La dimension spirituelle de l’Homme - GREP MP · que les gens racontent de leur vie familiale, de...

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13 PARCOURS 2010-2011 13 PARCOURS 2010-2011 La dimension spirituelle de l’Homme André Comte-Sponville, philosophe, écrivain Maurice Bellet, théologien, philosophe (au cours de cette soirée, Maurice Bellet puis André Comte-Sponville ont pris successive- ment la parole pour exposer leur conception. Après une courte pose, ils ont eu un échange entre eux, puis il y a eu un débat avec la salle.) Exposé de Maurice Bellet Ce que je vais vous dire, je le propose, je l’offre, sans aucune autorité. C’est-à-dire que ce que je vais vous dire vous parlera peut-être, ou bien ne vous parlera pas. Peut-être l’enten- drez-vous autrement que ce que je n’aurai dit, mais c’est un risque que je prends. Il s’agit donc de la dimension spirituelle de la vie humaine. La première chose que je dirai, c’est que cette dimension n’est pas un luxe. Je l’entends comme quelque chose qui est de la plus haute nécessité. Peut-être le mot spirituel ne convient-il pas parfaitement, parce qu’il est compromis, comme tant d’autres mots de nos langages. Ici, en ce moment, le mot reli- gieux serait, quant à lui, un désastre - je dirai pourquoi tout à l’heure. Il faut donc que j’essaie de vous donner à entendre, si je le puis, ce qui est en cause pour moi.

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PARCOURS 2010-2011

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PARCOURS 2010-2011

La dimensionspirituelle

de l’Homme

André Comte-Sponville,philosophe, écrivain

Maurice Bellet,théologien, philosophe

(au cours de cette soirée, Maurice Bellet puis André Comte-Sponville ont pris successive-ment la parole pour exposer leur conception. Après une courte pose, ils ont eu un échange entre eux, puis il y a eu un débat avec la salle.)

Exposé de Maurice Bellet

Ce que je vais vous dire, je le propose, je l’offre, sans aucune autorité. C’est-à-dire que ce que je vais vous dire vous parlera peut-être, ou bien ne vous parlera pas. Peut-être l’enten-drez-vous autrement que ce que je n’aurai dit, mais c’est un risque que je prends.

Il s’agit donc de la dimension spirituelle de la vie humaine. La première chose que je dirai, c’est que cette dimension n’est pas un luxe. Je l’entends comme quelque chose qui est de la plus haute nécessité. Peut-être le mot spirituel ne convient-il pas parfaitement, parce qu’il est compromis, comme tant d’autres mots de nos langages. Ici, en ce moment, le mot reli-gieux serait, quant à lui, un désastre - je dirai pourquoi tout à l’heure. Il faut donc que j’essaie de vous donner à entendre, si je le puis, ce qui est en cause pour moi.

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C’est vraiment quelque chose de l’ordre de la faim. Pour le corps, la faim est impérieuse : il faut manger ou mourir. Mais en ce qui concerne notre esprit, puisque nous parlons du spiri-tuel, existe aussi une faim. La faim que nous soit donné ce-sans-quoi nous risquerions d’être pris dans le désastre qui peut survenir en toute vie humaine : la destruction, l’effondrement, l’angoisse pure. Ou, si vous préférez une version plus positive, le ce-par-quoi nous pouvons humainement vivre. Ce qui nous donne de tenir debout, ce qui nous permet de traverser notre vie sans les formes sinistres que je viens d’évoquer, l’immense découragement, la dépression, la solitude… C’est quelque chose que nous devons manger, c’est-à-dire recevoir en nous, à l’intérieur de nous. Oh bien sûr, les rencontres, la vie sociale ont une importance considérable. Mais après tout il y a des gens qui, même dans les camps de concentration, ont su vivre ; et il y en a d’autres - j’en connais - qui ont tout et qui ne vivent pas.

La distinction fondamentale dans la dimension spirituelle passe, pour moi, entre les vivants et les morts. Pas au sens biologique, bien entendu. Mais au sens où nous savons qu’il y a parmi nous (et cela peut nous arriver) des gens qui sont des morts vivants. Ils vivent, mais dans l’hébétude, ils vivent, mais dans un désespoir profond. Et il y a des vivants qui arrivent à vivre alors que, apparemment, ils sont écrasés par la maladie, le manque, etc. C’est ce choix qui est en cause dans ce que l’on peut appeler le spirituel dont je pense - et cela a quelques consé-quences - que dans nos langages, il n’y a pas de mots pour désigner cela convenablement.

Pour préciser, je dirais que ce qui est profondément en cause, c’est ce qui est nommé, aussi bien dans le taoïsme que dans le bouddhisme ou le christianisme, par voie. Être sur la voie, avoir un chemin, et en même temps une demeure. Mais la vraie demeure est en même temps un chemin. Que je puisse habiter ma propre vie et ce monde où je suis, les relations où je suis engagé, comme ce en quoi je puis vivre - parce que je marche. Là encore, vous le re-marquerez, je fais allusion au corps. Je crois vraiment, en effet, que les très grandes choses spirituelles se désignent paradoxalement par des images qui appartiennent au corps.

Mais être en marche ne veut pas dire que je suis le programme fixé. Un Père de l’Église dit qu’Abraham partit sans savoir où il allait et c’est pourquoi il était dans la vérité… La voie ne consiste donc pas d’abord à suivre un programme bien tracé, mais à avoir en soi le souffle - encore une image qui vient du corps ! -, la respiration profonde qui permet de tenir debout dans cet exercice extraordinaire qu’est la marche, puisqu’à chaque pas on perd l’équilibre pour le rattraper.

La voie se distingue d’une autre manière d’habiter ce monde qu’est l’appartenance. Je n’en dis pas de mal, elle est nécessaire - seuls quelques très grands esprits peuvent supporter l’effondrement de l’appartenance. Elle est de la tradition d’un peuple, d’une langue, d’une sagesse, d’un groupe. Mais l’appartenance comporte un risque considérable, qui est de vous tenir en laisse, de sorte qu’au lieu d’être dans votre chemin d’humanité, vous êtes simple-ment un mouton dans le troupeau. Ou celui qui est manipulé, peut-être avec les meilleures intentions, par des pouvoirs qui disposent de vous.

La voie a encore une autre caractéristique : celle d’être en amont de toutes les séparations et distinctions. Il y a la logique, la poétique, la pratique… La voie est tout cela. C’est pour cela que, lorsqu’elle est bien là, elle est au maximum de nos puissances. Les renoncements qu’elle demande (car il y en a) sont des renoncements créateurs.

Mais s’il en est ainsi, comment puis-je vous parler ? Il y a deux façons d’en parler : en héli-coptère ou sur le terrain. En hélicoptère signifie qu’on survole ; je vous ferai une dissertation éventuellement intéressante et informée sur la voie, les voies, les chemins d’humanité, etc. - comme si je pouvais être au-dessus de tout cela, dans un savoir qui dispose de toutes les initiatives humaines, de toutes les grandes traditions… Ce n’est pas mon cas. Moi je suis en

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bas, sur une voie, je marche sur un chemin, je suis dans une tradition et c’est de ce lieu-là que je peux vous parler. Quand on est dedans, quand on est dans ce qui est en cause, on n’est pas neutre, cela n’existe pas. Il n’y a pas de neutralité et c’est une très grave affaire, parce que cela peut avoir des conséquences quelquefois terrifiantes. Il n’y a pas de neutralité quand ce qui est en cause, est ce-sans-quoi je perds mon humanité et deviens in-humain. Mais en même temps, je me garderai bien, au nom de cette impuissance à être neutre, de vous impo-ser mon point de vue.

Si j’essaie de parler là-dedans, je vais faire un choix à l’intérieur même de ce qui est ma façon d’être et de vivre. Je vais adopter une entrée. Cette entrée est quelque chose qui, je crois, apparaît aujourd’hui pour beaucoup d’êtres humains (pas pour tous) comme quelque chose qui a fondamentalement rapport à ce que je viens de dire. Je pense à un dialogue qu’un de mes amis a eu avec un jeune homme, un dialogue en quatre répliques. Mon ami demande à ce jeune homme : « Qu’est-ce qui est important pour toi ? » Le jeune homme lui répond : « En quel domaine ? » Mon ami insiste : « Qu’est-ce qui est vraiment impor-tant ? » Et le jeune homme lui a répondu : « Les relations humaines. » Peut-être qu’en effet, si nous essayons d’entrer par-là, la chose qui peut apparaître capable de nous réunir sinon tous, au moins beaucoup, c’est que ce qui est essentiel à la voie, c’est une certaine qualité de la relation entre nous. Et ce qui apparaît peut apparaître d’abord comme une éthique de la fraternité. Peut-être beaucoup plus que cela. Peut-être faut-il beaucoup plus que le droit et l’éthique - mais cela apparaît d’abord comme ça : que nous nous respections les uns les autres. Qu’est-ce qui reste quand il ne reste rien ? Qu’il y ait entre nous cet entre-nous qui nous fait humains les uns pour les autres. De façon presque basique, dirais-je, qui est dans le respect, dans l’écoute d’autrui. Qui consiste (encore une image du corps) à le voir, à l’en-tendre. Ce qu’il y a de plus atroce peut-être dans l’attitude du nazi devant le Juif, c’est qu’il ne le voit pas, qu’il ne l’écoute pas. Le Juif n’est pas un être humain avec un visage qu’on peut voir et une parole qu’on peut entendre, c’est une chose - le mot qu’employaient les nazis pour transporter leurs prisonniers.

L’on peut enfin voir la puissance de cet humble départ par l’épreuve négative : si cela manque tout à fait, si entre nous il n’y a que des relations de conflit ou, ce qui est pire que tout, pas de relation du tout, c’est l’enfer. Tous les thérapeutes, psychologues, analystes qui s’occupent des enfants le savent parfaitement : les blessures quelquefois irréparables des adultes viennent souvent d’une enfance où ce que je viens de dire a manqué ou (ce qui est peut-être pire) a été perverti.

Je viens d’annoncer ce qui doit bien suivre : c’est que cette relation peut être vague, mena-cée, équivoque ; elle n’est pas si facile que ça. On peut certes faire l’éloge de la fraternité, de l’amour entre nous - mais sur le terrain, qu’est-ce que ça devient ? Entre mari et femme, parents et enfants, frères et sœurs, compagnons de travail, amis, patrons et ouvriers, etc. ? Sur le terrain, cette relation peut-elle résister à tout ce qui tend à la détruire, à la déformer ? Sans oublier le côté vague que je viens d’évoquer aussi : cela donnera le consensus mou, « on est bien d’accord là-dessus ». Oui, mais qu’est-ce que cela devient quand on est en re-lation avec l’ennemi et l’étranger ? Comment faut-il envisager ce qui nous est apparu comme une vérité incontestable, la chose qu’il faut à tout prix sauver car sinon nous sommes perdus, quand nous sommes en relation avec l’ennemi, l’étranger ou - pire que tout ! - l’ennemi étranger ? Or, il arrive trop souvent que l’ennemi et l’étranger, c’est aussi le proche : dans la Genèse, l’archétype du meurtre, c’est le meurtre du frère, Caïn tue Abel. Et ce n’est pas à vous que j’apprendrai que parmi les menaces les plus dures, les plus redoutables contre ce que j’évoque, il y a les relations proches. Quand on a un peu écouté - c’est mon cas - ce que les gens racontent de leur vie familiale, de leur enfance, de leur couple, de leurs parents,

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on est douloureusement instruit de ce fait : que ces relations qui devraient en principe être le lieu par excellence de l’amitié et de la bienveillance, peuvent être des lieux difficiles et quelquefois atroces.

Donc c’est menacé. Menacé par des périls qui sont peut-être dans la nature humaine et dont nous avons eu des exemples grandioses, hélas, au cours du XXe siècle. L’un des drames qui nous a précédés et qui pèse peut-être plus sur nous que nous ne l’imaginons, c’est que ce XXe siècle qui devait être un siècle de progrès, d’éclaircissement, de fraternité humaine, de paix a été un siècle peut-être parmi les plus atroces qu’a connu l’humanité et cela, au nom d’idéologies qui se présentaient au contraire comme propres à sauver le peuple, voire l’humanité toute entière !

