La Flottille

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LA FLOTTILLE LA FLOTTILLE THOMAS SOMMER-HOUDEVILLE SOLIDARITé INTERNATIONALE ET PIRATERIE D’éTAT AU LARGE DE GAZA

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Thomas Sommer Houdeville

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ISBN 978-2-35522-032-6

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Thomas sommer-houdeviLLe

La FLoTTiLLesoLidariTé inTernaTionaLe eT piraTerie d’éTaT au Large de gazapréface de michael Warschawski

Au printemps 2010, depuis les ports de Grèce, de Chypre et de Turquie, plusieurs embarcations s’élancent vers Gaza, chargées d’aide humanitaire. C’est la « Flottille de la liberté ». Quelques jours plus tard, on dénombre neuf morts, abattus par les commandos de l’armée israélienne. Les images de l’assaut font la une des journaux. Que s’est-il passé ? Qui sont ces militants pro-Palestiniens ? Quelles étaient leurs motivations ?

Dans ce livre-témoignage, Thomas Sommer-Houdeville, l’un des organisateurs, revient sur les événements tels qu’ils furent vécus par les membres de cette campagne de solidarité internationale d’un nouveau genre. Il fait le récit d’une aventure humaine où les petites histoires croisent sans cesse la grande.

Depuis les premières réunions de préparation jusqu’à l’assaut meurtrier, on y voit se tisser les liens d’une coalition improbable, animée par des personnages hauts en couleur : une ancienne prix Nobel de la paix irlandaise, des militants islamiques turcs, des altermondialistes américains, un écrivain suédois… Au-delà de leurs particularités, un combat les regroupe : la solidarité avec le peuple palestinien, devenu le symbole contemporain de la lutte contre l’oppression.

En filigrane du témoignage, ce livre esquisse une réflexion sur ce que peut être l’engagement internationaliste aujourd’hui. Alors que semble s’imposer partout l’idéologie du « choc des civilisations », comment peut-on rebâtir concrètement les liens fragiles d’une solidarité internationale ?

Thomas Sommer-Houdeville est chercheur en science politique, salarié de l’ONG altermondialiste Focus on the Global South et coordinateur de la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien (CCIPPP).

Photo de couverture : prise d’assaut de la Flottille d’aide pour Gaza par l’armée israélienne, 31 mai 2010 © URIEL SINAI/POOL/EPA/Corbis.

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Thomas Sommer-Houdeville

La FlottilleSolidarité internationaleet piraterie d’Étatau large de Gaza

Préface de

Michael Warschawski

Zones

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Le label « Zones » est dirigépar Grégoire Chamayou.

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ISBN : 978-2-35522-032-6

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PRÉFACEUN PETIT TRAFALGAR ISRAÉLIEN

Par Michael Warschawski

Une initiative militante a rare-ment pu avoir des répercussions politiques aussi pro-fondes et un impact à aussi long terme que celle connueaujourd’hui dans le monde entier sous le nom de « Flot-tille de la liberté ». Pourtant, ce n’était pas la premièrefois que des amis de la cause palestinienne et des mili-tants des droits de l’homme prenaient la décision de ten-ter de briser symboliquement le siège de Gaza imposépar les autorités israéliennes depuis plus de six ans : àplusieurs occasions, des bateaux ont essayé de braver leblocus et de rejoindre Gaza, parfois même avec succès.Cette fois, pourtant, un acte de solidarité militante inter-nationale s’est transformé en un événement politiquemajeur qui change d’ores et déjà la donne stratégique auMoyen-Orient.

En fait, et comme c’est souvent le cas, c’est la réac-tion, à première vue surprenante et irrationnelle, desautorités civiles et militaires israéliennes qui a fait de laFlottille de la liberté un événement politique majeur dontles répercussions ne sont pas prêtes d’arrêter de se fairesentir. En arraisonnant un navire turc dans les eaux

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internationales et en assassinant neuf citoyens turcs, lesautorités israéliennes ont ouvert la voie à un change-ment majeur des alliances politiques au Moyen-Orient.Le voulaient-elles ? Pas vraiment, et c’est précisémentce qui, du point de vue interne de l’État d’Israël, est gra-vement révélateur dans cette affaire : la classe politiqueest irresponsable, irréfléchie et ignorante des réalitésgéopolitiques régionales. En fait, l’État d’Israël estdevenu une espèce de gang de voyous pour lequel la vio-lence est le seul et unique modus operandi.

Le massacre de Gaza au cours de l’hiver 2008-2009 amis en lumière cette réalité nouvelle d’une manière tragi-que. Ce n’est pas qu’Israël ait hésité auparavant à faireusage de brutalité et à commettre des massacres pourimposer sa politique. Pour n’en mentionner qu’un seul,le massacre de Jénine pendant l’opération « Rempart »avait montré jusqu’où le pouvoir israélien était prêt àaller en juin 1967 pour imposer son contrôle colonial surles territoires palestiniens occupés. Mais le massacre deGaza a marqué un changement : « Nous avons montréque nous sommes capables de péter les plombs (sic) »,avait alors annoncé la ministre des Affaires étrangèresTsipi Livni, pourtant considérée comme une femme rai-sonnable comparée au reste de l’équipe dirigeante israé-lienne. Dans une large mesure, le massacre de Gaza étaitun message envoyé par le gouvernement israélien (et quin’était pas encore celui d’extrême droite que l’on connaîtactuellement) au nouveau président américain dontl’élection avait effrayé la classe politique israélienne :« N’imagine même pas que tu puisses nous pousser au-delà des lignes rouges que nous avons fixées, car nous

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sommes bel et bien capables de tout casser, de péter lesplombs. »

Le message israélien a été reçu cinq sur cinq : l’appeldu Caire lancé par le président Obama en juin 2009 pourdéfinir les grandes lignes de la stratégie internationaleétats-unienne s’est soldé par une fin de non-recevoir dela part des dirigeants israéliens, et l’administrationdémocrate a fait marche arrière, y compris en ce quiconcerne la demande minimaliste de geler pour quel-ques mois la poursuite de la construction dans les colo-nies de Cisjordanie, ridiculisant ainsi le président améri-cain. Si certains commentateurs pensent qu’Obama nerenoncera pas et attendra son second mandat pour met-tre en œuvre son projet stratégique, il n’en est pas moinsvrai que personne ne peut prédire de quoi sera fait leProche-Orient dans les trois prochaines années avec,aux rênes du gouvernement israélien, les pire va-t-en-guerre qu’on ait jamais connus. Pour Benyamin Neta-nyahou et Avigdor Lieberman, Barak Obama est uneerreur de parcours qui sera corrigée aux prochainesélections, avec, croient-ils, un retour à une administra-tion néoconservatrice et à sa stratégie de guerre contrele monde musulman.

Mais c’est précisément parce que cette stratégie deguerre globale et permanente menée par George W.Bush et son administration a échoué et affaibli la posi-tion internationale des États-Unis que ces derniers ontété remplacés par les démocrates. D’autant plus quenous sommes témoins d’un véritable glissement tectoni-que dans le Grand Moyen-Orient, la crise turco-israé-lienne en étant l’exemple le plus marquant. En effet,l’incident de la Flottille de la liberté a mis à mal l’alliance

Préface. Un petit Trafalgar israélien

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turco-israélienne qui a pourtant été la pièce maîtresse dela stratégie occidentale en Méditerranée orientale. Leprésident turc n’a-t-il pas déclaré, fin 2010, qu’Israëlreprésentait un danger stratégique pour la Turquie,annonçant un rapprochement avec l’Iran ? Tout cela, lesdirigeants israéliens n’ont pas su le prévoir, et l’ontmême provoqué, faisant preuve d’un aveuglement sur-prenant. Avant même le massacre du Mavi Marmara, levice-ministre israélien des Affaires étrangères se vantaitdevant les médias d’avoir humilié l’ambassadeur turc enle faisant s’asseoir sur un tabouret pour pouvoir le regar-der de haut (sic). Pire, alors que la crise avec la Turquieest à son paroxysme, le ministre israélien des Affairesétrangères a déclaré que la tension avec Ankara nedérangeait en rien les Israéliens, ceux-ci ayant toujoursla possibilité de se retourner vers la Grèce. Comme si leministre français des Affaires étrangères, confronté àune crise grave avec l’Allemagne, réagissait en disant :« Ce n’est pas grave, on va remplacer l’alliance franco-allemande par un rapprochement avec le Luxembourg ! »

« Péter les plombs », c’est bien l’expression quiconvient. Il semble que depuis le massacre de Gaza, lecapitaine est ivre et qu’il conduit le vaisseau israéliendroit sur les écueils. Certes, le naufrage sioniste n’estpas pour demain, et l’État d’Israël est encore une puis-sance militaire et économique qui jouit d’un large sou-tien international, en particulier dans le cadre de laguerre globale contre l’islam qui est loin d’être terminée,même si Obama a cru bon d’y mettre un bémol. Il estnéanmoins de plus en plus clair que la classe dirigeanteisraélienne est atteinte d’hybris, cette dangereuse folie

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des grandeurs que provoque l’usage incontrôlé de laforce.

Seule l’impuissance des régimes arabes et de ladirection nationale palestinienne laisse encore à Israëlles marges de manœuvre lui permettant de poursuivre sapolitique de colonisation de la Cisjordanie et de blocuscriminel de la bande de Gaza. Voilà le mérite et l’impor-tance de la Flottille de la liberté : rappeler au mondeentier que, derrière les gesticulations stériles de lacommunauté internationale et ses discours vides sur le« processus de paix », la réalité est faite de colonisationet de blocus.

En ce sens, la prochaine Flottille internationalecontre le blocus de Gaza doit être un moment fort de lamobilisation internationale et aucun effort ne doit êtreéconomisé pour qu’un bateau français y prenne place.Parallèlement, il est impératif de renforcer encore plus lacampagne internationale pour le BDS (« Boycott, désin-vestissement et sanctions »). Avec le massacre de Gaza,celle-ci a pris un nouvel essor et réussi à pousser l’Étatd’Israël à la défensive. Pour preuve, la décision du gou-vernement Lieberman-Netanyahou à criminaliser tousceux et celles qui, en Israël, y participent, directement ouindirectement. Cette mesure législative israéliennes’inscrit dans les tentatives européennes – et françaisesen particulier – de criminaliser le BDS, portant ainsiatteinte à certaines libertés fondamentales dans un paysà prétentions démocratiques. En ce sens, la solidaritéavec le peuple palestinien se combine de plus en plus, enEurope, avec le combat pour les libertés démocratiques,comme le montre ce qu’on appelle déjà l’« affaire Hes-sel ».

Préface. Un petit Trafalgar israélien

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Ne nous y trompons pas : la Flottille de la liberté neconcerne pas que la liberté des femmes et des hommesde Gaza. Elle portera le drapeau de nos libertés à touteset à tous, d’Helsinki à Johannesburg, face à un ordremondial qui utilise l’État d’Israël pour tester les nou-veaux outils de répression, de contrôle et de remise enquestion du droit, utilisés hier contre le peuple palesti-nien, aujourd’hui contre les Roms de France et demaincontre tous ceux et celles qui refusent de se résignerface à la violence, l’injustice et la loi du plus fort.

Michael Warschawskijanvier 2011

Michael Warshawski, journaliste et mili-tant pacifiste israélien, est le fondateur del’Alternative Information Center à Jéru-salem.

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Première partie

Retoursur une idée folle

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1. OPÉRATION « CODE PINK » AU CAIRE

Le Caire, 28 décembre 2009,6 heures du matin. Un parking déserté près de la placeprincipale se remplit peu à peu d’une foule étrange. Toussont des étrangers, mais ils ne ressemblent pas aux tou-ristes qui visitent d’habitude l’Égypte à Noël. Certainsont des banderoles, d’autres portent des paquets.Beaucoup ont l’air en colère. Ils forment des groupescompacts, mais ne se mélangent pas. Deux bus entrentlentement dans le parking. Ils sont entourés de policiersantiémeutes qui, très vite, forment un cordon autour desvéhicules. D’autres flics les rejoignent, et d’autresencore encerclent le parking. Malgré une certaine ten-sion, perceptible, la police égyptienne, réputée pour saviolence, reste étonnamment calme. En fait, les policiersse sont habitués : cela fait près d’une semaine qu’un peuplus de 1 400 militants venus des quatre coins de la pla-nète se rassemblent au Caire pour se diriger vers Gaza.Depuis quatre jours, des manifestations spontanéess’enchaînent. Un groupe de deux cent cinquante Fran-çais campe devant l’ambassade de France, tandis qued’autres ont déployé un immense drapeau palestinien en

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haut des pyramides. Tout cela devant les médias dumonde entier. Pourtant, rien n’y fait, malgré la bronca,malgré les négociations avec le gouvernement égyptien,la marche de la liberté vers Gaza est interdite.

L’idée de cette marche vers Gaza depuis l’Égypte aémergé aux États-Unis entre décembre 2008 et jan-vier 2009, tandis qu’un déluge de bombes israéliennesfrappait Gaza. Alors que, partout dans le monde, desmanifestations se succédaient pour dénoncer les mas-sacres, une poignée de militants canadiens et améri-cains, membres d’une organisation pacifiste, « CodePink 1 », eurent l’idée d’organiser une marche de solida-rité vers Gaza pour dénoncer les massacres et le siègedont sont victimes les Palestiniens depuis la victoire duHamas aux élections près de trois ans plus tôt. CodePink, qui avait par le passé réussi à faire entrer à Gazaplusieurs délégations américaines d’une dizaine de per-sonnes depuis l’Égypte, pensait pouvoir rééditer l’opéra-tion, avec cette fois des dizaines de militants américainset internationaux. Mais personne n’avait prévu un affluxaussi massif. Ce ne sont pas des dizaines de militantsqui ont décidé de répondre à l’appel, mais des centai-nes, venus des cinq continents. Entre le mois de juin etle mois de novembre 2009, plusieurs centaines de per-sonnes se sont inscrites sur le site Web de l’organisa-tion pour participer à cette marche. Des dizaines d’orga-nisations et de coalitions d’une trentaine de pays ontannoncé leur volonté d’être présentes au Caire endécembre. Tout le monde, Code Pink en premier, a été

1. Code Pink est une organisation antiguerrecréée en 2002 aux États-Unis (www.codepink4peace.org).

Retour sur une idée folle

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surpris par l’ampleur de la mobilisation internationaleautour de la marche. Comment faire pour organiserautant de gens, autant d’organisations qui ne seconnaissent pas, qui n’ont pas l’habitude de travaillerensemble, ou si peu ? Si l’écho international de la mar-che est un indiscutable succès, c’est aussi pour nous unréel problème. Nous ne sommes prêts ni politiquementni matériellement à assumer un tel regroupement inter-national. D’autant plus que le gouvernement égyptien apris peur, de sorte qu’une semaine avant le lancementofficiel de la marche il est revenu sur ses engagementsoraux et a décidé de l’interdire publiquement. D’accordpour des petites délégations peu médiatiques, mais unemarche de 1 500 personnes à travers l’Égypte jusqu’à lafrontière, avec en prime la présence des caméras dumonde entier, c’est « niet ». Il n’est pas difficile decomprendre que le régime de Moubarak, qui fait office degarde-chiourme de ce côté-ci de la frontière avec Gaza,ne veut pas mécontenter le patron américain, ni enveni-mer les choses avec Israël. Par ailleurs, le régime égyp-tien a ses propres problèmes avec le Hamas et les Frèresmusulmans qui forment l’un des piliers de l’opposition,ici, en Égypte. Le résultat, c’est que nous nous retrou-vons en opposition frontale avec le gouvernement égyp-tien. Ce que nous ne voulions pas. Car, malgré le peud’affection que nous avons pour le régime corrompu etautoritaire de Moubarak, notre objectif est de dénoncerles massacres commis par l’armée israélienne contre lesPalestiniens, le blocus de Gaza, la crise humanitaire quiy règne et l’hypocrisie de la communauté internationale.L’Égypte n’arrivant que bien après sur la liste… Et nousvoilà pris dans d’interminables discussions entre ceux

Opération « Code Pink » au Caire

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d’entre nous qui pensent que plus nous ferons du bruitau Caire, moins on parlera de Gaza et des crimesd’Israël, et les autres, qui n’en peuvent plus d’attendre etqui pensent que si l’Égypte a décidé de nous empêcherde passer, elle doit en payer le prix politique. Bref, plusla tension monte avec l’Égypte et plus elle monte entrenous.

Cela fait donc quatre jours que nous enchaînons lestentatives de départ en bus, les manifestations avortées,les sit-in et les flash-mob dans les rues du Caire. Rien n’yfait, nous sommes bloqués. Nous n’avons pas le droitd’approcher de Rafah, la frontière avec Gaza qui restefermée depuis des mois. C’était le cas du moins jusqu’àla veille au soir, où, comme tous les coordinateurs desdélégations présents au Caire, j’ai reçu un coup de filsibyllin de l’un des responsables du groupe américainqui coordonne avec les autres délégations la marche surGaza : « Le gouvernement égyptien est d’accord pourque deux bus entrent à Gaza. C’est Alice Walker et HedyEpstein qui ont été reçues par l’épouse de Moubarak etl’ont convaincue de faire un geste. Nous avons deux bus.Cent personnes. Pas une de plus. Si vous le souhaitez,une personne de votre délégation pourra monter dans lebus, vous avez quinze minutes pour nous donner unnom. » Je reste sans voix. Dans ma délégation, noussommes près de cent cinquante Français, plus une délé-gation d’une dizaine d’intellectuels indiens envoyés parFocus on the Global South, l’ONG pour laquelle je tra-vaille. Une sur 160, 100 sur 1 400, j’imagine déjà la frustra-tion et la colère de tous ceux qui ne pourront pas passer.Évidemment, en un quart d’heure, nous n’avons pas le

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temps d’organiser une assemblée générale de la déléga-tion. Pendant quinze minutes, je téléphone donc à tout lemonde, aux amis grecs qui sont là, aux camarades fran-çais, aux amis palestiniens à Gaza. Tout le monde est àla fois furieux de la façon dont les choses se sont négo-ciées et, en même temps, tout le monde s’accorde pourdire que nous avons besoin d’une victoire sur le blocus,même symbolique. Je sais que l’autre groupe deFrançais vient de refuser de monter dans le bus. Poureux, ce sera tout ou rien : une délégation réduite donne-rait l’impression de nous diviser. Nous nous décidonscependant à envoyer un représentant. Ce sera Yazid, l’undes jeunes dirigeants de « Génération Palestine 1 » enFrance. Il a fait un boulot incroyable et tout le mondechez nous le respecte énormément. Je rappelle les Amé-ricains et je donne son nom. Rendez-vous est pris pourle départ le lendemain matin, 6 heures. Dans la nuit,toute la délégation est réveillée, nous donnons à Yazidl’argent récolté pour le Palestinian Center for HumanRights de Gaza et une partie des sacs de médicamentsque nous avions prévu d’apporter. Quelques heures plustard, nous voilà sur ce fameux parking entouré par lapolice antiémeutes. Mais, alors que, un par un, les mem-bres de la délégation sont montés dans les deux busaprès avoir été contrôlés par des officiels égyptiens, lascène devient surréaliste. Entre ceux qui sont là pouraccompagner les militants qui partent à Gaza, ceux quisont venus manifester contre la délégation, considérantque nous nous sommes couchés devant les autorités

1. Organisation de jeunes d’Europe luttantpour la reconnaissance et le respect des

droits des Palestiniens (www.generation-palestine.org).

Opération « Code Pink » au Caire

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égyptiennes, et d’autres encore qui veulent à tout prixmonter dans les bus, c’est un joli bordel et les nomsd’oiseaux volent. Soudain, nous voyons nos camaradesdans les bus se lever, s’agiter et s’engueuler entre eux àleur tour. Coup de téléphone de Yazid : « Les Égyptienssont en train de nous provoquer, ils viennent de nous lireun communiqué annonçant que les gens qui sont dansles bus ont été choisis par le gouvernement égyptienparce qu’ils ont respecté les ordres du gouvernement etque les autres ne sont que des voyous et qu’ils seronttraités comme tels ! Ils sont en train de nous diviser ! Jene reste pas une minute de plus ! » J’approuve. C’est lafoire d’empoigne sur le parking et dans les bus,l’engueulade est générale entre ceux qui sortent desbus, ceux qui veulent y entrer, les autres qui veulent lesen empêcher. La police égyptienne fait mine de charger.Yazid et la majeure partie de la délégation sortent finale-ment des cars. Fin de l’histoire, il n’y aura pas de déléga-tion de la marche de la liberté à Gaza. Le siège ne serapas brisé, même symboliquement. La pression politiqueest trop forte et nous pas assez préparés. Nous avonsperdu… ce coup-ci. Avant de quitter Le Caire, nousavons une discussion avec quelques amis. Vangelis Pis-sias, le coordinateur grec, nous annonce qu’ils vontenvoyer un ou deux bateaux à Gaza au printemps et quenous sommes cordialement invités à y participer. Nousnous quittons, Prabir, un écrivain indien, Vangelis etmoi, en nous donnant rendez-vous quelques mois plustard à Athènes. Nous irons bien à Gaza, mais cette foispar la mer. Ce sera tout droit, il n’y aura pas besoind’interminables négociations avec l’Égypte ou d’autres.Et nous serons prêts.

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2. UN « MOMENT SUD-AFRICAIN »POUR LA PALESTINE ?

« Ehud Barak, Tzipi Livni, Gabi Ashkenaziet Ehud Olmert — n’essayez même pas devous montrer à une commémoration enhommage aux héros des ghettos deVarsovie, Lublin, Vilna ou Kishinev […].Vous n’incarnez aucune continuité avecle ghetto de Varsovie, parcequ’aujourd’hui le ghetto de Varsovie,vous l’avez très exactement en face devous, il est sous le feu de vos tanks et devotre artillerie, et son nom est Gaza. »

Michael Warschawski, « Absolument pas !Pas en leur nom, pas en notre nom »,

Alternative Information Center,18 janvier 2009.

Des centaines, des milliersd’articles, de rapports, de livres ont été écrits sur leconflit israélo-palestinien. Depuis que la télévisionexiste, les mêmes images reviennent sur les écrans. Lesbombes qui éventrent des immeubles, à Naplouse ou àGaza, celles qui explosent dans les rues de Tel-Aviv, desenfants qui lancent des pierres contre des monstres

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d’acier : autant de clichés pour évoquer aujourd’hui unbout de terre, pas plus grand qu’un département fran-çais, qui n’en finit pas de brûler.

Les mots et les images ne suffisent sans doute pas àexprimer la vérité de ce conflit qui dure depuis plus desoixante ans, ni la douleur de tous ceux, Palestiniens ouIsraéliens, juifs, musulmans ou chrétiens, qui fleuris-sent les tombes de leurs martyrs.

Pourtant, certains faits méritent d’être rappelés. Etd’abord celui-ci : ce conflit n’est pas, n’a jamais été, symé-trique. Il n’y a pas deux armées, deux États qui s’affronte-raient d’égal à égal pour cette terre. Depuis la guerre de1948, depuis l’expulsion de plus de 700 000 Arabes de laPalestine mandataire et la création de l’État d’Israël sur lesruines de villages arabes, il y a bien un face-à-face entreun État colonisateur et un peuple opprimé qui lutte poursa survie et pour son droit. Pour ceux qui en douteraientencore, je ne peux que renvoyer aux livres d’histoire, auxtravaux sur les guerres de 1948 et de 1967, sur la premièreet la deuxième Intifada, sur la colonisation continue desterres palestiniennes. Les rapports d’Amnesty Internatio-nal, de Human Rights Watch, de B’tselem 1 et de l’ONUsont publics et disponibles : année après année, ilsdénoncent les violations des droits de l’homme et desconventions de Genève perpétrées par Israël. Pour ceuxqui se méfient des mots, il existe un autre moyen des’informer : allez-y ! Allez voir de vos yeux, passez del’autre côté du « mur de la honte » qui étrangle aujourd’huice qu’il reste de la Palestine. Vous en avez la possibilité,contrairement à la grande majorité des Palestiniens.

1. www.btselem.org.

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Pendant des années, certains médias, relayant uneparole officielle, ont construit une image biaisée de ceconflit, le réduisant au mieux à une violence partagéeentre deux légitimités, deux récits antagonistes. D’uncôté, Israël, un État moderne, progressiste, laïc, multi-culturel, dont la capitale Tel-Aviv ressemble à Paris ouNew York. Israël qui fait partie du camp des « démocra-ties » et des progressistes, à l’image de ses kibboutzautogérés 1, et qui a donc le droit de se défendre, mêmes’il le fait quelquefois de manière trop brutale. De l’autre,une population, dont on reconnaît parfois qu’elle est vic-time d’injustices, mais dont la tare principale est d’êtrearabe, majoritairement musulmane, et dont certains mili-tants recourent à la violence, y compris parfois à la vio-lence aveugle des attentats contre un État et une popula-tion qu’ils estiment responsables de leurs malheurs 2.

Nul besoin d’échafauder une théorie du complotpour expliquer pourquoi c’est majoritairement cetteimage-là qui a été longtemps véhiculée par les médias etles gouvernements du monde occidental. Dans ce typede conflit asymétrique entre une population et un Étatoppresseur, la prime de légitimité revient ordinairementà l’État, qui, outre ses moyens propres, dispose de puis-sants relais pour porter son discours, sa propagande,pour établir sa version des faits à l’échelle internationale.

1. Communautés ou villages associatifs quiont participé à la colonisation depuis lesdébuts d’Israël. Certains de ces kibboutzfurent fortement influencés par le socialisme,le collectivisme et l’autogestion. Aujourd’hui,ces communautés regroupent environ 2 % dela population israélienne.

2. Les campagnes d’attentats-suicides de lafin des années 1990 et du début des années2000, tuant aveuglément hommes, femmes etenfants dans des bus ou des marchés en pleinmilieu de Tel-Aviv ou de Jérusalem, ontdonné une image désastreuse de la résis-tance palestinienne.

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En ce cas précis, plusieurs faits majeurs ont concouruà asseoir la version israélienne du conflit. En premier lieu,l’Holocauste, cette tache de néant sur les consciencesdes pays européens. Comment en effet oser condamnerun État, et son armée, qui se pose comme le représentantdirect des millions d’innocents envoyés dans les campsde la mort, qui se présente comme le seul héritier légitimedes victimes de l’antisémitisme européen ?

La critique est d’autant plus malaisée pour les Étatsoccidentaux qu’ils ont œuvré, au sortir de la SecondeGuerre mondiale, pour que les survivants juifs partents’installer en Israël 1. Sans leur appui, notamment celuide la France et de l’Angleterre, le mouvement sionisten’aurait pas pu s’établir en Palestine mandataire, alorssous contrôle anglais, ni l’État d’Israël voir le jour etprospérer dans les premières années de son existence.

Ensuite, il y a le poids de l’histoire du colonialismeeuropéen. La création de l’État d’Israël et l’expulsiond’une bonne partie de la population arabe de la Palestinemandataire sont intervenues à la toute fin de la périodecoloniale, c’est-à-dire dans un contexte où, bien quedéjà contestée, la colonisation de « territoires indigè-nes » par des populations européennes, blanches, res-tait possible, légitime même. Le slogan sioniste « Uneterre sans peuple pour un peuple sans terre » était biencelui d’un mouvement européen, blanc, colonial, qui nereconnaissait pas les habitants arabes de la Palestinecomme un peuple 2. Une idéologie alors répandue, selon

1. Lire le magnifique ouvrage de Tom SEGEV,Le Septième Million : les Israéliens et le géno-cide, Liana Levi, Paris, 2003.2. De façon cohérente, le mouvement sionisten’intégra les juifs des pays arabes, ou Mizra’him,

que bien plus tard, au milieu des années 1950,après la naissance d’Israël, et ce au prix d’uneacculturation féroce. Voir à ce sujet le très beaudocumentaire de SAMIR, Forget Baghdad : Jewsand Arabs, the Iraqi Connection, 2002.

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laquelle les indigènes ne comptent pas. Et, de fait, lors-que les pays européens durent faire face aux mouve-ments de décolonisation partout dans le monde, etnotamment au Moyen-Orient et au Maghreb, une proxi-mité idéologique et stratégique s’établit entre le nouvelÉtat israélien et les anciens maîtres de la région. Uneproximité qui s’illustra lors de l’affaire du canal de Suez,lorsqu’une alliance formée par la France, la Grande-Bre-tagne et Israël affronta militairement l’Égypte de Nasser.

En outre, si l’islamophobie et le racisme antiarabeprospèrent depuis les attentats du 11 Septembre et laguerre « contre le terrorisme » lancée par l’équipe Bush,ce ne sont pas des sentiments tout à fait nouveaux enEurope. Que l’on se souvienne, en France, de la guerred’Algérie, du national-populisme alimenté depuis prèsde trente ans par les partis d’extrême droite et, plusrécemment, du développement d’une xénophobie d’Étatstigmatisant prioritairement les Arabes et les musul-mans.

C’est cet ensemble fait de proximités stratégiques etidéologiques, de légitimité étatique, de paternalisme etde racisme issus de la période coloniale, et de mauvaiseconscience liée à l’Holocauste qui explique pourquoi lapropagande israélienne pouvait encore, il y a peu, faireécran à la réalité de l’oppression israélienne. Israël,c’était la « première démocratie du Moyen-Orient », le« petit pays entouré d’ennemis sanguinaires et ne pou-vant compter que sur lui-même », le « pays qui a fait fleu-rir le désert »… autant de formules répétées en bouclependant des années sans être vraiment remises encause, ni par les grands médias ni par les gouverne-ments en place. Cela explique en partie la relative indiffé-

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rence ou plutôt la faible mobilisation que suscitaitjusqu’alors le sort des Palestiniens. Il est vrai aussi qued’autres causes de grande envergure — le Vietnam dansles années 1960 et 1970, puis l’Afrique du Sud jusqu’audébut des années 1990 — occupaient le devant de lascène de la solidarité internationale, mobilisant toutesles énergies contre ce qui était considéré comme d’ulti-mes résidus de la période coloniale et de l’impérialisme.

Cependant, ces quinze dernières années, l’opinionpublique internationale s’est graduellement transfor-mée, prenant peu à peu conscience de la réalité del’oppression et de la responsabilité de l’État d’Israëldans la poursuite du conflit.

Il faut dire que l’image d’un État israélien laïc, cos-mopolite et progressiste avait déjà été ébranlée par l’arri-vée au pouvoir, après l’assassinat de Yitzhak Rabin en1995, de gouvernements israéliens de plus en plus mar-qués à droite, sur fond d’une montée en puissance de ladroite religieuse et nationaliste au sein de l’establish-ment israélien. Que l’on se souvienne de l’émoi interna-tional suscité par l’arrivée d’Ariel Sharon, considéré àjuste titre comme un « faucon » de la politique israé-lienne, impliqué dans divers massacres tout au long desa carrière militaire, à la tête du gouvernement en 2001.Lorsqu’on examine, neuf ans après, la composition dugouvernement de Benjamin Netanyahu, dont la coalitioninclut et regroupe des partis réactionnaires, racistes etautoritaires, on s’aperçoit que le mythe de l’« État deskibboutz » des années 1950-1970 1, mélange progressiste

1. À ce sujet, voir, de l’historien israélien ZeevSTERNHELL, Aux origines d’Israël : entre natio-nalisme et socialisme, Fayard, Paris, 1996, qui

montre comment l’idée d’un État d’Israëlfondé sur un socle idéologique socialiste etprogressiste n’a jamais été qu’un mythe, les

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de nationalisme et de socialisme, a bel et bien été balayépar ses propres enfants.

Et, surtout, après la deuxième Intifada, il y eut dix ansde répression féroce. En 2002, ce fut le massacre deJénine 1. En 2006, il y eut l’attaque menée au Liban, aucours de laquelle l’armée israélienne s’illustra davantagepar l’ampleur des destructions d’infrastructures civilesque par sa vaillance au combat contre les « guérilleros »du Hezbollah. Enfin, à l’hiver 2008-2009, ce fut l’offensivecontre Gaza. Ce dernier événement a sans doute marquéun point de non-retour dans la perception internationaledu conflit israélo-palestinien. Des tonnes de bombesdéversées sur des hôpitaux et des marchés. Du phos-phore répandu sur des écoles et sur des dispensairesdes Nations unies. Les images terribles d’une popula-tion enfermée, prise au piège, sans aucune possibilitéd’échapper aux bombardements 2. Vingt-deux joursd’assaut meurtrier au cours desquels 1 400 Palestiniensfurent tués — dans leur immense majorité, des civils,dont 350 enfants —, où près de 60 000 maisons furentdétruites ou endommagées, 217 écoles et près de1 500 usines ou ateliers dévastés 3. On vit une guerre oùdes chars d’assaut, des chasseurs et des bombardiersultramodernes n’avaient en face d’eux que des milicienséquipés d’armes légères. Comme le résume Norman

kibboutz, image d’Épinal du sionisme pro-gressiste, ayant toujours été un phénomènemarginal dans la construction du pays.1. Durant l’opération rempart lancée en 2002,l’armée israélienne a envahi la ville de Jénine,rasant pratiquement l’ensemble du camp deréfugiés et tuant plusieurs dizaines de Pales-tiniens.2. Fait rare dans l’histoire des conflits, il étaittout à fait impossible pour la population de la

bande de Gaza de fuir le territoire, soumisalors à un intense bombardement, puisqu’ils’agissait d’un territoire clos emprisonné der-rière d’immenses murs.3. « One year after report, Gaza early recoveryand reconstructions needs assessment »,UNDP, Program of Assistance to the Pales-tinian People (www.undp.ps/en/newsroom/publications/pdf/other/gazaoneyear.pdf).

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G. Finkelstein, le rapport de forces était tellement asymé-trique, en faveur de l’armée israélienne, que ce fut unenon-guerre, sans réel combat 1. À tel point que, sur lesdix soldats israéliens tués durant l’offensive, la moitié lefurent par des tirs amis.

Cette guerre sans merci, menée moins contre desmilitants ou des soldats que contre une population sansdéfense, produisit une onde de choc partout sur la pla-nète. Dans toutes les capitales du monde, des manifes-tations exprimèrent une colère, une rage universellescontre la brutalité sans nom de cet État et de cette armée.Dans des millions de consciences, l’opération « Plombdurci » acheva de faire basculer Israël dans le camp desÉtats criminels et, pour tout dire, dans celui des bour-reaux.

Le sentiment de scandale et d’injustice fut d’autantplus fort que l’État d’Israël put se livrer à ces exactionsen toute impunité, fort de la protection et du soutienindéfectibles du grand frère américain. Ainsi, là où desÉtats comme le Zimbabwé, le Soudan ou la Corée duNord sont mis au ban des nations pour avoir contrevenuau droit international, Israël peut fouler celui-ci auxpieds en pleine lumière, et en sortir indemne.

Cela est d’autant plus grave que cette violence aveu-gle et sans limite se trouve ici mise au service d’un projetcolonial et ethnique. Il ne s’agit pas simplement pourIsraël de contrôler des populations, mais de prendre leurterre, de repousser les « indigènes » jusqu’à ce qu’ilsfinissent par disparaître, parce qu’ils seront partis ou

1. Norman G. FINKELSTEIN, « This time we wenttoo far ». Truth and Consequences of the GazaInvasion, OR Books, New York, 2010.

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bien morts. Au XXIe siècle, après que les peuples du tiersmonde se sont libérés de la colonisation, ceci est inac-ceptable.

Omar Barghouti parle aujourd’hui d’un « momentsud-africain » pour la Palestine. Il compare la situationactuelle avec la fin des années 1980, où de grandes cam-pagnes populaires furent lancées partout dans le mondecontre le régime d’apartheid qui sévissait en Afrique duSud 1. Alors que de nombreux militants luttaient contrece régime raciste depuis la fin des années 1960, il leur fal-lut attendre près de vingt ans pour que les peuples dumonde se saisissent de la question, contre la volonté deleurs propres États, et pour que les campagnes de boy-cott prennent une ampleur telle que la communautéinternationale n’ait plus d’autre choix que d’intervenir.De ce point de vue, l’opération « Plomb durci » constituesans doute le début d’un « tournant sud-africain » dansle conflit israélo-palestinien.

Le terrain a été préparé, depuis le début des années2000, par un renouveau des mouvements de solidarité etdes échanges internationalistes en direction de la Pales-tine 2. Même si leurs actions ont rarement fait la une desjournaux, des dizaines de milliers de personnes, venuesprincipalement d’Europe et des États-Unis, le plus sou-vent des citoyens ordinaires, se sont rendues sur place,ont vécu concrètement le quotidien de l’occupation et laviolence israélienne. Ces milliers de personnes sontensuite rentrées chez elles et, dans leurs familles, dans

1. Omar BARGHOUTI, « Our South Africanmoment has arrived » www.palestinechroni-cle.com/view_article_details.php?id=14921.2. Voir par exemple la Campagne civile inter-nationale pour la protection du peuple pales-

tinien (CCIPPP) en France (www.protection-palestine.org), International Solidarity Move-ment, et bien d’autres organisations, mouve-ments et ONG.

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leurs quartiers, sur leurs lieux de travail, elles ontraconté ce qu’elles avaient vu. Pour en avoir moi-mêmefait l’expérience, l’impact de ces témoignages, ceux devos proches, est autrement plus significatif et plus mar-quant que le meilleur des reportages ou documentairessur la question. Et puis, tous ces séjours ont créé desliens personnels entre ici et là-bas. Ils ont mis des visa-ges sur des mots. Ils ont transformé un sentiment géné-ral de solidarité en des milliers d’amitiés personnelles.Nous nous connaissons.

Le développement d’Internet, la multiplication dessources d’information alternative, les dizaines de blogstenus par des Palestiniens, des militants pacifistesisraéliens et internationaux racontent à présent au jour lejour le vol de la terre, la colonisation et l’occupation de laPalestine. Cet accès à une information alternative a nonseulement contribué à atténuer le poids des grandsmédias dans la construction de l’opinion publique, maisles a aussi obligés à faire une description moins partialede la réalité, et ce au grand dam d’Israël et de ses zélo-tes 1. Lorsqu’on peut disposer en un clic du dernier rap-port d’Amnesty International ou des Nations unies surles crimes israéliens dans les territoires occupés, alorsles images de violence nue peuvent retrouver leur senspolitique, celui d’une force implacable exercée par unearmée d’occupation.

