LA FRANCE LIBRE ' ÉTAT C1VÏLQE

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LA FRANCE LIBRE ' ÉTAT C1VÏLQE LYOS^ MAItltA «3-E» Premier arrondissement. Capelle, employé, place Rouville, 6, et Chabert, guimpière, rue de Dijoh, 31 ; Escallier, apprêteur, rue de Fiesselies, 20, et Cham- bonnier Jeny, rue de Fiesselies, 22 ; Ger- main, employé, boulevard de la Croix- Rousse, 141, et Crépier Antoinette, quai St-Clair, 2 ; Guyot, garçon boucher, mon- tée de la Grande-Côte, 128, et Martinon, ouvrière en soie, rue Vieille-Monnaie, 3 ; Raso, électricien, rue de la République, 4, et Touache, s. p., place Colbert, 8 ; Christolhomme, boulevard du Nord, 63, et Schwab, s. p., quai Saint-Clair; Delpëut, commis télégraphiste, rite de la Charité, 55, et Guény Louise, rue de la Républi- que, 6 ; Velay camioneur, rue du Bon- Pasteur, 44, et Simon, ménagère, même adresse ; Viret, employé, place des Capu- cins, 5, et Dufiguier, s. p., rue des Jar- dins,^. Deuxième arrondissement. Berlhe, limonadier, cours Suchet, 42. et Husson, couturière, même adresse ; Buo, peintre en bâtiments, cours Lafayette, 118, et Vieille, employée, rue Vendôme, 144 ; Vachon-Bourget, bourrelier, cours Char- lemagne, 7, et veuve Deschamps, épi- clère, à Oullins ; Raso, mécanicien, rue de la Préfecture, 4 ; et Touache, s. p., place Colbert, 8 ; Rey, professeur d'es- crime, rue Boissac, 9, et Roux, employée, à Saint-Marcellin (Isère) ; Baffert, repré- sentant de commerce, rue de i'Hôtel-de- Ville, 87, et Clavel, teinturière, quai Pierre -Seize, 07 ; Haour, employée, à Chasse (Isère), et Détruit, s. p., rue Tho- massin, 22 ; Cottet, mécanicien, rue Fon- taine- au-Bois, 58,. Paris, et Léger, s. p., rue Boissac, 9 ; Voraz, employé, place Bellecour, 8, et Molin, s. p., même adresse ; Nidergang, employé, à Caluire, et. T'homay, couturière, rue Centrale, 48 ; Dorien du Souzy, avocat, rue Sala, 25, et Arnal, s. p., rue Ponthieu, 58, Paris; Mon- tessuit, journalier, rue Franklin, 25, et et Adalbert, môme adresse; Collombon, employée, rue Franklin, 22, et Gaillard, s. p., rue Bourgelat, 10; Favre, employé, rueBngeaud, 123, et Préjoux, cuisinière, rue Sala, 60 ; Belpeut, télégraphiste, rue de la Charité, 55, et Gneny, s. p., rue de la République, 6 ; Biard, employé, ave- nue des Ponts, 6, et Fayotle, cuisinière, rue Boissac, 1 : Guicherd, plâtrier, rue Ferrandière, 8, et Rouchouse, cuisinière, : même adresse ; Desmomans, chaudron nier, chemin de la Vitriolerle, 36, et Ge- neston, femme de chambre rue de l'Hô- tel-de Ville. 76 ; Pernod, employé, cours du Midi, 26, et veuve Vernei, employé, rue Masséna, 102 ; Martin, ajusteur, rue Delandine, 18, et Saint- Jean, ourdisseuse, à la Mulatière. Troisième arrondissement. . Bardy, empl., rue Sébastien-Gryphe, 25, et Zip- fel, mécanicien, rue Montesquieu, 71 ; Bé- iBili.iilllilllHIHIIII III I I IIIIIIIHII IIIIIII llllll'lMIIIIIIMimilWWIIW.IIIIIIIIIMI l'Ill'i'imilllMimiil III rard, verrier, à Xérès (Espagne), et Ro- drigue, sans profession à Xérès (Espagne); Berlhe, limonadier, rue Suchet, 42, et Husson, couturière, même adresse ; Buis- son, corroyeiir, passdge Biétrix, 6, et Re- boullet coiffeuse, rue Rabelais, 105;- Clerc, facteur d'orgues, pi. de la Renaissance, et et Imbert, couturière, à Rive-de-Gier (Loire) ; Danbas, plâtrier, â Saint-Sorlin (Saône-et-Loire), et Boiron, sans profes- sion, rue Paul-Bert,12; Dufour, tapissier, rue Griliel, 18, et Eouard, couturière, rue Garibaldi, 253; Favre, empl., route d Hey- rieux, 158, et Varichon, couturière, route d'Heyrieux, 103 ; Fournier, graveur sur bois, TJOUI. des Casernes, 3,. et Berthelier, sans orofession, à Viltefranche (Rhône) ; Julien, maçon, à Ecully (Rhône), et Alexis, lingère, rue Voltaire, 59; Lécollier, tein- turier, rue Bonuaud, 6, et Quiron, sans profession, rue Panl Bert,259; Libes, me- nuisier, rue de Marseille, 79, et Tour- nalre, sans profession, même adresse ; Mangoul, empl. de commerce, rue Mari- gnan, 13, et Blatteo, commerçante, même adresse ; Michaucl, eorroyeur, rue du Re- pos, 30, et Petit-Laurent, journalière, même adresse ; Pijourlet, maçon, 22, rue Monoey, et Debroux, sans profession, à Sainte-Paul (Rhône). Seux, dit Balansard, rue Duguesclin, 269. et Tubino, couturière, rue Robert. 