires de contrôle sont les dirigeants,

ou que la concentration du capital est importante, on imagine que le taux de conformité

puisse être moins important car le rôle disciplinaire du marché serait moindre. Voilà le

genre de sous-hypothèses que nous avons essayé de systématiser afin de les tester,

par rapport à la structure du capital mais également par rapport à l'état du bilan ou

encore à la taille de la société.

Qu’avons-nous trouvé ? Si, pour la performance, nous n’avons pas trouvé grand-chose

de probant, en revanche, pour les variables de structure nous avons trouvé des choses

assez intéressantes et qui intuitivement pouvaient effectivement être anticipées. C'est

comme l'étude que nous a présentée Sophie HARNAY tout à l'heure, nous avions des

présomptions, des intuitions qu'il s'agissait ensuite de confirmer ou d’infirmer par la

statistique. Souvent nous avancions des idées mais il est important de les confirmer d’un

point de vue économétrique, ce que nous avons réussi à faire sur certains items. Notre

étude est basée sur un panel vraiment significatif : cinq ans d'antériorité en France,

Allemagne, Royaume-Uni, 1 500 déclarations de conformité soumises au modèle

économétrique, qui permet de tirer des conclusions par rapport à la théorie des grands

nombres. Quand une corrélation est significative, le résultat est extrapolable. Avec un

échantillon équivalent, nous sommes certains, d’un point de vue statistique, que le

résultat aurait été le même avec 10 millions de déclarations de gouvernance, avec une

marge d'erreur de 5 % ou 10 % maximum. C'est ce que signifie une corrélation

significative.

La « croissance de l'entreprise » (deuxième ligne du tableau ci-dessus) est un item qui

fonctionne en reflet de celui des « opportunités d'investissement » (troisième ligne du

tableau ci-dessus). Quand une entreprise est confrontée à une phase de croissance très

importante où sa taille, ses marchés grandissent, on peut supposer qu'elle fait face à des

nécessités de réorganisations structurelles et organisationnelles qui impliquent d'avoir

des modèles de gouvernance qui ne sont pas stables mais très évolutifs. La propension

d'une société en croissance à se conformer à un modèle stéréotypé tel que présenté

dans les codes de gouvernement d'entreprise serait probablement moins importante que

la propension d'une société dans une phase de croissance très stable, limite faible, à

être conforme ; la même logique prévaudrait au regard de son niveau d’opportunités

d'investissement, lesquelles se synchronisent avec sa croissance mais sont mesurées à

partir du volume net de ses immobilisations corporelles rapporté au total des actifs.

L'idée est de dire : plus la société connaît une phase de croissance, moins elle aurait

une propension à être conforme, et à l'inverse, moins elle connaîtrait une phase de

croissance, plus elle serait conforme au code du gouvernement d'entreprise.

Statistiquement et économiquement, nous avons trouvé des résultats de régression qui

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FRANCE STRATÉGIE - 67 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

confirment cette intuition, qui est conforme à la théorie en sciences de gestion. Au moins

pour la croissance de l'entreprise, nous trouvons des corrélations significatives pour

l'Allemagne et le Royaume-Uni. S'agissant du niveau des opportunités des

investissements, nous en trouvons pour la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, et qui

vont toutes dans le même sens. C'est ce qu'il est important de caractériser. Nous

pouvons vraiment confirmer ce résultat observable économétriquement sur cinq ans

avec ces 1 500 déclarations de conformité, ce qui confirme que la société se déclare

plus ou moins conforme en fonction de sa phase de croissance opérationnelle et

commerciale. C'est un premier résultat significatif.

Concernant le niveau des « dépenses discrétionnaires » (quatrième variable explicative

du tableau ci-dessus), il décrit l’importance consacrée par l'entreprise à sa recherche et

développement. D'un point de vue théorique, la part de budget recherche et

développement dans l'activité d'une entreprise est susceptible d'avoir un impact sur la

façon dont l'entreprise se déclarerait plus ou moins conforme car elle crée une sphère

d'incertitude vis-à-vis des investisseurs. Vous allez sur des marchés risqués, vous avez

de très forts leviers en recherche et développement, vos investisseurs vous financent

mais sans trop savoir ce qu’ils financent, car c’est très pointu ; vous êtes dans la

blockchain et l’intelligence artificielle, votre société est pour l'instant une montagne de

dettes, il n'y a pas encore eu de résultats, et toute la confiance, mais l’incertitude

également, est basée sur votre recherche et développement. On vous fait confiance et

on vous finance mais la contrepartie serait de montrer carte blanche au niveau de votre

gouvernance, de faire en sorte que le risque que l'on prend soit bien traité, que

l'organisation de la société soit au moins conforme aux bons principes de gestion pour

éviter que le risque soit encore davantage accentué. L'idée est donc de dire que plus le

niveau de dépenses discrétionnaires de la société est important, plus celle-ci serait

conforme aux principes de gouvernement d'entreprise. Nous n’avons pas réussi à

confirmer cette hypothèse, les corrélations sont divergentes entre les pays. Pour

l'Allemagne, la corrélation était positive alors qu'elle est majoritairement négative pour la

France. La corrélation joue dans un sens inversé ; il est donc difficile d'en tirer des

conclusions. Y aurait-il une appétence au risque différente chez les investisseurs vis-à-

vis des sociétés allemandes et vis-à-vis des sociétés françaises ? Ce sont des

suppositions, il n’y a pas de résultat net au terme de nos régressions logistiques.

Nous avons testé également la variable relative au niveau des « dettes » à long terme

(cinquième variable explicative du tableau ci-dessus). Cette question est intéressante car

dans le bilan d'une société, les outils de financement relèvent soit du haut de bilan, c’est-

à-dire du capital risqué et des fonds propres, soit des prêts plus long terme moins

risqués et de l'intermédiation bancaire. Dans le canevas théorique de la gouvernance

d'entreprise, les principes de gouvernance servent à rassurer les actionnaires sur

l'incertitude quant à la rentabilité de leurs investissements. Si vous n'avez pas beaucoup

d'actionnaires mais plus de créanciers de bas de bilan, on imagine que la tendance

d'une société serait d’être moins conforme que dans la situation inverse. Nous n’avons

pas maquillé les chiffres, tout cela est objectif, cette hypothèse est confirmée à la fois

pour la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni ! La structure du bilan de la société

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FRANCE STRATÉGIE - 68 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

impacte effectivement la façon dont elle a de se déclarer plus ou moins conforme.

Quand elle est davantage exposée en dettes qu’en capital, elle a une tendance à

déclarer moins de conformité, comme si elle avait moins de comptes à rendre car elle

est moins exposée à ce que les Anglais appellent les residual claimants, les

actionnaires. Corrélation significative également donc.

La question de la structure du capital est une chose à laquelle nous tenions vraiment car

en littérature, il y a de très fortes présomptions qui évoluent autour de cette structure.

L'idée est de dire que si une société est détenue par des actionnaires de contrôle,

comme ils n’ont pas beaucoup de comptes à rendre à des tiers, la conformité à un code

de gouvernance pourrait s’en trouver affecter. En revanche, si vous avez un flottant

important, beaucoup de participations, beaucoup d'investisseurs institutionnels qui sont

extérieurs à la société et qui ne la maîtrisent pas, eux vont être vigilants sur la façon dont

les dirigeants de la société déclarent être conformes aux meilleurs principes de place.

L'idée est donc de dire que plus votre capital est concentré, moins la société est

conforme ; à l’inverse, plus votre capital est dilué, plus la société aurait tendance à être

conforme. C'est ce que nous avons voulu tester au regard des variables « Investisseurs

institutionnels » (présence à partir de 5 % dans le capital ; sixième variable explicative du

tableau ci-dessus) et « Insiders » (participations des dirigeants, des administrateurs et

de leur famille, ou encore des actionnaires de référence et de contrôle ; septième

variable explicative ci-dessus). Sur les investisseurs institutionnels et sur ce qu'on

appelle les insiders, nous avons réussi à confirmer assez largement ces sous-

hypothèses au terme de nos régressions logistiques et du modèle que Réda SEFSAF a

exploité. Il apparaît que la concentration du capital a un impact sur la façon dont vous

allez vous déclarer plus ou moins conforme. Les sociétés au capital concentré, par

exemple les sociétés familiales, auront tendance à être moins conformes et à assumer

davantage de déviations au code de gouvernement d'entreprise qu'une société dont le

capital est composé significativement d’investisseurs financiers, notamment

institutionnels. Nous avons également rajouté une troisième variable de structure du

capital, celle des « salariés actionnaires » (huitième variable explicative du tableau ci-

dessus). Que pouvait-on présupposer quand beaucoup d’actionnaires salariés

composent le capital d’une société ? Peut-on présupposer que la société est plus

conforme ou moins conforme aux codes de gouvernance d'entreprise ? Si l’on regarde

les résultats, les régressions ne permettent pas de trouver des choses très nettes. Nous

n'arrivons pas à identifier de systématisation du comportement de la société quand

l’actionnariat salarié est important dans le capital. Il y a des corrélations positives et

négatives, cela dépend des pays. On imagine qu'il pourrait y avoir des traditions

capitalistiques différentes entre la France et l'Allemagne par exemple, où la place des

actionnaires salariés pourrait être vécue différemment par l’entreprise et ses dirigeants.

Les traditions capitalistiques peuvent peut-être expliquer des choses mais il importe

vraisemblablement d’éviter les interprétations divinatoires.

La « volatilité » des actions (neuvième variable explicative du tableau ci-dessus) est

également intéressante car en théorie financière, l'idée est de dire que quand le cours

des actions de sociétés cotées n'est pas stable mais qu’il fait un peu le yo-yo autour

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 69 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

d'une ligne médiane, cela dessert beaucoup les intérêts des investisseurs en termes de

prévisibilité de valeurs de portefeuille et de rentabilité, mais également le dirigeant. Il ne

faut pas oublier en effet qu'une grosse part de la rémunération des dirigeants des

sociétés cotées est indexée sur la performance boursière des titres de la société qu'ils

dirigent, que ce soient les actions de performance ou les stock-options. Nous pouvions

donc supposer dans notre démarche que le dirigeant, à la fois pour l'actionnaire qu’il est

censé servir et pour son intérêt propre, essaie de maîtriser la volatilité du titre et le côté

un peu fébrile des investisseurs par rapport aux titres de la société en communiquant

davantage sur sa conformité au code de bonne gouvernance. Cela peut paraître un peu

alambiqué, mais cette hypothèse se retrouve souvent dans la littérature économique et

financière. Et de ce point de vue, il faut avouer que nos résultats sont très nets : les

corrélations sont nombreuses et toutes positives pour les trois pays analysés. La volonté

de stabiliser le cours en utilisant des déclarations de gouvernance semble donc une

hypothèse tout à fait crédible.

Dernière variable explicative, la « taille » de l’entreprise (dixième variable explicative du

tableau ci-dessus). Nous avons sollicité cette variable car souvent on présuppose que

les grosses sociétés ont davantage les moyens de mettre en œuvre les modèles de

gouvernance présentés dans les codes, car elles ont toutes les compétences en interne

pour y réfléchir et aussi parce qu'il faut bien comprendre que plus la société est grande,

plus elle a de chance d'intégrer les indices boursiers de référence et donc d’intégrer les

logiques de gestion indicielle de portefeuille. Nous savons que dès que des titres

composent les portefeuilles des épargnants du monde entier, les investisseurs

institutionnels et autres proxys, sont très attentifs au respect de la conformité aux

principes de gouvernance. On pourrait imaginer une corrélation significative entre la taille

de l'entreprise et la conformité. L'idée est de dire que plus la société est grande, plus elle

est conforme. Ici nous avons pu significativement, au moins pour la France et

l'Allemagne, confirmer qu'il y a une corrélation entre la taille de l'entreprise et un bon

niveau de conformité au code de gouvernement d'entreprise.

Voilà le fruit de notre recherche dont l’originalité essentielle a été d’inverser le statut des

variables. Alors que les sciences de gestion essaient usuellement de comprendre

l'impact des variables de gouvernance en termes de performance, nous nous sommes

interrogés sur l'impact des variables de performance et de structure sur la gouvernance.

Tout cela pour essayer d'avancer sur l'hypothèse que la gouvernance pourrait être une

résultante de choix stratégiques qui eux-mêmes dépendent de caractéristiques

structurelles et de performances économiques et financières. Du point de vue de la

performance, nous n’avons pas pu confirmer cette hypothèse. En revanche, au niveau

structurel, grâce à un modèle économétrique que nous espérons robuste et qui s'appuie

sur une grosse profondeur de données, nous arrivons à un certain nombre de

corrélations significatives qui fournissent des résultats intéressants et qui confirment

passablement notre hypothèse.

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FRANCE STRATÉGIE - 70 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Gilles BON-MAURY

Merci pour votre exposé. Je passe sans attendre la parole à Tatiana SACHS, de l'équipe

nanterrienne, avant d'ouvrir le débat.

Tatiana SACHS

Bonjour à tous. Je voudrais commencer par les rituels mais très sincères remerciements

au GIP-justice d'avoir retenu notre dossier et merci à vous, Victoria Vanneau pour votre

accompagnement. Vos emails sont toujours un coup de pression mais toujours

bienveillants. Nous travaillons de manière plus intense en sentant que nous serons relus

avec exigence et bienveillance. Merci beaucoup pour cet accompagnement.

L'intitulé de cet après-midi étant « Positions et propositions, limites et renouvellements

des finalités », je vais donc vous présenter une partie de nos recherches autour de cette

question du constat des limites de l’effectivité des codes de gouvernance et des

propositions de renouvellement. L'intitulé de notre recherche était : « À la recherche de

l'efficacité des codes de gouvernance », et derrière ce mot efficacité, il y avait une

double dimension qui a été rappelée ce matin : une réflexion autour de la question de

l’effectivité ou plutôt de l’ineffectivité des codes de gouvernance avec la difficulté d’en

mesurer l'effectivité ou l’ineffectivité d’une part ; une réflexion autour de ce qu'est une

bonne gouvernance d’autre part. La référence à l’efficacité suppose d’avoir fixé des

objectifs. Il faut donc discuter des objectifs de la gouvernance. C’était une dimension du

projet qui nous tenait à cœur et qui n'était pas vraiment dans les termes de l'appel

d'offres. Je trouve cela intéressant aujourd'hui car la RSE est présente dans les débats,

à travers de nombreux intervenants, modérateurs, directeurs de table ronde, ce alors

même que, dans les termes de l'appel d'offres, il n'y avait rien sur la responsabilité

sociale des entreprises. L'appel d'offre portait vraiment sur la gouvernance au sens strict,

c'est-à-dire au sens des thèmes traditionnellement traités par les codes de gouvernance,

à savoir les rapports entre les associés, les dirigeants, le rôle des actionnaires etc.

Quatre ans après le lancement de l'appel d'offres, sur cette question des finalités de la

gouvernance, il y a eu des évolutions qui ont fait partie de notre travail.

En termes de méthodologie, un double axe a été retenu. D'abord, une confrontation des

outils de la gouvernance, en particulier les codes de gouvernance, avec ceux de la RSE,

notamment les obligations de reporting. Nous avons donc essayé de confronter le

comply or explain aux obligations de reporting ou de rapportage.

Le second axe méthodologique a consisté à examiner les rapports de l’AMF, les rapports

rattachés au code Afep-Medef, les rapports du Haut Conseil et l'analyse de certains

documents de référence des entreprises du CAC 40.

Je vais consacrer un premier temps aux limites et un second temps, aux

renouvellements, aux perspectives. Avant toute chose, je voulais préciser que notre

équipe était composée de juristes, d’économistes et de gestionnaires très impliqués

dans l'équipe de recherche du Collège des Bernardins. Certains des enseignements de

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FRANCE STRATÉGIE - 71 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

notre recherche sont le direct prolongement de cette recherche qui s'est menée pendant

dix ans aux Bernardins sur l’entreprise, sa gouvernance, sa propriété.

S’agissant des limites, nos recherches ont essayé de montrer les limites de ce que les

économistes appellent la discipline de marché, c’est-à-dire les limites de tous ces outils

de gouvernance au sens large qui reposent sur cette idée que les acteurs vont se

conformer à certaines règles par peur des réactions du marché des investisseurs ou des

consommateurs.

Une chose est apparue dès le début de notre recherche : après tout, est-on si sûr que

les investisseurs ont soif de transparence ? Est-on si sûr que les investisseurs sont

soucieux de co-savoir la manière dont est gouvernée l'entreprise ? Cette appétence pour

la transparence est un présupposé qui découle directement de la théorie de l'agence.

Toutefois finalement elle n'a pas été vérifiée et certains avancent l'idée que les

investisseurs sont plutôt friands de conformisme que de transparence. Ils préfèrent une

entreprise qui déclare se conformer alors même qu'elle ne se conforme pas, qu'une

entreprise qui déclare ne pas se conformer tout en justifiant sa non-conformité.

Dès le début, la discipline de marché a été regardée par certains d'entre nous avec

précaution. Étudier les limites de la discipline de marché nous a notamment conduits à

étudier tous ces instruments qui sont au cœur de la discipline de marché. Les

instruments de la transparence, du côté de la RSE, les obligations de reporting, du côté

des codes de gouvernance, l'obligation de déclarer la conformité ou justifier la non-

conformité. Il est apparu très vite que les deux technologies de reporting et de comply or

explain, même si elles obéissent toutes deux aux mêmes soucis de transparence, ont

certaines différences.

D'abord elles n'ont pas exactement la même visée. Les obligations de reporting ou de

reddition visent à rendre compte de l'existant, de ce qui se fait dans l'entreprise

notamment en matière de RSE. Elles permettent d'accéder à la connaissance de

l'existant. Le comply or explain, dans la version explain, a une autre dimension qui

essayait de comprendre les raisons de l'existant. L’entreprise déclare ne pas se

conformer et doit en donner les raisons. Il y a certaines différences entre les obligations

de reddition non financières et l’explain.

En termes de modalités, en matière de RSE, sont apparus certains indicateurs chiffrés.

Le Global Compact est un indicateur de référence, etc. À l’inverse, l’explain relève plutôt

de la narration. Ce qui fait que les techniques de transparence ne sont pas exactement

les mêmes. L’explain suppose de raconter les raisons de la non-conformation ; il n'y a

pas d'indicateur dans l’explain. Ce dernier a une dimension que j'ai trouvé très

intéressante notamment en lisant les documents de référence des entreprises. Parfois,

l’explain réside dans le fait que la règle n'est pas considérée comme légitime, comme

bonne. L’explain devient l'occasion de rediscuter les dispositions du code de

gouvernance notamment sur les administrateurs indépendants : soit sur la nécessité

d'avoir autant d’administrateurs indépendants, soit sur les critères de l'indépendance.

