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INSTITUT DE FORMATION EN SOINS INFIRMIERS

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Groupement d’Intérêt Public 1 Rue Etienne Gourmelen – BP 1705

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de la mort est, pour ceux qui veulent bien entrer delà de l’horreur, une occasion inoubliable d’intimité. »

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Angela CUNHA DA SILVA Promotion 2012/2015

Formation en Soins Infirmiers rmateur guidant : M. JOLLE Bruno

Note au lecteur

« Il s’agit d’un travail personnel et il ne peut faire l’objet d’une publication en tout ou partie sans l’accord de son auteur. »

Remerciements

Je souhaite remercier tout d’abord ceux qui m’ont soutenue, épaulée, réconfortée durant ces trois années : mes parents, mon compagnon, mon frère et tous mes

proches. Grâce à eux j’ai pris peu à peu confiance en moi.

Je remercie également mes collègues de promotion et mes huit belles rencontres pour ces trois belles années de rires, et fous rires, de souvenirs et de partage. Une pensée

aussi à celle qui est partie trop tôt « On ne t’oubliera jamais ».

Je remercie les formateurs et principalement Madame Février, ma référente pédagogique et Monsieur Jolle, mon guidant mémoire, pour tous leurs conseils et pour

leur accompagnement. Ils ont toujours cru en moi et m’ont donné l’envie d’avancer. Grâce à eux je sors grandie de cette formation.

Je remercie aussi tous les professionnels qui m’ont accueilli lors des stages, qui m’ont beaucoup appris, et principalement les trois infirmiers qui ont pris de leur temps afin

que je puisse élaborer ce travail.

Mon dernier remerciement ira à Aurore, une collègue devenue une réelle amie qui m’a soutenue tout au long de ces trois années et qui a participé à ce travail en étant

toujours présente et en m’interdisant de baisser les bras.

1

Sommaire

Introduction ............................................................................................................... 3

DE LA SITUATION D’APPEL A LA QUESTION DE DEPART .................................. 4

1. Situation d’appel............................................................................................. 4

2. Analyse .......................................................................................................... 5

3. Concepts ........................................................................................................ 6

CADRE CONCEPTUEL ............................................................................................ 7

1. La fin de vie .................................................................................................... 7

1.1 Définition ...................................................................................................... 7

1.2 Soins palliatifs .............................................................................................. 8

1.3 Image de la mort .......................................................................................... 9

1.4 L’engagement personnel ............................................................................10

2. La distance professionnelle ...........................................................................12

2.1 Définitions ...................................................................................................12

2.2 Types de distances .....................................................................................14

2.3 Enjeux / limites ............................................................................................14

3. Les émotions .................................................................................................17

3.1 Définition .....................................................................................................17

3.2 Types d’émotions ressenties .......................................................................17

3.3 La gestion des émotions .............................................................................18

4. La communication .........................................................................................19

4.1 Définitions ...................................................................................................19

4.2 La communication verbale ..........................................................................19

4.3 La communication non-verbale ...................................................................20

4.4 La communication dans la distance professionnelle ...................................21

CADRE PRATIQUE .................................................................................................22

1. Présentation du dispositif et des modalités d’enquête ...................................22

1.1 Choix et construction de l’outil d’enquête ....................................................22

1.2 Choix des lieux et des populations ..............................................................22

1.3 Modalités de réalisation ..............................................................................22

1.4 Traitement des données recueillies .............................................................23

2. Analyse des données recueillies ...................................................................24

2.1 Faire connaissance avec le soignant ..........................................................24

2.2 Les soins palliatifs .......................................................................................24

2.3 L’implication personnelle .............................................................................26

2.4 La distance professionnelle.........................................................................27

2

2.5 Être professionnel .......................................................................................28

2.6 Les émotions ..............................................................................................29

2.7 La communication .......................................................................................31

2.8 Et pour conclure… ......................................................................................32

3. Synthèse .......................................................................................................33

3.1 La fin de vie ................................................................................................33

3.2 La distance professionnelle.........................................................................34

3.3 Les émotions ..............................................................................................34

3.4 La communication .......................................................................................35

3.5 Question de recherche ................................................................................35

Conclusion ...............................................................................................................36

Bibliographie ............................................................................................................37

Textes officiels .....................................................................................................37

Ouvrages .............................................................................................................37

Dictionnaires ........................................................................................................37

Articles de revues .................................................................................................37

Documents internet ..............................................................................................37

Annexes ..................................................................................................................38

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Introduction

« Près du patient, avec ce rythme secret qu’il nous reste à reconnaître, car l’imposture est vécue aussi bien du côté de la soignante que du côté du patient, dans ce flux migratoire de nos sentiments, nous n’investissons notre histoire que par rapport à notre désir d’existence et au cadre dans lequel nous nous reconnaissons. »1

Il nous a été demandé, dans le but de valider notre diplôme d’état infirmier, de réaliser un mémoire d’initiation à la recherche en soins infirmiers. Ce travail permettra la validation de l’UE 3.4S6 « Initiation à la démarche de recherche », l’UE 5.6S6 « Analyse de qualité des traitements des données scientifiques et professionnelles » et aussi l’UE 6.2S6 « Anglais professionnel ». Ce travail est également réalisé dans le but d’avoir un raisonnement méthodique et rigoureux pour aboutir à un positionnement professionnel infirmier.

Pour cela, un sujet devait être choisi au travers d’une situation de stage vécue qui nous a dérangés, perturbés ou questionnés. Très vite elle m’est venue, j’étais certaine que c’était sur cela que je voulais travailler. Une situation vécue au cours de mon deuxième stage de première année qui me confrontait à la mort d’un premier patient. Le problème est que cette situation était très riche en évènements et qu’elle a été très difficile à vivre pour moi. C’est pourquoi, au début, j’avais des difficultés à trouver un thème en particulier et aussi des difficultés pour prendre du recul face à cette situation qui me touchait encore. Après les premiers conseils de mon guidant et après une longue réflexion je me suis enfin décidée à réaliser une recherche sur « la distance professionnelle dans la prise en charge d’un patien t en fin de vie ».

Afin de réaliser ce travail de recherche, j’ai d’abord commencé par énoncer ma situation d’appel, je l’ai décrite puis analysée. Delà, plusieurs questions en ressortent et j’ai isolé celle qui pour moi était la plus intéressante à travailler et pour laquelle je voulais vraiment avoir une clarification. Après avoir posé la question de départ, j’en ai tiré quatre concepts. Je les ai alors étudiés dans une seconde partie appelée « cadre conceptuel ». En vue de confronter ces résultats théoriques, j’ai interrogé trois professionnels infirmiers. J’ai ensuite analysé ces données pratiques dans une dernière partie appelée « cadre pratique » où j’ai également réalisé une synthèse des données théoriques et pratiques. Je finaliserai ce travail par une conclusion où j’élaborerai mon évolution après ce travail et aussi mon positionnement professionnel à venir. La quatrième de couverture sera représentée par « l’abstract » en anglais et un résumé en français afin de valider l’UE 6.2 « Anglais professionnel ».

1 Brigitte, GREIS. De la perte de soi au soin des autres. Editions Lamarre. p.16

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DE LA SITUATION D’APPEL A LA QUESTION DE DEPART

1. Situation d’appel

La situation que j’ai choisi de décrire afin de réaliser mon travail de recherches de fin d’année est une situation que j’ai rencontrée lors de mon deuxième stage de première année en Institut de Soins Infirmiers. Ce stage se déroule dans un service de médecine.

C’est une situation qui m’a marqué car j’ai eu beaucoup de mal à m’en détacher, c’est pourquoi je l’ai choisie pour ce travail afin d’apporter des réponses à mon raisonnement et aussi dans le but de mon futur positionnement professionnel.

Je prends en charge un patient depuis ma première semaine de stage. C’est un patient qui occupe un lit identifié soins palliatifs (LISP), il est atteint d’un cancer pulmonaire avec métastases hépatiques et cérébrales, il est en phase terminale de sa maladie. C’est un patient en situation précaire avec un isolement social. En effet il n’a pas de famille, pas d’amis, aucune visite. Après un premier contact timide avec ce patient, de part son physique qui m’était difficile à accepter, sa difficulté de communication verbale, mais aussi par une image de la mort qu’il me renvoyait, je me sens finalement proche de ce malade que nous appellerons Monsieur P.

En effet, très vite Monsieur P. se confie à moi, les jours où son état le lui permet bien sûr. Il me raconte beaucoup de choses sur sa vie personnelle, des histoires lourdes à porter comme aussi ses goûts, ses plaisirs de la vie… Parfois Monsieur P utilise de longs regards insistants pour me faire comprendre des choses ou alors lorsque je réalise des soins il me prend la main et la serre très fort. Je me sens alors comme sa confidente. Cela se confirme lorsque l’équipe soignante m’informe que Monsieur P refuse sa toilette quand je suis d’après-midi. Il ne souhaite plus que moi pour la réalisation des soins d’hygiène et de bien-être. Une partie de l’équipe me met en garde concernant cette « relation » que j’ai avec Monsieur P. Mais c’est malgré moi car je m’occupe de lui comme je m’occupe des autres patients que j’ai en charge, du moins c’est le sentiment que j’ai. C’est à ce moment précis que je prends conscience de la relation qu’il existe entre Monsieur P et moi. Je ressens alors un mal aise vis-à-vis des soignants du matin qui n’ont pas pu réaliser les soins, un sentiment de culpabilité mais aussi au fond de moi cela me réjouie d’être au final la « préférée » de ce patient là.

Une autre partie de l’équipe est également très complice avec ce patient, une soignante lui apporte même du chocolat qui était son vrai plaisir, ou encore elle descend avec lui pour lui permettre de fumer ses dernières cigarettes…J’ai collaboré à cette pratique qui était mal vu par l’autre partie de l’équipe. Mais pour moi, comme pour l’équipe qui y contribuait, on se devait d’aider Monsieur P. à réaliser ses derniers plaisirs. Pour nous c’était évident pour la prise en charge d’un patient en fin de vie.

Les jours se suivent et se ressemblent, je m’occupe de Monsieur P et lui continue à se confier. Mais je sens de plus en plus que cela dérange une partie de l’équipe, j’ai même droit à des réflexions de leur part telles que : « tu vois, tu n’étais pas là ce matin donc nous n’avons pas pu lui faire sa toilette » ou encore « il faudrait que tu arrêtes de t’occuper de Monsieur P., il semble très attaché à toi ». Alors très vite je me sens mal, je ne veux plus m’occuper de ce patient par peur que l’équipe soignante me dise

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encore quelque chose. Mais ma tutrice m’encourage à continuer, elle me dit que c’est ça aussi notre métier, être là pour un patient, l’écouter, être témoin de son passage dans cette vie. Mais je sais malgré moi que ma prise en charge oscille entre ce facteur endogène que j’ai en moi qui est de « prendre soin » et l’autre facteur exogène qui est la pression que me met l’équipe concernant cette prise en charge trop prenante pour eux.

Je continue alors à prendre soin de ce patient, jusqu’à mon dernier jour de stage qui sera aussi son dernier jour de vie. En effet Monsieur P décède le jour de mon départ, après lui en avoir informé lors de la toilette. Je m’en suis énormément voulu de m’être attachée à ce patient, surtout quand la cadre du service est venue m’annoncer la date, le lieu et l’heure de l’enterrement de Monsieur P. Ou encore lorsqu’une des soignantes me dit : « tu vois, c’est peut-être parce que tu lui as dit que c’était ton dernier jour qu’il s’est laissé partir aussi… ».

2. Analyse

Cette situation provoqua en moi un grand bouleversement. Tout d’abord car c’était la première fois que j’étais confrontée à une personne avec une maladie à un stade si évolué. La première fois aussi que je voyais un corps mort ainsi que les phases qui précèdent la mort. Je n’avais aucune image de la mort réelle, seulement des représentations. Je ne connaissais pas non plus les termes de « fin de vie » ou encore de « soins palliatifs », tout cela était très abstrait pour moi.

De plus, avec les confidences de ce patient je me suis sentie encore trop faible, trop inexpérimentée pour assumer ce récit de vie qui allait surement être la seule trace qu’on aurait de ce patient ici. Mais aussi le fait de subir des réflexions de la part de l’équipe soignante concernant ma manière de prendre en charge les patients ou du moins ce patient m’a déstabilisé. C’était surement pour mon bien, pour ne pas que je m’attache trop, pour que je prenne dès le début de ma formation une juste distance avec les patients. Mais en même temps qu’est-ce que c’est d’avoir la « bonne distance » avec un patient ? Faut-il mettre une distance pour prendre bien en charge un malade ? Une partie de l’équipe n’avait pas les mêmes valeurs que moi et j’en étais consciente. C’est pourquoi cela m’a mis en difficulté. Quand on commence un métier on veut toujours bien faire et pour cela on fait comme les autres, comme ceux qui sont expérimentés. Selon moi, pour ce métier c’est bien différent. En effet le soignant « prend soin » en fonction de ses valeurs qui lui sont propres.

Enfin, ce qui a été un frein pour moi dans cette prise en charge c’est le fait de savoir si oui ou non j’étais à ma place dans cette situation. Ai-je bien fait de faire comme les soignants qui réalisaient les dernières volontés du patient ou au contraire, était-ce trop déplacé ? Quelle est la distance à avoir lors de ces prises en charge de fin de vie ? Jusqu’où un soignant peut il aller pour accompagner le malade ? Le fait que Monsieur P soit isolé socialement m’a beaucoup fait culpabilisé de ne pas être allée à son enterrement. Mais la question restait la même, était-ce vraiment ma place, mon rôle d’y aller ?

C’est pourquoi j’aimerai m’orienter vers le questionnement suivant :

« En quoi la juste distance professionnelle dans la prise en charge d’une personne en fin de vie est si difficile à élaborer. »

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Ce thème que j’aimerai aborder me semble légitime dans le sens où il relève de la compétence infirmière. En effet il concerne la distance professionnelle que l’infirmière met ou pas en place pour accompagner et prendre soin du patient. De plus, ce sujet me parait pertinent dans le contexte actuel car avec le progrès de la médecine nous serons confrontés de plus en plus à l’accompagnement des personnes en fin de vie.

3. Concepts

A partir de cette question de départ, je vais en dégager trois concepts principaux qui me semblent essentiels afin de réaliser ce travail d’initiation à la recherche. Le premier concept que je développerai sera celui de la fin de vie. Il me semble logique de l’étudier afin de le définir, mais aussi de comprendre dans quelles situations le retrouve-t-on, comment gérer cette fin de vie, savoir s’il en existe des méthodes ou non. La fin de vie est la spécificité de ma situation, le patient que je prends en charge est en fin de vie, ce qui va bien entendu changer la prise en charge. C’est cela qui m’intéresse : la différence de l’accompagnement d’une personne en fin de vie à celle d’un patient en service ambulatoire par exemple.

Dans un deuxième temps, je me consacrerai au terme de distance professionnelle, l’élément clé de ma situation. Je définirai avec mes mots puis à l’aide des auteurs ce terme, j’étudierai les différents types de distance. Je chercherai en relation avec la distance, ce qu’est aussi un professionnel : peut-on être professionnel sans mettre de distance, ou au contraire en en mettant une…Dans ma situation il me semble avoir eu une distance trop faible avec ce patient, ce qui a laissé place à une charge émotionnelle importante lors de sa mort. C’est pourquoi je souhaite m’y intéresser afin d’avoir un positionnement différent et peut-être plus adapté pour mon métier proche.

Mon troisième concept sera centré sur les émotions. J’étudierai principalement celles que j’ai ressenties au cours de cette situation et je les mettrai en lien avec l’évolution de ma relation avec Monsieur P. Les émotions sont des facteurs directs qui ont contribué à la mise en place de cette distance professionnelle étroite avec le patient. Il me semble évident que ces émotions jouent un rôle important dans ma situation, car c’est grâce à ces émotions que j’ai pu établir une relation avec Monsieur P. mais c’est aussi « à cause » de ces émotions que la rupture avec le patient a été si difficile. Je voudrais donc rechercher à travers ce travail comment peut-on gérer ses émotions pour vivre au mieux son métier de soignant.

Je finirai ce cadre conceptuel avec le grand terme de la communication. Qu’est un soignant sans communication ? Quelle soit verbale ou non verbale la communication est essentielle dans la relation soignant-soigné. J’étudierai donc les différentes méthodes de communiquer mais aussi je mettrai en lien l’interprétation de cette communication. En effet ceci fait écho à ma situation, car c’est vraisemblablement du à une interprétation différente de la mienne que le patient a pu se confier autant à moi, sur des choses qui lui étaient propres. Grâce à cette communication et donc à une interprétation propre à chacun des interlocuteurs, une relation s’est crée avec cette plus ou moins distance.

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CADRE CONCEPTUEL

1. La fin de vie 1.1 Définition

Selon moi, la fin de vie est la phase terminale d’une personne, c’est la dernière étape, celle qui précède la mort. A ce moment là, le malade sait qu’il va mourir, il le sent. Il vit alors ses derniers instants, réalise ses dernières volontés. On aimerait que cette fin de vie ne se fasse pas seule, mais que se soit un cheminement du malade mais aussi de ses proches pour un accompagnement sain et serein. Je ne peux définir ce concept qu’à travers l’expérience de ma situation faisant l’objet de mon travail.

Pour Jean Léonetti, homme politique mais surtout médecin cardiologue ayant donné son nom à la loi Léonetti, la fin de vie est une « période ultime de l’existence humaine, où la qualité de la vie doit primer sur la durée de la vie »2. Il est vrai que grâce à ces travaux aboutissant à la loi Léonetti3, la fin de vie devrait être vécue non plus comme un acharnement thérapeutique mais plutôt comme une fin de vie paisible où le patient est dompteur de sa mort.

Pour Marie De Hennezel, psychologue et psychanalyste, ayant accompagné de nombreuses personnes vers la fin de vie, cette phase est pour elle « le moment culminant de notre vie, son couronnement, ce qui lui confère sens et valeur. »4 De cette approche, nous pouvons noter une grande différence avec mon point de vue. Pour cet auteur, la fin de vie est bien un moment de vie, où beaucoup de choses peuvent encore être vécues. Tandis que pour moi cette phase marquait plutôt la fin. Peut-être cette différence, non négligeable, de point de vue est due à chacune de nos expériences. Marie De Hennezel, elle, est une femme avec beaucoup d’expérience, qui a travaillé depuis plus de dix ans dans une unité de soins palliatifs, elle a donc accompagné de nombreux patients vers une mort sereine et s’est enrichie de ces expériences. En revanche, moi, cette situation de fin de vie n’est que ma première et je n’ai que des représentations et très peu d’expérience pour vivre au mieux cet accompagnement. Marie De Hennezel écrit une phrase, qui rejoint ma situation et introduit mon questionnement de départ, qui est : « l’espace-temps de la mort est, pour ceux qui veulent bien entrer dedans et voir au-delà de l’horreur, une occasion inoubliable d’intimité. »5

Dans ce grand thème qu’est la fin de vie, de nombreux points méritent d’être éclaircis, afin de mieux le comprendre mais aussi pour élucider la spécificité de ma situation. En quoi le fait que le patient soit en fin de vie a changé ma prise en charge, et plus particulièrement la distance que j’ai eue du mal à trouver ? Pour cela, je vais m’intéresser aux soins palliatifs, leurs spécificités, la prise en charge. Je chercherai aussi en quoi l’image de la mort a pu influencer cette prise en charge et cet attachement au patient paradoxalement à une image négative que son corps me renvoyait. 2 AUBRY, Régis, DAYDE, Marie-Claude. Soins palliatifs, éthique et fin de vie : Lamarre. 2013. p.IX (préface) 3 Loi relative aux droits des malades et à la fin de vie (loi n°2005-370 du 22 avril 2005). 4 DE HENNEZEL, Marie. La mort intime. Editions Robert Laffont, Paris, 1995. p.13 5 Ibid p.232

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1.2 Soins palliatifs

Si je devais définir les soins palliatifs, je les décrirai comme des soins non invasifs, pour le bien être et le confort du patient, dans la continuité des soins, mais qui ne traitent plus la maladie mais bien le malade cette fois. Les personnes atteintes de maladies graves, incurables peuvent encore vivre, se sentir vivantes grâce à ces soins.

Une définition des soins palliatifs nous est donnée par le Centre National Des Ressources des soins palliatifs : « Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. Ces soins ne sont alors pas exclusivement réservés aux personnes en fin de vie, mais peuvent être dispensés en amont à des personnes malades chroniques, en situation de handicap, à des personnes âgées et dépendantes. »6 Il faut savoir aussi, selon la loi, que « Toute personne malade dont l'état le requiert a le droit d'accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. » 7 Pour prendre en charge au mieux ces patients nécessitant de soins palliatifs des structures ont été mises en place. Il y a les unités de soins palliatifs (USP), basée pour notre territoire sur le Centre Hospitalier de Douarnenez, les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP), les réseaux de soins palliatifs comme « Betek Pen » sur notre territoire et les lits identifiés soins palliatifs (LISP) que bénéficiait Monsieur P.

Dans de nombreuses définitions, telles que la loi n°99-477 du 9 juin 1999 ou encore celle de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP) en 1996, les soins palliatifs sont réalisés par une équipe interdisciplinaire, c’est un point essentiel que tous évoquent. En effet, qu’ils soient médecins, infirmiers, aides soignants, animateurs, psychologues, diététiciens ou autres, tous participent à la prise en charge palliative du patient. Chacun apporte son savoir, ses valeurs, ses devoirs. Dans ma situation, cette prise en charge palliative a été vécue différemment selon les acteurs, du moins c’est ce que j’ai ressenti. Chacun, selon leurs valeurs, ont apporté ou non des soins à ce patient. Un clivage de l’équipe s’est fait ressentir, il y avait ceux qui prenaient en compte l’état du patient, et d’autres non. Ces derniers disaient qu’ils n’avaient pas le temps ou alors qu’ils n’étaient pas formés à cela. En effet, Monsieur P. occupait un lit identifié soins palliatifs, et on peut se poser la question de l’existence ou non d’une formation concernant ces lits spécialisés.

Je ne peux parler de soins palliatifs sans parler du projet de loi PS-UMP qui a été soumis au vote le 10 mars 2015 concernant les modifications sur la législation actuelle de la fin de vie. Ce projet comporte trois points principaux. Le premier est celui concernant les directives anticipées du malade. En effet dans la loi actuelle toute personne consciente peut décider de sa fin de vie en écrivant sur un papier libre ses désirs face à sa fin de vie. Ces directives seront valables 3 ans et le dernier choix sera fait par le médecin. Or, dans le projet de loi, ces directives seront sans limite de validité et le médecin devra suivre les volontés du patient. Dans un deuxième point on retrouve la personne de confiance déjà présente dans la législation actuelle mais qui prônera dorénavant, si la loi est votée, sur toutes les décisions si le malade lui-même n’est plus à même de choisir. Le médecin se tournera vers cette personne de confiance si une décision doit être pris et si cas échéant, il cherchera à avoir la volonté du patient 6 Site internet : www.soin-palliatif.org 7 Art. L. 1er A. de la loi no 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs.

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auprès de sa famille ou ses proches. Le dernier point principal concernant cette loi est celui sur la sédation. Cela consiste à mettre en place une perfusion avec un produit associé à un analgésique qui permettrait au patient de plonger dans un inconscient profond qui durerait jusqu’à sa mort. Ceci le soulagerait de toutes douleurs, de toutes angoisses… En plus de limiter ou arrêter les traitements en cours, ce qui figure dans la loi actuelle, la mise en place de cette sédation profonde entraînera obligatoirement l’arrêt de toute hydratation et alimentation.

Si nous revenons à la situation de Monsieur P., ce dernier bénéficiait de soins palliatifs, plus aucun soin ne lui était prodigué mis à part l’administration d’antalgique pour soulager sa douleur, une hydratation, des soins de bouche et des massages pour son bien être. Concernant les structures mises à disposition, Monsieur P occupait un lit identifié soins palliatifs mais aucun réseau ni équipes mobiles ne sont venus le voir. La prise en charge se faisait uniquement au niveau du service, ce qui a peut être accentué ma volonté à en faire plus et mon engagement émotionnel important. En revanche, Monsieur P. n’avait ni directives anticipées ni personne de confiance et pourtant il était en droit de les avoir. Si Monsieur P avait eu une personne de confiance, quelqu’un qui l’accompagnait tout au long de sa maladie, il est probable que je ne m’y attache pas autant, ou peut-être que si… Le fait qu’il y ait un tiers entre le patient et l’équipe soignante est peut être un avantage dans la prise en charge soignante, car nous, équipe soignante, tout comme le patient pouvons nous reposer sur ce tiers, cet accompagnant, et parfois même passer le relais. C’est ce qui a manqué ici dans cette situation, pour que je puisse me détacher de cette prise en charge. Cela m’aurait sûrement déculpabilisé de savoir qu’après que je sois partie Monsieur P. avait d’autres personnes à qui se confier.

