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NICHOLASSPARKS
LaDernièreChanson
Traduitdel'anglais(États-Unis)parJeanNoëlChatain
MichelLafonMorfyEdition
Àmesamis,TheresaParketGregIrikura
PROLOGUE–Ronnie-Ronnie regardait par la fenêtre de sa chambre et s'interrogeait... Le pasteur
Harrissetrouvait-ildéjààl'église?Sansdoute...Toutenobservantlesvaguesquisebrisaientsurlagrève,ellesedemandas'ilremarquaitencorelejeudelumièreau travers du vitrail. Peut-être pas... Cela faisait plus d'un mois qu'on l'avaitinstallé, après tout, et le pasteur était trop préoccupé pour y prêter attention.Cependant, Ronnie souhaitait qu'un nouveau venu puisse partager, au hasardd'unevisite, lemêmeémerveillementqu'elleenvoyantpour lapremière fois lejour inonder l'église en cette froide journée de décembre. De même qu'ellesouhaitaitquecevisiteurprenneletempsdes'interrogersurl'origineduvitrail,etd'admirertoutesabeauté.Elleétaitréveilléedepuisuneheure,maispasencoreprêteàaffronterlasuite.
Lapériodedesfêtesluiparaissaitdifférentedecelledesautresannées.Hierelles'étaitpromenéeavecJonah,sonpetitfrère,auborddel'eau,ettousdeuxavaientremarqué iciet là lesarbresdeNoëlquidécoraient lesterrassesdesmaisons.Àcetteépoquedel'année,Jonahetelleseretrouvaientquasimentseulssurlaplage,mais son frère ne témoignait aucun intérêt pour l'océan ou lesmouettes qui lefascinaientencorequelquesmoisauparavant.Ilavaitpréférés'arrêteràl'atelier...Aussi l'yavait-elleamené,mêmes'ilyrestaquelquesminutesàpeine,avantdes'enallersansdireunmot.PrèsdeRonnie,desphotosencadréess'empilaientsurlatabledenuit.Elleles
avaitrécupéréesdansl'alcôvedusalon,avecd'autresobjetsrassembléscematin.Ellelesregardaitensilence,jusqu'àcequ'onfrappeàlaporte.Samèrepassalatêtedansl'embrasure.—Tuveuxprendreunpetitdéjeuner?J'aitrouvédescéréalesdansleplacard.—J'aipasfaim,m'man.—Ilfautbientenourrir,machérie.Ronniecontemplaittoujourslapiledephotos,sansvraimentlesvoir.—J'avaistort,m'man.Etjesaisplusquoifairemaintenant.—Àproposdetonpère,tuveuxdire?—Àproposdetout...—Tuveuxqu'onendiscute?CommeRonnienerépondaitpas,samèretraversalachambreetvints'asseoir
àsoncôté.—Parfois,çaaidedeparler.Jenet'aipasbeaucoupentenduecesdeuxderniers
jours.Un court instant, Ronnie sentit une multitude de souvenirs la submerger.
L'incendie, puis la reconstruction de l'église, le vitrail, la chanson qu'elle avaitenfin terminée.EllesongeaàBlaze,àScottetàMarcus.ÀWill,aussi.Elleavait
dix-huitansetseremémoraitl'étéoùonl'avaittrahie,oùlapolicel'avaitarrêtée...où elle était tombéeamoureuse.Ça ne faisait pas si longtemps,mais elle avaitpourtantl'impressiond'avoirtotalementchangédepersonnalitédepuis.—EtJonah?Soupira-t-elle.—Iln'estpaslà.Brianl'aemmenéenvillepourluiacheterdeschaussures.On
diraitunjeunechien,cegamin.Sespiedsgrandissentplusvitequelereste.Ronnieesquissaunsourire,quis'évanouitl'instantd'après.Danslesilencequi
suivit,elleregardasamèreentortillersescheveuxenunequeue-de-chevalsouple.Depuistoutepetite,Ronnielavoyaitaccomplircegeste...qu'elletrouvaittoujoursaussirassurant,mêmesiàaucunprixellenel'auraitadmis.—Voicicequejetepropose,repritsamèreensortantlavaliseduplacardpour
laposersurlelit.—Jesaismêmepasparoùcommencer.—Situcommençaisparledébut?Jonahm'avaguementparlédetortues...Sachant que l'histoire n'avait pas débuté ainsi, Ronnie croisa les bras en
rectifiant:—Pasvraiment.Mêmesij'étaispaslàquandças'estpassé,jecroisquel'étéa
vraimentcommencéavecl'incendie.—Quelincendie?Ronnies'emparadelapiledephotosettiradoucementunecoupuredejournal
coincéeentredeuxcadres.Elletenditensuitel'articleunpeujauniàsamère.—Cetincendie-là,précisa-t-elle.Celuidel'église.Uneégliseincendiéeparunefuséepyrotechnique.Lepasteurblessé.Wrightsville Beach (Caroline du Nord). Le soir de la Saint-Sylvestre, l'église
baptiste de la ville a été le théâtre d'un incendie, que les enquêteurs imputentpourl'heureàunfeud'artificeillégal.«Prévenusparunappelanonymepeuaprèsminuit, lespompierssontarrivéssur les lieuxpourdécouvrir l'églisedu frontdemerenflammes,delafumées'échappantdel'arrièredelabâtissehistorique»,adéclaréTimRyan,chefdelabrigadedeWrightsville.Onadécouvertsurplacelesrestes d'une fusée pyrotechnique artisanale, qui aurait vraisemblablementdéclenché l'incendie. Le pasteur Charlie Harris, qui se trouvait à l'intérieur dubâtimentlorsquelefeuapris,souffredebrûluresauseconddegréauxbrasetauxmains.TransportéaucentremédicalrégionaldeNewHanover,ilestactuellementhospitaliséauservicedesoinsintensifs.Ils'agitdeladeuxièmeéglisequibrûleenpeudetempsdanslecomtédeNew
Hanover. En novembre, la Good Hope Covenant Church de Wilmington aégalement été réduite en cendres. « À ce stade, les enquêteurs considèrenttoujoursl'incendiecommesuspectetpensentqu'ilseraitl'œuvred'unpyromane»,aajoutéRyan.Vingtminutes avant l'embrasement, des témoins affirment avoir vu des feux
d'artificesurlaplage,derrièrel'église,àl'évidencepourfêterlenouvelan.«LesfuséespyrotechniquessontinterditesenCarolineduNordetserévèlent
particulièrementdangereusesenraisondelasécheresserécente,aprévenuRyan.Cet incendie en est la preuve. Un homme se retrouve à l'hôpital et l'église est
totalementdétruite.»Quandsamèreeutfinidelire,ellerelevalatêteetcroisasonregard.Ronnie
hésitapuis,dansunsoupir,commençaàluiraconterl'histoirequi,mêmeaveclerecul,luiparaissaittoujoursaussiinvraisemblable...
1–Ronnie-SixmoisplustôtAffaléesurlesiègeavantdelavoiture,Ronniesedemandaitcequipouvaitbien
poussersesparentsàladétesterautant.Ellenevoyaitpasd'autred'explicationaufaitdeseretrouverenvisitechezson
père,danscepatelinpauméduSud,aulieud'êtrechezelleàManhattan,avecsescopines.Rectification...Ellen'étaitpaslàpourunesimplevisite.Cequiauraitsignifiéun
week-endoudeux,voireunesemaineàtoutcasser.Bref,pasdequoienfaireundrame.Maisresterjusqu'àfinaoût?Autantdiretoutl'été!C'étaitcarrémentl'exil.Etpendantlamajeurepartiedesneufheuresdetrajet,elleavaiteul'impressiond'êtreuneprisonnièrequ'ontransféraitdansunesortedepénitencierprovincial.Ellen'enrevenaitpasquesamèreluifassesubirunetelleépreuve.Ronnie avait tellement les boules qu'elle mit une bonne minute avant de
reconnaître la Sonate de Mozart numéro 16 en domajeur. L'un des morceauxqu'elleavait interprétésauCarnegieHall,voilàquatreans...etellesavaitquesamèreavaitmisleCDpendantqu'elledormait.Tantpis.Ronnietenditlamainpourcouperlelecteur.—Pourquoituveuxl'éteindre?ditsamèreenfronçantlessourcils.J'aimebien
t'entendrejouer.—Moipas.—Etsijebaissaisunpeuleson?—Arrêtecarrément,m'man,O.K.?Jesuispasd'humeur.Ronniesetournaverslafenêtre,sachantfortbienquesamèrefaisaitlamoue.
Ça luiarrivait souvent, ces temps-ci.Onauraitditqueses lèvresse refermaientd'unseulcoup,commesousl'effetd'unaimant.— Jecroisavoiraperçuunpélicanquandona franchi lepontdeWrightsville
Beach,reprit-elled'unairfaussementdésinvolte.—Oh,super...Peut-êtrequ'ondevraitappelerleChasseurdecrocodiles[1].—Ilestmort,intervintJonahsurlabanquettearrière,dontlavoixsemêlaitaux
sonsdesaGameBoy.(Soncasse-piedsdefrèrededixansétaitaccroàcetruc.)Tuterappellespas?C'étaitvraimenttriste.—Biensûr,quejemerappelle.—T'enaspasl'air.—Maissi.—Alors,t'auraispasdûdirecequetuviensdedire.Ronnienepritpaslapeine
deluirépondre.Ilfallaittoujoursqu'ilaitlederniermot.Çalarendaitfolle.—Tuaspudormirunpeu?S’enquitsamère.—Jusqu'àcequetupassesdanscenid-de-poule.Merci,aufait...Matêteafailli
traverserlepare-brise.Samèregardalesyeuxfixéssurlaroute.—Raviedeconstaterquetonpetitsommet'aégayée.Ronniefitclaquersonchewing-gum.Samèredétestaitça,etpourcetteraison
Ronnien'avaitquasimentpascessédefairedesbullesdepuisqu'ilsroulaientsurl'Interstate95.Àsonhumbleavis,cetteautorouteétaitsansdoutelaplussoûlantede toutes celles qui peuvent exister. Àmoins d'apprécier les fast-foods et leursalimentspleinsdegraisse,lestoilettesdégoûtantesdesairesdereposetlesforêtsdepinsàpertedevue,dontl'atrocemonotonieavaituneffetsoporifique.Unephrasequ'elleavaitprononcéemotpourmotdansleDelaware,leMaryland
et la Virginie,mais samère ignora ses remarques à chaque fois. Hormis le faitqu'elleessayaitd'êtresympa,commeellesnesereverraientpasavantlongtemps,samèrenesemontraitpastrèsbavardedans lavoiture.Enfait,ellen'étaitpastrèsàl'aiseauvolant,maisçan'avaitriend'étonnantpuisqu'ellesedéplaçaitenbus,métrooutaxiàNewYork.Dansl'appart,enrevanche,rienàvoir...Samèrenesegênaitpaspourhausserleton,àtelpointqueleconciergeétaitpasséàdeuxreprisescesderniersmoispourleurdemanderdelamettreenveilleuse.Samères'imaginait sans doute que plus elle braillait après Ronnie à propos de sesmauvaisesnotes,desesamiesoudunon-respectdelapermissiondeminuit,ouencoredel'incident—surtoutdel'incident—,plusRonniel'écouterait.O.K.,c'étaitpaslapiredesmères.Loindelà.EtquandRonnieneselevaitpas
dupiedgauche,ellepouvaitmêmeadmettrequesamèreexcellaitdanssonrôle.Lehic,c'estqu'elledonnaitbizarrementl'impressiond'êtrerestéebloquéedansletemps,dansunmondeoùlesgossesnegrandissaientjamais...EtRonnieregrettaitpourlacentièmefoisdenepasêtrenéeenmaiaulieudumoisd'août,époqueàlaquelleellefêteraitsesdix-huitans,oùsamèrenepourraitpluslaforceràfairequoi que ce soit. Légalement, Ronnie serait en âge de prendre ses propresdécisions... et disons que venir dans ce trou perdu n'était pas sur sa liste depriorités!Pourlemoment,entoutcas,Ronnien'avaitaucunchoixenlamatière.Carelle
avaittoujoursdix-septans.Àcaused'unebizarrerieducalendrier.Parcesamèrel'avaitconçue troismois trop tôt !C'étaitquoi,cedélire?Ronnieavaiteubeaul'implorer,seplaindre,hurleroupleurnicheràproposdesvacances,çan'avaitrienchangé. Jonahetellepasseraient l'étéencompagniede leurpère,pointbarre !Commeleformulaitsamère:«Iln'yapasdesi,deetoudemaisquitiennent!».Àforcedel'entendre,Ronniefinissaitparavoircetteexpressionenhorreur.Tout près du pont, en raison de l'afflux des vacanciers, les voitures
commençaient à rouler au pas. Sur le côté, Ronnie aperçut ici et là entre lesmaisonsdesfragmentsd'océan.Génial...Commesic'étaitcensélaréjouir.—Encoreunefois,pourquoitunousobligesàvenirici?Gémit-elle.—Onenadéjàparlé,réponditsamère.Tuasbesoindepasserdutempsavec
votrepère.Tuluimanques.—Maispourquoitoutl'été?Çapourraitpasselimiteràdeuxsemaines?—Ilvousfautplusd'unequinzainedejourspourvousretrouver.Tunel'aspas
vudepuistroisans.
—C'estpasdemafaute.C'estluiqu'estparti.—Certes,maisturefusaisdeprendresesappels.Etàchaquefoisqu'ilestvenu
àNew York pour vous voir, Jonah et toi, tu l'ignorais et préférais sortir avec tescopines.Ronniefitdenouveauunebulledechewing-gum.Ducoinde l'œil,ellevitsa
mèregrimacer.—J'aipasenviedelevoiroudeluiparler,s'obstinaRonnie.—Essayejustedefairecontremauvaisefortuneboncœur,O.K.?Tonpèreest
quelqu'undebienetilt'aime.—C'estpourçaqu'ilnousaquittés?Plutôtquederépondre,samèrejetaunœildanslerétroviseur.—Tuattendaiscesvacancesavecimpatience,pasvrai,Jonah?—Turigoles?Çavaêtresuper!— Ravie de constater que tu adoptes une attitude positive. Peut-être que tu
pourraisentoucherdeuxmotsàtasœur?—Ouais,c'estça,grogna-t-il.—Franchement,jevoispaspourquoijepeuxpaspasserl'étéavecmesamies,
selamentaRonnieenrevenantàlacharge.Ellen'avaitpasditsonderniermot.Toutensachantqu'ellen'avaitquasiment
aucunechance,elleespéraitencorepouvoirconvaincresamèredefairedemi-tour.— Tu ne veux pas plutôt dire que tu préférerais traîner toutes les nuits en
discothèque?Jenesuispasnaïve,Ronnie.Jesaiscequisepassedanscegenred'endroits.—J'yfaisriendemal,m'man.—Ettesnotes?Tapermissiondeminuit?Et...—Onpeutpaschangerdesujet?l'interrompitRonnie.Genre...pourquoic'est
siimpératifpourmoidepasserdutempsavecmonpère?Samèrel'ignora.Celadit,Ronniesavaitpourquoi.Samèreavaitdéjàrépondu
desmilliersde foisàcettequestion,mêmesiRonnienevoulaitpasaccepter laréponse.La filedevéhiculess'ébranlaenfinet ilsavancèrentdenouveau le longd'un
demi-pâtédemaisonsavantdeseretrouverbloqués.Samèrebaissalavitreetsepenchapourscruterlesvoituresdedevant.— Je me demande ce qui se passe, marmonna-t-elle. Ça bouchonne un
maximum.—C'estlaplage,suggéraJonah.Ilyatoujourspleindemondeàlaplage.—Onestdimancheetilesttroisheuresdel'après-midi.Çanedevraitpasêtre
aussiencombré.Ronnierepliasesjambessurlesiège.Elleenavaitmarredetoutescesvoitures,
desavie,detout...—Aufait,m'man?repritJonah.P'pasaitqueRonnies'estfaitarrêter?—Ouais.Ilestaucourant.—Etilvafairequoi?Cettefois,Ronnieluirépondit:—Ilvarienfaire.Depuistoujours,leseultrucquil'intéresse,c'estlepiano.
Ronnie détestait le piano et s'était promis de ne plus jamais en jouer... Unedécision que certaines de ses plus vieilles amies trouvaient étrange, puisquel'instrument occupait la majeure partie de son existence depuis qu'elle lesconnaissait.Son père, autrefois professeur à Juilliard[2], lui avait lui-même enseigné le
piano.Etpendantlongtemps,lepluscherdésirdeRonnieavaitéténonseulementdejouer,maisaussidecomposeruneœuvreoriginaleaveclui.Elle était douée. Très douée, en réalité, et grâce aux liens de son père avec
Juilliard, l'administration et les enseignants de l'école étaient parfaitementconscientsdesontalent.Cequinetardapasàsesavoirdanslepetitmondetrèsfermédelamusiqueclassiquequiconstituaitl'universdesonpère.Deuxoutroisarticlessuivirentdansdesrevuesspécialisées,puisunassez longpapierdans leNewYorkTimes,quiseconcentraitsurlarelationpère-fille,letoutaboutissantàlaparticipation deRonnie au récital des jeunes interprètes duCarnegieHall, voilàquatreans.Lepointculminantdesacarrière,supposait-elle.Eneffet.Ellesavaitpertinemment tout lecheminqu'elleavaitparcouru,etqu'une telleoccasionseprésentaitrarement...Cesdernierstemps,Ronniesedemandaitmalgréellesitoutcelaavaitméritéautantdesacrifices.Hormissesparents,personnenedevaitsesouvenirdesaprestation.Àmoinsd'avoir réaliséunevidéovuepardesmilliersd'internautessurYouTubeoudepouvoirseproduiredevantdesmilliersdegens,onétaitsûrqueletalentmusicalnesignifiaitrien.Parfois,elleauraitpréféréêtreinitiéeàlaguitareélectrique.Ouauchant,dans
le pire des cas. Comment était-elle censée exploiter son don pour le piano ?Enseigner lamusiqueà l'écoleduquartier ? Jouerdans lehalld'ungrandhôtelpendant que les gens s'enregistreraient à l'accueil ? Ou mener la même viepéniblequesonpère?Ilsuffisaitdevoiroùlepianol'avaitmené.Afindepouvoirprendre la route comme concertiste, il avait fini par quitter Juilliard... pour seretrouverdansdessallesminablesoùlespremièresrangéesdefauteuilsétaientàpeineremplies.Ilvoyageaitquarantesemainesparan...soitassezlongtempspourfairecapotersoncouple.Ronnievoyaitsamèrehurler tout letempsetsonpèrerentrerdanssacoquille,commeàsonhabitude...jusqu'àcequ'unbeaujourilnereviennepasd'unetournéeparticulièrementlonguedansleSud.Auxdernièresnouvelles, ilnetravaillaitpascestemps-ci. Ilnedonnaitmême
pasdecoursparticuliers.Alors,commenttutedébrouilles,p'pa?Ellesecoualatête.Ellen'avaitvraimentpasenvied'êtrelà.Dieusaitqu'ellene
voulaitpasentrerdanscegenredeconsidérations.—Hé,m'man!s'écriaJonahensepenchantversl'avant.C'estquoi,cetruclà-
bas?C'estpasunegranderoue?Samère se dévissa le cou pour regarder par-dessus lemonospace de la file
voisine.—Jecroisbien,trésor,répondit-elle.Ildoityavoirunefêteforaine.—Onpeutyaller?Quandonauradînétousensemble?
—Tudevrasdemanderçaàtonpère.—Ouais,etpeut-êtremêmequ'aprèsonpourratouss'asseoirautourd'unfeu
de camp pour faire griller des marshmallows, intervint Ronnie. Comme si onformaitunegrandeetbellefamille.Cettefois,sonfrèreetsamèrel'ignorèrent.—Tucroisqu'ilyad'autresmanèges?s'enquitJonah.—J'ensuissûre.Etsitonpèren'apasenvied'ymonter,jesuiscertainequeta
sœurvat'accompagner.—Génial!Ronnie s'affaladans son siège. Logiqueque samèrepuisse suggérerun truc
aussinul.Maisc'étaittropdéprimantpourycroire.
2–Steve-Comme il pressentait l'arrivée de ses enfants d'une minute à l'autre, Steve
Millerjouaitavecuneintensitéquiallaitcrescendo.Lepianoétaitplacédansunepetitealcôvedonnantdanslemodestesalonde
son bungalow, qu'il considérait désormais comme sa maison. Derrière lui,plusieursobjetsrésumaientsonpassé.Hormis lepiano,KimavaitpurassemblertouteslesaffairespersonnellesdeStevedansunseulcarton,etilavaitmismoinsd'unedemi-heurepourtoutdisposer.Unclichédeluiencompagniedesesparentsquandilétaitjeune,uneautrephotodeluiadolescent,jouantdesoninstrument.Lescadresétaientplacésentrelesdeuxdiplômesqu'ilavaitobtenus,l'unàChapelHill, l'autreà l'universitédeBoston,etau-dessoussetrouvaituneattestationdemérite délivrée par l'académie Juilliard pour ses quinze ans de bons et loyauxservice.Prèsdelafenêtreétaientaussiencadréstroisprogrammesdesestournéesavec la listedesdifférentesdates.Mais leplus important résidait dans lademi-douzainedephotosde JonahetdeRonnie,dontcertainesétaientpunaiséesauxmurs,d'autressousverreetinstalléessurlepiano...EtpartoutoùSteveposaitlesyeux, un souvenir lui rappelait qu'endépit de sesmeilleures intentions, rien nes'étaitdéroulécommeill'espérait.Le soleil de fin d'après-midi dardait ses rayons obliques par les fenêtres et
rendaitl'atmosphèredelamaisonétouffante.LasueurperlaitsurlefrontdeSteve,maissonmald'estomacavaitheureusementdiminuédepuiscematin.Toutefois,ilsesentaitnerveuxdepuisdesjoursetsavaitquecelareviendrait.Ilavaittoujourssouffertde l'estomac;àvingtans, ilavait faitunulcèreeton l'avaithospitalisépourunediverticulite;àlatrentaine,ils'étaitfaitopérerd'uneappendiciteaiguëalorsqueKimétaitenceintede Jonah.Bref, ilprenaitdesantiacidescommedesbonbonsetétaitsousNexiumdepuisdesannées;etmêmes'ilsavaitqu'ilauraitprobablementpumieux s'alimenteret fairedavantaged'exercice, il doutaitquel'un ou l'autre puisse l'aider vraiment. Les troubles gastriques étaient courantsdanssafamille.Le décès de son père six ans plus tôt avait transformé Steve qui, depuis les
obsèques,sentaitquelecompteàreboursavaitplusoumoinscommencépourlui.Enunsens,c'étaitlecas...Cinqansauparavant,ilavaitdémissionnédesonposted'enseignant à Juilliard et tenté sa chance l'année suivante comme concertiste.CelafaisaittroisansqueKimetluiavaientdécidédedivorcer,etmoinsdedouzemoisplustardlesdatesdeconcerts'étaientraréfiées...jusqu'àcequelatournées'achèvedéfinitivement.L'andernier,ilétaitrevenus'installerici,danslavilleoùilavaitgrandietqu'iln'auraitjamaispensérevoir.Àprésentilallaitpasserl'étéavecsesenfants,etmêmes'il tentaitd'imagineràquoi l'automneressemblerait,unefois Ronnie et Jonah de retour à New York, il savait seulement que les arbres
finiraientparperdreleursfeuillesetqu'aumatinlesvitressecouvriraientdebuée.Voilàlongtempsqu'iln'essayaitplusdeprévoirl'avenir...Ça ne le dérangeait pas. À quoi bon songer au futur, quand il comprenait à
peine son passé ? Sa seule certitude désormais, c'était de se sentir tout à faitordinairedansunmondequiadoraitl'extraordinaire...etcetteprisedeconscienceluilaissaitunvaguesentimentdedéceptionquantàl'existencequ'ilavaitmenée.Mais que faire ? Contrairement à Kim, ouverte et sociable, il témoignait d'unnatureldiscret, toujoursprêtàse fondredans lamasse.Bienqu'ilpossédâtdestalentscertainsdemusicienetdecompositeur,illuimanquaitlecharisme,lesensduspectacle...bref, lesqualitésnécessairesà toutartistepoursortirdu lot.Lui-mêmeadmettaitparfoisqu'ilsecomportaitplusensimpleobservateurdumondequ'envéritableparticipant,etdanssespiresmomentsdelucidité,illuiarrivaitdepenseravoiréchouédanstouslesdomainesimportantsdesavie.Ilavaitquarante-huit ans. Son mariage s'était soldé par un fiasco, sa fille l'évitait et son filsgrandissaitsanslui.Aveclerecul,Stevesavaitqu'ilétaitleseulresponsable...Maisune interrogation le taraudait plus que tout : un homme tel que lui pouvait-ilencoresentirlaprésencedeDieudanssavie?Dixansplustôt,iln'auraitjamaisimaginéseposerunetellequestion.Ilyavait
deuxansencore,l'idéenel'effleuraitmêmepas.Maisl'âgemûr,sedisait-ilparfois,le poussait davantage à la méditation. Même s'il croyait autrefois trouver laréponsedanslamusiquequ'ilcomposait,ilpensaitàprésents'êtretrompé.Plusilyréfléchissait,plusilenvenaitàsedirequepourluilamusiqueavaittoujoursétéunmoyend'échapperàlaréalitéplutôtquedelavivreintensément.Ilavaitpeut-êtreconnulapassionetladélivrancedansl'œuvredeTchaïkovski,ouéprouvéunsentiment d'épanouissement en composant ses propres sonates, mais il savaitdésormaisqueseréfugierdanslamusiquerelevaitmoinsduspirituelquedudésirégoïstedefuirlemonderéel.Il croyait maintenant que la véritable réponse se situait quelque part dans
l'amourqu'ilportaitàsesenfants,etlapeinequ'iléprouvaitàsonréveildanslamaison silencieuse en réalisant qu'ils n'étaient pas là. Cependant, Steve savaitqu'autrechoseluimanquait.Etd'unecertainemanière,ilespéraitquesesenfantsl'aideraientàpercercemystère.Quelquesminutesplustard,Stevevitpar la fenêtre lesoleilsereflétersur le
pare-brise d'un break poussiéreux. Kim et lui l'avaient acheté voilà des années,pourlescoursesduweek-endetlessortiesenfamille.Ilsedemandaaupassagesisonex-femmeavaitpenséàfairelavidangeavantdeprendrelevolant,oumêmedepuisqu'ill'avaitquittée.Sansdoutepas,décida-t-il.Kimn'avaitjamaisexcellédanscedomaine,aussis'enétait-iltoujoursoccupé.Maiscettepartie-làdesavieétaitfinieàprésent.Steve se leva et eut à peine le temps de sortir sur la véranda que Jonah
surgissaitduvéhiculepourseprécipiterverslui.Ilavaitlescheveuxenbataille,leslunettesdetravers,etdesbrasetdesjambestoutfluets.Stevesentitsagorgeseserrerenserappelantcombiensonfilsluimanquaitdepuistroisans.—Papaaa!— Jonah ! s'écria Steve en traversant la parcelle de sable et de cailloux qui
constituaitsonjardin.Ilmanquatomberàlarenverse,quandJonahluisautadanslesbras.—Tuasdrôlementgrandi,ajouta-t-il.—Ettoi,t'espluspetit!T'esplusmaigreaussi.Steveleserratrèsfortavantdelereposeràterre.—Jesuisraviquetusoislà.—Moiaussi.M'manetRonnien'ontpasarrêtédesedisputer.—Çanedevaitpasêtremarrantpourtoi...—Oh,çaallait.Jefaisaisminedepaslesentendre.Saufquandc'estmoiquiles
embêtais.—Ah...Jonahrajustaseslunettesetreprit:—Pourquoim'mannousapaslaissésprendrel'avion?—Tuluiasdemandé?—Non.—Peut-êtrequetudevrais.— C'est pas important. Je me posais juste la question. Steve sourit. Il avait
oubliécombiensonfilsétaitbavard.—Hé,c'esttamaison?—Exact.—Jelatrouvegéniale!Steve se demanda si Jonah plaisantait. Elle était tout, sauf géniale. Pris en
sandwich entre deux énormes résidences qui avaient poussé comme deschampignons ces dix dernières années, le bungalow paraissait d'autant plusminuscule,etdevaitêtrelaplusvieillepropriétédeWrightsvilleBeach.Lapeintures'écaillait,ilmanquaitdestuilessurletoit,sansparlerdelavérandavermoulue.Bref, il ne s'étonnerait pas que la maison ne résiste pas à la prochaine grossetempête...cequisanscontesteréjouiraitlesvoisins.Depuissoninstallation,aucund'euxneluiavaitadressélaparole.—Tulepensesvraiment?demanda-t-ilàsonfils.—Turêvesouquoi?Elledonnecarrémentsurlaplage.Qu'est-cequetuveux
deplus?rétorquaJonahendésignantl'océan.Jepeuxallerfaireuntour?—Biensûr.Maisrestedanslesparages.Net'éloignepastrop.—O.K.,çamarche!Steve le regarda s'en aller en trottinant, puis se tourna vers Kim qui
s'approchait.Ronnies'attardaitprèsdelavoiture.—Salut,Kim.—Steve,dit-elleensepenchantpourl'étreindrebrièvement.Tuvasbien?Tuas
l'airamaigri.—Jevaisbien.Derrièreelle, ilobservaRonniequivenait lentementverseux. Iln'enrevenait
pasqu'elleaitautantchangédepuisladernièrephotoquesonex-femmeluiavaitenvoyée parmail. Il pouvait dire adieu à la petite Américaine dont il gardait lesouvenir;désormais,c'étaitunejeunefemmeentièrementvêtuedesombre,avecunemècheviolettedansses longscheveuxbruns,etdesongles laquésdenoir.
Malgrécessignesmanifestesderébellionadolescente,ilconstataunefoisdeplusqu'elleressemblaitàsamère.Cequineluidéplaisaitpas.ElleétaitplusjoliequejamaisauxyeuxdeSteve.Ils'éclaircitlavoix.—Salut,mapuce.Çafaitdubiendetevoir.CommeRonnieneréagissaitpas,Kimluifitlesgrosyeux:—Nefaispastatêtedemule.Tonpèret'aadressélaparole.Disquelquechose
!Ronniecroisalesbras:—O.K...Pasquestionquejejouedupianopourtoi.Çateva?—Ronnie!répliquaKim,dontStevesentittoutel'exaspérationdanslavoix.— Ben quoi ? reprit Ronnie en agitant la tête. Autant que les choses soient
clairesdèsledépart.Avant que Kim ne puisse rétorquer, Steve calma le jeu. Autant éviter les
disputes.—Iln'yapasdesouci,Kim.—Ouais,m'man.Aucunsouci,ditRonnieens'avançantd'unbond.J'aibesoin
demedégourdirlesjambes.Jevaisfaireuntour.Commeelles'éloignaitàgrandspas,Steveobservasonex-femmequiréprimait
sonenviedelarappeler.— Pas trop long, le voyage ? demanda-t-il en essayant d'alléger la tension
ambiante.—Tun'enaspasidée...Stevesourit,ens'imaginant l'espaced'uncourt instantqu'ilsétaienttoujours
mariésetamoureuxl'undel'autre,etformaientunecoupleuni.Sauf,biensûr,quecen'étaitpluslecas.Aprèsavoirdéchargé les sacs,Stevealladans la cuisineet sortitdu frigoun
vieuxbacàglaçonsqu'ilpassasous l'eau,avantd'enmettrequelques-unsdansdesverresdépareillés.Derrièrelui,ilentenditKimentrerdanslapièce.Ils'emparad'unpichetdethé
froid, remplit deux verres et en tendit un à son ex-femme. Au-dehors, Jonahs'amusaitàpourchasserlesvaguesetàremonterensuitesurlagrèveencourant,pouréviterdese fairemouiller.Seshurlementsde joiesemêlaientauxcrisdesmouettesquisurvolaientlaplage.—Ondiraitqu'ilserégale,observaSteve.Kims'approchadelafenêtre.—Çafaitdessemainesqu'ilesttoutexcitéàl'idéedevenir,hésita-t-elle.Tului
manques.—Ilmemanqueaussi.—Jesais,ditKim,quipritunegorgéedethé,puisbalayalacuisineduregard.
Alors,c'estlàquetuvis,hein?Çanemanquepasde...cachet.—Pourcequiestducachet,jesupposequetuasremarquélesfuitesdansle
toitetl'absencedeclim.Kimluiadressaunpetitsourireencoin.—Jesaisquecen'estpasterriblecommeendroit.Maisc'estcalmeetjepeux
voirlesoleilselever.
—Etlepasteurtelaisseoccupercebungalowgratis?Steveacquiesça.—IlappartenaitàCarsonJohnson.C'étaitunartistelocal.Àsamort,ilalégué
lamaisonà l'église.LepasteurHarrism'autoriseàyséjourner jusqu'àceque laparoissesedécideàvendre.—Çafaitquoi,d'habiterdenouveaudanssavillenatale?Tesparentsvivaient
à...quoi?Troisruesd'ici?—Sept,pourêtreexact...C'estsympa,dit-ildansunhaussementd'épaules.—Ilyatellementdemonde,maintenant.L'endroitadrôlementchangédepuis
madernièrevisite.— Tout change, dit-il, tandis qu'il s'adossait au plan de travail et croisait les
jambes.Sinon,c'estpourquand,legrandjour?demanda-t-ilsoudain.PourBrianettoi,jeveuxdire?—Steve...àcepropos,euh...—Toutvabien,dit-ilenlevantlamainpourlarassurer.Jesuisraviquetuaies
trouvéquelqu'un.Kim le dévisagea, en se demandant si elle devait prendre ses paroles pour
argentcomptantous'aventurerenterrainsensible.—C'estpour janvier, finit-elleparannoncer.Et jeveuxquetusachesqu'avec
lesenfants... Enfin... Brianne fait pas semblantd'être celui qu'il n'est pas. Il teplairait.—J'ensuissûr,dit-ilenbuvantunegorgéedethé.Ilreposasonverreetajouta:—Qu'est-cequelesgossespensentdelui?—Jonahal'airdel'apprécier,maisJonahaimetoutlemonde.—EtRonnie?—Elles'entendaussibienavecluiqu'ellepeuts'entendreavectoi.Iléclataderire,puisremarquasonairsoucieux.—Commeva-t-elleaujuste?—J'ensaisrien,soupiraKim.Etjenepensepasqu'ellelesacheelle-même.Elle
est dans sa période sombre, lunatique. Elle ne respecte pas la permission deminuit,etlamoitiédutempsmebalance«Çam'estégal»quandj'essayedeluiparler. J'ai tendance à mettre ça sur le compte du comportement ado typique,parcequejemesouvienscommentj'étaisàsonâge...mais...T'asvusafaçondes'habiller?Sansparlerdesescheveuxetdecetaffreuxmascara.—Hmm...—Etçat'inspirequoi?—Çapourraitêtrepire...Kimouvritlabouchepourréagir,maiscommeellenetrouvaitaucuneréplique,
Steve savait qu'il avait raison. Quelle que soit la phase que leur fille traversait,quellesquesoientlescraintesdeKim,RonnieétaittoujoursRonnie.—Ouais, j'imagine,concédaKim.Tuessansdoutedanslevrai.Maisellem'a
donné tellement de fil à retordre, ces derniers temps ! Par moments, elle esttoujoursaussigentillequ'avant.IdemavecJonah.Mêmes'ilssontcommechienetchat,ellel'emmènetoujoursauparcleweek-end.Etquandilaeudesdifficultésenmaths,elle l'aaidéàfairesesdevoirstouslessoirs.Cequiestbizarre,parcequ'elleatoutjustelamoyennedanschaquematière.Etd'ailleurs,jenetel'aipas
dit...mais je lui ai fait passer son test d'entrée à la fac en février. Elle a loupéchacunedesquestions.T'imaginesàquelpointilfautêtredouépourraterchaquequestion?CommeSteveéclataitderire,Kimfronçalessourcils.—Cen'estpasdrôle.—Unpeu,quandmême...—Onvoitquetun'aspaseuaffaireàellecestroisderniersjours.Ilseressaisit.—Tuasraison.Jesuisdésolé,déclara-t-ilenreprenantsonverre.Qu'adécidéle
jugeàproposdesonvolàl'étalage?—Uniquementcequejet'aiditautéléphone,enchaînaKimd'unairrésigné.Si
ellenes'attirepasd'autresennuis,l'incidentseraeffacédesoncasierjudiciaire.Siellerécidive,enrevanche...—Etçat'inquiète...Kimsedétourna.— Ce n'est pas la première fois, c'est là tout le problème, avoua-t-elle. L'an
dernier,elleareconnuavoirvolélebracelet,maiscettefois-cielleadéclaréavoirachetédestasdetrucsaudrugstoreet,commetoutnetenaitpasdanssesmains,elleafourréletubederougeàlèvresdanssapoche.Elleapayélereste,etsurlavidéodesurveillance,sonoublisembletoutcequ'ilyadesincère,mais...—Maistuasdesdoutes.Kimnerépondantpas,Steverepritensecouantlatête:—Ellenefigurepasnonplussurlalistedesgrandscriminelsrecherchésparle
FBI.Ronnieapeut-êtrecommisuneerreur,maiselleatoujourseuunbonfond.—Çanesignifiepaspourautantqu'elleditlavérité.—Niqu'ellementnonplus.—Alors,tulacrois?demandaKim,àlafoissceptiqueetpleined'espoir.Il réfléchit aux sentiments que lui inspirait l'incident, comme il l'avait fait à
maintesreprisesdepuisqueKimluiavaitapprislanouvelle.—Ouais,répondit-il.Jelacrois.—Pourquoi?—Parcequec'estunebravegosse.—Qu'est-cequetuensais?rétorqua-t-elled'unairagacé.Ladernièrefoisque
tuasvraimentpasséedutempsavecelle,Ronniefinissaitlecollège...Elle croisa les bras en regardant la fenêtre. Sa voix avait des accents amers
lorsqu'ellerepritlaparole:—Tuauraispurevenir,tusais.TuauraispudenouveauenseigneràNewYork.
Riennet'obligeaitàvoyagerauxquatrecoinsdupays...àt'installerici...Tuauraispucontinueràfairepartiedeleurvie.Sesparolesleblessèrent,ilsavaitqu'elledisaitvrai.Maistoutcelan'avaitpas
étéaussisimple,pourdesraisonsqu'ilscomprenaienttouslesdeux,mêmesinil'unnil'autrenevoulaitl'admettre.Stevetoussota,commepourbriserlesilencepesant,puisdéclara:—J'essayaisseulementdetedirequeRonniesavaitdistinguerlebiendumal.
Elleabeauvouloiraffirmersonindépendance,jesuispersuadéqu'elleestrestée
cellequ'elleatoujoursété.Pourl'essentiel,ellen'apaschangé.AvantqueKimpuisseréfléchirouréagiràsaremarque,Jonahfitirruptiondans
lapièce,lesjouesenfeu.—P'pa!J'aidécouvertunsuperatelier!Viens,m'man!Jeveuxtemontrer!Kimhaussaunsourcil.—Ilestsituéderrièrelamaison,expliquaSteve.Tuveuxlevoir?—C'estgénial,m'man!LeregarddeKimpassadeSteveàJonah,puisrevintversSteve.—Non,merci,dit-elle.Jecroisquec'estplusuntrucpère-fils.Detoutemanière,
jedoisvraimentm'enaller.—Déjà?fitJonah.StevesavaitcombienceseraitdurpourKim,aussirépondit-ilàsaplace.—Tamèreaunlongtrajetjusqu'àNewYork.Etpuisjevoulaist'emmeneràla
fêteforaine,cesoir.Onpeutfaireça,non?—Situveux,soupira-t-il,l'airunpeudéçu.AprèsqueJonaheutditaurevoiràsamère—Ronnien'étaitnullepartenvue
et,selonKim,nereviendraitpasdesitôt—,SteveetJonahgagnèrentl'atelier,uneremisebranlanteautoitentôle,quifaisaitpartiedelapropriété.Depuis ces trois derniersmois, Steve y passait la plupart de ses après-midi,
entouré de tout un bric-à-brac et de petitsmorceaux de verre coloré que Jonahexaminaitàprésent.Aucentredel'ateliertrônaitungrandétabliavecunvitrailencours de fabrication, mais Jonah semblait bien plus intéressé par les drôlesd'animaux empaillés juchés sur les étagères, la spécialité de l'ancien occupant.Comment ne pas être fasciné par la créature mi-écureuil mi-loup de mer, ouencorecettetêted'opossumgrefféesuruncorpsdepoulet?—C'estquoi,cestrucs?S’enquitlegamin.—C'estcenséêtredel'art.—Jecroyaisquel'art,c'étaitdestableaux,dessculptures,toutça,quoi...—Eneffet.Maisparfois,l'artpeutprendred'autresformes.Jonahplissalenezàlavued'unmonstremi-lapinmi-serpent.—Çaressemblepasàdel'art,moij'dis...CommeStevesouriait,Jonahdésignalevitrailposésurl'établi.—Etça,çavientaussidel'ancienpropriétaire?demanda-t-il.—En fait, non. Je le fabriquepour l'égliseenbasde la rue. Elle abrûlé l'an
dernier,etlevitraild'origineaétédétruitdansl'incendie.—Jesavaispasquetusavaisfaireça.—Crois-leounon,maisl'artistequihabitaitlàm'aapprisàenfabriquer.—Celuiquiaempaillélesanimaux?—Exact.—Ettuleconnaissais?Steverejoignitsonfilsprèsdel'établi.—Quand j'étaisgosse, jevenais levoir iciencachette,au lieud'assisteraux
lecturescommentéesdelaBible.Ilconfectionnaitdesvitrauxpourlaplupartdeséglisesdelarégion.Tuvoiscettephoto?ajoutaSteveenmontrantunegravureduChristressuscité,punaiséedansuncoinetpassantfacilementinaperçuedansle
désordre.Avecunpeudechance,levitrailressembleraàçaquandilseraterminé.—Génial!S’extasiaJonah,tandisqueStevesouriait.C'étaitàl'évidencelanouvelleexpressionfavoritedesonfilsetilsedemandait
combiendefoisill'entendraitcetété.—Tuveuxm'aideràlefaire?—Jepeux?— Je comptais sur toi, dit Steve en lui donnant un petit coup de coude. J'ai
besoind'unbonassistant.—C'estdur?— J'avais tonâgequand j'ai commencé, alors je suis sûrque tupourras t'en
sortir.Jonah prit unmorceau de verre teinté avec précaution et l'examina d'un air
graveàlalumière.— Moi aussi, je crois bien que j'vais pouvoir m'en tirer. Steve esquissa un
nouveausourire.—Tuvastoujoursàlamesse?S’enquit-il.—Ouais.Maisonachangéd'église.OnvaàcelledeBrian.EtRonnienevient
pastoujoursavecnous.Elles'enfermedanssachambreetrefusedesortir,maisdèsqu'ons'envaellefileauStarbucksretrouversescopines.Etm'man,çalarendfolle.— Ça arrive quand les enfants deviennent des adolescents. Ils testent leurs
parents.Jonahreposalemorceaudeverresurl'établi.—Ehben,pasmoi.Jeseraitoujourssympa.M'enfin,j'aimepastroplanouvelle
église.C'estsoûlant,là-bas.Alors,ilsepeutquej'aiepasenvied'allerdanscelled'ici...—Pasdeproblème...Aufait,j'aicrucomprendrequetunejoueraisplusaufoot
àl'automne?—Jesuispastrèsdoué.—Etalors?C'estsympa,commesport,non?—Pasquandlesautressemoquentdetoi.—Ahbon?—T'inquiète.Çamedérangepas.—Ah...Jonahsemitàgigotersurplace,commesiquelquechoseledémangeait.—Ronnieajamaisluteslettres,p'pa.Etelleveutpasnonplusjouerdupiano.—Jesais.—M'manditquec'estparcequ'elleestdanssapériodeSPM[3].Stevemanquas'étranglerderire,maisseressaisitaussitôt.—Tusaiscequeçaveutdire,aumoins?Jonahremontaseslunettes.—Jesuisplusungamin,tusais...Çaveutdire«Sanspitiépourlesmecs».Steveritdeboncœuretluiébouriffalescheveux.—Si onpartait à la recherchede ta sœur ? Je l'ai vue s'enaller vers la fête
foraine.—Onpourrafaireuntoursurlagranderoue?—Toutcequetuveux,fiston.—Génial!
