La Géothermie

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CHERCHEURS D’éNERGIES Cahier spécial réalisé avec le soutien de la direction scientifique de TECHNOLOGIE Le second souffle des filières géothermiques éCONOMIE Production électrique : les industriels face à l’aléa géologique SOCIéTé Réseaux de chaleur : nouvel essor en France 12. La géothermie Tous les deux mois, ce cahier La Recherche vous permet de comprendre les défis technologiques, économiques et environnementaux des énergies. Un groupe de touristes admire les sources d’eau chaude des geysers d’El Tatio, à 4 000 mètres d’altitude au Chili.

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Cahier n°12_Chercheurs d'énergies

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Cahier spécial

réalisé avec le soutien

de la direction scientifique de

TechnOLOgieLe second souffle des filières géothermiques

écOnOMieProduction électrique : les industriels face à l’aléa géologique

sOciéTéréseaux de chaleur : nouvel essor en France

12. La géothermie

Tous les deux mois, ce cahier La Recherche vous permet de comprendre les défis technologiques, économiques et environnementaux des énergies.

Un groupe de touristes admire les sources d’eau chaude des geysers d’El Tatio, à 4 000 mètres d’altitude au Chili.

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LA GÉOTHERMIE TECHNOLOGIE

Àmesure que l’on s’enfonce dans le sol terrestre, la température s’accroît : l’échauffement est, en moyenne, de 3,3 °C tous les 100 mètres. Ce gra-

dient géothermique correspond à un flux de chaleur issu pour 90 % de la désintégration des éléments radioactifs (uranium, thorium, potas-sium…) présents dans le manteau et la croûte terrestres, les 10 % restants provenant du lent refroidissement du noyau. Mais le flux global, de l’ordre de 0,06 W/m2 par an, est très inégalement réparti à la surface de la Terre : il peut être vingt fois plus élevé dans les zones de fracture de l’écorce terrestre – rifts, failles océaniques, chaînes volcaniques. Les thermes de l’Empire romain ou du Japon médiéval utilisaient déjà, sans l’expliquer, les résurgences naturelles de cette chaleur issue des profondeurs. Avec l’essor de l’industrie pétrolière à l’ère moderne, les avancées des connaissances géolo-giques et des technologies de forage ont permis, au cas par cas, une exploi-tation de cette énergie pour produire de la chaleur ou de l’électricité. Avec des réussites emblématiques : l’excep-tionnel site volcanique de Larderello, en Toscane, exploité depuis 1913 pour

la production d’électricité, fournit au-jourd’hui 791 MW. Le Champ des gey-sers, en Californie, est la plus grande centrale géothermique au monde avec 1 517 MW de production électrique – autant qu’un réacteur nucléaire EPR. L’Islande assure près de 100 % de ses importants besoins de chauffage grâce aux poches de vapeur de son sous-sol volcanique.

À l’échelle globale, la contribution de la géothermie au mix énergétique est aujourd’hui marginale : moins de 0,3 % de la production primaire mondiale en 2012 selon l’AIE*. Mais son potentiel est encore largement inexploité, et la forte croissance ob-servée depuis plusieurs décennies a de bonnes raisons de se poursuivre : « Lorsqu’elle est possible, la chaleur géothermique est, avec le solaire ther-mique, l’option la plus écologique pour le chauffage de bâtiments », souligne Phi-lippe Vesseron, président du Comité national de la géothermie. Quant à la production d’électricité, elle présente un atout de poids dans la famille des énergies décarbonées : « À la différence du solaire ou de l’éolien, intermittents, la géothermie permet une production en base, fiable et prévisible. Le tout avec une faible emprise au sol. » Objet d’un intérêt nouveau depuis le protocole

Le second souffle des filières géothermiquesDes pompes à chaleur individuelles aux réseaux de chauffage urbains, de la production d’électricité en contexte volcanique aux promesses des gisements « non conventionnels », la géothermie suscite un intérêt nouveau à l’heure du mix énergétique. Panorama.

de Kyoto en 1997, la géothermie est portée par les politiques publiques – à l’image des objectifs fixés en France par le Grenelle de l’environnement. Mais surtout, des avancées technolo-giques viennent améliorer les perfor-mances des installations dans chacune des filières géothermiques : pompes à chaleur pour l’habitat individuel et les bâtiments tertiaires, réseaux de chauf-fage urbain, production d’électricité « conventionnelle » par turbinage de la vapeur et demain, peut-être, exploita-tion par les techniques EGS (Enhanced Geothermal Systems) de l’immense potentiel des réservoirs profonds de faible perméabilité.