1.3 Image de la mort

La mort n’est pas chose aisée à définir. En effet comment décrire la mort si après l’avoir vécu nous ne sommes plus vivants pour le témoigner… Nous définissons cette mort alors par nos représentations, nos expériences face à des personnes qui sont sur le point de mourir mais cela reste tout de même relatif car chacun de nous avons une vision différente de la mort. Cette vision de la mort est dirigée par notre angoisse, en voyant la mort de l’autre cela nous renvoie à notre propre mort. Ce qui m’a surpris en voyant Mr P. c’est l’image de son corps altéré. Dans le dictionnaire humaniste infirmier il est dit qu’ « un jugement défavorable envers soi-même peut alors entraîner une dévalorisation de son identité. L’idéal corporel est alors atteint. »8

Dans ma situation, Monsieur P. m’envoie directement à l’image que j’avais de la mort. Ce corps altéré, maigre, recroquevillé, les traits tirés, la bouche séchée, une respiration irrégulière et encombrée me donnait l’impression qu’il pouvait mourir à tout moment. Pour moi, je n’avais encore jamais été confronté à cela. Cette première approche avec Monsieur P. m’a fait peur, me repoussait. Probablement car cela me renvoyait à ma propre mort.

8 PAILLARD, Christine. Dictionnaire humaniste infirmier. Editions Setes, 2013. p.154

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1.4 L’engagement personnel

Dans l’ouvrage Soins palliatifs, éthique et fin de vie j’ai retrouvé un point qui me semble essentiel, celui de l’engagement personnel du soignant. En effet, pour prendre en charge un patient en soins palliatifs il faut procéder à « un double travail : un travail sur soi (…), d’une part, et un travail en équipe, d’autre part »9. Le travail sur soi est centré sur nos propres représentations, nos valeurs mais aussi nos limites, nos peurs. Pour prendre en charge un patient face à sa fin de vie il faut d’abord être au point sur notre propre fin de vie, ce qui nous met en relation avec nos angoisses. Le travail en interdisciplinarité est important aussi pour le soignant lui-même, il pourra poser des questions aux différents acteurs sur la prise de décision concernant un soin en particulier. Mais l’avantage aussi de ce travail en équipe est le fait que les soignants ont à leur disposition une équipe avec qui ils peuvent parler de choses qui les perturbent, qui les dérangent et sur lesquelles ils veulent avoir un avis.

Pour Frédérique Dehoorne, prendre soin est un engagement : « c’est donner du sens aux soins qui sont faits afin qu’ils contribuent réellement au bien-être de la personne soignée qui vit une situation qui lui est propre, qui lui est particulière. »10 Pour elle c’est un engagement où « l’écoute, le questionnement, l’interactivité, la coopération et la transdisciplinarité » doivent être au centre pour un soin de qualité auprès du patient.

L’engagement ou l’implication personnelle est ce qui donne un sens à notre profession d’infirmier, ce qui « donne son poids d’humanité au soin »11. Cette implication peut être affective « tant l’acte de soin est associé à la notion de bienveillance et de compassion. » 12 Il n’est pas rare de voir des soignants éprouver de la tendresse pour un patient mais cela ne fait pas de lui un soignant « trop passionné ».13 La caractéristique principale de la tendresse est « de rester centrée sur les besoins de l’autre. »14 Vu comme cela, la tendresse ne peut être néfaste à une relation soignant/soigné. Il faut avant tout l’accepter, en être conscient et savoir le partager.

Dans l’ouvrage « Communication soignant-soigné »15 j’ai retrouvé une phrase concernant l’importance de l’engagement personnel : « Le rôle et la fonction de soignant n’inscrivent pas d’emblée le professionnel dans une relation d’aide. Une dimension humaine, c’est-à-dire personnelle, doit être présente pour cela. »16 Ceci montre bien que sans un apport personnel, sans une part de nous, la relation soignant-soigné ne peut exister. A ce moment là nous serions que des « ouvriers de soins »17 qui appliquent les consignes, les protocoles, les prescriptions du médecin. Or, pour

9 AUBRY, Régis ; DAYDE, Marie-Claude. Soins palliatifs, éthique et fin de vie : Lamarre, 2013. p.9 10 DEHOORNE, Frédérique. Prendre soin, un engagement personnel et collectif. Soins, vol.53-n°723, mars 2008. p.1 11 PRAYEZ, Pascal. Distance professionnelle et qualité du soin : Lamarre. 2009. p.3 12 Ibid p.12 13 Ibid p.3 14 PRAYEZ, Pascal. Julie ou l’aventure de la juste distance. Rueil-Malmaison : Lamarre, 2005. p.50 15 BIOY, Antoine ; BOURGEOIS, Françoise ; NEGRE, Isabelle. Communication soignant-soigné. Editions Breal, 2003. 143 pages. 16Ibid p.24 17Ibid p.24

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être « professionnel humain »18 il faut bien plus que cela, il faut savoir s’adapter au patient, le prendre en compte, le patient est le centre du soin.

Prenons un exemple de situation où l’engagement professionnel et l’engagement personnel se rencontrent : lors d’un massage cardiaque on s’engage professionnellement à sauver la vie en faisant les massages cardiaques, mais quand le médecin nous dit de nous arrêter, qu’il n’y a plus rien à faire, nous voulons continuer, nous ne voulons pas lâcher. On s’engage alors ici personnellement, car on sait que professionnellement nous n’y arriverons pas mais il reste une part en nous, personnelle, qui garde espoir.

18BIOY, Antoine ; BOURGEOIS, Françoise ; NEGRE, Isabelle. Communication soignant-soigné. Editions Breal, 2003. p.24

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2. La distance professionnelle 2.1 Définitions

2.1.1 La distance Étymologiquement, la distance signifie « se tenir debout (stare, statio), en étant séparé (dis) de l’autre par un espace plus ou moins important ».19 D’après Pascal Prayez, la distance interpersonnelle se résume à « une réalité physique perceptible, celle d’une séparation d’avec une autre personne, celle d’un écart, d’un espace qui empêche le contact direct. La distance évoque le face à face, la proximité et la rencontre possible mais aussi l’évitement, l’éloignement des corps. »20

D’après Mallem Elke, notre présence auprès du patient, est une forme de distance recherchée qui va servir à ce qu’il ne se sente « seul dans son irréductible solitude d’homme séparé du reste du monde, mais également isolé du reste de l’humanité. »21 Ce point me semble important à souligner car il fait écho à ma situation avec Monsieur P. En effet, cet homme était seul, sans famille, sans amis, et inconsciemment peut-être j’ai cherché à combler ce vide en me positionnant d’une manière plus ou moins proche avec ce patient. La solitude du patient a forcément joué un rôle dans cette distance que je recherchais.

Il est vrai, que dans ma situation, lorsque j’ai rencontré Monsieur P. quelque chose m’empêchait de m’approcher plus de lui, de le toucher. Sans parler là de distance professionnelle, mais simplement une distance physique. Peut être parce que j’étais une femme et lui un homme, ou alors que j’étais la soignante et lui le patient, que j’étais jeune et lui plus âgé…

2.1.2 Le professionnel Il me semble intéressant de définir également le terme de professionnel car la définition de « distance professionnelle » fait écho tout d’abord à ce que c’est qu’être professionnel. Pour ma part, en restant dans le domaine de la santé, « être professionnel » c’est un soignant, dans ce cas, qui réalise son travail, ses tâches en tenant compte des règles, des lois mais aussi des désirs du patient qu’il soigne. Il accompagne le patient dans sa maladie en tenant compte des valeurs, des représentations, des souhaits de ce patient, sans l’induire vers telle ou telle direction. On peut parler alors des attitudes, de la classification selon Porter22. En effet cette classification explique les différentes attitudes qui existent lors d’un entretien entre deux personnes. Quand nous sommes « professionnel », il me paraît évident que le soignant reste alors dans une attitude de compréhension, son souci est porté directement sur le patient. Pour cela, ce professionnel va tenter de comprendre, en reformulant, ce que souhaite réellement le patient, et non pas ce qu’il souhaite lui. Il ne cherche donc pas à influencer le patient. De plus, pour moi un bon soignant sait gérer ses émotions. C’est-à-dire qu’il peut en avoir mais qu’il sait les utiliser, ses émotions lui sont bénéfiques et n’envahissent ni son travail, ni sa vie personnelle. Ce professionnel peut rentrer chez lui en étant fier et soulagé d’avoir participé à l’accompagnement d’un patient malade sans pour autant s’être investi de trop. Pour finir avec ce que c’est qu’« être professionnel », j’ajouterai

19 PRAYEZ, Pascal. Distance professionnelle et qualité du soin : Lamarre. 2009. p.5 20 Ibid. p.5 21 MALLEM, Elke. La distance professionnelle. Objectif Soins, n°136. Mai 2005. p.22 22 Annexe I

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que ce professionnalisme s’acquière avec l’expérience. C’est quelque chose de réfléchi et non pas d’instinctif, surtout dans cette situation qui est l’accompagnement vers la fin de vie.

Par rapport à ma situation, il me paraît justifié de dire que j’ai manqué de professionnalisme. En effet comme j’ai pu le définir, « être professionnel » dépend tout d’abord de son expérience. Or, moi j’étais encore trop jeune et immature face à cette situation d’accompagnement dans la fin de vie. J’ai agi de manière instinctive, selon mes représentations, mes valeurs, ma sensibilité, tout ce qui fait de moi une personne. J’ai ressenti des émotions mais je n’ai pas su les gérer, ce qui m’a envahi et fait culpabilisé.

2.1.3 La distance professionnelle Pour ma part, ce concept de distance est difficile à définir, sinon je n’en aurais pas fait un sujet de réflexion. Il est difficile par son caractère de subjectivité. En effet comment savoir ce qu’est ou non la bonne distance, souvent appelée la « juste distance ». Jusqu’où pouvons-nous être distants tout en restant professionnel et jusqu’où sommes-nous professionnel sans avoir un minimum de distance. Qui dit distance dit bien évidemment gestion des émotions qui nous sont communiquées par le patient. Dans le texte des recommandations concernant l’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches, qui a fait l’objet d’une conférence de consensus avec la participation de l’ANAES et de la SFAP, j’ai pu retrouver un point qui me semble essentiel et qui fait écho à ma situation avec Monsieur P. « Assumer l’accompagnement d’une personne à l’approche de sa mort en institution ou au domicile relève de la qualité d’une présence, d’une relation humaine, respectueuse, attentionnée, confiante, solidaire et continue. Cet investissement auprès des personnes est un engagement, qui nécessite compétence et retenue. »23 C’est la partie de l’engagement qui m’intéresse car ils évoquent le besoin d’avoir une expérience et une « retenue » en autre sorte, une gestion de ses émotions. Dans ma situation les deux m’ont manqué, j’étais peu expérimentée face à la fin de vie, face aux maladies incurables et donc je n’avais pas la compétence requise pour cette prise en charge spécifique. Je n’ai pas réussi non plus à gérer les émotions.

Selon Madame Elke Mallem, psychologue et formatrice à Paris, « une bonne distance professionnelle doit permettre de tenir la souffrance à un niveau qui permette de travailler avec elle afin de dégager le manque à combler, l’atteinte à réparer »24. Pour elle, la définition de la distance professionnelle est en lien avec la souffrance, celle du patient que le soignant ne doit pas ressentir lui-même : « Moi restera moi, l’autre sera toujours l’autre. Je suis témoin de la souffrance de l’autre mais ce n’est pas ma souffrance »25. C’est en réalité la définition de l’empathie, être conscient des ressentis de l’autre tout en restant à sa place. Chose que je n’ai pas réussi à faire dans ma situation, car la souffrance de Monsieur P. je l’ai également vécue, sûrement pas autant mais je me mettais à sa place par un mécanisme de défense : la « projection »26

23 Texte des recommandations, conférence consensus « L’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches » Janvier 2004. 24 MALLEM, Elke. La distance professionnelle. Objectif soins, n°136. Mai 2005. p.23 25 Ibid p.23 26 Ibid p.23

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2.2 Types de distances

E.T. Hall, anthropologue, est le fondateur de la proxémie. Il la définit comme « l’ensemble d’observations sur l’usage que l’humain fait de l’espace qui l’entoure et le sépare de ses alter ego. »27 Selon lui, il existe quatre principaux types de distance.

Dans un premier temps, la distance publique où les interlocuteurs sont éloignés l’un de l’autre, ils se situent même à une distance supérieure de 3m60. Ces corps sont sans volume et les détails de leur visage ne sont même pas visibles. Je n’ai pas rencontré ce type de distance dans ma situation avec Monsieur P.

Ensuite il y a la distance sociale qui met en scène deux interlocuteurs, parlant à voix haute avec un contact du regard. Ces deux personnes se situent à 1m20 de distance, minimum. Je me suis retrouvée dans cette distance avec le patient au tout début, lorsque je le rencontre pour la première fois. Je lui dis « bonjour » de loin, à voix haute. Ou encore lorsque je lui faisais son lit et que lui était installé sur le fauteuil. Je lui parlais au même temps, à voix haute, tout en le regardant pour voir s’il ne manquait de rien.

On retrouve après la distance personnelle , où la tonalité de voix change, où l’on touche et l’on peut être touché. Cette distance est de 1m20 à 45cm. Pour cette distance il faut un degré minimal de confiance, et on se fixe sur une partie du corps de notre interlocuteur (couleur des yeux, détails du visage…). Cette situation je l’ai vécue quand j’évaluais la douleur de Monsieur P. Je me mettais proche de lui et lui demandait s’il avait mal de manière « douce », en même temps je fixais son visage pour détecter des signes de douleur, comme la crispation, le froncement de sourcils.

Et pour finir, plus près encore, il existe la distance intime . Les interlocuteurs sont placés là à au moins 45cm jusqu’ au contact physique. La communication verbale n’est plus prépondérante, les dialogues sont peu construits, on laisse place à des chuchotements. La perception olfactive est alors développée, mais aussi le repérage du rythme respiratoire de l’autre. Le non-verbal est alors maître du jeu, le contact physique domine la conscience des interlocuteurs. Les circonstances de cette distance sont bien souvent la violence ou bien l’érotisation et la sexualité ou encore le soutien et la protection. Cette distance intime je l’ai également vécue lors des derniers instants de Monsieur P., pour moi c’était une façon de le soutenir, de l’accompagner car je voyais bien que c’était ses derniers instants. J’ai pris sa main et je fixais sa cage thoracique, je ne lui parlais pas. J’écoutais aussi les râles et j’attendais ses derniers…

On voit bien que j’ai été dans différentes formes de distance. Mais cela ne s’est pas fait en même temps. Cela a évolué vers une distance plus intime, plus Monsieur P. souffrait. Ce qui montre bien que j’ai agi de cette manière dans le but de le protéger, de le soutenir. Il était seul et avait besoin de quelqu’un pour l’accompagner, du moins c’est ce que moi je ressentais, j’avais ce sentiment de devoir substituer ce manque.

2.3 Enjeux / limites

L’enjeu principal dans cette distance professionnelle est de trouver la juste distance . Celle-ci est définie par Pascal Prayez comme la « capacité à être au contact d’autrui en pleine conscience de la différence des places. (…) l’identification à l’autre est un

27 HALL, Edward T. La dimension cachée. Paris : Point-Seuil, 1986. [cité par PRAYEZ, Pascal. Julie ou l’aventure de la juste distance. Rueil-Malmaison : Lamarre. 2005].

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mouvement imaginaire. Et même si le fait de se mettre en pensée à la place de l’autre peut nourrir une certaine empathie, fondamentalement, je ne suis jamais à la place de l’autre. Ce qui ne signifie pas : incommunication ou rencontre impossible. »28 C’est à l’aide de cette définition que je vois ma position lors de la prise en charge de Monsieur P. Je n’étais pas vraiment dans une juste distance car je ne ressentais pas une empathie mais bien de la sympathie qui elle représente un : « penchant naturel, spontané et chaleureux de quelqu’un vers une autre personne. »29 Dans cette situation je me mettais « à la place de » sans réellement rester à la mienne. En effet, voir Monsieur P. seul, sans que personne ne vienne le voir, je me disais que j’aurais aimé que quelqu’un s’intéresse à moi, vienne me voir avant que je meurs… Alors j’ai substitué ce manque et je me suis mis à la place d’une famille, de proches, ce qui n’était pas ma place.

Pour Madame Elke Mallem, la distance professionnelle est une chose qui se travaille et qui consiste en trouver ses propres limites , c’est l’enjeu fondamental. Ces limites, pour elle, c’est la « bonne peau »30 que l’homme sait se construire. Elle donne l’exemple de notre maison qui « nous permet de trouver refuge, de nous isoler »31 mais aussi « notre blouse blanche qui nous permet de faire des choses qu’on ne ferait jamais sans elle »32. Cette peau peut aussi être le résultat de notre « appartenance sociale, de notre histoire dans laquelle nous avons édifié nos croyances et valeurs »33. Selon cette psychologue, si nous avons une bonne peau, « la distance n’a plus d’importance »34. Tous ces arguments de Madame Elke Mallem, font écho à ma situation personnelle qui n’était pas stable à ce moment là et qui a donc pu faire que je n’avais pas encore cette bonne peau pour pouvoir faire face à la souffrance de ce patient qui me touchait tant.

Pascal Prayez parle aussi d’une « juste distance non défensive »35 et c’est certainement la meilleure forme pour prendre soin d’un patient. Cela consiste en porter une écoute, une attention particulière à l’autre tout en restant à sa place. Et pourtant, dans ma situation j’ai l’impression d’avoir réussi à mettre cela en œuvre. Lorsque j’apportais à Monsieur P. une tablette de chocolat, je savais que c’était son plaisir car il nous le disait. J’ai donc écouté le patient et agis en conséquence tout en restant à ma place car je n’ai pas mangé avec lui par exemple.

En revanche il faut éviter de franchir certaines limites, comme le « syndrome de la relation d’aide » ou encore la distance excessive. Dans le premier, il est important de ne pas confondre la relation professionnelle et la relation privée. Au travail, on se doit de soigner selon nos valeurs, nos droits et devoirs mais vouloir à tout prix aider l’autre, jouer le rôle du sauveur n’est pas une bonne chose. Cela entrainerait un excès de réparation ou de culpabilisation, ce qui est très difficile pour un soignant de gérer.

Concernant la distance excessive, si on a peur d’être trop attaché, trop près et qu’on veut s’éloigner en prenant le plus di distance possible, cela aseptise la relation

28PRAYEZ, Pascal. Julie ou l’aventure de la juste distance. Rueil-Malmaison : Lamarre, 2005. p.235 29 Dictionnaire Larousse. http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sympathie/76073 30 MALLEM, Elke. La distance professionnelle. Objectif soins, n°136. Mai 2005. p.23 31 Ibid. p.23 32 Ibid. p.23 33 Ibid. p.23 34 Ibid. p.23 35 PRAYEZ, Pascal. Distance professionnelle et qualité du soin : Lamarre. 2009. p.XVIII

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soignante de tout affect. Il y aura alors une perte de sensibilité à l’autre, on soignera le patient comme un objet, les uns après les autres, sans les prendre en considération. Cette distance mène également à une perte de l’engagement et donc du sens de la profession infirmière.

De plus, si une relation est fusionnelle cela entraîne un refus des autres et c’est problématique car Monsieur P. nécessite de soins même quand je ne suis pas là et qui du coup seront dispensés par d’autres.

Afin d’éviter toute distance professionnelle trop étroite ou ambigüe avec un patient, il existe des « mécanismes défensifs protecteurs »36 à mettre en place qui nous sont décrits par Pascal Prayez. Il y a tout d’abord la professionnalisation avec le discours médical, l’utilisation de mots scientifiques ou encore avec les gestes techniques pour apporter les soins au patient. On peut également mettre en place l’élaboration de nos sentiments, nos ressentis. C’est-à-dire mettre des mots sur ce qu’on ressent, sur une situation qui a été difficile pour nous, et ne pas hésiter à poser des questions pour avoir des réponses claires et pouvoir mieux vivre une situation semblable. Puis l’auteur nous parle aussi d’un collectif qui permettrait de mieux tenir « la distance ». Pour cela il parle d’imposer aux nouveaux venus d’un service, la confrontation directe face à la mort, par exemple ne pas prévenir que le patient est décédé et demander à ce nouveau venu d’aller apporter à boire à ce patient. Ce serait donc une méthode pour maintenir sa distance. Ou alors, dans ma situation, le premier jour lorsque l’infirmière veut me présenter le patient qui sera le « mieux » pour une prise en charge étudiante, en réalité c’est celui qui fait le plus « peur ».

« Soigner exige de prendre soin du corps d’un sujet blessé dans sa corporalité, celui qui soigne étant assuré de ses limites dans sa capacité à la compassion juste »37

36 PRAYEZ, Pascal. Distance professionnelle et qualité du soin : Lamarre. 2009. p.33 37 GREIS, Brigitte. De la perte de soi au soin des autres : Lamarre. 2007. p.48

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3. Les émotions

3.1 Définition

Dans le dictionnaire humaniste infirmier, les émotions sont définies comme une « expression verbale ou physique réactive, involontaire ou non, de personne affectée par la joie, la douleur, la colère, le chagrin, la perte… »38. Il existe six émotions de base, qui sont : la peur, la colère, la tristesse, le dégoût, la surprise et la joie. Dans mon cadre conceptuel, je ne vais m’intéresser qu’à celles dont j’ai été confrontée dans ma situation avec Monsieur P. C’est-à-dire la peur, la tristesse et la colère. Ce sont des phases par lesquelles je suis passée et qui ont évolué en fonction de la relation que j’ai pu entretenir avec Monsieur P. Je finirai ce concept « émotions » par la gestion de ces émotions, ce qu’on en fait après les avoir vécues.

3.2 Types d’émotions ressenties

3.2.1 La peur Au début de la prise en charge de Monsieur P., j’éprouvais de la peur, la peur d’un corps que je ne connaissais pas et qui me repoussait, la peur de cette maladie qui tuait peu à peu cet homme que je ne connaissais pas. C’est une situation étrange, un sentiment de mal-être face à un corps, une maladie, un homme qui me faisaient peur.

Définition du dictionnaire humaniste infirmier : « état affectif plus ou moins durable, pouvant débuter par un choc émotif, fait d’appréhension et de trouble, qui accompagne la prise de conscience ou la représentation d’une menace ou d’un danger réel ou imaginaire.39 » En effet, pendant un certain temps, j’avais peur de rentrer dans la chambre de Monsieur P. L’infirmière m’avait tellement défini ce patient comme un « patient parfait » pour prendre en charge, qu’il était en fin de vie, qu’il allait bientôt mourir et que donc se serait intéressant de s’en occuper. Des représentations me sont alors venues, celles de la mort de ce patient, de ma mort.

Dans l’ouvrage Communication soignant-soigné, il est ajouté que la peur provoque des réactions « plus ou moins adaptée : fuite, immobilité, dissimulation, ou encore agressivité. »40 Il est vrai que dans ma situation, lors des premières fois où je voyais Monsieur P. je restais immobile face à ce corps qui me faisait peur, l’infirmière me parlait, me demandait de lui passer le matériel pour réaliser les soins mais moi je ne bougeais pas. J’étais comme perdue dans cette vision de ce corps, je ne voyais que cela, j’étais à part.

3.2.2 La tristesse Puis après m’être « habituée » à ce corps, j’ai ressenti de la tristesse, de la peine pour ce patient que personne ne venait rendre visite, qui était là et qui attendait sa fin. De plus, ce patient me racontait des moments difficiles de sa vie, qui me laissaient triste, sans voix, sans aucune réponse. Je me sentais inutile aussi face à cette maladie qui rongeait ce monsieur, je ne pouvais rien faire, et cela me rendait triste.

Selon le centre national des ressources textuelles et lexicales, la tristesse est définie comme un « état d'incapacité à éprouver de la joie, à montrer de la gaieté, se

38 PAILLARD, Christine. Dictionnaire Humaniste Infirmier. Editions Setes 2013. p.108 39 Ibid, p.201 40 BIOY, Antoine. BOURGEOIS, Françoise. NEGRE, Isabelle. Communication soignant-soigné. Editions Breal, 2003. p.53

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traduisant notamment par les traits du visage affaissés, le regard sans éclat. »41 Il est vrai que le vécu de ce patient ne remplissait pas une personne de joie, sa vie était triste et solitaire, je ne pouvais donc pas m’en réjouir. Je n’ai pas réussi à surmonter cela, sûrement que la meilleure solution aurait été de faire changer les idées au patient, il aurait peut-être aimé me voir sourire au lieu de m’apitoyer sur son sort.