3–Ronnie-Ilyavaitfouleàlafêteforaine.Ouplutôt,rectifiaRonnie,la«foireauxfruitsde
merdeWrightsvilleBeach»grouillaitdemonde.Tandisqu'elles'achetaitunsodaàl'undesstands,ellevitlesvoituresgaréespare-choccontrepare-choclelongdesdeux routes qui menaient à la jetée, et même des adolescents doués pour lesaffairesquilouaientcarrémentl'alléedeleurmaisonenguisedeparking.Mais jusqu'ici elle ne trouvait rien d'exaltant à ce genre de festivités. Elle
espérait sansdouteque lagrande roue resteraitenpermanenceetque la jetéeoffrirait le même genre de boutiques et de magasins que la promenade enplanchesd'AtlanticCity.Autrementdit,Ronnieimaginaitdéjàs'ybaladerenété.Maisellen'auraitpascettechance.Lafoireoccupaitpourquelquesjoursàpeineleparkingenhautduquaietévoquaitplusoumoinsunekermessedecampagne.Les manèges branlants faisaient partie d'une fête foraine itinérante, avec desstandsdejeuxhorsdeprixetdesbaraquesàhot-dogsempestantlagraisse.Bref,elletrouvaittoutcelaunpeu...vulgaire.Les autres visiteurs ne semblaient pas de cet avis, en revanche. L'endroit
grouillaitdemonde.Jeunesetvieux,famillesentières,groupesdecollégiensdesdeux sexes qui se reluquaient les uns les autres. Partout où elle allait, Ronniedevaitjouerdescoudespouraffronterunevéritablemaréehumaine.Descorpsensueur. Comme ces deux grosses masses de chair transpirante entre lesquellesRonnie se retrouva coincée, lorsque la foule cessa brusquement d'avancer. Nuldoute que ces deux-là ne s'étaient pas privés des hot-dogs et des beignets auxSnickers que vendaient les marchands ambulants. Beurk, pensa-t-elle engrimaçant.Repérant une brèche parmi les badauds, elle s'y faufila et s'éloigna vers la
jetée.Parchance,lacohuediminuaitàmesurequeRonnieapprochaitduquai,enpassantdevantdesstandsd'objetsartisanaux.Rienquipuisselafairecraquerunjour...Quipeutavoirenvied'ungnomeencoquillages?Distraite,Ronnieheurtaunetablederrièrelaquelleétaitassiseunefemmed'un
certainâge.Vêtued'untee-shirtaffichantlelogodelaSPA,elleavaitlescheveuxblancs,levisageaccueillantetenjoué...Legenredegrand-mèrequidevaitpasserlaveilledeNoëlàcuiredescookies.Surlatableétaientposésdesbrochuresetunbocalpourlesdons,ainsiqu'un
cartoncontenantquatrechiotsaupelagegris.L'und'euxsedressasursespattesarrièreetcontemplaRonnie.—Salut,toi!Lavieilledamesourit.— Tu veux le prendre dans tes bras ? C'est le plus drôle de la portée. Je l'ai
baptiséSeinfeld.Lechiotémitunesortedegémissementhautperché.—Non,jevousremercie.Ilétaitmignon...vraimentmignon,mêmesielletrouvaitquelenomneluiallait
pas. Et elle avait unpeuenviede le tenir dans sesbras,mais savait qu'elle nevoudrait plus s'en séparer ensuite. Elle craquait pour les animaux en général,surtoutceuxqu'onabandonnait.Commecespetitschiens.—Ilsn'ontrienàcraindre,hein?Vousn'allezpaslesendormir?—Net'enfaispas,réponditlafemme.C'estpourcetteraisonquenousavons
installé cette table. Pour que les gens puissent les adopter. L'an dernier, nousavonspuplacerplusd'unetrentained'animaux,etcesquatre-làontdéjàunfoyer.J'attendssimplementqueleursnouveauxmaîtrespassentlesprendreenquittantlafoire.Toutefois,ilyenad'autresaurefuge,siçat'intéresse.—Jesuisdepassage,précisaRonnie,aumomentoùuneclameurs'élevaitdela
plage.(Elletendit lecoupouressayerdevoir.)Qu'est-cequisepasse?Ilyaunconcert?Lafemmesecoualatête,avantd'ajouter:— Un match de beach-volley. Ils jouent depuis des heures... une espèce de
tournoi, je crois. Tu devrais y faire un tour. J'ai entendu des cris et desapplaudissementstoutelajournée,alorsçadoitvaloirlecoup.Ronnieyréfléchit...Pourquoipas?sedit-elle.Aprèstout,çanepouvaitpasêtre
pirequelafoireelle-même.Ellelaissadeuxoutroisdollarsdanslebocal,puissedirigeaverslesmarches.Lesoleilamorçaitsadescenteetprojetaitdesrefletsdoréssurl'océan.Aubord
del'eau,quelquesfamilless'attardaientsurleursserviettes,auprèsdeschâteauxde sableque lamaréemontanteallait fairedisparaître. Enquêtede crabes, lessternesvolaientenpiquéicietlà.Ronnie ne mit pas longtemps à rejoindre la partie de volley. Comme elle
s'approchait du terrain, elle nota au passage que les autres filles du publicsemblaientsefocalisersurlesdeuxjoueursdedroite.Riendesurprenant.Lesdeuxgars (de sonâge, ouplus jeunes ?) entraientdans la catégorie« régal pour lesyeux»,commeauraitditsonamieKayla.SiaucunnecorrespondaittoutàfaitautypedeRonnie,onnepouvaits'empêcherd'admirerleurcorpsélancé,musclé,etlasouplesseaveclaquelleilssedéplaçaientsurlesable.Le plus grand surtout, avec des cheveux châtain foncé et un bracelet en
macraméaupoignet.Kaylal'auraitaussitôtrepéré—lesgrandsmecsl'attiraienttoujours—,toutcommelablondeenBikiniquinelequittaitpasdesyeux.Ronniel'avaittoutdesuiteremarquéeavecsacopine.Touteslesdeuxétaientmincesetjolies, avec des dents d'une blancheur éblouissante, et l'habitude d'avoir unetripotéedegarçonsentraindebaverautourd'elles.Pourtant,ellessetenaientunpeuàl'écartetacclamaientlesjoueurssanstropd'effusion,sansdoutepouréviterdesedécoiffer.Onauraitditdesaffichesdepubsusceptiblesd'êtreadmiréesàdistance,mais surtoutpasde tropprès.Ronniene les connaissait pas,mais lesdétestaitdéjà.Son attention revint vers le jeu au moment où les deux beaux gosses
marquaientunautrepoint.Puisunautre.Etencoreunautre.Elleignoraitlescore,maisvisiblementleuréquipegagnait.Ensuivantlapartie,Ronniesemitpourtantà encourager silencieusement l'autre équipe. Non pas à cause du fait qu'ellesoutenaittoujourslesperdants,certes,maissurtoutparcequeceduogagnantluirappelait les enfants gâtés des écoles privées qu'elle croisait parfois endiscothèque, ces garçons de l'Upper East Sicle[4] qui fréquentaient Dalton etBuckley et se croyaient au-dessus de la mêlée grâce à leurs pères banquiers.Ronnieavaitsuffisammentcôtoyécessoi-disant«privilégiés»pourlesreconnaîtren'importe où, et ces deux-là, tout le monde devait vouloir les fréquenter. Sessoupçonsseconfirmèrentaprèsquelesgarçonseurentmarquéunnouveaupoint,lorsque lepartenairedubrunsemitenpositionpourserviret fitunclind'œilàl'amie de la poupée Barbie blonde et bronzée. Dans cette ville, les gens beauxsortaiententreeux.Pourquoiçanelasurprenaitpas?Le jeu luiparut soudainmoins intéressantetelle se retournapour s'enaller,
tandis qu'une nouvelle balle de service passait par-dessus le filet. Elle entenditvaguementquelqu'uncrierlorsquel'équipeadversefrappaleballon,maisRonnien'avaitpassitôtfaitquelquespasqu'ellesentit lesspectateurssebousculer...cequiladéséquilibra.Unpeutrop...Elleseretournajusteàtempspourvoirl'undesjoueurssejetersurelleàtoute
vitesse,sedévisserlatêtepoursuivrelatrajectoiredelaballe...etpercuterRonniedepleinfouetavantqu'ellepuisseréagir.Il lasaisitparlesépaulespourstopperson élan et lui éviter de tomber. Ronnie sentit sonbras tressaillir sous l'impact,tandisqu'elleregardait,presquefascinée,lecouvercledesongobeletvolerdanslesairsetsonsodagiclerenarcdecercleavantdeluiéclabousserlevisageetletee-shirt.Et puis hop ! Plus rien. Sauf qu'elle avait en gros plan le joueur brun qui la
dévisageaitd'unairépouvanté.—Tun'asrien?demanda-t-il,haletant.Elle sentait le soda dégouliner sur sa figure et tremper son tee-shirt, tandis
qu'elleentendaitvaguementquelqu'unglousserdans lepublic.Pourquoinepasrigoler,aprèstout?Safantastiquejournéenefaisaitquecontinuer!—Toutvabien,rétorqua-t-ellesèchement.—T'essûre?Pantelalegars.(Entoutcas,ilavaitl'airsincèrementdésolé.)Je
t'aipercutéeassezfort.—Lâche-moi...tuveux?Articula-t-elle,lesdentsserrées.Apparemment, il ne s'était pas rendu compte qu'il l'agrippait toujours, aussi
retira-t-ilsesmainsdesépaulesdeRonnie.Puisils'empressadereculerd'unpasetsemitàtripotermachinalementsonbracelet.—Excuse-moi...Jecouraisverslaballeet...—Çava,j'aicompris.Jesuistoujoursenvie,O.K.?Surcesmots,elletournales
talonsensouhaitants'éloignerauplusvite.Danssondos,elleentenditquelqu'uncrier:
—Viens,Will!Onreprendlapartie!Maistoutensefrayantunchemindanslafoule,Ronnieavaitl'impressionqu'il
continuaitàlaregarder,jusqu'àcequ'elledisparaissedesonchampdevision.Son tee-shirt n'était pas fichu,mais ça ne la consolait pas pour autant. Elle
l'aimaitbien,c'étaitunsouvenirduconcertdeFallOutBoy,oùelleétaitalléeendouceavecRick, l'andernier.Samèreavait faillipéteruncâble,cette fois-là,etpasseulementàcausedelatoiled'araignéequeRickportaitentatouagesur lecou ou de ses piercings aux oreilles, encore plus nombreux que ceux de Kayla,maisparcequeRonnieavaitmentisurlasoiréeoùelleserendait...etn'étaitpasrentrée avant le lendemain dans l'après-midi, puisqu'ils avaient fini par pieuterchezlefrèredeRick,àPhiladelphie.Ducoup,samèreluiavaitinterditderevoirRickoudeluireparler...unerèglequeRonnietransgressadèslelendemain.Oh,ellen'étaitpasfolledeRick;àvraidire,ellenel'appréciaitmêmepastant
queça.Maiselleenvoulaitàsamèreet,sur lecoup,ça luiparutnormald'agircommeça.Maislorsqu'ellearrivachezlui,Rickétaitdéjàdéfoncéetsoûl...unefoisdeplus,
comme pour le concert, et Ronnie comprit que si elle continuait à le voir, il lapousseraitencoreàessayerlestrucsqu'ilprenait,toutcommelaveilleausoir.Ellenerestaquequelquesminuteschezlui,avantdepartirpourUnionSquare,oùellepassalerestedel'après-midi,sachantquec'étaitfinientreeux.Question came,Ronnien'était pasnéede la dernièrepluie.Certainesde ses
amies fumaient du shit, quelques-unes prenaient de la coke ou de l'ecstasy, etl'une d'elles étaitmême salement accro aux amphés. Tout lemonde, sauf elle,buvait leweek-end.Quellequesoit laboîteoulafêteoùelleallait,Ronnieavaitaccèsàtouteslessubstancespossiblesetimaginables.Pourtant,chaquefoisquesescopines fumaient,buvaientouavalaientdespilulesen jurantqueçarendaitleur soirée plus fun, elles passaient le reste du temps à bafouiller des parolesincompréhensibles,àtituber,àvomirouàselaissercomplètementallerenfaisantuntrucvraimentnul.Engénéralavecunmec.Ronnienevoulaitplusseretrouverdanscegenredeplans.Surtoutdepuisce
quiétaitarrivéàKaylal'hiverdernier.Quelqu'un—Kaylanesutjamaisquiaujuste— versa du GHB[5] dans sa boisson, et même si elle ne gardait qu'un vaguesouvenir de ce qui s'était passé ensuite, elle était quasi certaine de s'êtreretrouvée ce soir-là dans une chambre avec trois types qu'elle voyait pour lapremière fois.À son réveil le lendemainmatin, sesvêtementsétaientéparpillésaux quatre coins de la pièce. Kayla n'en parla plus jamais... elle préférait fairecomme si rien n'était jamais arrivé et regrettait même d'en avoir autant dit àRonnie.Maisn'importequipouvaitfairelelien.De retour sur la jetée, Ronnie posa son gobelet à moitié vide et se mit à
tamponnerfrénétiquementsontee-shirtàl'aidedesaservietteenpapierhumide.Ça semblait marcher... sauf que ladite serviette se désintégrait en minusculeslambeauxblancsquiressemblaientàdespellicules.Super...Commesi ce volleyeurn'aurait paspubousculer quelqu'und'autre !Quelles
étaientlesprobabilitéspourqueRonniesedétourneaumomentoùlaballefilaitdans sa direction ? Et se trouve justement là, un soda à la main, parmi lesspectateursd'unmatchdevolleyquinel'intéressaitpas,dansunendroitoùellen'avaitpasenviedemettrelespieds?D'iciunmilliond'années,lamêmechosenerisquait sans doute pas de se reproduire. Avec une chance pareille, elle auraitmieuxfaitd'acheterunbilletdeloterie!Etpuis,ilyavaitlevolleyeurenquestion.Unbrunmignonauxyeuxmarron.De
près, elle se rendit compte qu'il étaitmême plus quemignon, surtout lorsqu'ilavaiteucetair... inquiet. Il faisaitpeut-êtrepartiedes jeunesquiavaient lacotedanslecoin,maispendantlequartdesecondeoùleursregardss'étaientcroisés,elleavaiteulesentimentqu'ilétaittoutcequ'ilyadesincère.Ronniesecoualatête,commepourchassercesidéesfollesdesonesprit.Nul
doutequelachaleurluiembrouillaitlecerveau.Ravied'avoirpufairelemaximumavecsaserviette,ellerepritsongobeletdesoda.Elleprévoyaitdes'endébarrassermais, en se retournant, elle heurta quelqu'un. Cette fois, rien ne se passa auralenti,lesodaaspergeaaussitôtsontee-shirt.Ronniesefigeaetbaissalesyeux,lecontemplantd'unairincrédule.C'estpas
vrai,jerêve!
Devantellesetenaitunefilledesonâge,unSlurpee[6]àlamainetl'airaussisurpris qu'elle. Sa crinière filandreuse, aussi noire que ses vêtements, encadraitsonvisagedebouclesrebelles.Àl'instardeKayla,elleportaitunedemi-douzainede piercings à chaque oreille, le tout rehaussé par deux ou trois têtes demortminusculesquipendillaientàseslobes,tandisquesonfardàpaupièreetsoneye-linersombresluidonnaientpresqueunregarddebêtefauve.Commelerestedusodase répandaitsur le tee-shirtdeRonnie,MissGothiquedésigna la tachequis'agrandissait.—Çacraint,dit-elle.—Oh,tucrois?ironisaRonnie.—Commet'esmouilléedesdeuxcôtés,çachoquemoins,remarque...—Ah,jevois...T'essayesdefairedel'humour.—Del'esprit,disons...—Danscecas,t'auraispudireuntrucdugenre:«T'auraisdûdemanderun
gobeletanti-fuitesauvendeur!».Miss Gothique éclata d'un rire de gamine qui ne collait pas vraiment à son
personnage.—T'espasd'ici,toi,hein?—Non,deNewYork.Jesuisvenuevoirmonpère.—Pourleweek-end?—Non.Pourl'été.—Alorslà,çacraintvraiment.CefutRonniequis'esclaffa,cettefois.—Moi,c'estRonnie.LediminutifdeVeronica.—Moi,c'estBlaze[7].—Blaze?
—Mon vrai nom, c'estGaladriel. CommedansLe Seigneur des anneaux.Mamèreestzarbi,jesais.—T'asdelachancequ'ellet'aitpasappeléeGollum.—Ou Ronnie... Si tu veux un truc sec, dit Blaze en désignant le stand d'un
hochementdetête,ilsvendentdestee-shirtsNemo,là-bas.—Nemo?—Ouais,Nemo.Commelefilm...Unpoissonorangeetblancpastrèsdouédes
nageoires, tuvois ? Il se retrouvecoincédansunaquariumet sonpèrevient lechercher.—J'aipasenvied'untee-shirtNemo,O.K.?—Nemo,c'estcool.—Quandt'assixans,peut-être,rétorquaRonnie.—Moi,cequej'endis...Avant que Blaze puisse répliquer, Ronnie repéra trois gars qui fendaient la
foule. Short déchiré, tatouages et torse nu sous un blouson de cuir, leur lookdétonnait parmi les promeneurs. L'un d'eux avait un piercing au sourcil ettrimbalaitunvieuxghettoblaster;unautrearboraitunecrêteiroquoiseperoxydéeet des bras entièrement tatoués. Le troisième, comme Blaze, avait de longscheveuxnoirsquicontrastaientavecsonteintlaiteux.Ronniesetournad'instinctversBlaze,maiscelle-ciavaitdisparu...etJonahsetenaitàsaplace!—Qu'est-cequet'asrenversésurtontee-shirt?demanda-t-il.T'estrempéeet
toutecollante.RonniecherchaBlazealentour,ensedemandantoùelleavaitfilé.Etpourquoi.—Dégage,O.K.?—Impossible.P'patecherche.Jecroisqu'ilveutqueturentres.—Ilestoù?—Auxtoilettes,maisildevraitrappliquerd'uneminuteàl'autre.—Dis-luiquetum'aspasvue.Jonahréfléchit,puisreprit:—Cinqdollars.—Quoi?—Donne-moicinqdollarsetj'oubliequejet'aivue.—Turigolesouquoi?—Tuperdsdutemps,mavieille.Maintenant,çafaitdixdollars!Elleaperçutalorssonpèreunpeuplusloin,quiscrutaitlesgensautourdelui.
Ellebaissaspontanémentlatête,toutensachantqu'ellenepourraitpass'esquiversans qu'il la voie. Elle décocha un regard assassin à Jonah,maître-chanteur enherbe,quiàl'évidenceavaitcomprisqu'elleseretrouvaitcoincée.Ilétaitmignonetelle l'adorait,et respectaitmêmesonaptitudeà la fairechanter,maisc'étaitquandmêmesonpetit frère!Dansunmondeparfait, ilauraitdû lasoutenir.Etc'étaitlecas?Biensûrquenon!—Jetedéteste,tusais,reprit-elle.—Ouais,moiaussi.Maisçatecoûteraquandmêmedixdollars.—Etsiondisaitcinq?—T'asratél'occasiontoutàl'heure.Maistonsecretserabiengardéavecmoi.
Sonpèrenelesavaittoujourspasvus...Toutefois,ils'approchait.—O.K.,soupira-t-elleenluitendantunbilletfroisséqu'ilempochaillico.Ronnieentrevitalorssonpèrequis'avançaitdansleurdirectionetdévisageait
toujourslafouleentournantlatêtedetouscôtés.Ellesefaufiladerrièrelestandleplusprocheeteutlasurprised'ydécouvrirBlaze,adosséeàlaparoienplanches,entraindefumerunecigarette.—T'asdesproblèmesavectonpère?Ricanacelle-ci.—Commentjepeuxsortird'ici?—Àtoidevoir,ditBlazeenhaussantlesépaules.Maisilsaitqueltee-shirtt'as
surledos...Uneheureplustard,RonniesetenaitassiseàcôtédeBlazesurl'undesbancs
installés au bout de la jetée; elle s'ennuyait toujours,mais pas autant qu'à sonarrivée.ElledécouvritqueBlazesavaitécouteretpossédaitunsensdel'humourassezbizarre...etsurtout,ellesemblaitadorerNewYorkautantqueRonnie,mêmesiellen'yétaitjamaisallée.Blazeluiposalesquestionsd'usagesurTimesSquare,l'EmpireStateBuilding,et la statuede la Liberté... autantdepiègesà touristesqueRonnieessayaitd'éviteràtoutprix.Toutefoisellel'affranchitenluidécrivantlevrai New York : les boîtes de Chelsea, la scène musicale de Brooklyn, et lesmarchandsambulantsdeChinatown,auprèsdesquelsonpouvaitseprocurerdesenregistrements pirates, de faux sacs Prada, et pratiquement n'importe quoi,contreunepoignéededollars.Enparlantdecesdifférentsendroits,elleregrettad'autantplusdenepasêtre
chezelle...n'importeoù,entoutcas,saufici!—Moinonplus,j'auraispaseuenviedevenir,admitBlaze.Ici,c'estnul,crois-
moi.—Çafaitcombiendetempsquetuvisici?—J'yaitoujoursvécu.Aumoins,j'aipasdesfringuescraignos,moi.Ronnie avait finalement acheté ce tee-shirtNemo, sachant qu'elle aurait l'air
ridicule. Le vendeur n'avait plus que du XL en stock, et le vêtement lui arrivaitquasimentauxgenoux.Leseulavantage,c'estqu'une foisqu'elle l'auraitenfilé,sonpèrenepourraitpluslarepérer.Blazeavaitraison.—Bizarre,unefillem'aditqueNemo,c'étaitcool.—Ellet'amenti.—Qu'est-cequ'onfabriqueencorelà?Monpèreadûpartir,maintenant.—Pourquoi?S’enquitBlaze.Tuveuxretourneràlafoire?Allerdanslamaison
hantée?—Non.Maisilyapeut-êtred'autrestrucs...—Pasencore.Plustard,oui.Maispourl'instant,onattend.—Quoidonc?Blazene répondit pas. Ellepréféra se leveret se tourner vers l'océanplongé
dans lanuit.Sescheveuxvoletaientdans labriseetellesemblaitcontempler lalune.—Jet'aivuetoutàl'heure,tusais.—Quandça?—Aumatchdevolley,précisa-t-elleendésignantlaplageenbasdela jetée.
T'étaislà-basdanslepublic.—Etalors?—Onsedemandaitcequetufichaislà.—Idempourtoi.—C'estpourcetteraisonquejemebaladaissurlajetée,ditBlaze,quibondit
surlarambardeets'assitenfacedeRonnie.Jesaisqueçateplaîtpasd'êtreici,maisqu'est-cequetonpèreabienpufairepourtemettreenrogne?—C'estunelonguehistoire,réponditRonnie.—Ilvitavecsacopine?—Jepensepasqu'ilenaitune.Pourquoi?—Estime-toiheureuse,alors.—Maisdequoituparles?—Monpèrevitavecsapetiteamie.Latroisièmedepuisledivorce,soitditen
passant,etlapirejusqu'ici.Elleestàpeineplusâgéequemoiets'habillecommeune strip-teaseuse. Chaque fois que je dois aller là-bas, j'en suismalade. C'estcommesiellesavaitpastropcommentsecomporteravecmoi.Tantôtelleessayede me donner des conseils, comme si c'était ma mère, et tantôt elle joue lesbonnescopines.Jeladéteste.—Ettuvisavectamère?—Ouais.Maiselleauncopainmaintenant,etilhabiteavecnoustoutletemps.
Unvrainaze.Ilporteunemoumouteringarde,parcequ'ilestdevenuchauveàlavingtaineouun trucdugenre.Etpis ilarrêtepasdeme répéterque jedevraistentermachanceà la fac.Commesi j'accordaisde l'importanceàcequ'ilpeutpenser.Pourmoi,c'estfoutu,detoutemanière...Ronnien'eutpasletempsderéagirqueBlazesautaitdéjààterre.—Viens,dit-elle.Jecroisqu'ilssontprêts.Fautvraimentquetuvoiesça.Ronnie emboîta le pas àBlaze le long de la jetée, vers un attroupement qui
semblaits'êtreforméautourd'unspectaclederue.Stupéfaite,elleconstataquelesartistesn'étaientautresquelestroisgarsauxalluresdevoyous.Deuxd'entreeuxexécutaientdesfiguresdebreak-dancesurlamusiquediffuséeparleghettoblaster,tandisquelegarsauxlongscheveuxjonglaitaveccequiressemblaitàdesballes de golf enflammées. De temps à autre, il s'interrompait pour fairesimplement tournerunedecespelotesentresesdoigts,ou la faire roulersur ledosdelamain,ouencored'unbrassurl'autre.Pardeuxfois,ilfermalepoingsurlaballeenfeuenl'éteignantpresque,puislaissalesflammèchess'échapperentrelepouceetl'index.—Tuleconnais?demandaRonnie.—C'estMarcus,réponditBlazedansunhochementdetête.—Ilporteunesortedecrèmeprotectricesurlesmains?—Non.—Etçabrûlepas?—Suffitdetenirlaballecorrectement.C'estgénial,non?Ronnienepouvaitlacontredire.Marcuséteignitdeuxballes,puislesrallumaen
les mettant en contact avec la troisième. Par terre était posé un chapeau demagicien,etlesgenscommençaientàyjeterdel'argent.
—Oùest-cequ'ilseprocurecesboulesdefeu?C'estpasdesballesdegolf,si?Blazesecoualatête.—Illesfabriquelui-même.Jepeuxtemontrercomment.C'estpascompliqué.Il
faut simplement un tee-shirt en coton, une aiguille et du fil, et un liquideinflammable.Alors que la musique continuait à beugler par les haut-parleurs du ghetto
blaster,Marcuslançalestroisballesenflamméesaugarçonàlacrêteiroquoiseetenallumadeuxautres.Ilsjonglèrententreeux,telsdesclownsavecdesquilles,deplusenplusvite,jusqu'àcequ'undesdeuxratesoncoup.Saufquec'étaitprévu.Legarsaupiercingausourcilrattrapalesballesaupied,
puis commençaà dribler, commeau football. Après avoir éteint trois balles, lesdeuxautresgarçonsl'imitèrentetbientôttouslestroissefaisaientdespassesaupied.Lesapplaudissementscrépitèrentdanslafouleetl'argentsemitàpleuvoirdans le haut-de-forme, tandis que la musique montait en puissance. Soudain,chacunstoppasaballeetl'éteignitenmêmetempsquesoncomparseaumomentoùlachansons'arrêta.Ronniedutadmettrequ'ellen'avaitjamaisrienvudetel.Marcuss'avançavers
Blaze et l'embrassa longuement, avec une fougue bestiale assez déplacée enpublic.PuisilécartasacopineetplantasonregardsurRonnie.—C'estqui?demanda-t-ilenlamontrantdudoigt.—C'estRonnie,réponditBlaze.ElleestdeNewYork.Jeviensdelarencontrer.Crête-d'Iroquois et Piercing-au-Sourcil imitèrent Marcus et Blaze qui
dévisageaientRonnie,visiblementmalàl'aised'êtreleurpointdemire.—DeNewYork,hein? repritMarcusensortantunbriquetdesapochepour
allumerunebouledefeu.Il la tint ensuite entre le pouce et l'index, alors que Ronnie se demandait
toujourscommentilsedébrouillaitpournepassebrûler.—T'aimeslefeu?luidemanda-t-il.Sansattendresaréponse,illançalaballeenflamméedanssadirection.Ahurie,
Ronniefitunbonddecôté.Leprojectileatterritderrièreelle,tandisqu'unpolicierseruaitdessuspourl'éteindreenlepiétinant.—Voustrois!s'écria-t-ilendésignantlesgarçons.Circulez!Toutdesuite!Je
vousaidéjàinterditdefairevotrepetitnumérosurlajetée.Laprochainefois,jevousembarquedirectauposte!Marcuslevalesmainsetfitunpasenarrière.—Ons'enallaitjustement.Ilsramassèrentleursaffairesetquittèrentlequaipourpartirverslesmanèges.
BlazeleuremboîtalepasenlaissantRonnietouteseule.Celle-cisentit leregardde l'agents'attardersurelle,maiselle l'ignora.Ellen'hésitaqu'uncourt instantavantdesuivrelesquatreautres.
4–Marcus-Il savait qu'elle les suivrait. Elles les suivaient toujours. Surtout celles qui
venaientdedébarquerenville.Toujourspareil,aveclesnanas:plusillestraitaitmal, plus elles avaient enviede lui. C'est dire àquel point elles étaient idiotes.Prévisibles,maisidiotes.Il s'adossa aux grands cache-pots qui bordaient l'hôtel, tandis que Blaze
l'entouraitdesesbras.Ronnieétaitassiseen faced'eux,surunbanc ;TeddyetLancesetenaientsurlecôtéetdéconnaientdansleurcoin,enessayantd'attirerl'attentiondesfillesquipassaientdevanteux.Ilsétaientdéjàbourrés—enfait,ilsavaientdéjàleurdoseavantlespectacle—,etcommed'habitudetouteslesnanaslesignoraient,sauflesplusmoches.Unefoissurdeux,mêmecelles-cinefaisaientpasattentionàeux.Pendantcetemps,Blazeluimordillaitlecou,maisMarcusl'ignoraitaussi.Ilen
avaitmarrede lavoirs'accrocherà luichaquefoisqu'ilsétaientenpublic. Ilenavaitmarred'elleengénéral.Siellen'avaitpasétésibonneaulit,siellen'avaitpassus'yprendrepourl'exciter,ill'auraitplaquéeunmoisplustôtauprofitd'unedes trois ou quatre filles avec lesquelles il couchait régulièrement. Mais en cemoment,mêmecesnanas-lànel'intéressaientplus.Pourl'heure,ilpréféraitmaterRonnie;ilaimaitbiencettemècheviolettedanssescheveux,sonpetitcorpsbienfermeetsonfardàpaupièrebrillant.Elledonnaitunpeudanslegenreclochardedeluxe,àconditiond'oubliersontee-shirtnaze.Maisl'ensembleplaisaitàMarcus.Çaluiplaisaitbeaucoup.IlrepoussaBlaze,regrettantmêmequ'ellesoitlà.—Vamechercherdesfrites,dit-il.J'aiunepetitefaim.Blazes'écartadelui.—Ilmerestequedeuxoutroisdollars,pleurnicha-t-elle.— Et alors ? Ça devrait suffire. Et tâche de pas m'en piquer une seule en
rappliquant.Ilneplaisantaitpas.Blazeavaitprisunpeudeventreetdevenaitjoufflue.Pas
étonnant, en fait... vu qu'elle picolait presque autant que Teddy et Lance, cesdernierstemps.Blazefitouvertementlamoue,maisMarcuslarepoussaencore,etellepartiten
direction de la baraque à frites. Les gens faisaient la queue, et pendant qu'elleattendaitson tour,Marcuss'approcha, l'airde rien,deRonnieets'installaàsoncôté.Maispastropprès.Blazeétaitplutôtjalouse,etiln'avaitpasenviedefairefuirRonnieavantd'avoirl'occasiondefairesaconnaissance.—Qu'est-cequet'enaspensé?demanda-t-il.—Dequoi?—Denotrenuméro.T'asdéjàvuuntrucdanscestyleàNewYork?—Non,admit-elle.Jamais.
—T'habitesoù?—Unpeuplusloin,surlaplage.Ausondesavoix, ilsentaitqu'elleétaitmalàl'aise,sansdouteenraisonde
l'absencedeBlaze.—Blazem'aditquet'aslarguétonpèreàlafoire?Ellehaussalesépaulesen
guisederéponse.—Benquoi?Tuveuxpasqu'onenparle?—Yariendespécialàdire.Ils'adossaaubanc.—Peut-êtrequec'estjusteparcequetumefaispasconfiance.—Maisqu'est-cequeturacontes?—TuteconfieraisvolontiersàBlaze,maispasàmoi.—Jeteconnaismêmepas.—Blaze,tulaconnaispasmieux.Tuviensdelarencontrer.Ronnie n'appréciait pas sa façon de rétorquer du tac au tac, et pensait que
Marcus feraitmieuxdesemêlerdesesaffaires.Maispourcalmer le jeu,elle luibalança la réponse qu'elle avait mise au point depuis qu'elle savait qu'elleviendraitici.—J'aijustepasenviedeparlerdelui,O.K.?Etj'aipasnonplusenviedepasser
l'étéici.Ilécartaunemèchequiluibarraitlesyeux.—Alors,casse-toi.—Ouais,biensûr.Etpouralleroù?—SionpartaitenFloride?—Quoi?répliqua-t-elleenbattantdespaupières.—Jeconnaisuntypequ'aunemaison,là-bas,àlasortiedeTampa.Situveux,
jet'yemmène.Onpeutyresteraussilongtempsquet'enasenvie.J'aimavoituregaréeparlà.Ronnieouvritlabouched'unairstupéfait,sanstropsavoircommentréagir.Elle
trouvaitsonidéeridicule...sansmêmeparlerdufaitqu'ilaitpulaluisuggérer.—JepeuxpasallerenFlorideavectoi.Je...jeviensàpeinedeterencontrer.Et
Blaze,alors?—Benquoi?—Tusorsavecelle.—Etalors?dit-il,levisageimpassible.—Tropbizarre,toutça,dit-elleensecouantlatête,tandisqu'elleselevait. Je
croisquejevaisallervoircequ'ellefait...Marcus plongea la main dans sa poche, en quête d'une de ses pelotes de
jonglage.—Tusaisbienquejerigolais,non?Àvraidire,ilneplaisantaitpas.Il l'avaitprovoquéepourlamêmeraisonqu'il
luiavaitlancélaballeenflammée.HistoiredetesterleslimitesdeRonnie.—Ouais,O.K.Maisjevaisquandmêmeallerluiparler.Marcuslaregardas'éloigner.Bienqu'iladmirâtsonpetitcorpssexy,ilnesavait
pastropquoipenserd'elle.Elleavaitunlook,O.K.,maisàl'inversedeBlazeellene
fumaitpas,n'étaitpasunefêtarde...Pourtant,ilsentaitqu'ellecachaitsonjeu.Ilsedemandasi ellevenaitd'une famille friquée.Çaparaissait logique,non?UnappartàNewYork,unemaisonenborddemer?Sesparentsdevaientavoirdupèzepours'offrircegenredetrucs.Mais...malgrétout,ilyavaitpeudechancespourqu'ellese fondedans lamassedesrichardsducoin,en toutcasceuxqu'ilconnaissait.Lesquels,aujuste?Etpourquoiçal'intriguait?Parcequeluin'aimaitpaslesgensriches,leurmanièred'étalerleurfricetdese
croiresupérieursauxautresàcausedeça.Unjour,avantqu'ilabandonnelelycée,il avait entendu un gosse pété de thunes parler du bateau qu'il avait reçu encadeaud'anniversaire.Pas legenre rafiotmerdique...maisunBostonWhalerdeplusdesixmètresavecGPSetsonar,etlegarsn'arrêtaitpasdefrimer,disantqu'ilnavigueraitàbordtoutl'étéetavaitdéjàunanneauréservéaucountry-club.Troisjoursplustard,Marcusavaitmislefeuaubateauetregardécelui-cibrûler,
enseplanquantderrièrelemagnoliaduseizièmetrouduparcoursdegolf.Depuis toujours, il aimait les incendies, la panique qu'ils déclenchaient, leur
pouvoir...lapuissanceaveclaquelleilsconsumaientetdétruisaienttout.Bien sûr, il n'avait jamais rien dit à quiconque. Confie-toi à une personne et
c'estcommesit'allaistoutavouerauxflics.Danslegenrebavard,TeddyetLanceétaientleparfaitexempleàéviter:colle-lesengardeàvueett'auraspasletempsde fermer la cellule qu'ils auront déjà craqué.Depuis un petitmoment,Marcusveillait donc à ce que ces deux crétins se chargent du sale boulot. Pour qu'ilstiennentleurlangue,unseulmoyen,qu'ilssesententencorepluscoupablesquelui.Désormais, c'étaient euxqui piquaient l'alcool, qui avaientmis K.-O. lemecchauveà l'aéroportavantde lui fauchersonportefeuille,etquiavaientpeint lescroixgamméessurlasynagogue.Marcusneleurvouaitpasuneconfianceaveugle,pasplusqu'ilnelesappréciaitparticulièrement,maisilsrespectaienttoujourscequ'illeurdisait.Bref,ilsfaisaientl'affaire.Derrière lui, Teddyet Lancecontinuaientà jouer lesabrutis (ilsn'avaientpas
besoindeseforcer)et,maintenantqueRonnieétaitpartie,Marcusnetenaitplusenplace.Pasquestionderesterassislàtoutelanuitàrienfaire.UnefoisBlazederetouretsesfritesavalées,ilsiraientsansdoutetraînerd'ailleurs.Histoiredevoircequiseprésentait.Onnesaitjamaiscequipeutarriverdanscegenred'endroit,ce genre de soirée, avec ce genre de foule. Une chose était sûre... Après unspectacle,ilavaittoujoursbesoind'un...bonus.Quelqu'ilsoit.Enjetantunregardducôtédelabaraqueàfrites,ilaperçutBlazequipayait,
avecRonniejustederrièreelle.Illafixa,laforçantdenouveauàseretournerverslui... ce qu'elle finit par faire. Oh, juste un coup d'œil furtif, mais juste assezlongtempspourqu'ilsedemandeencorecequ'ellepouvaitdonneraulit.Elledoitsedéchaîner,songea-t-il.Commelaplupart...àconditiondesavoirs'y
prendre.
5–Will-Quoiqu'ilfasse,Willsentaittoujourslepoidsdusecretluipeser.Enapparence,
ilmenaitunevienormale...Cessixderniersmois,ilétaitalléencours,avaitjouéaubasket,participéaubaldefind'annéeetquittélelycée,diplômeenpoche,prêtàaffronterlafac.Toutn'étaitpasaussiidyllique,biensûr.Ilyasixsemaines,WillrompaitavecAshley,maisçan'avaitrienàvoiraveccequis'étaitpassécefameuxsoir... qu'il n'oublierait jamais. La plupart du temps,Will parvenait à chasser cesouvenir,maisauxmomentslesplusinattenduscelui-ciluirevenaitenmémoire.Toujourslesmêmesimages,nettesetprécises...Commes'ilvisualisaitlascèneàtraverslesyeuxd'unautre,ilserevoyaitcourirsurlaplage,puisempoignerScottquicontemplaitl'incendiefaisantrage.«Maisqu'est-cequet'asfoutu,bonsang?»,luicriait-il.«J'ysuispourrien!»,
hurlaitScott.Àcetinstantseulement,Wills'étaitrenducomptequ'ilsn'étaientpasseuls.Au
loin,ilavaitreconnuMarcus,Blaze,TeddyetLanceassissurlecapotd'unevoiture,quilesobservaient.Autrementdit,cesquatre-làavaienttoutvu.Ilssavaient...DèsqueWillvouluts'emparerdesonmobile,Scottl'arrêta.—N'appellepaslapolice!Jet'aiditquec'étaitunaccident!Ill'imploraitduregard.—Allez,mec!Tumedoisbiença!Dans les deux ou trois jours qui suivirent, l'affaire fit la une des médias.
L'estomacnoué,Willregardalesinfosetlutlesarticlesdejournaux.O.K.,ilpouvaittoujours couvrir sonamiqui avaitmis le feuparmégarde.Mais en l'occurrencequelqu'un avait été blessé, ce soir-là, et Will se sentait coupable à en avoir lanauséechaquefoisqu'ilpassaitsurlesiteenvoiture.Peuimportaitquel'égliseaitété reconstruite et que le pasteur soit sorti depuis longtempsde l'hôpital...Willconnaissaitlesfaits,maisn'étaitpasintervenu.Tumedoisbiença...Cesparoleslehantaient.PasseulementparcequeScottet
lui se fréquentaientdepuis lamaternelle,maispourune raisonbienplusgrave.Tantetsibienqu'illuiarrivaitdepasserdesnuitsblanches,horrifiéparlaréalitédecesmots,toutensouhaitantpouvoircorrigerseserreurs.Bizarrement, c'était l'incident survenu aumatch de volley qui lui revenait à
présent enmémoire. Ou plutôt le souvenir de la fille qu'il avait bousculée. Elles'étaitmoquéedesesexcuseset,contrairementà laplupartdesnanasducoin,n'avait pas cherchéàmasquer sa colère. Sanshurler, sansbouillir de rage, elleavaittoutefoisgardésonsang-froidd'unemanièrepourlemoinssurprenante.Après ledépartentrombede l'inconnue, lesdeuxéquipesavaientterminé la
partie, etWill admit avoir loupé deux ou trois balles qu'il n'aurait jamais laissé
passerentempsnormal.CequiluivalutdesregardsmauvaisdelapartdeScott,qui—peut-êtreàcauseducontre-jour—arboraitlamêmeexpressionquelesoirde l'incendie, quandWill avait sorti son téléphone pour prévenir la police. Bref,celaavaitsuffiàraviversessouvenirs.Will parvint à se contrôler jusqu'à ce qu'ils gagnent le match, mais celui-ci
achevéileutbesoindeseretrouverunpeuseul.Ilfitdoncunpetittouràlafoireet s'arrêta à l'un des stands de jeux hors de prix et impossibles à gagner. Ils'apprêtaitàfaireunpanieravecunballondebasketsurgonfléentirantdansunfiletplacéunpeutrophaut,quandilentenditunevoixdanssondos.Ashley...—Ah,tevoilà!Tunousévitais?Oui,sedit-il.Exactement.—Non, répondit-il. Je n'ai pas fait de panier depuis la fin de la saison, et je
voulaisvoirsij'étaisrouillé.Ashley sourit, radieusedans sonbustierblanc, ses sandales,avec sescréoles
quimettaientenvaleursesyeuxbleusetsescheveuxblonds.Elles'étaitchangéedepuis la findu tournoidevolley.Typique... laseule fille,àsaconnaissance,quiemportaittoujoursplusieurstenues,mêmepouralleràlaplage.Aubaldepromo,enmai,elles'étaitchangéetroisfois:unetoilettepourledîner,uneautrepourlasoirée dansante, et une troisièmepour l'after en petit comité. En fait, elle étaitcarrémentvenueavecunevaliseet,aprèsqu'elleeutposépourlapostéritéavecsonbouquet,Will avait dû charger la valisedans le coffre. Lamèred'Ashleynes'étonnaitpasdelavoiremporterautantd'affairespourunbalquepourunweek-end.Çadevaitêtregénétique...Unjour,Ashleyl'avait laisséjeterunœildansledressingdesamère:cettefemmedevaitposséderdanslesdeuxcentspairesdechaussures et un bon millier de tenues différentes ! Bref, sa penderie pouvaitconteniruneBuick.—Mais jeveuxpast'empêcherde jouer,repritAshley. Jem'envoudraisdete
faireperdreundollar.Willseretournaetvisal'anneau;laballerebonditdessus,heurtalepanneau,
puistombadanslefilet.Bravo!Encoredeuxetilremporteraitunprix.TandisqueleballonroulaitversWill,leforainobservaAshleyàladérobée,alors
quecelle-cinesemblaitmêmepasl'avoirremarqué.CommelaballetombaitunenouvellefoisdanslefiletetrevenaitversWill,ce
dernierlaramassaetinterpellaleforain:—Quelqu'unadéjàgagnéaujourd'hui?—Biensûr.Onadestasdegagnantstouslesjours,luiréponditl'hommetout
enlorgnantAshley.Riendesurprenant.Toutlemondelaremarquait.Enfait,elleattiraitlemoindre
individudotéd'unsoupçondetestostérone.Ashleys'avança,virevoltaets'adossaaustand,ensouriantdenouveauàWill.