En plus, il peut y avoir quelque chose d’équivoque dans la fraternité. Nous touchons là à la chose - dirai-je la plus pénible ? Celle qui précède n’est déjà pas mal… Je parle ici de la possibilité de la perversion. L’amour peut être aussi l’instrument de la haine, du mépris, de ces attitudes d’emprise… Au final, il y a deux attitudes terribles d’humain à humain, qui ont rapport une fois encore au manger : c’est vomir et dévorer. Il existe un amour qui peut être dévorant. Face à leur mère, certains enfants n’arrivent pas à naître - j’ai connu un homme de 50 ans qui n’arrivait pas à « sortir de maman ». Et puis il y a le vomissement : sous prétexte d’amour, par exemple dans l’éducation, on pratique une fermeté qui est en fait un rejet implacable. Se lève à ce moment-là une question : qu’est-ce qui peut sauver la relation humaine de ces menaces ? Car il y a en effet un danger, celui de nous gargariser au titre d’une religion, d’une sagesse, d’une politique de cette belle idée de la fraternité humaine sans nous apercevoir que non seulement, sur le terrain nous n’y arrivons pas, mais que ce par quoi nous croyons y arriver est aussi bien le piège.

Quelle humanité, alors, doit surgir ou resurgir en nous pour que nous puissions vaincre ces pièges ? Depuis les débuts des temps historiques, les humains ont ressenti l’enjeu que j’évo-quais tout au début. Il y a eu les mythes, les sagesses, les religions : il faut bien assumer ça, que nous, les humains, nous ayons en quelque sorte à construire ce que nous pouvons être, si nous ne voulons pas être détruits. Mais pour éclairer la chose, je ferai la distinction entre deux attitudes qui, historiquement, ont du répondant. La première attitude est fréquente dans les sagesses : pour que l’être humain se tienne humainement, ce qu’il doit arriver à quitter, à éliminer, c’est le trouble. Assez facilement, le trouble est considéré comme la permanence en nous d’une animalité qui disloque le spirituel, qui ramène, comme on dit, l’homme à la bête ! Éliminer le trouble, c’est aussi lutter contre des prétentions sociales, culturelles, reli-gieuses qui sous prétexte de guider les humains vers de chemins supérieurs, l’embrouillent dans des démesures dont ils ne sont pas maîtres.

Je viens de prononcer un mot très important : la mesure. Pour éliminer le trouble, même le vieil Epicure, philosophe du plaisir, disait qu’il faut savoir mesurer ce plaisir, surtout ne pas se laisser entraîner par l’envie démesurée qui risque de nous entraîner dans la souffrance. Et même si nous sommes - moi en tout cas ! - très ignorants de ce qu’est vraiment le boudd-hisme, nous savons qu’au cœur de cette discipline-là, il y a le désir de quitter l’imperma-nence et la souffrance. Cette ascèse qui est demandée contre le trouble est une ascèse qui a sa vérité, son importance. Mais on peut penser (et c’est ce que je me risque à vous dire) qu’elle est en deçà de ce qui s’annonçait comme notre désir le plus profond à propos de la relation humaine. Car j’ai quand même lâché ce mot terrible, d’une équivoque infinie, mais qu’on ne peut pas éviter : le mot amour. On peut penser qu’à éviter systématiquement le trouble, on risque de ne pas aller assez loin dans la voie. Après tout, il y a ce mot d’Epictète : « Regarde ta femme et tes enfants comme des coquillages ramassés au bord de la mer. S’ils meurent, tu ne seras pas troublé »…

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Alors il peut arriver qu’on prenne une autre attitude, qui sans éliminer tout à fait la première, accepte le trouble, accepte la souffrance, accepte d’être atteinte. Car si j’aime réellement l’autre, il y a une épreuve de la relation qui risque d’être inévitable. A ce moment-là, on peut dire que ce que je dois dépasser, ce n’est pas seulement l’animalité en moi, mais cette chose que le langage ancien appelait le démoniaque, c’est-à-dire l’irruption en moi d’une violence qui est destructrice de l’autre et qui est bien au-delà de la violence animale. Ce dont je dois me garder, c’est de ces transgressions qui mènent du côté du meurtre, du côté de la folie, du côté de la destruction de l’autre et finalement de moi-même. Je dois accepter de traverser l’en bas (j’ai écrit un livre qui porte ce titre, La traversée de l’en bas). C’est le moyen de rester proche d’autrui, où qu’il en soit. Pas seulement pour garder ma paix intérieure, mais parce que je l’aime lui, elle. Ça entraîne que je sois, en moi, capable de traverser les pul-sions qui m’habitent afin que ce qui risque d’être destructeur puisse se transformer en une énergie qui donne la vie. Et cela mène à une autre ascèse, que l’on peut dire relationnelle, où il ne s’agit pas simplement d’exercer sur moi-même une mortification (comme on dit dans certains langages), en tout cas un travail qui me libère de mon propre désordre, mais où j’accepte que l’autre ait sur moi le pouvoir de me mettre dans l’épreuve. Il est vrai que si je veux aimer l’étranger, l’ennemi il faut bien que j’accepte quelque chose de cet ordre. Et vous savez que cette étrangeté, cette inimitié de l’autre peuvent être inconscientes chez lui. Je peux pâtir de ce qui, chez l’autre, n’est pas la volonté de me nuire, mais simplement ce qu’il est et qu’il ne peut pas ne pas être. A ce moment-là, ce qui va être engagé pour moi, c’est une humanité où j’accepterai de prendre part à ce qui est la douleur humaine et quelquefois la plus grande douleur humaine. Je ne serai pas intact, je ne serai pas indemne. Il faudra que j’accepte de traverser ce qui peut être dans certains cas une sorte de mise à mort. Et cela exige une attitude où je ne me résigne pas à ce que des humains soient perdus, pourris, rejetés. Parce qu’il existe une sagesse où, tout en faisant le mieux qu’on peut pour que les êtres humains vivent bien, parce que c’est normal et que ça me maintient moi-même en paix, on ne va pas jusqu’à ce souci d’humanité extrême.

Cela a des conséquences. C’est que le mur d’inimitié, d’hostilité, de haine qui ne cesse de se reconstruire entre les humains, il faut que je sois en train de le briser. Et cela entraîne aussi inévitablement, par rapport aux pouvoirs et aux savoirs en place, une subversion. C’est-à-dire que cette attitude-là qui peut, lorsqu’elle se pervertit, devenir une attitude de faiblesse, d’abandon à la détresse, de masochisme - et il y a des courants religieux qui ont fourni ma-tière à cela - cette attitude, lorsqu’elle est vraie, est une attitude à la fois critique et créatrice. Je ne me résigne pas au train du monde. Je ne me résigne pas à la destruction d’autrui. Cela va me faire mal, peut-être, de ne pas me résigner, mais au point où j’en suis, essayons de sur-monter ce qui déferait le lien premier d’humanité et de le retrouver toujours plus loin et plus fort. Au point où j’en suis, c’est mon chemin, sans que je juge ceux qui n’y sont pas. C’est mon chemin, à la mesure qui est la mienne, à la mesure que je puis, qui est forcément limitée.

Mais une question peut arriver : qu’y a-t-il entre nous, qui nous sépare pour que nous ne soyons pas dans la confusion, dans le mixage et qui en même temps nous lie, qui fait que nous sommes, les uns en face des autres, moi et l’autre, chacun recevant du regard et de la parole d’autrui d’être là et en même temps non pas isolé dans notre jardin ou notre tour, mais vivant par et dans les relations ? C’est le moment où nous découvrons peut-être que ce qui est la substance de l’amour le plus profond est dans l’amour le plus humble, celui qui accepte de reconnaître l’autre comme celui, celle qui est là, tel-le qu’il ou elle est. Je pense que dans la thérapie, par exemple, c’est quelque chose d’assez fondamental, que quelqu’un qui a senti qu’il était nié, rejeté, manipulé puisse avoir le sentiment qu’il y a au moins un lieu où il peut être qui il est, tel qu’il est, sans être jugé, condamné, manipulé, conduit. Très paradoxalement, c’est cela qui, d’une certaine façon, est la conduite supérieure. Si un être

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humain peut accéder à cela, il accède au meilleur. En un sens, c’est le plus élémentaire de l’amour et quand c’est à pleine puissance, c’est aussi ce qui est le maximum. Combien il est nécessaire aux humains de pouvoir rencontrer un regard qui leur donne d’être, lorsqu’ils parlent d’avoir le sentiment vif d’être écoutés et qu’ils s’en aperçoivent par la parole ou le silence qui réponde à leur propre parole…Mais qu’est-ce qui va nous tenir dans cette relation ? Entre nous, il y a un vide, mais qu’y a-t-il dans ce vide ? Eh bien, par exemple, il y a le droit. D’où les droits de l’homme, qui ne sont absolument pas méprisables, mais qui restent en deçà de ce que j’évoque. Car on peut imaginer une société où les droits sont respectés… et où l’indifférence mutuelle peut être féroce. On voit cela à un guichet de fonctionnaire : quelqu’un remplit les papiers qu’il vous faut, reconnaît vos droits - mais est glacial. On préfère tout de même quelqu’un qui vous accueille et vous sourit ! Exemple mineur mais qui parle quand même fortement, je crois. Mais qu’est-ce qu’il peut donc bien y avoir ? Le lien du contrat, de la promesse mutuelle, de l’appartenance à une communauté, la langue commune, l’intérêt supérieur, spirituel ? Ce que nous nous donnons l’un à l’autre, c’est de nous aider sur le chemin de la vie - mais par quoi ? Ce n’est pas dans l’abstrait, nous sommes dans la même tradition et même si nous sommes dans des traditions ou des croyances opposées, nous arrivons quand même à nous entendre et à nous aider.

J’ai envie de dire que ce qui est entre nous, si la relation est dans toute sa vérité, c’est - rien ! Je veux dire par là : rien de ce qui s’ajouterait et qui en complétant, justifiant, parachevant, rétrécirait. Je pense que le cœur du spirituel, c’est la relation entre nous, en quelque sorte nue et du même coup, infinie. Ce qui est entre nous n’est pas ce qui s’ajoute à la relation, mais ce qui s’y manifeste, c’est-à-dire ce qui dans notre humanité se donne, à travers tout ce que les humains ont pu construire à propos du spirituel, comme ce qui nous libère fondamenta-lement des différentes formes de la destruction et se concrétise dans la relation elle-même. Cela ne mène pas du tout nécessairement à un humanisme qui dirait que l’homme s’enclôt en l’homme, ce peut être ouvert à toutes sortes de directions, d’élévation, de creusement de l’expérience. Mais ce n’est jamais là, c’est en train de se purifier de ce qui, constamment, travaille à nous défaire à travers l’échec, la manipulation de la relation entre nous. De sorte que ce qui nous est souhaitable, c’est que nous puissions au moins faire l’expérience, une fois ou l’autre, d’une relation dont le socle est tel que rien ne pourra la détruire. Ni les diver-gences, ni la maladie, ni l’échec.

Comment cela est-il possible, concrètement, dans l’humanité où nous sommes ? Il y a un risque d’équivoque suprême : celui de prendre ce que je vais dire comme une « spiritualité » qui couvre tout, noie tout, qui méconnaît les menaces et finalement nous plonge dans un idéal insaisissable. C’est pourquoi, à un moment donné, il faut faire retour sur le paysage où nous sommes, sur l’humanité que nous habitons. Et là - vous en prendrez ce que vous jugez bon - se présente pour moi l’importance de l’anamnèse, c’est-à-dire de la mémoire qui habite l’humanité où nous sommes et où est transmise l’humanité. Vous allez me dire : qu’est-ce que c’est que ça ? On va revenir en arrière ! La juste anamnèse, on en voit l’importance par l’épreuve négative, encore une fois. S’il n’y en a pas du tout, si l’homme est absolument sans tradition, sans attaches ayant une épaisseur de temps, il risque d’être cet individu que pourrait bien produire une certaine économie mondialisée toute puissante : un être qui vit dans l’immédiat, livré à ses envies et à ses peurs. Qui est éminemment manipulable, bien qu’il soit convaincu de jouir d’une liberté individuelle parfaite.