L’explain est une occasion de rediscuter la règle alors qu'il me semble que dans les

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FRANCE STRATÉGIE - 72 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

opérations de reddition non financières, il n'y a pas de mise en discussion des

référentiels.

Dernière dimension d'opposition entre la transparence en matière de gouvernance et la

transparence en matière de RSE : au cœur de la reddition non financière, il y a

l'exigence de comparabilité ; l’exigence de rendre comparables les performances entre

les différentes entreprises. C'est au cœur de la discipline de marché que de faire en

sorte que les performances entre les différentes entreprises puissent être comparées par

les acteurs du marché. D’où l'intérêt de construire des référentiels et des indicateurs. À

l'origine, il me semble que cette logique de comparabilité n’est pas aussi prégnante dans

le cadre de l’explain en matière de gouvernance, dans la mesure où, quand l'entreprise

doit se justifier, elle le fait au regard d'un contexte qui lui est propre. Tant et si bien que

la justification devrait être normalement assez contextualisée. Cette contextualisation ne

favorise pas nécessairement la comparaison. Si la justification est vraiment propre à

l'entreprise, cela ne rend plus délicate la comparaison avec une autre entreprise qui a un

capital qui est composé de manière différente, qui n'a pas la même position sur le

marché, etc.

À l'origine, il m'a semblé que ces deux techniques, qui pourtant favorisent toutes les

deux la discipline de marché, reposent sur des logiques quelque peu différentes. Ce sont

des outils de transparence qui obéissent à des logiques légèrement différentes, aussi

bien au regard de leurs visées, de leurs modalités, de la mise en discussion du

référentiel ou de la logique dominante de comparabilité ou réflexivité.

C'était mon a priori. En fait, en examinant les documents de référence, il m'a semblé que

la logique de standardisation qui est à l'œuvre dans les outils de RSE se retrouve aussi

dans la mise en œuvre des codes de gouvernance. Les justifications données par les

entreprises pour expliquer les rares fois où elles ne respectent pas le code de

gouvernance – il est rare qu'une entreprise ne respecte pas les codes de gouvernance

dans plus de quatre domaines, l’appétence pour la conformité est largement majoritaire.

Les rares fois où les entreprises disent ne pas se conformer au code de gouvernance,

elles avancent des justifications extrêmement standardisées et très peu contextualisées.

À cet égard, le Haut Conseil donne des injonctions aux entreprises qui sont

contradictoires l'une avec l'autre. Il exige des entreprises qu'elles donnent des

explications contextualisées, précises, et en même temps, il exige que cette explication

soit présentée sous forme de tableaux de manière synthétique pour permettre la

comparaison. Il m'a semblé que cette confrontation de la mise en œuvre des codes de

gouvernance avec les outils de transparence en matière de RSE mettait en lumière une

inextricable contradiction dans laquelle sont enfermés les outils qui visent à rendre les

activités des entreprises plus transparentes. D'un côté, une logique de réflexivité qui

supposerait des entreprises un retour sur elles-mêmes contextualisé et de l'autre côté,

une tendance à la standardisation, au conformisme. D'où cette question : pour rendre les

outils de gouvernance plus effectifs ou efficaces, ne faut-il pas partir en quête

d'instruments de gouvernance dont l'effectivité ne va pas reposer sur la comparaison et

sur la discipline de marché ? C'est une des questions qui est à la source des

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 73 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

perspectives que nous avons dressées dans la quête de nouveaux instruments

possibles.

Avant d'arriver aux renouvellements, quelques remarques sur d'autres limites que nous

avons mises en lumière mais elles ont déjà été évoquées ce matin. Des questions de

légitimité des acteurs pour les codes de gouvernance qui tiennent, à mon sens, non pas

seulement à la question de savoir s'il est légitime que les codes de gouvernance soient

le produit d'organisations représentatives des entreprises et que ne soient pas

impliquées d'autres parties prenantes telles que l'État.

Ces limites résident aussi dans le fait que l'organe qui édicte la norme et celui qui

contrôle est le même. Le Haut Conseil est une émanation de l’Afep-Medef donc il y a

non seulement la question de la légitimité de ceux qui créent la norme mais la légitimité

de ceux qui la contrôlent et la confusion entre les deux. Pour un juriste, c'est un peu

étonnant que celui qui crée la norme et contrôle sa mise en œuvre soit le même organe

car le Haut Conseil n'a aucune indépendance vis-à-vis du Medef. C'est une vraie

question et pour le renouvellement, on voit la question qui se pose : ne faut-il pas penser

un organe, une autorité administrative indépendante ou autre chose ? Je n'ai pas de

propositions toutes faites mais il faut discuter la perspective de la création d’un organe

pour contrôler la mise en œuvre des codes de gouvernance qui ne relèverait pas de

l’autodétermination.

Une autre difficulté, également soulevée ce matin et évoquée dans un article est le

risque de transparence conformiste. Mais je ne m'étends pas car cela a déjà été dit ce

matin.

S’agissant des perspectives, évoquons d’abord celles qui portent sur le substrat des

règles de gouvernance, pas le type d'outils de gouvernance mais leurs substrats. Je

reviens sur ce qui a été dit au tout début. Un des enjeux aujourd'hui est l'intégration des

considérations relevant de la gouvernance au sens strict et celle relevant de la

responsabilité sociale des entreprises. Comment concevoir des instruments qui fondent

ces deux préoccupations ? Les évolutions sont déjà à l’œuvre, le code Afep-Medef a

reformulé les missions du conseil d'administration en intégrant les dimensions de

responsabilité sociale des entreprises. Au niveau des entreprises, on constate de plus en

plus que sont créés des comités dits de gouvernance, de compliance et de

responsabilité sociale. Ce sont des structures qui intègrent à la fois la gouvernance et la

RSE. La création d'outils qui intègrent de manière consubstantielle les considérations de

gouvernance et celles de RSE pour justement peut-être ne plus les distinguer, pour

intégrer les considérations sociales et environnementales dans la gouvernance.

Deuxième remarque sur les perspectives, j'ai beau avoir souligné les limites des

obligations d'information et de transparence, avoir souligné peut-être la contradiction, la

tension dans laquelle elles sont enfermées entre réflexivité et standardisation, il me

semble que ces obligations d'information et de transparence sont importantes. Elles ont

une assise dans le droit dur, la hard law, qui est renforcée mais elle reste fragile. Je

signale que le Conseil constitutionnel, dans une décision du 8 décembre 2016, a

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FRANCE STRATÉGIE - 74 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

considéré qu'un dispositif de transparence était contraire à la liberté d'entreprendre car

exposait de manière excessive les entreprises au risque de concurrence. Devoir exposer

la cartographie de leurs activités les rendaient vulnérables. Tout cela pour vous dire qu'il

me semble que les obligations de transparence ne sont pas immunisées contre certaines

remises en cause au nom de la liberté d’entreprendre.

Troisième remarque, c'est là où notre filiation avec les recherches menées au Collège

des Bernardins était la plus significative, nous avions proposé dans le rapport des outils

dont le mode de réalisation, le mode de concrétisation ne repose pas sur la discipline de

marché et donc sur la comparaison. Nous avons repris cette proposition de permettre

aux entreprises de se doter de missions qui viendraient orienter leur gouvernance dans

leur ensemble. Cette voie d’évolution des outils de gouvernance qui vise à doter les

entreprises dans leur statut de stipulations qui visent à conjuguer gouvernance au sens

strict et considérations sociales et environnementales, a été discuté dans le cadre des

débats sur le projet de loi PACTE et on en retrouve des traces dans les propositions de

modification de la formulation de l'intérêt social.

Gilles BON-MAURY

Je vais maintenant inviter le praticien Me Stéphane BRABANT à donner son point de vue

après avoir entendu ces constats et les pistes qui ont été dessinées. Que cela vous

inspire-t-il ?

Stéphane BRABANT

La tâche n'est pas facile. Parler à la suite d'éminents professeurs est en effet délicat et

surtout parce qu’il m'avait été demandé de rebondir sur les interventions qui me

précéderaient.

Je suis avocat dit de projets, c’est-à-dire spécialisé dans la mise en place des projets par

les entreprises et plus particulièrement ceux en Afrique en matière d’énergie, de mines

et d’infrastructures.

Vous aurez anticipé que, dans le cadre de ces projets, les questions liées à la RSE ne

peuvent nous échapper. Le XXIe siècle sera d’ailleurs, et sur ces questions en particulier,

différent des précédents. Il a commencé avec les idées et la vision d’un grand homme

que j'ai eu la chance de bien connaître, Kofi ANNAN, qui était secrétaire général des

Nations unies. Il nous a malheureusement quittés en août 2018, ce qui est, et je ne suis

pas le seul à le penser, un drame pour la planète. Kofi ANNAN a eu cette formidable

vision de se dire que ce n’est pas seulement les États mais aussi les entreprises qui se

doivent, dans leurs activités, de respecter les droits humains. Les entreprises doivent

faire des profits, certes, mais pas à n’importe quel prix. Elles se doivent naturellement de

respecter le droit, c'est une évidence. Mais cette création de profits, et je synthétise

volontairement, ne peut se faire au détriment des droits fondamentaux des êtres

humains. Cette vision a été appuyée par les travaux du professeur John RUGGIE,

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 75 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

nommé en 2005 représentant spécial des Nations unies pour la question des droits de

l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises.

Je distinguerai ici un peu ces questions avec celles de la RSE, même si elles sont liées.

Il y a d’ailleurs parfois un peu de confusion dans les esprits entre les notions de RSE,

développement durable, respect des droits de l'Homme. Toutefois, toutes se rejoignent

finalement vers l’idée centrale du nécessaire respect par les États et toutes les

entreprises – et autres acteurs de la société – et en toute circonstance des droits

humains, de la dignité humaine. Toutes ces notions convergent vers cette idée centrale

et il y a désormais un nombre grandissant de textes de toute nature qui relèvent parfois

d’un droit dit « souple » et de plus en plus d'un droit dit « dur » et contraignant. Aussi,

pour nous avocats et juristes, nous devons nous adapter, voire anticiper cette nouvelle

façon de penser la conduite des affaires. Nous devons aussi appréhender les textes de

plus en plus nombreux et d’ailleurs parfois confus qui accompagnent cette nouvelle

façon de penser. Ces réflexes doivent nous permettre de mieux accompagner les

entreprises dans leurs nouvelles obligations. Comme je le disais tout à l’heure, la

constante reste que toutes ces thématiques convergent, à un moment, vers le respect

des droits fondamentaux. À mon sens, la RSE repose sur une mise en œuvre, par la

direction des entreprises, de mesures qui visent à assurer une finalité qui sera estimée

comme constituant, de leur part, un comportement globalement socialement

responsable, y compris pour l’avenir. La RSE couvre d’ailleurs des aspects assez

étendus, notamment le respect de l'environnement, ce qui rejoint sur certains points la

notion de développement durable.

Je dirais qu'à côté, et même en plus, s'est ajoutée pour le XXIe siècle, et comme je l’ai dit

tout l’heure à l'instigation de Kofi ANNAN et du professeur John RUGGIE, cette nouvelle

dimension du respect des droits humains. Non seulement les États se doivent de

protéger les droits humains, mais les entreprises se doivent aussi de les respecter. Ce

dernier point constitue une réelle nouveauté que les entreprises ont parfois encore du

mal à admettre et en tous les cas à mettre en œuvre. La difficulté pour les entreprises

est de devoir anticiper non pas cette fois les risques auxquels elles s'exposent, mais

plutôt les impacts négatifs que leurs activités ont – ou pourraient avoir – sur les droits de

l’Homme. Le prisme et l’état d’esprit ne sont plus entièrement les mêmes, la mutation

n’est pas nécessairement évidente. Cette nouvelle façon de penser certaines des

obligations des entreprises est le fruit d’une importante réflexion menée par le professeur

John RUGGIE qui a interrogé des entreprises, des représentants des États, des ONG,

etc. D'un côté, il y a des États qui ne remplissent pas toujours leur rôle de protéger les

droits humains. Et de l'autre, des entreprises, notamment les multinationales mais pas

uniquement, se doivent, malgré les principes de droit international public, de respecter

les droits humains et ceci en toute circonstance.

Vous comprenez ainsi la nécessaire prise de conscience pour le XXIe siècle d'une

dimension, il est vrai nouvelle, dans la conduite par les entreprises de leurs activités.

D'ailleurs la loi PACTE va, elle, de son côté, codifier un nouveau rôle plus social de

l'entreprise et je vous y renvoie. Tout ceci constitue un très grand changement et le reflet

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FRANCE STRATÉGIE - 76 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

du XXIe

siècle. Avec les prises de conscience et les changements d'états d'esprit, le rôle

des entreprises a évolué d'une façon extraordinaire. C'est quelque chose sur lequel nous

devons nous arrêter. Il y a eu de grandes révolutions dans le monde, notamment par

exemple dans le domaine du droit du travail dans les années 1930, et il y a une très

grande révolution en cours qui n’est finalement pas si lente que ça.

Cette révolution va loin aujourd'hui, notamment dans les relations entre performance,

croissance et gouvernance. D'abord les entreprises deviennent si je puis dire des

régulateurs dans ces domaines dans lesquels le droit souple finit en effet par laisser la

place à un droit dur venant de ces dernières. Je vais prendre un exemple frappant.

Dernièrement, M. Donald TRUMP, je crois dans un de ses tweets, avait laissé entendre

qu'il ne voulait d’une certaine façon – je ne me rappelle plus de ses propos précis – pas

entendre parler des droits de l'Homme, du réchauffement climatique et autres «

contraintes » pour les entreprises. Mais ce qui est intéressant, c'est que certaines de ces

entreprises ont laissé entendre qu’elles étaient mondiales, soumises aux choix et

jugements des consommateurs et des actionnaires où qu’ils soient dans le monde et en

conséquence qu’elles n’avaient pas d’autre choix que de respecter, et de faire respecter

par leurs fournisseurs et autres entreprises qui leur sont liées, les droits humains.

Aussi les entreprises deviennent des régulateurs en ce qu’elles se doivent d’imposer à

toutes les entreprises liées à leurs activités leurs mêmes obligations pourtant parfois

issues d’un droit souple et qui devient donc un droit dur par leurs engagements

unilatéraux comme les codes de conduite et par leurs contrats. Ne dit-on pas en droit

français que le contrat est la loi des parties ? Les entreprises deviennent ainsi

aujourd'hui des régulateurs qui veulent anticiper leurs nouveaux juges que sont

notamment les détenteurs des droits fondamentaux et ceux qui les défendent. Les

entreprises aujourd'hui, et vous l'avez indiqué madame SACHS en parlant de la réaction

des consommateurs et autres, sont en effet jugées par les consommateurs, les ONG, les

banques qui vont les financer ou pas, les actionnaires, toutes ces parties prenantes. Dès

lors, on comprend le risque immédiat pour les entreprises d’être d’abord jugées, cette

fois sans appel et sans cassation, par leurs nouveaux juges. On comprend aussi le rôle,

également nouveau, des avocats et juristes qui devront savoir les assister non

seulement pour le respect du droit dur mais aussi du droit souple.

Nous faisons effectivement dans ce monde du XXIe

siècle face à un grand changement

dans cet état d'esprit que j'ai développé en introduction. Ce grand changement est que

les entreprises deviennent aujourd'hui des régulateurs car elles doivent faire face à des

nouveaux juges qui sont particulièrement sévères. Si le droit peut être souple, les

sanctions, elles, peuvent être dures. Ces juges, ces nouveaux juges, se reposent en

effet sur le droit, qu'il soit souple ou qu'il soit dur. Il n'y a aucune distinction, seul reste

désormais pour beaucoup le mot « droit ». On va me dire : « il y a une grosse différence,

le droit souple ne peut conduire à des sanctions de la part des tribunaux ». Je serais un

peu plus prudent. Je ne m'aventurerais pas à dire à une entreprise : « C'est du droit

souple, vous ne prenez aucun risque » et surtout si l’entreprise a fait, d’une façon ou

d’une autre, du droit souple un véritable droit qui pourrait être considéré comme devenu

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FRANCE STRATÉGIE - 77 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

dur. Le périmètre du droit autour du respect des droits fondamentaux par les entreprises

s'élargit, les nouveaux juges peuvent être extrêmement sévères et conduisent les

entreprises à devoir prendre des dispositions pour anticiper leurs jugements. En

conséquence, pour nous, avocats et juristes, le périmètre de notre pratique s'en trouve

élargi.

Dans cet état d'esprit, vous parliez tout à l'heure du respect des droits de l'Homme, du

respect de la RSE et de la gouvernance et performance. Ce dernier point renvoie à ce

que j'appelle aussi la profitabilité. En réalité, beaucoup d'entreprises disent : « La RSE,

le respect des droits fondamentaux, le développement durable vont nous coûter très

cher, surtout que d'autres ne les respectent pas. » Il a été toutefois prouvé dans

plusieurs travaux que les entreprises qui respectent les principes de la RSE de façon

générale et les droits fondamentaux sont des entreprises qui, sur le long terme, sont plus

profitables que les autres. Il ne faut pas se tromper. Même s'il y a un coût au départ, la

réalité est tout autre. Travaillant sur le terrain en Afrique, les entreprises qui respectent

les droits des communautés locales et travailleurs et qui adoptent des comportements

socialement responsables sont des entreprises dont les projets vont durer plus

longtemps. Elles rencontreront moins de difficultés avec les communautés, moins de

grèves, devront passer moins de temps et d'énergie à gérer des difficultés. Elles vont

pouvoir travailler plus facilement et dans un esprit apaisé avec des entreprises locales

qui leur coûteront moins cher que certains sous-traitants venant de l'étranger. En

conséquence de quoi, on peut dire : oui, il faut avoir la foi, il faut le croire. D'ailleurs c'est

tellement vrai que l’on a pu critiquer les investisseurs de certains pays d'être trop légers

dans leur comportement en matière de respect de toutes ces règles quand ils s'installent

à l'étranger. Je peux vous dire que la situation évolue vite. Des entreprises chinoises

implantées en Afrique, puisque beaucoup en parlent, nous consultent pour savoir

comment améliorer leurs performances par la gouvernance dans des circonstances

difficiles. Je ne dis pas que toutes sont irréprochables, toutes ne le sont pas, mais

certaines entreprises françaises, américaines ou anglaises ne le sont pas non plus. Il y a

quelque chose qui arrive et qui est intéressant, c'est un corpus de règles et un état

d'esprit internationaux. On arrive à un aboutissement qui est celui du XXIe

siècle. Il y

avait une globalisation financière, une globalisation économique, mais il n'y avait pas de

globalisation sociale. Elle est désormais en train de se mettre en place, de marquer le

XXIe siècle et probablement ne s'arrêtera pas.