Ladiscrétionn'étaitpassonfort.Aprèsavoirétésacrée «reinedubal»delarentrée,elleavaitgardésatiaretoutelasoirée.—T'asbienjouéaujourd'hui,dit-elle.Ettonservices'estamélioré.—Merci.—JecroisquetudevienspresqueaussibonqueScott.
—Çam'étonnerait.Scottjouaitauvolleydepuisl'âgedesixans.Willnes'yétaitmisqu'aprèssa
premièreannéedelycée.—Jesuisrapideetj'aiunebonnedétente,maisjemaîtrisepaslejeucomme
lui,ajouta-t-il.—Jetedisseulementcequej'aivu.Toutenseconcentrantsurl'anneaudupanier,Willsoufflaunpeuettentadese
détendre avant de tirer. C'est ce que lui disait toujours son entraîneur pour lelancerdecoupfranc...mêmesiçan'amélioraitpasforcémentsesperformances.Cettefois,enrevanche,ilavaitréussideuxpaniers.Coupsurcoup.—Qu'est-cequetuvasfairedelapeluchesitugagnes?s'enquitAshley.—J'ensaisrien.Tulaveux?—Uniquementsiçatefaitplaisir.Ilsavaitqu'ellepréféraitqu'il la luioffrespontanément.Aprèsêtresortideux
ansavecelle,Will la connaissait quasimentpar cœur. Il saisit la balle, souffla ànouveauetexécutasondernierlancer.Unpoiltropfort...etlaballerebonditsurlepanneauarrière.—T'yétaispresque,commentaleforain.Tudevraisretentertachance.—Jeconnaismeslimites...etlà,jesuisclaqué.—Tusaisquoi?Jetefaiscadeaud'undollar.Lestroislancerspourdeuxdollars.—Çava,merci.— Deux dollars et je vous laisse chacun tirer trois fois, insista le forain en
saisissantleballonpourl'offriràAshley.J'aimeraistevoirtentertachance.Ashleycontemplalaballed'unairinterloqué.—Jecroispas,non,repritWill.Maismerciquandmême,ajouta-t-ilavantdese
tournerverselle.TusaispassiScotttraînetoujoursdanslesparages?—IlestattabléàlabuvetteavecCassie.Entoutcas,c'estlàquejelesailaissés
pourpartiràtarecherche.Jecroisbienqu'elleluiplaît.Wills'enalladanscettedirectionetAshleyl'accompagna.—Ondiscutait tous les trois, reprit-elle commesi de rienn'était, et Scott et
Cassieontpenséqueceseraitsympaqu'onailletouschezmoi.MesparentssontàRaleighpour je sais plusquelle soiréeavec le gouverneur, alors ona lamaisonpournous.Willl'avaitsentivenir.—Çameditrien,dit-il.—Pourquoipas?Pourunefoisqu'onal'occasiondes'amuserdanslecoin.—Jetrouvepasquecesoitunebonneidée.— Parce qu'on a rompu ? J'ai jamais dit que je voulais qu'on se remette
ensemble.Voilà pourquoi tu as assisté au tournoi de volley. Tu t'es pomponnée... T'es
venue me chercher... Et t'as proposé qu'on aille chez toi, puisque tes parentsn'étaientpaslà.Même s'il le pensait, Will ne dit rien de tout ça. Il n'était pas d'humeur à
discuter,pasplusqu'ilnesouhaitaitcompliquerdavantagelasituation.Iln'avaitrienàreprocheràAshley...saufqu'ellen'étaitpasfaitepourlui,voilàtout.
—Jedoisallerbossertôtdemainmatin,etj'aipassélajournéeàjouerauvolleyenpleinsoleil,déclara-t-il.J'aijusteenvied'allermecoucher.Ellelesaisitparlebrasetleforçaàs'arrêter.—Pourquoituprendsplusmesappels?Ilrestamuet.Qu'aurait-ilpuluirépondre,aujuste?—Jeveuxsavoircequej'aifaitdemal,insista-t-elle.—Rien.—Alors,c'estquoi?Commeilsetaisaitencore,elleluidécochaunsourireimplorant.—Vienschezmoietonendiscutera,O.K.?Ilsavaitqu'elleméritaituneréponse.Lehic,c'estqu'ellen'avaitpasenviede
l'entendre.—Commejetel'aidit,jesuissimplementfatigué.—T'esfatigué!braillaScott.Tuluiasditquet'étaiscrevéetquetuvoulaisaller
tecoucher?—Untrucdanslegenre...—T'escingléouquoi?Attabléenfacedelui,Scottledévisageait.CassieetAshleyétaientdéjàparties
surlajetéepourdiscuter,etsansdoutepasseraucribletoutcequeWillavaitditàAshley,endramatisantinutilementunesituationquiauraitdûresterd'ordreprivé.Mais avec Ashley, la moindre broutille prenait une tournure dramatique. Scottsentaitbienqueceseraitcommeçatoutl'été.—Jesuisvraimentcrevé,ditWill.Pastoi?—Peut-êtrequet'aspasentenducequ'elleproposait.Cassieetmoi,Ashleyet
toi?Lamaisondesesparentssurlaplage?—Elleenparlé,enfait...—Alors,qu'est-cequ'onfoutlà...?—Jetel'aidit.Scottsecoualatête.—Non...tuvois,c'estçaquetupigespas.Tutesersdel'excuse«jesuisfatigué
»pourtesparents,quandilstedemandentdelaverlabagnoleoudedécollerdulitpouralleràlamesse.Paspouruneoccasioncommeça.Willrestamuet.MêmesiScottn'avaitqu'unandemoinsquelui—ilentrerait
enterminaleà l'automneau lycéeLaney—, ilsecomportaitsouventcommeunfrèreaînéSaufcefameuxsoiràl'église...—Tuvoisleforainlà-bas,celuiquitientlestandaveclepanneaudebasket?
Lui,jepeuxcomprendre.Ilestlàtoutelajournéeàessayerdefairejouerlesgens,histoiredegagnerunpeudefricpoursepayersabièreetsescigarettesaprèssontaf.C'estsimple.Pascompliquédutout.Mavien'arienàvoiraveclasienne,maisjepeuxcomprendre.Toi,enrevanche,jepigepas.Enfinquoi...t'asvuAshley?Elleestd'enfer.EllepourraitposerdansPlayboy.—Etalors?—Jeveuxdireparlàqu'elleestsexy.—Jesais.Onestsortisdeuxansensemble,t'asdéjàoublié?
—J'insinuepasquetudoisteremettreavecelle.Toutcequejepropose,c'estque tous les quatre onaille dans la baraquede sesparents, histoire de faire lafête...etonverrabiencequisepasse.Scotts'adossaàsonsiège,avantd'ajouter:—D'ailleurs... je comprends toujours pas pourquoi t'as cassé avec elle. C'est
évidentqu'elletienttoujoursàtoi,etentrevousdeuxçacollaithyperbien.Willsecoualatête.—Çacollaitpastantqueça.—Tul'asdéjàdit,maisçasignifiequoi,aujuste?C'estlegenre...cingléeouje
sais pas quoi, quand vous êtes ensemble ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Elle t'amenacéavecuncouteaudecuisine,ous'estmiseàhurlerauclairdelunequandvousétiezsurlaplage?—Non,çan'arienàvoir.Çan'apasmarché,c'esttout.—Çan'apasmarché,répétaScott.Non,maistut'entends,desfois?CommeWillnesemblaittoujourspasvouloircéder,Scottsepenchapar-dessus
latable.—Allez,monpote.Fais-lepourmoi,alors.Lâche-toiunpeu,bonsang.C'estles
vacances!Unpetiteffortpourlescopains,quoi...—T'esprêtàtout,àcequejevois.—Exact.Àmoinsquet'acceptesdeveniravecAshleycesoir,Cassievoudrapas
m'accompagnerlà-bas.Etonparled'unefillequ'estprêteàs'envoyerenl'air.—Désolé,maisjepeuxrienpourtoi.—Parfait.Grâceàtoi,mavieestfoutue.Çadérangepersonne,pasvrai?—Tut'enremettras...T'asfaim?—Unpeu,marmonnaScott.—Viens.Onvasecommanderdescheeseburgers.Willse levadetable,mais
Scottcontinuaitàbouder.—Faut que tu t'entraînes à récupérer la balle, reprit-il en faisant allusion au
matchdevolley.Tularenvoyaisdanstouteslesdirections.Sij'avaispasétélà,onnousauraitéjectésavantlafindutournoi.—Ashleym'aditquejedevenaisaussibonquetoi.Scottmaugréaenselevant.—Ellesaitmêmepasdequoielleparle!Après avoir fait la queue pour leurs hamburgers, Will et Scott passèrent au
standdes condiments, oùScott noya littéralement sonburgerdeketchup, et lasaucedébordaquandilrefermalepetitpain.—C'estécœurant,remarquaWill.—Alors,écouteça...Unjour,uncertainRayKrocalancéunesociétéappelée
McDonald. T'en as déjà entendu parler ? Peu importe... Sur son hamburgerd'origine—levraiburgeraméricain,figure-toi—,ilainsistépourqu'onajouteduketchup.Pourtedireàquelpointc'estimportantpourlasaveurdel'ensemble!—Surtout, ne t'arrête pas de parler. C'est passionnant. En attendant, je vais
chercheràboire.—Prends-moiunebouteilled'eau,tuveux?CommeWill s'éloignait, il vit un objet blanc passer sous ses yeux et filer en
direction de Scott, qui l'aperçut aussi et, d'instinct, s'écarta, lâchant son
cheeseburgerdanslafoulée.—Qu'est-cequiteprend?s'écriaScottenfaisantvolte-face.Parterregisaituncornetdefritesvideetfroisséenboule.Derrièrelui,Teddyet
Lance avaient lesmains dans les poches.Marcus se tenait debout entre eux etprenaitunairinnocent,maispersonnen'étaitdupe.—Jevoispasdequoituparles,dit-il.—Deça ! rétorquaScott avechargneen shootantdans le cornetpour le lui
renvoyer.Cefut letonemployé,seditWillpar lasuite,qui fitmonter latensionparmi
eux. Il sentit les poils de sa nuque se hérisser tandis qu'un bruissement quasipalpableseproduisaitdansl'atmosphèreambiante,annonciateurdeviolence.Àl'évidence,Marcuscherchaitlabagarre...EtprovoquaitScott.Will vit un père récupérer son fils et s'en aller, tandis qu'Ashley et Cassie,
revenuesdela jetée,sefigeaientsurplace,à l'écartdugroupe.Sur lecôté,WillreconnutGaladriel—ellesefaisaitappelerBlazeàprésent—quiapprochait.Lamâchoirecrispée,Scottlesfoudroyaitduregard.—Voussavez,jecommenceàenavoirmarredevosconneries!— Ah ouais ? Et tu vas faire quoi ? Ricana Marcus. Me balancer une fusée
d'artificeàlagueule?Ilenavaittropdit.TandisqueScotts'élançaitverslui,Willbousculadesgens
sursonpassageenvoulantrejoindresonami.Marcus ne bougea pas d'un pouce. Mauvais signe. Will savait qu'on pouvait
s'attendre à tout de la part deMarcus et sa bande... d'autant qu'ils étaient aucourantdecequeScottavaitfait.Danssarage,Scottneparutpass'eninquiéter.CommeWillsurgissait,Teddyet
Lance se déployèrent pour attirer Scott au milieu du groupe. Will tenta de lesrattraper,mais Scott était trop rapide, et soudain tout parut s'accélérer.Marcusrecula à peine, tandis que Teddy renversait un tabouret en forçant Scott àl'esquiverd'unbond.Ilpercutaunetableetlafittomber,puisrecouvral'équilibreet serra lespoings.Lancese rabattit sur lui.AlorsqueWill forçait lepassageetprenait sonélan, il perçut vaguement les gémissements d'un très jeuneenfant.CommeWillsetournaitversLance,ilvitsoudainunefilleselancerdanslamêlée.—Arrêtez!s'écria-t-elleenlevantlesmains.Çasuffit,voustous!Savoix se révélait si puissanteet si autoritairequeWill s'arrêtanet.Chacun
retint son souffle... et, dans le silence soudain, les cris du bambin redoublèrentd'intensité.Lafillevirevoltaendécochantunregardnoirauxgarçonset,dèsqueWillentrevitlamècheviolettedanssescheveux,ilserappelaoùill'avaitvue.Saufqu'elleportaitmaintenantuntee-shirtultralargeavecunpoissonimprimé.—Finilabagarre!Onarrêtetout!Vousvoyezpasquevousavezfaitmalàce
gamin?Elles'interposaalorsentreScottetMarcusetsepenchasurlegosseenlarmes,
quiavaitétérenversédanslabousculade.Ilavaitdanslestroisouquatreansetportaituntee-shirtorange.Elles'adressaà luid'unevoixdouce,avecunsourirerassurant.
—Toutvabien,moncœur?Oùesttamaman?Viens,onvalachercher,O.K.?Legaminsemblasefocaliseruninstantsurletee-shirtdelafille.—C'estNemo,dit-elle.Luiaussi,ils'estperdu.T'aimesbienNemo?Peuconcernéeparlatensionambiante,unefemmeavecunbébédanslesbras
sefrayaitunchemindanslafoule,encriantd'unairaffolé:—Jason?Oùes-tu?Vousn'avezpasvuunpetitgarçon?Blondavecuntee-
shirtorange?Lesoulagements'affichasursonvisagequandelleaperçutsonfils,qu'ellese
hâtaderejoindre.—Fautpastesauvercommeça,Jason!Tum'asfaitpeur.Tun'asrien?—Nemo,dit-ilenmontrantlafille.Lamèresetournaenlaremarquantpourlapremièrefois.—Merci...Ils'estéloignépendantquejechangeaislebébé,et...—Toutvabien,ditlafilleenhochantlatête.Iln'arien.Willregardalamères'enalleravecsesenfants,puissetournadenouveauvers
la fille et la vit sourire gentiment au bambin. Quand ils furent assez loin, ellesemblasoudainse rendrecompteque tout lemondeavait lesyeuxbraquéssurelle.Ellecroisalesbrasd'unairgêné,tandisquelesgenss'écartaientpourfaireplaceàunofficierdepolice.MarcusmarmonnaaussitôtquelquechoseàScottavantdese fondredans la
foule.TeddyetLancel'imitèrent.Blazetournalestalonspourleuremboîterlepas,maislafilleàlamècheviolettelaretintparlebras,àlagrandesurprisedeWill.—Attends?Vousallezoù?luicria-t-elle.—Bower'sPoint,réponditBlaze,quisedégageaenreculant.—C'estoù?—Descendssur laplageettufiniraspartrouver,ditBlazequis'empressade
rattraperMarcus.Lafilleparuthésiter.Entretempslatensionsedissipaitaussivitequ'elleétait
montéeunpeuplustôt.Scottredressalatableetletabouret,puissedirigeaversWillaumomentoùlafilleétaitrejointeparunhommequidevaitêtresonpère.—Ah,tevoilà!S’exclama-t-ild'untonmi-soulagémi-exaspéré.Ont'acherchée
partout.T'esprêteàrentrer?Lafille,quiregardaitBlazes'éloigner,n'étaitvisiblementpasraviedelevoir.—Non,répondit-ellesimplement.Surcesparoles,ellejouadescoudesparmilespromeneursetpritladirection
del'escaliermenantàlaplage.Unjeunegarçons'approchadupèreenluidisant:—Elledoitpasavoirfaim,j'imagine...L'hommelepritparl'épauleenregardantsafilledescendrelesmarchessans
seretourner.—Sansdoute,dit-il.—Non,mais t'as vu ça ? ExplosaScott enécartantWill de la scènequ'il ne
semblaitpaspouvoirquitterdesyeux.J'étaisàdeuxdoigtsdetabassercecinglé,ajouta-t-il,encoretoutexcitéparsamontéed'adrénaline.—Euh...ouais,réponditWill.JesuispassûrqueTeddyetLancet'auraientlaissé
faire.
—Ilsn'auraientriententé.Cesmecs,c'estquedelafrime.Willn'enétaitpascertain,maissegardadetoutcommentaire.Scottrepritsonsouffle.—Bougepas.Leflicsepointe.Le policier s'approcha d'eux lentement, tentant manifestement d'évaluer la
situation.—Qu'est-cequisepasse?—Rien,m'sieurl'agent,réponditScottd'untonréservé.—Onm'asignaléunebagarre.—Non,m'sieur.L'airsceptique,l'agentattendaitqueleslanguessedélient.NiScottniWillne
pipèrentmot.Surcesentrefaites,desclientsavaientenvahilestandàcondimentset s'affairaient sur leurs hamburgers. Le policier scruta tout ce petit monde,histoiredes'assurerqu'aucundétailneluiéchappait,puissonvisages'illuminaenreconnaissantquelqu'unquisetrouvaitderrièreWill.—C'esttoi,Steve?lança-t-il.Will le regarda s'avancer vivement vers le père de la fille. Ashley et Cassie
s'approchèrentalors.Cassieavaitlesjouestoutesrouges.—Tun'asrien?demanda-t-elle,unpeuagitée.—Toutvabien,réponditScott.— Ce gars est cinglé. Qu'est-ce qui s'est passé ? J'ai pas vu comment ça a
démarré.—Ilm'alancéuntruc,etj'aipasvoululelaisserfaire.Raslebol!Ils'imagine
quetoutlemondeapeurdeluietqu'ilpeuttoutsepermettre,maislaprochainefoisqu'ilmecherche...çaserapasjoliàvoir!Will ne l'écoutait déjà plus. Il fallait toujours que Scott la ramène... Idem
pendantlesmatchsdevolley,etWillavaitapprisdepuisbelleluretteàl'ignorer.Endétournantleregard,ilaperçutl'agentquibavardaitaveclepèredelafille.
Pourquoitenait-elletantàlefuir?EtàtraîneravecMarcus?Ellen'avaitpourtantrien de commun avec cette bande.Will se dit qu'elle ne devait sans doute passavoiroùellemettaitlespieds.TandisqueScottcontinuaitàjacasser,certifiantàCassiequ'ilauraitfacilement
puveniràboutdestroisgarçons,Willsesurpritàtendrel'oreillepourécouterlaconversationentrelepolicieretlepèredelafille.—Alors,Pete,quoideneuf?disaitcedernier.—La routine, répondit l'agent. Je faisdemonmieuxpourgarder la situation
souscontrôle.Etlevitrail,çaavance?—Lentement.—C'estcequetum'asréponduladernièrefois.—Ouais,maisj'aidésormaisunearmesecrète.C'estmonfils,Jonah.Ilvaêtre
monassistantcetété.—Ahouais?C'estbien,bonhomme...Et ta fille,ellen'étaitpascenséevenir
aussi,Steve?—Elleestbienlà.—Ouais,maiselleaencorefilé,ajoutalegamin.Elleestdrôlementenpétard
contrepapa.—Désolédel'apprendre...Willobservalepèrequipointaitunindexendirectiondelaplage.—Tuasuneidéedel'endroitoùilspourraientaller?L'officierplissalesyeuxen
balayantlagrèveduregard.—Bah...unpeun'importeoù, j'imagine.Mais ilyadeuxoutrois fauteursde
trouble dans le lot. Surtout Marcus. Tu n'as pas envie de voir ta fille en sacompagnie,crois-moi.Alors que Scott fanfaronnait encore devant une Cassie et une Ashley
subjuguées, Will fit comme s'il n'existait pas et éprouva l'envie soudained'interpeller l'officier depolice. Il savait que cen'était pas son rôled'intervenir,d'autant plus qu'il ne connaissait pas la fille et ignorait pourquoi elle avait filé.Peut-êtrequ'elleavaitdebonnesraisons...Maisenvoyantlepèredontl'inquiétudeselisaitsurlevisage,Willserappelalagentillesseetlapatienceaveclesquelleselles'étaitoccupéedugamin,toutàl'heure,etlesmotsluiéchappèrentmalgrélui:—ElleestpartieàBower'sPoint!Scotts'interrompitenpleinephrase,tandisqu'AshleylorgnaitWillenfronçant
lessourcils.Lestroisautresledévisagèrentd'unairconfus.—C'estbienvotrefille,non?Commelepèrehochaitlégèrementlatête,ilenchaîna:—EllevaàBower'sPoint.Lepolicierlefixaencore,puiss'adressadenouveauaupère.—Quand j'aurai terminé ici, j'irai luiparleret je tâcheraide laconvaincrede
rentreràlamaison,O.K.?—Tun'espasobligédefaireça,Pete.L'agentobservalegroupequimarchaitsurlaplage.—Jecroisqu'ilvautmieuxquej'intervienne.Sanspouvoirenexpliquerlaraison,Willéprouvaunétrangesoulagement.Cela
dut se voir sur son visage, car ses amis le dévisagèrent, intrigués, lorsqu'il setournaverseux.—Àquoitujoues,là?demandaScott.Willneréponditpas.Lui-mêmenecomprenaitpassonattitude.
6–Ronnie-D'ordinaire,Ronnieauraitsansdouteappréciécegenredesoirée.ÀNewYork,
avec toutes les lumièresde laville,onneparvenaitpasàvoirdistinctement lesétoiles dans le ciel, ici c'était tout le contraire. En dépit de la brume marine,Ronnie pouvait admirer la Voie lactée et, juste au sud, Vénus qui scintillait. Lesvagues s'enroulaient et se brisaient régulièrement sur la grève, tandis quevacillaientàl'horizonleslueursd'unedemi-douzainedecrevettiers.Maiscettesoiréen'avait riend'ordinaire.Deboutsur lavéranda,Ronnie lança
unregardnoiraupolicier.Elleétaitfurax.Rectification... pas furax, mais à deux doigts d'exploser. Elle venait d'être
victimede...surprotectionparentaleàlalimitedel'étouffement!Surlecoup,elleavaitsimplementenvisagéderejoindreenstoplagareroutière
laplusproche,puisderentreràNewYorkparlepremierbus.Ellen'enparleraitniàsonpèreniàsamère,maisappelleraitKayla.Arrivéelà-bas,elleaviserait.Peuimportesadécision,çaneseraitpaspirequecequ'ellevivaitencemoment.Maisc'étaitimpossible.Pasenprésencedel'agentPete.Il se tenait derrière ellemaintenant, histoire de s'assurer qu'elle entrait bien
danslamaison.Ronnien'enrevenait toujourspas.Commentsonpèreavait-ilpu lui faireune
chosepareille...àellequiétaitlachairdesachair?Quasimentadulte,ellen'avaitrienfaitdemal,etiln'étaitmêmepasencoreminuit.Alors,oùétaitleproblème?Ohbiensûr,audébutl'agentPeteavaitmaquilléçaeninterventionderoutine
pour les faire déguerpir deBower's Point— ce qui n'étonnait pas les autres—,maisensuiteils'étaitdirigédroitsurelle!—Jeteramènecheztoi,avait-ilannoncéens'adressantàRonniecommeàune
gaminedehuitans.—Non,merci,répondit-elle.—Danscecas,jevaisdevoirt'arrêterpourvagabondage,etc'esttonpèrequi
viendraterécupérerauposte.Ronnie crutmourir dehonteen comprenant soudainque sonpèreavait tout
manigancé.O.K.,elleavaiteudesproblèmesavecsamèreetnerespectaitpastoujoursla
permissiondeminuit.Mais jamais,pasuneseule fois, samèren'avait lancé lesflicsàsestrousses!Surlavéranda,l'officierdepoliceinterrompitsespensées.—Allez,entre,insista-t-ilenluifaisantcomprendrequesiellen'ouvraitpasla
porteils'enchargerait.Ronnieentenditlebruitétouffédupianoàl'intérieuretreconnutlaSonateen
mimineur d'Edvard Grieg. Elle prit une profonde inspiration avant d'ouvrir la
porte,puislafitclaquerenlarefermantderrièreelle.Sonpères'arrêtadejoueretlevalesyeuxsurelle,quilefusilladuregard.—Tum'ascarrémentenvoyélesflics?Sonpèreneditrien,maissonsilenceparlaitpourlui.—Commentt'aspumefaireça?Toujourspasderéponse.—C'est quoi, ton problème ? Tu veux pas que jem'amuse ? Tume fais pas
confiance?T'astoujourspaspigéquejevoulaispasvenir?Sonpèrejoignitlesmainssursesgenoux.—Jesaisquetun'aspasenvied'êtrelà...Ellefitunpasenavant,leregardtoujoursaussiassassin.—Alors,t'asdécidédem'empoisonnerlaviepar-dessuslemarché?—QuiestMarcus?—On s'en tape ! hurla-t-elle. Là n'est pas la question ! Tu vas pas surveiller
chaquepersonneàlaquellej'adresselaparole...Etn'essayemêmepas,d'abord!—Jen'essayepas...—Jedétesteêtreici!T'aspascompris?Etjetedétesteaussi!hurla-t-elleenle
défiant,dansl'espoirqu'illacontredisepourpouvoirleluirépéter.Maissonpèresetutunefoisdeplus.Elleavaithorreurdecegenredefaiblesse.
De rage, elle traversa la pièce pour rejoindre l'alcôve, s'empara de la photo lareprésentantentraindejouerdupiano—celleavecsonpèreauprèsd'ellesurletabouret—etlalançaàtraversleséjour.Ilsursautalégèrementausonduverrequisebrisait,puisrestamuet.—Benquoi?T'asrienàdire?Ils'éclaircitlavoix,puis:—Tachambreestlapremièresurladroite.Sansmême legratifierd'uneremarque,ellepartitentrombedans lecouloir,
biendécidéeàneplusrienavoiràfaireaveclui.—Bonnenuit,mapuce!lança-t-il.Jet'aime.Unbrefinstant,justequelquessecondes,elles'envoulutdesesparolesdures
pour son père, mais ses regrets s'évanouirent aussitôt. À croire qu'il ne s'étaitmême pas rendu compte de la colère de Ronnie... Elle l'entendit se remettre àjouer,enreprenantlemorceauàl'endroitprécisoùils'étaitarrêté.Danslachambre—facileàtrouver,vuqu'iln'yavaitquetroisportesdansle
couloir,dontunepourlasalledebainsetl'autrepourlachambredesonpère—,Ronniealluma la lumière.Enpoussantunsoupir rageur,elleôtaceridicule tee-shirtNemoqu'elleavaitpresqueoublié.Ellevenaitdevivrelapirejournéedesonexistence.Bon,O.K...Ronnien'étaitpasidioteetsavaitpertinemmentqu'elledramatisait.
Malgré tout, elle avait connu des joursmeilleurs. La seule chose sympa de cesdernièresvingt-quatreheures,sa rencontreavecBlaze...Elleespéraitdoncavoiraumoinsquelqu'unavecquipasserdutempscetété.Ensupposant,biensûr,queBlazeaittoujoursenviedelafréquenter.Aprèsla«
descentedepolice»organiséeparsonpère,Ronniepouvaitendouter.Blazeetlerestede labandedevaientencoreendiscuter.Etenrigoler!C'était legenrede
trucqueKaylaluiressortiraitpendantdesannées.Toutça luidonnait lanausée.Elle jeta le tee-shirtNemodansuncoin—elle
n'étaitpasprèsdeleremettre,celui-là!—,puiscommençaàôterletee-shirtduconcertqu'elleavaitgardéendessous.—Avantqueçamedégoûtetrop,jetepréviensquandmêmequejesuislà...RonniefitunbondendécouvrantJonahquilaregardait.—Dégage!hurla-t-elle.Qu'est-cequetufaislà?C'estmachambre!—Non,c'estnotrechambre,précisa-t-il.Tuvois?Ilyadeuxlits,ajouta-t-ilen
lesmontrant.—Pasquestionquejepartagelamêmepiècequetoi!Ilpenchalatêtesurle
côté.—T'asl'intentiondedormirdanslachambredepapa?Elleouvritlabouchepourrépliquer,envisageades'installerdanslesalon...puis
réalisaaussitôtqu'ellen'allaitpasyretourneretrefermalabouchesanspipermot.Elles'approchadesavaliseentapantdupied,l'ouvritentirantd'uncoupsecsurlafermetureÉclair.AnnaKarénineétaitposésursesaffaires;elleécartal'ouvrageetcherchasonpyjama.— Je suis monté sur la grande roue, reprit Jonah, histoire de parler. C'était
sympadeseretrouverlà-haut.C'estcommeçaquep'pat'aretrouvée.—Super.—C'étaitgénial.T'yesmontée?—Non.—T'auraisdû.Jevoyaistoutjusqu'àNewYork.—Çam'étonnerait.—Biensûrquesi.Jevoisdrôlementloin.Avecmeslunettes,biensûr.P'padit
quej'aidesyeuxdelynx.—Ouais,c'estça...Jonahsetutetsaisitlenounoursqu'ilavaitapporté.Celuiqu'ilserraitfortdans
sesbraspourserassurerquandilperdaitpied,etRonniegrimaçaenregrettantsesparoles. Parfois, son frère s'exprimait de telle manière qu'on s'imaginait avoiraffaireàunadulte;mais lorsqu'ilagrippasonnounours,ellesutqu'ellen'auraitpasdûluiparleraussidurement.Bienqu'ilsoitprécoce,avecunelangueparfoisunpeutropbienpendue,ilétaitplutôtpetitpoursonâgeetonluidonnaitsixouseptansaulieudedix.Ilétaitnédeuxmoisavantterme,avecdel'asthme,unemauvaisevueetdespetitsproblèmesdecoordinationmotrice.Ronniesavaitquelesgossesdesaclassesemontraientparfoiscruelsenverslui.—C'estpasceque jevoulaisdire, reprit-elle.Avectes lunettes,c'estsûrque
t'asdesyeuxdelynx.—Ouais,j'yvoismieuxmaintenant,marmonna-t-il.Mais quand il s'allongea et se tourna vers le mur, elle eut un nouveau
pincement au cœur. C'était un brave gamin. Un vrai casse-pieds parmoments,maispasbienméchant,aufond.Elles'approchadulitdesonfrèreets'assitàcôtédelui.— Excuse-moi... Je voulais pas te vexer. J'ai passé unemauvaise soirée, c'est
tout.
—Jesais.—T'esmontésurlesautresmanèges?—P'pam'aemmenépresquepartout.Ilafaillivomir,maismoinon.Etdansla
maison hantée, j'aimême pas eu peur. Je voyais bien que les fantômes étaientfaux.Elleluitapotalacuisseendisant:—T'astoujoursétésupercourageux.—Ouais.Commelejouroùyaeulapanned'électricitédansl'appart?T'avais
latrouillecesoir-là.Ben,pasmoi.—Jemesouviens.Laréponsedesasœurparutlesatisfaireetilsetut.Quandilrepritlaparole,il
murmuraitpresque:—M'mantemanque?—Ouais,admitRonnie.—Ellememanqueunpeuàmoiaussi.Etpisçameplaisaitpas tropdeme
retrouvericitoutseul.—P'padortdansl'autrechambre.—Jesais.Maisjesuisquandmêmecontentquetusoisrentrée.—Moiaussi.Ilsourit,puissonvisages'assombritànouveau.—Tucroisquem'manvabien?— Elle va très bien, lui assura-t-elle, en remontant les couvertures pour le
border.Maisjesaisquetuluimanquesaussi.Lelendemain,commelesoleiljouaitàcache-cacheàtraverslerideau,Ronnie
mitquelques secondesavantdecomprendreoùelleétait.Elle se redressapourlorgnerleréveilenpapillonnantdespaupières.J'hallucine!Huitheuresdumatin?Enpleinété?Elleselaissaretomberlourdementsur lesoreillers,pourseretrouverlesyeux
grands ouverts à contempler le plafond, sachant déjà qu'elle ne pourrait plusdormir.Pasaveccesrayonsdesoleilquitransperçaientlesvitrescommedespicsàglace!Etsonpèrequipianotaitdéjàcommeunmaladeausalon!Elleserappelaalorsl'épisodedelaveilleausoiretsacolèrerefitsurface.Unenouvellejournéederêves'annonçait...Parlafenêtre,Ronnieperçutauloinunrugissementdemoteurs.Elleselevadu
litetécartalerideau,avantdefaireaussitôtunbondenarrière...surpriseparlavued'unratonlaveurjuchésurunsacpoubelleéventré.Silesordureséparpilléesladégoûtaient,enrevanche,elletrouvaitl'animalmignon,aussitapota-t-ellesurlecarreaupourtenterd'attirersonattention.Cefutseulementàcetinstantqu'elleremarqualesbarreauxàlafenêtre.Desbarreaux!Jesuispriseaupiège...Serrantlesdents,ellefitvolte-face,sortitdesachambrecommeunefuriepour
rejoindre le séjour. Jonah regardait des dessins animés enmangeant un bol decéréales;sonpèrejetaunœilsurelle,maiscontinuadejouer.Lesmainssurleshanches,Ronnieattenditqu'ils'arrête.Envain.Elleremarqua
aupassageque laphotoqu'elleavait jetéeàterreavaitretrouvésaplacesur lepiano,maissansleverre.—Tupeuxpasmegarderenferméetoutl'été,dit-elle.C'esthorsdequestion!Sonpèrerelevalatête,sanspourautantcesserdejouer.—Maisdequoituparles?—T'asmisdesbarreauxàlafenêtre!Commesij'étaistaprisonnière?Toutenregardantsondessinanimé,Jonahmitsongraindesel:—Jet'aiditqueçalarendraitfolle.Stevesecoualatête,sesmainspianotanttoujourssurleclavier.—C'estpasmoiquilesaiinstallés.Ilsfaisaientdéjàpartiedelamaison.—Jetecroispas.—C'estvrai,intervintJonah.Pourprotégerlesœuvresd'art.—Toi,jet'aipassonné!lâcha-t-elleavantdes'adresserànouveauàsonpère.
Quecesoitbienclair!Tuvaspaspasserl'étéàmetraitercommesij'étaisencoreunegamine!J'aidix-huitans!—Tulesauraspasavantle20août,observasonfrèredanssondos.—Tu veux bien rester en dehors de tout ça ! lui cria-t-elle en se retournant.
C'estunediscussionentrepapaetmoi.Jonahplissalefront.—M'enfin,t'aspasencoredix-huitans...—C'estpasleproblème!—J'aicruquet'avaisoublié...—J'aipasoublié!Jesuispasidiote.—Maistuasdit...— Tu veux bien la boucler deux secondes ? rétorqua-t-elle, incapable de
masquersonexaspération.(Sonregardrevintsursonpèrequijouaittoujours,sansraterlamoindrenote.)Cequet'asfaithiersoir,c'était...Elles'interrompit,àcourtdemotspourqualifiercequ'elleavaitl'impressionde
vivredepuissonarrivée,puisenchaîna:—Jesuisassezgrandepourprendremespropresdécisions.Çatedépasseou
quoi?T'asrenoncéaudroitdemedirecequejedevaisfairelejouroùt'esparti.Est-cequetuveuxbienm'écouter,s'ilteplaît?Sonpèrecessatoutàcoupdejouer.—J'aimepastroptonpetitmanège.—Quelmanège?S’enquit-il,visiblementconfus.—Ça!Tujouesdupianochaquefoisquejesuislà.Çam'estégalquetucrèves
d'enviedemevoirjouer.Jenerejoueraiplus.Surtoutpaspourtoi!—O.K.Elleattenditlasuite...quinevintpas.—C'esttout?demanda-t-elle.T'aspasautrechoseàdire?Sonpèreparutréfléchir,puis:—Tuveuxprendretonpetitdéjeuner?J'aifaitgrillerdubacon.—Dubacon?répéta-t-elle.T'asfaitgrillerdubacon?—Oh,oh...,fitJonah.Lepèreetlefilséchangèrentunregard.—Elleestvégétarienne,p'pa,expliquaJonah.
—Vraiment?ditSteve.Jonahréponditpoursasœur:—Depuistroisans.Maiselleestbizarreparfois,alorsfautpass'étonner.Ronnielesdévisageaàtourderôle,interloquéequ'onpuissedétournerainsila
conversation.Iln'étaitpasquestiondebacon,maisdelasoiréedelaveille!—Entoutcas,reprit-elle,sachequesiparmalheurtuenvoiesencoreunefoisla
policepourmerameneràlamaison,nonseulementjerefuseraidejouerdupianoetderentrer...maisjenet'adresseraiplusjamaislaparole.Etsitumecroispas,ben t'as qu'à essayer ! J'ai déjà passé trois ans sans te dire un mot, etfranchement,yariendeplussimple!Surcesparoles,ellequittalapièceentapantdupied.Vingtminutesplustard,
aprèss'êtredouchéeetchangée,ellefranchissaitlaported'entrée.Enmarchantsurlesable,elleregrettaaussitôtdenepasavoirmisunshort.Il fait déjà chaud et l'air était chargé d'humidité. Sur la plage, des gens se
prélassaientsurleursserviettesoujouaientdanslesrouleaux.Prèsdelajetée,ellerepéraunedizainedesurfeursquiflottaientsurleursplanches,dansl'attentedelavagueparfaite.Unpeuplushaut, lafêteforaineavaitdisparu.Manègesetstandsavaientété
démontéspourne laisserquedesdétritus.Ronniesemiten routeets'aventuradanslepetitquartiercommerçantdelaville.Aucundesmagasinsn'étaitencoreouvert,maisellenemettraitjamaislespiedsdanslaplupartd'entreeux...Bazarde plage pour touristes, deux ou trois boutiques avec des fringues qui auraientéventuellementpluàsamère,ainsiqu'unBurgerKingetunMacDo,deuxendroitsoùellerefusaitd'entrerparprincipe.Ajoutezàcelaunhôteletunedemi-douzainederestaurantsetdebarshautdegamme,etvousaviezquasimentfaitletourducentre-ville.Endéfinitive,lesseulscommerceslocauxintéressantsselimitaientàunmagasinpour le surf, undisquaireet un snackà l'ancienne, qu'elle pourraitfréquenteravecsesamis...sid'aventureelles'enfaisait.Elle revint vers la plage et descendit la dune, en notant au passage que le
nombredesbaigneursavaitdécuplé.Letempsétaitmagnifique,avecunelégèrebrise, le ciel d'un bleu profond et sans nuages. Si Kayla l'avait accompagnée,Ronnieauraitmêmeenvisagédepasserlajournéeausoleil.Toutefois,Kaylan'étaitpaslàetRonnien'allaitpasenfilersonmaillotets'asseoirtouteseulesurlesable.Maisquefaired'autredanslecoin?Peut-êtrequ'ellepourraitessayerdetrouverunjob.Çaluidonneraituneexcuse
poursortir.Cependant,ellen'avaitvuaucuneaffichettedanslesvitrinesducentre-ville,indiquantqu'ilscherchaientdupersonnel.Ilyavaitforcémentquelqu'unquiembauchait,non?—T'esrentréesansencombre?Oubienleflict'afaitdesavances?RonniesetournaetvitBlazequil'observaitduhautdeladune.Perduedansses
pensées,ellenel'avaitmêmepasremarquée.—Non,ilm'apasdraguée.—Oh,alorsc'esttoiquiluiasfaitdesavances?Ronniecroisalesbras.—Çayest...T'asfini?Blazehaussalesépaulesd'unairespiègleetRonniesourit.
—Alors, qu'est-cequi s'est passé aprèsmondépart ?Vous avez fait un trucsympa?—Non. Les gars sont partis je sais pas trop où. Etmoi j'ai fini par pieuter à
Bower'sPoint.—T'espasrentréecheztoi?—Non,ditBlazequiserelevaenépoussetantsonjean.T'asdel'argent?—Pourquoi?—J'airienavalédepuishiermatin.J'aiunpeuladalle.
7–Will-Vêtu de sa combinaison et debout dans la fosse sous le Ford Explorer, Will
regardaitl'huiles'écouler,toutenfaisantdesonmieuxpourignorerScott.Facileàdire...Depuisqu'ilsétaientarrivésau travail cematin,Scottn'arrêtaitpasde lerelancersurlasoiréedelaveille.—T'avaisunevisioncomplètementfaussedelasituation,figure-toi,continua-t-
il en changeant de tactique, tandis qu'il récupérait trois bidonsd'huile pour lesposersurl'étagèrevoisine.Ilyaunedifférenceentrepasserlanuitensembleetseremettreencouple.—Onn'apasencorefaitletourdelaquestion?—Lesujetseraitclossi tufaisais fonctionnertesneurones.Maisd'aprèsmoi,
c'estévidentquet'étaispaumé.Ashleyn'apasenviedeseremettreavectoi.—J'étaispaspaumédutout,affirmaWillens'essuyantlesmainsàl'aided'une
serviette.C'estexactementcequ'ellem'ademandé.—C'estpascequem'aditCassie.Willposasaserviettedecôtéets'emparadesabouteilled'eau.L'atelierdeson
pèreétaitspécialisédanslaposedeplaquettedefreins,lesvidanges,lesrévisionset l'équilibrage des roues avant-arrière, et son père tenait à ce que l'endroitdemeured'unepropretéétincelante.Malheureusement, il ne jugeait pas la climindispensable,etenétélatempératureoscillaitentrecelledudésertdeMojaveetduSahara.Willbutunelonguegorgéeetterminalabouteille,avantdetenterunenouvelle fois de se faire comprendre de Scott. Ce dernier se révélait de loin lapersonne la plus têtue qu'il ait jamais connue. Ce gars pouvait réellement lerendredingue.—TuconnaispasAshleyautantquemoi,soupira-t-il.Enplus,c'estbeletbien
finientreelleetmoi.Jecomprendspaspourquoitut'acharnesàparlerdeça.—ÀpartlefaitqueHarryn'apasrencontréSallyhiersoir,tuveuxdire?Parce
que je suis tonpoteet je veuxque tu soisbiendans tapeau. J'ai envieque tuprofitesdecetété.Etmoiaussi...etsipossibleenm'éclatantavecCassie.—Alors,sorsavecelle!—Si seulement c'était aussi simple. J'ai bien tenté le couphier soir, tu vois.
