La gauche ethnique, un mythe en perdition

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D’un patron, qui pourtant est en train de préparer son nième « plansocial », on dira communément sans hésiter : - « Mais c’est un homme degauche ! ». Que veut-on dire par là ? Qu’il a fait partie d’un cabinetministériel au début des années 1980 ? Qu’il a naguère financé « Globe » ?Qu’il a rencontré des syndicalistes à la Fondation Saint-Simon ? Il est de gauche, quoi qu’il fasse. L’identité de « l’homme de gauche » est indépendante,et des opinions, et des actes.

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Comité de Rédaction :Élisabeth Altschull

Suzel AnstettFrançois GauduPatrick Guiol

Edouard HussonAnne-Marie Le Pourhiet

Thierry MesnyFrançois MorvanFrancis PothierClaude RochetJacques Sapir

PERSPECTIVES RÉ[email protected]

www.perspectives-republicaines.fr

ISSN 1777-6864

Directeur de Publication : François MORVAN

Secrétaire de rédaction : Thierry MESNY

Maquette : Jean-Pierre FLECHARD

Edité par l’Association Vive La République - VLR!

Siège Social : 18, rue Tournefort, 75005 PARIS

Imprimerie GRENIER 94250 Gentilly

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N°4 — décembre 2006

SOMMAIRE

DROITE - GAUCHEDu pareil au même ?

ÉDITORIALpar Thierry MESNY.............................................7

LES TROIS MORTS DE LA GAUCHEpar François MORVAN..........................................9

LA « GAUCHE ETHNIQUE », UN MYTHE EN PERDITIONpar François GAUDU..........................................23

POURQUOI LA GAUCHE EST-ELLE DE DROITE ET VICE-VERSA ?

par Claude ROCHET ..........................................37

LES SUBVENTIONS ET AUTRES ENTRAVES À LA CONCURRENCE SONT-ELLES À PROSCRIRE OU NÉCESSAIRES AU BON FONCTIONNEMENT DE L’ÉCONOMIE ?

par Jacques SAPIR ............................................53

ÉGALITÉ DES CHANCES, LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS, DIVERSITÉ :L’ÉGALITÉ RÉPUBLICAINE EN DANGER

par Jeanne ÉGALITÉ..........................................63

UNE CONSTITUTION CONÇUE POUR UN CHANGEMENT DERÉGIME

par Patrick GUIOL ............................................73

LE PRINCIPE DE PRÉCAUTIONpar Jacques COEUILLET......................................89

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1. Être « de gauche », en France, vous colle à la peau,indépendamment des positions que l’on défend

D’un patron, qui pourtant est en train de préparer son nième « plansocial », on dira communément sans hésiter : - « Mais c’est un homme degauche ! ». Que veut-on dire par là ? Qu’il a fait partie d’un cabinetministériel au début des années 1980 ? Qu’il a naguère financé « Globe » ?Qu’il a rencontré des syndicalistes à la Fondation Saint-Simon ? Il est degauche, quoi qu’il fasse. L’identité de « l’homme de gauche » est indé-

pendante, et des opinions, et des actes. Le Français qui visite les États-Uniss’étonne de voir se proclamer « Afro-américains » des gens qui ignorenttout de l’Afrique, n’ont d’autre culture que le conformisme dominant, etdu reste – pour autant que cela présente un intérêt – paraissent avoirautant ou plus d’ancêtres européens que d’ancêtres africains… Gageonsque le financier « de gauche », l’auteur de délit d’initiés « de gauche »,le directeur du personnel « de gauche », qui sont devenus des figures bienconnues de la vie française, surprendraient un Américain.

La division « gauche droite » tient dans notre imaginaire collectif uneplace analogue à l’identité communautaire aux États-Unis. Pas de trans-gression pire que de « passer la ligne ». C’est pourquoi je parle de« gauche ethnique ».

Cette référence identitaire est pourtant en train de cesser de fonc-tionner, non pour tous les militants certes, mais pour la masse du peuple.On a pu, pendant des décennies, jouer sur l’identité « de gauche » pourfaire marcher au canon l’électorat populaire. Aujourd’hui, la majorité desouvriers ne vote plus à gauche, et les résultats de la gauche sont les plusmauvais dans les régions traditionnellement laïques, républicaines,

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F. G

AU

DU

LA « GAUCHE ETHNIQUE » UN MYTHE EN PERDITION

par François GAUDU

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communistes…, alors qu’ils sont les meilleurs dans les zones d’influencetraditionnelle de l’Église – sans oublier les quartiers bourgeois. On perd lesud-ouest et on conserve la Bretagne, on résiste à Paris et l’on échoue àLille. Lorsque le PS gagne, ce n’est pas avec la Gauche, c’est avec unVatican II mâtiné de Paris-Plage…

Si la référence à la Gauche ne sert plus à rallier les électeurs, à quoisert-elle ?

2. Un mot à multiple sens, souvent utilisé pour déguiser sa pensée plus que pour la dévoiler

Lorsque nous disons « la Gauche », que voulons nous dire ? Trèssouvent, le mot change de sens entre le début de la phrase et la fin : « Au-delà de ce qu’est devenu le PS, il existe la Gauche. Nous pouvons donc pasconcevoir notre stratégie en dehors de la gauche ». Au début de la phrase,celui qui parle évoque une gauche « digne de ce nom » (révolutionnaire ?proche des intérêts ouvriers ? radicale ? antimondialisation ? – c’est àvoir). À la fin de phrase, la gauche dont il est question est l’alliance élec-torale que le PS dirige. En appeler à l’essence de la Gauche pour justifierl’alliance avec une « gauche réelle » dont on a commencé par dire qu’ellen’avait rien à voir avec une « vraie gauche » n’est pas le moins courant desprocédés rhétoriques.