Mais attention : quand je dis anamnèse, cela fait naturellement songer à mémoire, et la mé-moire évoque le retour du passé. Mais non. Ce dont je parle, c’est de cette mémoire qui coïncide avec l’ouverture d’un avenir. L’expérience peut être donnée par la psychanalyse

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(que vous soyez ou non favorable à l’analyse, je la donne comme exemple intelligible) : si, dans un travail d’analyse, on revient dans ce qui a été un passé, ce n’est pas pour s’engluer dans ce passé, ce n’est pas pour le répéter. C’est pour que s’en libère ce qui, d’une certaine façon, était déjà là : une capacité de vivre, une énergie de vivre qui a été empêtrée, empêchée, perturbée. Du coup, ce qui est en cause n’est pas du tout la répétition au sens un peu méca-nique de l’expression, mais c’est la réitération. C’est-à-dire qu’il est au moins légitime que nous cherchions, dans les voies qui se sont déposées dans la mémoire active et vivante de l’humanité, quelque chose qui nous aide et nous soutienne et nous donne langage par rapport à ce que j’ai tenté d’évoquer.

Mais ce ne sera pas pour nous enfermer dans ce qui serait un enclos traditionnaliste, quel qu’il soit (il peut être religieux, mais aussi philosophique, idéologique, d’une famille, d’un clan, d’une tradition locale…). S’il y a une voie qui peut se réitérer ici après ce que j’en ai dit, en particulier après cette ouverture qui va jusqu’à la traversée de l’en bas, alors c’est une voie qui fait éclater toutes les dimensions. Là encore - le corps, c’est-à-dire la vue, l’ouïe, le toucher… Je donne un exemple : pour la plupart d’entre nous, la vue (dans le monde où nous sommes) a tendance à être ramenée au « scope » - télescope, microscope… C’est-à-dire que c’est une vue fondamentalement utilitaire, je vois pour savoir et manipuler. Le toucher lui aussi se fait manipulateur. Quant à l’ouïe, c’est un sens plus ou moins méconnu ou trop souvent réduit à une musique qui, elle aussi, a des côtés quasiment utilitaires. Or ce sont ces sens-là, comme « sens spirituels » selon un mot de saint Jean de la Croix, qu’il faut ouvrir. Retrouver dans toute sa puissance ce qui est dans la vue : la contemplation ; retrouver dans le toucher - ah, c’est difficile à dire… - la caresse et au-delà de la caresse même, un toucher sans toucher qui révèle le corps. Je pense au mot de cette femme à l’homme qui l’aimait : « Tu me donnes mon corps »… Et puis l’oreille, l’écoute ! Quelle est la parole que nous avons à entendre, la parole qui dit beaucoup mieux que ce que j’ai péniblement essayé de vous dire ? Y a-t-il dans les traditions humaines une parole qui éveille cela ?

Parce que ce qui est en cause, en effet, pour nous c’est cet autre grand thème (qui a toujours rapport au corps) qui se trouve aussi bien dans la tradition bouddhiste que dans la tradition chrétienne : l’éveil. Ce qu’il nous faut, c’est nous éveiller et dans le monde où nous sommes, nous éveiller de l’hébétude, ce mal rampant qui se répand un peu partout, qui tend à faire des gens archi pressés, manipulés constamment, bouffés par leurs propres envies, etc. On y résiste, heureusement ! Mais il y a, dans certaines zones de la jeunesse (qui précisément est déracinée), l’apparition de cet « homme sans gravité » dont parlait un psychanalyste, qui est de ce type-là, renvoyé à l’hébétude. Il y a en particulier une dimension qu’il faut accueillir : la verticale. Vous connaissez l’opposition qu’on a souvent faite entre l’horizontal qui serait entre les humains et le vertical qui serait avec… là-haut. Mais il y a une verticalité qu’il faut comprendre. La verticalité n’est pas une chose, c’est un agir, c’est s’élever et c’est aussi bien accueillir ce qui vient d’en haut. Quel rapport cela peut-il avoir avec la relation humaine que nous avons évoquée ? C’est que s’il y a quelque chose de l’ordre du vertical, cela manifeste le rien dont j’ai parlé (il n’y a rien entre nous qui nous manipule) ; cela manifeste le rien comme donation et pas comme une absence ou une destruction. Il y a finalement une source de vie dont nous pouvons goûter la réalité, non à travers des représentations (même s’il peut y avoir des images, des constructions…), mais par ce qui se tient entre nous dans cette région si étrange que l’apôtre Paul appelait le « corps spirituel ».

Là, il faudrait entamer un deuxième moment, qui serait de voir plus concrètement encore comment cela peut se vivre, se penser, se réaliser. Dans la tradition qui est la mienne, une question se pose évidemment : la question de ce qu’on appelle « dieu ». Tout ce que je peux dire - et je reste évidemment au bord ! -, c’est ceci : si l’on parle de Dieu par rapport à cela,

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cela va ouvrir à propos de Dieu des questions tout à fait vertigineuses. Et en particulier cela risque de dissocier Dieu de la religion et même, jusqu’à un certain point, de la philosophie telle que nous l’avons reçue. Le dieu de ce que je viens d’évoquer a sûrement rapport - il faut que je sois honnête - avec la tradition chrétienne, et même un rapport très profond, très essentiel. Mais s’il apparaît, il apparaît comme ce qui va ébranler à fond tout ce que nous pensons et disons à propos de Dieu. Telle sera ma conclusion, en forme d’ouverture redou-table : Dieu est le mot le plus équivoque que les humains aient inventé.

Maurice Bellet

Exposé d’André Comte-Sponville.

Le thème qui nous réunit est la dimension spirituelle de l’homme. Je suis venu très volontiers en parler, d’abord parce qu’il y a longtemps que je ne suis pas venu au GREP, (c’était en 93-94) et aussi parce que je pense, comme Monsieur Bellet, que la question spirituelle ne relève pas du luxe mais au contraire des dimensions constitutives de la condition humaine. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai publié en effet, il y a quelques années, « L’esprit de l’athéisme » sous-titré « Introduction à une spiritualité sans Dieu ». Le titre et le sous-titre de ce livre en disent assez clairement l’objet mais aussi peut-être, pour un certain nombre d’entre vous, l’apparent paradoxe.

Une spiritualité sans Dieu

Nous sommes tellement habitués, depuis 20 siècles d’Occident chrétien, à vivre dans des sociétés où la seule spiritualité socialement disponible était une religion, en l’occurrence le christianisme pour la très grande majorité des Français, qu’on a fini par croire que ces deux mots de religion et de spiritualité étaient synonymes ; auquel cas, effectivement, mon sous-titre serait non seulement paradoxal mais contradictoire. « Spiritualité », si cela signifiait « religion », au sens occidental du terme, cela voudrait dire croyance en Dieu. De sorte que parler de spiritualité sans Dieu serait une contradiction dans les termes. Mais c’est bien sûr cette synonymie que je conteste.

Ces deux mots, « religion » et « spiritualité » ne sont pas du tout des synonymes. Certes la religion relève de la spiritualité, mais il y a aussi d’autres spiritualités non religieuses. Au moins non religieuses au sens occidental du terme, au sens où la religion suppose une croyance en Dieu. Il suffit pour s’en rendre compte de prendre un peu de recul, à la fois dans le temps, du côté des sagesses grecques, et dans l’espace, en se tournant vers l’Orient bouddhiste ou taoïste, pour découvrir qu’il a existé et qu’il existe encore d’immenses spiri-tualités qui ne sont en rien des religions, au sens occidental du terme, qui ne sont en rien des croyances en Dieu. Et c’est bien sûr dans ce courant que je m’inscris. Parce qu’enfin, qu’est-ce que la spiritualité ? J’aurai l’occasion d’y revenir tout à l’heure, mais pour aller au plus court, je dirai que la spiritualité c’est simplement la vie de l’esprit. Vous savez qu’en latin « spiritus » d’où vient le français « spiritualité »), cela veut dire l’esprit. La spiritualité, c’est la vie de l’esprit. Eh bien, que je sache, les athées n’ont pas moins d’esprit que les autres. Pourquoi auraient-ils moins de spiritualité ? Pourquoi s’intéresseraient-ils moins à la vie spirituelle ? Toujours est-il que, pour ma part, je m’y suis toujours intéressé. Déjà du temps de mon adolescence, quand j’étais chrétien pratiquant, mais depuis que je ne crois plus en Dieu cela m’intéresse encore plus, ce qui peut paraître paradoxal.

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Un athée non dogmatique et fidèle

Pour résumer ma position en une phrase, je me définis comme « athée non dogmatique et fidèle ».

Pourquoi athée. C’est le plus simple : parce que je ne crois pas en Dieu. Vous me permettrez de ne pas m’attarder sur mes raisons de ne pas croire. Pour ceux que cela intéresse, je les renvoie à mon livre « L’esprit de l’athéisme », livre dans lequel j’expose mes six raisons principales de ne pas croire en Dieu.

Pourquoi athée non dogmatique ? Parce que je reconnais évidemment que mon athéisme n’est pas un savoir. Personne ne sait, au sens vrai et fort du verbe savoir, si Dieu existe ou non. Autrement dit, tout dépend de la question que l’on me pose. Si l’on me demande : « Croyez-vous en Dieu ? », la réponse est extrêmement simple : « Non, je n’y crois pas ». Maintenant, si l’on me demande : « Dieu existe-t-il ? », la réponse est un peu plus compli-quée, puisque, par honnêteté intellectuelle, je dois commencer par dire : je n’en sais rien. Je n’en sais rien parce que personne ne sait si Dieu existe ou pas. Je le dis dans mon livre : si quelqu’un vous dit « Je sais que Dieu n’existe pas », ce n’est pas d’abord un athée, c’est d’abord un imbécile.

Mais si je rencontre quelqu’un qui me dit « Je sais que Dieu existe », c’est un imbécile qui a la foi. Qu’il ait la foi, ce n’est pas grave, mais qu’il prenne sa foi pour un savoir, si, car c’est une double erreur, théologique et philosophique : théologique, parce qu’en bonne théologie, la foi est une grâce, ce que le savoir ne saurait être ; et philosophique, parce qu’il confond deux notions fondamentalement différentes, celle de croyance et celle de savoir.

Bref, je ne sais pas si Dieu existe ou non ; je crois qu’il n’existe pas. Un athéisme non dog-matique, c’est un athéisme qui s’avoue comme croyance, une croyance négative, en l’occur-rence : c’est croire, et non pas savoir, que Dieu n’existe pas.

Tout cela amène certains à me dire : « Vous n’êtes pas athée, vous êtes agnostique ». Mais non ! Il est vrai qu’« agnostos », en grec, cela signifie l’inconnu ou l’inconnaissable ; et on en conclut souvent que l’agnostique serait celui qui, sur la question de Dieu, reconnaît ne pas savoir. Mais à ce compte-là, « agnostique » serait un synonyme pour « intelligent », ce qui signifierait qu’ici nous serions tous agnostiques (que les imbéciles m’excusent), ou presque tous agnostiques. Mais, d’évidence, ce n’est pas le cas. L’agnostique, ce n’est pas celui qui reconnaît ne pas savoir ; beaucoup de croyants non dogmatiques reconnaîtront aussi ne pas savoir ; beaucoup d’athées non dogmatiques reconnaîtront aussi ne pas savoir. L’agnostique, ce n’est pas celui qui reconnaît ne pas savoir, c’est celui qui, reconnaissant ne pas savoir ce qu’il en est de l’absolu, décide de s’en tenir à cet aveu d’ignorance. L’agnostique, c’est celui, lorsque vous lui demandez « Dieu existe-t-il ? Croyez-vous en Dieu ? », qui vous répond : « Je n’en sais rien. Et comme je n’en sais rien, je m’en tiens cet aveu d’ignorance, je refuse de trancher la question. Je laisse la question ouverte ; je coche la case sans opinion du grand sondage métaphysique portant sur l’existence de Dieu ». L’athée non dogmatique reconnaît ne pas savoir, comme le croyant non dogmatique, mais il ne coche pas la case sans opinion. Sur l’existence de Dieu, j’ai une opinion bien claire, bien précise. Mon opinion, c’est que Dieu n’existe pas.

