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es Université de Strasbourg INSTITUT D’ÉTUDES POLITIQUES DE STRASBOURG LA GESTION BUDGÉTAIRE DES INSTITUTIONS CULTURELLES FACE À LA CRISE ÉCONOMIQUE : LE MÉCÉNAT, UNE PERSPECTIVE D’AVENIR ? Tristan Fourault Mémoire de 4 ème année. Direction du mémoire : Damien Broussolle, Maître de Conférences en Économie. L'Université de Strasbourg n'entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. Juin 2016

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Université de Strasbourg

INSTITUT D’ÉTUDES POLITIQUES DE STRASBOURG

LA GESTION BUDGÉTAIRE DES INSTITUTIONS CULTURELLES FACE À LA CRISE ÉCONOMIQUE : LE MÉCÉNAT, UNE PERSPECTIVE D’AVENIR ?

Tristan Fourault

Mémoire de 4ème année.

Direction du mémoire : Damien Broussolle, Maître de Conférences en Économie.

L'Université de Strasbourg n'entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

Juin 2016

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier tout particulièrement Monsieur Damien Broussolle, maître de conférences à l’Institut d’Études Politiques de Strasbourg, pour avoir accepté de diriger ce mémoire. Ces conseils, son intérêt pour le sujet et son aide tout au long de l’année ont été des éléments très précieux pour préparer ce travail dans les meilleures conditions. Mes remerciements vont également à Madame Odile Paulus, maître de conférences à l’École de Management de Strasbourg, pour avoir accepté de lire ce Mémoire et de participer au jury de soutenance. Enfin, un merci tout particulier à ma famille, à mes amis et à mes proches, pour leurs conseils avisés et leur soutien infaillible, essentiel à la réalisation de ce Mémoire.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ........................................................................................................................................ 4

1ère partie : Intervention de l’État et financement des politiques culturelles. ........................ 11 I – La justification des politiques culturelles. ................................................................................ 11

A – La culture, un bien public à protéger....................................................................................................... 14 B – Un facteur d’externalités positives. .......................................................................................................... 15 C – Le spectacle vivant et le modèle de la « fatalité des coûts ». .......................................................... 19

II – L’institutionnalisation de la culture, une spécificité française ? ..................................... 23

A – La construction de l’objet culturel dans le champ de l’action publique. ...................................... 25 B – La standardisation de l’institution culturelle. ......................................................................................... 31 C – Le financement de l’institution culturelle. .............................................................................................. 40

III – Naissance et évolution du Mécénat. ....................................................................................... 47

A – Un cadre juridique récent, né dans les années 1990. ......................................................................... 50 B – Les externalités positives du Mécénat ..................................................................................................... 57 C – Le Mécénat : une approche culturelle. .................................................................................................... 63

2ème partie : L’impact de la crise économique sur le devenir des politiques culturelles. . 70

I – Contexte économique et finances publiques. ............................................................................. 72 A – La crise des dettes souveraines et la difficile question de l’équilibre budgétaire. ............................... 73 B – L’impact de la crise économique sur la politique culturelle et son financement. ................................ 82 C – La décentralisation des compétences : quel rôle pour les collectivités territoriales en France ? . 84

II – Le financement de la culture : un mal français ......................................................................... 89 A – Une remise en cause profonde du modèle de subventions ....................................................................... 90 B – Des rapports publics pointent l’inefficience du système actuel ................................................................. 97 C – La consécration du New Public Management ? ........................................................................................... 105 III – Le Mécénat : une source de financement pour l’avenir ? .................................................. 111 A – Le Mécénat de l’après-crise : une reprise timide. ....................................................................................... 111 B – Un Mécénat qui s’ouvre aux financement de chacun : le crowdfunding. ............................................. 118 C – Le cadre actuel du Mécénat ne semble pas être une solution pérenne .............................................. 123

CONCLUSION ............................................................................................................................................. 130

BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................................... 139 ANNEXES ................................................................................................................................. 144

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INTRODUCTION Au cours des dernières semaines et à l’heure d’achever ce mémoire, de nombreuses

revendications sociales, accompagnées de larges mouvements sociaux, ont animé le pays et

porté le débat sur des questions directement liées aux conditions d’emploi et de travail en

France. Alors que les médias ont accordé une place toute spécifique au projet de loi dit El

Komri, il est intéressant de constater qu’un accord de branche particulièrement important a

été signé tout récemment dans le monde culturel, conduisant à de profondes évolutions

quant aux pratiques en vigueur dans le secteur.

L’accord, intervenu dans la nuit du 27 au 28 avril 2016, a été signé par l’ensemble des

syndicats du monde de la culture ainsi que par l’Union nationale interprofessionnelle pour

l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNEDIC), en charge de l’Assurance chômage. Il

intervient après de longues négociations, consécutives à une lettre de cadrage publiée par le

Mouvement des entreprises de France (MEDEF) le 24 mars dernier, signée par plusieurs

syndicats de la branche. Cette lettre soulignait la nécessité de réaliser des économies

importantes, à hauteur de 185 millions d’euros, pour le régime des intermittents du

spectacle.

Sans entrer dans les détails d’un régime spécifique particulièrement complexe,

l’aboutissement économique et social de cet accord est conséquent. Social car l’accord

revient sur des dispositions abandonnées avec la réforme de 2003, en élargissant notamment

de 10 à 12 mois la période de réalisation des 507 heures nécessaire à l’obtention du régime

d’indemnisation. Économique, car l’accord met en place un certain nombre de dispositions

pour réduire le coût de ce régime, dont le déficit est estimé par l’UNEDIC à 1 milliard

d’euros (soit le quart du déficit de l’organisme), comme le rappelle Jean-Paul CHAPEL en

2016.

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L’ensemble de ces dispositions devait parvenir, selon l’accord, aux 185 millions d’économies

demandées par la lettre de cadrage du MEDEF, grâce à une participation active de l’État (80

millions d’euros) et à une augmentation des cotisations patronales. Un comité d’expert,

présidé par l’économiste Jean-Paul Guillot, a publié le 24 mai 2016 un rapport dans lequel il

mise plutôt sur une économie comprise entre 84 et 93 millions, sans prendre en compte les

aides de l’État. Manuel Valls a indiqué en avril dernier la mise en place d’un fonds de soutien

à l’emploi pour les intermittents du spectacle, financé par l’État à hauteur de 90 millions

d’euros.

Cet exemple très récent illustre parfaitement la place de l’État dans le champ culturel : un

acteur financier majeur des politiques culturelles, capable d’allouer des enveloppes

importantes pour soutenir un régime d’emploi particulièrement déficitaire. L’État montre à

travers cet exemple son rôle interventionniste et moteur encore en 2016, dans le champ de

la politique culturelle et confirme que, le financement de la culture, demeure un domaine

traditionnellement porté par l’État.

Ce rôle est-il amener à perdurer ? Ne peut-on pas entrevoir d’autres perspectives de

financement pour les politiques culturelles ? Cette question est légitime et nous pouvons

l’illustrer par de nombreux exemples.

Le 22 mai 2016, une autre lettre de cadrage a été envoyée. Cette fois, elle est directement

issue de l’hôtel de Matignon, où le Premier ministre demande à l’ensemble des Ministères, à

l’exception des secteurs qualifiés de « prioritaires », à savoir la sécurité et l’éducation,

d’opérer une économie globale de 2 milliards d’euros. Aussi, le Ministère de la Culture

semble ne pas pouvoir échapper à cette recommandation et devra prévoir, dans le cadre de

son budget 2017, une diminution de son enveloppe, par la « réduction de 2% de ses

effectifs et la stabilisation de sa masse salariale » alors que la revalorisation du point d’indice

des fonctionnaires devra être financé par « des gains de productivité ou toute autre

économie ». Dans le même temps, les dépenses de fonctionnement et de subventions

devront diminuer leur budget de 5%.

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La raison de ces économies est avant tout économique : il s’agit de la réduction du déficit

sous la barre des 3% du produit intérieur brut, en accord avec les promesses affichées par le

gouvernement français devant Bruxelles dans le cadre de ses engagements européens.

Alors que la crise économique de 2008 a laissé de profondes séquelles sur l’économie

française dans son ensemble, le champ des politiques culturelles se confronte aujourd’hui à

une réalité nouvelle : les politiques de rigueur. Sanctuarisé en 2014 par Manuel Valls, le

budget du Ministère de la Culture semble déjà soumis à de fortes contraintes d’économies

budgétaires dans un proche avenir.

Des limites apparaissent très clairement quant à l’extension des budgets alloués aux

politiques culturelles aujourd’hui. Le Mécénat est une alternative intéressante, car il ouvre la

porte à des financements privés. Derrière les politiques culturelles, traditionnellement

assurées par des financements d’États, se cachent en effet de véritables enjeux.

Pourquoi cet intérêt du secteur privé pour le financement de la Culture ? La réponse est

assez simple : la politique culturelle développe en son sein une véritable économie de la

Culture. Une production de richesse très importante, puisque le dernier rapport réalisé

conjointement par le Ministère de l’Économie et le Ministère de la Culture en 2013 montrait

que le poids des activités culturelles avait contribué à créer une valeur ajoutée de 57,8

Milliards d’euros en 2011, ce qui représentait alors 3,2% du PIB français (2013, p.2). A titre

de comparaison, ce chiffre représente sept fois ce que rapporte la valeur ajoutée du secteur

automobile dans l’économie française. Comme l’a dit l’ancien Ministre de la Culture Jean-

Jacques Aillagon, « le Ministère de la Culture doit aussi être le Ministère de l’économie de la

Culture » (mai 2003, dans Le Film Français n°2991).

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Invité de Léa Salamé sur France Inter le 28 avril 2016, Olivier Py, directeur du Festival

d’Avignon, n’hésite pas à affirmer que la « Culture est le pétrole d’Avignon » : chaque

journée du Festival rapporte de 2 à 3 millions d’euros et 1 personne sur quatre dans la ville

vit du Festival, alors que le département du Vaucluse est l’un des départements les plus

pauvres de France. Preuve que la politique culturelle génère une activité dense, dont les

retombées peuvent intéresser les acteurs publics comme privés.

• Définir l’institution culturelle.

Définir la culture est une opération éminemment complexe. Le sociologue Jean-Claude

Passeron estimait que sa volonté de définir la Culture l’avait perdu « dans le plus vertigineux

dédale d’une bibliothèque babélienne » (dans Détrez, 2014, p.8). Les chercheurs américains

Kroeber et Kluckhohn avaient, dans une étude menée en 1952, recensé plus de 150

définitions depuis le milieu du XVIIIème siècle.

Au cours de cette étude nous avons décidé de nous pencher plus spécifiquement sur les

institutions culturelles.

La définition d’institution culturelle telle qu’abordée au cours de cette étude est une

définition assez large, qui embrasse deux dimensions : la notion d’institution et celle

d’établissement public. Par institution culturelle, on peut reprendre la définition donnée par

Howard Becker, qui définit l’institution culturelle comme une structure capable « de remplir

toutes les conditions permettant à la production et à la diffusion de biens culturels et

artistiques de s'inscrire dans la durée » (dans Bense Ferreira Alves et Poulard, 2006, p. 5-16).

Par établissement public, on peut reprendre la définition de Fosseyeux et Pattyn (2004, p.

11), qui définissent l’établissement public comme « un ensemble de services doté d'une

personnalité juridique propre, qui constitue une personne morale de droit public, qui

bénéficie d'une relative autonomie financière et est placé sous la tutelle de l'Etat ou d'une ou

de plusieurs collectivités territoriales »

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Plusieurs notions-clés viennent définir l’institution culturelle : une structure administrée dans

la durée, permettant la production de biens culturels et bénéficiant d’une certaine autonomie

financière tout en étant placée sous la tutelle de l’État ou des collectivités territoriales.

Les institutions culturelles définissent donc l’ensemble des établissements publics qui sont en

charge de mener les politiques culturelles, mais également les institutions qui les définissent,

à l’image du Ministère de la Culture et des collectivités territoriales.

• La « gestion budgétaire », nouveau pilier des politiques culturelles ?

Une gestion budgétaire efficiente se définit très simplement comme l’allocation optimale des

dépenses en fonction des ressources financières à disposition. Dans le cadre d’une économie

productiviste capitaliste, l’objectif est de minimiser les dépenses et de maximiser les

ressources pour obtenir un résultat net positif et donc un profit. Les politiques publiques, et

notamment dans le champ culturel, ne s’inscrivent pas dans cette logique de profitabilité. Les

ressources doivent cependant répondre au critère d’optimisation des fonds publics et être

utilisées à bonne escient. Les concepts du nouveau management public ont fait émerger dans

ce sens des outils de rigueur et d’efficience dans l’allocation des ressources financières, au-

cours des années 1970.

Pourtant, et la missive de Manuel Valls aux ministères le rappelle bien, la France est entrée

depuis quelques années dans un cycle de rigueur économique. Une politique qui fait suite à la

crise économique de 2008 et à la très forte augmentation de la dette publique. La France fait

face aujourd’hui à ses engagements européens et doit respecter un « sérieux budgétaire » si

elle souhaite conserver la confiance des investisseurs et des marchés financiers.

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La politique culturelle est un investissement rentable mais coûteux. Elle se trouve

aujourd’hui en ligne de mire dans les coupes budgétaires. En diminuant les dotations du

Ministère de la Culture en 2013, le gouvernement a inscrit une disposition inédite dans

l’histoire d’un Ministère en continuelle expansion budgétaire, depuis sa création en 1959.

Il s’agit donc de réfléchir au rôle de l’État et aux moyens alloués à la politique culturelle pour

l’avenir. L’État peut-il conserver l’exclusivité du financement des politiques culturelles et celle

de ses rapports privilégiés avec le monde culturel ? L’État a-t-il toujours les moyens de

l’ambition qu’il a développé et institutionnalisé en termes de politique culturelle ? C’est toute

une série de questions qui seront posées au cours de cette étude.

• Le Mécénat, perspective d’avenir ?

Le Mécénat est un mode financement dédié aux acteurs privés qui souhaitent soutenir une

action d’intérêt général en investissant pour permettre sa réalisation, sans toucher de

contrepartie directe. Pratique ancestrale née sous l’Antiquité, il peut être intéressant de

mesurer l’évolution récente du Mécénat dans le champ culturel au cours des dernières

années, alors que ce dernier fait face à un essoufflement des fonds publics du fait de la

rigueur budgétaire.

Quelle est l’évolution du Mécénat, dans un contexte économique morose ? La crise

économique a-t-elle conduit à un repli des investisseurs ou a-t-elle au contraire suscité une

vague d’investissements massifs dans le champ culturel ? Nous verrons également une brève

évolution du Mécénat en fonction des époques et nous pencherons sur la pratique et

l’émergence du crowdfunding ou financement participatif.

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Cette étude sera composée de deux parties : la première, plus historique, se penchera plus

spécifiquement sur la construction historique des politiques culturelles contemporaines, en

expliquant d’une part leur justification économique, mais en insistant également sur la

construction historique de ces politiques et leur champ d’intervention. Il s’agira également de

mesurer l’évolution du Mécénat et d’en donner une définition juridique contemporaine.

Dans une seconde partie, nous nous pencherons plus spécifiquement sur la crise

économique de 2008 et ses conséquences pour les politiques culturelles. Dans un premier

temps, nous verrons d’abord les implications de la crise économique sur l’évolution du

budget de l’État et la mise en œuvre des politiques d’austérité. Nous analyserons ensuite

l’impact de ces nouvelles politiques budgétaires sur le modèle de subventions allouées aux

politiques culturelles. Enfin, nous analyserons l’évolution du Mécénat et ses perspectives,

dans un contexte de forte restriction budgétaires.

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1ère partie : Intervention de l’État et financement des politiques culturelles.

Cette première partie vise à étudier plus spécifiquement la création et la mise en œuvre de

la politique culturelle. Si la culture a historiquement été impulsée par l’État, son financement

dans le cadre d’une politique publique est relativement récent. A l’image de la IIIème

République qui se met en place dans les années 1870, on peut rappeler que le champ

artistique se construit à ce moment là comme un espace autonome qui s’oppose à l’État et

aux grandes institutions monarchiques, financé par de riches mécènes.

La culture a, pendant des décennies, été une pratique réservée à la noblesse et très peu

démocratisée. C’est une préoccupation qui apparaît après la première guerre mondiale et se

manifeste avec l’arrivée du Front populaire. Elle aboutit à la création d’un Ministère de la

Culture en 1959. Depuis, l’État a toujours défendu l’idée d’une politique culturelle

ambitieuse, menée à l’échelle nationale, en coopération avec les collectivités territoriales

pour un impact plus local. Ici, nous mesurerons donc la justification des politiques publiques

culturelles, ce qui fonde l’intervention de l’État en matière de culture. Dans cette première

partie, nous aborderons l’approche et la justification économique des politiques culturelles,

avant d’aborder dans un second temps le processus de légitimation et d’institutionnalisation

de ces politiques, réalisées tout au long des XIXème et XXème siècles. Enfin, nous nous

attacherons à définir le Mécénat, ses externalités positives, observer l’évolution historique

de la pratique, et notamment sa naissance récente dans le cadre juridique français.

I – La justification des politiques culturelles.

Avant de s’intéresser aux évolutions historiques et aux mécanismes juridiques qui fondent

l’intervention de l’État en matière de politique culturelle ; et plus généralement à toute

forme de financement de la culture, il est primordial de se demander ce qui justifie

l’économie culturelle et de se poser cette simple question : pourquoi l’économie publique

s’intéresse-t-elle à la culture ?

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L’ouvrage de Benhamou, L’économie de la culture (2011, 7ème édition), spécifiquement

orienté vers cette question, permet de comprendre le financement de la culture et

l’existence des politiques culturelles. Cette première sous-partie s’inspirera grandement de

cet ouvrage. Afin d’illustrer certaines des définitions théoriques que nous aborderons, il a

été choisi d’illustrer certaines de ces définitions par des exemples concrets, directement

issus du secteur du « spectacle vivant ».

Dans un premier temps, il est important de souligner que le financement de la culture peut

sembler paradoxal. Dans l’introduction de son ouvrage (2011, p. 3), Benhamou cite

l’économiste Alfred Marshall (1891, p.391), qui écrivait : « Il est impossible d’évaluer des

objets tels que des tableaux de maître ou des monnaies rares, puisqu’ils sont uniques dans

leur genre, n’ayant ni équivalent ni concurrent. […] Le prix d’équilibre des ventes [de ces

objets] relève beaucoup du hasard ».

Dans les théories de l’économie classique qui admettent l’existence d’un prix d’équilibre,

point de rencontre entre une courbe d’offre et une courbe de demande, difficile de se

satisfaire de cette explication. Pourtant, l’objet artistique est bien particulier en ce sens où il

est le fruit de la volonté de son créateur, qu’il ne répond pas à des codes et à des exigences

financières. L’objet artistique est unique, c’est même tout son intérêt. Il peut être produit

sans nécessairement émaner d’une demande.

Benhamou montre que peu d’économistes se sont intéressés à l’art ou à la culture, et que

les rares qui s’y sont penchés l’ont fait plus pour « leurs inclinaisons pour l’art » (p.3, 2011)

que pour leur travail d’économiste.

Aussi, les classiques tels Smith ou Ricardo considèrent que la dépense pour les arts relève de

l’activité de loisir et ne saurait contribuer à la richesse de la Nation. Smith écrivait

ainsi (1776, p.414) : « Leur travail à tous [les travailleurs non productifs], tel que la

déclamation de l’acteur, le débit de l’orateur ou les accords du musicien, s’évanouit au

moment même où il est produit ». Il soulignera plus loin l’investissement coûteux de ces

professions et leur nécessaire rétribution à fort prix, de par l’engagement des artistes pour

le travail présenté et l’éducation plus longue qu’ils ont suivi. Pour autant, selon Smith, la

production artistique ne participe pas à l’enrichissement de la Nation.

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Aussi, en s’arrêtant à la conception de l’économie classique, il n’y aurait pas d’intérêt

productif dans l’art, dont la valeur ne serait que temporaire, limitée au seul moment de la

production de l’objet artistique et dénuée de valeur ultérieure. Pourtant, Smith reconnaît lui-

même la nécessité de rémunérer les agents économiques qui se spécialisent dans la

production artistique. Mais qui doit financer ces agents ? Qui doit mettre au service des

artistes les établissements qui les accueilleront pour se produire ?

Deux acteurs semblent avoir un rôle à jouer pour permettre à la culture de vivre : l’État

d’une part, les agents économiques qui soutiennent l’existence de la culture et son expansion

d’autre part. L’État peut participer au développement de la culture en finançant le

développement de l’art et son rayonnement, on assiste alors à la naissance d’une politique

culturelle. Les agents économiques peuvent, quant à eux, apporter les moyens matériels et

financiers pour permettre l’existence et le développement de l’art. C’est la pratique du

Mécénat, qui s’est développée dès l’Antiquité grecque.

De ces interrogations, en apparence simples, se pose un débat éminemment plus complexe

qui pose la question de l’équilibre et des rapports entre ces deux modes de financements de

la culture, objet même de cette étude.

Au cours de cette première partie, nous chercherons à expliquer ce qui peut motiver le

financement de la culture, qu’il émane de l’État ou des individus eux-mêmes. Nous verrons

tout d’abord en quoi la culture constitue un bien public à protéger. Dans un deuxième

temps, nous verrons quelles sont les externalités positives émanant de l’activité culturelle.

Enfin, nous verrons dans un troisième temps que la culture, appliquée au domaine du

spectacle vivant, subvient difficilement à ses besoins en financement et que l’intervention

d’agents économiques externes est nécessaire à sa pérennité.

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A – La culture, un bien public à protéger Cette idée clé se retrouve paradoxalement chez Smith. Bien que pour lui, comme pour le

courant classique des économistes, la culture ne produit pas de richesse durable pour l’État,

il défend cependant les « superbes palais, les magnifiques maisons de campagne, les grandes

bibliothèques, les riches collections de statues, de tableaux et d’autres curiosités de l’art et

de la nature » que la culture produit et qui « font souvent l’ornement et la gloire, non

seulement de la localité qui les possède, mais même de tout le pays. Versailles embellit la

France, et lui fait honneur, comme Stowe et Wilton à l’Angleterre » (1776, livre II, chapitre

III, p.436). Adam Smith reconnaît ici la notion de patrimoine, l’existence de biens publics

dont la valeur est difficilement mesurable mais dont la production et la consommation ont

« un effet positif sur la société, par la contribution qu’elles apportent à la cohésion sociale et

à la formation des hommes », comme le souligne l’économiste Arthur Pigou (dans

Benhamou, p.93, 2011).

La culture devient le moyen d’exprimer et d’entretenir le patrimoine national, de développer

la cohésion des populations autour de symboles communs. Scitovsky (1972, dans Benhamou,

p.93, 2011) considère que la notion de cohésion est la seule capable de justifier l’aide

publique à la culture : « il faut éduquer les dispositions esthétiques des hommes, ils en

ressentiront plus encore de bien-être ; les biens doivent être sous la tutelle de l’État, qui se

charge d’inciter les citoyens à leur production et à leur consommation. Le bien culturel

constitue un bien inaliénable, qui touche une population très large ».

Scitovsky définit les éléments pionniers du terme de « bien social irréductible », qui sera

développé un peu plus tard par Throsby (1994, dans Benhamou, p.93, 2011), et qu’il définit

comme un bien qui touche, par définition, une population très large et dont les bénéfices ne

sauraient être attribués à des individus précis.

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Ainsi la culture répondrait, dans cette conception défendue par un grand nombre

d’économistes, à un impératif moral, socle de l’édification et de la conservation d’un

patrimoine national pour les générations futures, permettant de rassembler les individus au

sein d’une même communauté nationale. Cet impératif donne à la culture une valeur toute

particulière qui, même indéfinissable, demeure cruciale. La culture définit donc ce bien

paradoxal, dont la valeur est difficilement mesurable mais dont la préservation et les

bénéfices sont accessibles à l’ensemble de la communauté nationale et inspirent le

rayonnement d’un État. Rayonnement qui peut être à l’origine de tout un ensemble

d’externalités positives, notamment économiques.

B – Un facteur d’externalités positives.

Il s’agit ici de présenter les effets positifs de l’activité culturelle sur l’économie publique. Les

externalités positives se définissent comme une situation économique dans laquelle l'action

d'une personne ou d'une chose va avoir une influence directe et positive sur un autre agent,

sans que ce dernier n'ait de lien avec l'action d'origine. Ces effets sont de trois ordres et

concernent à la fois le contexte social, la consommation des agents et les dépenses

publiques.

• Un contexte social apaisé. On retrouve cet argument une nouvelle fois chez les économistes classiques. Pour Smith, si

l’État développait une politique culturelle, c’est-à-dire « encourageait, laissait jouir d’une

parfaite liberté tous ceux qui, pour leur intérêt propre, voudraient essayer d’amuser et de

divertir le peuple […] par des peintures, de la poésie, de la musique, et de la danse, par

toutes sortes de spectacles et de représentations dramatiques », il viendrait aisément à bout

de « l’humeur sombre et cette disposition à la mélancolie qui sont presque toujours l’aliment

de la superstition et de l’enthousiasme » pour une partie de la population (1776, p. 213).

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On retrouve chez les classiques l’idée que la culture permet de lutter contre la mélancolie et

le cloisonnement des populations. La mise en œuvre d’un champ public destiné à la culture

libère un espace d’expression, propice à l’ouverture des esprits. En engendrant un

enthousiasme au sein de la population, les individus sont plus prompts à consommer et ainsi

à engendrer une croissance économique plus forte. Le champ culturel participe à cette

croissance et permet de développer une économie plus dynamique et compétitive, à l’image

d’une population particulièrement enthousiaste.

La culture serait-elle le remède moderne à l’« opium du peuple », caractérisée par Marx

dans la Critique de la philosophie du droit de Hegel, paru en 1844 ? Lui qui définissait la

religion comme étant la source de cette drogue anesthésiante, « le soupir de la créature

opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, […] l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est

exclu ». La culture se dresse, à l’inverse, comme le libérateur des esprits, un espace

d’affirmation de l’individu. Si la culture religieuse existe, il faut cependant souligner qu’elle se

distingue par des codes beaucoup plus stricts qui ont conditionné son soutien à la création

et à la diffusion d’œuvres artistiques.

• Un bien dépourvu de décroissance marginale.

Cet argument est souligné par Alfred Marshall (dans Benhamou, 2011, p.4) qui explique que,

contrairement à l’ensemble des biens dans une économie, le bien culturel dispose d’une

spécificité, qui fait que « plus on écoute de la musique, plus le goût pour celle-ci augmente ».

On se trouve ici dans le paradoxe de la théorie de la décroissance de l’utilité marginale, qui

suppose qu’à partir d’une certaine consommation d’un bien, l’utilité marginale d’une unité

supplémentaire de ce bien décroît. La spécificité du bien culturel, c’est qu’il n’y a pas d’utilité

marginale décroissante selon Marshall. Plus on est confronté à la culture et plus on

l’apprécie.

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Cette théorie a deux conséquences majeures : la première, c’est la justification des politiques

culturelles. Si l’État initie les citoyens à la culture, et développe les moyens d’une politique

culturelle, alors il peut être sûr que les citoyens y répondront favorablement et

développeront une appétence aux activités culturelles. En développant une politique

culturelle, l’État va créer une communauté nationale, attachée à ses symboles et à son

histoire. Cette communauté développera un véritable attrait pour la politique culturelle qui

sera conduite au sein des divers établissements publics alloués au champ culturel (musées,

théâtres, Zénith) et soutenus par l’État.

La seconde conséquence, c’est que la consommation de biens culturels est potentiellement

infinie. En développant une politique culturelle, l’État crée un nouveau champ de

consommation des biens culturels. Ce champ de consommation se limite aux contraintes

budgétaires des individus, mais peut être renforcé par des politiques tarifaires à destination

du plus grand nombre. L’attrait et la fréquentation de ces établissements seront d’autant plus

importants que la politique culturelle de l’État sera ambitieuse et développée. Et les

retombées économiques peuvent être importantes.

• Des retombées diverses : l’effet multiplicateur de la dépense publique On retrouve ici l’idée de la théorie keynésienne, même si Keynes n’a pas particulièrement

insisté sur l’approche culturelle du multiplicateur de la dépense publique, En 1994, Throby

(dans Benhamou, 2011, p. 5) développe dans la revue Journal of Economics Litterature l’idée

que la reconnaissance du secteur culturel est due à trois facteurs :

1/ Les débouchés de la culture génèrent des flux de revenus et d’emplois.

2/ Le développement de la culture contribue à la création d’emplois, qui donnent à la

disposition des agents employés dans le secteur culturel un revenu qu’ils investiront en

partie dans l’économie.

3/ Les dépenses engendrées par le secteur culturel peuvent avoir des retombées dans

d’autres secteurs comme l’industrie (labels de disques et production de spectacles), le

tourisme, …

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Des études empiriques ont appuyé l’hypothèse du multiplicateur des dépenses publiques.

Aussi, en mars 1992, Rudolph Giuliani, alors maire de New York, annonce que la

municipalité versera des bourses à destination des institutions culturelles. Une étude

montrera que la disposition a engendré des revenus totaux de 8,4 milliards d’euros pour la

municipalité, répartis entre les frais de transport, d’hôtel, de restaurant, de sorties

culturelles (dans Benhamou, 2011, p. 92).

En 1988, John Myerscough est chargé de calculer l’impact économique des arts à Glasgow,

Ipswich et dans le Merseyside. L’effet multiplicateur, définit comme le revenu net apporté

pour une livre de dépense, varie alors entre 1,11 et 1,20. D’après Colbert (dans Benhamou,

2011, p. 92), au Québec, l’analyse d’un orchestre, d’un musée et d’un festival en 1990 aurait

généré des recettes de l’ordre de 1,5 à 3 fois supérieures aux dépenses engagées. En France,

en 1985, pour une subvention de 2 millions d’euros, le festival d’Avignon aurait généré 3,9

millions de dépenses, selon Pflieger (1986, dans Benhamou, 2011, p.92)

Les flux générés par les dépenses culturelles sont donc de trois ordres : ils peuvent être

directement lié à l’investissement culturel (dépenses locales, salaires, commandes des

institutions, commandes d’œuvres d’art), indirectes (dépenses effectuées par tous ceux qui

fréquentent l’institution culturelle) et induits (retours positifs de ces dépenses dans le long

terme). Les dépenses culturelles représentent quant à elles les subventions et les aides en

nature (mise à disposition de locaux et de personnel).

L’idée clé du multiplicateur des dépenses culturelles, c’est qu’investir pour la culture, c’est

agir en faveur de la vie économique. Est-ce pour autant agir durablement ?

Nous l’avons montré au cours de ces deux premières sous-parties, la culture est un bien

public à protéger, le développement de politique culturelle assurant aux États de nombreux

avantages, aussi bien sur les champs économiques que sociaux. On se dit alors que l’État est

l’acteur qui doit prendre en charge l’ensemble des coûts générés par la culture puisqu’elle

joue un rôle essentiel à son propre développement et à celui de la communauté nationale.

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Mais l’État a-t-il les moyens de porter à lui seul la politique culturelle dans son ensemble ?

Une politique culturelle est-elle tenable dans la durée ? C’est ce que nous verrons dans la

troisième sous-partie, consacrée à la loi des économistes Baumol et Bowen, appliquée au

secteur du spectacle vivant.

C – Le spectacle vivant et le modèle de la « fatalité des coûts ». Si le développement d’une politique culturelle rencontre l’intérêt de la société et conduit à

dynamiser l’économie par des externalités économiques positives, la pérennité d’un système

culturel financé par l’État pose question. Certaines théories se veulent moins optimistes et

pointent le coût des politiques culturelles. La loi de Baumol et Bowen (1966) va, dans ce

sens, montrer que le travail artistique dans le spectacle vivant conduit nécessairement à un

modèle de « fatalité des coûts ».