Un certain nombre de propos ont été tenus sur la RSE et le fait de faire des indicateurs,

des plans de vigilance dans certaines matières ou autres. Nous recommandons la

spécificité par entreprise. Chaque entreprise a sa spécificité, son activité, des activités

dans certains secteurs, dans une certaine géographie avec certains partenaires. Quand

on veut faire un vrai plan sérieux en matière de RSE, de respect des droits

fondamentaux et dans toutes ces matières, il est certainement important que les

entreprises ne se reposent pas sur des modèles. Elles peuvent s'inspirer de certaines

idées, mais une entreprise ne réussira sa gouvernance et ses politiques RSE et droits

humains qu'à partir du moment où elle accepte de réfléchir, de se remettre en cause, de

bien comprendre son environnement pour mieux réussir en lien avec ces politiques.

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La gouvernance d’entreprise. Mise en œuvre et nouveaux enjeux

FRANCE STRATÉGIE - 78 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Je souhaite laisser un ou deux messages clés.

On parle souvent de social license, de licence sociale. Une entreprise doit toujours être

conforme au droit, mais en plus d'être conforme au droit, elle doit avoir cette fameuse

licence sociale. Elle doit penser deux fois. Quand je dis que le périmètre du droit

s'agrandit, nous juristes devront veiller, aux côtés des entreprises, à ce que leurs

activités respectent le droit dans toutes ses règles et sa rigueur, mais aussi un certain

droit souple.

Les entreprises deviennent les régulateurs, elles ne veulent pas que leurs sous-traitants

et fournisseurs violent les droits humains et elles vont donc imposer dans des contrats le

respect d'un certain nombre de principes en matière de droit humains. Ce phénomène

est source du droit. Quand les multinationales ont des centaines et des milliers de

fournisseurs, de sous-traitants et autres, ce sont tous ces partenaires qui vont devoir

respecter ces règles. Je le vois au quotidien en Afrique. On voit de grandes entreprises

qui vont sur le terrain pour auditer et voir si les sous-traitants et fournisseurs respectent

bien certains principes de base relatifs à la RSE et plus particulièrement le respect des

droits fondamentaux. On voit bien une évolution et que ce droit souple s'impose

finalement par la force des choses, par les nouveaux juges, par la crainte des

entreprises par rapport à la discipline de marché. Vous disiez : « On respecte plus par

peur des réactions des consommateurs, des uns et des autres, que pour d'autres

raisons ». Vous avez parfaitement raison. J’ai tendance à dire qu’il y a une prise de

conscience significative, pas encore pour 100 % des entreprises, mais qui va se

poursuivre au cours du XXIe

siècle. N'ayant pas préparé cette intervention au préalable,

j’espère que j'aurais néanmoins laissé quelques messages suffisamment clairs. Merci

beaucoup.

Gilles BON-MAURY

Merci pour ces propos engagés et optimistes. On ouvre le débat, une petite demi-heure

d'échange avec les participants.

Michel CAPRON

J'aimerais offrir l'opportunité à Tatiana SACHS de terminer son exposé. J'ai cru

comprendre que vous pensiez que les sociétés-missions, tel que c'est prévu à l’article 61

dans la loi PACTE, allaient permettre une nouvelle gouvernance. Je me trompe peut-être

mais ma question est de vous permettre de préciser ce que vous pensez.

Ce n'est pas aussi évident. D'un côté, on peut penser effectivement que la modification

de l'article 1835 du code civil qui prévoit dans les statuts une raison d'être des sociétés,

cela peut faire évoluer la gouvernance. Mais d'un autre côté, il faut souligner que ces

sociétés-missions, ce n'est pas une nouvelle forme juridique mais un nouveau statut. Par

ailleurs, dans le nouvel article 1833 qui dit que la société doit être gérée dans son intérêt

social en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son

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FRANCE STRATÉGIE - 79 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

activité, il s'agit de la gestion. La gestion et la gouvernance, est-ce la même chose ? J'ai

tendance à penser que ce n'est pas la même chose, mais j'aimerais avoir votre avis.

Le législateur nous dit : « On ne modifie pas l'article 1832 car il définit le contrat de

société. » On peut penser que cela relève de la gouvernance, mais on peut en discuter.

Et le 1833 est modifié avec simplement l'idée qu'il s’agit de la gestion. D'ailleurs, les

débats à l'Assemblée nationale ont bien montré qu'il n'y avait pas de possibilité ou il

serait très difficile pour des tiers d'intenter une action en justice si la société ne prend pas

en considération les enjeux sociaux et sociétaux, mais les associés pourraient le faire

pour faute de gestion.

Tatiana SACHS

Si les entreprises se dotent d'une mission, cela peut-il changer la gouvernance ? Je

partage votre scepticisme, en tout cas votre interrogation sur le fait que dans la

formulation de la mission, il n'y a pas nécessairement de considérations sociales et

environnementales. La mission n’implique pas nécessairement un changement de type

de gouvernance. Toutefois la formulation de la mission a un mérite : elle permet de

changer la temporalité de la gouvernance, essayer de libérer les dirigeants de la

pression à court terme des associés. En liant les associés qui adhèrent, qui contractent

dans le contrat de société, la formulation de la mission permet de desserrer les

contraintes de court terme. En cela, la stipulation d’une mission peut changer les

perspectives de gouvernance.

L'articulation entre la modification de l'article 1833, la possibilité de formuler une raison

d'être, et en plus la possibilité de formuler une mission, je suis d'accord avec vous, n'est

pas claire, d’autant que ces modifications arrivent en même temps, ont des inspirations

multiples et visent à contenter tout le monde et personne à la fois. Il n’est tout à fait aisé

de comprendre la différence entre formulation de la raison d'être et ajout d'une mission.

Il me semble que les textes, même s'ils sont en retrait par rapport à ce qu’avaient

proposé M. SENART et Mme NOTAT, vont ouvrir les questions que vous avez

soulevées, et elles vont rester ouvertes jusqu'aux premières décisions de justice.

Pourquoi avoir modifié l’article 1833 et pas le 1832 ? Il y a eu un colloque à l'université

de Malakoff où cette question a été abordée. Je suis d'accord avec vous, le fait de

modifier la formulation de l’intérêt social et pas l'objet social va peut-être fermer certaines

portes d'action, mais, parallèlement, il me semble que le changement de l’article 1832

était impossible. S’agissant de la réécriture de l’article 1833, la loi PACTE est en retrait

par rapport au rapport SÉNART et NOTAT, le texte mentionnant la prise « en

considération de » des effets sociaux et environnementaux. Les considérations sociales

et environnementales sont toujours au second rang. Il me semble que c'est

consubstantiel à la logique de RSE. C'est bien parce qu'on a resserré la gouvernance au

sens strict sur des performances actionnariales, que l’on a dû élaborer un autre corpus

qui était la RSE. Si l'objectif est de créer des instruments qui lient les deux de manière

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FRANCE STRATÉGIE - 80 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

consubstantielle et, je suis d'accord avec vous, l’article 1833 ne le fait pas complètement.

Tout comme les instruments de RSE ne le font pas complètement.

Un intervenant

Pour poursuivre votre échange, l’article 1832, contrairement à ce qui est souvent écrit,

ne concerne pas l'objet de la société mais son but. On n'a pas voulu toucher à ce but. Le

but d'une société, avant comme après la réforme, reste le profit et le profit en vue d'être

partagé. On peut faire du profit dans une association, mais il ne sera pas partagé.

La grande nouveauté est la façon dont on va faire ce profit. Dans l’article 1833, on ne

considérait que l'intérêt social. En droit des sociétés, il y a deux grandes théories depuis

les années 1970, l’école de Strasbourg ultralibérale et l’école de Rennes pro-RSE avant

l'heure. C'est plutôt l'école de Strasbourg sur les marchés, ce sont les investisseurs, les

actionnaires qui doivent recueillir le fruit de ce profit dans une vision de la société que

l'on peut qualifier de prédatrice. On prélève pour partager ce profit, et on ne s’occupe

pas trop des conséquences. La grande nouveauté est de dire : au même titre que

l’intérêt de la société ou dans l’intérêt de la société, vous devez aussi intégrer des

considérations environnementales et sociétales.

Un petit exemple, dans les années 1990, à l'époque où la vie politique française était

animée par des grands scandales financiers, des arrêts de la chambre criminelle de la

Cour de cassation dans une affaire NOIR c/ BOTTON. M. NOIR faisait financer ses

campagnes électorales par son gendre, M. BOTTON, qui à Lyon voyait ses entreprises

prospérer car il avait comme beau-père M. NOIR. Dans le premier arrêt de la chambre

criminelle de la Cour de cassation, les juges n'ont rien trouvé à redire à cela. Sur l'axe de

l'intérêt social, ils étaient poursuivis pour abus de biens sociaux. Les juges de la Cour de

cassation ont dit : « Les entreprises ont été plus prospères après qu'avant la corruption,

donc du point de vue de la société, M. BOTTON a très bien agi. » D'autres juges de la

même chambre criminelle ont été commis pour rendre une seconde décision et ont dit

que le fait d'exposer une société à un risque pénal est contraire à son intérêt social. On

voit déjà une première amorce. Le fait de faire du profit à tout prix ne répond pas de

manière satisfaisante à l'intérêt social. Je trouve qu'aujourd'hui les débats sont dans le

prolongement de ce premier type de décision. Il faut distinguer, le but d'une société reste

de faire du profit. C'est la manière de faire ce profit. Doit-on faire du profit à n'importe

quel prix ou au contraire doit-on contraindre l'entreprise à réfléchir sur la manière dont

elle le fait en considérant les intérêts qui sont autour d'elle ?

Une intervenante

Je suis en master développement durable et organisation à Dauphine. Une question

concrète par rapport aux travaux de MM. SEFSAF et DUHAMEL, dans les variables

structurelles pour lesquelles vous avez pu prouver une corrélation par rapport à

l'appétence de la conformité des entreprises, aviez-vous fait des regroupements de

variables sur la taille, la dette à long terme, à ce qui correspondrait à des moments de

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FRANCE STRATÉGIE - 81 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

vie de l'entreprise ? Vous l'avez sous-entendu en parlant de la corrélation avec la

croissance.

Et avez-vous fait des sous variables ? Par exemple pour le capital qui était dilué, avez-

vous des sous variables avec la présence d'actionnaires institutionnels publics ou si ce

sont plutôt des privés ?

Réda SEFSAF

Les variables que nous avons utilisées sont de vraies valeurs. Ce ne sont pas des

variables binaires, 1 ou 0, quand on considère que la proportion détenue par les insiders

est importante, ou les capitaux détenus par les salariés sont importants ; c’est la

proportion réelle des capitaux détenus par les salariés et les insiders au niveau des

dettes.

Il n’y a pas de sous-variables, nous avons utilisé les variables présentes dans nos bases

de données. Nous avons utilisé des sous-variables par rapport à des déclarations de

gouvernance. Nous avions plusieurs variables de conformité car nous nous sommes

intéressés à 65 principes de bonne gouvernance et avons été obligés de réduire nos

régressions en regroupant nos variables de gouvernance en méta-variables.

Mme PIRON

Ce que j’ai entendu m’a rendu perplexe car la RSE est beaucoup basée sur les limites

de la discipline de marché, sur ce principe de croire à la discipline du marché. Cela veut

dire que le Haut Comité de gouvernement serait en capacité de faire du name and

shame qui quelque part s'applique sur cette logique de marché. Cela veut dire que ce ne

sera pas plus efficace si on se base sur les limites que vous annoncez.

Tatiana SACHS

Je ne dis pas que la discipline de marché ne marche pas du tout, je pense qu'elle n'est

pas suffisante. Je ne suis pas sûre que l'on puisse compter sur les citoyens et

investisseurs pour être les nouveaux juges. D'abord les citoyens n'ont pas tous les

moyens, notamment le portefeuille pour être des juges. Le consommateur achète des

produits pas cher, produits dans des conditions exécrables et n'a pas forcément les

moyens de faire autrement. Je pense qu'on est tous schizophrènes. Je suis très

attachée au respect des règles du droit de travail et j’achète sans doute des produits à

bas coûts produits dans des conditions exécrables.

Tout fonder sur la discipline de marché ne me paraît pas suffisant. Régulièrement il y a

des débats : faut-il un nouveau type de règles ? Peut-on se contenter de dispositifs dont

l'efficacité repose sur la discipline de marché, que ce soit le marché des biens, des

services ou des investisseurs ? Je ne crois pas. C'est le débat sur le devoir de vigilance.

Le Medef s'est opposé de toutes ses forces à l'adoption de la loi sur le devoir de

vigilance disant que les dispositifs de RSE sont bien suffisants. L'ajout d'une règle de

responsabilité dans la loi sur le devoir de vigilance de 2017 rajoute quelque chose à

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La gouvernance d’entreprise. Mise en œuvre et nouveaux enjeux

FRANCE STRATÉGIE - 82 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

cette discipline de marché. La loi sur le devoir de vigilance est pour moi typiquement un

dispositif qui repose sur une pluralité, une multiplicité de modes de concrétisation du

droit. Dans le devoir de vigilance, il y a l’alerte, la discipline de marché à travers la

transparence, et il y a aussi le droit étatique, la responsabilité. Pour moi, c'est la

multiplication des feux qui à mon sens est susceptible de garantir au mieux l'atteinte de

certains objectifs. Je sais que c’est difficile à faire adopter mais mon propos n'était pas

de dire que la discipline de marché ne marche pas du tout, que les mécanismes de

transparence ne servent à rien. À mon sens, la quête d'une bonne gouvernance ne peut

pas reposer uniquement sur ce type de dispositif.

Le débat sur le devoir de vigilance était intéressant car il y a une pression très forte pour

que cette loi ne soit pas adoptée. J'ai eu l’occasion d'exposer cette loi devant des

praticiens, des entrepreneurs notamment et je me suis fait tancer de manière virulente.

On m'a dit : « Vous voulez la mort des entreprises françaises. » Cela veut dire que

spontanément, elles ne s'assurent pas de la préservation des droits fondamentaux sur

toute la chaîne de valeur si elles réagissent de manière aussi crispée face à

l'établissement du devoir de vigilance.

Il me semble que l'avenir, ce sont des dispositifs qui combinent différents registres de

concrétisation, de mise en œuvre, qui combinent la surveillance généralisée avec le

devoir d’alerte, la discipline de marché et l'intervention étatique. C'est ce que les

collègues belges appellent la co-régulation, dont la quatrième dimension est

l’autorégulation. C'est cette co-régulation qui est l'avenir pour moi, mais ce n'est pas

gagné.

Mme COUPART

Je travaille dans un établissement financier. Avez-vous détecté des différences entre les

secteurs d'activité qui font l'objet aujourd'hui de régulation spécifique et de contrôle

d'autorités réglementaires, et des sociétés qui sont un peu moins réglementées, même si

elles font partie de sociétés cotées suivies ou pas ?

Jean-Christophe DUHAMEL

Cela a fait l'objet d’une petite réflexion entre Réda et moi dès le départ. Certains

secteurs d'activité sont très particuliers en termes de régulation ; je pense évidemment

au secteur bancaire, de l'assurance. La question était de savoir s'il fallait leur réserver un

traitement spécifique au regard de leur façon de se déclarer conforme ou pas eu égard

au rôle tout à fait particulier que les entreprises de ces secteurs peuvent jouer et à

l'attention particulière que les parties prenantes peuvent projeter sur elles. En tout

franchise, nous avons un peu botté en touche, peut-être par manque de courage car

nous avions déjà beaucoup de choses à traiter. Il nous semblait compliqué de

singulariser la position de ces sociétés eu égard à leur type d'activité pour essayer de

fournir des hypothèses particulières sur la façon différente qu'elles auraient de s'adapter

à la gouvernance.

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 83 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Un prolongement de votre réflexion, si on raisonne en termes de pure de gouvernance,

de principes de bonne conduite qui figurent dans les codes privés : il n'y a pas de

spécificité dans le code de commerce ou dans le code Afep-Medef, lesquels ne

réservent pas un sort particulier aux établissements bancaires, financiers ou

d’assurance, sauf erreur de ma part, en matière de conformité à des principes de bonne

conduite supports du comply or explain.

Il n'y a pas de spécificité, c'est peut-être une piste à creuser et ce serait d'autant plus

intéressant de s'attacher à la question de la gouvernance dans le secteur financier. Ceci

étant, la crise de 2008 est très différente par rapport aux affaires Enron ou WorldCom,

qui ont eu lieu huit ans auparavant. En 2008, c'est une crise du produit, de la finance,

c’est le fait que les établissements bancaires ne savent pas ce qu'ils ont, en termes

d’actifs, dans leurs comptes ; c’est différent de l'ère Enron et du contexte d’éclatement

de la bulle internet qui concernait bien davantage des questions de gouvernance selon

moi. Mais différencier l'approche de la conformité en matière de gouvernance en fonction

du type d'activité de l’entreprise serait une piste intéressante ; on penserait en particulier

à un renforcement des recommandations d’indépendance et de compétence des

administrateurs…

Mme COUPART

On voit ces derniers temps monter en charge les pouvoirs des autorités de contrôle qui

interviennent, font des contrôles et sanctionnent. Vous disiez qu'il y avait des manques

de contrôle dans certains domaines, ce secteur en fait l'objet.

Jean-Christophe DUHAMEL

Certes, mais cela ne relève plus de la soft law. On n'est plus dans la gouvernance mais

dans la réglementation dure, prudentielle qui peut avoir des impacts concrets et

véritablement juridiques avec des autorités de régulation qui ont des pouvoirs

d'investigation et de sanction.

C’est évidemment souhaitable par rapport à la particularité de ces secteurs d'activité et

au risque systémique qu'il propage. La gouvernance doit-elle accompagner cette

singularité et s’adapter à ces secteurs spécifiques ? Oui peut-être, pourquoi ne pas avoir

un code français du gouvernement d’entreprise des établissements bancaires, financiers

et de l'assurance ? Pourquoi pas, pour compléter l'espace de régulation de ce secteur

qui relève plus du droit dur.

Gilles BON-MAURY

Peut-être par rapport à ce que vous avez dit, M. BRABANT, sur l'entreprise qui se

retrouve face à des juges et dont toutes les parties prenantes deviennent des juges,

c'est un des vecteurs de la RSE. Nous avons tous envie de croire au fait que les

différentes parties prenantes sont plus exigeantes sur tous les marchés d'ailleurs, que ce

soient les marchés financiers, les marchés de biens et services, les marchés de l'emploi.