Vous pourriez penser que la position de l’agnostique est la position la plus raisonnable. Puisqu’on ne sait pas ce qu’il en est, pourquoi faudrait-il trancher ?

La position de l’agnostique est raisonnable ; oui bien sûr, comme d’autres positions sont raisonnables.

Mais si vous décidez désormais de ne vous poser que les questions dont vous connaissez

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déjà la réponse, les conversations et les luttes philosophiques vont perdre beaucoup de leur intérêt. Parce qu’en gros, cela va se résumer à la répétition de ce que les sciences nous apprennent. « Vous avez vu, cher ami, la terre tourne autour du soleil ». « Ah oui, c’est intéressant. Et d’ailleurs, E = mc2. » Que va-t-on dire de plus ? On va parler de la terre, du soleil, du vivant… Vous imaginez les conversations du dîner, quel ennui ! Les conversations perdraient en effet beaucoup d’intérêt puisqu’elles se limiteraient au positivisme le plus plat.

En outre, vous aurez beaucoup de mal à élever vos enfants. Parce que vos enfants ne cessent de vous poser des questions auxquelles aucun savoir ne répond : « Papa, Maman, est-ce que la vie a un sens ? » : « Aucun savoir ne répond, mon fils ; je coche la case sans opi-nion ». « Oui, mais enfin, le bonheur, ça existe ? - Ah, mon fils, ma fille, aucune science ne répond » : je coche la case sans opinion. « Mais alors, la justice, ce que l’on ne peut pas accepter… », comme disait Monsieur Bellet. « Ah, mon fils, la science ne peut répondre à cela : je coche la case sans opinion. » Comment éduquer vos enfants de cette façon ? Bref, nous sommes voués, parce que nous sommes humains, à prendre position sur de nombreuses questions, tantôt morales, tantôt métaphysiques, tantôt spirituelles qui ne sont solubles dans aucun savoir et auxquelles aucune science ne répond et ne répondra jamais.

Schopenhauer disait que l’homme est un animal métaphysique ; il avait raison. L’homme est une espèce animale qui se pose des questions auxquelles aucun savoir ne répondra jamais.

Donc, voilà : je suis un athée non dogmatique. Je reconnais ne pas savoir si Dieu existe ou non, mais je ne coche pas la case sans opinion : mon opinion, que j’explique de manière plus détaillée dans mon livre, c’est que Dieu n’existe pas.

Athée non dogmatique ; donc ; mais pourquoi athée non dogmatique et fidèle ?

Athée fidèle parce que, tout athée que je sois, je reste attaché par toutes les fibres de mon être à un certain nombre de valeurs morales, culturelles, spirituelles, qui sont nées pour beaucoup d’entre elles dans les grandes religions, et spécialement, pour nous, ici, parce que c’est notre histoire, dans la tradition judéo-chrétienne. Autrement dit, ce n’est pas parce que je suis athée que je vais cracher sur 2 000 ans de civilisation chrétienne. Ce n’est pas parce que je suis athée que je vais cracher sur 3 000 ans de civilisation judéo-chrétienne.

Cependant, le cœur de notre rencontre, ce n’est pas la religion, ce n’est pas Dieu ou l’inexis-tence de Dieu, c’est la spiritualité.

Être athée en terre chrétienne

Essayons d’expliquer ce que peut être une spiritualité sans Dieu, une spiritualité pour les athées.

Il y a des athées dans le monde entier ; mais on n’est pas athée de la même façon en terre chrétienne, en terre musulmane, en terre bouddhiste ou en terre confucéenne. Athée, vous ne croyez pas en Dieu ; mais en quel Dieu ne croyez-vous pas ? Je ne crois en aucun Dieu. Mais disons la chose clairement : celui qui m’intéresse vraiment, ce n’est pas le Dieu des philosophes, mais celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. C’est-à-dire, comme disait Blaise Pascal, le Dieu de Jésus-Christ. Parce que je suis un athée en terre chrétienne. Parce que mon athéisme s’est défini par rapport à cela. Je vous rassure, je ne crois pas d’avantage, et encore moins même, au Dieu de Mahomet. Mais Mahomet, je ne le connais que par ouï-dire, ce n’est pas mon problème. Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, c’est-à-dire le Dieu de Blaise Pascal, c’est-à-dire le Dieu de Jésus-Christ, ça, malgré tout, c’est mon problème.

Et puisque je raisonne en terre chrétienne, et que, athée de tous les Dieux, je suis athée en

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particulier de ce Dieu de Jésus-Christ, je trouve qu’il est commode de raisonner à partir des trois vertus théologales de la tradition chrétienne, ces trois vertus principales (que l’on dit théologales parce qu’elles ont Dieu même pour objet) que sont la foi, l’espérance et la cha-rité, comme disent le plus souvent les catholiques, ou, comme disent les protestants, la foi, l’espérance et l’amour (pour traduire le même mot grec « agapè »).

Et je voudrais montrer ce qu’il reste, pour un athée fidèle, de ces trois vertus théologales.

Que reste-t-il de la foi pour un athée ?

Je commencerai bien sûr par la foi, parce que c’est le plus simple. Que reste-t-il de la foi pour un athée ? Il n’en reste rien, ou presque rien, mais ce presque rien est en fait beaucoup : mon idée est qu’il en reste précisément une fidélité. Je prends ces deux mots à dessein, foi et fidélité, parce qu’en français ce sont deux doublets (comme disent les linguistes), c’est-à-dire deux mots de même origine étymologique, en l’occurrence du latin « fides », mais qui en français moderne ont deux sens différents. Et je dis souvent : la fidélité, c’est ce qui reste de la foi quant on l’a perdue.

Cela veut dire concrètement : faut-il, sous prétexte que je ne crois pas en Dieu, ou sous prétexte (ce qui est plus important) que notre société y croit de moins en moins (ça n’est pas vrai dans le monde entier mais c’est clairement vrai en France, c’est ce qu’on appelle la déchristianisation), faut-il donc pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain, comme on dit familièrement ? C’est-à-dire renoncer, en même temps qu’au Dieu socialement défunt, comme pourrait dire un sociologue nietzschéen, à toutes les valeurs morales, culturelles et spirituelles dont nous savons bien qu’elles sont nées, historiquement, pour la plupart d’entre elles, dans les grandes religions, spécialement dans les trois grands monothéismes, dont nous savons bien qu’elles ont été transmises pendant des siècles par la religion, par l’Église catholique pour ce qui est de notre pays ; mais dont rien ne prouve qu’elles aient besoin d’un Dieu pour subsister, dont tout prouve, au contraire, que nous avons besoin d’elles pour sub-sister d’une façon qui nous paraisse humainement acceptable

C’est vrai dans toutes les civilisations. Si nous étions nés en Chine, au Maroc ou en Iran, nous aurions d’autres traditions vis-à-vis desquelles nous aurions à être fidèles. Mais il se trouve que nous sommes en France, il se trouve que nous sommes en Europe, il se trouve que nous sommes d’Occident, que nous le voulions ou non, et qu’il faut bien assumer cette dimension à la fois historique et géographique.

S’agissant de cette civilisation qui est la nôtre, cela veut dire que la vraie question, concrète-ment, est la suivante : que reste-t-il de l’Occident chrétien quand il n’est plus chrétien, Et là, me semble-t-il, de deux choses l’une : ou bien vous pensez qu’il ne reste rien, de l’Occident chrétien quand il n’est plus chrétien : et alors, il n’y a qu’à aller se coucher. Vous pouvez continuer à faire des réunions au GREP, moi ça ne m’intéresse plus et ça ne durera pas long-temps. Nous sommes une civilisation morte, en tout cas mourante. Nous n’avons plus rien à opposer ni au fanatisme, surtout à l’extérieur, ni au nihilisme, surtout à l’intérieur. Et croyez-moi, le nihilisme est le danger le plus grand. Ou bien alors, deuxième possibilité, il en reste quelque chose de l’Occident chrétien, quand il n’est plus chrétien. Et si ce qu’il en reste, ça n’est pas une foi commune (puisqu’elle a cessé de fait d’être commune : aujourd’hui, un Fran-çais sur deux est agnostique, athée ou sans religion, j’en fais partie, un sur quatorze est musul-man), ce qu’il en reste, cela ne peut être qu’une fidélité commune, c’est-à-dire un attachement partagé à ces valeurs que nous avons reçues et que donc nous avons à charge de transmettre. Parce que la seule façon d’être vraiment fidèle à ce qu’on a reçu, c’est évidemment de le

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transmettre. Le grand avantage que nous offre la laïcité, c’est justement de nous permettre de communier dans ces valeurs communes, sans nous opposer bêtement et stérilement sur la foi des uns, la foi différente des autres ou l’absence de foi des troisièmes.

M’adressant en particulier aux chrétiens qui sont ici, je leur dirai volontiers : vous et moi, nous ne sommes séparés, pour l’essentiel, que par ce que nous ignorons, puisque ni vous ni moi ne savons si Dieu existe ou non. Il ne serait pas raisonnable d’accorder d’avantage d’importance à ce qui nous sépare et que nous ignorons, qu’à ce qui nous unit et que nous connaissons fort bien, d’esprit et de cœur, à savoir que ce qui fait la valeur d’un homme ou d’une femme, c’est non pas de savoir si cet homme ou cette femme croit en Dieu, mais la quantité d’amour, de justice et de courage dont il est capable, ou dont elle est capable.

M’adressant toujours aux chrétiens, j’ajouterai que nous ne sommes séparés que par trois jours : les trois jours qui séparent le Vendredi Saint de Pâques. Parce que, pour vous dire la chose simplement, l’athée fidèle que je suis n’a pas grand-chose à reprocher, à retirer au message moral des Églises. Quand je lis et relis les Évangiles, j’ai envie d’applaudir des deux mains à presque tout. Je dis « presque », parce que je ne m’intéresse guère aux miracles (mon maître Marcel Conche, qui trouve que j’attachais trop d’importance à Jésus-Christ, car pour lui seuls les Grecs sont importants, me disait : « Quand même, votre Jésus, pour en être réduit à marcher sur les eaux, il fallait vraiment qu’il n’ait que de bien piètres argu-ments ! »), et parce que je déconseille à quiconque de frapper ma joue droite : je ne tendrai pas la gauche… Mais les miracles ne sont pas l’essentiel de l’Évangile, et la non-violence est une dimension du message évangélique, certes, mais que l’on pourrait contrebalancer par d’autres passages, comme « je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive » ou d’autres. Mais sur le reste, sur l’essentiel, je suis d’accord.

La différence entre les chrétiens et moi, c’est que, pour moi, l’histoire s’arrête au calvaire, quand Jésus, sur la croix, gémit : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », où Jésus est notre frère vraiment, puisqu’il partage notre souffrance, notre détresse, notre angoisse, peut-être même, à ce moment-là, notre désespoir. Je conçois bien que pour les chrétiens, l’histoire continue trois jours de plus : jusqu’au tombeau vide et à la Résurrection. Dans la mesure où, par la Résurrection, ces trois jours débouchent sur l’éternité, cela fait une sacrée différence, ou une différence sacrée, que je ne prétends pas annuler. Je ne dis pas que vous et moi sommes d’accord ; nous ne sommes pas d’accord. Vous croyez en Dieu, je n’y crois pas. Mais une fois encore, serait-il raisonnable d’accorder d’avantage d’importance à ces trois jours qui nous séparent qu’aux 33 années qui précèdent, dans le souvenir ému desquelles nous pouvons communier ?

