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Virée gastrocomique Je me réveillai d'un plaisant sommeil et, la première chose que j'aperçu en ouvrant les yeux, me fit descendre brutalement de ma planète! Fini l'Australie et ses maousses crocos de six mètres, j'étais revenu dans l'austère lit d'une guesstaousse et ses barreaux aux fenêtres. Le soleil se montrait tout juste et, rien ne m'incitant à m'attarder dans ce lieu hostile, je me levai sans tarder et parti manger une soupe en attendant l'instit. Mon gars déboule sur sa motobylette (il n'y a pas de cyclomoteur 49,9 ici. Les motos font en général 100cc mais ont malgré tout un aspect de mobylette améliorée, d'où mon appellation singulière). Sans être flambant neuve, sa bécane ne date pas pour autant de l'époque Angkorienne… ce qui me fait dire à moi-même que pour un pauvre instituteur sous-alimenté, l'est pas craignos sa moto!… Sous prétexte qu'il tenait absolument à me montrer son dictionnaire tout

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─ Virée gastrocomique ─

Je me réveillai d'un plaisant sommeil et, la première chose que j'aperçu en ouvrant les yeux, me fit descendre brutalement de ma

planète! Fini l'Australie et ses maousses crocos de six mètres, j'étais revenu dans l'austère lit d'une guesstaousse et ses barreaux aux fenêtres. Le soleil se montrait tout juste et, rien ne m'incitant à m'attarder dans ce lieu hostile, je me levai sans tarder et parti manger une soupe en attendant l'instit.

Mon gars déboule sur sa motobylette (il n'y a pas de cyclomoteur 49,9 ici. Les motos font en général 100cc mais ont malgré tout un aspect de mobylette améliorée, d'où mon appellation singulière). Sans être flambant neuve, sa bécane ne date pas pour autant de l'époque Angkorienne… ce qui me fait dire à moi-même que pour un pauvre instituteur sous-alimenté, l'est pas craignos sa moto!…

Sous prétexte qu'il tenait absolument à me montrer son dictionnaire tout neuf qu'il venait soi-disant d'acheter, il me conduit d'abord à sa piaule. Je crois plutôt qu'il voulait se faire mousser en exhibant un bonhomme vert (comme le billet) dans les rues de son quartier.

Depuis la chute de Pol Pot, et en dehors des gens de l'ANUS, ou autres ONG, ils n'étaient pas légion les étrangers à se risquer au-delà de l'aéroport de Pochentong. Alors forcément, aux yeux des paysans, les UNTAC faisaient un peu figure de martiens, tout de billets verts matelassés!...

C'était devenu une distinction d'avoir un UNTAC dans ses relations. Même sans moyen de locomotion, la preuve!…

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Après ce petit bain moussant, nous voilà reparti, cheveux au vent, sur sa monture de pauvre, mais pas trop quand même… Quand il m'avait annoncé que son bled n'était pas loin, je m'étais dit:

"Si c'est la porte à côté, ce sera l'histoire de quelques minutes à chevaucher sa pétoire, ce n'est pas la mer à boire!" Mais quand on a dépassé le village voisin, dix bornes plus loin, et qu'il avait toujours le nez dans le guidon, j'ai compris que le garçon n'avait aucune appréciation des distances!

Je n'avais pas de montre pour vérifier le temps passé mais comme ça, à vue de nez, ça devait bien faire trois quarts d'heure que l'on taillait la route quand, enfin, il stoppa sa pétrolette à un carrefour animé au milieu d'un village. J'ai vite retapissé le coin grâce au marché qui borde la nationale. Y'en a pas deux comme ça entre Phnom Penh et Kompong Speu et quand on l'a vu une fois on s'en souvient!

Je l'avais remarqué lors de mon périple avec les canadiens. Il est si près de la route que les roues du bahut rasaient le cul des bonnes femmes en train de faire leur courses et je m'étais déjà fait exactement la même réflexion: "Mais qu'est-ce qu'ils ont été foutre un marché dans un endroit pareil?!!"