Lorsqu’un État en vient à être reconnu coupable demultiples crimes de guerre, voire de crimes contre l’huma-

1. Voir à ce sujet le livre de Norman G. FINKEL-STEIN, Beyond Chutzpah, Verso Books, Lon-dres, 2008, qui relate comment des journauxcomme Le Monde ou même le Washington

Post se sont retrouvés marqués du sceau del’antisémitisme pour des articles ou des édi-toriaux traitant du conflit israélo-palestinienmoins favorables que d’habitude à Israël.

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nité, comme l’envisage le rapport Goldstone 1, il devientune menace, pas seulement pour ceux qu’il opprimedirectement, mais aussi pour le reste du monde. Si un Étatcomme Israël peut commettre ses forfaits en pleinelumière, s’il peut discriminer ouvertement non seulementla population palestinienne des territoires occupés et deGaza, mais aussi la population arabe d’Israël, et continuerà être considéré comme un pays respectable, il fauts’inquiéter du précédent que l’on laisse alors se créer.Que feront les autres États ? Que feront-ils et que pour-ront-ils faire ? Si Israël peut redéfinir à sa guise le droitinternational, les droits de l’homme et les conventions deGenève, si Israël peut transformer des civils en cibles légi-times et désigner l’ensemble de la bande de Gaza comme« entité hostile » à bombarder sans discernement, on doits’attendre à ce que d’autres États et gouvernements sui-vent son exemple. Ce ne sont pas seulement ceux quis’émeuvent du sort des Palestiniens qui doivent s’eninquiéter, mais toutes celles et tous ceux qui pensent quele droit international, les conventions de Genève et le droithumanitaire sont des jalons nécessaires, les seuls garde-fous juridiques disponibles face à la violence des hommesdans un monde mondialisé.

Face à un État colonial dont les gouvernements suc-cessifs semblent avoir progressivement perdu la raison,nous sommes de plus en plus nombreux à penser quel’indignation ne suffit plus. Désormais, il faut agir.

1. Du nom du juge international qui a dirigé lamission d’enquête des Nations unies surl’opération « Plomb durci ». Voir « Humanrights in Palestine and other occupied Arab

territories, report of the United Nations FactFinding Mission on the Gaza conflict »,A/HRC/12/48, 15 septembre 2009.

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3. GAZA WE ARE COMING !LES PREMIERS BATEAUX EN 2008

Il m’est impossible d’oublierla première fois où je suis entré à Naplouse, en Cisjorda-nie. C’était en juillet 2002, quelques mois après la terribleoffensive lancée par Ariel Sharon dans les territoiresoccupés. Selon les journaux de l’époque, le « calme »était revenu et les Palestiniens étaient censés revivre.Pourtant, c’est sous le bruit des mitrailleuses lourdes etdes bulldozers en train de raser des bâtiments près de lavielle casbah que la quinzaine de membres des missionsciviles 1 dont je faisais partie entra dans cette ville de300 000 habitants. Nous marchions, guidés par un infir-mier palestinien de la PMRS 2, les mains en l’air et, pourtout dire, tremblants de peur. Pendant plusieurs semai-nes, voire quelques mois pour certains, nous allionspasser la plus grande partie de notre temps à accompa-gner des ambulanciers et des infirmiers palestiniensdans Naplouse et les faubourgs environnants. Des

1. Campagne civile internationale pour la pro-tection du peuple palestinien (CCIPPP). Lacampagne civile est née en juin 2001 au débutde la deuxième Intifada, au moment où l’offen-sive coloniale et répressive de l’État israélien

passait à une nouvelle étape (www.protec-tion-palestine.org).2. Palestinian Medical Relief Society, fondéeen 1979 par Mustapha Barghouti.

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familles entières emprisonnées dans leurs propres mai-sons occupées par des soldats israéliens, des person-nes malades bloquées à des check points, des femmesenceintes recluses dans des villages sous couvre-feu— à chaque fois nous partions la peur au ventre, maisdevant le courage et l’incroyable humour de nos amispalestiniens, il nous était impossible de reculer… Etpuis, il y avait aussi les manifestations pour dénoncerl’occupation, où, lorsque nous réussissions à passer lesbarrages de gaz lacrymogènes et les matraques des sol-dats et de la police israélienne, nous parvenions parfoisà ouvrir pour un temps un check point ou à faire lever lecouvre-feu d’un village 1.

Chaque soir, alors que le soleil se couchait surNaplouse et la peignait en rose et or, nous dînions tousensemble dans un des centres de PMRS où nouslogions avec d’autres internationaux. Ils venaient d’Ita-lie, des États-Unis ou de Grande-Bretagne, et nombred’entre eux faisaient partie de l’International SolidarityMovement, qui envoie régulièrement des missions decitoyens en Palestine. Nous avions de longues discus-sions sur le conflit et évidemment sur les responsabilitésrespectives de l’Europe, des États-Unis, des États ara-bes, le tout autour d’un narguilé et d’un café. Je me sou-viens d’un soir en particulier où nous venions d’appren-dre que deux camarades des missions civiles avaient étérefoulés par la police israélienne à l’aéroport de Tel-Aviv, seul point d’arrivée (avec le pont Allenby, à la fron-

1. Au début des années 2000, l’arrivée desinternationaux fut une surprise pour les Israé-liens. À cette époque, ils n’osaient pas encorevraiment nous tirer dessus. Depuis l’assassi-

nat par l’armée israélienne de Rachel Corrie etde Tom Hurndall en 2003, les choses ont bienchangé.

Gaza We are Coming ! Les premiers bateaux en 2008

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tière jordanienne) pour qui veut se rendre en Palestine.Ce n’était pas la première fois que les Israéliens interdi-saient à certains d’entre nous de se rendre dans les terri-toires occupés, et nous savions que cela allait empireravec le temps. Puisque les autorités israéliennes vou-laient nous en empêcher à tout prix, comment allions-nous faire pour revenir en Palestine et continuer à tra-vailler avec ses habitants, prisonniers dans leur proprepays ? Je ne sais plus qui d’entre nous lança l’idée, maisaprès quelques minutes nous étions tous en train derêver les yeux ouverts. Une immense flottille de bateauxdu monde entier se rendant en Palestine, une armada dela paix accostant dans le vieux port en ruines de Gaza.À ce moment précis, l’idée nous sembla aussi belleque folle. Des bateaux pour la Palestine ! Infaisable…Comment trouver l’argent nécessaire ? Et puis, qui iraits’embarquer dans une telle aventure ? Ce soir-là, nousnous sommes couchés avec des rêves maritimes dans latête… Et puis, la vie reprit son cours.

Six ans plus tard, au début du mois d’août 2008, jereçois un email d’Ewa avec qui je travaille alors sur unprojet associatif en Irak. Deux bateaux sont à l’amarrageen Grèce et doivent se diriger vers Gaza dans quelquesjours. La marine israélienne a annoncé qu’elle ne leslaisserait pas passer. Fondé par une poignée de mili-tants américains et palestiniens, le Free Gaza Move-ment 1 vient de naître. Tout le monde a été pris par sur-prise, car, pendant des mois, près de deux ans en fait, unpetit groupe d’activistes, majoritairement basé auxÉtats-Unis, puis largement aidé par des militants grecs,

1. www.freegaza.org.

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a travaillé sans relâche et dans l’ombre pour trouver desbateaux et un port d’attache 1. Si jamais il réussit, ce seraune grande première, un événement brisant quaranteans de blocus. En effet, si le siège total de Gaza a été misen place après la victoire du Hamas aux élections législa-tives de 2006 et la fin du gouvernement d’union nationalepalestinien en 2007, le siège maritime dure, de fait,depuis la prise de Gaza par Israël en 1967. Depuis plus dequarante ans, aucun bateau civil, d’où qu’il vienne, n’ajamais pu accoster dans le port de Gaza. Même lesbateaux de pêche gazaouis n’ont jamais pu dépasser lescôtes de plus de 3 milles nautiques (soit 5,5 kilomètres) !

Les militants ont dû travailler dans l’ombre car Israëln’a jamais fait de cadeaux à ceux qui ont jusque-là osébraver le siège maritime de Gaza. En 1988, à Chypre, troisdirigeants de l’Organisation de libération de la Palestine(OLP) qui étaient en train d’affréter un ferry afin de rapa-trier cent trente familles de réfugiés palestiniens furentassassinés. Deux jours plus tard, leur bateau fut sabotéà Limassol, principal port chypriote 2. Plus terribleencore pour nos camarades, nous apprîmes plus tard lafin tragique d’une grande figure du mouvement anti-guerre et de la lutte en solidarité avec la Palestine, RyadHamad, qui était chargé de trouver les bateaux pour FreeGaza. Au printemps 2008, alors qu’il rentrait de Turquieoù il venait de trouver enfin un bateau et un port d’atta-che, sa famille déclara sa disparition. Le 15 avril 2008, soncorps sans vie fut repêché dans un lac près d’Austin,Texas. Il avait les pieds et les mains liés, les yeux et la

1. Voir le documentaire produit par Al-Jazeera, Gaza We Are Coming ! www.youtube.com/watch?v=RZvdZSo_mg0.

2. http://en.wikipedia.org/wiki/Sol_Phryne.

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bouche recouverts de bandes adhésives, ce qui n’empê-cha pas la police locale de conclure au suicide 1. Il lais-sait derrière lui une veuve et deux enfants. Malgré le cha-grin et la peine, la poignée de militants des droits del’homme qui s’étaient investis dans le projet décidèrentde continuer, avec acharnement.

Leurs efforts ont été payants. Ils sont en passe deréussir ce dont nous avions rêvé six ans plus tôt. Mais,maintenant que le monde entier va être publiquementinformé de l’initiative et qu’Israël va être mis devant le faitaccompli, tous redoutent une réaction violente en pleinemer. Les apprentis marins de Free Gaza ont besoin d’unfort soutien politique et médiatique. Les réseaux mili-tants ont été activés partout où c’était possible, une péti-tion internationale de soutien a été lancée, bientôtsignée par des centaines d’associations et d’organisa-tions non gouvernementales. De nombreuses personna-lités ont décidé de soutenir l’action, dont DesmondTutu, Noam Chomsky et Norman Finkelstein, mais aussides militants pacifistes israéliens comme Michael Wars-chawski ou Jeff Halper 2, ce dernier décidant même de serendre en Grèce pour faire partie du voyage. Des centai-nes de fax ont été envoyés dans des dizaines d’ambassa-des israéliennes à travers le monde pour faire pressionsur l’État hébreu.

Je suis le cours des événements depuis le Liban oùje viens de m’installer pour quelques semaines, avant de

1. Michael KING, « The uneasy death of RiadHamad », Austin Chronicle, 9 mai 2008, www.austinchronicle.com/gyrobase/Issue/story?oid=oid%3A621848.2. Michael Warschawski, militant antisionistejuif israélien, est le cofondateur de l’Alternative

Information Center (AIC, www.alternative-news.org) et Jeff Halper, militant pacifiste israé-lien, est le cofondateur de l’Israeli CommitteeAgainst House Demolition (ICAHD, www.icahd.org).

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rentrer en Syrie où je poursuis l’écriture de ma thèse.Avec mes amis, en Palestine, en France et au Liban,nous ne cessons de nous téléphoner et de nous écrireafin de savoir qui sont ces marins inattendus. Bon sang,qui est du voyage ? Alors que nous suivons au jour lejour les aventures du Free Gaza et du Liberty, car c’estainsi que les deux bateaux achetés en Grèce ont étérenommés, petit à petit les noms des passagerscommencent à filtrer et certains sont loin de m’êtreinconnus. Après quelques coups de téléphone, je reçoisla confirmation que non seulement le professeur Pissiasfait bien partie du voyage, mais que c’est lui qui a prati-quement tout coordonné en Grèce. Vangelis Pissias,ancien leader de la révolte étudiante contre la dictaturedes colonels qui sévissait en Grèce dans les années1970, est un militant des droits de l’homme très respectédans son pays. Vingt ans plus tôt, durant les années1990, il est devenu le coordinateur du projet européende construction du nouveau Parlement palestinien àRamallah. Je l’avais rencontré au Liban en 2004, lorsd’une conférence contre la guerre en Irak. Nous nousétions revus deux ans plus tard, à nouveau à Beyrouth,mais cette fois sous les bombes, alors que la guerrelancée par Israël faisait rage. À l’époque, la Campagnecivile internationale pour la protection du peuple palesti-nien (CCIPPP), Focus on the Global South et quelquesautres organisations avaient mis en place des missionsinternationales de solidarité avec le Liban. De nombreuxjournalistes, députés européens et personnalités inter-nationales s’étaient rendus sur place pour témoigner del’immensité des destructions occasionnées par les bom-bardements israéliens dans Beyrouth et au sud du pays.

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Venu avec une délégation grecque, Vangelis étaitcomme toujours animé d’un courage et d’un humour àtoute épreuve. J’apprends qu’il y a également sur lebateau Huwaida Arraf, que j’avais croisée six ans plustôt lors d’une manifestation aux portes de Naplouse,dans le village de Huarah, alors sous couvre-feu.Huwaida, jeune égérie de l’International Solidarity Move-ment qu’elle a cofondé avec son mari Adam Shapiro, juifnew-yorkais, est palestinienne et vit entre les États-Uniset la Palestine. Tous deux furent les bêtes noires del’armée israélienne durant les années de la deuxièmeIntifada. Il y en a bien d’autres encore, dont Paul Laru-dee, l’activiste de San Francisco, que j’apprendrai àconnaître un peu plus tard lors de la Flottille. Si beau-coup sont des militants aguerris de la solidarité avec lacause palestinienne, souvent membres ou proches del’ISM 1, il y a aussi d’ancien humanitaires, médecins etpersonnels médical membres de la FICR 2 ou des journa-listes, comme la Britannique Lauren Booth, belle-sœurde Tony Blair mais farouche opposante à sa politiqueétrangère.

Tandis que nous faisons le tour des réseaux mili-tants pour obtenir des nouvelles, sur place, en Grèce, levoyage n’en est encore qu’à ses premières péripéties.Alors que les bateaux devraient être partis depuis plu-sieurs jours vers Chypre, dernière escale avant le grandsaut vers Gaza, Free Gaza ne cesse de repousser ledépart. Les deux capitaines américains censés piloterles navires ont bien du mal avec leurs deux vieux bateaux

1. International Solidarity Movement (http://palsolidarity.org).

2. Fédération internationale des sociétés de laCroix et du Croissant-Rouge, fondée en 1919.

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de pêche grecs. Jusqu’à présent, il s’était seulement agide caboter entre deux îles grecques, mais le trajet versChypre, puis vers Gaza doit se faire en pleine mer. Fina-lement, l’un des capitaines déclare forfait : une traverséesur une coque de noix qu’il maîtrise mal lui paraît troprisquée. Voilà donc au dernier moment nos amis grecsobligés de se transformer en agents recruteurs afin detrouver des marins plus familiers avec ces types debateaux et de mer. Chaque jour qui passe fait croîtrel’incertitude sur le succès de la mission. Enfin, aprèsplusieurs jours de retard, un capitaine professionnelgrec accepte de prendre la direction des opérations, tan-dis que plusieurs autres amis grecs, marins de profes-sion, montent eux aussi à bord. Le 17 août, le Liberty et leFree Gaza appareillent pour Chypre, dernière escaleavant Gaza. Après trois jours de gros temps, où la plu-part des passagers ont pu vérifier — parfois amère-ment — s’ils avaient ou non le pied marin, les deuxbateaux arrivent enfin au port chypriote de Larnaca. Pen-dant que l’on refait le plein en vivres et en diesel, les der-niers passagers montent à bord et, parmi eux, un députégrec, membre du bloc de gauche SYRIZA, seul parle-mentaire de l’équipage.

Mais, déjà, les pressions israéliennes se font sentir.Le gouvernement israélien vient en effet de demanderofficiellement que l’on empêche les deux bateaux d’appa-reiller. À défaut, il menace d’envoyer la marine israéliennecontre eux et de les traiter comme de vulgaires pirates.À Chypre, les autorités sont partagées sur l’attitude àprendre vis-à-vis de l’équipée Free Gaza. Chypre, dont lapartie nord est occupée depuis les années 1970 par la Tur-quie, a toujours exprimé une certaine sympathie pour la

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cause palestinienne. Mais elle sait aussi que, pour unminuscule pays, s’engager clairement aux côtés desPalestiniens peut devenir dangereux. Avec Israël, le prixà payer pour un tel comportement peut rapidement deve-nir exorbitant. Les amis de Free Gaza recevront cepen-dant un soutien précieux grâce à l’intervention de l’ancienprésident du Conseil chypriote. Tout en restant dans lesbornes de la diplomatie et en protestant qu’elle n’est enrien responsable de l’action de Free Gaza, Chypre permetaux bateaux de mouiller dans le port de Larnaca. Mieuxencore, le gouvernement fournit des plongeurs decombat et des caméras vidéo sous-marines afin de proté-ger les bateaux tant qu’ils restent à quai. Tous ont enmémoire la tragédie de 1988, où une explosion criminelleavait empêché un bateau de l’OLP de quitter le port deLimassol.

Le 21 août 2008, le Free Gaza et le Liberty sortent enfindu port, escortés par des navires de la marine chypriote.Une fois les eaux territoriales dépassées, les deuxbateaux se retrouvent seuls en haute mer. À quelquescentaines de kilomètres de là, le ministère de la Défenseisraélien vient d’annoncer que sa marine va conduire unesérie d’exercices militaires dans la zone maritime deGaza et que, par conséquent, toute navigation y est inter-dite. Le lendemain, en fin d’après-midi, et alors que lesbateaux ne sont plus qu’à quelques dizaines de millesdes côtes, l’ensemble des communications et du maté-riel de bord devient soudain hors-service. Les deuxbateaux, au large, sont coupés du monde. Nulle tracecependant de la marine israélienne. Les embarcationsmaintiennent leur cap. Le 23 au matin, les quarante-qua-tre passagers tiennent une assemblée générale afin

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de décider si, en dépit des risques et sans moyens decommunication, ils continuent ou font demi-tour. Aprèsune heure de débat, leur décision est prise. Malgré lacrainte de voir à tout moment apparaître les navires decombat israéliens à l’horizon, ils continuent. Gaza assié-gée n’est qu’à quelques encablures. En Europe et auxÉtats-Unis, tous les camarades tremblent et essaientdésespérément d’obtenir des informations. Mais, depuisdes heures, rien, aucune nouvelle.

Elles tombent soudain en fin d’après-midi : ils vien-nent d’arriver ! Ils sont à Gaza où ils ont été accueillis pardes milliers de personnes en liesse. Ils ont réussi ! Pourquiconque voudrait voir la fierté et la joie dans les yeuxdes Gazaouis ce jour-là, il suffit de regarder la dernièrepartie du documentaire réalisé sur cette première odys-sée par Al-Jazeera : Gaza We Are Coming ! Le Free Gazaet le Liberty viennent d’ouvrir le port de Gaza, fermédepuis plus de quarante ans. Quelques jours plus tard,la majorité d’entre eux rentrent par le même chemin, tan-dis que d’autres décident de rester, pour plusieurs mois,devenant les témoins directs des événements terriblesde la fin de l’année 2008. À peine deux mois plus tard, le28 octobre 2008, un autre bateau de Free Gaza va à nou-veau briser le siège, sans qu’Israël se décide à interve-nir. En fait, entre novembre et décembre 2008, ce serontpas moins de trois nouveaux bateaux qui réussirontencore à passer. Près d’une centaine de personnesauront donc réussi à entrer à Gaza par la mer.

Tout va changer avec la guerre contre Gaza déclen-chée fin décembre 2008. Alors que le massacre desPalestiniens est en cours, Free Gaza tente par deux foisd’envoyer un bateau avec à son bord du personnel médi-

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cal appartenant à Médecins du monde et des journalis-tes de CNN et d’Al-Jazeera. Les deux tentatives sontmises en échec par l’armée israélienne, qui intervientchaque fois pour repousser les navires. Une autre tenta-tive en juin 2009 est elle aussi infructueuse.

Gaza est toujours assiégée. Gaza qui a brûlé sousles bombes et à laquelle personne, pas un gouverne-ment, n’a envoyé la moindre aide pour se reconstruire,pour se soigner, pour revivre 1. Nous sentons que nousn’avons pas le droit de baisser les bras. Ce serait unabandon. Le Liberty et le Free Gaza ont tracé la route. Cequi a été une fois réussi par une quarantaine de pacifis-tes, « rêveurs » peut-être, mais au cœur bien accroché,peut et doit l’être à nouveau.

Le rassemblement d’autres bateaux est déjà en prévi-sion. De Grèce, de Suède, de Turquie, de Malaisie même.En Inde, des amis en parlent. Pourquoi ne pas essayer ?Fin février 2010, un email de Vangelis me confirme que lacoalition grecque compte bien envoyer un cargo de2 000 tonnes à Gaza en mai et que l’invitation à y participertient toujours. Finalement, Prabir Purkayastha, l’écrivainindien qui nous accompagnait au Caire, ne pourra pasvenir, mais j’ai bien l’intention de me joindre à mes cama-rades. Je veux voir de plus près comment on s’y prend, àquelques centaines et avec une idée folle, pour briser unblocus illégal et inhumain. Début avril, alors que la Grècesera en train d’être foudroyée par le mal du siècle, laspéculation et les agences de notation internationales,

1. Voir à ce sujet le rapport écrit un an aprèsl’opération « Plomb durci » par Oxfam,Amnesty International, CCFD et bien d’autresONG : « Abandon de Gaza, aucune recon-

struction, aucune réparation, plus d’excuse »,www.oxfamfrance.org/Abandon-de-Gaza-Aucune,494.

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j’atterrirai à l’aéroport d’Athènes. La chaleur y sera écra-sante, et les nouvelles sembleront bien mauvaises. LaGrèce sera au bord de la banqueroute et le gouvernementsocialiste viendra de faire voter une série de réformesd’austérité sans précédent. L’humeur sera à la grèvegénérale. Je me dirai que, vu les circonstances, notreépopée maritime risque de prendre un sérieux coup dansl’aile. J’aurai tort et je comprendrai vite qu’en Grèce lasolidarité internationale n’est pas une vue de l’esprit.

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Deuxième partie

Salade grecque

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4. ATHÈNES : PREMIERS PRÉPARATIFSPOUR LA FLOTTILLE

Athènes, 8 avril 2010. Je lis lesnouvelles dans l’avion qui m’emmène en Grèce. Tout lemonde ne parle que de la dette grecque et des mesuresd’austérité que le gouvernement Papandréou négocieavec le Fonds monétaire international (FMI) et l’Unioneuropéenne. Réduction des salaires des fonctionnaires etdiminution des pensions de 10 %, allongement de l’âge dela retraite, augmentation des taxes sur les carburants, lapotion semble bien amère. Depuis le début du mois demars, les manifestations rassemblent des foules de plusen plus nombreuses face à la trahison de leur gouverne-ment et à la voracité des banques. Dans ces conditions,comment nos amis grecs vont-ils pouvoir mener à sonterme l’immense effort de solidarité que représentel’affrètement d’un cargo à destination de Gaza ? Je n’aipas encore une idée précise de ce que coûte un cargochargé de 2 000 tonnes de matériel de construction, maisj’imagine que cela doit être énorme. Il semble en tout casque les militants grecs ne baissent pas les bras. Sousl’égide de Vangelis Pissias et de quelques amis, ils ontmonté une sorte de section locale mais autonome du Free

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Gaza Movement, « Ship to Gaza-Greece ». En fait, selonVangelis, qui est toujours membre du conseil d’adminis-tration du Free Gaza Movement, il était plus simple demettre en place une structure grecque, à la fois pour desraisons administratives et aussi pour être plus prochedes réalités locales. Ils ont donc créé Ship to Gaza ens’appuyant sur un large réseau soutenu par des organisa-tions syndicales, politiques et associatives, depuisl’extrême gauche jusqu’à certains députés de droite. EnGrèce, la cause palestinienne ne fait guère débat. Ils ontmaintenant des antennes un peu partout dans le pays.

J’appelle Vangelis, qui me donne rendez-vous auPolytechnion. Spiros, qui était au Caire, m’y attend. Évi-tant d’avouer tout de suite mon inculture, je ne dis pasque je n’ai pas la moindre idée ni du lieu ni de ce qu’estle « Polytechnion ». Mais je finis par trouver un taxi quiveut bien m’y emmener. Spiros, grand gaillard qui a déjàplusieurs traversées de l’Atlantique à son actif,m’accueille et me fait visiter les lieux. Le Polytechnion,l’Université polytechnique d’Athènes, est une sorte demélange entre la Sorbonne et l’université de Jussieu, etse trouve au beau milieu d’Exarchia, le quartier Latind’Athènes, sauf qu’au lieu d’être devenu un endroitbourgeois et touristique comme à Paris, il est resté lecentre de la contestation estudiantine et le quartier alter-natif de la ville. C’est simple, les flics n’y entrent pas ou,quand ils l’osent, c’est en tenue antiémeutes. Spiros mefait visiter le Polytechnion, qui vient de mettre gracieuse-ment des locaux à la disposition de la coalition grecque.Nous aurons une vraie salle de réunion, le téléphone etInternet. La fac est couverte d’affiches appelant à desmanifestations et à des concerts contre les plans gou-

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vernementaux. En fait, l’université est en grève, occupéedepuis quinze jours par les étudiants pour protestercontre les réformes imposées par le FMI. Alors que noustraversons l’un des bâtiments, nous tombons nez à nezavec une foule bruyante et électrique. Des centainesd’étudiants remplissent l’endroit, le hall d’entrée et lesescaliers sont pleins, une vraie fourmilière. Spirosm’explique qu’ils sont en train de préparer une assem-blée générale. Je ne peux m’empêcher de demander sil’on peut y assister. Spiros sourit, et nous nous y ren-dons. L’amphithéâtre est bondé, surchauffé, pour toutdire il déborde. Évidemment, je ne comprends rien auxdébats, mais j’ai l’impression de me retrouver quinze ansen arrière, en 1995, à l’université du Mirail à Toulouse,lorsque nous préparions le mouvement contre les réfor-mes du gouvernement Juppé. « Juppé un, six mois !Juppé deux, trois mois ! Il n’y aura pas de Juppé trois ! »Voilà ce que nous chantions à l’époque et, effective-ment, le gouvernement avait fini par tomber.

Retour à la réalité. Il est temps de nous rendre dansnos locaux et d’assister à notre assemblée. L’espace estvaste, avec une grande salle pour les réunions, plus loinune deuxième salle un peu plus petite, avec plusieursbureaux, des ordinateurs, et en prime une cuisine et unesalle de bains. Le tout est bien éclairé et donne sur unedes cours intérieures de la fac. C’est ici que je passeraile plus clair de mon temps quand je serai à Athènes. Aufur et à mesure, une bonne trentaine de personnes arri-vent et s’installent pour la réunion. Il y a évidemmentVangelis, mais aussi Mikhaelis, Dimitris et Takis quisont les moteurs de la coalition. Nous nous étions déjàcroisés au Caire. La majorité des autres sont des mem-

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bres de syndicats, de partis politiques et d’associationsdiverses et variées. Sont aussi présents des membres dela diaspora palestinienne établie en Grèce, dont l’ancienambassadeur palestinien. Tout le monde se salue etVangelis se charge de faire les présentations. Soudain,je vois entrer Nikos que j’ai connu à Beyrouth lorsque jefaisais ma thèse et que je vivais entre la Syrie et le Liban.Nous tombons dans les bras l’un de l’autre. Ça alors !Les mêmes questions fusent : « Qu’est-ce que tu fouslà ? Et la thèse, ça en est où ? » Nikos enseigne l’anthro-pologie en Suisse, à Zurich, et, comme moi, il traîne dansce genre d’endroits au lieu de finir d’écrire cette fichuethèse. La réunion commence enfin. Spiros fait office detraducteur. Takis et Vangelis reviennent de Turquie oùils ont participé à une réunion à Istanbul avec six autrescoalitions et organisations. Depuis quelques mois, lesamis grecs sont entrés en relation avec une coalitionsuédoise qui a elle aussi pour projet d’envoyer un bateauà Gaza à l’été 2010. De leur côté, les camarades du FreeGaza Movement ont annoncé qu’ils envisageaientd’envoyer plusieurs bateaux vers Gaza en 2010. Pour cefaire, ils ont commencé à collaborer avec plusieurs orga-nisations européennes dont une ONG turque, TheFoundation for Human Rights and Freedoms and Huma-nitarian Relief (IHH) 1 — qui a obtenu le statut de conseil-ler spécial auprès du Conseil économique et social desNations unies —, et The European Campaign to End theSiege on Gaza, une organisation de lobbying auprès del’Union européenne. Après deux jours de débats, ces

1. The Foundation for Human Rights andFreedoms and Humanitarian Relief, ONG tur-que, créée en 1992 (www.ihh.org.tr).

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cinq organisations, Free Gaza Movement, Ship to Gaza-Greece, Ship to Gaza-Sweden, The European Campaignto End the Siege on Gaza et IHH, ont convenu de formerune grande coalition internationale — « The FreedomFlotilla » — et d’envoyer ensemble au moins huit bateauxpour Gaza au milieu du mois de mai.

Cela change tout. On ne parle plus simplement d’unbateau grec ou gréco-suédois, mais d’une flottille inter-nationale, de plusieurs vaisseaux battant pavillons améri-cain, grec, turc… Ce serait une grande première. Chacundans la salle sent bien que l’aventure Ship to Gaza est entrain de changer de dimension, les esprits s’animent etles questions fusent… Serons-nous prêts dans un moiset demi à peine ? Comment allons-nous nous coordon-ner ? Est-ce que nous sommes sûrs de nos partenaires ?Où en sont-ils dans leurs préparatifs ? Takis et Vangelistentent vaillamment de répondre à toutes ces questions.Chaque organisation fait l’état des lieux de ses forces.Free Gaza Movement, en collaboration avec une ONGmalaisienne, Perdana Global Peace Organization, devraitpouvoir fournir deux petits bateaux de plaisance, ainsiqu’un cargo venant d’Irlande. Les Suédois et les Grecsdevraient fournir un cargo avec son chargement et contri-buer en partie au financement d’un bateau passagersd’une cinquantaine de places affrété par the EuropeanCampaign to End the Siege on Gaza. IHH vient d’acquériren Turquie un énorme bateau de croisière, le Mavi Mar-mara, et devrait mettre à flot deux autres cargos en colla-boration avec d’autres ONG. Il y aura donc quatre cargospour un chargement total de près de 10 000 tonnes de fretet quatre bateaux passagers pouvant embarquer au totalprès de sept cents personnes. Ce sont les Turcs qui sem-

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blent les plus avancés, car ils ont déjà pratiquementobtenu tous les navires. De leur côté, les camarades duFree Gaza Movement semblent avoir des problèmes avecle cargo qu’ils viennent d’acquérir en Irlande. C’est unvieux rafiot, qui a été laissé à l’abandon par son ancienaffréteur et vendu aux enchères. De nombreuses répara-tions sont nécessaires avant de pouvoir le remettre à flotet, comme le voyage depuis l’Irlande jusqu’en Méditerra-née prendra presque une quinzaine de jours, c’est unevraie course contre la montre.

Évidemment, cette coalition ne va pas sans mal. Sicertaines organisations ont déjà travaillé ensemble,comme le Free Gaza Movement et The European Cam-paign to End the Siege on Gaza, et si individuellementcertains se connaissent, c’est la première fois que tousces groupes travaillent ensemble. Et puis, pour des rai-sons historiques évidentes, la collaboration entre desorganisations turques et grecques n’est pas chose aisée.Certes, les relations entre les deux pays anciennementennemis se sont améliorées, mais les contentieux ausujet de Chypre, dont le nord est toujours sous domina-tion turque, et du partage de la souveraineté en mer Égéesont loin d’être réglés. Nombre de camarades grecss’inquiètent de savoir comment une telle collaborationsera comprise en Grèce. Et puis, l’ONG IHH, qui a pignonsur rue à Istanbul, n’est-elle pas une courroie de trans-mission directe du gouvernement turc ? Comment êtresûr que ce n’est pas une manœuvre de la Turquie pouraffaiblir politiquement la Grèce ? Les réponses de Vange-lis et de Takis sont simples et efficaces. D’abord, c’estaussi compliqué pour les Turcs que pour nous de s’enga-ger ensemble dans cette affaire, et certains milieux ultra-

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nationalistes turcs sont déjà en train de mener une cam-pagne contre IHH en expliquant qu’elle fait le jeu desennemis de la Turquie et notamment de la Grèce. Ensuite,même si IHH est une ONG qui bénéficie effectivement desubventions institutionnelles en Turquie, ce n’est pas unsimple relais du gouvernement, mais une organisationindépendante, reconnue internationalement, qui existedepuis plus de quinze ans. Elle intervient évidemment enPalestine, mais aussi dans plus d’une centaine de pays,musulmans ou non. Récemment encore, IHH a déve-loppé tout un programme de première urgence après leséisme qui a ravagé Haïti. Jusqu’à présent, tout le mondea joué franc jeu et privilégié les relations de confiance. Enfait, chacun est en train de prendre conscience que lesenjeux politiques de cette affaire sont en train de dépas-ser le strict cadre du soutien au peuple palestinien. Lesuccès ou l’échec de cette initiative aura sans doute desrépercussions sur les scènes politiques intérieures grec-que et turque, mais aussi dans toute la région.

Mikhalis, qui fait office de trésorier, nous annonceque le cargo gréco-suédois vient d’être acheté et setrouve en lieu sûr afin d’être complètement remis en état.Il devrait pouvoir accoster au Pirée, le port industrield’Athènes, fin avril ou début mai. Le vrai problème résidedans l’acheminement et le chargement de 1 000 tonnes debéton dans le port du Pirée. Il faut trouver une entreprisegrecque qui puisse nous fournir du béton dans un condi-tionnement adéquat pour le charger sur notre cargo, quia presque vingt ans d’âge. Bref, Il y a encore du pain surla planche. Mais nous avons au moins une bonne nou-velle : le syndicat des dockers du Pirée a décidé d’aider lacoalition. Vangelis nous explique comment il a obtenu

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leur accord et tout le monde s’esclaffe. Il a fait jouer laconcurrence, dit-il ! Après une longue présentation où illeur a expliqué en détail comment les dockers irlandaisavaient décidé de charger gratuitement, par solidarité, lecargo du Free Gaza Movement et de financer une partiedes réparations, il a juste demandé si les dockers du Piréeétaient d’accord pour contribuer au moins en partie auchargement du cargo grec. Atteints dans leur fierté, lessyndicalistes grecs ont répondu que non seulement ilsassureraient l’ensemble du chargement du cargo, maisqu’en plus ils se chargeraient aussi de la sécurité desbateaux de la Flottille dans le port. Nul ne pourra dire queles dockers grecs auront fait moins bien que les dockersirlandais !

D’autres camarades grecs font le point sur les réu-nions qui ont eu lieu dans toutes les villes du pays et surl’argent qui y a été récolté. De nombreuses initiativessont encore prévues durant tout le mois d’avril et aussiau début du mois de mai, dont une énorme soirée-concert à Athènes, où des célébrités nationales ontaccepté de chanter gratuitement pour aider à récolterdes fonds. Sous l’égide de Yourgos, photographe, denombreux peintres et sculpteurs grecs ont acceptéde donner des œuvres, qui seront vendues aux enchèresce soir-là, puis exposées pendant quinze jours dans unegalerie d’Athènes. Tout cela devrait rapporter pas mald’argent, mais est-ce que ce sera suffisant ? La discus-sion tourne maintenant sur les moyens de boucler unbudget qui s’élève à plusieurs centaines de milliersd’euros, sachant qu’il nous en manque encore quelquesdizaines de milliers. Je pense que nous devons élargirnos soutiens. Jusqu’à présent, et c’est normal, les orga-

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nisations se sont surtout préoccupées de trouver desbateaux, des équipages et les forces nécessaires pourlancer l’aventure dans leurs pays respectifs. Mais, à pré-sent, les cinq organisations sont en train de se coordon-ner. Il ne reste plus beaucoup de temps ni d’énergie pourtenter de mobiliser d’autres alliés et d’autres forces dansle reste du monde et notamment en Europe. Pourtant,l’évidente dimension internationale de la Flottille qui esten train de se construire doit nous pousser à agréger unmaximum de soutiens aux quatre coins de la planète. Decette manière, nous renforcerons le soutien politiquedont nous allons avoir besoin et nous trouverons peut-être l’argent qui nous manque. Des camarades grecsproposent de traduire en plusieurs langues un appel àsouscription qu’ils ont écrit pour plusieurs réseaux desoutien grecs. Je me charge de l’envoyer sur plusieursréseaux internationaux, et notamment dans les réseauxaltermondialistes et antiguerre. Le lendemain, j’appelle-rai aussi les camarades français de la CCIPPP, ainsi quemon organisation, Focus on the Global South, pour voircomment nous pouvons donner un coup de main à ceniveau. Il est 10 heures passé, il est temps que ça se ter-mine car on crève tous littéralement de faim. Nous quit-tons le Polytechnion pour manger ensemble dans unetaverne du quartier.

Le lendemain, Spiros et moi, traversant à nouveauune foule bruyante d’étudiants en train de peindre desbanderoles, ouvrons nos locaux et branchons le télé-phone et Internet. Tout fonctionne parfaitement. Tantmieux, nous allons en avoir besoin. Je commence parappeler les amis en France. Je leur explique la situationet les décisions que nous avons prises la veille au soir.