Une chaleur 100 % propreL’exploitation des ressources géo-thermiques dites de très basse éner-gie – les températures sont comprises entre 10 °C et 30 °C – est possible presque partout pour le chauffage de bâtiments. L’énergie du sous-sol est prélevée par un forage d’eau à faible profondeur (moins de 100 mètres) ou des capteurs enterrés horizontalement (à moins d’1 mètre) ou verticalement (jusqu’à 100 mètres et plus) dans les-quels circule un fluide caloporteur. Elle est transmise à une pompe à chaleur (PAC) alimentée électriquement qui, par échange thermique avec un fluide à bas point d’ébullition, la fait parvenir aux émetteurs de chaleur – plancher chauffant par exemple – à l’intérieur des bâtiments. Ces installa-tions connaissent depuis quinze ans un succès croissant en Europe. En France, 15 000 systèmes ont été installés pour la seule année 2008 selon l’Ademe**.

À l’échelle globale, le flux de chaleur géothermique est une source d’énergie inépuisable. Mais sur un site donné, son exploitation peut temporairement épuiser la ressource, en refroidissant la nappe d’eau ou en l’asséchant. Ainsi la production énergétique du site italien de Larderello a-t-elle chuté de 30 % en cinquante ans. La conduite des opérations doit donc intégrer cette dimension : si on lui laisse le temps, une ressource finira par se reconstituer !

UNE éNErGIE « LENTEmENT rENOUvELabLE »

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Intérieur de la centrale géothermique à chaleur de Sucy-en-Brie.

*AIE : Agence internationale de l’énergie **Ademe : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

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15 000 pompes à chaleur géothermique ont été installées en France pour la seule année 2008 selon l’Ademe.

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Les technologies se sont beaucoup améliorées : « La conception des diffu-seurs d’énergie dans les bâtiments rési-dentiels ou tertiaires modernes repose sur l’utilisation de très faibles écarts de température. Et offre donc de très bons rendements. Le développement des plan-chers chauffants et rafraîchissants, le développement des PAC réversibles et du geocooling, produisant de la chaleur en hiver et de la fraîcheur en été, accroissent de beaucoup l’intérêt de ces systèmes », indique Philippe Vesseron. L’intégra-tion des capteurs d’énergie aux fon-dations du bâtiment, sous forme de « pieux géothermiques », très utilisée en Suisse ou en Allemagne, est un autre levier pour abaisser les coûts de l’installation. « La géothermie très basse énergie offre une alternative intelligente pour le chauffage de nombreux bâti-ments, tertiaire compris, mais son déve-loppement est encore freiné chez nous par des contraintes administratives », souligne Philippe Vesseron. Ainsi la réglementation française conduit-elle souvent à implanter trois sondes sèches verticales de 100 mètres, là où en Suisse on préférerait un seul forage à 250 mètres.

Dès lors qu’existent dans le sous-sol des aquifères à des températures comprises entre 40 °C et 120 °C, il est possible d’utiliser cette énergie directe-ment : chauffage d’un quartier, serres agricoles, balnéothérapie, ou inté-gration dans les réseaux de chaleur urbains. C’est la géothermie « basse énergie », dont l’un des exemples les plus remarquables est fourni par l’aquifère sédimentaire du Dogger situé entre 1 500 et 2 000 mètres sous le Bassin parisien. « L’exploitation de cette ressource gratuite s’est largement développée dans les années 1980, explique Philippe Laplaige, expert géothermie à l’Ademe. Elle permet de chauffer 150 000 logements franciliens, et connaît aujourd’hui un nouvel essor » (voir notre article p. 75). L’eau des aqui-fères profonds est souvent saumâtre et chargée en éléments variés : elle ne peut alors être rejetée à la surface. La technologie dite du « doublet » est aujourd’hui largement utilisée dans ces situations : un premier forage permet le pompage de l’eau chaude, et l’apporte dans un échangeur ther-mique en surface. Un second forage la réinjecte froide à quelque distance dans la nappe. Ce qui présente en outre l’avantage de ne pas assécher la ressource, et donc de pérenniser les exploitations.