En 1965, aux Etats-Unis, la Fondation Ford s’inquiète des besoins croissants des théâtres de

Broadway, des coûts qui s’envolent sous la pression de la montée des cachets et du nombre

de représentations qui diminue. Baumol et Bowen sont chargés d’établir un diagnostic de

cette situation préoccupante qui conduit à la fermeture de plusieurs théâtres. Les

économistes aboutissent en 1966 à un modèle économique constitué de deux types de

secteurs de croissance : le premier est défini comme un modèle « archaïque », caractérisé

par l’impossibilité de générer des gains de productivité, tandis que le second est

« progressif », et se caractérise par des gains de productivité résultant de l’innovation, des

économies d’échelle et de l’accumulation de capital.

Dans leur étude, Baumol et Bowen (dans Benhamou, 2011, p.32) expliquent que les

difficultés rencontrées par le spectacle vivant viennent du fait de son appartenance à un

secteur économique archaïque. Le travail artistique est constitutif du produit fini et ne peut

être remplacé sans que le produit fini ne soit dénaturé. On ne peut se passer de l’un des

membres d’un quatuor vocal et le remplacer par un enregistrement. Or, Baumol et Bowen

expliquent que les salaires s’alignent à ceux du secteur progressif, associé à d’importants

gains de productivité. S’ensuit une hausse des coûts relatifs au spectacle vivant, que seule la

hausse des prix des billets peut compenser, quitte à baisser la recette et la demande.

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Empiriquement, cette loi de fatalité des coûts est souvent vérifiée, comme le montre par

exemple l’étude de Towse, menée en 1997 (dans Benhamou, 2011, p.32). Et si non

seulement les prix des spectacles augmentent plus vite que l’inflation, ils ne suffisent pas pour

autant à couvrir l’accroissement des coûts.

Baumol et Bowen aboutissent à la conclusion suivante : « S’il y a, comme nous pouvons le

supposer, des limites à l’apport de partenaires privés, des aides supplémentaires doivent

venir d’autres sources pour que le spectacle vivant continue de tenir son rôle dans la vie

culturelle du pays ». Rappelons ici que Baumol et Bowen étudient le système américain, très

libéralisé et très différent de la France, où l’État joue un rôle prépondérant en matière de

financement de la politique culturelle. Ce qu’il est important de souligner, c’est la vérification

empirique de cette loi, qui fait apparaître la nécessité d’un financement commun entre

acteurs privés et publics pour que le développement culturel puisse s’inscrire dans la durée.

TABLEAU 1 – Études empiriques vérifiant la loi de Baumol et Bowen (extraits),

BENHAMOU, 2011, p. 33.

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Ce tableau illustre bien le fait que dans de nombreuses études empiriques, le coût de

production des spectacles augmente plus rapidement que le niveau général des prix, avec

une variation plus ou moins importante en fonction des pays. Cet écart est plus fort au

Royaume-Uni qu’en France, du fait peut être de la différence entre une économie culturelle

particulièrement libérale et basée sur le Mécénat et une économie culturelle très

institutionnalisée et cadrée.

Comme toute étude, la loi de Baumol et de Bowen doit être nuancée. Rappelons que le

modèle repose sur trois hypothèses particulièrement fortes, qui sont :

1 – L’absence de gains de productivité

2 - Des coûts du travail assimilés aux seuls coûts salariaux, directement influencé par les

coûts du secteur dit progressif

3 – Une demande élastique, où toute hausse du prix se traduit par une baisse de la

fréquentation.

Throsby dans une étude de 1994 montre pourtant que les salaires moyens dans le secteur

du spectacle vivant ont eu tendance à s’élever moins vite que le reste de l’économie depuis

la seconde guerre mondiale. Peacock en 1994 réfute également l’argument de coûts salariaux

fixes et de l’absence de gains de productivité : le développement du synthétiseur a par

exemple permis de réduire les coûts de production. De même, des économies en terme

d’effectifs sont également possibles : à Aix-en-Provence, les responsables du festival de

musique ont diminué les coûts de production en choisissant des productions « naturellement

économes ». On peut par exemple citer le choix de l’Orlando de Haendel, dirigé par William

Christie en 1993. Cet opéra s’exécute sans chœur ni ballet, et n’a mobilisé que 5 chanteurs

sur scène, ce qui a permis de réduire les coûts de production à 0,6 million d’euros, ce qui

représente le quart du coût du dernier opéra monté par Christie.

En limitant la production d’œuvres d’auteurs vivants, les droits d’auteurs peuvent également

être limités et diminuer les coûts de production. Les créations contemporaines, dont le

matériel est plus onéreux et la technicité du personnel à engager plus forte, ont tendance à

coûter souvent plus cher.

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De même, les économies d’échelles sont possibles dans le spectacle vivant : l’accroissement

du nombre de représentations ne requiert pas plus de répétitions ni même de travail

administratif. Il faut juste disposer d’une demande suffisante pour s’assurer que le coût d’une

représentation supplémentaire ne soit pas supérieur aux recettes engendrées. Pas étonnant

donc que dans un rapport tout récent, la Cour des Comptes6 ait pointé du doigt le manque

de coopération dans le réseau des théâtres nationaux et le manque de tournées (2016, p.

488) : « Alors que les tournées devraient être au cœur de l’activité des théâtres nationaux,

dans une double logique de diffusion des œuvres hors du siège de leur création, d’une part,

et d’amortissement économique, d’autre part, elles sont très insuffisantes au regard de

l’excellence et du rayonnement des créations qui sont attendus de ces établissements ».

La loi de Baumol et de Bowen montre donc la difficile équation du spectacle vivant et de la

politique culturelle en général. Difficilement amortissable, l’intervention d’acteurs extérieurs

est nécessaire pour la survie d’une politique culturelle durable. En France, ce sont les

subventions publiques qui contribuent largement à la survie du spectacle vivant. Benhamou

(2011, p. 35) rappelle ainsi que les recettes propres des scènes n’excèdent que rarement

30% du budget des établissements publics et ce taux peut même tomber à 15% pour les

orchestres permanents.

L’intervention d’acteurs extérieurs semble donc aller de pair avec le développement d’une

politique culturelle. L’intervention ou non de l’État relève de conceptions philosophiques et

de choix politiques propres à chaque État. Nous avons cependant montré que l’État a

clairement un rôle à jouer dans la politique culturelle et que cette dernière peut être source

d’externalités positives importantes, essentielles pour créer et entretenir un patrimoine

national.

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Cependant, la loi de Baumol et de Bowen montre les limites de l’intervention de l’État, qui

ne peut à lui seul porter le poids d’un secteur culturel dont les coûts sont croissants et la

rentabilité limitée. À la hausse des coûts s’ajoute un champ culturel qui s’est

considérablement élargi et dont l’extension ne semble pas s’arrêter. La culture comprend

ainsi aujourd’hui à la fois des biens culturels dits singuliers (spectacle vivant, beaux-arts,

patrimoine), mais également des industries culturelles traditionnelles (livre, disque, cinéma,

jeu vidéo) et un espace médiatique élargi (presse, radio, télévision, web).

Quel doit être le rôle de l’État dans le financement de la politique culturelle en France ? Le

financement des agents économiques, par le biais du Mécénat, est-il compatible avec le

financement de la politique culturelle ? Telles sont les questions auxquelles nous tenterons

d’apporter une réponse dans la suite de cette première partie.

II – L’institutionnalisation de la culture, une spécificité française ?

Nous tâcherons de répondre dans un premier temps à l’évolution du rôle de l’État dans la

politique culturelle en France, avant d’analyser les perspectives d’avenir du financement du

secteur culturel, qui sera l’objet de la deuxième partie de cette étude. Nous nous

pencherons dans un premier temps sur la place croissante de l’État dans le financement des

politiques culturelles, de la fin du XIXème siècle à la fin du XXIème siècle. Ce rôle croissant de

l’État dans les politiques culturelles est nommé institutionnalisation du champ culturel, que

Bense Ferreira Alves et Poulard définissent comme « l’importance croissante des institutions

et acteurs publics dans un domaine et la structuration des politiques publiques afférentes »

(2007, p.5).

En France, dans les médias et plus généralement dans la presse, la notion

d’institutionnalisation culturelle est très souvent rattachée à celle de politique culturelle.

Cette dernière se définit comme l’ensemble des mesures mises en place au niveau de l’État

pour protéger la production culturelle de la libre-concurrence dérégulée qui s’exerce à

l’échelle du commerce mondial.

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La politique culturelle est un sujet d’actualité tout particulier, notamment au cœur des

discussions autour du traité transatlantique entamé en 2013 par l’Union Européenne, avec

les Etats-Unis. Dans le même temps, la démocratisation de l’accès à internet, le

développement des plateformes en « streaming » (technique de diffusion en flux direct) et la

numérisation de nombreux biens culturels ont conduit à un renforcement de la concurrence

et à une diminution drastique du prix de vente des biens culturels. Dans ce contexte, l’avenir

de la politique culturelle française, souvent qualifiée « d’exception », pose question.

La politique culturelle française a été façonnée par le modèle érigé par le Général de Gaulle,

avec la création d’un Ministère dédié aux Affaires Culturelles. Ce dernier, institué par le

décret n°59-212 du 3 Février 1959, affirme selon Poirier la volonté d’affirmer « la centralité

de l’État » dans le domaine culturel. Cette conception d’une politique culturelle qui s’inscrit

dans la tradition jacobine du service public conduit dans un premier temps à une

« confrontation plus ou moins féconde entre les configurations locales, avec les conceptions

et services de l’État » (2000, p.103).

Mais la politique étatique culturelle française, malgré ses difficultés initiales de mise en œuvre

sur l’ensemble du territoire, constitue également une force, notamment dans la négociation

d’accords à l’international. Regourd (2004, p.4) montre comment l’exception culturelle

française est apparue sur le devant de la scène internationale lors des négociations de

l’Uruguay Round, en 1986. La France parvient alors à récuser l’idée selon laquelle les biens et

œuvres porteuses d’une identité culturelle sont des biens ordinaires. Cette position politique

vis-à-vis des secteurs artistiques permet à la France et aux autres pays européens, de

maintenir une politique essentiellement interventionniste vis-à-vis de la culture.

Aussi, l’objet de cette partie est de s’interroger sur la naissance et l’évolution d’une politique

culturelle toute particulière. Si l’institution est aujourd’hui le modèle par excellence de

l’intervention de l’État dans le domaine culturel, il convient de montrer en quoi cette

politique a été le fruit d’un processus long et d’un contexte en perpétuelle évolution.

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A – La construction de l’objet culturel dans le champ de l’action publique.

Avant d’être l’objet d’une politique à part entière, il convient de montrer en quoi l’objet

culturel a, en premier lieu, été le moyen d’expression d’une opposition à l’État et aux

décisions prises par ses représentants. Nous prendrons appui dans cette partie

essentiellement historique, sur les ouvrages de Vincent Dubois et Philippe Poirrier.

Dans son ouvrage « La politique culturelle : Genèse d’une catégorie d’intervention

publique » (1999), Dubois retrace la naissance et l’évolution de la politique culturelle en

France, de la troisième république jusqu’à nos jours. Alors que la culture avait été sous la

monarchie l’expression d’un pouvoir du Roi pour renforcer la grandeur de l’État, la fin du

XIXème siècle constitue selon l’auteur, le « moment de structuration d’un espace social

consacré à la culture » (1999, p. 11), qui vise à récuser les logiques économiques et à

dénoncer tout ce qui peut apparaître comme le « fait du Prince mécène ou la tutelle d’une

bureaucratie impersonnelle ».

Plus surprenant, Dubois relève également que le tournant du siècle fait apparaître la création

artistique comme un « moyen de se constituer comme groupe en opposant une alternative

aux modalités traditionnelles de la représentation politique ». L’Art se construit donc en

antagonisme avec l’État et ses représentants. Il offre un moyen d’expression pour les artistes,

notamment sur les grands débats de la troisième république et les principes issus du régime

républicain. De ce conflit, Dubois souligne que la mise en place de la Troisième République

est une « longue période au cours de laquelle l’intervention publique pour la culture est

faiblement unifiée, peu institutionnalisée et, en définitive, peu importante » (1999, p.11).

Si un dispositif juridique et institutionnel de régulation du marché culturel se développe, avec

des mesures phares comme la propriété intellectuelle et artistique, ou encore la protection

du patrimoine, Dubois souligne que pour autant, les activités de production culturelle « se

déploient pour l’essentiel en dehors de toute aide publique » (1999, p. 12), et obéissent à

des logiques essentiellement privées.

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Dans les années 1880, le champ artistique s’affirme par sa « dénégation de l’économie »

(1999, p.24). Il y a une représentation, dans la sphère artistique, d’une certaine vision de

l’homme politique et du fonctionnaire comme étant l’antagoniste même de l’artiste.

L’homme politique, car il sert des intérêts électoralistes, étant soumis à la satisfaction de ses

électeurs, et demeurant prisonnier d’une recherche perpétuelle du compromis dans le cadre

de la poursuite de ses fonctions (= réélection) ; le fonctionnaire, de par sa soumission à un

système standardisé, routinier et impersonnel. L’opposition à ce système est érigée en

principe par tous ceux qui prétendent au statut d’artiste.

Poirrier (2000, p.17) souligne cependant l’existence d’une direction des Beaux Arts, mise en

place par les républicains en 1870. Mais cette dernière n’est que l’héritière directe de

l’institution monarchiste, la Surintendance générale des bâtiments du Roi, des Arts et

Manufactures, crée en 1664 et dirigée par Colbert.

La « républicanisation d’une administration fortement marquée par les pratiques

monarchistes » (2000, p. 17) n’est pas chose aisée pour les dirigeants républicains. Dubois

(dans Poirrier, 2000, p.17), montre ainsi comment l’affirmation d’un champ artistique

autonome et en totale opposition avec l’État rend la création d’un ministère autonome

impossible.

Deux tentatives non fructueuses sont néanmoins esquissées : en janvier 1870, un ministère

des Arts, Sciences et Lettres est mis sur pied dans le cadre du cabinet Ollivier. De même,

ressurgit un éphémère Ministère des Arts, confié à Antonin Proust, dans le « grand

ministère » de Léon Gambetta de novembre 1881. Mais cette structure unifiée disparaît dès

janvier 1882.

A partir de 1870, la plupart des domaines culturels et artistiques sont le plus souvent

intégrés à l’Instruction publique dans le cadre d’une direction des Beaux-Arts ou d’un

secrétariat d’État. Ce qui conduit à reléguer les questions artistiques au rang subalterne d’un

dossier annexe et à ne pas les considérer comme une politique à part entière (Dubois, dans

Poirrier, 2000, p.18).

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« Je considère que l’État-Artiste est sujet à de nombreuses défaillances et qu’il ne faut pas se reposer sur lui pour la prospérité de l’art dans ce pays de France » Comme le montre cette déclaration du député lyonnais Édouard Aynard, collectionneur

d’art et homme politique libéral, lors de la discussion budgétaire du 28 Novembre 1896, les

pratiques d’intervention publique dans le domaine des Beaux Arts au début de la IIIème

République sont essentiellement celles d’un État subsidiaire, garantissant le fonctionnement

d’un marché privé et se bornant à « faire pour l’art ce que l’individu ne peut pas faire »

comme le dit Édouard Aynard, c’est-à-dire pour l’essentiel protéger le patrimoine et les

monuments historiques (dans Dubois, 1999, p.64).

Pour Poirrier, les fondateurs de la troisième république suivent une ligne médiane, et

n’adoptent « ni le dirigisme des arts, ni l’abandon des artistes à leur sort, mais le soutien des

artistes de toutes tendances, sans privilégier une école ou un style » (2000, p.20). En 1875,

l’État crée ainsi un organisme administratif, le Conseil Supérieur des Beaux Arts.

« Inspirateur de l’action de l’État, laboratoire de sa politique et guide de sa gestion, le CSBA

est conçu comme un véritable parlement des élites artistiques » (2000, p.20). Mais à partir

des années 1880, son pouvoir décline et se dissout dans les nombreuses instances

consultatives qui se créent. Le CSBA est soumis, de plus, au contrôle budgétaire du

Parlement, qui exerce ce pouvoir à travers les lois de finance.

Des premières réalisations sont à noter au cours de cette période : l’État accepte de ne plus

jouer de rôle dans la sphère privée et commerciale de l’art, et se voue essentiellement aux

tâches artistiques de service public : enseignement artistique et protection du patrimoine.

L’État modifie ses relations avec les artistes : pour Poirrier, il se comporte de plus en plus

« comme un client parmi d’autres et de moins en moins comme un mécène ».

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Une doctrine étatique prônant le pluralisme se développe peu à peu et se résume à la

citation du député radical Maurice Couyba : « la meilleure norme en matière de politique

artistique nous paraît donc être un éclectisme prudent, réfléchi, se gardant d’encourager

outre mesure les tendances les plus extrêmes, mais n’en rejetant aucune qui n’aboutisse à

des œuvres belles et ne refusant de reconnaître aucun talent réel […] ainsi notre art sera

vraiment national » (dans Poirrier, p.21). Cette doctrine est reprise par Boncour en 1912,

dans son ouvrage « Arts et Démocratie » : « le rôle des pouvoirs publics n’est pas d’imposer

une forme d’art, mais seulement de chercher les moyens administratifs d’exprimer le plus

exactement possible celles qui existent ».

Les travaux de Genet-Delacroix, dans un ouvrage de 1992, montrent que « loin de léser les

intérêts individuels et d’entraver l’initiative privée, l’État a au contraire libéralisé les pratiques

culturelles, et stimulé par sa législation et son action en faveur de l’art national la croissance

et la diversification de l’art, faisant de Paris la capitale mondiale de l’art et des artistes » (dans

Poirrier, 2000, p.21).

Pour autant, l’État n’a pas le monopole de l’intervention publique dans les domaines culturels

et artistiques. Poirrier note la présence d’une intervention municipale, relativement

autonome, qui s’individualise. « Depuis le début du siècle, les municipalités gèrent et

financent les musées, les bibliothèques, mais également les conservatoires. […] De ce fort

développement, les liens avec les collectivités locales sont très souvent étroits » (2000,

p.27). Les municipalités octroient également des subventions aux théâtres et au mouvement

associatif en pleine structuration. L’aide à la création n’est pas oubliée et passe notamment

par les nombreuses commandes publiques.

Dubois note que « si les organisations culturelles d’origine privée se structurent peu à peu

en un espace de coopération et de concurrence – tout particulièrement après la Libération –

le traitement public des questions culturelles demeure, jusqu’au début des années 1960,

fluctuant et éclaté. La faiblesse des moyens budgétaires et en personnel alloués aux

institutions publiques qui gèrent les questions d’art et de culture, observables à la fin du

XIXème siècle, le demeurent encore au milieu du XXème » (1999, p. 134).

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L’arrivée au pouvoir du Front Populaire marque une « belle embellie » selon Poirrier (2004,

p.30). Au delà de l’influence de quelques hommes politiques, l’auteur retient 3 idées fortes

qui ont marqué l’avènement de la politique culturelle. C’est tout d’abord la croyance en

l’intervention financière, administrative et politique de l’État en matière culturelle, qui

devient légitime aux yeux de la société. Mais c’est également l’avènement de la volonté de

« populariser » l’accès à la culture, les prémices de la politique de « démocratisation » chère

à André Malraux. C’est enfin une attention plus importante portée à la jeunesse, dans le

cadre d’une politique d’éducation nationale qui prend la place de l’instruction publique.

Pour Dubois, il s’agit plutôt d’une succession de « projets inaboutis et d’administrations

éphémères » (1999, p. 134), basés sur les volontés de quelques individus marquants, qui ne

constitue pas, selon l’auteur, ce qu’on pourrait appeler une institutionnalisation progressive.

L’État Français (1940-1944) ne renie pas les principes portés par le Front Populaire en

matière d’interventionnisme culturel. Si le triptyque « Travail, Famille, Patrie » trouve une

déclinaison culturelle, les Beaux Arts connaissent une relative stabilité sous la direction de

Louis Hautecoeur (de juillet 1940 à avril 1944) et Georges Hilaire (avril 1944 à août 1944).

L’administration des Beaux Arts hérite des structures mises en place par le Front Populaire.

Si une partie des équipes issues du Front Populaire sont remplacées, certains responsables

parviennent à traverser la période et certaines réformes entamées sous le Front Populaire,

comme celles menées à la Comédie Française, peuvent parvenir à leur terme. En revanche, la

plupart des institutions culturelles, de la Comédie Française au Conservatoire de Paris,

appliqueront les lois raciales de Vichy et se plieront aux exigences allemandes.

Peu de temps après la Libération, un éphémère ministère de la Jeunesse, des Arts et des

Lettres apparaît, dans le gouvernement Ramadier (22 janvier au 28 octobre 1947). Mais on y

retrouve, selon Dubois, les caractéristiques du « strapontin » ministériel de la période

antérieure (1999, p.135). Cette initiative, confiée au journaliste Pierre Bourdan, constitue

cependant le plus important regroupement institutionnel de services avant le ministère crée

en 1959.

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Pour Dubois, « l’isolement de cette expérience contraste avec le caractère récurrent de

projets de réformes qui, tant du côté gouvernemental que parlementaire, et même à

l’extérieur des institutions politiques, tendent à opérer un regroupement qui donnerait

symboliquement forme à une politique et permettrait un traitement administratif unifié et

spécifié de dossiers répartis dans divers départements » (1999, p.136).

Les Beaux Arts connaissent pourtant une refonte profonde après la Libération. Ils sont

promus au rang de « Direction Générale des Arts et des Lettres » par l’ordonnance du 20

novembre 1944. Cela marque un regroupement de services : la Direction Générale

comprend cinq directions (Arts plastiques, Musées de France, Bibliothèques et lecture

publique, Archives de France, Spectacle et Musique), et un service de Lettre. Cette réforme

restera inchangée jusqu’à la création d’un Ministère en 1959 et annonce l’émergence d’une

réelle politique étatique de la culture en France.

À la veille de l’avènement de la Cinquième République, la Culture et les Arts ne constituent

pas encore un objet de l’action publique en tant que tel. Si l’État a mis en place un certain

nombre d’institutions, qui ont considérablement évolué entre 1870 et 1950, ces institutions

demeurent extrêmement fragiles, et respectent des prérogatives encore très générales, avec

à leur disposition un budget peu conséquent.

Pour autant, au-cours de cette même période, il est intéressant de mesurer à quel point

l’objet culturel a considérablement mûri. D’abord perçu comme un moyen d’expression

contestataire à l’égard de la politique et de ceux qui l’incarnent, les Arts se convertissent peu

à peu en un enjeu politique clé, moteur de l’idée de « démocratisation » chère aux principes

républicains.

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B – La standardisation de l’institution culturelle.

La naissance d’un Ministère aux Affaires Culturelles, par l’ordonnance du 3 Février 1959 va

marquer la naissance d’une politique étatique de la culture en France, comme le souligne

Dubois dans son ouvrage (1999, p. 148) : « Dotée d’un ministère spécifique, elle [la politique

étatique de la culture] est donnée à voir dans des institutions, des positions et des rôles

politiques et administratifs, […] des discours et des textes ».

Vincent Dubois affirme qu’à partir de cette période, les différents instruments nécessaires à

l’objectivation d’une politique sont réunis.

André Malraux, premier détenteur du titre de Ministre aux Affaires Culturelles, est même

honoré d’un titre de Ministre « d’État » aux Affaires Culturelles, qui témoigne de

l’importance accordée à ce domaine dans la politique du Général de Gaulle. Cette distinction

disparaîtra avec l’avènement du premier gouvernement de Pierre Messmer, en 1972.

Le 24 Juillet 1959 est publié le Décret n°59-889 portant sur la mission et l’organisation du

Ministère aux Affaires Culturelles. Il dispose dans son article premier : « Le ministère chargé

des Affaires Culturelles a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de

l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de français ; d’assurer la

plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres d’art

et de l’esprit qui l’enrichisse ».

La définition de ce ministère est bien définie : pas question pour le Ministère aux Affaires

Culturelles d’empiéter sur les prérogatives du Ministère des Affaires Étrangères en ce qui

concerne la diffusion du patrimoine culturel français à l’international.

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De même, les bibliothèques et la lecture publique restent sous l’égide du Ministère de

l’Éducation nationale jusqu’en 1975, la radio-télévision reste attachée au Ministère de

l’Information. Difficile dès lors, pour André Holleaux, directeur de cabinet du ministre André

Malraux de 1962 à 1965, de « […] faire quelque chose de cet ensemble très disparate et si

maigre […] obtenu de l’Éducation nationale » (cit. dans Dubois, 1999, p.165).

L’expression de la politique culturelle s’exprime en premier lieu par une volonté de

« démocratisation », chère à André Malraux. L’intervention de l’État en matière culturelle se

fait alors grâce à une politique de planification. Pierre Massé, commissaire général du IVème

plan, souhaite « répartir les fruits de la croissance » (dans Dubois, 1999, p. 191) et c’est dans

cette perspective que la culture est envisagée comme objet de planification. La planification

permet de prévoir le développement des affaires culturelles sur le long terme.

Aussi, « les commissions et groupes de travail de l’équipement culturel et du patrimoine

artistique forment l’espace des agents autorisés à produire la politique culturelle qui, en

cette première moitié des années soixante, n’est pas encore socialement et

institutionnellement établie » (Dubois, 1999, p.193-194).

Cette politique de planification se poursuit dans les années 1970. La crise de mai 1968 va

cependant avoir des conséquences sur la politique culturelle. L’École des Beaux Arts est

occupée et ses méthodes pédagogiques fortement remises en cause.

Poirrier (2000, p. 114) montre que les années 1968 conduisent à une double critique : la

critique émanant de la gauche pointe le mythe de la démocratisation culturelle tandis que les

partisans de l’ordre dénoncent le soutien public à des artistes soupçonnés de subversion.

L’après Mai 1968 ouvre une nouvelle page dans les politiques culturelles. En 1969, André

Malraux accompagne le Général de Gaulle dans son retrait de la vie politique.

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Alors que le Général de Gaulle avait laissé à André Malraux une très large liberté d’action,

Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing vont davantage peser sur les orientations de

la politique culturelle. Collectionneur et amateur d’art contemporain, Georges Pompidou

marque de son empreinte la manière d’aborder la gestion des affaires culturelles. Dans un

entretien au Monde, en Octobre 1972, il affirme que « l’Art n’est pas une catégorie

administrative » (dans Poirrier, 2000, p.119). Le Président de la République doit, selon

Pompidou, tenir un rôle dans le domaine culturel et fixer les projets essentiels. Il développe

la figure de « l’État, ami des arts ». Sa politique culturelle, résolument ouverte à l’art

contemporain, permet notamment l’ouverture du Centre Beaubourg, portant aujourd’hui

son nom.

Valérie Giscard d’Estaing va marquer un relatif détachement vis-à-vis de la politique

culturelle. En mars 1974, le Ministère aux Affaires Culturelles devient le Ministère des

Affaires Culturelles et de l’Environnement, avant de devenir un simple secrétariat d’État à la

Culture en juin 1974. En février 1977, l’appellation Ministère de la Culture et de

l’Environnement s’impose de nouveau. Les fluctuations giscardiennes sur la politique

culturelle témoignent du détachement de l’homme à l’égard de ces problématiques.

Pour autant, Giscard d’Estaing garde les prérogatives acquises et pousse au développement

de projets comme le Musée d’Orsay, la Cité des Sciences de la Villette ou encore l’Institut

du Monde Arabe, qui sont d’autant de projets portés par le septennat de Giscard d’Estaing.

La concrétisation du Musée d’Orsay témoigne aussi de l’engagement présidentiel pour sa

réalisation, même si le musée ne sera inauguré qu’en 1986, par François Mitterrand.

Au cours des années 1970, le Ministère des Affaires Culturelles renforce son champ d’action

: l’affirmation de la transversalité se fait avec la politique du Ministre Jacques Duhamel (1971-

1973), qui crée le Fonds d’Intervention Culturelle, chargé de financer les actions innovantes.

Parallèlement, des politiques sectorielles sont menées. De juin 1974 à août 1976, la politique

du Ministre Michel Guy aboutit à un véritable « printemps culturel » selon Poirrier (2000, p.

144). Malgré la faible proportion du budget de l’État, le volontarisme du ministre est plus

particulièrement sensible en matière de patrimoine et de spectacle vivant. C’est aussi

l’effacement de la politique de la censure cinématographique.

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Mais la grande nouveauté concerne la reconnaissance des politiques culturelles à l’échelon

local. Le parti socialiste notamment reste attaché à l’idéologie associative et aux vertus de la

démocratie locale. Les élections municipales de 1977 marquent, selon Pierre Poirrier,

« l’irruption des politiques culturelles sur l’agenda politique » (2000, p.149). On parle alors

de « municipalisation la culture » : l’institutionnalisation des politiques culturelles se

généralise et de nombreuses délégations liées à ces politiques voient le jour : 41% des

sections existantes en 1987 ont été inauguré suite aux élections de 1977, alors que dans les

villes de plus de 150 000 habitants, 57% des délégations existantes en 1986 avaient été

créées avant 1965.

La reconnaissance de politiques municipales de la culture se concrétise par la signature de

« chartes culturelles » à partir de 1975, esquissées sur le travail du Ministère Duhamel. Ces

chartes traduisent une inflexion majeure dans les relations entre l’État et les collectivités

territoriales et consiste à mobiliser les élus dans un travail de concertation.

Le gouvernement cherche donc à affirmer « une nouvelle approche de la politique

culturelle » pour reprendre les termes du ministre Michel Guy, qui se caractérise par une

approche globale et une programmation budgétaire pluriannuelle. Cette nouvelle approche

de la politique culturelle s’appuiera sur le rôle clé des Comités Régionaux des Affaires

Culturelles (CRAC), institués dès 1963, et qui constituent les relais sur le terrain de l’action

administrative.

En 1977, les CRAC deviennent des DRAC : Direction Régionale des Affaires Culturelles.

L’État tutélaire, si caractéristique de la période Malraux, s’estompe pour laisser peu à peu la

place, non sans résistance, à un État partenaire.

Cette conception de l’État partenaire est nourrie de l’ambition de Jack Lang à la tête du

Ministère de la Culture en 1981, qui marque une nouvelle ère dans la politique culturelle

française. Le ministre souhaite traduire dans les domaines culturels la volonté politique de

« peser sur le devenir de la société », selon les termes de Poirrier (2000).

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C’est la naissance du « tout culturel » mis en avant par le décret du 10 mai 1982 qui élargit

considérablement les missions du Ministère de la Culture : « Le ministère de la Culture a

pour mission de permettre à tous les Français de cultiver leur capacité d’inventer et de

créer, d’examiner librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur

choix ; de préserver le patrimoine culturel national, régional ou des divers groupes sociaux

pour le profit commun de la collectivité toute entière ; de favoriser la création des œuvres

d’art et de l’esprit et de leur donner la plus vaste audience ; de contribuer au rayonnement

de la culture et de l’art français dans le libre dialogue des cultures du monde ». Le principe

de démocratisation s’efface au profit du libre épanouissement individuel par la création dans

le respect des cultures régionales et internationales, voire même sociales. Cela permet la

reconnaissance de pratiques jugées autrefois comme mineures, à l’instar du jazz, du rock, de

la bande dessinée ou de la mode.

A cette révolution politique, le ministère de la Culture ajoute une inflexion économique

majeure : la création culturelle est désormais considérée comme un facteur de

développement économique et l’impératif culturel doit pouvoir répondre à la crise

économique des années 1970 (crises pétrolières).

La culture devient un véritable champ d’aide à l’activité économique. Les aides directes se

font plus nombreuses. L’État initie des montages financiers complexes pour favoriser la

création comme la mise en place de sociétés de financement du cinéma et de l’audiovisuel

(SOFICA), à partir de 1985. C’est également la mise en œuvre de la loi du 10 août 1981

portant sur le prix unique du livre, afin de préserver un réseau de librairies sur l’ensemble du

territoire.