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Adnane et Nahla, qui coordonnent la CCIPPP à Paris,sont sur la même longueur d’onde que moi. Nousdevons absolument mobiliser le réseau de solidaritéavec la Palestine et voir si nous pouvons obtenir le sou-tien d’élus français. D’ici quinze jours, je prendrai l’avionpour Paris et, en attendant, je leur promets d’envoyerune note expliquant le contexte de la Flottille et commentnous pourrions aider les amis grecs. Deuxième coup detéléphone, je discute avec Walden Bello, le patron demon organisation. Je pense qu’il devrait faire partie de laFlottille. Après quelques minutes de discussion, noustombons d’accord. Nous allons essayer de monter unedélégation de personnalités en provenance d’Asie. Mal-heureusement, il ne peut pas s’en occuper car, dansquinze jours, c’est le début de la campagne électoraleaux Philippines et Walden est en course pour être rééluau Congrès. Bref, non seulement nous avons peu detemps, mais en plus le timing est très mauvais. Tant pis,nous ferons avec. Les autres camarades aux Philippineset à Mindanao veulent organiser plusieurs événementsautour de la Flottille et essayer symboliquement derécolter un peu d’argent. En Inde, Prabir va essayer devoir s’il est possible de lancer un appel de personnalitéset d’écrivains indiens. Je prépare pour chacun une noteexplicative sur la Flottille et nous convenons avec cer-tains de rediscuter d’ici trois ou quatre jours. Dansl’intervalle, ils tâteront le terrain pour voir ce qu’il estpossible de faire dans les différents réseaux locaux.

Le soir, je dîne avec Vangelis, Takis et quelquesautres amis ; la discussion tourne évidemment autour dela Flottille mais aussi de la situation en Grèce. Je leur disà quel point je suis étonné par leur niveau de mobilisa-

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tion malgré la crise économique et politique. En Grèce,me disent-ils, la solidarité avec la Palestine ne fait pasdébat ou presque — seuls les fachos et les racistes seprononcent contre. Et puis, la Grèce s’est toujours vécuecomme appartenant d’abord à la Méditerranée. Ensomme, les Arabes ne sont jamais que des cousins quivivent de l’autre côté de cette vielle mer qu’ils n’ontjamais cessé de traverser. Les amis grecs sont optimis-tes. Malgré les circonstances, ils sont sûrs d’allerjusqu’au bout. Bien sûr, comme toute coalition large,Ship to Gaza-Greece est un ensemble précaire quirepose sur un équilibre subtil entre différentes organisa-tions politiques et syndicales, depuis l’extrême gauche,en passant par le Pasok, le parti au gouvernement,jusqu’à certains députés de centre droit. Pour certainsdes partenaires, il y a la tentation de chercher à tirer desbénéfices politiques rapides d’une telle aventure, au ris-que de faire s’écrouler l’édifice. De manière générale, lasituation politique et sociale n’aide pas vraiment à fairerégner un climat serein. Après plusieurs mois de travailacharné, tout le monde commence à être sur les nerfs etVangelis et les quelques autres qui gèrent ce drôle denavire doivent sans cesse prévenir ou apaiser lesconflits entre les ego ou les tendances politiques. Nousdiscutons aussi de la situation en Palestine et descontacts avec Gaza. La Flottille est en contact aussi bienavec le Croissant-Rouge de Gaza, le PCHR 1, qu’avecle gouvernement local, c’est-à-dire le Hamas. Tout lemonde s’accorde sur deux choses : les gens à Gaza ontavant tout besoin de matériel de construction et approu-

1. Palestinian Center for Human Rights.

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vent les objectifs annoncés par la Freedom Flotilla, c’est-à-dire la dénonciation du blocus, le respect du droitinternational et l’urgence d’une réponse à la crise huma-nitaire. Tout le monde, y compris à Gaza, est d’accordpour s’en tenir là. Il n’y aura pas de manœuvre pour utili-ser la Flottille dans un sens ou un autre, et notammentpour l’engager dans la lutte interpalestinienne entre leFatah et le Hamas. C’est de bon augure. Nous discutonsenfin de l’envergure internationale de la Flottille. Je faisétat des discussions que j’ai eues dans la journée. Van-gelis considère que l’un des objectifs essentiels est derenforcer les soutiens en Europe. Il faut essayer non seu-lement de mobiliser les réseaux de solidarité avec laPalestine mais aussi d’institutionnaliser la Flottille.Nous avons besoin d’élus, de personnalités politiques etmédiatiques. Le problème, c’est que jusqu’à présenttoute cette aventure est restée dans l’ombre. Peu degens, y compris dans les réseaux de solidarité, saventqu’une flottille internationale est en train de se consti-tuer pour se diriger vers Gaza et tenter de briser le blo-cus. Il va falloir expliquer à tout le monde ce qu’est laFlottille, qui en sont les organisateurs, quels en sont lesobjectifs. Il va falloir persuader organisations politiqueset syndicales, élus et médias que cette histoire qui peutsembler farfelue est au contraire très sérieuse. Or nousavons un petit mois devant nous, et cela va être court,très court.

Les jours se suivent dans les locaux de Ship to Gazaau Polytechnion, où nous mettons en place le site Web etla page Facebook de Ship to Gaza-Greece. Nous lançonsune première mouture d’un appel de soutien internatio-nal que les amis tentent de relayer en Europe et dans le

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reste du monde. Le soir, je suis hébergé chez Spiros etLina, sa compagne ; tous deux sont des hôtes adorables.Non seulement je suis logé et blanchi par eux, mais enplus je dois me bagarrer pour arriver à payer ne serait-ceque les courses du dîner. L’hospitalité grecque n’est pasun vain mot ! Je les accompagne à l’une des grandesmanifestations nationales contre les mesures d’austé-rité. La plupart des membres de Ship to Gaza vont s’yretrouver pour manifester et aussi distribuer des tractsappelant à la grande journée de soutien à la Flottille quiaura lieu le lendemain. Cette manifestation du 23 avril estimpressionnante. Sous un soleil de plomb, au moins10 000 personnes s’avancent vers le Parlement et, en pre-mière ligne, ce sont des retraités qui font reculer les uni-tés antiémeutes ! Cependant, lorsque nous arrivons prèsdu Parlement, c’est une autre histoire et, cette fois, c’estla manifestation qui recule. Je vois des manifestantsayant largement dépassé la soixantaine se faire baston-ner et arrêter par la police. Les gens sont vraiment enrage, quelle que soit leur génération. Avec ces nouvellesbatteries de réformes antisociales, tout le monde trin-quera, les jeunes comme les vieux, les salariés commeles retraités. Quoi qu’il en soit, l’accueil réservé à notretract a été plus que chaleureux, beaucoup de manifes-tants s’arrêtant pour discuter avec notre groupe et nousencourager. À tel point que la caisse de soutien que tientSpiros est remplie à ras bord avant même la fin de lamanifestation. Je commence à prendre la mesure de lapopularité de la cause palestinienne en Grèce, incompa-rable. Je ne suis pas au bout de mes surprises, car le len-demain, en plein centre d’Athènes, plusieurs milliers depersonnes viendront assister à notre journée de soutien.

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Plusieurs films sont diffusés, dont Gaza We Are Coming !,qui raconte comment les deux premiers bateaux sontarrivés à Gaza en 2008. L’exposition des tableaux etsculptures des artistes est un succès et près de 5 000 per-sonnes assistent pour finir au concert de soutien en pleinair. Entre deux tours de chant, Vangelis et d’autres décri-vent la situation à Gaza et expliquent pourquoi nous vou-lons briser le blocus. La foule terminera la soirée aux crisde « Libérez Gaza ! » et de « Vive la Palestine ! ». Nousfinissons vers 1 heure du matin, épuisés, tandis que Mik-halis fait les comptes. Nous avons récolté près de10 000 euros. Mission accomplie. Aucune fausse note,pas une bagarre n’est venue ternir la soirée, alors quenotre concert a eu lieu en plein air et que nous n’avonsmême pas de service d’ordre. Je sais qu’une telle choseserait impossible en France, où nous aurions eu droit, auchoix, à une descente des nervis de l’ultra-sioniste Liguede défense juive, ou bien à une parade d’un ramassis demouvements fachos négationnistes désireux de sortirdes poubelles de l’histoire en surfant sur la cause pales-tinienne. Il nous est déjà arrivé d’avoir eu à riposter, phy-siquement, aux deux à la fois. Décidément, la Grèce estun beau pays…

Je quitte Athènes à regret pour quelques jours, letemps de faire le tour des possibles soutiens en France.Comme pratiquement à chaque fois, c’est un Paris plu-vieux et froid qui fait office de comité d’accueil. Je vaisrester quinze jours environ et mon programme estchargé. Avec les amis de la CCIPPP, nous allons faire letour des organisations avec lesquelles nous travaillonshabituellement : le Collectif pour une paix juste et dura-ble entre Palestiniens et Israéliens, qui comporte une

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quarantaine d’organisations, syndicats et partis politi-ques 1, ainsi que la plate-forme des ONG pour la Pales-tine, à laquelle participent la Ligue des droits del’Homme, Amnesty International, le Mouvement de lapaix, le Comité catholique contre la faim dans le mondeet le Secours catholique. Nous organisons plusieursréunions pour présenter la Flottille, ses objectifs etl’intérêt qu’elle représente. Nous voulons que toutes cesorganisations soutiennent la Flottille et organisent unedélégation française qui y prendra part. Comme nousnous y attendions, la réponse est plutôt molle. Personnen’a vraiment suivi l’affaire et puis il y a un vague projet delancer un bateau pour l’automne. Nous avons beauexpliquer que c’est maintenant qu’il faut le faire, avectous les autres, et non pas attendre six mois pour partirtout seul, beaucoup restent sceptiques. Peu connais-sent les organisations qui ont lancé la Flottille, et évi-demment cela crée des interrogations. Qui sont-ils ?Pourquoi ne nous ont-ils pas contactés plus tôt ? Diffi-cile de passer par-dessus une fierté un peu « franchouil-larde ». Nombre d’amis en France semblent en effet unpeu froissés de ne pas avoir été associés plus tôt au pro-jet. J’essaie tant bien que mal d’expliquer que cette coa-lition vient tout juste de naître et que les Grecs commeles Turcs ou les Suédois ont surtout passé leur temps àréunir les fonds et les forces nécessaires pour acheterleurs bateaux, mais ça ne prend pas vraiment. Et puis,tout le monde est effrayé par les délais. À peine un moisavant le départ, pour des bateaux à la mi-mai ! Pour

1. Dont la CGT, la FSU, SUD, le Parti commu-niste, les Verts ou le NPA.

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beaucoup, c’est un challenge perdu d’avance, impossi-ble de mener une campagne sérieuse en un mois. Enfin,après plusieurs jours de palabres, nous réussissonstout de même à obtenir que l’ensemble des organisa-tions signent l’appel international de soutien et contri-buent très symboliquement au chargement du cargogrec. Nous travaillons aussi sur la future délégation.Nous avons besoin d’élus et de personnalités politi-ques. Je sais qu’on peut compter sur quelques députés.Adnane prend contact avec Mireille Fanon-MendesFrance, qui anime la Fondation Franz-Fanon et qui estaussi la collaboratrice du député Patrick Braouezec,ainsi qu’avec Alima Boumediene-Thierry, sénatriceverte. De mon côté, je passe par Arles et Toulouse pourfaire une visite rapide à mes proches. À Toulouse, jeretrouve Nadia, qui est l’une des dirigeantes d’une ten-dance minoritaire du Parti socialiste, et qui représentepour moi ce qui reste de réellement à gauche dans ceparti, c’est-à-dire quelque chose de très marginal. C’estun vieux débat entre nous. Il n’empêche, cela fait plus dequinze ans que nous sommes des amis proches. Elle estaussi l’attachée parlementaire de Françoise Castex,l’une des rares députées européennes du Parti socia-liste qui ait eu le courage de dénoncer l’occupationisraélienne et les massacres de Gaza. Nadia et Fran-çoise connaissent bien la Palestine pour y être alléesrégulièrement durant la deuxième Intifada. Elles ontaussi fait partie de la mission parlementaire de supervi-sion des élections législatives palestiniennes en 2006.Annonçant que ces élections avaient été démocratiqueset régulières, Françoise fut encore l’une des rares, àl’époque, à dénoncer l’embargo international contre le

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gouvernement du Hamas, vainqueur des élections.J’aimerais bien qu’elles soient de la partie. Les discus-sions sont plutôt positives, mais le problème, une fois deplus, c’est le timing. Il faudrait que des députés et dessénateurs réussissent à libérer leurs agendas pour aumoins dix jours entre le 15 et le 25 mai, et c’est dans troissemaines. Espérons que nous serons chanceux. Je télé-phone de temps en temps aux amis grecs pour les tenirinformés et aussi pour savoir si la date de départ est tou-jours maintenue au 15. Coup de chance, le départ estrepoussé au 18 mai. Cela arrange quelque peu mes affai-res, je rappelle tout le monde, et les élus en premier : ilsont quelques jours de plus pour s’organiser et, surtout,ils pourront embarquer directement depuis Chypre, cequi nous fera gagner encore deux ou trois jours. En effet,grâce à l’appui de plusieurs députés chypriotes, la coali-tion grecque a pu négocier que la délégation des person-nalités et députés internationaux embarque à Chypre surdes vedettes rapides et rejoigne nos bateaux, qui lesattendront à la limite des eaux internationales. Ils évite-ront ainsi un ou deux jours de traversée depuis le port duPirée ou de celui d’Antalya en Turquie.

Le 1er mai, je vais à la manifestation parisienne. J’enprofite pour discuter avec Alain Krivine et Olivier Besan-cenot, croisés dans le cortège du Nouveau parti antica-pitaliste (NPA), dont je suis membre. Je tâte le terrain :est-ce qu’ils seraient prêts à monter sur un des bateaux,dans quinze jours ? Olivier a l’air crevé, la campagneélectorale l’a lessivé. Bien que fermement attaché à lacause palestinienne et ayant déjà séjourné dans les terri-toires occupés, pour lui ce sera non. Il a besoin de repos.Mais ils en discuteront au Conseil national le lundi sui-

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vant et essaieront de voir si des membres de la directionnationale peuvent participer à la Flottille. Tandis quenous discutons, le Parti socialiste, qui est venu en force,fait une apparition remarquée. Alors que nous atten-dons pour pouvoir nous engager sur le boulevard Vol-taire, nos deux cortèges se trouvent face à face et c’estplutôt tendu. Pendant que ça bouchonne, j’en profitepour saluer dans le cortège de la Confédération natio-nale du travail quelques amis qui regardent la scène,goguenards. Mais bon, tout se termine à peu près bien.Le traditionnel frottage d’oreilles du 1er mai n’a pas eulieu et c’est tant mieux. La semaine qui suit est plutôtmorose, les mauvaises nouvelles tombent en cascade.Personne de la direction du NPA ne peut ou ne veut selibérer pour prendre part à la Flottille, tandis quej’attends toujours un coup de fil d’élus du Parti commu-niste français censés participer à la délégation. Appelqui ne viendra malheureusement jamais. Et ça continue :ni Alima Boumediene-Thiery, qui anime une commis-sion au Sénat ni Patrick Braouzec ne pourront venir,leurs emplois du temps étant trop chargés. Du côté desONG et des associations, ça n’avance pas beaucoupnon plus. La soirée de soutien que nous devions organi-ser à Paris ne cesse d’être reportée, pour finalement êtrereprogrammée fin mai, lorsque la Flottille devrait être àquelques milles de Gaza. Nous contactons le groupe« Ministère des Affaires populaires » pour voir s’il seraitprêt à jouer à notre soirée de soutien. C’est d’accord sinous trouvons une salle adéquate. En revanche, je n’aitoujours pas de nouvelles des personnalités de lasociété civile qui devaient être contactées par le collectifnational. La délégation se réduit de jour en jour… En

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attendant, je repousse mon départ pour la Grèce, enespérant que cela en vaille la peine. Mauvaise idée. Lesnouvelles se suivent et se ressemblent, le départ de laFlottille est à nouveau repoussé au 22 mai. Ce qui veutdire que nous ne serons pas de retour avant le 2 ou le3 juin, si tout se passe bien. C’est trop tard pour Nadia etFrançoise Castex qui renoncent. Nous sommes le11 mai, je dois partir pour la Grèce dans trois jours.L’idée de délégation française est enterrée. Ce n’est pastout, car le concert de soutien finit lui aussi par fairechou blanc, faute de salle. Grâce à la bonne volonté deMireille Fanon-Mendès France et d’Adnane Ben Yous-sef, nous préparons tout de même une conférence depresse à l’Assemblée nationale, qui aura lieu le 26 mai.L’ensemble des organisations politiques, syndicales etassociatives amies y sont invitées pour exprimer leursoutien à la Flottille. Je repars finalement en Grèce avecen tout et pour tout quelques signatures sur un texte desoutien et une conférence de presse, certes à l’Assem-blée nationale, mais c’est loin, très loin de ce que nousavions cru pouvoir mobiliser en France. Bien sûr, lesdélais, à peine un mois, ne nous ont pas aidés, mais jesuis quand même sacrément déçu. J’ai du mal à accep-ter que le mouvement de solidarité avec la Palestine enFrance ne soit pas partie prenante d’un tel événement.J’espère que les amis grecs arriveront à le comprendre.

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5. EN RADE

J’arrive à Athènes le 15 mai,avec le ciel bleu et le soleil pour seule consolation. Mais,pour tout dire, mes malheurs franco-français sont lecadet des soucis des amis grecs. Vangelis s’arrache car-rément les cheveux. Impossible de trouver une entreprisequi puisse nous livrer le béton à temps pour pouvoir par-tir le 22. Pour être exact, on pourrait avoir le béton dans lestemps, mais pas dans le conditionnement nécessaire et,cerise sur le gâteau, ce sera plus cher que prévu. Sanscompter que la tension entre les différents membres de lacoalition commence à monter. Les camarades turcs sontprêts depuis plusieurs jours et voient chaque report de ladate de départ d’un mauvais œil. En fait, ce sont surtoutleurs six cents passagers, venus de Turquie et d’ailleurs,qui commencent à trouver le temps long à Istanbul. Mêmeson de cloche au sein de The European Campaign to EndSiege on Gaza, car, à chaque fois que les dates sont déca-lées, c’est un vrai casse-tête pour conserver la délégationde députés et de personnalités qui doit nous rejoindre àChypre. Nous venons déjà de perdre le cargo Rachel Cor-

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rie 1 qui est parti du port de Dundalk en Irlande le 14 mai etqui va devoir s’arrêter à nouveau dans un port irlandais àcause d’ennuis mécaniques. Nous ne savons pas quandil pourra repartir, mais ce qui est certain, c’est qu’il n’arri-vera jamais à temps pour nous rejoindre. Les amis duFree Gaza Movement qui ont affrété le bateau sont per-suadés qu’il a été saboté. Nous apprendrons plus tardque c’est sans doute le cas 2. Quoi qu’il en soit, la coali-tion ne peut se permettre de perdre le cargo gréco-sué-dois sous peine de voir s’évaporer un grand contingentde sa composante européenne. Il va bien falloir trouverune solution, d’autant plus que notre Flottille, qui jus-que-là ne mobilisait guère l’attention des médias interna-tionaux, commence à faire parler d’elle. Ou, plutôt, c’est legouvernement israélien qui commence à faire parler denous. Depuis la fin du mois d’avril, il ne se passe prati-quement pas une journée sans qu’un officiel israélien nelance un avertissement contre notre campagne. À forcede répéter partout que nous sommes devenus unemenace existentielle pour la sécurité d’Israël, notre initia-tive commence à rencontrer un écho dans les médias.Nos efforts pour mobiliser les divers réseaux de solida-rité commencent aussi à payer. De nombreux communi-qués de soutien nous arrivent de partout dans le monde.

Le 16 mai au matin, coup de fil de Spiros : il est dansle port du Pirée, notre bateau est enfin arrivé ! Nikos etmoi nous précipitons pour le voir. C’est un majestueux

1. Baptisé ainsi en hommage à Rachel Corrie,jeune militante américaine de l’InternationalSolidarity Movement (ISM), morte en 2003,dans la bande de Gaza, sous les chenillesd’un bulldozer israélien alors qu’elle tentaitd’empêcher la démolition de la maison d’unmédecin palestinien.

2. Voir Jonathan LIS, « Mossad chief : Israelgradually becoming burden on U.S. », Haa-retz, 1er juin 2010, www.haaretz.com/news/diplomacy-defense/mossad-chief-israel-gra-dually-becoming-burden-on-u-s-1.293540 etDan WILLIAMS, Reuters, 30 juin 2010.

En rade

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cargo de 1 200 tonnes qui, du haut de ses vingt ans, en avu d’autres. Il est rebaptisé le Sophia par ses nouveauxpropriétaires, c’est-à-dire Ship to Gaza-Greece et Shipto Gaza-Sweden. Sophia, la sagesse… Espérons doncque c’est elle qui prévaudra et que nous passerons. Enattendant, les jours filent de plus en plus vite.

Petit à petit, les futurs passagers nous rejoignent.Dror Freiler, qui est l’un des porte-parole de l’Union juiveeuropéenne pour la paix et l’un des fondateurs de la coa-lition suédoise, vient d’arriver. Dror est né en Israël deparents communistes. Après avoir fait son service mili-taire, il a quitté le pays pour la Suède, dont il a adopté lanationalité. Pour avoir vécu de très près la réalité del’occupation dans les territoires, il en est aujourd’hui unadversaire farouche. Nous nous retrouvons sur le quai,en face du Sophia, et, après les présentations d’usage,nous montons enfin sur le pont. La fierté qui illumine sonvisage fait plaisir à voir. « Finalement, me dit-il, on auradrôlement trimé, mais cela en valait la peine. Regardecomme notre bateau est beau ! » Nous faisons connais-sance avec le futur équipage. Je ne peux m’empêcher depenser que le capitaine, avec ses manières bourrues etson visage buriné, répond en tout point aux stéréotypesdu vieux loup de mer grec — pardon, crétois, et je saisqu’il y tient. En tout cas, il n’y a pas d’erreur possible :rien qu’à la façon dont il hurle depuis sa cabine, tout lemonde sait qu’il est le seul maître à bord. Dror, qui estmusicien professionnel, va chercher son saxophone etdécide de jouer pour l’occasion. Tout le monde s’arrêteet profite du récital. Jusqu’à ce que notre capitaine rap-pelle les troupes à l’ordre et nous fasse déguerpir. Lui etle chef mécano ont encore du pain sur la planche et la

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visite est ter-mi-née ! Nous pourrons revenir dans quel-ques jours lorsqu’il faudra charger le bateau, nousannonce-t-il. À moitié en rigolant, à moitié en hurlant. Enfait, je découvrirai plus tard que, comme tout bon vieuxloup de mer, il a un cœur d’or, caché sous une carapacede porc-épic. Mais bon, pour l’heure, je prends le parti del’éviter au maximum…

Alors que nous sommes sur le point de quitter lequai, j’aperçois Ewa et Caoimhe qui se dirigent versnous. Je connais bien Ewa Jasiewicz, car, avec quel-ques autres camarades, nous avons vécu ensemble desacrées aventures. Nous nous sommes connus en Irak,après l’invasion américaine. À l’époque, plusieurs ONGet associations dont Focus on the Global South, laCCIPPP et l’organisation italienne Un Ponte Per 1,avaient fondé à Bagdad l’Occupation Watch Center 2.Ewa, quelques autres et moi-même avons donc monté cecentre et vécu en Irak jusqu’en mai 2004. Ewa, qui parlecouramment l’arabe, avait alors passé plusieurs moisdans le Sud, à Bassora, où elle a noué de solides liensavec la Fédération des syndicats du pétrole irakien, bêtenoire de Paul Bremer, le proconsul américain de l’épo-que, comme de tous les « gouvernements » irakiens quiont suivi. Nous avons continué à travailler ensemble surl’Irak et puis, après 2008, elle s’est lancée corps et âmedans l’aventure du Free Gaza Movement. Quant àCaoimhe Butterly, nous nous sommes rencontrés enPalestine tout d’abord, puis au Liban où elle a résidéquelques années, notamment pendant la guerre de 2006.

1. www.unponteper.it.2. À partir de ce centre, nous avions pourobjectif d’étudier l’impact de l’invasion et de

l’occupation américaines sur les champspolitique, économique et sur les droits del’homme en Irak.

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Caoimhe est une militante des droits de l’homme de lon-gue date qui a un courage hors du commun. Elle a déjàsans doute parcouru la moitié de la planète, depuis leZimbabwé jusqu’au Chiapas et au Guatémala en pas-sant par Haïti et New York où, à l’âge de 18 ans, elle étaitdéjà volontaire au Catholic Worker Movement. Cesretrouvailles font plaisir et nous échangeons des nouvel-les de nos amis communs. Malgré l’humeur difficile denotre capitaine, elles ne peuvent s’empêcher de monterà bord pour faire la visite du cargo. Ewa m’interpelle :« Tu seras sur celui-là ? » En fait, je ne sais pas encore sij’embarquerai sur le cargo ou sur le bateau passagers, leSfendoni, qui ne devrait d’ailleurs pas tarder à arriver ducôté du port de plaisance du Pirée. Ewa et Caoimhe par-tiront, quant à elles, avec les deux petits bateaux de FreeGaza qui mouillent déjà dans le port d’Héraklion enCrète.

Finalement, nous retournons tous ensemble auPolytechnion, où nous devons avoir une des dernièresréunions de préparation avant le départ, qui approche àgrands pas. Je retrouve Vangelis et les autres amisgrecs ainsi que le docteur Arafat Shoukri qui représentethe European Campaign to End the Siege of Gaza. Van-gelis fait les présentations et nous commençons la réu-nion. Elle tourne autour de deux choses : la date dedépart et les réactions israéliennes à la Flottille. Labonne nouvelle, c’est qu’une solution pour le charge-ment de notre cargo a enfin été trouvée. Grâce à l’inter-vention du CBSP, le Comité de bienfaisance et de sou-tien à la Palestine, notre bateau sera chargé d’unecentaine de maisons en préfabriqué, auxquelles vien-dront s’ajouter plusieurs générateurs électriques pour

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un hôpital de la bande Gaza, deux unités de désalinisa-tion d’eau de mer, une centaine de fauteuils électriquespour handicapés, plus une tonne ou deux de papier et dejouets pour enfants. Toutes choses dont Israël interditalors l’entrée dans Gaza pour de soi-disant raisons desécurité 1, y compris les jouets pour enfants et le papierA4 ! Si vous en avez la curiosité, je vous conseille d’allervisiter le site de l’ONG israélienne Gisha pour voirjusqu’où Israël peut pousser le vice dans la volontéd’écraser la population de Gaza et la liste hallucinantedes produits dont elle interdit le passage 2. Toujoursest-il que, grâce au CBSP, nous allons pouvoir remplirnotre bateau avec des maisons préfabriquées, qui, cer-tes, ne permettront pas de reconstruire de manière dura-ble, mais aideront au moins très concrètement une par-tie des familles qui vivent toujours sous des tentes oudans les ruines de leurs habitations. L’ensemble duchargement de préfabriqués devrait arriver d’ici deux outrois jours, quant au reste, le papier, les fauteuils électri-ques, les générateurs, tout est déjà à Athènes et attendd’être embarqué. Cependant, même si tout se passebien, le Sophia ne pourra jamais partir le 22 comme c’étaitprévu. En effet, même si l’ensemble du chargementarrive autour du 20 ou du 21, il faudra au moins compterquatre à cinq jours pour tout charger.

Takis, qui revient d’Istanbul, nous annonce lerésultat des négociations avec les amis turcs. Les troisbateaux d’IHH partiront d’Antalya, où ils viennent d’arri-

1. En anglais, cela donne : « for dual use rea-sons », c’est-à-dire qu’un bien ou du matérielpourrait avoir un usage aussi bien militaireque civil.

2. www.gisha.org/UserFiles/File/publications/Products060610_Eng(1).pdf.

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ver, le 24 au plus tard, et l’énorme bateau de croisière, leMavi Marmara, sans doute le 22. Ils considèrent qu’ils nepeuvent pas faire attendre leurs six cents passagers pluslongtemps. C’est l’explosion dans la salle ! Impossiblede charger ce vieux cargo de 1 200 tonnes en trois jours !En plus, c’est la grève générale, le pays marche au ralentiet les dockers sont eux aussi en grève ! Est-ce que lesTurcs veulent partirs tout seuls ? L’ancien ambassadeurpalestinien qui anime la diaspora palestinienne en Grècecalme le jeu. Nous pouvons y arriver, et tant pis si nousdevons charger jour et nuit sans nous arrêter. Et s’il fautmobiliser l’ensemble de la communauté palestinienne etarabe de Grèce pour venir aider à charger le bateau, on lefera. Quant aux dockers grecs, ils ont donné leur parole :grève ou pas, ils ne nous lâcheront pas.

Cependant, il reste un problème majeur, à savoirl’attitude du gouvernement grec. Car cela fait près d’unesemaine que Vangelis fait le pied de grue dans lesbureaux des autorités portuaires et attend toujours lesderniers papiers nécessaires pour que nos navires puis-sent appareiller légalement. Depuis une semaine, c’estle silence radio dans les bureaux concernés. La veille,lundi 17 mai, Vangelis et Mikhalis ont eu la confirmationde ce qu’ils pressentaient. Le gouvernement grec, qui,jusqu’à présent, soutenait notre initiative, est en train denous lâcher et succombe aux pressions de plus en plusfermes exercées par Israël. Grosse animation à nou-veau. De nombreux camarades grecs veulent dénoncerpubliquement le gouvernement de Papandréou. Il fautfaire une manifestation devant l’Assemblée nationale !Vangelis tente de calmer le jeu. Nous devons être plusfins que cela, nous sommes toujours en négociation

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avec le gouvernement, nous avons le soutien de nom-breux partis politiques, de syndicats et surtout de dizai-nes d’élus de tous bords. Ce n’est pas encore le momentde rompre avec le gouvernement et de se lancer dans unaffrontement direct. Le lendemain, une délégation d’élusqui soutiennent la Flottille rencontrera officieusementles autorités et tentera d’obtenir les documents néces-saires. S’ils font chou blanc, il sera toujours temps defaire pression publiquement sur le parti au pouvoir. Pourl’instant, si nous pouvons garder le gouvernement denotre côté, c’est un atout qui pourra toujours nous servirlorsque nous serons partis. Puisque de nombreux jour-nalistes viennent d’arriver, nous allons commencer àentreposer le chargement — les unités de désalinisation,les fauteuils électriques et les générateurs — sur le quaien face du cargo. Nous montrerons ainsi que nous som-mes prêts à charger.

Thakis continue de faire le compte rendu de la réu-nion qui a eu lieu à Istanbul : le gouvernement turc vientd’interdire à ses députés de se joindre à la Flottille. Nou-velle explosion dans la salle : à quoi jouent les Turcs ?Est-ce que le gouvernement d’Erdogan serait en train denous abandonner ? Pourquoi nous mettre des bâtonsdans les roues ? Sont-ils en train d’utiliser la Flottillepour négocier en catimini avec le gouvernement israé-lien ? Cette fois-ci, c’est Arafat Shoukri, qui revientd’Istanbul lui aussi, qui prend la parole. Non, les Turcsne sont pas en train de nous lâcher et nous avons tou-jours le soutien du gouvernement. Mais, effectivement,les pressions commencent à être énormes. Les Israé-liens glissent vers un discours de plus en plus violent etspécifiquement dirigé contre la Turquie, pour expliquer

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que toute cette histoire de Flottille n’est qu’une manœu-vre orchestrée depuis le début par le gouvernement turcet qu’IHH n’est qu’un paravent du pouvoir d’Erdogan. Ilsemble que les gouvernants israéliens soient entrésdans une logique d’affrontement avec la Turquie, ce quin’était pas dans les plans d’Ankara. Or, avec une ving-taine de députés turcs qui doivent théoriquement fairepartie de notre Flottille, le gouvernement turc sembleavoir peur de deux choses : d’une part, d’apparaîtrecomme le commanditaire de la Flottille — ce qui n’ajamais été le cas — et, d’autre part, que, en cas d’attaqueisraélienne, les conséquences politiques deviennent dif-ficilement maîtrisables. Que se passerait-il si un ou desdéputés turcs étaient emprisonnés ou blessés par lessoldats israéliens ? Nous devons nous faire confiance etne pas tomber dans le piège de la division, car c’est ceque cherchent les Israéliens. Bien qu’elles ne nous ras-surent qu’à moitié, les paroles d’Arafat Shoukri sonnentjustes.

Nous commençons à analyser les réactions du gou-vernement israélien. Depuis plusieurs semaines, lesofficiels israéliens ont fait le tour de l’Europe pourdemander aux gouvernements européens de nousempêcher de partir. Dans le même temps, ils n’ont cesséde nous menacer. Il y a quelques jours, Ehud Barak, leministre de la Défense israélien, a même annoncé quenotre Flottille représentait une menace existentiellecontre Israël et qu’il superviserait personnellement lesopérations pour nous empêcher d’arriver à Gaza. Ils ontmis en place une cellule de crise spéciale réunissant leministère de la Défense, le ministère des Affaires étran-gères, le ministère de la Justice, ainsi que les autorités

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pénitentiaires, pour s’occuper spécialement de nous. Il ya de fortes probabilités que le cargo de Free Gaza ait étésaboté en Irlande et ils essaient maintenant de nousempêcher de quitter la Grèce ou en tout cas de nousempêcher de partir à temps. Mais les seuls avec lesquelsils sont dans une logique d’affrontement et non de pré-vention sont les Turcs. Il semble donc que leur scénarioidéal soit de briser la Flottille en plusieurs morceaux, lesIrlandais d’un côté, les Grecs et les Suédois d’un autre,les Américains d’un autre encore, et les Turcs toutseuls. Il faut donc maintenir coûte que coûte l’unité de lacoalition et la confiance, alors que nous entrons dans ladernière ligne droite. Cependant, de nombreux camara-des considèrent que ce battage orchestré contre nouspar l’État d’Israël est plutôt de bon augure. Après tout,toutes ces imprécations, tout ce remue-ménage diplo-matique donnent une certaine impression de panique deleur part. S’ils voulaient véritablement nous attaquer enmer, ils ne feraient pas tant de bruit et se contenteraientde nous envoyer leurs commandos au moment oppor-tun, au lieu de nous assurer un maximum de publicité.Espérons que le vieil adage « les chiens aboient et lacaravane passe » soit encore d’actualité. Cela dit, nousdevons tout faire pour souder les rangs. Thakis rappelleles camarades turcs d’IHH pour expliquer notre situa-tion et voir comment assurer une meilleure communica-tion entre nous. Après quelques minutes de discussion,tout le monde s’accorde sur la proposition suivante : lescamarades grecs feront leur maximum pour être prêts àpartir le 25, quitte à travailler jour et nuit. Cependant, etquoi qu’il arrive, les camarades turcs nous attendront,plusieurs jours si nécessaire. En somme, ils ne partiront

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pas sans nous. Enfin, un camarade grec et un camaradesuédois rejoindront le Mavi Marmara afin de faire la liai-son avec nous et d’assurer une meilleure coordination.Dimitris et Mathias se rendront donc au plus tôt à Anta-laya et resteront sur le Mavi Marmara jusqu’à la fin del’aventure. Malgré les tensions et les éclats de voix, nousterminons quand même notre réunion sur une note posi-tive : le Sfendoni, notre bateau passagers, arrivera bienau port du Pirée le lendemain matin.

Le 19 mai, nous nous rendons donc au port de plai-sance pour découvrir le Sfendoni. On l’appelle aussi le« bateau des 8 000 », en hommage aux prisonniers palesti-niens. Bien sûr, notre objectif, c’est Gaza. Mais Gaza faitpartie de la Palestine et, aujourd’hui, plus de 8 000 Palesti-niens, hommes, femmes et adolescents, croupissentdans les prisons israéliennes, la plupart sans jugement.Nous y faisons la première réunion avec l’ensemble oupresque des passagers, dont les derniers viennent toutjuste d’arriver. Américains, Anglais, Italiens, Libanais,Koweïtiens, Anglais, Espagnols, Allemands, Suisses,Grecs, Suédois et bien sûr les amis français du CBSP, entout une cinquantaine de passagers représentant unedizaine de nationalités sont à bord. Tout le monde se pré-sente, puis nous faisons une première réunion où lescamarades de Free Gaza, qui ont l’expérience de ce genred’initiatives, décrivent en long et en large les divers scé-narios auxquels ils ont été confrontés lors des précéden-tes traversées. Certes, la taille et la nature de notre Flot-tille rendent cette aventure un peu unique. Mais c’esttoujours rassurant de savoir que d’autres bateaux sontpassés avant nous et que, même lorsqu’ils ont été arrai-sonnés par la marine israélienne, il n’y a jamais eu un seul

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coup de feu de tiré, ni un seul blessé. Nous discutons desmoyens de résister en cas d’attaque israélienne. Tout lemonde s’accorde sur la volonté d’une résistance passiveau cas où les Israéliens monteraient à bord, ce qui, nousl’espérons, n’arrivera pas. L’idée est de se mettre enchaîne autour de la cabine d’équipage et d’empêcher leplus longtemps possible les soldats de prendre lecontrôle du navire. Évidemment, nous savons que siIsraël nous envoie ses commandos, nous n’aurons pas ledessus. Mais nous opposerons au moins une résistancenon violente à la marine israélienne.

En fin d’après-midi, je rentre à Athènes avec les amisdu CBSP. Voilà des années que nous travaillons les unset les autres sur la Palestine, mais c’est seulement ici, enGrèce, que nous nous rencontrons. Je connais depuislongtemps l’existence du Comité de bienfaisance et desecours aux Palestiniens 1. J’ai pu, lorsque j’étais àNaplouse en 2002, voir les résultats de leur travail. Je saisque, comme toute organisation charitable, ils ne font pasbeaucoup de bruit mais qu’ils sont très efficaces. Depuisles années 1990, ils interviennent sur des projets éduca-tifs, parrainent des orphelins et des familles en détresse,contribuent directement à l’aide alimentaire des Palesti-niens les plus pauvres en lien avec le Croissant-Rougelocal. Cela fait maintenant vingt ans qu’ils sont actifs enPalestine. Cependant, ils préfèrent rester en retrait desmanifestations et des mobilisations pour la Palestine. Ilsse conçoivent comme une organisation de charité isla-mique avant tout, qui n’est pas investie dans l’actionmédiatique, ni dans le rapport aux politiques. De même,

1. www.cbsp.fr.