MaisAshleyétaittellementretournéequeCassien'apasvoululalaisserseule.—Jesuisfranchementdésoléqueçan'aitpasmarché.—Mouais,tuparles...À présent, l'huile s'était complètement écoulée. Will saisit les bidons et
remonta les marches, tandis que Scott restait dans la fosse pour dévisser lebouchonetviderl'huileuséedanslacuvederécupérationpourrecyclage.CommeWillouvraitunpremierbidonetdisposaitl'entonnoir,il jetaunœilàsonamiencontrebas.
—Aufait,t'asvulafillequiainterrompulabagarre?Cellequis'estoccupéedugossequelamèrecherchaitpartout?Scottmitunpetitmomentàseremémorerl'épisode.—Tuparlesduvampireavecletee-shirtdedessinanimé?—C'étaitpasunvampire.— Ouais, je l'ai vue. Plutôt petite, avec une atroce mèche violette dans les
cheveux, du vernis noir sur les ongles ? T'as renversé son soda sur elle, tu terappelles?Elleadûtrouverquetusentaismauvais.—Quoi?Toutenvérifiantlecarter,Scottrepritlaparole:— Je dis seulement que t'as pas remarqué son expression après l'avoir
bousculée,maismoisi!Elleétaitpresséedemettrelesvoiles.Tudevaispuerdubec,jeparie.—Elleestallées'acheteruntee-shirt.—Etalors?Willajoutaledeuxièmebidond'huile.—Ben...jesaispas.Ellem'aétonné,c'esttout.Etc'estlapremièrefoisqueje
lavoisdanslecoin.—Jerépète.Etalors?Lehic,c'estqueWillignoraitaujustecequeluiinspiraitcettenana.D'autant
qu'ilensavaittrèspeusurelle.O.K.,elleétaitjolie—il l'avaitremarquétoutdesuite,malgrélamèchevioletteetlemascarasombre—,maislaplagegrouillaitdejolies filles.Cen'étaitpasnonplusson interventionpourstopper labagarrequil'avaitfrappé.Enrevanche,ilnecessaitdeseremémorerladouceuraveclaquelleelles'étaitoccupéedupetit.Willavaitentrevuunesurprenantetendressesouslafaçaderebelle,etçaavaitaiguisésacuriosité.Elle n'était pas du tout comme Ashley. Non pas qu'Ashley soit quelqu'un de
mauvais...maisellen'enrestaitpasmoinsunefilleplutôtsuperficielle,mêmesiScott ne voulait pas le croire. Dans le petit monde d'Ashley, chaque chose etchaquepersonneétaitclasséedansuneboîteavecuneétiquette«populaireoupassympa»,«cheroubonmarché»,«richeoupauvre»,«beauoumoche».EtWillavaitfiniparselasserdesesjugementsdevaleuràl'emporte-pièce.Lafilleàlamècheviolette,enrevanche...Ilcompritd'instinctqu'elle fonctionnaitdifféremment. Ilnepouvait l'affirmer,
biensûr,maisl'auraitvolontiersparié.Ellenemettaitpaslesgensdansdescases,parce qu'elle-même refusait d'appartenir à telle ou telle classification, et cecomportementnouveauauxyeuxdeWillluifaisaitl'effetd'uneboufféed'airfrais,surtouts'il lacomparaitauxnanasqu'ilavaitconnuesau lycéeLaney.Ashleyentête.Bienqu'ilaitdutravailaugarage,lesouvenirdecettefillerevenaitdetempsà
autrelehanter.Plussouventqu'ilnel'auraitcru.Pastout le temps...maisassezpourqu'ilsongeàvouloir laconnaîtreunpeu
mieux.EtWillsedemandamalgréluis'illareverrait.
8–Ronnie-Blaze l'entraîna dans le snack que Ronnie avait repéré en se promenant, et
celle-ci reconnut que l'établissement nemanquait pas de charme, surtout si onaimaitlesannéescinquante.Uncomptoiràl'anciennebordédetabourets,unsolcarrelénoiretblancetdesboxenSkaïrougeuséquisefendillait.Derrièrelebar,lemenuétaitécritsuruneardoise,et,àcequeRonniepouvaitenjuger,seulslestarifsavaientdûchangerdepuisunetrentained'années.Blaze commanda un cheeseburger, unmilk-shake au chocolat et des frites ;
incapablede sedécider,Ronnie finit par se contenterd'unDietCoke.Elle avaitfaim, mais doutait de la qualité de l'huile utilisée dans la friteuse... Êtrevégétarienne ne lui facilitait pas la vie, à tel point qu'elle avait parfois envied'abandonner.Surtoutlorsquesonestomacgrondait.Commeencemoment.Maisellenes'alimenteraitpasdanscetendroit.Nonpasparcequ'elleétaitdu
genre végétarienne-par-principe, mais plutôt végétarienne-qui-n'a-pas-envie-d'être-malade.Lesautrespouvaientmangercequ'ilsvoulaient,elles'enmoquait...maischaquefoisqu'ellesongeaitàlaprovenancedelaviande,elleimaginaitunevachedansuneprairieouBabelecochon,etçaluicollaitlanausée.Blazesemblaittoutecontente,enrevanche.Aprèsavoirpassécommande,elle
s'adossaàlabanquette.—Commenttutrouvesceresto?S’enquit-elle.—Sympa.Unpeudécalé.—Jeviensicidepuistoutegamine.Monpèrem'yemmenaitledimancheaprès
lamesseetm'offraitunmilk-shakeauchocolat.C'est lesmeilleursdans lecoin.LespatronsachètentleurcrèmeglacéedansunepetiteboîtedeGéorgie,maiselleestd'enfer.Tudevraisenprendreun.—J'aipasfaim.—Menteuse, répliqua Blaze. J'ai entendu ton ventre gargouiller,m'enfin peu
importe...Tantpispourtoi.Mercidem'inviter,aufait.—Oh,c'estrien...Blazesouritetreprit:— Bon alors, qu'est-ce qui s'est passé hier soir ? T'es... genre quelqu'un de
célèbreouuntruccommeça?—Pourquoitudemandesça?—Àcauseduflicquit'apriseàpart.Ilapasagisansraison.Ronniegrimaça.—Jecroisquemonpèreluiavaitdemandédevenirmechercher.Cetypesavait
mêmeoùj'habitais.—J'échangeraispasmaplacecontrelatienne.Çacrainttrop.
Comme Ronnie éclatait de rire, Blaze s'empara de la salière. Après avoirrenverséunpeudeselsurlatable,elleformaunpetittasaveclesdoigts.—Qu'est-cetupensesdeMarcus?demanda-t-elle.— J'ai pas vraiment discuté avec lui. Pourquoi ? Blaze parut choisir sesmots
avecsoin.—Marcusnem'a jamaisappréciée,dit-elle.Quand j'étaisplus jeune, jeveux
dire.Moi-même,jementiraissijedisaisquejeletrouvaissympa.Ilétaittoujoursunpeu...mauvais,tuvois?Etpuis,jesaispas...ilyadeuxoutroisans,leschosesontchangé.Etquandj'aivraimenteubesoindequelqu'un,ilaétélàpourmoi.Ronnieobservaitlepetittasdeselquigrossissait.—Et?—Jetenaisàcequetulesaches,c'esttout.—O.K.,ditRonnie.Enfin...peuimporte.—Toiaussi?—Qu'est-cequeturacontes?Toutengrattantlevernisnoirdesesongles,Blazepoursuivit:—Dansletemps,jeparticipaisàdeschampionnatsdegymetpendantquatre
oucinqansç'aétéletrucleplusimportantdemavie.J'aifiniparabandonneràcause de mon entraîneur. Il était vachement dur, toujours à te reprocher teserreurs,maisjamaisuncomplimentquandturéussissaistonenchaînement.Bref,un jourque j'exécutaisunesortie,aprèsavoir finimesexercicessur lapoutre, ils'estavancéetm'agueulédessus,enmedisantquejem'étaismalréceptionnée,qu'yfallaitquejem'immobilise,etdestasdetrucsquej'avaisentendusunmilliondefois.J'enaieumarre,tuvois?Alors,jeluiaisimplementdit«Peuimporte»,etilm'aattrapéparlebrastellementfortquej'enaieudesbleus.Ilm'arétorqué:«Tusaiscequeçasignifie,quandtumebalances"Peuimporte!"àlafigure?C'estunefaçoncodéedemedire"Vatefairefoutre!"Etàtonâge,c'estpaslegenredechosesqu'onrépliqueàn'importequi...»Alors,maintenant,quandquelqu'unmedit«Peuimporte»,jeréponds«Toiaussi».Aumêmemoment,laserveuseleurapportalacommande,qu'elledisposaavec
grâceetprécisionsurlatable.Quandelles'éloigna,Ronnies'emparadesonsoda.—Mercipourl'anecdotequiremontelemoral.—Peuimporte.Ronnies'esclaffa.Décidémentelleappréciaitsonsensdel'humour.Blazesepenchaalorsverselleendisant:—C'estquoi,lachoselapirequet'aiesjamaisfaite?—Pardon?—Sérieux.Jeposetoujourscettequestionauxgens.Jetrouveçaintéressant.—O.K...Toid'abord.—Oh,fastoche.Quandj'étaispetite,j'avaisunevoisine...MmeBanderson.Pas
franchementaimable,maispas lavieille sorcièrenonplus.Quandmêmepas legenre à se barricader chez elle pour Halloween quand on venait réclamer desbonbons...maisbon,hypermaniaqueavecsonjardin,tuvois?Etsapelouse!Sionavait le malheur de la traverser en allant prendre le bus scolaire, elle sortaitcomme une furie de chez elle et braillait qu'onmassacrait l'herbe. Un jour, au
printemps,elle aplantédes tasde fleursdans son jardin. Par centaines.C'étaitmagnifique.EnfacedechezellehabitaitungaminnomméBilly,quiluinonplusne l'aimait pas trop... parce qu'une fois sa balle de base-ball avait atterri dansl'arrière-courdecettebonnefemme,etelleavaitpasvoululaluirendre.Alors,unbeau jour que Billy et moi on farfouillait dans la remise de son jardin, on esttombés sur ce gros vaporisateur de Roundup. Le désherbant, tu sais ? Et lelendemain,àlanuittombée,ons'estfaufiléschezelleetonaaspergétoutessesnouvellesfleursavecleproduit...Nemedemandepascequinousapris.J'imaginequ'à l'époque on s'est dit que ce serait marrant. Rien de bien grave. Suffisaitqu'elleenachèted'autres,pasvrai?Surlecoup,ças'estpasvu,biensûr.Ilafalluattendreunmomentpourqueçafassedel'effet.EtMmeBandersoncontinuaitàs'enoccuperchaquejour,àlesarroseretàarracherlesmauvaisesherbes,jusqu'àcequ'elleremarquequetoutessesfleursflétrissaient.Audébut,Billyetmoi,çanousfaisaitrigoler,etpuisjemesuisrenducomptequ'elleétaitdevantchezelleaudépartetauretourdubusscolaire,commesiellesedoutaitd'untruc...Bref,àlafindelasemaine,toutessesfleursavaientcrevé.—C'esthorrible!s'exclamaRonnie,engloussantmalgréelle.—Jesais.Etjem'enveuxencore,quandj'yrepense.Çafaitpartiedeschoses
demonpasséquej'aimeraispouvoirsupprimer.—Tuluiasjamaisdit?Out'aspasproposéderemplacerlesfleurs?—Mesparentsm'auraienttuée.Maisj'aiplusjamaistraversésapelouse.—Waouh...—Àtontour,maintenant.Ronniepritletempsderéfléchir.—J'aipasparléàmonpèrependanttroisans.—Jelesaisdéjà.Etc'estpassiterrible.Commejetel'aidit,moiaussij'évitede
parleràmonpère.Et,laplupartdutemps,mamèren'apasidéedel'endroitoùjemetrouve.RonniedétournalesyeuxetdécouvrituneaffichedeBillHaleyandTheCornets
au-dessusdujuke-box.—Dansletemps,jevolaisdansdesmagasins,avoua-t-elleenbaissantlavoix.
Beaucoup.Pasdestrucsdéments.Justepourmefairedesfrayeurs.—Dansletemps?—Jelefaisplus.Jemesuisfaitpiquer.Deuxfois,àvraidire,maisladeuxième,
c'était un accident. Je suis passée au tribunal, et ça reste dans mon casierjudiciairependantunan.Pourl'essentiel,çaveutdirequesijemetiensàcarreau,laplainteseraretirée.Blazereposasonburger.—C'esttout?C'estlapirechosequet'aiesjamaisfaite?—Jen'aijamaisfaitcreverlesfleursdequelqu'un,sic'estcequetuveuxdire.
Ouvandaliséquoiquecesoit.—T'asjamaiscollélatêtedetonfrangindanslacuvettedestoilettes?Bousillé
lavoituredetesparents?Tondulechatoujesaispasquoi?Ronniegrimaçaunsourire.—Ben...non.
—T'essansdoutel'adolamoinsdrôledumonde.Ronniepouffadeplusbelleetbutunegorgéedesoda.—Jepeuxteposerunequestion?—Vas-y.— Pourquoi t'es pas rentrée chez toi hier soir ? Blaze prit une pincée du sel
qu'elleavaitmisentasetensaupoudrasesfrites.—J'avaispasenvie.—Ettamère?Çalarendpasfolle?—Sûrement...Sur le côté, la porte du snack s'ouvrit et Ronnie se tourna pour découvrir
Marcus,Teddyet Lancesedirigeantvers leurbox.Marcusportaitun tee-shirtetunechaîneattachéeàunpassantdelaceinturedesonjean.Blazeglissasurlabanquettepourluifairedelaplace,maisbizarrementcefut
Tedquis'installaàsoncôté,tandisqueMarcuss'assittoutprèsdeRonnie.CommeLance prenait une chaise à une table voisine et la retournait avant de s'asseoirfaçon cavalier, Marcus tendit la main vers l'assiette de Blaze. Teddy et Lances'attaquèrentaussitôtauxfrites.—Hé,c'estpourBlaze!s'écriaRonnieententantdelesempêcher.Allez-vous
encommander!Marcuslesdévisageaàtourderôle.—Ahouais?— Pas de problème, dit Blaze en poussant l'assiette vers lui. Vraiment. Je
pourraipastoutmanger,detoutemanière.Marcus s'empara du ketchup d'un air sûr de lui, signifiant qu'il avait obtenu
gaindecause.— Alors, vous discutiez de quoi, les filles ? À travers la vitrine, ça avait l'air
passionnant.—Riendespécial,déclaraBlaze.—Laisse-moideviner.Elleteparlaitdupetitcopainsexydesamèreetdeleurs
séances de gym nocturnes, pas vrai ? Blaze se trémoussa avec gêne sur labanquette.—Soispasvulgaire.MarcusregardaRonniedroitdanslesyeux.—Blazet'aracontélafoisoùl'undescopainsdesamères'estglissédanssa
chambre?Samèreluiabalancéuntrucgenre:«T'asunquartd'heurepourtebarrer!».—Boucle-la,O.K.?C'estpasmarrant.Etpisonparlaitpasdelui.—Peuimporte,ricana-t-il.Blazeattaquasonmilk-shake,tandisqueMarcusentamait leburger.Teddyet
Lance continuèrent à manger les frites et, en quelques minutes, tous les troisavaientdévorélecontenudel'assiette.SousleregardconsternédeRonnie,Blazeneditrien...EtRonnienecomprenaitpaspourquoi.Ouplutôt,si...Àl'évidence,BlazenevoulaitpascontrarierMarcus,alorsellele
laissaitfairecequ'ilvoulait.Ronnieavaitdéjàobservécegenred'attitude.Kayla,parexemple,mêmesielleselapétait«fillelibérée»,secomportaitdelamême
façonaveclesmecs.Etengénéral,ilslatraitaientplusbasqueterre.Mais pas question d'intervenir dans le cas présent. Ronnie savait que ça ne
feraitqu'envenimerleschoses.Blazesirotasonmilk-shake,puislereposasurlatable.—Bon...vousvoulezfairequoi,ensuite?—Comptepassurnous,grognaTeddy.MonpaternelabesoindeLanceetmoi
pourbosseraujourd'hui.—Ilssontfrères,précisaBlaze.Ronnielesregardaattentivement,sansvoirderessemblance.—Ahbon?Marcusachevaleburgeretpoussal'assietteaumilieudelatable.—Jesais,dit-il.Onadumalàcroirequedesparentsaientpuavoirdesgosses
aussi moches, hein ? En tout cas, leur famille possède un motel merdique del'autrecôtédupont.Laplomberiedoitbienavoirunsiècle,etleboulotdeTeddyconsisteàdéboucherleschiottes.—Vraiment,ditRonnie,alorsqu'elleplissait lenezen imaginant legarçonà
l'œuvre.Marcusacquiesça.—Çacraint,pasvrai?Maist'inquiètepaspourTeddy.Ilestdouépourça.Un
vrai petit génie. En fait, il se régale. Et Lance ici présent... son job consiste ànettoyerlesdrapsaprèslepassagedesclientsquiviennententremidietdeux.—Beurk,grimaçaRonnie.—Jesais,c'estcarrémentécœurant,renchéritBlaze.Ettudevraisvoircertains
de ceux qui louent la chambre à l'heure. Tu pourrais attraper unemaladie rienqu'enentrantdanslapièce.Ronnienesavaitpastropcommentréagiràcetteremarque,aussisetourna-t-
elleversMarcus.—Ettoi,tufaisquoi?—Toutcequimepasseparlatête,répondit-il.—Maisencore?insista-t-ellecommepourledéfier.—Çat'intéressetantqueça?—Non,dit-elled'untonimpassible.C'estjustepoursavoir.Teddysaisitladernièrefritequirestaitdansl'assiettedeBlaze.—Enfait,iltraîneaumotelavecnous.Danssachambre.—T'asunechambrelà-bas?—J'yvis,ditMarcus.Unequestionluibrûlaitleslèvres...pourquoi?EtRonnieattendaitqu'ilendise
davantage,maisilrestamuet.Selonelle,ilvoulaitsansdoutequ'elleminaudeunpeupourluisoutirerl'information.Ronniesefaisaitpeut-êtredesidées,maiselleeut soudain l'impression qu'il avait envie qu'elle s'intéresse à lui, qu'ellel'apprécie.MêmeenprésencedeBlaze.Sessoupçonssevérifièrent lorsqu'ilallumaunecigarette,souffla la fuméeen
directiondeBlaze,puissetournaversRonnie.—Tufaisquoicesoir?demanda-t-il.Ronnie s'agita sur la banquette, subitement mal à l'aise. Tout le monde, y
comprisBlaze,semblaitsuspenduàseslèvres.—Pourquoi?—OnaprévuunepetitefêteàBower'sPoint.Pasuniquemententrenous.Ily
aurapleindegens.J'aienviequetuviennes.Sanslesflics,cettefois.Blaze fixa la table, tout en tripotant son petit tas de sel. Comme Ronnie ne
répondaitpas,Marcusselevaetsedirigeaverslasortiesansseretourner.
9–Steve-—Hé,p'pa!s'écriaJonah,deboutderrièrelepiano,tandisqueStevedisposait
lesassiettesdespaghettissurlatable.C'estunephotodetoiavecpapyetmamie?—Ouais,c'estmesparents.—Jemesouvienspasdecelle-là.Elleétaitpasdansl'appart,jeveuxdire.—Pendantlongtemps,jel'aigardéedansmonbureauàl'école.—Oh!fitJonahensepenchantpourvoirl'imagedeplusprès.Turessembles
unpeuàpapy.LaremarquelaissaitSteveperplexe.—Peut-être...—Iltemanque?—C'étaitmonpère...Alors,qu'est-cequet'enpenses?—Toi,tumemanquerais.TandisqueJonahvenaitàtable,Steveseditqu'ilétaitcontentdesajournée,
même si celle-ci avait été, somme toute, assez ordinaire. Ils avaient passé lamatinéeàl'atelier,oùSteveavaitapprisàsonfilscommentdécouperleverre;ilsavaient mangé un sandwich sur la véranda et ramassé des coquillages en find'après-midi. Et Steve lui avait promis de l'emmener en balade à tombéede lanuit, pour observer à la lampe électrique les centaines d'araignées demer quisortaientdeleurcachetteetgrouillaientsurlesable.Jonahs'installalourdementsursachaiseetbutunegorgéedelait,quiluilaissa
unemoustacheblanche.—TucroisqueRonnievabientôtrentrer?—J'espère.Jonahs'essuyalabouchedudosdelamain.—Parfois,ellerestedehorsdrôlementtard.—Jesais.—Lepoliciervaencorelaramener?Stevejetaunœilparlafenêtre;lejourdéclinaitetl'océanprenaituneteinte
opaque.Ilsedemandaitoùsafillepouvaitbienêtreetcequ'ellefaisait.—Non,répondit-il.Pascesoir.Aprèsleurpromenadesurlaplage,Jonahpritunedoucheavantdesemettreau
lit.Stevelebordaetl'embrassasurlajoue.—Mercipourcettesuperjournée,murmura-t-ilàsonfils.—Derien,p'pa.—BonnenuitJonah.Jet'aime.—Moiaussi,p'pa.Steveseredressaetsedirigeaverslaporte.—Hé,p'pa?—Oui?ditSteveenseretournant.
—Tonpèreàtoi...ilt'emmenaitvoirlesaraignéesdemer?—Non...—Pourquoi?C'étaitgénial!—C'étaitpascegenredepère.—Quelgenre,alors?Steveréfléchituninstant.—Ilétaitcompliqué...Aupiano,Steveseremémoracetaprès-midi,sixansplustôt,oùilavaitprisla
maindesonpèrepourlapremièrefoisdesavieetl'avaitremerciédel'avoirélevélemieuxpossible,enajoutantqu'ilneluireprochaitrien,etquepar-dessustoutill'aimait.Sonpèrel'avaitalorsregardédroitdanslesyeux.Malgrélamorphineàhaute
dose qu'il absorbait, il gardait l'esprit clair. Il dévisagea Steve un longmomentavantderetirersamain.—Ondiraitunebonnefemme,quandtuparlescommeça.Ils se trouvaient dans une chambre d'hôpital. Son père y était soigné depuis
troisjours,avecdesperfusionsauxbras,etn'avaitpasavalédenourrituresolidedepuisplusd'unmois.Sesjouesétaientcreusées,etsapeautranslucide.Deprès,Steveavait l'impressionque l'haleinedesonpèresentaitdéjà lamort,unautresignequelecancercriaitvictoire.Ilsetournaverslafenêtre.Àl'extérieur,justelebleuduciel,telleunesortede
bulle étanche entourant la pièce. Aucun oiseau, aucun nuage, aucun arbrealentour.Derrièrelui,lebiprégulierdumoniteurcardiaque...àcroirequesonpèreallaitvivrevingtansdeplus.Maiscen'étaitpassoncœurquiflanchait.—Commentva-t-il?luidemandaKimcesoir-là,autéléphone.—Pastrèsfort,ditSteve.J'ignoreletempsqu'illuireste,mais...Savoixs'évanouit. Il imaginaitKimà l'autreboutdufil,prèsde lacuisinière,
préparant le dîner, le combiné coincé entre l'oreille et l'épaule. Elle ne tenaitjamaisenplacequandelletéléphonait.—Quelqu'und'autreestpassélevoir?—Non,répondit-ilSteve omit de préciser qu'à en croire les infirmières, son père n'avait reçu
aucunevisite.—Tuaspuluiparler?—Oui,maispaslongtemps.Ilétaitinconscientlamajeurepartiedelajournée.—Tuassuivimonconseil?—Oui.—Etilaréponduquoi?Qu'ilt'aimait,luiaussi?Steve connaissait la réponse qu'elle souhaitait entendre. Il se trouvait alors
dans lamaisonde sonpèreet regardait lesphotosposées sur la cheminée : lafamilleaprès lebaptêmedeSteve, lemariagedeSteveetKim,Ronnieet Jonahpetits.Lescadresétaientpoussiéreux,àcroirequ'onn'yavaitpastouchédepuisdesannées. Il savaitquec'était samèrequi lesavaitdisposés làet, touten lesregardant, il se demanda ceque sonpère enpensait, oumême s'il y prêtait lamoindreattention.
—Oui,réponditenfinSteve.Iladitqu'ilm'aimait.—Jesuiscontente,avoua-t-elle,soulagéeetsatisfaite,commesilaréponsede
Steve lui annonçait une vérité incontournable. Je sais combien c'était importantpourtoi.Steve avait grandi dans une maison blanche de style ranch, entourée de
demeures identiques, dans la partie de l'île qui donnait sur l'IntracoastalWaterway[8].C'étaitunevillade taillemodeste,avecdeuxchambres,uneseulesalledebainsetungarageséparéquiabritaitlesoutilsdesonpèreetoùflottaittoujoursuneodeurdesciure.Souslechênevertnoueuxquiconservaitsesfeuillestout au long de l'année, l'arrière-cour ne voyait jamais le soleil, aussi sa mèreentretenait-ellesonjardinpotagersurlecôtédelamaison.Elleycultivaittomates,oignons, navets, haricots, choux etmaïs... tant et si bien que l'été venu on nevoyaitpluslaroutedepuislafenêtredusalon.Parfois,Steveentendaitlesvoisinss'enplaindreàmi-voix,sousprétextequel'immobilierperdaitdesavaleurdanslequartier, mais sa mère replantait ses fruits et légumes chaque printemps etpersonnen'entouchajamaisunmotàsonpère.Ilssavaient,commelui,queçaneleur aurait attiré que des ennuis. En outre, ils appréciaient son épouse, et touspouvaientfortbienavoirunjouroul'autrerecoursauxservicesdesonpère.Si ce dernier était menuisier de métier, il possédait aussi un don pour tout
réparer. Au fil des années, Steve l'avait vu remettre en état radios, télévisions,moteurs de voitures ou de tondeuses à gazon, tuyaux qui fuyaient, gouttièresbranlantes, fenêtres cassées, et même un jour les presses hydrauliques d'unepetite usine qui fabriquait des outils, installée à la frontière de l'État. Il n'étaitjamaisalléaulycée,maistémoignaitd'uneaptitudenaturellepourlamécaniqueet la construction. Le soir, quand le téléphone sonnait, son père décrochaittoujours,carl'appelluiétaitengénéraldestiné.Laplupartdutemps,ilparlaitpeu,écoutait la description du problème, puis Steve le voyait noter l'adresse sur unbout de journal. Après avoir raccroché, sonpère allait augarage, remplissait saboîteàoutils,puissemettaitenroute,d'ordinairesanspréciseroùilserendaitnià quelle heure il rentrerait. Le lendemain matin, le chèque était glissé sous lastatuedugénéralLeequesonpèreavaitsculptéedansunmorceaudeboisflotté,ettandisqu'ilprenaitsonpetitdéjeuner,samèreluimassaitledosenpromettantdedéposerlasommeàlabanque.Cefutlaseulemarqued'affectionqueSteveaitpu remarquer entre eux. Ils ne se disputaient pas et par principe évitaient lesconflits,etchacunsemblaitapprécierlacompagniedel'autre.Unjour,illesavaitsurprissetenantlamaindevantlatélévision,maisendix-huitansdeviechezsesparents,Stevenelesavaitjamaisvuss'embrasser.Sisonpèreeutunepassiondanssonexistence,cefutlepoker.Lessoirsoùle
téléphone ne sonnait pas, il rejoignait une loge ou une association dont il étaitmembre,pourjouer.Seullejeu,etnonpasl'espritconfraternel,l'avaitpousséàs'yinscrire. Là-bas, il s'attablaitavecdes francs-maçons,desShrinners,desElksoudesvétéransetjouaitauTexashold'empendantdesheures.Iladoraitcalculerlesprobabilités de tirer une quinte, et ça l'amusait de bluffer quand il ne détenaitqu'unepairede six. Il parlait du jeu commed'une scienceexacte, où le hasard
n'entrait pas en ligne de compte. « Le secret, c'est de savoir mentir », avait-ilcoutumed'affirmer, «etdedevineràquelmomentun joueurtement».À lalongue,Stevedécidaquesonpèredevaitêtreunchampiondumensonge.Quandil eut la cinquantainebien tasséeet lesmainsperclusesde rhumatismes,aprèstrenteansdemenuiserie,sonpèrecessad'installermouluresetchambranlesdeportes dans les belles villas du front de mer qui avaient essaimé sur l'île, etréponditdemoinsenmoinsau téléphone lesoir.Pourtant, ilcontinuad'honorersesfactures,disposantd'assezd'argentàlafindesaviepourcouvrirlesdépensesmédicalesnonprisesenchargeparsamutuelle.Ilnejouait jamaisaupoker leweek-end.Lesamediétaitréservéaubricolage
danslamaison,etsilejardindecôtépouvaitcertesdérangerlesvoisins,l'intérieurétaitunpetitjoyau.Aufildutemps,sonpèreembellitlademeureàgrandrenfortde plinthes, moulures et autres lambris, et sculpta les encorbellements de lacheminéedansdeuxblocsd'érable.Ilfabriqualesplacardsdelacuisine,installaduparquetaussilisseetsolidequ'unetabledebillard,etréaménagealasalledebainsàdeuxreprises.Chaquesamedisoir,ilmettaitunevesteetunecravatepouremmenersa femmeaurestaurant.Mais ilseréservait lesdimanchesetbricolaitdanssonatelierpendantqu'ellepréparaitdestartesoudesconservesdelégumesdanslacuisine.Etlelundi,laroutinereprenait.Sonpèreneluiappritjamaisàjoueraupoker.Steveétaittoutefoisassezdoué
pouracquérirlesbasesdujeuparlui-même,etaimaitsecroireassezmalinpourrepérer les bluffeurs. À l'université, il fit quelques parties avec des camaradesétudiantsetdécouvritqu'ilétaitsommetouteassezmoyen,nimeilleurnipirequelesautresjoueurs.AprèsavoirobtenusondiplômeetdéménagéàNewYork,ilalladetempsàautrerendrevisiteàsesparents.Lapremièrefois, ilnelesavaitpasrevusdepuisdeuxans,etlorsqu'ilfranchitlaporte,samèrel'étreignitavecforceet l'embrassa. Son père se contenta de lui serrer la main en disant : « Tu asmanquéàtamère.»Ilsseréunirentautourd'uncaféetd'unetarteauxpommes,etlacollationterminée,sonpèreseleva,pritsavesteetsesclésdevoiture.C'étaitunmardi,ilserendaitdoncàlalogedesElks.Sapartiedepokers'achevaitàdixheuresetilseraitderetourunquartd'heureplustard.— Non... pas ce soir, intervint sa mère, son accent européen plus fort que
jamais.Stevevientjusted'arriver.Ilserappelaavoirpenséalorsquepourlapremièrefoissamèredemandaità
sonpèredenepassortir.Maiss'ilenfutsurpris,sonpèren'enlaissarienparaître.Ilmarquacertesuntempsd'arrêtàlaporte,puisseretourna,levisageimpassible.—Oubienemmène-leavectoi,insistasamère.Lavesteàlamain,sonpèrelui
demanda:—Tuveuxm'accompagner?—Biensûr,réponditSteve,unpeunerveux.Pourquoipas?Çaal'airsympa.Sonpèregrimaçal'ombred'unsourire.S'ilss'étaienttrouvésautourd'unetable
depoker,iln'enauraitsansdoutepasdévoilédavantage.—Tumens,déclarasonpère.Uneruptured'anévrismeemportasamèrequelquesannéesplustard...
Dans cette chambre d'hôpital, Steve se remémorait sa gentillesse un peumaladroite,quandsonpères'éveillaavecune respirationsifflante.Sa tête roulasur lecôtéet ilaperçutStevedansuncoinde lapièce.Souscetangle,avec lesombresquisoulignaientlescontourssaillantsdesonvisage,onauraitcruvoirunsquelette.—T'esencorelà?Stevemitdecôtélapartitionqu'ilétudiaitetrapprochasachaise.—Ouais,jesuistoujourslà.—Pourquoi?—Commentça,pourquoi?Parcequet'esàl'hôpital.—Jesuisàl'hôpitalparcequejesuismourant.Etjevaismourir,quetusoislà
oupas.Tudevraisrentrercheztoi.T'asunefemmeetdesgosses.Tunepeuxplusrienpourmoi.—Jeveuxrester là,s'obstinaSteve.Tuesmonpère.Pourquoi tuveuxpasde
moiàtonchevet?—Peut-êtrequej'aipasenviequetumevoiesmourir.—Jetelaisse,situpréfères.Sonpèreémitunvaguegrognement.—Tuvois,c'estçatonproblème.Tuveuxquejeprenneladécisionàtaplace.
T'astoujoursfonctionnécommeça.—Peut-êtrequejesouhaiteseulementpasserdutempsavectoi.—Tuleveuxvraiment?Ouc'esttafemmequilesouhaite?—Quelleimportance?Sonpèreébauchaunsourirequisetransformaengrimace.—J'ensaisrien...D'aprèstoi?Assisàsonpiano,Steveentenditunevoitures'approcher.Lalumièredesphares
traversalafenêtreetcourutlelongdesmurs.L'espaced'uninstant,ilpensaqueRonnieavaitdûsefaireraccompagner.Toutefoislalumières'évanouit...etsafillen'avaitpasfranchilaporte.Il était minuit passé. Il se demanda s'il ne ferait pas mieux de partir à sa
recherche.Quelquesannéesplus tôt,quandRonnie luiparlaitencore,Kimet luiétaient
allés voir une conseillère conjugale, dont le cabinet se trouvait au cœur d'unimmeublerénovéàdeuxpasdeGramercyPark.SteveserevoyaitassisauprèsdeKimsuruncanapé,faceàunefemmeminceetanguleuse,latrentaine,quiavaitlamaniedejoindrelesmainsenpressantleboutdesesdoigts.Enlaregardantfairecegeste,Steveremarquaqu'elleneportaitpasd'alliance.Il sesentaitmalà l'aise.L'idéedecetteconsultationvenaitdeKim,quiétait
déjàvenueseule.Ils'agissaitdeleurpremièreséanceencoupleetKimdéclaraenguise de préambule que Steve ne se livrait pas,mais que ce n'était pas de safaute.—Nisonpèrenisamèren'étaientdugenreexpansif,ajouta-t-elle.Etiln'apas
grandi au sein d'une famille où l'on discutait de ses problèmes. Steve s'évadaitdoncdanslamusique,etseullepianoluipermettaitd'éprouverdessentiments.—Vousconfirmez?S’enquitlathérapeute.
—Mesparentsétaientdebravesgens,dit-il.—Çanerépondpasàmaquestion.—Jenesaispascequevousvoulezm'entendredire.Lafemmesoupira.—O.K.,sioncommençaitparlà...?Onsaittouscequis'estpasséetpourquoi
vousvoustrouvez là. JepensequeKimsouhaitequevous luidisiezcequevouséprouvez.Steves'accordaun instantde réflexion. Ilavaitenviededéclarerque toutce
bla-blasur lessentimentsneservaitàrien.Lesémotionsallaientetvenaient,etnulnepouvaitlescontrôler,aussin'yavait-ilaucuneraisondes'eninquiéter.Etonjugeait finalement lesgenssur leursactespuisque,auboutducompte,chaquepersonnesedéfinissaitparsesseulsfaitsetgestes.Maisilneditriendetoutcelaet,toutenjoignantsesdoigts,déclara:—Vousvoulezsavoircequej'aiéprouvé...—Oui.Maisnemeleditespasàmoi,précisa-t-elleendésignantsonépouse.
Dites-leàKim.Ilsetournaverssafemmeetsentitsonappréhension.—J'aiéprouvé...Steveseretrouvait làenprésencedesonépouseetd'uneétrangère,aubeau
milieud'uneconversationqu'iln'auraitjamaispuimaginer.IlétaitunpeuplusdedixheuresdumatinetcelafaisaitàpeinequelquesjoursqueSteveavaitregagnéNew York. Sa tournée l'avait entraîné dans une vingtaine de villes différentes,pendant que Kim exerçait sa profession d'assistante juridique dans un cabinetd'avocatsdeWallStreet.—J'aiéprouvé...répéta-t-il.Quand la pendule sonna une heure dumatin, Steve sortit sur la véranda de
derrière.L'obscuriténocturnelaissaitdésormaisplaceàlalumièreviolacéedelalunequipermettaitd'observerlaplage.Iln'avaitpasvusafilledepuisseizeheuresetenétaitpréoccupé,pournepasdire inquiet. Il l'espéraitassez intelligenteetprudentepourprendresoind'elle-même.O.K...Peut-êtrequ'ilsefaisaitunpeudesouci.En outre, il ne put s'empêcher de se demander si elle allait disparaître le
lendemain,commeellel'avaitfaitaujourd'hui.Etsiellerecommenceraitainsijouraprèsjour,pendanttoutl'été.En passant du temps avec Jonah, il avait l'impression de découvrir un trésor
inestimable,etilauraitsouhaitévivrelamêmechoseavecelle.Iltournalestalonsetrentradanslamaison.Commeilserasseyaitaupiano,iléprouvadenouveaucesentimentqu'ilavait
confiéàcettefameusethérapeuteconjugale,assissurlecanapé.Iléprouvaitungrandvide.
10–Ronnie-Pendantunpetitmoment,ilyavaiteupasmaldegensàBower'sPoint,mais
l'un après l'autre ils étaient partis, jusqu'à ce qu'ils se retrouvent tous les cinq.Cependant, Ronnie avait rencontré des personnes sympas, et même un coupleplutôtintéressant;maisquandl'alcoolcommençaàfairesoneffet,toutlemondehormisRonniesecrutbienplusdrôlequ'ilnel'étaitenréalité.Sibienqu'ellefinitparretrouverl'ambiancepénible,qu'elledétestaitdéjà,decertainessoiréesnew-yorkaises.Ronniesetenaitàprésentdeboutauborddel'eau.Derrièreelle,prèsdufeude
joie, Teddy et Lance fumaient, buvaient et se lançaient de temps à autre leursfameusesboulesenflammées.Blazemarmonnaitdesphrases incompréhensiblesetnelâchaitplusMarcus.Ilsefaisaittard,enplus.PourNewYork,c'étaitencoretôt— là-bas, ellen'apparaissait pasenboîteavantminuit—,mais vu l'heureàlaquelle Ronnie s'était levée, la journée semblait n'en plus finir. Bref, elle étaitcrevée.Demain, elle ferait la grasse matinée. À son retour, elle accrocherait une
serviette de bain ou une couverture à la tringle à rideaux. Bon sang, elle laclouerait aumur, s'il le fallait ! Pasquestiondepasser tout l'étéà se lever auxaurores,mêmesielledevaittraînertoutelajournéesurlaplageavecBlaze.Celle-cil'avaitd'ailleursétonnéeenluiproposantcegenred'activité.Detoutefaçon,iln'yavaitpasgrand-choseàfairedanslecoin.Dans l'après-midi,ensortantdusnack,ellesavaient fait le tourde laplupart
desboutiques—dontlemagasindedisques,quiserévélatrèssympa—,etplustard,ellesétaientpasséeschezBlaze, le tempsde regarderTheBreakfastClub,pendantquesamèresetrouvaitautravail.O.K.,c'étaitunfilmdesannéesquatre-vingt,maisRonnie l'aimait toujourset l'avaitvuunebonnedizainede fois.Bienqu'il soit très daté, il lui paraissait étonnamment réel. Beaucoup plus que cequ'elle vivait ce soir... surtout que Blaze buvait comme un trou, cramponnée àMarcus,etignoraitRonnie.Ronnien'aimaitpascegarçonetne lui faisaitpasconfiance.Côtémecs,elle
pouvait se fier à son flair... qui lui disait qu'un truc ne tournait pas rond chezMarcus.Commesiquelquechoseétaitabsentdanssonregardquandilluiparlait.Cequ'ildisaitsemblaitcohérent—entoutcas,plusquestiondefilerenFloride...d'ailleurs,cetruc-làauraitdéjàdûluimettrelapuceàl'oreille,non?—,maisplusellepassaitdutempsaveclui,plusilluicollaitlachairdepoule.Ellen'appréciaitpasTeddyetLancenonplus,maisMarcus...ellesentaitqu'ilfaisaitmined'avoiruncomportementnormalafindemieuxmanipulerlesautres.EtBlaze...Ronnieavaitéprouvéunedrôled'impressionenallant chezelledans l'après-
midi,car làaussitoutparaissaitnormal.Lamaisonsetrouvaitdansunepaisibleimpasse, avec des volets bleu vif et un drapeau américain sur la véranda. Àl'intérieur, lesmursétaientpeintsdansdescouleursgaiesetunvase remplidefleursfraîchestrônaitsurlatabledelasalleàmanger.L'endroitserévélaitpropreetsanspourautant friser lamaniaquerie. Ilyavaitde l'argentsur latablede lacuisine,ainsiqu'unpetitmotdestinéàBlaze.LorsqueRonnielasurpritentraindeglisserlesbilletsdanssapocheetdelirelemessage,Blazeprécisaquesamèreluilaissaittoujoursdel'argent.RonniecompritalorspourquoiBlazenesefaisaitpasdesouciquandellenerentraitpaschezelle.Bizarre.Ronnietenaitavanttoutà luiparlerdeMarcus,toutensedoutantqueçane
servirait à rien.Dieu sait qu'elle l'avait appris en côtoyantKayla—qui avait devraies œillères —, malgré tout ça manquait de logique. Fréquenter Marcuséquivalaità s'attirerà coupsûrdesennuis,etBlazeétaitmanifestementmieuxsans lui.RonniesedemandaitpourquoiBlazenes'en rendaitpascompte.Peut-êtrequ'ellepourraitluienparlerdemainàlaplage.—T'enasmarred'êtreavecnous?RonniesetournaetdécouvritMarcus. Il tenaitunedesesboulesdefeuet la
faisaitroulersurledosdesamain.—J'avaisjusteenviedevenirauborddel'eau.—Tuveuxquejet'apporteunebière?Àlamanièredontilluiposalaquestion,elleendéduisitqu'ilconnaissaitdéjà
laréponse.—Jeboispasd'alcool.—Pourquoi?Parcequeçapousselesgensàseconduireenabrutis.Mêmesiellelepensait,ellesegardabiendeluirépondreça,pourévitertoute
explicationquineferaitqu'éterniserlaconversation.—J'enboispas.C'esttout.—Tusuisà la lettre lacampagne «Nonà l'alcool»dans lesfacset les
lycées?—Situledis...Danslapénombre,ilgrimaçaunvaguesourire,maissesyeuxévoquaientdeux
cavitésopaques.—Tutecroissupérieureànous?—Non.—Alorsviens,dit-ilenmontrantlefeudejoie.Assieds-toiavecnous.—Jesuisbienici.Il jetaunregardpar-dessussonépaule.Derrière lui,RonnieaperçutBlazequi
sortaitencoreunebièredelaglacière,commesiellen'avaitpasassezbu.Ellenetenaitdéjàplussursesjambes.Marcuss'avançabrusquementversRonnieetlapritparlataillepourl'attirerà
lui.—Sionsebaladaitsurlaplage?—Non,dit-elledansunsouffle.J'enaipasenvie.Etbaslespattes,tuveux?