3.2.3 La colère Cette émotion je l’ai ressentie lorsqu’une partie de l’équipe soignante m’a incité à ne plus prendre en charge Monsieur P., ou encore quand elle m’a dit que si Monsieur P. est décédé c’est qu’il était trop attaché à moi. Cela m’a mis en colère car j’avais l’impression que cette partie de l’équipe soignante mettait toutes les fautes sur moi, et moi j’avais le sentiment d’avoir juste pris en charge un patient comme un autre…

Dans le manuel de psychologie du soin la colère est « une émotion importante, forte car elle relie la personne à son système de besoins et de valeurs : besoin de se sentir reconnue, de se sentir exister, l’importance de pouvoir s’affirmer. Ce comportement apparaît alors comme une façon de traduire son angoisse. Le soignant incriminé n’est souvent que le symbole de ce qui est intolérable au patient, le porteur de l’acte qui est cause de sa colère. »42

3.3 La gestion des émotions

« Il est possible d’apprivoiser ses émotions en apprenant à les ressentir sans se laisser emporter et à décrypter leur message. La bienveillance envers soi-même et la patience sont les maîtres-mots pour se libérer de l’emprise des émotions. »43

Dans un premier temps, selon Claudine Carillo, formatrice consultante en relations humaines, il faut « prendre conscience de ses émotions »44. En effet, en prendre conscience, permet de savoir qu’elles existent, qu’elles sont en nous et qu’elles viennent au travers de situations gênantes ou au contraire plaisantes. On peut en prendre conscience à l’aide « des sensations physiques qui les accompagnent »45.

Il faut ensuite « accepter les émotions »46, autant dire « être authentique ». Le métier d’infirmier est un métier humain où être à l’écoute de l’autre est indispensable. C’est pourquoi, on ne peut pas toujours rester insensible aux vécus de certains patients. L’important c’est de savoir reconnaître quand cela nous arrive pour pouvoir l’accepter, y travailler et avoir une position professionnelle lors de la prochaine situation.

Et pour finir il est nécessaire d’« agir pour se libérer de l’emprise de l’émotion »47. Pour cela il suffit d’en faire part à des collègues de travail, aux médecins ou aux psychologues qui sauront nous « écouter sans donner de conseils ni émettre de jugement »48. Il ne faut, en aucuns cas, garder des émotions désagréables en nous.

41 Site internet du CNRTL : http://www.cnrtl.fr/lexicographie/tristesse 42 BIOY, Antoine ; FOUQUES, Damien. Manuel de psychologie du soin. France : Bréal. 2002. P.317 43 CARILLO, Claudine. Stress et émotions, entre débordement et hyper-protection. Soins n°754. Avril 2011. p.61 44 Ibid p.61 45 Ibid p.61 46 Ibid p.61 47 Ibid p.61 48 Ibid p.62

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4. La communication

« Le pré requis à une communication efficiente est donc, d’une part, un certain savoir concernant sa propre personne et, d’autre part, une aptitude à l’humilité pour être ouvert à la parole et à l’écoute. »49

4.1 Définitions

Dans le dictionnaire Humaniste Infirmier, la communication est définie comme telle : « l’émetteur envoie un message au récepteur par un canal de transmission (…). Le récepteur reçoit et décode le message. Si le récepteur répond, il devient émetteur et c’est ce qu’on appelle le feed back. »50

Pour Antoine Bioy, la communication est la « mise en relation entre divers intervenants, dont le but est la transmission et le partage d’informations. La communication utilise un support verbal (le langage), non verbal (gestualité) et paraverbal (regard, ton de voix…). »51

4.2 La communication verbale

Dans un premier temps, avec Monsieur P., nous pouvions communiquer verbalement. Pour moi c’était plus facile car quand il n’allait pas bien, il pouvait me le dire. Mais c’était aussi un moment d’incertitude, d’angoisse qui pouvait me laisser mal à l’aise. Parfois, j’entrais dans la chambre et je ne savais pas de quoi j’allais parler, ou bien lorsque Monsieur P. me confiait des moments difficiles de sa vie, ou alors quand, tout simplement, ce n’était pas un « bon jour » pour moi et que je n’avais pas envie de parler. Je me suis alors intéressée aux différentes techniques de communication verbale.

Dans le Dictionnaire Humaniste Infirmier52, il nous est montré ces différentes techniques. Tout d’abord il y a le reflet simple qui consiste à prouver au patient, par une simple reformulation, son ressenti. Cela permet aussi, à nous soignant, de voir si nous avons bien compris ce qu’a voulu nous transmettre le patient. Il existe aussi la synthèse qui permet au soignant d’aider le patient lorsque celui-ci semble perdu dans ses pensées. Pour cela il va synthétiser les dires du patient. Nous pouvons également utiliser les questions , ouvertes ou fermées, pour rechercher des informations, pour préciser des réponses déjà données ou alors pour prouver notre intérêt et encourager le patient à continuer. Le feed back est une méthode utilisée pour rappeler au patient des évènements rencontrés auparavant. Cela peut-être positif ou négatif, lui rappeler un bon souvenir par exemple ou alors lui rappeler un souvenir douloureux et qu’on n’aimerait pas que cela recommence. On peut parfois utiliser la révélation de soi . C’est le fait d’être vrai, d’être authentique avec le patient, ne pas le laisser penser des choses qui ne sont pas vraies. La réciprocité est le fait d’avouer ses faiblesses au patient, nous aussi soignant on peut ne pas aller bien. Cela peut encourager le patient, dans le sens où nous aussi on peut être « faible », il n’est pas tout seul. Puis, pour finir, il existe l’avis et l’information où souvent le patient a comme représentation un

49 AUBRY, Régis, DAYDE, Marie-Claude. Soins palliatifs, éthique et fin de vie : Lamarre. 2013. p.23 50 PAILLARD, Christine. Dictionnaire humaniste infirmier. Editions Setes, 2013. p.57 51 BIOY, Antoine. BOURGEOIS, Françoise. NEGRE, Isabelle. Communication soignant-soigné. Editions Breal, 2003. p.140 52 PAILLARD, Christine. Dictionnaire humaniste infirmier. Editions Setes, 2013. p.61

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soignant avec une connaissance pure et ne voit pas en lui une compétence relationnelle. C’est au soignant alors de clarifier le but de son questionnement.

4.3 La communication non-verbale

Dans un second temps, Monsieur P., dû à sa maladie qui le rongeait peu à peu, ne pouvait plus communiquer verbalement. La communication se faisait alors par les traits du visage, par des regards insistants ou au contraire vides, par le toucher, par des signes de la tête.

Dans l’ouvrage Communication soignant-soigné, il est dit que « le langage du corps est le seul qui soit sincère, et le geste se transforme en indice d’une bonne écoute. »53 Des chiffres tirés d’études de publicitaires révèlent qu’un message est représenté par « 7% de paroles, 38% d’intonations et 55% de langage gestuel. »54 Ceci montre bien l’importance de la communication non-verbale dans nos messages. Et cela fait écho à ma situation avec Monsieur P., plus le temps avançait et moins Monsieur P. était capable de parler. Mais ses gestes et ses regards voulaient dire bien plus. En effet c’était dans ces moments là que je comprenais mieux le patient que j’avais en charge, ses crispations me prouvaient sa douleur, son regard fixe et sa main qui prenait la mienne cherchaient du réconfort et de l’assurance…

Dans le dictionnaire humaniste infirmier55, les techniques de communication du non verbale sont nombreuses. Antoine Bioy les reprends également plus ou moins de la même manière. Premièrement il existe le toucher , qui peut venir du patient ou du soignant. Dans ce sens, c’est pour apporter un soin mais aussi pour réconforter. Dans le sens du patient, c’est pour demander de l’aide ou simplement pour prouver sa reconnaissance. Il y a aussi la distance ou appelé également la proxémie, que j’ai développée dans le concept précédent, avec les quatre distances de bases : publique, sociale, personnelle et intime. On retrouve également dans ces techniques de communication les positions . Si nous nous mettons face à un patient en position debout, les bras croisés, cela va prouver notre désintérêt. Au contraire, si nous nous asseyons auprès du patient en souriant, en le regardant franchement cela va permettre au patient de se sentir écouté et va donc l’encourager à poursuivre. Il y a aussi, un point qui me semble essentiel, le regard . C’est la première chose qui détermine si oui ou non nous sommes intéressés par notre interlocuteur. Le regarder souvent est signe de notre préoccupation pour lui. Selon Antoine Bioy, il existe aussi différents types de regard : le regard professionnel, le civil et l’intime. On retrouve d’autres techniques comme l’odorat , l’écoute , le silence ...

Ce type de communication, le non-verbal, révèle pour moi une situation d’intimité, de proximité. Ce « non-parlé » ne s’est fait qu’après de nombreuses semaines passées aux côtés de Monsieur P., quand la relation était déjà bien installée. Plus notre « relation » évoluait et moins nous avions besoin de nous parler, un geste, un sourire, un regard suffisait.

53 BIOY, Antoine. BOURGEOIS, Françoise. NEGRE, Isabelle. Communication soignant-soigné. Editions Breal, 2003. p.45 54 Ibid p.45 55 PAILLARD, Christine. Dictionnaire humaniste infirmier. Editions Setes, 2013. p.62

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4.4 La communication dans la distance professionnel le

Mallem Elke dit que « nous craignons la perte de nos limites, et quand les limites sont floues, la communication du patient bouscule l’équilibre du soignant »56. Nous avons vu plus haut, que la distance professionnelle est représentée par nos limites. Cette affirmation de Madame Mallem résume parfaitement ce que j’ai vécu lors de ma situation avec Monsieur P. Etant confrontée pour la première fois à une fin de vie, je ne connaissais pas encore mes limites dans ce type de relation et lorsque Monsieur P. ne communiquait plus verbalement avec moi, je me sentais plus proche de lui car je voulais à tout prix savoir ce qu’il voulait. Et cela me bouleversait, j’étais dans la peur de ne pas satisfaire ses demandes, c’était quelque chose de difficile à gérer pour moi. C’est pourquoi cette phrase fait écho en moi.

Cette psychologue dit aussi que « la bonne distance dans le soin serait celle qui permette d’entendre, grande ou petite »57. En effet, l’essentiel est de pouvoir entendre ce qu’a à nous dire le patient pour répondre au mieux à ses besoins. Cette distance peut être plus ou moins grande tant qu’elle nous « protège de tout en permettant d’échanger avec le monde »58. De plus, j’ai pu noter à travers ma situation avec Monsieur P., que la relation entre communication et distance physique pouvait aussi exister. Au début de la prise en charge, j’étais éloignée physiquement de Monsieur P. et je lui parlais fort et beaucoup. Et plus la distance physique diminuait, donc plus j’étais proche et plus la communication devenait non verbale, c’était plus le toucher, les regards, le silence.

56 MALLEM, Elke. La distance professionnelle. Objectif soins, n°136. Mai 2005. p.23 57 Ibid p.22 58 Ibid p.23

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CADRE PRATIQUE

1. Présentation du dispositif et des modalités d’en quête 1.1 Choix et construction de l’outil d’enquête

Afin de comparer mon cadre théorique avec le milieu professionnel, j’ai choisi de réaliser des entretiens avec des infirmiers. Pour cela j’ai élaboré un guide d’entretien59. J’ai choisi un guide d’entretien semi-directif, où je laisserai l’interlocuteur répondre librement grâce aux questions ouvertes mais en lui donnant tout de même un fil conducteur. Pour cela j’ai une question principale avec des sous-questions si l’interlocuteur s’éloigne de mon objectif. En effet, j’ai défini une question principale par sous concepts et j’ai fixé un objectif. Cela me permettra de garder en tête pourquoi je pose cette question et ce que je veux en retirer. C’est un guide qui contient treize questions, une première partie concernant le professionnel lui-même, afin de faire connaissance et d’installer une relation de confiance. Puis la deuxième partie des questions fait l’objet même de mon sujet, ce sont des questions qui me permettront dans un second temps d’analyser ce qui est dit dans les textes et ce qui est réellement vécu dans les services de soins.

1.2 Choix des lieux et des populations

Pour réaliser les entretiens j’ai choisi d’interviewer deux infirmiers d’un service de médecine où il existe des lits identifiés soins palliatifs. J’ai pu réaliser un stage dans ce type de service où l’équipe m’avait fait part de cette difficulté de prise en charge de ces lits spécifiques. Je vais alors m’intéresser à ces infirmiers et voir si cette difficulté peut jouer un rôle dans la distance professionnelle avec un patient en fin de vie. Je réalise un troisième entretien dans un service d’Unité de Soins Palliatifs (USP). Cette fois ci le service est spécialisé dans la fin de vie et l’accompagnement. Je trouve intéressant de comparer les réponses que pourront me donner les infirmiers du service de médecine et celles du service d’USP. Il y aura peut-être une différence dans l’approche de l’accompagnement d’un patient en fin de vie dans cette unité spécialisée où les soins palliatifs sont leur quotidien, contrairement au service de médecine où il existe d’autres lits non spécialisés et qu’il faut aussi bien prendre en charge.

1.3 Modalités de réalisation

Afin de trouver des soignants disponibles pour répondre à ma demande, j’ai contacté préalablement les cadres du service intéressés. Ils m’ont alors proposé des rendez-vous selon les disponibilités de chacun. Je n’ai pas eu d’entretien dans le service de médecine que je souhaitais, du fait qu’il y ait plusieurs arrêts maladies et que se soient les vacances scolaires. J’ai donc du contacter la cadre d’un autre service de médecine qui elle pouvait me donner qu’un seul rendez-vous, alors que je comptais en réaliser deux dans ce service. J’ai donc fait appel à une connaissance, travaillant sur Paris, dans un service accueillant également des lits identifiés soins palliatifs. Pour réaliser ces entretiens, je me rends sur place, dans le service de médecine et dans l’unité de soins palliatifs. Je réalise d’abord l’entretien avec l’infirmière d’USP sur son temps de travail. Je m’équipe d’un magnétophone afin d’enregistrer l’échange, avec une

59 Annexe II

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autorisation préalablement demandée, ce que je ferai pour tous les entretiens. Je me rends ensuite dans le service de médecine où je réalise un entretien avec une infirmière, également pendant son temps de travail. Le troisième entretien a été réalisé à mon domicile.

1.4 Traitement des données recueillies

Je retranscris ensuite chaque entretien, de façon anonyme où je donnerai des surnoms à chaque infirmière interrogée. Ensuite, dans une grille d’analyse60, je remplirai les moments marquants de chaque infirmière pour chaque question. J’ai également ajouté une case « commentaires » où je réunirais les réponses des trois infirmières, toujours par question. J’analyserai enfin de manière linéaire les éléments donnés par ces professionnelles, que je mettrai en lien avec les résultats de mes recherches de cadre théorique. Je synthétiserai enfin, les réponses importantes, qui vont élucider ou non la question de départ. Dans ce cas, j’aborderai une nouvelle question, plus spécifique cette fois, qui ferait objet d’un nouvel outil de recherches.

60 Annexe VI

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2. Analyse des données recueillies 2.1 Faire connaissance avec le soignant

Une des infirmières, que j’ai surnommé Cathy par soucis d’anonymat, est diplômée depuis 2010. Elle passe son DU « accompagnement et soins palliatifs » sur Brest. Son parcours professionnel a débuté en service de soins de suite et de réadaptation, puis elle a fait de la médecine, de la cancérologie, de la diabétologie, les urgences et le service de médecine post urgences de nuit. Elle est dans le service d’unité soins palliatifs depuis juin 2011. Travailler dans ce service était son projet professionnel.

La deuxième infirmière que j’ai interrogée, surnommée Annie, est diplômée elle depuis 2002. Elle n’a pas reçu de formation supplémentaire. Elle a également un parcours professionnel varié, elle a commencé dans le Morbihan où, pendant un an, elle a fait des remplacements en chirurgie, puis en médecine gériatrique. Elle a travaillé ensuite pendant six, sept ans dans un service de réanimation. Puis, elle est arrivée sur le CHIC où elle s’est installée rapidement dans le service de médecine à Concarneau, elle y est depuis 2009. Ce n’est pas forcément un choix de sa part de travailler dans ce service mais elle s’y plaît.

Véronique est la troisième infirmière que j’ai interviewée. Elle est diplômée depuis 2010 et n’a pas de formation supplémentaire. Elle a travaillé pendant quatre ans dans un service de psycho-gériatrie puis en gériatrie aiguë. A ce jour, elle est dans un service de psycho-gériatrie et unité cognitivo-comportementale où il existe des lits identifiés soins palliatifs. Elle dit avoir toujours voulu travailler en gériatrie.

Ces trois infirmières, au parcours professionnel varié, m’ont apporté, chacune à leur manière, des éléments essentiels pour réaliser ce travail de recherches. Les trois semblent passionnées par leur métier et satisfaites de travailler dans leur service. Annie, avec son expérience plus importante, apportera beaucoup de situations vécues mais pas uniquement dans les services spécifiques à la fin de vie, ce qui perturbera les entretiens. Cela reste tout de même intéressant. Pour les deux autres infirmières, leur expérience reste centrée sur la fin de vie, ce qui facilitera les entretiens.

2.2 Les soins palliatifs

2.2.1 Définition « Si on commence par les soins palliatifs, que repr ésentent ce terme pour vous ? »

Pour la première infirmière, Cathy, les soins palliatifs c’est « prendre en charge un patient et sa famille, avec des symptômes complexes, difficiles à gérer dans d’autres services ». Pour elle, les soins se rapportent à soulager la douleur, l’anxiété mais peut être aussi un lieu de répit familial. Elle ajoute qu’un service où les soins palliatifs sont présent c’est « bien pour pallier à quelque chose, faire l’intermédiaire ». Selon Cathy, les soins palliatifs s’adressent aux patients atteints d’une maladie évoluée, en phase aiguë. Il est ici apporter, dans cet entretien, la notion de famille qui est importante pour cette soignante, mais aussi le fait que le service de soins palliatifs est un service pour accompagner, soulager, faire l’intermédiaire entre le patient et sa famille. Les soins apportés consistent en soulager la douleur, l’anxiété du patient.

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Pour la deuxième infirmière, Annie, les soins palliatifs c’est prendre en charge « une personne ayant un cancer ou pour qui l’hospitalisation à domicile n’est plus possible, et pour qui la famille n’arrive pas à gérer la fin de vie ». Pour elle aussi, ces soins consistent à soulager le patient dans sa douleur, dans ses demandes, dans sa maladie. Elle ajoute, qu’une présence est importante auprès des familles également. Ce que nous pouvons retenir, c’est qu’une fois de plus, pour cette soignante, les soins palliatifs c’est soulager le patient de la douleur mais aussi soulager la famille et leur apporter un soutien moral.

Pour Véronique, la troisième infirmière interviewée, les soins palliatifs c’est essentiellement accompagner « jusqu’au bout, dans la dignité ». Ce sont des soins qui, dans son service de psycho-gériatrie et unité cognitivo-comportementale, s’adressent à des patients refusant les soins actifs. Ces soins, pour elle, sont des soins de confort comme les soins de bouche, afin de les hydrater, de les rafraîchir. Elle aussi, ajoute l’importance d’être proche des familles. Pour cette soignante, les soins palliatifs c’est accompagner le patient et lui assurer un confort et aussi soutenir les proches.

Concernant les soins palliatifs, pour toutes les infirmières, c’est prendre en charge une personne ayant une maladie évolutive pour qui le maintien à domicile devient difficile. Cette prise en charge consiste à soulager la douleur du patient, son anxiété mais aussi lui assurer un confort. Mais pour ces soignantes, accompagner la famille est un point qui leur semble essentiel dans la prise en charge d’un patient en fin de vie. C’est un point que je n’ai pas développé dans mes concepts, au vue de ma situation avec Monsieur P. En effet, celui-ci était seul, il n’avait personne pour l’accompagner, mis à part nous les soignants, et en l’occurrence moi. C’est pourquoi cette notion de famille n’a pas été évoquée dans mes recherches théoriques mais ces infirmières révèlent son importance pour la prise en charge d’un patient en fin de vie.

2.2.2 Particularité des lits identifiés soins palli atifs « Dans le cadre de la fin de vie, pensez-vous que l a prise en charge est différente par rapport à d’autres lits du service ? »

Pour l’infirmière Cathy, exerçant dans le service d’unité soins palliatifs, la réponse va forcément être différente et c’est le but, afin de comparer avec les autres infirmières qui elles travaillent dans des services où il existe des LISP61 en plus d’autres lits « classiques ». Pour Cathy, ce qui change avec ces lits spécifiques c’est l’organisation de travail. En effet, dans son équipe, ils travaillent en binôme IDE/AS62 pour une « prise en charge optimale ». Elle parle également de l’esprit d’équipe qui est important à avoir quand on prend en charge des patients en fin de vie. Il est nécessaire de pouvoir compter sur son collègue pour prendre le relai mais aussi le fait de travailler en binôme aide à se comprendre les uns, les autres. Pour ces lits spécifiques, il y a un temps d’écoute important pour les patients afin de les rassurer, de répondre à leur anxiété. Pour Cathy, les difficultés rencontrées sont le fait de travailler à temps plein et qu’elles ne soient que deux binômes donc le relai est difficile à passer face aux situations complexes avec certaines familles et donc cela peut aboutir à un épuisement. Elle ajoute également que la révision de la loi Léonetti peut amener certaines familles à « faire l’amalgame entre sédation et euthanasie » ce qui peut entraîner des conflits entre les familles et l’équipe soignante qui ne sont pas toujours facile à gérer.

61 Lits Identifiés Soins Palliatifs 62 IDE = Infirmière Diplômée d’Etat / AS = Aide soignante

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Pour Annie, tout comme Cathy, la prise en charge des LISP demande plus de temps et une organisation de travail particulière. Il faut travailler en binôme, il faut prévoir des injections d’antalgique avant tout soins pour les patients en fin de vie douloureux, il faut réaliser des soins qui demandent plus de temps, comme les soins d’escarres, les soins de bouche… Cette soignante ajoute la dimension psychologique par rapport aux familles. En plus de prendre soin du patient il faut aussi soutenir les familles. C’est un travail en plus de leurs soins dispensés aux autres patients du service qui peuvent eux aussi nécessiter de soins importants comme les transfusions, les ponctions d’ascite… Les difficultés sont donc le manque de temps et le tour des prescriptions du médecin qui peut ajouter des soins à tout moment de la matinée. La solution pour cette infirmière est soit de réaliser les soins des patients en fin de vie à la fin de sa matinée ou alors quand vraiment elle ne peut pas, déléguer à d’autres collègues.

Tout comme les deux autres infirmières, Véronique note le manque de temps pour la prise en charge de ces lits spécifiques : « quand on a des lits de soins palliatifs ou personnes en fin de vie on se retrouve coincé ou (…) des fois on n’a pas le temps de passer autant de fois qu’on voudrait ». Sa solution à elle aussi est de passer le relai ou de déléguer certaines tâches.

Toutes notent une différence non négligeable au niveau de la prise en charge des patients occupant des lits identifiés soins palliatifs. Pour elles, l’organisation doit être revue pour cette prise en charge spécifique, elle demande de travailler en binôme, de gérer sa planification de soins à l’avance. Le travail interdisciplinaire relevé par toutes ces infirmières l’est également dans mes concepts. Il semble important de pouvoir compter les uns sur les autres dans une équipe pour prendre en charge au mieux le patient et ses proches. En effet, une nouvelle fois, la dimension familiale est citée par ces infirmières, elles aimeraient avoir plus de temps pour accompagner et répondre au mieux aux questions des familles. L’infirmière d’USP63 ajoute la difficulté qu’entraîne le projet de loi santé, concernant l’amalgame que font les familles entre sédation et euthanasie. En effet dans mes concepts j’ai parlé de cette loi santé mais je n’ai pas abordé la difficulté que cela pourrait entraîner auprès des soignants dans leur prise en charge des familles.

2.3 L’implication personnelle

« Selon vous, est-il nécessaire de s’impliquer pers onnellement pour accompagner au mieux le patient dans sa fin de vie ? »

Pour Cathy, « s’impliquer professionnellement c’est une évidence » et comme pour travailler dans son service il faut être volontaire, « ça découle d’une envie personnelle ». Pour elle, il y a toujours des situations qui touchent plus que d’autres et cela représenterait donc s’impliquer personnellement.

Pour Annie, l’implication personnelle est plus centrée sur la famille. Pour elle c’est donner de son temps et les remerciements de la famille sont les signes de cette implication. Annie estime que parler d’elle, de sa famille, de ses enfants est aussi une preuve de s’impliquer personnellement, c’est partager, donner une part d’elle. Elle dit que cela peut permettre au patient de parler de lui, de sa vie s’il le souhaite.

Pour Véronique, dans un premier temps, l’implication personnelle n’est pas nécessaire pour prendre mieux en charge le patient en fin de vie. Mais elle ajoute que « de temps

63 Unité Soins Palliatifs

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en temps, être plus présent auprès d’une personne, qu’on le veuille ou non on s’attache ». L’implication personnelle pour Véronique, vient plus du côté des émotions que peut ressentir le patient envers un patient.