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La gouvernance d’entreprise. Mise en œuvre et nouveaux enjeux

FRANCE STRATÉGIE - 84 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Il y a une exigence en termes de performance RSE et en même temps, vous dites qu'il

faut que les démarches de responsabilité respectent la spécificité des entreprises. Je le

comprends comme la nécessité d’insister sur la dimension matérialité des démarches de

RSE, aller chercher ce qui concerne davantage l'entreprise pour définir ce qu'est être

responsable. N'y a-t-il pas une contradiction entre ces deux objectifs : penser à être

exposé sur les marchés, être plus fort sur les marchés quand on est meilleurs en termes

de RSE et aller en même temps vers une perception de cette démonstration de vertu qui

ne permet pas la comparaison car chacun définit son référentiel ? C'est une question qui

nous intéresse à la Plateforme RSE car nous sommes amenés à travailler sur des

référentiels sectoriels en considérant que chaque entreprise définit sa RSE en fonction

de son métier. N'y a-t-il pas une impasse si on veut d'un côté appuyer au maximum sur

le fait que l'entreprise se compare et est plus forte quand elle est responsable car elle

met en avant une force particulière du fait de sa performance ou de sa notation et d'autre

part, le fait que cette notation dépend complètement de ce qu'elle est, ce qui va

empêcher la comparaison ?

Stéphane BRABANT

Ce que vous dites n'est pas faux, mais je faisais allusion aux plans de vigilance dans le

cadre de la loi sur le devoir de vigilance. Il faut garder en tête, sur le plan strictement

juridique, que les entreprises ont des obligations de moyens. Cela a été rappelé dans le

corps même des débats parlementaires car il y avait des hésitations. On se demandait si

ce n’était pas une obligation de résultat et s'il n’y aurait pas des dérives de la part de

certains juges qui pourraient considérer que si un dommage était créé, même à un

échelon relativement bas de la chaîne de valeur, cela voudrait dire que le plan existant

n'aurait pas été mis en œuvre de façon effective ? Ce serait une erreur. Les textes sont

complexes mais les finalités sont claires et ne doivent pas être perdues de vue.

Cette obligation de moyens, pour être remplie, à mon sens, et pour qu'on puisse plaider

la bonne foi d'une entreprise, demande que celle-ci puisse démontrer qu’elle a réalisé le

fameux know and show que l’on retrouve dans les principes directeurs des Nations

unies, ces derniers étant rappelés dans les débats parlementaires sur le devoir de

vigilance. C'est le fait que l'entreprise se doit de mesurer les impacts de ses activités, de

celles de ces filiales et de certains de ses partenaires. Elle doit au demeurant dans son

plan donner des exemples. Encore une fois, je le rappelle, il ne suffit pas de se dire :

« Le voisin a donné tel exemple, je vais dire la même chose ». L'entreprise doit faire du

comparatif par rapport à elle-même. Ce qu'on va attendre et ce que vont attendre les

juges, c'est que l'entreprise soit, aux années n+1, n+2, n+3, à même de faire du

comparatif de ses propres résultats et montrer qu'elle a pris tous les moyens pour

continuer à respecter de mieux en mieux l'ensemble des attentes en matière de devoir

de vigilance.

Vous soulignez : faut-il un comparatif entre entreprises ? Il se fera. Dans les mêmes

secteurs d'activité, il se fera et les entreprises, les consommateurs, les ONG vont aller

voir les plans de vigilance, lesquels seront publics et en ligne. Sur cette base, les

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 85 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

nouveaux juges pourront juger. Cela veut dire qu'il y a une exigence forte car

premièrement, les entreprises ont un devoir envers elles-mêmes pour montrer qu'elles

ont pris tous les moyens et deuxièmement, elles vont peut-être regarder les autres

entreprises pour elles-mêmes veiller à mieux se comporter. Nous en sommes au tout

début, avec les premiers plans de vigilance et toute cette situation est en évolution

constante. L'entreprise doit absolument être très spécifique dans sa démarche. Ce n'est

pas uniquement déclarer. Il y a des entreprises qui se satisfont de déclarer qu'elles font

bien les choses pour se dire qu'elles font bien les choses. Non, aujourd'hui elles doivent

être en mesure de le démontrer.

Une intervenante

Je m’immisce dans ce débat. Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous venez de dire,

c'est justement parce que le devoir de vigilance n'est pas un instrument conçu pour

produire des effets avec la discipline de marché. C'est là où la contradiction que vous

pointez n'opère pas pour le devoir de vigilance car son horizon n'est pas de savoir si un

consommateur va ou pas acheter le produit, mais qu’en cas d’accident, il y a une

possibilité de responsabilité civile pécuniaire. C'est pourquoi la confection des plans de

vigilance n'est pas tournée vers l'extérieur n'est pas tournée vers l’extérieur, les

consommateurs ; la rationalité première du plan de vigilance est de concevoir des

process internes pour éviter les dommages et donc c'est un instrument de réflexivité

interne avant tout. Je ne dis pas qu'il n'a aucune fonction de communication mais sa

rationalité première est bien d'être un outil de gouvernance interne, à la différence des

outils traditionnels de RSE dont l'efficacité repose sur les différents juges que sont les

consommateurs. Le plan de vigilance, c’est différent. L'horizon est la possibilité de se

trouver devant un juge, un « vrai » qui va octroyer des dommages et intérêts.

Stéphane BRABANT

Je m'adresse à vous, les « nouveaux » juges. Vous n'êtes pas magistrats, mais vous

êtes tous des vrais juges, je vous rassure, je suis certain que vous serez d'accord avec

moi. Le devoir de vigilance ne s'adresse qu'à 150 à 300 entreprises selon différentes

estimations. Les principes directeurs des Nations unies s'appliquent à toutes les

entreprises, quelles que soient leur taille, leur activité, le lieu géographique. Le vrai

développement sur la planète, ce sont ces principes directeurs des Nations unies et ceux

de l'OCDE. Le devoir de vigilance n'est qu'un reflet de ces principes directeurs.

Ensuite et pour conclure, on parle pour cette matière des victimes. Ce que doivent voir

les entreprises, ce n'est pas leur risque mais le risque pour les victimes ou les détenteurs

de droits, l'impact de leurs activités sur ces derniers. C'est un grand changement au

XXIe siècle et dans la gestion des entreprises. Les entreprises doivent voir ce que leurs

activités peuvent avoir de positif ou de négatif pour toutes les parties prenantes. C'est un

paradigme différent. Merci.

Gilles BON-MAURY

Merci à tous pour vos exposés et vos questions.

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La gouvernance d’entreprise. Mise en œuvre et nouveaux enjeux

FRANCE STRATÉGIE - 86 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Renouvellement des bonnes pratiques

Kathia MARTIN-CHENUT

L'objectif de cette table ronde est de permettre un échange assez libre et informel entre

chercheurs et praticiens autour notamment du thème de la transparence et du contrôle

d'une part, et de la place de la RSE dans les nouvelles stratégies des entreprises d'autre

part. Je vous propose de faire un tour de table pour vous présenter et ensuite nous

pourrons lancer les débats dans un premier temps entre vous, puis avec la salle.

Je me présente, je suis chercheuse au CNRS et directrice adjointe de la Mission de

recherche Droit et Justice pour les questions scientifiques. C'est dans ce cadre que je

préside cette table ronde dont je me réjouis vu mon intérêt pour la thématique de la RSE,

notamment sous une entrée assez particulière, le respect des droits humains y compris

le droit à un environnement sain. Je vais passer la parole à Camille NOISETTE.

Camille NOISETTE

Je travaille à l'Autorité des marchés financiers (AMF) dans le département en charge des

sujets de régulation et affaires internationales et je suis particulièrement les sujets de

finances vertes et de gouvernance d'entreprise. Avant cela, j’ai passé plusieurs années

côté investisseurs chez Mirova en tant qu'analyste extra-financière en charge de la

gouvernance. Je suis passée chez le proxy advisor ISS à Paris et à Bruxelles. Ce sont

mes deux grands sujets de prédilection.

Laurence VAPAILLE

Je suis maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise. Ma spécialité est le droit

fiscal, je suis fiscaliste, je vais avoir une vue particulière, peut-être une forme de focus

sur gouvernance et fiscalité, ou encore RSE et fiscalité, ce qui est un thème assez

novateur, qui peut faire parler et qui soulève beaucoup de questions à la fois théoriques

et pratiques. Un juge américain a dit qu'il n'y avait pas de devoir de patriotisme à payer

plus d'impôts que ce qu’on devait. Par rapport à des obligations, des mesures que les

entreprises pourraient se donner à elles-mêmes par des codes de gouvernance ou la

RSE, savoir dans quelle mesure on pourrait remettre en cause le principe même de

l'économie fiscale, chercher à diminuer sa charge fiscale. Au nom de quelle morale, de

quelle justice, de quelle éthique, de quel type de performance les entreprises seraient-

elles susceptibles d'aller plus loin que ce que leur impose la loi ? Je parle de hard law et

non pas de soft law.

J'ai travaillé avec Frédérique COULÉE sur l'aspect plus international et Jean-Marc

MOULIN. Je voulais remercier Frédérique COULÉE pour m'avoir invité à participer à

cette recherche et cette journée qui permet cette restitution.

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 87 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Jean-Marc MOULIN

Je suis professeur de droit à l'université de Perpignan spécialisé dans le droit des

sociétés, droit des marchés financiers et tout ce qui concerne l'ingénierie financière. Ces

dernières années, je m'intéresse beaucoup aux problématiques liées à la gouvernance

et la RSE, ses instruments. On parlait de labellisation, de normes ISO.

Merci à Frédérique COULÉE qui a dirigé le rapport consacré aux apports du droit

international en matière de gouvernance de m’avoir invité et convié à participer à ce

travail. Merci au GIP Mission de recherche Droit et Justice. Cela faisait des années que

je voyais passer vos appels d'offres auxquelles je me promettais de répondre et je n'en

avais jamais le temps. Sincèrement, vous faites un très gros travail, bravo et la journée

de restitution est très riche. Depuis ce matin, j'apprends beaucoup et c’est extraordinaire.

Je vais retourner sur le site pour lire consciencieusement les rapports, les contributions,

les études pratiques qui ont été restituées. Nos amis gestionnaires et économistes ont

fait un gros travail.

J'évoquerai quelques points sur les questions de transparence et de contrôle. Un peu

comme ma collègue Laurence VAPAILLE, dans ce domaine, je suis très pro hard law.

Vive la crise et vive la loi car on ne voit jamais ces problématiques autant avancer que

quand il y a des crises. La crise de 2007-2008 a été salvatrice de ce point de vue. Quand

il y a des drames aussi, le Rana Plaza en est un exemple.

Par rapport à ce qui a été dit tout à l'heure sur la loi sur le devoir de vigilance de mars

2017, un des aspects qui me semblent intéressant dans cette loi est son caractère

extraterritorial. On critique souvent l'extraterritorialité des lois quand elles sont

américaines et interdisent à des sociétés françaises de faire du business en Iran pendant

un certain nombre d'années. Quand vous interrogez des multinationales, elles vous

disent toujours : « Ce qu'on fait est conforme à la loi. » Au Bangladesh, elles travaillent

conformément au droit bangladais. De même qu’en Égypte, elles travaillent

conformément au droit égyptien. Là, on va leur demander de justifier de leur modèle

économique non pas au regard d'un droit local dans les pays sous-développés ou en

voie de développement, mais selon le droit de leur société-mère, là où elles initient leur

business, dans les pays membres de l'OCDE avec un autre système juridique. Ce sera

intéressant car ce sera le moment de vérité.

Le droit des sociétés permet des structurations formidables, extraordinaires. Faire de

Jersey le premier pays producteur de bananes, c'est le droit des sociétés associé au

droit fiscal qui le permet. Et tout d'un coup, quand on va demander aux sociétés de

simplement rapporter le chiffre d'affaires dans certains États au nombre de salariés qui y

travaillent, on va s'apercevoir que la productivité de certains salariés est phénoménale,

fabuleuse. Le droit peut aussi être simplement le fait d'adhérer spontanément à des

comportements et la justice peut ainsi passer, mais dans cette matière, il ne faut pas

rechigner à utiliser ce formidable outil qu'est la loi et ce qui va avec, la responsabilité.

Oui à la liberté d'entreprendre, oui au libéralisme mais il ne faut pas oublier la

responsabilité qui va avec.

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La gouvernance d’entreprise. Mise en œuvre et nouveaux enjeux

FRANCE STRATÉGIE - 88 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Yann QUEINNEC

Je suis très honoré de contribuer à la restitution de ces travaux de recherche éminents.

Je suis juriste, j'ai exercé au début de ma carrière en droit des affaires comme conseil

juridique et fiscal au sein de Price Waterhouse Coopers pendant sept ans. J'ai sauté

dans le monde des ONG après le scandale Enron, et je suis devenu activiste, dirigeant

l’ONG SHERPA puis exerçant des responsabilités au sein des instances de

Greenpeace, avec l’objectif de favoriser la mobilisation des outils juridiques sur les

grands sujets de respect des droits humains et de protection de l’environnement. Depuis

2013, je suis revenu du côté du conseil en cofondant avec mon meilleur ennemi Affectio

Mutandi, une agence hybride entre Publicis et Greenpeace qui articule RSE,

communication corporate et de crise, affaires publiques, lecture juridique des enjeux

ESG et relations avec les ONG, pour bâtir des stratégies de responsabilité sociétale, des

plans de vigilance raisonnable et des politiques droits humains. J’aurai le plaisir de vous

faire part de quelques points en rebond des travaux qui ont été présentés aujourd'hui.

Florent BERTHILLON

Doctorant à l’université Jean-Moulin Lyon 3, j'ai déjà eu la chance d'être présent à une

des tables rondes précédentes. Avec ma collègue Sylvie DUMANOIR, on représente la

recherche dirigée par Mme MAZUYER sur l’effectivité des codes de gouvernance. Nous

remplaçons au pied levé Mme BENABDALLAH qui n'a pas pu venir.

Kathia MARTIN-CHENUT

Nous allons passer au débat, vous écouter. Je vous laisse libre, on lance simplement le

premier thème qui est transparence et contrôle.

Camille NOISETTE

Je rebondirais peut-être en premier sur votre remarque selon laquelle vous êtes un

fervent partisan de la hard law. Effectivement, en parcourant votre rapport, votre regard

très critique sur l'autorégulation en matière de gouvernance est très intéressant, par

rapport à la mise en place de ces mécanismes et les systèmes de gouvernance via la

soft law que par rapport la façon dont les obligations sont ensuite respectées. Vous êtes

assez finalement critique par rapport à l'autorégulation qui s’incarne dans le principe du

comply or explain. C'est un point qui a particulièrement attiré mon attention dans ce

rapport car par essence, l'AMF en tant que régulateur, doit justement garantir la bonne

application de ces textes tant du point de vue du droit dur car notre champ de mission

couvre le respect des dispositions légales telles que définies dans le code du commerce

que du point de vue du droit souple, à savoir le respect des dispositions des codes de

gouvernance. Deux, trois points dans le rapport m'ont semblé intéressants et sur

lesquels je trouvais intéressant d'interagir avec vous.

Quand on regarde aujourd'hui le panorama européen des cadres normatifs de

gouvernance, le cadre français est reconnu pour être assez complet et achevé. Nous

sommes un des seuls pays, à ma connaissance, où le name and shame est utilisé. C'est

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 89 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

le cas également en Finlande, mais il n'y a pas d'autres pays en Europe où cela existe.

En tant qu'autorité régulatrice, nous avons bien constaté l’intérêt de ce procédé pour

faire évoluer les pratiques des entreprises depuis 2012. De la même façon, nous

sommes habilités à formuler des recommandations à l'égard des associations

professionnelles. C'est une certaine force. Ces pistes de réflexion adressées tous les

ans dans notre rapport annuel sont parfois reprises, comme dans la dernière version du

code Afep-Medef en ce qui concerne les conflits d'intérêts. Plusieurs dispositions

soulignées les années précédentes ont été intégrées par le code également. Je me

demandais dans quelle mesure pour vous cela restait un modèle qui présente ses limites

malgré le fait d'avoir une autorité comme l'AMF qui est indépendante et qui fait ce travail

de contrôle et de supervision de façon annuelle.

Jean-Marc MOULIN

Je salue tous les ans le travail de l'AMF mais je n'oublie qu’elle est une autorité certes

indépendante mais administrative, habilitée par la loi, contrôlée par le législateur et le

gouvernement, ce qui fait que vous êtes le bras armé de l'État dans le domaine financier.

Même si en 1967 vous avez gagné cette indépendance, mais elle était plus pour

rassurer les marchés à l'époque qu'autre chose.

Vous voyez la dernière réforme du code Afep-Medef et on pourrait parler pas

uniquement de ce code car d’autres existent. Le code Middlenext a peu souvent été

évoqué mais il est peut-être plus intéressant car il propose une procédure, une méthode

de travail, de réflexion davantage que des recommandations. Il y a aussi le code AFG,

de l'Association française de gestion, également très intéressant. En lisant le code AFG,

vous vous apercevez que ce code découvre que dans l'entreprise, il n'y a pas que des

organes de direction mais aussi une assemblée des actionnaires, ce qu'ignore

totalement le code Afep-Medef. Il n'y a pas un item dans le code Afep-Medef sur

l'assemblée des actionnaires, on dit juste que le conseil doit faire l'interface entre la

direction générale et les actionnaires.

Il faut toujours resituer l'outil. Je ne suis pas contre certains outils par rapport à d'autres.

Le code Afep-Medef est un code. Enfin ce n'est pas un code. Dans un régime romano-

germanique comme le nôtre, on a le code civil, le code de commerce, le code général

des impôts. Le code Afep-Medef, ce sont des recommandations émanant

d'organisations syndicales privées qui en 2008, quand M. SARKOZY s'est énervé, a pris

le nom de code. C'est un problème plus large dans la gouvernance et cela participe de la

transparence. Me BRABANT le signalait, une multitude d'outils et d’instruments juridiques

sont utilisés. Certains portent le même nom. Charte par exemple. Nombre d'entreprises

ont des chartes éthiques. Il y a aussi la charte de l'environnement qui a été intégrée

dans la constitution française. Ce n'est pas la même chose car la charte éthique de

l’épicier du coin et la charte de l'environnement intégrée au bloc de constitutionnalité, en

tant que juriste, dans la hiérarchie des normes, ce n’est pas au même niveau. La force

obligatoire de la norme n'est pas du tout la même. Même chose pour les labels.

N'importe quelle association peut faire son label et certains labels sont repris par l'État.