À la conquête des volcans À partir de 120 °C, il est possible d’uti-liser la géothermie pour produire de l’électricité. Mais c’est dans les sys-tèmes hydrothermaux liés au volca-

nisme, à des températures supérieures à 180 °C, que l’on trouve les gisements les plus favorables à une production compétitive d’électricité. Celle-ci s’est développée régulièrement à partir des années 1970, dans la foulée des chocs pétroliers. La puissance installée glo-bale est passée de 400 MWe en 1960 à environ 11 000 MWe en 2010. Elle se répartit à plus de 90 % dans huit pays : États-Unis, Philippines, Indo-nésie, Mexique, Italie, Nouvelle-Zé-lande, Islande, Japon. L’électricité est produite dans des centrales à vapeur d’eau : « La vapeur sortant des puits géothermiques est envoyée – directement dans le cas de la vapeur sèche ou via un séparateur-sécheur dans le cas de vapeur humide – dans une turbine couplée à un alternateur. Elle est ensuite condensée et, le plus souvent, réinjectée dans le réservoir géothermique d’origine. La puissance électrique unitaire moyenne des installations varie de 15 à 50 MW », précise Philippe Laplaige. Lorsque la température du fluide géothermique est plus basse (de 120 à 150 °C), l’élec-tricité est produite par des centrales à fluide binaire fonctionnant avec un fluide organique volatil (isobu-

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Évolution des capacités installées pour la production géothermiquede chaleur (MWth) et d’électricité (MWe). Source : C. Fouillac, consultant.

1 - L’exploitation des ressources de très basse énergie (10 °C - 30 °C) pour le chauffage des habitations nécessite une pompe à chaleur. Ici, vue schématique d’une PAC géothermique sur sonde verticale.

2 - Les ressources de basse énergie (40 °C - 120 °C) contenues dans unaquifère sont exploitables par l’emploi de « doublets géothermiques », pour la production directe de chaleur.

3 - Différents types de centrale permettent la production d’électricité par géothermie haute énergie (plus de 180 °C), dans les systèmes hydrothermaux liés au volcanisme. Ici, principe de fonctionnement d’un « cycle à vaporisation », utilisé sur le site de Bouillante en Guadeloupe.

Source : Ademe-BRGM

TrOIS TYPES DE rESSOUrCE

La GéOTHErmIE, UNE PrODUCTION éNErGéTIqUE EN CrOISSaNCE raPIDE

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profitables et, surtout, par les inves-tissements importants que requièrent la prospection et les forages – indis-pensables pour chiffrer précisément le potentiel d’un site donné (voir p. 73).

Géothermie profonde : arlésienne ou eldorado ?Demain, l’énergie géothermique pourrait enfin trouver un formidable levier de croissance par l’exploitation de la chaleur des réservoirs faiblement perméables (bassins d’effondrement, zones périphériques des champs de haute énergie…), fracturés naturel-lement. « La très grande majorité de l’énergie géothermique accessible par forage est stockée dans des roches de ce type – granites notamment – qui ne permettent pas une circulation naturelle d’eau suffisante », explique Christian Fouillac. L’exploitation de cet énorme potentiel exige donc de forer jusqu’à la profondeur requise – quelques ki-lo mètres – et de développer la per-méabilité existante, par stimulation hydraulique et/ou chimique, pour créer une circulation d’eau entre un puits d’injection et les puits de produc-tion. En surface, l’eau chaude alimente un échangeur thermique et la vapeur produite entraîne une turbine. C’est le concept d’EGS, à l’étude depuis les an-

nées 1970. Simple dans son principe, cette technologie reste à ce jour très complexe à mettre en œuvre. Outre le coût actuel des opérations, d’impor-tants défis technologiques subsistent. Le réseau de fractures doit être suffi-samment développé pour permettre la circulation du fluide. La stimulation hydraulique doit être maîtrisée pour limiter le risque sismique induit : l’opé-ration de Bâle, en Suisse, a par exemple dû être arrêtée en 2006 en raison d’un miniséisme déclenché par une stimu-lation trop poussée. La centrale pilote de Soultz-sous-Forêts, en Alsace, issue d’un programme franco-allemand ini-tié en 1986, constitue de loin l’exemple le plus avancé de mise en œuvre d’un tel système (voir encadré ci-dessous).