Une professionnalisation des positions croissantes en matière de politique culturelle a été

engendrée dès le début des années 1970 et se poursuit dans les années 1980. Dubois analyse

cette professionnalisation comme le fruit du « changement d’échelle budgétaire […] le

développement des subventions, achats et commandes » qui a permis l’essor d’emplois

culturels dans le secteur privé et favorisé la promotion de la discipline artistique (1999, p.

244).

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De même, les services du ministère de la culture se sont considérablement développés, ainsi

que l’ensemble des institutions culturelles publiques et les fonctions culturelles des

collectivités locales. Enfin l’essor des budgets culturels publics a permis la création

d’institutions nouvelles et donc de postes en grand nombre. Surtout qu’à l’argumentation

budgétaire s’ajoute la volonté politique de voir émerger une véritable professionnalisation en

matière de politique culturelle. Dubois montre que la politique culturelle gouvernementale

souhaite voir la « réconciliation de l’économie et de la culture » comme figurer parmi ses

principales réalisations (1999, p. 245).

La politique menée par Jacques Lang aboutit également à une convergence des collectivités

locales qui consacrent le rôle d’État partenaire. C’est la rencontre du volontarisme de l’État

et de celui des collectivités territoriales, qui se dotent de véritables politiques culturelles. Les

DRAC sont renforcées dans leur rôle, avec un budget plus conséquent. Elles deviennent un

interlocuteur privilégié pour les collectivités locales, notamment les régions.

C’est également la naissance de politiques culturelles régionales aux financements croisés qui

complexifient la politique culturelle. Les contrats de plans État-régions et les Conventions de

développement culturel sont les outils de ce dialogue. Ces outils aboutissent à 1200

conventions engendrées entre 1982 et 1991, selon Poirrier (2000, p. 171).

L’implication du Président Mitterrand dans la politique culturelle est très forte. De ce fait,

Jack Lang ne peut guère prendre de décisions sans l’aval de l’Élysée. François Mitterrand

s’intéresse tout particulièrement à la politique de Grands Travaux qu’il initie, au budget de la

Culture, aux musées, aux commandes publiques et aux institutions prestigieuses.

À la fin des années 1980, la France connaît donc un réseau très institutionnalisé et très dense

d’institutions culturelles. L’institution culturelle est devenue la norme en matière de politique

culturelle et l’État, bien que laissant opérer une certaine décentralisation, reste toujours

présent en tant que partenaire privilégié. On assiste entre ces deux périodes clés de la

politique culturelle que constituent la mise en place du Ministère aux Affaires Culturelles

d’André Malraux en 1959 et le Ministère de la Culture de Jack Lang en 1981, à une véritable

standardisation de l’institution culturelle.

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Ce terme de « standardisation de l’institution culturelle » peut être associé au terme, plus

fréquent, d’« institutionnalisation » de la vie culturelle. Rappelons que Bense Ferreira Alves

et Poulard définissent l’institutionnalisation comme « l’importance croissante des institutions

et acteurs publics dans un domaine et la structuration des politiques publiques afférentes »

(2007, p.5). La standardisation peut donc se définir comme le recours à l’institution, aux

politiques étatiques, pour mettre en œuvre une politique, ici dans le domaine culturel.

Dans un ouvrage consacré aux travaux du sociologue Howard Becker, Perrenoud opère

cette distinction très forte, qu’il appelle même de « réalité opposée », entre « le contexte

états-uniens des années 1950, entièrement déterminé par la loi du marché et la France des

années 2000, marquée par une forte tradition de soutien à la création et par la montée en

légitimité d’un pôle intellectualisée des musiques actuelles » (2013, p. 97).

Il poursuit en montrant la configuration particulière de la France, à la fois politique,

économique et culturelle, qui permet aux artistes « d’espérer obtenir une

reconnaissance […] par la voie anti-commerciale, l’autonomie de la création constituant le

socle d’une construction de la grandeur artistique légitime » (2013, p. 97).

Pour Perrenoud, l’obtention de ce succès n’est envisageable qu’à la condition de pouvoir

mobiliser des compétences et des dispositions à même d’inscrire sans équivoque la

production musicale dans l’espace de la légitimité culturelle (déposer des dossiers de

subvention pour des projets de création, collaborer avec des artistes d’autres disciplines du

spectacle, nouer des réseaux et des relations).

Les sources de la standardisation de la politique culturelle sont de trois ordres, selon Bense

Ferreira Alves et Poulard (2003, p. 11-12). Le premier ordre concerne le développement

d’un État de plus interventionniste en matière culturelle, règlementant notamment un grand

nombre de professions et de régimes d’emplois, avec la mise en place d’un système dédié au

chômage et aux intermittents du spectacle. Cet interventionnisme se manifeste également

par la multiplication des formations et des diplômes culturels dans un vaste mouvement de

professionnalisation.

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Ces pratiques conduisent à ce que les auteurs définissent comme « l’inculcation et la

diffusion de manières communes de penser et de faire » (p. 11). L’État participe à la

« diffusion d’un esprit gestionnaire et d’une certaine uniformisation du travail des directeurs

de services ou d’établissements culturels, comme cela a été attesté un peu plus précocement

aux Etats-Unis (Peterson, 1986) » (p.11).

Le second ordre de standardisation concerne les circuits de financement et de légitimation,

largement déterminés par les pouvoirs publics. Pour les deux auteurs, « le souhait et la

nécessité de se conformer aux critères administratifs qui définissent l’attribution des

subventions transforment […] les cadres de l’activité et orientent le travail des agents, tout

particulièrement celui des responsables d’établissement » (p.11)

Enfin, Bense Ferreira Alves et Poulard soulignent l’extension d’un modèle d’organisation par

projet. L’objet artistique est progressivement vu sur le court terme, pour une finalité limitée.

L’institution culturelle devient de ce fait l’acteur privilégié, puisque c’est elle qui accompagne

la production du produit culturel unique, en s’appuyant sur le régime interventionniste de la

politique étatique, octroyant les financements et le soutien aux emplois instables.

Ces trois indices coïncident avec les prérogatives croissantes prises par l’État, qui reste au

centre de la politique culturelle en France. Face à l’ambition et aux prérogatives importantes

de l’État se pose la question des moyens mis à la disposition de cette politique culturelle.

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FIGURE 1 – Ministère des affaires culturelles, organisation centrale, 1969 (tiré de Poujol, 1993, p. 95). FIGURE 2 – Ministère de la Culture, organisation centrale, 2016 (réalisé à partir du Site Internet du Ministère de la Culture, Février 2016).

L’évolution de l’organigramme du Ministère de la Culture nous montre la forte expansion du

champ culturel, avec notamment la mise en place d’une direction associée aux médias et à

l’industrie. Une nouvelle orientation qui traduit les nouvelles problématiques liées au champ

culturel, comme la nécessité de trouver de larges débouchés. La langue française et les

langues régionales disposent d’une place renouvelée, tandis qu’on note disparition de la

direction générale des arts et des musées.

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La direction générale des spectacles, de la musique et des lettres a connu une évolution vers

le terme plus neutre de direction de la création artistique. Dans le même temps, on note

que les Archives de France, l’Architecture ont disparu pour laisser la place à une plus vague

direction des patrimoines. Enfin, on assiste à la disparition de la direction de l’action

culturelle. Ce qui apparaît, en comparant ces deux organigrammes, c’est à la fois l’expansion

du champ culturel et dans le même temps des directions beaucoup moins spécialisées et

beaucoup plus larges dans leurs domaines d’actions. Une réorganisation des champs de

compétences qui interroge sur l’évolution des moyens d’action, notamment en termes

budgétaires.

C – Le financement de l’institution culturelle. La mise en place d’une institution culturelle pérenne pose la question des moyens à la

disposition de cette nouvelle entité. En effet, en attribuant des fonctions propres à un

Ministère autonome de la Culture, il faut se pencher sur les moyens attribués à une telle

institution afin de remplir ses attributions.

À la veille de la naissance d’un Ministère de la Culture, la « Direction des Arts et des

Lettres » disposait d’un budget de 2,6 milliards de francs en 1950 contre 4 milliards de francs

en 1954, représentant respectivement 0,17% et 0,10% du budget de l’État (Poirrier, 2000, p.

56). Si on a une hausse quantitative du budget dédié aux Arts et aux Lettres colossale de

plus de 50%, on voit pourtant que cette hausse est à relativiser avec l’augmentation plus

conséquente du budget de l’État pour ces deux dates.

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L’instauration d’un Ministère de la Culture va considérablement changer la proportion du

budget dédié à la Culture dans le budget de l’État, comme le montrent les graphiques du

rapport du Ministère de la Culture et de la Communication dédié au Budget de l’État et à

l’évolution du budget du Ministère de la Culture entre 1960 et 2010. La progression du

budget du Ministère de la Culture est considérable, puisque ce rapport estime que les

crédits alloués doublent tous les dix ans, en termes réels, jusqu’en 1990.

En euros constants, les moyens du Ministère ont ainsi augmenté, jusqu’en 2009, « de 775%

depuis 1959, de 400% depuis 1970, de 177% depuis 1980, et de 28% depuis 1990 » (Rapport

du Ministère de la Culture et de la Communication, p. 391).

FIGURE 3 – Rapport du Ministère de la Culture et de la Communication, Évolution du Budget de la Culture, en millions d’euros constants, 1961-2009 (p. 391).

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TABLEAU 2 – Budget voté du Ministère de la Culture, en millions d’euros courants et constants, base 1980, source Ministère de la Culture, calculs à partir de l’indice des prix INSEE, dans Benhamou, L’économie de la Culture, 2011 (p. 99). FIGURE 4 – Rapport du Ministère de la Culture et de la Communication, Taux de Croissance du budget du Ministère de la Culture, en %, 1960-2005 (p. 391).

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FIGURE 5 – Rapport du Ministère de la Culture et de la Communication, Comparaison des taux de croissance des dépenses de l’État et du budget du Ministère de la Culture, 1993-2007 (p. 391).

Ce que montrent ces trois graphiques, réalisés par le Ministère de la Culture et l’INSEE,

c’est que le budget du Ministère de la Culture connaît une évolution irrégulière mais

néanmoins considérable, entre sa création en 1959 et 2009. La figure 4 montre notamment

comment la croissance du budget de la Culture a été marquée par l’arrivée de Jack Lang à la

tête du Ministère de la Culture, en 1982. Rappelons qu’un engagement de la campagne de

François Mitterrand, souligné dès l’instauration du Ministère par André Malraux, était

d’atteindre un objectif de budget alloué à la Culture correspondant à 1% du budget de l’État.

Avec l’augmentation significative de 1982, le budget du Ministère de la Culture voie sa

proportion passer de 0,47% à 0,72% dans le budget global de l’État selon le rapport du

Ministère de la Culture et de la Communication.

Cependant, les 1% du budget de la Culture total de l’État ne sont pas encore atteint ; ils ne

l’ont été qu’à deux reprises en 1993 (avec le rattachement de la Délégation générale à la

langue française) et en 1996 (rattachement de la Direction de l’Architecture).

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La figure 4 montre que les évolutions les plus importantes du Ministère de la Culture : en

1960, avec l’instauration du Ministère d’État d’André Malraux, la croissance est significative

(plus de 20%). Cette croissance reste régulière, même si la proportion est moins importante,

dans les années 1960. L’arrivée de Giscard d’Estaing en 1970 entraîne la première chute du

budget alloué à la Culture, une décroissance qui aura de nouveau lieu au-milieu des années

1985, et plus régulièrement entre les années 1995 et 2005.

La figure 5 montre la spécificité de l’évolution du budget de la culture par rapport à

l’évolution du budget de l’État. Alors que le taux de croissance du budget de l’État est très

régulier et compris entre 0 et 5% sans exception entre 1993 et 2007, on remarque de fortes

disparités dans la croissance du budget de la culture, qui oscille entre + 15% (1996) et – 5%

(2003). Pour autant, le budget de la culture connaît une hausse quasi-constante de son

budget et sur le long terme une hausse assez conséquente, comme le montre la figure 3.

Cependant, il est à noter que le budget du Ministère de la Culture ne représente pas le seul

budget alloué à la Culture. En effet, de nombreux ministères disposent également d’une

enveloppe destinée au « domaine culturel », comme le montre le TABLEAU 3.

TABLEAU 3 – Rapport du Ministère de la Culture et de la Communication, Effort financier de l’État dans le domaine culturel, 1999-2008 (p. 395).

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L’évolution des dépenses culturelles au sein des différents ministères est intéressante : elle

montre la hausse de ces dépenses dans certains ministères (Culture, Éducation nationale,

Enseignement supérieur et recherche, Premier ministre, défense), tandis qu’elle diminue

drastiquement dans certains ministères (Affaires étrangères, Économie et Finances Publiques,

Jeunesse et Sport), pour disparaître quasiment dans certains Ministères (Justice, Outre-Mer).

En fait, ces dépenses culturelles sont très concentrées : 49% pour l’Éducation nationale en

2009, 22% pour le Ministère des Affaires Étrangères, 11,5% pour le Ministère de la

Recherche et de l’Enseignement supérieur alors que les six autres ministères se partagent

une enveloppe de la dépense culturelle comprise entre 0,1 % (Justice) et 6% (Premier

ministre).

Cette domination des trois ministères est même en progression depuis 1993, puisque

l’enveloppe de dépense culturelle représentait alors 42% (Ministère de l’Éducation

Nationale), 18% (Ministère des Affaires Étrangères) et 11% (Ministère de la Recherche et de

l’Enseignement Supérieur).

Le rapport note également la différence entre les différents crédits alloués par le Parlement

au Ministère de la Culture et les crédits consommés. Alors que les crédits de

fonctionnement et d’intervention sont régulièrement consommés à 99%, les crédits

d’investissement ont des taux de consommation qui sont passé de 79% en 1998 à 57% en

2001. Fin 2001, c’est donc une réserve de 420 millions d’euros de crédits non consommés

dont disposait le Ministère. Ce phénomène tend cependant à se résorber avec le temps,

puisque la réserve n’était plus de 6,7 millions d’euros pour 2007 et de 422 547 € pour 2008.

Cependant, ce phénomène de distorsion entre le budget alloué et les crédits consommés

perturbe l’analyse du budget du Ministère et fausse l’évaluation même de ces besoins.

Améliorer la présentation des crédits met un terme à des évaluations faussées et permet

d’adopter un budget correspondant aux véritables besoins de l’institution culturelle.

Après avoir vu les points relatifs à l’enveloppe globale allouée à la Culture, reste à savoir

l’utilisation faite de ces crédits, avec l’exemple de l’année 2009, présenté dans le TABLEAU

3.

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TABLEAU 4 – Rapport du Ministère de la Culture et de la Communication, Dépenses culturelles des différents ministères par secteur d’intervention, 2009 (p. 395).

La répartition des crédits alloués aux dépenses culturelles se partage entre cinq branches : le

Patrimoine, la Création, la Transmission des Savoirs, le Livre et cinéma et les Médias. En

2009, on remarque que pour le Ministère de la Culture, les crédits sont essentiellement

versés dans la transmission des savoirs (26,65%) et le patrimoine (24,29%). Les deux

branches représentent plus de 50% du budget alloué au Ministère de la Culture. Le budget

alloué aux Médias représente une part moins importante en volume mais non neutre

(20,98%), tout comme la création (20,37%). Enfin, arrive le livre et le cinéma bénéficie d’une

part beaucoup moins forte (7,97%) du budget alloué au Ministère de la Culture.

Dans les autres ministères, les dépenses culturelles sont essentiellement basées sur la

transmission des savoirs et la sauvegarde du patrimoine dans certains ministères ayant la

gestion de monuments historiques (universités, bâtiments militaires).

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À noter l’enveloppe particulièrement importante attribuée à l’éducation nationale pour la

transmission des savoirs (supérieure de 208% à l’enveloppe attribuée au Ministère de la

Culture). Cette donnée empirique rappelle étrangement cette phrase d’André Malraux

prononcée lors de son discours au Sénat le 8 décembre 1959 : « La connaissance [de la

Culture] est à l'Université ; l'amour, peut-être, est à nous ». L’idée selon laquelle la

transmission des savoirs appartient à l’enseignement tandis que celui de l’esthétisme, celui de

donner le goût d’aimer ces œuvres, appartient à la Culture.

Le Ministère des Affaires Étrangères dispose également d’une enveloppe importante quant à

la transmission des savoirs. Autre donnée à souligner, l’enveloppe importante allouée aux

livres et au cinéma pour le Ministère de l’Enseignement Supérieur (supérieure de 122% à la

même enveloppe attribuée au Ministère de la Culture), assez logique du fait de l’intense

activité de publication et de recherche mené au sein de ce département. Certains ministères

disposent également d’enveloppes assez importantes dans la catégorie Médias, c’est le cas

notamment des services du Premier ministre et du Ministère de l’Économie.

On le voit donc, l’institutionnalisation de la culture est une longue construction historique

qui aboutit à une véritable politique d’intervention économique de la part de l’État dans le

champ culturel. On note dans le même temps que la croissance continue du budget du

Ministère de la Culture se fait en parallèle à une diminution du budget alloué aux directions

culturelles des différents ministères. Pour autant, le financement public n’a pas le monopole

du financement culturel, c’est pourquoi nous nous pencherons au cours d’une troisième

sous-partie sur une autre source de financement : le Mécénat.

III – Naissance et évolution du Mécénat. Alors que l’institutionnalisation d’une politique de la culture à compter du XIXème siècle

semblait avoir fait disparaître la figure de l’État Mécène, force est de constater que le

Mécénat connaît pourtant une évolution considérable au-cours des dernières années. Jusqu’à

devenir l’une des sources de financement des politiques culturelles.

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Pratique ancestrale, le Mécénat est aujourd’hui souvent confondu avec d’autres formes de

financement, telles que le parrainage, le sponsoring, la publicité ou encore le placement de

produits. Si des frontières théoriques ont pourtant été définies, l’utilisation du terme de

Mécénat reste confuse.

Cette absence de clarté peut s’expliquer par l’évolution historique de la pratique. Le nom de

Mécénat est issu d’un homme, Caïus Mæcenas, conseiller de l’empereur Auguste, qui

consacra sa richesse à la promotion et à la protection des Arts et des activités relevant du

talent. Le Mécénat est même né bien avant l’époque romaine puisque durant l’Antiquité

grecque, des « tyrans éclairés » comme Périclès favorisèrent l’art et son développement,

tant qu’il était au service de la grandeur du régime grec.

Ce qu’il est intéressant de constater, c’est que bien qu’il se définisse comme un financement

privé, le Mécénat a d’abord été un outil utilisé en premier lieu pour glorifier la puissance des

institutions, politiques comme religieuses. Dans son ouvrage, Debiesse montre comment le

Mécénat a d’abord été l’outil utilisé par les monarques et la grande bourgeoisie pour

promouvoir un « grand mécénat des puissants » (2007, p.19), au service de la promotion des

États et de leur grandeur. La pratique du Mécénat se révèle être l’outil des puissants pour

développer les arts de la Nation tout en étant au service de leur prestige personnel.

Puis les révolutions industrielles et politiques ont entraîné des évolutions majeures de

société, favorisant la naissance d’une classe ouvrière et d’une classe moyenne. La conception

du champ culturel évolue en parallèle : elle devient une prérogative des gouvernements et

des organismes publics, tandis que le Mécénat « dépérit avec la crise des aristocraties

vieillissantes » (Debiesse, 2007, p. 20). L’art trouve difficilement sa place dans une société

nouvellement industrialisée : l’objet d’art perd de sa valeur et devient un « simple objet

reproductible et commercial » (Debiesse, 2007, p. 20). Ce n’est qu’à la fin de la première

guerre mondiale que le public commence s’intéresser à la création artistique. Mais à

l’époque, l’État est encore peu interventionniste et ce sont de grands mécènes

collectionneurs qui réapparaissent et vont entraîner la création de musées publics en léguant

leurs collections à l’État.

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L’État intervient alors de plus en plus dans le champ culturel. Et avec lui, l’idéologie de

Boncour (1912)2, selon laquelle « le rôle des pouvoirs publics n’est pas d’imposer une forme

d’art, mais seulement de chercher les moyens administratifs d’exprimer le plus exactement

possible celles qui existent ». Il ne s’agit donc plus d’un État mécène, qui choisit quel projet il

souhaite soutenir et promeut les projets qui favoriseront l’émergence d’une politique

nationale mais bien de la naissance d’une politique culturelle qui, bien que timide, esquisse les

traits d’une culture nationale hétéroclite.

Cette situation se pérennise avec la mise en place d’un Ministère d’État à la Culture par le

Général de Gaulle en 1959 et l’institutionnalisation d’une politique culturelle. Le champ du

Mécénat reste donc relativement restreint : elle reste le fait de quelques riches propriétaires

et on pense alors que le financement de la culture passe nécessairement par l’État

providence. Les années 1970 vont pourtant apporter de réelles modifications au financement

des politiques culturelles, et ce pour deux raisons majeures.

La première, c’est la naissance du Mécénat d’Entreprise, qui suit les événements de Mai 68.

Les révoltes sociales déclenchent une évolution substantielle de société, qui évolue

considérablement. Pour Debiesse, c’est le retour sur le devant de la scène de l’initiative

individuelle et du bon plaisir, « ingrédients du Mécénat originel » (2007, p.22). L’entreprise

porte ces évolutions : jadis responsable de tous les maux de la société, la société porte en

elle un espoir nouveau et, notamment dans des domaines où on ne l’attend pas, tels que la

culture ou la solidarité. À cela s’ajoute l’amplification de la mondialisation, l’installation de

filiales étrangères sur le sol français, habituées de longue date à la pratique du mécénat

d’entreprise, et qui participent à son expansion.

Une deuxième raison qui entraîne le développement du mécénat dans les années 1970, c’est

la politique de décentralisation menée par l’État, qui montre les limites de l’État providence,

et plus spécifiquement en matière de politique culturelle. L’État cherche par ces initiatives de

décentralisation à trouver de nouvelles sources de financement, afin de ne pas assumer

l’ensemble des coûts de ces politiques coûteuses.

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Les collectivités territoriales voient leurs prérogatives s’étendre avec la création

expérimentale des Direction Régionales des Affaires Culturelles (DRAC) en 1969. Mais ce

désengagement de l’État ouvre la porte à de nouvelles sources de financement extérieures

comme le Mécénat, qui se développe.

Au cours des toutes dernières années, la crise de la dette et les politiques d’austérité ont

conduit les États à limiter drastiquement leurs dépenses publiques ; le champ culturel se

trouvant particulièrement menacé, il est intéressant de se demander quel sera l’avenir du

financement privé, et donc du Mécénat dans la politique culturelle des prochaines années.

Mais avant d’étudier les conséquences de la crise économique sur le mécénat et son

évolution, que nous aborderons ultérieurement dans cette étude, nous nous pencherons

dans cette sous-partie sur la définition du Mécénat. Dans un premier temps, nous

analyserons les outils juridiques qui fondent et règlementent le mécénat en France. Nous

tâcherons ensuite de comprendre l’existence économique du mécénat, et les raisons qui

conduisent des acteurs privés à cofinancer des initiatives culturelles et à investir dans la

création d’un bien public. Enfin, nous réaliserons dans un troisième temps une étude

comparative du mécénat entre plusieurs pays et nous comparerons cette pratique à

l’approche française.

A – Un cadre juridique récent, né dans les années 1990.

Si la pratique du mécénat est, nous l’avons vu, une pratique très ancienne, son encadrement

juridique en revanche, est beaucoup plus récent.

Rappelons ici que le mécénat ne peut venir des fonds propres à l’État. Comme le rappelle

Debiesse (2007, p.29), « l’État n’est pas mécène, il est l’État, tout simplement, et donc

intervient, décide, règlemente, finance aussi, et massivement, mais sur des fonds qui ne sont

pas les siens propres, mais ceux apportés par les contribuables et dont il est logique qu’ils

soient investis au service de l’intérêt général ». Le mécénat n’a donc que deux sources de

financement possible : les entreprises ou les particuliers.

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C’est la loi du 23 juillet 1987, sur le développement du mécénat, qui marque la naissance du

mécénat dans le cadre juridique et fiscal français. Cette loi reconnaît pour l’essentiel la

naissance des Fondations, instituées dès 1960 par André Malraux avec la création de la

Fondation de France. Il s’agit de l’infrastructure juridique qui permet aux personnes morales

et physiques de droit privé d’octroyer un montant financier à destination d’une action

s’inscrivant dans le cadre d’un intérêt général.

L’article 18 définit la fondation comme « l'acte par lequel une ou plusieurs personnes

physiques ou morales décident de l'affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la

réalisation d'une œuvre d'intérêt général et à but non lucratif ». L’article 18 définit également

que la fondation est une personne morale, mais qui n’obtient une capacité juridique entière

qu'à compter de la date d'entrée en vigueur du décret en Conseil d'Etat accordant la

reconnaissance d'utilité publique.

Les exonérations fiscales des contributions des entreprises sont cependant encore timides

puisque les entreprises qui achètent des œuvres originales d’artistes vivants ne peuvent

bénéficier que d’une déduction fiscale correspondant au prix d’acquisition, étalé sur une

durée de 19 ans, à condition que cette dernière n’excède pas 3% du chiffre d’affaires. Il faut

en outre que le bien acquis soit exposé en public pour bénéficier de cette déduction.

C’est l’arrêté du 6 janvier 1989 relatif à la terminologie économique et financière qui donne

une définition juridique précise du Mécénat. Le Mécénat est alors considéré comme « le

soutien matériel apporté sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou

à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général ». Si on compare

cette définition à celle donnée par Debiesse, qui s’opposait à la notion d’État Mécène, on

remarque que la définition juridique de l’arrêté de 1989 est relativement large et qu’elle

n’interdit pas à l’État de participer à des actions de Mécénat.

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Le ministre Jack Lang enrichit la loi de 1987 par un texte de même nature, adopté le 4 juillet

1990. Cette loi ouvre la possibilité de fondations aux entreprises, ce qui enrichit

considérablement le texte de 1987 sur le Mécénat et particulièrement les articles 18 et 19

relatifs à la fondation. Elle ouvre des possibilités larges et nouvelles aux fondations

d’entreprise : par exemple, la reconnaissance d’une fondation d’entreprise devient possible à

compter de la publication au Journal officiel de l'autorisation administrative qui lui confère ce

statut. Les possibilités sont également élargies en matière de legs et de dons (pas

d’autorisation de dons émanant de la société civile, mais possibilité de donation si elle émane

des actionnaires, des salariés et de toute personne intéressée par l’entreprise).

C’est donc une vision large du Mécénat qui est adoptée, et où l’État aura une participation

active avec la création en 2003 d’une Mission Mécénat au sein du Ministère de la Culture et

de la Communication. Si l’État n’est pas un acteur direct du Mécénat, sa mission consiste à

appuyer et évaluer l’action du ministère et des établissements publics. Elle consiste

également à faire des propositions d’évolution dans le cadre de l’harmonisation européenne

des évaluations des législations.

La mission Mécénat sensibilise et anime les réseaux des mécènes et donateurs, favorise tout

projet de fondation à caractère culturel et exerce une mission d’observation sur les

pratiques dans ce domaine.

La Mission Mécénat et ses 120 correspondants dans les directions et établissements du

Ministères jouent un rôle dans la collaboration entre le Ministère de la Culture et de la

Communication et les différentes instances du monde économique en vue du

développement du mécénat culturel. Cette mission est également chargée de rechercher des

fonds auprès des entreprises et des particuliers pour le financement de projets du ministère

et de ses établissements dans leurs différents domaines de compétence : patrimoine, musées,

spectacle vivant.

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Juin 2016 53

L’année 2003 est également marquée par une évolution législative majeure : l’adoption le 1er

Août de la loi Jean-Jacques Aillagon, relative au mécénat, associations et aux fondations.

Faisant quasiment doubler les avantages fiscaux offerts aux entreprises, cette loi contribue au

développement du Mécénat, qu’elle consacre comme étant une pratique accessible à tous,

particuliers comme chefs d’entreprise, dirigeants associatifs, quelque soit leur chiffre

d’affaires et le montant de l’investissement réalisé.

L’année 2003 marque donc un changement politique majeur de l’État concernant la politique

du Mécénat. En plus d’une ouverture juridique assez conséquente, l’État décide également

d’investir, par les institutions culturelles et les établissements publics, l’orientation du

Mécénat, de contribuer à son développement, et notamment dans le cadre du financement

de projets publics. Avec la création de la Mission Mécénat, l’État devient un promoteur actif

et à part entière du Mécénat, structurant les grandes orientations et encourageant la

pratique de ce financement au sein même des institutions culturelles et des établissements

publics.

Une dernière réforme juridique a de nouveau élargi le champ du Mécénat. Il s’agit de la Loi

pour la Modernisation de l’Économie (LME) du 4 août 2008, qui reconnaît la création des

fonds de dotation. Le fonds de dotation correspond à un « outil innovant de financement du

Mécénat » selon les termes du Ministère de l’Économie, crée par l’article 140 de la loi du 4

août 2008, et qui permet de combiner les atouts d’une association loi 1901 et de la

fondation, « sans les inconvénients ». Autrement dit, un fonds de dotation est défini comme

une entité disposant de la personnalité juridique.

Ses ressources de financement sont constituées d’une allocation irrévocable de biens pour la

réalisation d’une mission ou d’une œuvre d’intérêt général. Le fonds de dotation collecte des

fonds d’origine privé et peut mener lui-même cette mission, ou financer un autre organisme

d’intérêt général pour son accomplissement. Le fonds de dotation bénéficie du régime fiscal

du Mécénat.

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Le fonds de dotation se distingue de l’association car il dispose d’une liberté plus large dans

la disposition de libéralités (dont les donations et les legs) et la possibilité de détenir des

immeubles de rapport, tandis que les associations ne disposent que de la capacité de

recevoir des dons manuels et de détenir seulement les immeubles « strictement nécessaires

à leur objet ».

Par ailleurs, il se distingue de la fondation reconnue d’utilité publique dans la mesure où une

simple déclaration en préfecture suffit à constituer un fonds de dotation, sans autorisation

préalable d’une quelconque autorité (contrairement à la fondation d’utilité publique). Le

fonds de dotation suit l’évolution logique vers une forme simplifiée de la fondation d’utilité

publique.

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TABLEAU 5 – Comparaison entre les fondations d’utilité publique, les fonds de

dotation, les associations, Extrait, Source : DEVIC L, 2009, www.fonds-dotation.fr

(consulté le 18 Mars 2016).

Fondations d’utilité publique Fonds de dotation Associations

Personnalité

juridique

A compter de la publication au

Journal officiel d’un décret pris en

Conseil d’Etat

A compter de la publication

au Journal officiel de la

déclaration de création faite

en préfecture

A compter de la publication au

Journal officiel de la déclaration de

création faite en préfecture

Objet social Œuvre d’intérêt général et sans

but lucratif

Œuvre d’intérêt général et

sans but lucratif (ou soutient

à des œuvres d’intérêt

général et sans but lucratif)

Œuvre d’intérêt général et sans

but lucratif

Dotation initiale Pas de montant légal mais une

pratique de 800.000 à 1.000.000

euros au minimum selon les

projets.

Les versements fractionnés sur 10

ans sont possibles ainsi que les

dotations consomptibles

Des « dotations en capital »

nécessaires (mais pas de

montant minimum),

apportées par les fondateurs

ou des tiers

Non (sauf associations reconnues

d’utilité publique)

Durée Illimitée sauf fondation à

dotation consomptible

Selon les statuts du fonds de

dotation

Selon les statuts de l’association

Capacité

juridique

Possibilité de recevoir des

donations et des legs et de

détenir des immeubles «

nécessaires » à l’objet de la

fondation.