Les définitions de la gauche diffèrent suivant celui qui parle. Depuistoujours, les révolutionnaires, les « millénaristes », considèrent la gauchemodérée comme une « fausse gauche » (au regard de l’objectif de trans-formation sociale radicale). De l’extrême gauche au PC, le débat esttoujours de savoir jusqu’à quel point il faut se compromettre, soit en appe-lant à voter pour le PS, soit en participant au gouvernement. Soit dit enpassant, cela explique pourquoi, parmi ceux qui ont soutenu Jean-PierreChevènement lors des élections présidentielles de 2002, les militants quiviennent de l’extrême gauche ou du PC sont particulièrement bien repré-sentés dans le courant d’idée réfractaire à « l’ancrage à gauche » : quelque soit leur itinéraire, ils ont déjà « franchi la ligne » en rompant avecleur courant d’origine. En effet, ils ont toujours pensé que le PS était aufond de même nature que les partis de droite non-extrémistes. Sans ignorerla frontière identitaire qui sépare la Gauche de la Droite (les mythes sonttoujours plus forts que les théories), ils sont accoutumés à la remettre encause. C’est pourquoi, pendant la campagne du référendum de 2005, leseul député de gauche que « Vive la République ! » a réussi à fairedébattre avec Jean-Pierre Chevènement et Nicolas Dupont-Aignan fut undéputé communiste.

Pour d’autres, la gauche est surtout un réseau : lorsque l’on quitte soncamp, on perd ses appuis. Si l’on a commencé à gauche, il faut y rester.C’est la Gauche (et la Droite) du politicien. Bockel est plus « à droite »que Séguin, mais ni l’un ni l’autre n’a jamais pu s’affranchir de son réseau.

Erreurs communes : la gauche, c’est le « progrès ». (Et la droite, ceserait donc quelques ultras nostalgiques…). Pour dire cela, il faut n’avoirjamais lu Marx (« Il fallait briser ces chaînes, on les brisa… »), qui montrela capacité d’innovation du capitalisme, capacité qui ne s’est jamais

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démentie. C’est bien là le problème : le progrès – des connaissances, destechniques… - repose très largement sur des rapports économiques qui, parailleurs, engendrent des injustices, des souffrances, des irrationalités… Ilest vrai qu’en France, ceux qui sont économiquement libéraux ont long-temps été rétrogrades en matière de mœurs. Mais la France constitue à cetégard une anomalie politique : en Allemagne, en Angleterre, aux USA, lesdeux libéralismes ont souvent marché de pair. Le rapprochement entreMadelin et Cohn-Bendit permet aujourd’hui de le comprendre.

Autre erreur : la gauche aurait le monopole de l’universalisme.Pardonnez-moi, camarades, il est vrai que la gauche laïque et républicaineest universaliste, mais elle n’est pas la seule. Le christianisme et l’Islamsont évidemment des doctrines universalistes – c’est-à-dire qui reconnais-sent à tout homme une vocation a priori égale à prendre part à ce qui estconsidéré comme le Bien. D’où les conversions forcées – tout homme vautdonc la peine d’être converti -, d’où des formes particulières de violence,d’où aussi la croyance à l’égalité des races. Rien ne nous interdit il est vraide changer le sens des mots – et de faire du « progrès », comme del’« universalisme », des catégories définies « à notre façon ». Mais il fautsans doute mieux s’abstenir de raisonner que de se fonder sur des notionsbricolées pour les besoins de la cause. Suivant la ligne de la « gaucheethnique », disons fièrement : « Nous sommes de gauche, parce que noussommes de gauche ! »

La gauche, c’est du moins le progrès social. C’est à la fois vrai (la majo-rité des hommes qui ont lutté pour un droit social se sont identifiés à lagauche, du moins au XXe siècle) et faux somme toute, les réformessociales des années 1967-1973 valent bien les lois Auroux, sans parler dubilan quasi-nul du gouvernement Guy Mollet ; les réformes de 1945 ont étéréalisées sous un gouvernement d’Union nationale. Bien sur, il y a 36 – maissi les salariés n’étaient aujourd’hui protégés que par les règles mises enplace en 1936, les Anglais pourraient nous accuser de « dumping social »-

Je crois quand même que l’on peut trouver de ce côté un deuxièmesens pertinent : une gauche, parti de la promotion sociale fait pendant àla gauche millénariste. La France a en effet connu, depuis la Révolution(et, je crois, surtout depuis la IIIe République) un mouvement continu depromotion sociale des hommes issus du monde ouvrier et (surtout) dumonde paysan, le plus nombreux. Sans doute, les capitaines d’industrieont contribué au progrès ; sans doute, les députés de droite ont parfoisvoté des lois sociales que nous défendons aujourd’hui ; sans doute, l’Églisecatholique est en théorie universaliste. Mais pour nombre de nos aïeux, lapromotion sociale s’est faite dans une sorte de révolte contre la pesanteurde la société traditionnelle, contre la moyenne bourgeoisie catholiqued’un monde encore rural, contre le mépris des bourgeois parisiens. Plusque tout autre chose, c’est cette hostilité placide aux classes dominantestraditionnelles (qui n’exclut pas l’anticommunisme) qu’incarnait la SFIO,puis le PS.