C'est vraiment limite tous ces étalages pour la plupart à même le sol et à deux pas du trafic! Des montagnes de pains à hauteur des pots d'échappement, des quartiers de bidoche noirâtre suspendus sous des abris de fortune, tellement proches de la chaussée qu'il suffirait de tendre le bras par la portière pour les décrocher. Encore faut-il en avoir envie! Des poiscailles suant un jus saumâtre et nauséabonde gisent la gueule ouverte dans des cuvettes en plastique et toutes sortes de légumes sont éparpillés en vrac sur des nattes d'une propreté douteuse.

En résumé, ce marché donnait autant envie d'aller y faire ses courses que le Mékong d'aller s'y baigner!…

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Nous devions être à mi-chemin de Phnom Penh, soit à vingt-cinq bornes déjà de notre point de départ! La porte à coté… Il coupe le moteur et, de but en blanc, me demande un peud'argent pour acheter de l'eau potable et… Un poulet!

Il me précise toutefois qu'il le fera rôtir pour moi. Va savoir pourquoi, j'eus soudain une pensée affectueusepour Coluche. ─ Bon alors euuuh… C'est l'histoire d'un mec tu vois euuuh… Y t'invite à bouffer… Bon, jusqu'à là…ça va. Et alors euuuh… On va faire les courses et, au moment de payer, le mec y te dit comme ça euh… Des fois ben, tu vois, y'a des mecs euuuh… Sympas! Blancs! Normal quoi!… Tu les invites à bouffer chez toi pis…, comme y sont sympas euh…les mecs, et qui sont blancs surtout, ben euuuh… Y se proposent pour payer!

Bon, me dis-je, j'aurais au moins l'assurance d'un bon repas! Il revient quelques minutes plus tard avec son poulet vivant et un pack de flotte embouteillée sous le bras. Il accroche le gallinacé au guidon, dépose la flotte dans le panier à commissions placé sur la roue avant et me propose une petite pause-café avant de poursuivre.

─ Ah bon, parce que… On est pas arrivé?─ Non mais c'est tout prêt, on y est presque!Il m'entraîne dans une gargote sombre remplie de

cambodgiens indolents scotchés devant une télé braillant à tue-tête et me commande un café glacé que je m'empresse d'annuler au profit d'un café noir pas vraiment chaud, pas vraiment buvable non plus, mais supposé fait avec de l'eau bouillie. Manquerait plus que je m'amibe les intestins à peine arrivé… Je paie l'addition, salut Coluche! Et nous revoilà en selle. Je m'attendais presqu'à ce qu'il aille faire le plein à ma santé, mais il n'y a sans doute pas pensé… Et nous repartons, toujours en direction de la capitale, chaque tour de roue nous en rapprochant inéluctablement…

"Si ça continue, on va se retrouver dans les faubourgs de Phnom Penh!" Pensais-je un peu irrité!

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Et ben non. Environ cinq kilomètres plus loin, quand même!, il quitte enfin, à mon grand soulagement, la nationale pour s'engager à gauche sur une piste qui allait vite me la faire regretter, la RN4! Des montagnes russes! Tu me diras, fallait bien marquer le passage! Dix années de coopération popoffs dans un pays occupé par des poteaux locaux cocos, ça laisse des traces! Ce n'est pas que je rechigne à emprunter les pistes défoncées, au contraire, mais pas passager d'une brelle qui talonne à chaque bosse! Et la poussière!

Bonjour le nez au grand air! Il me faudrait carrément un masque de chirurgien pour éviter d'en sniffer des grandes lignes à chaque inhalation! On fait mieux en matière de rail coco!