Possibilité de recevoir des

donations et des legs et de

détenir tout type de biens, y

compris des immeubles de

rapport

Petite capacité juridique (ne peut

recevoir que des dons manuels, et

non des donations et des legs).

Direction Conseil d’administration (7 à 12

membres). ou Conseil de

surveillance (7 à 12 membres). et

Directoire (1 à 5 membres).

Un organe unique, le conseil

d’administration, composé

d’au moins trois personnes.

Des dirigeants ; la loi de 1901

n’impose pas un type d’organe

particulier, à l’exception de

l’assemblée des membres.

L’organe de direction peut donc

être un conseil, un bureau, un

comité, etc.

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Le tableau 5 montre que le fonds de dotation est créé comme le modèle intermédiaire de

l’association et de la fondation d’utilité publique. Sa structure juridique montre la volonté de

rendre le Mécénat accessible à un large public et à ne plus limiter sa pratique à des

fondations d’utilité publiques, sous le contrôle de l’État. On peut ainsi parler de

« libéralisation » de la structure juridique du Mécénat.

De la structure juridique de l’association, le fonds de dotation hérite d’une procédure de

création simplifiée, auprès de la Préfecture. Il peut ainsi être mis en œuvre dans un délai

réduit, sans montant minimum de dotation à la création, ce qui est une nouvelle similitude

avec l’association. Enfin, la durée du fonds peut être limitée dans le temps.

De la structure de la fondation d’utilité publique, le fonds de dotation hérite d’une capacité

juridique large, avec la possibilité de recevoir des donations et des legs et de détenir tout

type de biens, y compris des immeubles de rapport tandis que l’association ne peut recevoir

que des dons manuels et des biens immeubles nécessaires à l’accomplissement de son objet

social. Le fonds de dotation hérite également de l’organe de direction de la fondation d’utilité

publique, avec la constitution d’un Conseil d’administration, mais avec une plus grande

souplesse dans sa composition (composition minimale de trois membres, et non sept comme

dans la fondation d’utilité publique).

Les évolutions récentes de la structure du Mécénat montrent comment le modèle s’est

progressivement étendu, d’un « État Mécène » à une véritable libéralisation de la pratique,

donnant plus de possibilités aux acteurs privés et en réduisant l’intervention de l’État, avec la

constitution des fonds d’entreprise, mais également des « fonds de dotation » ouverts aux

particuliers. Pour autant, l’État continue à jouer une mission d’orientation auprès de

l’ensemble des acteurs du Mécénat et à disposer d’un rôle, notamment par l’intermédiaire de

la « Mission Mécénat » du Ministère de la Culture et de la Communication, crée en 2003.

Maintenant que nous avons vu les textes juridiques qui ont contribué à l’émergence de la

pratique en France, il nous faut nous pencher sur les acteurs et les externalités positives qui

ont permis de développer la pratique.

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B – Les externalités positives du Mécénat Nous l’avons vu en introduction de cette partie, le mécénat se distingue du sponsor dans le

sens où la participation financière du mécène se fait « sans contrepartie directe de la part du

bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l'exercice d'activités présentant un intérêt

général » (Arrêté du 6 Janvier 1989 relatif à la terminologie économique et financière). Si le

Mécénat ne procure donc aucune contrepartie directe, il est intéressant de se pencher sur

les externalités positives qui conduisent des agents économiques à exercer une action de

Mécénat.

• Un enjeu de communication

Si les contreparties directes du Mécénat n’existent pas selon l’arrêté de 1989, la pratique du

Mécénat permet de développer la communication des acteurs qui l’utilisent. Pour Debiesse

(2007, p. 32), l’essor du mécénat tant individuel qu’entrepreneurial a même fait croître un

réseau d’intermédiaires voué à sa promotion et à son organisation, développant une forme

de concurrence entre les différents organismes et institutions chargés de la promotion du

Mécénat. S’il ne ramène pourtant aucune contrepartie financière, il participe cependant à

l’image de responsabilité sociale et environnementale d’une entreprise, qui investit par ce

champ des activités qui n’entrent pas dans ses compétences. L’entreprise y dégage un

bénéfice de communication et d’image positive auprès d’un public large, qui peut s’avérer

plus bénéfique qu’une campagne de communication. Aussi, le fait que l’entreprise VELUX

s’associe au financement de la rénovation des vitraux de la Sainte-Chapelle, à Paris, lors de la

vaste opération de travaux lancée en 2008, n’est pas dénué d’intérêt. L’entreprise,

spécialisée en conception de vitres, tire indirectement un bénéfice de communication et

d’image positive sur la qualité de son travail, en associant son nom à la rénovation des

vitraux de la Sainte-Chapelle, trésor national. Un financement qui n’est pas sans conséquence

pour l’entreprise, puisque le montant total du financement sur cette opération représentait 5

millions d’euros.

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Cependant, et il est important de l’écrire ici, tout type de donation n’est pas nécessairement

éligible au Mécénat et la loi définit des modalités strictes d’application. Les autorités

publiques ont voulu éviter que le Mécénat devienne une possibilité de communication

prolifique pour les entreprises à moindre coût, grâce à l’abattement fiscal de la pratique. Le

site internet de l’administration française rappelle ainsi que plusieurs règles importantes sont

en vigueur et définissent les dons susceptibles d’être considérés comme relevant de la

pratique du Mécénat.

- Le don peut être un don en numéraire, en nature ou en compétence, généralement

sans contrepartie pour le donateur.

- Il peut être effectué à destination d'un organisme pour soutenir une œuvre d'intérêt

général, qu'il soit public ou privé, à gestion désintéressée ou une société dont le

capital est entièrement détenu par des personnes morales de droit public (État,

établissements publics nationaux, collectivités locales).

Est considéré comme du mécénat tout don aux organismes suivants :

1/ L'État et ses établissements publics

2/ Les Collectivités locales

3/ Les Fondations ou associations reconnues d'utilité publique ou d'intérêt général (à but non

lucratif, ne profitant pas à un cercle restreint de personnes).

4/ Les Fonds de dotation,

5/ Les Organismes agréés sans but lucratif dont l'objet exclusif est de verser des aides

financières aux PME (investissement, accompagnement, aide à la création ou la reprise

d'entreprise, financement du besoin en fonds de roulement, prêt d'honneur sans garantie et

sans intérêts...).

6/ Les Organismes du spectacle vivant pour des activités de diffusion d'œuvres dramatiques,

lyriques, musicales, chorégraphiques, cinématographiques et de cirque, ni pornographiques ni

violentes.

7/ Les Sociétés ayant pour activité principale l'organisation d'expositions d'art contemporain.

8/ Établissements d'enseignement supérieur public ou privé agréé.

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Si la pratique du Mécénat permet de développer la communication des entreprises, on voit

que son objet est principalement centré sur des actions précises, soutenant des œuvres

d’intérêt général, portées par des institutions publiques ou privées, à la condition que ces

dernières disposent d’une gestion désintéressée ou menée exclusivement par des personnes

morales de droit public. On y retrouve ici une pratique qui permet de développer l’accès au

développement de « biens collectifs », au sens donné par Paul Krugman et Robin Wells,

comme le montre le tableau 6.

TABLEAU 6 – Typologie des biens, par Paul Krugman et Robin Wells, page 785,

Microéconomie, De Boeck Supérieur, 2009.

La pratique du Mécénat incite les agents économiques à financer des biens non-excluables,

qui vont dans l’intérêt commun puisque tout le monde peut en bénéficier. L’objectif est de

développer des biens collectifs dont tout le monde peut disposer mais que personne n’est

prêt à financer ; c’est la théorie du « free-rider », du passager clandestin, qui montre qu’un

agent économique parfaitement rationnel aura tout intérêt à profiter d’un bien collectif sans

contribuer à son financement. Le Mécénat permet de développer des biens collectifs,

financés par les acteurs économiques, pour développer un intérêt commun.

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• Un enjeu fiscal

Si le Mécénat permet d’obtenir un bénéfice en termes de communication, ce dernier

demeure difficilement chiffrable et l’agent économique qui investit n’a pas d’impact sur la

population cible ni nécessairement toujours des retours sur l’investissement réalisé.

Aussi la fiscalité est une externalité positive importante, qui permet aux entreprises de

bénéficier d’un avantage financier en investissant pour le développement de biens communs.

Le tableau 7 présente les différents avantages fiscaux obtenus selon le type de bien

subventionné et du type d’acteur qui réalise cet investissement. Une évolution majeure, mise

en œuvre par la loi Aillagon du 1er Août 2003.

TABLEAU 7 – Les déductions fiscales du Mécénat, en fonction du type d’agent

économique, Site officiel de l’administration française, https://www.service-

public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F22263, consulté le 19 Mars 2016.

DÉDUCTION FISCALE AU TITRE DU MÉCÉNAT D’ENTREPRISE.

Finalité du versement Régime fiscal de

l’entreprise

Taux de déduction

fiscale.

Plafond de la

déduction fiscale.

Don à une œuvre d'intérêt

général (ou concourant à la

mise en valeur du patrimoine

artistique, à la défense de

l'environnement naturel, où à

la diffusion de la culture, de la

langue et des connaissances

scientifiques françaises)

Impôt sur le revenu

ou sur les sociétés

60 % du montant du

don

Dans la limite de 5 ‰

(5 pour mille) du

chiffre d'affaires annuel

hors taxe (plafond

appliqué à l'ensemble

des versements

effectués)

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Finalité du versement Régime fiscal de

l’entreprise

Taux de déduction

fiscale.

Plafond de la

déduction fiscale.

Versement en faveur de l'achat

public de biens culturels

présentant le caractère

de trésors nationaux ou un

intérêt majeur pour le

patrimoine national

Impôt sur les

sociétés d'après

leur bénéfice réel

90 % du montant du

don

Dans la limite de 50 %

de l'impôt dû

Achat de biens culturels

présentant le caractère de

trésors nationaux

Impôt sur le revenu

ou sur les sociétés

40 % du montant

d'acquisition

La réduction est prise

en compte dans le

plafonnement global

des avantages fiscaux

DÉDUCTION FISCALE AU TITRE DU MÉCÉNAT INDIVIDUEL.

Concerne tous les dons

consentis aux œuvres et

organismes d'intérêt général.

La définition des secteurs

bénéficiaires dont la culture,

est très large.

Impôt sur le revenu

imposable.

66% du montant des

sommes versées.

Sauf cas particulier : 75 % (dans la limite forfaitaire de 488 € à compter de l'imposition des revenus de l'année 2007) pour les versements effectués par des particuliers au profit d’organismes sans but lucratif procédant à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté, qui contribuent à favoriser leur logement ou qui procèdent à titre principal, à la fourniture gratuite de soins

La déduction est

retenue dans la limite

annuelle de 20 % du

revenu imposable.

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Pour le Mécénat des entreprises, en cas de dépassement du plafond, il est possible de

reporter l'excédent sur les 5 exercices suivants. Mais les montants reportés ne peuvent

s'ajouter aux dons effectués chaque année que dans la limite du plafond annuel. Pour le

Mécénat individuel, si le plafond de 20 % des revenus est dépassé, le bénéfice de la réduction

peut être reporté sur les 5 années suivantes.

On le voit donc, la Loi Aillagon a développé des avantages fiscaux non négligeables pour les

entreprises comme les particuliers. Avec des avantages fiscaux importants, et notamment

dans l’acquisition des « trésors nationaux » par des entreprises. Le trésor national est défini

par l’article L 111-1 de l’Ordonnance n° 2004-178 du 20 février 2004 relative à la partie

législative du code du patrimoine :

« Les biens appartenant aux collections publiques et aux collections des musées de France, les biens

classés en application des dispositions relatives aux monuments historiques et aux archives, ainsi que

les autres biens qui présentent un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de

l'histoire, de l'art ou de l'archéologie sont considérés comme trésors nationaux ».

Cette définition, assez large, regroupe tout un ensemble de biens qui, par leur caractère

historique relèvent d’un intérêt majeur pour l’État. Ces biens peuvent être des biens

artistiques, des monuments historiques ou encore des éléments issus des archives ou de

l’archéologie dont la préservation représente un intérêt majeur pour l’État. Mais, de par leur

caractère historique et leur valeur, leur rénovation a un coût important et c’est pourquoi la

législation a accordé un abattement fiscal plus important au Mécénat d’entreprise portant sur

ces biens. Les entreprises sont ainsi incitées à s’engager pour la protection du patrimoine

national pour soulager l’État, qui n’a pas nécessairement les moyens financiers d’entretenir

un patrimoine national aussi riche et diversifié.

Les abattements fiscaux liés au Mécénat sont une véritable externalité positive pour les

agents économiques, d’autant plus que le Mécénat demeure parfois difficile à évaluer.

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Pour Debiesse (2007, p. 23), le Mécénat est difficile à évaluer pour plusieurs raisons. Il note

tout d’abord la défaillance statistique du Mécénat d’entreprise, qui rend difficile à évaluer

l’importance et les effets du Mécénat d’entreprise. Pour le Mécénat des particuliers, la

mesure est aussi limitée par le fait que les contribuables acquittant l’impôt ne déclarent pas

nécessairement systématiquement comme dons toutes leurs dépenses de Mécénat. De plus,

40% des foyers français ne sont pas soumis à l‘impôt sur le revenu des personnes physiques

(IRPP) ; il n’est donc pas possible de répertorier et de comptabiliser les dons issus de ces

foyers.

De même, il est à noter que le Mécénat a connu une évolution considérable de ses champs

d’intervention : historiquement limité aux secteurs des arts, le Mécénat s’étend aujourd’hui à

de larges secteurs comme la santé, le sport, la solidarité, l’éducation, le patrimoine,

l’environnement, ce qui rend son évaluation d’autant plus compliquée.

Après avoir étudié les externalités positives du Mécénat, nous conclurons cette première

partie par une approche culturelle du Mécénat.

C – Le Mécénat : une approche culturelle.

Une façon d’introduire le Mécénat, c’est de se pencher sur les différentes formes de

politiques culturelles qui existent. Gattinger et Saint-Pierre (2012) établissent dans leur

étude un tableau récapitulatif des différents types de politiques culturelles, qui permet de

comprendre l’approche différenciée du Mécénat en fonction des pays.

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TABLEAU 8 – Approches nationales des politiques culturelles, Gattinger et Saint-Pierre,

2012, p. 152, extrait.

Approche « classique » française Fusion État/Nation et Culture – « État culturel » (1959,

Malraux). La Culture est un fondement de la société, un

droit pour chaque citoyen. Responsabilité de l’État, qui doit

favoriser l’épanouissement culturel du peuple et

promouvoir la formation d’une identité nationale forte.

L’État est un maître d’œuvre de la politique culturelle.

Approche hybride Nécessaire distance entre « État et Culture ». La Culture

est un droit pour chaque citoyen et les politiques

culturelles constituent les instruments pour permettre la

réalisation de ce droit.

Approche « classique » britannique Indépendance proclamée entre État et Culture – mise en

œuvre d’une certaine distance entre État et Culture.

Culture et Arts constituent une affaire privée. La Culture

est un devoir pour chaque citoyen et les politiques

culturelles des instruments qui permettent l’exercice de ce

devoir.

Approche Étatsunienne Relative absence de l’État fédéral dans tous les domaines.

Aversion quant à toute forme de contrôle de l’État dans la

culture, contre la création d’un « État culturel » à la

française. Place au libre marché, à l’économie de marché

dans le domaine des Arts et de la Culture.

Ce tableau permet de prendre conscience de la spécificité du cas français et de la fusion

entre l’État et la Culture. On y retrouve une conception proche des premières expressions

des politiques culturelles dans l’Antiquité, où l’État et la Culture ne font qu’un. La Culture

est au service de l’État tout comme l’État est au service de l’expression de la Culture.

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Ce rapport fusionnel aboutit à la mise en œuvre d’un État culturel comme fondement de la

société. L’État est alors un maître d’œuvre, qui favorise l’épanouissement culturel du peuple

et promeut la formation d’une identité nationale forte.

L’approche hybride des politiques culturelles consiste à considérer une distance nécessaire

entre État et Culture. Si la Culture est un droit pour chaque citoyen, les politiques

culturelles sont les instruments qui vont permettre aux citoyens de bénéficier de ce droit.

L’approche classique britannique considère qu’une indépendance existe de fait entre État et

Culture. Si la Culture et les Arts font partie, dans cette conception, des affaires privées, la

culture reste un devoir pour chaque citoyen. Les politiques culturelles sont les instruments

qui vont permettre la réalisation de ce devoir.

L’approche Étatsunienne considère que la culture et l’État n’ont rien en commun et que

l’État fédéral ne doit pas être présent dans ce domaine. Aversion totale du modèle de fusion

à la française, le gouvernement favorise donc la non-intervention dans la culture. C’est le

libre-marché qui doit réguler le champ de la culture.

La considération très différente de la politique culturelle va définir la place du Mécénat dans

les différentes économies. On peut en effet imaginer que la place du Mécénat sera très

différente entre un État qui promeut l’État culturel et celui qui promeut le libre-marché

comme étant le lieu de mise en œuvre du champ culturel.

Un exemple saisissant est la comparaison des entreprises les plus généreuses en termes de

Mécénat entre la France et les Etats-Unis. Aussi, une étude du Corporate Giving Standard,

menée par le Committee Encouraging Corporate Philanthropy, qui montre que 171

entreprises américaines ont fourni une contribution globale de 12,1 milliards de dollars de

dons en 2010.

Il est à noter que l’année 2010 suit la grave crise économique et financière et que le rapport

note que 40% des entreprises ont diminué leurs dons de 10% ou plus (ADMICAL, 2012,

page 95).

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TABLEAU 9 – Le top 5 des fondations d’entreprises 2010 du Foundation Center, États-

Unis, ADMICAL, 2012.

TABLEAU 10 – Le top 5 des plus généreux mécènes français en 2005 (source ADMICAL, 2007), page consultée le 20 Mars 2016. http://www.journaldunet.com/management/dossiers/0611162-mecenat/classement.shtml,

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Même si cinq années séparent ces deux tableaux, on remarque que la différence de budget

destiné aux Mécénat entre les entreprises en France et aux Etats-Unis est saisissante. La

place allouée au Mécénat est sensiblement différente entre les deux pays et témoigne de

choix politiques fortement divergents.

Dans son étude du Mécénat au service des musées, Wallig (2005, p. 25) parle d’un « océan

d’histoire » qui sépare le Mécénat États-Uniens du Mécénat européen. En effet, tandis que le

Mécénat européen s’appuie essentiellement sur « un socle étatique, au mieux public, avec

une marque profonde des religions, essentiellement le catholicisme romain » (2005, p. 25), le

Mécénat américain est marqué quant à lui par un « faible État fédéral, [qui a] une conception

minimaliste de son rôle dans le champ tant culturel que dans celui de l’éducation. Dans ce

pays de construction libérale, les citoyens ne pouvaient attendre d’initiatives que de leurs

pairs » (2005, p. 28).

L’auteur note cependant des différences historiques entre les pays européens ; il n’existe pas

une homogénéité totale entre les pays. Si l’Espagne est considérée par Wallig (2005, p.25)

comme le pays où le mécénat public domine, il est favorisé par les guerres de religion et les

dynasties bourgeoises. Cependant, l’auteur souligne la conversion progressive et récente du

pays au Mécénat d’entreprise, qui parvient avec succès à développer le Mécénat culturel sur

des investisseurs privés (en témoigne notamment le succès de la Fondation Guggenheim).

L’Autriche et l’Allemagne ont essentiellement développé un Mécénat marqué par les

structures politiques et la religion. Pour Wallig, l’Allemagne est marquée par une

décentralisation artistique (2005, p. 26) et par le faste des princes allemands qui contraste

avec la doctrine protestante, qui bannit la peinture liturgique des lieux de culte pour

développer un Mécénat plutôt centré au développement de la musique sacrée.

L’Italie est considérée par Wallig (2005, p. 27) comme la patrie des mécènes. Comme en

Allemagne, la répartition des royaumes a conduit à une décentralisation du Mécénat, et s’est

essentiellement développé autour de la religion et du pouvoir papal.

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Lieu de naissance du Mécénat (Caïus Mæcenas étant un conseiller de l’empereur Auguste),

l’Italie a inspiré et développé très rapidement un Mécénat large et généreux, porté à la fois

par les institutions politiques et religieuses, mais aussi par les grandes familles bourgeoises et

des familles patriciennes.

Le cas de la France est particulier. Émanant d’abord des institutions religieuses et de la

puissance politique des monarques, l’État culturel est un point de rupture extrêmement fort

au moment de l’avènement d’une République pérenne. Si cet État culturel ne s’est pas fait

sans contestations ni oppositions, il demeure au cours du dernier demi-siècle la source de

financement majeure pour les politiques culturelles.

La mondialisation des années 1970 a contrebalancé cette figure de État Culturel.

Aujourd’hui, de plus en plus de réformes incitent au Mécénat des entreprises et des

particuliers. Malgré ces incitations, le mécénat reste toutefois timide, et a de la peine à se

développer, nous le verrons dans la seconde partie de cette étude.

Reste les deux modèles opposés à cette pratique extrêmement forte du Mécénat : la

conception États-Unienne et la conception Britannique. Wallig (2005, p. 27) définit

l’Angleterre comme la grande reine du Mécénat privé. Un nombre conséquent de seigneurs

britanniques disposent d’une grande collection de biens. Ces derniers sont mis à la

disposition du public à travers, par exemple, la création du premier musée privée, en 1683.

Ces initiatives seigneuriales furent suivies par des initiatives semblables avec la Révolution

Industrielle au milieu du XIXème siècle. A la différence de l’État Français, l’État royal

britannique ne juge pas utile de disposer d’une ambition culturelle et se limite à des

prérogatives régaliennes : battre monnaie, faire rendre la justice, défendre le pays, élargir

l’Empire. Une politique qui sera répercutée dans les colonies britanniques aux Etats-Unis, qui

auront à cœur de reprendre une conception extrêmement libérale de la politique culturelle.

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Les Etats-Unis ont un régime institutionnel particulier, marqué par un État fédéral très faible,

qui consacre une conception minimaliste de son rôle aux champs culturels et de l’éducation.

Il faut dire que les Etats-Unis connaissent à l’origine un esprit protestant très fort, qui incite

les personnes ayant réussi à prospérer, à développer une richesse importante et à faire

bénéficier une partie du fruit de cette richesse au pays qui les a accueilli. On est dans une

conception très wébérienne, où les magnats de l’acier, de la banque et du pétrole ont fondé

des établissements pour l’éducation de leurs compatriotes. Aussi, la création d’un

Metropolitan Museum of Arts à New York en 1870 fait suite à une initiative privée de riches

américains fortunés.

Si la générosité du Mécénat aux Etats-Unis s’inscrit dans une tradition philanthropique très

nationale, voire nationaliste, elle permet aussi de flatter les mécènes qui acquéraient de la

considération de leur vivant et de la renommée pour la postérité.

La collectivité se devait de les récompenser en allégeant d’autant leur fardeau fiscal. Le

mécénat s’accompagne donc de réductions d’impôts voire, pour les fondations, d’une

exonération complète. Au-delà d’un parfait désintéressement, et même si le mécénat se

conçoit aussi comme un outil de communication, les avantages fiscaux ne peuvent

qu’encourager la générosité. Un modèle qui apparaît progressivement en France,

particulièrement depuis 2003.

Nous avons donc vu au cours de cette sous-partie que le Mécénat individuel et

entrepreneurial est d’apparition récente dans l’économie française. Elle a été renforcée par

des outils juridiques et des incitations fiscales pour encourager son développement. Pour

autant, peut-on considérer ce modèle comme suffisamment fort pour ébranler

l’institutionnalisation de l’État Culturel, en vigueur depuis 1959 ? La crise économique et

financière ne montre-t-elle pas les faiblesses d’une politique financée par les deniers publics

et ne renforce-t-elle pas l’idée que l’État culturel fait miroiter une politique culturelle qui ne

peut s’inscrire dans la surée? C’est ce que nous verrons au cours de la seconde partie de

cette étude.

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2ème partie : L’impact de la crise économique sur le devenir des politiques culturelles. Dans la première partie de cette étude, nous avons fait ressortir les deux modes de

financement qui intervenaient dans le cadre du domaine culturel : un financement

directement issu des deniers publics dans le cadre du développement de politiques

culturelles d’une part et le financement par des donateurs privés dans le cadre du Mécénat

d’autre part.

Le financement de politiques culturelles se justifie par la complexité d’un modèle

économique qui, tout en développant un ensemble d’externalités positives, projette des

dépenses conséquentes comme le modèle de « fatalité des coûts » appliqué au champ du

spectacle vivant (Baumol et Bowen, 1966, dans Benhamou, 2011).

L’État Français a développé une politique culturelle ambitieuse et unique au monde, un

modèle où « l’exception culturelle » accorde une place unique à la culture, marquée par un

budget de plus en plus conséquent alloué au Ministère de la Culture (en Euros constants,

rappelons que le budget du Ministère a augmenté de 192,69% entre 1980 et 2010, selon

Benhamou, 2011, p. 99). Le Mécénat, qui s’est considérablement développé dans certaines

régions du monde, n’a pas connu la même expansion en France de par le rôle et

l’importance des acteurs publics dans le financement de la politique culturelle.

Après des années de dépenses croissantes, un constat est apparu : si les dépenses culturelles

demeurent en proportion faibles comparé au budget global de l’État, elles sont de plus en

plus élevées et prennent d’année en année plus de poids. C’est le modèle économique du

secteur culturel même qui est remis en question : l’État a-t-il les moyens de financer à lui-

seul la politique culturelle ? Quelle rentabilité attendre des investissements réalisés dans la

politique culturelle : entre le modèle du multiplicateur des dépenses publiques et celui de la

fatalité des coûts, quel est celui qui a le plus d’impact sur la politique culturelle ?

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Si l’action de l’État a été importante et continue depuis l’institution d’un Ministère de la

Culture en 1959, la pratique du Mécénat, même avec un développement moindre que

d’autres régions du monde, a connu de véritables évolutions visant son expansion. Ces

réformes profondes, esquissées dans les années 1980, ont facilité l’accès au Mécénat et ont

multiplié ses effets incitatifs, notamment en matière de fiscalité.

La première partie de cette étude nous a permis d’expliquer ce modèle spécifique à la

France, où deux acteurs se partagent le financement de la culture d’une façon très

particulière. D’un côté, un État « tout culturel », qui monopolise presque le financement

culturel. De l’autre le Mécénat, ressuscité par la brèche volontairement ouverte par le

gouvernement dans les années 1980 et qui laisse figurer que l’État ne peut être le seul acteur

financier des politiques culturelles.

Cette deuxième partie marque un tournant de cette étude. Alors que la première partie

était consacrée à l’explication du financement de la culture et des principaux mécanismes

économiques, politiques, historiques ou encore juridiques qui expliquaient sa construction,

ses forces et ses faiblesses, la deuxième partie confrontera ce modèle économique si

spécifique au contexte récent de l’économie mondiale, qui en 2007 s’est heurté à une crise

économique et financière majeure. Cette même crise a eu des répercussions toutes

particulières sur les dettes souveraines des États européens et laisse entrevoir une gestion

très différente des finances publiques, entre austérité et chasse aux déficits, pour les années

à venir.

La place de la politique culturelle se trouve dans une situation inconfortable : face à un État

contraint de réduire ses dépenses, les dépenses culturelles apparaissent comme l’une des

cibles privilégiées. Alors que l’État est un acteur financier incontournable de la politique

culturelle, son affaiblissement et son retrait, même partiel, aura des conséquences

considérables.

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De même, des questions d’ordre structurel se posent : le Mécénat est-il prêt à compenser la

baisse des dotations de l’État ? Le Mécénat est-il suffisamment ancré pour jouer un rôle plus

important dans le financement de la Culture ?

Dans un premier temps, nous nous pencherons sur le contexte économique et son influence

sur les finances publiques. L’étude du contexte nous permettra d’envisager les conséquences

des politiques de rigueur budgétaire sur le financement des institutions culturelles. Premières

interrogations qui nous conduirons dans un deuxième temps à nous pencher plus

spécifiquement sur les faiblesses du financement de la politique culturelle, mises en lumière

par un contexte économique délicat. Dans un troisième temps, enfin, nous nous

interrogerons sur l’évolution du Mécénat dans les années d’après-crise et sur le potentiel de

financement des politiques culturelles par cet intermédiaire.

I – Contexte économique et finances publiques.

La France, et plus généralement l’Union Européenne dans son ensemble, ont été frappés par

une crise économique et financière majeure en 2008. À cette crise économique, s’est

ajoutée en 2010 une crise des dettes souveraines entraînant l’Europe dans un marasme

économique, qui a entrainé des répercutions directes sur l’évolution des finances publiques.

Le lien entre ces deux crises ? Brender, Pisani et Gagna (2013, p. 3) l’expliquent par le fait «

qu’à l’automne 2008, l’implosion du système financier occidental, en mettant fin à la

progression continue de l’endettement privé, a placé les États face au risque d’un

effondrement de la demande globale ». Pour écarter cette baisse de la demande, les États

ont accepté de dégrader fortement leurs soldes budgétaires, faisant germer la crise des

dettes souveraines.

C’est cette crise et ses conséquences directes, notamment concernant la difficile gestion des

déficits budgétaires, qui vont nous intéresser dans un premier temps, puisqu’elles vont

directement impacter le financement des politiques culturelles.

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A – La crise des dettes souveraines et la difficile question de l’équilibre budgétaire.

Il convient dans un premier temps de définir ce que l’on considère par dette souveraine. Le

Traité de Maastricht (1992) définit la dette « notifiée » comme ce qui « couvre l’ensemble

des administrations publiques au sens des comptes nationaux : l’État, les organismes divers

d’administration centrale, les administrations locales et les administrations de sécurité

sociale » (dans Biasutti et Braquet (2012, p.20)). La définition du Traité de Maastricht est une

définition brute, qui ne soustrait pas les actifs financiers qui peuvent être détenus par les

administrations. La dette souveraine correspond par définition à l’ensemble des créances

souscrites par un État, sous la forme d’emprunts à d’autres États, de titres émis par le

Trésor Public ou encore de crédits bancaires.

Les budgets propres aux différentes institutions de l’État sont donc des composantes de la

dette brute et c’est pourquoi les besoins des institutions ont un impact direct sur l’évolution

de la dette de l’État. Cette dernière est directement comparée à une autre notion clé que

sont les recettes publiques. Celles-ci dépendent essentiellement de l’imposition, directe

comme indirecte, et des cotisations sociales. Elles constituent pour l’État une source de

financement, un moyen de mettre en œuvre les politiques publiques et de financer les

institutions. Elles correspondent à la participation des citoyens au fonctionnement des

politiques mises en œuvre par l’État. Cependant, lorsque les ressources de l’État ne sont pas

suffisantes et que les besoins en financement sont plus importants que les ressources, un

autre indicateur apparaît : il s’agit du déficit public.

Cet indicateur correspond à la soustraction Recettes publiques – Dépenses publiques. Le

déficit public indique la santé économique d’un État sur un exercice budgétaire. Un déficit est

souvent signe d’un endettement, plus ou moins fort, dû à une contraction de la demande,

entraînant un repli de la croissance et des rentrées fiscales.

Le déficit est-il un phénomène nouveau ? Pour Biasutti et Braquet (2012, p.33), le réponse

est négative, puisque la dette publique accompagne les États modernes depuis « leur

émergence au XIVème siècle ».

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L’historien Jacques Le Goff identifie le début de l’endettement public en France au règne de

Saint-Louis, « premier roi de l’endettement » (dans Biasutti et Braquet, 2012, p.37). À la

veille de la Révolution Française, en 1788, la dette française correspond déjà à 80% du PIB et

« la moitié du budget de l’État est alors consacré au service de la dette » (p. 39). Après la

première guerre mondiale, le taux d’endettement public est estimé à 150% du PIB en 1919

par l’économiste Alfred Sauvy, tandis que la dette française atteint les 110% du PIB à la fin de

la seconde guerre mondiale.

Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que la pensée keynésienne va justifier le

développement des dépenses publiques pour influencer le niveau de demande, en misant sur

le multiplicateur des dépenses publiques (l’idée que la dépense publique consentie à un

moment t crée des recettes supérieures à cette dépense en t+1). Le XXème siècle voit une

nouvelle cause d’endettement : les dépenses de l’État pour palier au ralentissement de la

croissance et éviter la récession. Si la croissance des trente glorieuses entre 1945 et 1973 va

réduire la hausse de la dette publique jusqu’à la fin des années 1970, après 1974, la France ne

connaîtra plus aucun excédent budgétaire La crise économique et financière de 2009 creuse

de nouveau et de manière très forte les déficits pour mettre en place des plans de relance et

éviter la faillite des établissements bancaires et l’effondrement du système financier.

• De la crise économique à la crise des dettes souveraines

La crise économique de 2008 a entraîné une situation délicate pour les budgets des États

dans la mesure où la dette issue de la sphère privée a été transférée à la sphère publique. En

effet, l’État était alors le « seul agent capable de transférer le poids de sa dette d’une

génération à l’autre et la seule entité capable de porter un passif financier aussi lourd en

évitant ainsi les faillites en chaîne du secteur privé qui enclenchent le plus souvent des

spirales déflationnistes » (dans Biasutti et Braquet 2012, p.75-76). La différence cruciale entre

un investisseur privé et un État, c’est que l’État a une durée de vie infinie et qu’il peut donc

bénéficier d’une dette permanente. La seule garantie pour les investisseurs, c’est de s’assurer

que l’État sera toujours en mesure de payer les charges de sa dette.

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Aussi, le déficit public d’un exercice ne menace pas directement l’économie. Un État peut

être endetté tout en continuant à fonctionner. C’est le principe de solvabilité, qui caractérise

selon Biasutti et Braquet (2012, p.77) « la situation financière d’un État qui est capable de

faire face à ses engagements, […] dont la contrainte budgétaire inter-temporelle est

respectée, y compris en recourant à des ajustements budgétaires importants lorsque cela

s’avère nécessaire ». La soutenabilité décrit quant à elle la situation d’un État qui est

« assurée sans qu’il ait particulièrement besoin d’ajuster sa politique budgétaire » (p.78).

S’il n’existe pas de critère absolu en matière de soutenabilité des dettes publiques, des

études empiriques comme celles de Reinhart et Rogoff ont pu montrer qu’à partir d’une

certaine limite fixe (90% du PIB pour les pays développés), la dette publique peut nuire à la

croissance (dans Biasutti et Braquet, 2012, p. 79).

C’est ce qui explique le passage d’une crise économique à une crise de la dette souveraine.

En raison de la crise et de la récession, de nombreux gouvernements ont dû augmenter leur

déficit public et ainsi faire gonfler leur dette publique. Dans certains pays, la dette publique a

pu augmenter de près de 30% et franchir le seuil symbolique de 100% du PIB.

La perspective d’une croissance durablement ralentie et les plans de relance successifs ont

rendu les marchés financiers internationaux méfiants quant à la capacité des États à

rembourser leurs dettes, ce qui entraîne inévitablement une hausse des taux d’intérêts, qui

se traduit par un endettement plus conséquent (effet dit « boule de neige » : les dettes

successives s’accumulent).

A l’automne 2009, la Grèce laisse apparaître une situation très inquiétante lors de la

présentation de ses comptes publics, et l’idée que le pays ne puisse pas rembourser ses

dettes émerge. La dette grecque est revue à la hausse, les agences de notation dégradent la

note de la dette grecque et les taux d’intérêt augmentent (ils sont alors de 7% pour la Grèce

au printemps 2010 contre 3% pour l’Allemagne sur une obligation d’État à 10 ans selon

Biasutti et Braquet, 2012, p. 92).

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Après le cas grec, la perte de confiance s’est répandue comme une traînée de poudre parmi

les investisseurs dans les autres États de la zone euro comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal et

l’Irlande. La solvabilité de ces pays est également remise en question. Et c’est le système

monétaire européenne tout entier qui voit sa pérennité remise en cause. Alors que le Traité

sur le Fonctionnement de l’Union Européenne interdisait dans son article 125 l’aide directe

d’un État de l’Union Européenne à un autre pays de l’Union Européenne, l’Union

Européenne a dû mettre en place, face à cette crise, un mécanisme de facilité financière,

remplacé dès 2012 par le Mécanisme Européen de stabilité, pour faciliter les prêts de la

Banque Centrale Européenne à l’intension des pays qui rencontrent le plus de difficultés.

Cette mesure vise à regagner la confiance des investisseurs. Mais elle montre aussi l’urgence

pour l’Union Européenne de retrouver des finances publiques assainies et des déficits

contrôlés.

• Comment résorber le déficit public ?

Dans le cadre du Traité de Maastricht (1992), les pays européens avaient fixé deux critères

préalables à l’entrée dans le projet de monnaie unique. Deux critères fixes, qui permettaient

d’assurer la gestion saine des dépenses publiques.

L’État qui souhaitait entrer dans la zone euro devait ainsi justifier d’un déficit de ses

administrations publiques inférieur à 3%, et d‘une dette publique inférieure à 60% de son PIB.

Moins de vingt ans après, force est de constater que de grands disfonctionnements ont

marqué les contrôles préalables et que les fragilités initiales ont été accentuées par la crise

économique de 2008, où les États européens on dû se confronter à une défiance

extrêmement forte de la part des marchés financiers. La nécessité d’assainir les déficits

publics est apparue comme une nécessité pour les États membres afin de regagner la

confiance des investisseurs.

Comment dès lors redresser le déficit public et rééquilibrer le rapport de la dette publique

par rapport aux recettes de l’État ? Le Pacte Européen de stabilité, dès 1999, établissait des

règles budgétaires strictes afin de garder des finances publiques saines.

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Il reprenait alors les contraintes discutées en marge du Traité de Maastricht, à savoir que le

déficit annuel ne devait pas dépasser 3% de la production annuelle totale de l’État. Les États

devaient également s’assurer que la dette publique n’excède pas les 60% de leur PIB.

Avec la crise économique de 2008, qui s’est répandue des investisseurs privés aux

investisseurs publics, l’endettement public qui suit cette crise économique devient massif. En

2010, les États européens décident « d’intensifier leur coopération à l’échelle de l’Union

Européenne en adoptant une série de nouvelles mesures » énumérées dans le Rapport de la

Commission Européenne (2014, p.11)

L’une des principales innovations est la mise en place du semestre européen. Mis en place en

2010, ce mécanisme analyse chaque année les politiques économiques de l’ensemble des

États membres et s’assure de la cohérence des politiques économiques menées par les

parlements nationaux avec celle adoptée par les institutions de l’Union Européenne. Ce

mécanisme suit un calendrier très précis, représenté par la Commission Européenne dans le

tableau suivant.

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FIGURE 6 – PRÉSENTATION DU MÉCANISME DE SEMESTRE EUROPÉEN, Rapport de

la Commission Européenne, L’Union économique et monétaire et l’euro, Novembre 2014, p. 13

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Le principe du semestre européen est donc le suivant : Dans le cadre de chaque exercice

financier, la Commission procède à un bilan de santé annuel des économies et des finances

des pays de l’UE. De ces documents, et des perspectives annoncées pour l’année à venir, la

Commission publie une analyse en novembre. Celle-ci fait ensuite l’objet d’une analyse

approfondie par les autorités nationales et européennes. En mai-juin de l’année suivante, la

Commission présente des recommandations en matière de politique économique et

budgétaire adaptées à la situation de chaque État membre. Ces recommandations sont

« destinées à relancer la croissance, à stimuler la création d’emplois, à améliorer les

possibilités de formation, d’éducation et d’apprentissage, à aider les PME à accéder aux

financements et à encourager la croissance en soutenant la recherche et l’innovation »

(2014, p. 12).

Cette réforme d’envergure a été complétée en décembre 2011 par l’adoption d’une série

d’actes législatifs. Au nombre de six, ces textes législatifs formant le « six-pack » visaient à

renforcer la gestion économique au sein de l’UE. En rendant le mécanisme plus contraignant

mais également plus transparent, l’Union Européenne a cherché à mettre en place des

mesures appropriées pour faire valoir ses recommandations et sanctionner les écarts

répétés et délibérés au Pacte européen de stabilité par une amende financière (pouvant aller

jusque 0,5% du PIB annuel). La réforme prône également la flexibilité : la Commission doit

pouvoir prendre en compte les conditions économiques spécifiques de chaque pays, aux

différents stades du processus, plutôt que d’appliquer uniformément une seule et même

règle.

En 2012, cet engagement est prolongé par l’adoption par l’ensemble des pays membres de

l’Union Européenne, à l’exception du Royaume-Uni et de la République Tchèque, d’un pacte

européen, engagement durable pour la stabilité. Plus connu sous le nom de Pacte budgétaire,

ce texte témoigne de la volonté des pays européens « d’ancrer une culture de la stabilité

financière dans leur législation » (2014, p.14) en renforçant les sanctions et en obligeant les

États à voter un budget en équilibre ou excédentaire.

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En mai 2013, deux nouveaux textes entrent en vigueur : il s’agit du « two-pack », qui

intensifie encore la coopération et la surveillance des politiques budgétaires de chaque État

membre. Le semestre européen se dote d’une dernière étape où la Commission analyse les

projets de plans budgétaires annuels de la zone euro (qui doivent lui être présenté avant le

15 octobre de l’année N-1) et présente des recommandations avant son adoption par les

parlements nationaux de ces plans budgétaires. Cet avis doit être émis par la Commission au

plus tard le 30 Novembre de l’année N-1. Si elle constate des manquements

particulièrement graves aux obligations liées au pacte, la Commission peut demander à ce

qu’un projet de plan révisé soit présenté dans un délai déterminé.

L’objectif de cette réforme est d’accentuer la surveillance des pays de la zone euro

confrontés à de graves problèmes de financement et de rendre juridiquement contraignant

des principes d’équilibre budgétaire, pour éviter que l’accumulation de dettes publiques et de

déficits répétés conduisent à une nouvelle crise économique. Cette rigueur financière est

accompagnée par le développement d’aides européennes financières pour permettre aux

États de financer l’assainissement progressif de leurs dépenses publiques, lorsque leur

endettement excessif rend les emprunts difficiles, à l’image du Mécanisme Européen de

Stabilité, adopté à l’automne 2012.

Le rapport de la Commission Européenne présente un tableau récapitulatif des mécanismes

adoptés depuis la crise économique et financière. Entre l’adoption du semestre européen, le

pacte « renforcé » de stabilité et de croissance et le pacte budgétaire, tout un ensemble de

mesures visant à réguler les déficits publics ont été mis en place et concernent l’ensemble

des membres de l’Union Européenne. La rigueur budgétaire est donc de vigueur dans l’Union

Européenne, dans son ensemble.

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FIGURE 7 – LES MÉCANISMES DE L’UNION EUROPÉENNE ADOPTÉS POUR ASSAINIR LES

DÉFICITS DE SES ÉTATS MEMBRES, Commission Européenne, L’Union économique et

monétaire et l’euro, Novembre 2014, p. 15.

Face à la crise économique de 2008, l’Union Européenne a donc agi par des mesures très

strictes afin d’assainir les finances publiques des États européens et de contenir les déficits

publics, ce qui se traduit par une rigidification particulièrement forte des politiques

budgétaires. La France, suivant les accords européens, a ratifié le Pacte Budgétaire et doit

maintenant respecter ses engagements. Les déficits publics doivent être réduits et devenir à

moyen terme inférieurs à 0,5% du PIB, ce qui entraîne donc des économies non négligeables

à appliquer dans le système français. Ce qui pose la question des répercutions possibles sur

les politiques culturelles, traditionnellement inflationnistes.

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B – L’impact de la crise économique sur la politique culturelle et son financement.

Dans une optique où les États doivent faire disparaître, à moyen terme, leurs déficits publics,

il convient dans un premier temps de se pencher sur le cas français pour mesurer les efforts

à accomplir pour parvenir à réduire voire supprimer ce déficit public. Les chiffres de la

Commission Européenne (dans Biasutti, 2012, p. 93) enrichi des chiffres de l’INSEE

permettent de mesurer l’évolution du déficit français entre 2008 et 2015.

TABLEAU 11 – ÉVOLUTION DU DEFICIT PUBLIC ET DE LA DETTE PUBLIQUE

FRANÇAISE (en % du PIB, 2008-2015), Commission Européenne (2012), Eurostat, INSEE (2016)

2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Déficit public : -3,3 -7,5 - 8,2 - 5,2 - 4,8 - 4,0 - 4,0 -3,5

Dette publique brute : 68,2 79,2 82,7 86,2 90,6 92,4 95,3 95,7

La crise économique de 2008 a fortement accentué le déficit public et la dette publique de la

France entre 2008 et 2015. En 2015, l’État Français n’a toujours pas retrouvé le niveau de

son déficit public de 2008, déjà supérieur au pourcentage limite fixé par le pacte européen

de stabilité et de croissance. Quant à la progression de la dette publique, elle est

considérable, liée aux investissements de relance et au sauvetage des institutions bancaires

mis en place pour éviter un effondrement du système économique et financier après la crise

économique de 2008. Les efforts à fournir sont donc conséquents dans les années à venir,

avec un objectif de « déficit zéro » qu’il semble aujourd’hui difficile de contourner.

Alors que, les dépenses publiques dans le domaine culturel ont augmenté de près de 193%

entre 1980 et 2010 (Benhamou, 2011, p.99), une règle d’or budgétaire a des incidences

considérables sur la gestion des dernies publics. Les emplois d’État occupent 1 923 336

fonctionnaires en 2012 selon Baslé (2015, p. 50), 11 132 étant alloués au service de la

Culture et de la Communication. C’est peu, en comparaison des 968 194 emplois de

l’Éducation Nationale. Mais suffisant pour que des économies s’opèrent : en 2013, le budget

de la Culture a été diminué de 4%, avant de souffrir d’une nouvelle baisse en 2014 de 2%.

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Si depuis 2014 le budget de la culture a été « sanctuarisé » après une annonce du Premier

ministre Manuel Valls lors du Festival de Cannes et une hausse de budget dès 2015 (un

timide + 0,3%, conforté par un plus large + 2,7% pour 2016), la baisse du budget du

Ministère de la Culture sur les deux exercices précédents n’en est pas moins un symbole

fort. En effet, il s’agissait alors de la première baisse sur deux années consécutives des

dotations de l’État depuis la création du Ministère de la Culture par André Malraux. Et la

baisse de dotation est un signal politique : celui qui signifie que que la politique culturelle est

jugée comme trop dépensière et que l’État souhaite désengager une partie de ses

financements.

Même si la hausse des deux derniers exercices peut sembler contredire l’argument évoqué

dans le paragraphe précédent, elle est, pour l’exercice 2016, un symbole politique fort et

exceptionnel après une année éprouvante pour le secteur culturel, profondément marqué

par les attaques perpétrées à l’encontre du journal satirique Charlie Hebdo le 9 Janvier 2015.

Fleur Pellerin, en présentant cette augmentation conséquente du budget, parlait alors du

« budget [de la Culture] de la France Après-Charlie ». Une augmentation qui traduit donc un

geste politique fort, et qui n’enlève rien aux problèmes structurels rencontrés par le secteur

culturel.

À cette baisse de dotation s’ajoute des changements plus profonds qui marquent la

conception même du service public en France. Baslé note dans son ouvrage le Budget de

l’État, en conclusion du chapitre consacré aux choix politiques des dépenses publiques,

l’apparition de nouvelles pratiques qui, en période de rigueur financière, ont des

conséquences sur les politiques culturelles. Aussi, l’auteur note depuis 2011 la pratique du

« gel des valeurs » (2015, p. 60) ou budget base zéro des dépenses de l’État. S’ajoute à cette

pratique du gel des valeurs : une évolution philosophique où les dépenses de l’État viennent à

être évaluées dès le premier euro utilisé et non plus pour chaque euro supplémentaire

dépensé (2015, p. 58). Des propositions de politiques publiques qui renforcent l’évaluation et

la régularisent, ce qui a des incidences sur l’allocation des ressources. Il s’agit de propositions

qui font sens en période de rigueur budgétaire, où chaque euro dépensé doit pouvoir être

justifié.

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On le voit donc, les politiques culturelles sont soumises à des pressions nouvelles et des

baisses de dotations inédites qui remettent en cause la pérennité de politiques culturelles

basées sur le subventionnement public. Si l’État, qui joue un rôle important dans l’élaboration

des politiques culturelles, voit son budget diminuer face à la crise économique, une solution

qui peut être envisagée est de décentraliser les compétences et de donner aux collectivités

territoriales une compétence élargie en matière de politique culturelle. Une manière

astucieuse de se décharger du poids des politiques culturelles, tout en s’assurant ne pas

porter un coup trop rude au modèle de subventionnement public traditionnel, ancré depuis

la fin des années 1950.

C – La décentralisation des compétences : quel rôle pour les collectivités territoriales en France ?

Après avoir mis en place une institution centrale dès 1959 avec l’instauration d’un Ministère

de la Culture, l’État s’est vite rendu compte qu’il ne pouvait appliquer seul une même

politique culturelle sur l’ensemble du territoire. Il a alors décentralisé une partie de ses

compétences en matière de politique culturelle, pour des motifs à la fois budgétaires mais

également des arguments politiques de proximité. Une politique culturelle efficace passe

nécessairement par des institutions de proximité : aussi l’État a très vite attribué des

compétences aux collectivités territoriales et pratiqué une déconcentration pour mieux

appliquer sa politique avec l’instauration des CRAC (Comités Régionaux des Affaires

Culturelles).

C’est finalement le passage de la conception de l’État culturel, cher à André Malraux, à un

État partenaire, qui accompagne les collectivités dans leurs actions culturelles. Cette

transition est amorcée par la politique de Jack Lang. Les communes, qui disposaient d’un rôle

historique clé depuis le début du vingtième siècle, notamment dans la gestion des musées,

bibliothèques et conservatoires, se voient confortées dans leur rôle.

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Les régions se dotent de véritables politiques culturelles dès leur création (1986), avec le

développement des contrats de plans État-régions et les Conventions de développement

culturel, qui sont les outils de ce dialogue. Ils outils aboutissent à 1200 conventions

engendrées entre 1982 à 1991, selon Philippe Poirrier (2000, p. 171).

La création des Directions Régionales des Affaires Culturelles en 1977 traduit la volonté de

l’État à s’installer directement dans les territoires pour piloter son action culturelle. Quant

aux départements, leurs prérogatives en matière culturelle sont plus timides et plus tardives.

Face à cette pluralité d’acteurs, qui émergent à partir des années 1980, on peut se demander

quel est le rôle joué par les collectivités territoriales. Mais également quels textes attribuent

les responsabilités de chaque acteur en matière de politique culturelle. Pour Pontier,

président de l’École doctorale des Sciences juridiques et politiques, les compétences en

matière culturelle des collectivités territoriales reposent sur deux fondements : les lois et la

clause générale des compétences.

La clause générale des compétences découle d’une loi de 5 avril 1884 sur les communes,

laquelle a été ensuite étendue au département et à la région. Elle indique que « la collectivité

territoriale règle, par ses délibérations, les affaires de la communauté ». En d'autres termes,

au titre de la clause générale de compétences, les collectivités territoriales peuvent

intervenir dans tous les domaines qui n'ont pas été attribués à d'autres personnes, publiques

ou privées, dès lors qu'un intérêt public le justifie.

On distingue dans les interventions des collectivités territoriales en matière de politique

culturelle les compétences classiques, et celles qui découlent d’une initiative de la

communauté territoriale elle-même ou de l’État directement.

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FIGURE 8 – Les compétences classiques des collectivités territoriales en matière de

politique culturelle, Pontier JM, 2008, Sénat.

COMMUNE - Gestion des musées, sous forme d’établissements publics de coopération culturelle. - Entretien et aménagement du patrimoine historique. - Formation artistiques dispensées dans les écoles de musique, de danse et de théâtre. - Entretien et mise en service des bibliothèques.

DÉPARTEMENT - Bibliothèques - Archives

RÉGIONS - Coordination des politiques culturelles (DRAC) - Fonds régionaux d’art contemporain

Ce tableau montre le rôle très important des communes en matière de politiques

culturelles. Il insiste aussi sur le rôle de coordinateur des régions dans la politique culturelle

et le lien qu’elles assurent entre l’État partenaire et les collectivités territoriales

décentralisées. Ce tableau n’inclut pas le budget alloué aux subventions, qui existe pour

chaque niveau de décentralisation. Mais il montre la répartition des compétences et illustre

le fait que la politique culturelle se répartit aujourd’hui entre l’État et les collectivités

territoriales.

Dans les compétences spécifiques, à l’initiative des collectivités territoriales ou de l’État, on

recense les initiatives suivantes :

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FIGURE 9 – Les compétences spécifiques des collectivités territoriales en matière de

politique culturelle, Pontier JM, 2008, Sénat.

A L’INITIATIVE DES COLLECTIVITES TERRITORIALES

- Les collectivités territoriales sont intervenues dans le domaine du cinéma, domaine qui a une place particulière en France. Ces aides dans le domaine de l’audiovisuel consiste à verser des subventions, à mettre des studios à disposition.

- Dans le domaine des images, versement de subventions (exemple : le festival de la Bande Dessinée d’Angoulême).

A L’INITIATIVE DE L’ETAT Essentiellement envisagées par la loi du 13 août 2004.

- L'inventaire général consiste à recenser l'intégralité des œuvres patrimoniales qui présentent un intérêt artistique ou historique en France. Depuis 40 ans, les services de l'Etat ont élaboré une méthodologie et ont commencé à recenser les œuvres. Il revient désormais aux régions de poursuivre l'inventaire général, en respectant la méthodologie scientifique qui a été élaborée par l'Etat.

- La réorganisation des enseignements du domaine artistique : certains changements ont été opérés puisqu'on compte désormais trois catégories d'école d'enseignement de la musique, de la danse et du théâtre : les écoles à rayonnement communal et intercommunal, les écoles à rayonnement départemental et les écoles à rayonnement régional. Le département est chargé d'établir un schéma départemental de développement des enseignements artistiques.

Quel champ pour les collectivités territoriales ? La conclusion du rapport présenté par M.

Pontier en 2008 établit que « les collectivités territoriales s'investissent de plus en plus dans

le domaine culturel et ont des initiatives de plus en plus diversifiées. Ces compétences

culturelles correspondent à un changement de la société. Elles répondent à de nouveaux

besoins des citoyens et impliquent aussi un changement profond entre l'Etat et les autres

collectivités publiques ». L’État s’affirme comme un partenaire dans l’élaboration de la

politique culturelle tandis que les collectivités territoriales jouent un rôle accru en matière

de politique culturelle.

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Finalement, le champ culturel suit la logique traditionnelle d’intervention de l’État : une

logique d’investissement mesurée au profit des collectivités territoriales (Baslé estime que

l’État consacre 3% du budget de son administration centrale à l’investissement quand les

administrations publiques locales y consacrent 21% de leur budget, pour un endettement

respectif de 80% et 9% (2015, p.46))

Les collectivités territoriales occupent une place prépondérante dans la politique culturelle

contemporaine et sont devenues des acteurs indispensables à leur financement et leur

expansion. Si l’argument est d’abord politique, il a permis de rapprocher la politique

culturelle des territoires, et de développer des identités propres à chaque territoire. L’État

culturel est bel et bien devenu un État partenaire au sens politique, et la politique culturelle

se voit confortée par des institutions plurielles, chargées de son expansion, sur l’ensemble du

territoire.

Mais face à la crise économique et au déficit budgétaire, il faut se confronter à l’argument

économique. Si l’État a dû faire des sacrifices budgétaires en matière de politique culturelle,

comme nous avons pu le voir précédemment, il faut se demander si les collectivités

territoriales, soumises à des règles très strictes en matière budgétaire, peuvent de manière

durable compenser la baisse des dotations de l’État ?

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II – Le financement de la culture : un mal français Le régime « d’exception culturel » propre à la France va-t-il pouvoir perdurer, alors que ce

dernier est fondamentalement lié à un généreux système de subventionnement public ? Rien

n’est moins sûr. La crise économique a conduit les États à chasser les déficits publics, tandis

que les collectivités territoriales ont à leur charge de plus en plus de compétences avec un

budget limité et une règle d’or qui se doit d’être tenue. L’endettement public n’a pas bonne

presse et, alors que le chômage augmente et que le volume d’aide social augmente, l’avenir

du financement public de la culture est en suspend.

Il ne s’agit pas ici d’affirmer que l’État et les collectivités territoriales vont de concert cesser

leurs opérations de subventionnement dans un avenir proche. Il s’agit plutôt de poser la

question de l’avenir du financement des politiques culturelles : car si ces dernières ont été

croissantes depuis la mise en place d’un Ministère de la Culture en 1959, la baisse de la

dotation de la subvention accordée à ce même ministère en 2014 et en 2015 marque un bien

un coup d’arrêt. L’État aurait-il atteint les limites de sa politique culturelle ?

Dans un premier temps, nous verrons comment la crise économique a porté un coup à la

confiance que l’on portait au modèle de subvention. Un coup d’arrêt qui a entraîné la remise

en cause du modèle de subvention publique jusque dans son fondement. Nous verrons

ensuite les insuffisances et les manquements pointés par certaines institutions administratives

et leurs propositions pour financer les politiques culturelles à venir. Dans un troisième

temps, nous nous demanderons si l’État n’est pas en train de se diriger vers un modèle de

politique culturelle visant la performance, consacrant l’idée du « New Public Management ».

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A – Une remise en cause profonde du modèle de subventions La décentralisation des politiques culturelles menée depuis les années 1980 posait déjà la

question de la soutenabilité d’un « État tout-culturel ». Les ouvertures progressives réalisées

vers le Mécénat et les collectivités territoriales ont montré que les subventions ne pouvaient

pas être issues uniquement de l’État central. Pour autant, le modèle de subvention se

confronte désormais à une crise économique inédite, qui met à mal l’État culturel par la

guerre menée aux déficits publics. Nous verrons donc au cours de cette deuxième sous-

partie comment la crise économique a profondément remis en cause le modèle de

subventions allouées aux politiques culturelles.

• Un État culturel à bout de souffle. Le Ministère de la Culture peut mettre en avant l’augmentation exceptionnelle de 2,9%

réalisée sur le budget 2016 allouée au Ministère, il faut cependant relativiser. Car si le budget

alloué au Ministère de la Culture représente pour 2016 la somme de 9,4 milliards d’euros, il

faut rappeler que cette somme concerne tout un ensemble de champs nombreux et pluriels,

allant de l’audiovisuel public (pour près de 50% du budget total du ministère) à la création

artistique (qui représente 896,8 millions d’euros) en passant par la sauvegarde du patrimoine

(1049 millions d’euros) et les missions de démocratisation (360 millions d’euros).

Dans le cadre du spectacle vivant, les décentralisations successives ont rendu le rôle de l’État

dans les politiques culturelles presque marginal. Le rôle de l’État consiste alors à assurer la

démocratisation des projets culturels, et à soutenir les plus grands événements et festivals

qui s’organisent sur le territoire, tout en soutenant le développement et la gestion des

quelques infrastructures nationales. Le reste relève de la compétence des collectivités

locales. France info explique qu’aujourd’hui 75% des dépenses culturelles proviennent des

collectivités territoriales et 25% de l’État.

Benhamou, dans son ouvrage paru en 2011 conforte cette idée en indiquant que le spectacle

vivant « vit largement grâce aux subventions publiques » (2011, p. 35). L’État verse environ le

tiers des aides publiques aux grandes structures de création et de production (centres

dramatiques nationaux et régionaux, orchestres, opéras) et les collectivités locales les 2/3.

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La place des subventions publiques n’est pas négligeable dans le financement de la culture :

on estime ainsi que la Comédie Française a ainsi reçu une subvention de 25,9 millions

d’euros pour 370 représentations en 2009, ce qui représente un coût de 92€ par fauteuil

occupé (Benhamou, 2011, p. 35). Mais la place des subventions est de plus en plus grande et

de plus en plus lourde à porter pour l’État : jusqu’en 1930, la part des fonds propres de la

Comédie Française représentait 80% de ses fonds propres. Aujourd’hui, dans la plupart des

théâtres, ce taux peine à dépasser les 30% tandis que les orchestres plafonnent souvent à

15%

Au fil des années, l’État a investi de plus en plus dans la culture et a élargi ses champs

d’intervention (ouverture au cirque et aux arts de rues par exemple). Mais aujourd’hui, il

doit faire face à une demande croissante de soutien alors que les moyens alloués tendent à

plafonner. La décentralisation a été une première réponse habile pour s’extirper d’une partie

du poids du financement culturel mais aujourd’hui cela ne suffit plus. La chasse aux déficits a

montré les menaces pesants sur le système de subventions publiques : et si le budget de la

culture a augmenté de 2,9% en 2016, rappelons que deux baisses consécutives et historiques

avaient marqué le budget du Ministère de la Culture lors des deux exercices précédents. Un

essoufflement qui met à mal le système de subventionnement public de l’État central.

• Les collectivités territoriales, un acteur financier majeur, au budget limité.

Nous l’avons vu précédemment, les collectivités territoriales ont progressivement vu leurs

compétences s’étendre par les lois de décentralisation, et notamment dans le cadre des

politiques culturelles.

Alors que certaines collectivités décentralisées avaient des prérogatives historiques en

matière de politique culturelle (c’est le cas notamment des communes qui ont géré leurs

musées depuis leur création), les régions et les départements ont obtenu tout récemment

une mission de politique culturelle.

L’État a déchargé une partie du poids budgétaire de sa politique culturelle sur les collectivités

territoriales, et notamment une partie de ses subventions en misant sur la proximité

géographique entre les collectivités territoriales décentralisées et les acteurs culturels.

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Jean-Cédric Devainquière, chargé d’études, de la prospective et des statistiques au Ministère

de la Culture rappelle l’importance des dépenses des collectivités territoriales (2014, p. 8) :

sur les 7,6 milliards d’euros investis dans les politiques culturelles par les collectivités

territoriales en 2010, 70% d’entre elles (4,5 milliards d’euros) proviennent des communes,

10% sont assurés par les régions et 10% par les départements (soit 700 millions pour les

régions et 700 millions pour les départements). 17% sont des dépenses assurées par les

groupements de commune (1,3 milliard d’euros). Les fonds des collectivités territoriales

proviennent donc d’acteurs diversifiés.

Sur une période de quatre ans (2006-2010), le rapport note que « les dépenses consolidées

en France métropolitaines en faveur de la culture ont globalement augmenté de 10 % »

(2014, p. 8). Mais qu’une partie de cette augmentation est due à la hausse des prix. Il est

intéressant de noter que le dynamisme est particulièrement fort au sein des groupements de

commune et des régions, avec des hausses respectives de + 23 % et + 18 %.

Dans ces dépenses culturelles aux frais des collectivités territoriales se distingue différents

types de dépenses : il y a les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement.

Le rapport note que si les dépenses de fonctionnement sont globalement stables au sein

d’une économie, les dépenses d’investissement peuvent être très variables d’un exercice à

l’autre en fonction des dépenses portées par les collectivités territoriales. Et dépendent aussi

du type de collectivité.

Pour ce qui concerne les communes, en termes d'évolution, deux tendances ressortent en

particulier. Tout d'abord, la part des dépenses de personnel a diminué dans les dépenses

culturelles des communes sur la période 2006-2010 tandis que seules les subventions

culturelles ont continué de progresser sur la même période au bénéfice, en particulier, des

théâtres, activités artistiques et arts plastiques » (2014, p.10)

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L'effort budgétaire des communes pour les politiques culturelles est passé de 9,3 % en 2006

à 9 % de leur budget en moyenne en 2010, révélant une contraction de ce point de vue.