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ils connaissent l’action des CCIPPP pour avoir travailléici ou là avec certains d’entre nous, que ce soit en Pales-tine ou en France. Mais il est vrai que nous ne sommespas forcément engagés dans les mêmes types d’actions.Du coup, nous passons la journée à discuter ensemblede nos diverses activités et des amis communs que nousavons en Palestine. Mais ma première question est desavoir comment ils ont atterri là. Je leur explique les troissemaines passées en France à remuer ciel et terre pourformer une délégation et trouver des soutiens. Si seule-ment j’avais su plus tôt qu’ils seraient présents dans laFlottille… Ahmed et Youssef qui vivent l’un à Paris,l’autre à côté de Lyon, m’expliquent qu’ils sont en liendepuis des années avec IHH. Ils ont commencé à travail-ler avec eux sur l’idée d’un bateau pour Gaza depuis prèsde six mois. À l’époque, il ne s’agissait pas d’une vérita-ble flottille mais juste d’un ou deux cargos et peut-êtred’un bateau de passagers menés principalement parIHH et Free Gaza Movement, qu’ils ne connaissaientpas. Et puis, comme tout le monde, ils ont vu l’évolutionde l’initiative et la constitution de la Flottille. Mais celan’a pas changé leur programme, ils ont donc envoyé enTurquie la centaine de maisons en préfabriqué que leCBSP a acquis grâce aux dons récoltés en France. Cequi représente d’ailleurs près d’un million d’euros. Poursuivre l’opération, le CBSP a décidé d’envoyer une délé-gation de six personnes pour participer au convoijusqu’à Gaza. Et puis, il y a quelques jours, IHH les aappelés et leur a expliqué le problème de chargement enGrèce. Du coup, le CBSP a accepté de transférer lesmaisons de Turquie vers Athènes, où elles sont déjàarrivées. Par la même occasion, la délégation française

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du CBSP a demandé à pouvoir embarquer en Grèce poursuivre le chargement des maisons. Voilà comment ilssont arrivés là. Pour ce qui est du mouvement de solida-rité avec la Palestine en France, c’est vrai qu’il n’y a pasencore de vraie tradition de collaboration avec les autresorganisations ou associations, d’où un manque certainde communication. Mais, à partir de maintenant, nousnous promettons que cela va changer !

Le 21 mai, tout le monde se donne rendez-vous sur lequai du Sophia. La dizaine de camions transportant lespréfabriquées du CBSP devraient arriver en fin de mati-née. De nombreux journalistes sont là pour filmer lascène. Vers midi, les camions arrivent. Une dizaine detrente-six tonnes manœuvrent de concert pour pouvoirse garer au plus près du cargo. Je ne peux m’empêcherde photographier cet étrange ballet. Le déchargementcommence, et il prend tout l’après-midi. Vers 18 heures,l’ensemble du chargement est déposé sur le quai, etreprésente un total de 1 200 tonnes de matériel deconstruction, de maisons en préfabriqué, de papier,d’unités de désalinisation, de générateurs électriques,de fauteuils roulants et de jouets. C’est magnifique,impressionnant, parce que cela représente tant d’efforts,tant de solidarité, de dévouement et de générosité popu-laire qui arrive depuis la Grèce, la Suède, la France, departout. Nous n’avons pas reçu le moindre centimed’aucun gouvernement, tout a été fourni, acheté, donnépar des milliers de citoyens et des dizaines d’organisa-tions et associations à travers le monde. J’en ai les lar-mes aux yeux. Nous n’avons pas le droit d’échouer.

Sauf que nous n’avons toujours pas l’autorisationde charger le cargo. La veille, alors que c’était la grève

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générale, Vangelis a fait ouvrir les bureaux de la capitai-nerie au Pirée. Il a obtenu que les autorités inspectent lechargement dès l’arrivée des camions. C’est chose faite,les officiers du port repartent et nous avons enfin l’assu-rance que nous pourrons commencer à charger dès lelendemain. En attendant, les copains grecs installentune batterie de caméras qui filment tout en direct pour lesite Web de Ship to Gaza. Ça marche à merveille et, enun clic, on peut voir tout ce qui se passe sur le quai, lepont du bateau et les cales « en live ». Aussitôt instal-lées, aussitôt oubliées, et Yannis et Yourgos quiviennent de poser les caméras sont déjà en train des’engueuler sur le pont à la manière athénienne, c’est-à-dire en se traitant de tous les noms et, du coup,l’engueulade se retrouve en direct live sur notre site. Évi-demment, Nikos et tous les copains qui testent le sitesont morts de rire. En vingt secondes, des centaines demilitants grecs sont au courant et visionnent la scène enboucle. Yannis et Yourgos, qui finissent eux aussi parregarder le film de leurs exploits, se marrent à leur touret se réconcilient, toujours à la manière d’Athènes,c’est-à-dire en tombant dans les bras l’un de l’autre. Ilest temps de rentrer, ce soir nous allons nous couchertôt, car tout commence le lendemain.

Il est 7 heures du matin. Nous voilà à nouveau sur lequai. Nous attendons le top départ des autorités portuai-res, qui arrive peu de temps après. Le rappel des troupespour le chargement a si bien fonctionné que, entre lesdockers du port qui organisent la manœuvre, la diasporapalestinienne et les amis de tous bords, nous sommesévidemment trop nombreux sur le quai, d’autant plusque le début du chargement est un exercice complexe,

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auquel des néophytes comme nous ne peuvent guèrecontribuer. Notre capitaine, le nez au-dessus de la pre-mière cale, supervise l’ensemble des opérations. Ondirait un chef d’orchestre dirigeant un ballet de rugby-men où les grues et les casques de chantier remplace-raient l’orchestre et les tutus. Je prends quelques pho-tos en essayant de ne pas trop gêner. Le problème, c’estqu’au bout de dix minutes nous sommes vingt-cinq àessayer de faire la même chose. Évidemment, notre capi-taine, bourru mais courtois, nous signifie que le repor-tage photo est fini et qu’il est temps de déguerpir. Alorsque nous quittons le bateau, légèrement penauds, lecapitaine me lance en anglais que, quand on aura besoinde nous, on nous appellera. Bon, très bien, je rentre àAthènes et j’en profite pour écrire un peu et envoyerles dernières photos sur nos différents sites. Nikosm’appelle, il va faire un tour en ville avec la délégationaméricaine de Paul Larudee. Après tout, je n’ai pasgrand-chose d’autre à faire, alors autant se balader unpeu. C’est vrai que, depuis que je suis arrivé à Athènes,je n’ai guère eu le temps de voir la ville, c’est quandmême un peu la honte. Personne ne me croira jamais sije raconte que j’ai vécu plus d’un mois à Athènes et queje suis incapable de dire à quoi ressemble le Parthénon.Rendez-vous donc au Polytechnion, où la délégationemmenée par Paul Larudee nous attend. Paul est un desfondateurs du Free Gaza Movement. Il fut l’un des orga-nisateurs, côté américain, des tout premiers départs enbateau en 2008. Il emmène avec lui un ancien ambassa-deur américain, Edward Peck, et Joe Meadors, un ancienmarin du navire USS Liberty qui fut attaqué par l’aviationet la marine israéliennes pendant la guerre de 1967.

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J’avais bien sûr entendu parler du Liberty, mais je nem’étais jamais vraiment attardé sur le sujet. Maintenantque j’ai eu un compte rendu complet par l’un des survi-vants, je pense que cela mérite que je m’y arrête quel-ques instants.

Le 8 juin 1967, c’est-à-dire en plein pendant la guerredes Six Jours, le USS Liberty, bateau de surveillanceaméricain, croisait depuis le début de matinée à environ20 milles nautiques des côtes égyptiennes. Bien qu’alliéd’Israël, les États-Unis étaient restés neutres dans ceconflit et se contentaient de suivre le cours de la guerreéclair lancée par Israël. Depuis le début de la matinée, lenavire, qui avait laissé derrière lui le reste de la sixièmeflotte de la marine américaine, avait eu plusieurscontacts avec des avions de reconnaissance et des jetsisraéliens. Vers 14 heures, une escadrille de chasseisraélienne survola par deux fois le navire américain.Soudain, lors du second passage, un des jets israéliensse détacha et piqua droit sur la frégate. Sans avertisse-ment, le jet fit feu de toutes ses roquettes sur le navireaméricain, détruisant une partie du pont du bateau et descommunications. Au moins deux autres avions israé-liens continuèrent l’attaque et larguèrent de nouvellesroquettes et des bombes au napalm sur le navire. Joe sesouvient que, à ce moment-là, le drapeau américain quiflottait au mât du Liberty fut entièrement brûlé. Son capi-taine, qui essayait de contacter désespérément lasixième flotte, lui donna l’ordre d’en hisser un plus grandet plus visible, ce qu’il fit : « À ce moment-là, nous pen-sions qu’avec un drapeau américain plus visible nosalliés arrêteraient de nous tirer dessus. » Cependant,leur calvaire n’était pas fini. Alors que les jets israéliens

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se retiraient, plusieurs vedettes israéliennes vinrent finirle travail. « Alors que les jets étaient partis, nous avonsvu foncer sur nous deux vedettes. Alors qu’on essayaitdésespérément d’envoyer des messages de détresse surtous les canaux possibles, elles sont arrivées droit surnous et nous ont mitraillés au gros calibre. Elles nousont mitraillés alors qu’on ne leur tirait pas dessus. Detoute façon, les jets avaient détruit les quatre canonsde 50 que nous avions. Et tout le monde était sur le ponten train d’essayer d’éteindre les incendies qui s’étaientdéclarés à cause du napalm. Ils ont détruit les canots desauvetage, ils les ont détruits alors que nous étions déjàen détresse. Et puis, après, nous avons pris une torpillequi a pratiquement fait couler le navire. » Je lui demandecombien de temps cela a duré. « Au moins deux heures,ils nous ont assaisonnés pendant deux heures ! Lesdeux pires heures de ma vie. Et puis, finalement, nousavons reçu un message de la sixième flotte qui arrivait.Sauf que la cavalerie arrivait un peu en retard ! À cemoment-là, les vedettes ont arrêté de nous tirer des-sus. » Je lui demande comment il était possible que lesIsraéliens n’aient pas reconnu le bateau américain. « Ilsont dit plus tard qu’ils nous avaient pris pour un bateaude ravitaillement égyptien ! Comment ne pouvaient-ilspas voir le drapeau américain qui faisait plus de 3 mètresde long, ni l’immatriculation du navire, GTR 5, écrite encapitales de 2 mètres sur les flancs de notre bateau !Cinq minutes de vérification sur n’importe quel Jane’s 1

auraient pu leur permettre de nous identifier.

1. Manuel d’immatriculation des navires deguerre. Selon les lois de la guerre et de la mer,

chaque navire de guerre de toutes les marinesdoit être immatriculé et identifié.

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— Est-ce que vous avez essayé de les contacter ?— Bien sûr ! Alors que le premier jet avait détruit la

plupart de nos antennes de communication, nous avonsréussi à en rebrancher une et nous avons crié sur toutesles fréquences qui nous étions, mais ça n’a servi à rien.Ils nous ont massacrés. Trente-quatre des nôtres sontmorts et près de deux cents ont été blessés. »

Peu après, Israël présenta ses excuses au gouverne-ment américain et paya 13 millions de dollars de dédom-magements. Pourtant, nombreux sont ceux qui pensentque la version officielle israélienne d’une erreur d’identi-fication ne tient pas la route. Pour Joe, en tout cas, c’estassez clair : « Ils ont essayé de nous couler pendant deuxheures avec des avions de chasse et des vedettes. Deuxheures pendant lesquelles nous n’avons pas tiré un seulcoup. Ils ont eu largement le temps nécessaire pournous identifier. Ils savaient que nous étions un bateauaméricain. Ils savaient ce qu’ils faisaient 1. »

Il semble que nous ne nous soyons pas vraimentcompris avec Nikos : en fait, le but de notre sortie en villen’est pas du tout touristique. Il s’agit de faire les derniè-res emplettes avant de partir. Paul Larudee, qui a mainte-nant l’habitude de ce genre de voyages en bateau, veutacheter le kit de « survie » du marin débutant. De quoi seprotéger du soleil, un coupe-vent, une lampe de poche,un duvet waterproof car, finalement, même au prin-temps, les nuits sont froides et humides en pleine mer.Et, surtout, des lingettes pour se débarbouiller car il estfort probable que nous ne pourrons pas prendre de dou-

1. Un article du Chicago Tribune fait le tour dela question : www.chicagotribune.com/servi-

ces/newspaper/eedition/chi-liberty_tuesoct02,0,43090.story?page=1.

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che durant les trois ou quatre jours de mer. Je réalisesoudain que, moi non plus, je n’ai rien de tout cela. Lavisite d’Athènes, ce sera pour une autre fois. Nous pas-sons la journée à chercher notre bonheur. Je reviens à lamaison quelques heures plus tard avec une casquette,un coupe-vent imperméable, un duvet antihumidité etune lampe de poche ultra-puissante. Me voilà paré. Évi-demment, Spiros et Lina qui vivent la moitié du temps enmer se foutent de moi joyeusement. M’en fout, moi, j’aidéjà l’impression d’être un skipper. Pour se faire par-donner, ils m’emmènent manger non loin du Parthénon.Puis nous allons fumer un narguilé sur une colline justeen dessous du monument, qui est complètement illu-miné. Nous avons une vue pratiquement sur tout Athè-nes. C’est magnifique. Nous discutons du départ, Spi-ros pense que le chargement du cargo avance bien.Nous devrions finir dans les temps. Le cargo partira dèsle chargement fini ; quant au Sfendoni, sur lequelj’embarquerai, il partira le 25 dans la journée. C’est-à-dire dans deux jours. Nous y sommes presque.

24 mai, 18 heures, je sors du métro qui m’emmène auport du Pirée. Elias me prend en moto et nous nous ren-dons directement sur le quai du Sophia. Après déjà troisjours de chargement non stop, les troupes fraîchescommencent à manquer. Notre capitaine est donc obligéde faire feu de tout bois pour finir de charger ce fichurafiot. Quitte à appeler les pieds plats de service, c’est-à-dire Nikos et moi. OK, très bien. Me voilà au fond de lacale numéro 2, avec un casque et des gants. À côté demoi, un docker du Pirée, Nikos et deux jeunes Gréco-Palestiniens. Tout le monde sourit à la vue de monT-shirt d’un blanc immaculé. Et ça commence. En fait,

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charger un cargo, c’est à la fois simple et compliqué. Onpose d’abord une rangée de madriers en bois sur le plan-cher de la cale, puis la grue hisse les maisons préfabri-quées que nous réceptionnons ensuite l’une aprèsl’autre. Une fois que la première couche est terminée, onrepose une rangée de madriers et on recommence2 mètres plus haut. Et ce jusqu’à ce que la cale soit tota-lement remplie. C’est compliqué, parce que, évidem-ment, les maisons en préfabriqué et leur conditionne-ment doivent bien peser 1 ou 2 tonnes et mesurer2 mètres de haut sur 4 de long. L’idée étant d’en chargerle maximum en occupant le minimum de place, il fautdonc ajuster au plus près pour que chaque maison soitcollée à sa voisine. Essayez de pousser ou de tirer uncube de 2 tonnes suspendu à une grue pour le poser à10 centimètres d’un autre, et d’équerre s’il vous plaît, etvous verrez que l’exercice se révèle tout aussi géométri-que que physique. Au bout de vingt minutes, je suis ennage et, bien sûr, j’ai fait une croix sur mon joli T-shirt.Toutes les deux heures, nous prenons une pause, tandisque d’autres viennent nous relayer. Et ça dure, ça dure.On n’en finit pas de charger ce putain de bateau. Je suismort de fatigue, mais nous commençons à en voir lebout, le chargement sera vraisemblablement terminé cesoir ou plutôt cette nuit. Vers 22 heures, tous les copainsqui vont embarquer sur le Sophia, une dizaine pour l’ins-tant, donnent eux aussi un coup de main. Je profited’une pause pour faire le point avec Dror et Vangelis. Il ya un sérieux problème : bien que nous ayons été autori-sés à charger, nous n’avons toujours pas reçu lespapiers mentionnant la destination finale de nosbateaux, à savoir bien sûr Gaza. Ce qui veut dire que

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nous ne pouvons pas quitter la Grèce. Deux choix sontpossibles : partir pour Rhodes qui se trouve toujours enGrèce et où de toute façon nous devons nous arrêterpour nous ravitailler, ou perdre un jour de plus à atten-dre les papiers ici. Perdre un jour ou prendre le risque deredemander les autorisations à Rhodes, juste avant deprendre la mer, si loin d’Athènes où tout se décide et oùnous avons les moyens d’exercer une certaine pressionsur le gouvernement, le choix est difficile. Mais nous nepouvons pas attendre un jour de plus. Vangelis décidede partir cette nuit. C’est à Rhodes que notre sort sedécidera. Il est 3 heures du matin, je ne sens plus rien, nimes muscles ni mes os. Mon pauvre corps ne comprendpas ce qui lui arrive. Mais au sourire dont me gratifienotre capitaine, je me dis que j’ai peut-être gagné là unpeu d’estime, voire mes premiers galons de marin. Il esttemps de s’arrêter, d’autres arrivent pour prendre larelève. Nous disons au revoir à ceux qui vont partir etNikos me ramène en voiture. Tant pis, nous ne seronspas là pour voir le départ du Sophia, deux heures plustard, vers 5 heures du matin. Je m’écroule sur mon lit.Spiros et Lina me réveillent à 11 heures. J’ai des courba-tures comme jamais, je crois, je n’en ai eu dans ma vie.Mais ce n’est pas grave, le café grec me redonne le sou-rire. Et puis, aujourd’hui, c’est le grand jour. Nous allonsenfin partir. Nous filons à toute allure dans les ruesd’Athènes, direction le port de plaisance du Pirée où estamarré le Sfendoni. Évidemment, nous sommes parmi lesderniers, mais tout va bien, le bateau est toujours là. Cin-quante-cinq passagers avec leurs valises se pressentsur le quai, on pourrait presque croire à un départ de tou-ristes en route vers une de ces îles merveilleuses dont

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regorge la côte grecque, s’il n’y avait la présence d’unevingtaine de caméras et d’appareils photo profession-nels qui ne cessent de nous mitrailler sous toutes lescoutures. Tout le monde voudrait partir sur-le-champ etchaque minute semble une heure. Mais il faut attendre,compter et vérifier que chaque passager est bien là, quetout le monde a bien son passeport, charger les affaireset le ravitaillement. Et puis, enfin, la douane nous rendvisite, vérifie le bateau et nos passeports. Le moteur esten marche, nous attendons l’autorisation du port. Lesminutes passent comme des jours. Allons-nous enfinpartir ?

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Troisième partie

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6. LE MARATHON DE LIMASSOL :CHYPRE SOUS LA PRESSION ISRAÉLIENNE

Et puis, soudain, ça y est.Nous partons. Spiros, qui fait partie de l’équipage, jetteles amarres et nous glissons doucement hors du port. Ilest 15 heures et chacun se regarde sans dire un mot.Après tant de mois de luttes et d’efforts, c’est presquedifficile à croire. Et c’est l’explosion, tout le monde secongratule, on exulte. Nous allons vraiment vers Gaza !Bien sûr, rien n’est encore joué et peut-être serons-nousbloqués à Rhodes ou plus loin. Mais nous avons déjàremporté la première manche. De simples citoyens vien-nent d’engager une bataille contre l’indifférence et lecynisme de la communauté internationale. En montantsur ce bateau, venus de partout, nous montrons à quoiressemble une solidarité internationale en acte, nousportons la voix de toutes celles et de tous ceux quin’acceptent pas que l’on enferme un million et demid’êtres humains, hommes, femmes et enfants, dans laplus grande prison à ciel ouvert du monde.

Nous faisons connaissance. Il y a là une cinquan-taine de passagers, d’au moins une vingtaine de nationa-lités différentes et d’autant d’organisations ou d’agen-

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ces de presse. Les copains français du CBSP, les Sué-dois de Ship to Gaza-Sweden, les Anglais de The Euro-pean Campaign to End the Siege on Gaza, les Grecs, lesAméricains de Paul Larudee, ceux du Free Gaza Move-ment, des Italiens, des Espagnols, deux Koweïtiens, unancien président de l’association des ingénieurs jorda-niens, et même une ancienne colonelle de l’armée améri-caine, Ann Wright, connue pour avoir quitté son posteavec fracas en 2003 lors de l’invasion de l’Irak.

Alors que monte le brouhaha des conversations etdes embrassades, Khaled Turani, qui fait partie du FreeGaza Movement, demande un peu de silence. Avant quechacun commence à vaquer à ses occupations, nousavons beaucoup de choses à discuter ensemble. Nousdevons organiser la vie du navire pour les jours qui vien-nent. Yannis, le capitaine grec de notre navire, aussi ave-nant et souriant que le capitaine du Sophia était bourru etmal luné, nous rappelle les règles élémentaires de sécu-rité et nous présente l’équipage. Nous faisons le tour dubateau afin de repérer les endroits stratégiques. Onnous montre l’entrée de la salle des machines où, saufexception, nous ne sommes pas autorisés à entrer. Lecapitaine veut aussi savoir de combien de médecinsnous disposons. Khaled, un Palestino-Grec, et Henry,un Suédois de Jews for Israeli-Palestinian Peace, sontles deux médecins du bord. Beau tandem et beau sym-bole. Nous avons aussi deux infirmiers. Puis nous fai-sons le point sur les tâches à assurer. Les tours de cui-sine d’abord, sous l’égide de Yourgos, qui prend lesinscrits. Le ménage ensuite. Nous sommes cinquante-cinq, ce qui va exiger un peu de discipline pour que lebateau reste propre. Nous attribuons aussi les douze

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cabines dont nous disposons : elles sont réservées enpriorité aux camarades dont la santé le requiert. Pour lesautres, ce seront des nuits à la belle étoile sur le pontsupérieur, ou bien dans la grande salle du pont inférieur.

La réunion est terminée pour aujourd’hui, et jeretrouve Spiros en train de fumer une cigarette à l’arrièredu bateau. La baie d’Athènes disparaît lentement àl’horizon. Notre prochaine destination, Rhodes, est àenviron une journée de navigation, mais nous devonsrattraper le Sophia, qui est parti la nuit précédente. Tan-dis que nous discutons, nous voyons défiler les journa-listes et leurs caméras. Ils viennent d’Allemagne et tra-vaillent pour Euronews, du Liban pour Al-Jazeera,d’Espagne, de TV4 Suède… Les interviews vont bontrain. Nous sommes rejoints par Mounia et Saleh, duCBSP. Nous comparons la situation en France et enGrèce. Certes, en France, l’heure n’est pas — encore —à la banqueroute et aux plans d’austérité drastiques,mais nous savons que notre tour viendra. La montée duracisme d’État et de l’islamophobie générale nousinquiète d’autant plus dans ce contexte. Alors que lesoleil se couche, je remonte sur le pont supérieur. Your-gos et moi trinquons à notre aventure d’un verre de raki.Ce soir, je dormirai sous les étoiles et dans un duvetparce que, effectivement, même au printemps, la nuit enpleine mer, on se pèle.

Le lendemain, 26 mai, au matin, nous croisons leSophia. Pendant une demi-heure, notre bateau ralentitpour rester à la hauteur du cargo, qui ne dépasse pas les8 nœuds à l’heure. Nous nous saluons par mégaphonesinterposés. Dror, juché sur le pont du cargo et armé deson saxophone, se met à jouer tout ce qui lui passe par la

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tête, musique klezmer, standards du jazz et, pour finir,l’Internationale. « Free Free Palestine, Free Free Gaza ! »Le récital se clôt sur notre cri de ralliement, tandis que,d’un bateau à l’autre, nous nous disons au revoir, à trèsbientôt en fait. En consultant très rapidement mesemails, car nous disposons d’une — et une seule —connexion à Internet pour l’ensemble des passagers,j’apprends que la conférence de presse à l’Assembléenationale s’est bien passée. Françoise Castex, MichèleSibony de l’Union des juifs français pour la paix 1, AlimaBoumediene et Adnane Ben Youssef pour les CCIPPPont été parfaits, avec de nombreux journalistes pré-sents. Un rassemblement de soutien large a été convo-qué devant le ministère des Affaires étrangères. Lesamis et camarades français se réveillent enfin, il étaittemps. Nous apprenons aussi que de nombreuses mani-festations ou rassemblements sont organisés dans plu-sieurs capitales. Nous commençons à recevoir descommuniqués émis par des ambassades et des person-nalités politiques pour exiger que notre Flottille puissepoursuivre sa route jusqu’à Gaza.

Arrivée dans le port de Rhodes, où nous attendonspatiemment les dernières vérifications des autorités.Mon téléphone capte à nouveau et je commence à répon-dre aux interviews de journalistes français. J’explique ànouveau le sens de notre Flottille, pourquoi maintenant,pourquoi Gaza. Je réponds aussi aux premiers menson-ges lancés par le gouvernement israélien. Oui, il y a bienun embargo contre Gaza et l’ONU a demandé qu’il soit

1. www.ujfp.org.

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levé dès 2009 1. Non, évidemment, nous ne transportonspas de cargaisons d’armes. Nous venons d’embarquerlégalement depuis trois ports de pays membres del’OTAN, notre chargement a été inspecté à de multiplesreprises et nous sommes tout à fait prêts à ce que nosbateaux soient directement examinés par l’ONU ou parl’OTAN au besoin. Je reçois un coup de fil d’Adnane : ilsviennent de manifester à Paris contre la venue de Neta-nyahu et organisent un concert ce soir. Ils veulent quej’intervienne par téléphone entre deux artistes. OK, pasde problème. Nous posons enfin pied à terre. Tout lemonde va passer la nuit à Rhodes pour repartir le lende-main matin. Ce soir, c’est quartier libre. Certains vontdormir à l’hôtel, d’autres sur le Sfendoni. Nikos, Christoset moi-même décidons d’aller manger ensemble etd’attendre l’arrivée du Sophia avant de nous coucher.Nous nous baladons dans le port de Rhodes. J’ail’impression que mes cours d’histoire antique défilentdevant moi. Nikos et Christos, qui mettent un pointd’honneur à ne pas manger dans une de ces tavernespour touristes sur le port, téléphonent dans toute laGrèce pour trouver qui un cousin, qui un ami qui pour-rait nous donner l’adresse d’un restaurant « honora-ble ». Finalement, après deux bonnes heures de baladeet de coups de téléphone, nous dégotons une bonneadresse. Nous sautons dans un taxi pour nous rendre del’autre côté de la ville. Évidemment, en plein milieu dutrajet, Adnane me rappelle. La ligne est très mauvaise etje comprends quelque chose comme : « Krrch… c’est

1. Résolution 1860 du Conseil de sécurité del’ONU, janvier 2009.

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à toi… Krrch… minute… Krrch… GO ! » Je coupe d’auto-rité la musique du taxi, qui heureusement ne le prend pastrop mal, mais commence visiblement à douter de masanté mentale lorsque je me mets à hurler, en françaisévidemment, mon speech sur la Flottille. Le taxi ne pipemot, mais se retourne et lance un regard, mi-désespéré,mi-interrogateur à Nikos et Christos qui, eux, à l’arrière,sont pliés de rire. Essayant de faire abstraction del’absurdité de la situation et du rire nerveux de mescamarades, je continue à faire mon discours pendantprès de dix minutes. Je n’ai aucun retour, je ne vois évi-demment pas la salle, ni les gens à qui je m’adresse, brefje hurle littéralement dans le vide. Je termine enfin etj’attends. Après un blanc de dix secondes, j’entendsAdnane à nouveau : « Krrch… erci… Krrch… bien…Krrch… tard… Krrch… bises. » Je me dis que c’est bien lapremière et dernière fois que je tiens un meeting dans untaxi, ce n’est décidément pas le lieu idéal pour ça. Nousarrivons enfin devant notre restaurant. Le taxi me rend lamonnaie en me gratifiant d’un regard qui en dit sur longsur l’idée qu’il se fait des touristes en général et surtoutmaintenant, grâce à moi, des touristes français. Nousentrons dans le restaurant alors que Nikos et Christossont toujours en train de se marrer. Il paraît qu’en plus jefais aussi de grands gestes avec les mains quand je criedans un téléphone. À part ça, le restaurant est tout à fait« honorable » et la nourriture délicieuse. D’autres amisgrecs nous rejoignent et nous passons la soirée à fairedes plans sur la comète. Vers minuit, nous recevons uncoup de fil satellite de Vangelis : ils arrivent et serontdans le port d’ici une heure. Il est temps de partir.

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Une fois sur le quai du petit port industriel de Rho-des, nous attendons notre cargo, scrutant l’horizon.Nous le voyons enfin qui arrive, doucement, mais majes-tueusement. Alors qu’il est en train d’accoster, la policeet les autorités du port débarquent à leur tour. Vangelis,dont le visage trahit la colère, descend du pont à gran-des embardées. Passant devant nous sans un mot, il sedirige directement vers les autorités du port. Thakis lerejoint peu de temps après. Commence alors une dis-cussion qui va durer plusieurs heures. Thakis ou Vange-lis se mettent périodiquement à l’écart pour téléphoneret, de temps en temps, un officier fait de même. Aprèsquelques minutes, Nikos m’explique la situation : nousn’avons toujours pas les autorisations nécessaires pourquitter la Grèce. On attendait un fax du ministère dansl’après-midi, qui n’est toujours pas arrivé. Comme il est1 heure du matin, les autorités veulent fermer lesbureaux, partir se coucher et reparler de tout cela le len-demain à une heure administrativement correcte. J’airarement vu Vangelis aussi en colère. Il est plutôt toutsourire d’habitude, toujours prêt à rassurer les gens et àcalmer les esprits. Je me dis que c’est impressionnant.Et je ne suis pas le seul impressionné : les autorités et lapolice comprennent que, avec un tel énergumène, le plancouche-tôt vient de tomber à l’eau. Non seulement nousallons attendre le fax jusqu’au lendemain matin s’il lefaut, mais en plus, si ce document n’arrive pas, Vangelispromet des manifestations le lendemain dès l’aube danstoute la Grèce, en commençant par Athènes et Rhodes.On verra si le gouvernement, qui a déjà pas mal de souciavec la grève générale et les réformes, veut aussi gérerune crise de ce côté-là. Dans le même temps, lui et

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Thakis s’acharnent sur leurs téléphones. Je ne sais pascombien de députés, maires ou sous-ministres ils par-viennent à réveiller ainsi au beau milieu de la nuit, maispetit à petit nous gagnons des points. Les camions quiétaient censés être prêts à ravitailler le bateau en eau eten diesel mais qui manquaient à l’appel finissent pararriver. Au fur et à mesure que les pourparlers avancent,nous sentons la pression retomber. Vers 3 heures dumatin, l’ensemble du ravitaillement se termine et je voisle visage de Vangelis s’éclairer enfin. Mikhalis nous pro-pose d’aller chercher nos affaires sur le Sfendoni etd’embarquer finalement sur le cargo, Nikos et moi. C’estd’accord. Plus on sera nombreux sur les cargos, plus ilsseront en sécurité, du moins l’espérons-nous. Nousfilons en taxi pour récupérer nos affaires dans l’obscu-rité. Deux mots pour dire à Yourgos et Spiros que nousserons désormais sur le Sophia, et nous voilà repartis.Nous achetons au passage des cigarettes pour tout lemonde — des Marlboro pour le capitaine. Fumeur moi-même, je me dis qu’il vaut mieux que chacun ait sa dosede nicotine, plutôt que des crises de nerfs à répétition.Retour sur le cargo, nous embarquons. Le capitaine ensecond note les numéros de nos passeports sur le regis-tre de bord et nous les faisons viser par la douane.A priori, les choses sont en train d’être réglées, et le faxque nous attendions devrait arriver incessamment souspeu. Il est 4 heures du matin et on se dit que, décidé-ment, quand on veut on peut. Après la distribution declopes et un passage par la cuisine, je rejoins l’une descabines que nous allons partager pour la traversée. Jem’endors avec le roulis.

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Je me réveille à 11 heures du matin et je grimpe envitesse sur la coursive pour voir où nous sommes. Levent, les vagues, un bleu de carte postale, forcémentsublime. On peut encore distinguer la côte au loin, maisnous sommes déjà en pleine mer. Nous sommes partispour de bon. Nous nous dirigeons droit vers Chypre, quenous devrions croiser le lendemain dans la journée.Nous mouillerons alors à la limite des eaux territorialeschypriotes où nous attendrons une délégation de per-sonnalités — les « VIP » comme nous les appelons —qui nous rejoindra en vedette rapide.

En attendant, je redécouvre le Sophia, mais plein devie cette fois. Je passe par la cuisine où Naïm, notre cui-sinier en chef, et Erginia qui le seconde sont en train depréparer le repas de midi. Je suis mort de faim. Petitdéjeuner à la grecque : olives, féta, pain et café. Naïm estégyptien de naissance et citoyen grec depuis près dequarante ans. Il est le président de l’association desmusulmans de Grèce, et il se révèle aussi être un sacrécuisinier ! Pendant les quelques jours de notre voyage,la cuisine ne désemplira pas, avec, à toute heure du jouret de la nuit, des pique-assiettes prêts à tout pour grap-piller les restes de ses succulents repas. Avec Erginia,Elias son compagnon et Yannis, nous passerons denombreuses heures à refaire le monde, attablés autourdes petits plats de Naïm et de quelques verres de raki.Sur le pont, je croise Dror et Salman Ali, le trésorier deShip to Gaza-Sweden, et aussi une bonne partie de notreéquipage : Demetrios, le capitaine en second, Niktarios,le chef mécano, Mikhaelis et Yourgos qui s’occupent dela salle des machines. Je monte dans la passerelle pourretrouver Vangelis et Thakis qui sont en train de discuter

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au téléphone avec les amis du Mavi Marmara. Le navireturc sera au rendez-vous, comme prévu. En revanche, ilsemble que les deux bateaux de Free Gaza qui sont par-tis de Crète rencontrent de gros ennuis mécaniques.Vangelis et Thakis essaient en vain de les joindre sur lestéléphones satellite. Mais cela ne passe pas, impossibled’avoir des nouvelles. Soudain, nous entendons le saxo-phone de Dror résonner jusque dans la cabine. Sa musi-que accueille le Sfendoni, qui nous rejoint à nouveau. Jesalue les amis, Spiros, Mounia et les autres Français, quifilent deux fois vite plus que nous.

À bord, on ne voit pas les heures filer. Avec quelquesautres, je suis de corvée de nettoyage. Pont, passerelle,cabine, tout y passe. Après une heure ou deux, notreéquipe de nettoyeurs peut être fière du résultat. Notrebateau est propre, du moins autant qu’un cargo puissel’être. Entre-temps, je ne cesse de faire des allers-retourssur la passerelle, où le téléphone satellite n’arrête pas desonner depuis la France. Nous faisons le point avec Tha-kis et Vangelis. Les deux yachts américains, ChallengerOne et Challenger Two, ont rencontré de sérieuses diffi-cultés depuis leur départ de Crète : l’un prend carrémentl’eau, l’autre a des problèmes de moteur. Le premier a étéobligé de rebrousser chemin pour colmater la voie d’eautandis que le second tente de rallier Chypre pour réparer.Nous venons donc de perdre un deuxième bateau, et, siles réparations du Challenger Two durent plus longtempsque prévu, peut-être même un troisième. Bref, pas vrai-ment de quoi se réjouir. Il y a malgré tout quelques bon-nes nouvelles : la délégation de VIP venus de toutel’Europe est en train d’arriver à Chypre. Une trentaine dedéputés et personnalités devraient pouvoir embarquer le

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lendemain, si tout se passe bien. L’inconnue demeure laposition des autorités chypriotes. Certains d’entre nousrestent sceptiques sur leur volonté de nous aider danscette affaire. Chypre est sous pression israélienne depuisun bon moment et le fait que notre Flottille soit composéepour moitié d’activistes turcs ne simplifie pas les choses.Les alliances diplomatiques peuvent bouger rapidementet beaucoup soupçonnent le gouvernement chypriote devouloir se rapprocher d’Israël tandis que la Turquie s’enéloigne. Mais d’autres, dont Vangelis et Mikhalis, sontpersuadés que Chypre honorera sa part du marché. Lefait que notre délégation compte plusieurs députés chy-priotes devrait aussi faire pencher la balance en notrefaveur. Il est trop tard de toute façon pour changer nosplans, nous verrons bien.

Le reste de la journée se passe au rythme de notrecargo, c’est-à-dire à 8 nœuds à l’heure. Nous voguonspaisiblement sur la Méditerranée et je me surprends àpenser à mon oncle, qui était capitaine dans la marinemarchande. Je me souviens quand nous allions le voir àMarseille ou au Havre et quand nous montions à bord del’un des cargos ou des tankers qu’il commandait. Enfant,je rêvais qu’il m’emmène avec lui dans l’une de ses tra-versées. Malgré mes suppliques de gamin de 7 ou 8 ans,ce n’était évidemment resté qu’un rêve. Si ce n’était lanature très spéciale de notre expédition, je pourraispresque croire que je viens de réaliser ce rêve de gosse,devenir marin et parcourir le monde. Je m’endors sur undes hamacs que nous avons tendus sur la passerelle, cardans les cabines il fait trop chaud.

Je me réveille juste à temps pour voir le soleil se lever.En fin de matinée, nous sommes au point de rendez-vous,

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et presque toute la Flottille est déjà là. Le Mavi Marmaraest juste à côté de nous. Derrière, il y a les deux autrescargos affrétés par l’IHH et d’autres organisations, et,tout devant, le Sfendoni. Malheureusement, les nouvellessont très mauvaises. Ce matin, la délégation de person-nalités a été physiquement empêchée d’embarquer. Cequi s’est passé est assez incroyable. Alors que la déléga-tion s’apprêtait à prendre place sur la vedette rapide quenous avions louée, le gouvernement chypriote a envoyé lapolice pour leur interdire de monter à bord. Une trentainede personnalités, écrivains, députés nationaux et euro-péens se sont retrouvées encerclées par la police anti-émeutes pendant près de deux heures ! C’est tout justes’ils ne se sont pas fait taper dessus. Le scandale, à Chy-pre et en Grèce, est énorme. Évidemment, les parlemen-taires sont furieux et font valoir à juste titre que refuser àdes députés européens de se déplacer librement sur leterritoire de l’Union est en rupture totale avec la législa-tion européenne, dont Chypre est un État membre. Lescandale est tel que l’affaire remonte directement à laCommission et à la haute représentante pour les affairesétrangères et la politique de sécurité. Au bout de deuxheures donc, la police s’en va, après avoir embarqué lecapitaine de la vedette. Au même moment, le ChallengerOne se voit refuser l’autorisation d’accoster au port deLimassol et même d’entrer dans les eaux territoriales chy-priotes alors qu’il vient pourtant de subir une avariemécanique grave. Sur le Sophia, Vangelis essaie déses-pérément de joindre les autorités chypriotes. Alors qu’ilfinit par les avoir au bout du fil, ses interlocuteurs seconfondent en excuses. Tout cela ne serait qu’un affreuxmalentendu, un simple problème de zèle bureaucratique.