Là le voyage est carrément devenu flippant!... Nous traversons un premier petit hameau, puis un second, puis un autre… La piste ne s'arrange pas et mes lombaires commencent à se tasser sérieusement! Nous stoppons finalement peu avant le suivant, à hauteur d'une bicoque ruinée aux couleurs de la piste. Ça devait faire pas loin de deux heures et demie que nous avions quitté Kompong Speu! La porte à côté qu'il disait!…

Deux petits vieux, semblant fait du même bois que leur bicoque, reposent devant l'entrée sur une banquette-lit-table à l'image de la masure. Il me les présente comme étant son oncle et sa tante… Ah! Parce que nous ne sommes pas encore arrivés chez toi?!!! J'avais le droit à la tournée des ancêtres avant le repos du guerrier! Je les salue comme m'avait appris à le faire Dara en joignant les mains sous le menton:

─ Tchoum rib sour! Ils me répondent de la même façon et la mamie, toute petite

et fripée comme une vieille patate, la bouche édentée rouge de bétel, se lève et nous apporte à chacun une tasse d'eau chaude colorée au thé. Elle discute deux minutes avec son neveu, disparaît à nouveau, puis revient avec deux assiettes de longs vermicelles qu'elle arrose d'un bouillon épais.

Ça tombait à pic, la route m'avait légèrement creusé.

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Ma joie hélas fut de courte durée. Dès la première bouchée j'ai regretté d'avoir accepté sa pitance! J'avais dans la bouche une bouillie d'arêtes pilées proprement infecte! Ça croquait sous les dents et avait un goût écœurant! C'était carrément immangeable!

─ Si c'est là une étape du rallye gastronomique que me réserve votre neveu, demain soir je suis bon pour repeindre les chiottes de mon loueur! Leur dis-je en français, sachant qu'ils n'en pipaient pas un mot, tandis que tout sourire, ils approuvaient en hochant la tête. Je me force à avaler une seconde bouchée de vermicelles que je pris soins d'essorer soigneusement, et avant que mon estomac mécontent décide de me renvoyer la sauce avec élan, je pose la cuillère en prétextant une lourdeur à l'estomac, due sans doute au café qui n'est pas passé…

Quant au cher petit neveu, il bâfre goulûment sa pitance, sirote deux trois coups d'eau chaude pour faire glisser la pâtée d'arêtes et, se levant en rotant de bon cœur, m'invite à poursuivre notre tournée. Je me lève en hâte, craignant qu'il y eût un dessert et nous nous mettons en route, mais à pied cette fois, à travers les rizières. Merde! Il a décidé de me m'exhiber dans tout le canton ou bien! Nous arrivons à une autre hutte, d'où sortent deux reliques rabougries qu'il me présente également comme son oncle et sa tante.

─ J'espère que t'en as pas tout un wagon d'aïeux l'apôtre, parce que si je dois me farcir les spécialités de chacun, c'est en rapatriement sanitaire que je vais finir ma mission!

Lui dis-je en français tout en me massant le ventre. Rebelote! Après le "choum rib sour" d'usage, on nous fait asseoir sur une banquette-lit-table kif-kif la précédente, sauf que celle-ci est recouverte d'une natte, signe extérieur de richesse. Les festivités reprennent et on nous sert le buffet campagnard, avec pour commencer…une soupe! Pitié non! M'écriais-je en moi-même! Si ça s'trouve ils ont préparé la potion collective pour tout le village!

Non ouf! Celle-ci, quoiqu'étant fortement amère, n'a rien de comparable avec l'autre mixture infâme.

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Elle est mangeable au moins, ce qui constitue un progrès de bon augure. Un plat de légumes verts, genre épinards, légèrement âpre et pas assez cuits à mon goût, accompagne une assiette de viande de porc. Enfin, quand je dis viande je m'entends…il y avait d'avantage de gras que de maigre, mais mélangé aux légumes et au riz ça passait. Et puis, ne sachant pas ce qui m'attendait plus loin, ce n'était pas le moment de faire le difficile!…

Après ce festin, le prof me fait faire le tour du propriétaire. La baraque, toute en bois avec un toit de chaume de riz, est plantée en bordure des rizières. C'est une modeste demeure paysanne construite de plein pied, avec un sol en terre battue.