Maisilneretirapassamain.EllevoyaitbienqueçaexcitaitMarcus.—Tut'inquiètesdecequeBlazepourraitpenser?dit-il.—J'aipasenviequetumetouches,O.K.?—Blazes'entape.Ellereculad'unpasensedégageant.—Moinon,dit-elle.Etpuisjedoisfiler.Ilcontinuaàlafixerduregard.—Ouais,t'asraison.Il marqua une pause, puis ajouta en haussant le ton pour que les autres
l'entendent:—Non,jerestelà!Maismercidel'invitation!Ronnieétaittropchoquéepour
rétorquerquoiquecesoit.SachantqueBlazel'observait,ellepréféras'enallersurlaplage,pluspresséequejamais.À lamaison,sonpère jouaitdupiano,etsitôtqu'elleentra, il jetaunœilsur
l'horloge. Après ce qui venait de se passer, elle ne se sentait pas de taille àl'affronter,aussiprit-elleladirectionducouloirsansunmot.Ilavaitdûentrevoirsatête,carill'interpella:—Toutvabien?Ronniehésita.—Ouais,pasdeproblème...—Tuenessûre?—J'aipasenvied'enparler.Ill'observaavantdereprendre.—O.K.—T'asautrechoseàmedire?—Ilestpresquedeuxheuresdumatin,observa-t-il.—Et?Ilsepenchadenouveausurleclavier.—Ilyadespâtesaufrigo,sit'asfaim.Ronnie s'attendait à tout sauf à ça. Aucun sermon, aucune directive, aucune
règleétablie.Toutl'opposédelamanièredontsamèreauraitréagi.Ronniesecouala têted'unair interloqué,puisgagnasachambreensedemandants'ilexistaitquelquechoseouquelqu'undenormaldanscecoinperdu.Ronnie oublia d'accrocher une couverture à la tringle à rideaux et le soleil,
puissant commeun rayon laser, la réveillaaprèsqu'elleeutdormimoinsde sixheures.Elleseretournaengrognant,puisenfouitlatêtesousl'oreillerenserappelant
l'épisodede laveilleausoirà laplage.Puisellese redressa,sachantqu'ellenepourraitplusserendormir.Décidément,ceMarcusluiflanquaitlatrouille.La première pensée qui lui traversa l'esprit fut de n'avoir pas réagi la veille
lorsqu'ilavaitcrié.Elleauraitdûluirétorquer«Qu'est-cequiteprend,tudérailles?»oubien«Situcroisquej'aienvied'untête-à-têteavectoi,t'escomplètementcinglé!».Maisellen'avaitrienditetsedisaitàprésentquelesimplefaitdes'êtreéloignéeconstituaitlapiredesréactions.
IlluifallaitàtoutprixparleràBlaze.Dansunsoupir,elles'extirpadu litetgagna lasalledebainsen traînant les
pieds.Aprèsunedoucherapide,elleenfilaunmaillotdebainpuissesvêtements,avantderemplirunsac fourre-toutd'uneserviettedeplageetde lotionsolaire.Lorsqu'ellefutprête,elleentenditsonpèrejouerdupianoausalon.Pourchanger...MêmeàNewYork,ilnejouaitpasautant.Entendantl'oreille,ellereconnutl'undesesmorceauxinterprétésauCarnegieHall,celuiduCDécoutédanslavoiture.Commesiellen'avaitpasdéjàsuffisammentdeproblèmes!RonniedevaittrouverBlazeafindepouvoirs'expliquersurcequis'étaitpassé.Biensûr,leplusdélicatseraitd'éviterdefairepasserMarcuspourunmenteur.
Àtouslescoups,Blazelesoutiendrait...Quisaitcequ'illuiavaitracontéaprèsledépartdeRonnie?Quoiqu'ilensoit,elleaborderaitlesujetlemomentvenu.Avecunpeudechance,ellesseprélasseraientausoleilet,l'ambiancedétendueaidant,çapasseraitcommeunelettreàlaposte.Ronniequittalachambreets'engageadanslecouloiraumomentoùsonpère
s'interrompit...avantd'attaquer ledeuxièmemorceauqu'elleavait interprétéauCarnegieHall.Ellemarquaunepause,mitsonsacenbandoulière.Pasétonnantquesonpère
agissecommeça.Ilavaitentenduladoucheetsavaitqu'elleétaitlevée.Nuldoutequ'ilcherchaitunterraind'entente.Eh,pasaujourd'hui,papa!Désolée,maisj'aidestasdetrucsàfaire.Cen'était
franchementpaslemoment.Ronnieallait filervers laported'entrée,quandJonahsurgitde lacuisine.Elle
entenditsonpèrel'interpeller:—Tun'étaispascensétenourrirsainement?—C'estquej'aifait.J'aiprisunePop-Tart[9].—Jepensaisplutôtàdescéréales.—Yadusucrelà-dedans,sedéfenditJonahleplussérieusementdumonde.J'ai
besoind'énergie,p'pa.Elletraversarapidement leséjour,dans l'espoird'arriverà laporteavantque
sonpèretentedeluiparler.—Tiens!Salut,Ronnie!lançaJonah,toutsourire.—SalutJonah!ByeJonah!dit-elle,lamaindéjàsurlapoignée.—Disdonc,mapuce?Intervintsonpèreens'arrêtantdejouer.Onpeutparler
d'hiersoir?—J'aivraimentpasletempsmaintenant,répondit-elle.—Jeveuxjustesavoiroùtuétaispasséetoutelajournée.—Nullepart.C'estpasimportant.—Çal'est,jecrois.—Non,p'pa,répliqua-t-elled'untonferme.Jet'assure.Etj'aidestrucsàfaire,
O.K.?Pop-Tartenmain,Jonahdésignalaporte.—Quelstrucs?Tuvasoù,là?Toutàfaitlegenredeconversationqu'elleespéraitéviter.
—C'estpastesoignons.—Tuseraspartielongtemps?—Aucuneidée.—Turentresdéjeuneroudîner?—J'ensaisrien,souffla-t-elle.Jefile!Sonpèreseremitàjouer...LetroisièmemorceauduCarnegieHall.Àcroireque
toutleCDdesamèreallaitypasser!—Plustard,p'paetmoi,onvas'amuseraucerf-volant.Ronnienesemblaitpas
l'entendre.Ellefitvolte-faceets'adressaàsonpère:—Tupeuxarrêteravecça?Ils'interrompitbrusquement.—Quoi?—Cettemusiquequetujoues?Tucroispeut-êtrequejel'aipasreconnue?Je
voisbiencequetucherchesàfaire,etjet'aidéjàditquej'allaispasjouer!—Jetecrois,dit-il.—Alors,pourquoit'essayesàtoutprixdemefairechangerd'avis?Pourquoi,
chaquefoisquejetevois,t'esassislàentraindepianoteràmort?Ilparutsincèrementdésarçonné.—Çan'a rien à voir avec toi, dit-il. Il se trouve que... çam'aide àme sentir
mieux.—Benmoi,çamerendmalade.T'arrivespasàpigerça?Jedétestelepiano.
Rienquedepenserquejedevaisenjouertouslesjours,çamefilelanausée!Etj'enpeuxplusd'êtreencoreobligéed'avoircefoutumachinsouslesyeux!Avantquesonpèrepuisserépliquer,elletournalestalons,arrachalaPop-Tart
delamaindeJonahetquittalamaisonenfurie.Ronniemit deux bonnes heures à dénicher Blaze aumagasin de disques où
elless'étaient rendues laveille,àdeux ruesdesmaisonsde la jetée.Lorsdesapremièrevisite,ellenesavaitpastropàquois'attendre—àl'époquedesiPodsetdestéléchargements,elleavaitl'impressiondemettrelespiedschezunantiquaire—,maisBlazeluiassuraqueçavalaitlecoupd'œil,etcefutlecas.Outre les CD, la boutique proposait des albums vinyle... par milliers, parmi
lesquelsdevéritablespiècesdecollection,commeunexemplaireducélèbreAbleRoaddesBeadesencoresousblisteretunesériedevieux45toursaccrochésaumur,portantlasignaturedechanteurstelsqu'ElvisPresley,BobMarleyetRitchieValens.Ronnien'enrevenaitpasqu'ilsnesoientpassousclé. Ilsdevaientvaloirunepetitefortune,maislegarsquigéraitlaboutiqueparaissaitsortitoutdroitdesannées soixante et bien connaître sa clientèle. Avec ses lunettes rondes et seslongscheveuxgrisenqueue-de-cheval jusqu'à la taille,onauraitdit le sosiedeJohn Lennon. Il portait des sandales et une chemise hawaïenne, et même s'ilsemblait assez vieux pour être le grand-père de Ronnie, ses connaissancesmusicales dépassaient celles de tous les gens qu'elle avait jamais rencontrés...Tantetsibienqu'illuiparladecertainsgroupesrécentsdontelleignoraitmêmejusqu'àl'existenceàNewYork.Àl'arrièredelaboutique,lemurdufonddisposaitdecasquespourlesclients,
quipouvaientainsiécouterlesalbumsetlesCDoutéléchargerdelamusiquesur
leur iPod.Cematin-là,enscrutant l'intérieurpar lavitrine,RonnieaperçutBlazedanscettepartiedumagasin,unemainsurlecasque,l'autrebattantlerythmedelamusiquequ'elleécoutait.Visiblement,ellen'avaitpasprévuunejournéeàlaplage.Ronnierespiraungrandcoupetentra.Aussiterriblequeçapuisseparaître—
carelleregrettaitdelavoirboireautant—,elleespéraitplusoumoinsqueBlazeavaitététropsoûlelaveillepourserappelerquoiquecesoit.Oumieuxencore,qu'elle avait été encore assez consciente pour comprendre que Ronnie nes'intéressaitpasdutoutàMarcus.Dèsqu'elletraversalerayonremplideCD,RonniesentitqueBlazel'attendait.
Celle-ci baissa le volume de ses écouteurs, sans pour autant les retirer de sesoreilles,puissetournaverselle.Ronnieentendaitencorelamusique,untrucfortet hargneux qu'elle ne connaissait pas. Blaze rassembla les CD qu'elle avaitsélectionnés.—Jecroyaisqu'onétaitamies,lâcha-t-elled'emblée.—Onl'est,répliquaRonnie.Etçafaituntempsfouquejetecherche,parceque
jevoulaispasquetutefassesdesidéessurcequic'estpasséhiersoir.Blazeaffichaituneexpressionglaciale.—Tuveuxparlerdumomentoùt'asdemandéàMarcusd'allersebaladeravec
toi?— C'était pas ça du tout, insista Ronnie d'un ton implorant. Je ne lui ai pas
demandé.J'ignoreàqueljeuiljoue,mais...— À quel jeu il joue ? répliqua Blaze en retirant le casque. J'ai bien vu la
manièredonttuledévoraisdesyeux!J'aientenducequetuluiasdit!—Maisj'aijamaisditça!Jeluiaipasdemandéd'allersepromenerjenesais
où...—T'asmêmeessayédel'embrasser!—Tudéliresouquoi?Jamaisdelavie!Blazes'avançaverselle.—C'estluiquimel'adit!—Benalors,c'estunmenteur!RipostaRonnieentenantbon.Ilavraimentune
caseenmoins,cemec...—Non...Non...N'essayemêmepasdet'aventurersurceterrain...—Ilt'amenti,jetedis.J'aipasenviedel'embrasser.Ilmeplaîtmêmepas.Si
j'étaislà-basavecvous,d'abord...c'estuniquementparcequet'asinsistépourquejevienne.Blazesetutunlongmoment.Ronniesedemandaitsielleparvenaitenfinàlui
faireentendreraison.—Aucuneimportance,ditBlazed'untoncatégorique.Elle passa devant Ronnie et la bouscula pour rejoindre la porte. Ronnie la
regardas'enaller,sanstropsavoirsiuntelcomportementlablessaitoul'irritait...Ellelavitsortirentrombedanslarue.EtRonniequicroyaitpouvoirarrangerlasituation!Quefaire,àprésent?Ellen'avaitpasenvied'alleràlaplage,maisnesouhaitait
pasnonplus rentrer chez sonpère.Aucunevoitureà sadisposition... et ellene
connaissaitpersonne,cequisignifiait...quoi?Peut-êtrequ'elleallaitpasserl'étésurunbancànourrir lespigeons,commelespaumésqu'ellevoyaitparfoisdansCentral Park. À la longue, elle finirait peut-être par leur donner un nom, à cespigeons...Aumomentoùellequittaitlaboutique,unealarmesedéclencha,interrompant
brusquement ses pensées. Ronnie jeta un œil par-dessus son épaule, d'abordcurieuse,puisconfusequandelleserenditcomptedecequisepassait.Iln'existaitqu'unseulaccèspourentrerousortirdumagasin.Letempsdesefairecetteréflexion,l'hommeàlaqueue-de-chevalseruaitdéjà
surelle.Ronnien'essayapasdes'enfuir,carellesavaitqu'ellen'avaitrienfaitdemal.Et
lorsquelecommerçantluidemandasonsac,ellenevitaucuneraisondenepasleluimontrer.Àl'évidence,c'étaituneerreur...Lorsqu'ilretiradeuxCDetunedemi-douzainede45tourssignés,Ronniecompritqu'elleavaitvujusteenpensantqueBlaze l'attendait. LesCDétaientceuxqueBlazeavaienteusenmain,demêmequ'elleavaitdécrochédumurlesfameux45tours.Abasourdie, Ronnie comprit alors que Blaze avait prévu son coup depuis le
début.Prisedevertige,elleentenditàpeinelegérantluiannoncerquelapoliceétait
déjàenroute.
11–Steve-Aprèsavoirachetélematérieldontilavaitbesoin,notammentdestasseauxet
des feuilles de contreplaqué, Steve et Jonah passèrent la matinée à cloisonnerl'alcôve.Sonpèreauraiteuhonted'unbricolagepareil,maisSteveseditqueçaferaitl'affaire.Ilsavaitquelebungalowseraitdémoliunjouroul'autre,etqueleterrain vaudraitmême plus cher par la suite. Lamaison se dressait entre deuxbellesvillassur troisniveaux,etSteveétaitcertainque lesvoisinsconsidéraientqu'elledéfiguraitl'endroitetdépréciaitleurspropriétés.Ilplantaunclou,accrochaensuite laphotodeRonnieetde Jonahqu'il avait
ôtéedel'alcôve,puisreculad'unpaspourexaminersontravail.—Qu'est-cequet'enpenses?demanda-t-ilàsonfils.Jonahplissalenez.—Ben...çaressembleàunehorriblecloisonencontreplaquéavecunephoto
qu'onacolléedessus.Ettupeuxplusjouerdupiano.—Jesais.Jonahpenchalatêted'uncôté,puisdel'autre.—Jecroisbienqu'elleestdetravers...—Ahbon?Jevoisrien.— T'as besoin de lunettes, p'pa. Et je comprend toujours pas pourquoi t'as
vouluinstallercetteespècedeparavent.—Ronnieaditqu'ellenevoulaitplusvoirlepiano.—Etalors?— Il n'y aucun endroit pour le cacher, alors j'ai construit cette cloison.
Maintenant,tasœurnel'aplussouslesyeux.—Oh..., fit Jonah, songeur. Tu sais, j'aimepasvraiment fairemesdevoirs.En
fait, ça me dérange de voir mes cahiers et mes bouquins s'empiler sur monbureau.—C'estl'été.Tun'aspasdedevoirs.—Jemedisaisjustequejedevraispeut-êtreconstruireunmurtoutautourde
monbureau,dansmachambre.Steveréprimaunéclatderire.—Tudevraispeut-êtred'abordentoucherdeuxmotsàtamère.—Oubientupourraisluienparler.Stevegloussamalgrélui.—Tuasfaim?—T'asditqu'oniraitjoueraucerf-volant.—Pasdeproblème.C'estjustepoursavoirsituasenviededéjeuner.—Jecroisquejepréfèremangeruneglace.—Jenepensepasquecesoitunebonneidée.—Uncookie?suggéraJonah,pleind'espoir.—Etquedirais-tud'unsandwich?
—O.K.Maisaprèsonvasurlaplageaveclecerf-volant,alors?—Oui.—Toutl'après-midi?—Aussilongtempsquetulesouhaites.—O.K.Jeveuxbienunsandwich.Maist'enmangesunaussi.—Çamarche,acceptaSteve,sourireauxlèvres,enleprenantparl'épaulepour
l'entraînerdanslacuisine.—Tusais,lesalonestbeaucouppluspetitmaintenant,observaJonah.—Jesais.—Etlacloisonestdetravers.—Jesais.—Etpis,çavapasaveclesautresmurs.—Oùveux-tuenvenir?Jonahpritunairdesplussérieux.—Ben...jeveuxjustem'assurerquet'espasentraindedevenirfou.C'étaituntempsidéalpourlecerf-volant.Assissuruneduneàdeuxmaisonsde
la sienne, Steve regardait l'engin zigzaguer dans le ciel. Jonah, toujours aussidébordantd'énergie,couraitdelongenlargesurlaplage.Steveleregardaitavecfierté,toutens'étonnantqu'àsonépoquenisonpèrenisamèrenel'aientjamaisaccompagnédanscegenred'activité.Cen'étaientpaspourautantdesmauvaisparents.Ilsnel'avaientpasmaltraité,
nesedisputaientpasensaprésence,etSteven'avaitjamaismanquéderien.Onl'emmenaituneoudeuxfoisparanchezledentisteetlemédecin;ilavaitmangéàsafaim,étaithabilléchaudementenhiver,avectoujoursunepiècedecinqcentsdans la poche pour pouvoir s'acheter du lait à l'école. Toutefois, son père serévélait peu démonstratif et sa mère guère plus ; aussi Steve supposait-il quec'étaitpourcetteraisonque leurmariageavait tenuaussi longtemps.OriginairedeRoumanie,samèreavaitrencontrésonpèrequandilsetrouvaitengarnisonenAllemagne.Elleparlaitàpeinel'anglaislorsqu'ilssemarièrentetnereniajamaissaculture.Parfaitefemmeaufoyer,ellecuisinait,s'occupaitduménageetdelalessivelematin,etexerçaitlemétierdecouturièrel'après-midi.Àlafindesavie,elles'exprimaitdansunanglaissuffisammentconvenablepoursedébrouilleràlabanque ou au supermarché, mais son accent assez marqué la rendait parfoisdifficileàcomprendreparcertainespersonnes.Parailleurs,c'étaituneferventecatholique...cequi,à l'époque, lafaisaitplus
oumoinspasserpouruneoriginaleàWilmington.Elle se rendait chaque jouràl'office et égrenait son chapelet tous les soirs ; etmême si Steve appréciait latraditionetlacérémoniedelamessedominicale,iljugeaitleprêtred'unefroideuretd'unearroganceincroyables,plussoucieuxdespréceptesreligieuxquedesesouailles.Parfois—souvent,enréalité—,Steves'interrogeaitsur latournurequesonexistenceauraitprises'iln'avaitpasentenducejour-làdelamusiqueàl'églisebaptiste.Quaranteansplustard,sessouvenirsdevenaientunpeuconfus.Ilserappelait
être entré là-bas un après-midi et avoir entendu le pasteur Harris au piano. Cedernieravaitmanifestementdûlemettreàl'aisepuisqueSteveétaitretournéle
voir,jusqu'àcequelepasteurfinissepardevenirsonpremierprofesseurdepiano.Avec le temps, Steve semit à fréquenter— et plus tard à sécher— le grouped'études bibliques de la paroisse. À maints égards, l'église baptiste devint sonsecondfoyer,etlepasteurHarrissonsecondpère.Il se souvenait que cela n'enchantait pas vraiment samère. Quand quelque
choselacontrariait,ellemarmonnaitenroumain,etpendantdesannées,chaquefois qu'il se rendait à l'église baptiste, il l'entendait bredouiller des parolesinintelligibles, tandis qu'elle faisait le signe de croix et l'obligeait à porter unscapulaire[10].Danssonesprit,jouerdupianoavecunpasteurbaptisteéquivalaitàfréquenterlediable.Cependantellenel'empêchapasd'yaller,etc'était leprincipal.Auxyeuxde
Steve, peu importe qu'elle ne se soit pas déplacée pour les réunions parents-professeurs,qu'elleneluiait jamaisfait la lecture,ouencorequepersonnen'aitjamais invité sa famille aux soirées ou aux barbecues entre voisins. Ce quicomptaitplusquetout,c'étaitqu'endépitdesaméfianceàl'égardduprêtre,samèreluiavaitpermisnonseulementdesedécouvrirunepassion,maisaussidelavivre.D'unecertainemanière,elleempêchaitaussisonpèredes'interposer,alorsquecelui-citrouvaitridiculel'idéemêmequ'onpuissegagnersavieenfaisantdelamusique.Etrienquepourcela,Steveaimeraittoujourssamère.Jonahcontinuaitàtrottersurlesable,alorsquelabrisesoufflaitassezfortpour
soulever le cerf-volant, sans obligation de s'agiter autant. Comme il observaitdistraitement le ciel, Steve vit se dessiner de gros cumulus sombres, signesannonciateurs de pluie. Même si les averses estivales ne duraient guèrelongtemps,ilpréféraseleveretannonceràsonfilsqu'ilétaittempsderentrer.Ilvenait de faire quelques pas lorsqu'il remarqua une série de lignes à peinedessinées dans le sable, lesquelles menaient à la dune derrière sa maison ; ilsourit,enreconnaissantaussitôtcesmarquesqu'ilavaitvuesplusd'unedizainedefoisdanssajeunesse.—Hé, Jonah!s'écria-t-ilensuivant les traces.Vienspar ici ! Jepensequetu
devraisvoirça!Sonfilslerejoignitentirantsurlaficelledesoncerf-volant.—C'estquoi?Steve descendit jusqu'au pied de la dune, où seuls deux ou trois œufs
transperçaientlesable,quandJonahparvintàsahauteur.—Qu'est-cequet'astrouvé?—C'estunniddecaouanne,réponditSteve.Maisnet'approchepastrop.Etn'y
touchepas.Ilnefautpaslesdéranger.Jonahsepenchapourregarderattentivement.— C'est quoi, une caouanne ? S’enquit-il, pantelant, comme il luttait pour
contrôlerlecerf-volant.Steves'emparad'unboutdeboisflotté,àl'aideduqueliltraçauncercleautour
dunid.—Ils'agitd'unetortuedemer.Uneespèceenvoied'extinction.Ellesaccostent
lanuitpourpondreleursœufs.
—Derrièrenotremaison?—Çaleurarrivedepondrelà,eneffet.Maistudoissurtoutretenirqu'ellessont
envoied'extinction...dedisparition,situpréfères.Tusaiscequeçaveutdire?—Qu'ellesvontmourir,réponditJonah.JeregardelachaînePlanète,figure-toi.Steveachevasoncercledanslesable,puissedébarrassaduboutdebois.Ense
redressant,iléprouvacommeunpincementdansleslombaires,maisl'ignora.— C'est pas tout à fait ça, rectifia-t-il. Ça signifie que si on n'y prête pas
attentionetqu'onn'essayepasdelesaider,leurespècerisquededisparaître.—Commelesdinosaures?Steveallaitluirépondrelorsqu'ilentenditletéléphonesonnerdanslacuisine.Il
avaitlaissélaportedederrièreouvertepourfairecourantd'airetilpressalepasencourantunpeupouratteindrelavéranda.Ildécrochapoussivementlecombiné.—P'pa?ditunevoixàl'autreboutdufil.—Ronnie?—Fautquetupassesmeprendre.Jesuisaupostedepolice.Stevesemassalefrontd'unairinquiet.—O.K.J'arrivetoutdesuite.L'agentJohnsonluiexpliquacequis'étaitpassé,maisStevesavaitqueRonnie
n'étaitpasencoreprêteàenparler. Jonah,enrevanche,n'avaitpas l'airdes'eninquiéter.—M'manvaêtrefollederage,observa-t-il.Stevevitlamâchoiredesafillesecrisper.—J'airienfait,sedéfendit-elle.—Alors,c'estqui?—J'aipasenvied'endiscuter,repritRonnieencroisant lesbras,adosséeà la
portièredelavoiture.—M'manvapasapprécier...—J'airienfait,jetedis!Insista-t-elleenregardantsonfrèredroitdanslesyeux.
Ett'aspasintérêtàenparleràmaman!Ellesetournaalorsverssonpère.—J'ysuispourrien,p'pa,dit-elle.JejuredevantDieuquej'airienpiquédansce
magasin.Fautquetumecroies.Elle luiparutdésespérée,mais ilneputs'empêcherdepenseraudésarroide
Kimlorsqu'elleluiavaitconfiélesdémêlésdeleurfilleaveclajustice.Ilpensaenoutre au comportement deRonnie depuis son arrivée, et aux gens qu'elle avaitchoisidefréquenter.Il soupira et sentit s'évanouir le peud'énergie qui lui restait.Dans le ciel, le
soleilévoquaituneformidablebouledefeuorangée,maisStevesavaitqueRonnieavaitsurtoutbesoind'entendrelavérité.—Jetecrois,déclara-t-il.Lorsqu'ilsparvinrentaubungalow,lanuittombait.Stevesortitjeterunœilsur
le nid de la tortue. Après l'averse, la soirée s'annonçait superbe et typique desCarolines—unebriselégèreetuncielparéd'unemyriadedecouleurs—,avecaulargeunbancdedauphinsquijouaientdanslesvagues.Ilspassaientdeuxfoisparjourdevantlamaison,etStevesepromitdedireàJonahdevenirlesobserver.Nul
doutequesonfilsvoudraitplongerdansl'eauettenterdes'enapprocherpourlestoucher.Steveavaitessayédanssajeunesse,sansjamaislesatteindre.Il redoutait dedevoir appelerKimpour lui apprendre la nouvelle. Il repoussa
donc lecoupdetéléphoneetpréféras'asseoiràcôtédunid,encontemplantcequ'il restait des traces de la tortue. Entre le vent, la pluie et les baigneurs, laplupart des empreintes s'étaient effacées. Hormis un léger sillon au pied de ladune,lenidétaitquasiinvisible,etlesdeuxœufsqu'ilapercevaitressemblaientàdesgaletsblancsetlisses.Unboutdegobeletenplastiqueavaitroulésurlesable,pousséparlabrise,et
commeStevesepenchaitpourleramasser,ilaperçutRonniequiapprochait.Elleavançait lentement, bras croisés, tête baissée, si bien que ses cheveux luimasquaientpresquetoutlevisage.Elles'arrêtaàunmètreoudeux.—T'esencolèreaprèsmoi?demanda-t-elle.Depuissonarrivée,c'étaitlapremièrefoisqu'elles'adressaitcalmementàlui.—Non,répondit-il.Pasdutout.—Alors,qu'est-cequetufabriqueslà?Ildésignalenid.—Unetortuecaouanneadéposésesœufshiersoir.Tuenasdéjàvu?Ronniesecoualatête,tandisquesonpèreenchaînait:— Ce sont de magnifiques créatures à la carapace marron rougeâtre, qui
peuventpeserjusquedanslestroiscentcinquantekilos.LaCarolineduNordestl'undesraresendroitsoùellesfontleurnid.Maisellesn'ensontpasmoinsenvoied'extinction. Sur un millier d'œufs, je crois qu'un seul nouveau-né parvient àmaturité, alors je ne tiens pas à ce qu'un raton laveur se pointe avant qu'ilsn'éclosent.—Commentilpourraitdevinerqu'ilyaunnidici?— Lorsqu'une tortue caouanne pond, elle urine. Les ratons laveurs flairent
l'odeur et viennent alors dévorer les œufs un à un. Quand j'étais gamin, j'aidécouvert un nid de l'autre côté de la jetée. Du jour au lendemain, toutes lescoquillesavaientétébrisées.L'horreur!—J'aivuunratonlaveursurnotrevéranda,l'autrejour.—Jesais.Ilfarfouillaitdanslapoubelle.Dèsquejeremonte,jevaislaisserun
message à l'aquarium. Avec un peu de chance, ils enverront quelqu'un d'icidemainavecunecagespécialepourtenircesbestiolesàl'écart.—Etcesoir?—J'imaginequ'ondoitcroiserlesdoigts.Ronnieramenaunemèchedecheveuxderrièresonoreille.—P'pa?Jepeuxtedemanderuntruc?—Jet'écoute...—Pourquoit'asditquetumecroyais?Deprofil,ilvoyaitàlafoislajeunefemmequ'elledevenaitetlafillettedontil
gardaitlesouvenir.—Parcequej'aiconfianceentoi.—C'estpourçaquet'asfabriquécettecloisonpourcacherlepiano?luidit-elle
enl'observantàladérobée.Quandjesuisentrée,impossibledelalouper.
Stevesecoualatête.—Non,j'aifaitçaparcequejet'aime.Ronnieluiadressaunsouriretimide,avantdevenirs'asseoirenfinàcôtédelui.
Tousdeuxcontemplèrentlesvaguesquiroulaientsurlagrève.Lamermontaitetlaplageavaitdéjààmoitiédisparu.—Qu'est-cequivam'arriver?repritRonnie.—Petevaparleravec lapropriétaire,maissinon j'ensais rien.Dans le lotde
disques,ilyavaitdeuxoutroispiècesdecollection.Ronniesentitsonestomacsenouer.—T'asdéjàappelémaman?—Non.—Tuvaslefaire?—Sansdoute.Ils se turent pendant quelques instants. Au bord de l'eau, des surfeurs
passèrentdevanteuxavecleursplanches.Auloin,lahoulegonflaitlentement,etlesvaguessemblaientsetélescoperavantdesereformeraussitôt.—Quandest-cequetuvasprévenirl'aquarium?—Dèsquejeremonte,jet'aidit.JesuissûrqueJonahdoitavoirfaim.Jedevrais
probablementprépareràdîner.Ronnie contempla lenid. Elle avait l'estomac si nouéqu'ellenepourrait rien
avaler.—Jeveuxpasqu'ilarrivequoiquecesoitàcesœufspendantlanuit.Stevesetournaverssafille:—Qu'as-tul'intentiondefaire?Quelquesheuresplustard,aprèsqu'ileutbordéJonahdanssonlit,Stevesortit
sur la véranda pour jeter un œil sur Ronnie. Après avoir appelé l'aquarium endébut de soirée, il s'était rendu en ville pour acheter à sa fille tout ce dont ilpensaitqu'elleauraitbesoin:unsacdecouchageléger,unelampedecamping,unoreilleretuninsecticideenvaporisateur.L'idéequ'ellepuissedormiràlabelleétoilenel'enchantaitpasvraiment,mais
Ronnieparaissaitdécidée,et iladmiraitsa fougueàvouloirprotéger lenid.Elleavaitinsisté,enaffirmantqu'ellen'avaitrienàcraindre,etStevesavaitque,dansunecertainemesure,elledisaitvrai.Comme laplupartdesgensayantgrandiàManhattan,Ronnieavaitapprisàêtreprudenteetsavaitque lemondeextérieurn'étaitpassansdanger.Parailleurs, lenidsesituaitàmoinsd'unequinzainedemètresde la fenêtrede la chambredeSteve—qu'il avait l'intentionde laisserouverte—,aussipourrait-ilentendresafille,aucasoùelleauraitunproblème.Enraisonde la formede ladune fouettéepar labriseetde l'emplacementdunid,quiconquesepromenaitsurlaplagenepourraitpeut-êtremêmepassoupçonnerlaprésencedeRonnie.Cependant,ellen'avaitquedix-septansetSteveétaitsonpère,cequisignifiait
qu'iliraitsansdoutevoirtouteslesdeuxheuressielleallaitbien.Bref,ilrisquaitdenepasdormirbeaucoupcettenuit-là.Uncroissantdelunebrillaitàpeine,maislecielétaitdégagé.TandisqueSteve
sedéplaçaitdans lapénombre, il repensaà leurconversationetsedemandace
que Ronnie éprouvait réellement à l'idée qu'il ait pu dissimuler le piano.S'éveillerait-elledemainaveclamêmeattitudequelejourdesonarrivée?Stevel'ignorait. Comme il s'approchait suffisamment pour discerner la silhouetteendormiede sa fille, elle lui parut à la fois plus jeuneet plus âgée sous le cielconstelléd'étoiles.Denouveau,ilsongeaauxannéesqu'ilavaitperduesennelavoyantpasgrandir,etqu'ilneretrouveraitjamais.Steverestaassez longtempspoursurveiller laplage.Apriori,personnenes'y
promenait, aussi tourna-t-il les talons pour rentrer chez lui. Il s'installa sur lecanapéetallumalatélévision,zappantd'unechaîneàl'autreavantdel'éteindre.Finalement,ilgagnasachambreetseglissadanssonlit.Ils'endormitpresqueaussitôt,maiss'éveillauneheureplustard.Ilressortitsur
lapointedespiedsetallavoirsafille,àlaquelleiltenaitplusqu'àsaproprevie.
12–Ronnie-À son réveil, Ronnie pensa qu'elle avaitmal partout. Elle sentait une raideur
dansledosetàlanuque,etlorsqu'elleeutlecouragedeseredresser,unedouleurluitransperçal'épaulecommeuncoupdepoignard.Elle ne comprenait pas qu'on puisse choisir de dormir à la belle étoile.
Lorsqu'elleétaitplusjeune,certainesdesescopinesluiavaientvantélesjoiesducamping,mais à l'époque elle les prenait déjà pour des illuminées. Dormir parterre,çafaisaitmal.Demêmequecesoleilaveuglant.Detoutemanière,commeelleselevaitaux
auroresdepuissonarrivée,cematin-lànefaisaitpasexceptionàlarègle.Peut-êtrequ'iln'étaitmêmepasseptheures...Desgenspromenaientleurchienoufaisaientdujoggingauborddel'eau.Nuldoutequ'ilsavaientdûdormirdansunlit,eux!Ronnienes'imaginaitmêmepasentraindesebaladertranquillement,alorscourirencoremoins!Pourl'instant,ellepeinaitdéjàpourrespirersanstomberdanslespommes!Toutefoiselles'armadecourageetselevalentement,avantdeserappeler la
raisondesaprésencesur le sable.Ellevérifia lenidetconstata, soulagée,qu'iln'était pas détruit, et peu à peu ses douleurs s'atténuèrent. Elle se demanda,songeuse,commentBlazepouvaitsupporterdedormirsurlaplage...etserappelasoudaincequeBlazeluiavaitfait.Àcaused'elle,Ronnieavaitétéarrêtéepourvolàl'étalage.Pasunpetitlarcin
minable.Unvolqualifié!Elle ferma les yeuxet se repassa le filmdans la tête : le regardmauvais du
gérant,qui l'avait surveillée jusqu'à l'arrivéedupolicier, ladéceptionde l'agentPetependant letrajetvers lecommissariat, l'horriblecoupdefilqu'elleavaitdûpasseràsonpère.Danslavoiturequilaramenaitàlamaison,elleavaitbeletbiencruqu'elleallaitvomir.Uniquelueurd'espoirdanscemarasme,sonpèren'avaitpaspétélesplombs.
Et,plus incroyableencore, il lacroyait innocente.Bon,O.K., iln'avaitpasencoreparléàsamère.Dèsqu'ill'appellerait,impossibledesavoircequisepasserait.Àtouslescoups,samèresemettraitàhurlercommeunefolle,jusqu'àcequesonpère cède et finisse par consigner Ronnie, après l'avoir promis à Kim. Après lefameux«incident»,samèrel'avaitprivéedesortiependantunmois,etcettefoisc'étaitplusgravequ'unesimpleerreurdeparcours.Ronniesentitdenouveaulanauséelagagner.Impossibledes'imaginercoincée
unmoiscompletdanssachambre,qu'elledevaitpartager,enplus...etdansunevillequineluiplaisaitpas.Qu'est-cequipouvaitluiarriverdepire,àprésent?En étirant les bras au-dessus de sa tête, elle poussa un cri de douleur... son
épaulelafaisaitencoresouffrir.Avecunegrimace,ellelesbaissaendouceur.Puis
ellepassalesminutessuivantesàrassemblersesaffairessurlavéranda.Mêmesile nid se situait derrière la maison, Ronnie ne tenait pas à ce que les voisinspuissentdevinerqu'elleavaitdormiàlabelleétoile.Àenjugerparleursvillasderêve, ils étaient sans doute du genre à ne pas supporter le moindre élémentsusceptiblede leurgâcher lavue,quand ilsprenaient leurcafématinal sur leurterrasse. L'idéemême qu'un individu ait pu passer la nuit dehors, près de leurmaison, ne devait pas coller avec leur souci de perfection... et Ronnie n'avaitcertainementpasenviedevoir lapoliceserepointer.Avecsachancelégendaire,ellerisquaitencoredesefairearrêterpourvagabondage...qualifié!N'ayantpasl'énergiederapportertoutessesaffairesenuneseulefois,elledut
fairedeuxvoyages...puisserenditcomptequ'elleavaitlaisséAnnaKaréninesurlesable.Laveilleausoir,ellecomptaitlelire,maisétaittropfatiguée;aussil'avait-elle glissé sous un morceau de bois flotté, afin que l'humidité ne l'abîme pas.Quandellevintlerécupérer,ellerepérasurlaplageunepersonneencombinaisonbeigedegaragisteavec l'inscriptionBlakeleeBrakes; legars tenaitenmainunrouleau d'adhésif jaune et des espèces de piquets. Il semblait marcher vers lamaison.Le tempsqu'elle ramasseson livre, l'individus'étaitapprochéet inspectait le
basdeladune.Elles'avançaversluiensedemandantcequ'ilfabriquait,puisilsetournadanssadirection.Lorsqueleursregardssecroisèrent,cefutl'unedesraresfoisdesonexistenceoùRonnierestamuettedesurprise.Malgré l'uniforme,elle lereconnutsur-le-champ.Enunclind'œil,elle lerevit
torse nu, bronzé et athlétique, les cheveux bruns trempés de sueur, avec sonbracelet enmacramé. C'était le volleyeur qui l'avait bousculée, le gars dont lecopainavaitfaillisebagarreravecMarcus.Apparemment,luinonplusnesavaittropquoidireetrestaitlàplantédevant
elleàlaregarder.MêmesiRonnietrouvaitçadingue,elleavaitl'impressionqu'ilétaitplutôtravidetomberànouveausurelle.Ronnielevoyaitbienàlamanièredontilsemitàluisourireàmesurequ'illareconnaissait.—Ben,çaalors...Salut!Elleseméfiaitdesontonamical.—Qu'est-cequetufaislà?S’enquit-elle.— J'ai reçu un coup de fil de l'aquarium. Quelqu'un a appelé hier soir pour
signalerunniddecaouanne,etonm'ademandédevenirvérifier.—Tubossespourl'aquarium?Ilsecoualatête.—Enbénévole. Jetravailleaugaragedemonpère.T'auraispasvuunnidde
tortuedanslesparages,parhasard?Ronniesedétenditunpeu.—Parlà,dit-elleenpointantl'index.—Super!S’exclama-t-ilensouriantdeplusbelle.J'espéraisqu'ilsetrouveprès
d'unemaison.—Pourquoi?—Àcausedestempêtes.Si lesvaguesdéferlentsurlenid, lesœufspourront
paséclore.—Maisc'estdestortuesdemer.
— Je sais, dit-il en levant les bras.Moi non plus, j'y comprends rien,mais lanaturefonctionnecommeça.L'andernier,onaperdudeuxoutroisnidsàcaused'une tempête tropicale.C'étaitatroce. Lacaouanneestenvoied'extinction, tusais.Àpeineunnouveau-nésurmillearriveàmaturité.—Ouais,jesais...—Ahbon?répliqua-t-il,impressionné.—Monpèrem'aexpliquétoutça.— Oh... J'imagine que tu habites dans le coin, alors ? fit-il en désignant les
environs.—Enquoiçat'intéresse?—C'estjustehistoiredeparler...Aufait,jem'appelleWill.—Salut,Will.Ilmarquaunepause,puis:—C'estmarrant...—Quoi?— D'ordinaire quand on se présente à quelqu'un, l'autre personne fait de
même.—Benmoi, jesuispascommetout lemonde,rétorquaRonnie,tandisqu'elle
croisaitlesbrasettentaitdegardersesdistances.—Figure-toiquejem'endoutaisunpeu...Désolédet'avoirbousculéependant
lematchdevolley.—Tut'esdéjàexcusé,tuterappelles?—Exact.Maist'avaisl'aircontrarié.—Monsodas'étaitrenversésurmontee-shirt.—Pasbiengrave...Maist'auraisdûfairegaffeàcequisepassait.—Pardon?—C'estunjeuoùçabougeassezvite.Agacée,Ronnieposalesmainssurseshanches.—T'esentraindemedirequec'étaitdemafaute?—J'essayejustedefaireensortequeçasereproduisepas.Commejetedisais,
j'étaismalaprèst'avoirbousculée.Enentendantcetteréponse,Ronnieeutlesentimentqu'iltentaitdeladraguer,
mais elle ignorait au juste pourquoi. Çan'avait pasde sens... elle savait qu'ellen'étaitpasson type,et franchement iln'étaitpas le siennonplus.Maisàcetteheure matinale, Ronnie n'allait pas chercher à comprendre le pourquoi ducomment.Ellepréféradoncrevenirausujetinitial,enluimontrantcequ'iltenaitenmain.—Commentcetadhésifestcensééloignerlesratonslaveurs?—Ilsertpasàça.C'estseulementpourdélimiterlenid.Jelefaispasserautour
des piquets, pour que les gars qui installent la cage puissent repérerl'emplacement.—Etilsvontl'installerquand?—Aucune idée, répondit-il dans un haussement d'épaules. Deux jours, peut-
être.Ellepensaàsonréveildifficilesurlesableetsecoualatête.