Cette baisse de dotation doit cependant tenir compte de l'intercommunalité croissance,

notamment en matière culturelle. Il apparaît ainsi que les dépenses totales du bloc communal

ont continué d'augmenter jusqu'en 2006 et jusqu'en 2010.

Concernant les groupements, l'évolution dynamique des dépenses culturelles entre 2006 et

2010 s'explique en partie par l'augmentation du nombre de groupements compétents dans le

domaine. Lors de la précédente enquête réalisée par le Ministère de la Culture en 2006, les

statistiques avaient regroupé 194 groupements de communes dans le domaine culturel. En

2010, ce nombre est porté 242. En matière de dépenses culturelles des départements et des

régions, les moyennes masquent les importantes disparités. Le rapport du Forum cite à titre

d'exemple que, à l’exception de Paris, pour les départements, l'effort culturel varie de 0,7 %

à un peu moins de 5 % (2014, p. 11).

Pour les départements, on observe que derrière l'évolution globale des dépenses de

fonctionnement consacrées à la culture, il y a eu en réalité un ralentissement et même, très

certainement, une baisse en fin de période sur la période 2009 et 2010.

L’évolution des dépenses culturelles départementales est très faible puisqu’elle est inférieure

à l'inflation constatée sur la période. Pour les régions, enfin, on note les mêmes disparités

que dans les départements. La progression des dépenses culturelles des régions s'inscrit en

nette décélération par rapport aux périodes antérieures.

Un tableau récapitulatif, réalisé à partir du rapport de ce Forum, sur les exercices 2006-

2010, permet de montrer la différence entre les dépenses de fonctionnement et les

dépenses de subvention. Tout en notant que les dépenses de subvention se divisent au

niveau régional entre les subventions de fonctionnement et les subventions d’investissement.

La différence réside dans le public visé par les subventions : les subventions de

fonctionnement visent majoritairement des infrastructures privées alors que les subventions

d’investissement s’adressent plutôt aux communes et à leurs groupements.

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TABLEAU 12 – Part des dépenses culturelles allouées par les collectivités territoriales,

Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales, p.10-12, 2014

Dépenses de fonctionnement Dépenses en subventions Subventions (en millions

d’euros, 2010)

Communes 80% (dont plus de 50% de

dépenses de personnel)

20% (versées à 80% pour des

structures privées dont

associations)

900

Groupement

de communes

77% (dont 60% de dépenses de

personnel)

20% 260

Départements 59% (dont 36% de dépenses de

personnel)

41% 287

Régions 20% 80% 560

Avec plus de 7 milliards d’euros d’investissements en 2010, les collectivités territoriales

jouent un rôle fondamental dans le financement de la politique culturelle. Les collectivités

décentralisées ont plusieurs avantages : elles permettent une certaine proximité avec les

acteurs locaux et demeurent plus accessibles. Pour autant le modèle de décentralisation à

ses limites.

En effet, si le budget des politiques culturelles est conséquent, il est cependant inégalement

réparti sur l’ensemble du territoire. Il dépend de choix politiques et de contraintes

budgétaires propres à chaque commune/département/région.

De même, si les budgets peuvent paraître conséquent, il faut aussi regarder attentivement la

proportion de ce budget (cf. TABLEAU 12) allouée aux subventions. Si les communes

constituent par exemple l’échelon décentralisé le plus proche et le plus accessible pour les

artistes, la part de son budget alloué aux politiques culturelles est en général majoritairement

consacrée aux frais de fonctionnement des institutions et les subventions allouées par les

communes sont en général relativement faibles.

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La part allouée aux subventions et à l’investissement est en général plus élevée dans les

collectivités territoriales déconcentrées, de taille plus importantes, mais la concurrence est

plus rude et les projets sont plus nombreux à solliciter les subventions publiques.

Or, le contexte récent montre une diminution du budget alloué aux politiques culturelles et

donc aux politiques de subventions dans les départements et les régions. Il s’agit d’une

première tendance qui montre les limites du modèle de subvention : la diminution des

budgets alloués aux régions et départements en matière de politique culturelle renforce

encore davantage la concurrence entre les acteurs culturels.

Dans le cas des communes, le rapport note une diminution des dotations allouées aux

politiques culturelles. Mais nuance cette affirmation en constatant une hausse similaire des

dotations allouées aux politiques culturelles dans les groupements de communes. Mais le

renforcement des liens d’intercommunalité diminue la proximité des politiques culturelles et

renforce la concurrence entre les acteurs culturels, qui doivent se partager un même budget

pour un territoire plus vaste.

Enfin, il faut souligner que ces collectivités décentralisées, de plus grande proximité avec les

individus, ont une intervention mesurée en termes de subventionnement et la majeure partie

du budget alloué aux politiques culturelles se trouve absorbée par les dépenses de

fonctionnement.

Aussi, la multiplication des groupements de communes, le renforcement de la concurrence

entre les acteurs culturels tout comme la diminution globale des subventions allouées aux

régions et aux départements dans la conduite de leurs politiques culturelles posent

sérieusement la question de la tenabilité du système de financement de la culture par la

subvention publique. L’endettement massif de l’État tout comme la chasse aux déficits publics

des collectivités territoriales doivent conduire à une réflexion de long terme sur un

financement durable et fonctionnel pour les politiques culturelles.

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• Entre l’État et les collectivités territoriales, personne ne semble en mesure de pouvoir tenir le modèle de subvention.

Les données macroéconomiques illustrées dans cette partie ont bien malheureusement des

conséquences concrètes dans l’application des politiques culturelles : par exemple, France

Info souligne en 2014, la disparition de 150 festivals durant la saison estivale, faute de moyens

financiers suffisants due à la baisse des dotations.

Les orchestres, tout comme les chœurs soulignent également la précarité de leurs situations

respectives : en 2015, la Fédération des ensembles vocaux et instrumentaux spécialisés

(FEVIS) estime dans le journal les Échos que « les ensembles musicaux indépendants vivent à

57% de leurs recettes propres, 11% du Mécénat et de fonds privés et à seulement 32% de

subventions ». En 2015, ces subventions ont baissé de 6% selon Marie Hédin, déléguée

générale du FEVIS et leur diffusion a diminué de 12%, tandis que la masse salariale a chuté,

entre 2012 et 2014, de 18%.

Dans ce même article, Jacques Toubon, président de la FEVIS et ancien ministre de la

Culture, ajoute quant à lui que les perspectives à venir sont « très préoccupantes » car «

aucune collectivité ne semble être en mesure de soutenir les ensembles au même niveau que

par le passé » pour reprendre les mots de Muriel Batier, administratrice générale des Arts

Florissants.

Cette situation se retrouve dans les chœurs professionnels, comme le confirme un autre

article du journal Les Échos. Largement dépendant des subventions publiques (qui

représentent 52% de leur budget total de 8,6 millions d’euros), les collectivités apportent 3

millions d’euros auxquels s’ajoutent 1,4 million d’euros en provenance de l’État. Or, avec la

crise, le financement classique de ces formations, reposant sur une résidence dans une salle

publique ou un festival, et donc un appui de l'Etat et des collectivités, sera de plus en plus

difficile à obtenir. Pour Laurence Equilbey, chef de chœur et directrice artistique de

l’ensemble vocal Accentus, la solution réside dans la constitution de pôles artistiques, qui

allient aux nombreux projets des ensembles professionnels un projet pédagogique fort,

participant activement à la recherche et à la création ». Ce qu’elle a accomplie en inscrivant

son ensemble vocal dans le réseau européen Tenso.

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Les acteurs culturels s’inquiètent donc de la pérennité d’un système de financement par

subventions qui semble à bout de souffle et recherchent d’autres solutions et partenaires

économiques. Mais cette remise en question du système de subventionnement, que l’on

retrouve auprès d’artistes et d’acteurs sur le terrain, se trouve aussi au sein de

l’administration centrale. Quelles sont les critiques formulées et quelles solutions sont

proposées pour envisager l’avenir des institutions culturelles ? C’est la question à laquelle

nous allons tâcher de répondre.

B – Des rapports publics pointent l’inefficience du système actuel L’État dispose d’un retour critique sur les politiques qu’il met en œuvre, de par les

institutions qui sont en charge du contrôle interne de l’action publique. Ce sont les rapports

établis par ces services qui lui permettent d’avoir un recul et d’orienter les mesures

politiques en fonction des manquements observés et des orientations indiquées.

Dans le cadre de notre étude, nous avons cherché les rapports récents qui avaient pu être

réalisés en matière de politique culturelle. Deux rapports ont particulièrement attiré notre

attention car ils mettent en perspective l’évolution du budget alloué par l’État à des

établissements culturels et expriment des recommandations précises sur la gestion

budgétaire à venir pour ces établissements. Il s’agit d’un rapport de l’Inspection Générale des

Finances (2015) et d’un rapport de la Cour des Comptes (2016).

Le rapport de l’Inspection Générale des Finances porte spécifiquement sur l’évaluation de la

politique de développement des ressources propres des organismes culturels de l’État. Le

rapport de la Cour des Comptes porte quand à lui plus spécifiquement sur les théâtres

nationaux. Dans les deux cas, les rapports portent sur des institutions culturelles

directement gérées par l’État.

C’est pourquoi nous compléterons ces deux rapports par un troisième avis, en région, émis

par le Conseil Économique, Social et Environnemental Régional d’Alsace. Ce rapport, en

date du 17 juin 2015 porte sur la question suivante : « Comment renforcer l’impact

économique de la culture ? ». Le CESER est une commission consultative qui formule des

avis et peut se saisir de toute question d’intérêt régional.

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Le CESER se compose de trois collèges : le premier composé de 25 membres issus des

entreprises et des organisations professionnelles non-salariées. Le deuxième collège

représente les syndicats de salariés et se compose de 25 membres. Le troisième collège

représente les organisations participant à la vie collective et œuvrant dans le domaine de

l’environnement. Enfin, trois personnalités désignées par le préfet de Région sont membres

de la commission. Le CESER ne constitue cependant pas une collectivité territoriale. Il est

une commission consultative et citoyenne, dont l’avis est transmis au Conseil Régional.

Ces trois rapports nous donneront des pistes de réponses quand aux consignes données par

les collectivités territoriales et l’État pour orienter les budgets des institutions culturelles

dans les années à venir. Leurs conclusions ou synthèse sont disponibles en annexes, à la fin

de cet étude (document A pour l’étude de l’inspection générale des finances, document B

pour le rapport de la Cour des Comptes et documents C.1 et C.2 pour l’avis du CESER).

• Pour l’Inspection Générale des Finances, un constat sans appel pour plus de ressources propres dans les organismes culturels.

L’enquête de l’Inspection Générale des Finances est réalisée auprès de 36 établissements

culturels financés par l’État. Parmi eux a été établi un périmètre restreint composé des 17

établissements les plus importants (en taille et budget) et/ou les plus emblématiques de leur

catégorie, sur lesquels les investigations de la mission ont été plus approfondies.

L’enquête analyse la hausse du taux de ressources propres de fonctionnement des

organismes culturels de l’État. Sur la période 2004-2013, cette hausse du taux de ressources

propres de fonctionnement est cependant modéré, passant de 37,5% à 40,7%, sachant que

cette hausse a essentiellement eut lieu entre 2009 (37,9%) et 2013 (40,7%).

L’Inspection Générale des Finances note cependant que ce taux de ressources propres de

fonctionnement est très variable d’un secteur à l’autre. Il est relativement élevé pour les

« Musées et patrimoine » et souvent beaucoup plus faibles (inférieur à 20%) dans d’autres

champs comme le secteur Livre et Médias.

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Les ressources propres se font essentiellement sur la billetterie, qui représente à elle seule la

moitié des ressources propres des organismes culturels de l’État (44,5% entre 2012 et

2013), tandis que la valorisation du domaine (14,8%), les produits dérivés (13,9%), le

Mécénat/partenariat (12,8%), la valorisation des collections et productions (7,4%) constituent

les autres sources de financement. Une dernière catégorie, comprenant les activités

culturelles annexes, la médiation et le service aux visiteurs, la valorisation du patrimoine

immatériel et les produits financiers, représente 6,6% des ressources propres de

fonctionnement.

Le rapport note en parallèle que cette hausse des ressources propres s’accompagne d’une

hausse globale des charges, ce qui induit des exercices déficitaires pour de nombreux

établissements qui pratiquent la valorisation d’activités financières parallèles. Seules trois

activités, que sont la location d’espace, les redevances de concession et le mécénat, ont

permis d’obtenir un équilibre financier. Tous les autres types d’activités (gestion

d’auditorium, expositions itinérantes, activités numériques) n’ont pas eu le succès escompté.

Ce qui pose la question du « maintien et du développement de ces activités à l’équilibre

financier fragile lorsqu'il n'apparaît pas qu'elles participent significativement aux missions de

service public de l'établissement » (2015, p.2).

Par ailleurs, le rapport précise également des difficultés dans la gestion des entrées

budgétaires : en effet, les organismes culturels ne sont pas maîtres des prix de la billetterie,

qui constitue pourtant leur principale entrée de ressources monétaires. Or, une hausse des

prix peut être limitée par des politiques de gratuité et de tarification réduite liées aux

objectifs de démocratisation culturelle. La marge de manœuvre des organismes culturels est

donc très réduite.

Sur la base de ces constats, la mission préconise de développer les ressources propres des

organismes culturels de l’État autour de deux axes majeurs : améliorer le rendu des

ressources propres qui offrent le meilleur potentiel financier et rationaliser voire repenser

l'opportunité de certaines activités à l'équilibre financier fragile.

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Aussi, l’Inspection Générale des Finances dresse un bilan dans lequel elle défend une

adaptation plus fine des politiques tarifaires, une politique adaptée aux différentes capacités

de paiement du public. Pour cela elle esquisse plusieurs pistes comme la progressivité des

tarifs tout en prenant garde aux effets de seuils (qui dissuadent la fréquentation lorsque le

coût est jugé trop élevé), la réduction des dispositifs de gratuité (premier dimanche de

chaque mois gratuit par exemple) ou encore la modulation des tarifs et des amplitudes

horaires en fonction de la saison (places plus chères le week-end qu’en semaine pour

maximiser la fréquentation des théâtres par exemple).

Elle insiste aussi sur le développement de services qui pourraient engendrer de nouveaux

revenus. Par exemple, l’Inspection Générale propose l’amélioration des conditions de

réservation, d’accès et de visite, qui correspond à une attente forte du public. On peut ainsi

imaginer le développement des ventes de billets horodatés, le développement de visites

privées, voire l’introduction d’une tarification différente en fonction du créneau horaire.

Dans le cadre du spectacle vivant, l’Inspection Générale des Finances imagine des dispositifs

comme le développement de visites privilégiées des coulisses, ou de places pour les

répétitions. Tous ces services constitueraient autant de nouvelles ressources propres pour

les organismes culturels.

L’Inspection Générale des Finances propose également de développer la valorisation des

patrimoines, le développement de partenariats avec l’étranger (par exemple, transfert

temporaire d’œuvres ou d’expositions dans d’autres musées du monde, véritable source de

profits). L’IGF encourage également la professionnalisation des services de produits dérivés

et des boutiques afin d’assurer une rentabilité. Elle recommande enfin l’ouverture au

numérique qui améliorerait la notoriété et la popularité des organismes culturels. Elle pose

enfin la question du devenir des activités annexes (comme la gestion des auditoriums),

souvent source d’importants déficits. L’ensemble de ces propositions doit être accompagné

d’un suivi plus important en termes de comptabilité analytique et de suivi des frais de

personnels.

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Le rapport de l’Inspection Générale des Finances dresse donc un constat sans appel où les

ressources propres des organismes culturels sont jugées comme étant insuffisantes. Les

nombreuses propositions faites à l’égard des organismes culturels sont très ambitieuses et

supposent un changement structurel extrêmement fort, avec la mise en œuvre de nombreux

nouveaux services. Cette recherche de la rentabilité économique, afin d’augmenter les

ressources propres des organismes culturelles laisse entrevoir une réduction future des

subventions publiques qui leur sont actuellement allouées. Pour l’inspection générale des

impôts, l’État doit indubitablement réduire son train de vie et cela à des conséquences

directes sur la gestion budgétaires des organismes culturels.

• Pour la Cour des Comptes, des efforts insuffisants qui doivent conduire à de nouvelles mesures de gouvernance pour améliorer la structure de financement des théâtres nationaux.

L’enquête de la Cour des Comptes porte sur le type d’établissement spécifique que sont les

théâtres nationaux. Au nombre de quatre, ces établissements sont largement subventionnés

et reçoivent à eux seuls autant d’argent que les 39 centres dramatiques nationaux ou

régionaux. Le rapport de la Cour des Comptes, tout en reconnaissant les efforts consentis,

épingle cependant l’utilisation faite de l’argent public sur plusieurs points.

Elle établit dès le début de sa conclusion un constat sévère : « S’ils [les théâtres nationaux]

ont conservé le niveau et l’exigence de leurs créations, l’État ne peut, dans un contexte

budgétaire contraint, continuer à assurer seul la pérennité du système » (2016, p. 504)

Pour se faire, un contrôle plus fort doit être opéré par l’État sur les théâtres nationaux.

Aussi, la Cour des Comptes lui demande de veiller à « renforcer sa place au sein du Conseil

d’Administration de la Comédie Française ». Elle demande également à l’État d’opérer un

contrôle plus soutenu sur l’action des directions de chacun des théâtres nationaux, par la

mise en place de lettres de mission fixant des « objectifs clairs et réalisables ».

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La Cour des Comptes demande encore aux théâtres d’opérer une renégociation de leurs

dispositifs conventionnels, souvent caduques et obsolètes. La Cour des Comptes émet

également des recommandations économiques, et conseille aux théâtres nationaux de

réduire leur train de vie sur plusieurs points :

• En augmentant la diffusion des spectacles crées au sein de leurs structures, en

augmentant le nombre de représentations mais également le nombre de tournées,

notamment en collaboration avec le réseau décentralisé des centres dramatiques.

• En réduisant significativement le nombre de places gratuites allouées et en rendant

compte annuellement au Conseil d’Administration de la politique de gratuité.

• De procéder à la révision de la politique tarifaire en la fondant sur une meilleure

connaissance des spectateurs.

• En mutualisant les fonctions de production (ateliers, stockage, circulation des

costumes et décors, voire activités de diffusion) et les fonctions administratives

(agence comptable, achats, appui à la passation des marchés).

Si la critique est légèrement moins virulente dans la formulation de la Cour des Comptes et

les solutions évoquées plus pratiques, le constat est le même : l’État ne peut continuer à

subventionner de la sorte les théâtres nationaux, qui doivent développer de leur côté des

économies d’échelles et des économies de dépense pour améliorer leurs ressources.

On retrouve dans les recommandations de la Cour des propositions économiques, mais

également sociales et politiques. En opérant un contrôle accru sur les théâtres nationaux, et

en incitant les théâtres à collaborer entre eux, l’État s’assure que les économies d’échelle

préconisées soient mises en œuvre.

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Ces solutions concrètes doivent permettre à l’État d’alléger le poids de ses subventions dans

un avenir proche pour faire face à son déficit budgétaire. On retrouve donc dans les

recommandations de la Cour des Comptes comme de l’Inspection Générale des Finances la

nécessité pour les organismes culturels de développer leur autofinancement. Une nécessité

que l’on retrouve également dans les commissions consultatives en région, comme le montre

l’Avis du CESER en date du 7 juin 2015.

• Pour le CESER, un appel à plus de financement par des ressources propres et à de meilleurs outils de mesures concrets de l’impact culturel.

L’avis du Conseil Économique, Social et Environnemental régional, en date du 17 Juin 2015, a

une vision assez différente des deux grandes institutions d’État que nous avons vu

auparavant. Rappelons tout d’abord que le CESER ne constitue pas une collectivité

territoriale. Il est une commission consultative et citoyenne, dont l’avis est transmis au

Conseil Régional. Pour autant, il est révélateur d’une position de la société civile et des

acteurs économiques qu’il est intéressant de souligner pour montrer le contraste des

positions.

Cet avis du CESER, portant sur l’impact économique de la culture, a été sollicité par le

Président de la Région Alsace, Philippe Richert, dans une lettre en date du 20 juin 2014 (cf.

ANNEXE C.1). Dans la conclusion de son rapport, le CESER exprime clairement le rôle

central de la culture et souligne l’implication des collectivités territoriales dont « les

dépenses culturelles consenties […] ne contribuent pas seulement à améliorer le bien-être

individuel et collectif ou à rendre la vie sociale active et attractive » mais « participent

pleinement à la dynamique économique du territoire et à la préservation de ses emplois »

(2015, p.19). Aussi, le CESER propose que la région Alsace se dote de moyens efficaces pour

évaluer qualitativement et quantitativement l’impact économique de la Culture, prenant en

exemple de structures existantes dans d’autres régions (comme en Lorraine, et la création

de l’ARTECA).

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Le rapport souligne que le financement de la Culture repose majoritairement (de 60 à 65%)

sur des subventions publiques et que les autres recettes provenant de la billetterie et assez

peu du Mécénat posent la question de l’avenir de ces sources de financement, à la vue du

contexte de restriction budgétaire.

Les solutions esquissées par le CESER sont exprimées en conclusion du rapport : « Dans un

environnement de fortes contraintes budgétaires et pour ne pas sacrifier la culture, le

CESER-Alsace recommande la mise en place d’une gouvernance culturelle rassemblant tous

les financeurs, les principaux acteurs culturels et des représentants de la société civile et du

public » (2015, p.19).

Pour y parvenir, « De nouveaux modes de financement devront compléter ceux déjà

existants, notamment par le développement du mécénat et du financement participatif »,

auxquels s’ajouteront « de nouvelles formes de collaboration entre les acteurs culturels et

économiques » (2015, p.19) qui devront voir le jour à travers des coopérations durables et

innovantes.

Alors que le Mécénat n’est absolument pas préconisé par l’Inspection générale des finances,

ni par la Cour des Comptes, le CESER donne toute sa place au Mécénat et au financement

participatif comme formes émergentes de financement de la culture. Nous verrons dans la

troisième sous-partie de cette étude si ces solutions sont réellement envisageables, mais

elles s’opposent clairement ici à ce que propose les institutions d’État, à savoir : la réduction

du train de vie des institutions, la réforme en profondeur de leur système de

fonctionnement, et la mise en œuvre d’économies pour maintenir le fonctionnement des

institutions dans un contexte de réduction des subventions publiques allouées aux politiques

culturelles.

Avec une question qui se pose en ligne de mire : les politiques culturelles doivent-elles

tendre à atteindre un objectif de performance, voire de rentabilité ?

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C – La consécration du New Public Management ?

Le New Public Management (ou nouveau management public) est apparu dans les années

1980. Face à l’important déficit public et au taux d’endettement élevé des États, « pour

mieux répondre aux attentes et exigences des citoyens et dans le but d’encadrer, de

rationaliser voire de réduire les coûts, des solutions ont été envisagées en terme de

management » comme le définissent Amar et Berthier dans leur article (2007, p.2). Le

Nouveau Management Public est la mise en œuvre de techniques traditionnellement

employées dans le secteur privé, au sein même du secteur public.

Mais l’introduction d’une logique de marché au sein du secteur public peut faire grincer des

dents, et particulièrement dans le cadre des politiques culturelles qui disposent d’un régime

de protection particulier et d’un large subventionnement public. Car en effet, une pièce de

théâtre est d’abord faite pour divertir et/ou réfléchir, et non pour être rentable et faire du

profit. Si des considérations monétaires entrent en ligne de mire, on peut se demander quel

serait l’avenir de la liberté artistique ?

Les rapports de la Cour des Comptes et de l’Inspection Générale des Finances contrastent

particulièrement avec celui de la Commission Économique Sociale et Environnemental de la

Région Alsace. Cela s’explique par la composition des commissions et leur champ d’action.

En effet, le CESER agit pour les collectivités territoriales alors que la Cour des Comptes et

l’Inspection Générale des Finances sont des organismes d’État. Si le CESER défend une

politique culturelle ouverte sur les financements extérieurs, sans appeler à une réduction du

train de vie des institutions culturelles, on observe que le discours des deux institutions

administratives d’État ont un discours très différent, qui s’ancre bien davantage dans une

politique de New Public Management.

Pour autant, cette démarche se fait de façon subtile : à aucun moment, nous n’avons vu dans

les rapports du Conseil d’État ou de l’Inspection Générale des Finances les mots

« rentabilité » et « profit » pour parler des activités artistiques menées par les institutions

culturelles. Ce sont des mots beaucoup trop sensibles lorsque l’on parle de culture.

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Si l’administration centrale encourage les institutions culturelles à se tourner vers une

politique budgétaire plus rigoureuse, pour respecter le principe de restriction budgétaire, on

peut se demander si l’ensemble du système doit pour autant se tourner vers le nouveau

management public ? En d’autres termes, la politique culturelle doit-elle, dans son ensemble,

faire de la performance chiffrée un objectif clé ?

Il faut tout d’abord souligner que si la Culture coûte cher, elle participe néanmoins à la

richesse de la Nation. Une étude de l’Inspection Générale des Finances rappelait en

Décembre 2013 que l’apport de la culture française à l’économie était quantifié à 3,2% de la

richesse nationale, comme le rappelle une lettre adressée par Philippe Richert, président du

Conseil Régional d’Alsace, au président du CESER, en juin 2014. En d’autres termes, la

culture est un secteur économique aussi performant que la filière agricole et sept fois plus

que la filière automobile. Pour autant, son fonctionnement basé sur de larges subventions

publiques pose la question de la pérennité des politiques culturelles, eut égard au contexte

de fortes restrictions budgétaire.

Deux tableaux réalisés par Amar et Berthier permettent de montrer les évolutions qui

conduisent une administration à passer d’une organisation wébérienne, telle que définie par

le sociologue allemand au début du XXème siècle, à une organisation moderne, dans le

cadre du New Public Management. Nous prendrons en exemple d’application le modèle des

théâtres nationaux.

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FIGURE 10 : Comparaison des administrations de type webérienne et New

Public Management, Amar et Berthier, 2007, p. 4.

Le premier tableau montre une évolution assez considérable du fonctionnement de

l’administration entre sa conception wébérienne telle que définie au début du XXème siècle

et sa définition moderne, définie ici par Amar et Berthier. L’administration du Nouveau

Management Public s’inscrit dans une organisation plus déconcentrée, avec un partage des

responsabilités clair, de plus grandes autonomies dans l’exécution des tâches, un contrôle

basé sur la performance et un budget axé sur les objectifs.

Dans le cadre des théâtres nationaux, on a vu que des statistiques détaillées présentaient des

données précises comme l’évolution des budgets alloués aux charges structurelles, le coût

des subventions par fauteuil ou encore l’écart entre la jauge théorique et la jauge constatée

de public à assister aux spectacles. De plus en plus d’indicateurs de performance permettent

de contrôler l’activité des théâtres nationaux, qui s’inscrivent dans ce cadre et des objectifs

précis sont fixés afin de contrôler l’évolution du budget des institutions dans les années à

venir.

Administration wébérienne Administration NMP

Objectifs respecter les règles et les

procédures atteindre les résultats,

satisfaire le client

Organisation centralisée

(hiérarchie fonctionnelle, structure pyramidale)

décentralisée (délégation de

compétences, structuration en réseau, gouvernance)

Partage des responsabilités politiciens/administrateurs

confus clair

Exécution des tâches division, parcellisation,

spécialisation autonomie

Recrutement concours contrats

Promotion avancement à l’ancienneté, pas de favoritisme

avancement au mérite, à la responsabilité et à la

performance Contrôle indicateurs de suivi indicateurs de performance Type de budget axé sur les moyens axé sur les objectifs

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On note également un changement notable concernant la nomination et le contrôle des

dirigeants de ces établissements. Les recommandations de la Cour des Comptes préconisent

ainsi aux théâtres nationaux d’ « établir des lettres de mission et de conclure des contrats de

performance au début du mandat des directeurs, afin de fixer des objectifs clairs et

mesurables pour chacun des établissements, et, en fin de mission, veiller à encadrer les

conditions de départ » (2016, p. 504)

Certains éléments tendent donc à une gestion moderne de l’administration des

établissements artistiques, comme le contrôle et la gestion budgétaire. Pourtant, ces

établissements ne deviennent pas totalement des établissements gouvernés par le nouveau

management public et gardent certains éléments issus de l’administration wébérienne

traditionnelle.

L’influence de l’État est ainsi centrale dans la gouvernance de ces établissements ; il y a peu

de décentralisation. De même, la liberté artistique n’impose aucune norme en matière de

spectacles, mais vise en revanche des objectifs en termes de fréquentation et de taux de

remplissage des théâtres. Mais la forte influence de l’État sur la gestion des théâtres peut

entraîner une certaine confusion dans la répartition des tâches qui l’inscrit dans la tradition

wébérienne de ce point de vue.

L’administration des théâtres nationaux se fait donc sur un modèle intermédiaire, entre

tradition wébérienne et nouveau management public.

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FIGURE 11 : Les différentes actions s’inscrivant dans le New Public Management,

Amar et Berthier, 2007, p. 4.

Ce tableau vient confirmer les hypothèses du tableau précédent, en proposant un certain

nombre de mesures applicables au nouveau management public et qui sont notamment

esquissées dans les derniers rapports de la Cour des Comptes et de l’Inspection Générale

des Finances.

Aussi, la réduction des déficits est encouragée par un autofinancement plus important et une

révision des politiques de prix. Les partenariats public/privés entre institutions sont mis en

avant tout comme la coopération entre les institutions culturelles. Le développement du

marketing public et des nouvelles technologies de l’information et de la communication sont

incitées pour connaître davantage les attentes du public et les satisfaire.

La politique budgétaire des institutions culturelles au cours des dernières années a connu

une évolution particulièrement marquante vers les nouvelles techniques de management

public.

Fonction stratégique

� Gestion par les résultats � Mise en place d’une planification stratégique � Privatisation d’entreprises publiques, externalisation (faire-faire) � Mise en place de partenariats public/privé � Séparation des fonctions politique (conception) et administrative

(mise en œuvre) � Déconcentration et/ou décentralisation � Utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la

communication en interne (l’intranet permet de décloisonner les services)

� Généralisation de l’évaluation (culture de la performance) � Simplification des formalités administratives

Fonction finance

� Réduction des déficits � Budgétisation par programme � Plus grande transparence de la comptabilité (par exemple par la

mise en place d’une comptabilité analytique pour comparer les résultats aux prévisions)

Fonction marketing

� Développement du marketing public (consultations, enquêtes, sondages, observatoires, etc.)

� Utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication en externe (pour une meilleure communication)

Fonction ressources humaines

� Réduction des effectifs � Responsabilisation et motivation des fonctionnaires

(individualisation des rémunérations, primes au rendement, etc.) � Développement de la participation

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Il s’agit pour ces administrations de répondre aux attentes du public, mais aussi de réaliser

des économies de fonctionnement et d’augmenter leurs ressources de financement, pour

diminuer d’autant les subventions publiques qui leur sont allouées, de plus en plus lourde

dans un contexte de fort endettement.

Pour autant, si cette conversion au New Public Management est encouragée sur certains

points, notamment en raison du contexte économique difficile engendré par la crise de 2008,

certains aspects clés restent encore traditionnels à l’administration wébérienne. La place de

l’État dans le contrôle des administrations culturelles reste importante. Mais il n’est pas

exclu, compte tenu de la remise en cause particulièrement forte des déficits budgétaires, que

d’autres mesures allant dans le sens du nouveau management public, soient envisagées à

l’avenir.