L’implication personnelle est un point qui a été difficile d’aborder avec les professionnels, il est difficile de parler de soi il me semble. Dans un premiers temps, leur réponse était souvent « non, il ne faut pas s’impliquer personnellement pour prendre mieux en charge » mais elles se contredisent très vite quand elles avouent que « il y a toujours des situations qui nous touchent plus que d’autres ». On remarque bien trois différentes réponses selon les infirmières. Une dit que de travailler dans ce service c’est déjà un engagement personnel, « il faut vouloir travailler ici », une autre dit que s’impliquer c’est donner de son temps, parler d’elle. Et pour finir, Véronique elle estime que s’impliquer personnellement c’est ressentir des émotions pour le patient, chose qu’elle a déjà vécue.

2.4 La distance professionnelle

« Pour vous, qu’est-ce que la distance professionne lle ? »

Quand j’ai posé cette question, Cathy, elle, pense qu’il existe « forcément une distance avec le patient et l’entourage ». Elle l’explique par le fait que le soignant porte une blouse blanche et que ce symbole est déjà représentatif d’une distance. C’est une notion difficile à décrire pour elle, car une nouvelle fois, elle se contredit : « même si on est touché par une situation, on n’est pas impliqué totalement émotionnellement » et un peu après, elle ajoute « c’est difficile d’exprimer la distance professionnelle parce qu’on est forcément impliqué, on voit souvent les familles, on s’attache ». Ceci montre bien que la distance professionnelle n’est pas chose facile à définir. Mais cette soignante finira tout de même par dire que la distance professionnelle « existe sinon ça poserait soucis de dépasser la limite ». Pour elle, cette distance est donc plus représentée par une limite à ne pas franchir.

Pour Annie, la distance professionnelle passe également par la blouse blanche. Elle dit aussi, que la distance professionnelle passe par le fait de savoir gérer ses émotions. Avoir une distance professionnelle c’est aussi être neutre dans le sens où « ce n’est pas notre famille », mais c’est aussi être empathique, rentrer chez soi et ne plus y penser. Cela est une preuve pour elle d’avoir trouver la bonne distance. Elle ajoute un point qui me semble essentiel, celui que cette distance dépend de l’expérience professionnelle, selon elle, on arrive mieux à trouver cette distance, une fois qu’on est passé par plusieurs situations difficiles. Savoir recadrer la famille et le patient quand ceux-ci « prennent leurs aises », est un point qu’elle souligne lors de cette distance professionnelle à avoir. Et pour finir, elle évoque le tutoiement et « appeler par le prénom » qui semble justement dépasser cette distance professionnelle mais qui est à relativiser selon le contexte.

Pour Véronique, la distance professionnelle « c’est le fait que quand on rentre chez soi, on ne pense plus au patient (…) qu’on fasse une barrière ». Pour elle, c’est signe que la distance professionnelle a bien été tenue. Elle ajoute également, que malgré son établissement qui est particulier, car ils prennent en charge des patients avec des troubles psychologiques, le vouvoiement reste important à tenir pour avoir une distance professionnelle avec le patient et sa famille.

Si nous résumons les dires de ces trois professionnelles, pour elles la distance professionnelle c’est ne pas dépasser une certaine limite, une barrière, ce qui se

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vérifierait par le fait de rentrer chez soi et ne plus penser au patient. La blouse blanche et le vouvoiement sont des points que font ressortir les infirmières concernant cette distance. Dans mes concepts, Madame Elke Mallem parle de la « bonne peau » à avoir pour tenir une bonne distance avec le patient, et la blouse blanche en fait partie. Il faut également savoir gérer ses émotions, rester neutre et recadrer la famille et le patient quand cela est nécessaire. Annie relève également que cette distance professionnelle s’acquière avec l’expérience. En effet, dans mes concepts, le texte des recommandations concernant « l’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches », dit également que cette distance se fait avec « compétence et retenue »64 c’est-à-dire avec de l’expérience et la gestion des émotions, comme l’ont aussi relevés les professionnelles. En revanche, une des infirmières dit qu’il faut « rester neutre », or c’est un point qui contredit ce que j’ai trouvé dans mes recherches, pour accompagner un patient dans sa fin de vie, on nécessite « d’une relation humaine, respectueuse, attentionnée, confiante, solidaire et continue »65.

2.5 Être professionnel

« Toujours dans l’accompagnement de la fin de vie e t selon vous, existe-t-il une définition de « être professionnel » ? »

Pour Cathy, contrairement aux « on dit » être professionnel ne veut pas forcément dire cacher ses émotions, « si on ne ressent plus rien c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas ». Selon elle, justement si on ressent quelque chose, une émotion, c’est qu’il y a une raison et donc il faut, pour être professionnel, le reconnaître. Elle dit que « l’émotion permet soit de se remettre en question, soit d’avancer positivement ». Il est clair que pour Cathy, être professionnel est en relation avec nos émotions, et il faut justement en ressentir, les accepter et les rendre positives pour notre posture professionnelle. Ces émotions ne peuvent que nous faire avancer si on les reconnaît.

Selon Annie, être professionnel c’est « rester à sa place de professionnel ». C’est-à-dire, faire ce qui nous est possible de faire, nos droits et nos devoirs. On ne va pas prendre la décision à la place du médecin quand le patient nous demande la mort, on ne va pas prendre la décision à la place de la famille quand celle-ci décide de ne pas dire la vérité au patient. Ce sont des exemples que donne l’infirmière. Etre à l’écoute du patient et de sa famille c’est être professionnel. Ne pas juger les familles malgré un contexte familial difficile, ne pas être brusque mais plutôt éprouver de la tendresse envers le patient et dire les choses au patient pour éviter et calmer son anxiété, sont des points qui semblent essentiel à Annie pour être professionnel.

Tout comme Annie, Véronique pense aussi qu’être professionnel « c’est vraiment rester à sa place ». Elle estime que son rôle est de « soutenir, d’accompagner et écouter » le patient. Pour elle, un professionnel ne remplace pas la famille mais sert plutôt de tiers, il est présent pour répondre aux questions, aux demandes du patient et de sa famille mais en aucun cas de prendre les décisions, ni de les influencer. Contrairement à Cathy, pour Véronique, être professionnel c’est savoir contenir ses émotions. Si un patient nous voit pleurer, il ne va plus vouloir se confier à ce « professionnel » faible, pas assez fort pour écouter ce que le patient a à lui dire. Le professionnel est une épaule solide sur qui le patient peut compter et doit se confier pour se sentir mieux, en confiance. 64 Texte des recommandations, conférence consensus « L’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches » Janvier 2004. 65 Ibid

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La définition du « être professionnel » pour ces trois infirmières diffère. En effet, elles se contredisent même, pour l’une c’est savoir ressentir des émotions, les reconnaître puis les accepter, pour l’autre c’est les contenir pour montrer au patient qu’un professionnel est fort et qu’il peut tout recevoir du patient. Etre professionnel joue un rôle auprès de la famille, il ne faut pas les juger, ni les remplacer, mais tout comme le patient, il faut les soutenir, les accompagner et les écouter.

2.6 Les émotions

2.6.1 Types d’émotions « Quelles émotions avez-vous ressenti lors de la pr ise en charge d’une fin de vie ? »

Pour Cathy, la prise en charge d’un patient en fin de vie passe par tous les stades émotionnels : la joie « on rigole beaucoup avec les patients », la colère mais aussi la tendresse. Elle ajoute qu’ « on ne peut pas rester indifférent ».

Pour Annie c’est essentiellement la joie qu’elle éprouve dans la prise en charge d’un patient en fin de vie, elle dit utiliser beaucoup l’humour avec les patients encore conscients et que cela marche très bien. Elle ressent aussi de la tristesse dans des situations où le contexte familial est compliqué « on est triste de situation, souvent, au début ». Il lui arrive d’éprouver de la colère mais ce n’est pas ce qui domine car les médecins sont très attentifs à la souffrance des patients, et en général les prises en charge se passent bien.

Pour Véronique l’émotion principalement ressentie est l’angoisse, elle a peur que le patient souffre, qu’il ne soit pas rassuré ou soulagé. Elle ressent également de la colère lors de prises en charge qui ne « vont pas assez vite » pour soulager le patient et qui créer donc des conflits entre l’équipe soignante et les médecins. Elle ajoute que la joie est éprouvée lors de prises en charge réussies, quand le patient est « parti sereinement, apaisé » et qu’elle a le sentiment d’avoir bien fait son travail.

Les émotions principales ressenties par ces trois soignantes sont la joie, la tristesse et la colère. Véronique ajoute, elle, l’angoisse. Dans ma situation avec Monsieur P., les émotions éprouvées ont été la peur, la tristesse et la colère, des émotions plutôt négatives. Alors que les professionnelles, elles, peuvent malgré tout ressentir des émotions positives comme la joie, et le sentiment d’avoir bien fait leur travail.

2.6.2 Gestion des émotions « Comment arrivez-vous, dans ce cas là, à gérer vos émotions pour qu’elles ne débordent pas sur votre posture professionnelle ? »

Pour Cathy, il est possible que parfois on n’arrive pas à gérer ses émotions, « que ça déborde » mais dans ce cas, il faut se contenir devant le patient et trouver un moyen pour s’isoler, dans un premier temps. La solution pour cette infirmière est d’ensuite en parler, se décharger. Cela peut se faire pendant les transmissions, à l’équipe qui prend la relève ou alors aux médecins lors des transmissions du matin. Il y existe aussi dans le service, un groupe de paroles avec un psychologue pour discuter de situations qui ont posé problème. Cathy ajoute qu’il faut également avoir « une vie béton », il est important de ne pas ramener ces soucis à la maison.

Pour Annie, elle aussi peut « avoir les larmes qui montent aux yeux ». Elle décrit une situation où lors d’une visite de la famille d’un proche, à l’entrée dans la chambre, les

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proches constatent le décès du patient et elle dit que c’était un moment très dur où elle a eu « les larmes qui montent ». Sa solution a été de se tourner vers la famille et de leur parler, de les apaiser et de leur montrer l’importance de leur venu à ce moment là. Elle peut parfois utiliser l’humour aussi avec ses collègues mais elle dit que c’est sûrement « une barrière, une protection ». Elle peut aussi passer le relai quand des situations deviennent trop difficiles à gérer ou qu’elle nous est trop proche, « qu’on transpose » par rapport à un membre de notre famille.

Pour Véronique, la solution pour gérer ses émotions c’est d’en parler. Un psychologue est à leur disposition, uniquement dédié au personnel, avec qui ils peuvent avoir un entretien quand une situation leur a été trop difficile à gérer. Dans son service, ils ont également un STAFF tous les matins, avec différents intervenants, où ils prennent le temps de parler d’une situation qui les a dérangés ou qu’ils n’ont pas compris toutes les modalités de la prise en charge. Elle évoque également l’importance du travail en équipe, « on peut demander à un autre soignant » d’aller faire les soins avec eux, pour qu’ils se sentent plus rassurés ou s’ils veulent un autre avis, un conseil.

Pour toutes il est possible que les émotions soient tellement fortes qu’on ne puisse les contenir. Mais dans ce cas, leur solution est de se décharger de ce poids qui peut être lourd à porter. Pour cela, elles peuvent compter sur leurs collègues, les médecins, les psychologues, des groupes de paroles… Une des infirmières dit aussi que passer le relai peut permettre à souffler et prendre du recul face à une telle situation.

2.6.3 Sentiment d’être allé trop loin. « Avez-vous déjà eu l’impression d’être aller « tro p loin » émotionnellement avec un patient dans son accompagnement vers la fin de v ie ? » Cathy n’a pas eu ce sentiment d’être allée trop loin émotionnellement avec la prise en charge d’un patient en fin de vie. En revanche, elle s’est toujours posée la question de savoir pourquoi il y a des situations qui nous touchent plus que d’autres. Elle dit ne jamais avoir franchi la limite mais qu’il lui est déjà arrivé d’être émue par des prises en charge de fin de vie. Elle voit cela plutôt comme de l’empathie, de la projection mais ce n’est pas pour elle de l’attachement, c’est bien différent. De même pour Annie, elle n’a jamais eu le sentiment d’être allée trop loin émotionnellement mais elle évoque tout de même une situation qui a été assez difficile pour elle. C’était un monsieur atteint d’un cancer ORL66, avec de gros pansements au visage, et pour qui son épouse interdisait le reste de la famille de lui rendre visite, du à l’état physique de son époux. Et ce monsieur est donc décédé seul dans sa chambre, sans aucun accompagnement, sans famille. Cela a été dure pour la soignante de savoir que le patient est parti seul, qu’il n’avait personne pour l’accompagner, le soutenir dans ses derniers moments. C’est une situation qui fait écho à ma situation avec Monsieur P. En revanche, Véronique, elle, a déjà eu ce sentiment d’être allée trop loin émotionnellement avec une patiente qu’elle prenait en charge et qui était en fin de vie. C’était une patiente pour qui la douleur et l’agitation n’arrivaient pas à être soulagées par l’équipe soignante. Elle a ce sentiment d’être allée trop loin, dans le sens où en rentrant chez elle, elle y a repensé. Or, pour elle, la limite justement était de ne plus penser aux situations vécues au travail une fois chez soi. Et même, dans le service,

66 Oto-rhino-laryngologie

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face à cette situation difficile pour elle, elle devait sortir de la chambre parce que les émotions étaient trop fortes, et elle dit même « Je sortais de la chambre je n’étais pas bien ». Il a été difficile pour ces professionnelles de répondre à cette question « vous est-il déjà arrivé d’être allé trop loin émotionnellement dans la prise en charge d’un patient en fin de vie ? » Cette question amène à parler de soi, de ses sentiments, ses ressentis, chose qui n’est pas facile. Une des infirmières a admis avoir déjà eu ce sentiment. Pour les deux autres, pas vraiment, mais elles avouent tout de même éprouver de l’empathie, ou une sorte de projection lors de situations complexes. Une des infirmières ajoute même que cela se fait de manière inconsciente, plus pour se protéger. A noter, que pour Annie, la situation qu’elle décrit l’ayant le plus touchée, est celle du monsieur décédé seul, sans famille. Cela semble rejoindre ma situation de départ.

2.7 La communication

« Pour vous, la communication peut-elle représenter un frein à l’élaboration d’une juste distance avec un patient en fin de vie ? »

La question sur la communication a été posée de façon maladroite je pense, car les professionnelles ont eu du mal à y répondre. Et quand je leur donnais un exemple, la réponse n’était pas vraiment en lien avec la question.

Pour Cathy, la communication n’a pas réellement de lien avec l’élaboration d’une juste distance avec le patient. Elle parle de l’interprétation que peut faire tout soignant de la communication non-verbale, mais que cela n’empiète pas sur l’élaboration de la juste distance. Elle ajoute que la communication est un moyen de nous rassurer nous, « même si un patient est en fin de vie imminente, on trouve toujours quelque chose à faire, à dire ». Cela marque tout de même l’affection qu’on porte à un patient malgré que celui-ci ne communique plus. Et c’est ce qui s’est passé dans ma situation, même quand Monsieur P. n’était plus en capacité de me répondre, je lui posais tout de même des questions, je lui allumais la télé en pensant que ça lui ferait du bien, même s’il n’avait rien demandé.

Annie, elle non plus ne trouve pas de lien particulier entre la communication et l’élaboration d’une juste distance. Si le patient dort ou est dans un « coma » elle estime qu’il est bien, qu’il faut le laisser. Elle ne cherche donc pas se rapprocher plus du patient quand il ne communique plus verbalement.

Selon Véronique, c’est la communication non-verbale qui prime et c’est grâce à celle-ci qu’on comprend le mieux le patient. Donc pour elle, il n’y a pas de différence non plus entre communication et juste distance. Car même quand le patient ne parle plus, il communique avec son faciès, ses gestes et c’est la meilleure façon pour cette soignante de le comprendre et d’agir en conséquence.

Pour cette question sur la communication, toutes les infirmières sont unanimes, le fait que le patient ne communique plus verbalement n’influe pas l’élaboration d’une juste distance avec ce patient. Or moi dans ma situation, j’avais cette impression et cela rejoint ce que dis l’infirmière Cathy « même si un patient est en fin de vie imminente, on trouve toujours quelque chose à faire, à dire ».

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2.8 Et pour conclure…

« Voulez-vous ajouter quelque chose concernant « la distance professionnelle dans la prise en charge d’un patient en fin de vie ? » »

Cathy tient à ajouter qu’il n’existe pas « une règle de conduite à tenir pour le professionnel sur le terrain ». Elle estime que chaque soignant a, certes, des « bagages communs » liés à la formation que nous avons tous reçus, mais il a aussi des « bagages personnels » avec notre personnalité. Concernant la juste distance, selon elle « ce n’est pas quelqu’un de l’extérieur qui va nous le dire, on est capable de ressentir quand on va trop loin ». Le soignant est un être à part entière, avec sa sensibilité, sa personnalité, ses valeurs et c’est ce que nous pouvons retenir de la conclusion de Cathy, l’infirmière en unité de soins palliatifs.

Pour Annie, malgré que mon sujet de mémoire soit vaste, il est important de souligner la place de la famille dans l’accompagnement d’un patient en fin de vie. Dans ma situation avec Monsieur P., la famille n’était pas présente car c’était un patient en isolement social, qui n’avait aucune visite. Et donc je ne peux voir cette importance mais c’est peut-être un manque que j’ai voulu pallier justement avec ma présence et mes attentions envers ce patient.

Selon Véronique, la distance professionnelle est une distance « qu’on ne peut pas toujours respecter, même si on aimerait ». Elle argumente en disant que le métier d’infirmière est un métier « prenant (…) où à un moment ou un autre, ça empiète sur le reste ». Et c’est ce qui s’est passé dans mon cas, je n’ai pas su gérer la situation sur le moment, sur place, au travail et je l’ai ramenée chez moi, dans ma vie personnelle, ce qui a fait que le décès du patient a été un moment de culpabilité pour moi.

C’est intéressant de voir comment les trois infirmières résument, chacune à un point important qui est différent de celui des autres. Une souligne les valeurs du soignant, une autre l’importance de la famille, et la troisième sur notre gestion des émotions, qu’il est difficile de tout contenir. Je dirai alors pour conclure cette analyse que chaque soignant agis selon ses valeurs et ce qui fait de lui un être à part entière.

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3. Synthèse Au final, les réponses de l’infirmière spécialisée dans les soins palliatifs, Cathy, n’ont pas divergé des réponses des autres professionnelles en service non spécialisé dans la fin de vie. Ce que j’ai retenu, c’est que toutes les trois apprécient le fait de prendre en charge des patients en fin de vie, et même si ce n’était pas forcément une volonté de leur part au début d’y travailler, elles se sont adaptées et ont même su y trouver de l’intérêt. La seule différence est que pour l’infirmière de soins palliatifs, l’organisation est prédite pour cela et donc le temps n’est pas un ennemi contrairement aux deux autres infirmières qui aimeraient en avoir plus pour prendre encore mieux en charge ces patients et leur famille.

3.1 La fin de vie

Si nous résumons le concept de la fin de vie, dans la théorie la fin de vie est une phase terminale de la vie et les auteurs insistent bien sur le fait que ce n’est pas la mort, mais bien une vie. Pour les professionnelles interrogées, elles aussi insistent bien sur ce point, les soignants doivent être présents jusqu’à la fin, pour accompagner au mieux ces patients. Dans la théorie, tout comme sur le terrain, prendre en charge ces patients c’est leur assurer des soins de confort mais aussi de soulager leur douleur et leur souffrance psychologique. L’accompagnement de la famille vient s’ajouter à ce concept pour les professionnelles. En effet, pour elles, il leur est essentiel de prendre aussi bien la famille en charge que le patient, car le plus difficile est pour ceux qui restent. C’est un point que je n’avais pas traité en théorie au vue de la situation de Monsieur P. qui lui n’avait pas de famille. C’est un point qui m’a semblé tout à fait intéressant et qui pourrait induire ma question de départ. En effet, le fait de prendre en considération une famille nous laisse comprendre que nous ne sommes pas la famille, comme le dit très justement Annie dans l’entretien à la question « qu’est-ce que pour vous la distance professionnelle ? ».

Concernant la particularité des lits identifiés soins palliatifs c’est une prise en charge qui doit se faire en interdisciplinarité. Tous doivent être acteurs de ces soins, et cela l’est souligné dans mes concepts tout comme en pratique avec l’avis des professionnelles. Contrairement à l’infirmière en USP, les deux autres infirmières notent le manque de temps dans leur organisation pour prendre en charge au mieux ces patients dans ces lits spécifiques ainsi que leur famille. Cette notion est une nouvelle fois abordée, car la présence des proches permettrait aux infirmières de passer le relai. En revanche, un point sur cette notion de famille est ajouté par l’infirmière travaillant en USP, qui note que la famille peut aussi jouer un rôle conflictuel concernant le projet de loi santé et les questions sur la sédation. Mais cela reste un moyen de laisser la décision à la famille, aux proches, et non pas aux soignants qui eux s’en déchargeraient.

Pour prendre en charge un patient en fin de vie j’ai abordé la question de l’implication personnelle. Pour Frédérique Dehoorne, ou Pascal Prayez mais aussi pour Antoine Bioy, le prendre soin est un engagement personnel. Il faut mettre de l’humanité dans le soin, de notre personne pour en faire un soin à proprement dit. Pour les professionnelles interrogées, c’était une question difficile à répondre. Après avoir dit dans un premier temps que l’engagement personnel n’était pas nécessaire pour prendre mieux en charge un patient en fin de vie, très vite leur avis a changé. Pour l’une, Cathy, s’engager c’est venir travailler volontairement dans ce type de service. Pour une autre cela signifie parler de soi, donner de son temps. Et pour Véronique,

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s’impliquer personnellement c’est faire part de ses émotions envers un patient. Concernant ma question de départ, ces réponses semblent la confirmer. Qu’on le veuille ou non, on s’implique forcément dans la prise en charge d’un patient en fin de vie, ce qui pourrait rendre difficile à élaborer une juste distance.

3.2 La distance professionnelle

En théorie, la distance professionnelle est une distance qui, selon Elke Mallem, nous permet « de tenir la souffrance à un niveau qui permette de travailler avec elle afin de dégager le manque à combler, l’atteinte à réparer »67. C’est aussi pour elle, et pour Pascal Prayez, être empathique, comprendre les sentiments de l’autre tout en restant à sa place et sans pour autant les ressentir. La distance professionnelle dépend de l’expérience mais aussi du pouvoir à gérer ses émotions, selon le texte des recommandations concernant l’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches. Pour trouver une « bonne distance » il faut connaître ses limites, être constitué d’une « bonne peau » d’après Elke Mallem. Pour les professionnelles la distance professionnelle n’est pas chose facile à définir. Mais elles parlent tout de même de la blouse blanche, qui serait une « peau » qui nous protégerait de l’autre. Elles définissent également cette distance par une limite à avoir, une barrière à ne pas franchir « c’est rentrer chez soi et ne plus y penser ». La distance professionnelle est un aspect qui est propre à chaque soignant, elle dépend de son expérience, de ses limites, de son pouvoir à gérer ou non ses émotions. Ce sont ces caractères qui rendent l’élaboration d’une juste distance plus ou moins difficile.

Pour ces soignantes, « être professionnel » c’est avant tout rester à sa place, ne pas prendre de décision « à la place de ». Le rôle du soignant est d’accompagner, de soutenir et d’écouter le patient et sa famille. En aucun cas, on ne peut remplacer la famille, mais d’après Véronique le soignant servirait plus de « tiers » entre le patient et ses proches. Elles évoquent aussi les émotions mais leur avis dessus divergent. L’une pense qu’il ne faut pas forcément renier ses émotions, et pour une autre au contraire il faut les contenir. Cette différence de point de vue est intéressante car leur prise en charge d’un patient va être inconsciemment modérée. Et une fois de plus, ce sont les valeurs de chaque soignant qui vont influencer la prise en charge du patient en fin de vie. On note également que la notion de famille revient une fois de plus dans le sens où nous soignant ne sommes pas la famille du patient et donc nous devons rester à cette place de soignant.

Pour finir avec cette distance professionnelle, il est à noter également que le contexte familial du patient, ainsi que son vécu joue un rôle dans cette prise en charge de fin de vie. En effet, pour les soignantes interrogées, « il y a toujours des situations qui nous touchent plus que d’autres ». Par le fait que le patient soit seul, comme nous raconte Annie ou bien que le patient parte dans une souffrance physique comme nous le confie Véronique. Ce contexte familial et de vécu du patient nous est apporté par les soignants, c’est ce qui est ressenti sur le terrain, et dans les livres je n’ai pas retrouvé cette notion.