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FRANCE STRATÉGIE - 90 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

En termes de transparence, il faut toujours dire de quoi on parle. Le code Afep-Medef, ce

sont deux organisations patronales qui font des recommandations. 80 % du code, c'est

la reprise de la loi et marginalement, ils font des propositions, ils vont plus loin ou

précisent l'application des règles.

Toujours pour eux en termes de transparence, cela ne me dérange pas que leur haut

conseil soit de l'entre-soi, mais il est trop élargi dans son recrutement. Il ne devrait y

avoir que les PDG des 10 premières sociétés cotées à la bourse de Paris. Mais qu'on le

dise. Dans la dernière réforme de la composition de ce haut conseil, il n'y a toujours pas

de parties prenantes alors que dans le dialogue que l'on doit nouer, nombre de parties

prenantes veulent que ce soit ouvert, que soit intégrées des ONG, des associations de

représentation des investisseurs. Toujours pas. À un moment, on peut laisser prospérer

l'autorégulation et dire que cela suffit car il y a la loi. Comme nous le disions avec ce

monsieur ce matin, il y a des objectifs politiques, mais ce n'est pas moche comme mot.

Une société, c’est politique et cela a des objectifs. Il faut se dire que l'on va diriger la

société de telle ou telle façon. Si les opérateurs spontanément ne le font pas ou si le

pouvoir politique démocratiquement élu estime que cela ne va pas assez vite, il y a l'outil

législatif, il ne faut pas en avoir honte. J'imagine que les travaux que vous faites ici vont

remonter et nous les verrons passer dans des rapports, des missions, des commissions

parlementaires. Ce n'est pas le fait du prince, c'est un travail élaboré et pour le coup il y

a du dialogue.

Laurence VAPAILLE

Quelques mots à propos de la transparence. Je me suis plutôt livrée à un travail

empirique que réellement scientifique, j'avais pris tous les codes des entreprises du

CAC 40, les fameuses chartes, codes déontologiques et autres. J'ai fonctionné par

occurrence. Il n'y avait rien en fiscal, il y avait une espèce de creux. En comptabilité, pas

plus, on va respecter les règles et du point de vue finance, pas plus. C’est empirique et

presque intuitif mais j’aurais tendance à effectuer une différence entre ce qui est extra-

financier (où on respecte les droits de l'Homme, le développement durable, la protection

de l'environnement, certaines mesures en droit du travail) et la matière financière. Quand

on parle d'argent, c'est plus compliqué. Ce n'est pas plus compliqué au contraire, c’est

plus simple : il y a très peu de choses voire rien. Donc toutes les mesures qui avancent,

en particulier l'opinion publique est maintenant beaucoup plus réceptive aux problèmes

non pas de fraude fiscale mais d’évasion, où les entreprises payent leurs impôts, je n'ai

pas vu beaucoup plus passer de choses. Ce sera du reporting qui aura été imposé. C’est

pourquoi sur la matière fiscale, indépendamment que c'est un pouvoir régalien de l'État,

c’est déjà dans la loi, mais pour agir sur les comportements ou faire changer évoluer les

choses, effectivement, encore une fois, je rejoins Jean-Marc MOULIN, c’est vraiment la

loi. Il n'y a rien en soft law en matière fiscale, à peine en matière comptable.

Camille NOISETTE

La fiscalité ne relève pas de la compétence de notre entité. Sur ce sujet, je ne peux pas

m’avancer. Cependant je reste fondamentalement convaincue que si l'autorégulation a

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 91 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

effectivement ses défauts dans le principe et sa façon d’être mise en œuvre, nous avons

tout de même observé des évolutions concrètes et flagrantes sur certains sujets : par

exemple, concernant le nombre de mandats détenus par des présidents de conseil

d'administration et de surveillance, non seulement du fait de ce contrôle que l'AMF peut

réaliser tous les ans, que le HCGE va également mettre en œuvre et l'utilisation du name

and shame.

Je suis d'accord avec vous au sujet de la diversité des textes que vous mentionnez dans

votre rapport, un corpus de textes très vaste lesquels ont tous une légitimité et une

portée différentes. Il est compliqué de se retrouver in fine. Je partage ce point. Par

expérience, en tout cas je pense que l'autorégulation fonctionne et répond aux

demandes des investisseurs sur les sujets. Notre prisme en tant que régulateur, de

garantir que l'information donnée aux investisseurs et aux épargnants soit fiable et

qu'elle permette d'avoir une bonne idée des pratiques de l'entreprise. Notre prisme est

légèrement différent du vôtre qui est plus axé sur l'enjeu juridique, l'effectivité et la

sécurité comme vous le mentionnez dans votre rapport.

Jean-Marc MOULIN

La dernière fois, une dame posait des questions sur la sphère financière ; les derniers à

nous avoir fait le coup de la self regulation étaient les investisseurs, les banquiers et il y

a eu la crise de 2007-2008. Heureusement qu'il y a eu des G20 avec des chefs d'État

d'abord à Londres et Pittsburg qui ont repris les choses en main. La très bonne nouvelle

est qu'on va y retourner. Aujourd’hui l’administration détricote aux États-Unis ce

qu'avaient fait les lois et on repart vers la dérégulation du système bancaire et financier

américain au nom de la compétitivité de ce pays au niveau international. On sait que

déjà, trois petites bulles financières sont créées les cartes bancaires à débit différé, les

prêts étudiants et les prêts à effet de levier.

Pour l'autorégulation, reprenons l’histoire : à chaque fois qu’il y a d’énormes crises

économico-financières qui parfois se traduisent par des guerres, les grandes entreprises

ont fait le discours sur la self regulation. Ce n'est pas nouveau et à chaque fois on a

remis du droit, puis oublié, trouver cela contraignant et fastidieux, et on a desserré l'étau

au nom de grandes déclarations des entrepreneurs disant : « Cette fois-ci, on a vraiment

compris. » Le législateur peut être séduit par ce discours et de nouveau déréguler. Je

me méfie beaucoup de la dérégulation. L'absence totale de régulation, c'était l'ère

primitive. La civilisation et le droit, cela va de pair. L'absence de règle, c’est dangereux.

Yann QUEINNEC

Une réaction sur le volet fiscal. On peut pronostiquer que les points de contact nationaux

OCDE vont être de plus en plus saisis dans leur rôle de médiation sur le volet fiscalité,

l'un des dix items des principes directeurs. Aujourd'hui c'est epsilon. On peut anticiper

dans un futur proche une recrudescence des recours sur ce sujet du civisme fiscal. En

ce sens le concept d’optimisation fiscale responsable commence à émerger. J'ai été très

surpris de voir que le conseil national des barreaux dans son guide pratique sur le devoir

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La gouvernance d’entreprise. Mise en œuvre et nouveaux enjeux

FRANCE STRATÉGIE - 92 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

de vigilance publié en 2018, s'adressant précisément aux avocats fiscalistes, mettait en

exergue qu'il convenait de leur part de faire preuve de vigilance dans la façon dont ils

dispensent du conseil fiscal. C'est un signal inédit de la part d'une instance

professionnelle à l’égard de praticiens du droit qui ont en quelque sorte la main sur les

curseurs de l’optimisation fiscale. J’ai trouvé très emblématique que le conseil national

des barreaux reprenne ainsi peu ou prou le plaidoyer d’Oxfam. C'était pour rebondir sur

votre volet fiscalité.

À la lecture des résumés, quelque chose ne m'a pas surpris mais frappé, c’est la

perception d’une cohabitation entre les notions de transparence et flou, qui soulève un

problème de fond : la transparence, ce n'est pas la clarté. Prenons ainsi la notion de

discipline de marché largement évoquée. Certes a-t-elle vocation à générer de la

transparence, mais en définitive en l’état actuel des pratiques assez peu de clarté sur les

performances effectives des entreprises sur le terrain. Cela traduit probablement la

difficulté actuelle de mesurer les performances extra-financières des entreprises et

d’échapper à des évaluations hors sol.

Ce sujet est au cœur des évolutions normatives que nous avons connues depuis que

vous avez produit vos études : la loi sur le devoir de vigilance, la loi Sapin 2, le RGDP

ainsi que la directive Barnier qui impose la publication d’une déclaration de performance

extra-financière. Ces quatre textes récents créent une vraie rupture à mon sens en

mettant l’accent sur la pertinence de l’information plutôt que sur son exhaustivité. En

somme l’information est au service de la démonstration d’une vigilance raisonnable et

effective, qui fait la pédagogie sur les choix opérés et affiche clairement les résultats des

dispositifs mis en place et l’agenda de la démarche de progrès. Ce nouvel

environnement normatif fait émerger une approche que nous désignons comme l'extra

compliance qui consiste pour l’entreprise à focaliser son attention et ses ressources sur

les enjeux sur lesquels elle peut avoir un impact positif tangible, plutôt que de tout traiter

sans différenciation, au risque de se limiter à des dispositifs homéopathiques sans aucun

impact.

Cela nous ramène aux échanges que nous avons eus plus tôt sur le fait que chaque

entreprise a ses spécificités, qui vont orienter ses filtres d’actions et sa stratégie de RSE.

Il me semble que c’est la tendance à venir qui ressort de l’esprit des textes précités.

C’est d’ailleurs à mon sens ce qui va rendre la tâche plus compliquée pour les

organisations dont le rôle est de vérifier et d’évaluer les performances extra-financières

des entreprises, puisque la comparabilité en sera rendue plus compliquée.

Laurence VAPAILLE

Les quatre textes que vous évoquez relèvent de la hard law. Ce n'est pas de

l'autorégulation.

Yann QUEINNEC

Vous avez raison, mais ne sont-ils pas en mesure de résoudre les biais que vous avez

identifiés sur ces outils de soft law et ne viennent-ils pas se loger à ce titre sous la

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 93 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

grande ombrelle de la gouvernance d’entreprise ? Ils viennent quelque part corriger

certains de ces biais en amenant les acteurs assujettis à ces textes à plus de pertinence

dans leurs choix d’enjeux prioritaires, de dispositifs de traitement, en ce compris les

modalités de gouvernance, et leur démarche de reddition d’information.

Je considère pour ma part que tous ces nouveaux textes relevant de la hard law sont

largement le fruit d’une mutation de la soft law et qu’ils se nourrissent mutuellement.

Rappelons que l'évolution du droit de la RSE, ces quarante dernières années, nous

ramène en 1976, avec la naissance des principes directeurs de l'OCDE et la déclaration

tripartite de l'OIT qui visaient précisément ces sujets de droit et ces enjeux ESG, jusqu'à

nous mener en France à la loi sur le devoir de vigilance qui vient d'entrer en vigueur. Ce

cheminement s'explique et constitue une chaîne de traçabilité normative. C’est l’histoire

d’une mutation normative assez naturelle vers la hard law, dont la mise en œuvre va

reposer sur les guidelines de soft law.

Frédérique COULÉE

Je voudrais réagir par rapport aux instruments internationaux et cette idée qu'il y aurait

une sorte de progressivité historique avec un mouvement vers le meilleur, on partirait de

la soft law pour évoluer vers des choses plus contraignantes. Si on prend l'exemple de

l'OIT, c'est totalement faux, ce que notre rapport a mis en évidence. Quand on reprend le

Pacte mondial, je m’acharne beaucoup dessus et vais expliquer pourquoi. On voit bien

avec le Pacte mondial à quoi ces logiques de RSE, d'autorégulation peuvent conduire

comme biais particulièrement critiquables car le Pacte mondial consiste en 10 principes

extrêmement généraux qui, en réalité, sont le b.a.-ba du droit international codifié de

manière obligatoire par les États depuis longtemps, que l'on exporte dans le monde de

l'entreprise en s’inspirant de traités internationaux sans jamais le dire. On part

d'instruments qui sont des instruments de hard law mais on occulte cette dimension.

Pour ce qui est du droit de l'OIT, quand on connaît l'histoire de l'OIT, on est plein dans

un anniversaire important pour l'OIT, il faut le rappeler. L'OI est une organisation

internationale historique qui a fait de l'implication des parties prenantes avant tout le

monde car ce qui caractérise les négociations des conventions internationales du travail,

qui sont des instruments historiques, d'une très grande importance après la révolution

industrielle, avec un impact important dans la vie internationale, ces conventions sont

élaborées en associant à la fois les employeurs, les salariés, les États. C'est de la co-

régulation d’une certaine manière avant l’heure mais ce sont bien des instruments à

caractère obligatoire, avec cette caractéristique que dans l'acte constitutif de l'OIT, les

États membres ayant participé aux négociations s’engagent à tout mettre en œuvre sous

l'égide du principe de bonne foi pour devenir partie. Que l'OIT pour s'insérer dans

l'époque, participe également à l'élaboration d'instruments soft, c'est une chose, mais on

part bien du droit dur avec l'OIT.

Pour ce qui est du Pacte mondial, c’est en plein dans ce que vous expliquiez sur

l'information pertinente et lisible. Le défaut principal que je vois dans le Pacte mondial,

c'est que chaque entreprise donne l'information qu'elle veut bien donner. On trouve côte

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La gouvernance d’entreprise. Mise en œuvre et nouveaux enjeux

FRANCE STRATÉGIE - 94 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

à côte une lettre d'intention qui fait 10 lignes avec un rapport l'année suivante qui en fait

autant, et des rapports RSE livrés bruts qui font 650 pages. Tout cela n'est pas

comparable ni exploitable et pas du tout contrôlé. De mon point de vue, c'est de la pure

communication.

Kathia MARTIN-CHENUT

Je voulais seulement rappeler ici les travaux d'Emmanuel DECAUX, spécialiste en droit

international des droits de l'Homme et ancien membre de la sous-commission des droits

de l’Homme des Nations, qui par rapport au Pacte mondial, mettait en exergue et

critiquait cette tendance à présenter comme volontaire de ce qui est en réalité impératif.

Selon lui cette présentation favorisait une sorte pick and choose ou de droits de l’Homme

« à la carte ». Ensuite, ce que Yann QUEINNEC a dit sur l'évolution entre soft law et

hard law, me fais penser à ce que Michel DOUCIN, ancien ambassadeur pour des

questions liées à la bioéthique et à la RSE, d’ailleurs premier secrétaire permanent de la

Plateforme RSE, disait souvent dans ses interventions : pour lui la soft law était souvent

en matière de RSE la tête chercheuse de la hard law.

Tatiana SACHS

Je voulais prolonger les débats sur deux points. D’abord, le terme co-régulation peut

désigner deux choses différentes. La première, c'est la participation des parties

prenantes à l'élaboration de la norme mais qui n'a rien à voir avec la source. Cette

question de la participation (par exemple dans les commissions législatives il y a des

auditions) est une chose, je ne sais pas s'il faut parler de co-régulation quand on parle

des consultations au moment de l'élaboration de la norme. C'est autre chose que la co-

régulation. C'est un versant de la co-régulation telle qu'évoquée à l'instant.

Il y a l'autre aspect de la co-régulation qui est un mélange de types de régulation une

fois que les normes sont adoptées. L'avenir est dans le dépassement de l'opposition

entre hard law et soft law. Si on prend la loi sur le devoir de vigilance, il y a du hard law,

mais ce texte de loi combine un outillage normatif dans lequel il y a aussi

l'autorégulation. Je pense que la loi comme le devoir de vigilance est un exemple de co-

régulation. J'emprunte ce terme aux Belges, à Benoît FRYDMAN et son équipe. Il y a un

dépassement du côté hard law / soft law dans la loi sur le devoir de vigilance. Le

législateur ne dit pas le contenu du plan de vigilance. Il y a une part d'autorégulation à

mon sens importante. Pour moi, c'est un dépassement de cette opposition.

Camille NOISETTE

Quand vous dites que les sociétés sélectionnent en réalité les informations qu’elles

souhaitent publier, qu’aujourd'hui même s’il existe un cadre, chaque entreprise se

l'approprie, c'est tout l'enjeu de la directive européenne extra-financière qui est entrée en

application et à laquelle les sociétés sont confrontées aujourd'hui. On passe d'une

logique d'exhaustivité qui dominait depuis Grenelle 2 (2010) en vertu de laquelle les

sociétés devaient donner des informations sur une liste de 42 items, comme par

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exemple les émissions de CO2, peu importe que l’on soit Publicis et que ce soit pas

l'enjeu majeur d’une telle entreprise. Aujourd'hui la nouvelle approche, qui est orientée

matérialité des enjeux, permet à l'entreprise de remettre en perspective ces enjeux avec

sa stratégie, ce que Grenelle 2 ne permettait pas de faire car les sujets étaient traités en

silo. Aujourd'hui avec la nouvelle directive, on a une vision de l'information financière et

extra financière qui se veut plus intégrée, voire une convergence qui va s'amorcer, ce

qui permet à chaque entreprise de s'approprier ces enjeux. En termes de comparabilité

des donnes, c'est clairement un des enjeux majeurs qui émergent aujourd’hui.

Parallèlement, l'entreprise arrive vraiment à travailler ces enjeux non plus

seulementcomme un instrument de communication. Désormais, l'entreprise va vraiment

se réapproprier ces enjeux pour leur donner du sens au regard de sa stratégie. Nous

sommes assez convaincus que l'approche européenne déployée aujourd'hui va

permettre de faire avancer sur ce thème et avoir des approches plus solides en matière

de RSE afin de prévenir le greenwashing.

Plus spécifiquement, cela demande de ne plus se positionner selon une approche

d'exhaustivité mais de matérialité, sélection, concision, précision de l'information. Nous y

sommes particulièrement attentifs : avoir une information qui fait sens et ne pas noyer

l’épargnant et l’investisseur dans un flot d'informations RSE. Le principal enjeu, à terme,

est la comparabilité de l'information. Chaque entreprise s’approprie ces enjeux et de

plus, ces indicateurs ne sont pas normés. Ce n'est pas de la comptabilité ni de

l’information financière. Aujourd’hui, peu de cadres permettent de définir l'indicateur

carbone. L'enjeu de la comparabilité est celui d’une meilleure harmonisation des

méthodologies, plus qu’une comparaison des données entre pairs.

Nous sommes impliqués dans ces groupes de travail au niveau européen. Ce que nous

constatons, c'est que le cadre est loin d'être défini de façon homogène. Qu’est-ce qu'un

indicateur bas carbone ? Comment le calculer ? Il y a la définition mais la directive

européenne ne définit pas techniquement comment faire. C'est là où aujourd'hui il y a

des achoppements entre les différents acteurs impliqués car tous partagent le principe,

mais la façon de mesurer l'impact carbone reste difficile : comment définit-on un scope 1,

scope 2, scope 3 ? Va-t-on jusqu'à mesurer les émissions évitées ? L’Oréal a peu

d’impact en termes d’émissions évitées alors que Vestas va contribuer à éviter nombre

d'émissions de CO2 en contribuant à la source d’énergie alternative que sont les

éoliennes.