Peuvent être ainsi envisagées : des révisions tarifaires, une révision des conditions de

réservation, une multiplication des partenariats avec d’autres institutions culturelles, la

réforme des conventions collectives. Pourraient être envisagées à l’avenir des conditions plus

drastiques comme une diminution des effectifs, la généralisation de l’évaluation, la

budgétisation par programme et de nouvelles formes comptables, qui sont les prochaines

étapes d’un plus fort management public.

Il faudrait s’attendre à ce qu’une logique de nouveau management public particulièrement

poussé soit appliqué aux institutions culturelles si les déficits de l’État venaient à se dégrader.

D’où la question de trouver des intermédiaires extérieurs pour financer le budget de ces

institutions culturelles particulièrement coûteuses : ce qui pose la place du Mécénat, que

nous aborderons dans une troisième sous-partie.

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III – Le Mécénat : une source de financement pour l’avenir ?

Comme nous l’avons vu au-cours des deux sous-parties précédentes, l’État souhaite

diminuer sa contribution à la politique culturelle dans un contexte de fortes contraintes

budgétaires. Ces réductions de dépense sont nécessaires à la mise en œuvre d’un équilibre

budgétaire pour parvenir au contrôle de la dette publique. Les collectivités territoriales,

acteurs majeurs du financement de la politique culturelle, ont elles aussi de fortes

contraintes budgétaires, qui les conduisent à voter des budgets à l’équilibre et à ne pas

s’endetter davantage.

Il faut donc trouver de nouvelles formes de financement pour la culture et c’est pourquoi

nous nous pencherons dans cette troisième sous-partie sur le rôle pour le financement des

politiques culturelles dans les années à venir. Dans un premier temps, nous mettrons en

perspective les données statistiques du Mécénat et verrons si la pratique a connu une

évolution après la crise économique de 2008. Dans un deuxième temps, nous verrons que le

Mécénat s’est considération élargi avec la mise en œuvre de nouvelles pratiques comme le

crowdfunding (ou financement participatif). Nous verrons pourtant, dans une troisième

partie, que le Mécénat ne semble pas être une solution alternative aux financements des

politiques culturelles pour de multiples raisons.

A – Le Mécénat de l’après-crise : une reprise timide. Nous l’avons vu au cours de la première partie de cette étude, le Mécénat, après un retrait

progressif dans les années 1950, est progressivement réapparu dans le financement des

politiques culturelles dans les années 1970. Aujourd’hui la question de son rôle futur doit

être posée alors que l’État fait face à de fortes contraintes budgétaires.

Pour mesurer ce rôle et l’évolution du Mécénat après la crise économique, nous nous

pencherons à la fois sur le rapport réalisé par le Ministère de la Culture et de la

Communication pour les 10 ans de la loi Aillagon, en 2013 et sur les différents rapports de

l’Admical (Association pour le développement du Mécénat industriel et commercial), parus

en 2008, 2010, 2012 et 2014, et qui permettent de mesurer plus spécifiquement l’évolution

du Mécénat d’entreprise sur ces périodes.

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Dans un premier temps, rappelons que la Loi Aillagon a permis des évolutions considérables

en matière fiscale, afin d’encourager le Mécénat à se développer. Faisant quasiment doubler

les avantages fiscaux offerts aux entreprises, cette loi a contribué à la croissance du Mécénat,

qu’elle consacre comme étant une pratique accessible à tous, particuliers comme chefs

d’entreprise, dirigeants associatifs, quelque soit le chiffre d’affaires d’une entreprise et le

montant de l’investissement réalisé. Elle permet également aux donateurs particuliers

comme aux entreprises de bénéficier de déductions fiscales conséquentes dans le cadre

d’opérations liées au Mécénat.

Cette loi, que l’on pourrait qualifier de « révolution » pour le Mécénat, a-t-elle eu les effets

escomptés ? Le rapport du Ministère nous donne quelques éléments de réponse.

FIGURE 12 – Évolution du Mécénat des particuliers et des entreprises entre 2003 et

2013, Ministère de la Culture et de la Communication, 2013, 2013-2013 : dix ans de

Mécénat, page 7.

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En observant ce graphique, on remarque que la pratique du Mécénat augmente de manière

régulière pour les particuliers entre 2014 et 2013. Le Mécénat passe d’une évaluation des

dons d’environ 800 millions d’euros en 2004 à une évaluation supérieure à 1800 millions en

2013, soit une hausse totale de 225% sur 10 ans. Cependant, il est intéressant de mesurer

l’évolution d’un exercice à l’autre pour mesurer la linéarité de la progression.

TABLEAU 13 – Évolution du Mécénat des particuliers et des entreprises entre 2003 et

2013, Ministère de la Culture et de la Communication, 2013.

2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

800 900 1200 1200 1300 1400 1400 1600 1750 1900

/ 12,5% 33% 0% 8% 8% 0% 14% 9% 9%

Le tableau montre que la croissance des dons des particuliers s’inscrivant dans le cadre du

Mécénat connaît une première vague de croissance importante entre 2005 et 2006 avec des

taux successifs de + 12,5% et + 33%. La crise économique qui commence en 2007 réduit la

hausse des dons, hausse qui est même nulle lors des exercices 2007 et 2010, et qui

augmente de 8% en 2008 et 2009. La reprise s’amorce en 2011, avec des hausses respectives

de 14% et 9% à deux reprises. Si la hausse des dons individuels est importante sur les dix

exercices, on peut noter que l’évolution des dons individuels est relativement peu réactive

au contexte économique et s’il est difficile d’évaluer la hausse du Mécénat des particuliers,

l’évolution demeurant toujours positive ou nulle depuis dix ans.

Qu’en est-il pour le Mécénat des entreprises ? La figure 13 issue du même rapport réalisé à

l’occasion des 10 ans de la Loi Aillagon par le Ministère de la Culture nous donne quelques

éléments d’appréciation.

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FIGURE 13.1 et 13.2. – Évolution du Mécénat des particuliers et des entreprises entre

2003 et 2013, Ministère de la Culture et de la Communication, 2013, 2013-2013 : dix ans

de Mécénat, page 7.

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Il est intéressant de constater dans le premier graphique que la majorité des entreprises sont

restées dans un premier temps assez passive en termes de donation dans le cadre du régime

général de Mécénat. Après un exercice 2010 et une augmentation nulle liée au contexte

économique particulièrement difficile, on remarque que l’augmentation est beaucoup plus

sensible et croissante en 2011, 2012 et 2013. Le Mécénat semble donc être un mécanisme

qui connaît une forte croissance auprès des entreprises malgré le début de la crise

économique.

L’évolution du Mécénat des entrepreneurs dans le financement de trésors nationaux est

quelque peu différente : d’abord très élevée en 2004, elle a diminuée avec la crise

économique et peine à retrouver aujourd’hui son niveau de 2004. Elle ne compte d’ailleurs

qu’un nombre réduit d’entreprises.

Pour autant, le Mécénat constitue-t-il une piste durable de financement pour les politiques

culturelles ? Rappelons ici que les dépenses allouées au Mécénat ne concernent pas

uniquement le domaine culturel mais qu’elles s’étendent aux nombreux champs faisant appel

au Mécénat. Comme le souligne le rapport de l’ADMICAL (2010, p. 1) : « Il y a 30 ans, le

Mécénat était synonyme de culture. Dans les années 1980 et 1990, le domaine de la

solidarité, entendue au sens large, est apparu comme le deuxième pilier de l’engagement des

entreprises. Puis l’environnement, le sport et la recherche les ont rejoints, preuve de la

pluralité des vocations et des besoins ».

De plus, si le montant du mécénat individuel comme des entreprises augmente

considérablement depuis la loi Aillagon, rappelons aussi que le Mécénat dispose d’un

mécanisme incitatif particulièrement fort qui permet aux particuliers de disposer d’une

importante exonération fiscale sur le don. La hausse des dons se traduit donc par une perte

des rentrées fiscales pour l’État.

C’est pourquoi nous nous pencherons plus spécifiquement sur les derniers rapports de

l’Association pour le Développement du Mécénat Industriel et Commercial, qui constituent

des études rigoureuses et analysent les évolutions du Mécénat d’entreprise et de sa

répartition dans les différents secteurs de l’économie à intervalle régulier (tous les deux ans).

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En 2010, le rapport de l’ADMICAL soulignait que 35 000 entreprises consacraient deux

milliards d’euros au Mécénat (2010, p. 1). Si la crise a conduit à une stagnation des budgets,

l’ADMICAL montrait que ce repli s’expliquait largement par la baisse du budget global alloué

au Mécénat (-20% en 2010), et que le budget était sauvé par la hausse du nombre

d’entreprises mécènes (+ 17%). Cette augmentation des mécènes était d’ailleurs sensible

dans les grandes entreprises puisque 43% des entreprises de plus de 200 salariés

contribuaient au Mécénat, contre seulement 26% en 2008.

La stagnation due à la crise économique donnait lieu, selon le rapport de l’ADMICAL, au

premier fléchissement depuis la loi Aillagon. Le rapport établissait le constat suivant : la

situation actuelle est équivoque : « certaines entreprises décident de réviser à la baisse leurs

budgets de communication et de mécénat, tandis que d’autres réarment avec force leur

soutien et se montrent solidaires des difficultés de leurs salariés et concitoyens » (2010, p.1).

En 2010, la Culture est le troisième secteur choisi par les Mécènes (37%) mais représentait

uniquement 19% du budget total des 2 milliards d’euros alloués au Mécénat (contre 39% en

2008, selon le dernier rapport). Le constat est particulièrement sévère : « La culture perd sa

deuxième place des domaines choisis au profit du sport, derrière l’ensemble social-

éducation-santé » (2010, p. 10).

En 2010, la culture et le patrimoine emportent 19 % du budget global, soit environ 380

millions d’euros, à égalité avec le sport. Ce budget est en forte baisse par rapport à 2008, où

le mécénat dédié à la culture était estimé à 975 millions d’euros.

En 2012, le budget du Mécénat d’entreprise est globalement stable et représente 1,9

milliards d’euros. Le nombre d’entreprises mécènes franchit la barre symbolique des 40 000

entités. Les petites et moyennes entreprises s’investissent davantage puisque 32% des

entreprises de 20 à 99 salariés s’engagent dans des actions de Mécénat. Elle représentent

d’ailleurs 93% des Mécènes et 85% du budget total du Mécénat. Les entreprises de plus de

200 salariés continuent à s’investir (47% contre 43% en 2010). Le mécénat tend donc à se

normaliser, mais le budget se stabilise.

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Toujours en 2012, la part du Mécénat allouée à la culture se reprend : Le budget du mécénat

culturel repart à la hausse et représente 26 % du budget total du Mécénat, soit 494 millions

d’euros, contre 380 millions en 2010 (19% du budget de 2010). La culture est choisie par

24% des entreprises mécènes. C’est donc une reprise conséquente pour le mécénat culturel.

En 2014, les sommes attribuées au Mécénat connaissent une croissance exceptionnelle : 2,8

milliards d’euros soit plus de 50% que lors du dernier rapport en 2012. Si le Mécénat local

implique 73% des acteurs et 25% du budget, on remarque également que la part des acteurs

engagés dans des projets culturels diminue légèrement, puisqu’elle passe de 24% à 23%. En

revanche, en termes de budget, la baisse est considérable puisqu’on passe de 26% du budget

total à 13% en 2014, ce qui représente en termes financiers 364 millions d’euros. La part du

Mécénat allouée par les entreprises à la culture diminue considérablement (- 26%).

Il faut donc relativiser le rapport du Ministère de la Culture car derrière la hausse du

Mécénat d’entreprise se cache de grandes disparités de répartition des subventions entre les

différents domaines d’action. Si l’ADMICAL réalise des estimations plus fortes en termes de

budget alloué au Mécénat, le financement des politiques culturelles par cette pratique est

très irrégulier et la Culture doit jongler avec des subventions disparates réparties

inéquitablement entre les différents exercices.

Si la hausse considérable du Mécénat en 2014 semble indiquer une forte croissance du

Mécénat au cours des années à venir, un sondage posé par l’ADMICAL dans son rapport de

2014 nuance très largement ces perspectives. En effet, les résultats indiquent que 64% des

sondés prévoient ne pas consacrer davantage de ressources au Mécénat, quand 8% comptent

complètement supprimer leurs aides, 10% les diminuer et seulement 4% les augmenter.

Malgré la part des indécis (13%), qui doit être pris en compte, le Mécénat semble en l’état

avoir atteint une limite structurelle de court terme, même s’il ne s’agit ici que d’une

prévision.

Pour autant, le niveau atteint par le Mécénat des entreprises en 2014 est à peine supérieur à

celui de 2005, et ce malgré la très grande augmentation du nombre d’entreprises mécènes.

C’est donc une reprise timide qui s’est amorcée du côté des entreprises depuis la crise

économique, comme le montre la figure 3 issues du rapport de l’ADMICAL 2014.

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FIGURE 14 – Évolution du Mécénat des entreprises entre 2006 et 2014, ADMICAL/CSA,

2014, http://www.admical.org/contenu/barometre-du-mecenat-dentreprise (site consulté le 22

avril 2016).

Concernant le Mécénat des particuliers, il n’existe pas à notre connaissance de rapport

analysant aussi précisément la répartition des dons alloués au Mécénat. Si les perspectives du

Ministère semblent plutôt optimistes, avec une hausse continue depuis 2003, cette approche

centrée uniquement sur les dispositifs légaux doit être complétée par une deuxième pratique

récente, particulièrement centrée sur les individus et qui connaît un véritable engouement

depuis quelques années, le crowdfunding.

B – Un Mécénat qui s’ouvre aux financement de chacun : le crowdfunding. C’est une révolution dans le monde du Mécénat qui s’est opérée avec l’apparition de cette

pratique, le crowdfunding, inconnue lors de l’établissement de la loi Aillagon. Différentes

traductions peuvent être adoptées, celle retenue dans la pratique est la notion de

« financement participatif ». Une définition issue de l’ouvrage universitaire de Belleflamme,

Lamber et Schwienbacher définit le crowdfunding comme un « mode de financement qui

consiste « à mobiliser un nombre important de particuliers investissant de petites sommes

d’argent, pour financer différents types de projets » (2011, p.9).

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Le principe du Crowdfunding est simple : chacun est appelé à participer au financement d’un

projet via une somme d’argent, sous la forme d’un don, d’un « investissement », voire d’un

prêt. Le Mécénat voit sa pratique révolutionnée.

Rappelons qu’historiquement, le Mécénat était le fait des grands princes. Il avait diminué de

façon considérable avec l’institution d’un Ministère de la Culture dans les années 1960 mais

n’avait jamais disparu. La pratique du Mécénat s’est d’ailleurs redynamisée très vite, dans les

années 1970. L’État, loin d’y voir un concurrent direct, a progressivement facilité son

extension avec l’évolution du système juridique. L’aboutissement de cette politique

d’ouverture est la loi Aillagon, qui ouvre le Mécénat aux particuliers, élargissait les

possibilités de Mécénat par des avantages fiscaux plus importants et notamment possibles

pour les particuliers.

Le Crowdfunding permet un nouveau pas dans le cadre du Mécénat. Il donne une nouvelle

dimension et élargit le cercle des donateurs : avec le crowdfunding, le don, même résiduel,

est accepté et permet de développer autant de projets. Tout internaute peut devenir

contributeur, même en apportant une somme réduite. C’est ce qui distingue cette nouvelle

forme de Mécénat du mécénat traditionnel, composé de moins de contributeurs mais dont la

contribution est bien souvent plus conséquente.

Pour autant le modèle de Crowdfunding s’éloigne du Mécénat dans sa définition économique

au sens où les contributions des internautes se font en échange d’une contrepartie. Or,

rappelons que l’arrêté du 6 janvier 1989 définit le Mécénat comme « le soutien matériel

apporté sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne

pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général ». Jeannin, reprenant l’étude de

Belleflamme, Lamber et Schwienbacher montre que, sur les 51 cas de crowdfunding étudiés

en 2011, seulement 22% des donations étaient considérées comme des donations « pures »,

c’est-à-dire sans aucune rémunération attendue. Dans 78% des cas, on s’éloigne ainsi du

modèle du Mécénat pur, dans la définition telle qu’établie par l’État.

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Jeannin montre que le financement participatif ne couvre pas uniquement le champ culturel,

qui joue un rôle de premier plan, mais « irrigue aujourd'hui des secteurs aussi divers que la

santé, l'environnement, le journalisme, la science ou l'humanitaire […] » (2013, p. 7). Les

interfaces en ligne pour récupérer ces financements sont soumis à une forte concurrence et

tentent de se démarquer: Kickstarter (soutien à tout type de projets aux Etats Unis),

Kisskissbankbank (tout type de projets en France), Octopousse (soutien aux projets créatifs

et sociaux), Peopleforcinema (soutien à la distribution de films), Ulule (projets non lucratifs),

Myshowmustgoon (aide à la production de spectacles).

Le financement participatif connaît un vrai essor économique : Dans un article du Journal Le

Monde, les journalistes Cazenave et Porier montrent que parmi la trentaine d'acteurs du

marché français, Ulule, Kisskissbankbank et My Major Company, les trois plateformes

majeures qui revendiquent tous le statut de leader du crowdfunding en France, connaissent

une croissance fulgurante.

Kisskissbankbank, qui compte 138 000 membres, a collecté 6,6 millions d'euros et annonce

un taux de réussite de 58 % pour les projets financés. Ulule a permis de financer 3 050

projets pour 10 millions d'euros collectés depuis octobre 2010. Quand à My Major

Company, la plateforme affirme avoir soutenu 42 000 projets à hauteur de 14 millions

d'euros (en 2013).

Ce formidable essor, et les prévisions fulgurantes de croissance en 2013, estimées par le

cabinet américain Massolution à 88 %, représentent une somme d’argent considérable de 3,7

milliards d’euros. De quoi susciter l’intérêt des investisseurs, quand les marges réalisées par

les plateformes oscillent entre 5 et 10%.

Face à ce succès, quelle est la position des institutions culturelles. A la tête de l’État, le

Ministère de la Culture dès 2014 s’est engagé dans un dialogue pour favoriser l’émergence

du financement participatif dans les politiques culturelles. Il s’agit donc d’une position plutôt

enthousiaste.

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Dès 2011, Jeannin montre que le Ministère de la Culture et de la Communication signe un

accord avec le Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) afin de « favoriser le dialogue

entre le monde économique et la monde de la culture à travers des soutiens aux initiatives

locales, au mécénat d’entreprises et à un futur fonds de dotations ». En 2014, la France est le

premier pays à se doter d’une structure juridique consacré au Crowdfunding.

Dans un article paru dans Le Figaro en 2014, la Ministre de la Culture et de la

Communication, Fleur Pellerin, inscrit le crowdfunding dans un « nouvel État d’esprit », qui

n’est pas dû au retrait du régime de subvention mais à l’« avènement de l’économie de

partage ». Loin d’être résiduelles, les sommes collectées par le Crowdfunding sont estimées

pour l’année 2013 par le Ministère de la Culture à 17,6 millions d’euros.

Si le crowdfunding se définit comme un mécénat résolument ouvert aux petits contributeurs

et au projet de souscription de sommes relativement peu importantes, certaines grandes

institutions publiques ont pourtant elles aussi profité du Crowdfunding pour financer une

partie de leurs investissements. Ainsi Jeannin recense dans son article quatre grands projets

de restauration de monuments historiques, financé grâce à la participation du financement

participatif. Le Centre des Musées Nationaux lance ainsi en 2013 quatre projets concernant

la restauration d’un patrimoine : la restauration du Panthéon a récolté 68 000 €, le Mont-

Saint-Michel près de 24 000€ , le domaine de Saint-Cloud plus de 10 000 € et la Cité de

Carcassonne plus de 20 000 €. Tous ces projets ont vu leurs objectifs de crowdfunding

remplis et ont permis, en l’échange de contreparties symboliques et fiscales, de mobiliser les

citoyens parfois bien au-delà des objectifs initiaux (la rénovation du Panthéon a réunie des

dons supérieurs de 1360% à l’objectif initial de 5 000€).

La France est un pays pionnier car elle est le premier État à intégrer le crowdfunding à son

régime juridique. Pour inciter les citoyens à contribuer au financement participatif, Fleur

Pellerin, en tant que ministre déléguée à l’économie numérique s’est attachée à mettre en

place un régime juridique par une ordonnance du 30 octobre 2014. Trois formes de

financement sont possibles par le biais du financement participatif : le don, le prêt avec

intérêts et le private equity.

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Dans le cadre des politiques culturelles, c’est le don qui est sollicité en large majorité. Son

régime juridique avantageux, directement inspiré du Mécénat est rappelé par Boccara : « Si le

porteur du projet est une fondation, un organisme d’intérêt général ou une association

reconnue d’utilité publique, le donateur bénéficie d’une réduction d’impôt égale à 66 % des

sommes versées dans la limite de 20 % du revenu imposable. Si le don se réalise avec une

contrepartie (en nature par exemple), la valeur de cette dernière ne doit pas dépasser un

quart (25 %) du montant du don. Le contribuable doit conserver le formulaire CERFA

pendant trois ans en cas de demande du fisc ».

Une distinction est donc faite entre les organismes d’intérêt général, les fondations et ce qui

est reconnu d’utilité publique et la demande issus d’acteurs tiers qui peuvent être réalisés

dans le cadre du crowdfunding. Les déductions fiscales ne sont applicables que dans le cadre

de projets qui ont une finalité publique, d’intérêt général et ne peuvent s’appliquer dans le

cadre de projets purement privés. On note cependant que l’État a développé un mécanisme

incitatif, basé sur ce qu’il avait déjà développé pour le Mécénat, afin d’encourager la pratique.

Et les résultats montrent un effet plutôt réussi, puisque le Ministère de l’Économie6 indique

que plus de 1,3 million de Français ont déjà participé à une opération de crowdfunding. Entre

2013 et 2014, les montants levés ont doublé et ont atteint 152 millions d’euros. Entre 2014

et 2015, ils atteignent près de 300 millions d’euros et doublent de nouveau. On assiste donc

à un véritable essor du crowdfunding.

L’attachement des citoyens au patrimoine et à l’Histoire, a permis à des institutions de

récolter des sommes importantes dans le cadre de la rénovation du patrimoine. Pour autant,

on peut se demander si de tels résultats seraient réalisables si les institutions culturelles

venaient à souscrire au crowdfunding pour financer leurs saisons artistiques et leurs projets

culturels. Si le crowdfunding peut permettre aujourd’hui de financer la réalisation de

spectacles, de festivals et d’enregistrements de compagnies professionnelles ou semi-

professionnelles, il demeure encore peu courant parmi les institutions culturelles.

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Le Crowdfunding peut-il constituer une source de financement stable et croissante dans le

cadre du financement des politiques culturelles ? Et plus généralement le Mécénat ? Ces

financements initiés par les citoyens peuvent-ils se substituer au subventionnement public ?

C – Le cadre actuel du Mécénat ne semble pas être une solution pérenne

Alors que le Mécénat connaît une reprise timide depuis la crise économique, et que le

crowdfunding a connu un essor grandissant au cours des dernières années, il est important

de se poser la question de la place de ces modes de financements dans leur rapport aux

politiques culturelles.

Une place trop importante du Mécénat dans le financement des politiques culturelles

poserait un certain nombre de questions. Parmi celles-ci, on note tout d’abord une question

de définition. La conception du Mécénat, telle qu’elle est définie par le décret de 1989,

semble vieillissante et peu adaptée aux nouvelles pratiques émergentes (dont notamment le

crowdfunding). Il apparaît également que le Mécénat est un mode de financement assez peu

adapté aux institutions publiques, et notamment aux institutions culturelles. Nous

montrerons enfin dans un troisième temps que si le Mécénat devenait un contributeur

majoritaire voire unique des politiques culturelles, cela soulèverait des questions

problématiques.

• Le Mécénat affronte des outils statistiques peu fiables et vieillissants :

Comme nous l’avons rappelé à plusieurs reprises au cours de cette étude, le Mécénat a été

défini par un arrêté du 6 janvier 1989. La définition de ce texte juridique est très rigoureuse

et définie le Mécénat de la façon suivante : Le Mécénat est « le soutien matériel apporté sans

contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour

l’exercice d’activités présentant un intérêt général ».

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Si l’intérêt général est une notion fondamentale qu’il convient de conserver, puisqu’elle

constitue l’essence même du Mécénat, c’est la notion de contrepartie directe qu’il convient

de nuancer. Une définition très générale définie la contrepartie comme « ce qui sert à

compenser, à équilibrer ; ce que l’on fournit en échange de quelque chose ; compensation ».

Si le Mécénat, dans son cadre traditionnel (la loi Aillagon de 2003), ne présente pas de

contreparties directes, mais seulement indirectes puisque les déductions fiscales ne viennent

amortir que dans un second temps le don, le Crowdfunding présente quant à lui d’autres

caractéristiques. Il peut exprimer des contreparties souvent symboliques (diplôme,

remerciements) ou non monétaires (visites personnalisées, disque gratuit) qui sont des

contreparties reçues directement par le donateur. Ce qui éloigne ces dons du champ du

Mécénat et de ses données statistiques.

Une approche résolument plus moderne, en lien avec les pratiques actuelles où tout individu

peut être acteur du financement participatif, serait une perspective intéressante. Sans perdre

de vue le financement au nom de l’intérêt général qui reste l’essence même du Mécénat, une

approche moins stricte des contreparties pourrait être envisagée.

L’approche plus « entrepreneuriale » de l’Association pour le développement du mécénat

industriel et commercial définit le Mécénat comme : « un don, d’une entreprise ou d’un

particulier, à une activité d’intérêt général. Cet engagement peut être réalisé en argent, en

nature (don de produits) ou en compétences, et concerner des domaines très variés : social,

culture, éducation, santé, sport, environnement, recherche... » Par cette notion très

générale, qui écarte toute dimension de contrepartie, on entre dans une définition qui

correspond davantage aux pratiques d’aujourd’hui et qui permettrait de mesurer avec

précision l’évolution et les pratiques du Mécénat.

Créer une définition moderne du Mécénat, qui s’attache à le définir de manière concrète et

contemporaine, permettrait de mesurer précisément son évolution et son impact sur les

politiques mises en œuvre par l’État, notamment dans le champ culturel.

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• Le Mécénat est finalement assez mal adapté aux institutions.

De par ses caractéristiques propres, le Mécénat semble finalement assez mal pensé pour les

institutions et leur fonctionnement. En effet, le fonctionnement d’une institution nécessite un

financement récurrent alors que le Mécénat s’appuie beaucoup plus sur des

« projets », comme le souligne dans un article l’Institut français des fondations de recherche

et d’enseignement supérieur (IFFRES). Or, ce type de fonctionnement peut « nuire à la

création, voire à la pérennité des structures. Les frais de fonctionnement ne sont pas pris en

compte dans les demandes de Mécénat. Cette pratique de financement demande donc un

temps considérable afin de monter chaque projet, travail qui se fait au « détriment de la

qualité du travail artistique et de la création ». Les coûts fixes sont un frein au

développement du Mécénat, qui ne prend pas en compte cette dimension nécessaire au

fonctionnement régulier des institutions publiques.

A ce fonctionnement par projet peu adapté donc, s’ajoute la notion de « risque ». Car si les

projets de Mécénat ou de financement participatif peuvent réussir, il est également

important de prendre en considération la notion de risque. Les sommes collectées peuvent

ne pas correspondre aux ambitions fixées et il faudra alors, dans l’urgence, trouver des

subventions et d’éventuelles sources extérieures de financement. Or, l’échec du financement

d’un projet, du moins partiel est plutôt fréquent. Le site américain de financement participatif

Kickstarter, établit ainsi des statistiques sur son site internet

(https://www.kickstarter.com/help/stats) qui montrent que seuls 36% des projets financés par

le biais du financement participatif parviennent à obtenir les sommes escomptées. Dans la

majorité des cas, les sommes récoltées ne correspondent pas aux attentes des porteurs du

projet.

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On l’a vu, les projets soutenus par une institution culturelle peuvent intéresser, de par

l’existence de réseaux plus développés, d’une légitimité d’action dans le champ considéré ou

d’un intérêt porté par la population aux actions menées. Pour autant, cela ne veut pas dire

que l’institution publique est capable de pouvoir rassembler les sommes nécessaires. Il y a un

risque financier à prendre, ce qui est assez problématique en termes lorsque l’on parle de

financement de biens publics.

Par ailleurs, le Mécénat n’est pas stable par nature. Il est fortement dépendant du contexte

économique, comme nous l’ont montré les derniers rapports de l’ADMICAL (de 2008 à

2014). La crise économique a fait considérablement diminuer les dépenses allouées au

Mécénat qui ont timidement repris, particulièrement entre 2012 et 2014. Il faut cependant

garder à l’esprit que les dépenses de Mécénat contribuent à l’image de l’entreprise et qu’elles

constituent des dépenses totalement volontaires. En cas de contexte économique difficile, et

de restriction budgétaire, ce seront les premières dépenses à disparaître car elles

correspondent à des économies qui peuvent facilement être réalisées d’un exercice à l’autre.

Les dépenses de Mécénat sont donc par essence irrégulières. Elles peuvent être

occasionnelles ou régulières mais ne constituent jamais un acquis. Elles dépendent de la

bonne santé financière de l’entreprise et de sa volonté à adopter d’un exercice à l’autre un

budget alloué au Mécénat. Comme le souligne Jeannin, « l’implication financière des

entreprises dans les projets ne peut [cependant] être une solution dans la durée » (2013,

p.4). Rappelons que le rapport de l’ADMICAL soulignait en 2014 que 18% des mécènes

envisageait de diminuer voire supprimer leurs contributions pour le prochain exercice.

Enfin, la politique fiscale en matière de Mécénat, si elle est incitative pour le contribuable,

constitue autant de pertes pour les rentrées fiscales de l’État. Une culture entièrement

financée par le Mécénat serait donc également coûteuse pour l’État, qui consentirait à de

lourdes pertes fiscales.

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C’est ce qui est dit, à demi-mot, dans le rapport de l’Inspection Générale des Finances : « La

mission a relevé les efforts des établissements, en dépit du contexte économique, pour

obtenir des ressources de mécénat, mais elle estime par ailleurs nécessaire de maintenir […]

une relation équilibrée avec les mécènes et de privilégier d'autres ressources, moins

contraignantes pour les finances publiques » (2015, p.4)

Si l’État officialise une certaine forme de désengagement, il incite le Mécénat, comme le

montre par exemple l’accord du 6 décembre 2011 entre le Ministère de la Culture et le

Mouvement des entreprises de France. Cet accord purement symbolique ouvre le dialogue

entre les acteurs du monde économique et ceux du champ culturel et favorise les

coopérations.

Pour autant le Mécénat ne peut constituer une source de financement unique des politiques

culturelles, et il s’ajoute à ces considérations des considérations politiques et philosophiques.

• Le Mécénat peut-il être l’unique financeur de la politique culturelle ?

Jean-Paul Cluzel, inspecteur des finances et président de la RMN-Grand Palais (Réunion des

Musées Nationaux) montre que le niveau des dotations publiques a considérablement

diminué : « les interventions de l’État doivent représenter 20% des dépenses totales de la

culture en France, alors qu’à l’époque de Jack Lang, elles devaient être de l’ordre de 50% ou

plus » (p.18, 2013 dans Jeannin). Au delà du désengagement de l’État, il faut voir que l’État

soumet le champ des politiques culturelles aux lois du marché, alors même que les politiques

culturelles héritaient d’un statut particulier, tout droit venu des Lumières où la Culture était

considérée comme un produit à préserver des logiques de rentabilité et de profit.

Le Mécénat, coûteux pour l’État, ne peut remplacer les subventions publiques, lesquelles ont

été mises en place dans un souci de démocratisation culturelle et de « tout culturel ».