Mon grand-père, d’origine paysanne, a été le plus jeune agrégé deFrance après la Première Guerre mondiale. Il avait dû presser ses étudespour aider sa mère veuve à nourrir ses frères et sœurs. « Professeurrouge » à Caen dans les années trente (il était à la SFIO et à la Ligue des

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Droits de l’Homme…), il parlait encore dans les années 1980 de la FEN, dela MGEN et de la MAIF en disant : – « Nos organisations… ». Et jecomprends à travers cet exemple que, pour de nombreuses générations, laGauche a été le parti qui fédérait les réussites individuelles et les straté-gies lignagères de promotion sociale. Heureuse époque : quand j’étaisenfant, mon succès à l’école était encore considéré comme « de gauche »,parce que j’étais, à une ou deux générations, issu de familles ouvrières oupaysannes… Bourdieu est depuis passé par là.

3. Ce qui a été réuni peut se séparer.

Peut-être bien que la Gauche s’est identifiée pendant des décennies auprogrès social. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Pendant la première partie du XIXe siècle, la Gauche n’a pour ainsi direpas plus de relations que la Droite avec le mouvement ouvrier. La Gaucheest majoritairement bourgeoise, Thiers a commencé sa carrière à gauche,et la démocratie politique constitue son horizon – d’abord le suffrage censi-taire, puis le suffrage universel, dont sont quand même exclus les ouvriers,alors souvent « vagabonds ». La Droite – dans sa composante bonapartisteet légitimiste – rêve parfois de côtoyer le mouvement ouvrier naissant. Lecourant du « socialisme féodal » qu’évoque Marx dans le « Manifeste duparti communiste » a bel et bien existé, et même si, à la longue, lesromantiques comme Hugo sont devenus républicains, ils étaient royalistesdans leur jeune âge. Et Louis-Napoléon Bonaparte s’est sans doute davan-tage intéressé à la « question sociale » que Cavaignac… La Républiqueavait interdit les syndicats avec la loi Le Chapelier (1791). C’est l’Empire «libéral » qui dépénalise les groupements ouvriers et le grève (1864).

Au total, jusqu’à la Commune, la gauche politique et le mouvementouvrier sont séparés. Puis les choses changent, le point d’inflexion sesituant sans doute dans les années 1880 (avec notamment la loi Waldeck-Rousseau sur les syndicats). Le mouvement ouvrier naissant conservecependant une méfiance durable vis-à-vis de l’activité politique. À la diffé-rence de ce qui se produit dans d’autres pays (notamment en Grande-Bretagne, où le Parti Travailliste fut jusqu’à Blair une émanation dusyndicat), les syndicats français proclament leur indépendance par rapportaux partis politiques, fussent-ils « de gauche ».

Lors des élections de 2002, pour la première fois depuis un demi-siècle,aucun syndicat français n’a donné de consigne de vote pour la gauche.Pourtant, nul doute que la majorité des syndicalistes n’aient souhaité savictoire… Dans ce retour aux principes de la charte d’Amiens – dans ceretour aux origines -, on peut voir le signe d’un changement de période.

Profitons de l’occasion pour dire que nul d’entre nous ne croit évidem-ment à la disparition du mouvement ouvrier organisé (tout au contraire,des mesures de nature à renforcer le taux de syndicalisation dans le secteurprivé sont évidemment nécessaires). Mais le mouvement ouvrier et lagauche, cela n’a pas toujours été la même chose. Si la gauche redevientune force essentiellement bourgeoise, comme elle l’était dans la premièrepartie du XIXe siècle, il est logique que le mouvement ouvrier s’en sépare.Ni la gauche millénariste ni la gauche de la promotion sociale, ces deux

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versions du « parti du mouvement » au XXe siècle, n’existent plus. Lecontrôle de la gauche par les libéraux est dorénavant dans la nature deschoses. En outre, compte tenu de ce que sont les républicains, il ne leurest guère possible de s’ancrer à gauche sans se subordonner à la principaledes « forces de gauche », le PS. Étant donné ces raisons théoriques (I) etpolitiques (II), les républicains ne doivent pas se proclamer « parti degauche ».

I. Raisons théoriques

4. Que reste-t-il du millénarisme ouvrier, c’est-à-dire de la croyanceà la possibilité de remplacer le capitalisme par quelque chose de radicale-ment différent (le communisme ou le socialisme, suivant l’endroit d’oùl’on vient…) ? Rien.

La rupture avec le millénarisme est très certainement commune à tousles militants issus de la gauche qui se sont réunis en 2002 autour de lacampagne présidentielle de Jean-Pierre Chevènement et de ses proposi-tions du discours de Vincennes – l’État, garant de l’intérêt général ; lapossibilité même de poser l’intérêt général, notion par définition « horsclasses », au-dessus des classes ; la place reconnue à l’entreprise, dans lecadre d’une politique industrielle volontariste, etc. Si l’on fait référenceaux notions qui constituaient les points de référence du communisme oudu socialisme – par exemple, l’idée suivant laquelle l’État n’a jamais étéautre chose que l’instrument de la dictature d’une classe sur une autre, ouencore la perspective de l’appropriation collective des grands moyens deproduction et d’échange, ou enfin la « mission historique de la classeouvrière » -, nous avons alors tous « franchi la ligne ».