—Ohnon,jelecroispas!Tulesrappellesettuleurdisqu'ilsontintérêtàvenirprotéger le nid aujourd'hui. Ajoute que j'ai vu un raton laveur rôder dans lesparages.—Sérieux?—Contente-toideleurdireça,O.K.?—Dèsquej'aiterminé,jeleurpasseuncoupdefil.Promis.Ellel'observaenplissantlesyeux...Toutçaluiparaissaittropfacile.Maisavant
qu'ellepuisseinsister,sonpèresortitsurlavéranda.—Bonjour,mapuce!lança-t-il.Situasfaim,jevaisattaquerlepetitdéjeuner.WillregardaRonnieetSteveàtourderôle.—T'habiteslà?Plutôtquederépondre,ellereculad'unpas.—Tâchedeprévenirl'aquarium,O.K.?Elleatteignaitdéjàlamaisonetvenaitdeposerunpiedsurlavéranda,quand
Willl'interpella:—Hé!Ronnieseretourna.—Tum'aspasditcommenttut'appelais,fit-ilremarquer.—Non,répondit-elle.Jecroispas,eneffet...Commeelleapprochaitdelaporte,ellesavaitqu'ellenedevaitpasseretourner
ànouveau...maisneputs'empêcherdejeteruncoupd'œilpar-dessussonépaule.LorsqueWillhaussaunsourcilencroisantsonregardl'espaced'uneseconde,
Ronnieseseraitvolontiersgiflée...toutensefélicitantmalgrétoutdenepasluiavoirdonnésonprénom!Danslacuisine,deboutdevantlacuisinièreetspatuleenmain,sonpèrefaisait
friredesalimentsdansunepoêle.Surleplandetravailvoisinétaitposéunpaquetdetortillas,etRonniedevaitavouerquetoutçasentaitdrôlementbon,quelquesoit le plat qu'il préparait. Cela dit, elle n'avait rien avalé depuis la veille dansl'après-midi.—Avecquitudiscutais?lança-t-ilencontinuantàs'affairer.—Justeungarsdel'aquarium.Ilestvenudélimiterlenid.Tupréparesquoi?—Desburritosvégétariens.—Tuplaisantes?—Ilyaduriz,desharicotsetdutofu.Etjeglisseletoutdanslatortilla.J'espère
queçavaaller.J'aitrouvélarecettesurleNet,alorsonverrabien...—Jesuiscertainequeceseraparfait...Euh...sinon,t'asdéjàparléàmaman?Autantenavoirtoutdesuitelecœurnet.Ilsecoualatête.—Non,pasencore.Maisj'enaitouchédeuxmotsàPetecematin.Ilditqu'iln'a
pasencorepudiscuteraveclapropriétaire.Elleestabsenteencemoment.—Ahbon...mais?— Il sembleque legérantdumagasin soit sonneveu.MaisPetem'aaffirmé
qu'ilconnaissaitbienlaproprio.— Oh... fit-elle, en se demandant si ça changerait quoi que ce soit à son
problème.
Sonpèretapotalapoêleaveclaspatuleetreprit:—Entoutcas,jemesuisditqu'ilvaudraitpeut-êtremieuxretarderlecoupde
filà tamère jusqu'àceque jesachecequis'est réellementpasséendétail.Çam'embêteraitqu'ellesefassedelabilepourrien.—Tuveuxdirequetupourraisaussibiennepasêtreobligédeluienparler?—Àmoinsquetun'insistes.—Non,non,çameva.T'asraison.Vautsansdoutemieuxattendre...— O.K., dit-il en remuant une dernière fois le mélange, avant d'éteindre la
plaque.Jecroisquec'estprêt.T'asunepetitefaim?—Énorme,tuveuxdire!Il sortit une assiette du placard, y posa une tortilla sur laquelle il versa le
mélange,puisluitenditletout.—Çatesuffit?—Amplement.—Ducafé?J'aiunecafetièrepleine,ajouta-t-ilenluitendantunetasse.Jonah
m'aditqueçat'arrivaitd'allerchezStarbucks,alorsj'aiachetélemême.Peut-êtrepasaussibonqueceluiqu'onsertchezeux,maisj'aifaitdemonmieux.Ellepritlatasseetledévisagea:—Pourquoit'esaussisympaavecmoi?—Pourquoijenedevraispasl'être?Parce quemoi j'ai été odieuse avec toi,aurait-elle pu répondre.Mais elle se
contentademarmonner«merci»,toutenayantl'impressiond'êtrel'héroïned'unépisodedeTwilightZone,danslequelsonpèreauraitenquelquesortetotalementoubliécestroisdernièresannées.Elle remplit sa tasse, puis s'attabla. Steve la rejoignit peu après avec son
assietteetsemitàroulersonburrito.—Comments'estpasséetanuit?Pastropmal,j'espère?—Ouais,tantquejedormais,çaallait.Leréveiln'apasétéaussifacile.—J'airéalisétroptardquej'auraisdût'acheterunmatelaspneumatique.—T'inquiète...Maisaprès lepetitdéj', je croisque jevaism'allonger. Je suis
encoreunpeufatiguée.Cesdeuxderniersjoursontétéassezlongs.—Peut-êtrequetunedevraispasboiredecafé.—Aucuneimportance,crois-moi...Derrièreeux, Jonahentradans lacuisineavecsonpyjamaTransformerset les
cheveuxenpétard.Ronniesouritmalgréelle.—Bonjour,Jonah.—Lestortuesvontbien?—Pasdeproblème.—Bontravail,commenta-t-ilensegrattantledos,tandisqu'ils'approchaitde
lacuisinière.Yaquoiaupetitdéj'?—Desburritos,réponditsonpère.D'un œil méfiant, Jonah lorgna la poêle, puis les ingrédients sur le plan de
travail.—Nemedispasquet'espasséducôtéobscurdelaForce,p'pa!Steveseretintdeglousser.
—C'estdélicieux.—C'estdutofu!Beuuurk!Ronnieéclataderireetseleva.—Etsi jetefaisaischaufferunePop-Tartà laplace?Sonfrèreparuthésiter,
commes'ils'agissaitd'unequestionpiège.—Avecdulaitchocolaté?Ronnieinterrogeasonpèreduregard.—Ilyenapleindanslefrigo,dit-il.Elle lui en versa donc un verre, qu'elle posa ensuite sur la table. Jonah ne
bougeapasd'unpouce.—O.K.,qu'est-cequisepasse?—Commentça?dit-elle.—C'est pas normal, expliqua Jonah.Quelqu'un devrait piquer sa crise. Il y a
toujoursquelqu'unquipiquesacriselematin.—T'esen traindeparlerdemoi? répliquaRonnie,commeelleglissaitdeux
Pop-Tartdanslegrille-pain.Jesuistoujoursdebonnehumeur...—Ouais,c'estça,dit-ilenplissantlesyeux.T'essûrequelestortuesvontbien?
Parcevousvouscomporteztouslesdeuxcommesiellesétaientmortes.—Ellesvontbien.Promis,luiassuraRonnie.—Jevaisallervérifier.—Vas-y,netegênepas.Illaregardaattentivement,avantd'ajouter:—Aprèslep'titdéj'!Stevesouritetsetournaverssafille.—Alors,qu'est-cequet'asprévuaujourd'hui?Aprèstasieste?— Tu fais jamais de sieste, s'étonna Jonah en s'emparant de son verre de
chocolat.—Çam'arrive,quandjesuisfatiguée.—Non,dit-ilensecouantlatête.Ilyauntrucquivapas,insista-t-ilenreposant
son verre. C'est trop bizarre, tout ça... Alors, pas question que je quitte cettecuisineavantdesavoircequec'est.Sitôtsonpetitdéjeunerterminé—etJonahcalmé—,Ronnieseretiradanssa
chambre.Steveaccrochadesserviettesdebainàlatringleàrideaux...maissafillen'eneutpasbesoin,carelles'endormitquasi instantanément,pours'éveillerensueur au beaumilieu de l'après-midi. Après une longue douche rafraîchissante,elles'habillaetpassaàl'ateliervoirsonpèreetsonfrèrepourleurdirecequ'ellecomptaitfaire.Toujourspasdepunitionenvuedelapartdesonpère.Bien sûr, il pouvait toujours la consigner plus tard, après avoir reparlé au
policieroutéléphonéàsamère.Oupeut-êtrequ'illuiavaitditlavérité...peut-êtrequ'ilavaitcrud'embléeensoninnocence.Ceseraitunegrandepremière,non?Quoi qu'il en soit, elle devait discuter avec Blaze... Aussi passa-t-elle deux
bonnesheuresàlachercher.Ellefitunsautchezsamère,puisausnacket,mêmesi elle n'y entra pas, elle regarda par la vitrine du disquaire, le cœur palpitant,pendantquelegérantavaitledostourné...MaisBlazenes'ytrouvaitpasnonplus.
Deboutsur la jetée,ellebalaya laplageduregard.Sanssuccès.Blazes'étaitpeut-être rendue à Bower's Point... le coin préféré de la bande deMarcus.MaisRonnien'avaitpasenvied'yaller toute seule.D'autantqueMarcusétaitbien ladernièrepersonnequ'ellesouhaitaitvoir,etqu'ellenepourraitpasraisonnerBlazeensaprésence.Ronnieallaitabandonner,quandellelarepéraentrelesdunes,pastrèsloinde
lajetée.Elleseprécipitasurl'escalier,afindenepaslaperdredevue,puisseruasurlaplage.SiBlazel'avaitremarquée,ellefitcommesiderienn'était,carelles'assitsurladuneetcontemplal'océanquandRonniel'eutrejointe.—Fautquetudisesàlapolicequetuasfait,déclara-t-elletoutdego.— J'ai rien fait. Etd'abord, c'est toiqu'onaarrêtée.Ronnieavaitenviede la
secouer.—T'asglisséces45toursetcesCDdansmonsac!—C'estpasvrai.—LesCDétaientceuxquetuécoutais!— Et la dernière fois que je les ai vus, ils se trouvaient à côté des casques,
répliquaBlazeenévitantdelaregarderenface.Ronniesentitlesangluimonterauxjoues.— C'est sérieux, Blaze. On parle de ma vie, là. Je peux écoper d'une
condamnation!Etjet'airacontécequis'étaitpasséàNewYork!—Ouais,etalors?Ronnieserralesdentspournepasexploser.—Pourquoitumefaisça,àmoi?Blazeselevaetépoussetasonjean.—Jen'aiabsolumentrienfait,dit-elled'untonglacialetcatégorique.Etc'est
d'ailleurscequej'aidéclaréàlapolicecematin.Incrédule, Ronnie la regarda s'éloigner l'air sûre d'elle, comme si elle croyait
réellementauxproposqu'elletenait.Ronnierepritensuiteladirectiondelajetée.Elle ne voulait pas rentrer, sachant que dès que son père reparlerait avec
l'agentPete, ilapprendraitcequeBlazeavaitdit.Bon,d'accord...peut-êtrequ'ilresteraittoujoursaussicool...maiss'ilnelacroyaitplus?EtpourquelleraisonBlazeagissait-elleainsi?ÀcausedeMarcus?Soitcelui-ci
l'yavaitpousséeparcequ'ilenvoulaitàRonniedel'avoirenvoyébalader l'autresoir, soit Blaze croyait qu'elle essayait de lui piquer son petit copain. Ronniepenchaitplutôtpourcettehypothèse,maisendéfinitiveçan'avaitpasvraimentd'importance.Quellesquesoientsesmotivations,Blazementaitetsemblaitavoirdécidédeluigâcherlavie.Ronnien'avaitrienavalédepuislepetitdéjeuner,maiselleétaittropcontrariée
pour avoir faim.Elle préféradonc rester assise sur la jetée jusqu'au coucherdusoleil,regardantlamerpasserdubleuaugris,puisàl'anthracite.Ellen'étaitpasseule;icietlà,lesgenspêchaient,mêmesi,àcequ'ellepouvaitvoir,çan'avaitpas l'airdemordre.Uneheureplustôt,un jeunecouples'était installéavecdessandwichs et un cerf-volant. Ronnie remarqua les regards tendres qu'ilséchangeaient. Des étudiants, sans doute, car ils ne semblaient guère plus âgés
qu'elle ; toutefois elle sentait entre eux une complicité naturelle qu'elle n'avaitencore jamaisconnuedanssespropres relations.Oh,biensûr,elleavaiteudespetits copains mais n'était jamais tombée amoureuse et doutait parfois deconnaîtreunjourlevéritableamour.Aprèsledivorcedesesparents,Ronnieavaitconsidérécesentimentavecuncertaincynisme.Commelaplupartdesesamis,auxparentségalementdivorcés...ceciexpliquantpeut-êtrecela.Quandlesderniersrayonsdusoleildisparurentàl'horizon,ellepritladirection
de la maison. Elle souhaitait rentrer à une heure correcte, ce soir-là. C'était lamoindredeschoses...histoiredemontreràsonpèrecombienelleappréciaitsonattitude compréhensive. En outre, malgré sa sieste matinale, elle se sentaitencore-fatiguée.Quandelleeutremontélajetée,Ronniepréférapasserparlecentre-villeplutôt
queparlaplage.Sitôtqu'elletournaàl'angledusnack,ellecompritqu'elleavaitprislamauvaisedécision.Unesilhouettesedécoupaitdanslapénombre,appuyéecontrelecapotd'unevoiture,unebouledefeuàlamain.Marcus.Saufqu'ilétaitseul.Elles'arrêtanet,lagorgeserrée.Il s'éloigna du véhicule, son visage apparaissant par intermittence sous la
lumièredesréverbères,tandisqu'ils'approchaitd'elle.ToutenregardantRonnie,ilfitroulersapeloteenflamméesurledosdesamain,avantdelarecueillirdanssapaume.Ilserraensuitelepoingetéteignitlaballeenprenantlaparole.—Salut,Ronnie.Sonsourirelerendaitencorepluseffrayant.Maiselleneflanchapaspourautant,carelletenaitàluimontrerqu'ellen'avait
paspeurdelui.Mêmesicen'étaitpastoutàfaitvrai...—Qu'est-cequetuveux?demanda-t-elle,toutenmaudissantsavoixunpeu
chevrotante.—Jet'aiaperçueetj'aieuenviedevenirtedirebonsoir.—C'estfait.Salut.Elleallaits'enaller,maisils'avançaetluibarralepassage.—J'aicrucomprendrequet'avaisdesproblèmesavecBlaze,murmura-t-il.Ellerecula,envahieparlachairdepoule.—Qu'est-cequetusais,aujuste?—J'ensaisassezpourmeméfierd'elle.—Jesuispasd'humeurpourcegenredetruc.Elle lecontournaet il la laissa
passer,cettefois,avantdel'interpeller.—T'envapas!Enfait,jetecherchais...parcequejevoulaisquetusachesque
jepourraispeut-êtreladissuaderd'agircommeellelefaitencemomentavectoi.Malgréelle,Ronniehésita.Marcusnelaquittaitpasdesyeux.—J'auraisdûteprévenirqu'elleestsuperjalouse.—D'oùtoncomportementquin'afaitqueverserdel'huilesurlefeu,hein?—C'était juste pour rigoler, l'autre soir. Je pensais que ce seraitmarrant. Tu
croisquejepouvaismedouterdecequ'elleallaittefaire?Biensûrqueoui...Etc'étaittoutàfaitcequetucherchais.—Alors,tâched'arrangerleschoses,dit-elle.ParleàBlaze,faiscequetudois
faire.Ilsecoualatête.— Tu m'as pas bien écouté. J'ai dit que je « pourrais » peut-être lui faire
entendreraison.Si...—Siquoi?Ilserapprocha.Lesruesétaientdésertes,remarquaRonnie.Pasunchatdans
lesparages,aucunevoitureaucarrefour.—Jepensaisqu'onpourraitdevenir...amis.Ellesesentitrougir,etlemotluiéchappaavantqu'ellepûtleretenir:—Quoi?—T'asbienentendu,cettefois.Etjepeuxréglertoutça.Ilétaitassezprèspour
latoucher,aussirecula-t-ellesubitement.—Éloigne-toidemoi,tuveux!Elle tourna les talons et s'enfuit à toutes jambes. Sachant qu'il la suivrait et
connaissaitmieux lavillequ'elle,elleétait terrifiéeà l'idéequ'il la rattrape.Ellehaletaitetsoncœurbattaitlachamade.Samaison ne se trouvait pas très loin,mais Ronnie ne tenait pas la grande
forme.Malgrélapeuretlamontéed'adrénaline,ellesentaitsesjambess'alourdir.Enbifurquantdansunerue,ellehasardauncoupd'œilpar-dessussonépauleetconstataqu'elleétaitseule...personnenelasuivait.Deretouraubungalow,Ronnien'entrapastoutdesuite.Ilyavaitdelalumière
dans le séjour, mais elle préférait se calmer avant d'affronter son père.Bizarrement,ellenesouhaitaitpasqu'ils'aperçoivedesafrayeur,aussiprit-elleletempsdes'asseoirsurlesmarchesdelavéranda,côtérue.Dans le ciel, toutes lesétoiles semblaient au rendez-vous, tandisque la lune
flottait non loin de l'horizon. Le parfum d'eau demer semêlait à la brume enprovenance du rivage, une senteur vieille comme le monde... En d'autrescirconstances,Ronnie l'auraitpeut-être trouvéeapaisante,maispour l'heureelleluiparaissaittoutaussiétrangèrequelereste.D'abordBlaze.Ensuite,Marcus.À sedemander si tout lemondeétait cinglé,
parici!Marcus...aucundoute.Bon,O.K.,pas fouà lier,biensûr... intelligent, rusé,et
autant qu'elle pouvait en juger, totalement insensible. Le genre de gars qui nepensait qu'à lui et à son plaisir. L'automne dernier, en cours d'anglais, Ronnieauraitdûlireleromand'unauteurcontemporain,etelleavaitchoisiLeSilencedesagneauxde Thomas Harris. Au fil des pages, elle découvrit que le personnagecentral, Hannibal Lecter, n'était pas psychopathe mais sociopathe... Ce futd'ailleurs lapremière foisqu'elle saisit ladifférenceentre lesdeux termes.Bienque Marcus ne soit pas un meurtrier cannibale, elle avait le sentiment queHannibaletluiseressemblaient,dumoinsdansleurmanièredevoirlemondeetleurrôledanslasociété.QuantàBlaze...elleétaitseulement...Ronniehésitait...esclavedesesémotions,certainement.Cholériqueetjalouse
aussi.Maispendantlajournéequ'ellesavaientpasséeensemble,Ronnienel'avaitpastrouvéeparticulièrementtordue...saufquec'étaitunevraieloquesurleplan
affectif,unetornaded'hormonesetd'immaturitéquisemaitladestructionsursonpassage!Ronnie soupira en se passant une main dans les cheveux. Elle n'avait pas
franchementenvied'entrer.Elleentendaitdéjàlaconversationdanssatête.Bonsoir,mapuce.Ças'estbienpassé?Pastrop.Blakeesttotalementsouslecharmed'unsociopathemanipulateuret
elleamentiauxflics,alorsjevaisallerentaule.Etpuis,tusaispas?Lesociopatheenquestionanonseulementdécidéqu'ilvoulaitcoucheravecmoi,maisenplusilm'asuivieenmecollantlatrouilledemavie!Àpartça,comments'estpasséetajournée,p'pa?Rienàvoiravecl'agréablediscussiond'après-dînerqu'ilsouhaitaitsansdoute.Cela signifiait qu'elle allait devoir mentir. Elle soupira encore et se leva
péniblementpourrentrer.Àl'intérieur,sonpèreétaitassissurlecanapé,uneBibleécornéeouvertesous
sesyeux.IllarefermadèsqueRonnieentradanslapièce.—'soir,mapuce.Commentças'estpassé?Jel'auraisparié...Ellegrimaçaunbrefsourire,enessayantdeprendresonairleplusnonchalant.—Jen'aipaseul'occasiondeluiparler,dit-elle.Difficile d'agir normalement,mais Ronnie ne se débrouilla pas tropmal. Elle
n'étaitpassitôtentréedanslesalonquesonpèrel'entraînadanslacuisine,oùilavait préparé un nouveau plat de pâtes... Tomates, aubergines, courges etcourgettesavecdespennes.IlsdînèrentpendantqueJonah,quiavaitdéjàprissonrepas, construisait un avant-poste Guerre des étoiles en Lego, un truc que lepasteurHarrisluiavaitapportéenpassantlesvoirenfindejournée.Ensuite,ilss'installèrentdansleséjouret,commesonpèrevoyaitbienqu'elle
n'avait pas envie de bavarder, il reprit sa Bible pendant qu'elle attaquaitAnnaKarénine—un livrequ'elleallaitadorer,àencroiresamère.Toutefois,mêmesil'ouvragesemblait luiplaire,Ronnienepouvaitseconcentrersursalecture.NonpasàcausedeBlazeoudeMarcus.Maisparcequesonpère lisait laBible.Elleavaitbeaufouillerdanssamémoire,Ronnienesesouvenaitpasl'avoirvulalire.Puiselleseditqu'ellen'yavaitpeut-êtrejamaisprêtéattention.Jonahachevalaconstructiondesonenginintersidéral—impossibledesavoirà
quoiça ressemblait—etannonçaqu'ilallaitsecoucher.Elle lui laissaquelquesminutes de battement, dans l'espoir qu'il dormirait avant qu'elle gagne lachambre,puisposasonlivreetseleva.—Bonnenuit,mapuce,ditsonpère.Jesaisqueçan'apasétéfacilepourtoi,
maisjesuisraviquetusoislà.Ellemarquaunepauseavantdetraverserlapiècepours'approcherdelui.Puis
ellesepenchaet,pourlapremièrefoisentroisans,l'embrassasurlajoue.—Bonnenuit,p'pa.Dans la pénombre de la chambre, Ronnie s'assit sur son lit... Elle se sentait
vidée.Bienqu'ellen'aitpasenviedefondreenlarmes—elledétestaitça—,elleretenait avec peine les émotions qui l'assaillaient. Elle étouffa un sanglot enreprenantsarespiration.
—Vas-y,chialeunboncoup,murmuraJonah.Super...Manquaitplusqueça!—Jepleurepas,sedéfendit-elle.—Turespirescommesitupleurais.—Maisnon.—Çamedérangepas,tusais.Ronnie renifla, tentant de recouvrer son sang-froid, puis sortit son pyjama
qu'elleavaitglissésousl'oreiller.Enleserranttoutcontresapoitrine,elleselevapourallersechangerdanslasalledebains.Aupassage,elleregardadistraitementparlafenêtre.Souslalune,lesableprenaitdesrefletsargentés,etlorsqueRonniese tournaendirectiondunidde tortue il lui semblavoirquelquechose remuerdanslapénombre.Après avoir humé l'air ambiant, le raton laveur se dirigea vers le nid,
uniquementprotégéparl'adhésifjaunetenduautourdespiquets.—Oh,merde!Lâchantsonpyjama,Ronniesortitillicodelachambre.Dèsqu'elledéboulaau
salonpuisdanslacuisine,elleentenditvaguementsonpèreluicrier:—Qu'est-cequisepasse?Mais elle avait déjà franchi la porte avant de pouvoir répondre. Elle gravit la
duneenagitantlesbras.—N000n!Arrête!Va-t'en!L'animalredressalatête,puisdétalaaussitôtetdisparutdel'autrecôtédela
dune.—M'enfin,qu'est-cequisepasse?EllesetournaetdécouvritJonahetsonpèresurlavéranda.—Ilsn'ontpasinstallélacage!
13–Will-Cela faisait à peine dix minutes que Will avait ouvert les portes du garage,
lorsqu'ilvitlafilletraverserlecouloirpourrejoindredirectementl'atelier.Toutens'essuyantlesmainsavecunchiffon,ils'avançaverselle.—Salut,dit-il,sourireauxlèvres.Jem'attendaispasàtevoirlà.—Merciden'avoirrienfait!rétorqua-t-elle.—Maisdequoituparles?—Jet'aidemandéuntructoutsimple!Uniquementdelesappelerpourqu'ils
installentlacage!Maist'asmêmepasétécapabledelefaire!— Attends deux secondes... Qu'est-ce qui se passe ? reprit-il en battant des
paupières.—Jet'aiditquej'avaisvuunratonlaveurrôderautourdunid!—Lenidaétésaccagé?—Commesitut'ensouciais.Jerêve,ouc'estlevolleyquit'arenduamnésique
?—Jeveuxjustesavoirsilenidestintact.Ellecontinuaitàluilancerdesregardsnoirs.—Ouais.Aucunsouci.Maisc'estpasgrâceàtoi!Surcesmots,elletournales
talonsetgagnalasortieàgrandesenjambées.—Attends!Ellel'ignoraetWillrestaplantélà,interloqué.—C'étaitquoi,ça?Par-dessus son épaule, Will aperçut Scott qui l'observait depuis le pont
élévateur.—Tuveuxbienmerendreunservice?luidemandaWill.—Genre?Ilsortitlesclésdesapocheetpartitendirectiondupick-upgarédansl'arrière-
cour.—Fautquetumeremplaces.J'aiuntrucàfaire.Scotts'avançaaussitôtverslui.—Attends!Dequoituparles?—Jereviensdèsquepossible.Simonpèresepointe,dis-luiquej'enaipaspour
longtemps.Tupeuxcommencersansmoi.—Tuvasoù?Willneréponditpas,maisScottvoulutlerattraper.—Disdonc,monpote!Pasquestionquejemedébrouilletoutseul!Onaune
tonnedebagnolesàfaire.Will s'enmoquaitet, sitôtsortide l'atelier, ilgagnasacamionnetteàpetites
foulées,sachanttrèsbienoùildevaitserendre.Illatrouvasurladune,uneheureplustard,deboutprèsdunid,toujoursaussi
encolère.—Qu'est-ce que tu veux ? Lâcha-t-elle,mains sur les hanches, en le voyant
approcher.—Tum'aspaslaisséfinirtoutàl'heure.J'aivraimentappelél'aquarium.—Benvoyons...Ilexaminalenid.—Yarienquicloche.Pourquoit'enfaistoutunplat?—Ouais,toutvabien.C'estpasgrâceàtoi,entoutcas.Willsentitl'agacement
legagner.—M'enfin,c'estquoitonproblème?—Monproblème,c'estquej'aidûdormirunefoisdeplusàlabelleétoile,parce
queleratonlaveurestrevenu.Lemêmedontjet'avaisparlé!—T'asdormidehors?—T'esbouchéouquoi?Oui, j'aidormi là, sur lesable !Deuxsoirsd'affilée,
parce que t'as pas fait ton boulot. Si j'avais pas regardé par la fenêtre au bonmoment,leratonlaveurseseraitattaquéauxœufs.Ildevaitsetrouveràunmètredunidquandj'aifiniparlechasserenluifoutantlatrouille.Ensuite,j'aidûresterlà,parcequejesavaisqu'ilallaitseépointer.C'estd'ailleurspourçaquejet'avaisdemandéd'appelerl'aquarium!Ensupposantquemêmeunmeccommetoi,quipassesontempssurlaplage,pouvaitnepasoublierdefairesonjob!Elle le fixait, comme pour essayer de le faire disparaître d'un simple regard
façon«rayondelamort».Iln'yrésistapas:—Tuveuxbienreprendreaudébut,histoiredevoirsij'aibienpigé.T'asvuun
ratonlaveur,ensuitet'asvouluquej'appellel'aquarium,etpuist'asencorevuunratonlaveur.Ett'asfinipardormiràl'extérieur.Exact?Elle ouvrit la bouche pour répondre puis se ravisa, préférant faire volte-face
poursedirigertoutdroitverslamaison.—Ilsviendrontdemainàlapremièreheure!luicria-t-il.Etjeterépètequeje
leurai passéuncoupde fil.Deux,même.D'abord, justeaprèsavoir installé lespiquetsetlabandejaune,etensuiteenquittantmonboulot.Combiendefoisjedoistelerépéterpourquetum'écoutes?Même si elle s'arrêtanet, elle ne voulut pas se retourner. Il enchaînamalgré
tout:— Et tout à l'heure, juste après ton départ du garage, je suis allé voir le
directeurde l'aquariumpour lui parlerdevivevoix. Ilm'adonc certifiéque sesgars viendraient ici dès demainmatin. Ils seraient volontiers venus aujourd'hui,maisilsavaienthuitnidsàprotégeràHoldenBeach.Elle se retourna lentement et le dévisagea, essayant de voir s'il lui disait la
vérité.—Pourcesoir,çavapastropaidermestortues,donc?—Testortues?—Ouais,affirma-t-elle.Mamaison.Mestortues.Surcesparoles,elleregagnale
bungalow,sanssesoucierdeleplanterlà,surlesable.Elleluiplaisait...C'étaitpaspluscompliquéqueça.
En retournant au garage,Will ne savait pas trop pourquoi il appréciait cettefille...Mais jamaisauparavant iln'avaitquitté le travailpourcouriraprèsAshley.Chaquefoisqu'ilavaitvucettefille,elles'étaitdébrouilléepourl'étonner,enfait.Ilaimaitsamanièrededirefranchementcequ'ellepensait,sansselaisserdémonterpar lui. Leplus ironique, c'était qu'il devait encore faire sespreuves.D'abord, ilavaitrenversédusodasursontee-shirt,ensuiteelle l'avaitquasimentsurprisenpleinebagarre,etvoilàquecematinelleleprenaitsoitpourunfainéant,soitpourabruti!Pasdequois'affoler,biensûr.Cen'étaitpasunecopine,etilnelaconnaissait
pasvraiment...Mais,curieusement, il s'inquiétaitdesavoircequ'ellepensaitdelui. Et, aussi incroyable que ça puisse paraître, Will voulait lui faire bonneimpression.Carilsouhaitaitaussiluiplaire...Bref,toutcelaétaitassezbizarreetnouveaupourlui,etpendantlerestedela
journée—oùiltravaillamêmeàlapausedéjeunerpourrattrapersamatinée—,ilnecessaderepenseràelle.Willdécelaitunecertainesincéritédanssamanièredes'exprimer et d'agir, une bienveillance et une gentillesse sous son apparencefragile.Quelquechoseluidisaitque,mêmes'ill'avaitdéçuejusqu'ici,ilauraittoujours
uneoccasiondeseracheter.Plus tard,cesoir-là, il la retrouvaassiseà l'endroitexactoù ilpensait lavoir,
dansuntransat,unlivreouvertsurlesgenoux,qu'ellelisaitàlumièred'unepetitelanterne.Ellelevalatêteàsonapproche,puissereplongeadanssonroman.—Jemesuisditquetuseraislà,dit-il.Tamaison,testortues,toutça...Commeelleneréagissaitpas,Willpromenasonregardalentour.Iln'étaitpas
trèstardetdesombressedéplaçaientderrièrelesrideauxdelapetitemaisonoùellevivait.—Pasderatonlaveurenvue?Plutôtquederépondre,elletournaunepagedesonbouquin.—Attends.Laisse-moideviner.T'asdécidédemesnober,c'estça?—Tudevrais pasêtreavec tesamis, soupira-t-elle, en traindepeaufiner ton
lookdevantunmiroir?Iléclataderire.—Trèsdrôle.Vafalloirquejelaretienne.—J'essayepasd'êtredrôle.Jesuissérieuse.—Oh,parcequ'onestsibeauxqueça,pasvrai?Enguisede réponse,elle revintàson livre,maisWill se rendaitbiencompte
qu'ellenelisaitpasvraiment.Ils'assitàcôtéd'elle.— « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille
malheureuse l'est à sa façon »[11], cita-t-il en désignant l'ouvrage. C'est lapremièrelignedetonroman.J'aitoujourspenséqu'ilyavaitduvrailà-dedans.Oupeut-êtrequec'estcequedisaitmonprofdelittérature,jesaisplustrop.Jel'ailuausemestredernier.—Tesparentsdoiventêtrefiersquetusacheslire.
—Eneffet. Ilsm'ontoffertunponeyetdestasdetrucs,quandj'airédigéuncompterendudelecturesurLeChatchapeauté[12].—C'étaitavantouaprèsquet'aiesprétenduavoirluTolstoï?—Oh,maistum'écoutes,alors...C'étaitjustepourvérifier.Ilécartalesbrasendésignantl'horizonetajouta:—C'estunesoiréemagnifique,non?J'aitoujoursadorécegenredenuits.C'est
superrelaxantd'entendrelesvaguessebriserdansl'obscurité,tutrouvespas?—T'espasdugenreàlâcherprise,toi,dit-elleenrefermantsonlivre.—J'aimebienlesgensquiaimentlestortues.—Alors, va rejoindre tes copains de l'aquarium. Ah,mince... c'est vrai qu'ils
sontoccupésàsauverd'autrestortues.Quantàtescopines,entrelamanucureetlebrushing,ellesn'ontpasuneminuteàelles,pasvrai?—Sans doute.Mais en fait, je suis venu parce que j'ai pensé que t'aimerais
peut-êtreavoirdelacompagnie.—T'inquiètepaspourmoi,rétorqua-t-elle.Maintenant,dégage.—C'estuneplagepublique.Etj'aimebiencecoin.—Alors,tuvasrester?—Oui,jecrois.—Danscecas,ça tedérangepassi je rentrechezmoi? Ilseredressaet, la
mainsurlementon,fitminederéfléchir.—Jesaispassic'estunebonneidée.Commenttupeuxêtresûrequejevais
resterlàtoutelanuit?Etavecceratonlaveur...—Qu'est-cequetuveuxdemoi,àlafin?—Situmedisaistonprénom,pourcommencer?Elles'emparad'uneserviette
debainetl'étalasursesjambes.— Ronnie, répondit-elle. Le diminutif de Veronica. Il s'inclina légèrement, en
tendantlesbrasderrièrelui.—O.K.,Ronnie.Situmeracontaistonhistoire?—Enquoiçat'intéresse?—Lâche-moideux secondes, répliqua-t-il en se tournantverselle. Je faisdes
efforts,O.K.?Il craignait sa réaction...mais tandis qu'elle rassemblait ses cheveux en une
queue-de-cheval souple, Ronnie parut se faire à l'idée qu'elle n'allait pas sedébarrasserdeluiaussifacilement.—O.K.Monhistoire. JevisàNewYorkavecmamèreetmonpetit frère,mais
ellenousaexpédiésicipourpasserl'étéavecnotrepère.Etlà,jemeretrouveentraindefairedubaby-sittingd'œufsdetortue,avecunvolleyeur-mécano-bénévoleàl'aquariumquimedraguecommeunmalade.—Jetedraguepas,protesta-t-il.—Ahnon?—Crois-moi,sic'étaitlecas,tut'enrendraiscompte.D'abord,tusuccomberais
forcémentàmoncharmeravageur.Pour lapremière foisdepuisqu'il l'avait rejointe,Will l'entendit rire. Ilprit ça
pourunsigneencourageant.
—Enfait,jesuisvenuparcequejemesentaismalàproposdecettehistoiredecage,et je voulaispasque tu sois là-dehors toute seule.Comme je te ledisais,c'estuneplagepubliqueetonsaitjamaissurquionpeuttomber.—Quelqu'uncommetoi?—C'estpasdemoiquetudevraist'inquiéter.Ilyadesgensmauvaispartout.
Mêmeparici.—Laisse-moideviner.Tumeprotégerais,alors?—Encasdepépin,jeleferaissanshésiter.Elleneréagitpasàcespropos,maisWillavaitl'impressiondel'avoirépatée.La
marée montait et tous deux observèrent l'écume argentée des vagues quiroulaientets'écrasaientsur lagrève.Derrière lesfenêtres, lesrideauxfrémirent,commesionlesobservait.Ronniebrisalesilenceenreprenantlaparole.—Àtontour.C'estquoi,tonhistoire?—Jesuisvolleyeur-mécano-bénévoleàl'aquarium,répliqua-t-ildutacautac.Elleritànouveau.Ilappréciaitsonnaturel,qu'iltrouvaitmêmecommunicatif.—Çat'ennuiepassijeresteunmomentavectoi?—C'estuneplagepublique.Ildésignalebungalow.—Fautpeut-êtrequetupréviennestonpèrequejesuislà?—Jesuispersuadéequ'illesaitdéjà,dit-elle.Lanuitdernière,iladûvenirvoir
touteslesdeuxminutessij'allaisbien.—Ilm'atoutl'aird'unbonpère.Ronnie parut soudain plongée dans ses pensées, puis elle secoua la tête et
changeadesujet.—Alors,commeça,t'aimeslevolley?—Çamemaintientenforme.—O.K.,maisturépondspasvraimentàmaquestion.—Çameplaît.J'iraispasjusqu'àdirequej'adoreça,remarque.—Enrevanche,t'adoresbousculerlesspectatrices,pasvrai?—Çadépenddecellesquejebouscule.Maisilyaquelquesjours,ças'estpas
tropmalpassé,jecrois.—Parcequem'inonderdesoda,tutrouvesçacool?—Sicetaccidentnes'étaitpasproduit,jeseraissansdoutepaslàavectoi.—Etmoi,jepourraisprofiterd'unesoiréepaisiblesurlaplage.—Oh,tusais,dit-ilensouriant,lessoiréessurlaplage,c'esttrèssurfait.—Entoutcas,c'estpascesoirquejelesaurai,hein?Iléclataderire.—Tuvasoù,encours?—J'yvaisplus,dit-elle.J'aipassémondiplômeilyadeuxsemaines.Ettoi?— Je viens de décrocher lemien au lycée Laney deWilmington. OùMichael
Jordanaétudié,figure-toi.—Jepariequetouslesélèvesdoiventlepréciser.—Non,rectifia-t-il.Pastous.Uniquementceuxquiontobtenuleurdiplôme.—O.K., soupira-t-elleen levant lesyeuxauciel. Et ensuite, t'asprévuquoi ?
Continuerdebosserpourtonpère?—Uniquementpendantl'été,dit-ilenprenantunepoignéedesablequ'illaissa
glisserentresesdoigts.—Etaprès?—J'aibienpeurdepaspouvoirterépondre.—Ahbon?—Jeteconnaispasassezpourtedonnercetteinfo...Jesaispassipeuxtefaire
confiance.—Donne-moiunindice,insistaRonnie.—Sioncommençaitpartoi?Qu'est-cequet'envisagesdefaire?Elleréfléchituninstant.— J'envisage sérieusement une carrière de gardienne de nid de tortue. Il
semblerait que j'aie un don pour ça. T'aurais dû voir comme le raton laveur adécampé!Àcroirequ'ilm'aprisepourSchwarzeneggerdansTerminator!—J'ail'impressiond'entendreScott...Commeelleleregardaitd'unairintrigué,ilexpliqua:—C'estmonpartenairedevolley,etleroidesréférencesciné.Dugenreàne
pas pouvoir faire une phrase sans allusion à un film. Bien sûr, il s'arrange engénéralpouryglisserunsous-entendusexuel.—Ilm'al'airdrôlementdoué.— Tout à fait. D'ailleurs, je pourrais lui demander de te faire une petite
démonstration.—Non,merci.Lesjeuxdemotsscabreux,c'estpasmontruc.—Turisquesdetrouverçamarrant.—Jepensepas.Tandisqu'ilscontinuaientàbavarder,Willsoutintsonregardetremarquaque
Ronnieserévélaitplusjoliequedanssonsouvenir.Drôleetintelligente,enplus,cequinegâtaitrien.Près du nid, les herbes folles se courbaient sous la brisemarine, et le bruit
régulierduressacsemblaitlesenvelopperdansunesortedecocondouillet.Toutlelongdelaplage,leslumièresbrillaientdanslesvillasdufrontdemer.—Jepeuxteposerunequestion?—Detoutefaçon,jesuispascertainedepouvoirt'enempêcher.—Qu'est-cequ'ilyaentreBlazeettoi?demanda-t-ilenagitantsespiedsdans
lesable.—Commentça?répondit-elle,unpeucrispée.—Jemedemandaisseulementpourquoitutraînaisavecellel'autresoir.—Oh...fit-elle,soulagée.Àvraidire,ons'estrencontréesquandellearenversé
lerestedemonsodasurmonteeshirt...alorsquejevenaisdefinirdenettoyercequet'avaisfait.—Turigoles?—Non,sérieux!Apparemment,c'estunecoutumelocalederenverserdusoda
sur les gens pour leur dire bonjour. Franchement, je préfère les salutationsclassiques,genre:«Salut!Ravidefairetaconnaissance.»Bref...Blazeavaitl'airsympaetjeconnaissaispersonned'autre,alors...ons'estbaladéesunmoment.
—Elleestvenuedormiriciavectoihiersoir?—Non.—Quoi?Elleveutpassauverlestortues?Ouaumoinstetenircompagnie?—Jeluienaipasparlé.Willdevinaqu'ellenesouhaitaitpasendireplus,aussichangea-t-ildesujeten
montrantlaplage.—Unepetitepromenade,çatedit?—Genre«romantique»,ouunesimplebalade?—Euh...justeunebalade.—Bravo!S’exclama-t-elleenbattantdesmains.Maissachequejetienspasà
m'éloignertrop,vuqueleratonlaveurapasl'airdetropinquiéterlesbénévolesdel'aquariumetquelesœufssonttoujourspasprotégés.—Détrompe-toi, lesgarsn'ontpaspris l'infoà la légère.D'ailleurs, jesaisde
source sûre qu'un de leurs bénévoles participe à la surveillance du nid en cemomentmême!—O.K.,maislavraiequestion,c'estpourquoi?Ilsmarchèrent sur la plage en direction de la jetée et passèrent devant une
dizainedevillasdufrontdemer,chacunedisposantd'unevasteterrasseetd'unescalierquidescendaitdirectementdanslesable.Quelquesmaisonsplusloin,unvoisin donnait une soirée et toutes les lumières du deuxième étage étaientallumées, tandis que trois ou quatre couples appuyés à la balustradecontemplaientlesvaguessouslalune.Will et Ronnie parlèrent peu, mais bizarrement le silence ne les gênait pas.
Ronnie conservait une distance suffisante entre elle et lui, afin d'éviter del'effleurerparmégarde.Parmoments,Willcrutentrevoirunsourirefugacesurseslèvres,commesielleserappelaitsoudainuneanecdotemarrantequ'ellen'avaitpasencorepartagéeavec lui.Detempsàautre,elles'arrêtaitpour ramasseruncoquillage, et il remarqua la concentration avec laquelle elle examinait satrouvaille,avantdes'endébarrasseroudelaglisserdanssapoche.Willignoraittantdechosesàsonsujet...Surbiendespoints,Ronniedemeurait
uneénigme.Tout lecontraired'Ashley,qui se révélaitdesplusprévisibles.Avecelle, Will savait à quoi s'en tenir, même si ce n'était pas vraiment ce qu'ilrecherchait.RienàvoiravecRonnie,donc,quiluidécochaunsourireàlafoisspontanéet
inattendu...àtelpointqu'ileutl'agréablesensationqu'elledevinaitsespensées.Si bien que lorsqu'ils firent demi-tour pour regagner le nid de la tortue, Willimaginaunbrefinstanttouteslesbaladesnocturnessurlaplagequ'ilferaitensacompagniedansunavenirlointain.De retour à la maison, Ronnie entra parler à son père, pendant que Will
déchargeaitsonpick-up. Il installaensuitesonsacdecouchageetsesaffairesàcôtédunid...IlauraitaiméqueRonniepuisseresteraveclui,maisellel'avaitdéjàavertiquesonpèrerisquaitdenepasdonnersonaccord.Quoiqu'ilensoit,ilétaitraviqu'ellepuisseaumoinsdormirtranquillementdanssonlit,cesoir.Will s'installa confortablement, songeant que cette soiréemarquait le début
d'unehistoire.Toutsemblaitdésormaispossible.Etlorsqu'ilsetournaensouriant
àRonnie,quiluifaisaitsignepourluisouhaiterbonnenuitdepuislavéranda,ileutl'impressiontoutaufonddeluiquepourelleaussic'étaitlecommencementd'unerelation.—Ilestmort?C'estqui?—Maisnon.C'estjusteuncopain.Dégage...Comme les paroles flottaient dans son esprit encore embrumé, Will tenta
péniblementdeserappeleroùilsetrouvait.Ilplissalesyeux,aveugléparlesoleilmatinal,etseretrouvaquasimentnezànezavecungamin.—Oh...salut,marmonnaWill.—Qu'est-cequetufaislà?—Euh...jemeréveille.—Jevoisbien.Maisqu'est-cequetufaisaislàhiersoir?Willsourit.Cegossel'interrogeaitcommeunpoliciersurunescènedecrime,ce
quiétaitassezcomique,comptetenudesatailleetdesonâge.—Jedormais,figure-toi.—Ouais,c'estça...WillseredressaetremarquaRonnie,quisetenaitunpeuàl'écart.Vêtued'un
tee-shirtnoiretd'unjeandéchiré,ellearboraitlamêmeexpressionamuséequelaveilleausoir.—Jem'appelleWill,reprit-t-il.Ettoi?Legarçonnetdésignasasœurd'unhochementdetêteenrépliquant:—Jesuissoncamaradedechambre.Çafaitunboutdetempsqu'onseconnaît.—Jevois,ditWillensegrattantlatête,toujourslesourireauxlèvres.Ronnies'approcha,lescheveuxencorehumidesaprèssadouchematinale.—C'estmonfrère...unvraifouineur.—Ah?fitWill.—Exact,confirmaJonah.Saufquejesuispasunefouine.—C'estbonàsavoir.Jonahcontinuaitàledévisager.—Jecroisbienquejeteconnais.—Çam'étonnerait.Sinonjemesouviendraisdetoi.—Non,jet'assure,insistaJonah,quisouritàsontour.Çayest,jesais!C'esttoi
qu'asditaupolicierqueRonnieétaitalléeàBower'sPoint!Willseremémoraaussitôtlascèneetsetourna,lamortdansl'âme,versRonnie
qui,d'abordétonnéepuisperplexe,comprenaitenfindequoiilsparlaient.Oh,non...MaisJonahcontinuaitsursalancée:—Ouais,mêmequec'estl'agentPetequil'aramenéeàlamaison,etp'paet
elleonteuunesupergrossedisputelelendemainmatin...WillvitRonnieserrerlamâchoireet,toutenmarmonnant,elletournalestalons
etfilaverslamaison.Jonahs'interrompitenpleinephrase,sedemandantcequ'ilavaitbienpudire
demal.— Merci de ta coopération, maugréa Will en se levant d'un bond pour la
rattraper.