3.3 Les émotions

Les émotions les plus ressenties sur le terrain par ces professionnelles sont la tristesse, la colère, la joie et l’angoisse. J’ai également ressenti de la tristesse et de la colère qui sont des émotions dites « négatives ». Mais à l’inverse des infirmières 67 MALLEM, Elke. La distance professionnelle. Objectif soins, n°136. Mai 2005. p.23

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interrogées, je n’ai pas su m’en défaire de ces émotions. Elles, elles ont comme solution de décharger, d’en parler à leurs collègues, aux médecins, à des psychologues ou encore lors de réunions de groupes de paroles. Moi, j’ai gardé tout cela pour moi, je les ai donc ramenées chez moi, dans ma vie personnelle.

3.4 La communication

La question sur la communication a été difficile à aborder car les infirmières ne comprenaient pas où je voulais en venir. En leur donnant l’exemple de ma situation avec Monsieur P. cela a été plus clair et elles ont enfin pu me répondre. Pour les trois infirmières, il n’y a pas de lien entre la communication et l’élaboration d’une juste distance. Or, selon Elke Mallem la communication joue un rôle dans la relation soignant-soigné. Pour elle, justement, la communication du patient « bouscule l’équilibre du soignant »68 lorsque ce dernier ne connaît pas ses limites ou qu’elles sont floues. Ceci entraînerait alors une difficulté dans la juste distance car, comme nous l’avons vu précédemment, la bonne distance peut se faire lorsque les limites du soignant sont claires.

3.5 Question de recherche

Si je devais rassembler toutes les données recueillies dans l’analyse et la synthèse, je le résumerais en démontrant que la juste distance professionnelle est difficile à élaborer dans une prise en charge d’un patient en fin de vie, dans certains contextes. En effet lorsque le soignant garde ses émotions pour lui, ou bien lorsque les valeurs soignantes font que les émotions viennent plus facilement. Mais aussi quand il y a une réelle implication personnelle, ou que la communication du patient déséquilibre la position soignante, alors la juste distance semble plus difficile à tenir.

Au contraire, certains résultats montrent que l’élaboration de la juste distance pourrait être tenue et ceci dans un contexte bien particulier. Quand la famille, les proches, sont présents dans l’accompagnement du patient dans sa fin de vie, il est plus facile pour l’équipe soignante de s’en détacher, de s’en éloigner. Et dans ma situation avec Monsieur P. c’est ce qui ma manqué, cette famille pour l’accompagner, et que je puisse alors prendre du recul face à cette prise en charge.

« Ce sont les manques qui permettent d’aller plus loin, d’avancer, de partir à la recherche d’horizons nouveaux »69. C’est pourquoi j’aimerai, si je devais refaire une nouvelle recherche, m’interroger sur la question suivante :

« En quoi la présence de la famille dans l’accompag nement du patient dans sa fin de vie, peut faciliter la juste distance profes sionnelle du soignant envers le

patient ? »

68 MALLEM, Elke. La distance professionnelle. Objectif soins, n°136. Mai 2005. p.23 69 Ibid p.23

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Conclusion

Ce travail a consisté à la réalisation d’un mémoire d’initiation à la recherche en soins infirmiers sur une situation professionnelle qui nous a questionnés en stage. Le but étant de rassembler des données théoriques, de les confronter au terrain, puis les analyser, les mettre en relation pour aboutir à une réflexion et à un positionnement professionnel. Pour cela, j’ai décrit la situation professionnelle qui m’a posé question et dont le sujet est « la distance professionnelle dans la prise en charge d’un patient en fin de vie ». Delà, j’en ai retiré une première problématique qui est « en quoi la juste distance professionnelle dans la prise en charge d’une personne en fin de vie est si difficile à élaborer. » Puis j’ai tenté d’y répondre en étudiant plusieurs concepts comme la fin de vie, la distance professionnelle mais aussi les émotions et la communication. Puis j’ai ensuite comparé ces résultats théoriques aux vécus des professionnels infirmiers. J’ai donc interrogé trois infirmières et j’ai ensuite analysé leurs réponses en comparant à celles données par la théorie. Delà j’ai posé une nouvelle question de recherche : « En quoi la présence de la famille dans l’accompagnement du patient dans sa fin de vie, peut faciliter la juste distance professionnelle du soignant envers le patient ». Ce travail a permis de me faire évoluer et de prendre du recul face à cette situation qui m’a longtemps perturbée. Au début de ce travail de recherches, quand j’énonçais ma situation à la première guidance, je pleurais, cette situation m’était encore trop personnelle. A présent, à l’aide des recherches et à la confrontation sur le terrain je me sens plus mature, j’arrive à prendre du recul par rapport à cette situation et je sens que cela va me servir pour mon futur professionnel. D’ailleurs j’en ai déjà eu une preuve lors de mon stage en pédiatrie, où je pensais que j’allais être absorbée par les situations difficiles vécues lors de ce stage. A contrario, j’ai su garder ma distance et gérer mes émotions car j’ai pu parler à l’équipe quand quelque chose me perturbait mais aussi la présence des parents était une aide. C’est pourquoi, demain, à l’aide de ce travail de recherche, je me sentirai capable de prendre en charge des patients avec un vécu difficile sans pour autant trop m’y attacher. Je ne dis pas que cela n’arrivera plus jamais car nous sommes tous humain et nous soignons comme nous sommes, avec nos valeurs, notre personnalité et notre sensibilité. Mais au moins, maintenant, j’ai les clés pour ne pas culpabiliser, ou m’effondrer devant une prise en charge trop difficile émotionnellement. D’ailleurs, relevé par les infirmières interrogées dans ce travail, le partage dans l’équipe semble essentiel. Nous pourrions nous poser la question si ce partage en équipe peut aussi être la clé pour éviter le burn-out des professionnels qui devient de plus en plus fréquent dans les établissements de santé.

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Bibliographie

Textes officiels Loi n°2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.

Art. L. 1er A. de la loi no 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs.

Texte des recommandations, conférence consensus « L’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches » Janvier 2004

Ouvrages AUBRY, Régis ; DAYDE Marie-Claude. Soins palliatifs, éthique et fin de vie. 2è édition. Rueil-Malmaison : Lamarre, 2010. 247 p.

BIOY, Antoine ; BOURGEOIS, Françoise ; NEGRE, Isabelle. Communication soignant-soigné. Editions Breal, 2003. 143 p.

DE HENNEZEL, Marie. La mort intime. Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre. Paris : Robert Laffont, 1995. 232 p.

GREIS, Brigitte. De la perte de soi au soin des autres. Rueil-Malmaison : Lamarre, 2007. 138 p.

PRAYEZ, Pascal ; SLIWKA, Corinne (sous la coordination de). Distance professionnelle et qualité du soin. 2è éd. Rueil-Malmaison : Lamarre, 2009. 287 p.

PRAYEZ, Pascal. Julie ou l’aventure de la juste distance. Lamarre, 2005. 235 p.

Dictionnaires PAILLARD, Christine. Dictionnaire Humaniste Infirmier. Setes, 2013. 356 p.

Articles de revues CARILLO, Claudine. Stress et émotions, entre débordement et hyper-protection. Soins, avril 2011, vol.56-n°754. P. 61-62.

DEHOORNE, Frédérique. Prendre soin, un engagement personnel et collectif. Soins, mars 2008, vol.53-n°723. P. 1.

MALLEM, Elke. La distance professionnelle. Objectif soins, mai 2005, n°136. P. 22-23.

ZIMMERMANN, Jean-François. Les soignants face à la fin de vie du patient. Gestions hospitalières, octobre 2014, n°539. P. 479.

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Définition tristesse (consulté le 13 avril 2015). Disponible sur : http://www.cnrtl.fr/lexicographie/tristesse

Définition sympathie (consulté le 14 avril 2015). Disponible sur : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sympathie/76073

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Annexes

Annexe I : Les attitudes, la classification selon Porter ................................................ I

Annexe II : Le guide d’entretien ................................................................................ II

Annexe III : Retranscription de l’entretien n°1 ... ....................................................... IV

Annexe IV : Retranscription de l’entretien n°2 .... ....................................................... X

Annexe V : Retranscription de l’entretien n°3 ..... .................................................... XIX

Annexe VI : Grille d’analyse ................................................................................. XXIII

Annexe I : Les attitudes, la classification selon P orter

II

Annexe II : Le guide d’entretien

Faire connaissance :

1) En quelle année avez-vous été diplômé(e) ? Avez-vous des diplômes supplémentaires, DU ?

2) Quel a été votre parcours, différentes unités de soins ? Combien de temps ?

3) C’est votre choix d’être dans ce service ici, quelles sont vos motivations ? La fin de vie :

4) Si on commence par les soins palliatifs, que représentent ce terme pour vous ? (qui, comment, à l’aide de qui, où, pourquoi ?)

Objectif : Avoir une définition de soins palliatifs du point de vue de chaque soignant. Cette définition peut dépendre de nos rep résentations, de nos expériences, de nos valeurs…

5) Dans le cadre de la fin de vie, pensez-vous que la prise en charge est différente

par rapport à d’autres lits du service ? Si oui, quelles sont pour vous les particularités de cette prise en charge ? Quelles sont vos difficultés ? Avez-vous des solutions pour y pallier ? (engagement personnel, travail en équipe)

Objectif : Savoir si les soignants sont prêts perso nnellement et professionnellement à recevoir des patients en fin de vie dans un service non spécialisé ou dans les cas des LISP. Evoquer le tr avail en interdisciplinarité pour aider à mieux comprendre la prise en charge ma is aussi pour pouvoir parler d’une situation qui les a mis en difficulté.

6) Selon vous, est-il nécessaire de s’impliquer personnellement pour accompagner au mieux le patient dans sa fin de vie ? Si oui, quel type d’investissement avez-vous déjà mis en place ?

Objectif : Savoir si l’implication personnelle joue un rôle dans la distance soignant/soigné. La distance professionnelle :

7) Pour vous, qu’est-ce que la distance professionnelle ? Et du coup cette distance est-elle importante à tenir pour la prise en charge d’un patient en fin de vie ?

Objectif : Avoir une définition propre à chaque soi gnant, qui va démontrer le caractère subjectif de la distance, qui est propre à chacun, selon nos valeurs, notre expérience, nos limites…

8) Toujours dans l’accompagnement de la fin de vie et selon vous, existe-t-il une définition de « être professionnel » ?

Objectif : Savoir ce qu’est un professionnel aux ye ux d’un soignant. Existe-t-il vraiment une définition…

III

9) Avez-vous déjà eu l’impression d’être aller « trop loin » émotionnellement avec un patient dans son accompagnement vers la fin de vie ?

Objectif : Savoir si les soignants ont déjà eu la m ême expérience que moi. Et comment l’ont-ils vécu. Faire le lien avec les émot ions.

Les émotions :

10) Quelles émotions avez-vous ressenti lors de la prise en charge d’une fin de vie ?

Objectif : Savoir si les soignants ressentent les m êmes émotions que j’ai pu ressentir dans la prise en charge d’un patient en f in de vie.

11) Comment arrivez-vous, dans ce cas là, à gérer vos émotions pour qu’elles ne

débordent pas sur votre posture professionnelle ? Pensez-vous qu’il existe des solutions ? Si oui, lesquelles ?

Objectif : Ouverture sur la vie personnelle, burn-o ut. La communication :

12) Pour vous, la communication peut-elle représenter un frein à l’élaboration d’une juste distance avec un patient en fin de vie ? Par exemple, l’interprétation que vous pouvez faire d’une communication non-verbale est propre à vous-même mais est-ce vraiment ce que le patient voulez faire passer ?

Objectif : Savoir si la communication a vraiment un enjeu dans la distance professionnelle avec un patient en fin de vie. Et pour finir :

13) Voulez-vous ajouter quelque chose concernant « la distance professionnelle dans la prise en charge d’un patient en fin de vie ? »

Objectif : Permettre à l’interlocuteur d’ajouter un point qui lui semble essentiel et dont je n’ai pas pensé.

IV

Annexe III : Retranscription de l’entretien n°1

Le premier entretien a lieu dans l’unité de soins palliatifs de Douarnenez, avec une infirmière que nous appellerons Cathy. Avant de commencer, j’ai informé l’infirmière du thème de mon sujet, de mes concepts et du plan de l’entretien. L’entretien est d’une durée de 24min45s.

Légende : (…) silence ; (/) parole coupée

Moi : « Donc du coup, je vais commencer par vous poser des petites questions sur vous d’abord. Sur l’année de votre diplôme, en quelle année vous avez eu votre diplôme ? Cathy : Alors J’ai eu mon diplôme en 2010. Moi : En 2010. Et est-ce que vous avez des formations supplémentaires , des DU, ou (/)? Cathy : Je suis en train de passer le DU d’accompagnement et soins palliatifs sur Brest. Moi : D’accord, ok. Et quel a été votre parcours professi onnel ? Vous avez eu différents services où vous êtes (/) ? Cathy : Depuis que je suis infirmière, j’ai débuté en service de soins de suite et réadaptation ici à l’hôpital de Douarnenez. Ensuite j’ai travaillé de nuit dans le service de médecine spécialisée en cancéro et diabéto. Après j’ai roulé de nuit aux urgences-médecine post urgences, service de médecine gériatrique également. Et je suis en unité de soins palliatifs depuis juin 2011. Donc ça va faire 3 ans et demi, ça fera 4 ans bientôt. Moi : D’accord et c’était un choix de votre part de venir en unité de (/) Cathy : C’était mon projet professionnel, j’ai fait mon stage pré-pro à l’époque dans ce service ici et c’était mon projet professionnel donc après avoir tourné j’étais contente de me poser ici. Moi : Oui, si c’est votre projet en plus... Alors du coup je commence les questions sur la fin de vie. Cathy : D’accord. Moi : Donc si on commence par les soins palliatifs, qu’es t-ce que ça représente pour vous ce terme de soins palliatifs ? Cathy : Alors (…) Moi : Déjà quel soins, pour qui, qui peut les appliquer, pourquoi ? Cathy : Alors (...) L’unité de soins palliatifs (…) C’est (…) comment résumer ça. C’est compliqué de résumer rapidement. C’est prendre en charge un patient qui (…) et/ou une famille, avec des symptômes complexes, ce n’est pas qu’un patient qu’on prend en charge ici. Donc (…) on peut entendre par là, la douleur, l’anxiété, répit familial aussi on en a beaucoup. Alors après l’unité de soins palliatifs ce n’est pas un service pour mourir, c’est (…) le mot « palliatif » c’est pallier à quelque chose, faire l’intermédiaire. Voilà comment je représente les choses. Moi : Et du coup ça s’adresse plus à qui alors les soins palliatifs ? Cathy : C’est quand même une population qui a (…) qui sont atteints d’une pathologie grave, évoluée, la plupart du temps (…) et qui sont en phase aiguë comme je disais, ce sont des symptômes difficiles à gérer pour d’autres unités ou au domicile. Moi : D’accord ok. Concernant toujours (…) dans le cadre de la fin de vie, est-ce que vous pensez que la prise en charge est différente, par rapport à d’autres lits, que

V

vous avez vécue dans d’autres services, la prise en charge est-elle différente pour vous ? Cathy : Bin (…) Oui, elle n’a rien à voir avec un service hospitalier habituel. Déjà l’organisation est différente, on travaille en binôme IDE/AS. Ce qui fait que la prise en charge du patient est totalement différente. On a peut-être une cotation de soignants aussi qui est supérieure mais pas tant que ça. On entend souvent « vous avez le personnel qu’il faut, vous avez le temps… » Mais ce n’est pas vraiment cette question-là, c’est surtout qu’on s’organise différemment. Ce qui fait que la prise en charge, on essaie de la rendre optimale pour les patients. De travailler en binôme on rassemble les soins, des soins qui peuvent être pénibles pour beaucoup de patients. Le fait de rassembler les soins comme ça je trouve que c’est ça intéressant de travailler en binôme, déjà ça. Après il n’y a pas que ça, l’organisation de travail, c’est aussi un état d’esprit en fait, un état d’esprit différent que dans les autres services. Moi : Différent dans le bon sens ? Cathy : Dans le bon sens oui, parce plus soudée, on est très unis dans l’équipe ça s’est sûr mais aussi au niveau de l’éthique du travail. Le fait de travailler en binôme nous aide à se comprendre les uns les autres, on a beaucoup de temps d’échange en équipe, le matin et l’après-midi. Le matin avec les médecins aux transmissions, plus le cadre, la psychologue… Tous ces intervenants participent aux transmissions le matin. Ce qui fait que dans cet échange-là, il n’y a pas de rapport (…) je ne sais pas comment expliquer ça (…) Les médecins sont très abordables ici par exemple, c’est vrai que s’il y a quelque chose qui nous pose soucis sur la prise en charge on peut facilement échanger avec eux. Chose que dans les autres services je pense que c’était plus appliquer des prescriptions, en ce qui me concerne en tout cas, de mon expérience c’est plutôt ça. Et même pour la prise en charge des patients et des familles, je trouve que le temps d’écoute est différent, l’écoute a une place très importante dans notre travail. Moi : D’accord. Alors ça c’est plutôt les points positifs, est-ce que vous vous trouvez des difficultés dans cette prise en charge, y-a-t-il quelque chose qui manque ? Cathy : Qui manque (…) Pas vraiment, mais c’est quand il y a des situations complexes avec certaines familles ou certains patients. Ce n’est pas évident des fois de prendre du recul. Quand on travaille à temps plein et qu’on est à plusieurs jours d’affilés et qu’on s’occupe de la même famille, c’est difficile, on peut vite être épuisé. Etre d’après-midi ou du week-end on est que deux binômes (…) donc on ne peut pas franchement passer le relai donc là c’est difficile. Ce n’est pas franchement un manque, c’est plus une difficulté. Et on est de plus en plus confronté à des situations difficiles avec les familles par rapport à la révision de la loi Léonetti qui n’est pas encore passée mais ils font l’amalgame entre sédation et euthanasie. On est de plus en plus confronté à ce genre de soucis là et du coup (…) ce ne sont pas des rapports conflictuels avec les familles hein, mais une incompréhension du coup de cette loi là qui fait que la prise en charge est difficile. Moi : D’accord, ok. Est-ce-que dans cette fin de vie, est-ce que pour v ous il vous semble nécessaire de s’impliquer personnellement p our accompagner au mieux le patient dans sa fin de vie ? Cathy : Je ne sais pas si je dirais s’impliquer personnellement. S’impliquer professionnellement c’est une évidence. Parce que déjà toutes celles qui font partie de l’équipe, il me semble à l’heure actuelle, dès l’ouverture du service c’est un volontariat. On passe un entretien, personne ne vient dans ce service pour un poste sans en avoir envie, sauf en cas d’extrême urgence, pour un remplacement. Déjà professionnellement c’est du volontariat, faut avoir envie de venir ici. Si on a envie de venir ici c’est que forcément ça découle d’une envie personnelle de s’impliquer

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professionnellement. En ce qui me concerne je suis venue dans ce service ci parce que ça correspondait à mon idéal de soins. Et on s’implique personnellement, bin oui, sûrement ! Déjà il y a des situations qui nous touchent plus que d’autres. (/) Moi : Donc ces situations, qui vous touchent le plus, pour vous c’est s’impliquer du coup personnellement ? Cathy : Ouais. Moi : Ok, très bien. On va faire le lien du coup justement avec cette distance professionnelle, pour vous qu’est-ce que c’est la « distance profess ionnelle »? Est-ce que ça existe, est-ce que ? (/) Cathy : Ca existe parce qu’on met forcément une distance avec les patients et l’entourage, il y a une distance (…) Le fait d’avoir la blouse blanche déjà ça met une distance je trouve, c’est un symbole hein mais (…) ça met une distance. Moi : Du coup cette distance, pour vous, c’est plus représenter par la blouse blanche ? Cathy : Pas seulement, il y a ça déjà je pense qui met une distance avec un patient ou une famille, au niveau du symbole. Après (…) même si on peut être touché par une situation on n’est pas impliqué totalement émotionnellement dans une prise en charge, on est touché par une situation. Quand on sent que ça commence à aller trop loin ou qu’on est trop ému, soit on passe le relai, soit on diffère. On trouve autre chose à faire, on diffère des soins (…) Moi : Parce que du coup, pour vous, et spécifiquement dans une prise en charge d’une fin de vie vous trouvez ça plus important encore de vraiment respecter cette distance professionnelle ? Cathy : Après je ne sais pas comment exprimer la distance professionnelle (…) parce que (…) On est forcément impliqué. On voit très souvent les familles, on fait des entretiens familles avec les médecins. Comme je le disais toute à l’heure on n’est que deux à gérer par exemple l’après-midi, plusieurs jours d’affilés des fois, donc les familles nous voient très régulièrement et on voit que même on s’attache entre guillemets à des têtes connues parce que quand leur proche décèdent et qu’ils reviennent dans le service ils sont touchés de nous revoir, les têtes qu’ils connaissent, donc je pense que (…) Mais ça reste une distance professionnelle quand même parce que (…) il y a une distance professionnelle qui existe parce que sinon ça me poserait soucis de me sentir (…) de dépasser la limite, c’est plus comme ça que je l’entends cette distance professionnelle là. Moi : Avec une limite ? Cathy : Oui voilà avec une limite. Moi : Ok. (…) Et du coup si on se rattache plus au mot « professi onnel », est-ce que pour vous il existe une définition de « être pr ofessionnel » ? Toujours en lien avec cette fin de vie (/) Cathy : Moi quand j’entends ça « faut être pro » j’entends aussi cacher ses émotions du coup. Ça fait un peu (…) refouler ce qu’on peut ressentir a un moment donné, j’ai cette impression-là. Quand on va entendre dans le langage commun « faut être pro » c’est-à-dire mettre à distance ce qu’on peut ressentir à un moment donné. Après, moi, travailler en soins palliatifs je l’entends pas comme ça. Ce n’est pas parce qu’on est dans (…) « être professionnel » ce n’est pas forcément renier ce qu’on ressent, au contraire. Moi : Du coup ça serait quelqu’un qui peut avoir des émotions justement « être professionnel » ? Cathy : (Rires). Ba oui, si on ne ressent plus rien, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas je pense. Au contraire ressentir quelque chose, que se soit une bonne ou mauvaise émotion -encore j’aime pas trop cette expression là parce qu’une émotion n’est pas forcément bonne ou mauvaise- c’est qu’elle s’invite à soi et qui a une raison.