Une pièce unique fait fonction de chambre, cuisine et grenier à riz, dans laquelle vient d'être entreposée la dernière récolte. Il n'y a ni gaz ni électricité dans les cambrousses cambodgiennes.

La cuisine se fait encore sur des réchauds en terre cuite alimentés au charbon de bois, ce qui a pour fâcheuse conséquence de noircir murs et plafond malgré l'ouverture pratiquée là où c'est possible… À défaut d'être efficace! Des photos d'ancêtres, jaunies et noircies pourrissant dans des cadres rafistolés, ornent le mur au-dessus du lit, le seul meuble de la maison. À l'extérieur, cloué sur le tronc de l'arbre qui fait face à la maison, l'incontournable petit temple en bois, avec ses offrandes et ses bâtons d'encens.

Sur le coté, une grosse jarre en ciment peint recueille l'eau de pluie qui servira à la cuisine, la vaisselle, la lessive et la douche. Et oui! Les ablutions se font en plein air à la campagne, au vu et au su de toute la paroisse… Et comme il n'est pas question de se déloquer devant tout le monde, on se cache sous un sarong (pièce de tissu large et très légère que les femmes s'enroulent autour de la taille) ou un krama pour les hommes et ça roule!

On se savonne tant qu'on peut par-dessus cette seconde peau, puis on se rince illico à grande eau avec la même fameuse casserole en plastique dont j'ai fais le topo plus haut. Le sarong lui, ressort très propre!

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Mais je n'en dirais pas autant de la foufoune et de ses secrets recoins... Bonjour les effluves printaniers! Ah ça, on est loin de la pub Tahiti douche à poil sous un jet brûlant! Jeune fille soucieuse de ses émanations intimes intempestives s'abstenir!…

Ne cherchez pas non plus les ouatair-closette! Y'en a pas! Ou plutôt si! Mais ils sont partout et nulle part au milieu des rizières. Et les rizières, ce n'est pas ce qui manque par ici, le paysage en est saturé! Morne plaine desséchée, je suis exactement en plein cœur de la vue aérienne contemplée depuis l'avion. Pour en revenir aux WC, chacun y va de sa petite contribution d'engrais naturel, et y'a intérêt à regarder où on met les pieds! C'est tout autant truffé de merdes qu'un champ de mines, à la différence que les sentinelles s'y trouvant préfèrent se coller aux pieds plutôt que de les emporter! Il y a bien les chiens qui passent l'aspirateur, mais il en reste toujours une pour se trouver sur ton chemin!…

Quant à nos petits vieux, ils semblent toujours heureux d'être encore soudés l'un à l'autre malgré les dures années d'enfer traversées. La promenade achevée, nous les saluons et repartons pour de nouvelles aventures. Je redoutais encore un repas chez une énième tantine mais fort heureusement, nous ne ferons que déambuler dans les autres foyers. J'avais hâte qu'il mette fin à son numéro de montreur d'ours!

─ Ohé! Approchez bonnes gens! Venez admirer mon spécimen UNTAC!Un authentique baraing fraîchement importé de la réserve ANUS, avec le cul encore cousu de billets verts!…

Une fois la tournée des ancêtres terminée, nous retournons enfin à la moto et il me dit:

─ Maintenant nous allons à mon village... ─ Ah bon! Parce que tu n'habites pas ici? ─ Non, mais on n'est plus très loin…

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Ben tiens, ça ne fera que quelques bornes de plus! Le gallinacé était toujours vivant, mais il donnait toutefois des signes de fatigue! Il battait bien encore un peu des ailes de temps en temps, histoire de nous montrer qu'il n'était pas encore tout à fait mort, mais ses minutes étaient comptées. Avec un tel stress, la viande s'annonçait plutôt coriace!… Et nous voilà reparti à l'assaut des monts popoffs, pour aller retrouver la RN4! De retour sur la nationale, il s'engage à nouveau en direction de Phnom Penh mais ouf! Pas pour longtemps… Deux trois bornes plus loin, il tourne à droite cette fois, sur une piste menant droit à un village parallèle à la route, à une centaine de mètres en retrait.