—Ronnie!Attends!Allez,quoi... Jesuisdésolé!J'aipasfaitçapourt'attirerdesennuis.Arrivéàsahauteur,Willtenditlamainet,commesesdoigtseffleuraientletee-
shirtdeRonnie,ellefitvolte-face.—Va-t'en!—Écoute-moideuxsecondes...—Toietmoi,onarienencommun!Pigé?—Alors,hiersoir,çarimaitàquoi?Ellerougit.—Laisse-moi...tranquille.— Ton petit numéro n'a aucun effet sur moi, insista Will. Bizarrement, ses
parolesretinrentsuffisammentRonniepourqu'ilenchaîneaussitôt:—T'asévitélabagarre,alorsquetoutlemondelacherchait, l'autresoir.T'as
étélaseuleàremarquerlegossequipleurait,etj'aibienvutonsourireaffectueuxquandilestrepartiavecsamère.Enplus,tulisTolstoïdèsquet'asunmomentdelibre.Ett'aimeslestortuesdemer!Bien qu'elle eût redressé le menton d'un air rebelle, Will sentit qu'il avait
marquéunpoint.—O.K...etalors?—Alors,j'aimeraistemontreruntrucaujourd'hui.Ils'interrompit,soulagéqu'ellen'aitpas immédiatementrefusé.Toutefoiselle
n'avaitpasaccepténonplus,etavantqu'ellepuissesedéciderils'avançaàpeineverselleenajoutant:—Tuvasaimerça.Promis.Will s'engageadans leparkingdésertde l'aquarium,puis suivit unealléede
servicemenantà l'arrièredubâtiment.Assiseàsoncôté,Ronnien'avaitpasditgrand-chosedurantletrajet.Une fois lepick-upgaré, ils descendirentetWill la conduisit vers l'entréedu
personnel. Même si elle avait accepté de venir, il voyait bien que Ronnie avaitencorel'airdeluienvouloirunpeu.Illuitintlaportepourlalaisserentrer,tandisqu'uncourantd'airfraissemêlait
àlachaleurhumidedel'extérieur.Willl'entraînaensuitedansunlongcouloir,puisilsfranchirentunedeuxièmeportemenantàl'aquariumproprementdit.Unepoignéedegenstravaillaientdans lesbureaux,alorsque l'établissement
ne serait pas ouvert au public avant une heure. Will adorait y venir avantl'ouverture;leslumièrestamiséesdesréservoirsetl'absencedebruitdonnaientàl'endroit une atmosphère mystérieuse. Il était encore fasciné par les épinesvenimeusesdespoissons-scorpionsquiévoluaientdansleurcagedeverre,remplied'eaudemer,dontilseffleuraientlesparois...etilsedemandaitsicesrascassesvolantesd'ungenreparticulieravaientconsciencedeleurhabitatréduitoumêmedesaprésence.Ronnie marchait à son côté et observait l'activité environnante. Elle resta
muette,maisvisiblementintéressée,devantl'énormeréservoirabritantlarépliquede l'épaved'un sous-marin allemandde la SecondeGuerremondiale. Lorsqu'ilsparvinrentàl'aquariumdesmédusesquiondulaientetdéployaientleursombrelles
fluorescentes sous une lumière noire, Ronnie s'arrêta pour effleurer la vitre,émerveillée.—Aureliamita,déclara-t-il.Aussiconnuesouslenomdeméduseaurélie.Ronniehochalatête,captivéeparleursmouvementsalanguis.—En voyant ces créatures délicates, dit-elle, on a dumal à croire que leurs
piqûressoientaussidouloureuses.Enséchant,lescheveuxdeRonnieparaissaientplusfrisésquelaveille,sibien
qu'onauraitditungarçonmanquéàlatignasseébouriffée.—Nem'en parle pas. Je crois qu'ellesme piquent aumoins une fois par an
depuisquejesuistoutpetit.—Tudevraisessayerdeleséviter.—C'estcequejefais,maisellesfinissenttoujoursparmetrouver.Jecroisque
jelesattire.Elleeutunsouriretimide,puissetournapourluifaireface.—Qu'est-cequ'onfaitlà,aujuste?—Jet'aiditquejevoulaistemontreruntruc.— C'est pas la première fois que je vois des poissons. Et j'ai déjà visité un
aquarium...—Jem'endoute.Maisc'estuntrucspécial.—Parcequ'iln'yaencorepersonneici?—Non,réponditWill.Parcequetuvasvoirquelquechosequelepublicnevoit
pas.—Quoidonc?Toietmoi,devantunréservoird'eaudemer?Ilsouritàbellesdents.—Beaucoupmieuxqueça.Viens,suis-moi.D'ordinaire,danscegenredesituation,iln'auraitpashésitéàprendrelamain
delafille,maisWillnepouvaitserésoudreàtenterlecoupavecRonnie.Ildésignadupouceunpetitcouloir,unpeu l'écartetpouvant facilementpasser inaperçu.Unefoistousdeuxarrivésauboutdecepassage,Wills'arrêtadevantlaporte.—Nemedispasqu'ilst'ontoctroyéunbureau,ironisa-t-elle.—Non,répliqua-t-ilenpoussantlaporte.Jetravaillepasici,tuterappelles?Je
suisjustebénévole.Ilspénétrèrentalorsdansunegrandepièceenparpaings,traverséedeconduits
d'aération et de tuyaux. Au plafond, on entendait vaguement bourdonner desnéons,dont lebruitétaitmasquépar lesénormesfiltresàeauquitapissaient lemur du fond. Un réservoir géant, ouvert sur le dessus et presque entièrementremplid'eaudemer,chargeaitl'airambiantd'uneforteodeurdesel.Will l'entraîna sur la passerelle métallique qui entourait l'aquarium, et ils
descendirentlesmarchesenalu.Del'autrecôtédel'énormecuvesetrouvaitunevitreenPlexiglas.Grâceà l'éclairageensurplomb,ondistinguait lacréaturequinageaitlentement.IlobservaRonnielorsqu'ellefinitparl'identifier.—C'estunetortuedemer?—Unecaouanne,enfait.Elles'appelleMabel.Comme la tortue glissait devant la vitre, Ronnie aperçut les cicatrices sur sa
carapaceetconstataqu'illuimanquaitunenageoire.—Qu'est-cequiluiestarrivé?—Elleaétéblesséeparunehélicedebateau.Onl'asauvéeilyaenvironun
mois, alors qu'elle étaitmourante. Un spécialiste de l'université de Caroline duNordadûamputerunepartiedesanageoireantérieure.Dans l'aquarium, incapablede flottercorrectement,Mabelnageaitunpeude
travers;ellesecognaàlaparoidufond,puisrepritsoncircuit.—Ellevas'ensortir?—C'estunmiraclequ'elleaitvécuaussilongtemps,etj'espèrequ'ellevas'en
tirer. Elle a repris des forces, remarque. Mais personne ne sait si elle pourrasurvivredansl'océan.Ronnieobservalatortue,quiheurtaitdenouveaulaparoiavantderectifiersa
trajectoire,puissetournaversWill.—Pourquoituvoulaisquejelavoie?— Parce que j'ai pensé que tu l'aimerais autant que moi, répondit-il. Même
éclopée,avecsescicatricesettoutça...Ronnie parutméditer sur ses paroles,mais ne dit rien. Elle préféra poser de
nouveau son regard sur Mabel et l'observer en silence. Tandis que la créaturedisparaissaitdansl'ombre,àl'arrièreduréservoir,WillentenditRonniesoupirer.—Aufait,t'espascenséêtreaugarage,toi?reprit-elle.—C'estmonjourderepos.—L'avantagedetravaillerpourpapa,hein?—Onpeutdireça...Elle tapota sur la vitre, histoire d'attirer l'attention deMabel. Après un petit
moment,elledemandaàWill:—Bon...etqu'est-cequetufaisd'habitude,quandt'esencongé?—UnvraigarsduSud,pasvrai?Unecanneàpêcheàlamain,lenezauvent
etlatêtedanslesnuages.Pourparfaireletableau,tudevraisporterunecasquetteNASCARetmâchouillerdutabac.Ils avaient passé une autre demi-heure à l'aquarium— où Ronnie adora les
loutres—,avantqueWill l'emmèneacheterdescrevettescongelées.Ensuite, ilss'étaient installés dans un coin encore sauvage qui donnait sur l'IntracoastalWaterway,etilavaitsortisonattiraildepêchedelacamionnette.Àprésent,ilssetenaientassisaubordd'unpetitembarcadère,lesjambesballantesau-dessusdel'eau.—Faispastasnob,répliqua-t-il.Crois-leoupas,maisleSud,c'estgénial.Ona
l'eaucouranteetletout-à-l'égout,tusais.Etleweek-end,onjoueàs'embourber.—Commentça?—Onrouleen4x4danslaboue.—Çam'al'airtellement...intello,commenta-t-elleenfeignantunairrêveur.Illuidonnaunpetitcoupdecoudeamusé.—Ouais,tupeuxtoujourstemoquerdemoi,maisc'estmarrant.T'asdel'eau
boueusesurtout lepare-brise, tut'enlises, tesrouespatinentetéclaboussent legarsjustederrièretoi.—Rienqued'ypenser,jetrouveça...exaltant,dit-elled'untonpince-sans-rire.
—Jesupposequec'estpascommeçaquetupassestesweek-ends.Ellesecoualatête.—Euh...non.Pasvraiment.—JepariemêmequetuquittesjamaisManhattan,si?—Biensûr.Puisquejesuislà!—Tuvoiscequejeveuxdire.Lesweek-ends...—Pourquoijevoudraisquitterlaville?—Peut-êtrepourt'isolerdetempsentemps?—Danscecas,j'aimachambre.—Sinon,tuvasoù,neserait-cequepourt'asseoirsousunarbreetbouquiner?—ÀCentralPark,répliqua-t-elle.IlyacettesuperbuttederrièrelerestoTavern
ontheGreen.Etjepeuxm'acheteruncaféaulaitdanslecoin.Àsontourdesecouerlatête...d'unairfaussementdépité.—T'escitadinejusqu'auboutdesongles.Tusaispêcher,aumoins?—Oh,c'estpassicompliqué.Suffitd'accrocherl'appâtàl'hameçon,delancer
laligne,puisdetenirlacanne.Jusque-là,j'aitoutbon?—Çapourraitaller,sipêcherselimitaituniquementàça.Maistudoissavoiroù
lancertaligneetêtreassezdouéepourqu'elleplongeàl'endroitexactoùtul'asdécidé.Ensuite,fautquetusacheschoisirtesappâtsettesleurres,etçadépenddepleindetrucs:letypedepoisson,lamétéooulaclartédel'eau.Etpuis,biensûr, faut savoir à quelmoment ferrer. Si tu t'y prends trop tôt ou trop tard, lepoissonauraletempsdefiler.Ronnieréfléchitàsesremarques.—Alors,pourquoit'asoptépourdescrevettes?—Parcequ'ellesétaientenpromo!Ellegloussaet,àsontour,lepoussagentiment.—Unpointpourtoi!Maisj'imaginequejel'avaischerché!WillsentaitencorelachaleurdeRonniesursonépaule.— Tu mérites pire que ça. Crois-moi, la pêche, c'est une vraie religion pour
certainsgarsducoin.—Toiycompris?— Non. Pêcher, c'est... contemplatif, on va dire. Ça me permet de réfléchir
tranquillement sans être dérangé. Et puis, je peux rêver, avec ma casquetteNASCARsurlatête,enmastiquantmontabac.Elleplissalenez.—Nemedispasquetuchiquesvraiment,si?—Non. J'aimepastrop l'idéedeperdremes lèvresàcaused'uncancerde la
bouche.—Undeuxièmebonpointpourtoi,dit-elle,enbalançantsesjambesd'avanten
arrière.Jenesortiraisjamaisavecunmecquichique.—Tuveuxdirequelà,encemoment,onsortensemble?—Non.Çan'arienàvoir.Là,onestentraindepêcher.—Décidément,onenapprendtouslesjours...M'enfin,c'estça,lavie...—Oncroiraitentendreunepubpourlabière.Unbalbuzardpassajusteau-dessusd'euxaumomentoùlalignes'enfonçaità
deux reprisesdans l'eau.Will redressa lacannecomme la lignese tendait. Il sereleva tant bien quemal et commença à rembobiner le fil avec lemoulinet, lacannesecourbantdéjà.ToutarrivasirapidementqueRonnieeutàpeineletempsdecomprendrecequisepassait.—T'enasattrapéun?demanda-t-elleenselevantd'unbond.—Approche-toi!Insista-t-ilencontinuantàrembobiner,tandisqu'ildéplaçait
lacanneverselle.Tiens!Prends-la!—Jepeuxpas!hurla-t-elleenreculant.—C'estpasdifficile!Prends-laetrembobine!—Jesaispasquoifaire!—Jeviensdeteledire!Ronnies'approchapeuàpeu,etWillluicollacarrémentlacanneàpêchedans
lesmains.—Maintenant,net'arrêtepas!Elle observa la canne qui s'enfonçait davantage dans l'eau, tandis qu'elle
commençaitàtournerlemoulinetverselle.—Redresse-la!Gardelalignebientendue!—Jefaisdemonmieux!—Tut'ensorsvachementbien!Le poisson surgit à la surface—un petit rouget, remarquaWill— et Ronnie
poussa un cri de panique. Comme il s'esclaffait, elle rit aussi en sautillant surplace. Lorsque le poisson ressurgit dans une gerbe d'eau, Ronnie hurla de plusbelle en faisant des bonds, avec cette fois une farouche détermination sur levisage.Will songea qu'il n'avait pas assisté à une scène aussi comique depuis
longtemps.—Continue ceque t'esen trainde faire, l'encouragea-t-il. Ramène-le vers le
quaietjem'occuperaidureste.Épuisette enmain, il s'allongea à plat ventre et tendit le bras au-dessus de
l'eau, tandis queRonnie remontait toujours la ligne.D'unmouvement rapide, ilrécupéralepoissondanslefilet,puisseremitdebout.Ilrenversal'épuisetteetlepoissontombasur l'embarcadèreenbattantdesnageoires.Moulinettoujoursenmain,Ronnies'agitait,pendantqueWillrécupéraitlaligne.—Qu'est-cequetufais?Vociféra-t-elle.Tuvaspasleremettreàl'eau?—T'inquiètepaspourlui...—Ilestentraindemourir!Wills'accroupitetplaqualepoissonausol.—Non,regarde!—Fautqueturetiresl'hameçon!S’exclama-t-elle,hystérique.—Deuxsecondes!—Ilsaigne!Tul'asblessé!Gémit-elle.Willl'ignoraets'employaàdécrocherl'hameçon.Ilsentaitlaqueuedupoisson
frétillerenclaquantsurledosdesamain.Lepetitrougetdevaitpeseràpeineplusdeunkilo,maissemontraitd'unerésistanceincroyable.—Tutraînestrop!S’effrayaRonnie.
Ilfitdoucementglisserl'hameçonhorsdelagueuledupoisson,maismaintintcelui-cisurlesol.—T'essûredepasvouloirlerapportercheztoipourdîner?Tudevraispouvoir
leverdeuxoutroisfilets.N'en croyant pas ses oreilles, elle resta bouche bée... Mais avant qu'elle se
ressaisisse,ilavaitremislerougetàl'eau.Celui-ciplongeaetdisparut,tandisqueWillessuyaitsesmainspleinesdesangavecuntorchon.Lesjouesécarlates,Ronnielecontemplaittoujoursd'unairaccusateur.—Tul'auraismangé,hein?Sij'avaispasétélà?—Jel'auraisremisàl'eau.—Pourquoij'aidumalàtecroire?—Parcequet'assansdouteraison,dit-il,sourireauxlèvres,avantderécupérer
lacanneàpêche.Bon...tuveuxappâterleprochain,oujem'encharge?— En ce moment, ma mère se prend la tête avec le mariage de ma sœur,
histoirequetoutsepassecommesurdesroulettes,déclaraWill.Alors,disonsquec'estunpeu...tenduàlamaison.—C'estpourquandlemariage?—Le9août.Commemafranginetientàl'organisercheznous,çafacilitepas
vraimentlasituation.Etçafaitqu'ajouteraustressdemamère.Ronnieesquissaunsourire.—Elleestcomment,tasœur?—Super.EllevitàNewYork.Plutôtindépendante,commenana.Elleressemble
assezàuneautresœuraînéedemaconnaissance.Cettedernière remarquesemblaplaireàRonnie.Tandisqu'ils flânaientsur la
plage,lesoleilsecouchaitetWillsentaitbienqueRonniesedétendait.Ilsavaientfini par attraper trois autres poissons, qu'ils remirent chaque fois à l'eau, avantqu'illaramèneàWilmington,oùilsavaientdéjeunésuruneterrassesurplombantla rivière Cape Fear. Il avait alors attiré son attention sur la rive opposée, oùmouillait PUSS North Carolina, un vaisseau de guerre déclassé, datant de laSecondeGuerremondiale.Enl'observantàladérobée,tandisqu'ellecontemplaitlebâtimentauloin,Willn'enrevenaitdelasimplicitédeleursrapports.Àl'inversedesautresfillesqu'ilconnaissait,elledisaitcequ'ellepensaitetneselivraitpasàdespetitsjeuxstupides.Iladoraitsonsensdel'humourunpeudéjanté,mêmesiellelevisaitdirectement.Àvraidire,ilappréciaittoutchezelle.Comme ils approchaientmaintenant de samaison, Ronnie partit en courant
pourvérifier l'étatdunidde tortueaupiedde ladune.Elleseplantadevant lacage réalisée à base de grillage de basse-cour, que des piquets plus longsmaintenaientdanslesable,etquandillarejoignit,ellesetournaversluid'unairdubitatif.—Cetruc-làvaéloignerleratonlaveur?—C'estcequ'ilsm'ontditàl'aquarium.Elleexaminal'installation.—Commentlesbébéstortuesvontsortir?Ilspourrontpaspasserparlestrous,
si?Willsecoualatête.
—Lesbénévolesretirentlacageavantl'éclosion.—Commentilspeuventconnaîtreladate?—C'estscientifique,toutça.Lesœufsincubentunesoixantainedejoursavant
d'éclore,maisçavarieenfonctiondelamétéo.Plusl'étéestchaud,plusviteilséclosent.Etn'oubliepasquec'estpasleseulniddelaplage,etquec'étaitpaslepremier nonplus.Quand le premier nid se libère, les autres suivent en généraldanslasemaine.—T'asdéjàassistéàuneéclosion?—Quatrefois.—Çasepassecomment?—C'estunpeulafolie,enfait.Àmesurequ'onapprochedujourJ,onenlèveles
cages,puisoncreuseunetranchéepastropprofondedepuislenidjusqu'aubordde l'eau, la plus régulièrepossible,mais assezhaute sur les côtéspourque lesbébéstortuesaillentdansuneseuledirection.Etc'estbizarreparceque,audébut,iln'yaquedeuxoutroisœufsquiremuent,maisondiraitqueçasuffitàébranlerla totalité du nid... et t'as pas le temps de réagir que la nichée commence àgrouiller comme une ruche en ébullition. Les tortues grimpent les unes sur lesautrespoursortirdutrou,etensuitetulesvoisseprécipiterversl'eaucommedescrabes.C'estfascinant.Tout en lui décrivant la scène, il eut l'impression que Ronnie tentait de
l'imaginer.Puiselleaperçutunhommequisortaitsurlavérandaetluifitsigne.—J'imaginequec'esttonpère?S’enquitWillendésignantlamaison.—Toutàfait.—Tuveuxpasmeprésenter?—Non.—Jeteprometsdemeteniràcarreau.—Çavaudraitmieux.—Alors,pourquoinepasmeprésenter?—Parcequetum'aspasencoreemmenéecheztesparents.—Etpourquoifaudraitquetulesrencontres?—Exact!—Jesuispastrèssûrdevoiroùtuveuxenvenir.—Alors,commentt'aspulireTolstoïdeboutenbout?Sijusque-làilétaitdéconcerté,àprésentWills'avouaittotalementperdu.Elle
commençaàs'éloigneretilfitquelquespaspourlarattraper.—T'espasfacileàpiger,tusais...—Et?—Etrien...Jemefaisaisjustelaréflexion.Elle sourit dans sa tête, tout en jetant un regard vers l'horizon. Au loin, un
crevettierrentraitauport.—Jeveuxêtrelàquandçaseproduira,reprit-elle.—Quoidonc?—L'éclosion.Àquoijepensais,d'aprèstoi?Ilsecoualatête,toujoursunpeuconfus.—Ah...onestrevenussurcesujet.Bon...O.K.,turentresquandàNewYork?
—Finaoût.—Çavafairejuste.Espéronsquel'étéseratorride.—C'estplutôtbienparti.Jecrèvedechaud.—Parcequetuportesdunoir...etunjean.—J'avaispaspenséquejepasseraistoutelajournéedehors.—Sinon,tuseraisenBikini,c'estça?—Jepensepas,non.—T'aimespaslesBikini?—Biensûrquesi.—Saufquet'enportespasdevantmoi?—Pasaujourd'hui,précisa-t-elleenrejetantlatêteenarrière.—Etsijeteprometsunenouvellesortiedepêche?—N'aggravepastoncas...—Unepartiedechasseaucanard,alors?Ronniefaillits'étranglerdestupéfaction.—Nemedispasquetutuesréellementdescanards?Commeilsetaisait,elle
enchaîna.—Cespetitescréaturestoutesgentillesquis'envontàtire-d'aileversleurmare
etn'embêtentpersonne?Ettoi,t'enprofitespourleurtirerdessusenpleinvol?Willméditasurlaquestion.—Seulementenhiver.—Quandj'étaisgamine,mapeluchepréféréeétaituncanard.J'avaisdupapier
peintavecdescanards,etunhamsterappeléDaffy.J'adorelescanards!—Moiaussi...Ronnie ne chercha même pas à dissimuler son doute. Will compta sur ses
doigts,enénumérant:—Jelesaimeàlapoêle,rôtis,bouillis,avecunesauceaigre-douce...— C'est horrible ! lâcha-t-elle en lui donnant un violent coup de coude qui
manqualuifaireperdrel'équilibre.—C'estmarrant!—T'esunhommecruel.—Parfois,admit-il.Ilmontradenouveaulebungalowetajouta:— Bon, si t'as pas envie de rentrer tout de suite, t'accepteras peut-être de
m'accompagnerquelquepart?— Pourquoi ? T'as prévu dememontrer une autremanière d'assassiner des
petitsanimauxsansdéfense?—J'aiunmatchdevolleyquicommencebientôtetj'aimeraisquetuviennes.
Ceseraitsympa.—Tuvasencorem'arroserdesoda?—Seulementsit'asungobeletàlamain.Ronniehésitaàpeine,puisrepritavec lui ladirectiondela jetée. Il lapoussa
affectueusementducoude,etelleluirenditlapareille.—Jecroisquet'asdesérieuxproblèmes,dit-elle.—Quelgenre?
—Ben...pourcommencer,t'esuntueurdecanardsensérie!Il éclata de rire avant même de croiser son regard. Ronnie secoua la tête,
incapablededissimuler son sourire, commesi elle s'étonnaitde leur complicitétoutenprofitantdechaqueinstant.
14–Ronnie-S'iln'étaitpasaussicanon,riendetoutçaneseraitjamaisarrivé!ToutenregardantWilletScottsedémenersurleterrain,Ronnieréfléchissaità
la succession d'événements qui l'avait amenée là. Elle étaitvraimentallée à lapêcheaujourd'hui?Aprèsavoirobservéunetortueconvalescentenagerdansungrandréservoir...àhuitheuresdumatin!Ellesecoualatêtecommepourseressaisiretéviterdetropsefocalisersurle
corpssvelteetmusclédeWill,quicouraitaprès laballesur lesable.Difficiledel'ignorer,vuqu'ilétaittorsenu!Peut-êtreque l'éténeseraitpassihorrible,endéfinitive...Biensûr, lamême
idéeluiavaittraversél'espritaprèssarencontreavecBlaze...etregardeoùfat'amenée!Will ne correspondait pas vraiment à son type, mais en le voyant jouer elle
commençait à se demander si c'était si gênant, après tout. Dans le passé, ellen'avait pas franchement eu de chance en choisissant ses mecs. Rick en étaitl'exemple leplusflagrant.DieusaitqueWillserévélaitbienplus intelligentquetouslesautresgarsaveclesquelsRonnieétaitsortie...sanscompterqu'ilsemblaitvouloir faire quelque chosede sa vie. Il travaillait, faisait dubénévolat, était unsacrébonathlète, et s'entendaitmêmeavec sa famille !Bon,O.K... il en faisaitparfoisdestonnesdans legenreexcuse-moi-de-te-demander-pardon,maisneselaissaitpasfairepourautant.Lorsqu'elleletaquinait,ilenredemandait—etpasqu'unpeu,enfait—,etRonniedevaitbienadmettrequ'elleaimaitplutôtça!Unseultruclalaissaitperplexe:elleignoraitpourquoielleluiplaisait.Ronnie
ne ressemblait en rien aux filles qu'il avait l'air de fréquenter le soir de la fêteforaine...et, sincèrement,ellen'étaitmêmepascertainequ'ilaiteuenviede larevoir après cette journée. Elle l'observa rejoindre la ligne de service à petitesfoulées,puislancerunregarddanssadirection,visiblementraviqu'ellesoitvenue.Il se déplaçait avec aisance et, en prenant position pour servir la balle, il fit unsigneàScott,lequeldonnaitl'impressiondejouercommesisavieendépendait.Dèsquesoncopainsetournaverslefilet,Willrouladesyeuxd'unairdedire:«C'estqu'unjeu,enfin!»,cequeRonnietrouvaitassezrassurant.Ensuite,unefoisqu'il eut lancé la balle, il s'avança sur le côté pour la renvoyer en faisant despassesàsonéquipe.Quandiln'hésitapasàplongersurleballonenprojetantdusablealentour,Ronniesedemandasiellen'avaitpasrêvé...maisilfrappatropfortet laballesortitduterrainsousleregardassassindeScott,qui levalesbras,encolère. Will n'y prêta pas attention et fit un clin d'œil à Ronnie, avant de seremettreenposition.—Alorscommeça,Willettoi...?Éberluée,Ronnien'avaitpasremarquélafillequis'étaitassiseàcôtéd'elle.En
seretournant,ellereconnut lablondequiaccompagnaitWilletScott, le fameuxsoirdelafêteforaine.—Pardon?Soninterlocutricesepassaunemaindanslescheveuxetluidécochaunsourire
hollywoodien.—Willettoi...Jevousaivusarriverensembleavantlematch.—Oh...D'instinct,Ronniesentitqu'ilvalaitmieuxnepasendireplus.Si lablonde se rendit comptede laméfiancedeRonnie, ellen'en laissa rien
paraître.Toutenramenantsachevelureenarrièred'unhabilemouvementdetêtequ'elle avait dû travailler devant unmiroir, elle la gratifia d'un nouveau sourireéblouissant.Àtouslescoups,ellelesafaitblanchir.—Moi,c'estAshley.Ettut'appelles...—Ronnie.Ashleynelaquittaitpasdesyeux.—Ett'esenvacances?QuandRonnieluilançaunvagueregard,lafilleluisouritencoreenajoutant:—Situétaisd'ici,jel'auraissu.JeconnaisWilldepuistoutpetit.—Oui,oui,ditRonnie,toujoursaussiévasive.—Vousvousêtesrencontrésquandilt'abousculéeenrenversanttonsoda,pas
vrai?Leconnaissant,jepariequ'ill'afaitexprès.—Quoi?répliquaRonniedansunbattementdepaupières.—C'estpaslapremièrefoisquejelevoisàl'œuvre.Laisse-moideviner, ilt'a
aussiemmenéeàlapêche,non?Surcepetitpontondel'autrecôtédel'île?DifficilepourRonniedemasquersasurpriseàprésent.—C'esttoujourscequ'il faitquandildécouvreunenouvellenana.Oualors il
l'emmènevoirl'aquarium.Tandis qu'Ashley continuait, Ronnie la dévisagea d'un air incrédule, tout en
sentantl'universserétréciràvued'œilautourd'elle.—Maisdequoituparles?demanda-t-elled'unevoixbrisée.Ashleyenroulalesbrasautourdesesjambes.—Nouvellefille,nouvelleconquête!Oh,fautpasluienvouloir,dit-elled'unair
dégagé.C'estjustesafaçond'être.Ilpeutpass'enempêcher.Ronniesesentitblêmir.Elles'efforçadenepasécouter,denepascroireàce
qu'elleentendait...Maislesparolesrésonnaientdanssatête...Laisse-moideviner,ilt'aaussiemmenéeàlapêche,non?Oualorsill'emmène
voirl'aquarium...S'était-elle trompée à ce point sur Will ? Décidément, Ronnie se trompait à
proposdetout lemondedanscetteville.Logique,enunsens,vuqu'ellen'avaitjamaisvouluymettrelespieds.Enprenantuneprofondeinspiration,elles'aperçutqu'Ashleyl'observaitattentivement.— Un problème ? S’enquit cette dernière, ses impeccables sourcils tricotant
d'unairsoucieux.J'aidituntrucquit'acontrariée?—Toutvabien.
—Parcequej'aicruquet'avaiscommelanausée,toutd'uncoup.—Jeviensdetedirequej'allaisbien,rétorquaRonnied'untoncassant.Ashley entrouvrit la bouche pour réagir vivement, puis la referma, avant de
grimacer,toutsucretoutmiel:—Oh,non...Nemedispasquetucraquaisvraimentpourlui?Nouvellefille,nouvelleconquête!C'estjustesafaçond'être...Cesmotsluirevenaientsanscesse,etRonnienerépondaittoujourspas...çalui
étaitimpossible.Danslesilence,Ashleyenchaîna,pluscharitablequejamais:— Écoute, ne t'en veux pas... parce que c'est sans doute le gars le plus
charmantdumonde,quandilveut.Fais-moiconfiance,jesaisdequoijeparle,j'aisuccombémoiaussiàsoncharmeElledésignaalorslesspectateursd'unhochementdetête,enprécisant:—Commelamoitiédesfillesquetuvoisautourduterrain.D'instinct,Ronniebalaya lepublicdu regardet repéraunedemi-douzainede
joliesfillesenBikiniquiavaienttouteslesyeuxrivéssurWill.Ellerestaitmuette,alorsqu'Ashleypoursuivaitsursalancée.—Jemesuis justeditquet'étaiscapabledevoirclairdanssonjeu...Tum'as
l'air un peu plus subtile que les nanas d'ici, je veux dire. J'imagine que j'ai cruque...—Fautquejefile,annonçaRonnied'unevoixplusfermequesesnerfs.Ellesentitsesjambesflageolerensemettantdebout.Surleterrain,Willdutla
voirselever,carilsetournadanssadirection,unsourireconquérantsurleslèvres,leparfaitcomédien...Commelegarslepluscharmantdumonde...Ellesedétourna,encolèrecontrelui,maisencorepluscontreelle-mêmepour
avoirétéaussiidiote.Toutcequ'ellevoulait,c'étaitdéguerpirauplusvite!Danssachambre,elleflanquasavalisesurlelitetyjetaitdéjàsesvêtements
quand la porte s'ouvrit dans son dos. Par-dessus son épaule, elle vit son père àl'entrée de la pièce. Elle hésita un bref instant, avant de rejoindre la commodepouryprendred'autresaffaires.— Dure journée ? demanda-t-il d'une voix douce, mais sans attendre
visiblementderéponse. J'étaisdansl'atelieravecJonahquandjet'aivuerevenirparlaplage.T'avaisl'airdrôlementremontée.—J'aipasenvied'enparler.Sonpèresetintàdistance.—Tut'envasquelquepart?Ellepoussaunsoupirexaspérétoutencontinuantdefairesavalise.—Jefouslecampd'ici,O.K.?Jevaisappelerm'manetjeretourneàNewYork.—Àcepoint-là?Ellesetournaverslui.—S'ilteplaît,nem'obligepasàrester.Jemeplaispasici.J'aimepaslesgens
decetteville.Jem'intègrepas.J'ysuispasàmaplace.Jeveuxrentrerchezmoi.Sonpèreneditrien,maisladéceptionselisaitsursonvisage.— Désolée... Mais tu n'as rien à voir là-dedans, précisa-t-elle, O.K. ? Si tu
m'appelles,jeteparlerai.EtsituviensmevoiràNewYork,onpasseradutemps
ensemble,O.K.?Ilcontinuaitdel'observerensilence,cequilamettaitd'autantplusmalàl'aise.
Ellevérifialecontenudesavalise,avantd'yajouterlerestedesesaffaires.— Je ne suis pas sûr de pouvoir te laisser partir. Ronnie s'attendait à cette
réactionetsecrispaintérieurement.—P'pa...Illevalesmainscommepoursedéfendre.—Cen'estpaspourlaraisonàlaquelletupenses.Sijelepouvais,tut'enirais
avecmabénédiction,etj'appelleraistamèresur-le-champ.Maiscomptetenudecequis'estpassél'autrejourchezledisquaire...ÀcausedeBlaze...etdel'arrestation...LesépaulesdeRonnies'affaissèrent.Danssarage,elleavaitoubliél'épisodedu
voldedisques.Forcément!Ellen'étaitpasl'auteurdularcin,déjà!Ronniesesentitvidéede
touteénergieetfitvolte-faceens'affalantsursonlit.C'étaitpasjuste!Iln'yavaitaucunejusticedanstoutecettehistoire.Sonpèrecampaittoujoursàl'entréedelapièce.— Je peux essayer de contacter Pete — l'agent Johnson —, pour voir si ton
éventueldépartposeraitproblème.Toutefois,jerisquedenepaspouvoirlejoindreavantdemain,etjen'aipasenviequetut'attiresencoredesennuis.Maiss'ilestd'accordetquetuastoujoursenviedepartir,jeneteretiendraipas.—Promis?—Ouais,dit-il.Mêmesijepréféreraisqueturestes.Jetelepromets.Ellehochalatête,serraleslèvres,avantdereprendre:—TuviendrasmevoiràNewYork?—Sijepeux.—Commentça?Avantquesonpèrepuisserépondre,ontambourinasoudainàlaporte...Illança
unregarddanslecouloir.—Jepensequec'estlegarçonavecquituaspassélajournée.Elle sedemandacomment il pouvait ledeviner.Envoyant samineébahie, il
ajouta:— Je l'aivuvenirpar iciquand jesuis rentréà l'instant.Tuveuxque jem'en
charge?Fautpasluienvouloir.C'estjustesafaçond'être.Ilnepeutpass'enempêcher.—Non.Jem'enoccupe.Ilesquissaunsourire,etl'espaced'uninstantluiparutplusâgé.Commesile
départpossibledesafilleluiavaitflanquéuncoupdevieux.Cependantellen'avaitrienàfaireici.C'étaitsavilleàlui,pascelledeRonnie.Lescoupsàlaporteredoublèrentd'intensité.—Dis,p'pa?—Ouais?— Merci. Je sais que tu souhaites vraiment que je reste, mais c'est tout
bonnementpaspossible.— Pas de problème,ma puce, lui assura-t-il, alors qu'il semblait visiblement
peiné.Jecomprends.Ellerajustasonjeanavantdeselever.Enarrivantdanslecouloir,illuitapota
affectueusement ledos, tandisqu'ellemarquaituntempsd'arrêt.Puis,s'armantdecourage,ellegagnalaported'entréeetl'ouvritd'uncoup,alorsquelamaindeWillrestaitensuspens,prêteàtambourinerencore.Ilavaitmêmel'airsurprisdelavoirapparaître.Ronnie le dévisagea, se demandant comment elle avait pu lui faire aussi
bêtementconfiance.Elleauraitdûécoutersoninstinct.—Oh...euh...bafouilla-t-ilenbaissantlamain.T'eslà...J'aicruque...Elleluiclaqualaporteaunez,etilseremitàfrapper,enl'implorant:—Attends,Ronnie!Jeveuxjustesavoircequis'estpassé!Pourquoit'espartie
commeça?—Dégage!hurla-t-elle.—M'enfin,qu'est-cequej'aifait?Ellerouvritlaporteàlavolée.—Plusquestiondemelaisserprendreàtonpetitjeu!—Quelpetitjeu?Dequoituparles?—Jesuispasdébile.Etj'aiplusrienàtedire.Denouveau,ellefermalaporte.
EtWillrecommençaàlamarteler.—Jerestelàtantquetum'auraspasparlé!Sonpères'approcha.—Lalunedemielestdéjàterminée?—Ellen'ajamaiscommencé.—Jevoisça...Tuneveuxtoujourspasquej'intervienne?suggéra-t-ilencore.Lesmartèlementsreprirentdeplusbelle.— Il va finir par se lasser. Mieux vaut l'ignorer. Après un moment, son père
semblaserésigneretindiqualacuisine.—Tuasfaim?—Non,répondit-ellemachinalement,avantdeseraviser,enposantlamainsur
sonventre.Euh...peut-êtreunpeuquandmême.—J'aiencoredénichéunebonnerecetteenligne.Cettefois,ilyadesoignons,
deschampignons,destomatescuitesàl'huiled'olive, letoutservisurdespâtesfraîches,saupoudréesdeparmesan.—JecroispasqueJonahvaaimer.—Ilaréclaméunhot-dog.—Pourchanger!Ilsouritànouveau,tandisqueWillseremettaitàcogneràlaporte.Sonpère
dut déceler du désarroi dans son regard et il écarta ses bras... où elle alla seréfugiersansréfléchir.Illaserratrèsfortcontrelui,avectendresse,indulgence,ettoutel'affectionqui
avaitmanquéàRonniedepuisdesannées.Elleluttapourretenirseslarmesavantdes'écarter,enluiproposant:—Etsijetedonnaisuncoupdemainpourledîner?Ronnieessayadenouveaudeseconcentrersurlapagequ'ellevenaitpourtant
de lire. La nuit était tombée et, après avoir zappé sans relâche d'une chaîne à
l'autre,elleavaitéteint la téléetprissonroman.Pourtant,endépitde toussesefforts,ellen'arrivaitpasàdépasserlepremierchapitre,carJonahcampaitdevantla fenêtredepuisprèsd'uneheure...cequidétournait l'attentiondeRonnieversl'extérieur—c'est-à-direWill.Quatreheuresvenaientdes'écouleretlegarsn'avaittoujourspasdéguerpi.Il
netambourinaitplusàlaportedepuisunmoment,maiss'étaitinstalléunpeuau-dessusdeladune,ledostournéàlamaison.Logiquement,ilsetrouvaitsuruneplagepublique,doncsonpèreouellenepouvaientrienfaired'autrequel'ignorer.Ce à quoi ils tentaient de s'employer... elle en lisant Anna Karénine et lui,bizarrement,enseplongeantunefoisdeplusdanslaBible.Jonah, en revanche, ne parvenait pas à détacher son regard de la fenêtre. À
croirequ'ilétaitfascinéparl'attitudeprostréedeWill,commes'ilavaitvuunOVNIatterrirsurlajetéeouBigfootsebaladersurlaplage.Bienqu'ilsoitenpyjamaetauraitdéjàdûêtrecouché,ilavaitsuppliésonpèredelelaisserveillerencoreunpeu,sousprétexteque...sijemecouchetroptôt,jerisquedemouillermonlit.Ben,voyons...Sonfrèrenemouillaitplussesdrapsdepuistoutpetit,etRonniesavaitqueson
pèrenecroyaitpasuntraîtremotdel'explicationvaseusedeJonah.Ilavaitsansdoute donné son accord parce que c'était la première soirée qu'ils passaientensemble tous les trois et—selon ceque leurdirait demain l'agent Johnson—peut-êtreladernière.Ronnieseditquesonpèreavaittoutbonnementenvied'enprofiter.Ellelecomprenait,biensûr,etcelalafaisaitplusoumoinsculpabiliseràcause
desonenviesubitederentreràNewYork.Préparerlerepasavecluis'étaitrévéléplussympaqu'ellenel'auraitcru,d'autantquesonpèreneglissaitpasicioulàdes sous-entendus dans ses questions, comme sa mère le faisait ces dernierstemps.Maisaurisquedelepeiner,Ronnien'avaitaucuneintentionderesterpluslongtemps que nécessaire dans cette ville. Alors, le moins qu'elle puisse faire,c'étaitderendrecettesoiréeagréable.Undéfiévidemmentimpossibleàrelever.—Combiendetempsilvaresterassislà,d'aprèstoi?marmonnaJonah.SiRonniecomptaitjuste,celafaisaitaumoinscinqfoisqu'ilposaitlaquestion
envingtminutes,mêmesisonpèreouellen'yrépondaientpas.MaiscettefoissonpèrereposasaBible.—Pourquoinepasallerleluidemander?suggéra-t-il.—Ouais,tuparles,ricanaJonah.C'estpasmonpetitcopain.—C'estpaslemiennonplus,précisaRonnie.—Ilsecomportecommes'ill'était.—Ehben,ill'estpas,O.K.?répliqua-t-elleentournantlapage.—Alorspourquoi il resteassis sur le sable ? reprit Jonahen inclinant la tête
commepourtenterderésoudrel'énigme.Enfinquoi,c'estbizarre,non?Ilrestelàdesheuresà attendreque tu veuillesbiendiscuter avec lui.Onest en traindeparlerdemasœur.Masœur?— Je t'entends, figure-toi ! dit Ronnie, qui ne cessait de relire le même
paragraphe.