J’en reviens à la normalisation des indicateurs. Certes, des cadres de référence

émergent aujourd'hui mais la comparabilité entre pairs ne me semble pas clé. Ce qui me

semble clé, c’est la comparabilité pour un même émetteur et dans le temps, c’est-à-dire

qu’un émetteur soit capable de regarder deux ans arrière et de dire : « J'ai réalisé telle

performance, suivi tel objectif dans ma stratégie RSE. » Ensuite au niveau d’un même

secteur, je pense qu'il y aura une convergence naturelle. Au sein du secteur des

transports par exemple, il y a une initiative de l’Afep et du Medef visant à améliorer le

reporting climatique. Cela reste de l'autorégulation, j'en conviens, mais une initiative de

ce type permet à ces acteurs de travailler sur la définition des indicateurs

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environnementaux du secteur des transports. La convergence de ces indicateurs se fera

progressivement et naturellement.

Un intervenant

Il y a beaucoup de débats techniques dans lesquels je ne suis pas spécialiste. Je voulais

juste mentionner l'intégration de la RSE dans la dernière révision du code Afep-Medef et

le débat sur hard law/soft law, comment tout cela s'articule. Articule-t-on ces deux

niveaux de normativité ? Le dépasse-t-on ou les deux sont-ils en concurrence ?

Sur l’intégration de la RSE dans le code Afep-Medef, j'ai l'impression qu'on est

clairement dans une situation de concurrence. L’Afep-Medef a peut-être un peu peur de

l'intégration de problématique de RSE par le biais de la réforme du code civil et des

articles 1833 et suivants. Il s’agit de savoir ce qui est le mieux pour que les objectifs que

se fixe la RSE soient atteints.

Le balancement entre les deux me fait penser à l’affaire de l'Erika et au préjudice

écologique. À terme, la norme souple a peut-être irrévocablement vocation à se durcir.

Pour ce qui était de l'Erika, en hard law, Total ayant immatriculé son navire à Malte ou

Chypre, n'avait enfreint aucune obligation légale. C'est en utilisant contre eux leur charte

de l'environnement que l'on a réussi à démontrer une faute de leur part. Le détour par le

droit souple est vraiment nécessaire si à terme les juges peuvent instrumentaliser et

récupérer ces déclarations qu’elles soient communicationnelles ou suivies d’effets. Pour

caractériser des fautes, engager des responsabilités et pour durcir ces obligations, on

peut peut-être s'épargner ce détour.

Je suis d'accord avec le Pr MOULIN sur la hard law dans ce domaine puisque je ne vois

pas bien où est le problème de la souplesse que l'on recherche pour ce qui est du code

de gouvernance. Pour l'essence des codes de gouvernance, l'argument de la souplesse

s’entend ; je ne vois pas en quoi il est pertinent pour ce qui est de RSE car les différents

objectifs, que ce soit le respect du droit de l’environnement ou des droits humains, n'ont

pas besoin d'une telle souplesse.

Yann QUEINNEC

De façon provocatrice, je dirais ne touchons plus à rien, faisons avec l’existant, tout est

là, tout est disponible ; en revanche, il convient d'éduquer, former, sensibiliser les

syndicats, les organisations de la société civile, les consommateurs, les actionnaires sur

les outils dont ils disposent pour faire valoir ces sujets. Ils sont tous sur la table à mon

avis, le jeu de cartes est suffisamment complet pour surfer, articuler les outils de soft law

et de hard law en place. Si vous regardez l'actualité récente, en France, la semaine

dernière il y a eu l'ouverture d'une instruction visant Samsung pour pratique commerciale

trompeuse basée juridiquement sur un article du code de la consommation français qui

assimile un non-respect d'un code de conduite à une pratique commerciale trompeuse.

Nous sommes dans une déclinaison du fameux cas Nike au début des années 2000 aux

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FRANCE STRATÉGIE - 97 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

États-Unis. C’est très classique, la plainte a été déposée il y a cinq ou six ans. On

anticipait cela.

Pour moi, les perspectives d'avenir sont dans ce registre, et j'adore mon nouveau métier

depuis six ans qui est d'accompagner les entreprises plus que jamais confrontées à des

articulations inédites de risques juridiques, sociétaux et réputationnels, exacerbés par la

révolution numérique. Dans ce contexte nous pouvons anticiper dans un futur proche

l’émergence de class actions en ligne. Prenez une ONG comme Greenpeace qui en

France avec 200 000 adhérents dispose d’une base qualifiée de citoyens mobilisables à

travers un mail tout simple indiquant : « Nous avons renseigné tel type de dommage sur

l'environnement lié à l’activité de tel acteur économique, nous vous invitons à acheter un

produit de cette entreprise, il vous en coûtera 3,90 euros, scannez le ticket de caisse sur

cette plateforme et on s'occupe du reste. » C'est le type de scénario du pire auquel les

entreprises, particulièrement exposées en raison de la sensibilité de leur secteur

d’activité ou la notoriété de leur marque, se doivent d’anticiper. Ce qui implique bien

souvent, compte tenu de la multiplicité des enjeux qui s’étendent jusque dans leur

chaîne d’approvisionnement et en application du principe du « raisonnable », de

s’interroger sur quels enjeux elles doivent concentrer leurs ressources. Cela fait écho à

la notion de matérialité, particulièrement en vue en ce moment. L’exercice d’analyse de

matérialité ne se limite en effet plus aux risques pour l’entreprise. L’attention doit s’élargir

aux risques pour les tiers potentiellement impactés par son activité. Ce grand angle rend

particulièrement délicat la réponse à des questions telles que : d’où va venir le coup, sur

quel sujet, quand ? Anticiper et hiérarchiser est un exercice compliqué. L’exercice de

diligence ou vigilance se caractérise par une double exigence de raisonnable et

d’effectivité qui impose aussi l’humilité. D’où l’intérêt d’assumer des priorités dans

l’allocation des ressources en termes de conformité, de compliance, et incidemment de

stratégie RSE. C’est à l’aune de ces choix que l’entreprise sera en mesure de

démontrer, ou non, l’exercice d’une vigilance raisonnable et effective. Le fruit de cet

exercice d’extra-compliance se traduira en particulier dans les contrats d'achat auprès de

fournisseurs opérant dans des chaînes d’approvisionnement compliquées à forts enjeux

sociaux et environnementaux. Et à ce titre, le contrat étant une forme de quintessence

de l’articulation entre soft law (liberté contractuelle) et hard law (force obligatoire du

contrat), les conclusions d’une récente étude inédite que nous avons menée sur les

pratiques de contractualisation de la RSE montrent combien la marge de progrès est

grande avant de parvenir à des contrats durables.

Jean-Marc MOULIN

Je partage votre point de vue. Sur le constat, on peut pousser un cocorico car la France

est le leader mondial de la technique juridique dans ces domaines de gouvernance, nous

avons tous les outils. Que nous les ayons importés de l'ordre international ou que nous

les ayons forgés nous-mêmes. Aujourd'hui c’est plus une question de mise en œuvre et

en orchestration de ces différents outils. Du point de vue des entreprises au stade

opérationnel, cela doit être absolument affreux. Au niveau de la recherche, pour tenter

de respecter une petite hiérarchie des normes, nous avons parfois du mal. Une fois bien

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déterminée cette hiérarchie des normes, il faut regarder les sanctions associées, nous

avons encore plus de mal. Quand enfin on cherche d’où pourrait venir le coup, cela veut

dire qu'il faut aller chercher les titulaires des actions en responsabilité, éventuellement

compris dans les normes. Cela devient encore plus compliqué.

Les entreprises ont encore un peu de marge. Je fais une petite incursion dans le droit de

l'environnement. Il y a eu une succession de textes depuis 2014 : la charte, le bloc de

constitutionnalité, la réforme du code civil. Maintenant plusieurs articles dans le code civil

traitent spécifiquement de la responsabilité environnementale des entreprises. Peu de

gens le savent. Une loi en 2016 a réformé le code civil sur ce point. Quand on regarde la

titularité des actions, qui peut intenter une action contre une entreprise qui pollue, elles

ont quelques années devant elles pour polluer. Tantôt ce sont des associations agréées

mais on s’est arrangé pour que finalement le préjudice n'intéresse aucune association.

Tantôt c’est l’État mais il ne va falloir faire intervenir uniquement le préfet. Donc si vous

êtes une très grande entreprise et que vous avez quelques accointances avec le

Ministère, on peut peut-être s'arranger. La titularité des actions, les procédures à suivre

ne sont vraiment simples, déjà du fait de la répartition entre ordre administratif et

judiciaire. Cela viendra. Il y aura probablement des class actions, Internet permettra de

mobiliser des gens déjà très sensibilisés à la question et ce sera probablement très

vertueux du point de vue des entreprises. Elles ont une petite dizaine d'années pour se

mettre en ordre de marche.

Sur la dissimulation, ce qui a été dit de l'ordre international, l’Afep et le Medef oublient de

dire de nouveau que c'est le code de commerce, et pourquoi ne le disent-ils pas ? Il faut

revenir à la genèse de ces codes. Ils n'ont été faits au départ qu'à destination des

investisseurs institutionnels étrangers. Vous êtes américains, on veut que vous veniez

investir votre argent, vos fonds de pension et fonds de mutuelle en France, on va vous

dispenser de la lecture du code de commerce. Voilà 50 pages bien ramassées, vous

lisez cela vous allez à l’essentiel du droit des sociétés cotées en France et cela doit vous

suffire. Même le Japon, peu ouvert aux investisseurs institutionnels étrangers, qui doit le

faire aujourd'hui, se dote d'un code de gouvernance. Je travaille en Roumanie, lisez le

code de gouvernance des sociétés cotées en Roumanie, c'est une perle, un diamant à

l'état pur. Quand vous allez à la bourse de Bucarest et que vous parlez avec quelques

investisseurs ou entrepreneurs étrangers qui sont en Roumanie, ils vous expliquent juste

qu'il y a une petite nuance entre le code et la pratique du code. Vous retrouvez la même

littérature à l'identique car destinée uniquement aux investisseurs institutionnels. C'est

pourquoi l’AMF s’y intéresse, cela rentre purement dans la communication des

émetteurs cotés à destination de leurs actionnaires. Ensuite cela a été repris, on peut

peut-être s’en servir faire de la soft law la tête chercheuse de la hard law. On peut

promouvoir à travers ces outils de soft law des choses que l'on n'oserait pas mettre tout

de suite dans la loi par ce que forcément cela irriterait immédiatement.

Je n'ai rien contre la soft law mais chacun a sa place, chacun a ses objectifs. On ne veut

pas aujourd’hui non pas que les entreprises ne gagnent pas d'argent, non pas qu'elles

ne partagent pas cet argent, mais simplement qu'elles soient vertueuses dans la quête

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de cet argent. On arrive à un stade où on ne va pas pouvoir se permettre encore trop

longtemps d'avoir des entreprises qui soient simplement prédatrices de capital, comme

des banques qui sont capables d'écraser des milliards juste parce qu'elles ont été

gourmandes avec les subprimes hier et les leverage loans aujourd’hui. Prédatrices en

termes de travail. Je vous renvoie à une émission de Cash Investigations sur Lidl, on

presse des salariés au travail pour obtenir une productivité maximale et à 40 ans, ces

femmes ne sont plus rentables pour l'entreprise, on les déclare inaptes au travail et c'est

la collectivité qui doit les gérer. Allons voir les externalités des entreprises. Il va falloir

qu'elles les intègrent dans leur coût économique. Je veux bien acheter une chaussette

deux euros mais si c'est pour avoir le Rana Plaza, cela en vaut-il la peine ?

Effectivement on est schizophrène.

Prédatrices au niveau fiscal. Quand une entreprise vient s'installer en France ou par

l'intermédiaire de filiales ou de succursales, bénéficie du niveau de développement

économique, du niveau de pouvoir d'achat des Français, mais décide de s'abstraire de la

contribution générale à travers l'impôt, on lui dit juste : « Vous ne jouez pas la règle du

jeu. Si tout le monde se comporte comme vous, cette société n'existerait pas. » Dans les

pays où tout le monde se comporte comme vous, dans certains pays africains par

exemple, le niveau de développement n'est pas le même.

On peut mobiliser tous les outils sur ce chemin où on cherche à obtenir un

comportement un tant soit peu vertueux. Et sur ce chemin, si des chefs d'entreprises

sont convaincus qu’ils vont s'autoréguler eux-mêmes… Je ne crois pas à l'autorégulation

des secteurs par eux-mêmes, l'ensemble des outils est là et si la soft law peut aller plus

facilement de l’avant et entraîner la hard law derrière elle car on estime que les

opérateurs ne sont pas aussi vertueux qu'on le souhaiterait, il ne faut pas se priver des

outils. Chacun a sa place avec sa finalité.

Camille NOISETTE

J'aime beaucoup l'idée de la soft law comme tête chercheuse de la hard law.

Finalement, le code Afep-Medef avait intégré la féminisation des conseils avant que la loi

arrive. Sur la question des rémunérations, le code avait déjà expérimenté l'idée d'un vote

sur les rémunérations non contraignant mais qui avait ses limites, il est vrai. Par la suite,

la loi Sapin 2 est venue améliorer l’efficacité de ce vote. En ce sens, l'idée est assez

sympathique, je retiens l'expression.

Je reviens sur l'exemple roumain. J'irai voir le code de gouvernance roumain. Cela plaira

à mes collègues ce qui est effectué à l’étranger. Votre point me fait vraiment dire que s’il

n'y a pas, in fine, d'autorité qui permette d'assurer un suivi, qui a la légitimité pour

délivrer des recommandations, des pistes de réflexion, voire pour sanctionner, cela a ses

limites et cela ne suffit pas.

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FRANCE STRATÉGIE - 100 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Jean-Marc MOULIN

Considérons les moyens que nous avons développés en intelligence humaine et en

moyens financiers pour développer l'audit légal des comptes. Voit-on l'argent que l'on

consacre et qu'on demande aux entreprises de consacrer pour auditer légalement leurs

comptes ? D'après vous, pourquoi ? Personnellement, cela m'est totalement égal. En

revanche, les investisseurs, les banquiers, le fisc, cela ne leur est pas du tout égal. Ne

pourrait-on pas demain développer la même intelligence et les mêmes moyens

financiers maintenant pour faire un audit légal de la RSE, de la bonne gouvernance ?

Faisons-le. À une époque, Ernst & Young n’existait pas, les sociétés ne payaient pas

d'impôt. Et petit à petit, on a mobilisé des moyens, on a pensé que c’était intéressant et

on a vu que cela permettait d'accompagner. L'audit légal des comptes a-t-il stoppé

l'évolution du capitalisme ? Y a-t-il une thèse qui dit que sans l'audit légal des comptes

dans le monde, le capitalisme serait encore plus puissant aujourd'hui. Cette thèse existe-

t-elle ? Non, au contraire, cela a permis de le développer. Je fais le pari que demain

l'audit légal des sociétés sous l'angle de la RSE, du respect des droits de l'Homme, de la

diversité, de la promotion de la femme, etc., cela permettra au capitalisme d'aller encore

plus loin.

Il y avait de très bons éditos dans Les Échos ces derniers temps, notamment l'un de

Jean-Marc VICTORI qui dit que l'écologie sauvera le capitalisme. Je vous renvoie à cet

éditorial qui est passionnant. Il montre comment le capitalisme s'est développé et que

ses trois axes de développement peuvent être transposés aujourd'hui dans le domaine

de l'environnement. Je pense qu'à l'époque, quand on a dit aux patrons des entreprises

qu’ils allaient devoir faire auditer leurs comptes, ils ont dû pousser des cris d'orfraie

disant : « Ce n’est pas possible ! On nous empêche de faire du business. On ne va plus

pouvoir travailler ! » Finalement 150 ans plus tard, on a créé encore plus de richesses

qu'à l'époque. C'est assez récurrent.

Pour les enseignants qui sont dans la salle, c’est comme les coupures de presse : « Le

niveau baisse », dans un journal de 1914. Déjà en 1914, le journaliste pensait que le

niveau baissait dans les écoles. Les grands patrons, les chefs d'entreprises sont dans

une position légitime. Une contrainte, la énième, il y a le coût marginal de la contrainte,

ils vont forcément tenter de résister car tout le monde est rétif au changement. Le non-

changement, c'est confortable. Eux qui appellent souvent leurs salariés à changer en

permanence, devraient eux-mêmes apprendre à changer car il y a de nouveaux

horizons. Cette RSE aujourd'hui est la nouvelle frontière du capitalisme si l'on veut

sauver le système.

Camille NOISETTE

Au-delà du fait que des dirigeants soient récalcitrants au changement, il y a aujourd'hui

tant au sein du milieu des entreprises que des investisseurs ou des politiques, une vraie

prise de conscience de l'impact financier du changement climatique sur l’activité des

entreprises. C'est une prise de conscience que l'on voit émerger au niveau européen

également, comme en témoigne le plan de la Commission européenne sur la finance

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 101 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

durable du printemps 2018. Je pense que ce sera de plus en plus mis en avant, la

Commission européenne est aujourd'hui en train de réviser les lignes directrices qui

permettent l'application de cette fameuse directive extra-financière dont on parle depuis

tout à l'heure. Aujourd'hui l'actualisation de ces lignes directrices viserait à intégrer

justement cette notion d'impact financier du changement climatique. Les perspectives

sont en train de changer car à horizon de 10 ans, le changement climatique va avoir un

véritable impact. Comment le modèle financier des émetteurs, tel que Total sera-t-il

impacté par cela ?

Je nuancerais la levée de boucliers sur le fait de devoir faire auditer les comptes dans la

mesure où les entreprises commencent à percevoir l'impact de ces enjeux pour leur

activité et leur pérennité et souhaitent aussi publier des informations fiables.

Jean-Marc MOULIN

Regardez la fédération française des sociétés d'assurances. Les assurances sont les

meilleures alliées de la RSE.

Le jour où les assureurs vont commencer à dire : « On ne remboursera plus qu'une

tempête sur deux. Si votre entreprise est inondée, pourvu que ce soit une année paire.

L'année impaire, c'est pour vous. » Un peu ce qui se passe dans le système de santé

américain avec les assurances privées. Une grippe pour la famille mais tous les trois

ans ; les deux autres années sont à la charge de la famille. Les assureurs commencent

à tirer la sonnette d'alarme, leurs fonds de garantie actuellement ne sont plus

suffisamment dotés pour faire face aux multiplications des catastrophes naturelles.