29 ; Tartarin, ferblantier, Chessy-les Mines (Rhône), et Cortial, couturière, rue de Créqui, 247; Thomas, cocher, rue Riboud, 21, et Bancel, ménagère, Lamastre (Ardè- i ii m » mu m muni i IPIIIIIIIIIIIHI» mu m i nmim im ni m mu mu inauBMi iipniiiiiwurni mil HKiHlll illMUllilil 1 che) ; Veillas, apprêteur, rue Sainte-Pau- line, 23, et Chanel, tisseuse, Tarare (Rhô ne) ; Velay, camionneur, rue Bon-Pasteur, 44, et Simon, ménagère, rue du Colom- bier, 1 ; Vial, chauffeur, rue Boileau, 248, et Gaudard, même adresse ;Masset, jour- nalier, l'Arbresle (Rhône), et Balmont, chemisière, Saint- Fons; Biard, employé, Salnt-Fons, et Fayolle, cuisinière, rue Boissac, 1 ; Cevret, greffier de la justice de paix Ambérieu d'Azergues, et Alin, s. p., chemin de la Colombière, 1 ; Desmo- mans, chaudronnier, chemin de la Vitrio- lerie, 36, et Geneston, rue de l'Hôtel-de- Ville, 76 ; Gourbeyre, employé, rue Mon- tesquieu, 7 ; et Perchet, couturière, même adressa ; Michaud, s. p., quai des Brot- teaux, 4. et Achard, brodeuse, rue Gari- baldi, 224; Micehel, linoonaaier, cours La- fayette, 29, et Mars, cuisinière, rue Pierre- Corneille, 96 ; Pertinax, chamoiseur, rue Paul Bert, 301, et Maître, couturière, même adresse. Quatrième arrondissement. Marguin, teinturier, cours d'Herbouville, 37, et Bourgeois, domestique, place de la Bou- cle, 1; Capelle, employé place Rouville, 6, et Chabert, guimpière, ue de Dijon, 31 ; Le^ollier, teinturier, rue Bonnand, 6. et Quiron, sans profession, rue Paul-Bert, 259 ; Clapisson, employé, rue de l'Enfance, 32 et Didier, tisseuse, rue Jacquard, 7 ; Massot, employé rue d'Austeriitz, 17, et Arnaud, couturière, rue Glgodot, 8 ; Dru- jon correcteur, rue Censier, 23 Paris, et Journaud, employée, rue de l'Enfance, 1 ; Germain employé, boulevard de la Croix- Rousse, 141 et Crépier, sans profession, quai Saint- Clair, 2. Cinquième arrondissement. Augustin Aubignat, commerçant, rue Saint-Georges. 23, et Lombard, lingère, quai de l'Arche- vêché, 7 ; Baffert, représentant "de com- merce, rue de l'Hôtel-de- Ville, 87, et Cla- vel, teinturier-dégraisseur, quai Pierre- Scice, 67 ; Delorme, employé, impasse Ro- quette, 2, et Fergey, mécanicienne, rue des Bains, 5; Goumaz, orfèvre, rue des Farges, 29, et Vincendon, sans profession, rue des Farges, 31 ; Granjon, marehand de vin, chemin de Choulans, 66, et Bau- drion, cuisinière, montée des Génoééfains, 3; Kramer, peintre-décorateur, chemin de Francheville, 136, et Durand, rue Four à- Chaux, 14, Marseille ; Manevy, employé, Ste Foy-Jès-Lyon, et Mort, dévideuse, rue du Manteau- Jaune, 4 ; Mathieu, tourneur- mécanicien, rue du Doyenné, 46, et Per- nol, pailleuse de chaises, rue Lainerie, 3 ; Polossal, balancier, Saint-Rambert-l'Ile- Barbe, et Gavard, repasseuse, impasse Roquette. 2 ; Ritout, employé, quai Ful- chiron, 40, et Fauconnet, corsetière, che- min des Quatre-Maisons, 60 ; Spay, ou- vrier en fabrique, place St- Didier, 2, et Godet, ouvrière, rue de Bourgogne, 14 ; Viret, employé, place des Capucine, 25, et Dufiguier, sans profession, rue des Jar- din. 5 ; Roissy, maçon*, rue Mazenod, 86, et D-ssroches, cuisinière, rue Part-Dieu, 62 ; Bouchard, marinier, Màcon, et Passot, employée de commerce, rue St-Cyr, 32; minimum i un ' iiniiii inniumn«riil«il Gelas, employé P.-L.-M,, rue du Mont- d'Or, 3,etBrondel, tulliste, même adresse Lacarille, employé, rue du Bourbonnais 93, et Moirof, sans profession, même a- dresse ; Chainey, forgeron, quai de Vaise - 30, etGaime, cuisinière, Lucenay (Rhône)'. Sixième arrondissement. Bue, peintre en bâtiments, cours Lafayette, 118, et Vieille,! employé, rua de Vendôme, 144* Chadebech, maçon, rue de Sully, lis, et Vve Buchenaud, commerçante, rue' de Sully, 118; Christolhomme, boulevard du Nord, 63, et Schwab, s. p., quai Saint- Clair, 5; Debeaux, bijoutier, rue Tête- d'O, 85, et Buer, piqueuse, rue Bugeaud 87: Frappa, terrassier ruedesCharmettes' 75, et Burille, ouvrière en soie, même adresse ; Favre, employé, rue Bugeaud, 123, et Préjoux, cuisinière, rue Sala, 60 Girerd, manoeuvre, rue Tête-d'Or, 117' et Graaier, couturière, même adresse •' Jaillet, imprimeur liîhographe, rue Bos- suet, 36, et Tubinot, couturière, rue Ro- bert, 29 ; Michaud, p. quai der Brotteaux 4. et Achard, brodeuse, rue Garibaldi, 224- Batlivet, rue Pierre- Corneille, 43. et Far- del, r., Jean-Claude Vivant, 51, Villette ; Goudet, employé, Saint- Vincent (Haute- Loire), Badin, polisseuse, avenue de Noailles, 63 ; Pagptti, voiturier, boulevard des Brotteaux. 64, et Ribeyre, ovaliste même adresse ; Monard. comptable, cours ViUon, 47, et Fourneau, couturière, mê- me adresse; Pernod, employé, cours du Midi, 26, et Vernet, employée, rue Mas- séna, 102. FEUILLETON DE « LA FRANCE LIBRE » du 10 janvier 1898 ,- 43 - m. * HMHHiHjmjuiuupJR-Pi'HimiuimnmMMinimii PAR P«UL FÉVAIs Nannette n'avait pas encore prononcé une parole. Elle releva sur l'ancienne en- trepreneuse un regard de froid étonne- ment. Fanfare fut d'abord quelque peu déconcertée, car, en principe, il est facile à l'honnêteté de garder .sa distance. Mais l'effronterie a aussi sa force: Fanfare ne fut déconcertée qu'un instant. Je suppose que tu a oublié de nous offrir un fauteuil à chacun, bébelle, re- prit-elle avec plus de calme. Nous venons de loin... et pour te rendre service, en- core. Pour me rendre service? prononça enfin Nannette , qui désigna de la main deux sièges. -Fanfare en poussa un à M. Jonathan Mitchell, énorme et robuste citoyen bor- 'gne de l'œil droit, très mal a