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Bien sûr, des citoyens et a fortiori des députés européenssont libres d’aller où ils le souhaitent. D’ailleurs, la policeest repartie sous les ordres express du gouvernement etle capitaine de la vedette a été relâché sur-le-champ. Encontact avec la délégation, nous l’informons qu’elle peutrepartir, puisque nous venons d’en avoir l’assurance don-née par le gouvernement chypriote. Évidemment, l’infor-tuné capitaine qui devait les transporter est maintenantbeaucoup moins chaud pour le faire. Il faut donc trouverune autre compagnie qui veuille bien s’en charger. Etvoilà notre délégation courant dans le port de Limassolpour tenter de mettre la main sur un capitaine derechange, qui accepte d’appareiller dans ces circonstan-ces. L’équation paraît pourtant simple : trouver un capi-taine, son bateau, réunir tout le monde et partir. Sauf que,à chaque fois, c’est le même scénario : la police maritimeempêche l’embarcation de sortir du port, saisit le bateauet retire au capitaine sa licence d’exploitation. Au bout dedeux tentatives, la nouvelle s’est répandue dans le portcomme une traînée de poudre et plus personne ne veutprendre le risque de prendre notre délégation à son bord.Bien sûr, le gouvernement chypriote réaffirme que descitoyens européens peuvent aller où ils veulent quand ilsle veulent, sauf que, en l’occurrence, si la délégation veutnous rejoindre, il faudra qu’elle le fasse à la nage. À causede Chypre, nous venons de perdre une journée entière. Ilsauraient pu nous prévenir dès le départ, ce matin encore,ils auraient pu nous dire que c’était « niet » et que nousdevions trouver une autre solution. Au lieu de cela, ilsnous ont menés, et c’est le cas de le dire, en bateau.C’était un piège. Dans cette affaire, le gouvernement chy-priote s’est comporté comme un simple auxiliaire d’Israël.

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Plutôt que d’assumer sa souveraineté et de faire preuvede courage politique, il a accepté de se faire dicter sa poli-tique par un gouvernement israélien sans foi ni loi. Alorsque le scandale est en train d’exploser à Chypre et enGrèce, il le reconnaît d’ailleurs à demi-mot en déclarant :« Le gouvernement chypriote a le devoir de toujours pré-server l’intérêt national chypriote avant toute autre consi-dération. » Le chantage israélien n’est guère difficile àdeviner, et nos amis députés chypriotes nous le confirme-ront un peu plus tard. Si Chypre laissait partir ne serait-cequ’un élu ou une personnalité depuis l’un de ses ports,Israël prendrait immédiatement des mesures de rétor-sion. La première pourrait être de reconnaître de facto etde jure le port de Famagusta dans le nord de Chypre souscontrôle turc mais encore sous embargo international. Legouvernement chypriote a donc cédé et il sera toujourstemps de connaître le prix exact de cette capitulation.

Nous nous trouvons face à un vrai défi. Commentfaire pour que la délégation puisse nous rejoindre ? Tan-dis que la soirée avance, nous essayons de trouver unport où il lui serait possible d’embarquer. Beyrouth ouTripoli au Liban sont ce qu’il y a de plus proche, et ilexiste plusieurs liaisons aériennes par jour entre Chypreet Beyrouth. Mais le Liban et Israël sont toujours enconflit ouvert. Embarquer notre délégation depuis cepays serait politiquement risqué. La propagande israé-lienne ne manquerait pas de l’instrumentaliser en nousaccusant de liens avec le Hezbollah. Nos yeux se portentalors vers Rhodes où il serait facile d’embarquer, ce quinous ferait perdre cependant au moins deux jours.

Or, entre-temps, le bateau de Free Gaza s’estdérouté sur le seul port à proximité qui ne soit pas dans

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les eaux territoriales chypriotes, Famagusta. Ils propo-sent que la délégation fasse de même. Ce serait le plussimple. Nos députés ne sont qu’à quelques heures debus de cette ville. Et le Sfendoni peut s’y rendre par meren quelques heures. C’est sans doute le seul moyen quinous reste pour embarquer notre délégation. Mais cetteoption est elle aussi politiquement épineuse : notre coa-lition est formée de Turcs, de Grecs et de Chypriotes, etla Chypre du Nord est sous occupation turque. Or,depuis le départ, l’accord entre les membres turcs, grecset chypriotes de la Flottille a été de mettre cette questionde côté et de ne rien faire qui puisse d’une manière oud’une autre prêter le flanc à une instrumentalisation parl’une ou l’autre des parties en présence pour marquerdes points dans le conflit qui les oppose. Pour les repré-sentants d’IHH, il est clair que le gouvernement turcn’acceptera jamais que le port de Famagusta soit utilisépar la Flottille, de peur d’être condamné par les Nationsunies pour avoir violé l’embargo ou pour avoir utilisé laFlottille dans le conflit chypriote. Nous n’avons cepen-dant pas le choix. Nous essayons de convaincre IHH dedemander l’autorisation du gouvernement turc. Il nereste plus qu’à attendre et espérer.

Le lendemain, 29 mai, d’autres nouvelles nous arri-vent, bonnes, inattendues même. Catherine Ashton, ladirigeante de la diplomatie européenne, vient de publierun communiqué à propos de la Flottille : elle y condamnefermement la politique du blocus et, mieux, exige que lesroutes maritimes vers et venant de Gaza soient immédia-tement rouvertes afin de laisser passer l’aide humani-taire, les biens et les personnes. Plus surprenant encore,le ministère français des Affaires étrangères vient lui

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aussi de publier un communiqué demandant la fin dublocus israélien et exigeant que notre Flottille humani-taire puisse rejoindre Gaza en toute sécurité. Dans lemême temps, de nombreuses manifestations commen-cent à avoir lieu un peu partout dans le monde. Contrai-rement à nos attentes, la pression diplomatique et politi-que commence donc à s’exercer sur le gouvernementisraélien. Nous pouvons nous réjouir d’un soutien politi-que fort dans l’opinion publique internationale.

Toujours est-il que notre délégation, arrivée à Fama-gusta en fin de matinée, est toujours maintenue à terre.Elle attend le feu vert du gouvernement turc, qui, visible-ment, tergiverse. Évidemment, dans la bataille, les dépu-tés grecs et chypriotes qui devaient participer à la déléga-tion sont restés de l’autre côté de la frontière. Même s’ilscomprennent notre choix forcé, ils ne peuvent pas se per-mettre de se rendre dans la partie nord de l’île sous domi-nation turque. Les heures passent, sans nouvelles. Enfin,dans l’après-midi, nous apprenons qu’une grande partiedu groupe vient de décider d’abandonner. Un bon nom-bre de députés ont fait leurs calculs. Nous ne sommestoujours pas sûrs que le gouvernement turc autoriseral’embarquement, nous avons déjà presque deux jours deretard et, quand bien même nous aurions le feu vert, ledépart n’aura pas lieu avant le milieu de l’après-midi dulendemain, ce qui repoussera le retour d’autant…

En fin d’après-midi, ce qui reste de notre délégationembarque sur le Challenger One, qui a pu entre-tempsréparer son avarie moteur. Le groupe pourra quitterFamagusta en début de soirée. Le lendemain, troisd’entre eux, un député, une universitaire et un écrivainvenus de Suède — Henning Mankell, l’auteur des enquê-

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tes de Kurt Wallander — nous rejoindront sur le Sophia.Puis nous repartirons en fin d’après-midi.

Alors que nous recevons les dernières nouvelles deGrèce et d’Europe, nous évaluons la situation. Même sinous avons perdu assez gros dans cette affaire, nous nenous en tirons finalement pas si mal. Toute cette histoireautour de Chypre aurait pu briser les reins de nos amisgrecs et chypriotes investis dans la coalition. Ce futpresque le cas. Mais c’est le contraire qui s’est produit.Notre coalition tient toujours. C’est le parti chypriote aupouvoir qui s’est fragilisé dans la manœuvre. Les parle-mentaires qui faisaient partie de la délégation sontfurieux contre le gouvernement chypriote. Un débatenflammé a lieu en ce moment en Grèce et à Chypre.

Et nous, nous partirons le lendemain pour Gaza,quoi qu’il arrive. Juste avant le coucher du soleil, nousplongeons tous ensemble dans la Méditerranée. C’est lapremière fois que je me baigne au large, l’impression deliberté y est totale. L’eau est magnifique, mais le courantest fort et il ne faut pas trop s’éloigner du bateau. Yannisdit que, du haut de leur satellite ou de leurs avionsespions, car nous sommes sûrs qu’ils nous observent,les services israéliens doivent nous prendre pour desfous. Nous éclatons de rire. La baignade dure jusqu’à ceque le soleil disparaisse. Après ces heures de tension,c’est plus que nécessaire.

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7. PIRATES : QUAND LES COMMANDOSPASSENT À L’ATTAQUE

Dimanche 30 mai, le Challen-ger One se range à nos côtés et nous faisons monter àbord nos trois VIP suédois. Ils sont heureux d’être enfin àbord et, de notre côté, nous sommes très honorés de lesaccueillir. Ce n’est pas tous les jours que l’on a l’occa-sion de rencontrer un écrivain mondialement connu, undéputé et une universitaire suédois. Nous leur faisonsfaire le tour du bateau et leur attribuons nos plus bellescabines. Cela dit, il faut préciser tout de suite que, sur cegenre de bateau, même les plus belles cabines restentassez spartiates. Tôt dans l’après-midi, nous organisonsnotre dernière assemblée générale. Nous entrons dans ladernière phase de notre voyage et les menaces israélien-nes se font de plus en plus pressantes.

Que va décider le gouvernement israélien ? À pré-sent que la communauté internationale a pris clairementposition, beaucoup d’entre nous sont d’avis qu’il y a tropde pression sur lui pour qu’il puisse réellement tenter denous arrêter par la force. En revanche, il pourrait dispo-ser sa flotte de guerre de manière à nous barrer la route.Et là, il serait très dangereux de tenter de passer en force.

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Les cargos sont tout sauf des bateaux maniables. Avecce type d’embarcation, on ne vire pas de bord au derniermoment et on ne s’arrête pas net en appuyant sur le frein.Le Mavi Marmara et ses six cents passagers ne se prê-tent pas non plus à des manœuvres délicates. En ce cas,nous serions quasiment obligés de nous arrêter etd’attendre. Nous entrerions alors dans un jeu de pres-sions et de négociations qui pourrait durer un certaintemps. Comme nous ne disposons pas de tonnes devivres à bord, mais seulement du nécessaire pour tenir àpeine quelques jours, cela veut dire qu’il nous faudrafaire preuve d’une grande résistance. Il y aura donc sansdoute une partie de bluff pour savoir qui craquera le pre-mier. Mais Vangelis n’est pas vraiment de cet avis. Pourlui, l’armée israélienne peut tout à fait avoir décidéd’arraisonner nos bateaux — au moins les cargos, quisont le symbole le plus fort de notre volonté de briser leblocus. Étant donné leur faible vitesse et le peu de pas-sagers à bord, ils constituent des cibles faciles. Lesautres bateaux, sur lesquels se trouve une masse depassagers, et surtout le Mavi Marmara avec ses six centspersonnes à bord, seront bien plus difficiles à maîtriser.En fait, il est presque impossible d’imaginer que lescommandos israéliens puissent arraisonner un telbateau sans que cela tourne au drame. Quoi qu’il en soit,sans les cargos, nous perdrions l’élément stratégique denotre mission et Gaza se retrouverait avec six cents tou-ristes sur les bras. Cela serait un échec, car notre projethumanitaire n’aurait alors plus aucun sens. Il sembleque les amis d’IHH partagent cette analyse et craignentune attaque des commandos israéliens sur les cargos.Si nous partons maintenant, en fin de matinée, nous arri-

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verons dans la zone d’exclusion des 20 milles autour deseaux de Gaza vers 4 ou 5 heures du matin. Peut-êtremême un petit peu avant. Entrer dans la zone d’exclu-sion en pleine nuit, ce serait donner à l’armée israé-lienne l’opportunité d’attaquer nos bateaux dans l’obs-curité, à une heure où l’Europe dort encore. Ce serait leurfaire un trop beau cadeau. Nous décidons donc de diffé-rer notre départ de quelques heures. Vers 16 heures,nous mettrons le cap sur l’Égypte, à plus de 100 milles denotre position, et non sur Gaza. Nous resterons au maxi-mum dans les eaux internationales puis, au derniermoment, nous changerons à nouveau notre cap pourn’entrer dans la zone d’exclusion imposée par Israëlqu’en fin de matinée le lendemain. Nous le ferons enplein jour, à l’heure où les chancelleries sont actives etles journaux télévisés sur le point de diffuser l’édition dela mi-journée. La lumière médiatique et diplomatique estnotre seule vraie protection. Oui, mais si les Israéliensdécidaient de nous attaquer dans les eaux internationa-les, au beau milieu de la nuit ? Cette perspective nousfait frémir…

Un nouveau débat s’engage : que faire dans ce cas ?Nous en discutons avec Vangelis et les quelques autrescamarades grecs qui ont déjà eu affaire à la marine israé-lienne au cours des précédentes traversées. Lors destrois dernières tentatives, les commandos israéliensavaient empêché les bateaux de passer en utilisant depuissants canons à eau, obligeant équipage et passa-gers à se réfugier dans les cabines, et aussi en les tam-ponnant littéralement avec leurs propres navires. Cettefois, ils auront du mal à jouer aux autos tamponneusesavec notre cargo de plusieurs milliers de tonnes. Et s’ils

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utilisent des canons à eau, nous avons nous aussi unelance à incendie tout à fait capable de leur rendre la mon-naie de leur pièce. Pourquoi n’essaierions-nous pas deles empêcher de monter à bord ? Après tout, s’ils ten-tent de nous arraisonner de force dans les eaux interna-tionales, ils se comporteront comme de vulgaires pirateset nous aurons parfaitement le droit de nous défendrepar ce moyen. Cela dit, il est difficile de jauger la réactionisraélienne. Seront-ils capables d’ouvrir le feu si nousles arrosons ? Peut-être vaut-il mieux ne pas tenter lediable. Mais, en ce cas, comment faire pour montrer, aumoins symboliquement, que nous ne leur reconnais-sons pas le droit d’entraver notre mission ? Nous déci-dons que, quoi qu’il arrive, nous leur opposerons unerésistance passive. Dans l’après-midi, j’envoie un emailà Adnane avec les numéros de passeport de tous lesFrançais et lui demande de m’envoyer aussi le numérode Lea et de Gaby qui sont nos avocats en Israël. Au casoù.

Le soleil va bientôt se coucher, il est temps pour nousde partir. Cette fois-ci, notre Flottille est au complet.Puisque le Rachel Corrie, le cargo du Free Gaza Move-ment qui devait prendre symboliquement la tête de notreescadre, n’a pu nous rejoindre à temps, c’est le Mavi Mar-mara qui ouvre la route. Nous sommes légèrement enretrait. Juste derrière nous, il y a les deux autres cargos,et le Sfendoni ferme la marche. Le Challenger One, le plusrapide et le plus petit des bateaux, navigue entre nous etfait office d’estafette. Nous naviguons au plus serré, nelaissant que quelques centaines de mètres entre noustous. Chacun a pris des tours de garde. Mais, de toutefaçon, la nuit sera longue et il sera difficile de dormir. Ce

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soir, au dîner, ce sera sandwichs à volonté et café chaudpour ceux qui sont de quart. Mon tour de garde doitdémarrer vers 2 heures du matin. Vers 22 heures, je des-cends dans la soute pour me reposer dans l’une des cabi-nes. Je me réveille deux heures plus tard, vers minuit.Impossible de dormir plus longtemps. Je passe directe-ment par la cuisine où je retrouve Elias, Erginia et Naïm.Pas besoin de long discours, à leurs visages anxieux, jecomprends que quelque chose ne va pas. Naïm me sertun café brûlant. « Cela fait une heure qu’ils nous sui-vent. » Nous sortons de la cuisine et, depuis la coursive,Elias me montre l’horizon : « Regarde, ils sont là… et là. »Dans la brume, au loin, je distingue alors moi aussi leslumières blafardes des navires de guerre. Je monte dansla passerelle, sur le radar du bateau, d’où on les distin-gue mieux. Il y en a partout. Sur nos flancs, devant et der-rière nous. Vangelis, qui essaie de joindre le gouverne-ment grec, m’explique que les Israéliens ont pris contactavec nous pour nous ordonner de changer de cap et denous rendre vers le port israélien d’Ashdod, à plus de100 milles de notre position. « Évidemment, me dit-il,nous avons refusé, nous sommes dans les eaux interna-tionales, nous n’avons pas d’ordres à recevoir d’eux. »Les minutes et les heures passent tandis que noustenons notre cap. Et, tout autour de nous, au loin, ladanse inquiétante des lumières israéliennes se poursuit.Je redescends sur le pont où, avec Yourgos, Demetrioset Elias, nous nous tenons à l’arrière du bateau. Nos seu-les armes sont de grandes lampes torches qui illuminentla nuit. Tout le monde sur le bateau est à présent réveilléet chacun surveille la nuit brumeuse en espérant que lesbateaux de guerre disparaîtront.

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Vers 4 heures du matin, nous entendons l’appel à laprière résonner sur le Mavi Marmara qui se trouve juste àcôté de nous. Quand, soudain, Immanuel crie depuis lapasserelle : « Ils arrivent droit sur nous ! On les voit sur leradar ! Ils arrivent ! » Nous écarquillons les yeux, maisnous ne distinguons rien. Et puis, s’arrachant de labrume, les voilà qui sont sur nous. Je n’en crois pas mesyeux ! Au moins cinq navires de guerre, des hélicoptèresde combat, des zodiacs remplis de commandos. Dans lebruit infernal des bombes sonores et des salves à blancqu’ils tirent sur nous, nous les voyons tournoyer commeun essaim furieux. Nous braquons nos torches sur leszodiacs qui passent auprès de notre cargo. Nous hur-lons que nous sommes dans les eaux internationales !Qu’ils ne sont que des pirates ! Mais, évidemment, rienn’y fait. Alors que la brume disparaît complètement, àprésent, la plupart des hélicoptères et des zodiacs sedirigent vers le Mavi Marmara. Nous sommes à quelquescentaines de mètres, peut-être 800, du bateau de croi-sière. Nous apercevons et entendons de nombreusesexplosions, mais il est difficile de comprendre ce qui sepasse. Quoi qu’il en soit, cela semble très violent. Et nousne pouvons rien faire pour eux. La meute des vaisseauxisraéliens et de leurs hélicoptères de combat a l’air denous avoir oubliés pour se concentrer exclusivement surle Mavi Marmara. L’assaut contre le bateau turc semblene pas devoir s’arrêter. Malgré tout, celui-ci maintientson cap, tout comme nous. Je remonte sur la passerelleet j’aperçois Vangelis qui secoue la tête et pose le télé-phone satellite qu’il a dans la main. Plus rien ne passe, ilsont brouillé toutes les communications. Nous n’avonsplus de téléphone, plus de satellite, plus d’Internet. Juste

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la radio qui fonctionne par intermittence et notre radar.Sur la passerelle à l’arrière, je peux encore distinguer lesdeux autres cargos, mais je ne vois plus ni le Sfendoni nile bateau américain. Je ne sais pas s’ils ont fait demi-tour ou s’ils ont déjà été pris par la marine israélienne.Soudain, à côté de nous, le Mavi Marmara change de cap,la marine israélienne toujours à ses trousses. Au loin, jene distingue plus nos bateaux, ni même les navires deguerre ou les hélicoptères israéliens : nous sommesseuls. Autour de moi, Nikos, Immanuel, Elias, tous ont levisage figé par la colère et l’angoisse. Tant d’efforts et degénérosité, cette immense vague de solidarité et d’espoirvenant des quatre coins de la planète, viennent d’êtreécrasés par une machine brute, efficace, sans âme.L’aube se lève maintenant et nous filons droit sur Gaza.Après le vacarme infernal de l’attaque israélienne, lebruit des vagues et celui du moteur semblent se confon-dre en un murmure presque rassurant. Autour de nous,il n’y a que la mer, à perte de vue. C’est comme si cettedernière demi-heure n’avait jamais existé, comme s’il n’yavait jamais eu de Flottille non plus. Juste nous et la mer.Mais nous savons que ce n’est qu’un répit, qu’ils vontrevenir pour mieux nous mordre. Tous les autres bateauxont disparu, emportés par l’assaut israélien, il n’y aaucune raison pour que notre sort soit différent. Elias etmoi avons repris notre position sur la coursive gauchedu bateau et nous éclairons l’aube naissante avec noslampes torches. Nous échangeons des cigarettes sansun mot. Nous ne parlons plus, mais nous nous posonstous la même question. Quand vont-ils nous attaquer ?Pourquoi ne l’ont-ils pas déjà fait ? Pendant quelquesminutes, je ne peux m’empêcher d’espérer follement

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qu’ils nous aient oubliés ou perdus. Que, dans quelquesheures, nous verrons se détacher, devant nous, les côtesde Gaza, puis son port à moitié détruit. Et des dizaines debateaux de pêcheurs palestiniens pour nous accueillir.

Mais je sais que cela n’arrivera pas. Au-dessus denous, une fusée éclairante explose dans le ciel encoresombre, tandis qu’un speed boat fonce sur nous en hur-lant : « Ici la marine israélienne, Sophia, faites demi-touret dirigez-vous vers le cap 135. Dirigez-vous vers Ash-dod ! » J’entends Pissias crier dans le mégaphone quenous sommes dans les eaux internationales, que nousbattons pavillon grec et qu’ils n’ont aucun droit de nousarraisonner ! Le speed boat israélien ne cesse de tournerautour de nous comme un chien fou, coupant au ras denotre bateau et hurlant sans cesse la même phrase. Puis,au bout d’une dizaine de minutes, il s’écarte. « Dernieravertissement, changez votre cap pour 135 ou nousallons devoir tirer ! » Nous ne répondons plus. Nouscontinuons d’avancer, c’est tout. Quelques minutes plustard, un hélicoptère de combat et deux zodiacs remplisde commandos masqués rejoignent notre cargo. L’héli-coptère se contente de nous survoler tandis que les deuxzodiacs commencent leurs manœuvres d’approche surnos deux flancs pour nous aborder. À leur vue, nouspouvons difficilement ne pas laisser éclater notre colère.Cette bande de pirates est en train de nous aborder !Alors qu’à quelques-uns nous sommes sur le pointde nous rendre à l’avant du bateau où se trouvent lesdeux zodiacs, Pissias hurle : « Ne les approchez pas !Nikos, Elias, tout le monde remonte sur la passerelle !Regroupez-vous autour de la passerelle ! Ne faites rien !Remontez ! » Il y a une telle angoisse dans sa voix et un

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tel sentiment d’urgence que nous sommes pris de stu-peur. Après quelques secondes, nous remontons etnous nous groupons autour de la cabine du capitaine.De là où nous sommes, nous avons une vue imprenablesur les deux zodiacs et sur les commandos israéliens quis’escriment à couper le fil barbelé que nous avons posésur tout le pourtour du bateau quelques heures aupara-vant. Je regarde Pissias, et je ne vois à ce moment que del’impuissance et de la stupeur dans ses yeux. Je ne lesaurai que plus tard, mais Pissias vient juste de recevoirle dernier message que le Mavi Marmara a réussi à fairepasser par la radio : « Mavi Marmara, nous sommes unbateau civil, nous avons des morts et des blessés à bord.Nous avons besoin d’aide et de secours. À la marine etaux soldats israéliens, cessez de tirer ! Nous n’avons pasd’armes. Nous sommes un bateau civil. À tous les pas-sagers, regagnez vos cabines. Nous avons des morts etdes blessés à bord. Nous avons besoin d’aide et desecours ! S’il vous plaît, cessez de tirer ! »

Les voilà qui montent enfin sur notre bateau. Nousnous mettons en chaîne autour des deux entrées de latimonerie, aussi serrés que possible tandis que nouscrions qu’ils ne sont que des criminels, qu’ils n’ontaucun droit de monter sur notre bateau. Ils foncent versla passerelle, entre vingt et trente, masqués et casqués,leurs armes à la main. Ils hurlent eux aussi en anglais :« Fermez vos gueules ! Nous prenons le bateau ! Fer-mez-la ou vous allez voir ! » Nos journalistes filmenttoute la scène, tandis que d’autres prennent des photos.Ils sont maintenant sur nous. Yourgos, qui est justedevant moi, s’effondre à terre sous l’effet d’une déchargede Taser. Il est roué de coups et il crie de douleur. Elias

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et moi nous précipitons pour essayer de nous interpo-ser. Je suis violemment poussé à terre, tandis qu’Eliasreçoit une salve de paint ball à bout portant. Les deuxjournalistes qui filmaient la scène se font arracher leurscaméras et mettre à terre. Soudain, un des commandosbrandit un pistolet-mitrailleur et d’autres sortent des pis-tolets munis de silencieux : « Ça suffit ! Maintenant, onne joue plus ! On prend le bateau ou on tire dans le tas ! »Sortant de la timonerie, Pissias s’avance vers la passe-relle : « C’est bon, c’est moi qui suis responsable de cebateau, nous nous rendons. » À son tour, il se retrouvebraqué. Ils veulent voir le capitaine et exigent qu’onarrête le bateau. Plusieurs commandos entrent dans latimonerie avec lui tandis que nous sommes emmenés unpar un sur le pont. Certains d’entre nous sont menottésavec des « flexicuffs », liens en plastique qui arrachent lapeau des os. Au bout de dix minutes, nous sommestous, une vingtaine à peu près, regroupés dehors, sur etautour des deux petits bancs qui se trouvent sous latimonerie. Seuls manquent le capitaine, le second, lechef mécano et Pissias qui sont sous bonne garde dansla timonerie. Il est presque 6 heures du matin, et le capi-taine stoppe les machines. L’opération « Brise de mer »,car c’est ainsi qu’ils l’appellent, est un franc succès. Lamachine de guerre israélienne et ses hélicoptères decombat, ses dizaines de commandos, ses destroyers etses sous-marins viennent de capturer six bateaux rem-plis de civils désarmés, au beau milieu des eaux interna-tionales. Évidemment, les blessés et les morts, jel’apprendrai plus tard, sont de notre côté. Quelle vic-toire, quel morceau de bravoure ! Je laisse ma têteappuyée sur le mur et j’ai du mal à retenir des larmes de

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frustration et de colère. Nous avons tout perdu, n’est-cepas ? Je suis complètement démoralisé et il faudra toutela chaleur et la force des camarades pour que je reprennele dessus.

Tandis que le soleil se lève, d’autres commandosmontent à bord, cette fois-ci avec des chiens. Tous,comme ceux qui nous ont attaqués, sont masqués et neportent aucun insigne, seulement des numéros sur leurpoitrine. Yourgos, que nous avons allongé sur l’un desbancs, reprend ses esprits peu à peu et nous lui don-nons le peu d’eau que nous avons encore avec nous. Surles coursives, de chaque côté de notre groupe, deuxcommandos armés nous surveillent en permanence. Ilsse relaieront toutes les deux heures. Nous essayons deleur parler. Nous voulons contacter notre ambassade,nous voulons de l’eau, nous voulons qu’ils libèrentYourgos qui est le dernier d’entre nous à être encoremenotté. Ils restent impassibles. Un commando vientfinalement s’adresser à nous, un officier, je suppose. Ilnous demande si nous avons des armes à bord, noussommes atterrés. Yannis répond avec humour que nousaurions dû. Nous demandons à nouveau qu’ils enlèventles menottes de Yourgos et qu’ils nous donnent de l’eau.Finalement, ils lui retirent ses liens et nous autorisent àprendre des bouteilles d’eau entreposées juste à côtésur le pont. Au bout d’une demi-heure, les chiens etleurs maîtres quittent notre bateau. Deux commandosdéposent fièrement devant nous le résultat de leurfouille. « Des armes ! » dit l’un deux. Intrigués, nousnous approchons en prenant garde de ne pas sortir desquelques mètres carrés qui nous sont alloués. Posés àmême une couverture, j’aperçois une hache, une masse

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et une dizaine de couteaux de cuisine ! Elias devientrouge de colère et commence à insulter le commando engrec tandis que je prends le parti d’en rire. Nous som-mes sur un cargo, une hache et une masse font partie del’équipement minimum que l’on trouve sur ce genre debateau. Quant aux couteaux de cuisine, j’essaie d’expli-quer à Sherlock Holmes qu’il est difficile de se faire livrerdes pizzas au beau milieu de la Méditerranée et que nousavons par conséquent dû nous résoudre à faire la cui-sine nous-mêmes. Puisqu’ils semblent si étonnés devoir des couteaux à bord d’un bateau, je lui demandecomment ils font, eux, pour manger. Montrant l’hélicop-tère qui nous survole, je lui demande si, en plus desmunitions, il livre aussi les pizzas. Ma vanne fait rire mescamarades, mais pas notre gardien. On nous fait ras-seoir précipitamment. D’autres commandos montent àbord du bateau, quatre en tout, dont, pour la premièrefois, deux femmes. Elles ne portent apparemment pasd’arme, mais sont masquées comme les autres. Nousnous demandons quel est le but de leur présence. Alorsque l’adrénaline et la peur due à l’attaque redescendentdoucement, nous nous rendons compte à quel pointces commandos, qui font soi-disant partie des troupesd’élite de Tsahal 1, semblent jeunes, y compris ceux quiles commandent. À ce que l’on peut distinguer de leurvisage, à la voix de ceux qui nous parlent, on ne leurdonne pas 30 ans, plutôt 20 ou 25. Jeunes et blindés,voilà ce qu’ils sont. À mesure que je les regarde, je nevois pas dans leurs yeux autre chose que de la haine, dumépris et peut-être de la peur aussi. Plus tard, alors que

1. Tsahal : désigne l’armée israélienne.

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nous passerons dans les mains de dizaines et de dizai-nes de militaires et de policiers, le sentiment d’avoiraffaire à des mômes dont on a lavé le cerveau ne me quit-tera pas. Cela donne une impression étrange. Comme sicet État, Israël, ne pouvait user de ses jeunes qu’en lesenvoyant faire le sale boulot, un flingue à la main.

Au bout d’une heure environ, notre bateau repart,cette fois-ci avec un cap bien différent. Sur le pont, undes officiers revient et nous annonce que nous allonsêtre fouillés un par un, puis que nous allons montrer nosbagages et qu’enfin nous leur donnerons nos passe-ports. Nous refusons en bloc, Henning Mankell et ledéputé suédois, Mehmet Kaplan, s’insurgent. En tantque militaires, ils n’ont aucun droit de saisir nos passe-ports qui sont des documents officiels appartenant ànos États respectifs, ils ne peuvent que les viser, rien deplus. La tension remonte, et une bonne dizaine decommandos se rapprochent de nous, les armes à lamain. « De deux choses l’une, nous disent-ils, cela peutse faire calmement ou violemment. À vous de choisir. »Quel choix… L’officier désigne Henning Mankell. « You !Avec moi ! » Du haut de ses 60 ans passé, Henning selève, il pourrait être leur père ou leur grand-père même.Il s’adresse à eux : « Je vous suis, vous pouvez me fouil-ler et noter mon identité, mais je ne vous donnerai pasmon passeport. » Ils l’emmènent dans la cabine du capi-taine, qui conduit directement à la timonerie, juste der-rière nous. Au bout de quelques minutes, nous enten-dons des éclats de voix. Nous nous levons, mais nosgardiens ont largement de quoi nous faire rasseoir.Leurs fusils d’assaut pointés sur nous parlent pour eux.Henning revient, rouge de colère : « Ces salauds m’ont

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pris mon passeport de force ! » L’officier revient et dési-gne Elias, qui refuse de se lever et qu’ils traînent deforce. Puis c’est au tour d’Erginia. Finalement, tout lemonde y passe, les uns après les autres. J’enlève maveste que je pose sur le banc sous moi. Juste avantd’être appelée, une des journalistes me passe discrète-ment une de ses cartes mémoire qu’elle tient dans lecreux de sa main depuis ce matin. Je fais passer la carteà un des camarades à côté de moi alors que mon tourarrive. Je les suis. Nous entrons dans la cabine. Assiseà la table où parfois nous prenions le café le soir, une desdeux femmes commandos note scrupuleusement cha-que passeport. À côté d’elle, je vois mon appareil photoque j’avais posé là avant d’aller me coucher. Je désignel’appareil : « C’est le mien, rendez-le-moi. » Elle sourit,narquoise, et s’adresse en hébreu à un des commandos,et ils se marrent. Derrière moi, un des soldats me dit dela fermer. Il me fouille sans ménagement, prend monporte-monnaie, vide le tout sur la table devant nous. Lafemme en retire ma carte d’identité. « Où est ton passe-port ? » me demande-t-elle. L’autre continue à me fouil-ler. Il retire mes cigarettes et mon briquet, qu’il jetteaussi sur la table. Elle répète : « Ton passeport ? » Moi :« Je ne l’ai pas, il est dans ma veste, dans une des cabi-nes. » Elle : « Quelle cabine, où ça ? » Je la regarde, je luirends son mépris. L’autre derrière moi me pousse. Jeréponds : « Je ne sais plus. Dans l’une des cabines sousle pont. Ou peut-être dans une des cabines à l’arrière,nous y dormions à tour de rôle. » Ils se parlent en hébreu.Je ne comprends rien. L’autre derrière me dit en anglaisde sortir. J’attrape au vol mon portefeuille et une partiedu tas, dont ma carte de crédit et mes cigarettes. Un des

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commandos assis en face de moi m’agrippe. Je leregarde et je lui lance en anglais : « Ah, parce que vousvolez aussi les cigarettes et les cartes de crédit, mainte-nant ? » Il me lâche, nous sortons. Sur le chemin duretour, je croise Dror qui est emmené sans ménagement.Lui, le juif israélien, le « traître », qui depuis plus d’unesemaine ne cesse de donner des interviews en hébreuaux journaux et à la radio israélienne, ils lui ont réservéun sort spécial. Alors que l’on me fait une place sur undes bancs, nous l’entendons crier. Ils le frappent et nousne pouvons rien faire. Leurs fusils sont toujours bra-qués sur nous. Ils le frappent et la seule chose que nouspouvons faire, c’est de crier avec lui. Nous ne le rever-rons pas avant plusieurs heures.

Un peu plus tard, un des officiers revient vers nouset nous annonce qu’il nous manque trois passeports. Lemien et celui de deux autres camarades grecs. Soit nousallons les chercher et leur donnons maintenant, soit ilsrefouillent tout le monde et saisissent tout ce qu’ils trou-veront. Un ange passe. Je n’ai pas envie de leur donnermon passeport. Qu’ils le cherchent et le trouvent, s’ils yarrivent. Mais mon amie journaliste me convainc ducontraire. Si jamais ils recommencent à nous fouiller,peut-être, cette fois-ci, trouveront-ils la carte SD avecles quelques photos de l’attaque qu’elle a pu prendre.Nos deux autres compères journalistes sont aussi de cetavis. Bien, j’enfile ma veste et je me lève. Je dis à l’officierque je vais trouver mon passeport, qu’il est dans une descabines mais que je ne me souviens plus de laquelle. J’aidécidé de m’offrir une dernière petite balade sur monbateau. Un des commandos m’accompagne. Je désignel’escalier qui descend vers les cabines de la soute :

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« C’est là, je crois. » Le soldat pose une main sur monépaule et m’ordonne de descendre lentement. Nous des-cendons et, avant qu’il ait pu faire un geste, j’ouvre lapremière cabine devant moi. Il crie : « Attend ! » Troptard. La porte s’ouvre en grand sur trois ou quatre mili-taires israéliens, sans masque, en train de dormir surnos couchettes. Le commando derrière moi se précipite,furieux, referme la porte et me fait reculer. « C’est moi quiouvre les portes et tu attends avant d’entrer, OK ? » Dequoi a-t-il peur ? Il entrouvre la porte et réveille sescamarades, la porte se referme. Deux minutes après, laporte de la cabine s’ouvre à nouveau. Les commandossont debout et viennent de remettre leurs masques.C’est donc cela qu’il craignait tant, que je puisse voirleurs visages. J’entre à présent dans la cabine, les qua-tre soldats debout autour de moi. Je prends mon temps,fais semblant de fouiller la cabine. Les commandos pré-sents sont obligés de se pousser tandis que je poussedes valises, soi-disant à la recherche de la mienne. Puisje me retourne : « Non, ce n’est pas celle-là ! » Puisquec’est tout ce que je peux faire maintenant, je décide defaire toutes les cabines. Nous ressortons et je me dirigevers la cabine suivante. Ce coup-ci, mon gardien ne s’ylaisse pas prendre et, me tenant par l’épaule, il ouvre laporte de la cabine devant nous et réveille les hommes quiy dorment. Je les entends qui râlent en hébreu tandisqu’ils doivent enfiler leur masque en vitesse. On me faitentrer et je recommence mon manège, déplaçant unevalise, soulevant un oreiller. Au bout de cinq minutes, jeme retourne : « Non, ce n’est pas celle-là. » Et nousrecommençons dans les deux dernières cabines, tandisque je sens que mon gardien commence à perdre

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patience. Finalement, mon visage s’illumine : « Ça y est,je sais ou c’est ! » Ma valise est dans la cabine de pontjuste à l’arrière du bateau. Numéro 4, puisque c’est cequi est écrit sur sa poitrine, perd son calme et me hurledessus. J’ai intérêt à ce que le passeport soit là-haut,sinon on va s’occuper de moi ! Nous remontons et nousdirigeons vers l’arrière. Surprise, une quinzaine d’entreeux sont assis à l’ombre en train de déjeuner, la plupart ànouveau sans masque. Ils crient, tandis que chacun secouvre le visage. Cette fois-ci, j’ai le temps de distinguernettement le visage de l’un d’eux. Ses cheveux sont roux,ses yeux très bleus et sa barbe longue est en bataille. Ilest jeune, pas plus de 25 ans. À côté de lui, l’une desdeux femmes tourne la tête mais je peux voir ses longscheveux coiffés en natte. Numéro 4, qui marche à mescôtés, me tire en arrière. Après quelques minutes, nousreprenons notre marche. Ils sont tous masqués à pré-sent. Nous arrivons dans la cabine et j’ouvre ma valise.Je prends un livre, Orientalism, d’Edward Saïd, deuxpaquets de cigarettes et un paquet de tabac que je trouveà l’intérieur, nous en aurons besoin. Je continue à fairesemblant de fouiller ma valise à la recherche de mon pas-seport. J’attends que numéro 4 se retourne, et sors monpasseport qui n’a jamais quitté ma veste. Je pose monpasseport sur la chaise à côté de moi : « Le voilà, on peuty aller. » Il prend mon passeport et le range dans saveste. Je retrouve mes camarades et leur raconte ce quej’ai vu. Les commandos occupant nos cabines, le visagede l’un des leurs, et la natte de cette femme. Ce n’est pasgrand-chose, ce n’est rien même, mais j’ai pu voir ce quinous était interdit, le visage de nos agresseurs.