D'ailleurs il faudra arrêter de parler de catastrophe naturelle et parler de catastrophes

générées par l'activité de l'homme sur la nature. Ou une catastrophe climatique. Ce n'est

pas le fruit d'une action divine. C'est la conséquence de notre modèle de

développement.

Là encore, quand vous proposez un changement, on vous explique que c’est compliqué,

que cela va contre le business actuel, à court terme. La réforme actuelle du code civil

propose aux sociétés de se projeter un peu plus, et peut-être aussi de donner des armes

aux chefs d'entreprises eux-mêmes car ce n’est pas simple pour eux d'aller devant leurs

actionnaires pour leur expliquer que s'il y a un petit peu moins de profits partagés cette

année, c'est parce que légalement ils sont tenus de respecter et de prendre en compte

l’impact environnemental et sociétal. Si j'étais chef d'entreprise, j’ai le soutien de la loi

face à mes actionnaires. Le meile found qui arbitre rapidement, qui vote avec « ses

pieds », si le rendement de la firme n'est pas là, il la quittera peu importe son

développement vertueux. En revanche, si je lui explique que c'est la loi, cette fois c'est

une contrainte qu'il doit intégrer.

Camille NOISETTE

Je ne suis pas tout à fait d'accord dans la mesure où la définition juridique de la société,

c'est un pacte entre actionnaires et donc le régime de responsabilité qui en découle pour

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FRANCE STRATÉGIE - 102 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

un dirigeant est très encadré. C’est tout le problème lié à l'évolution du code civil dans le

projet de loi PACTE. Face à ses actionnaires, le dirigeant doit avant tout produire un

investissement financier qui dégage un rendement.

Jean-Marc MOULIN

En revanche, il ne faut pas parler en termes de responsabilité. C'est un terme juridique

qui veut dire quelque chose de très particulier. Qu'il ait des comptes à rendre à ses

actionnaires, c'est une chose mais citez-moi les dirigeants de société qui sont poursuivis

au plan de la responsabilité civile. J'écris des livres en droit des sociétés, quand je

démarre sur ce chapitre, je dis : « Bienvenue en France, vous êtes dans un pays

d'immunité. »

Un intervenant

Et au pénal, n'en parlons pas.

Jean-Marc MOULIN

Ils ne sont pas responsables, ils sont « comptables » peut-être, accountable devant leurs

actionnaires mais ils ne sont pas responsables. Il n'y a quasiment pas d'action.

Yann QUEINNEC

Je voulais juste revenir au libellé de la table ronde : renouvellements des bonnes

pratiques. Sur le climat, il y a environ trois mois, des juges allemands ont jugé recevable

une plainte totalement inédite. Elle est initiée par un exploitant agricole péruvien dont les

infrastructures, situées dans une vallée qui subit des inondations régulièrement,

lesquelles seraient liées aux changements climatiques et qui à ce titre doit faire des

travaux d'aménagement. Aujourd’hui, on dispose de nombreux chiffres sur les

principales sources d’émissions de CO2. Parmi ces batteries de données disponibles

secteur par secteur, celui de l’énergie est assez bien documenté, jusqu’à entrer dans le

détail acteur par acteur. Parmi eux, ce citoyen péruvien a identifié l’opérateur allemand

RWE. Avec l’aide d'une ONG il monte un recours et se présente en Allemagne avec son

dossier. Il a chiffré le budget des travaux d’aménagement nécessaires pour protéger ses

infrastructures, y applique le pourcentage que RWE représente en termes d’émission de

CO2 et parvient au chiffre de 30 000 euros qu’il vient réclamer devant les juges

allemands. Ces derniers ont considéré la plainte recevable. Il y a cinq ans, le sujet n'était

pas suffisamment mature et les données manquaient de finesse. Les magistrats

allemands n'auraient sans doute pas accueilli ce recours. C'est un des signaux que l'on

observe de l’émergence d’une extraterritorialité juridictionnelle totale qui caractérise

autant ce mouvement de justice climatique que plusieurs contentieux en cours sur les

enjeux de droits humains. Pour l’anecdote, RWE n'a aucune activité au Pérou...

On a parlé d'effectivité des dispositifs de gouvernance. Rappelons que la loi sur le devoir

de vigilance utilise le mot « effectivité » : « Le plan de vigilance doit être mis en œuvre

de façon effective. » Compte tenu du périmètre d'enjeu du devoir de vigilance,

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FRANCE STRATÉGIE - 103 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

l'effectivité sera jugée à l'aune du caractère raisonnable, deuxième qualificatif très

important dans le devoir de vigilance. Prenons l’exemple d’une entreprise assujettie qui

s’approvisionne en fruits et légumes en Pologne. La Pologne est un État européen avec

un droit social très proche du nôtre, mais dont l’administration de tutelle est assez peu

dotée en ressources. Il y a peu, voire aucun contrôle du respect du droit du travail dans

les champs et les exploitations, alors que la Pologne est l'un des greniers agricoles

européens. Comment faire quand on est une entreprise donneuse d’ordre française pour

s'assurer que les conditions de travail ne contredisent pas certains fondamentaux ?

Comment démontrer l’exercice d’une vigilance raisonnable et effective quand il est

notoirement connu notamment que des citoyens ukrainiens travaillent de façon illégale,

parfois des mineurs, dans les exploitations familiales polonaises ? En cas de

controverse, il va falloir expliquer, d’une part, pourquoi en connaissance de cause il n’a

pas été décidé de changer de pays d’approvisionnement et d’autre part, démontrer les

moyens mis en œuvre pour atténuer les risques. Comment s’y prendre ? Première

étape, contacter les interlocuteurs directs, en l’occurrence il s’agit souvent d’acteurs

danois, à la tête de grosses coopératives qui achètent les fruits et légumes produits sur

des territoires assez vastes. Ils annoncent d’emblée qu’il ne sera pas possible d’assurer

la formalisation de contrats de travail et qu’ils ignorent combien de personnes travaillent

sur les exploitations. Au fil de la discussion les parties finissent par convenir d’un chemin

de progrès qui consistera en l’établissement dans un premier temps de listes

nominatives des personnes travaillant sur les parcelles, qui pourront progressivement

préciser les temps de travail, l’âge, etc. C’est ce à quoi petit à petit, le chemin d’une

vigilance raisonnable va ressembler. Et nous sommes en Europe.

C'est un vrai sujet, d'où l'importance pour les entreprises assujetties à ces nouvelles

exigences de choisir leurs combats, pour dédier des ressources à des sujets en nombre

limité, permettant ainsi d’avoir un impact effectif. S'engager, se fixer des objectifs

raisonnables et clairs et assurer un suivi dans le temps sur des plans triennaux par

enjeu, par pays ou par catégorie d’achat. Mais surtout éviter de s'éparpiller et faire de

l'homéopathie sans aucun impact réel sur le terrain.

Jean-Marc MOULIN

Une dernière remarque sur le débat soft law/hard law, sur cette exigence de

transparence qui doit prendre appui sur la loi, ne serait-ce que par ailleurs une loi a été

adoptée et vient contredire la transparence, c'est la loi sur le secret des affaires. Rien ne

peut venir en opposition à une loi qui protège le secret des affaires d'une entreprise

qu'une autre loi de même niveau de hiérarchie juridique, qui va dire aux entreprises :

« Certes vous avez le secret des affaires, mais dans tels domaines vous devez donner

tel ou tel type d'information. » Si le devoir de vigilance était uniquement dans la soft law,

toutes les entreprises opposeraient la loi sur le secret des affaires : « Vous m'invoquez

un instrument juridique de force obligatoire inférieure, donc je me réfère à la loi. »

Heureusement qu'on a déjà pris un train de mesures législatives avant cette loi sur le

secret des affaires, sinon on aurait très peu d'informations.

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La gouvernance d’entreprise. Mise en œuvre et nouveaux enjeux

FRANCE STRATÉGIE - 104 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Un intervenant

Pour information, Stéphanie GIBAUD, la lanceuse d'alerte dans le dossier UBS, a

obtenu hier le statut de collaborateur occasionnel du service public, ce qui va lui donner

droit à une protection, à des indemnisations pour le préjudice qu'elle a subi. La juridiction

administrative a considéré qu'elle a été utilisée bien au-delà de ce qu'on peut attendre

d'un témoin dans une affaire, il convient donc de l'indemniser et à l’avenir de la protéger.

Kathia MARTIN-CHENUT

Nous pourrions échanger avec la salle et ouvrir les débats. Y a-t-il des questions ?

Une intervenante

Une question pour l’AMF, Mme Camille NOISETTE. Vous êtes satisfaite ou en tout cas

confiante dans les futures grilles de matérialité et la possibilité à travers la pertinence

définie par l'entreprise de pouvoir faire des contrôles qui permettent peut-être d'aligner

ou de rentrer dans cette fameuse synergie qu'on espère sur ces quatre ou cinq textes de

hard law qui sont arrivés. En gestion, nous sommes beaucoup plus critiques et nous

rendons compte que laisser la main à l'entreprise pour définir son propre spectre, son

propre prisme sur lequel elle souhaite exercer son obligation de transparence, cela

laisse de côté tout ce qu'elle ne veut pas montrer et ce qu'elle n'a plus à montrer. Je ne

vois pas très bien comment vous allez exercer un contrôle au-delà et ce qui permettra

cette fameuse synergie.

Nous avons plutôt l'impression que c’est un jeu de dupes. On est passé d'un principe de

responsabilité qui était exigeant à une accountability ou une responsabilité de rendre des

comptes, traduite par redevabilité, en descendant d'un cran par la transparence et

aujourd'hui grâce à la compliance dont vous faites bonne figure et bonne application, par

un tour de passe-passe, on se retrouve à avoir substituer la loi qui était exigeante à des

méthodologies de soft law qui peuvent faire un jeu de confusion par la terminologie.

C'est le tour de passe-passe et les entreprises continuent.

Quand on parle de synergie des textes de loi, on a l’air d'être satisfait vu de loin, mais la

réalité est qu'on a un principe latin qui vous dit : « Ubi lex non distinguit », et les

entreprises font exactement le contraire de ce qu’elles disent : « Comme vous avez un

texte spécial, donc je dois juste respecter le spectre de la loi spéciale, en dehors je n'ai

pas d'obligation » et en interprétant par un raisonnement typiquement juridique, elles ne

font plus cette synergie, laissent de côté avec la directive BARNIER un certain type de

reporting extra-financier pour dire : « Non, sur la corruption, j’ai la loi Sapin et ne

mélangeons pas les deux » et on voit là toute la stratégie de lobbying du Medef pour

vider de leur substance ces textes et repartir de manière plus grave sur d'autres

problématiques d'articulation de lois qui ne sont plus soft law/hard law, ce qui est peut-

être dépassé, mais en tout cas, il n’y a absolument pas d’effectivité ou de garantie

d'efficacité à partir de là.

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 105 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Camille NOISETTE

Je vais revenir sur le point assez critique de votre question concernant le fait d'avoir vidé

de sa substance le cadre de reporting Grenelle 2. Le cadre de reporting Grenelle 2, tout

comme celui de la directive, est basé sur le principe du comply or explain. C'est aussi

ainsi le point de départ de notre revue de l'information en tant que régulateur : aller voir

les justifications fournies par les entreprises lorsqu’elles n’ont pas de politique définie sur

un risque qu'elles ont identifié comme important ou majeurPar rapport à l'aspect Grenelle

2, il y a une logique qui va plus loin et qui, je trouve, donne plus de sens à ces enjeux

environnementaux, sociaux, de gouvernance.

Sur les indicateurs, vous soulignez que chaque société va pouvoir utiliser son propre

cadre de reporting et retenir les d’indicateurs qui lui conviennent. Dans la logique

Grenelle 2, les entreprises avaient déjà l'obligation de fournir des indicateurs mais la

méthodologie d’élaboration n'était pas prescrite. Finalement, les sociétés vont réutiliser

cette base d'indicateurs façon Grenelle 2 sur lesquels elles travaillaient pour continuer

leur reporting dans la perspective de la directive européenne. Je dirais même plus que la

directive, dans la façon dont elle est construite va permettre d'aller plus loin sur les

indicateurs qui sont retenus puisque la directive demande que les entreprises

communiquent sur le suivi de ces indicateurs, les objectifs attachés et les résultats là où

Grenelle 2 indiquait une liste assez figée et non dynamique. La directive européenne

reflète l’enjeu pour les entreprises de parvenir à gérer leurs risques au cours du temps.

En ce qui concerne l'action de l’AMF plus spécifiquement et la façon dont on va évaluer

ces informations, c'est effectivement une situation compliquée pour le régulateur dans la

mesure où il pourrait être amené à se prononcer sur la pertinence de l'indicateur retenu,

du risque identifié, c’est-à-dire à juger le choix de l’émetteur. Dans un premier temps,

l'enjeu pour nous est d'arriver à garantir la transparence de l'information, ce qui est

vraiment notre leitmotiv en tant que régulateur. Nous vérifions ainsi que l’information est

complète, compréhensible et comparable. Nous sommes très attachés à cette idée de

matérialité qui permet d’obtenir une information concise qui répond à un risque identifié.

Nous allons attendre des émetteurs qu’ils publient des informations comparables à

travers le temps, assorties une vraie transparence sur la méthodologie utilisée pour

calculer les émissions de CO2 par exemple. Aujourd'hui tout l'enjeu est de savoir si

l'entreprise communique ses informations RSE sur un périmètre identique à celui des

comptes ou pas. Évidemment si l'entreprise communique sur un périmètre très restreint

et qu'elle présente des résultats favorables en matière de RSE, cela suscite des

interrogations. Nous voulons voir dans quelle mesure les indicateurs RSE reflètent

vraiment les enjeux stratégiques auxquels elle fait face.

Notre dernier point d’attention porte sur la cohérence : comprendre dans quelle mesure

l'information RSE fournie va être cohérente avec la stratégie telle qu'exposée par

l’entreprise et ses indicateurs financiers. C’est sur ce sujet que nous pourrions évaluer

dans quelle mesure les indicateurs, les messages extra-financiers retenus relèvent du

greenwashing ou sont vraiment cohérents avec une approche stratégique économique.

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La gouvernance d’entreprise. Mise en œuvre et nouveaux enjeux

FRANCE STRATÉGIE - 106 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Notre point d’attention est sur ces trois piliers. Nous essayons d’accompagner les

acteurs de la place pour construire aussi leurs indicateurs, leurs méthodologies car

aujourd'hui le principal problème dans ce domaine est qu’il n'y a pas de standard qui fait

consensus. Je ne suis pas certaine qu'il faille aller vers une normalisation comptable de

ces enjeux car ce n'est pas la même nature de risques. Donc ce n'est pas l'objectif.

Yann QUEINNEC

Que ce soit la loi sur le devoir de vigilance ou le dispositif de la DPEF (Déclaration de

performance extra financière) qui se rapproche dans la philosophie, même si pour l’un,

c'est une obligation de faire, et pour l'autre une obligation de dire, mais dans le registre

de pressions extérieures, les deux textes prévoient la possibilité pour tout tiers intéressé

de demander des informations qu'il ne trouve pas soit dans le plan de vigilance, soit

dans la DPEF. Nous anticipons une croissance rapide de l'exercice de ce droit à

l'information de la part de parties intéressées. Typiquement de la part de parties

prenantes offensives, attentives, un peu expertes qui disposent d'informations et qui ne

les voyant pas publiées dans le plan de vigilance ou dans la DPEF vont se demander où

sont ces informations sur ce sujet. Dans le cadre du devoir de vigilance, l'entreprise

disposera de trois mois pour répondre à une première étape de simple mise en

demeure, d’autre de quoi se profile la possibilité de saisine du juge qui va jouer un rôle

de garant de ce droit à l'information.

Cela fait partie des leviers qui vont être mobilisés, largement facilités par le numérique.

Les entreprises s’y préparent afin d'être en mesure de répondre sur des sujets qu’elles

n’auront pour certains, pour des bonnes ou des mauvaises raisons, pas mis en avant

dans les documents publiés, mais sur lesquels elles auront mis en place des dispositifs

les mettant en mesure de répondre.

Jean-Christophe DUHAMEL

Il me semble que ce tiers indépendant, qui a des moyens d'action, peut tout à fait être

incarné dans la figure du régulateur. Jusqu'où êtes-vous prêt à aller ? Si vous ne voulez

pas engager officiellement l’AMF, je comprendrais, mais jusqu'où l’AMF est-elle prête à

aller dans la mise en œuvre de procédure, y compris procédure de sanction sur des

fondements de manquement si elle était amenée à constater qu'une société

effectivement présentait un décalage énorme entre le discours et les indicateurs fournis,

en tout cas si elle était prise la main dans le pot de confiture ?

Dans le cadre du rapport que nous avons rendu à la Mission, nous avions une démarche

d'entretiens qui concernait la gouvernance et avions interrogé votre collègue François-

Régis BENOIT. Je lui ai dit très clairement qu’en matière de gouvernance, on voit l’AMF

faire des rapports tous les ans, avec beaucoup de statistiques, et estimer parfois qu’en

termes de qualité de la communication, ce n'est pas assez ; a maxima, l’AMF pratique le

name and shame, mais cela ne va jamais plus loin. On n'a jamais vu le collège de l’AMF

se saisir dans le cadre d’une procédure de sanction quand il y a une fausse information

en matière de gouvernance. Je lui avais demandé du coup s'il ne pensait pas

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FRANCE STRATÉGIE - 107 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

qu’implicitement, l’AMF considérait ce genre d’information comme peu importante.

J'avais été étonné de sa réponse, je lis un passage de cet entretien in extenso. C’est

publié dans notre rapport, et tous les entretiens ont été relus par les protagonistes.

L’AMF assume donc ces propos qui ont été rendus publics par l’intermédiaire de notre

rapport. Voilà la réponse quant à l’opportunité d'aller sur une procédure de sanction en

matière de fausses informations contenues dans la déclaration de gouvernance produite

annuellement selon le principe du comply or explain : « C’est clairement une question de

proportionnalité, on ne va pas engager un ou deux ans d'enquête avec une phase de

sanctions pour une incohérence dans un point de documents de référence sur un sujet

qui de toute façon n'a pas d'impact sur les cours. Il faut vraiment que ce soit une

infraction très nette. »

Je trouvais cela assez étonnant car cela veut dire qu'il y a une vraie volonté de la part du

régulateur de hiérarchiser les informations. Concrètement une fausse donnée financière

ou comptable qui est susceptible d'induire les investisseurs en erreur, un faux bilan, peut

entraîner des possibilités de sanctions par l’AMF, mais sur ces choses un peu plus

molles, la gouvernance en l'occurrence, peut-être même la RSE, on ne vous sent pas

très mordants, si je puis me permettre…

Camille NOISETTE

C'était un des deux pans de ma réponse, le périmètre de responsabilité de l’AMF sur ce

sujet aujourd'hui n'est pas défini clairement. Et par ailleurs, le rôle premier de l’AMF est

de protéger les épargnants et donc in fine de protéger leurs investissements, c’est-à-dire

être vigilant avant tout aux informations pouvant avoir un impact sur le cours, sur une

performance boursière etc. À ce stade nous n’avons pas en tête d'infractions en matière

environnementale ou sociale ayant eu une telle conséquence.