Mais l’effort R & D mondial dans ce secteur connaît un nouvel essor depuis quelques années. De nom-breux projets expérimentaux ont été lancés, en Australie, en Allemagne ou aux États-Unis. Selon une feuille de route publiée en 2011 par l’AIE, la production d’électricité géothermique pourrait atteindre à l’horizon 2050 une puissance installée de 200 GW, parmi lesquels 120 GW proviendraient des installations EGS. De quoi multi-plier par 20 l’électricité délivrée par la chaleur de la Terre !

LA GÉOTHERMIE TECHNOLOGIE

Inaugurée en juin 2008, la centrale de Soultz-sous-Forêts, en Alsace, affiche aujourd’hui une puissance installée de 1,5 MW, raccordée au réseau d’Électricité de Strasbourg. Une étape

symbolique pour ce programme scientifique qui associe depuis 1986 des équipes du BRGM, de l’Université de Strasbourg et du Centre d’excellence de Karlsruhe, et constitue un véritable avant-poste de la recherche mondiale sur les EGS. Le site renferme, dans ses roches granitiques à une profondeur de 5 000 mètres, un stock de chaleur exceptionnel mis en évidence dès les années 1930 par les prospections pétrolières sur le gisement de Pechelbronn. La centrale actuelle, qui a bénéficié au total de 80 M€ d’investissements de l’Union européenne, de l’Allemagne et de la France, génère en surface un débit de 30 litres d’eau par seconde à 170 °C. L’électricité produite est encore loin d’être compétitive, mais la valeur d’une telle installation est ailleurs : « Les investissements et les travaux académiques menés à Soultz ont permis – et permettront encore ! – de franchir des étapes technologiques essentielles pour démontrer la faisabilité d’un tel système, et progresser vers une viabilité économique de la filière EGS. Soultz-sous-Forêts doit constituer durablement une très grande infrastructure de recherche associant équipes allemandes, suisses et françaises », plaide Philippe Vesseron, président du Comité national de la géothermie. L’aventure continue !

tane, isopentane…) évoluant en circuit fermé. Les puissances unitaires varient de quelques centaines de kW à quelques MW. À moyen terme, la croissance attendue de la production d’électricité – 16 à 20 GW prévus en 2020 – sera portée par cet ensemble de solutions dites « conventionnelles », indique Christian Fouillac, ancien di-recteur de la recherche du BRGM* : « Des acteurs historiques comme l’ita-

lien Enel ou le néo-zélandais Mighty River internationalisent leurs activités. Des opérateurs nationaux, en Indoné-sie, aux Philippines ou au Mexique, se concentrent sur leurs marchés domes-tiques, faisant appel à des investisseurs étrangers historiques comme Chevron, ou à des nouveaux venus qui se diversi-fient dans la géothermie, comme Tata Power, BP ou GDF Suez. » Le déve-loppement à grande échelle de cette filière restera cependant limité par la dispersion des ressources les plus

« À la différence du solaire ou de l’éolien, intermittents, la géothermie permet une production en base, fiable et prévisible. Le tout avec une faible emprise au sol. »

4 - En surface, transformation par l’intermédiaire d’un échangeur thermique (a), de l’eau chaude du circuit primaire (b) en vapeur dans le circuit secondaire (c), pour entraîner une turbine (d), qui produit de l’électricité (e).

1 - Réinjection par le puits central, à 5 000 mètres de profondeur, de l’eau naturellement présente dans le sous-sol.

2 - Circulation d’eau dans les fractures et réchauffement au contact de la roche chaude (200 °C).

3 - Extraction de l’eau géothermale par les puits de roduction.

soultz-sous-Forêts : pionniers de la géothermie profonde

GEIE Soultz

*BRGM : Établissement public de référence dans le domaine des sciences de la Terre.

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LA GÉOTHERMIE éCONOmIE

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Forage d’exploration à Muara Laboh (Indonésie).