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Cela fait maintenant près de cinq heures que noussommes en route vers Israël, nous crevons littéralementde faim et de chaud. Il est 11 heures du matin et, malgrél’auvent que nous avons au-dessus de nos têtes, le soleiltape dur. Dror réapparaît enfin, le visage tuméfié, maismoins atteint que nous ne le craignions. Nous lui fai-sons une place sur le banc pour qu’il puisse au moinss’asseoir et avoir un peu d’ombre. Il nous sourit : « Ça va,j’en ai vu d’autres. Au moins, ils ne m’ont rien cassé.Mais cette bande de voleurs n’a pas voulu me rendremon saxophone ! » Un des commandos nous apportedes sandwichs que nous refusons en bloc. Nous deman-dons à manger notre propre nourriture. Nous avons unecuisine et un cuisinier, nous ne voulons rien qui viennede ces pirates. Après de longues minutes de négocia-tion, Naïm et Erginia sont autorisés à prendre dans lacuisine ce qu’ils peuvent trouver de froid, mais pas à cui-siner. Ils reviennent avec des olives, du pain et des bis-cuits. Nous nous attablons comme nous pouvons. Tan-dis que nous mangeons, une des femmes commandoss’approche de nous. Elle sort une caméra digitale etcommence à nous filmer. Je baisse la visière de ma cas-quette et Elias et moi avertissons les autres. « Ils nous fil-ment ! De quel droit ? ! » Henning et Nikos se lèvent etcommencent à lui crier dessus. Nous nous mettons àcrier, nous aussi. Nous sommes des civils qu’ils vien-nent de kidnapper. Ils n’ont aucun droit de nous filmercomme des criminels. Ce sont eux, les criminels, lespirates ! Elle s’en va. Nous nous regardons, étonnésd’une victoire aussi facile. Peut-être vingt minutes plustard, la voilà qui revient discrètement. Le manège recom-mence et, alors que nous lui faisons une leçon sur le

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droit international, elle s’enfuit à nouveau. C’est Nikos,je crois, qui comprend le premier la vraie nature de soncinéma. Elle ne nous filme pas pour que nos visagespuissent être fichés, mais pour faire un joli film de propa-gande. Pour montrer comme nous sommes traités avechumanité et finalement pas si malheureux. Évidemment,notre réaction ne cadre pas vraiment avec le scénarioqu’on a dû lui écrire. Ce petit jeu va pratiquement durerjusqu’au port d’Ashdod. Toutes les heures ou presque,à chaque fois que la tension sur le bateau sera au mini-mum, elle tentera de nous filmer discrètement. À cha-que fois, nous ne lui laisserons pas ce plaisir. Nous fini-rons même par mettre en place des tours de garde avecdes guetteurs pour être sûrs qu’elle ne nous filmera passans que nous réagissions. Comme je n’ai jamais vu lesimages, ni à la télé ni sur aucun site de propagande dugouvernement israélien, j’imagine que nous avons aumoins gagné cela. On a les satisfactions que l’on peut.Après près de dix heures de navigation sous le soleil,nous voyons enfin la côte. Dror est formel, c’est le portd’Ashdod que l’on peut apercevoir au loin. Alors quenous nous approchons, nous croisons d’autres bateauxde la marine israélienne, qui, tous, saluent les « héros »du jour à grands coups de sirène et à grand renfort decris de joie. Les commandos nous font alors descendredeux par deux dans les cabines du bateau qui sont ànouveau vides. Je n’ai toujours pas compris pourquoi.Nous attendons à quatre ou cinq par cabine, alorsqu’une abeille du port d’Ashdod vient guider notrebateau. Nous sommes maintenant amarrés au quai.À travers le hublot, nous pouvons entendre dehors lebruit de la foule qui nous attend. Ils nous font sortir un

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par un et nous remontons sur le pont du navire. À l’airlibre, nous pouvons voir ce qui a été préparé pour notrearrivée. En face de nous se dressent d’immenses mara-bouts d’un blanc éclatant qui ont été érigés pour nousréceptionner. Et, juste devant nous, à quelques mètres,le comité d’accueil israélien, massé sur le quai.

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Quatrième partie

Kidnappés

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8. PASSEZ PAR LA CASE PRISON

Une foule compacte, des cen-taines de policiers et de militaires se sont massés sur lequai et manifestent leur présence bruyamment. Ils nousregardent, nous pointent du doigt. Ils crient en hébreu,et j’imagine que ce ne sont pas exactement des mots debienvenue. D’autres applaudissent à tout rompre leshéros qui nous ramènent en trophée. Je me retourne etregarde le commando qui me tient par l’épaule. Les motssortent de ma bouche malgré la peur qui m’étreint : « Tupenses vraiment que vous avez accompli quelque choseaujourd’hui ? Quelques centaines de civils désarmés etsix vieux bateaux. C’est ça, votre grande victoire ? Dansquelques heures ou quelques jours, le monde entiervous condamnera pour ce que vous venez de faire, pource qu’ils vous ont fait faire ! » Il me regarde droit dans lesyeux. Je me fige, j’aurais mieux fait de tenir ma langue. Jene peux m’empêcher de reculer un peu pour anticiper lescoups. Il ne dit rien, il me fixe toujours. Mais, pour la pre-mière fois et malgré le masque, j’aperçois dans sonregard un soupçon de doute, quelque chose de faillible,d’humain. Loin du masque brut et méprisant qui lui avait

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servi, ainsi qu’à ses collègues, de visage pendant desheures. Alors que ses yeux sont toujours rivés auxmiens, il me lâche : « Tu peux y aller maintenant. » Jemonte sur la petite passerelle d’embarquement qui mèneau quai, devant moi, Elias est déjà happé par la foule encontrebas. Dror, à son tour, pose le pied sur le sol israé-lien et son calvaire commence. La foule bleue et verte lemoleste, l’injurie, lui, le « traître », comme ils l’appellent.Je descends à mon tour et je suis entouré par des dizai-nes d’hommes. On me fouille, ils cherchent des armes.À croire qu’ils n’ont guère confiance en leurs comman-dos, puisque ceux-ci nous ont déjà fouillés des pieds àla tête. On me rend mon portefeuille et mes cigarettes.On me fait avancer. Soudain, j’aperçois sur le côté deuxsoldats en train de filmer la scène. Je me mets à leur crieren anglais : « C’est une honte ! Vous êtes des pirates,des criminels ! Vous devriez avoir honte ! » Mes pieds netouchent plus le sol tandis que je suis traîné de forcevers l’une des vastes tentes blanches qui nous font face.Un des policiers me fait une clé de bras et m’intimel’ordre de me calmer. Il me fait asseoir de force sur unechaise. Je suis juste en face de Paul Larudee qui se trou-vait sur l’autre bateau grec, le Sfendoni. J’ai un mouve-ment de recul en l’apercevant. Vêtu d’une blouse d’hôpi-tal et d’un T-shirt complètement déchiré, il n’y a pas uncentimètre de son corps qui ne soit couvert de bleus oud’écorchures. Son visage est complètement tuméfié,méconnaissable. Je l’interroge : « Que s’est-il passé ?Que vous ont-ils fait ? » Il me raconte. L’attaque du Sfen-doni a été bien plus violente que celle de notre bateau. Ilsont lancé des bombes lacrymogènes et des grenadessonores à tirs tendus sur les passagers. Ils ont longue-

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ment tabassé une dizaine de camarades. Le capitaine aété matraqué à coups de bâton et de crosse de fusiljusqu’à ce qu’il s’effondre, inconscient. Il n’est pas iciparce qu’il a dû être directement emmené à l’hôpital à ladescente du bateau. Paul nous dit qu’à la fin de l’atta-que, alors que les commandos israéliens s’étaient ren-dus maîtres du bateau, il a sauté par-dessus bord etnagé le plus loin possible. Évidemment, ils se sont mis àsa poursuite et l’ont rattrapé. Ils lui ont lancé une cordeafin qu’il monte sur leur zodiac. Mais il a refusé et s’estde nouveau éloigné d’eux à la nage. La poursuite a durévingt bonnes minutes. Finalement, ils ont réussi à le fairemonter de force sur le zodiac. Ils l’ont ramené sur l’un deleurs navires de guerre. Et, là, ils l’ont puni pour songeste d’évasion. Ils l’ont frappé à coups de pied dans latête. Puis, toujours trempé, ils l’ont ligoté, le doscomplètement tordu, à un poteau sur le pont du navire.Ils l’ont laissé là, sous le soleil, pendant près de quatreheures. Quand ils l’ont finalement autorisé à redescen-dre, ils lui ont dit qu’il ne pourrait boire et manger qu’à lacondition de promettre de ne plus essayer de s’échap-per. Paul sourit ou tente de sourire : « De toute façon,dit-il, vu l’état dans lequel ils m’avaient mis, je n’auraispas pu essayer de m’échapper bien loin. »

Autour de nous, le bruit et la foule des uniformesqui s’agitent donnent l’impression d’une ruche. Un poli-cier vient me chercher, je dois passer à la fouille. Onm’ordonne d’entrer dans une cabine. On me tend unecorbeille. « Déshabille-toi, enlève tout ! » Je me désha-bille, je suis entièrement nu. « Tourne-toi. » Je metourne. « Baisse-toi. » Je me baisse. Il me rend mon cale-çon. « Tu attends ici. » Il revient cinq minutes plus tard

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avec mes affaires, mes clopes et mon portefeuille. Je merhabille et j’entends des cris. Je me dépêche. Alors queje tente de sortir de la cabine, deux policiers m’empê-chent de passer. Ils me repoussent à l’intérieur. Je réus-sis à tendre la tête pour voir ce qui se passe. À 20 mètresde moi environ, une masse compacte de flics et de mili-taires est en train de taper sur quelqu’un. Je n’arrive pasà voir. Et puis, j’aperçois des amis grecs qui tentent defaire mouvement vers le môle, en criant. Ils prennent descoups. L’homme qui s’est fait tabasser refait surface, jedistingue la barbe et les cheveux poivre et sel de Vange-lis. Il disparaît dans une salle à part. Les flics et les mili-taires se congratulent, on pourrait les croire dans unvestiaire de stade de foot, sauf que le ballon, c’est nous.Ils ont frappé un homme désarmé à dix contre un et çales fait marrer. Je n’arrive pas à croire qu’ils puissentêtre fiers de ce qu’ils font. Pourtant, ça a l’air d’être lecas. J’ai envie de vomir.

On m’emmène à nouveau. On m’installe à une tableoù trône une machine à prendre les empreintes digita-les, le tout relié à deux ordinateurs portables. Derrièreleurs écrans, deux types, jeunes et plutôt baraqués, sté-réotypes de barbouzes des services secrets — pantalon« sportswear » ou treillis, chemise « fashion » mais pastrop voyante, tag avec nom et photo bien apparents sur lapoitrine, cheveux courts, un Glock derrière la ceinture etéquipés de téléphones portables high-tech, d’un genreque vous ne trouverez jamais dans le commerce. Le flicse pose derrière moi. Le type derrière l’ordinateur meregarde à peine et désigne la machine sur la table : « Tamain gauche sur la machine. » Je refuse : « De quel droitprenez-vous mes empreintes ? » Le flic derrière moi

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pose ses deux mains sur mes épaules. Le barbouze meregarde enfin : « Ferme ta gueule. T’as envie qu’on tetape, toi aussi, ou quoi ? » Il se redresse et prend mamain d’autorité, qu’il pose sur la machine. J’écarte mesdoigts au maximum. Derrière l’autre écran, barbouzenuméro 2 râle, il me désigne et dit quelque chose à l’autreen hébreu. L’autre me demande d’appuyer plus fort, pourque la machine puisse saisir mes empreintes. Je nebouge pas. « Plus fort ! » Il se lève et écrase longuementson poing sur mes phalanges et me sourit : « Voilà, plusfort. Tu vois, ça marche maintenant. » Je serre les dentset lui retourne son sourire. À ce moment, moi aussi,j’aimerais avoir un flingue.

Après quelques minutes pendant lesquelles je nesais pas trop ce qu’ils trafiquent sur leur PC, le flic der-rière moi me tire par l’épaule. On me propulse 3 mètresplus loin. Là, j’ai droit à la photo de bienvenue, face/pro-fil, une belle affiche « Wanted », comme dans les wes-terns. Des dizaines de personnes vont et viennent dansce qui pourrait ressembler à une foire, sauf que les visi-teurs portent presque tous un uniforme. Tout ce petitmonde gueule et s’engueule. Après la photo, le flic quime sert de GO me dit d’attendre. Un autre flic m’ordonned’avancer et de m’asseoir à une autre table. Je meretourne et demande placidement à celui qui m’a ditd’attendre s’ils savent vraiment ce qu’ils veulent. Lesdeux commencent à s’engueuler. En d’autres circons-tances, je serais mort de rire, mais là, j’ai juste envied’être loin. Finalement, on m’emmène devant une autretable.

Deux flics, en fait deux douaniers, sont là, installésderrière des PC. L’un deux m’invite à m’asseoir en me

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souriant, apparemment sincèrement. « Bienvenue enIsraël quand même ! » me dit-il. Je suis désarmé. Monflic lui tend ma fiche plastifiée contenant mon passe-port, ma carte d’identité et mes nouvelles photos, puiss’en va. Il tape mon nom sur son clavier. Au bout dequelques minutes, il s’étire sur son fauteuil et medemande, en riant : « Mais dites-moi, vous étiez en Israëlen 2002, vous êtes même venu plusieurs fois. Ça ne vousa pas plu ? Vous préférez vraiment Gaza à Eilat ? Fran-chement, me dites pas ça ! Et puis, quitte à revenir ici,vous auriez dû prendre l’avion, c’était plus simple,non ? » J’ai du mal à ne pas rire, moi aussi. J’ai beausavoir qu’il se fout de ma gueule, c’est le premier Israé-lien en uniforme qui s’adresse à moi comme à un êtrehumain. À ce moment, les deux soldats qui font office deréalisateurs se pointent à nouveau avec leur caméra. Jene les regarde pas. Puis je n’y tiens plus, je recommenceà les traiter de tous les noms. Le douanier se tourne verseux et leur demande partir. Ils s’en vont. Il me demande :« Vous êtes français, les papiers, vous les voulez enfrançais ? » Moi : « Quels papiers ? » Il me tend une pageécrite en français : « Tenez, lisez ! Vous signez, et après,vous rentrez chez vous. Puis, si vous voulez, vousreviendrez en vacances, en touriste cette fois, hein ! » Jelis et je m’esclaffe. Il veut que je signe un papier où il estécrit que je suis entré illégalement sur le territoire israé-lien. Nous rions tous les deux. Je lui dis : « Hors de ques-tion que je signe ce truc-là, s’il vous plaît, regardez bienvos dossiers, regardez en décembre 2002. » Il tapote surson clavier et me répond : « Ah oui, vous êtes arrivé àl’aéroport Ben Gourion le 8 décembre 2002.

— Et que s’est-il passé ?

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— Ah… on ne vous a pas laissé entrer sur le terri-toire national. »

Je me marre : « Donc, il y a près de huit ans, vousm’avez empêché d’entrer dans ce pays en prétextant quej’étais une menace pour la sécurité d’Israël, alors que j’yvenais tout à fait légalement. Et, franchement, niveaumenace, on fait mieux. Enfin, passons. Et puis, ce matin,vous me kidnappez en plein milieu des eaux internatio-nales, à plus de 80 milles de vos côtes alors que je medirigeais vers Gaza. Gaza qui n’est soi-disant plus sousoccupation israélienne depuis cinq ans. Et puis, vousm’amenez de force en Israël. Et cet après-midi, vous vou-lez m’expulser en expliquant que, avec sept cents autres,je suis entré illégalement sur le territoire israélien ?Votre truc, là, ce ne serait pas Kafka qui rencontre Grou-cho Marx ? »

Il se marre à son tour. Puis il me lance en rigolant :« Eh, d’abord, ce n’est pas moi qui vous ai kidnappé,comme vous dites. Et puis, ce n’est pas moi qui fais lespapiers non plus. » Son visage se fait plus sérieux alorsqu’il continue : « Si vous ne signez pas, ça sera la prison.Vous voulez vraiment la prison ? » Je prends une longueinspiration : « Alors, ce sera la prison. » Il me regarde,l’air dépité, et dit doucement : « Bon courage. »

Un nouveau flic vient me chercher, il ramasse mondossier et, m’agrippant par le bras, m’emmène devantune femme en uniforme militaire. Elle est au téléphone.J’attends, ça dure. Elle raccroche et me toise de toute lapuissance que lui donne son joli uniforme vert olive. Elleregarde ses ongles longs et laqués. Finalement, elle dai-gne ouvrir la bouche. Je ne comprends rien à ce qu’elleme raconte, c’est de l’hébreu, sans jeu de mots. Je lui

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demande en anglais de répéter. Elle soupire, se retourneet interpelle quelqu’un. Deux minutes plus tard, unemontagne en uniforme de flic, qui doit bien faire dans les120 kg pour 2 mètres de haut, s’avance vers moi. Les che-veux en bataille, la barbe longue, il s’adresse à moi dansun français parfait : « Bon, c’est simple, soit tu signes cepapier, soit c’est la prison pour un bon bout de temps.Tu veux passer les prochains mois en taule ? » Il me tendle même foutu papier. Moi : « Non. J’ai déjà dit non, horsde question que je signe ça. Par ailleurs, je veux voir monambassade, je veux que vous me rendiez tout ce quevous m’avez pris. Je… » Il ne me laisse pas finir. Il meprend par le bras tout en s’adressant en hébreu à lafemme flic en face de moi. Elle me regarde avec tout lemépris du monde et retourne à son coup de fil. La monta-gne m’amène vers la sortie, de l’autre côté. Arrivé devantune sorte de sas, où sont stationnés une dizaine de sol-dats en armes, il s’arrête. « Tu attends là. » Dehors,devant moi, des dizaines de véhicules de transport deprisonniers sont à l’arrêt. Derrière, on entend toujours lebourdonnement du comité d’accueil israélien. J’attendsen compagnie d’autres hommes. L’un d’entre eux sem-ble parler turc. Je lui demande en anglais s’il était sur leMavi Marmara. « Non, me répond-il, j’étais sur le cargo,le Gazze. Mais nous avons entendu les appels à l’aide duMavi Marmara, les Israéliens ont tiré et tué des gens ! »Je suis abasourdi. Des morts ! Combien ? Il n’en saitrien. Pas le temps de finir notre conversation, derrièrenous, à nouveau des cris, plus forts que la normale. Jedistingue mal, mais ils sont à nouveau en train de tabas-ser quelqu’un. Les soldats nous poussent dehors versles camions.

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De nombreux camarades de toutes nationalitésseront frappés à une ou plusieurs reprises dans ce cen-tre d’interrogatoires. En fait, comme je l’apprendrai plustard, tous ceux de nos amis, quel que soit leur sexe,qu’Israël considère comme étant des responsables oudes leaders de la Flottille — Paul Larudee, Ewa, Vange-lis, Kenneth O’Keefe et bien d’autres — seront sauvage-ment roués de coups, ici, dans ce centre.

Arrivé devant les camions, on me fouille à nouveau,mais, cette fois-ci, on m’enlève mes cigarettes et monportefeuille. Avec la dizaine d’autres qui sont avec moi,nous demandons nos affaires, toutes nos affaires. Pour-quoi ne nous rend-on pas nos caméras, nos ordina-teurs, nos téléphones, nos bagages ? On nous répondque tout est déjà arrivé à la prison. On me fait entrer dansle premier camion, c’est une étuve. Devant, il y a unesorte de sas où se trouve un gardien. Et puis, derrièreune porte en fer, une dizaine de bancs. Les vitres sontgrillagées et les bancs sont en métal. Je demande qu’onme rende mon portefeuille et mes clopes. Le gardien quinous surveille me dit qu’on nous les rendra une fois arri-vés à la prison. Il ferme la porte. Le camion ne démarrepas, nous ne bougeons pas. Au bout de dix minutes, çadevient irrespirable, on est dans un sauna. Nous frap-pons à la porte. On crève là-dedans ! Le gardien bou-gonne, mais finit par laisser la porte ouverte. Au moins,un peu d’air entre à l’intérieur. Je suis assis juste devantle sas. Et je vois mes clopes et mon portefeuille, ainsi qued’autres affaires posées devant moi sur un siège. Au furet à mesure que le temps passe, notre camion se remplit.La plupart sont des amis qui étaient avec moi sur lecargo, mais il y a aussi des passagers en provenance

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d’autres navires. Personne n’a de nouvelles du MaviMarmara. À un moment, notre gardien sort du camion ets’éloigne de quelques mètres. J’en profite pour récupé-rer mon portefeuille, celui de quelqu’un d’autre et plu-sieurs paquets de cigarettes, dont les miennes. On lesdistribue en vitesse. Le cerbère ne remarque rien ou s’enfout. Quelques minutes plus tard, Yannis monte dans lebus, les yeux pleins de rage et des traces de coups sur levisage. Il s’écrie : « Ils ont tabassé Vangelis. Et nousavec. Et maintenant, c’est au tour d’un Américain ! » Der-rière lui apparaît Thakis, soutenant Vangelis. Celui-cipeut à peine poser les pieds par terre. Il a du mal à respi-rer, sans doute des côtes cassées. Nous lui faisons de laplace pour qu’il puisse s’asseoir à peu près confortable-ment. Il nous sourit, malgré tout, et s’efforce de nousrassurer de sa voix de basse : « Ça va, je vais bien, ilsm’ont juste un peu asticoté. On en a vu d’autres sous ladictature 1. » Au bout d’une heure, notre camion est enfinplein. Le soleil se couche, il est peut-être 18 heures, nousdémarrons.

Au bout de vingt minutes, nous comprenons quenotre conducteur ne doit pas nous aimer beaucoup. Ilsemble qu’il prenne un malin plaisir à conduire le plusbrusquement possible. Nous sommes assis sur desbancs en métal, très glissants. Nous ne comptons plusles virages pris à la corde qui nous envoient valser dansle décor, ni les coups de frein ultra-violents qui nousobligent à nous raccrocher en permanence au dossier.À chaque cahot, j’entends Vangelis qui gémit très faible-

1. Il est question de la « dictature des colo-nels » dans les années 1970 en Grèce.

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ment. Même s’il ne le montre pas, ce rodéo est un cal-vaire pour lui. Chacun est perdu dans ses pensées, pen-dant que, à travers les grilles de nos fenêtres, le paysagedéfile à toute vitesse. Au bout de deux heures, nous arri-vons enfin. Devant nous se dressent les murs de la pri-son de haute sécurité de Beer-Sheva, à l’extrême sudd’Israël. Autour de l’immense complexe, le désert duNéguev s’étend à perte de vue. Le véhicule entre dansl’enceinte de la prison et on nous débarque enfin. Noussortons du camion, hagards. On nous fait mettre enrang, puis, sous bonne escorte, on nous conduit à tra-vers un dédale de couloirs et de portes grillagées. Nouspassons tous aux rayons X et on nous fouille une nou-velle fois. On me prend le peu d’affaires que je possèdeencore, pour inspection. C’est une vraie manie chez eux,la fouille. Je n’arrive plus à savoir combien de fois, ni parcombien de personnes différentes, j’ai été fouillé depuiscette nuit. Puis on me rend mes effets personnels, c’est-à-dire mon portefeuille à moitié vide, mes deux paquetsde cigarettes et mon livre sur l’orientalisme d’EdwardSaïd. Le reste, nos appareils photo, nos bagages, monsac à dos avec 500 dollars à l’intérieur, mon notebook,bref tout ce qui nous appartient et devait soi-disant nousattendre ici, n’est pas là. Nous sommes trop épuiséspour dire quoi que ce soit. Après avoir passé uneimmense porte en plexiglas, nous nous trouvons dansnotre grand cachot vide. Au centre d’un bloc qui fait unétage, des tables et des chaises, et, tout autour, en demi-cercle, sur deux niveaux, nos cellules, dont les portessont ouvertes. On nous donne à chacun un plateau avecun gobelet, une brosse à dents, un savon, une couver-ture et une serviette. Sur les tables sont posés négligem-

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ment quelques fruits et légumes, dont certains ont dûêtre cueillis il y a fort longtemps. Il y a aussi des yaourtset du pain. Nos gardiens nous annoncent que nousavons une demi-heure, puis que nous devrons rentrerdans nos cellules. Thakis et Yannis aident Vangelis àmarcher jusqu’à une cellule pour qu’il puisse s’y allon-ger. Ils lui apportent aussi de quoi manger. Quant ànous, nous nous attablons et avalons ce qui peut l’être.De toute façon, même si je n’ai pratiquement rien ingur-gité depuis la veille au soir, je n’ai pas faim. Puis nousfilons à la douche. Il semble que nous ayons le choix descellules, aussi Demetrios, Nikos, Elias et moi en choisis-sons une. Un des gardes vient nous compter et nousdemande nos noms. Nikos les lui donne. Il est sansdoute 22 ou 23 heures, cela fait près de quarante heuresque je suis debout, je suis mort de fatigue. Je me désha-bille et me laisse tomber sur l’un des quatre lits. J’ai justele temps d’entendre la porte de notre cellule être ver-rouillée par un cliquetis électrique et je m’endors commeune masse.

Le lendemain matin, mardi 1er juin, à 8 heures, ungrand « clac » résonne, qui me tire du sommeil. Un gar-dien passe en tapant contre la porte de notre cellule :« Réveillez-vous ! Réveillez-vous ! » On se lève. Le blocest plein. Dans la nuit, d’autres camarades nous ontrejoints. Nous sommes environ quatre-vingts, nous nousexclamons, nous nous congratulons de nous voir les unset les autres encore entiers. Il y a trois autres Français,Ahmed, Miloud et Salah, qui étaient sur le Sfendoni et quisont arrivés dans la nuit. En discutant les uns avec lesautres, nous essayons de reconstituer le cours des évé-nements, de comprendre ce qui s’est passé sur chaque

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bateau. Les amis qui étaient sur le Sfendoni nous racon-tent les bombes sonores et les coups. D’autres, quiétaient sur le Challenger One, expliquent comment ils onttenté de sortir de la nasse que formait la marine israé-lienne en poussant leur bateau de plaisance à pleinrégime. Leur moteur ayant fini par lâcher, ils ont dûs’arrêter en pleine mer pour être finalement cueillis quel-ques minutes plus tard par un speed boat israélien.

Et puis, nous apprenons enfin la triste réalité. Plu-sieurs camarades turcs et anglais qui étaient sur le MaviMarmara racontent à leur tour. Leurs voix brisées et leursgestes brusques traduisent la violence inouïe de cequ’ils ont subi. Certains ont vu la mort s’abattre brutale-ment sur un ami ou un proche, à quelques mètres d’eux.Ils ne témoignent que par bribes hachées et désordon-nées. D’autres, prostrés et silencieux, semblent revivresans cesse la scène. Alors que les passagers musul-mans étaient encore en train de prier, les autres ont puvoir les bateaux et les hélicoptères israéliens leur foncerdessus. Quelques-uns ont saisi les lances à incendie etse sont mis à arroser les zodiacs qui essayaient de lesaccoster. Ils parlent du bruit métallique des premièresballes ricochant sur les coursives. Puis, les zodiacsayant renoncé, les hélicoptères sont entrés en scène, lar-guant sur le bateau des bombes lacrymogènes et desgrenades assourdissantes. Les premiers tirs depuis leshélicoptères, et le premier mort par balle. Très rapide-ment, tous ont compris que l’armée israélienne avaitdécidé de faire du Mavi Marmara un exemple sanglant.Malgré la peur, quelques dizaines d’entre eux ontramassé tout ce qu’ils avaient sous la main pour défen-dre leur vie et le bateau. Armés de planches, de chaises,

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de chaînes et de couteaux de cuisine, une trentaine decamarades — des volontaires d’IHH, mais aussi des mili-tants anglais, américains et irlandais — ont tenté derepousser l’assaut au péril de leur vie. Trois comman-dos israéliens ont été capturés et désarmés. Leur équi-pement a aussitôt été jeté à l’eau, excepté un revolverGlock, dont le chargeur avait été vidé, afin de conserverune preuve tangible de l’armement offensif des Israé-liens. Les trois prisonniers israéliens, légèrement bles-sés, ont été amenés sous le pont pour être soignés parles docteurs du bateau et placés sous leur responsabi-lité. Malgré la violence, malgré les premiers morts et lesblessés graves qui ne cessaient d’arriver, malgré la dou-leur et la rage devant la lâcheté d’une armée tirant à bal-les réelles sur des civils, nul n’a touché à un cheveu deces trois hommes. Alors que la décision de se rendreavait été prise, ils racontent encore comment le médecinqui accompagnait les trois prisonniers pour les relâchera à son tour été touché au ventre par un tir israélien.Alors que nos camarades avaient renoncé à toute formede résistance, les Israéliens ont continué à tirer, tuantencore deux hommes, dont au moins un a été achevé àbout portant. Nous comprenons aussi que tous ceux quiont été abattus étaient de nationalité turque. Certes, lescamarades turcs étaient largement majoritaires sur lebateau — au moins trois cents pour environ cinq centspassagers. Cependant, parmi tous ceux qui ont eu lecourage de faire face aux pirates, il y avait des camaradesprovenant d’au moins une dizaine de pays. Commentexpliquer que tous les morts par balles aient exclusive-ment été turcs ? La question reste en suspens.

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Il a fallu tout le courage de la députée israélienneHanan Zoabi, faisant face aux commandos, leur parlanten hébreu, pour réussir à obtenir d’eux qu’ils arrêtent detirer. Négociant avec eux, elle a fini par leur arracherqu’ils acceptent de transporter les blessés graves, prèsd’une trentaine. Ce qu’ils ont fait, mais près d’une heureplus tard, après avoir fouillé l’ensemble des cabines etarrêté tous les passagers. Puis sont venues les heuresde soif et de faim pendant que tous, hommes et femmes,étaient ligotés sur le pont supérieur, sous le soleil.Humiliés et battus pour un grand nombre d’entre eux, ilsont été traités comme des chiens.

Tous à présent réunis dans ce qui nous tient lieu deréfectoire, nous décidons de nous recueillir en hom-mage à ceux qui viennent de tomber sous les ballesisraéliennes. Pendant cinq minutes, nous observons lesilence le plus complet, tandis que, de leur côté, nos gar-diens commencent à s’inquiéter. Comme les martyrs duMavi Marmara sont tous musulmans, nous demandons àce qu’un de nos camarades prisonniers, qui est imam,dise une prière pour eux. C’en est trop pour nos gar-diens, qui décident d’intervenir. Deux d’entre eux ten-tent d’arrêter la prière, mais nous les en dissuadons. Lesdeux gardiens, qui semblent très mal à l’aise, finissentpar laisser faire. Nous sentons que le malaise de nosgardiens ne cesse de grandir, qu’ils ne savent pas dutout comment réagir. Autant la veille, durant l’attaquepuis au port d’Ashdod, la violence et le mépris de lamachine israélienne s’étaient exercés sans retenuecontre nous, autant l’atmosphère dans la prison semblebien plus calme, presque normale. Ici, personne n’a étébattu, insulté ou humilié. Les gardes sont presque cour-

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tois avec nous. Presque, car ils n’en restent pas moinsdes gardiens de prison. Et, privés de tout contact avecl’extérieur, sans voir la lumière du jour, c’est bien dansune prison que nous nous trouvons. Nous décidons deformer un comité de prisonniers, le comité des prison-niers du bloc 5, puisque c’est le numéro de notre bloc.Voyant les groupes se former, comprenant que noussommes en train de nous organiser, nos gardiensreviennent à la charge. Ils veulent savoir ce qui se trame.Nous leur disons que nous voulons voir le directeur dela prison. Ils refusent et nous ordonnent de rentrer dansnos cellules. Nous refusons. Ils reculent. Ils vont cher-cher le directeur. Celui-ci arrive au pas de course quel-ques minutes plus tard. Sans rien dire, nous savouronscette petite victoire. Il semble encore plus embarrasséque ses gardiens. Pourquoi ne voulons-nous pas rentrerdans nos cellules ? Nous l’informons que nous venonsd’élire un comité de prisonniers et que nous avons desdemandes précises. Nous ne savons pas combien detemps ils vont nous laisser jouer à ce jeu-là, mais nousen savourons chaque minute. Il s’étrangle, il est en trainde perdre la face. Reprenant son souffle, il tente dereprendre le contrôle des événements. Il n’y a PAS dedemandes dans SA prison ! Nous n’avons aucun droitde demander quoi que ce soit ! Et puis, nous avons de lachance, parce que nous sommes des visiteurs un peuspéciaux et que nous ne devrions pas rester très long-temps. Nous avons droit à un traitement de faveur et,selon lui, nous devrions en profiter, filer doux et ne pasfaire de grabuge. Nous voulons quand même qu’ilentende ce que nous avons à dire. Il renâcle, puis seravise. Nous pouvons formuler des requêtes, mais pas

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d’exigences. Si ce sont des requêtes, il veut bien lesentendre. Soit, nous accédons à sa demande de change-ment de vocabulaire et lui transmettons nos requêtes.Ce sont Khaled et Pissias qui les lisent en anglais, enarabe, en grec et en turc. En premier lieu, nous voulonspouvoir contacter nos avocats, nos ambassades et nosfamilles. Nous voulons aussi savoir ce qu’il est advenudes autres, de tous les autres ! Et, enfin, nous voulonsqu’on nous rende nos bateaux et tout ce qu’on nous avolé ! Notre interlocuteur nous explique avec un certainsens comique qu’il est directeur de la prison, pas Pre-mier ministre. Mais il transmettra notre message à qui dedroit. Pour ce qui est des avocats et des ambassadeurs,ils arrivent, tout ce petit monde sera là après le déjeuner.C’est une grande nouvelle, même si nous restons scepti-ques. Le déjeuner arrive, nous verrons bien après.

Si l’atmosphère dans la prison est à peu près cor-recte, il semble en revanche que nos hôtes israéliens sesont rattrapés sur la nourriture. Non seulement c’estinfâme, mais, en plus, il y en a tout juste assez pour la moi-tié d’entre nous. Joe, l’ancien de la Navy, avec qui nousavions discuté le matin même de la possibilité d’entamerune grève de la faim, me fait remarquer, non sans humour,que l’administration israélienne a décidé de nous faciliterla tâche au cas où nous envisagerions une telle initiative.Alors que j’essaie tant bien que mal d’avaler mon repas demidi — un petit morceau de poisson flottant dans de l’eaugraisseuse et deux bouts de patates pas cuites —, mescompagnons crient et se lèvent les uns après les autres.Derrière la grande porte vitrée de notre bloc, une déléga-tion d’hommes et de femmes en costumes et tailleurs tam-bourine à la porte. Après quelques minutes de palabres

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avec les gardiens, les voilà qui entrent. Ce sont les repré-sentations diplomatiques attendues. Une bonne vingtainede diplomates d’une dizaine de pays tentent de retrouverleurs nationaux à grands cris. Un par un, l’ambassadeurgrec, l’ambassadeur turc, l’ambassadeur irlandais etles autres diplomates présents appellent leurs ressortis-sants.