─ Les goûts et les odeurs ─

IL nous fait traverser tout le patelin par l'intérieur des cours pour bien signaler notre arrivée, et s'arrête finalement à la dernière bicoque, la maison familiale!

Enfin nous y sommes! Il y avait bien un autre chemin qui nous aurait amené directement ici depuis la nationale, mais alors personne ne l'aurait vu en compagnie de son hôte de marque!…

Il me présente son père, sa mère, ses frères et ses sœurs, oh oh! Manquait plus qu'un marteau et c'était le vrai bonheur! Je leur sers les salamalecs d'usage les mains bien jointes sur ma poitrine puis, sans transition, on nous entraîne dans la baraque, à l'étage, où sont déroulées des nattes. Dara m'annonce que nous allons faire une petite sieste avant d'aller faire un petit tour dans le village.

─ Bon ben si c'est l'usage, pourquoi pas? Me dis-je. Ce sera toujours mieux que de faire la bête de foire… J'avais perdu toute notion du temps avec son itinéraire à la noix mais au jugé, d'après le soleil encore bien haut, il ne devait pas être loin de deux heures de l'après-midi.

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Je m'allonge donc sans me faire prier, sans dormir non plus, juste histoire de soulager mes lombaires endolories. L'instit lui, se mit à en écraser des caisses! Eh, n'est pas Cambodgien qui veut!… C'est incroyable la faculté qu'ils ont de s'endormir instantanément et quasiment n'importe où! Assis, debout, accroupi, en équilibre sur une planche, sur une selle de moto, au milieu d'un carrefour, au cœur d'une fanfare, en bossant!…peut-être aussi en bai… Bon, passons!

Plus d'une heure s'écoula avant que le fils prodigue n'émerge de son profond coma et m'invite à redescendre. Il a troqué ses fringues de ville pour un krama, enroulé autour de la taille. Le krama, large écharpe en coton très léger d'environ un mètre vingt sur cinquante centimètres, est la tenue universelle et polyvalente des Cambodgiens. Celui à petits carreaux rouges et blancs a été rendu tristement célèbre par Polpot et sesCambodgiens khmers rouges qui le portaient en serre-tête ou en ceinture par-dessus leur uniforme noir. Sur la tête il protège du soleil,autour du coup il absorbe la sueur, roulé autour de la taille il sert de ceinture et porté en kilt, en gardant le slip bien évidement, c'est une tenue pour rester à la maison où pour aller travailler dans les rizières inondées.

Il peut également faire office de torchon, de mouchoir, de sac, de hamac pour les bébés etc. etc… Vêtu donc de son krama-kilt etc. Dara se dirige vers la salle de bain, c'est-à-dire la jarre trônant sur un des côtés de la maison, à deux mètres à peine de la banquette lit.

─ Tu veux prendre un bain?─ Euh, non merci,

ça peut attendre ce soir. Je n'avais nulle envie de m'exhiber devant toute sa tribu!

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─ Je voudrais juste aller aux toilettes, tu peux me dire où elles se trouvent? J'espérais qu'au moins le logis d'un instit en soit pourvue, même des plus spartiates, mais c'était déjà trop demander…

─ Il n'y en pas, nous allons dans les champs là-bas… Derrière la maison!…

??? Heureusement, ce n'était qu'une envie de pisser! Je me voyais mal aller m'accroupir en plein jour au milieu des rizières! Déjà qu'ils n'arrêtent pas de me mâter, alors j'imagine si je vais couler un bronze!