Une électricité renouvelable, une production fiable et continue, des coûts d’exploitation limités… Une fois

construite, une centrale géothermique présente des avantages certains pour les opérateurs d’électricité. Mais cette promesse a un prix. « Toute la difficulté économique des projets de géothermie haute énergie réside dans la structure de coûts des opérations, explique Christian Fouillac, expert en géothermie et ancien directeur scientifique du BRGM. Les coûts de forage représentent souvent entre 35 % et 50 % du budget total. » Pour décider de ces investisse-ments, les études prélimi-naires ont bien sûr une importance essentielle. L’expérience acquise depuis plusieurs décennies dans l’exploitation des champs géothermiques a permis de construire des modèles pour caractériser les gisements à partir des indices de terrain, du climat ou de l’âge des formations volcaniques. De nombreuses techniques géophysiques permettent de délimiter et de caractériser la ressource : résistivité, gravimétrie, méthodes sismiques, modélisation 3D des interactions eau-roche…

En géothermie haute énergie, confirmer le potentiel de production d’un site nécessite de coûteux forages d’exploration : l’aléa géologique est un défi économique et administratif pour les porteurs de projets. Illustration sur le terrain avec GDF Suez Energy International, qui construit trois centrales géothermiques à Sumatra (Indonésie).

Production électrique : les industriels face à l’aléa géologique

Mais seuls la réalisation de forages et les premiers tests d’exploitation permettent de confirmer le potentiel de production électrique du site. Le risque économique induit

pour les industriels est l’un des grands freins à l’exploitation de la géother-mie haute température. Il explique en partie pourquoi cette filière s’est encore peu

développée en France, en dépit d’un potentiel très intéressant en Guadeloupe, à La Martinique et à La Réunion : des îles volcaniques abritant des populations importantes, dont l’alimenta-tion électrique est assurée par de coûteuses importations d’hydrocarbures. L’unique centrale française, exploitée à Bouillante en Guadeloupe par EDF et le BRGM, délivre aujourd’hui 15 MWe, environ 7 % de la consommation insulaire. Mais d’autres projets, à l’étude depuis longtemps, pourraient trouver à l’avenir les condi-tions économiques de leur réalisation.

GDF Suez, pionnier en IndonésiePlus généralement, les contextes administratifs locaux conditionnent les possibilités de déploiement de ce type d’opération. Ainsi l’Indonésie, qui a fait de la géothermie le pilier de sa politique de développement des énergies vertes, a-t-elle adopté des mesures pour ouvrir son important marché aux compagnies privées – notamment l’instauration en 2003 de licences d’exploi-tation des ressources souterraines, auparavant propriété de l’État. GDF Suez, déjà bien implanté dans l’archipel par l’intermédiaire de sa filiale GDF Suez Energy International, est l’un des premiers acteurs étrangers à y relever le défi de l’électricité géothermique. Allié à la compagnie locale Supreme Energy, qui avait réalisé en 2008 des études préalables dans plusieurs zones, le >>>

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groupe a remporté en 2010 trois appels d’offres gouvernementaux pour des projets d’exploitation similaires, d’une puissance attendue de 220 à 240 MWe chacun. « Des réservoirs à eau dominante estimés à environ 270 °C, situés entre 1 500 et 2 200 mètres de profondeur », précise Jan Bartak, directeur du développement de GDF Suez Energy International en Indonésie. Des « sociétés projet » ont été créées, avec le renfort de deux industriels japonais, en vue de la qualification et de l’exploita-tion des ressources. Les partenaires ont consacré l’année 2011 aux travaux d’ingénierie préliminaire, mais surtout à la préparation du dossier administratif : demande de permis d’explo-ration et finalisation des tarifs de vente d’électricité à l’opérateur national indoné-sien PLN. « Ce n’est qu’une fois les contrats d’achat d’électri-cité signés – pour une durée de trente ans, avec un tarif en partie indexé sur l’inflation – que les opérations d’explora-tion peuvent véritablement commencer sur le terrain », souligne Jan Bartak.