l'aise dans un costume de squatter fashionable. M. Jo- nathan Mitchell s'assit en toussant, sa- luant et donnant des signes de gêne dans sa cravate. Fanfare, avant de s'asseoir à son tour, trouva moyen de glisser à l'oreille de Nannette : Ne fais pas trop ta tête , ma petite C'est un négociant de plus d'un million et demi sterling. Je ne vous comprends pas, dit tout haut la jeune fille. Tiens, tiens ! au fait c'est vrai, répli- qua la suzeraine de l'Oiseau-Jaune. On us se tutoyait pas à Paris. Vous m'excu- serez, mademoiselle Nannette ; si loin du pays, on a le coeur remué en retrouvant une compatriote du même quartier, de la même maison et du même carré aussi. J'ai réussi à l'étranger, ça me donne envie de tâcher que mes amis fassent de même. Quand à craindre une histoire qui ferait tort à la morale, vous me prenez pour une autre, ma chère demoiselle! Ceci fut dit d'un ton net et tranchant, il y avait apparence de vérité. M. Jona- than Mitchell, qui semblait peu éloquent ponctua néanmoins cette déclaration d'un geste très énergiquement honnête et baissa la paupière de son bon œil. Nannon, nous le verrons, avait envie et besoin de faire rapidement sa fortune. Nannon s'assit et dit : Madame, je vous remercie de l'inté- rêt que vous me portez. Je suis très heu- reuse, en effet, chaque fois que je me trouve avec des compatriotes. Fanfare cligna de l'œil à l'adresse de M. Jonathan Mitchell qui avait mis son chapeau entre ses jambes et gardait l'im- mobilité du rustre, fourvoyé par hasard dans un salon. Vous voyez bien! vous voyez bien! dit-elle. Que vous avais je dit, mon cher monsieur? Jonathan, pour toute réponse, lança un éclat de toux retentissant. Très aimable quand elle veut, cette enfant-là, poursuivit Fanfare à demi-voix, mais terriblement collé monté... bien, bien, cher monsieur ! Je sais que pour vous on ne l'est jamais trop et voilà pourquoi je vous ai amené chez Mlle Nanette. Celle ci réfléchissait. Les paroles de Fanfare faisaient impression sur elle. Nous sommes obligés de mettre ici le lecteur en garde contre le danger de toi- ser la présente situation à l'aide du mè- tre européen. En Europe, â Paris, une semblable scène appartiendrait à la vul- gaire comédie. Nous ne disons point que personne n'y serait pris, car chaque jour voit, dass la capitale du monde civilisé, des duperies encore plus grossières, mais nous avouons que le piège ne serait pas habilement tendu, si toutefois piège il y avait. Mais bas, la demande et l'offre, en quelque matière que ce soit, prennant des physionomies bien autrement naïves. A cet égard, il n'y a ni respect humain, ni diplomatie. C'est l'Angleterre perfection- née d'un côté, ramenée de l'autre plus près de l'état sauvage. Tout est possible en fait de transactions. Le roman et la réalité se mêlent. Ce qui, chez nous, pa- raîtrait, à bon droit,une excentricité pué- rile, est, ici, le train-train delà vie com- mune. Nannon, désormais, attendait, pru- dente, mais non incrédule. Combien gagnez-vous ma chérie ? demanda tout à coup Fanfare. Mes aflaires vont à ma complète sa- tisfaction, répondit simplement Man- nette. C'est que voyez-vous, ma belle, l'ar- gent est toujours au fond de tout, pas vrai ? Votre maison est gentillette, mais les ouvrières doivent être rares et chères à Melbourne. Si par hasard vous vous fai- siez par an, je suppose, deux cent mille écus, nous n'aurions plus rien à dire... Je ne me fais ni cent mille écus, ni même deux cent mille francs, interrompit Nannette. Hein? fit la vicomtesse parlant au gentlement Jonathan, voila quelle fran- chise nous avons, nous autres Françaises! Ma chère demoiselle, reprit -elle, il s'a- girait de rafler tout d'un coup, précisé- ment, cette somme-là, deux cent mille francs : je dis quarante mille dollars pour §tre bien comprise de M. Mitchell, qui est Américain, dans un espace de six mois au plus et peut-être beaucoup moins. Faudrait -il quitter Melbourne ? de- manda Nannette. Naturellement. Et quel métier gagnerais-je ces deux cent mille francs ? Au métier d'ange consolateur, Je ne plaisante pas, mademoiselle. Vous m'a- vez témoigné déjà que vous n'aimez pas la familiarité ; moi, je suis à la bonne franquette ; mais, en définitive, je n'ai aucun intérêt à passer malgré vous pour votre amie intime. J'ai mon rang, si vous avez une petite position. Je parle donc très sérieusement, et je répète qu'il s'a- git d'une bonne action, en même temps que d'un coup de fortune. Une bonne action, en vérité, grommela le gentlemen Mitchell en anglais du Far- West, une très bonne action ou que je sois pendu ! Fanfare fit signe de se taire, ostensible- ment et d'un geste souriant. Voilà le langage de ces honnêtes marins, dit- elle. Une anglaise hypocrite serait scanlalisée; mais nous autres Pa- risiennes, nous ne sommes pas des femel- les de Tartufe puritain. Cependant, de- mandez pardon, je