Jean-Christophe DUHAMEL

Ne regrettez-vous pas justement que votre champ d'action soit trop limité ? Vous êtes

inéluctablement confrontés à ce problème d'impact sur l'arbitrage financier

d'investisseurs et l'évolution d'un cours de bourse. Ce sont typiquement des informations

que l'on demande aux sociétés (RSE, gouvernance) qui ne sont pas faites pour être

prises en compte dans un arbitrage financier mais qui concernent plus globalement

l'intérêt de la collectivité et l'impact sur le collectif. En tant que régulateur des marchés

financiers, vous avez une limite d'action qui tranche véritablement avec votre volonté de

demander aux sociétés de promouvoir ce type d'informations. Il y a un paradoxe.

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FRANCE STRATÉGIE - 108 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Camille NOISETTE

L'enjeu de finance verte a été intégrée depuis cette année dans le plan stratégique de

l’AMF. Cela constitue un des piliers sur lequel nous sommes en train de travailler. À

l’origine, l’AMF l’AMF n’était impliquée que sur des problématiques purement

financières ; les problématiques RSE commencent à émerger depuis quelques années.

Elles ont un impact concret sur les entreprises et ce n’est pas seulement en interne à

des fins de communication. Certes avec un peu de temps nécessaire pour observer les

évolutions récentes du marché, nous commençons à intégrer ces dimensions en tant

que régulateur.

Aujourd'hui cela fait partie des réflexions qui sont au cœur de la stratégie de l’AMF, le

plan stratégique à horizon 2022 le mentionne, et nous travaillons avec d'autres

régulateurs au niveau international car beaucoup de régulateurs se posent la même

question que nous sur le rôle de l’autorité de marché dans ce domaine. Votre point est

très intéressant car cela rejoint des réflexions que nous avons en interne. Je relirai avec

attention votre rapport. Cela est très intéressant.

Un intervenant

Les gens attentifs dans la salle ont vu que France nature environnement, Mighty Earth et

SHERPA en mars dernier ont envoyé une lettre dans le cadre de l'application de la loi

sur le devoir de vigilance à toutes les entreprises françaises qui importent du soja

d'Uruguay car un rapport en renseigne de façon circonstanciée tous les impacts graves.

30 entreprises ont reçu la lettre pour leur signaler que dans leur prochain plan de

vigilance, seront attendues des informations de leur part. Faute de quoi, ils utiliseront

toutes les voies de droit.

On évoque une autorité comme la vôtre qui n'a pas des ressources infinies, il y a peut-

être des choix éditoriaux à faire. Est-ce typiquement ce type d'initiative venant de parties

intéressées, dotées d'une certaine expertise qui pourraient flécher vos choix de priorités

pour dire que dans les trois prochaines années, vous vous intéresserez à des filières

agricoles et voir toutes les entreprises sur ce sujet, y dédier des ressources pour faire

avancer le sujet ? Pourriez-vous prendre de telles orientations avec vos autres pairs

dans les autres pays, et finir par couvrir nombre de chaînes de valeur ?

Camille NOISETTE

Comme la revue de l'information extra-financière à l’AMF s'inscrit dans la revue plus

générale de la documentation financière (rapport de gestion, etc.), nous n’avons pas de

prisme thématique dans la façon d'aborder l'information extra-financière. Nous avons

une approche générale en couvrant tous les secteurs et tous les risques, ce qui peut

inclure un facteur environnemental. L'année prochaine avec l'entrée en vigueur de la

déclaration de performance extra-financière, cela va devenir un facteur d'attention.

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 109 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Un intervenant

La réponse est non.

Camille NOISETTE

Nous essayons d'avoir aujourd'hui une approche intégrée, c’est-à-dire d’analyser ces

enjeux au regard des enjeux financiers, de gestion, de gouvernance. Une même

personne va analyser et passer en revue tous ces sujets pour une société.

Jean-Marc MOULIN

Se posent les moyens de l’AMF pour faire tout cela.

Camille NOISETTE

Nous n’avons pas la main sur les moyens ni humains ni financiers. Nous devons inclure

la « finance verte » dans nos missions et il s’agit clairement d’une priorité pour

l’institution.

Un intervenant

J'avais posé la question à Michel SAPIN s'agissant du rôle de l’AFA, si elle allait avoir

des priorités d’actions. Là aussi, les sujets sont très vastes. Il a répondu en bon politique

ni oui ni non mais en disant que ce n'est pas exclu, que ce serait dans l'ordre de la

logique des choses. On parle d'effectivité. En termes d'autorité de régulation souhaitant

avoir un impact, cela peut faire sens, en tout cas c’est ce qu'il nous disait sur l’AFA.

Camille NOISETTE

Je vais formuler une réponse à titre personnel sur ce point. Je pense que c'est tout de

même un changement de mentalité assez fort qui apparait. On le voit bien la conception

de l'entreprise aujourd'hui qui a beaucoup évolué. On était auparavant sur une création

de valeur actionnariale « à tout prix », leitmotiv qui dirigeait la façon dont l'entreprise

devait être structurée dans sa gouvernance, dont elle devait rendre compte de sa

performance auprès de ses actionnaires. C’est un changement de paradigme de

l'entreprise assez considérable qui intervient avec la prise en compte plus grande des

parties prenantes et des enjeux autres que purement financiers. Toutes les institutions

qui s’appuyaient sur cette vision doivent aussi changer de modèle et je pense que cela

prend du temps.

Effectivement ma réponse était peut-être politiquement correcte mais je pense vraiment

sincèrement que cela demande du temps de faire ce changement de paradigme. En tout

cas, l’AMF, qui est au service de l'intérêt général, a vraiment cela à cœur et l’information

extra-financière est un enjeu majeur sur lequel nous travaillons. Ce sont des schémas de

pensée bien établis qu’il s’agit de changer. C’est une certaine vision de l'information

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FRANCE STRATÉGIE - 110 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

financière qu'il faut réussir à faire coexister avec une information extra-financière qui a

ses caractéristiques propres.

Kathia MARTIN-CHENUT

Vous avez évoqué la question de l'assurance. Quel est votre avis sur les contrats

d'assurance et quel pourrait être leur impact sur le renforcement ou au contraire sur

l'affaiblissement de la responsabilité des entreprises ?

Un intervenant

Le Pr MOULIN indiquait à quel point les assureurs sont des baromètres intéressants sur

ces sujets car l'activité d'actuaire est d'anticiper l'avenir sur du très long terme avec des

effets tellement importants sur nombre de données qu'ils agglomèrent et ils sont très

matures sur le sujet. Mais ce n'est qu’un acteur parmi d'autres. Par exemple le devoir de

vigilance peut faire l'objet d'assurance et il y a des paramétrages à mettre en œuvre.

Cela peut être un levier de mise en œuvre plus efficace et massive de bonnes pratiques.

Cela joue sur la couverture des polices d'assurance, le montant des primes et en

fonction des performances affichées, mises en œuvre, démontrées, la prime d'assurance

et la couverture seront éventuellement adaptées, supprimées. Les assureurs peuvent

avoir un rôle absolument stratégique sur le sujet mais c'est tout ce que j'avais à dire sur

ce point.

Une intervenante

Ce que vous dites sur l'assurance est très intéressant mais on peut faire la même chose

pour le secteur bancaire. On pourrait aussi demander aux banques d'intégrer dans leurs

risques crédit un petit peu d'analyse de la performance RSE des entreprises. Quand

nous faisons l'évaluation de la performance RSE des banques, nous leur demandons ce

qu'elles font pour intégrer ces risques. L'assurance très bien, mais la banque

énormément et en plus, il y a un vrai rôle de levier des prescriptions auprès de tous les

acteurs économiques. C'est énorme.

Jean-Marc MOULIN

On peut concevoir les clauses RSE dans des contrats commerciaux, dans des chaînes

d'approvisionnement ou de fourniture. On peut aussi les introduire dans des contrats

bancaires classiques de prêt. De nouveau, cela fait de la RSE de conviction. Si le

banquier n'est pas suffisamment motivé et convaincu, cela peut rester lettre morte mais

cela peut être une bonne idée.

Camille NOISETTE

Danone, au printemps, a contracté son premier emprunt vert avec des conditions

associées à sa stratégie RSE, laquelle sera auditée. Ils ont une ligne de crédit syndiqué

basés sur des enjeux des critères environnementaux et sociaux en fonction desquels la

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 111 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

marge versée aux banques sera ajustée à la hausse ou à la baisse. On voit des

mécanismes similaires se développer.

Sur la question des banques, le plan de la Commission européenne pour la finance verte

a quelques propositions sur ce sujet, telle que la mise en place d’un green factor pour les

banques (i.e., valoriser le fait que certaines banques aient des actifs plus verts que leurs

pairs). Au niveau européen, ce n'est pas gagné et politiquement très compliqué.

Un intervenant

La Plateforme RSE a beaucoup travaillé sur le reporting de Grenelle 2 et la transposition

qui avait fait changer de modèle de reporting pour un code de commerce remis à plat sur

ce sujet en août 2017. C'est un exercice qui a atterri, dont on attend les résultats. Depuis

août 2017, trois vecteurs législatifs ont modifié cet article, et viennent compléter les

catégories. J'en parle avec d'autant plus d'intérêt que l’évasion fiscale figure dans

l'obligation de transparence depuis trois semaines. C'était la loi fraude. Les états

généraux de l'alimentation ont ajouté le gaspillage alimentaire et le bien-être animal, et la

loi Pénicaud sur la liberté de choisir son avenir professionnel a ajouté les thématiques

handicaps. Ce qui est un écho du travail de la Plateforme RSE rendu au printemps.

Cette façon qu’a le législateur de venir compléter dans les dispositions législatives, ce

qui n’était pas le cas, car les catégories d'information étaient précisées en réglementaire

avant l'exercice de la transposition. Ce réflexe qu’a le législateur à chaque chantier de

législation de prévoir une information à rajouter à la liste des informations qui a priori en

première analyse, est une information qu'on doit faire figurer obligatoirement sans

penser à l'analyse de matérialité car c'est dans le morceau de l'article législatif qui

s'impose. Est-ce une tendance qu'on va voir arriver ? Cet article fera-t-il 15 pages à la fin

du quinquennat ou y a-t-il une vision des institutions et des praticiens qui va réguler cette

tendance à allonger la liste des catégories d’information que l'on va retrouver dans la

déclaration de performance extra-financière ?

Camille NOISETTE

N'ayant pas la main sur la rédaction de ces textes, honnêtement je n'ai pas d'éléments à

avancer. Spontanément, j'aurais envie de vous répondre que la liste du code de

commerce n’a pas vocation à s’allonger dans la mesure où elle couvre d’ores et déjà la

quasi-totalité des enjeux RSE.

Yann QUEINNEC

La liste se veut non exhaustive mais plus qu'incitative et quand le législateur exprime un

sujet, évidemment cela met une petite pression mais les entreprises gardent la main sur

leur méthodologie d’analyse de matérialité des risques et opportunités et sur les priorités

qu'elles en retiennent.

Quoi qu'il arrive, une entreprise n'a pas la volonté trouvera toujours un biais

méthodologique pour justifier que tel enjeu n'est pas ressorti comme prioritaire de son

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La gouvernance d’entreprise. Mise en œuvre et nouveaux enjeux

FRANCE STRATÉGIE - 112 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

étude de matérialité. On observe d’ailleurs depuis des mois, au fil des missions

d’accompagnement des variations de méthodologies, quels que soient les acteurs qui

dispensent ce type de conseils. Ce terrain est encore loin d’être stabilisé et devrait

impacter la qualité et la pertinence de la reddition d'information.

Jean-Marc MOULIN

Dire que cette méthodologie devait conduire à ce résultat. Elle n’est pas la seule, elle

n’est pas exhaustive, complète, etc. Après c’est aux investisseurs et à la société civile de

s'organiser. C'est pourquoi je plaide pour un audit légal, cela fera du travail intelligent et

cela permettra surtout un côté pédagogique. Parfois la méthodologie peut être pertinente

pour une entreprise et pas pour d'autres.

Sur le volume d'information, cela ne m'inquiète jamais d'une part car beaucoup

d'informations sont retraitées. En droit du travail, toutes les entreprises de plus de 50

salariés doivent faire un bilan social qui recense nombre d’informations sur la vie de

l’entreprise. Il suffit qu'entre direction ou services, ils se communiquent l'information.

Si demain vous dites à un chef d'entreprise qu'aux termes d'un article du code général

des impôts imbuvable de cinq, six, sept pages, il y a une exonération de plus-value, il va

aller chercher l'information. C'est aussi une question de motivation et d'expérience.

Un intervenant

Une petite question, qui paierait l'audit légal de cette information RSE ? Ne craignez-

vous pas un conflit d'intérêts ? Quand on voit les agences de notation actuelles payées

par les personnes qui notent, on a vu où cela pouvait nous mener.

Jean-Marc MOULIN

Comme on paie l'audit légal des comptes. Nous avons déjà la méthodologie.

Qui pose la question de l'audit légal des comptes ? Personne ne le remet en cause

aujourd’hui. Aucun investisseur ne se dit qu’il serait bien de supprimer l'audit légal des

comptes. Qui ne paie pas l'analyse financière ? C’est très cher, on a même parfois des

doutes sur le rapport entre son coût et la réalité. Aujourd'hui les entreprises sont

astreintes à avoir un audit légal des comptes et elles le payent très cher. Beaucoup de

gens travaillent dessus. Cela touche la partie immédiatement financière. Dans la RSE, il

y a un aspect social mais aussi un aspect financier.

Revenons à la loi NRE, l'information sur la consommation d'eau de l'entreprise n'était

pas pour la RSE, pour les ONG environnementales, mais pour dire aux investisseurs

que telle société a une structure de coût trop déséquilibrée par rapport à une autre.

Ensuite la RSE est venue se greffer. Au tout début dans la loi NRE en 2001, ces

informations étaient à destination des investisseurs. Ces données peuvent être

cyniquement uniquement financières mais on peut leur faire revêtir une donnée plus

sociétale en disant que l'on est dans le même bateau.

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Journée d’étude du vendredi 16 novembre 2018

FRANCE STRATÉGIE - 113 - JUIN 2019 www.strategie.gouv.fr

Regardons ce qui s'est passé. Reprenons l'histoire de l'audit légal des comptes. Il y a eu

les mêmes débats, les chefs d’entreprise disaient : « Notre comptabilité va être publiée ?

On va nous taxer ?» Je parle du début du XXe siècle. Aujourd’hui, cela ne viendrait à

l'idée de personne de se dire que c’est une charge pour l'entreprise dont elle va se

passer.

Yann QUEINNEC

Chaque entreprise est le fournisseur d'une autre et les clauses RSE sont aujourd’hui

devenues systématiques. À ce titre, la transparence sur la façon de contractualiser la

RSE peut devenir un indicateur particulièrement pertinent de la qualité de l’exercice de

vigilance des entreprises donneuses d’ordres liées à des chaînes de valeur qui de

notoriété publique ont des impacts graves. Certains grands distributeurs ont d’ailleurs

déclaré qu'ils étaient prêts à rendre publiques leurs clauses RSE. Cela peut constituer

un chantier d’avenir qui présente l’intérêt d'être transversal et de relever un défi majeur :

en l’état actuel des pratiques, dans leur très grande majorité, les clauses RSE sont

juridiquement nulles... C’est l’une des conclusions majeures de l’étude précitée sur les

pratiques de contractualisation de la RSE et nous sommes au-devant de conflits de

clauses RSE qui se contredisent, s'entrechoquent, ne disent pas les mêmes choses et in

fine se neutralisent.

Des fondamentaux communs de bonnes pratiques de contractualisation pourraient être

établis grâce à un contrôle d'une autorité comme la vôtre (AMF).

Kathia MARTIN-CHENUT

Nous arrivons à la fin de cette journée. Je remercie tous les intervenants et les

chercheurs qui ont accepté de participer à un exercice de communication des résultats

de leurs recherches de manière la plus intelligible possible, d'échanger entre collègues

des différentes disciplines et courants de pensée, mais aussi avec des acteurs de terrain

venant d’univers différents. Le vivier que représente la Plateforme RSE se prête

parfaitement à ce type d’exercice.

Je réitère mes remerciements à l'équipe de la Mission de recherche Droit et Justice mais

aussi à la Plateforme RSE et à France Stratégie d'avoir permis cette rencontre dont les

échanges m'ont semblé très riches. J'espère que pour les chercheurs et les acteurs de

terrain, ces échanges pourront susciter de nouvelles pistes d’actions pour les premiers et

de recherche pour les seconds. Je suis ravie d'avoir eu avec Victoria Vanneau la

responsabilité de la valorisation de ces recherches qui ont été développées avant ma

prise de fonction à la Mission de recherche Droit et Justice, et j'espère que ce colloque

suscitera de nouvelles recherches sur le thème de la responsabilité ou « des

responsabilités » (le pluriel s’impose) des entreprises. Je sors de cette rencontre

persuadée que cette expérience doit être reproduite dans le cadre de la valorisation de

recherches soutenues par la Mission et donc je compte sur vous, sur la communauté

scientifique, pour renouveler cette expérience dans le cadre des futures

recherches. Merci beaucoup à tous.

Page 116: La gouvernance d’entreprise : mise en oeuvre et nouveaux enjeux · 2019. 6. 7. · Dans le cadre de l'exécution de sa programmation scientifique de 2014, la Mission a lancé des
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Premier ministre

France Stratégie

Institution autonome placée auprès du Premier ministre, France Stratégie contribue, par ses propositions, à l’actionpublique et éclaire le débat. Elle réalise des études originales sur les grandes évolutions économiques et sociales, et lesenjeux de soutenabilité. Elle produit également des évaluations de politiques publiques à la demande du gouvernement.Les résultats de ses travaux s’adressent aux pouvoirs publics et aux citoyens.

FRANCE STRATÉGIE – 20, AVENUE DE SÉGUR – TSA 90725 – 75334 PARIS CEDEX 07 – TÉL. 01 42 75 60 00

PLATEFORME RSEResponsabilité sociétale des entreprises

Les opinions exprimées dans ce rapport engagent leursauteurs et n’ont pas vocation à refléter la position dugouvernement.

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