De l’exploration au dimensionnementLe projet de Muara Laboh, dans l’ouest de l’île, est aujourd’hui le plus avancé : les routes d’accès ont été construites, la plate-forme de forage est opérationnelle… et le premier puits a été

creusé fin 2012. Après les tests préliminaires, les résultats sont encourageants : « La puissance estimée pour ce forage est supérieure à 20 MWe, ce qui est au-delà de nos estimations », indique Jan Bartak. Pari gagné ? Pas encore. Car le premier puits d’une campagne d’explora-tion, situé en général au centre présumé du réservoir, ne permet pas d’en confirmer la taille. Le consortium prévoit de forer trois autres puits d’exploration au premier semestre 2013. Chacun représente un coût de l’ordre de 7 à 8 millions de dollars. Les investissements d’exploration, intégralement portés par GDF Suez et son partenaire japonais Sumi-tomo, peuvent se monter à 3 000 ou 4 000 dollars par kW installé. L’enjeu est de taille : « Nous devons nous assurer que la ressource est suffisante pour produire 220 MW pendant

trente ans », rappelle Jan Bartak. Les partenaires ont fait le choix de forer les puits d’exploration directement au diamètre d’exploitation. L’autre option consiste à forer de plus petits puits – baptisés « slimholes » – à moindre coût, lesquels doivent être ensuite élargis au diamètre nominal en cas de succès. À ce stade, de nombreuses inconnues subsistent quant à la concep-tion de la future centrale. À l’issue de la campagne d’exploration, les études d’ingénierie donneront les réponses à des questions essentielles : combien de puits de production – 15, 20, ou plus ? Combien de puits d’injection ? Et pour séparer l’eau de la vapeur : séparateur simple ou multiple ?

Des leviers pour demainCe n’est qu’après avoir validé l’existence de la ressource géothermique et le dimen-sionnement technique et économique de la centrale que les porteurs de projets peuvent obtenir des prêts bancaires pour financer la construction – en partie auprès de banques institu-tionnelles, en partie auprès des banques commerciales. Dans le cas de Muara Laboh, le premier MWe géother-mique devrait être vendu à l’opérateur national fin 2016. Les deux autres projets, situés à Raja Basa et Rantau Dedap, suivent un calendrier similaire avec quelques mois de décalage. Soit huit années

entre les études prélimi-naires et la mise en produc-tion : une durée représenta-tive des projets actuels.La production d’électricité par géothermie haute énergie reste une filière exigeante pour les acteurs industriels. Mais dans le contexte actuel d’essor des énergies renouvelables, ils pourraient bénéficier demain de conditions plus favorables pour réduire le risque économique et le temps de développement des projets. Les cadres réglementaires, souvent hérités de l’industrie minière ou pétrolière, évoluent lentement vers une meilleure prise en compte des spécificités de la géothermie. « Les tarifs d’achat d’électricité doivent encore monter pour mieux couvrir les risques inhérents à cette production », souligne Jan Bartak. Des dispositifs d’assurance spécifiques pour les phases d’exploration, qui se développent dans certains pays, sont un autre levier puissant pour susciter des investissements. En paral-lèle, des avancées sont attendues au plan technique. La réduction graduelle des coûts de forage, enjeu R & D majeur, devrait se poursuivre sous l’impulsion de l’indus-trie pétrolière. Les méthodes géophysiques de caractérisa-tion des ressources continue-ront à progresser à mesure que se développeront de nouveaux projets. Lentement mais sûrement !

LA GÉOTHERMIE éCONOmIE

Répartition indicative des coûts de construction d’unecentrale type de 50 MW. (Source : Geothermal Energy Association, 2005)

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CONFIRMATION

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FORAGE

COLLECTE DE LA VAPEUR

USINE ÉLÉCTRIQUE

RACCORDEMENT

La vapeur qui s’échappe du puits lors du premier test à Muara Laboh.

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réseaux de chaleur : nouvel essor en FranceLe Bassin parisien abrite la plus grande concentration au monde d’exploitations géothermiques basse énergie. La filière est aujourd’hui portée par les décisions politiques et le savoir-faire des opérateurs.

LA GÉOTHERMIE SOCIéTé

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De Thiais à la Courneuve, de Meaux à Melun, 700 000 Franciliens se chauffent à la géothermie basse

énergie. Au total, 34 « doublets » (voir schéma p. 71) exploitent aujourd’hui l’eau chaude de l’aquifère du Dog-ger, 1 500 à 1 800 mètres sous la surface, pour en transmettre l’éner-gie aux réseaux de chaleur locaux. Soit 1 143 GWh par an (étude AFPG

2012) d’une chaleur propre, locale et bon marché – de l’ordre de 50 €/MWh, contre 80 €/MWh pour le gaz. Une réussite rendue possible par la cor-respondance locale entre la ressource souterraine et d’importants besoins de chauffage en surface. La filière a pour-tant une histoire mouvementée. Elle commence à la fin des années 1970, à l’issue des deux chocs pétroliers. « Les ressources étaient bien connues grâce à la prospection pétrolière, explique Philippe Laplaige, expert géothermie à l’Ademe.