Le bloc se remplit d’un brouhaha d’enfer tandisque chacun tente de récupérer les siens. Nous nousregroupons, mes cinq camarades français et moi, autourde M. Chalençon, consul adjoint du consulat général deFrance à Tel-Aviv. Il veut savoir combien nous sommesde Français en tout car il n’en a aucune idée et les autori-tés israéliennes refusent de fournir la liste complète desgens emprisonnés. Il est à Beer-Sheva depuis la veille ausoir et a piétiné avec les autres diplomates devant la pri-son depuis ce matin 8 heures, jusqu’à ce qu’on les auto-rise à entrer. Nous lui donnons une liste des Français dontnous savons qu’ils ont embarqué depuis la Grèce, et lesnuméros de téléphone de nos familles. À la lecture demon nom, le consul adjoint s’exclame : « C’est vous, Tho-mas ? On était très inquiet, impossible de savoir si vousétiez blessé, disparu ou prisonnier. Mais vous ne leur avezpas donné votre identité ? » Je m’étrangle, non seulementils ont mon identité, mais ils m’ont pris mon passeport etma carte d’identité ! Passons, il faut faire vite, car il doitretrouver les deux autres Français dispersés dans lesautres blocs. Nous lui expliquons qu’il y a aussi Mounia,qui doit être dans le bloc réservé aux femmes. Il s’écrie :« Comment ça ? J’en viens, du bloc des femmes, on m’adit qu’il n’y avait pas de ressortissante française. Bon, il vafalloir que j’y retourne ! » Rapidement, nous tentons de

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faire le point avec lui. Quand sortirons-nous ? Où sontnos affaires, quand pourrons-nous les avoir ? Qu’en est-ildes morts et des blessés ? Et les bateaux ? Et que dit legouvernement français ? Malgré sa bonne volonté, il a trèspeu de réponses à nous donner. Nous devrions sortirbientôt, mais il ne sait pas quand. Pour nos effets person-nels, il va faire une demande officielle. Pour les bateaux,comme ils ne battent pas pavillon français, ce n’est pas duressort de la France. Quant aux morts et aux blessés, il n’ya pas de liste pour l’instant. Pour le reste, il botte en tou-che. Il nous demande comment nous allons et si noussommes traités correctement. Nous répondons que ça va,merci. Il se lève, il faut qu’il retrouve les autres. Nous luidemandons du papier et de quoi écrire. Il sort quelquesfeuilles de papier, un stylo et ses cartes de visite en cas debesoin. Nous lui expliquons que nous n’avons pas le droitde téléphoner. Il s’étonne : « Ah ? Quand même ! Bon, jevais voir ce que je peux faire ! Attendez-moi, je vais discu-ter avec l’administration ici. » Et les avocats ? « Ils noussuivent, nous répond-il. Ils attendent de pouvoir entrerdans le bloc, eux aussi. »

Il revient cinq minutes plus tard : « OK, vous pouvezvoir les avocats au parloir dès maintenant, et vousdevriez pouvoir téléphoner dès ce soir. » Le consuladjoint nous quitte, en nous promettant de revenir nousvoir le lendemain. Nous sortons tous les cinq, directionle parloir. Une dizaine d’avocats du groupe de défensedes prisonniers Adalah 1 sont là. Ils nous applaudissent.C’est assez bizarre comme impression, après les insul-

1. Regroupement militant d’avocats israéliensarabes et juifs pour défendre les prisonnierspalestiniens.

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tes et les humiliations. Leah Tsemel me prend dans sesbras : « Thomas, tu vas bien ? Tout le monde était affreu-sement inquiet ! Je vais téléphoner à Nahla pour dire queje t’ai vu en chair et en os ! Combien êtes-vous, là-dedans ? » Une deuxième avocate, Susan, vient nousrejoindre. Nous essayons de répondre à l’avalanche dequestions dont on nous assaille. Il faut faire vite, ils sontune dizaine d’avocats pour près de cinq cents prison-niers et ils n’ont que quelques heures. Susan commenceà prendre mes informations, mais nous nous arrêtonsrapidement. Il y a plus urgent : le cas de ceux qui n’ontpas de représentation diplomatique avec Israël, commele journaliste libanais d’Al-Jazeera. Nos avocats doivents’occuper de ceux-là en priorité. Et puis, soudain, ledirecteur de la prison nous rejoint, il autorise les avocatsà entrer dans les blocs pour pouvoir voir tout le mondedirectement. Nous nous levons et accompagnons nosavocats dans notre bloc. Sur le chemin, Susan me prendelle aussi dans ses bras. Elle me dit : « Ce que vous avezfait est incroyable ! Il y a des manifestations dans lemonde entier ! À Jérusalem, tous les Arabes de 7 à77 ans se baladent avec des drapeaux turcs ! Le Conseilde sécurité s’est réuni toute la nuit ! Netanyahu a dû serendre à Washington en catastrophe pour implorerObama. Israël est condamné de toutes parts ! Pour lapremière fois, ils vont devoir payer pour ce qu’ils ontfait ! » Je pense à nos morts et à nos blessés. J’ai les lar-mes aux yeux. J’espère qu’Israël paiera.

Nous entrons dans le bloc, encore rempli de diplo-mates, Léa et les autres avocats en tête applaudissant àtout rompre. Nous dirigeons les avocats en premier versceux qui n’ont pas de représentation diplomatique, et ils

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sont nombreux. Alors que le temps passe, les ambassa-deurs et autres diplomates s’en vont un par un. Nous nesavons toujours pas quand nous allons sortir, mais laprésence d’Adalah et de nos ambassades nous a galva-nisés. Nous avons le monde avec nous ! Il est presque18 heures et les derniers diplomates sont en train dequitter les lieux. Le directeur de la prison commence às’impatienter, les avocats doivent partir eux aussi. Sou-dain, Leah s’écrie : « Attention, des gens viennentd’entrer dans le bloc. Ce sont des membres des servicessecrets. Ils viennent pour vous interroger. Ne leur répon-dez pas. Ils n’ont aucun droit de vous interroger ! Ils sontmauvais ! Ne leur répondez pas ! » Elle désigne quatrejeunes gens, en civil, qui n’ont sans doute pas la tren-taine. Ils se tiennent à l’entrée du bloc. Les bras croiséssur la poitrine et toute la morgue du monde sur leurvisage. Tout le monde se lève et nous nous regroupons.Leah, Susan et les autres sont priés de partir et sont pro-prement poussés dehors sous le regard narquois desquatre jeunes barbouzes. Ceux-ci discutent avec nosgardiens et désignent clairement certains d’entre nous,comme Khaled, du Free Gaza Movement, Hassan, lejournaliste d’Al-Jazeera, Pissias et d’autres encore.Nous faisons passer les cibles désignées derrière nouset nous restons debout face aux agents en civil. Nousannonçons clairement que nous refusons tout interro-gatoire. Les services secrets doivent sortir ! Les gar-diens s’agitent, tentent de nous raisonner. Ils expliquentà Khaled que ces types ne sont pas des services secrets,qu’il ne s’agit pas d’un interrogatoire. Cependant, lors-que nous demandons qui ils sont, nous n’obtenonsaucune réponse. On nous annonce que nous devons

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rentrer dans nos cellules afin d’y être comptés. Nousrefusons à nouveau de rentrer dans nos cellules. Onnous fait bien comprendre que c’est un ordre et quenous n’avons pas le choix. Rien n’y fait, nous refusonsde laisser nos camarades entre leurs mains, nous nerentrerons pas dans nos cellules tant que ces quatretypes seront là.

Alors que notre face-à-face s’éternise, le directeurrevient. « Pourquoi refusez-vous de rentrer dans vos cel-lules ? Mais vous vous croyez où ? Ce n’est pas un hôtelici ! C’est une prison, c’est MA prison ! Aussi, si je vousdonne un ordre, vous l’appliquez ! J’ai deux cents mili-taires prêts à intervenir à tout moment et aussi des unitésspéciales ! Regagnez vos cellules ! »

Nous refusons. Qui sont ces types et pourquoi veu-lent-ils nous interroger ?

Il s’énerve : « Arrêtez avec vos bêtises. Je ne saispas qui ils sont, mais personne ne va vous interroger !Vous allez partir bientôt ! » Quoi ? Lui, le directeur, nesait pas qui entre ou sort de SA prison ? Il ment ! Nousne bougerons pas d’ici tant qu’ils seront là. Son visagese rembrunit. Puisque nous ne voulons pas rentrer dansnos cellules, on nous y fera entrer de force ! Il seretourne et sort par la salle de contrôle qui donne surnotre bloc. Pendant quelques minutes, nous ne bou-geons pas. Nous entendons un bruit qui monte depuisles cours intérieures. Joe, l’ancien de la Navy, sort del’une des cellules qui donnent sur la cour. Elle est rem-plie d’unités antiémeutes qui se dirigent droit sur nous.Vingt secondes plus tard, nous les voyons arriver, pas-sant par la salle de contrôle, un par un, prêts à faire irrup-tion dans notre bloc. Ils sont tous armés et casqués. Je

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prends une longue inspiration. Nous allons passer unsale quart d’heure, nous n’en menons pas large, maisnous ne bougeons pas. Soudain, nous entendons tam-bouriner sur la grande porte d’entrée vitrée. Là derrièrese tient un homme en costume, avec une mallette. Ledirecteur sort de la salle de contrôle à toute vitesse etcrie en direction de l’homme derrière la vitre : « Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous faites ici ? » Il me semble,sans en être sûr, entendre les mots « consul » et « améri-cain ». La porte s’ouvre, il entre et chacun d’entre nouspousse un soupir de soulagement. Certains applaudis-sent et lancent en riant : « Viva USA ! » Du côté de lasalle de contrôle, nous voyons les flics en tenue s’éclip-ser en file indienne. Plus de trace non plus des quatrebarbouzes. Ils ont renoncé, nous sommes sauvés. Je nesais pas si cet officiel en costume était à vrai dire améri-cain ou anglais, mais peu importe sa nationalité, ce typenous a sauvés d’une sacrée bastonnade. Qu’il en soitremercié. Mais nous apprendrons plus tard que ce ne futpas le cas dans tous les blocs et que certains d’entrenous furent longuement cuisinés et malmenés par cegenre de personnages.

Après son départ, on nous apporte à manger. C’estaussi dégueulasse qu’à midi, et il y en a encore moins.Nous sommes bien une trentaine à n’avoir pour repasqu’une tranche de pain et un peu de yaourt. Nous faisonsremarquer à nos gardiens que nous savions qu’Israëlétait en crise, mais que nous ne pensions pas que c’étaitgrave à ce point. À notre grande surprise, même nos gar-diens sont honteux. L’un d’entre eux s’écrie : « Je ne saispas ce qui arrive à mon pays. Ce n’est pas normal ! » Il esttellement gêné qu’il finit par aller de sa propre initiative

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chercher du pain, des fruits et de la pâte à tartiner qu’ildistribue dans nos cellules. Je prends une doucherapide et tente de lire un peu. Le « clac » de la porte denotre cellule retentit à nouveau et la lumière s’éteint.J’essaie de m’endormir, mais la nuit est agitée, pleine debruits et de cris. Au matin, nous apprenons la nouvelle :tous les ressortissants de pays arabes ont été expulsésvers la Jordanie dans la nuit. Nous partons nous aussiaujourd’hui. Dans quelques heures, nous serons trans-férés à l’aéroport de Tel-Aviv. Ça y est… nous allons ren-trer.

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9. KAFKA AIRLINES

Nous nous préparons à partiret l’ambiance est électrique. La visite des avocats et desreprésentations diplomatiques la veille nous a remontéle moral. Nous savons aussi désormais que le mondeentier est au courant de ce qui s’est passé. Les condam-nations ont fusé de toutes parts. Mieux, nous venonsd’apprendre que plusieurs pays, dont la Turquie, se pré-parent à rappeler leurs ambassadeurs en Israël. Dans laprison, d’autres camarades rejoignent notre bloc, tandisque nos gardiens s’efforcent de préparer notre départ.Les ordres et les contre-ordres se succèdent. Certainsd’entre nous sont appelés pour quitter le bloc un par un,alors que d’autres doivent passer devant un juge admi-nistratif. Ahmed en revient, il est mort de rire. Le juge luia présenté un papier en hébreu et lui a demandé de lesigner ! Ahmed a refusé, évidemment, expliquant que,s’il devait signer quelque chose, se serait en français etpas autrement. Le juge s’est mis en colère, hurlant qu’icic’était Israël et qu’on parlait hébreu, un point c’est tout.La comédie a duré dix minutes, et puis, finalement, lejuge lui a dit de partir. Certains d’entre nous sont appe-

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lés tour à tour pour la même mascarade. D’autres non, etc’est mon cas. Allez savoir pourquoi… Le cirque conti-nue. Nous sommes emmenés un par un hors du bloc.Nous demandons pour la énième fois à récupérer lesaffaires confisquées sur les bateaux, on nous répondque tout nous attend à l’aéroport. Nous n’y croyons pasune seconde. Nous protestons pour la forme, mais nouscommençons à être pressés d’en finir. On nous conduitdans un bus. Un bus civil, cette fois. J’y retrouve cer-tains camarades qui se trouvaient sur le Mavi Marmara.Il est difficile de décrire ce que nous ressentons. C’estun mélange de colère pour ce qu’ils nous ont fait, desoulagement parce que nous savons que nous rentrons,et d’excitation de nous savoir portés par un mouvementde protestation international sans précédent. Quoi qu’ilen soit, malgré tout ce qui vient de se passer, noustenons à leur montrer que nous restons déterminés.Nous passons les grilles de la prison. Dehors, il y a desdizaines de cameramen qui courent derrière notre bus.Nous nous levons et interpellons les journalistes. Lessoldats qui nous gardent sont furieux et tentent de nousfaire rasseoir. Nous nous mettons à chanter des chantspalestiniens. Puis un de nos camarades anglo-palesti-niens se lève. Pointant du doigt les collines desséchées,il s’écrie : « Il n’y a pas un pouce de cette terre qui ne futarabe ! Voyez ce désert, ce n’est pas le Néguev, son noma toujours été le Nakkab, habité par les Bédouins depuisdes siècles. Aujourd’hui, Israël est en train de lesrepousser de leurs terres et de raser leurs villages etleurs exploitations. La ville que nous voyons mainte-nant, ils l’appellent Ber-Sheeva, mais le village arabe surles ruines duquel elle est construite, le village qu’ils ont

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rasé en 1948, portait un autre nom, Bir as Sab’a. » Denouveau, les soldats sont fous de rage, mais ils n’inter-viennent pas. Nous roulons pendant deux heuresjusqu’à l’aéroport de Tel-Aviv. On nous arrête sur unparking et nous attendons. Il est peut-être 11 heures oumidi. Le soleil tape fort, mais nous sommes heureux devoir la lumière du jour. Au bout d’une heure à attendredans ce bus, nous n’en pouvons plus. Nous voulons sor-tir ! Nous commençons à nous lever. De nombreux sol-dats arrivent, ceux qui sont dans le bus nous demandentde nous rasseoir. Nous refusons. Un haut gradé montedans le bus. Il nous demande ce que nous voulons. Nousrefusons de rester plus longtemps dans ce bus. Il refuse,net. Nous devons attendre. À côté de moi, un Irlandaisse lève et dit qu’il veut aller aux toilettes. Refus à nou-veau. Mon voisin ne se démonte pas et explique que, sic’est comme ça, il pissera dans le bus. Le gradé crieencore plus fort. Mais, à la vue de la braguette dézippéedu camarade irlandais, il se ravise et ordonne à un sol-dat de l’accompagner aux toilettes. En vingt secondesnous nous mettons tous en ligne, saisis d’une enviepressante. Les soldats enragent, mais nous sommesenfin autorisés à sortir du bus.

De retour des toilettes, on nous fait prendre la direc-tion d’un terminal. À l’entrée, c’est la sempiternellefouille. Nous y passons un par un, puis sommes regrou-pés dix par dix, tandis qu’un soldat nous suit, un cartonà la main, qui contient nos passeports et nos photos.Alors qu’on nous fait poireauter au bas d’un escalier, jem’adresse à l’un des soldats qui fait le planton devantnous : « Dis-moi, soldat, c’est quoi les news en cemoment en Israël ? Le football ? La coupe du monde,

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peut-être ? » Il me répond d’un air sombre : « C’est vous,les news… » Je souris. Fini le temps des hourras pour leshéros, maintenant, le monde va vous voir tels que vousêtes. Nous montons enfin l’escalier qui mène au termi-nal. Je pense que le retour est enfin proche. Nous gravis-sons les marches. Sur les 10 derniers mètres, il y a aumoins deux soldats par marche. Plus on monte et pluson entend du bruit et des cris. J’ai l’impression de revi-vre la scène du port, deux jours plus tôt. Le hall est rem-pli de soldats, de policiers et d’agents israéliens en civil.Un des flics me prend par le bras et m’ordonne, ou plu-tôt m’aboie, de m’asseoir à côté des autres sur une ran-gée de chaises, devant un comptoir. L’ambiance estparticulièrement tendue, à croire que les autorités israé-liennes ont décidé de nous dire au revoir à leur façon.Alors que nous attendons qu’on nous appelle pour nousrendre nos passeports, les flics et les soldats nous hur-lent dessus et ne cessent de nous provoquer. Dès quel’un de nous craque et se rebiffe, il ramasse une volée decoups. À côté de moi, un jeune Anglais qui était dans lebus de la prison se fait pousser violemment par un sol-dat qui trouve qu’il n’avance pas assez vite. Il tente de serelever et dix soldats lui tombent dessus en le frappantau milieu de nous. Nous tentons d’intervenir. Soudain,quelqu’un derrière moi me saisit par les épaules et mefait rasseoir de force. Je reconnais le flic qui s’étaitadressé à moi en français au port d’Ashdod. Il m’écrasede toutes ses forces et je ne fais évidemment pas le poidsface à ses 2 mètres et ses (nombreux) kilos en trop. Il mehurle dessus : « Si tu bouges encore, je te défonce lagueule ! T’as compris ? » Je crie moi aussi : « Putain,vous croyez pas que ça suffit, non ? ! Vous voulez aussi

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qu’on raconte comment, jusqu’au dernier moment,même à l’aéroport, vous nous avez bastonnés ? » Il meregarde et me sourit : « Tu sais quoi, si on te démontepas la gueule ici, t’inquiète, on le fera à Paris. On va teretrouver et on va te faire la peau ! » Je suis sidéré, le mecest flic à Tel-Aviv et il menace de me faire la peau àParis… Je le regarde et je lui réponds : « Ce sont desmenaces, monsieur l’agent ? » Il me répond, hargneux :« Tu le prends comme tu veux, mon pote, tu le prendscomme tu veux ! Mais on va te retrouver ! D’ailleurs, t’esd’où à Paris ? » Je le regarde, moins effrayé à l’idée qu’ilme « démonte » à Paris que par la perspective qu’il s’exé-cute maintenant à Tel-Aviv : « Je suis de Belleville, mais,eh, t’es d’où, toi ? » Il me lance : « Moi, je suis de Sarcel-les, viens nous chercher, mes potes et moi, viens nouschercher à Sarcelles si tu as des couilles. Parce quenous, on va venir te trouver à Belleville ! » Ouah… je réa-lise que ce type ne doit pas avoir 25 ans. Il agit comme sinous étions des ultras de deux équipes adverses, saufqu’il a un uniforme et un flingue. Et puis, ça se calme unpeu. Plus loin, ils évacuent notre camarade anglais quivient de prendre une sacrée raclée.

J’attends toujours qu’on m’appelle, j’essaie de repé-rer les amis grecs ou français mais, pour l’instant, je n’envois aucun. À côté de moi, il y a des Anglais, des Turcs,des Irlandais qui attendent aussi. Finalement, on vientme chercher. Au comptoir, le type me demande monnom. Je le lui donne, il cherche dans un fatras de chemi-ses plastiques et sort la mienne. Elle est vide. Sans riendire, il me tend un papier sur lequel il est juste signifiémon arrêté d’expulsion : « Vous signez là, et vous par-tez. » Je reste un peu interloqué. Je lui demande quand

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même : « Mais… et mon passeport et ma carte d’iden-tité ? » Il me répond : « Je ne sais pas, je les trouve pas.Vous êtes sûr que vous nous les avez donnés ? » Jem’indigne : « Quoi ? Mais vous rigolez, je vous les ai pasdonnés, vous me les avez pris de force !

— Peu importe, me dit-il, vous signez ce papier etvous partez.

— Je pars où, d’abord ?— Vous êtes expulsé en Turquie.— Quoi ? En Turquie ? Mais qu’est-ce que vous

voulez que j’aille faire en Turquie ? J’arrive de Grèce etje suis français, alors vous m’expulsez en Grèce ou enFrance, mais pas en Turquie. Qu’est-ce que vous voulezque j’aille faire en Turquie ?

— C’est comme ça ! Il n’y a pas de départ pour laFrance, ou vous partez en Turquie ou vous restez en pri-son ici.

— Mais je n’ai pas de papiers, je n’ai pas d’argent, jene peux pas me retrouver en Turquie sans rien. Laissez-moi au moins appeler mon ambassade pour leur deman-der comment faire.

— Vous voulez pas signer, c’est pas grave, vouspartirez plus tard. »

Il se retourne et appelle un flic, qui me pousse sur lecôté. Je me retrouve en dehors de la file, derrière unebarrière, contre un mur. Nous sommes une dizaine dansla même situation. Et nous attendons, tandis que leschaises vides se remplissent d’autres camarades arri-vant de la prison. De temps en temps, un nouvel infor-tuné vient rejoindre nos rangs, derrière la barrière et lessoldats. Nous assistons sans pouvoir rien faire àd’autres bastonnades, injures et humiliations. Et puis, à

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un moment, j’aperçois Ahmed et Mouloud qui arriventau comptoir pour reprendre leurs papiers. Un type encivil les entraîne à l’écart et les fait s’asseoir. Ils sont àune vingtaine de mètres de moi et ne me voient pas. Fina-lement, j’arrive à attirer l’attention du type en civil qui lesa mis à l’écart.

« Excusez-moi, ce sont mes compatriotes, là-bas.Est-ce que je peux les rejoindre ?

— Ah, vous êtes français ? Suivez-moi. »Il me fait passer la barrière et nous nous dirigeons

vers mes amis, quand mon nouvel ami, le flic franco-israélien, nous arrête et s’adresse au type en civil enhébreu. Ils échangent deux phrases, puis le type en civilse met à téléphoner. L’autre montagne me prend par lebras et me tire vers lui : « Allez, on y va maintenant ! » Jerecule : « On va où ? Où tu veux m’emmener ? Je vaisnulle part sans mon passeport ! » Le type en civil raccro-che son téléphone et s’adresse à moi : « Non, pas vous. »La montagne me lâche et s’en va vers mes deux compa-triotes. Je demande au civil : « Mais où vous les emme-nez ? Qu’est-ce qui se passe ?

— Nous agissons conformément à la requête devotre ambassade. Mais vous n’êtes pas sur la liste qu’ilsnous ont donnée. »

Il se retourne et appelle un flic qui me ramène der-rière la barrière avec les autres sans-papiers. Retour à lacase départ. Je discute avec mes compagnons d’infor-tune, anglais, allemands, suédois, tandis qu’à toutmoment nous essayons d’interpeller les agents en civilqui ont l’air de gérer ce bordel. Mais la réponse est tou-jours la même, on s’occupera de nous plus tard, et lesheures passent.

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De temps en temps, j’aperçois mon ami Dimitriusqui fait la navette entre une pièce derrière le comptoir àune dizaine de mètres de nous et le terminal où nousnous trouvons. Accompagné par un officiel israélien, ondirait qu’il est en train de récupérer les camarades grecsun par un. Tout d’un coup, nous entendons du bruit quivient de l’escalier menant au terminal. Le capitaine grecdu Sfendoni et un autre ami grec, un médecin, sont vio-lemment poussés vers les chaises. Une dizaine de sol-dats se sont rassemblés autour du capitaine et du méde-cin grec et s’apprêtent à les frapper. Ce pauvre capitaine,qui a déjà été tabassé lorsque les commandos nous ontattaqués, tient à peine debout et s’effondre rapidement,tandis que le docteur ramasse les coups en essayant dele protéger. Dimitrius se met à hurler en anglais : « Ne lestouchez pas ! Notre ambassadeur va arriver ! C’est un denos capitaines ! Ne le touchez pas ! » L’officiel israélienà côté de lui se met aussi à crier en hébreu en directiondes soldats : « Arrêtez ! Non ! » Je vois deux ou troisamis grecs, dont Yanis et Elias, sans doute alertés parles cris, essayer de sortir de la pièce où je comprendsque les Grecs sont regroupés. Voyant la scène, ils bous-culent les deux soldats qui gardent la porte et c’est unebonne quinzaine de camarades grecs qui sortent à larescousse de leur capitaine. Voyant cela, une dizaine desoldats et de flics sortent leurs matraques et foncentdans le tas. Plusieurs officiels israéliens s’affolent ettentent de retenir leurs soldats. Un début de mêléecommence devant la pièce où les Grecs ont été rassem-blés. Les soldats qui nous gardent nous repoussentavec leurs fusils. C’est la confusion la plus totale, tandisque soldats et civils israéliens s’engueulent. Finalement,

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le capitaine du Sfendoni et le docteur sont remis à Dimi-trius et les autres Grecs rentrent dans leur salle. Un flicisraélien se tient la tête, il a un œil au beurre noir et lalèvre fendue. Donc, pour résumer, un de leurs flics vientde se faire taper dessus et les officiels israéliens ontempêché leurs soldats de répliquer. Je m’aperçois aussiqu’ils se comportent bizarrement de façon de plus enplus obséquieuse avec Dimitrius. Je comprendrai rapi-dement pourquoi. Alors qu’il passe juste à côté de moi,Dimitrius me voit et m’interpelle : « Thomas, qu’est-ceque tu fous là ? Tu n’es pas encore parti ? » Je lui expli-que ma situation. Il me propose de me prendre avec eux.J’accepte avec plaisir. L’officiel israélien lui rétorque :« Mais il est français, celui-là ! » Dimitrius lui répond : « Ilest venu avec nous, il repart avec nous. » J’interpellel’officiel : « Si vous me laissez partir avec les Grecs, jeveux bien signer l’arrêté d’expulsion. » Le type sourit :« OK. » Il va chercher mon papier et me le fait signer. Onme conduit dans la salle où se trouvent tous les camara-des grecs. Nous fêtons nos retrouvailles avec une ciga-rette et un café. Dimitrius m’explique que le gouverne-ment grec a haussé le ton et vient d’arrêter les exercicesmilitaires conjoints avec Israël. Leur gouvernement aaussi dépêché un avion militaire et l’ambassadeur grecdevrait arriver d’un moment à l’autre.

Finalement, deux officiels viennent nous chercher etnous quittons l’aéroport civil pour un centre de rétentionà côté de l’aéroport avant de pouvoir embarquer dansl’avion militaire grec. Dans l’intervalle, l’ambassadeurnous rejoint directement au centre de rétention et nousamène en personne à l’aéroport. Parmi les flics qui nousconduisent au centre, je retrouve pour la troisième fois le

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Franco-Israélien qui, décidément, ne me quitte plus.Mais le ton a radicalement changé et il se montre pres-que courtois. Au centre de rétention, nous sommesamenés dans une grande cellule qui doit pouvoir conte-nir une bonne trentaine de prisonniers. À ma grandesurprise, je retrouve Ahmed qui a l’air drôlement sou-lagé de nous voir. Je ne comprends pas, comment il sefait qu’il se retrouve là, lui aussi ? « Je croyais que vousaviez été emmenés à l’ambassade de France ou quelquechose comme ça. Les Israéliens m’ont dit qu’ils vousemmenaient à la demande des autorités françaises. »Ahmed ouvre de grands yeux : « Comment ? Mais pas dutout, les flics nous ont amenés ici sans rien nous dire.Puis ils sont partis. Après cela, les gardiens nous ontinsultés et expliqué que, puisque nous avions refusél’expulsion, nous allions rester ici un bon moment etqu’ils allaient nous le faire payer ! En plus, ils nous ontséparés, Mouloud est dans une cellule à côté, et on n’aplus nos passeports.

— Mais je ne comprends pas, vous avez signé quel-que chose ?

— On n’a rien signé du tout, puisque, de toutefaçon, on ne nous a rien demandé. »

Vangelis, qui est allongé à côté de nous, se veut ras-surant : « Ne vous inquiétez pas, on va vous prendre avecnous, et puis c’est tout. Thomas, tu iras voir l’ambassa-deur avec nous dès qu’il arrivera. »

Chalent, le médecin grec qui est en train d’ausculterVangelis, relève la tête : « Eux, on va les prendre avecnous, mais toi, à partir de maintenant, tu vas resterallongé parce que non seulement ils t’ont brisé le pied,mais en plus ils t’ont écrabouillé au moins deux côtes. »

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Vangelis tente un sourire, mais la fatigue et la douleurmarquent son visage.

Vingt minutes plus tard, le convoi de l’ambassadeurgrec arrive enfin. Les gardiens viennent ouvrir notre cel-lule : « Debout, les Grecs, votre ambassadeur veut vousvoir ! Vous montez à l’étage ! » Nous nous levons tous,sauf Vangelis et Chalent. Nikos et Elias m’intercalententre eux deux dans la file qui se dirige à l’étage supé-rieur. Nous distinguons une salle ouverte où se trouvel’ambassadeur grec. Les officiels israéliens essaient dem’empêcher de passer. « Tu n’es pas grec, tu n’as rien àfaire ici ! » En hébreu, ils demandent à un flic de mereconduire en bas. Nicolas et Elias appellent l’ambassa-deur qui sort de la pièce. Il arrête le flic qui me repoussevers l’escalier. « Attendez ! Attendez ! Je veux le voir ! »L’officiel israélien tente de l’en dissuader : « Mais il n’estpas grec, il est français ! » Sauf que, apparemment,l’ambassadeur a décidé de leur tenir tête : « Ce n’est pasgrave, il est citoyen européen, donc je veux le voir. » Mal-gré leur agacement visible, les officiels israéliens lais-sent faire. Je me retrouve donc en face de l’ambassadeurgrec, à qui j’explique ma situation et celle de mes deuxcollègues. Il acquiesce et sourit : « Ne vous inquiétezpas, nous pouvons vous prendre avec nous dans notreavion et, de toute façon, vous allez téléphoner à votreambassade tout de suite. » Il se retourne et demande untéléphone à l’un des flics israéliens : « Je veux qu’il parleà sa représentation diplomatique maintenant ! » Un desdeux officiels israéliens s’exécute et me passe un télé-phone. À l’autre bout du fil, j’entends la voix du consuladjoint Chalençon : « Monsieur Sommer ? Où êtes-vous ? Je suis à l’aéroport de Tel-Aviv depuis ce matin,

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mais impossible d’accéder au terminal dans lequel vousvous trouvez ! » J’explique à nouveau ce qui nous arrive,les passeports, le centre de rétention et la proposition del’ambassadeur grec. « Ah, vous voulez rentrer en Grèce,très bien, les autres ont été expulsés vers la Turquie.Mais cela ne devrait pas poser de problème pour laGrèce. Quoi qu’il en soit, je veux vous voir ! Où voustrouvez-vous ? » Évidemment, je n’en sais rien, dans uncentre de rétention, mais l’endroit exact, je n’en aiaucune idée. « Écoutez, passez-moi un officiel israélien,je serai là dans un quart d’heure. » Je m’exécute et passele téléphone au responsable, qui semble de plus en plusirrité par la tournure que prennent les événements. Saréponse fuse après quelques secondes de discussionavec le consul adjoint : « Monsieur, vous ne mettrez pasles pieds ici. » Puis il s’éloigne. Un peu désemparé, jeregarde l’ambassadeur qui tente de me rassurer : « Nevous inquiétez pas, nous allons vous prendre avecnous ! Le seul problème que j’ai, c’est que notre avionest un avion militaire et que vous n’avez même plus depapiers d’identité. J’ai besoin d’un laissez-passer devotre ambassade pour pouvoir vous prendre à bord.Mais cela ne devrait pas poser de difficulté, nous som-mes à vingt minutes de Tel-Aviv et ils peuvent nousapporter les papiers sans problème. » L’officiel israélienrevient et d’emblée explique que, pour l’instant, il n’aaucune autorisation pour nous laisser partir. Jem’exclame : « Mais c’était l’accord que nous avions. Jesignais l’acte d’expulsion et je partais avec les Grecs ! »Il me répond laconiquement : « Ce n’est pas moi quidécide. Pour l’instant, aucun Français ne part. » C’est autour de l’ambassadeur de répondre encore plus sèche-

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ment : « C’est ce que nous verrons. » On me ramènedans la cellule principale, tandis que les camaradesgrecs continuent de défiler devant l’ambassadeur.

Puis, les uns après les autres, tous les camaradesgrecs redescendent. Yanis nous annonce la nouvelle :notre ami Manolo, journaliste italien, est dans la mêmecellule que Miloud. Il faut essayer de le faire sortir avecnous. L’ambassadeur grec a été prévenu et il est en trainde contacter l’ambassade italienne. En attendant lebus qui doit nous emmener à l’aéroport militaire, nousessayons de discuter de la suite. Il est clair qu’il faut ren-trer à tout prix dans nos pays respectifs pour raconter cequ’il s’est réellement passé. Nous avons déjà deux joursde retard, un temps précieux dont nous sommes sûrsqu’il a déjà été mis à profit par le gouvernement israélienet par ses relais pour nous discréditer. Malgré la fatigueet la tension, nous essayons d’envisager ce qui peut êtrefait d’un point de vue médiatique et surtout juridique. Il ya en priorité les morts et les blessés, et l’attaque, qu’ilfaut faire condamner. Il y a aussi nos bateaux qu’il nousfaut absolument récupérer. Et nous savons déjà qu’unelongue bataille s’annonce devant les tribunaux interna-tionaux.

Le bus arrive enfin et nos gardiens viennent nouschercher. La porte de notre cellule s’ouvre, mais ils nousrappellent tout de suite à l’ordre : « Attendez ! Douce-ment ! Vous sortirez un par un, nous vous appelleronspar votre nom ! » Nous obéissons. À l’appel de leursnoms, les camarades grecs sortent les uns après lesautres de la cellule et montent dans le bus. Mais pasnous. Alors que le dernier camarade grec sort de notrecellule, nos gardiens nous claquent la porte au nez.

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Nous voilà seuls, Ahmed et moi, dans cette grande cel-lule complètement vide. À travers la fenêtre grillagée quidonne sur le parking, nous voyons le soleil se coucherlentement, le bus toujours à l’arrêt, et l’ambassadeurgrec, portable vissé à l’oreille, qui fait des allers-retoursentre le bus et le centre de rétention. Le temps passe etnous ne comprenons pas ce qui est en train de se tra-mer. Allons-nous monter dans ce fichu bus ou vont-ilspartir sans nous ? J’ai du mal à croire qu’on va rester ici.Mais j’essaie de faire bonne figure devant Ahmed. Detemps en temps, un des gardiens passe devant notre cel-lule et donne des coups de pied dans la porte. À traversle carreau vitré, ils nous lancent des mots doux : « Eh,vous ! Vous allez rester ici avec nous, mais ne vousinquiétez pas, on va bien s’occuper de vous. » Ils revien-nent, la porte s’ouvre. Un des gardes me désigne : « Toi,l’ambassadeur veut te voir ! Viens avec moi. » Je sors dela cellule et me retrouve dehors, sur le parking. L’ambas-sadeur raccrochant son téléphone me prend par le bras :« J’ai un vrai problème, cela fait maintenant plus d’uneheure que j’attends le laissez-passer de votre ambas-sade. Et je n’ai toujours rien reçu. Je ne comprends pas,je les ai eus au téléphone, ils sont au courant de la situa-tion, mais ils n’ont pas l’air très pressés de nous donnerles papiers. Notre avion est déjà arrivé et je ne sais pascombien de temps je vais pouvoir encore attendre. Sansles laissez-passer, je n’ai pas le droit de vous laissermonter à bord. » Aïe… j’essaie d’avoir l’air serein, mais lanouvelle n’est pas très bonne. On me ramène à la celluleet j’explique notre situation à Ahmed. En passant, j’ai vuMiloud et Manolo, qui sont dans la même cellule. Nousattendons encore, au moins une bonne demi-heure, tan-

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dis que l’ambassadeur continue de téléphoner. Je le voissoudain qui monte dans le bus où se trouvent tous lescamarades grecs. La discussion semble tendue à l’inté-rieur, bien que j’aie du mal à distinguer exactement cequi se passe, derrière ma fenêtre grillagée. Au bout dequelques minutes, je vois une partie des collègues quidescendent du bus, en pleine discussion sur le parkingavec l’ambassadeur et les officiels israéliens.

Et puis, il entre à nouveau dans le centre. Notre portes’ouvre. L’ambassadeur grec nous fait sortir, moi,Ahmed et Miloud. Passablement énervé, il me prend parle bras : « Écoutez, je ne sais pas ce que fout votreambassade ici, mais je n’ai toujours pas les laissez-pas-ser. Tant pis, vous allez monter dans le bus avec nous.Je suis en train d’essayer de m’arranger avec votreambassade à Athènes, s’ils me donnent l’accord oral etqu’ils viennent vous chercher à l’aéroport d’Athènes,vous prenez l’avion avec nous. Mais je dois avoir leuraccord, sinon je ne pourrai rien faire pour vous et je seraiobligé de vous laisser en Israël. En attendant, vous mon-tez et espérons qu’ils me donneront une réponse posi-tive. » Je le remercie pour ses efforts et je lui demandepour Manolo. Il me répond qu’il ne peut rien pour lui,l’ambassade d’Italie vient de lui donner une réponsenégative, il ne peut pas le prendre dans son avion. Nousmontons dans le bus, soulagés de quitter cet endroit etlibérés de la perspective d’une nuit en compagnie de nosgardiens. Ça fait du bien de retrouver une fois de plus lescamarades grecs qui nous entourent et nous fêtent.Nicolas m’explique que l’ambassadeur, voyant que noslaissez-passer n’arrivaient pas, s’était résolu à partirsans nous, mais que, sous la pression des camarades

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grecs qui avaient menacé de refuser de prendre l’avion,il s’était ravisé. Cela nous fait chaud au cœur, et nous nepouvons que les en remercier. Une fois de plus, ils nousont montré que la solidarité grecque n’est pas un vainmot. L’ambassadeur nous salue et nous quittons ce cen-tre glauque. Nous pensons tous à Manolo et Keen qui,eux, restent là-bas. Alors que nous continuons à discu-ter, nous arrivons sur le tarmac, juste devant le Transalgrec qui doit nous ramener. Nous sortons du bus et lespilotes nous accueillent, un verre de champagne à lamain. Ils s’empressent de nous faire monter dansl’avion. Nous, les trois Français, nous ne savons tropque faire, n’ayant pas eu d’information sur la décision del’ambassade à Athènes. Vangelis et Dimitrius nous fontentrer. « Restez près de nous, si jamais ils cherchent desFrançais, ne répondez pas ! Maintenant que vous êtesdans l’avion, vous allez y rester ! » Alors que nousentrons dans l’avion, nous retrouvons Paul Larudee et lecapitaine du Sfendoni. Les pilotes font l’appel. Seuls nostrois noms, Ahmed, Miloud et le mien, ne sont pas évo-qués. Nous nous faisons tout petits, craignant à toutmoment que l’un des pilotes ou, pire encore, un flicisraélien ne vienne nous chercher dans l’avion. Alorsque nous attendons le feu vert des autorités israéliennespour décoller, l’hôtesse nous sert des plateaux-repas.Malgré la faim, je ne peux y toucher. Impossible tant quenous n’aurons pas quitté le sol. Les minutes passent etj’ai du mal à ne pas regarder derrière moi pour voir si unevoiture de la police israélienne ne va pas débarquer àtout moment.