vous prie, monsieur Mitchell... Jonathan ouvrit la bouche pour obéir ; mais Nannette répartit carrément : Le gentleman peut parler comme il voudra, pourvu que l'affaire soit exposée avec clarté. J'écoute. Hein ! mister Jonathan, s'écria Fan- fare, est-ce carré? Eh bien! ma toute belle, reprit-elle, il s'agit d'empêcher un grand 'malheur. M. Mitchell est un squatter puissamment riche, jeune et bien fait de sa personne, qui a acheté du gouverne- ment une station dans le Rodney. Chez lui, ma toute belle, il y a place pour dix mille tête de gros bétail, voilà le vrai. Il 1 était donc sur le point d'épouser sa nièce, un doux chérubin que vous aimeriez oomme une sœur au bout de dix minutes. Juste votre âge et aussi gentille que vous... mais, vous savez, le désert ne plaît pas à tout ie monde : la chère créature est ha- bituée aux plaisirs des villes et là-bas elle ne voit guère que des bœufs et des ber- gers. Elle n'est pas prisonnière ; n'allez pas vous mettre cela dans l'esprit. Ce n'est pas une Parisienne comme moi qui vou- drait se mêler d'une histoire il y aurait un grain de violence. Seigneur Dieu ! j'ai assez pleuré aux drames de ia Gaieté, quand on voit une pauvre jeune victime, enchaînée par son tyran de tuteur dans un château féodal! Elle est libre comme l'air, mais elle s'ennuie, comprenez bien ce mot- à : elle s'ennuie jusqu'à maigrir, pâlir et dépérir. Le gentleman Jonathan poussa un sou- pir de taureau malade et Fanfare acheva: Elle s'ennuie jusqu'à mourir! Ces dernières paroles furent prononcées sans emphase et dans la juste intonation de la vérité. ' Il nous faut encore ici dire au lecteur que les faits de ce genre sont extrême- ment fréquents dans ces pays, la for- tune se paie au prix d'un dur exii. Ce ne sont pas seulement les fiancés qui pâlis- sent et s'étiolent sur ces lointains champs de bataille : on voit souvent des mères de famille, entourées pourtant de leurs en- fants, s'éteindre misérablement faute de respirer cet air civilisé, dont il est si'fa- . cilede médire et qui est nécessaire à leurs poumons. On sait cela là-bas. L'or qui vient en Europe est bien rarement pur de tout deuil, et la couvée des enfants enrichis laisse presque toujours derrière elle uùe ou plusieurs tombes. Pour ce qui regarde Fanfare elle-même, Nannette la connaissait seulement pour une ancienne voisine de carré, qui pou- vait avoir dépassé déjà de beaucoup sa «majorité, quand elle, Nannon, était encore une enfant, un peu sans-gêne de conduite, très fleuriste de manières,' mais au de- meurant bonne fille, comme il est conve- nu que le sont toutes les ouvrières pari- siennes. Il n'y avait donc autour de cette proposition qui lui tombait des nues, ni trop d'étrangeté, ni aucun motif de mélo- dramatique défiance. Aussi les réflexions de Nannette n'allè- rent-elles point de ce côté. Nannette son- gea à Roger, tout uniment, et aussi à l'é- tude de maître Piédaniel : le rêve de Ro- ger. Deux cent mille francs et ce qu'elle avait déjà ! C'était conquérir en quelques mois la possibilité d'un triomphant retour à Paris. Pendant qu'elle songeait, Fanfare et le gentleman Mitrshell échangèrent une œil- lade, et Fanfare reprit : Il faudrait que la chose fût décidée tout de suite. Tout de suite ! répéta Nannette avec hésitation. Oui, mon cœur, mon honorable ami repart cette nuit pour le comté de Rod- ney. J'étais chargée de lui trouver quel- qu'un, et je vous ai donné la préférence, quoique nous ne soyons pas tout à fait des amies â ce qu'il paraît. Je ne vous en veux pas au moins ! Mais ça m'a étonnée de voua voir faire la fière avec une personne dans ma situation. Moi, quand les souvenirs du pays s'en mêlent, me voilà partie! c'est plus fort que moi : je laisse trop voir la bonté de mon cœur. .. Si la chose ne vous va pas, nous pren- drons une nouvelle débarquée, et celle-là ne coûtera pas si cher. Il n'y a pas à m'en vouloir, ma toute belle, j'avais dit tant de bien de vous, qu'on vous offrait le même engagement qu'au docteur... Parlant ainsi avec volubilité et d'un ac- cent qui était la vérité même, elle se rap- procha de Nannette pour ajouter tout bas : C'est comme un prince, quoi ! La pe- tite femme est là-bas d;sns du coton ! vous sentez bien que s'il y avait n'importe quoi de louche, une personne dans ma situation ne s'en mêlerait pas. Vous aurez entendu conter bien des sottises sur la Californie et ce pays-ci, ma chère, mais croyez-moi, les gentlemen comme M. Mitchell ne se trouvent qu'une fois. Tel que vous le voyez, il jette un demi-mil- lion par la fenêtre, d'une seule poignée, pour ramener à la petite dame un confes- seur, un médecin et une amie. Un confesseur aussi ? dit Nannette. Il est si riche, mais surtout c'est la bête du bon Dieu. Le gentleman Jonathan était resté à la même place et regardait de loin cette con- férence avec une naïve inquiétude... (A suivre)