Jusqu’au milieu des années 1980, plus de 70 exploitations ont été financées par les collectivités, dans le Bassin parisien et un peu en Aquitaine. » Ce premier « âge d’or » s’achève dès 1985 : le reflux du prix de l’or noir pénalise le modèle économique, tandis qu’apparaissent des difficultés techniques. L’eau très salée du Dogger entraîne une impor-tante corrosion des tubages. Un tiers

des exploitations doivent être arrêtées. Mais le développement d’inhibiteurs de corrosion injectés dans les puits, assorti d’un réétalement des prêts des collecti-vités, permet de stopper l’hémorragie.

Doubler les réseaux d’ici à 2020En sommeil pendant quinze ans, la filière renaît en 2006. Le Grenelle de l’environnement fixe l’objectif de mul-tiplier par six en 2020 l’utilisation de la chaleur géothermique – « ce qui suppose au moins un doublement des réseaux de chaleur géothermique à l’échelle natio-nale », précise Nicolas Monneyron, ingénieur développement chez Cofely Réseaux, filiale de GDF Suez. Les indus-triels du secteur – Cofely, Dalkia, Idex ou Coriance en tête – œuvrent d’abord à la pérennisation des sites existants, désormais amortis. La moitié a déjà été réhabilitée, soit par simple rempla-cement des tubages, soit par installa-tion d’un « triplet », comme en 2008 à Sucy-en-Brie : Cofely a pratiqué un

nouveau forage pour l’extraction de l’eau, les deux anciens puits servant désormais pour sa réinjection. L’inves-tissement (5 M€) a été subventionné par l’Ademe et la Région à hauteur de 25 %. Ailleurs, il est aussi possible d’im-planter de nouveaux doublets pour substituer la géothermie à d’autres énergies, comme l’a fait CPCU porte d’Aubervilliers, à Paris. À condition que le réseau en place le permette : « La géothermie produit, suivant le site, une eau entre 55 et 80 °C, contre 105 à 180 °C pour le fonctionnement des réseaux classiques, explique Nicolas Monneyron. L’exploitation de cette chaleur implique des spécificités dans les architectures de distribution. » En par-ticulier une conception complexe des stations de livraison et du réseau pour répondre en « cascade de température » aux besoins de chaque utilisateur. En quarante ans, les industriels français ont acquis un savoir-faire de premier plan en la matière : gestion centralisée, métrologie, pilotage des vannes à dis-tance… « La chaleur géothermique, c’est un peu les smart grids avant l’heure ! », sourit Nicolas Monneyron. Ces compé-tences bénéficieront demain à la créa-tion de réseaux géothermiques pour des quartiers en construction ou en rénovation complète. Des dizaines de sites potentiels ont été identifiés dans le cadre du SRCAE* en Île-de-France, et des inventaires sont en cours dans les régions Aquitaine, Centre, Au-vergne… La géothermie basse éner-gie a des projets pleins les tuyaux !

Ce cahier spécial a été réalisé avec le soutien de la direction scientifique de

Comité éditorial : Jean-François Minster, Total - Olivier Appert, IFP Énergies nouvelles - François Moisan, Ademe - Bernard Salha, EDF - Bernard Tardieu, Académie des technologies - Marc Florette, GDF Suez.Rédaction : Laurent BasilicoConception graphique et réalisation : A noir,Crédits photographiques : BRGM/J. Arnaud, P.-G. Scholl, Photothèque Cofely Réseaux GDF SUEZ/Thierry Duvivier, GEIE Soultz, DR, BRGM, ADEME

Retrouvez ce cahier spécial en français et en anglais sur le site

* Schéma régional climat-air-énergie

COUPE SCHémaTIqUE DE L’ExPLOITaTION DES aqUIfèrES DU baSSIN ParISIEN