Voilà : quand on n’a plus la foi, il reste la fidélité. Une spiritualité sans Dieu, c’est une spiri-tualité de la fidélité plutôt que de la foi.

Que reste-t-il de l’espérance pour un athée ?

Deuxième vertu théologale, l’espérance. Qu’en reste-t-il pour l’athée : pas grand-chose non plus ! Non pas que l’athée soit forcément désespéré en tout ; les athées qui sont dans la salle peuvent espérer comme tout le monde qu’il fera beau le week-end prochain, ou qu’il y aura plus de monde à la prochaine manif sur les retraites, ou moins, selon les opinions des uns et des autres, ou que vous allez gagner au loto, etc. Sauf que tous ces espoirs, aussi dérisoires ou respectables qu’ils soient, viennent buter, pour les athées qui sont ici, sur ce qu’André Gide appelait le « fond très obscur de la mort ». Parce que, chers amis, qu’il fasse beau ou non le week-end prochain, qu’il y ait plus ou moins de monde aux prochaines manifs, que vous gagniez ou non au loto, la vérité ultime, c’est qu’on va tous mourir !

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Et il y a là, pour l’athée, une dimension de désespoir. Si Dieu n’existe pas et s’il n’y a pas de vie après la mort, il y a quelque chose de désespérant dans la condition humaine. Et donc je crois, avec Blaise Pascal, avec Kant, avec Kierkegaard, qu’un athée cohérent et lucide ne peut pas échapper au désespoir. Mais l’erreur de Pascal, de Kant et de Kierkegaard, me semble-t-il, c’est d’avoir confondu le désespoir avec le malheur. Ce que rien n’atteste, et que je crois rigoureusement faux. Le désespoir n’est pas la même chose que le malheur, de même que l’espoir n’est pas du tout la même chose que le bonheur. Beaucoup diraient même que c’est le contraire. D’abord parce que lorsque l’on est heureux, il n’y a plus rien à espérer. Sauf, bien sûr, à espérer que ça dure ! Et déjà l’angoisse est là, parce que, comme disait Spi-noza, il n’y a pas d’espoir sans crainte ni de crainte sans espoir. Mais si l’angoisse est là, que reste-t-il de votre bonheur ? Si tu espères quoique ce soit, tu as peur. Si vous espérez rester en bonne santé, vous avez peur de tomber malade. L’étudiant qui espère être reçu à ses examens a peur de les rater. Et ceux qui ont peur de les rater espèrent être reçus. Pas d’espoir sans crainte, pas de crainte sans espoir. C’est pour cela qu’espoir et bonheur sont deux choses différentes. Tant qu’on espère être heureux, c’est qu’on ne l’est pas.

Ceux ici qui ont veillé leur enfant mourant savent cela : ils n’ont jamais espéré aussi forte-ment qu’à ce moment-là. « Pourvu qu’il guérisse ! » Et c’est le moment de leur vie où ils ont été le plus malheureux. Inversement, ceux qui ont été heureux, ne serait-ce qu’un instant dans leur vie, savent qu’à ce moment-là, ils n’espéraient rien. Ils n’avaient peur de rien. Marcel Proust racontant l’un de ces moments dans « Le temps retrouvé », écrit simplement : « Alors l’idée même de la mort me devint indifférente » ;

Les Orientaux le disent aussi. Dans le Samkhia Sutra, qui cite le Mahabharata, l’immémorial et œcuménique traité de sagesse indienne, il y a un passage qui dit ceci : « Seul le désespéré est heureux ; car l’espoir est la plus grande souffrance, et le désespoir, la plus grande béati-tude ». Quand on espère, on a peur, on n’est pas heureux ; quand on est heureux, il n’y a plus rien à espérer. C’est pourquoi j’ai parlé, dès mon premier livre, le « Traité du désespoir et de la béatitude », d’un gai désespoir, au sens où Nietzsche parlait d’un gai savoir…

L’athée lucide ne peut pas échapper au désespoir car il y a quelque chose de désespérant dans la condition humaine. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas être heureux. Mais cela veut dire que la question du bonheur devient pour lui encore plus importante. Et c’est là-dessus que j’ai travaillé dans mes premiers livres : citant la formule de Kierkegaard dans son propre Traité du désespoir, « Le contraire de désespérer, c’est croire », je renversais la formule et je disais : « Le contraire de croire, c’est désespérer ».

Que reste-t-il de la charité (de l’amour) pour un athée ?

Et puis, j’ai continué à vivre, à lire, à travailler, à réfléchir, et un jour, je suis tombé sur un livre de saint Augustin, qui cite l’Épître aux Corinthiens, I, 13, de saint Paul, un très beau texte, ou Paul dit en substance « Je peux bien avoir toutes les vertus du monde, une foi à déplacer les montagnes, le don des langues, le don des prophéties, si je n’ai pas la charité, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. »

Et dans ce texte de saint Paul, il y a ces trois notions qui sont devenues par la suite les trois vertus théologales : la foi, l’espérance et l’amour. Sain Paul ajoute que la plus grande des trois, c’est l’amour. Vous voyez, chers amis chrétiens, que nous ne sommes pas séparés par l’essentiel, nous sommes séparés par le moins important, pas par le plus important. Car saint Paul rajoute en substance : « Tout le reste passera, la charité seule ne passera pas ».

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A ce propos, saint Augustin, citant, se pose une question que, pour ma part, je ne m’étais ja-mais posée : mais que veut dire « Tout le reste passera, la charité seule ne passera pas » ? Est-ce que cela signifie que la foi passera, que l’espérance passera ? Et saint Augustin, avec le courage qui est le sien, écrit : « Oui, c’est bien ce que cela veut dire » ! Parce que, lorsqu’on sera dans le Royaume, au Paradis, il n’y aura plus lieu de croire en Dieu, puisqu’on sera en Dieu, il n’y aura plus la foi puisqu’il y aura la « vision béatifique » comme disent les théologiens. Et dans le Royaume, au Paradis, par définition, il n’y aura plus rien à espérer… Si bien que dans le Royaume, il n’y aura pas la foi, il n’y aura plus l’espérance, il n’y aura plus que l’amour. Eh bien, j’ai envie de dire que pour l’athée fidèle que je suis, le Royaume, c’est ici et maintenant. Nous sommes déjà dans le Royaume : il s’agit d’habiter cet espace à la fois matériel et spirituel où rien n’est à croire, puisque tout est à connaître, et où rien n’est à espérer, puisque tout est à faire ou à aimer : à faire pour ce qui dépend de nous, comme disaient les stoïciens, à aimer pour ce qui n’en dépend pas.

Saint Thomas d’Aquin lui-même, dans la partie de la Somme Théologique traitant des vertus théologales, cite la même épître I, 13 de St Paul, approuve le commentaire de saint Augustin, auquel il ajoute ceci : « D’ailleurs le Christ n’a jamais eu ni la foi ni l’espérance. Et cepen-dant, il était d’une charité parfaite ». Certes, pour Thomas d’Aquin, si Jésus n’a ni la foi ni l’espérance, c’est qu’il est Dieu. Il n’a pas à croire en Dieu puisqu’il se sait Dieu. De plus Jésus n’a pas à avoir l’espérance puisqu’on n’espère que ce qu’on ignore et qui ne dépend pas de nous. Or Dieu étant omniscient et tout puissant, il n’ignore rien et tout dépend de lui. Il n’en reste pas moins que, pour l’athée fidèle, que je suis, cela donne un sens particulière-ment fort à ce qu’un livre fameux appelait « L’imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ ». Car si Jésus n’a ni la foi ni l’espérance, ce qu’il y a à imiter en lui, ce n’est pas la foi, ce n’est pas l’espérance, c’est l’amour.

Si bien que ce qui reste, quand il n’y a plus ni la foi ni l’espérance, c’est l’amour. De sorte qu’une spiritualité sans Dieu, c’est une spiritualité de la fidélité plutôt que de la foi, et une spiritualité de l’amour plutôt que de l’espérance.

Athéisme et mystique

Et puisque nous sommes déjà dans le Royaume, ici et maintenant, nous sommes déjà dans l’éternité : l’athéisme est aussi une mystique de l’immanence. Je dois dire que, pour parler de mystique, il m’a fallu quand même quelques années. Quand j’ai parlé de spiritualité, cela a surpris mes collègues un peu laïcards, mais quand j’ai parlé de mystique, beaucoup ont été choqués. Plus jeune, j’avais utilisé, dans l’un de mes premiers livres, une formule d’un grand historien de la philosophie aujourd’hui décédé, Martial Gueroult, qui à propos de Spinoza parlait d’une « mystique sans mystère ». Cela me rassurait, car si Spinoza, le plus rationaliste des philosophes, parle de mystique sans mystère, je peux bien le faire aussi. Et donc je me réclamais d’une mystique sans mystère à la façon de Spinoza. J’envoyai alors mon manuscrit à Marcel Conche, comme je l’ai fait pendant des années, et il me le renvoya annoté au stylo (comme lorsque j’étais son étudiant). Et là où j’avais parlé d’une mystique sans mystère, Marcel Conche avait écrit en marge : « N’ayez pas peur du mystère ». Je me suis dit qu’il avait raison, que mystère n’était pas un mot tabou pour un philosophe. Il y a du mystère. Et j’ai donc fini par assumer ce mot : le mystique non pas sans mystère, mais avec mystère ! Je m’éloignais quelque peu de Gueroult, pour me rapprocher de Wittgenstein : « Il y a assurément de l’indicible ; c’est ce qui se montre, c’est le mystique ». Le mystique, pour Wittgenstein, c’est ce qui est extérieur au langage, ce qu’on ne peut pas dire. Ce qu’il faudrait taire, selon Wittgenstein, mais que je vais malgré tout essayer de dire.

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L’expérience mystique

J’ai dit en commençant que la spiritualité, c’est la vie de l’esprit. Mais, en ce sens si large, tout relèverait de la spiritualité : la psychologie, le cinéma, la littérature, la politique, la comptabilité, etc. En un sens plus strict, la spiritualité, c’est la vie de l’esprit, en particulier dans son rapport à l’infini, à l’éternité, à l’absolu. Autrement dit, la vie spirituelle, c’est notre rapport fini à l’infini, notre rapport temporel à l’éternité, notre rapport relatif, évidemment relatif, à l’absolu. En ce sens, la spiritualité culmine dans que l’on appelle une expérience mystique.

Et il m’est arrivé en effet (en termes d’expérience on ne peut parler que de soi) de vivre quelques fois, quelques très rares fois, des expériences mystiques, ou, comme diraient les psychologues aujourd’hui, des états modifiés de conscience. Qu’est-ce qu’une expérience mystique ? Un état modifié de conscience. Modifié en quoi ? En y réfléchissant rétrospecti-vement, et en mettant des mots sur ce qu’à l’époque j’ai vécu silencieusement, il m’a semblé que cet état modifié de conscience correspondait à des mises entre parenthèses, des suspen-sions, que je vais pointer très rapidement :

D’abord, une mise entre parenthèses du déjà connu, du déjà pensé, comme dit Krishnamurti, une suspension de l’apparente banalité de tout. C’est ce que j’appelle le mystère. Quand vous êtes sortis de chez vous tout à l’heure, pour venir ici, le monde entier était là. Pas seulement Toulouse, mais le monde entier était là. Je suis certain que cela n’a surpris personne. Moi non plus, je vous rassure. C’est dingue, le monde entier est là et ça ne surprend personne ! Pourtant, une fois (j’étais alors jeune professeur de philosophie, dans le Nord), une nuit (je raconte cela en détail dans mon livre), le monde entier était là. Cela m’a paru bouleversant, totalement inexplicable et totalement mystérieux. Suspension du déjà connu : le mystère…

Ensuite, la mise entre parenthèses des questions, des interrogations, des problèmes : c’est ce que j’appelle l’évidence. Cette conjonction du mystère et de l’évidence, c’est déjà un état modifié de conscience.