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LA FRANCE LIBRE '

ÉTAT C1VÏLQE LYOS^MAItltA «3-E»

Premier arrondissement. — Capelle,employé, place Rouville, 6, et Chabert,guimpière, rue de Dijoh, 31 ; Escallier,apprêteur, rue de Fiesselies, 20, et Cham-bonnier Jeny, rue de Fiesselies, 22 ; Ger-main, employé, boulevard de la Croix-Rousse, 141, et Crépier Antoinette, quaiSt-Clair, 2 ; Guyot, garçon boucher, mon-tée de la Grande-Côte, 128, et Martinon,ouvrière en soie, rue Vieille-Monnaie, 3 ;Raso, électricien, rue de la République,4, et Touache, s. p., place Colbert, 8 ;Christolhomme, boulevard du Nord, 63, etSchwab, s. p., quai Saint-Clair; Delpëut,commis télégraphiste, rite de la Charité,55, et Guény Louise, rue de la Républi-que, 6 ; Velay camioneur, rue du Bon-Pasteur, 44, et Simon, ménagère, mêmeadresse ; Viret, employé, place des Capu-cins, 5, et Dufiguier, s. p., rue des Jar-dins,^.

Deuxième arrondissement. — Berlhe,limonadier, cours Suchet, 42. et Husson,couturière, même adresse ; Buo, peintreen bâtiments, cours Lafayette, 118, etVieille, employée, rue Vendôme, 144 ;Vachon-Bourget, bourrelier, cours Char-lemagne, 7, et veuve Deschamps, épi-clère, à Oullins ; Raso, mécanicien, ruede la Préfecture, 4 ; et Touache, s. p.,place Colbert, 8 ; Rey, professeur d'es-

crime, rue Boissac, 9, et Roux, employée,à Saint-Marcellin (Isère) ; Baffert, repré-sentant de commerce, rue de i'Hôtel-de-Ville, 87, et Clavel, teinturière, quaiPierre -Seize, 07 ; Haour, employée, àChasse (Isère), et Détruit, s. p., rue Tho-massin, 22 ; Cottet, mécanicien, rue Fon-taine- au-Bois, 58,.Paris, et Léger, s. p.,rue Boissac, 9 ; Voraz, employé, placeBellecour, 8, et Molin, s. p., mêmeadresse ; Nidergang, employé, à Caluire,et. T'homay, couturière, rue Centrale, 48 ;Dorien du Souzy, avocat, rue Sala, 25, etArnal, s. p., rue Ponthieu, 58, Paris; Mon-tessuit, journalier, rue Franklin, 25, etet Adalbert, môme adresse; Collombon,employée, rue Franklin, 22, et Gaillard,s. p., rue Bourgelat, 10; Favre, employé,rueBngeaud, 123, et Préjoux, cuisinière,rue Sala, 60 ; Belpeut, télégraphiste, ruede la Charité, 55, et Gneny, s. p., rue dela République, 6 ; Biard, employé, ave-nue des Ponts, 6, et Fayotle, cuisinière,rue Boissac, 1 : Guicherd, plâtrier, rueFerrandière, 8, et Rouchouse, cuisinière, :même adresse ; Desmomans, chaudronnier, chemin de la Vitriolerle, 36, et Ge-neston, femme de chambre rue de l'Hô-tel-de Ville. 76 ; Pernod, employé, coursdu Midi, 26, et veuve Vernei, employé,rue Masséna, 102 ; Martin, ajusteur, rueDelandine, 18, et Saint-Jean, ourdisseuse,à la Mulatière.

Troisième arrondissement. — . Bardy,empl., rue Sébastien-Gryphe, 25, et Zip-fel, mécanicien, rue Montesquieu, 71 ; Bé-

iBili.iilllilllHIHIIII III I I IIIIIIIHII IIIIIII llllll'lMIIIIIIMimilWWIIW.IIIIIIIIIMI l'Ill'i'imilllMimiil III

rard, verrier, à Xérès (Espagne), et Ro-drigue, sans profession à Xérès (Espagne);Berlhe, limonadier, rue Suchet, 42, etHusson, couturière, même adresse ; Buis-son, corroyeiir, passdge Biétrix, 6, et Re-boullet coiffeuse, rue Rabelais, 105;- Clerc,facteur d'orgues, pi. de la Renaissance, etet Imbert, couturière, à Rive-de-Gier(Loire) ; Danbas, plâtrier, â Saint-Sorlin(Saône-et-Loire), et Boiron, sans profes-sion, rue Paul-Bert,12; Dufour, tapissier,rue Griliel, 18, et Eouard, couturière, rueGaribaldi, 253; Favre, empl., route d Hey-rieux, 158, et Varichon, couturière, routed'Heyrieux, 103 ; Fournier, graveur surbois, TJOUI. des Casernes, 3,. et Berthelier,sans orofession, à Viltefranche (Rhône) ;Julien, maçon, à Ecully (Rhône), et Alexis,lingère, rue Voltaire, 59; Lécollier, tein-turier, rue Bonuaud, 6, et Quiron, sansprofession, rue Panl Bert,259; Libes, me-nuisier, rue de Marseille, 79, et Tour-nalre, sans profession, même adresse ;Mangoul, empl. de commerce, rue Mari-

gnan, 13, et Blatteo, commerçante, mêmeadresse ; Michaucl, eorroyeur, rue du Re-pos, 30, et Petit-Laurent, journalière,même adresse ; Pijourlet, maçon, 22, rueMonoey, et Debroux, sans profession, àSainte-Paul (Rhône).