Finalement, les pilotes ferment l’énorme porte arrièreet mettent l’avion en route. Nous nous élançons sur la

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piste. Les moteurs vrombissent et prennent de la puis-sance. Nous allons décoller. Non. Ils ralentissent tout àcoup. Voilà que nous faisons à présent demi-tour versnotre point de départ. Un des pilotes sort du cockpit etexplique que nous rebroussons chemin à la demandedes autorités israéliennes. Aussi blêmes l’un que l’autre,Ahmed et moi échangeons un regard qui veut tout dire,nous sommes sûrs que c’est pour nous. Voilà, nous som-mes bons pour retourner en taule jusqu’à ce qu’on veuillebien venir nous chercher. Notre avion s’arrête et la portearrière s’ouvre. Le pilote sort de l’engin. J’ai beau me tor-dre sur mon siège, impossible de voir ce qui se passe niavec qui il discute. Au bout de deux minutes qui parais-sent deux heures, il revient et demande quelque chose engrec. Yannis se lève et sort de l’avion. Il revient lui aussi aubout de quelques minutes en riant. Il s’esclaffe et s’écrieen grec, Nicolas me traduit : « Ils m’ont enfin trouvé ! Ilétait temps ! » En fait, depuis le début, les Israélienss’étaient emmêlés les pinceaux entre les deux nomscomposés de son nom de famille et de son prénom, don-nant un résultat qui ne collait pas du tout avec son iden-tité. Et ils ne s’en sont aperçus qu’au bout de trois jours,après vérification avec les papiers fournis par l’ambas-sade grecque, juste avant le départ. Du coup, ils tenaientabsolument à ce que Yanis prouve son identité en per-sonne, ce qu’il vient de faire. On peut repartir maintenant.Et, tandis que les moteurs ronronnent à nouveau, nouspoussons un ouf de soulagement. Il semble que notreambassade d’Athènes ait été plus coopérative que cellede Tel-Aviv. La piste défile et, dans le bruit assourdissantdes moteurs du Transal grec, nous décollons enfin. Nousrentrons chez nous et nous avons une faim de loup !

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Nous dégustons nos plateaux-repas avec entrain. Mêmesi notre aventure de prisonniers n’aura guère duré, cela atout de même un petit goût de liberté. Et puis, la fatigue sefait sentir. Au fur et à mesure, l’avion qui retentissait demille discussions où chacun s’égosillait pour couvrir lebruit des autres est devenu silencieux, ou presque, et seulle vrombissement des moteurs résonne à présent dans lacarlingue. Tout le monde dort, ou du moins essaie.

Nous atterrissons quatre heures plus tard sur l’aéro-port militaire d’Athènes. Il est 2 heures du matin à peuprès. Nous sortons de l’avion les uns après les autres,tandis que l’on perçoit au loin l’écho d’une foule. Sur letarmac, une dizaine de militaires grecs sont au garde-à-vous et deux ministres grecs, accompagnés de dizai-nes de caméras de télévision, se précipitent vers nous.Derrière eux, une foule de plusieurs centaines d’intimes,de camarades et d’amis arrivent en cortège en criant desslogans en grec et en anglais : « Free Free ! Palestine ! »Les camarades grecs sont accueillis en héros. L’émo-tion est intense, on nous embrasse, on nous félicite.Tous les trois, nous nous perdons dans la foule, disantau revoir autant qu’on le peut aux camarades, nous pro-mettant de revenir pour revoir les uns et les autres. Carnotre aventure n’est pas terminée, nous le savons déjà,d’autres bateaux partiront.

De nombreux amis nous proposent de venir passerla nuit chez eux. Nous ne savons trop que faire, il nousfaut d’abord contacter notre ambassade. Mais, quelquesinstants plus tard, deux diplomates de l’ambassade deFrance mettent la main sur nous et nous accueillent cha-leureusement. Nous les remercions de nous accueilliret de nous avoir attendus. Ils nous emmènent à l’hôtel.

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Dans la voiture, nous pouvons enfin téléphoner rapide-ment à nos familles pour les rassurer et leur dire quenous rentrons. Le lendemain matin, nous avons rendez-vous au consulat pour obtenir les laissez-passer néces-saires à notre retour en France. Arrivés à l’hôtel, un desdiplomates me donne 10 euros, je vais pouvoir m’acheterdes clopes. Après nous être souhaité bonne nuit,Ahmed, Miloud et moi nous écroulons chacun dansnotre chambre.

À 9 heures, un des chauffeurs du consulat passenous prendre à l’hôtel. Nous avons rendez-vous avecl’un des responsables du service qui s’occupe des lais-sez-passer et des visas. L’accueil est moins chaleureuxque la veille au soir. Alors que nous accomplissons lesdiverses formalités pour obtenir les laissez-passer, letype qui traite notre dossier nous demande commentnous comptons payer nos billets d’avion pour rentrer enFrance. Je n’en ai aucune idée. Pour l’instant, nous som-mes les mains dans les poches, sans argent, sans rien.D’ailleurs, tant que nous y sommes, il faudra aussi réglerla facture de l’hôtel de la veille. Le ton est loin d’être sym-pathique. Miloud me regarde en rigolant : « C’est bon,c’est bon, si c’est que ça, on va les prendre nous-mêmes,les billets d’avion. » Il demande au type s’il peut télépho-ner à Paris. Le responsable hésite : « Heu… vous n’avezpas de moyen de téléphoner vous-même, pas de porta-ble ? » Miloud répond : « Non, désolé, nos portables sonttoujours à Tel-Aviv avec le reste de nos affaires. » Pres-que à regret, le type désigne un téléphone à côté denous : « Bon, bah, vous n’avez qu’à utiliser celui-là. »Miloud passe un coup de téléphone au bureau du CBSPà Paris. Quelques minutes plus tard, nous avons nos

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réservations pour rentrer cet après-midi à Paris. Soula-gement du fonctionnaire du consulat. Il nous faut main-tenant remplir les récépissés de vol ou de perte desdocuments. Alors que nous nous apprêtons à les rem-plir, un des fonctionnaires qui les tient se tourne vers leresponsable du service : « Qu’est-ce qu’ils marquent surle récépissé ? » Sa réponse sort toute seule : « Commel’a indiqué le ministère, perte, perte des documents. »Je refuse : « Je suis désolé, mais il est hors de questionque je marque autre chose que vol. Ce sont les militai-res israéliens qui nous ont attaqués et ont volé nospapiers. » Le responsable s’énerve : « Quoi ? Ça suffitmaintenant ! Perte, vol, c’est pareil ! Vous allez pascommencer à tout embrouiller… et puis, ce genre desituation, on sait ce que c’est. La guerre, c’est le bordel !Comment je peux savoir, moi, que vous les avez perdusou jetés à l’eau, vos papiers ! » J’explose : « Qu’est-ceque vous croyez ? On n’est pas des touristes qui vien-nent de perdre leurs papiers sur le Parthénon ! On vientde passer trois jours en taule, on s’est fait attaquer, kid-napper, tirer dessus ! Non, mais c’est du délire ! Alors cesera vol par l’armée israélienne, et puis c’est tout ! Etvous savez quoi, pour l’hôtel de la veille, faites-moi unereconnaissance de dette tant que vous y êtes ! » Il secalme, réalisant sans doute qu’il vient de dépasser lesbornes. Nous marquons donc la vérité sur les récépis-sés. Le ton change, on nous permet de téléphoner tantqu’on veut en France. On nous donne même 50 euroschacun afin qu’on puisse manger à midi. Munis de nosprécieux laissez-passer et des non moins précieux50 euros, nous quittons le consulat.

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Nous avons quelques heures à perdre avant de pren-dre notre avion. Nous en profitons pour acheter des car-tes téléphoniques et nous appelons à nouveau nos amiset notre famille pour annoncer notre heure d’arrivée.Adnane me fait un rapide compte rendu de ce qui sepasse en France. Les manifestations de soutien sonténormes et l’impact médiatique de toute cette affaire estinimaginable. Cependant, malgré le scandale, malgré lacolère légitime face à ce qui s’est passé, l’État d’Israël etses relais ont mis à profit les trois jours où ils nous ontenfermés pour lancer une vaste opération de communi-cation. Il m’explique que, en France, de nombreuses offi-cines sont en train de faire courir le bruit que notreFlottille était composée d’apprentis terroristes. Ainsi,Ahmed et les autres du CBSP sont présentés comme dedangereux acteurs du complot islamiste mondial, et moicomme le fils caché de Carlos. Je raconte cette vasteblague aux autres et nous sommes morts de rire.

Plus sérieusement, nous discutons du manque deliens et de collaboration entre les ONG musulmanescomme le CBSP et les mouvements de solidarité nonreligieux en France. L’épisode de la Flottille a montré quenous pouvions travailler et militer ensemble, malgré desréférences culturelles et politiques différentes. Ce quis’est passé est important et c’est aussi une réponse aufameux choc des civilisations. Nous avons montré quedes musulmans, des athées, des chrétiens, des juifs, desreprésentants du mouvement social mondial, des politi-ques, des humanitaires, des religieux, des laïcs, malgrétoutes leurs différences et leurs désaccords, peuvents’unir pour défendre une cause juste, celle d’un peupleopprimé. Une cause qui nous dépasse largement. Dans

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l’avion du retour, nous fêtons cette alliance de l’espoirautour d’un verre de bordeaux pour moi et de jusd’orange pour eux, en plaisantant sur la tête que feraientle juge Bruguière et Ben Laden s’ils pouvaient nous voirmaintenant. Nous nous promettons une chose : noussommes rentrés ensemble, nous repartirons ensemble.

Kidnappés

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ÉPILOGUEMENSONGES D’ÉTATET NOUVEL INTERNATIONALISME

Le 31 mai 2010, vers 4 heures 30du matin, la marine de guerre israélienne a donc attaqué,au beau milieu des eaux internationales, six bateaux civils,membres d’une flottille humanitaire. L’assaut a duré plusd’une heure, à grand renfort de sous-marin, de destroyers,de speed boats et d’hélicoptères. Les soldats israéliens ontblessé plus d’une cinquantaine de personnes, dont trentegravement. Neuf de nos camarades ont été tués, dont qua-tre exécutés à bout portant, comme des chiens.

Difficile de trouver, dans l’histoire récente, un précé-dent pour une telle violation du droit de la mer, du droitde la guerre et des conventions de Genève. Ce fut unacte de piraterie, commis par un État pourtant reconnupar la communauté internationale.

Pendant les heures et les jours qui suivirent cetassaut meurtrier, le gouvernement israélien, épaulé parses alliés médiatiques et militants, s’évertua à faire diver-sion. Ses armes principales furent la calomnie et ladésinformation. Alors que nous étions enfermés sur lesol israélien, incapables de répondre, une impression-nante machine de propagande s’est mise en branle. Les

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relais du gouvernement israélien multiplièrent les accu-sations mensongères, tant au sujet de notre chargementet de nos positions politiques que des événements decette nuit-là. Le but était de brouiller l’image de la Flot-tille dans l’opinion, de nous discréditer. Un petit florilègede mensonges.

Leurs soldats, dirent-ils, auraient tiré pour se défen-dre contre une foule déchaînée, une bande d’apprentisterroristes sur le point de les lyncher. Mensonge. Nousétions dans les eaux internationales et ce sont eux qui ontattaqué nos bateaux, pas l’inverse. Les morts et les bles-sés sont de notre côté, pas du leur. Sur le Mavi Marmara,alors que les premières salves avaient été tirées, trois sol-dats qui avaient été hélitreuillés sur le pont furent mishors d’état de nuire, désarmés et amenés dans une salledu bateau où gisaient nos morts et où nos blessés étaienten train d’être soignés par les médecins de la Flottille.Malgré la colère, malgré le sang déjà versé, personne neporta la main sur eux. Leurs contusions furent soignéespar nos médecins avant qu’ils ne soient relâchés.

Nos bateaux auraient été remplis d’armes. Men-songe. Les seules armes que Tsahal put exhiber devantles médias furent quelques couteaux de cuisine et leshaches du bord. À quoi il faut certes ajouter une collec-tion de keffiehs, c’est-à-dire des foulards traditionnelsportés par tous les Palestiniens et les Arabes du Moyen-Orient. Pour le reste, les autorités israéliennes n’ontjamais produit ne serait-ce que le début d’une preuveconcernant la présence à bord d’armes à feu. Évidem-ment, car il n’y en a jamais eu. Et pour cause, puisquenous sommes partis au grand jour de trois ports appar-tenant à la Grèce, l’Irlande et la Turquie, munis de

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l’ensemble des documents nécessaires, non sans quenos cargaisons et nos passagers aient été dûment ins-pectés par toutes les autorités portuaires.

Nos bateaux auraient abrité des terroristes liés à Al-Qaeda. Mensonge. Israël a relâché la totalité des passa-gers. La seule accusation que les autorités israéliennesaient jamais pu formuler officiellement à notre encontrefut celle, dérisoire, de tentative d’entrée illégale sur le terri-toire israélien. Une fois rentré dans nos pays respectifs,aucun d’entre nous n’a fait l’objet de la moindre procé-dure judiciaire. Les États-Unis, l’Allemagne, la France,l’Angleterre, la Grèce ou la Turquie auraient-ils laisséentrer sur leur sol des individus sérieusement suspectésde liens avec le terrorisme international, et ce sans mêmeles interroger ?

Nous serions des partisans du Hamas, et notre Flot-tille masquerait une campagne de soutien déguisée pourcette organisation. Mensonge. Depuis le début de ce pro-jet, il était clair pour les organisateurs que nous ne pren-drions parti pour aucune des différentes factions palesti-niennes. Le but de notre Flottille était de dénoncer et debriser le siège de Gaza, d’apporter de l’aide humanitaireaux Palestiniens et de faire respecter le droit internatio-nal. Pour cela, nous étions et sommes toujours en contactavec la société civile palestinienne et avec ses organisa-tions politiques, sans exclusive. Ni plus ni moins.

Le gouvernement israélien et ses affidés ont dépeintles ONG musulmanes — notamment l’ONG turque IHHet l’ONG française CBSP — avec lesquelles nous travail-lons comme des organisations extrémistes, directementinféodées au Hamas, voire à Al-Qaeda. Mensonge. IHH,qui a pignon sur rue en Turquie depuis une quinzaine

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d’années, a le statut de conseiller spécial auprès del’ONU. Le Comité de bienfaisance et de secours auxPalestiniens, qui existe depuis les années 1990, est uneorganisation d’aide humanitaire et de charité religieusetravaillant en direction aussi bien de Gaza que des terri-toires occupés pourtant contrôlés par le président AbuMazen. Elle récolte des fonds dans un cadre « régulier etlégal », selon les autorités françaises.

Finalement, il leur a bien fallu tenter de justifier leuraction du point de vue du droit international. Selon legouvernement israélien, il serait tout à fait légal d’atta-quer un convoi maritime civil en haute mer. Pour cela, ils’appuie sur une lecture partielle du Manuel de San Remosur le droit international applicable dans les conflits armésen mer. Ayant promulgué un blocus terrestre, aérien etmaritime contre la bande de Gaza, elle-même qualifiéed’« entité hostile », l’État israélien se prétend en droitd’arraisonner tout bâtiment, même civil, qui déclareraitvouloir se rendre à Gaza. Nous verrons plus tard qu’ilfaut une lecture particulièrement elliptique du fameuxManuel de San Remo — qui n’est par ailleurs ni un traitéentre États ni un document ratifié et reconnu par lacommunauté internationale — pour en arriver à une telleconclusion. Mais, pour l’instant, nous nous applique-rons à montrer que le droit de la mer, le droit de la guerreet les conventions de Genève, en somme le droit interna-tional tel qu’il se formule aujourd’hui, ne tolère pas cegenre d’agressions. Il suffit pour s’en convaincre de lireles articles 87, 88, 89 et 110 de la Convention de MontegoBay sur le droit de la mer (UNCLOS, 1982), qui stipulent :

— que la haute mer ou les eaux internationales sontouvertes, et en premier lieu à la liberté de naviguer ;

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— que les eaux internationales sont réservées à unusage pacifique et que nul État ne peut y déclarer de sou-veraineté ;

— qu’un droit de visite peut être exercé par des navi-res de guerre. Mais ce n’est pas un droit d’abordage etencore moins d’arraisonnement. Ce droit de visite nepeut être exercé que si l’on soupçonne une activité depiraterie, de trafic d’esclaves ou si le navire croisé sem-ble ne pas avoir de nationalité.

Jusqu’à présent, le gouvernement israélien ne nousa jamais accusés ni de piraterie, ni de trafic d’esclaves, nimême d’avoir dissimulé la nationalité de nos bateaux. Ilsn’avaient aucun droit de nous arraisonner dans les eauxinternationales.

Par ailleurs, dans le statut de Rome régissant laCour pénale internationale, l’attaque de civils ou dematériels appartenant à une mission humanitaire estdéfinie comme un crime de guerre. C’est l’article 8.2.b iii,« Attaque contre le personnel ou des biens employésdans le cadre d’une mission d’aide humanitaire ou demaintien de la paix » :

Éléments de crime :1. L’auteur a lancé une attaque.2. L’objectif de l’attaque était le personnel, les instal-

lations, le matériel, les unités ou les véhicules employésdans le cadre d’une mission d’aide humanitaire ou demaintien de la paix conformément à la Charte des Nationsunies.

3. L’auteur entendait prendre pour cible de son atta-que lesdits personnels, installations, matériel, unités ouvéhicules.

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4. Lesdits personnels, installations, matériel, unitésou véhicules avaient droit à la protection que le droit inter-national des conflits armés garantit aux personnes civileset aux biens de caractère civil.

5. L’auteur avait connaissance des circonstances defait établissant cette protection.

Pas besoin d’être en cinquième année de droit pourcomprendre que c’est exactement ce qui nous est arrivé.Certes, on nous répliquera qu’Israël n’a pas ratifié le sta-tut de Rome et ne se trouve donc pas assujetti à la juri-diction de la Cour pénale internationale. Sauf que nosbateaux appartenaient à des pays qui, eux, l’ont tous rati-fié. La plainte que nous sommes en train de présenter àla Cour pénale internationale sera donc recevable.

De même, la résolution 1860 de janvier 2009 duConseil de sécurité de l’ONU établit clairement qu’il y aune crise humanitaire à Gaza et que le blocus doit êtreouvert pour laisser passer l’aide humanitaire. C’est surcette base que le Conseil de sécurité « se félicite des ini-tiatives visant à créer ou à ouvrir des couloirs humanitai-res et autres mécanismes permettant un acheminementininterrompu de l’aide humanitaire ».

On le voit, le droit international penche nettement denotre côté. Quant au Manuel de San Remo invoqué par legouvernement israélien, une lecture plus attentive endément son interprétation. Certes, dans sa section VI, cetexte autorise la capture de navires civils dans les eauxinternationales si ces navires violent ou ont la claire inten-tion de violer un blocus établi dans le cadre d’un conflitentre États (petite question au passage : puisqu’Israël seréfère à ce texte, faut-il en conclure qu’il considère désor-

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mais la Palestine comme un État belligérant ?). Sauf que,quelques pages plus haut, à la section IV, le même texteinterdit formellement l’attaque de bâtiments engagésdans une mission humanitaire.

Il faut ajouter que le même texte a aussi quelquesmots à dire sur la légalité d’un blocus, puisqu’il interditformellement la mise en place d’un blocus si : a) il a pourunique objectif d’affamer la population civile ou de luiinterdire l’accès aux autres biens essentiels à sa survie ;ou si b) les dommages causés à la population civile sont,ou si on peut prévoir qu’ils seront, excessifs par rapportà l’avantage militaire concret et direct attendu. Ce qui, auvu de la crise humanitaire qui sévit à Gaza, semble bel etbien être le cas.

Pour finir, nous sommes allés jeter un coup d’œil audroit militaire israélien. Israël qui, d’après la propagande,reste la « première démocratie du Moyen-Orient ». Et,effectivement, nous y avons trouvé des choses très inté-ressantes. Notamment que, depuis 1977, le droit militaireisraélien interdit d’affamer une population civile 1. Làencore, on peut penser que la crise humanitaire qui règneà Gaza est bien une forme de famine organisée par lesiège. Le même texte établit aussi que la population civiledoit pouvoir quitter le lieu d’un siège. Non seulement cen’est pas le cas aujourd’hui, mais ce fut encore moins lecas lors de l’opération « Plomb durci ». Il semble donc quel’État israélien ne respecte ni le droit international, ni celuiqu’il invoque, ni même le sien propre.

1. Israel Manual on the Laws of War, 1998, p. 59.

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Bien sûr, avant de partir en mer, nous imaginions bienque l’État d’Israël n’allait pas nous laisser faire sans réa-gir. Nous envisagions plusieurs scénarios, incluant touteune série de mesures de rétorsion de sa part, depuis lespressions diplomatiques jusqu’au sabotage de nos navi-res, en passant par un blocage maritime à quelques millesde Gaza, mais, très franchement, nous ne pensions pasqu’il s’autoriserait une telle opération militaire, une atta-que d’une telle violence à notre égard. La question qui sepose à partir de là est simple : pourquoi les autorités israé-liennes ont-elles réagi de cette manière ? Pourquoi n’ont-elles pas été capables d’imaginer une autre solution auproblème que nous leur posions ? Il y a, je crois, quelqueséléments de réponse qui méritent d’être mentionnés.

Après soixante ans de guerres multiples avecl’ensemble de ses voisins, d’occupation et d’annexion desterritoires palestiniens, Israël est devenu un État de plusen plus militarisé, dans lequel l’armée tend à devenir lecentre de gravité de la société. Comme l’indique AlainDieckohff, « l’omniprésence de l’armée a bien plutôt eupour effet de “militariser” la société, c’est-à-dire d’entrete-nir sa mobilisation permanente et de l’habituer à voir sesrelations avec ses voisins à travers le seul prisme del’affrontement 1 » ; Israël serait un État assiégé en perma-nence, où le risque de la destruction est omniprésent.Dans un tel contexte, c’est l’armée, la force militaire, quidevient l’alpha et l’oméga de toute politique, le dernierrempart, convoqué en permanence. Dans cette logiquemanichéenne, avec beaucoup d’ennemis et peu d’amis,

1. Alain DIECKOHFF, « Israël : une nation plu-rielle », Les Cahiers de l’Orient, nº 54, www.ceri-sciences-po.org/archive/june/artadi.pdf.

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non seulement le droit ne compte plus, mais surtout ladistinction entre opposants armés et désarmés, entrecivils et militaires s’efface. Tout acte de solidarité enversles Palestiniens tend à être considéré comme une attaquecontre la survie d’Israël. Il n’y a plus de distinction entre cequi devrait être normalement considéré comme un pro-blème politique ou diplomatique et un problème militaire.Aussi la campagne internationale de boycott contre lerégime d’apartheid israélien est-elle devenue, dans le dis-cours de l’État israélien, une menace existentielle aumême titre que le programme nucléaire iranien. De lamême façon, les militants de la Flottille sont devenus desterroristes, tandis que ceux qui se rendent en Palestinepour rencontrer des Palestiniens sont appelés des « terro-touristes ». Les manifestations pacifiques dans certainsvillages palestiniens sont considérées comme des « mani-festations suicides », non pas parce que les Palestiniensou les internationaux qui y participent seraient violents ouarmés, mais parce que ces manifestations se soldent parune répression ultra-violente qui fait régulièrement desmorts ou des blessés graves et qui renvoie au monde desimages terribles d’Israël. Pour l’establishment sioniste,cela participe de sa destruction symbolique. En somme, iln’y a pas grande différence entre manifester pacifique-ment devant le mur de séparation à Bilin ou se faire sauterà Tel-Aviv. Les deux étant censés correspondre à unemême logique, celle de la destruction d’Israël, ils sont trai-tés de la même façon ou presque, c’est-à-dire par le fer etle feu.

Le gouvernement israélien, en choisissant délibéré-ment la voie sanglante, a voulu envoyer un signal fort aumouvement de solidarité internationale en général, et à la

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Turquie en particulier, son ancien allié dans la région. Ils’agissait de tracer une ligne rouge, de tenter de mettre uncoup d’arrêt à un mouvement de solidarité qui gagne duterrain, non seulement dans l’opinion publique, maisaussi au sein des États et des institutions. Si le gouverne-ment israélien était furieux contre nous, c’est parce quecette Flottille a brisé un silence confortable et a obligé lacommunauté internationale à se positionner pour fairepression sur Israël. De son point de vue, il fallait arrêternet cette dynamique avant qu’elle n’aille trop loin. Il a étéeffrayé, et il le reste, parce que c’était la première fois qu’ilétait confronté à une solidarité directe et active d’une telleampleur. Un mouvement qui représentait d’une certainefaçon directement la colère des peuples face à un régimede plus en plus brutal et raciste.

Malheureusement pour lui, cela n’a pas eu l’effetescompté, au contraire même. La violence de l’attaqueisraélienne a suscité une indignation mondiale. Malgré ledeuil, notre détermination reste intacte.

Il y aura une nouvelle Flottille. Elle sera bien plusvaste, bien plus forte que la première. Nous y travaillons.Au printemps 2011, c’est une grande armada pacifique debateaux venus d’Espagne, d’Irlande, de Suède, d’Écosse,de Norvège, d’Italie, de Grèce, d’Angleterre, des États-Unis, d’Afrique du Sud, d’Indonésie, d’Inde, de Turquie,du Maroc, d’Allemagne et d’autres pays encore, peut-êtremême d’Israël, qui se réunira au milieu de la Méditerranéepour acheminer des milliers de tonnes d’aide vers Gaza.

En France, plus de quatre-vingts organisations, ONG,partis politiques, syndicats et associations se sontregroupés autour d’un projet de bateau français. Nousavons d’ores et déjà le soutien de personnalités, d’élus de

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gauche et de droite, et surtout de milliers de personnesdans le pays.

Nous sommes prêts à franchir la ligne une fois deplus, car nous sommes excédés par l’hypocrisie, parl’inaction de la communauté internationale et de nos gou-vernements face à la situation en Palestine en général et àGaza en particulier. Nous refusons de rester sans rien direet sans rien faire.

Le temps de la dénonciation verbale, le moment de lasolidarité distante est fini. La solidarité internationale doits’exprimer en acte. Après des décennies de confusion etde démoralisation, le mouvement international a enfintrouvé des modes d’action de solidarité citoyenne effica-ces. Le mouvement « Boycott, désinvestissement et sanc-tions » (BDS) contre l’apartheid de l’État d’Israël et la Flot-tille en font partie. Dans les deux cas, il s’agit derésistance active. Le mouvement BDS coordonne uneaction de masse ciblant l’État israélien pour ce qu’il est,c’est-à-dire un État avec lequel on ne peut pas se compro-mettre et auquel il faut désormais imposer le respect dudroit international. La Flottille est une action spectacu-laire qui rompt le silence et apporte une solidarité directeaux Palestiniens. Les deux existent parce que la commu-nauté internationale et nos gouvernements se compor-tent en hypocrites et en irresponsables. Il est tempsd’imposer le droit international, il est temps d’imposer lajustice, il est plus que temps d’imposer la paix à Israël.

Ce qui se passe là-bas, en Palestine, a désormaisdes répercussions mondiales. Ce qui se joue aujourd’huidans le mouvement de solidarité que nous cherchons àconstruire, c’est la définition en acte d’un nouvel interna-tionalisme. Ceux qui voudraient faire de ce conflit une

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affaire étroitement ethnique ou religieuse, ceux qui vou-draient nous enfermer dans la grille du « choc des civilisa-tions » nous mènent tous dans une impasse dangereuse.

Ce conflit n’est pas et ne sera jamais une guerre descivilisations. Nous ne sommes pas pris dans une sortede face-à-face sanglant entre les musulmans, les chré-tiens et les juifs, entre l’Occident et l’Orient, mais dansun conflit politique entre un État colonisateur et un peu-ple qui lutte pour sa liberté. C’est pour cette raison quele peuple palestinien et l’État d’Israël sont en train dedevenir des symboles universels de la résistance et del’oppression, à l’instar de ce qui se produisit dans lesannées 1980 avec la montée en puissance de la lutteinternationale contre l’apartheid. Cela ne veut bien sûrpas dire que l’oppression n’existe pas ailleurs, du Tibetjusqu’à Mindanao, au Soudan comme au Cachemire, enAfghanistan comme au Congo et en France aussi. Mais,aujourd’hui, cette lutte les reflète toutes en miroir.Comme l’écrit Samah Sabawi : « La Palestine n’est pasune bataille, elle est une histoire humaine épique quiraconte encore et encore comment l’opprimé se lèvecontre l’oppresseur. »

À l’heure où je finis d’écrire ces lignes, le peupletunisien vient de prendre le chemin de sa deuxième indé-pendance. Un dictateur pourri jusqu’à la moelle vient detomber et l’establishment français, complice jusqu’aubout, n’en revient toujours pas. Ailleurs au Moyen-Orient, les régimes honnis tremblent. Tant mieux !Quand les peuples se réveillent, ce sont les dictateursqui font des cauchemars ! Merci au peuple tunisien pourcette leçon de courage et de dignité.

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SEGEV Tom, 1949 : les premiersIsraéliens, Paris, Calmann-Lévy,1998.

SHLAOM Avi, Collusion across theJordan : King Abdullah, the ZionistMovement and the Partition ofPalestine, New York, ColumbiaUniversity Press, 1988.

SHLAOM Avi, The Politics ofPartition : King Abdullah, theZionists, and Palestine, 1921-1951,Oxford/New York, OxfordUniversity Press, 1990.

SHLAOM Avi, Le Mur de fer, Paris,Buchet Chastel, 2008.

SIBONY Michèle et WARSCHAWSKI

Michel, À contrechœur. Les voixdissidentes en Israël, Paris, Textuel,2003.

STERNHELL Zeev, Aux originesd’Israël : entre nationalisme etsocialisme, trad. de l’hébreu parGeorges Bensimhon avec leconcours de l’auteur, Paris,Fayard, 1996 ; The Founding Mythsof Israel : Nationalism, Socialism,and the Making of the Jewish State,Princeton, Princeton UniversityPress, 1999.

WARSCHAWSKI Michel, Sur lafrontière, Paris, Stock, 2002.

WARSCHAWSKI Michel,Programmer le désastre : la politiqueisraélienne à l’œuvre, Paris, LaFabrique, 2008.

WARSCHAWSKI Michel, Destinscroisés. Israéliens-Palestiniens,l’histoire en partage, Paris,Riveneuve, 2009.

FILMOGRAPHIE

ABDALLAH Samir et MABROUK

Khéridine, Gaza-strophe, le jourd’après, 2010.

ARCE Alberto et RUJAILAH

Mohammad, To Shoot an Elephant,2008.

AVGEROPOULOS Yorgos etKARIPIDIS Yiannis, Gaza We AreComing, 2009.

KHLEIFI Michel et SIVAN Eyal, Route181, fragments d’un voyage réaliséen Palestine-Israël, 2004.

La Flottille

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ANNEXES

FOCUS ON THE GLOBAL SOUTHFocus on the Global South

(Focus) est une organisation nongouvernementale dont l’équipecompte une vingtaine de personnestravaillant depuis la Thaïlande, l’Indeet les Philippines. Focus a été créée àBangkok en 1995. Notre organisationest affiliée à l’Institut de recherchesociale à l’université de Chulalong-korn à Bangkok.

Focus allie recherche sociale etpolitique, campagnes militantes etrenforcement des capacités desmouvements sociaux locaux et inter-nationaux. Nous voulons encouragerune analyse critique et le débat surles politiques publiques nationaleset internationales relatives à la mon-dialisation libérale et la militarisationde nos sociétés.

Les objectifs généraux deFocus sont : le démantèlement desstructures et institutions économi-ques et politiques oppressives ; lapromotion de la démilitarisation ; laconsolidation de la paix contre lamultiplication des conflits. Ces troisobjectifs se trouvent réunis dans leparadigme de la déglobalisation. Ceterme décrit la transformation del’économie globale centrée sur lesbesoins des entreprises transnatio-nales en une économie qui privilégieles besoins des populations, descommunautés et des nations et danslaquelle les capacités économiqueslocales et nationales sont renfor-cées.

Le paradigme de la déglobali-sation forme la base du travail deFocus et s’étend à cinq domainesthématiques : la défense et la récupé-ration des ressources essentiellesqui doivent rester dans la sphèrepublique (eau, forêts, terres…) ; lecommerce ; la paix et la sécurité des

peuples ; les politiques alternatives ;la Chine.

Ces domaines thématiquessont complétés par des programmesbasés en Inde, en Thaïlande et auxPhilippines.

Les équipes des bureaux destrois pays sont chargées de faireavancer les travaux sur chaquedomaine thématique dans leur payset au-delà.

www.focusweb.org

CAMPAGNE CIVILE INTERNATIO-NALE POUR LA PROTECTION DUPEUPLE PALESTINIEN

La Campagne civile internatio-nale pour la protection du peuplepalestinien (CCIPPP) est née enjuin 2001, au moment où l’offensivecoloniale et répressive israéliennepassait à une nouvelle étape dont lesobjectifs n’ont pas tardé à être expli-citement déclarés : « Terminer 1948. »

L’arrivée au pouvoir d’ArielSharon, largement plébiscité enfévrier 2001, a mis un terme définitifaux accords d’Oslo. La tentative detrouver une issue politique à la situa-tion en Palestine a été méthodique-ment sabotée par les dirigeantsisraéliens : ajournements répétésdes plans d’application des accords,retours sur les résultats des négocia-tions, multiplication des colonies,humiliations calculées, arrestationset assassinats. Ces pratiques ontcaractérisé la politique des gouver-nements successifs, tant celle duParti travailliste que celle du Likoud.Les accords d’Oslo sont désormaisdépassés. C’est dans ce contextequ’a éclaté la seconde Intifada.

Nous ne pouvons pas resterindifférents ou impuissants devantune telle catastrophe. Devant la for-

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faiture des institutions internationa-les, leur complicité ou leur manquede volonté, les citoyens de par lemonde multiplient les initiatives desoutien à la lutte du peuple palesti-nien pour sa survie et ses droits. Unedes initiatives majeures est la consti-tution de missions civiles internatio-nales pour la protection du peuplepalestinien. Ces missions se rendentdans les territoires palestiniensoccupés, pour observer, témoigneret intervenir pacifiquement à traversdes actions de résistance à l’incroya-ble déni de droits subi par le peuplepalestinien.

L’action des missions civiless’accomplit en étroite coordinationavec les diverses organisations etassociations palestiniennes et anti-colonialistes israéliennes. L’engage-ment de ces dernières est précieuxpour confirmer le caractère politiquede la confrontation. Il l’est aussi pourl’avenir des solutions recherchées.Nous formons un triangle d’actionqui se veut le plus solidaire et le plusefficace possible.

L’intervention citoyenne inter-nationale ne peut en aucun cas rem-placer une force officielle, que devraitconstituer l’ONU, afin d’assurer laprotection du peuple palestinien.Nous réclamons la constitution etl’envoi d’une telle force. C’est indis-pensable et c’est urgent.

Des milliers de citoyens et decitoyennes, de tout âge, origine,région et condition sociale, d’appar-tenances politiques, syndicales ouassociatives diverses, sont déjà par-tis en mission. Cette forme d’actionest indispensable pour exprimer lasolidarité avec la lutte du peuple

palestinien. Elle contribue à briserson isolement et permet de témoi-gner des conditions de l’occupation.Les internationaux interviennent surplace, dans le cadre d’actions de pro-tection du peuple palestinien.

Les membres des missions par-ticipent à toutes les manifestationsorganisées à Jérusalem, Bethléem,Ramallah ou Tel-Aviv. Des missionsont accompagné, pour les protéger,les paysans palestiniens dans leursterres durant la récolte des olives. Parleur présence dans le camp de réfu-giés de Rafah, au sud de la bande deGaza, les membres d’une missioncivile ont permis le remplacement dela pompe d’évacuation d’eau saline.D’autres ont occupé des maisonsmenacées de démolition ou des ter-res menacées de confiscation. Desinternationaux ont assuré une perma-nence à l’hôpital de Ramallah ou ontaccompagné les ambulanciers durantl’offensive israélienne d’avril 2002…La liste est longue et non exhaustive.La CCIPPP travaille en étroite coordi-nation avec les structures européen-nes de solidarité avec la Palestine etavec les autres internationaux pré-sents en Palestine. Les membres desmissions ont livré leurs témoignagesà l’occasion de réunions et de mee-tings, ils ont produit des articles depresse, des interviews, des textes,des photos et des films. Des comitésont émergé dans les quartiers et lesvillages et le mouvement ne cesse des’amplifier, tout en garantissant unegrande liberté à sa structure et auxinitiatives qui s’en réclament.

www.protection-palestine.org

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TABLE

Préface. Un petit Trafalgar israélien,Michael Warschawski 3

PREMIÈRE PARTIE

Retour sur une idée folle

1. Opération « Code Pink » au Caire 112. Un « moment sud-africain »

pour la Palestine ? 173. Gaza We Are Coming !

Les premiers bateaux en 2008 28

DEUXIÈME PARTIE

Salade grecque

4. Athènes : premiers préparatifs pourla Flottille 43

5. En rade 62

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TROISIÈME PARTIE

Destination Gaza

6. Le marathon de Limassol : Chypresous la pression israélienne 87

7. Pirates : quand les commandos passentà l’attaque 104

QUATRIÈME PARTIE

Kidnappés

8. Passez par la case prison 1279. Kafka Airlines 151

Épilogue. Mensonges d’Étatet nouvel internationalisme 173

Bibliographie 185

Annexes 187

Composition Facompo, LisieuxAchevé d’imprimer en février 2011par Firmin-Didot à Mesnil-sur-l’EstréeDépôt légal : mars 2011Numéro d’imprimeur : 00000

Imprimé en France

La Flottille