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Elle nous permet soit de nous remettre en question, soit d’avancer positivement. Et dans un service comme celui-ci on est tous confronté un jour ou l’autre à nos émotions, si ce n’est pas quotidiennement d’ailleurs. On est confronté à nos émotions, que ce soit la colère dans certaines situations, l’agacement ça nous arrive aussi, la tristesse et heureusement beaucoup de joie quand même au quotidien. Moi : Très, bien. Est-ce que du coup, vous l’aviez déjà un peu énoncé toute à l’heure, mais est-ce que vous avez déjà eu l’impression d’être al lée trop loin émotionnellement avec un patient dans son accompagn ement vers la fin de vie ? Vous personnellement, est-ce que vous avez déjà eu cette impression ? Cathy : Je n’ai pas franchement l’impression d’être allée trop loin dans la prise en charge d’un patient mais (…) je me suis déjà posée la question de savoir pourquoi certaines situations me touchaient plus que d’autres. Après j’ai jamais eu le sentiment d’avoir franchi la limite avec n’importe quelle prise en charge mais ça m’est souvent arrivé d‘être émue par une prise en charge en fin de vie : touchée par un décès, de voir l’effondrement d’une famille et de l’empathie mais c’est aussi une projection probablement suivant la situation. Une personne d’un certain âge qui peut nous faire penser à nos parents, nos frères et sœurs. Je pense que c’est lié à ce genre de choses. C’est plus peut-être lié à des projections plutôt qu’une implication personnelle avec un patient où là ça serait un peu franchir la limite. Moi : Vous pensez que ça peut arriver quand même de s’impliquer trop (…) Je ne sais pas, une de vos collègues (…) Comme vous vous posez la question « comment je fais si un jour ça m’arrive ? » pour vous c’est possible d’aller trop loin émotionnellement ? Cathy : (…) Moi : Ou justement pour vous ça serait dépasser la limite du « être professionnel » ? Cathy : (…) De l’empathie on en a mais après avoir de l’attachement pour un patient c’est différent. Moi : Ok. (/) Cathy : Mais après faut pas se leurrer, il y a des situations qui (…) sur lesquelles on s’implique davantage sans pour autant en être conscient. Moi : Du coup je passe aux émotions. J’avais une question sur les émotions qu’on peut ressentir par rapport à une prise en charge d’ un patient en fin de vie mais vous me les avaient déjà données : la joie, (…) Cathy : Ça passe par tous les stades. La joie dans les soins, on prend en charge au quotidien donc on rigole beaucoup avec les patients aussi (…) beaucoup avec les patients. C’est vrai que les mots c’est une bonne médiation pour les soins (…) l’agacement des fois, bin oui ça arrive. L’épuisement (…) la colère et de la tristesse. Ce que je vous disais quand on voit une famille effondrée, on ne peut pas rester indifférent. Moi : D’accord. Et dans ce cas, comment vous arrivez à gérer vos émotions ? Est-ce que vous arrivez et si oui, pour que ça déborde pas sur votre posture professionnelle ? Cathy : Ça peut arriver que ça déborde, ça m’est arrivé une fois (…) Où c’était le troisième décès que je prenais en charge en moins de 24h avec des familles en souffrance, très en souffrance et qui avaient besoin beaucoup d’attention et d’écoute. Et au troisième décès, c’était un jeune monsieur et son fils était présent (…) et il est parti téléphoner à sa mère pour prévenir que son (…) le monsieur allait décéder. Il est décédé avec moi en l’absence du fils dans la chambre et quand le fils est revenu il s’est effondré dans mes bras et là j’ai eu du mal à me contenir. Je ne me suis pas effondrée devant le fils du monsieur hein. Mais dans ces cas-là, on trouve le moyen de s’isoler quelque part. Chacun après a son truc, je sais qu’il y a des collègues qui vont s’isoler dans les toilettes, moi personnellement je vais dans la réserve ranger les

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coussins. Chacun ses petits trucs. Sur le moment en tout cas, pour gérer le trop plein. Et après on décharge énormément pendant les transmissions avec l’équipe qui nous relève, ça c’est au niveau du court terme. Le lendemain, aux transmissions du matin, avec le médecin on en parle beaucoup aussi, ça nous aide. Et de temps en temps on a un groupe de paroles dans le service avec un psychologue qui vient de l’extérieur pour discuter de situations qui nous ont posé problème. En tout cas c’est un lieu d’échange adéquat pour ce genre de choses. Moi : Donc là pour vous, la solution c’est vraiment en parler, se décharger ? Cathy : Ah oui ! Moi : Et vous vous sentez assez soutenu ? Cathy : Oh oui, par toute l’équipe. Et avoir une vie béton aussi à l’extérieur. Ne pas ramener les soucis à la maison, faire que ça se passe bien à la maison. C’est difficile de laisser les problèmes du travail sur place mais (…) c’est pour ça que ce temps d’échanges avec les collègues aux transmissions c’est important parce que (…) faut pas ramener ça avec nous. Moi : Très bien. Du coup je vais finir par la communication, par le thème de la communication. La question est peut être un petit peu floue mais si vous avez besoin je vous expliquerai un peu mieux avec un exemple. Pour vous la communication peut-elle représenter un frein à l’élaboration d’un e juste distance avec le patient en fin de vie ? Cathy : La communication ou l’absence de communication ? Moi : Ba justement (…) Ca peut être la communication verbale ou non, par exemple l’interprétation que vous pouvez faire d’une communication non verbale (…) parce que là du coup c’est sur ce que vous allez ressentir mais c’est pas forcément ce que le patient aura voulu dire, donc est-ce que vous pensez que justement ça peut.. Cathy : Un frein à (…) ? Moi : A l’élaboration de la juste distance. Cathy : (…) J’essaie de me souvenir d’une situation (…) Pas forcément, je ne pense pas, c‘est pas un frein pour la distance (…) Moi : Moi, je vous donne un peu l’idée que j’avais quand je posais cette question, j’étais avec un patient qui n’avait plus de communication verbale et donc ce n’était plus de la communication verbale et je voyais en lui qu’il souffrait, pour moi c’était atroce de voir ça du coup je voulais me rapprocher de lui pour le soulager alors que ce ça se trouve ce n’était pas du tout ça qu’il voulait, et cette distance était un peu rompue du coup, parce que j’ai interprété cette non communication (/) Cathy : On est tous dans l’interprétation quand il n’y a plus de communication verbale (…) Déjà pour une échelle de douleur comme « algo plus » c’est de l’interprétation donc (…) mais c‘est pas pour autant que ça empêche d’avoir une juste distance soignant-soignée, je ne pense pas. Après c’est peut-être (…) pour nous rassurer nous aussi qu’on a cette interprétation (…) Histoire de se dire qu’on a fait quelque chose. (Rires) Parce que c’est vrai que la plupart du temps, quand on rentre dans la chambre d’un patient en fin de vie imminente, où il n’y a plus de communication, où il n’est plus conscient on a quand même besoin de faire quelque chose dans la chambre. On a toujours quelque chose à faire même s’il n’y a plus de communication verbale, on parle quand même au patient, peu importe après ce qu’il en fait. On part du principe que c’est entendu. Ça doit être pour nous rassurer. Peut-être… Moi : Du coup est-ce que vous avez quelque chose d’autr es à ajouter sur ce thème de « la distance professionnelle » , peut être que je n’ai pas pensé à tout, sûrement même… ? Cathy : (…) Il n’y a pas mal de chose à dire, c’est un grand (…) assez vaste sujet. Après la distance professionnelle (…) Ce n’est pas sûr qu’il y ait vraiment une règle de

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conduite du professionnel à avoir sur le terrain. On travaille avec les mêmes bagages communs, on a tous suivi la même formation, mais on a aussi notre bagage personnel qui est là, avec nos personnalités. Ce qui fait que les soignants sont plus émotifs que d’autres, plus impliqués que d’autres, plus démonstratifs que d’autres. Je pense qu’en tout cas on est tous impliqué. Après on (…) mais (...) impliquer professionnellement c’est aussi s’impliquer personnellement sur ce qu’on fait, faut juste trouver la juste distance mais qu’est-ce que c’est la juste distance justement ? Je pense que c’est quelque chose de (…) qu’on (…) qui (…) Ce n’est pas quelqu’un d’extérieur qui va nous dire, parce que la juste distance c’est à nous aussi de la trouver, je pense qu’on est capable de ressentir quand on va trop loin. Je pense. Moi : Hum. Je trouve que vous avez assez bien conclu pour le coup. Je vous remercie en tout cas et je vais arrêter là. »

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Annexe IV : Retranscription de l’entretien n°2

Le deuxième entretien a été réalisé dans le service de médecine ouest à l’hôpital de Concarneau, avec une infirmière que nous appellerons Annie. Avant de commencer j’ai informé l’infirmière de mon thème de mémoire, de mes concepts et je lui ai demandé l’autorisation pour enregistrer la discussion. La durée est de 35min22s.

Légende : (…) silence ; (/) parole coupée

Moi : « Je vais commencer par vous demander l’année de votr e diplôme . Annie : 2012 ! Euh 2002, (Rires) ça va faire 13 ans. Moi : D’accord. Est-ce que vous avez eu des diplômes supplémentaires, des DU ? Annie : Non, non. Moi : Et du coup quel a été votre parcours professionnel ? Annie : Moi je suis en mutation ici, je travaillais à Ploërmel, dans le Morbihan, pendant quelques années, de 2002 à 2007. J’ai fait un an dans tous les services en fait, chirurgie, comme je faisais des remplacements, médecine gériatrie. Et j’étais pendant six, sept ans en réa. Et après je suis arrivée ici, puisque mon mari travaille à quimper, j’attendais une mutation vu que j’étais en poste à Ploërmel. Et le temps de la mutation, j’étais en clinique, clinique St Michel où j’ai fais de la chirurgie. Et je suis arrivée sur le CHIC en 2009, j’ai fais deux mois de gériatrie et je suis arrivée en médecine Est, deux mois et après je suis en poste en médecine ouest depuis 2009. Moi : Très bien. Du coup ce n’était pas forcément un choix de votre part de travailler ici en médecine ouest ? Annie : Je n’avais pas trop de (…) ce n’était pas une demande particulière (…) mais j’étais (…) Polyvalente. Je vais aller en MMS, Si ça me plait, ca me plaira. Si ça ne me plait pas je demanderai de changer, donc je suis encore là (…) Moi : Et ça vous plaît. (Rires) Très bien. Alors je vais commencer les questions sur la fin de vie. Annie : Oui. Moi : Si on commence par les soins palliatifs, qu’est-ce que ça représente pour vous ? Annie : Les soins palliatifs (…) c’est une prise en charge de la personne. Soins palliatifs et fin de vie ce n’est pas la même chose encore. C’est soulager la personne dans sa douleur, dans ses demandes, dans sa maladie. Il faut qu’on soit présent pour le patient et la famille aussi. C’est un parcours qui est très long. Je trouve qu’on arrive à trouver notre place en tant que soignant. Je trouve qu’ici (…) je ne suis pas trop en difficulté par rapport aux soins palliatifs. Moi : Du coup ça s’adresserait plus à qui alors ces soins palliatifs ? Annie : Ca peut être (…) Des cancers (…) des fins de vie de cancers, des patients qui sont en hospitalisation à domicile et (…) que la fin de vie ne peut pas être gérée par la famille, mais ils savent très bien que s’il y a des soucis ils peuvent revenir ici, s’est arrivé récemment. Ils viennent ici pour mourir tranquillement en fait. Il faut que les patients et la famille soient apaisés aussi. Et ça peut être (…) la fin de vie qui (…) les gens sont au bout du rouleau, qu’on arrive plus à soulager la douleur. Des fois pour certains cancers la douleur est difficile à gérer. Moi : D’accord, très bien. Et dans le cadre de la fin de vie, pensez vous que la prise en charge est différente par rapport à d’autres lit s du servie ? Il y a des lits identifiés ici (/)

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Annie : Oui, en fait on a (…) 2-3 lits identifiés soins palliatifs qui sont (…) mais après c’est n’importe quelle chambre, ce n’est pas la chambre un tel hein. La prise en charge est différente dans le sens où c’est plus long, puisqu’en général, c’est soulager les douleurs donc (…) c’est souvent les toilettes à deux, souvent ils sont alités donc ça veut dire des soins (…) des injections d’antalgiques avant la toilette pour soulager, et (…) des soins de confort, tout ce qui est soins de bouche, ces choses qu’on fait (…) prendre du temps pour les soins d’escarres. On met un peu plus de temps en fait mais la prise en charge est différente (…) peut être plus psychologique par rapport à la famille aussi, ça dépend (…) parce que le patient parle très rarement de sa fin de vie (…) donc les soins palliatifs c’est différent, mais bon (…) Moi : Et est-ce que vous trouvez des difficultés dans cette prise en charge différente ? Annie : (Rires) Le manque de temps. Ca dépend, des fois on a le temps (…) Les soins, souvent, on les fait en dernier. Souvent, on fait d’abord les toilettes des plus valides et ensuite on a aussi nos soins à coté à faire donc (…) avec notre collègue aide-soignante, en binôme donc (…) faut qu’on puisse se libérer aussi (…) on fait nos soins avant mais c’est pareil, il ya le médecin qui fait le tour des prescriptions. On peut avoir des pansements, des ponctions d’ascite, des transfusions, des choses aussi qui sont demandées en fin de matinée. Puis il y a l’heure qui tourne aussi. Faut s’organiser. Moi : Et du coup votre solution là c’est plus de laisser ces soins pour la fin de votre matinée, comme ça vous savez que (/) Annie : Ou des fois quand on ne peut vraiment pas, nos collègues aides soignantes font en binôme, toutes les deux quoi (…) mais ça veut dire que si ce travail est lourd pour nous, il l’est pour elles aussi. Puis bon voilà, si on finit à midi et quart au lieu de midi, ce n’est pas grave. Les gens sont pas (…) Les repas seront un peu plus tard (…) Ca se fait hein ! On ne va pas s’énerver. On fait quand on peut (/) Moi : Et du coup, selon vous est-ce qu’il est nécessaire de s’impliquer personnellement pour accompagner au mieux le patien t dans sa fin de vie ? Annie : En fin de vie ? Moi : Oui dans la fin de vie. Vous trouvez qu’il y a plus une implication personnelle, ou pas ? Annie : De toute façon, on a tous eu les larmes aux yeux des fois(…) Je pense qu’on a (…) un consensus d’équipe, vraiment (…) Vraiment, la fin de vie ce n’est pas vraiment le patient c’est plus la famille. Le patient, en général, en fin de vie n’est plus trop conscient, on est plus là pour soulager sa douleur. Comme les médecins nous écoutent, on n’est pas en difficulté par rapport aux prescriptions. Ba du coup les patients je trouve qu’ils sont apaisés. Donc on n’est pas en difficulté, personnellement c’est plus accompagner les familles je trouve (…) à les rassurer. Moi ça m’est arrivé, il y a deux ans, c’était une dame qui avait 90 ans, elle avait une fille unique, qui vivait encore chez elle, et qui était très proche d’elle. Je l’accompagnais pendant le décès de sa maman. Et parce qu’elle n’allait pas bien, donc je mettais un peu d’oxygène de confort à sa maman, on avait ce qu’il faut, elle était sous hypnovel et morphine (…) Et j’ai dis à sa fille « si vous voyez qu’elle ne va pas bien, vous me rappelez » et je suis partie de la chambre et elle est décédée pendant ce temps là. Et je suis revenue après. Et c’était dur, c’est sûr. C’était dur pour la fille et ça m’a fait (…) c’est dur personnellement, mais bon on trouve les mots, on arrive un peu à apaiser. On reste tranquille, on arrive à (…) Et le lendemain, elle était revenue me remercier, moi je n’étais pas là mais elle était revenue me remercier dans le service par rapport à l’accompagnement. Et c’est réconfortant, c’est ça en fait. Faut que les familles aient un bon souvenir de la fin de vie de leur (/) Moi : Pour vous, si vous vous êtes « bien » impliquée en fait, pour vous la récompense c’est les remerciements des familles, enfin ce qui montre (…)

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Annie : C’est dur déjà pour eux, et quand ils voient que c’est une fin de vie qui s’est bien passée, qu’ils sont soulagés (…) je trouve que c’est (…) oui c’est une récompense (…) enfin, une preuve que le travail soit (…) et que la famille soit apaisée aussi. Et puis parce que des fois ça arrive que des fins de vies soient dures. Et quand on arrive à ce que la famille dise « merci », c’est quand même (…) c’est bien. Notre travail est bien fait en fait. Moi : Du coup, je vais passer aux questions sur la distance professionnelle. Pour vous qu’est-ce que la distance professionnelle ? (…) En général on n’aime pas trop cette question. Annie : Ce n’est pas que je n’aime pas cette question, disons que (…) mais on l’a hein. On met toujours la blouse blanche déjà, et je trouve qu’on arrive à (…) les émotions sont (…) on arrive à gérer les émotions parce que ce n’est pas notre famille, on est neutre. On n’est pas impliqué émotionnellement même si c’est dur des fois, c’est compliqué mais (…) c’est pareil, je ne sais pas comment expliquer (…) J’arrive à trouver la distance, c’est-à-dire que je vais être empathique, comprendre mais (…) je rentre chez moi je ne vais pas y penser, enfin personnellement (…) Je le vis bien quoi. Moi : Oui donc vous êtes plus dans l’empathie que (…) (/) Annie : Je comprends, je comprends, je ne vais pas (…) j’arrive à (…) après il y a l’expérience qui fait aussi. Et ça c’est peut être plus facile aussi. De toute façon, on est humain, il y a des choses qui nous touchent plus que d’autres. Moi : Mais vous arrivez quand même à (…) il faut pas (/) Annie : Et puis quand les familles restent plus longtemps aussi, les familles prennent leur aise aussi, donc il faut recadrer un petit aussi, c’est compliqué aussi. C’est compliqué le coté où ça fait un an ou deux, où ils prennent leurs aises. Des fois ils sont (…) Oh, en général ça se passe bien. Après voilà, s’ils nous appellent par nos prénoms, moi ça ne me dérange pas. Bon après, qu’ils me tutoient bon ça (…) ça dépend des contextes, ça dépend (…) quelqu’un qui arrive pour un sevrage et qui me tutoie « oula » (…) Moi : Oui mais toujours dans la fin de vie (/) Annie : Oui voilà, ça dépend. La distance je pense qu’il faut l’avoir, on n’a pas le choix, on s’impliquerait trop sinon, ça serait (…) tout gérer, tout gérer, on n’est pas des machines. Moi : Donc du coup, elle est encore plus importante, pour vous, à tenir cette distance pour une prise en charge de fin de vie ? Annie : Pas plus que d’autres. Ben non parce qu’au même temps (…) on est plus impliqué quand même, parce que la famille nous connaît plus (…) Et puis des fois on parle de nous, moi je parle de ma famille, de mes enfants. Et ils aiment bien aussi, comme ça ils parlent de leurs enfants, (…) Moi : Mais ça vous pouvez le faire pour une autre prise en charge, donc il n’y a pas de différence ? Annie : Non, non. Moi : D’accord, ok. Et toujours dans l’accompagnement de la fin de vie, est-ce que pour vous, il y a une définition de « être professi onnel » ? Annie : (…) Dans la fin de vie, avoir une attitude particulière ? Moi : Dans le contexte de la fin de vie, qu’est-ce qui (…) Si vous deviez donner une définition du « être professionnel ». Qu’est-ce qu’il faut faire, enfin voilà, comment vous voyez le « rester professionnel » en fait ? Annie : (…) Moi : Ca rejoint peut être ce que vous avez déjà dit (/) Annie : Ben, dans une fin de vie (…) c’est un patient comme un autre en fait. Ce n’est pas la personne elle-même qui parle de sa fin de vie. C’est rare qu’on parle de mort.

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Ou quand ils disent qu’ils veulent partir, ça leur arrive, quand ils disent « faites moi partir, je veux partir » ben moi je réponds que je ne peux pas, c’est pas mon travail. Moi je dis « Je peux juste vous soulager dans la douleur » et ils comprennent. (…) Etre professionnel, quelle définition ? (…) Ben, essayer d’écouter déjà, lui et la famille. Ne pas juger, parce que des fois il y a des histoires de famille compliquées. Ne pas juger les familles. Et ne pas être brusque aussi, je trouve (…) le fait de (…) parler poliment, c’est peut être ma façon de me protéger aussi. Mais j’ai toujours fonctionné comme ça et (…) puis vraiment, quand ils nous disent que ça ne va pas, il faut les écouter quoi. Après (…) être à l’écoute en fait, c’est (…) ils peuvent être très anxieux aussi, si on ne leur dit pas les choses non plus. Des fois il y a des familles qui veulent cacher. Alors ça ce qui est dur, c’est quand les familles veulent cacher la maladie à la personne. Moi : Et vous du coup, votre position ? (/) Annie : Ben, on ne peut pas leur dire hein, si la famille ne veut pas. Mais bon, ils savent bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas, c’est pour ça que parfois c’est un peu compliqué. Et ça m’est même arrivé une fois, j’étais surprise, parce que le patient était en fin de vie, il était calme, bien. Il n’était pas encombré ni rien. Je dis souvent ça à la famille, la fin de vie c’est comme une bougie qui s’éteint tout doucement. Et le but des soins palliatifs c’est d’éteindre cette bougie mais tout doucement et sans accros, qu’elle se consume tranquillement. Et c’est une image qui est toujours importante pour expliquer à la famille, un petit peu cette histoire de bougie qui se consume, qu’il va s’éteindre tout doucement mais que voilà. Donc il y avait ce monsieur, qui était vraiment apaisé et sa femme était choquée de le voir comme ça. « Ah non, là je ne peux pas le voir comme ça » Et ça parce qu’il dormait la bouche ouverte, mais il dormait, il était calme. Et d’un coup là, j’étais un peu embêtée, parce qu’il était bien, il était calme (…) Je pense que sa femme n’était pas prête au décès de son mari. Mais je me suis dis « qu’est-ce qu’on peut faire de plus ? » parce que là (…) Moi : Alors que là, pour vous, vous aviez accompli votre travail ? Annie : Ba je ne voyais pas ce qu’on pouvait faire (…) Le résultat c’est que le patient est parti apaisé, donc (…) C’est vrai qu’il était endormi, il n’était pas encombré. Parce que c’est vrai que ce qui est compliqué dans les fins de vies, c’est aussi quand ils sont encombrés. Là c’est dur, c’est dur parce qu’il faut qu’on vienne les aspirer et là c’est des fins de vie qui sont compliquées. On ne peut pas gérer, donc c’est plus dur, les familles ont plus de mal, les patients sont encombrés mais ils ne s’en rendent pas compte. Je l’avais proposé de voir quelqu’un, un psychologue mais elle avait refusé, je pense que (…) Mais en fait non, parce qu’elle a été hospitalisé dans le service après et elle n’avait toujours pas accepté. On n’avait pas réussi, bon (…) Moi : Est-ce que, toujours dans la distance, avez-vous déjà eu l’impression d’être allée trop loin émotionnellement avec un patient da ns son accompagnement en fin de vie ? Annie : (…) Moi : Est-ce que vous croyez que c’est possible ? Annie : Je pense que (…) Ici (…) Trop loin, non mais (…) Il y a des situations qui sont assez dures. J’ai l’exemple d’un monsieur qui était marié, mais qui ne voyait personne dans le service et qui avait un néo ORL. Imaginez, il n’y avait plus d’oreille, la joue qui avait une nécrose qui partait de l’oreille, on voyait quasiment le muscle. Et c’est vrai que c’était un monsieur avec des bandages énormes, c’était lourd quoi, il allait (…) il savait qu’il allait partir et (…) C’est vrai que sa femme ne voulait pas que ses enfants viennent, que sa famille vienne, elle a du venir deux fois. Et quand il est décédé, j’étais là, et c’est sa nièce en fait qui avait su qu’il était hospitalisé et donc (…) je lui ai dis « attendez je vais le voir dans la chambre avant que vous rentriez parce qu’on sait jamais s’il a enlevé son pansement ». Et quand je suis rentrée, il était décédé. Et c’est

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vrai, que là on s’est retrouvé (…) il ne parlait pas beaucoup ce monsieur. Et du coup quand sa nièce est arrivée, je l’ai accompagnée. Et ce monsieur, j’ai du appeler sa femme, et sa femme avait donné interdiction à sa famille de venir et (…) Ce monsieur il est parti seul en fait, personne ne l’a accompagné. Et sa famille n’était pas là pour le voir, ils n’avaient pas le droit. Donc il est décédé sans famille, sans rien. C’est vrai que c’est dur quand on a des prises en charge comme ça, mais (…) on n’est pas trop impliqué parce qu’on ne peut pas s’impliquer mais (…) le patient était adorable, mais il en parlait pas. Ca devait le travailler beaucoup, et du coup (…) Mais je ne peux pas dire que je suis allée trop loin. Moi : Mais c’est quand même une situation qui vous a touché plus qu’une autre ? (/) Annie : Ba c’est dur (…) en plus il était maigre, il ne mangeait pas beaucoup, il avait du mal à déglutir. C’était une maladie (…) Et puis il avait un pansement (…) On a eu une dame aussi, pareil, avec une petite tumeur au niveau du menton, qui a grossi, grossi, grossi, qui était énorme et qui est décédé (…) du coup elle avait des saignements, elle est décédée parce qu’elle a fait un choc cataclysmique. Donc on a du l’endormir pour arrêter les saignements et du coup, ben (…) elle s’est réveillée après mais, (…) c’est vrai que les néo ORL c’est compliqué. Quand on sait que ça peut saigner, ou des petites tumeurs, ou quand on voit l’artère qui bouge (…) mais bon s’impliquer (…) c’est plus des situations qui nous touchent plus en fait, parce que c’est des gens qui restent très longtemps, et qu’on sait très bien qu’ils vont partir, soit ils vont partir tranquillement, soit ça va être des saignements (…) mais bon, aller trop loin (…) Non. C’est plus les familles qui préfèrent certains soignants à d’autres. Pas plus que dans d’autres pathologies (…) Après je pense que pour être bien en soins palliatifs il faut être bien déjà soi, avec le concept de la mort et de la (…) Oui je pense qu’il faut être (…) pas à l’aise mais (…) (/) Moi : Etre conscient au moins de ce qu’on peut faire, voir (…) Annie : Oui voilà, jusqu’où on peut aller (…) Ici les médecins sont adéquats, en médecine Ouest, ouais. Ils sont (…) On sait que l’hypnovel c’est pour apaiser, ce n’est pas pour (…) on ne va pas tuer avec l’hypnovel, on endort. Et la morphine c’est pour calmer, et en fait on calme, et puis ils partent. C’est la bougie qui se consume, tranquillement. Sauf que des fois, ce n’est pas assez et il faut augmenter. Et le plus dur c’est l’encombrement, là par contre quand ils s’encombrent (…) Moi : On n’aime pas trop. Annie : Non ! Parce que du coup il faut aspirer, c’est compliqué les râles pour la famille, des fins de vie mais bon (…) Moi : On va passer du coup aux concepts émotions. Annie : Oui ! Moi : Quelles émotions avez-vous ressenties déjà lors d’u ne prise en charge, toujours en fin de vie ? Annie : (…) Moi : Si vous en avez déjà ressenties (/) Annie : Oui, ben si. Mais quelles émotions (…) Moi je pars du principe, pour tous les patients « ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse ». Je me dis que si moi j’ai mal, j’aimerais qu’on me soulage. Je ne veux pas qu’on me crie dessus, je veux de la douceur en fait autour de moi. Je ne suis pas quelqu’un qui va « rouspiller » ou (…) J’essaie de (…) l’humour marche pas mal pour ça, et (…) les soins palliatifs c’est parfois (…) on est triste de la situation, souvent, au début mais après on est là, faut qu’on s’occupe de la prise en charge de la douleur, de ses besoins, de sa demande (…) Les émotions (…) Moi : Il vous arrive d’avoir de la joie avec les patients en fin de vie ?