Seux, dit Balansard, rue Duguesclin,269. et Tubino, couturière, rue Robert.29 ; Tartarin, ferblantier, Chessy-les Mines(Rhône), et Cortial, couturière, rue deCréqui, 247; Thomas, cocher, rue Riboud,21, et Bancel, ménagère, Lamastre (Ardè-

i ii m » mu m muni i IPIIIIIIIIIIIHI» mu m i nmim im ni m mu mu inauBMi iipniiiiiwurni mil HKiHlll illMUllilil

1 che) ; Veillas, apprêteur, rue Sainte-Pau-line, 23, et Chanel, tisseuse, Tarare (Rhône) ; Velay, camionneur, rue Bon-Pasteur,44, et Simon, ménagère, rue du Colom-bier, 1 ; Vial, chauffeur, rue Boileau, 248,et Gaudard, même adresse ;Masset, jour-nalier, l'Arbresle (Rhône), et Balmont,chemisière, Saint- Fons; Biard, employé,Salnt-Fons, et Fayolle, cuisinière, rueBoissac, 1 ; Cevret, greffier de la justicede paix Ambérieu d'Azergues, et Alin, s.p., chemin de la Colombière, 1 ; Desmo-mans, chaudronnier, chemin de la Vitrio-lerie, 36, et Geneston, rue de l'Hôtel-de-Ville, 76 ; Gourbeyre, employé, rue Mon-tesquieu, 7 ; et Perchet, couturière, mêmeadressa ; Michaud, s. p., quai des Brot-teaux, 4. et Achard, brodeuse, rue Gari-baldi, 224; Micehel, linoonaaier, cours La-fayette, 29, et Mars, cuisinière, rue Pierre-Corneille, 96 ; Pertinax, chamoiseur, ruePaul Bert, 301, et Maître, couturière, mêmeadresse.

Quatrième arrondissement. — Marguin,teinturier, cours d'Herbouville, 37, etBourgeois, domestique, place de la Bou-cle, 1; Capelle, employé place Rouville,6, et Chabert, guimpière, ue de Dijon, 31 ;Le^ollier, teinturier, rue Bonnand, 6. etQuiron, sans profession, rue Paul-Bert,259 ; Clapisson, employé, rue de l'Enfance,32 et Didier, tisseuse, rue Jacquard, 7 ;Massot, employé rue d'Austeriitz, 17, etArnaud, couturière, rue Glgodot, 8 ; Dru-jon correcteur, rue Censier, 23 Paris, etJournaud, employée, rue de l'Enfance, 1 ;

Germain employé, boulevard de la Croix-Rousse, 141 et Crépier, sans profession,quai Saint- Clair, 2.

Cinquième arrondissement. — AugustinAubignat, commerçant, rue Saint-Georges.23, et Lombard, lingère, quai de l'Arche-vêché, 7 ; Baffert, représentant "de com-merce, rue de l'Hôtel-de-Ville, 87, et Cla-vel, teinturier-dégraisseur, quai Pierre-Scice, 67 ; Delorme, employé, impasse Ro-quette, 2, et Fergey, mécanicienne, ruedes Bains, 5; Goumaz, orfèvre, rue desFarges, 29, et Vincendon, sans profession,rue des Farges, 31 ; Granjon, marehandde vin, chemin de Choulans, 66, et Bau-drion, cuisinière, montée des Génoééfains,3; Kramer, peintre-décorateur, chemin deFrancheville, 136, et Durand, rue Four à-Chaux, 14, Marseille ; Manevy, employé,Ste Foy-Jès-Lyon, et Mort, dévideuse, ruedu Manteau- Jaune, 4 ; Mathieu, tourneur-mécanicien, rue du Doyenné, 46, et Per-nol, pailleuse de chaises, rue Lainerie, 3 ;Polossal, balancier, Saint-Rambert-l'Ile-Barbe, et Gavard, repasseuse, impasseRoquette. 2 ; Ritout, employé, quai Ful-chiron, 40, et Fauconnet, corsetière, che-min des Quatre-Maisons, 60 ; Spay, ou-vrier en fabrique, place St- Didier, 2, etGodet, ouvrière, rue de Bourgogne, 14 ;Viret, employé, place des Capucine, 25, etDufiguier, sans profession, rue des Jar-din. 5 ; Roissy, maçon*, rue Mazenod, 86,et D-ssroches, cuisinière, rue Part-Dieu,62 ; Bouchard, marinier, Màcon, et Passot,employée de commerce, rue St-Cyr, 32;

minimum i un ' iiniiii inniumn«riil«il

Gelas, employé P.-L.-M,, rue du Mont-d'Or, 3,etBrondel, tulliste, même adresseLacarille, employé, rue du Bourbonnais93, et Moirof, sans profession, même a-dresse ; Chainey, forgeron, quai de Vaise -30, etGaime, cuisinière, Lucenay (Rhône)'.

Sixième arrondissement. — Bue, peintreen bâtiments, cours Lafayette, 118, etVieille,! employé, rua de Vendôme, 144*Chadebech, maçon, rue de Sully, lis, etVve Buchenaud, commerçante, rue' deSully, 118; Christolhomme, boulevard duNord, 63, et Schwab, s. p., quai Saint-Clair, 5; Debeaux, bijoutier, rue Tête-d'O, 85, et Buer, piqueuse, rue Bugeaud87: Frappa, terrassier ruedesCharmettes'75, et Burille, ouvrière en soie, mêmeadresse ; Favre, employé, rue Bugeaud,123, et Préjoux, cuisinière, rue Sala, 60 •Girerd, manoeuvre, rue Tête-d'Or, 117'et Graaier, couturière, même adresse •'Jaillet, imprimeur liîhographe, rue Bos-suet, 36, et Tubinot, couturière, rue Ro-bert, 29 ; Michaud, p. quai der Brotteaux4. et Achard, brodeuse, rue Garibaldi, 224-Batlivet, rue Pierre- Corneille, 43. et Far-del, r., Jean-Claude Vivant, 51, Villette ;Goudet, employé, Saint- Vincent (Haute-Loire), Badin, polisseuse, avenue deNoailles, 63 ; Pagptti, voiturier, boulevarddes Brotteaux. 64, et Ribeyre, ovalistemême adresse ; Monard. comptable, coursViUon, 47, et Fourneau, couturière, mê-me adresse; Pernod, employé, cours duMidi, 26, et Vernet, employée, rue Mas-séna, 102.