Troisièmement, la suspension du manque : c’est ce que j’appelle la plénitude. Le plus sou-vent nous passons notre temps à courir après quelque chose qui nous manque : un peu plus de pouvoir, un peu plus d’argent, un peu plus d’amour, que sais-je. Et là, tout d’un coup, tout est là, rien ne manque : plénitude.

Quatrièmement, mise entre parenthèses des mots : suspension du discours, du raisonnement, du logos. Le plus souvent, nous sommes séparés du réel par les mots, qui nous permettent de le dire, de l’interpréter, de nous en protéger. Et là, tout d’un coup, il n’y a plus de mots, il n’y a plus que le réel : c’est ce que j’appelle le silence.

Cinquièmement, suspension de la séparation entre soi et tout. Le plus souvent, il y a moi, d’un côté, et tout le reste de l’autre. Et là, il n’y a plus que le tout. Suspension de la sépara-tion, suspension de l’ego : c’est ce que j’appelle l’unité.

Sixièmement, suspension de la séparation entre soi et soi. Dans « je me connais », il y a le je, il y a le me. On est deux. Tout d’un coup, il n’y a plus que le je : c’est ce que j’appelle la simplicité.

Septièmement, suspension du temps, ou plutôt, mise entre parenthèses de ce qu’on prend habituellement à tort pour le temps, à savoir le passé et l’avenir. Là, tout d’un coup, il n’y a plus de passé, il n’y a plus d’avenir. Il n’y a que le présent. Et comme il n’y a que le présent, le présent reste présent. Or, un présent qui reste présent, c’est ce qu’on appelle traditionnel-lement l’éternité.

Suspension par là même de l’espoir et de la crainte. S’il n’y a plus d’avenir, s’il n’y a plus

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que le présent, il n’y a plus d’espoir, il n’y a plus de crainte : c’est ce que j’appelle la sérénité. Il m’est arrivé, pendant ces quelques expériences très brèves, pendant quelques secondes, de n’avoir peur absolument de rien. Et je dois dire que pour un anxieux comme moi, c’est une expérience bouleversante. La première fois que j’ai vécu cela, dans une forêt, en pleine nuit, je me suis dit : « Au fond, c’est ce que Spinoza appelle l’éternité. » Évidemment, cela la fit cesser instantanément. Puisque revenaient les mots, les idées, les discours, les doctrines… Ou plutôt l’éternité continuait, mais sans moi, j’étais retombé en dehors de l’éternité. Pour-tant, j’avais raison. Parce que c’est exactement ce que Spinoza appelle l’éternité dans le livre V de l’Éthique : « car nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels ». Non pas que nous le serons après la mort, ce à quoi Spinoza ne croit nullement, moi non plus, mais que nous sommes éternels, ici et maintenant.

En guise de conclusion

La phrase la plus difficile que Spinoza ait écrite, en tout cas celle qui m’a donné le plus de mal, est celle-ci : « La béatitude est éternelle, et ne peut donc être dite commencer que fictivement ». Je relisais ça et je me disais « Il est marrant Spinoza. Car si la béatitude ne commence pas, pour moi, qui ne suis pas un bienheureux, ça veut dire que c’est raté, défini-tivement ». Et, malgré tout, ça m’ennuyait un peu.

Parmi les commentateurs, personne n’explique ça. Mais cela s’est pour moi éclairé un jour, quand j’ai lu un texte d’une toute autre origine spirituelle, de Nagarjuna (un des plus grands penseurs du bouddhisme, qui a vécu au tournant des Ier et IIe siècles après Jésus-Christ, en Inde). Ce que Spinoza appelle la béatitude, les bouddhistes l’appellent le nirvana. Et le contraire du nirvana, dans le bouddhisme, le cycle de la vie, de la souffrance et de la mort, notre vie gâchée, ratée, manquée, c’est le samsara. Le salut, la béatitude, c’est le nirvana ; le reste, la vie ratée, gâchée, manquée, la souffrance, l’angoisse, c’est le samsara. Sauf que Nagarjuna écrit, et c’est à mon sens la phrase la plus forte de toute la spiritualité : « Tant que tu fais une différence entre le nirvana et le samsara, tu es dans le samsara ».

Pour dire la même chose avec des mots qui correspondent davantage à notre tradition :

Tant que tu fais une différence entre la béatitude et ta vie telle qu’elle est, difficile, ratée, gâchée, manquée, tu es dans ta vie telle qu’elle est, difficile, ratée, gâchée, manquée.

Tant que tu fais une différence entre l’absolu et le relatif, tu es dans le relatif.

Tant que tu fais une différence entre l’éternité et le temps, tu es dans le temps.

Tant que tu fais une différence entre le salut et la perte, tu es perdu.

Tant que tu fais une différence entre l’enfer et le paradis, tu es en enfer.

André Comte-Sponville

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PARCOURS 2010-2011

Échange entre les deux conférenciers

André Comte-Sponville

L’exposé de Maurice Bellet m’a fort intéressé. Mais nous ne parlons pas, lui et moi, de la même chose. Ce qu’il a dit relève davantage, à mes yeux, de la psychologie, de la morale ou de l’éthique que de la spiritualité. La spiritualité, au sens strict, c’est notre rapport à l’absolu, à l’infini, à l’éternité. L’éthique, c’est d’abord notre rapport à nous-même et aux autres. Mon éthique est résolument humaniste. Ma spiritualité, non. Je vous vois devant moi, vous êtes tous résolument finis, et notre relation n’est pas absolue (aucune ne l’est : toute relation, par définition, est relative). Nous ne nous connaissons pas, mais si je considère la relation que j’ai avec mes enfants, mes trois garçons, c’est aussi une relation finie au sens de la finitude. Ce n’est pas de l’infini, ce n’est pas de l’éternité, c’est inscrit dans le temps, de part en part. Et les parents le savent bien : que de soucis nous nous faisons pour l’avenir de nos gosses ! Vous savez, il y a 10 ou 15 ans de cela, j’avais présenté, après mon « Traité du désespoir et de la béatitude », une conférence sur la sagesse. A l’époque, j’y croyais encore un peu, j’y croyais encore trop. Je venais de faire cet exposé, et lors du débat, une dame prend la parole et me dit : « J’ai beaucoup aimé ce que vous avez dit et je suis d’accord avec tout. Il y a juste un problème : c’est que lorsqu’on a des enfants, ça ne marche pas ». Je me reconnais ce mérite de lui avoir répondu deux choses : « Madame, vous avez raison ; quand on n’a des enfants, cela ne marche pas. » Puis cette deuxième chose : « Cela dit, ce n’est pas une raison pour ne pas faire d’enfants ».

Pour tout vous dire, l’amour que nous avons pour nos enfants, c’est bien plus important que les petites expériences mystiques que l’on peut vivre ici ou là. Ce n’est pas de la spiritualité, c’est de l’amour. C’est dans le temps jusqu’au cou ! C’est dans l’angoisse, c’est dans l’atta-chement jusqu’au cou, dans l’ego jusqu’au cou, et c’est pour cela que c’est tellement doulou-reux, tellement angoissant. C’est de la finitude, c’est du temps et c’est du relatif. Je ne vois pas devant moi trois cents absolus, je vois trois cents visages, avec leurs traits, leurs rides… Vous êtes tellement relatifs, comme moi d’ailleurs, que c’en est même émouvant. Mais ce que j’ai vécu une nuit, en forêt et que j’ai évoqué, ce que les mystiques décrivent dans toutes les traditions religieuses, ce n’est pas ça. D’ailleurs la plupart des grands mystiques n’ont pas eu d’enfants. Ce n’est peut-être pas un hasard. C’est un rapport à l’éternité, à l’infini, à l’absolu, c’est autre chose. J’en ai parlé souvent dans des débats publics avec mon ami Luc Ferry. Pour lui, le sommet de la spiritualité, c’est la relation humaine. Et nous avions fini par résumer notre désaccord dans une image. Pour Luc, la spiritualité se vit quand on regarde un être humain dans les yeux. Là, on est face à l’absolu, à la transcendance comme dit Nietzsche, au surnaturel. Cher Monsieur, je vous regarde dans les yeux, je ne vois rien de transcendant. Je vois du relatif, de la finitude, de la temporalité. Et je disais à Luc que, pour moi, l’expérience spirituelle emblématique, ce n’est pas de regarder un homme ou une femme dans les yeux (ça, c’est une expérience morale, pas une expérience spirituelle), c’est regarder le ciel étoilé la nuit. Parce que là, on est confronté à l’infini, là on est confronté à l’éternité, là, on est confronté à l’absolu.

Ce n’est pas pour dire que ce que disait Maurice Bellet n’est pas important. Pour tout vous dire, c’est même plus important. Tous ceux ici qui ont des enfants le savent bien. L’essentiel est dans le relatif. Il se trouve que nous sommes aussi capables d’habiter l’absolu, d’habiter l’infini, d’habiter l’éternité. C’est cela que j’appelle la spiritualité. Alors bien sûr, dans cette relation humaine, Monsieur Bellet demande : « Qu’est-ce qu’il y a entre vous et moi ? » Et joliment, il répond : « Il n’y a rien ». Mais son rien va vite ressembler à Dieu.

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Moi je crois qu’entre vous et moi, il n’y a d’abord rien. Ce rien ne s’appelle pas Dieu, cela s’appelle la solitude. C’est Rainer Maria Rilke qui dit dans les Lettres à un jeune poète : « Dans la mesure où nous sommes seuls, l’amour et la mort se rapprochent ». C’est la solitude. Entre vous et moi, cher Monsieur, il n’y a rien. Entre mes enfants et moi, il n’y a rien. Rien d’autre que l’amour que l’on a les uns pour les autres.

Quand j’étais jeune enfant, je m’étais cogné, j’avais très mal, et ma mère qui était là, fragile mais très aimante, me dit : « Tu ne peux pas avoir mal, je suis tout près de toi et je ne sens rien ». J’ai vécu cela comme une espèce d’escroquerie. Mais elle avait raison : ce qu’elle exprimait, c’était la solitude. Même quand on s’aime, quand l’autre a très mal, même physi-quement, l’autre ressent de la solitude.

Je vais vous dire : au fond, c’est pour cela que j’ai perdu la foi. Bien sûr, il y a d’autres argu-ments que j’expose ailleurs dans mon livre. C’est un autre débat qui relève de la métaphy-sique et c’est très important aussi la métaphysique. Mais ce n’est pas la spiritualité.

Quand on me demande quand et pourquoi j’ai perdu la foi, puisque j’étais chrétien prati-quant jusqu’à l’âge de 17 ou 18 ans, foi ouverte au doute, comme il convient, mais très sincère et vive, je réponds que j’ai perdu la foi pour trois raisons. Les arguments viennent après pour justifier la position que l’on a déjà prise, mais après. La première raison n‘est pas une très bonne raison puisque c’est à cause de mai 1968 ! Pour un mois de bonheur qu’on a vécu à 16 ans, il n’y a pas de quoi le regretter. Un beau matin de Mai 68, je me suis réveillé d’extrême-gauche, comme d’ailleurs la plupart des jeunes de ma génération, alors que nous étions en gros apolitiques jusque-là. Et la passion politique a tout emporté. Vous savez que toute passion est monomaniaque. Et la politique m’a tellement passionné pendant des années que Dieu, à côté, m’intéressait beaucoup moins. Dieu cessa d’abord de m’intéresser, puis j’ai cessé d’y croire. Donc, pas une très bonne raison, philosophiquement, puisque liée aux hasards de l’histoire, des événements.

La deuxième raison, c’est la littérature. J’accordais une grande importance à la littérature, et les auteurs que je lisais et que j’aimais étaient tous athées ou agnostiques : André Gide, Ro-ger Martin du Gard, Camus, Sartre, Proust, Céline, plus tard Aragon et Saint John-Perse… Du côté des écrivains chrétiens contemporains, il y avait Bernanos, Claudel, Mauriac, tous très estimables. Mais pour moi, ça ne faisait pas le poids, et ça ne fait toujours pas le poids.