Notre ambition collective s’est ainsi inscrite dans la tradition colber-tiste, bonapartiste, « planiste » et gaulliste… – tradition qui a des repré-sentants aussi bien à droite qu’à gauche : nous ne pensons pas « abolir »le marché, parce que nous savons que le progrès économique et la crois-sance des forces productives reposent pour une bonne part sur le marché ;mais nous n’acceptons pas que les forces aveugles du marché déterminentle sort de l’humanité. Les mécanismes économiques spontanés doiventainsi être contredits par l’État, et, sur le plan international, par la coopé-ration entre États. C’est de cette tension entre le marché et l’incarnationde la souveraineté populaire que nous attendons la réalisation du Biencommun. Sans doute, l’existence d’une contradiction entre salariés etemployeurs est dans la nature des choses. En revanche, nous ne pensonspas ou plus que la classe ouvrière ait pour vocation de susciter seule lechangement ou de le diriger, et que l’organisation de cette classe cons-titue la clé déterminante de l’avenir.

En réalité, il y a assez longtemps que nos prédécesseurs ne croient plusà une Révolution qui, sur le modèle de 1789, remplacerait d’un coup lecapitalisme par un « ordre nouveau », réalisant ainsi le destin d’uneclasse montante. Ce scepticisme quant aux possibilités réelles de « passerau socialisme » explique, très vraisemblablement, la position de « compa-gnon de route » qu’ont adoptée la majorité des intellectuels dès lesannées 1950 et 1960. Dans cette posture, si l’on profère comme Sartre

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que « le marxisme constitue l’horizon indépassable de notre temps », onlaisse à d’autres le soin d’en tirer les conséquences. L’une des vertus,peut-être, de ma génération – celle de 1968 – est d’avoir pris au sérieux lesénoncés révolutionnaires que d’autres brandissaient sans y croire. Ententant de mettre en pratique les idées révolutionnaires, nous avonsdémontré qu’elles étaient fausses.

Est-ce que l’opposition à la mondialisation peut renouveler la perspec-tive ? Les mots « antimondialisation », « altermondialisme » peuventservir de drapeau, comme autrefois le communisme et le socialisme. Maisla problématique de la lutte contre la mondialisation libérale, à la diffé-rence du communisme et du socialisme autrefois, n’évoque pas unenouvelle ère, un changement de régime ou de système. Quelles que soientles variantes, il s’agit toujours de ce que les mécanismes spontanés dumarché soient contrebalancés, soit par l’État (ou par les États), expressionde la souveraineté populaire, soit par des « Droits de l’homme » que l’onrêve d’intégrer aux traités internationaux, et le cas échéant de faire appli-quer par une juridiction internationale. On est très loin de la croyance àun millenium, à un « ordre nouveau » qui ferait du passé table rase.

5. Que reste-t-il du parti de la promotion sociale ?

Il s’agit ici de considérer, non plus des objectifs proclamés, mais uneréalité sociologique.

Dans les années 1980 et 1990, la gauche s’est sociologiquement coupéedu peuple, sous l’effet d’une addition de facteurs qui semblent créer unesituation irréversible :

- Jusqu’en 1981, les dirigeants du PS étaient bon an mal an des « petitsbourgeois », des fonctionnaires n’ayant en général pas « pantouflé », desenseignants… Comme le montre bien Pfister dans sa « Vie quotidienne àMatignon sous l’Union de la gauche », ils étaient alors assez étrangers auxfaçons de vivre de la bourgeoisie. Depuis lors la succession des alternances,et la combinaison du reclassement des équipes de gauche dans les grandesentreprises (et notamment dans les grandes entreprises publiques) et desprivatisations (avec leur lot de stock options) a intégré à la bourgeoisie lacouche supérieure des dirigeants du PS.

C’est pourquoi, en 1997, lorsque la gauche revient au pouvoir, ellerappelle – entre autres - aux affaires des hommes qui, entre-temps, ont faitleur vie en entreprise. Il faudrait comparer la composition sociologiqued’un cabinet ministériel de 1981 et de 1997… La figure du « pantouflard »qui revient aux affaires, traditionnelle à droite, est devenue courante àgauche. Il faut de surcroît tenir compte des solidarités qui demeurent avecles anciens camarades qui sont restés dans le privé.

Ce phénomène serait presque anecdotique, s’il ne s’était accompagnéd’une profonde transformation idéologique, engagée dès 1983. La dérégle-mentation du droit des affaires – du droit boursier notamment -, engagéepar Pierre Bérégovoy, a joué le rôle d’un véritable « permis de s’enrichir »pour toute une catégorie de cadres socialistes, qu’ils aient acquis leurformation initiale à la fac de Droit ou d’Économie, dans les grandes écolesde gestion, ou qu’ils aient fait l’ENA avant de « passer au privé ». Un

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« homme de gauche » dans la finance, dès lors, pourquoi pas ? Dans lapub ? Encore mieux – mais il faut maintenant parler de « communica-tion ». L’essor de l’immatériel remplace peu à peu l’industriel de province,ce bon vieux bourgeois de droite, par un « créateur » qui préfère vraisem-blablement Libération au Figaro et la Techno-parade à la messe au Sacré-Cœur.

La classe dominante devient « de gauche », ou du moins, il devientindifférent, pour la classe dirigeante, que l’on appartienne à l’un ou àl’autre des deux coalitions qui se succèdent. Martine Aubry et bon nombredes membres de son cabinet ont occupé d’importantes fonctions dans leprivé, avant d’accommoder les 35 heures comme ils l’ont fait (c’est-à-dire, de façon à ne pas desservir les intérêts des grandes entreprises où ilsont fait leurs armes).