FEUILLETON DE « LA FRANCE LIBRE »du 10 janvier 1898

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PAR P«UL FÉVAIs

Nannette n'avait pas encore prononcéune parole. Elle releva sur l'ancienne en-trepreneuse un regard de froid étonne-ment. Fanfare fut d'abord quelque peudéconcertée, car, en principe, il est facileà l'honnêteté de garder .sa distance. Maisl'effronterie a aussi sa force: Fanfare nefut déconcertée qu'un instant.

— Je suppose que tu a oublié de nousoffrir un fauteuil à chacun, bébelle, re-prit-elle avec plus de calme. Nous venonsde loin... et pour te rendre service, en-core.

— Pour me rendre service? prononçaenfin Nannette , qui désigna de la maindeux sièges.

-Fanfare en poussa un à M. JonathanMitchell, énorme et robuste citoyen bor-

'gne de l'œil droit, très mal a l'aise dansun costume de squatter fashionable. M. Jo-nathan Mitchell s'assit en toussant, sa-luant et donnant des signes de gêne danssa cravate.

Fanfare, avant de s'asseoir à son tour,trouva moyen de glisser à l'oreille deNannette :

— Ne fais pas trop ta tête , ma petiteC'est un négociant de plus d'un million etdemi sterling.

Je ne vous comprends pas, dit tout hautla jeune fille.

— Tiens, tiens ! au fait c'est vrai, répli-qua la suzeraine de l'Oiseau-Jaune. Onus se tutoyait pas à Paris. Vous m'excu-serez, mademoiselle Nannette ; si loin dupays, on a le coeur remué en retrouvantune compatriote du même quartier, de la

même maison et du même carré aussi.J'ai réussi à l'étranger, ça me donne enviede tâcher que mes amis fassent de même.Quand à craindre une histoire qui feraittort à la morale, vous me prenez pour uneautre, ma chère demoiselle!

Ceci fut dit d'un ton net et tranchant, oùil y avait apparence de vérité. M. Jona-than Mitchell, qui semblait peu éloquentponctua néanmoins cette déclaration d'ungeste très énergiquement honnête etbaissa la paupière de son bon œil.

Nannon, nous le verrons, avait envie etbesoin de faire rapidement sa fortune.Nannon s'assit et dit :

— Madame, je vous remercie de l'inté-rêt que vous me portez. Je suis très heu-reuse, en effet, chaque fois que je metrouve avec des compatriotes.

Fanfare cligna de l'œil à l'adresse deM. Jonathan Mitchell qui avait mis sonchapeau entre ses jambes et gardait l'im-mobilité du rustre, fourvoyé par hasarddans un salon.

— Vous voyez bien! vous voyez bien!dit-elle. Que vous avais je dit, mon chermonsieur?

Jonathan, pour toute réponse, lança unéclat de toux retentissant.

— Très aimable quand elle veut, cetteenfant-là, poursuivit Fanfare à demi-voix,mais terriblement collé monté... bien,bien, cher monsieur !

Je sais que pour vous on ne l'est jamaistrop et voilà pourquoi je vous ai amenéchez Mlle Nanette.

Celle ci réfléchissait. Les paroles deFanfare faisaient impression sur elle.

Nous sommes obligés de mettre ici lelecteur en garde contre le danger de toi-ser la présente situation à l'aide du mè-tre européen. En Europe, â Paris, unesemblable scène appartiendrait à la vul-gaire comédie. Nous ne disons point quepersonne n'y serait pris, car chaque jourvoit, dass la capitale du monde civilisé,des duperies encore plus grossières, maisnous avouons que le piège ne serait pashabilement tendu, si toutefois piège il yavait.

Mais là bas, la demande et l'offre, enquelque matière que ce soit, prennant desphysionomies bien autrement naïves. Acet égard, il n'y a ni respect humain, nidiplomatie. C'est l'Angleterre perfection-née d'un côté, ramenée de l'autre plusprès de l'état sauvage. Tout est possibleen fait de transactions. Le roman et laréalité se mêlent. Ce qui, chez nous, pa-raîtrait, à bon droit,une excentricité pué-rile, est, ici, le train-train delà vie com-mune. Nannon, désormais, attendait, pru-dente, mais non incrédule.

— Combien gagnez-vous ma chérie ?demanda tout à coup Fanfare.

— Mes aflaires vont à ma complète sa-tisfaction, répondit simplement Man-nette.

— C'est que voyez-vous, ma belle, l'ar-gent est toujours au fond de tout, pasvrai ? Votre maison est gentillette, maisles ouvrières doivent être rares et chèresà Melbourne. Si par hasard vous vous fai-siez par an, je suppose, deux centmille écus, nous n'aurions plus rien àdire...

— Je ne me fais ni cent mille écus, nimême deux cent mille francs, interrompitNannette.

— Hein? fit la vicomtesse parlant augentlement Jonathan, voila quelle fran-chise nous avons, nous autres Françaises!Ma chère demoiselle, reprit -elle, il s'a-girait de rafler tout d'un coup, précisé-ment, cette somme-là, deux cent millefrancs : je dis quarante mille dollars pour§tre bien comprise de M. Mitchell, quiest Américain, dans un espace de six moisau plus et peut-être beaucoup moins.

— Faudrait -il quitter Melbourne ? de-manda Nannette.

— Naturellement.— Et quel métier gagnerais-je ces deux

cent mille francs ?— Au métier d'ange consolateur, Je ne

plaisante pas, mademoiselle. Vous m'a-vez témoigné déjà que vous n'aimez pasla familiarité ; moi, je suis à la bonnefranquette ; mais, en définitive, je n'aiaucun intérêt à passer malgré vous pour

votre amie intime. J'ai mon rang, si vousavez une petite position. Je parle donctrès sérieusement, et je répète qu'il s'a-git d'une bonne action, en même tempsque d'un coup de fortune.