Trois minutes après avoir baissé le froc, ils seraient déjà quinze autour de moi pour vérifier si l'ANUS est réellement cousu de dollars!…Non merci! Après sa douche à la mode de chez lui, Dara se rhabille et me propose une visite guidée dans son patelin. Je vois bien qu'il en crève d'envie et, comme j'ai aussi besoin de me dégourdir les jambes, j'accepte donc de bon gré. Nous avons à peine fait trois pas à l'extérieure qu'une ribambelle de gosses excités comme des guêpes nous entoure et nous colle au train, pareille à une meute bruyante de jeunes chiots.

Nous traversons les cours les unes après les autres, saluant tous les villageois qui,manifestement, avaient déjà euvent de l'attraction du jour. Je m'attendaisà découvrir un petit village bucolique et ses superbes maisons typiques, ses jardins mirifiques, ses vieux paysans rustiques et tout le cirque… Quelle déception! En dehors des antiques charrues moyenâgeuses et une poignée d'outils artisanaux attirant mon attention, le reste du village ne mérite vraiment pas le détour.

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Aucune de ces baraques montées sur pilotis ne présente la

moindre originalité, et je me lasse vite de leur aspect ordinaire fais de bric et de broc, de leur incontournable lit-table, et des cours poussiéreuses où gisent deux ou trois arbres rabougris! On sent nettement que le souci d'esthétique n'est pas une gageure chez les pecnots du coin! Mon guide lui, prenant des airs de ministre et racontant les mêmes sornettes à qui voulait les entendre, se pavane dans sa basse-cour tel un coq en pâte. La ballade durera une petite heure, tout le mondedésirant voir de près le spécimen…

Puis nous retournons chez lui, toujours suivis de la cohorte de gamins braillards! Ils finissent quand même par nous lâcher dès que nous pénétrons dans la cour. Mais je n'étais pas sorti de l'auberge pour autant… Sur l'incontournable banquette-lit-table qui trône au milieu de la cour, sont déjà installés quatre pékins qui s'esclaffent avec véhémence en trinquant haut et fort!

Vu leur état, et les bouteilles gisants sous le banc, ça doit faire un moment qu'ils taquinent le rouquin les forbans. Parmi eux je devine le père. Pas vraiment une sale gueule mais pas loin… Et sans conteste le moins joviale de la bande. Comme en plus il ne fait aucun effort pour sourire, tu vois tout de suite le genre de blaireau! Il doit à peine avoir la quarantaine, mais il en paraît bien soixante avec son visage buriné et ses yeux rouges vitreux profondément enfoncés dans les orbites qui lui donnent un regard bestial pas sympa du tout…

Je le sens, mais alors pas du tout le Pater! Les trois autres compères n'ont pas l'air plus inspiré, mais eux au moins ils essaient de sourire. Une odeur plus qu'écœurante, aux relents de mauvais alcool, flotte au-dessus du petit comité. Notre intrusion étant prétexte à une nouvelle tournée, on nous fait asseoir au sein du groupe et l'un des ivrognes me tend un verre empli d'une substance rougeâtre que je suppose être du vin locale.

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Aussitôt tous les verres sont brandis, puis entrechoqués avant d'être engloutis cul sec.

Prudent, je porte doucement le mien à la bouche et, avant même d'y avoir trempé les lèvres, je reçois en plein dans les narines son effluve médicamenteux! Beurk! Ils le boivent ça!!

Je surmonte mon dégoût et sirote un chouilla. En plus d'être tiède ça a un vieil arrière-goût de désherbant! Je suis le seul à ne pas avoir vidé mon verre cul sec, et j'ai comme le pressentiment que si je ne m'exécute pas, je vais passer pour un malappris!

Je prends donc mon courage à pleines narines et siffle la potion d'un trait… Oh con! Je n'en boirais pas des caisses de leur poison, ça c'est sûr! Les gamines sont aussitôt rhabillées mais là, ils peuvent toujours courir pour que je boive!