Puis la troisième raison, qui est au fond la plus importante, c’est que Dieu cessa de m’in-téresser ; je m’éloignais de lui, il s’éloignait de moi ; je perdis la foi, mais pas du tout dans le drame, pas du tout dans l’angoisse ni dans la tristesse. Au contraire, quand j’y pense rétrospectivement, le mot qui me vient est un mot de Jules Renard. Dans son merveilleux Journal, Jules Renard écrit : « Enfin seul, sans s ! » Vous savez, quand on est amoureux on se dit comme cela : « Enfin seuls ! », mais avec un s. Alors que dans Jules Renard, quand il écrit « Enfin seul », c’est bien sans s.

Quand on participe à un colloque, souvent on peut passer deux ou trois jours dans une ville que l’on ne connaît pas, avec un tas de collègues universitaires ; on sourit à tout le monde, on a même des crampes aux maxillaires à force de sourire. On fait semblant d’être heureux, on fait semblant d’être intelligent. Et à la longue, c’est extrêmement fatiguant. Et puis tout d’un coup, vous vous retrouvez seul dans votre chambre d’hôtel. Vous fermez la porte et vous vous dites : « Enfin seul, sans s ! »

Quand Dieu est parti, si j’ose dire, c’est ce que j’ai vécu. Pas du tout un drame ou une tristesse, un accablement. Au contraire : quelle légèreté soudain, quelle simplicité, quelle détente ! Ce n’est pas du tout que je craignais le regard de Dieu sur moi, le Dieu vengeur ; je savais bien qu’il s’agit d’un Dieu d’amour. Mais justement : quoi de plus écrasant qu’un

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regard d’amour ? Lequel d’entre nous accepterait de vivre en permanence sous le regard de sa mère ? Et comment pourrions-nous le supporter si notre mère était, en plus, censée tout savoir ? Ce serait insupportable !

Il m’arrive de dire que j’ai perdu la foi par amour de la simplicité et de la solitude. Si bien que ce que je vis dans la spiritualité, ce n’est pas la relation humaine. C’est plutôt le contraire. Dans les moments d’états modifiés de conscience que j’évoquais, le peu que j’en ai vécu, mais aussi dans la tradition chrétienne, aussi bien que dans toutes les traditions, en particulier la tradition bouddhiste, l’essentiel ne se joue pas dans les relations humaines : les plus grands mystiques vivent souvent seuls, les ermites, les anachorètes, ont vécu seuls, d’autres vivent dans des monastères en silence. J’ai passé, quand j’étais chrétien, trois jours à la Trappe. J’étais fasciné par ces gens qui ne parlent jamais, parce que je sentais là un enjeu spirituel décisif.

Voilà : les relations humaines, c’est très important, c’est même le plus important. C’est l’es-sentiel de l’éthique. Mais notre rapport à l’infini, à l’absolu, à l’éternité - ce que j’appelle la spiritualité - c’est autre chose : plutôt une expérience de la solitude, une solitude tellement profonde que nul n’y pénètre, comme dit Bobin, pas même le solitaire.

Je termine là, pour dire mon malaise à propos de votre exposé très touchant, très éclairant, mais qui pour moi relève d’avantage de la morale et de la psychologie, (deux choses très importantes par ailleurs), que de la spiritualité.

Maurice BelletEn vous écoutant, j’ai fait une découverte, découverte que je livre telle quelle, sur le vif. C’est que ce qui peut séparer ce que vous avez dit de ce que j’ai dit et que je pense, ça ne concerne pas d’abord Dieu, mais ça concerne en premier l’humain. C’est comme cela que je l’ai perçu. Ce que vous avez dit à la fin est pour moi particulièrement éclairant : c’est ce que vous écartez, cette idée que le cœur du spirituel, ce mot tellement difficile à cerner, ce sans quoi nous sommes perdus, etc. a profondément pour moi un rapport avec ce que vous avez quand même, à un moment, nommé agapè. Et pour vous, apparemment, la spiritualité est ailleurs que dans cette relation humaine, qui n’est pas la relation humaine en général, mais que j’ai tenté d’évoquer comme j’ai pu, à savoir une relation qui est Dieu même. Oui en effet, Dieu, quand même.

Car je pense à la phrase de St Jean, « Si tu veux savoir ce qu’est leur Dieu, c’est agapè » ; et à la phrase de St Augustin, « La dilection fraternelle spirituelle, entre nous, non seulement elle vient de Dieu, mais c’est Dieu entre nous ». Il va jusque-là. C’est pour cela que c’est vrai, et, sans chercher à prendre le contre-pied de ce que vous avez dit tout à l’heure, quand je vous regarde, j’espère qu’il m’est donné de voir ce qui est divin en vous, ce qui est au-dessus de toutes vos contingences, de vos misères, de vos tralalas, de vos déconvenues, etc.

Que dans cet amour dont j’ai parlé, dans sa forme accomplie, précisément, vous êtes trans-parent : ça ne compte pas ce que voit Dieu, c’est pas du tout ça.

La foi, ce sont les derniers mots du petit livre que vous avez lu (Dieu, personne ne l’a jamais vu, NdT), c’est croire qu’en tout être humain existe ce point de lumière que rien ne détruira, qui est éternel. Alors, ce n’est pas croire en l’homme ; parce que croire en l’homme, ça peut finalement être assez plat et plein d’illusions. C’est croire que tout être humain a cette dignité infinie, qui est une dignité divine. Seulement, l’une des conséquences, c’est que ça change énormément Dieu. Dieu n’est pas ce qui s’ajoute à cet espace de dignité qui est entre nous et qui est à la fois ce qui nous sépare et ce qui nous lie. Dieu, c’est ce qui s’y manifeste, ce qui s’y manifeste comme ce qui est absolument imprenable, inconnaissable. Quand on

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parle de Dieu, assez souvent, les gens s’expriment comme si l’on savait ce que c’est. Et je citais hier, dans le groupe où j’étais, la phrase indépassable de cet ouvrage de mystique où le Maître de connaissances dit au disciple : « Tu me demandes comment je vais penser à Lui et qu’est ce qu’Il est. Et je te réponds : je n’en sais rien ». Et il ajoute : « Tout ce que je peux faire, c’est essayer de combler l’abîme de connaissances qui est entre moi et mon Dieu »

Mais le cœur de cette mystique chrétienne (dont les développements historiques nous amè-neraient trop loin) est dans l’identité entre la connaissance de Dieu comme Dieu qui passe tout savoir et tout ce que les hommes peuvent construire. Il est absolument hors de prise entre l’identité de ce Dieu-là et de ce qui fait qu’entre nous nous donnons d’humanité jusqu’à la diviniser. Mais là, évidemment, la figure qu’il est impossible de ne pas évoquer, pour les chrétiens, c’est la figure du Christ, parce que cet homme est perçu dans la tradition chrétienne comme celui qui inaugure une humanité qui dit ce que je viens de dire. C’est-à-dire que ça ne commence pas par des idées sur l’homme, par une théorie sur l’homme, mais par une huma-nité concrète de chair et de sang. Et tout part de là ; c’est comme le foyer. Vous parliez tout à l’heure de la mort et de la résurrection du Christ. Cette résurrection du Christ est vue à travers des représentations, une imagerie, des concepts. Mais ce que j’essaie d’entendre, dans ce moment où je parle, c’est qu’effectivement il y a quelque chose d’éternel et d’indestructible, mystérieusement expressible et qui est déjà présent, là, dans cette humanité que j’évoque.

Et ce qui caractérise cette humanité, c’est qu’elle a traversé l’abîme de l’en-bas, de la des-truction, et qu’elle n’a pas été détruite. Si vous voulez, l’image christique de l’homme, c’est celle du déporté, comme l’a été Mme Antonioz-de Gaulle, ces déportés, dans leur enfer de la déportation et qui, à la veille de leur mort, demeurent dans la dignité au point de ne pas haïr même leurs bourreaux.

C’est cela Dieu. C’est là le cœur de la tradition chrétienne comme j’ai essayé de vous en parler.

J’ai parlé dans cette tradition ; je ne parlais pas en survol, de « là-haut ». Je crois que s’il y a peut-être une différence entre vos propos et les miens, c’est autour de la fonction de l’agapè. Pour moi, l’agapè c’est en lien avec la morale et la psychologie, c’est vrai. Mais cela est tout à fait second. C’est beaucoup plus en amont que cela. Je reviens à cette phrase de Saint Jean : « Le Dieu est ça ».

La charité est bien l’une des vertus théologales, c’est vrai. Mais c’est infiniment plus que cela. Vous évoquiez la mystique tout à l’heure. C’est le fond éternel insaisissable de la réalité que nous pouvons vivre. Oui, c’est cela un acte de foi, c’est-à-dire que ça ne baigne pas dans l’évidence. L’évidence du monde est plutôt décourageante par rapport à ça. Mais c’est l’acte de foi qui se vit quand même dans une expérience. C’est l’expérience qu’il peut y avoir entre nous, qui est possible.

Ce qui m’a frappé également, c’est ce que vous avez dit dans votre dernière phrase : « M. Bel-let s’enfonce dans une porte ouverte ». On s’aperçoit que, lorsque nous disons Dieu, nous prononçons le mot le plus équivoque de l’histoire du monde, et que croire en Dieu, ce n’est pas d’avoir un Dieu posé là, et dont on fait le tour : maintenant, on sait et donc maintenant on croit en Dieu. Croire en Dieu, c’est ne pas cesser de défaire ce que nous projetons dans ce lieu que les humains ont rempli comme ils ont pu depuis des millénaires, et défaire, défaire, défaire jusqu’à ce qu’on arrive à ce que dit la théologie négative, c’est-à-dire reconnaître l’insaisissable à cette fonction qu’il y a référence à quelque chose de non-dit, qui échappe à toute manipulation, à toute emprise, à tout calcul et que c’est à partir de ce « je-ne-sais-quoi », comme dit St Jean de la Croix, qu’est possible une libération par rapport à touts les menaces de destruction que j’ai évoquées très sommairement.

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Malheureusement, la région de Dieu, et particulièrement pour le judéo-chrétien, à cause même de ce qu’il inaugure, peut être le lieu des pires perversions. On peut dénoncer la reli-gion, la croyance, les croisades, les guerres de religion etc.., mais le pire n’est sans doute pas ce qui est le plus visible dans l’histoire ; le pire ce sont tous ces processus secrets qui font que la religion peut devenir un instrument de culpabilisation sans issue, un instrument de persécution, d’enfoncement dans la manipulation, etc.

La foi en Dieu ne peut être qu’une foi critique, c’est-à-dire une foi d’abord critique d’elle-même, qui ne peut tenir que par une permanente, radicale et dure remise en cause. Elle vient de ce que j’ai évoqué. Et si la vérité c’est agapè, l’histoire de la chrétienté en prend plein la figure. Il n’y a pas de doute.

Mais le mouvement profond est un mouvement de critique, qui est à mes yeux extrêmement radical de nos pensées, de nos actions, de notre religion, de notre foi elle-même.

Et ce qui est vrai, et là, « j’ouvre une porte » ! C’est un immense débat sur ce qu’il en est en ce moment sur ce que nous sommes. Je comprends que par rapport à ce qu’est Dieu, tout ce que je dis de où nous en sommes, je crois qu’on ne le sait pas tout à fait ; cela me parait tout à fait clair.

Cela me fait penser à deux autres choses :

La première, c’est que vous avez parlé du chemin sur lequel vous êtes et qu’il y a une grande proximité entre nous. Vous venez du christianisme : mais on s’en aperçoit ! C’est quelque chose relevant d’une fidélité, dans la région des vérités que vous connaissez, en vous efforçant de défaire ce qui a été contaminé par des constructions, des théorisations, des culpabilités, tout le business. C’est tout cet aspect qui, sous prétexte de religion, est un virus extrêmement redoutable. Il ne faut pas s’en scandaliser. C’est la pâte humaine qui est comme cela. Ce que transporte l’Évangile, c’est l’irruption d’un mode d’exister où l’on entend bien que c’est la liberté de l’homme qui est souveraine. C’est le rapport de cela avec la pâte hu-maine et cela nous a conduit à tout et à n’importe quoi.