Une bonne action, en vérité, grommelale gentlemen Mitchell en anglais du Far-West, une très bonne action ou que jesois pendu !

Fanfare fit signe de se taire, ostensible-ment et d'un geste souriant.

— Voilà le langage de ces honnêtesmarins, dit- elle. Une anglaise hypocriteserait scanlalisée; mais nous autres Pa-risiennes, nous ne sommes pas des femel-les de Tartufe puritain. Cependant, de-mandez pardon, je vous prie, monsieurMitchell...

Jonathan ouvrit la bouche pour obéir ;mais Nannette répartit carrément :

— Le gentleman peut parler comme ilvoudra, pourvu que l'affaire soit exposéeavec clarté. J'écoute.

— Hein ! mister Jonathan, s'écria Fan-fare, est-ce carré? Eh bien! ma toute belle,reprit-elle, il s'agit d'empêcher un grand

'malheur. M. Mitchell est un squatterpuissamment riche, jeune et bien fait desa personne, qui a acheté du gouverne-ment une station dans le Rodney. Chezlui, ma toute belle, il y a place pour dixmille tête de gros bétail, voilà le vrai. Il

1 était donc sur le point d'épouser sa nièce,un doux chérubin que vous aimeriezoomme une sœur au bout de dix minutes.Juste votre âge et aussi gentille que vous...mais, vous savez, le désert ne plaît pas àtout ie monde : la chère créature est ha-bituée aux plaisirs des villes et là-bas ellene voit guère que des bœufs et des ber-gers.

Elle n'est pas prisonnière ; n'allez pasvous mettre cela dans l'esprit. Ce n'estpas une Parisienne comme moi qui vou-drait se mêler d'une histoire où il y auraitun grain de violence. Seigneur Dieu ! j'aiassez pleuré aux drames de ia Gaieté,quand on voit une pauvre jeune victime,enchaînée par son tyran de tuteur dansun château féodal! Elle est libre comme

l'air, mais elle s'ennuie, comprenez bience mot- à : elle s'ennuie jusqu'à maigrir,pâlir et dépérir.

Le gentleman Jonathan poussa un sou-pir de taureau malade et Fanfare acheva:

— Elle s'ennuie jusqu'à mourir!Ces dernières paroles furent prononcées

sans emphase et dans la juste intonationde la vérité. '

Il nous faut encore ici dire au lecteurque les faits de ce genre sont extrême-ment fréquents dans ces pays, où la for-tune se paie au prix d'un dur exii. Ce nesont pas seulement les fiancés qui pâlis-sent et s'étiolent sur ces lointains champsde bataille : on voit souvent des mères defamille, entourées pourtant de leurs en-fants, s'éteindre misérablement faute derespirer cet air civilisé, dont il est si'fa-

. cilede médire et qui est nécessaire à leurspoumons.

On sait cela là-bas. L'or qui vient enEurope est bien rarement pur de toutdeuil, et la couvée des enfants enrichislaisse presque toujours derrière elle uùeou plusieurs tombes.

Pour ce qui regarde Fanfare elle-même,Nannette la connaissait seulement pourune ancienne voisine de carré, qui pou-vait avoir dépassé déjà de beaucoup sa«majorité, quand elle, Nannon, était encoreune enfant, un peu sans-gêne de conduite,très fleuriste de manières,' mais au de-meurant bonne fille, comme il est conve-nu que le sont toutes les ouvrières pari-siennes. Il n'y avait donc autour de cetteproposition qui lui tombait des nues, nitrop d'étrangeté, ni aucun motif de mélo-dramatique défiance.

Aussi les réflexions de Nannette n'allè-rent-elles point de ce côté. Nannette son-gea à Roger, tout uniment, et aussi à l'é-tude de maître Piédaniel : le rêve de Ro-ger.

Deux cent mille francs et ce qu'elle avaitdéjà ! C'était conquérir en quelques moisla possibilité d'un triomphant retour àParis.

Pendant qu'elle songeait, Fanfare et le

gentleman Mitrshell échangèrent une œil-lade, et Fanfare reprit :

— Il faudrait que la chose fût décidéetout de suite.

— Tout de suite ! répéta Nannette avechésitation.

— Oui, mon cœur, mon honorable amirepart cette nuit pour le comté de Rod-ney. J'étais chargée de lui trouver quel-qu'un, et je vous ai donné la préférence,quoique nous ne soyons pas tout à fait desamies â ce qu'il paraît. Je ne vous en veuxpas au moins ! Mais ça m'a étonnée de vouavoir faire la fière avec une personne dansma situation. Moi, quand les souvenirs dupays s'en mêlent, me voilà partie! c'estplus fort que moi : je laisse trop voir labonté de mon cœur. . .

Si la chose ne vous va pas, nous pren-drons une nouvelle débarquée, et celle-làne coûtera pas si cher.

Il n'y a pas à m'en vouloir, ma toutebelle, j'avais dit tant de bien de vous,qu'on vous offrait le même engagementqu'au docteur...

Parlant ainsi avec volubilité et d'un ac-cent qui était la vérité même, elle se rap-procha de Nannette pour ajouter toutbas :

— C'est comme un prince, quoi ! La pe-tite femme est là-bas d;sns du coton ! voussentez bien que s'il y avait n'importequoi de louche, une personne dans masituation ne s'en mêlerait pas. Vous aurezentendu conter bien des sottises sur laCalifornie et ce pays-ci, ma chère, maiscroyez-moi, les gentlemen comme M.Mitchell ne se trouvent qu'une fois. Telque vous le voyez, il jette un demi-mil-lion par la fenêtre, d'une seule poignée,pour ramener à la petite dame un confes-seur, un médecin et une amie.

— Un confesseur aussi ? dit Nannette.— Il est si riche, mais surtout c'est la

bête du bon Dieu.Le gentleman Jonathan était resté à la

même place et regardait de loin cette con-férence avec une naïve inquiétude...

(A suivre)