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Annie : Oh pour moi c’est (…) Oui enfin, il y en a qui sont présents donc on peut (…) ben oui, moi je passe beaucoup par l’humour donc ça passe bien, on parle d’autres choses, on n’est pas obligé de parler que de la mort, parce que de la mort ils en parlent pas, très peu. Moi : De la colère par rapport à une prise en charge qui ne vous a pas plu, que vous (/) Annie : Ba ça arrive des fois, mais (…) je ne trouve pas que se soit ça qui domine. Non, je trouve qu’on arrive (…) il y a des soucis avec les médecins en médecine Est, c’est compliqué mais (…) quand les médecins nous écoutent et qu’ils comprennent, ils arrivent à doser. Ca arrive des fois que ça ne soit pas assez vite pour nous, on aimerait bien qu’ils augmentent un peu plus, par exemple la dose d’oxynorm en seringue électrique, pour faire un peu plus de bolus mais (…) Moi : En général ce n’est pas ça que vous ressentez le plus alors. Plus la tristesse et l’humour en fait (/) Annie : Oui voilà, et puis tristesse (…) c’est un grand mot (…) au début, oui, voilà c’est quand même dommage, le cancer est arrivé là, bon on est rendu là (…) C’est voilà, la maladie, pourquoi elle est arrivée à nous (…) Après il y a des contextes familiaux qui font que (…) On a une dame qui, son mari est décédé dans le service en septembre dernier, elle, elle a une tumeur de la vessie qui est en train de gonfler, son fils a un cancer ORL. Il y a juste une fille qui s’occupe de tout le monde, c’est lourd quoi. C’est vrai que c’est dur, c’est des contextes familiaux que (…) faut qu’on gère sa douleur, parce que c’est une tumeur, où voilà on ne peut plus rien faire, qui est en train de grossir, de sortir (…) Mais, je ne sais pas. Moi j’aime bien, j’aime bien les soins palliatifs. Je trouve que la prise en charge est complètement différente, que (…) quand on arrive à gérer, quand ça se passe bien, quand le patient n’est pas douloureux. Parce que des fois, en soins palliatifs, ils retournent à la maison. Et puis on leur dit qu’il y a une porte ouverte en médecine, si vraiment ça ne va pas (…) et puis ça rassure les patients et la famille aussi. Ils savent que s’ils s’encombrent ou si ça ne va pas, ils reviennent, en entrée directe, on réserve un lit et il vient quoi. Et ça se passe bien, c’est vrai que (…) ben les familles, on n’a pas de mauvais retour. Après les mauvais retours, ils nous en parlent pas non plus (/) Moi : Certains se gênent pas pour dire si (/) Annie : Oh non, quand même, pas beaucoup. On a des petites cartes après, des petits gâteaux, (…) Moi : Si on revient un peu aux émotions, c’est vrai que vous (/) Annie : J’ai déjà répondu c’est ça ? (Rires) Moi : Oui vous avez déjà dit, mais pour la tristesse par exemple, est-ce que vous arrivez à gérer pour pas que ça déborde sur votre p osture professionnelle ? Annie : (…) C’est-à-dire ? Pas trop impliquée personnellement ? Moi : Ben, que ça ne se voit pas, que vous arrivez à gérer, vous êtes triste mais vous arrivez à gérer (/) Annie : Non, moi je (…) Si par exemple quelqu’un (…) Je peux avoir les larmes qui montent aux yeux, je peux facilement (…) Ca monte mais ça ira (…) Moi j’ai (…) Ce n’était pas en soins palliatifs mais j’ai une dame qui était en fin de vie un petit peu, mais qui voilà, était usée, le cœur était prêt à lâcher on va dire. Puis sa famille vient, sa petite fille et son fils arrivent et je leur ai dis « écoutez, elle est un peu encombrée, je vous laisse aller la voir, je viendrai l’aspirer après. » Et là ils viennent me voir et me disent « je crois que mamie est morte. » Et donc quand on rentre dans la chambre, c’est dur. Les larmes montent aux yeux et puis ben, « oui elle est décédée mais bon (…) elle est avec vous, c’est bien que vous soyez là ». Donc voilà, c’est dur (…) C’est la première fois que ça m’arrivait donc (…) Moi : Mais la famille n’était pas plus choquée que ça de vous voir (/)

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Annie : Ils étaient tristes, mais de la voir comme ça. Mais bon, elle est partie avec eux. Moi : Et puis peut être de vous voir comme ça (/) Annie : Ah ben, oui, peut être (…) Bon, ils ont bien vu (…) C’est triste de partir comme ça mais bon (…) Et la dame qui est partie avec l’oxygène, ben c’est pareil, sa fille (…) et puis on est humain, les familles ça les rassure de voir aussi (…) non mais pleurer, pleurer dans les bras de (…) les familles qui pleurent dans nos bras, ça peut arriver aussi. Moi c’est juste que (…) ça peut monter (…) l’œil rouge on va dire (/) Moi : Donc pour vous, ça peut montrer à la famille que voilà, vous (/) Annie : Moi, je (…) Ce n’est pas grave, on est humain. On ne va pas non plus rester insensible à tout ça. « Ah elle est morte, ben elle est morte. Salut hein ! » Enfin, je ne sais pas (…) c’est un décès, on ne peut pas rester (…) Je pense qu’il faut être un peu au clair avec la mort (…) même les toilettes mortuaires, quand on en fait, on a beaucoup d’humour avec les collègues. Mais je pense que c’est une barrière, une protection. Ce n’est pas facile non plus. Moi : Donc pour vous, on ne doit pas forcément gérer (…) Voila si ça doit venir, ça vient parce qu’on est humain (/) Annie : Ben, faut pas que ça déborde (…) Ca dépend (/) Moi : Se mettre à pleurer dans les bras de la famille (/) Annie : Non ! Voilà, pleurer comme une madeleine, tomber dans les bras (…) Il y a une distance à (…) c’est normal les larmes qui montent un peu, parce qu’ils sont là depuis des mois (…) Le faire en équipe, voilà, c’est normal. Mais faut pas non plus rester insensible, être un mur sans expression. (…) Voilà, on est infirmière, on a des sentiments mais par contre, ce qu’il faut qu’on garde c’est nos soucis perso dans la poche. On arrive au travail, les soucis personnels dans la poche, c’est compliqué des fois. Mais voilà, faut pas qu’on prenne en plus ceux des patients (…) Il faut qu’on y arrive, et la distance se fait avec le temps. Au début c’est compliqué puis après (…) On dit que l’infirmière est neutre, tout dans la poche, on arrive au boulot tout va bien (…) Mais ce n’est pas toujours facile, des fois on ne va pas bien, donc on passe le relai. On peut avoir (…) moi ça m’est arrivé, j’étais en réa, c’était un décès d’un grand père et je n’ai pas pu encadrer la famille. Parce que moi j’ai mon grand père qui est décédé quelques jours avant donc je n’ai pas pu, j’ai passé le relai. Quand on est trop pris, on ne peut pas, on ne peut pas. Quand ça transpose trop à la famille, personnellement, il faut lâcher prise. Parce que moi là, je voyais mon grand père mort, donc j’en pouvais plus. Et dans ce cas là, il faut le savoir. Il ne faut pas se dire (…) et puis on est professionnel (…) Si vraiment on est trop impliqué personnellement, qu’on pense à quelqu’un de proche ou que ça nous gêne, voilà il ne faut pas (…) Là on a eu une, rien à voir avec les soins palliatifs, jeune dame pour sevrage d’alcool sur dépression post-partum, un bébé de cinq mois (…) donc moi je pense que j’aurais du mal à la gérer. Parce que personnellement j’ai des petits enfants, je me serais transposée. Ou des jeunes mamans alcooliques, là par contre j’ai du mal. J’ai du mal à prendre en charge, à prendre le relai. Ca dépend, j’aurais du mal à trouver ma place, je serai plus prise personnellement. Je vois un petit bout de chou qui marche avec la maman qui (…) Moi : On jugerait trop vite (/) Annie : Oui voilà, même s’il faut rester professionnel, mais c’est dur (…) Plutôt quand il y a des enfants, j’aurai plus de mal à trouver ma distance, on va dire que c’est une distance sécurité. Moi : Se protéger ? Annie : Se protéger. Il le faut. Moi : Très bien. Du coup je vais vous poser la dernière question avec la communication. La question est peut être un peu difficile mais je vous expliquerai

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mieux avec un exemple. Est-ce que la communication peut-elle représenter u n frein à l’élaboration d’une juste distance avec un patient en fin de vie, toujours ? Annie : Je ne comprends pas la question. (Rires) Moi : Oui voilà, c’est ça. Par exemple, imaginons que c’est un patient qui n’a plus de communication verbale, donc vous allez forcément interpréter ses mimiques, ses gestes. Et est-ce que du coup vous avez (…) on peut avoir cette impression d’avancer ce que le patient veut nous faire dire, et du coup cette distance peut être très juste (/) Annie : Ah oui. Ben ça peut être très compliqué parce que (…) on peut plus ou moins gérer la douleur, parce qu’on ne sait pas ce qu’il pense. On peut interpréter c’est sûr, mais les personnes qui ne parlent pas, qui ne communiquent pas, qui ferment les yeux, là on n’a pas de communication. On peut juste gérer la douleur, voir s’il fronce les sourcils, bon ben là « il a mal ». Ou s’il agite. Quelqu’un qui est en fin de vie (…) On avait un monsieur qui était en fin de vie, en soins palliatifs mais bon, fin de vie parce qu’il avait de gros escarres aux talons et il se dégradait régulièrement mais il n’était pas en (…) marqué soins palliatifs. Il s’est dégradé très vite, et ce monsieur là il ne parlait pas beaucoup mais quand il parlait (…) des fois il fermait les yeux, et il nous entendait pas, mais que nenni, des fois il ouvrait les yeux et nous répondait bien. Donc des fois il faut s’adapter au moment, parce que des fois ils ne vont pas nous répondre, ils sont fatigués (/) Moi : Et du coup quand vous sentez qu’il vous entend pas, est-ce que vous voulez être encore plus près, vous voulez (/) Annie : Pas plus que ça. Non je ne vais pas chercher à le (…) peut être qu’on le saoule. (Rires). Après il ne veut peut être pas qu’on lui crie dans ses oreilles. S’il n’y a pas de communication, si on lui demande de nous serrer la main et qu’il ne serre pas la main, qu’il n’ouvre pas les yeux, ben il est dans le coma, il est dans le coma. Et puis voilà, c’est qu’il est en fin de vie c’est qu’il est bien, c’est que nous est dans les soins de confort, on lui fait sa toilette, on le change, on est là, on gère sa douleur. Quand quelqu’un est là (…) qu’il ouvre les yeux, qu’il serre la main, ben on est là, on voit ce qu’il demande mais c’est compliqué. Moi : Ok. Donc il n’y a pas forcément un lien pour vous entre la communication et la juste distance ? Annie : Ben, non. Moi : Avez-vous quelque chose à ajouter concernant ce suj et ? Annie : C’est vrai que c’est un vaste sujet mais (…) Les soins palliatifs c’est vrai qu’on dit souvent soins palliatifs/fin de vie, ils sont en lien les deux. Mais pour moi, le principal, quelqu’un qui est en soins palliatifs/fin de vie, on soulage sa douleur, on le soulage, on essaie de l’apaiser, je ne dis pas qu’on ne parle pas de la mort, parce qu’on n’est pas non plus psychologue, on ne sait pas trop (…) enfin c’est très rare qu’on en parle. Et, l’important, c’est que la famille soit accompagnée. Oui on accompagne le patient, mais accompagner la famille c’est bien pour eux que ça reste un bon souvenir entre guillemets. Parce qu’on ne peut pas dire que se soit un bon souvenir le décès, mais que l’accompagnement qu’on a eu avec leur papa, leur maman, qu’ils soient content. Que se soit (…) Un exemple, la famille en fin de vie, ils viennent quand ils veulent, il n’y a pas d’heure, pas de restriction d’horaires. Ils appellent quand ils veulent la nuit, s’ils veulent dormir, ils dorment, et c’est un choix qu’on leur donne. « C’est vous qui voyez, si vous voulez rester, restez ». On ne peut pas leur dire « restez » et puis s’ils ne veulent pas rester. « C’est votre choix à vous d’accompagner, c’est votre ressenti à vous, c’est à vous de voir. Après qu’est-ce que vous voulez, qu’est-ce que vous avez besoin, si vous avez besoin de rester, restez. Si vous voulez qu’on vous appelle la nuit s’il décède, on appelle la nuit. Si vous ne voulez pas qu’on appelle la nuit, c’est vous qui nous le dites ». Parce que des fois, ils sont un

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peu perdus. Mais on ne peut pas leur imposer. « Vous réfléchissez puis vous nous dites. » Souvent, ils ne savent pas, ils sont perdus. Après des fois, on peut les guider si vraiment (…) Des fois ils sont contents. C’est pour ça que je trouve que la famille c’est important. Et puis les écouter et puis voilà. Moi : Ok, d’accord. (/) Annie : C’est particulier les soins palliatifs. Mais c’est vrai que (…) moi j’aime bien. J’ai fais, il y a deux ans, (…) les services ferment l’été, soit l’Est ou l’Ouest. Et donc il y a deux ans, j’ai été en oncologie une année trois semaines, et l’année d’après j’ai été en chirurgie, j’y suis retournée cinq semaines et non, non, je suis bien ici. Les soins on les connaît (…) mais je suis bien avec mes soins palliatifs. Il n’y a pas que ça hein mais je trouve que ça me convient, c’est une bonne prise en charge. Par contre ce que j’aimais bien en chirurgie c’était les pansements de chir ORL, même si c’est compliqué (…) J’étais en chir UTCT, il y a tout, et c’est pareil, la prise en charge on accompagne, ils sont stressés, ils sont très anxieux. C’est du palliatif des fois aussi, ils sont en palliatif mais c’est fin de vie, il faut les accompagner. Cancer ORL, ouais ce n’est pas (…) mais ça me plaît. Moi : Je vais juste couper là mais on peut (…) ».

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Annexe V : Retranscription de l’entretien n°3

Le troisième entretien a été réalisé dans le cadre du domicile de l’infirmière, car c’est une connaissance. C’est pourquoi le tutoiement est utilisé lors de cet entretien. Nous appellerons cette infirmière Véronique. Avant de commencer j’ai informé l’infirmière de mon thème de mémoire, de mes concepts et je lui ai demandé l’autorisation pour enregistrer la discussion. La durée est de 12min08s.

Légende : (…) silence ; (/) parole coupée

Moi : « Alors, du coup, en quelle année as-tu été diplômée ? Véronique : J’ai été diplômée fin 2010. Moi : Est-ce que t’as eu des formations supplémentaires, des DU ? Véronique : Non, je n’ai pas eu de Du. Moi : Du coup, ton parcours professionnel ? Véronique : Depuis que je suis diplômée, en fait, j’ai été pendant (…) quatre ans en psycho-gériatrie à mi-temps et en gériatrie aigue le reste du temps. Et là depuis six mois je suis en psycho-gériatrie et unité cognitivo-comportementale. Moi : D’accord. Et du coup, c’était un choix de ta part de travaill er dans ses services ? Véronique : Ouais, j’ai toujours voulu travailler en gériatrie. Donc j’ai fait un peu tous les secteurs de gériatrie. Moi : D’accord ok. On va commencer par les questions sur la fin de vie. Si on commence par les soins palliatifs, qu’est-ce que ça représente pour toi ce terme de soins palliatifs ? Véronique : Soins palliatifs, pour moi, c’est vraiment « accompagnement » jusqu’au bout, dans la dignité. Voilà, après c’est (…) du coup être proche des familles aussi, pour aussi accompagner les familles, il n’y a pas que le patient. Moi : Et pour les patients ces soins c’est quoi ? Quels soins on peut faire ? Véronique : Alors moi vraiment, mon cheval de bataille, c’est vraiment tout ce qui est soins de bouche. Souvent ils ont la bouche sèche, comme ils mangent plus ou très peu, c’est vraiment voilà (…) passer très, très régulièrement pour les hydrater, les rafraichir. Etre auprès d’eux, juste dire qu’on est là et qu’on est présent s’ils ont besoin. Moi : Quel type de population (…) à qui s’adressent ces soins ? Véronique : Le problème c’est que, nous, nos patients ont eu une moyenne d’âge de 97 ans. C’est que des personnes âgées. C’est des patients qui, malheureusement, ne veulent plus de soins, qui sont arrivés au bout, plus de chirurgie lourde et tout ça. Ou sinon (…) Voilà c’est souvent des patients qui (/) Moi : Refusent les soins actifs ? Véronique : Oui c’est souvent ça. Et nous on sait très bien que malheureusement même avec les soins, même avec les chirurgies et tout ça, ils ne passeront pas forcément le cap. Moi : D’accord et toujours dans le cadre de la fin de vie, tu es dans un service où il n’y a pas que des lits dédiés à la fin de vie, est-ce que tu trouves que la prise en charge est différente par rapport aux autres lits du servi ce justement ? Véronique : Oui. Parce que le problème c’est qu’on a beaucoup de patients qui nous demandent beaucoup de présence, déjà générale. Sauf que voilà quand on a des lits de soins palliatifs ou personnes en fin de vie on se retrouve coincé ou (…) des fois on n’a pas le temps de passer autant de fois qu’on voudrait. Mais bon on s’efforce

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toujours de passer le plus régulièrement et d’être plus présents auprès de ces patients, quand on peut quoi. Moi : Du coup, c’est vraiment le (/) Véronique : Le manque de temps ouais. Moi : Est-ce que vous avez des solutions dans le service, ou des choses qui sont mises en place par rapport à ça ou (/) Véronique : Après ça c’est vraiment entre nous, ce n’est pas du tout officialisé. Mais c’est vrai qu’entre nous, comme on est de très, très bonnes équipes, très soudées, on n’a aucun souci à dire (…) Voilà, on a une personne qui nécessite plus de présence, on est plus bloqué sur ces chambres-là, du coup les autres collègues prennent le relai pour les autres chambres, qu’on puisse quand même avoir une prise en charge adaptée et correcte. Moi : Donc du coup, est-ce qu’il est nécessaire pour toi de s’impliquer personnellement pour accompagner au mieux le patien t dans sa fin de vie ? Véronique : (…) Je dirais que non, mais voilà (…) de temps en temps, c’est vrai que d’être plus présent auprès d’une personne, qu’on le veuille ou non on s’attache. On a des liens particuliers avec la famille, donc on connait un peu plus le passé de ces patients-là. Au fond on ne devrait pas, mais (…) ça peut arriver. Moi : L’implication là, c’est plus les émotions qui entrent en jeu, c’est ça ? Véronique : Ouais. Moi : Alors, on va passer à la distance professionnelle. Pour toi qu’est-ce que c’est la distance professionnelle ? Véronique : La distance professionnelle pour moi c’est le fait que quand on rentre chez soi on ne pense plus au patient et qu’on soit vraiment, voilà (…) famille, amis, voilà (…) Qu’on fasse une barrière. Moi : Ok. Et auprès du patient ça se manifeste comment ? Véronique : Ba toujours avoir une distance, ce n’est pas le (…) C’est (…) le vouvoyer, ce n’est pas (…) après chez nous c’est un peu particulier parce que comme ils sont âgés, ils ont des surnoms qu’ils ne veulent pas passer outre donc on n’a pas trop le choix. Ou qu’ils ne comprennent pas si on appelle par le prénom, de qui on parle. Donc voilà on est obligé de passer par les prénoms et tout ça mais (…) (/) Moi : Et du coup, en tout cas vous ils vous vouvoient (/) Véronique : Non, nous ils nous tutoient. C’est toujours dès qu’on rentre dans la chambre de toute manière, c’est (…) Moi : D’accord, mais ça n’empêche pas d’avoir quand même cette distance ? Véronique : Non, non. Moi : Et du coup pour une fin de vie, c’est encore plus important à tenir cette distance ? Véronique : C’est important oui, pour ne pas s’impliquer effectivement, pour ne pas rentrer à la maison et avoir toujours à l’idée ce patient. On ne sait pas quand il va partir et tout ça mais (…) C’est toujours très compliqué. Moi : Mais pas plus que (…) Véronique : Non, on essaie au maximum de (…) Moi : Et toujours dans l’accompagnement de la fin de vie, est-ce que pour toi il y a une définition du « être professionnel » ? Véronique : (…) Rires. Etre professionnel, je pense que c’est vraiment rester à sa place. On n’est pas quelqu’un de sa famille, on n’est pas là pour (…) pour pleurer avec lui, on n’est pas là (…) Nous on est là pour le soutenir, l’accompagner, l’écouter. Il y a des choses qui se disent entre famille. Et nous on est là aussi pour tenir bon, pour lui dire que voilà, même si c’est la fin, il faut qu’il soit bien, qu’ils soit présent. Il ne faut absolument pas qu’il ait peur de dire qu’il a mal ou qu’il ne mange pas bien. Chose

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qu’avec les familles ils ne peuvent pas forcément faire. Donc voilà c’est de rester à sa place, c’est important, pour que le patient se sente soutenu. Moi : Et du coup, quand tu dis « ne pas pleurer » t’es plus dans la gestion, un professionnel doit savoir gérer ses (/) ? Véronique : Après, des fois on ne peut pas (…) On accompagne, on fait comme on peut. On est des humains. Mais c’est vrai que s’écrouler avec le patient ce n’est pas forcément, à mon avis, ce n’est pas une façon de l’aider. Il se confiera pas forcément derrière, s’il voit toutes nos émotions (/) Moi : Quelqu’un de faible en fait ? Véronique : Oui voilà, il faut quelqu’un qui le stimule et qui l’aide jusqu’au bout quoi. Moi : Donc du coup justement par rapport à ça, as-tu déjà eu l’impression d’être allée trop loin émotionnellement avec un patient da ns son accompagnement vers sa fin de vie ? Véronique : Alors ça m’est arrivé une fois, où c’était une fin de vie très compliqué. Parce que la patiente était très agitée et douloureuse, et malheureusement on n’arrivait pas à la calmer. Ni calmer ses angoisses, ni calmer ses douleurs, on a pris énormément de temps. Il y avait sa fille qui était présente, c’était très angoissant pour la fille qui du coup retransmettait ça à sa maman. Moi j’étais au milieu, j’étais la seule infirmière à ce moment dans ce service-là, donc c’était assez compliqué de réussir à gérer tout ça. Donc émotionnellement c’est quand même très dur, on rentre chez soi, on y pense. Après voilà, on a réussi à la calmer, à la détendre. Elle était mieux donc la famille était mieux. Mais c’est vrai que pendant deux heures c’était quand même très, très angoissant. Je sortais de la chambre je n’étais pas bien quoi. Moi : Est-ce que justement, tu dis que « avoir la distance c’est rentrer chez soi et ne pas y penser » et par rapport à ça (/) Véronique : Ba voilà, c’est vrai que des fois, malheureusement, comme je dis, on ne peut pas passer (/) Moi : On ne peut pas tout le temps tout (/) Véronique : Voilà, on est des humains, on est des humains. Et malheureusement, il y a des fois ça va un peu loin et le soir (…) mais bon c’est la vie, c’est comme ça. Moi : Du coup on passe au concept émotions. Quel type d’émotions as-tu déjà ressenti lors d’une prise en charge de fin de vie ? Véronique : L’angoisse. De se dire voilà (…) est-ce qu’il est bien le patient, est-ce qu’il est soulagé, rassuré. Après des fois il y a de l’énervement, on trouve que le patient n’est pas forcément bien et les médecins disent « non, non, il est bien, il est apaisé » donc voilà, des fois c’est un peu le conflit parce que nous on ne veut pas les laisser comme ça. Moi : C’est de la frustration en fait ? (/) Véronique : Ouais, c’est de l’énervement, frustration, c’est un peu un mélange d’émotions en fait. Et puis des fois, malgré tout il y a quand même (…) des fois on est content aussi parce que la personne est partie sereinement, apaisée. Moi : L’impression que là c’est une bonne prise en charge (/) Véronique : Voilà, des fois on est quand même satisfait aussi de ce qu’on fait. (Rires) Moi : Et du coup, plus dans le (…) dans les émotions de colère, de frustration ou de (…) d’angoisse, est-ce que t’arrives à les gérer pour pas que ça dé borde sur ta posture professionnelle ? Pour ne pas que le patient se rende compte que voilà, tu es angoissée, que tu pleures, (/) Véronique : C’est vraiment parler du coup. Nous on a la chance déjà d’avoir un psychologue sur place, qui est dédié qu’au personnel. Déjà ça, ça aide énormément, parce qu’il le sait, dès que ça ne va pas, il nous prend en entretien. Après on a une super équipe où on peut vraiment parler de tout, de tous les cas compliqués. Et le

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matin on a des STAFF, tous les matins, pour parler de tous les patients mais quand il y a une situation compliquée, en plus, on prend un temps pour en discuter entre équipe, pour trouver des solutions pour que ça se passe bien. Moi : Donc là, vraiment, la solution c’est décharger en fait, parler ? Véronique : Oui voilà, il faut parler et même si vraiment ça ne va plus, soit on va a deux dans les chambres (/) Moi : Quand ça devient trop (…) (/) Véronique : Quand ça devient trop compliqué, quand on veut un autre avis, on a besoin aussi d’avoir une collègue, au lieu d’aller avec une collègue aide-soignante, qui elle aussi peut saturer. Ba du coup, on échange les équipes, on va avec une autre personne. Voilà. Moi : Ok. Du coup je vais passer à la dernière question, sur le thème de la communication. La question peut être un peu difficile. Mais est-ce que la communication, pour toi, peut représenter un frein à l’élaboration d’une juste distance ? Donc ça peut être une communication verbale ou plutôt la communication non verbale. Par exemple, quand le patient ne communique plus verbalement, est-ce que t’as l’impression de te rapprocher encore plus pour le satisfaire, le comprendre mieux ? Véronique : Ba moi j’essaie de faire pareil, vraiment. Après une communication, généralement, même quand les patients parlent, c’est finalement le non verbal qui prédomine. On sait tout de suite au faciès, généralement, aux mouvements qu’ils font. Quand ils parlent et qu’ils peuvent nous dire exactement ce qu’ils ressentent, c’est encore plus facile. Souvent ils nous disent quelque chose et c’est l’inverse qu’ils pensent. Moi : Du coup, ça n’influence pas vraiment la distance qu’on peut avoir par rapport à cette non-communication, on ne cherche pas plus à savoir si (…) « Mince, il a l’air de plus souffrir, du coup je (…) » Véronique : Non, pour moi c’est pareil. Moi : D’accord, donc la communication ne joue en rien sur (/) Véronique : Non, non. Nous voilà on se base beaucoup sur le non verbal, sachant que le patient effectivement (…) ils ont une perte de mots de temps en temps, donc on doit se baser vraiment sur le non verbal quoi. Moi : Est-ce que du coup tu as quelque chose d’autre à aj outer sur ce thème « la distance professionnel dans la prise en charge d’un patient en fin de vie » ? Véronique : Je pense que c’est toujours quelque chose de très compliqué. Et que la distance malheureusement on ne peut pas toujours la respecter même si on aimerait. C’est des boulots qui sont prenant donc (…) forcément, à un moment ou à un autre, ça empiète sur le reste. Voilà. Moi : Ba merci beaucoup. Véronique : Ba de rien ».