Une fois n'est pas coutume, je trinque et repose aussitôt mon verre sur la table, en prétextant, pour éviter de les froisser, le manque d'habitude à l'alcool. Il y a des fois où il vaut mieux passer pour un pied tendre que de risquer de se faire étendre (voir le paragraphe sur la susceptibilité des ivrognes chap. XVI )

J'ai découvert depuis que le mensonge était une seconde nature chez les Cambodgiens, par conséquent j'étais en bonne voie. Je pense à la bouteille de bordeaux qui repose dans mon sac, et je me dis qu'il serait bien de l'apporter sur l'hôtel des sacrifices, avant que les arsouilles ne soient trop défoncés pour l'apprécier. Si ce n'est pas déjà trop tard…

Joignant aussitôt le geste à la parole je m'en vais quérir le rouquin et… Le tirebouchon qui va avec! Ben oui, je me doutais bien qu'il devait être aussi aisé d'en trouver un ici qu'un congélateur sur la banquise! À part la queue des cochons, je ne voyais rien qui pouvait ressembler à un tirebouchon! Chuiiiiiiii… Pop! Glou glou glou! Je remplis à demie les verres des pochetrons, et finis par le mien. Tout le monde lève son verre, nous trinquons et, déception! Je m'attendais à les voir le goûter, ne serait-ce que par prudence, et ben non! Même pas! Et là ben…pour de bon je suis dégoûté! Tous autant qu'ils sont, ces gougnafiers vident leur verre cul sec et le reposent machinalement sans même un claquement de langue, l'air

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totalement inexpressif comme s'ils venaient d'écluser leur saloperie de tord boyaux!

Je n'ai droit à rien! Pas même un sourire ou un coup d'œil approbateur! Ils sont incapable de faire la différence entre un Bordeaux et de la pisse de vache (y'a pas d'âne ici…enfin si mais…non!) Et en plus ils récidivent ces arsouilles!

D'autorité l'un deux attrape la boutanche et refait les niveaux! Verre vide que je te plains, verre plein que je te vide!… Allez hop! En deux coups les gros le bordeaux est séché puis, sans transition, ils repassent à leur tord-boyaux! J'en suis tout estomaqué, réalisant à peine que je venais de filer de la confiture à des cochons!

Bah! Me dis-je, au moins que ça me serve de leçon! Le fait est qu'on ne m'y a plus jamais repris! J'aurais volontiers passé outre ce manque de savoir-vivre si, toutefois, ils m'avaient témoigné par la suite un semblant de considération… Il n'en fut rien Hélas! Et je commençais à m'emmerder ferme au milieu de ces pochetrons sans éducation! Je pensais être assailli de questions sur mon pays, ma culture, ma famille… J'espérais un dialogue, même sommaire, mais c'est tout juste s'ils se rendaient compte de ma présence ces babouins!

Ah il me le refera le coup du week-end dans sa famille l'instit! Alors que le soleil commence à décliner, Dara m'annonce que

nous allons bientôt dîner. Nous ne passons pas à table vu que nous sommes déjà assis dessus, on va juste attendre que les plats viennent à nous. C'est sensé être un repas festif alors moi en bon français je m'attendais à goûter quelques succulentes spécialités

régionales qui m'auraient aidé à oublier toute la daube ingurgité jusqu'à présent, mais ce fût encore pire!…

Ah ça, surprenant, ça le fut! J'ai eu droit à la spécialité nationale! Une espèce de pâté infâme à l'odeur insoutenable! Ouah l'odeur!!! Ma parole, s'ils osaient jamais te servir ça, les chinois du treizième, s'en serait fini de leur réputation et de l'engouement populaire pour la cuisine asiatique!