Je ne méconnais pas le conflit qui les a opposés à la direction du Medef.Mais les milieux patronaux ont toujours été divisés. Le courant paternalisteétait autrefois incarné par le patronat chrétien, dont les structures sontaujourd’hui en déclin. Disons que, par un principe de vases communicants,ce courant siège maintenant au PS. Entre ce courant paternaliste et lesidéologues libéraux, l’affrontement est de toujours. Aussi bien, la compo-sition de l’équipe dirigeante du Medef ne dément-elle pas le propos : pourlancer la « refondation sociale », un homme de droite (Seillère), unhomme venu de la gauche (Kessler, sans oublier l’ex-maoïste, élève deMichel Foucault, pilier de la fondation Saint-Simon François Ewald). La« financiarisation » a fait monter, dans le patronat, des hommes issus dela gauche, avant que l’organisation patronale, anticipant sans le savoir surle PS, n’ait choisi de placer une femme à sa tête…

- Un second facteur sape le parti de la promotion sociale : les méca-nismes de la promotion sociale « par le côté gauche », c’est-à-dire par lesuccès à l’école, se sont grippés. La chose est bien connue : Polytechniqueet Normale supérieure sont plus fermés maintenant aux enfants du peuplequ’il y a trente ans. La raison principale, sans doute, est la disparition dela sélection par le mérite à l’école : alors que l’instituteur de 1960 pous-sait le jeune doué à aller dans un bon lycée, donnant ainsi corps à notreréussite ou à celle de nos parents, l’idéologie suivant laquelle seuls lesélèves faibles méritent de l’attention, le collège unique et l’hypersélecti-vité des établissements réservés aux initiés ferment aujourd’hui les portesde la promotion sociale. La droite a sa lourde responsabilité (quel méprisdans la nomination d’Haby par Giscard !), mais c’est aussi la gauche, avecson « égalitarisme inégalitaire » qui, de Jospin à Lang, a dégradé lesystème. En effondrant le niveau de l’école, la gauche a ruiné tout un pande la promotion sociale.

- Il y a encore, bien entendu, de la promotion sociale. Celle-ci, commenous le constatons à l’université, concerne très largement les enfantsd’origine étrangère.

Or c’est une vue de l’esprit que de penser que les enfants de la« deuxième génération » qui réussissent s’identifieront à la gauche commele faisaient les « Français de souche » en phase ascendante. Ce n’est paspar hasard que les gouvernements Raffarin et Villepin ont comportéplusieurs ministres d’origine étrangère ; le parti gaulliste – sous ses diffé-

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rents avatars – n’a-t-il pas toujours été le parti des allogènes ? Le réflexeidentitaire qui portait le jeune Français d’origine rurale ou ouvrière vers lagauche, par réaction contre la société traditionnelle et la pesanteur ducatholicisme et par adhésion à l’idée d’un lent progrès qui fait monterl’échelle sociale génération après génération, n’a aucun sens pour lesjeunes d’origine étrangère. La promotion sociale réelle – qui repose toutautant maintenant sur la réussite économique que sur l’école – n’est ainsiplus un aliment pour la gauche. La « deuxième génération » est et serabien représentée dans l’entourage de Nicolas Sarkozy.

6. Privée de perspective millénariste, la gauche n’est plus non plus

le parti de la promotion sociale

Ce n’est pas un effet de notre volonté, c’est un fait. Lorsque nous leconstatons, notre posture est très différente de celle du courant « nidroite-ni gauche » des années trente, qui tentaient de nier la division trèsprofonde d’une société encore traditionnelle pour s’imposer aux deuxcamps. Nous disons plutôt : la droite est devenue libérale en matière demœurs, et la gauche en matière économique ; la droite s’est « socialisée »et la gauche s’intéresse à l’argent. Nous n’avons plus maintenant deuxalliances de classes qui s’affrontent en poursuivant des objectifs opposés,mais plutôt deux « partis » - comme les Bleus et les Verts à Byzance – auxvisées identiques, quoique chacun essaie de conquérir le pouvoir en s’ap-puyant sur des forces un peu différentes. Lorsqu’un Américain dit : - « Jene suis ni Républicain, ni Démocrate », on ne le traite pas de fasciste… Orl’analyse politique nous conduit à assimiler, mutatis mutandis, la gauchefrançaise au Parti démocrate (alors que la droite française, sauf exception,se situe très à gauche du Parti républicain).

II. Raisons politiques

7. La gauche est devenue le parti de la « déconstruction »

Juste retour des choses : c’est après tout la France qui a fourni auxÉtats-Unis les penseurs de la « déconstruction ». Aussi bien, dans le romande Philip Roth, « La Tache », c’est une enseignante française (une« ulmienne » sociologue) qui suscite la cabale qui chasse le héros de l’uni-versité.

Les léninistes du passé étaient tout ce que l’on veut, sauf des décons-tructeurs, parce qu’ils croyaient à un « ordre nouveau » - et dans « ordrenouveau », il y a ordre… La fin des millénarismes ayant placé extrêmegauche dans une impasse, il ne lui reste que la tradition d’hostilité à l’État,à la famille, etc., qui transforme le révolutionnaire en « déconstructeur ».