Aujourd’hui, il n’y a pas de Culture d’État, le rôle de l’État étant de financer les initiatives

culturelles dans leur ensemble, sans porter de jugement ni en favoriser aucune.

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Le financement participatif pourrait mettre un frein à ce principe : comme le rappelle

l’Institut des fondations de recherche et d’enseignement supérieur : le rôle des réseaux

préalables serait un facilitateur dans le financement des politiques culturelles, car il

favoriserait l’accès d’acteurs dotés de moyens financiers conséquents aux financements de

ces projets.

Mais le Crowdfunding, dans les faits, se veut « beaucoup moins démocratique et

désintéressé qu’en apparence : sur les milliers de projets cherchant des financement, les

plateformes de crowdfunding mettent en vedette, soit en première page, les projets qui

fonctionnent : manière de garantir le succès des initiatives « porteuses ». On est loin du

choix démocratique de la foule, et le petit projet a parfois plus de chance de finir sa vie dans

les oubliettes du web que de trouver son public ».

Toutes ces raisons doivent également prendre en compte le phénomène de fatalité des

coûts, illustré par la théorie de Baumol et Bowen (1966) au spectacle vivant, qui montrent

que l’institutionnalisation et la mise en œuvre d’une politique culturelle contribue à créer des

coûts fixes croissants, qui ne seront pas pris en compte par le Mécénat. L’État et les

subventions publiques sont les seuls outils capables de mesurer, et financer ces coûts

inhérents au domaine artistique. Il sont aussi les seuls en mesure de garantir une politique de

démocratisation culturelle.

Le Mécénat ne semble donc pas, en l’état actuel, être en mesure de devenir le substitut

parfait au modèle de subventions publiques, mises en œuvre dans le cadre des politiques

culturelles. Sa définition, obsolète, témoigne d’une pratique encore peu développée et qui

s’inscrit avec difficulté dans le financement de la culture, en comparaison aux autres pays à

l’étranger. En ouvrant le champ du Mécénat à de nouvelles pratiques comme le financement

participatif, son champ d’expansion deviendrait très large. Mais cela ne règle pas pour autant

tous les problèmes que la pratique engendre.

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Parce qu’il est coûteux pour l’État, qu’il s’éloigne des principes clés chers au régime

« d’exception culturel » français et qu’il est difficilement quantifiable et prévisible, le Mécénat,

même s’il est amené à évoluer dans les années à venir, ne semble pas être la solution

alternative. Elle ne règle pas les problèmes de coûts lié aux subventions publiques, et son

adoption à l’ensemble de la politique culturelle irait à l’encontre des principes clés de la

politique culturelle, érigée depuis l’avènement de la Troisième République. Le financement

de la culture par l’État reste un outil politique fort et il est très peu probable de le voir

disparaître au profit du Mécénat public, comme étant l’unique source de financement de la

politique culturelle.

Pour autant, le système ne peut rester en l’état et il est nécessaire que des évolutions aient

lieu. Quelles évolutions sont à attendre en termes de politique culturelle ? Quelles

perspectives pour le financement de la culture ? Telles sont les questions auxquelles nous

nous pencherons en conclusion de cette étude.

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CONCLUSION

Le financement des politiques culturelles est une question éminemment complexe. Face à la

crise économique et financière, l’endettement massif de l’État Français pour sauver le

système financier a entraîné de strictes politiques de rigueur. La rigueur financière s’est

institutionnalisé au niveau des États européens et la marge de manœuvre de l’État sur son

déficit public est aujourd’hui beaucoup moins souple.

Face aux effets et à l’impact particulièrement contraignant de ces politiques de rigueur

budgétaire sur le financement des politiques culturelles, il est essentiel que les institutions du

monde culturel développent d’autres moyens de financement dans les années à venir ;

comme le soulignent les différents rapports publics que nous avons analysés au cours de

cette étude.

Le Mécénat peut-il être le nouvel outil privilégié des institutions culturelles dans les années à

venir ? C’est sur cette simple question que reposait tout l’enjeu de cette étude. Après avoir

défini le Mécénat et la politique culturelle en France, après avoir étudié les liens et les

évolutions de ces deux cadres, une réponse claire nous semble envisageable. Il est peu

probable que le Mécénat devienne l’unique financeur de la politique culturelle dans les

années à venir, ni même le principal financeur des institutions culturelles, et ce pour

plusieurs raisons, que nous allons maintenant développer.

• Une définition obsolète et trop rigoureuse du Mécénat.

Le Mécénat est une pratique financière en pleine expansion. Mais elle est mal évaluée, car la

définition qu’applique aujourd’hui l’État ne correspond plus aux évolutions et aux pratiques

contemporaines. La dualité des définitions du Mécénat entre l’Association pour le

Développement du Mécénat Industriel et Commercial et l’arrêté du 6 janvier 1989 illustre

toute l’ambigüité qui réside autour de cette notion.

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D’un côté, l’État retient « le soutien matériel apporté sans contrepartie directe du

bénéficiaire ». Cette notion très restrictive empêche notamment de prendre en compte dans

les données statistiques le crowdfunding, pourtant en plein boom, puisque, quand bien même

il participe à une action d’intérêt général, il se fait souvent en l’échange d’une contrepartie

symbolique directe.

D’un autre côté, l’Admical définit le Mécénat comme « un don d’une entreprise ou d’un

particulier, à une activité d’intérêt général ». Cette notion, beaucoup plus large, n’est peut

être pas assez restrictive, puisqu’il faut qu’une distinction claire et précise puisse s’opérer

entre le Mécénat (qui se fait dans le cadre d’une action visant l’intérêt général) et le

parrainage, qui a une intension précise et résolument commerciale, qui sort donc des

champs de l’intérêt commun.

Il faudrait donc que l’État revienne sur la définition de 1989 et l’actualise à la vue des

pratiques contemporaines du Mécénat. Qu’une définition puisse prendre en compte son

évolution, et notamment sa vague de « démocratisation » par la naissance et la forte

croissance du crowdfunding.

Si la notion d’intérêt général demeure une incontournable et non détachable de la définition

de Mécénat, celle de contrepartie directe devrait être nuancée et autoriser la prise en

compte des contreparties purement symboliques et de certaines contreparties non

financières. Un changement de définition qui permettrait de « moderniser » l’approche du

Mécénat et d’établir avec beaucoup plus de précision des statistiques complètes concernant

une pratique, en pleine évolution.

• « L’État culturel » : une figure institutionnalisée qui s’ancre dans le rôle interventionniste de l’État.

Nous l’avons vu dans cette étude, l’État s’est érigé depuis la fin des années 1950 comme le

grand initiateur des politiques culturelles. Il a été, pendant quelques années, le seul financeur

de ces politiques. Il garde aujourd’hui encore un rôle de premier plan, mais partage très

largement le financement de la politique culturelle avec les collectivités territoriales (régions,

départements, communes).

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Si l’État n’a plus les moyens de garder, en matière culturelle, un train de vie en perpétuelle

expansion, on notera qu’il reste profondément attaché à son rôle tutélaire en matière de

politique culturelle. Pour certains établissement culturels historiques particulièrement

prestigieux, l’État attribue des subventions plus importantes et influence très clairement

leurs politiques internes, par la diffusion publique de rapports analysant le modèle de ces

structures et pointant les disfonctionnements apparents dans la gestion de ces

établissements. Dans un même temps, d’autres services de l’administration centrale analysent

de manière plus globale la politique culturelle menée par l’État.

Si le nombre de mécènes venait à augmenter, cela se traduirait par une perte d’influence

pour l’État dans la gestion des politiques culturelles. Or l’émergence de la politique

« d’exception culturelle » en France a très bonne presse de nos jours et l’intervention de

l’État en matière de politique culturelle est perçue aujourd’hui comme une fonction centrale

de l’État. D’autres pays ont une conception beaucoup plus restreinte de ce rôle, notamment

dans le cadre des politiques culturelles des Etats-Unis ou du Royaume-Uni. Mais la France

reconnaît et affiche son attachement à une politique très interventionniste en matière de

politique culturelle.

Les recommandations de certains organismes de contrôle (Inspection Générale des Finances,

Cour des Comptes) s’attachent ainsi à souligner le besoin d’un autofinancement interne plus

important des établissements artistiques, et des économies à réaliser plutôt que de

développer de manière extensive le Mécénat. L’État est attaché à sa position d’initiateur des

politiques culturelles et à son rôle de premier plan dans le financement de la Culture.

• Une reprise timide après la crise économique.

En effet, si la pratique du « Crowdfunding », une forme de Mécénat accessible pour tous,

connaît une expansion particulière à partir du début des des années 2000 et plus

particulièrement au cours des dernières années, il faut également souligner la timide reprise

du Mécénat des entreprises, dont la contribution excédait à peine en 2014 les dons versés

en 2006 en amont de la crise, et ce en dépit d’un nombre croissant de mécènes (on passe de

30 000 à 159 000 entreprises donatrices, comme l’indique la FIGURE 14 de cette étude).

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Les mécènes industriels représentent une source de financement très fluctuante en fonction

du contexte économique, ce qui est un facteur plutôt inconvenant pour le fonctionnement

d’une institution, qui s’inscrit dans la continuité. L’accès à des sources de financement stables

et pérennes est une condition nécessaire au maintien des institutions culturelles et au

développement d’une politique culturelle.

Le mécénat individuel, s’il semble en pleine expansion, demeure difficilement mesurable et

fluctue énormément en fonction du contexte économique et social. Dans la mesure, où le

Crowdfunding n’est pas inclus dans la définition historique du Mécénat, il est aujourd’hui

difficile de disposer d’outils statistiques fiables pour mesurer le Mécénat issu des particuliers.

On le voit donc, le recours au Mécénat entraîne une certaine incertitude. Il est difficile de

mesurer le nombre de mécènes et la somme allouée par chacun d’entre eux pour le

Mécénat culturel. En cela il est donc difficile de réaliser des prévisions et de financer des

institutions culturelles pérennes, c’est pourquoi une politique culturelle financée

majoritairement par le Mécénat semble peu compatible avec un système d’institutions

culturelles historiques, alors que le régime de subventions semble plus propices à pérenniser

le fonctionnement de ces institutions.

• Des enjeux fiscaux lourds et contraignants.

C’est l’un des principaux arguments qui font que l’État ne souhaite pas voir la généralisation

du Mécénat : son coût non négligeable pour l’État, lorsqu’il se fait en dons monétaires,

puisqu’une majorité du don peut alors être soumis à un abattement fiscal (60% pour les

entreprises et 66% pour les particuliers dans le régime général). Un mécanisme incitatif

généreux mais qui entraîne des pertes de rentrées fiscales considérables pour l’État.

Ce modèle est donc coûteux. Imaginer le Mécénat comme principal financeur des politiques

culturelles ne s’avère pas être une solution, puisqu’une grande partie de l’argent versé par les

acteurs privés pourra ensuite faire l’objet d’un abattement fiscal, ce qui ne résoudra pas le

déficit public. Les rapports de l’Inspection Générale des Finances soulignent d’ailleurs cet

aspect qui fait du Mécénat une « fausse solution » pour décharger l’État de son lourd modèle

de subventions.

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• Le Mécénat : un financement vraiment accessible pour tous ?

Enfin, le Mécénat pose une question dans sa pratique même. L’idée de la politique culturelle

telle qu’elle s’est développée en 1959 trouve son fondement dans la politique du Front

Populaire et visait à « démocratiser l’accès à la culture ». Jack Lang a mis en œuvre, dans les

années 1980, une politique toute autre du « tout culturel », où les genres classiques de l’art

tout comme les formes plus contemporaines et populaires doivent être encouragées au

même titre. Aujourd’hui, la politique culturelle va donc subventionner tant la création d’un

opéra classique que la réalisation d’un spectacle de rap.

L’idée de la politique culturelle française est d’élargir le champ culturel et de considérer la

Culture et l’ensemble de ses pratiques sans hiérarchisation. Or, la mise en place d’un

Mécénat généralisé dans le champ culturel remettrait sans doute en cause ce modèle. On

peut en effet légitimement se demander quels seraient les bénéficiaires d’une politique

culturelle entièrement financée par des dons particuliers ? Vers quels types d’acteurs iraient

l’argent donné à la culture ?

Les financements privés peuvent avoir un financement dédié à des champs d’action culturelle

moins larges que les subventions publiques. Dès lors, le Mécénat ne serait-il pas une pratique

discriminante, qui servirait les intérêts d’une seule population ? Une population qui dispose

de réseaux d’influence et d’où proviennent des fonds importants et susceptibles d’être

mobilisés rapidement.

Ce Mécénat culturel servirait finalement les intérêts d’une minorité au détriment du plus

grand nombre. Avec le danger de voir disparaître, à moyen terme, un certain nombre de

pratiques culturelles, incapables de réunir suffisamment de fonds pour subsister.

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Quelques exemples en la matière sont intéressants et illustrent cette idée. Nous en

retiendrons deux ici :

• Le Château de Versailles a lancé en Février 2016 une opération de Mécénat destiné à

la restauration des appartements royaux. Cette opération se concentre sur la vente

d’un produit de luxe, le parfum « Le Bouquet de la Reine », crée en association avec

la Maison Guerlain. Le prix unitaire du produit est de 550€. Un prix dissuasif pour un

grand nombre de personnes, et réservé finalement à une élite. Pourtant, peut être

qu’un grand nombre de personnes auraient voulu contribuer à cette opération de

Mécénat, comme ce fut le cas dans l’Histoire du Château de Versailles (et notamment

après la 1ère guerre mondiale). Mais le château choisi ici de segmenter non pas sa

clientèle, mais ses donateurs, en choisissant de promouvoir un produit de luxe, dans

le cadre de la rénovation d’un monument historique appartenant pourtant désormais

à l’ensemble de la Nation. En ciblant une population très spécifique, le Mécénat sert-il

ici les intérêts de l’ensemble de la population ? Il s’éloigne en tout cas d’un modèle où

toute personne peut contribuer à la restauration du château.

• Le Panthéon a réalisé en 2012 une vaste opération de Crowdfunding, qui permettait

en échange d’un investissement monétaire différentes contreparties. En proposant

d’inscrire sur le mur du Panthéon le nom des citoyens ayant donné une certaine

somme d’argent, en proposant des visites privées pour un monument public. Ne

quitte-t-on pas ici la dimension d’intérêt général sans contrepartie et ne s’oppose-t-

on pas à une politique culturelle démocratique, égale pour l’ensemble des citoyens ?

Le Mécénat peut fortement privilégier les intérêts de certains individus au détriment

des autres.

Ces deux exemples montrent que le financement de la politique culturelle par le Mécénat

soulève bien des questions, souvent complexes. L’État a lui choisi de privilégier pour les

années à venir un modèle orienté plutôt vers le nouveau management public. Avec des

objectifs centré sur l’autofinancement, la réduction des coûts de fonctionnement des

institutions et une stabilisation des budgets. Le nouveau management public ne compte pas

foncièrement toucher au régime de subventions à proprement parler.

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Il vise la performance et l’efficacité. Cependant la performance en matière de politique

culturelle ne doit pas se limiter à l’économie des coûts monétaires, mais doit également

s’ouvrir à de nouveaux outils qu’il s’agit de définir.

Pour toutes ces raisons, le Mécénat ne semble pas aujourd’hui être en mesure de jouer un

rôle prépondérant dans le financement des politiques culturelles. S’il demeure sollicité et

encouragé, le Mécénat ne doit pas, pour l’État, se généraliser en l’état actuel. L’évolution des

sommes allouées au Mécénat et le nombre d’acteurs engagés joueront cependant très

certainement un rôle sur l’évolution de la pratique et sa place à l’avenir.

Pour devenir un acteur de premier plan, le Mécénat se doit d’être repensé. Il doit tout

d’abord être clarifié juridiquement pour correspondre aux évolutions de son temps et

s’adapter à la pratique du Crowdfunding. Aujourd’hui, un Mécène n’est plus celui qui donne

de grandes sommes d’argent mais un modèle de financement qui s’est profondément

démocratisé. Aujourd’hui, on peut devenir mécène de projet pour des sommes minimes.

Tout le monde peut devenir acteur du Mécénat et cette évolution de société est un

changement radical qui doit être prise en compte.

De plus, le Mécénat ne profitera de la crise pour s’affirmer que si son régime fiscal est

paradoxalement revu à la baisse. Face à la rigueur budgétaire et à la crise économique, l’État

n’a pas les moyens de prendre en charge les abattements fiscaux avec des proportions telles

qu’appliquées actuellement. Si les abattements fiscaux sont revus à la baisse, la pratique

devient plus intéressante pour l’État. Mais en parallèle, elle sera moins bien perçue par les

financeurs, qui verront baisser leur déduction fiscale ce qui pourra engendrer une baisse des

dons futurs.

Malgré tout, la crise économique et financière reste encore récente et de profondes

évolutions peuvent encore survenir. Il sera donc intéressant de garder un œil attentif sur

l’évolution du financement des institutions culturelles dans les années à venir.

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Cette étude soulève beaucoup d’autres questions qui pourraient être soulevées : elle

pourrait tout d’abord être approfondie par une enquête de terrain auprès d’acteurs des

institutions culturelles pour mesurer leur sentiment sur le financement des projets culturels

face à la crise économique et leur opinion sur la place du Mécénat.

Cette étude de terrain pourrait aussi être approfondie par une autre dimension et se

pencher plus spécifiquement sur la déconnexion qui semble s’opérer entre l’État et la

Région.

Particulièrement perceptible en Alsace où le CESER appelle à une plus grande coopération

avec les entreprises et le développement du Mécénat tandis que l’État insiste davantage sur

les économies internes et l’autofinancement, cet écart est-il un hasard ou un discours

récurrent dans la parole des acteurs publics ?

Une autre question pourrait se pencher plus spécifiquement sur le Crowdfunding et se

demander si cette pratique est véritablement démocratique. Quelle type de population

participe aux dons et dans quelle proportion ? Elle permettrait de mettre notamment en

avant l’absence ou la présence d’un lien entre la situation sociale et l’accès au financement,

mais également la participation à des projets de Mécénat. Et constituer une critique sur la fin

de la démocratisation de la culture, dans le cas où l’État se désengagerait totalement des

politiques culturelles.

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Cette situation ne semble cependant pas d’actualité. La culture est un véritable symbole

politique et a connu une institutionnalisation très profonde au cours du dernier siècle. Le

régime de subventions semble aujourd’hui être le meilleur moyen de subvenir aux besoins en

termes de financement d’institutions qui ont l’habitude d’un fort interventionnisme étatique

en matière de politique culturelle. Alors que le nouveau management public semble être

privilégié pour incarner aujourd’hui la nouvelle politique budgétaire de la culture, le Mécénat

verra son rôle s’accroître dans les années à venir. Mais dans quelle mesure ? Tout dépendra

de la mobilisation future en faveur de son développement au sein des politiques publiques,

des évolutions juridiques et fiscales qu’il peut connaître. Le management des institutions

culturelles demeure impacté de façon conséquente par la crise économique et connaîtra

encore, dans les prochaines années, de profonds changements face à une pression

économique qui semble s’inscrire dans la durée.

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ANNEXES (11 PAGES)

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ........................................................................................................................................ 4 • Définir l’institution culturelle. ......................................................................................................................... 7 • La « gestion budgétaire », nouveau pilier des politiques culturelles ? ...................................... 8 • Le Mécénat, perspective d’avenir ? ............................................................................................................... 9

1ère partie : Intervention de l’État et financement des politiques culturelles. ...................... 11 I – La justification des politiques culturelles. ................................................................................ 11

A – La culture, un bien public à protéger....................................................................................................... 14 B – Un facteur d’externalités positives. .......................................................................................................... 15 • Un contexte social apaisé. ............................................................................................................................ 15 • Un bien dépourvu de décroissance marginale. ................................................................................. 16 • Des retombées diverses : l’effet multiplicateur de la dépense publique ............................... 17

C – Le spectacle vivant et le modèle de la « fatalité des coûts ». .......................................................... 19 II – L’institutionnalisation de la culture, une spécificité française ? ..................................... 23

A – La construction de l’objet culturel dans le champ de l’action publique. ...................................... 25 B – La standardisation de l’institution culturelle. ......................................................................................... 31 C – Le financement de l’institution culturelle. .............................................................................................. 40

III – Naissance et évolution du Mécénat. ....................................................................................... 47

A – Un cadre juridique récent, né dans les années 1990. ......................................................................... 50 B – Les externalités positives du Mécénat ..................................................................................................... 57 • Un enjeu de communication ........................................................................................................................ 57 • Un enjeu fiscal ................................................................................................................................................... 60

C – Le Mécénat : une approche culturelle. .................................................................................................... 63

2ème partie : L’impact de la crise économique sur le devenir des politiques culturelles. 70 I – Contexte économique et finances publiques. ........................................................................ 72

A – La crise des dettes souveraines et la difficile question de l’équilibre budgétaire. .................................. 73

• De la crise économique à la crise des dettes souveraines ............................................................ 74 • Comment résorber le déficit public ? .................................................................................................... 76

B – L’impact de la crise économique sur la politique culturelle et son financement. ................................... 82 C – La décentralisation des compétences : quel rôle pour les collectivités territoriales en France ? .... 84

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II – Le financement de la culture : un mal français ....................................................................... 89

A – Une remise en cause profonde du modèle de subventions ............................................................. 90 • Un État culturel à bout de souffle. ............................................................................................................. 90 • Les collectivités territoriales, un acteur financier majeur, au budget limité. ...................... 91 • Entre l’État et les collectivités territoriales, personne ne semble en mesure de pouvoir tenir le

modèle de subvention. ........................................................................................................................ 96 B – Des rapports publics pointent l’inefficience du système actuel ...................................................... 97 • Pour l’Inspection Générale des Finances, un constat sans appel pour plus de ressources propres dans

les organismes culturels. ................................................................................................................... 98 • Pour la Cour des Comptes, des efforts insuffisants qui doivent conduire à de nouvelles mesures de

gouvernance pour améliorer la structure de financement des théâtres nationaux. 101 • Pour le CESER, un appel à plus de financement par des ressources propres et à de meilleurs outils de

mesures concrets de l’impact culturel. ...................................................................................... 103 C – La consécration du New Public Management ?................................................................................. 105

III – Le Mécénat : une source de financement pour l’avenir ? ............................................. 111

A – Le Mécénat de l’après-crise : une reprise timide.............................................................................. 111 B – Un Mécénat qui s’ouvre aux financement de chacun : le crowdfunding. .................................. 118 C – Le cadre actuel du Mécénat ne semble pas être une solution pérenne ................................... 123 • Le Mécénat affronte des outils statistiques peu fiables et vieillissants : ............................. 123 • Le Mécénat est finalement assez mal adapté aux institutions. ................................................ 125 • Le Mécénat peut-il être l’unique financeur de la politique culturelle ? ............................... 127

CONCLUSION ............................................................................................................................................. 130 • Une définition obsolète et trop rigoureuse du Mécénat. ............................................................ 130

• « L’État culturel » : une figure institutionnalisée qui s’ancre dans le rôle interventionniste de l’État……….. 131 • Une reprise timide après la crise économique................................................................................ 132 • Des enjeux fiscaux lourds et contraignants. ..................................................................................... 133 • Le Mécénat : un financement vraiment accessible pour tous ? ............................................... 134

BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................................... 139

ANNEXES ....................................................................................................................................................... 143

SOMMAIRE DES FIGURES/TABLEAUX. .......................................................................................... 156

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SOMMAIRE DES FIGURES/TABLEAUX. FIGURE 1 – Ministère des affaires culturelles, organisation centrale, 1969 (tiré de Poujol, 1993, p. 95) ................................................................................................................................................................ p.39 FIGURE 2 – Ministère de la Culture, organisation centrale, 2016 (réalisé à partir du Site Internet du Ministère de la Culture, Février 2016) ............................................................................................... p.39 FIGURE 3 – Rapport du Ministère de la Culture et de la Communication, Évolution du Budget de la Culture, en millions d’euros constants, 1961-2009 (p. 391) ........................................................... p.41 FIGURE 4 – Rapport du Ministère de la Culture et de la Communication, Taux de Croissance du budget du Ministère de la Culture, en %, 1960-2005 (p. 391) ............................................................ p.42 FIGURE 5 – Rapport du Ministère de la Culture et de la Communication, Comparaison des taux de croissance des dépenses de l’État et du budget du Ministère de la Culture, 1993-2007 (p. 391) ....................................................................................................................... p.43 FIGURE 6 – Présentation du mécanisme de semestre européen, Rapport de la Commission Européenne, L’Union économique et monétaire et l’euro, Novembre 2014, p. 13 ...................... p. 78 FIGURE 7 – Les mécanismes de l’Union Européenne adoptés pour assainir les déficits de ses États membres, Commission Européenne, L’Union économique et monétaire et l’euro, Novembre 2014, p. 15. ................................................................................................................................................................. p. 81 FIGURE 8 – Les compétences classiques des collectivités territoriales en matière de politique culturelle, Pontier JM, 2008, Sénat ............................................................................................................ p. 86 FIGURE 9 – Les compétences spécifiques des collectivités territoriales en matière de politique culturelle, Pontier JM, 2008, Sénat ............................................................................................................ p. 87 FIGURE 10 - Comparaison des administrations de type webérienne et New Public Management, Amar et Berthier, 2007, p. 4. ..................................................................................................................... p.107 FIGURE 11 : Les différentes actions s’inscrivant dans le New Public Management, Amar et Berthier, 2007, p. 4 ....................................................................................................................................... p.109 FIGURE 12 – Évolution du Mécénat des particuliers et des entreprises entre 2003 et 2013, Ministère de la Culture et de la Communication, 2013, 2013-2013 : dix ans de Mécénat, page 7 .................................................................................................. p.112

FIGURE 13.1 et 13.2. – Évolution du Mécénat des particuliers et des entreprises entre 2003 et 2013, Ministère de la Culture et de la Communication, 2013, 2013-2013 : dix ans de Mécénat, page 7 ......................................................................................................................... p.114 FIGURE 14 – Évolution du Mécénat des entreprises entre 2006 et 2014, ADMICAL/CSA, 2014, http://www.admical.org/contenu/barometre-du-mecenat-dentreprise (site consulté le 22 avril 2016) ................................................................................................................... p.118

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TABLEAU 1 – Études empiriques vérifiant la loi de Baumol et Bowen (extraits), BENHAMOU, 2011, p. 33 ...................................................................................................................................................... p.20 TABLEAU 2 – Budget voté du Ministère de la Culture, en millions d’euros courants et constants, base 1980, source Ministère de la Culture, calculs à partir de l’indice des prix INSEE, dans Benhamou, L’économie de la Culture, 2011 (p. 99) .................................................................... p.42 TABLEAU 3 – Rapport du Ministère de la Culture et de la Communication, Effort financier de l’État dans le domaine culturel, 1999-2008 (p. 395) .............................................................................. p.44 TABLEAU 4 – Rapport du Ministère de la Culture et de la Communication, Dépenses culturelles des différents ministères par secteur d’intervention, 2009 (p. 395).................................................. p.46 TABLEAU 5 – Comparaison entre les fondations d’utilité publique, les fonds de dotation, les associations, Extrait. Source : DEVIC L, 2009, www.fonds-dotation.fr (consulté le 18 Mars 2016) ................................ p. 55 TABLEAU 6 – Typologie des biens, par Paul Krugman et Robin Wells, page 785, Microéconomie, De Boeck Supérieur, 2009 .......................................................................................................................... p. 59

TABLEAU 7 – Les déductions fiscales du Mécénat, en fonction du type d’agent économique, Site officiel de l’administration française, https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F22263, consulté le 19 Mars 2016 ............................................................ p. 60 - 61

TABLEAU 8 – Approches nationales des politiques culturelles, Gattinger et Saint-Pierre, 2012, p. 152, extrait ..................................................................................................................................................... p. 64 TABLEAU 9 – Le top 5 des fondations d’entreprises 2010 du Foundation Center, États-Unis, ADMICAL, 2012 ............................................................................................................................................ p.66 TABLEAU 10 – Le top 5 des plus généreux mécènes français en 2005 (source ADMICAL, 2007), page consultée le 20 Mars 2016, http://www.journaldunet.com/management/dossiers/0611162-mecenat/classement.shtml, ........................................................................................................................ p. 66 TABLEAU 11 – Évolution du déficit public et de la dette publique française (en % du PIB, 2008-2015), Commission Européenne (2012), Eurostat, INSEE (2016) ..................................................... p. 82

TABLEAU 12 – Part des dépenses culturelles allouées par les collectivités territoriales, Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales, p.10-12, 2014 ........................................ p. 94

TABLEAU 13 - Évolution du Mécénat des particuliers et des entreprises entre 2003 et 2013, Ministère de la Culture et de la Communication, 2013 ....................................................................... p.113

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LA GESTION BUDGÉTAIRE DES INSTITUTIONS CULTURELLES FACE À LA CRISE ÉCONOMIQUE : LE MÉCÉNAT, UNE PERSPECTIVE D’AVENIR ?

PAR TRISTAN FOURAULT

SOUS LA DIRECTION DE DAMIEN BROUSSOLLE INSTITUT D’ÉTUDES POLITIQUES DE STRASBOURG

JUIN 2016 160 pages, 42 000 mots.

RÉSUMÉ : Qualifiée de régime « d’exception », la politique culturelle française est un modèle unique au monde. Fondée sur un très large subventionnement public, la politique culturelle s’exprime en France, dans les institutions culturelles, par le rôle très important de l’État et des collectivités territoriales. La crise économique et financière majeure de 2008 a eu des répercussions fortes et durables pour l’économie européenne : elle a entraîné un endettement massif des États européens pour sauver le système bancaire d’une faillite certaine. Face à l’endettement massif de certains pays européens, des politiques d’austérité et de maîtrise des déficits publics ont vues le jour à l’échelle de l’Union Européenne afin de ne pas provoquer une contagion ; qui aurait pu conduire à l’effondrement de l’économie européenne. Alors que les dépenses publiques sont fortement contraintes par la réduction du déficit public, les institutions culturelles sont confrontées à une stagnation voire à une diminution de leurs ressources. Face à des limitations budgétaires nouvelles et particulièrement fortes, le financement privé et plus spécifiquement une forme de financement privé qu’est le Mécénat est-il amené à voir son rôle croître ? Quelles sont les perspectives d’avenir pour le Mécénat dans le financement des politiques culturelles en France ? MOTS CLÉS : Crise économique, Culture, Crowdfunding, Économie publique, Endettement public, État, Financement participatif, Gestion budgétaire, Institution culturelle, Mécénat, Nouveau Management Public, Politique d’austérité.

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BUDGETARY MANAGEMENT IN CULTURAL INSTITUTIONS, FACING THE ECONOMIC CRISIS : PATRONAGE, A PERSPECTIVE FOR THE FUTURE ?

BY TRISTAN FOURAULT

UNDER THE SUPERVISION OF DAMIEN BROUSSOLLE INSTITUTE OF POLITICAL STUDIES – STRASBOURG, FRANCE.

JUNE 2016 160 pages, 42 000 words.

SUMMARY: Defined as a specific system, French cultural policy is a unique structure in the world. Existing thanks to a huge public funding, French cultural policy is defined, in cultural institutions, by the key role of central state and of the decentralized authorities. Economic and financial crisis in 2008 had deep consequences over European economy and its banking establishments. European countries decided to increase massively their national debts in order to save the European economy from a massive bankruptcy. The debt level in these states has then lead to austerity policies in order to control public deficits. Whereas public spending is strictly controlled by the decreasing objectives for public deficit, cultural institutions are compelled to keep the same budget or to decrease their own budget. Facing these new forms of pressure, will private funding, essentially focus around patronage, increase? What are the perspectives for the future for patronage, in French cultural policy? KEY WORDS: Austerity Policy. Budgetary Management, Culture, Crowdfunding, Cultural Institution, Economic Crisis, New Public Management, Patronage, Public Debt, Public Economy, State.