Mais j’ai senti aussi cette proximité ; je vais vous dire cela et je ne sais pas si vous serez d’accord avec moi : au point où en sont les choses, j’ai l’impression que le clivage décisif n’est pas entre croire en Dieu et l’athéisme mais ailleurs. Et c’est le « ailleurs » qu’il est très intéressant de trouver. Parce que je pense que l’athéisme, le vôtre sans doute, je crois, peut-être la nécessaire déprise par rapport à ce que Dieu est et d’autre part la foi en Dieu, c’est peut-être la nécessaire déprise de ce que ce Dieu a signifié.

Il y a un moment où peut-être ça se rapproche. Je ne dis pas cela pour vous ramener à la foi ; ce n’est pas ça. Cela pourrait en effet paraître comme tel. « Au fond, vous êtes déjà des nôtres ». Ce n’est pas ça du tout !

Il s’agit d’une critique que nous n’avons pas évoquée, en tout cas pas beaucoup, à propos de la mystique. C’est que la mystique, au moins pour beaucoup de mystiques chrétiens, mais aussi pour beaucoup de chrétiens de base qui recherchent une mystique (car l’appartenance banale ne leur suffit pas), c’est une épreuve, une épreuve critique qui peut être radicale. Il y a deux femmes que l’Église met en exergue : ce sont les deux Thérèse, Thérèse de Lisieux et Thérèse de Calcutta. Et ces deux femmes ont dit la même chose : « Quand je décris mon expérience, je suis obligée de m’arrêter parce j’ai peur de blasphémer. » Et la petite Thérèse, Thérèse de Lisieux, qu’on imagine dans les voix célestes, c’est la voix des athées.

Cela signifie, au moins pour beaucoup de chrétiens que je connais, que, dans la mesure où ils ne se contentent pas d’une foi banale mais qu’ils veulent y aller à fond, il peut y avoir là des épreuves de vérité assez implacables.

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André Comte-SponvilleOui bien sûr, nous sommes proches. Moralement. J’ai été chrétien et, comme vous le disiez, cela s’entend. Je suis même content que cela s’entende. Nous sommes moralement proches et c’est pourquoi en effet la frontière morale ne passe pas entre les croyants et les incroyants. Contrairement au message de Michel Onfray, que j’aime beaucoup (et qui n’est pas un mé-chant contrairement aux allures qu’il se donne parfois). En effet, l’erreur de Michel Onfray dans son Traité d’athéologie, c’est de laisser croire que la ligne de front est celle qui passe entre croyants et incroyants. Et c’est bien sûr totalement faux. Pour tous nos contacts hu-mains, concrets d’aujourd’hui.

Pour moi, la ligne de front ne passe pas entre les croyants et les incroyants mais entre les esprits libres, ouverts et tolérants d’un côté, qu’ils croient en Dieu ou non (il y a des esprits libres, ouverts et tolérants aussi bien chez les croyants que chez les incroyants), et d’un autre côté, les esprits fermés, dogmatiques et fanatiques, là encore qu’ils croient en Dieu ou non. Car là aussi, on trouve des esprits fermés, dogmatiques, fanatiques aussi bien chez les incroyants que chez les croyants.

En ce sens, nous sommes si je puis dire, moralement proches. Il n’en reste pas moins que métaphysiquement et philosophiquement, je suis plus proche de Michel Onfray parce que nous sommes athées tous les deux et que votre Dieu, je n’y crois en rien.

Et je vais aussi rebondir sur quelques phrases que vous avez dites.

En gros pour vous, Dieu c’est l’inconnaissable qu’il y a en nous. Pour moi, il n’y a rien d’inconnaissable : il y a de l’inconnu et il y a de l’inconnu en tout. Mais pourquoi y aurait-il de l’inconnaissable ? D’ailleurs ce que j’aime dans Freud, ce n’est pas que sa plongée dans l’inconscient nous ouvre un espace dans l’inconnaissable. Sa notion du connu est d’une platitude désespérante. C’est toujours pareil : pipi, caca, Papa, Maman… Au bout de dix ana-lyses, on arrête parce que ça n’a aucun intérêt. C’est d’ailleurs le signe de guérison. Quand la psychanalyse cesse de vous intéresser, c’est que vous êtes à peu près guéri. Le livre d’Onfray sur Freud est un bon livre, intéressant, mais trop unilatéral. Ce que j’aime, chez Freud, c’est le rationalisme. Il n’y a pas d’inconnaissable. Il y a de l’inconnu mais pas d’inconnaissable.

On dit aussi : Dieu c’est l’indestructible en nous. Il n’y a rien d’indestructible en nous, puisqu’on meurt, précisément. C’est le tragique : on va tous mourir et qu’il ne restera rien au bout du compte. Et donc, quand je dis que je ne crois pas en Dieu, je veux dire par là que je ne crois pas en cet inconnaissable en nous, en cet indestructible en nous, ni à cet agapè en nous. Non pas que l’amour ne soit pas important. C’est ce que je souligne dans mon traité des grandes vertus : l’amour, éros, philia et agapè, le manque, la passion, la joie, l’amitié, et puis la charité. Sauf que la charité, je ne sais pas si ça existe. Je n’en ai aucune expérience. Être amoureux, l’éros, je sais ce que ça veut dire. Se réjouir de l’existence de l’autre, l’ami-tié, le couple, la famille, je sais ce que cela veut dire, par expérience, je l’ai vécu. Mais lequel d’entre nous peut dire avoir vécu, ne serait-ce qu’une fois, une expérience de pure charité ? En tout cas, moi, non.

Souvenez-vous de Pierre Desproges : « Jésus nous dit : Aime ton prochain comme toi-même, personnellement je préfère moi-même. » Nous en sommes tous là. C’est ça le fond de l’homme. Ce n’est pas l’expérience d’un amour infini, qui échappe à l’égoïsme, sauf exception ; c’est celle d’amours finis, relatifs, fragiles, qui n’est inconditionnel que dans l’amour que nous avons pour nos enfants, qui n’est pas inconnaissable parce que la biologie et la psychologie l’expliquent de mieux en mieux.

Donc être athée, c’est ne pas croire en Dieu, c’est ne pas croire non plus en la nature sur-naturelle de l’homme. Je ne crois pas en l’homme, qu’est-ce que cela voudrait dire ? Il n’y

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a pas lieu de croire en l’homme, puisque son existence est avérée. Et je ne crois pas non plus en la grandeur de l’homme. Ce que nous connaissons le mieux, c’est sa petitesse, sa souffrance, son égoïsme. C’est une espèce qui est capable du pire plus fréquemment que du meilleur. Pour trois malheureux saints, (je devrais dire trois bienheureux), il y a des milliers de salauds, et surtout des millions de médiocres dont nous faisons partie. Et donc, je suis également athée de ce Dieu-là, l’Homme surnaturel, indestructible, inconnaissable, je n’en crois rien.

Il en est de même de cet homme créé à l’image de Dieu. C’est encore le contraire de ce que je crois. Permettez-moi de vous dire, à vous tous ici ce soir, très amicalement : comme images de Dieu, vous n’êtes pas très convaincants !

Et plus je me regarde, plus je me connais, moins je crois en ce Dieu dont je serais l’image. Non pas que je sois misanthrope. Au contraire. Darwin, maître de miséricorde ! Parce que si on avait été créés par Dieu à son image, on deviendrait misanthrope. Parce que nous sommes tellement nuls comme images de Dieu, qu’on pourrait se le reprocher.

Si au contraire, nous ne sommes pas créés à l’image de Dieu, mais si nous résultons de l’évo-lution des espèces, si nous descendons en gros du singe, alors chapeau ! Comme images de Dieu, vous êtes nuls. Comme singes, vous êtes extraordinaires : je n’ai jamais vu deux cents singes écouter un débat de deux heures sur la spiritualité sans manifester le moindre ennui ni le moindre énervement !

Maurice Bellet(Nous regrettons de n’avoir pu transcrire la courte réponse finale de Maurice Bellet, en raison de problèmes techniques avec l’enregistrement audio. Mais l’essentiel était dit).

Le 2 octobre 2010

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ANDRÉ COMTE-SPONVILLE - MAURICE BELLET : LA DIMENSION SPIRITUELLE DE L’HOMME

Maurice Bellet, né en 1923, est docteur en théologie de la faculté de théologie de Paris, et Docteur en philosophie à la Sorbonne, sous la direction de Paul Ricoeur (dans le jury : Emmanuel Levinas). Il a été ordonné prêtre à Bourges en 1949.Maurice Bellet a enseigné la philosophie à l’Institut catholique de Paris (chaire de théologie pratique), et il est collaborateur permanent à la revue jésuite Christus.Ses zones de travail et de recherche sont au croisement de la philosophie, de la théologie et de la psychanalyse : outre de nombreuses interventions et conférences, il exerce une activité d’écoute psychanalytique.

La part la plus considérable des activités est consacrée à l’écriture (livres, articles).Ses œuvres les plus récentes :Chez Desclée de Brouwer :

L’amour déchiré, 2 000

La Quatrième Hypothèse. Sur l’Avenir du christianisme, 2001

La Longue Veille 1934-2002, 2002

La nuit de Zachée, 2003

Le paradoxe infini, 2003

Chez Nouvelle Cité

L’Immense, 1987

Chez Bayard :

Passer par le feu. Les années Christus, 2003

Invitation. Plaidoyer pour la gratuite et l’abstinence, 2003

La Traversée de l ‘EN-bas, 2005

Le meurtre de la parole ; ou L ‘Épreuve du dialogue 2006

Le Dieu sauvage. Vers une foi critique, 2007

Minuscule traité ACIDE de spiritualité 2010

Au Seuil :

Trajet vers l’Essentiel, 2004

Chez Harmattan :

Les Survivants, 2001

Chez Albin Michel

Dieu, personne ne l’a jamais vu, 2008

Je ne suis pas venu apporter la paix, 2009

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PARCOURS 2010-2011

André Comte-Sponville a fait l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (où il fut l’élève et l’ami de Louis Althusser). Philosophe se décrivant comme matérialiste, rationaliste et humaniste, il fut maître de conférences à la Sorbonne jusqu’en 1998, date depuis laquelle il se consacre exclusivement à l’écriture et aux conférences qu’il donne en dehors de l’Université. Il est membre du Comité consultatif national d’éthique depuis mars 2008.André Comte-Sponville a beaucoup écrit dans la presse grand public (Le Monde, Libération, Le Nouvel Observateur, L’Événement du Jeudi, L’Express, Psycholo-gies, Le Monde des religions, Challenges…), mais a aussi dirigé trois numéros de la Revue Internationale de Philosophie, consacrés respectivement à Montaigne (n° 181, 1992), Pascal (n° 199, 1997) et Alain (n° 215, 2001).

Il a écrit de nombreux ouvrages, dont les plus récents :

• 2000 : Pensées sur la sagesse, Albin Michel

• 2000 : Présentations de la philosophie, Albin Michel

• 2001 : Dictionnaire philosophique, PUF

• 2004 : Le capitalisme est-il moral ? Albin Michel

• 2005 : La Philosophie, PUF. coll. « Que sais-je ?

• 2005 : Dieu existe-t-il encore ?, Cerf collection : Philo & Théol

• 2005 : La Vie humaine (avec des dessins de Sylvie Thybert), éd. Hermann,

• 2003 : Le Bonheur, désespérément, Pleins Feux ; réédition Librio, texte intégral,

• 2006 : La plus belle histoire du bonheur, Seuil collection Points,

• 2006 : L’Esprit de l’athéisme, Albin-Michel, rééd. Le Livre de Poche

• 2006 : De l’autre côté du désespoir - Introduction à la pensée de Svâmi Prajnânpad, Éditions Accarias L’originel ;

• 2008 : Le Miel et l’Absinthe (Poésie et philosophie chez Lucrèce), Éditions Hermann,

• 2009 : Du corps, PUF

• 2010 : Le goût de vivre, Albin Michel