On se rappelle cette étonnante profession de foi d’un membre duSyndicat de la magistrature au début des années 1970 : le juge doit statuer« pour l’ouvrier contre le patron, pour la femme contre le mari, pour le filscontre le père… ». Comme en écho, des militants d’Act Up avaient publié

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avant les élections de 1997, sous le titre « C’est nous la gauche », unarticle qui définissait celle-ci par une énumération - les « sans papiers, lesséropositifs, les homosexuels, les femmes… ». Beaucoup de féministes enétaient d’ailleurs furieuses. En lisant ce papier, il était difficile de ne paspenser aussitôt : - « Je ne suis rien de tout ça ; la gauche est-elle encorefaite pour moi ? ».

Les déconstructeurs universitaires américains – dont les gourous sontfrançais – préfèrent l’étude des textes écrits par des membres des mino-rités à ceux qui ont été écrits par des « dead white males », des blancsde sexe masculin morts depuis longtemps. À bas Shakespeare, viveRigoberta Menchu ! Comme les déconstructeurs français sont malgré toutrespectueux de la littérature, c’est l’homme du peuple vivant qui cons-titue leur cible. Depuis quelques années, les Verts ont ainsi mis en circula-tion une notion très évocatrice : « l’extrême-chasse ».

L’homme rural, le conscrit de 1914, c’est le début du fascisme : quepeut vouloir dire d’autre l’amalgame entre le chasseur et l’extrême-droite ? Je ne peux m’empêcher de penser à une photographie de 1925 demon arrière-grand-père, berger titulaire du certificat d’études, et qui estdonc devenu sergent de chasseurs alpins, puis facteur, photographie où ilpose avec son fusil, au sein d’un groupe, devant notre maison à lacampagne. Lorsque la petite-bourgeoise de gauche ne supporte plusl’image de la masculinité populaire – c’est le sens du paradigme du «beauf » -, c’est que la gauche n’existe plus.

Le PC n’y échappe pas : lorsque Marie-Georges Buffet veut trouver undésaccord avec le PS, elle évoque aussitôt les « sans-papiers ». Les flot-tements des dirigeants du PC sont d’ailleurs accrus par leur désir légitimede sortir du carcan de la « ligne Marchais », ce qui les conduit à suren-chérir dans le « sociétal ».

Le passage de la gauche aux positions déconstructrices s’est fait parétape :

- la « stratégie des forteresses »

La gauche a commencé à prendre cette orientation dès les années 1980,lorsqu’elle a entrepris de figer par des traités internationaux des réalisa-tions – comme l’abolition de la peine de mort - auxquelles elle présumaitque l’opinion ne serait pas favorable. J’ai le plus grand respect pourRobert Badinter, mais je crois que la tendance à rattacher l’application desDroits de l’homme à des Traités et à des Cours internationales est unetendance aristocratique, et non démocratique. Mettre la loi « à l’abri dupeuple », du suffrage, c’est agir comme le Prince qui espère que la forte-resse le dispensera d’avoir à obtenir le soutien populaire. Cela mène toutdroit à la crise politique actuelle.

- la réticence à ce que la loi traduise la volonté populaire a trouvé uneexpression plus complète dans la doctrine de la « procéduralisation »

La doctrine de la procéduralisation, à l’origine, n’est rien d’autrequ’une réaction d’universitaires de gauche allemands (Habermas) contre

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le « droit du sang » en matière de nationalité. La vie est si complexe,disent-ils, qu’on ne peut plus, comme autrefois, donner une définitionsubstantielle de la nationalité (droit du sol, droit du sang ou tout autresystème). Il faut adopter une logique « procédurale », c’est-à-dire consi-dérer comme un national et accorder les droits de citoyen à toute personnequi, compte tenu des Droits de l’homme reconnus et des interactions avecl’État qu’implique ses intérêts légitimes, paraît devoir être reconnu commetel.

Par définition, la thèse procédurale conteste la loi de majorité, et, endéfinitive, nie la souveraineté populaire. L’ultima ratio, le facteur déter-minant, se trouve en effet du côté de Droits de l’homme. Or le contenu desDroits de l’homme sera défini, en dernière instance, par les tribunaux. Ilrelève donc davantage de l’opinion d’une étroite communauté de juristesque du débat politique ouvert.

Partie d’Allemagne, cette conception s’est partout répandue, tant ellecorrespond bien à la façon dont fonctionne en fait l’Union européenne. Elleest très présente en France : on ne peut plus décider et réglementercomme avant, dit-on. Cependant, les Droits de l’homme nous permettentde définir des « objectifs » – les juristes français se sont par exempleéchinés à montrer que l’existence de services publics était nécessaire à laréalisation des « droits fondamentaux », pour contraindre l’Union à souf-frir leur existence -. Définissons des objectifs, définissons les intérêts légi-times qui s’y rattachent, invitons ces intérêts à négocier entre eux, et à lafin, le résultat sera examiné par les tribunaux au regard des Droits del’homme…

La théorie de la procéduralisation permet de donner une âme à l’impuis-sance : au lieu de politique, des choses qui vont de soi : le partage dutravail, l’égalitarisme à l’école, la non-discrimination – alpha et oméga dela politique sociale européenne. La procéduralisation fournit une justifica-tion théorique à la doctrine de la « proximité », au passage du pouvoir del’échelon national à l’échelon local ou régional (c’est là que se trouvent les« intérêts légitimes ») ; elle fonde aussi bien la multiplication des procé-dures supranationales (les Droits de l’homme sont universels). Cette idéo-logie met en cause la nation, la souveraineté populaire, et, de proche enproche, les rapports entre adultes et enfants ou l’autorité des maîtres(l’enfant qui « construit lui-même son propre savoir », c’est encore de laprocéduralisation). Or cette idéologie vient de gauche, et elle a vocation àdevenir dominante à gauche.