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Annexe VI : Grille d’analyse

Entretien n°1 : Cathy Entretien n°2 : Annie Entret ien n°3 : Véronique Commentaires

Année du diplôme, formations

supplémentaires ?

Diplômée en 2010, est en train de passer son DU « accompagnement et soins palliatifs »

Diplômée en 2002. N’a pas eu de diplômes ni de formation supplémentaires.

Diplômée en 2010. N’a pas reçu de formations supplémentaires.

Sur les trois infirmières interrogées, deux sont récemment diplômées, de 2010. En revanche une des infirmières est diplômée depuis 13 ans. Seule, celle d’USP, a une formation supplémentaire sur « l’accompagnement et soins palliatifs ».

Parcours professionnel ?

SSR, Médecine cancérologie et diabétologie, urgences et MPU de nuit, médecine gériatrique et USP depuis juin 2011 (4 ans)

Chirurgie, médecine gériatrique, service de réanimation. En poste en médecine Ouest depuis 2009.

Quatre ans dans un service de psycho-gériatrie puis en gériatrie aiguë. Ce jour, travaille dans un service de psycho gériatrie et unité cognitivo-comportementale depuis six mois.

Deux des infirmières ont eu un parcours professionnel varié, tous les pôles confondus. En revanche, Véronique est restée plutôt sur le pôle « personnes âgées ».

Motivations pour ce service ?

Projet professionnel, stage pré-pro réalisé en USP

Ce n’est pas une demande particulière, de la part de l’infirmière, de travailler dans ce service mais elle s’y plaît.

C’est un choix de vouloir travailler en gériatrie.

Pour deux infirmières, c’est un choix de travailler auprès de patients en fin de vie. Pour l’autre, ce n’est pas un choix, mais elle s’y plaît et ça se ressent dans son entretien.

- « Prendre en charge un patient et/ou une famille, avec des symptômes

- Prise en charge d’une personne ayant un cancer ou pour qui

Soins palliatifs c’est « accompagnement, jusqu’au bout, dans la

Pour toutes ces infirmières, les soins palliatifs c’est prendre une charge une personne

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Les soins palliatifs ?

complexes difficiles à gérer dans d’autres services, une pathologie évoluée, en phase aiguë. Prise en charge de la douleur, de l’anxiété, répit familial. » - « Pas un service pour mourir mais bien pour pallier à quelque chose, faire l’intermédiaire. »

l’hospitalisation à domicile n’est plus possible et pour qui la famille n’arrive pas à gérer la fin de vie. - Ces soins consistent à « soulager la personne dans sa douleur, dans ses demandes, dans sa maladie ». C’est également une présence auprès des familles.

dignité ». - Etre proche des familles. - Les soins palliatifs sont essentiellement pour cette soignante, les soins de bouche. - Ces soins sont adressés aux personnes âgées qui refusent les soins actifs, « qui sont arrivés au bout ».

mais surtout sa famille. C’est un point qui ressort pour toutes les trois mais dont je n’ai pas parlé au vu de ma situation, car Monsieur P. était un homme sans famille, sans amis. Les soins palliatifs consistent, selon elles, à soulager la douleur, l’anxiété et assurer un confort au patient et à sa famille.

Particularités des LISP ?

Difficultés ?

Solutions ?

« Rien à voir avec les lits « classiques » ». - Organisation : travail en binôme IDE/AS pour « une prise en charge optimale » du patient, rassembler les soins. - Etat d’esprit : « équipe plus soudée, très unie, le fait de travailler par deux aide à se comprendre les uns les autres ». Tous participent aux transmissions, médecins abordables et disponibles. - Temps d’écoute important. Difficultés : - « Situations complexes avec certaines familles ou patients quand on travaille

- Prise en charge différente car plus longue et demande donc plus de temps. - Organisation : travail en binôme, injections d’antalgique préalable avant tout soin, soins de bouches, soins d’escarres qui prennent du temps. - Psychologique : prise en charge également de la famille, des proches du malade. Difficultés : - Manque de temps : autres patients du service qui nécessitent de soins également. - Organisation : Tour du médecin qui peut ajouter

- Prise en charge différente car les patients dans les lits « fin de vie » demandent plus de temps, il faut être plus présent pour les accompagner au mieux. - La difficulté est le manque de temps, pas de temps consacré spécifiquement à ces lits, il faut aussi s’occuper des autres lits. - Solution : Demander aux collègues de prendre le relai, déléguer certaines tâches.

Pour toutes, la prise en charge des lits identifiés soins palliatifs est différente des autres lits du service. Ce qui change c’est l’organisation, car ce sont des patients qui demandent plus de soins, plus de temps donc un travail en binôme, une gestion dans la planification des soins. L’esprit d’équipe aussi a été retenu dans le service d’USP, où le travail est différent car ils savent qu’ils peuvent compter les uns sur les autres, ce qui est relaté également pour les deux autres infirmières. La notion d’accompagnement de la famille revient une nouvelle fois. Le fait que se soit des lits spécifiques en plus d’un

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à temps plein, on s’occupe souvent des familles, les voir régulièrement peut vite être épuisant. » Le week-end ou l’après-midi seulement deux binômes donc difficile de passer le relai. - Révision de la loi Léonetti : « les familles font l’amalgame entre sédation et euthanasie » et cette incompréhension fait que la prise en charge est parfois difficile.

des soins comme « des pansements, des ponctions d’ascite, des transfusions » pour les autres patients du service. Solutions : - Faire les soins palliatifs en fin de matinée. - Déléguer aux aides-soignants les soins comme les toilettes ou les soins de confort.

service « classique » cela ajoute du travail en plus des autres soins. Une difficulté est rencontrée dans le service d’USP, celui concernant le projet de loi santé Léonetti. La famille a du mal entre « sédation » et « euthanasie » ce qui peut engendrer des conséquences dans la prise en charge de ces lits spécifiques. La solution, pour toutes, est de déléguer ou de passer le relai à d’autres collègues quand une situation devient difficile avec la famille par exemple.

Implication personnelle ?

Quel type

d’investissement ?

« S’impliquer professionnellement c’est une évidence ». Poste où seul le volontariat est admis. Donc forcément ça découle d’une envie personnelle. S’impliquer personnellement « sûrement », il y a « des situations qui touchent plus que d’autres. »

« on a tous eu les larmes aux yeux. » L’implication personnelle est plus centrée sur la famille, les accompagner, mais aussi les soutenir, les rassurer. Donner de son temps, « si vous voyez qu’elle ne va pas bien, vous me rappelez ». - Etre remercier par la famille est signe d’une bonne implication pour cette soignante. - C’est aussi « parler de nous, de notre famille »,

- La première réponse de la soignante est « non » mais elle ajoute que « de temps en temps, être plus présent auprès d’une personne, qu’on le veuille ou non on s’attache ». Donc l’implication personnelle ici pour cette soignante ce tourne plus vers les émotions qu’on peut ressentir pour un patient.

Cette question est difficile à aborder, car dans un premier temps, leur réponse était presque toujours « non, il n’y a pas d’implication personnelle » mais elles reviennent très vite sur cela, et disent que finalement, il y en a car « il y a toujours des situations qui nous touchent plus que d’autres ». Pour une, le fait d’être volontaire, motivée pour travailler dans un service comme cela, « ça découle d’une envie personnelle ».

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partager est quelque chose qui semble important pour cette soignante, « ça leur permet de parler aussi d’eux ».

Pour d’autre, l’implication c’est d’accompagner la famille, ou encore de parler de soi. S’impliquer personnellement, peut être pour une autre, ressentir des émotions.

La distance professionnelle ?

- « Cela existe car on met forcément une distance avec le patient et l’entourage. Déjà la blouse blanche ça met une distance, ça reste symbolique. » - « Même si on est touché par une situation, on n’est pas impliqué totalement émotionnellement ». - « Difficile d’exprimer la distance professionnelle parce qu’on est forcément impliqué : on voit souvent les familles, on s’attache ». - La distance professionnelle « existe sinon ça poserait soucis de dépasser la limite. » Cette distance est plus représentée par cette limite.

- « On met toujours la blouse blanche déjà. » Il y a une distance professionnelle parce qu’ « on arrive à gérer les émotions ». - Pour Annie, avoir une distance professionnelle c’est être « neutre » dans le sens où ce n’est pas notre famille. - Trouver la distance c’est « être empathique » mais c’est aussi « rentrer chez moi et je ne vais pas y penser, je le vis bien ». - La distance professionnelle dépend de l’expérience. - Dans la distance professionnelle, il faut savoir recadrer aussi le patient et sa famille quand ces derniers « prennent leurs aises ». - Le tutoiement et « appeler par le prénom »

- « pour moi, c’est le fait que quand on rentre chez soi, on ne pense plus au patient (…) qu’on fasse une barrière ». - Avoir une distance avec le patient c’est passer par le vouvoiement.

Pour ces soignantes, la blouse blanche est un grand point de la distance professionnelle. Le fait de gérer ses émotions fait aussi parti de cette distance à avoir avec les malades. Il faut, pour Annie, rester neutre. La distance passe aussi par le vouvoiement. On tient une bonne distance, selon elles, quand on rentre chez soi et qu’on y pense plus. La distance professionnelle est représentée par une limite à ne pas franchir.

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jouent un rôle dans cette distance mais qui restent relatifs au contexte.

« être professionnel » ?

- On entend dire souvent pour « être professionnel » il faut cacher ses émotions, refouler ce qu’on peut ressentir. « Je ne l’entends pas comme ça moi en soins palliatifs, il ne faut pas renier ce qu’on ressent, au contraire ! » - « Si on ne ressent plus rien c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Ressentir quelque chose, une émotion (bonne ou mauvaise) c’est qu’elle s’invite à soi, il y a une raison. L’émotion nous permet soit de se remettre en question, soit d’avancer positivement ». - « Dans un service comme ça on est confronté quotidiennement à nos émotions ».

- Rester à sa place de professionnel, faire que ce qui nous est possible, nos droits et devoirs « Je ne peux pas, ce n’est pas mon travail » quand un patient demande la mort. Ou quand la famille veut cacher au patient son évolution « on ne peut pas leur dire, si la famille ne veut pas ». - Etre à l’écoute du patient et de sa famille. - Ne pas juger les familles malgré un contexte familial difficile parfois. - Ne pas être brusque mais plutôt éprouver de la tendresse pour la personne malade. - Dire les choses au patient pour éviter et calmer son anxiété.

- « Etre professionnel, je pense que c’est vraiment rester à sa place ». La soignante estime que son rôle est de « soutenir, accompagner, écouter » le patient. - Ne pas remplacer la famille mais servir plutôt de tiers. - Contenir ses émotions est aussi une des caractéristiques du « être professionnel ».

Être professionnel, ce n’est pas forcément renier ce qu’on ressent, mais au contraire. C’est le point de vue d’une des infirmières. Au contraire, pour Véronique, justement être professionnel c’est contenir ses émotions. Pour deux des infirmières, il est clair, être professionnel c’est « rester à sa place ». Son rôle est de « soutenir, accompagner, écouter ». Il faut aussi, pour Annie, ne pas juger les familles, être dans la tendresse et dire clairement les choses au patient pour éviter et calmer son anxiété. C’est aussi, pour Véronique, ne pas remplacer la famille mais plutôt servir de « tiers ».

- « Pas franchement eu cette impression. Mais je me suis déjà posée la

- « Non, pas trop loin mais il y a des situations qui sont assez dures ».

- C’est arrivé une fois à cette soignante, quand elle prenait en charge une

Deux des infirmières n’ont pas eu vraiment le sentiment d’être allées trop loin

XXVIII

Sentiment d’être aller « trop loin »

émotionnellement ?

question de savoir pourquoi certaines situations me touchaient plus que d’autres. » - Jamais eu le sentiment d’avoir franchi la limite « mais souvent j’ai été émue par des prises en charge en fin de vie : mais c’est plutôt de l’empathie et de la projection aussi, surtout une projection. » - « S’impliquer personnellement ça serait un peu franchir la limite. De l’empathie on peut en avoir mais de l’attachement pour un patient c’est différent. Mais après il y a des situations où on s’implique davantage sans pour autant en être conscient ».

- Une situation en particulier a été racontée, celle d’un monsieur qui est décédé seul dans la chambre, sans famille. Pour la soignante cela a été difficile.

dame pour qui la fin de vie était compliquée, de par son agitation et sa douleur que l’équipe n’arrivait pas à soulager. Elle a le sentiment d’être aller trop loin émotionnellement car en rentrant chez elle, elle y a repensé. Or, pour elle, la distance c’était justement imposer cette limite de ne plus y penser une fois chez soi. Elle devait sortir de la chambre parce qu’elle n’allait pas bien.

émotionnellement mais avouent quand même être touchées par des situations plus que d’autres. Annie décrit une situation qui l’a plus émue, celle d’un monsieur qui est décédé seul, sans famille. Cathy, elle, parle de projection ou d’empathie plutôt que « d’être allé trop loin ». En revanche, pour Véronique, elle a eu ce sentiment d’être allée trop loin, quand, en rentrant chez elle, elle pensait à une situation qu’elle avait vécue au travail. Pour elle, c’était dépasser la limite, car même dans le service, elle avait eu du mal à contenir ses émotions.

Les émotions ?

Tous les stades : la joie, « on rigole beaucoup avec les patients. Les mots sont une bonne médiation pour les soins. » L’agacement, l’épuisement, la colère et de la tristesse. « On ne peut pas rester

- De la tristesse est exprimée parfois dans des situations où le contexte familial est compliqué « On est triste de la situation, souvent, au début ». - De l’humour, de la douceur, de la joie pour

- L’angoisse est l’émotion principale que ressent cette soignante. Elle se soucie de savoir si le patient est bien, s’il est rassuré, soulagé et cela entraîne une angoisse chez elle. - Elle éprouve également

Les émotions les plus ressenties pour ces trois infirmières sont la tristesse, la colère et la joie. Véronique ajoute, elle, de l’angoisse.

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indifférent ». les patients qui sont encore conscients. - De la colère « ça arrive mais je ne trouve pas que se soit ça qui domine ».

de l’énervement lorsque les prises en charge de fin de vie ne vont pas assez vite ou que les patients ne sont pas bien soulagés. - La soignante peut aussi ressentir de la joie lorsqu’elle considère que le patient est « parti sereinement, apaisé ».

Gestion des émotions ? Solutions ?

- « Ca peut arriver que ça déborde. Dans ces cas il faut se contenir devant le patient et la famille mais après on s’isole pour gérer le trop plein dans un premier temps. » - Solutions : « On décharge pendant les transmissions avec l’équipe qui prend le relai. Le lendemain on en parle aux médecins. Il y a un groupe de paroles avec un psychologue pour discuter de situations qui ont posé problème. Lieu adéquat pour ce genre de choses. » - « Avoir une vie béton. Ne pas ramener les soucis à la maison. »

« Je peux avoir les larmes qui montent vite aux yeux (…) ça monte mais ça ira ». - Une situation est décrite lorsque la famille est présente dans la chambre et constate le décès de son proche. La soignante a « les larmes qui montent » mais pour ne pas y songer elle parle à la famille, elle les apaise et les rassure « elle est avec vous, c’est bien que vous soyez là ». - L’humour peut être une solution aussi pour gérer ses émotions mais c’est plus « une barrière, une protection ». - « il ne faut pas être non plus, un mur sans

La solution, vraiment pour gérer ses émotions, c’est d’en parler. Un psychologue est disponible dans leur service et dédié uniquement au personnel. Ils ont également des STAFF tous les matins. - Quand une situation est difficile pour un soignant, il peut demander à un autre soignant de venir faire les soins avec lui ou alors pour avoir un avis différent du sien.

Pour toutes, il est possible que les émotions soient tellement fortes qu’on ne puisse les contenir. Dans ce cas, il faut essayer de ne pas les montrer au patient, de sortir. Mais il faut surtout en parler, se décharger de ce trop plein et d’avoir des réponses, une écoute de nos collègues, de médecins ou de psychologues, afin de mieux vivre une telle situation. Pour Annie, la solution peut aussi de passer le relai, quand une situation nous est trop difficile à supporter, à gérer.

XXX

expression ». - Passer le relai est une solution aussi pour cette soignante, quand une situation nous est trop proche, « qu’on transpose ».

La communication dans la juste distance ?

- « Pas forcément, ce n’est pas un frein pour la distance. On est tous dans l’interprétation quand il n’y a plus de communication verbale mais ce n’est pas pour autant que ça empêche d’avoir une juste distance soignant/soigné. » - Après, la communication « peut nous rassurer nous, même si un patient est en fin de vie imminente on trouve toujours quelque chose à faire, à dire. »

- « pas plus que ça » Pour cette soignante il n’y a pas de différence. Car pour elle, justement, la communication non-verbale est la plus sincère et c’est celle qu’on comprend le mieux.

La communication ne joue pas un rôle dans l’élaboration de la juste distance avec le patient en fin de vie pour ces trois soignantes. Pour Cathy, la communication est plus pour nous rassurer nous. Pour Véronique, la communication qui domine est celle du non-verbale, c’est celle où on arrive à comprendre au mieux le patient.

Mais encore…

- « Pas mal de chose à dire, c’est un assez vaste sujet. Ce n’est pas sûr qu‘il y ait une règle de conduite à tenir pour le professionnel sur le terrain. On travaille avec les bagages communs du

- Soins palliatifs c’est soulager la douleur. - Très important d’accompagner la famille et de les écouter.

Pour la soignante, les prises en charge de fin de vie sont des prises en charge toujours très compliquées. Concernant la distance professionnelle « on ne peut pas toujours la respecter même si on

Pour toutes, c’est un vaste sujet mais où la distance professionnelle est propre à chacun de nous. Et même si on aimerait la respecter, on n’y arrive pas toujours car le métier d’infirmière est humain, il fait de nous même, selon

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savoir mais chacun a ses bagages personnels, avec sa personnalité. Des soignants sont plus émotifs que d’autres, plus impliqués, plus démonstratifs… On est tous impliqué ! » - « Qu’est-ce que la juste distance ? Ce n’est pas quelqu’un de l’extérieur qui va nous le dire, on est capable de ressentir quand on va trop loin. »

aimerait ». Elle ajoute que le métier d’infirmière est un métier « prenant (…) où à un moment ou à un autre, ça empiète sur le reste ».

nos valeurs, notre personnalité. On soigne comme on est.

The professional dist ance in the care of an end of life patient. Thanks to scientific progress and more specifically in the field of medicine, life expectancy has significantly increased. The nurses will have to deal more and more with end of life patients. This paper aims to answer a question which occured to me during one of my first year training where an end of life patient socially isolated was beeing carried. Indeed, this patient didn’t have any visitors. Which could explain why the professional distance has been difficult to maintain. The objective of this paper is to determine the aspects that can elucidate why right professionnal distance is arduous to hold. For that four main issues were approached : end of life, professional distance, emotions and comunication. Initially, differents books were studied. Then three nurses were interviewed, the conversations were recorded and analysed thanks to an analysis grid. And finally, the theorical framework was compared to the professionals’ responses in a part called « synthesis ». The findings of this research indicated that nurses are above all human beings and therefore it is tricky to establish a right distance with an end of life patient. Moreover each caregiver has its own definition of crossing the limit and no book can teach them. Also, this study found that the emotions can be felt, however have to be restrained in front of the patient. Nonetheless, feelings need to be expeled near colleagues, doctors, psychologists. Furthermore, famillies’ accompaniement was a lot discussed during the interviews carried out with the professionals, since the family can favor the elaboration of a right distance. To conclude, it can be said it is a wide topic but what is for sure, is that the right distance has to be established by the caregiver, only he can define it, according to his values, his pre-conceived ideas, his personality. Key words : Caregivers values, Emotions, End of life, Familly accompaniment, Professional distance. La distance professionnelle dans la prise en charge d’un patient en fin de vie . Grâce aux progrès scientifiques, et notamment dans le domaine de la médecine, l’espérance de vie a augmenté de manière significative. Les infirmières seront de plus en plus confrontées à des patients en fin de vie. Ce mémoire a pour but de répondre à une question qui m’est survenue lors d’un de mes stages de première année, où il y avait un patient en fin de vie, isolé socialement. En effet ce patient n’avait aucune visite. Ce qui pourrait expliquer pourquoi la distance professionnelle a été difficile à tenir. L’objectif de ce travail est de savoir en quoi la juste distance avec un patient en fin de vie est si difficile à élaborer. Pour cela j’ai étudié quatre principaux concepts qui sont : la fin de vie, la distance professionnelle, les émotions et la communication. Dans un premier temps, j’ai lu différents livres. Ensuite j’ai interrogé trois infirmières, j’ai enregistré nos conversations et je les ai ensuite analysées à l’aide d’une grille d’analyse. Puis enfin, j’ai comparé les réponses des professionnels au cadre théorique dans une partie appelée synthèse. Les résultats obtenus montrent que les infirmières sont avant tout des humains et qu’il est difficile d’établir une juste distance avec un patient en fin de vie. De plus, chaque soignant a sa propre limite du « aller trop loin » et aucun livre ne peut le lui imposer. Aussi, cette étude dévoile que les soignants peuvent ressentir des émotions mais devant le patient il faut savoir les contenir. Cependant, ces émotions doivent être libérées auprès de collègues, de médecins, de psychologues. En outre, l’accompagnement de la famille a beaucoup été discuté lors de mes entretiens avec les professionnels, car la famille peut favoriser l’élaboration d’une juste distance. En conclusion, nous pouvons dire que c’est un sujet assez vaste mais ce qui est sûr, c’est que la juste distance est à établir par le soignant, lui seul peut la définir, selon ses valeurs, ses représentations, sa personnalité. Mots clés : Valeurs soignantes, Emotions, Fin de vie, Accompagnement familial, Distance professionnelle. INSTITUT DE FORMATION EN SOINS INFIRMIERS DE QUIMPER 1 rue Etienne Gourmelen – BP 170 29107 QUIMPER TRAVAIL ECRIT DE FIN D’ETUDES – Année 2012/2015