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Cette bouillie infâme s'appelle le prâhoc! Les rillettes cambodgiennes, élaborées à partir de poisson… Pourri! Même le plus baraqué des fromtons français ne daube pas autant! Quant à la saveur ben… Faudrait déjà parvenir à le mettre en bouche pour s'en faire une idée... Franchement, faut être tombé dedans tout petit pour l'apprécier! Ils ont en plus la fâcheuse manie de mettre leur jus de poisson pourri à toutes les sauces, chaudes ou froides! Rien qu'à l'odeur t'as plus faim! Et presque tous les plats en contiennent!

Heureusement, la perspective de me régaler avec le poulet rôti , me remet du baume à l'estomac. Je l'imagine doré à point, son bon jus brun suintant de la peau croustillante! Mmmm… J'en ai l'eau à la bouche! Je ne touche à rien d'autre, me contentant de goûter du

bout des lèvres le moins rebutant mais même ça c'est un calvaire! J'attends le poulaga et ses cuisses dodues que je vais dévorer à pleine dent… Bigre, j'ai une de ces fringales! Que font-ils? Il arrive ou quoi l'animal?

Le voilà! J'aperçois la mère qui sort de la cuisine avec un plat, se dirige vers nous, m'adresse un large sourire, tandis que je mange plutôt des yeux ce que je suppose être le poulet prédécoupé. Elle dépose tranquillement le volatile devant moi, et se rassoit afin de finir sa pitance. Je plonge alors le regard dans le plat et… Gulp! Arrrg!! Mais… C'est quoi ça?!! Je n'en crois pas mes yeux! C'est une hallu! Non, c'est pas vrai! Ils m'ont pas fait ça! Je regarde à nouveau, mais si! Ils l'ont fait!

Ce qui gît dans l'assiette n'a rien à voir avec le poulet rôti de mes

Page 15: data.over-blog-kiwi.comdata.over-blog-kiwi.com/.../ob_f90fa8_vol-iv-viree-gastr… · Web viewLe soleil se montrait tout juste et, rien ne m'incitant à m'attarder dans ce lieu hostile,

rêves! Il n'a même pas été grillé! Juste frit dans une huile qui nappe le fond du plat!!! Pour être prédécoupé ça il l'est!

Au hachoir qu'ils l'ont massacré le poulet bicyclette! Y'a plus un seul os entier! Ils l'ont fractionné, lui et son vélo, en mille morceaux!

Déjà qu'il n'était pas bien gros le gallinacé, ben alors là…tu ne peux même plus sucer les os sans prendre le risque de te niquer la bouche avec les esquilles tranchantes! Et moi qui me faisais du mouron rapport à son stress! Ce n'est plus un poulet, c'est un puzzle! Et celui-là tu peux toujours courir pour le reconstituer! Une fois de plus je vais devoir recourir au riz blanc pour me sustenter… Décidément, ce n'était pas ma journée…

Heureusement la nuit arrive très vite sous les tropiques. Elle me délivrera de ce calvaire qui n'avait que trop duré! J'ai vraiment hâte d'aller me pieuter!

J'en ai ma claque d'être ici! Sûr que demain je ne ferai pas de vieux os dans ce trou. Je ne sais pas s'ils sont tous comme ça dans les campagnes cambodgiennes, mais ce qui est certain, c'est que je ne suis pas près de renouveler l'aventure de sitôt!… On m'installe pour la nuit dans une autre baraque à l'opposé de la demeure principale et, à ma grande satisfaction, je me retrouve seul dans une petite chambre à l'étage. Ouf! Je me voyais mal supporter la promiscuité et devoir inhaler toute la nuit des renvois de prâhoc. En revanche le lit était de taille réduite et le matelas aussi confortable que la brelle de l'instit. Dès les premiers chants des coqs qui se répercutent en écho dans tout le village je me lève et, prétextant un travail urgent à finir au bureau, je presse le prof à précipiter le départ.

À sept heures on lève le camp, et c'est avec un profond soulagement que je m'éloigne du village. Le retour me paraîtra plus court et beaucoup moins désagréable que la veille.