Les dirigeants du PS ne peuvent pas offrir de perspective consistante detransformation sociale ; il doit donc chercher d’un autre côté de quoi enjo-liver leur devanture. Au lieu du socialisme, la « procéduralisation » leurpermet de promettre un monde où couleront le lait et le miel, puisqu’ilsera fondé sur les Droits de l’homme. Au lieu de politique sociale, desmesures sociétales ; au lieu de promotion sociale, la « lutte contre l’ex-clusion » - la notion présentant l’immense avantage de mettre dans lemême sac l’ouvrier et le bourgeois, dès lors que ce dernier appartient à une« communauté minoritaire », et au passage de faire disparaître la figuredu producteur ; au lieu de souveraineté populaire, le culte des mécanismesde droit international qui soustraient la décision au champ de la politique

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démocratique, à moins que cela ne soit l’adoration de la « proximité ».

8. Le contrôle de la gauche par les libéraux est dans la nature des choses

Le contrôle de la gauche par les libéraux est dans la nature des choses,parce que les libéraux sont les seuls à disposer d’une perspective straté-gique – élargir et approfondir l’Europe, ouvrir celle-ci sur l’extérieur, etnotamment poursuivre l’ouverture des marchés, que l’on pourra « mora-liser » grâce à l’OMC. C’est ce qui fait sans doute l’unité assez profondedes libéraux du PS et des Verts.

Tous les autres sont par conséquent devenus des « compagnons deroute ». Compagnons d’une route qui n’existe plus, les ex-gauchistesvoués à la défense des « sans-papiers » ; des « sans » en général -comme s’il n’y avait rien à dire sur les intérêts de l’immense majorité denos compatriotes qui travaillent, ont des papiers et un toit, mais gagnentmal leur vie et ont le sentiment que tout se décide en dehors d’eux, etcomme si la question de la pauvreté pouvait se penser indépendammentde ce que nous avons appelé la « revalorisation du travail ». Compagnonsde route, Buffet et Hue. Il est frappant, pour qui a pu l’observer, de voiravec quelle rudesse le PC et la CGT se sont affrontés en 2002 à l’occasiondu vote de la « loi de modernisation sociale » : le PC lui-même n’est pluscapable de penser les intérêts du monde du travail. Lutte ouvrière est sansdoute le seul groupe organisé qui cherche à transmettre la perspectivemillénariste ; sans perspective politique, ce groupe vit sur le mode deschrétiens des catacombes.

Or, il est dans la nature des « compagnons de route » de suivre lechemin défini par un autre qui, lui, sait où il veut aller : il y aura dessoubresauts, il y aura des joutes verbales, mais à la fin, les libéraux du PSgagneront, en concédant des gadgets comme les emplois jeunes, les35 heures où la lutte (à renforcer toujours) contre la discrimination.

9. L’impasse dans laquelle se sont placés les partisans du« non de gauche » vient à l’appui de l’argumentation

Si l’on se rappelle l’enthousiasme qu’avait fait naître le « non » auréférendum de 2005, on ne peut expliquer que par une série d’erreurs poli-tiques la défaite en rase campagne qu’ont subie les partisans du « non degauche » avec la désignation de Ségolène Royal comme candidate du Partisocialiste. Toutes ces erreurs n’ont qu’une seule racine : la volonté d’af-fubler des oripeaux de la gauche un « non » qui rassemblait des électeursvenus de tous les horizons, en premier lieu une masse d’abstentionnistestraditionnels révulsés par le jeu des partis dominants.

On aurait rêvé d’un Laurent Fabius qui, au lendemain du référendum,dise : « Je serai candidat quoi qu’il arrive », et tende la main à tous lesrépublicains qui ont fait la victoire du non. Nous avons eu l’inverse : lejour où François Bayrou vote la censure socialiste, les vierges effarouchéesdu « non de gauche » s’exclament qu’il faut « une gauche de gauche »(Laurent Fabius), ou « Moi vivant, jamais d’alliance avec la droite » (Henri

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Emmanuelli). En faisant aux « ouiouistes » du PS le procès de vouloir s’al-lier avec le centre, Laurent Fabius et Henri Emmanuelli pensaient bienentendu marquer des points dans leur combat interne au Parti Socialiste.

L’erreur de Laurent Fabius est d’avoir cru pouvoir compter sur le soutienou la neutralité favorable de la « gauche radicale et mouvementiste »,pour se donner de l’espace et gagner la primaire au sein du PS. La « gaucheradicale et mouvementiste » a fait ardemment campagne pour le « non »,mais elle ne se préoccupe pas d’exercer le pouvoir et de gagner les élec-tions. Ce n’est donc pas une force sur laquelle on puisse compter dès lorsqu’il ne s’agit plus de critiquer, mais d’agir.

« Rassembler la gauche avant de rassembler les Français » est ainsi, detoute évidence, devenu une stratégie de perdant. Pendant tout le tempsqu’a duré la campagne interne, la « gauche de la gauche » n’a pas eu demots assez durs pour parler de Laurent Fabius. La main qu’il a tendue asouligné son isolement de ce côté. Loin de trouver un appui à gauche de lagauche, même au sein du PS, il est très loin d’avoir fait le plein, puisqu’unhomme comme Henri Emmanuelli ne s’est pas prononcé officiellement pourlui. On se demande, dans ces conditions, comment la victoire d’un partisandu « non » pouvait être imaginée.

Celui qui ne rassemble pas voit disparaître ses soutiens naturels : dansle jeu de perdant où il s’est engagé, Laurent Fabius est progressivementapparu comme le « mauvais cheval ». C’est ainsi que Jean-PierreChevènement, qui lui avait initialement fait bon accueil, s’est progressive-ment tourné vers un soutien à Ségolène Royal, dont on pressent que sacandidature actuelle ne constitue que le premier acte. Laurent Fabius aagité tous les « gimmicks » de la gauche - régularisation des sans-papiers,mariage homosexuel, généralisation des 35 heures, « vraie » majorationdu SMIC (comme il y eut autrefois le Programme commun « bien actua-lisé ») Mais il n’a pas suscité le réflexe conditionné d’adhésion qu’en d’au-tres temps, il aurait ainsi obtenu.

Rassembler les socialistes, après le référendum du 29 mai, c’étaitévidemment une utopie – à moins qu’il ne s’agisse de dire que les partisansdu non acceptent de se soumettre à la loi de l’Europe libérale. Les socia-listes français ont fourni une partie du personnel de la mondialisation,comme le montre l’exemple de Pascal Lamy. Comment veut-on que ceux-là – les Lamy, Kouchner, Strauss-Kahn, Aubry, Lang… - acceptent de soutenirceux-ci, qui ont fait campagne pour le non ? Mais il n’y avait en réalitéaucun risque : au sein du PS, comme chacun sait, les élections internessont faites, non pas par les échanges d’arguments et les effets de manchedes propagandistes des courants qui s’opposent, mais par trois ou quatredirigeants de grandes fédérations qui contrôlent leur appareil. Au-delà del’écume médiatique des choses, le pragmatisme d’un parti d’élus a fait lereste. Beaucoup de socialistes ne croient plus à rien. Revenus de tout, il neleur reste que leurs carrières et leurs places. Nombre d’entre eux, sansdoute, n’aiment pas les idées de Ségolène Royal. Ils ont pris leur parti decette incommodité pour conserver ce qu’ils ont. Pour ceux qui sontsincères, le fétichisme de la gauche a fait d’eux aussi des compagnons deroute…

Laurent Fabius, et Henri Emmanuelli, en raison du rôle éminent qui fut

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le leur dans la campagne du référendum, avaient vocation à devenir leschefs d’un grand rassemblement du non. Ils ont voulu gagner la bataille« par la gauche ». Pour consacrer l’échec de leurs stratégies, pour lapremière fois, la victoire au sein du parti socialiste a au contraire étéobtenue « par la droite ». Le prétendu « non de gauche » a voulu sauverla gauche en admettant le reniement du « non ». Le « non » a été renié,mais il n’y a plus de gauche. Par son sectarisme, le non de gauche s’estainsi condamné lui-même à jouer le rôle de rabatteur du socialismelibéral. À ce prix, n’eût-il pas mieux valu travailler à unir tous les républi-cains ?

10. Je ne veux pas terminer sans revenir sur la question du « ni droite, ni gauche »

La crise politique que nous vivons aujourd’hui n’est pas la première.Une très grave crise idéologique a traversé le mouvement socialiste dansles 30 années (1880-1910 ?) où celui-ci a réalisé que les analyses de Marx– la Révolution, d’abord en Angleterre, en Allemagne et en France – étaientfausses.

De cette première crise, il est né trois courants. Le premier, celui des« constructeurs de Dieu », nous le connaissons surtout par la polémiqueque Lénine a engagée avec lui dans « Matérialisme et empiriocriticisme ».Le « retour à Dieu » un peu grotesque d’une partie des maoïstes à la findes années 1970 lui fait cependant écho. Le deuxième courant, c’est lefascisme, qui conserve de la tradition socialiste l’idée d’un « héros del’Histoire » mais, la classe ouvrière n’étant pas taillée pour le rôle, met laNation à la place. Et le troisième courant, c’est le léninisme, qui construitle concept d’avant-garde pour jouer le rôle du héros à la place de la classeouvrière.

Nous ne sommes pas des « constructeurs de Dieu », et aucun d’entrenous n’est plus léniniste. Alors, comme nous attachons du prix à la Nation,y a-t-il un risque que nous soyons captés par une sorte de néoautoritarismenational ?

Je crois que le risque n’est pas absolument nul, et que la seule façonde le combattre, c’est d’avoir conscience de cette virtualité. Toutefois, ily a un risque plus grand : c’est que l’Europe connaisse des soubresautsdont les élections de France, de Hollande, du Danemark, etc. n’auraientconstitué que le hors-d’œuvre.

Nous ne disons pas que la gauche est morte par volontarisme idéolo-gique, mais parce que c’est un fait. Nous ne sommes pas une « Nationprolétaire », mais une vieille Nation post-impérialiste qui a digéré la déco-lonisation. Nous ne pensons pas la Nation comme un organisme vivant quitrouverait sa régénération dans la violence, mais comme le seul cadrepertinent, historiquement donné, de l’exercice de la souveraineté popu-laire. L’amalgame entre notre position et le « ni droite-ni gauche » desannées trente ne tient pas, parce que nous sommes des rationalistes quicroient à la possibilité d’apprendre aux masses à réfléchir.

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