— Moi, je dis juste que c'est bizarre, insista Jonah, aussi perplexe qu'unscientifiqueincapablederésoudreunproblème.Qu'est-cequilepousseàattendremasœur?Ronnierelevalatêteetcroisaleregarddesonpèrequi,malgrésesefforts,ne
putréprimersonsourire.Elle revint à son livre et relut une nouvelle fois le même paragraphe, plus
déterminéequejamais.Etdurantlesdeuxoutroisminutesquisuivirent,lesilenceenvahitlesalon...hormislesmarmonnementsdeJonahquisetrémoussaittoujoursdevantlafenêtre.Elletâchadefairecommesiderienn'était,s'enfonçadanslefauteuil,posales
pieds sur la table basse et tenta de se focaliser sur sa page. Pendant quelquesinstants,elleparvintàfairelevideautourd'elleetallaitenfinsereplongerdansl'histoire,quandelleentenditlapetitevoixdeJonah.—Combiendetempstupensesqu'ilvaresterassislà-bas?Ellerefermasonlivredansunbruitsec.—Çava,j'aipigé!J'yvais!S’exclama-t-elleenpensantquesonfrèreavaitle
doninnédelapousseràbout.Une fortebrise soufflait sur laplage, charriantavecelledesodeursd'eaude
meretdepins,tandisqueRonniesortaitsurlavérandaetsedirigeaitversWill.S'ilavaitentendulaportes'ouvriretsefermer,iln'enlaissarienparaître.Aulieudeça, il semblaits'amuserà lancerdeminusculescoquillagessur lesaraignéesdemerquidétalaientversleurrepaire.Une nappe de brume occultait les étoiles, si bien que la nuit paraissait plus
fraîcheetplusnoirequelaveille.Ronniecroisalesbrasenréprimantunfrisson.ElleremarquaqueWillétait toujoursenshortetentee-shirt,etsedemandas'iln'avaitpasfroid...maischassaaussitôtcettepensée.C'estpasmonproblème,sedit-elle, alors qu'il se retournait. Dans la pénombre, impossible de déceler lamoindreexpressionsursonvisage...Maisenleregardant,Ronniecompritqu'elleétait plus exaspérée par l'obstination du garçon que véritablement en colèrecontrelui.—Àcausedetoi,monpetitfrèreestcomplètementflippé,déclara-t-elled'un
tonqu'elleespéraitautoritaire.Tudevraist'enaller.—Quelleheureilest?—Dixheurespassées.—T'enasmisdutempspourvenir...—Jen'auraismêmepasdûsortir.Jet'avaispourtantditdet'enallerbienplus
tôt,lâcha-t-elleenlefoudroyantduregard.LeslèvresdeWillsecrispèrent.—Jeveuxsavoircequis'estpassé,persista-t-il.—Riendutout.—Alors,dis-moicequet'aracontéAshley.—Ellem'ariendit.—Jevousaivuesentraindeparler!Lâcha-t-ild'untonaccusateur.Voilàprécisémentpourquoiellerefusaitdesortir;ellevoulaitàtoutprixéviter
ça.
—Will...—Pourquoitut'esenfuieaprèsavoirdiscutéavecelle?Etpourquoiilt'afallu
quatreheurespourvenirenfinmevoir?Ronniesecoualatête,refusantd'admettreàquelpointtoutcelalarongeait.—C'estpasimportant.— Autrement dit, elle t'a parlé, pas vrai ? Et qu'est-ce qu'elle t'a raconté ?
Qu'onse fréquentait toujours,elleetmoi?Parcequec'est faux.C'est finientrenous.Ronniemitquelquesinstantsàcomprendrecequeçasignifiait.—C'étaittapetiteamie?—Ouais...Pendantdeuxans.CommeRonnierestaitmuette,ilselevaets'approchad'elle.—Qu'est-cequ'ellet'aditexactement?MaisRonniel'entendaitàpeineetrepensaitàlapremièrefoisoùelleavaitvu
Ashley...etWill.Ashley,avecsoncorpsdemannequinpourBikini,quidévoraitWilldesyeux...ElleperçutvaguementlavoixdeWillquipoursuivait:—Alors,quoi?T'asperdutalangue?Àcausedetoi,jeresteassislàpendant
quatreheuresettudaignesmêmepasmefourniruneexplication.Mais Ronnie se remémorait à présent l'attitude d'Ashley, ce jour-là, dans le
public...Elleprenaitlapose,battaitdesmains...faisanttoutuncinémapourqueWilllaremarque!Pourquoi?Parcequ'elleessayaitdelerécupérer?EtcraignaitqueRonnielui
mettedesbâtonsdanslesroues?Touts'expliquaitàprésent...MaisavantqueRonnieaitletempsderéfléchirà
cequ'elleallaitdire,Willsecouaitdéjàlatêted'unairàlafoiscontrariéetdéçu.—Jepensaisquet'étaisdifférente.Jepensaisque...Ils'interrompitsoudainet
tournalestalonsens'éloignant.—Enfait,jesaismêmepluscequejepensais!lança-t-ilpar-dessussonépaule.Ellefitunpasenavantetallaitlerappeler,lorsqu'elleremarquaunesortede
lueur au bord de l'eau. La lumièremontait et descendait, comme si quelqu'uns'amusaitàjongleravec...unepetitebouledefeu.Sachant que Marcus se trouvait dans les parages, Ronnie sentit sa gorge se
serreretreculamalgréelle.Subitement,ellel'imaginasefaufilantendouceprèsdunidde tortue,pendantqu'elledormaitàcôté.Elle sedemandas'il avaitosés'approcher.Pourquoirefusait-ildelalaissertranquille?Est-cequ'illatraquait?Ronnieavaitdéjàvuetentenduparlerdecegenred'histoiresauxinfos.Même
siellecroyaitsavoircommentréagiretsedébrouillerentoutescirconstancesoupresque,cettesituation-làétaitdifférente.CarMarcusétaitdifférent. Il lui faisaitpeur.Willsetrouvaitdéjàdeuxoutroismaisonsplusbasetsasilhouettedisparaissait
danslanuit.Ronnieenvisageadelerappeleretdetoutluiraconter,maisellenetenaitpasàs'attardersurcetteplage.Pasplusqu'ellen'avaitenviequeMarcusnel'associeàWill.Detoutemanière,Willetelle,c'étaitdéjàdel'histoireancienne.Iln'yavaitplusqu'elleàprésent.EtMarcus.
Prise de panique, elle recula encore, puis s'obligea à s'arrêter. S'il la sentaitapeurée,çarisquaitd'aggraverlasituation.Elles'avançadoncsouslalumièredelavérandaetsetournavolontairementpourregarderendirectiondeMarcus.Elle ne pouvait le voir... mais apercevait la lueur vacillante qui montait et
descendait dans le noir. Ronnie savait que Marcus souhaitait l'affoler, ce quidéclencha en elle une réaction de défense. Tout en continuant de regarderfixement dans sa direction, elle plaqua les mains sur ses hanches et releva lementond'unairdedéfi.Soncœurmartelaitsapoitrine,maiselletintbonjusqu'àcequelabouledefeuretombedanslamaindeMarcus.L'instantd'après,lalueurs'évanouitetellecompritqu'ilavait refermésonpoing,annonçantpar làmêmequ'ils'approchait.Toutefois,Ronnierefusaitdebouger.Ellenesavaitpastropcequ'elleferaits'il
surgissait soudain à quelques mètres de là, mais à mesure que les secondess'égrenèrent,uneminutes'écoula,puisunedeuxième...EllecompritqueMarcuss'était dit qu'il valait mieux se tenir à l'écart. Nerveusement épuisée par cetteattente,maisravied'avoirtransmissonmessage,ellerentradanslamaison.Ce fut seulement en s'adossant à la porte après l'avoir fermée que Ronnie
s'aperçutqu'elletremblaitcommeunefeuille.
15–Marcus-— Je veux passer au snack avant que ça ferme, annonça Blaze d'une voix
geignarde.—Benvas-y,répliquaMarcus.Moi,j'aipasfaim.Ils traînaient une fois deplus àBower's Point, en compagnie de Teddyet de
Lance, lesquels avaient ramassé les deux filles les plusmoches que Marcus aitjamais vues, et ils essayaient maintenant de les soûler. Non seulement Marcusn'avaitpasappréciédelestrouverlà,maisenplusçafaisaituneheurequeBlazeinsistaitlourdementpoursavoiroùilétaitpassétoutelajournée.Il se doutait bien que ça avait un rapport avec Ronnie, car Blaze n'était pas
débile. Elle savait depuis le début que Marcus s'intéressait à Ronnie, ce quiexpliquaitpourquoielleavaitglissécesfameuxCDdanslesacdelaNewyorkaise.Lasolutionidéalepourl'obligeràgardersesdistances...etçasignifiaitaussiqueMarcusnerisquaitpasdevoirRonnie.Bref,ça l'emmerdait.Etpar-dessus lemarché,Blazepleurnichaitqu'elleavait
faimetnelelâchaitplusavecsesquestions...—J'aipasenvied'yallertouteseule,gémit-elleencore.—T'es bouchéeouquoi ? Explosa-t-il. Ça t'arrive dem'écouter, des fois ? Je
viensdetedirequej'avaispasfaim!—Maist'espasobligédemanger...hasardaBlaze.—Tuveuxbienlafermer,oui?Il venait de lui clouer lebec. Pourquelquesminutes, dumoins. En la voyant
bouder dans son coin, il devina qu'elle attendait qu'il s'excuse ou dise un trucsympa.Ouais,ehbençarisquepasd'arriver!Marcussetournaversl'océanetallumaunedesespelotes.Çal'énervaitdevoir
Blaze s'incruster... Idem pour Teddy et Lance, alors qu'il souhaitait un peu detranquillité.IlenvoulaitàBlazed'avoirfaitfuirRonnie,ets'envoulaitsurtoutàlui-mêmed'êtreaussiénervé.Çaneluiressemblaitpas. Ildétestaitsetrouverdanscetétat.Ilavaitenviedefrapperquelquechoseouquelqu'un...etlorsqu'ilvoyaitBlaze faire la tronche, nul doute qu'elle arrivait en haut de la liste !Marcus sedétournaetregrettadenepaspouvoirboiretranquillementsabièreenécoutantlamusiqueàfond,histoirederéfléchirenpaixpourunefois.Sanstouscesgensquiluicollaientauxbasques.Enfait,iln'étaitpasvraimentencolèrecontreBlaze.Bonsang,enapprenant
cequ'elleavaitfait,ilétaitmêmeplutôtravi,audébut!Aupointdesedirequeçapourrait aplanir tous les obstacles entre Ronnie et lui. Il allait donc lui rendreservice et elle lui renverrait l'ascenseur, du coup ! Mais lorsqu'il le lui avaitproposé, elle avait réagi comme s'il avait une maladie contagieuse ou un truccomme ça... genre « Plutôt crever que de flirter avec toi ». Cependant, Marcus
n'étaitpasdustyleàabandonner,etilsedisaitqueRonniefiniraitparcomprendrequeceseraitlaseulefaçonpourelledesetirerdecebourbier.Ilétaitdoncalléluirendreunepetitevisite,enespérantavoirl'occasiondeluiparler.Ilavaitdécidédenepasen faire trop,maisde l'écouterplutôtd'unairbienveillantquandelle luiraconteraitlavacheriequeBlazeluiavaitfaite.Ensuite,ilsauraientpusebaladerunpeu,etpeut-êtrequ'ilsauraient finiparseretrouversous la jetée,etaprès...adviennequepourra,pasvrai?Maisquandilarrivaprèsdesamaison,Willtraînaitdanslesparages.Detous
lesmecsdelaville,ilfallaitqu'iltombesurlui!Ilétaitlà,assissurcettedune,àattendreRonnie.Etelleavaitfiniparsortirluiparler.Enfait,ilss'enguelaient,maisàleurfaçondesecomporter,c'étaitévidentqu'ilyavaitquelquechoseentreeux...Du reste, ça emmerdait Marcus parce que ça voulait dire que ces deux-là seconnaissaient.Etqu'ilsétaientsansdouteensemble.Autrementdit,Marcuss'étaitcomplètementplantésurelledepuisledébut.Etensuite?Cerisesurlegâteau.AprèsledépartdeWill,Ronnies'étaitrendu
comptequ'elleavaitdeuxvisiteurspour leprixd'un!Lorsqu'elleremarquaqu'ill'observait, Marcus sut qu'il allait forcément se passer quelque chose. Soit elles'approchaitpourdiscuter,dansl'espoirqu'ilpousseBlazeàdirelavérité,soitelleprenait peur, comme l'autre soir, et courait se réfugier dans la maison. Ça luiplaisaitdesavoirqu'illuifoutaitlatrouille.Ilpourraitentirerprofit.Mais Ronnie ne fit rien de tout ça. Elle regarda fixement dans sa direction,
commepourluidire:«Quandtuveux,monpote...»Deboutsurlavéranda,saposturetrahissaitàlafoisledéfietlacolère,jusqu'à
cequ'ellerentredanslamaison.Personnen'osaitfaireçaàMarcus.Surtoutunenana!Elleseprenaitpourqui,
cettegonzesse?Beaupetitlotoupas,çaluiplaisaitpas.Maisalors,pasdutout!Blazel'arrachaàsespensées.—T'essûrquetuveuxpasm'accompagner?Marcussetournaverselleetéprouvaunbesoinurgentdeseviderlatête,de
décompresser.Ilsavaitexactementcequ'illuifallaitetquellepersonnepouvaitleluioffrir.—Vienspar ici,dit-ilavecunsourireforcé.Assieds-toiàcôtédemoi. J'aipas
enviequetut'enaillestoutdesuite.
16–Steve-StevelevalatêtequandRonnierevint.Mêmesielleluidécochaunsourirepour
lerassurer, ilneputs'empêcherderemarquer l'expressiondesa fille lorsqu'ellerécupérasonromanpourallerdanssachambre.Untrucclochait,c'étaitévident.Saufqu'ilignoraitquoiaujuste.Impossiblepourluidesavoirsielleétaittriste,
énervéeoumêmeeffrayée.Ettoutensedemandants'ilallaittenterdeluiparler,ilétaitprêtàjurerqu'ellesouhaitaitréglersonproblèmetouteseule,quellequ'ensoit la gravité.Normal, supposa-t-il. Il n'avait peut-être pas passé beaucoup detempsavecellecesjours-ci,maisilavaitenseignéàdesadospendantdesannées.Etc'étaitjustementquandvotreenfantdécidaitdevousparler—parcequ'ilavaituntrucimportantàdire—quevousdeviezvousfairedelabile.—Hé,p'pa?ditJonah.PendantqueRonniesetrouvaitàl'extérieur,ilavaitinterditàJonahd'épierpar
lafenêtre.Cettedécisionluiparaissaits'imposerd'elle-même,etJonahavaitsentiqu'ilvalaitmieuxnepaslacontester.SonfilsavaittrouvéBobl'Épongesurl'unedeschaînesetregardaitavecjoieledessinanimédepuisunquartd'heure.—Oui?Jonahselevaetluidemanda,sérieuxcommeunpape:—Quiest-cequiestborgne,parlefrançais,etadorelescookiesavantd'allerse
coucher?Steveréfléchit,puis:—Aucuneidée.Jonahsemasquaunœild'unemainetrépliqua:
—Moi![13]SteveritdeboncœuretselevaducanapéenposantsaBible.Cegossen'avait
passonpareilpourledérider.—Allez,viens.J'enaidansleplacard.Ettousdeuxpartirentverslacuisine.—JecroisqueRonnieetWillsesontdisputés, reprit Jonahenremontantson
pyjama.—C'estlenomdecegarçon?—T'inquiète...Jemesuisrenseignésurlui.—Ah...Etpourquoitupensesqu'ilssesontdisputés?—Jelesaientendus.Willavaitl'airenpétard.Stevefronçalessourcils.—Jecroyaisqueturegardaisledessinanimé.—C'estcequejefaisais,mais je lesaientendusquandmême,déclaraJonah
d'untonneutre.
—Tunedevraispasécouterlesconversationsd'autrui,luireprochaSteve.—Parfois,onapprenddestrucs,tusais.—Maisc'estpasbien.—M'manessayed'écouterRonniequandellediscuteautéléphone.Etquand
Ronnieprendsadouche,m'manenprofitepourregarderendoucelesSMSsursonmobile.—Ahbon?fitSteveenessayantdenepasparaîtretropétonné.—Ouais!Commentellepourraitsavoiroùelleva,sinon?—J'ensaisrien...peut-êtrequ'ellesdevraientseparler,suggéraSteve.— Ouais, c'est ça, ironisa Jonah. Même Will peut pas lui parler sans qu'ils
s'engueulent.Ellepousselesgensàbout.À l'âgededouzeans,Steven'avaitpasbeaucoupd'amis.Entre l'écoleet les
coursdepiano,illuirestaitassezpeudetempslibreetlapersonneavaitlaquelleildiscutaitleplusn'étaitautrequelepasteurHarris.À cette époque, le piano était devenu une sorte d'obsession et Steve jouait
souvent de quatre à six heures par jour, plongé dans son propre univers demélodies et de compositions. Du reste, il remporta de nombreux concoursrégionauxetd'État.Samèren'assistaqu'aupremier,etsonpèrenevintjamaislevoir jouer. Steve se retrouvait donc souvent dans la voiture du pasteur Harris,tandisqu'ils roulaientendirectiondeRaleigh,Charlotte,AtlantaouWashington.Ilspassaientdelonguesheuresàdiscuteretsilepasteur,ensaqualitéd'hommed'église, émaillait souvent ses phrases de références au Christ, ça paraissaittoujours aussi naturel qu'un Chicagolien épiloguant sur la sempiternelleinconstancedel'équipedesCubsdanslacourseauchampionnatdebase-ball.LepasteurHarrisétaitunhommeaffableettrèsactif.Ilprenaitsonsacerdoceà
cœur et passait la plupart de ses soirées auprès de ses ouailles, à l'hôpital, ausalonfunéraire,ouchezlesmembresdesacongrégationqu'ilconsidéraitcommeses amis. Il célébrait mariages et baptêmes le week-end, s'occupait d'uneassociation lemercredi, et de la chorale lemardi et le jeudi. Mais chaque soir,pendant l'heure qui précédait la tombéede la nuit, et par tous les temps, il sepromenaitseulsurlaplage.Stevesedisaitsouventquecettebaladeensolitaireserévélait tout à fait bénéfique pour le pasteur, lequel en revenait avec un airdétendu,paisible.Steveavaittoujourssupposéquec'étaitpourcetecclésiastiquesi occupé une manière comme une autre de se préserver un semblant desolitude...jusqu'àcequ'illuiposeunjourlaquestion.—Non,avaitrépondulepasteur.Jenemepromènepassurlaplagepourêtre
seul,carc'estimpossible.JeconverseavecDieutoutenmarchant.—Vousvoulezdirequevouspriez?—Non.Jeparleréellement.N'oubliejamaisqueDieuesttonami.Etàl'instar
de tous tes amis, Il a envie de connaître les événements qui jalonnent tonexistence. Les bons moments comme les mauvais, qu'ils soient empreints detristesseoudecolère.Alors,jediscuteaveclui.—Etvousluiracontezquoi?—Turacontesquoiàtescopains?—J'enaipas,réponditSteveavecunsourirenarquois.Pasavecquiparler,du
moins.—Moi,jesuislà.CommeSteveneréagissaitpas,lepasteurluitapotaaffectueusementl'épaule.—JeparleàDieudelamêmemanièrequenousdiscutons,toietmoi.—Est-cequ'Ilvousrépond?S’enquitSteve,sceptique.—Toujours.—Vousl'entendez?—Oui,maispasavecmesoreilles.Sesréponsesmeparviennentlà,précisa-t-il
enposantlamainsursoncœur.C'estlàquejesensSaprésence.Après avoir embrassé et bordé son fils, Steve s'attardaà l'entréede la pièce
pour observer sa fille. Ronnie dormait déjà lorsqu'ils étaient entrés dans lachambre avec Jonah, et tout ce qui la perturbait semblait avoir disparu à sonretour.Sonvisageétaitdétendu,sescheveuxtombaientencascadesurl'oreiller,etelleavaitrepliélesbrascontresapoitrine.Ilhésitaitàallerl'embrasserpourluisouhaiterbonnenuit,maisdécidafinalementdelalaisserrêverenpaix.Toutefoisilnepouvaitserésoudreàs'enallertoutdesuite.Iltrouvaitapaisantderegardersesdeuxenfantsdormir,ettandisqueJonahsetournaitsurlecôtépouréviterlalumièreducouloir,Stevesedemandadepuiscombiendetempsiln'avaitpasditbonnenuitàsafilleenl'embrassant.Dansl'annéequiavaitprécédésaséparationd'avec Kim, Ronnie avait atteint l'âge où ce genre d'attention parentalecommençaità lagêner. Ilserappelaitdistinctement lepremiersoiroù,après luiavoirpromisdevenirlaborder,ilentenditRonnieluirépondre:«T'aspasbesoindevenir.Jepeuxmedébrouillertouteseule.»Kiml'avaitalorsregardéavecunairtristequiendisaitlongsursondésarroidemère.EllesavaitpourtantqueRonnieavaitgrandi,maislepassagedel'enfanceàl'adolescenceluilaissaitmalgrétoutunpincementaucœur.Contrairement à Kim, Steve n'en voulait pas à Ronnie d'avoir grandi. Il se
revoyaitàl'âgedesafilleetserappelaitquec'étaitl'époqueoùilcommençaitàprendresespropresdécisions,àforgersaproprevisiondumonde;etsesannéesd'enseignementnefirentquerenforcerenluil'idéequelechangementserévélaitinévitableetengénéralbénéfique.Iln'étaitpasrarequ'undesesélèvesvienneluiconfiersesproblèmesavecsesparents,enluiracontantcommentsamèretentaitdecopineraveclui,ousonpèredelecontrôler.Àencroirelesautresprofesseurs,Steve entretenait naturellement de bons rapports avec ses élèves, lesquelspartageaientcetavis,commeilleconstataitsouventavecsurpriseàl'issuedesesentretiensaveceux.Ilignoraitlaraisonvéritabled'untelsuccès.Laplupartdutemps,illesécoutait
ensilenceousebornaitàreformulerleursquestions,lesamenantainsiàtirerleurspropresconclusionsqui,dans laplupartdescas, se révélaient toutà fait justes.Même lorsqu'il éprouvait le besoin d'intervenir, il n'allait jamais au-delà deconsidérationsgénéralespétriesdebon sens. «Si tamère souhaitedevenir tonamie, suggérait-il, c'est qu'elle commence à voir en toi l'adulte qu'elle aimeraitmieuxconnaître».Oubien:«Tonpèresaitqu'ilacommisdeserreursdanssavie,etiln'apasenviedetevoirl'imiter.»Bref,desremarquesbanalesémanantd'unhommeordinaire,mais,àsongrandétonnement,l'élèvesetournaitparfoisversla
fenêtreensilencecommes'ilvenaitd'avoirunerévélation.Àd'autresmoments,ilarrivait même que Steve reçoive un coup de fil des parents pour le remercierd'avoirsuparleràleurenfant,enobservantaupassagequecelui-cisemblaitdansde meilleures dispositions depuis quelque temps. Lorsqu'il raccrochait, Steveessayaitdeserappelercequ'ilavaitbienpuprodiguercommeconseil,espérants'êtremontréplusperspicacequ'il ne l'aurait cru,mais il neparvenait jamaisàs'ensouvenir.Dans le silencede la chambre, Steveentendait à présent Jonah respirer plus
lentement.Sonfilss'étaitdéjàendormi,épuiséparsajournéeausoleiletaugrandair comme il n'en passerait jamais à Manhattan. Quant à Ronnie, Steve seréjouissaitdeconstaterquelesommeileffaçaitchezellelestressdecesderniersjours.Sonvisageétaitserein,presqueangélique,etévoquaitl'expressionpaisibledupasteurHarrisauretourdesespromenadessur laplage.Steve lacontempladans la tranquillité de la pièce, tout en espérant de nouveau recevoir un signequelconque de présence divine. Demain, Ronnie risquait de s'en aller, et cetteseule idée lepoussaàs'approcherd'elle.Un rayonde lune traversait la fenêtre,tandisqu'ilpercevaitensourdinelerythmerégulierduressacau-dehors.Ledouxscintillement des étoiles dans le ciel semblait indiquer que Dieu signalait Sonexistencequelquepartdansl'univers...Lafatiguel'envahitsoudain.Jesuisseul...etjeleseraitoujours.Ilsepenchaet
embrassa doucement Ronnie sur la joue, éprouvant une fois encore toute lacomplexitédesonamourpaternel,unejoieaussiintensequeladouleur.Justeavantl'aurore, ils'éveillaaveclapensée—oulasensation,dumoins—
que le piano luimanquait. Tandis qu'il grimaçait sous la douleur prévisible quinouaitsonestomac,iléprouval'enviefolledeseprécipiterdansleséjouretdesenoyerdanssamusique.Quandaurait-il l'occasionderejouer?... Ilregrettaitàprésentdenepasavoir
fait de nouvelles connaissances, car depuis qu'il avait condamné l'instrumentderrière sa cloison, il se voyait parfois aborder un ami imaginaire pour luidemanders'ilpouvaitutiliserlepianorarementutilisédanssonsalon,etconsidérécomme purement décoratif. Steve s'asseyait déjà en pensée sur le tabouretpoussiéreux,tandisquesonhôtel'observaitdepuislacuisineoulevestibule—cedétailrestaitfloudanssatête—et,toutàcoup,Steveattaquaitunmorceauquiallait émouvoir son ami aux larmes, ce qu'il avait été incapable d'accomplir aucoursdeseslongsmoisdetournée.Ilsavaitquetoutcelarelevaitdufantasmeleplusridicule,maissansmusique
Steveavaitl'impressiond'errersansbut,d'alleràladérive.Ilselevaets'efforçadechassercesidéesnoires.LepasteurHarrisluiavaitsignaléqu'onavaitcommandéun nouveau piano pour l'église, offert par l'un des membres de la paroisse, etSteveétaitinvitéàvenirenjouerdèssalivraison.Laquellen'auraitpaslieuavantlafinjuillet,etiln'étaitpascertaindepouvoirtenirjusque-là.Enattendant,ils'installadoncàlatabledelacuisineetplaçasesmainssurle
plateau. Avec suffisamment de concentration, il devrait pouvoir entendre lamusique dans sa tête. Après tout, Beethoven avait composé la Symphoniehéroïquealorsqu'ilétaitquasimentsourd,non?
Stevechoisit leconcertoqueRonnieavait jouéauCarnegieHallet ferma lesyeux... Au début, les accents lui parvinrent faiblement puis, à mesure que sesdoigtspianotaientsur la table, lesnoteset lesaccordsse firentdeplusenplusdistincts,etmêmesiçanelesatisfaisaitpasautantquedejouerréellementsurunclavier,ilsavaitqu'ildevraits'encontenter.Alors que résonnait la dernière phrase musicale dans sa tête, il rouvrit
lentement les yeux et se retrouva assis dans une cuisine plongée dans lapénombre.D'iciquelquesminutes,lesoleilallaitpoindreàl'horizonet,pouruneraisonquelconque,Stevepercevaitencoreunesimplenotedanssonesprit...unsibémollancinant,insistant,quisemblaitl'attirerverslui.Il savaitquec'était le fruitdeson imagination,maiscettenotene lequittait
toujours pas... Si bien qu'il se surprit à farfouiller dans les tiroirs en quête d'uncrayonetd'unefeuilledepapier.Il traça grossièrement une portée et griffonna les notes qui lui venaient à
l'esprit,avantdepianoterdenouveausurlatable.Unepremièreesquisse,suivied'autresnotes,qu'ilcouchaensuitesurlepapier.Steveavaitpassésavieàécriredelamusique,maisilconsidéraitsespropres
compositionscommesecondaires,comparéesauxœuvresmajeuresqu'ilpréféraitjouer.Celle-cine risquaitpasnonplusd'allerbien loin,mais il sesentaitprêtàrelever le défi. Et s'il venait d'avoir... une heureuse inspiration ? Et pouvaitcomposer une mélodie dont on se souviendrait longtemps après qu'il auraitsombrédansl'oubli?Le rêve fut de courte durée. Dans le passé, Steve avait tenté sa chance et
échoué,etnuldoutequ'iléchoueraitencore.Malgrétout,iln'avaitpasàrougirdesaproduction.Iltrouvaitexaltantlesimplefaitdecréerquelquechoseàpartirderien.Mêmes'iln'avaitguèreprogressédanslamélodie—carilétaitrevenuauxpremièresnotes,endécidantdetoutrecommencer—,ils'avouaitplutôtsatisfaitdurésultat.Alors que le soleil franchissait le sommet des dunes, Steve songea à ses
réflexionsdelaveilleausoiretdécidad'allerflânersurlaplage.Ilsouhaitaitplusque jamaisrevenirensuiteà lamaisonavec lemêmeairpaisibleque lepasteurHarris... Mais tandis qu'il foulait le sable, il eut l'impression de n'être qu'unamateur,quelqu'unquicherchaitlavéritédeDieucommeunenfantenquêtedecoquillages.SteveauraitaimédécouvrirunsignemanifestedeSaprésence—unbuisson
ardent, par exemple—,mais il préféra se concentrer sur lemonde alentour, lesoleilquis'élevaitdansleciel,lechantmatinaldesoiseaux,labrumequiflottaitau-dessusdel'eau.Ilfitdesonmieuxpours'imprégnerdetoutecettebeautésansréfléchir,enessayantdesentirlesablesoussespieds,lacaressedelabrisesursajoue.Maisendépitdetoussesefforts,ilignoraits'ilavaitdavantaged'indicespoursatisfaireàsesinterrogations.Qu'est-cequipermettaitdoncaupasteurHarrisd'entendre lesréponsesdans
son cœur ? se demanda-t-il pour la centième fois. Que voulait-il dire quand ilaffirmait sentir la présence de Dieu ? Steve supposa qu'il pourrait interrogerl'homme d'église de vive voix,mais que cela ne lui serait sans doute d'aucune
utilité. Comment pouvait-on expliquer une chose pareille ? Autant décrire lescouleursàunaveugledenaissance.Onpouvaitcertescomprendrelesmots,maisle concept restait mystérieux et relevait du domaine de la connaissanceindividuelle.Steve n'avait pas l'habitude de se poser autant de questions. Jusqu'à une
périoderécente,sesresponsabilitésquotidiennesl'occupaientsuffisammentpourluiéviterd'yréfléchir,dumoinsjusqu'àcequ'ilrevienneàWrightsvilleBeach.Ici,letempss'étaitralentiaurythmedesavie.Tandisqu'ilcontinuaitàarpenterlaplage,ilrepensaàladécisionqu'ilavaitdû
prendrepourtentersachancecommeconcertiste.C'estvraiqu'ils'étaittoujoursdemandés'ilpouvaitavoirdusuccès,etcertes, il sentaitque le tempsallait luimanquer. Mais pourquoi avait-il éprouvé ce sentiment d'urgence à l'époque ?Pourquoiavait-ilétésipressédequitterlessienspourplusieursmois?Commentavait-il pu semontrer aussi égoïste ?Avec le recul, son choix s'était révélé peujudicieuxpourtoute la famille. Ilpensaitautrefoisquesapassionde lamusiqueavaitmotivésadécision,àprésentilsoupçonnaitplutôtsonbesoindecomblercevidequ'ilressentaitparfoisenlui.Ettoutenmarchant,ilcommençaàsedemandersicetteprisedeconscience
finiraitparluifournirlaréponsequ'ilattendait.
17–Ronnie-À son réveil, Ronnie jeta un œil sur la pendule, soulagée d'avoir pu dormir
longtemps,pourlapremièrefoisdepuissonarrivée.Iln'étaitpastard,maisellesesentitassez requinquéeense levant.Elleentendait la télédans leséjouret,enquittantlachambre,aperçutaussitôtJonah.Allongésurlecanapé,ilavaitlatêteenbas,quidodelinaitpardessuslescoussins,leregardrivéàl'écran.Soncouànu,commeprêtpour laguillotine,étaitparsemédemiettes.Elle le regardamordredanssaPop-Tart...etéparpillerd'autresmiettessurluietletapis.Ellenevoulaitpasluiposerlaquestion,sachantquelaréponsen'auraitaucun
sens,maisneputs'enempêcher.—Qu'est-cequetufais?—Jeregardelatéléàl'envers.Sur l'écranétaitdiffusé l'undeces irritantsdessinsanimés japonaisavecdes
créaturesauxyeuxexorbités,queRonnien'avaitjamaiscompris.—Pourquoi?—Parcequej'enaienvie.—Maispourquoi?—J'ensaisrien.Ellesavaitqu'ellen'auraitpasdûleluidemander...Ellejetaalorsunregardvers
lacuisineetajouta:—Oùestp'pa?—J'ensaisrien.—Tusaispasoùilest?—Jesuispassababy-sitter,répliqua-t-il,agacé.—Ilestpartiquand?—J'ensaisrien.—Ilétaitlàquandtut'eslevé?—Oui,oui...,dit-ilsansdétachersonregarddelatélé.Onaparléduvitrail.—Etaprès?...—Jesaispas.—T'esentraindemedirequ'ils'estcarrémentvolatilisé.—Non,aprèsça,lepasteurHarrisestvenuetilssontsortisdiscuter,rectifia-t-il
commesisaréponsecoulaitdesource.—Alorspourquoinepasmel'avoirdit?S’énervaRonnieenlevantlesbrasd'un
airexaspéré.—Parcequej'essayederegardermonémissionàl'envers.C'estpasfaciledete
parleraveclesangquiaffluedansmatête.Ilavaitréponseàtout!Alorspeut-êtrequetudevraisavoirlatêteenbasplus
souvent,eut-elleenviedeluirétorquer.Maisellerésistaàlatentation.Parcequ'il
étaitdebonneheure,qu'elleavaitbiendormi,etqu'unepetitevoixluisoufflaitàl'oreille:Turisquesderentrercheztoiaujourd'huiAdieuBlaze,Marcus,ouAshley!Finilesréveilsauxaurores.AdieuWill,aussi...Cettepenséelafitréfléchir.L'undansl'autre,iln'avaitpasétésihorribleavec
elle. À vrai dire, Ronnie s'étaitmême plutôt amusée avec lui la veille, jusqu'endébutdesoirée,dumoins.Elleauraitdûluiconfiercequ'Ashleyluiavaitdit,elleauraitdûs'expliquer.MaisaveccesatanéMarcusquitraînaitsurlaplage...Bonsang,Ronnieavaitenviedefuirleplusloinpossibledecetendroit!Elleécartalesrideauxetjetaunœilau-dehors.LepasteurHarrisetsonpèrese
tenaientdansl'allée,etRonnieréalisaqu'ellen'avaitpasrevucethommedepuisqu'elleétaittoutepetite.Ilavaitcertespeuchangé,mêmes'ils'appuyaitàprésentsurunecanne,sesépaischeveuxblancsetsesgrossourcilsdemeuraientfidèlesau souvenir qu'elle en gardait. Elle sourit en se rappelant sa gentillesse auxobsèques de son grand-père. Du reste, elle se souvenait encore du verre delimonademaison, plus sucrée que du soda, qu'il lui avait offert après lamessed'enterrement. Pas étonnant que son père l'apprécie autant : il émanait de cethomme une infinie bonté. À présent, ils semblaient discuter avec une tiercepersonne devant lamaison, quelqu'un que Ronnie ne parvenait pas à voir. Elles'avança donc jusqu'à la porte d'entrée, l'ouvrit... et mit quelques instants àreconnaîtrelavoituredepatrouille.L'agentPeteJohnsonavaitlamainposéesurlaportièreduvéhiculeets'apprêtaitvisiblementàrepartir.Elle entendit lemoteur démarrer en descendant lesmarches de la véranda,
tandisquesonpère faisaitvaguementsigneaupolicier,quiclaqua laportière...laissantàRonnieunsentimentd'angoisse.Lorsqu'elle rejoignit le pasteur et son père, l'agent Pete reculait déjà dans
l'allée,cequiluiconfirmaquelesnouvellesneseraientpasbonnes.—Ah, tuesdebout ! s'exclamasonpère. Je suispassé tevoir il yaunpetit
momentettudormaisencoreàpoingsfermés.TutesouviensdupasteurHarris?ajouta-t-ilendésignantsonvisiteur.—Oui,dit-elle.Bonjour.Çamefaitplaisirdevousrevoir.Enluiserrantlamain,
elleremarqualescicatricessurlesbrasdupasteur.—J'aipeineàcroirequ'ils'agitdelamêmejeunefillequej'aieulachancede
rencontrervoilàsilongtemps.Tuasdrôlementgrandi,observa-t-ilensouriant.Turessemblesàtamère.On lui faisait souvent cette réflexion ces temps-ci, toutefois Ronnie ne savait
pastropquoienpenser.Elleparaissaitplusmûrequesonâge?Oubiensamèreavaitunair juvénile?Difficileàdire,maiselle savaitque lepasteur l'entendaitcommeuncompliment.—Merci,reprit-elle.CommentvaMmeHarris?—Ellem'empêchedefairedesbêtises,plaisanta-t-ilenreprenantappuisursa
canne.Commeellel'atoujoursfait.Etjesuissûrqu'elleseraitraviedetevoir.Situas l'occasion de passer chez nous, je veillerai à ce qu'elle ait de la limonademaisonpourtoi.Iln'avaitpasoublié...
—Jerisquedevousprendreaumot.—J'espèrebien!Puis,lepasteursetournaversSteve:—Encoremercidet'êtreproposépourlevitrail.Ilavancebienetserasuperbe.—Vousn'avezpasàmeremercier,sedéfenditSteveenagitantlamain.—Bien sûr que si.Mais il faut vraiment que jeme sauve.Ce sont les sœurs
Towson qui dirigent l'étude de la Bible ce matin, et si tu les connaissais, tucomprendrais pourquoi il est impératif qu'elles ne soient pas livrées à elles-mêmes.Sinon,ellesvontdéclencherlestourmentsdel'enfer!Ellesnejurentquepar les prophéties de Daniel et l'Apocalypse, au point d'en oublier la secondeépîtreauxCorinthiens!S'adressantàRonnie,ilajouta:—J'aiétéenchantédeterevoir,jeunefille.J'espèrequetonpèrenet'asticote
pastrop.Tusaiscombienlesparentspeuventêtrepénibles...—Non,jen'aipasàm'enplaindre,dit-elleensouriant.—Bien.Maiss'ilt'embête,tuviensmeparler,etjeferaidemonmieuxpourle
remettredansledroitchemin.C'étaitungamindrôlementespiègleensontemps,alorsj'imaginecombienildoitt'énerver.—Pasdutout!protestalepèredeRonnie.Jenefaisaisquejouerdupiano.— Rappelle-toi le jour où tu as mis de la teinture rouge dans les fonts
baptismaux.Steveparutsepétrifiersurplace.—J'aijamaisfaitça!LepasteurHarris,enrevanche,semblaitserégaler.—Peut-êtrepas,maistuvoiscequejeveuxdire.Entoutcas,Ronnie,mêmes'il
seprésentesousunjourflatteur,sachequetonpèren'étaitpasunsaint.Surcesbonnesparoles,iltournalestalonsetRonnieleregardas'éloignerd'un
airamusé.Celuiquiparvenaitàmettresonpèremalàl'aise—pasméchamment,bien sûr —méritait d'être connu ! Surtout s'il avait des anecdotes marrantes àproposdupetitSteve.Impossiblededevinercequ'ilpensaitenregardant lepasteurs'enaller.Mais
lorsqu'ils'adressaàelle,nuldoutequ'ilavaitreprissonrôledepère,etellepensaaupolicierquisetrouvaitlàquelquesminutesplustôt.—Qu'est-cequ'ilvoulait,aufait?L'agentPete?—Pourquoinepasprendred'abordnotrepetitdéjeuner?Jesuispersuadéque
tumeursdefaim.Tuasàpeinegrignoté,hiersoir.Elleeffleurasonbras.—Dis-moicequ'ilenest,p'pa.Ilhésita,parutcherchersesmots...maisimpossibled'embellirlavérité.—TunepeuxpasretourneràNewYork,soupira-t-il.Dumoinspasavantd'être
passée devant le juge la semaine prochaine. La propriétaire du magasin al'intentiondeporterplainte.Ronnieétaitassisesur ladune,pluseffrayéequ'énervéeà l'idéedecequise
passaitdanslamaison.Celafaisaituneheurequesonpèrel'avaitmiseaucourant,etdepuiselleétaitrestéesurlaplage.Ronniesavaitquesesparentsdiscutaient
au téléphone, et elle ne pouvait qu'imaginer la réaction de sa mère. Le seulavantagedenepassetrouveràNewYork.SaufpourWill...Ronniesecoua latêted'unairperplexe.Pourquoirevenait-il toujoursdansses
pensées, bon sang ? Tout était fini entre eux... si tant est que leur relation aitmême jamais commencé. Il était sorti longtemps avec Ashley, ça signifiait qu'ilaimaitbiencegenredefille.EtsiRonnieavaitapprisuntruc,c'étaitquelesgensnechangentpas.Ilsavaientleurspréférences,mêmes'ilsignoraientpourquoi.Etelle ne ressemblait pas du tout à Ashley. Ça ne faisait pas l'ombre d'un doute.ParcequesielleavaitétécommeAshley,ellen'auraitpaseud'autrechoixquedenagerverslelarge,jusqu'àcequedisparaissetoutespoird'êtresauvée.Autantenfinirtoutdesuite.Maispourl'heure,Ashleyrestaitlecadetdesessoucis.Cequil'embêtait,c'était
samère...Elledevaitêtreaucourantdel'arrestation,puisquesonpèreluiparlaitautéléphoneencemomentmême.Cetteseuleidéelahérissait.Sa mère devait se mettre dans tous ses états, hurler comme une folle. Dès
qu'elleauraitraccroché,elleappelleraitsansdoutesasœurousapropremère,etrépandrait lanouvellede ladernièrehorreurendatedeRonnie.Elle ressortiraitensuitedestasdetrucsperso,enexagérantjustecequ'ilfautpourqueRonniesesenteaussicoupablequepossible.Évidemment,samèrenefaisaitjamaisdanslanuance.Etlanuanceserévélaitdetaille,enl'occurrence,parcequeRonnien'avaitpascommiscevol!Maisest-cequeçachangeaitquelquechoseauproblème?Biensûrquenon.
Ellesentait toute la fureurdesamère,etça luidonnait lanausée. Ilvalaitsansdoutemieuxqu'ellenerentrepastoutdesuite,enfindecompte.Ronnie entendit son père approcher derrière elle. Elle se tourna et le vit
hésiter...Puisils'assittranquillementauprèsd'elle.Ilneparlapastoutdesuiteeteutl'airdecontempleruncrevettierquimouillaitaularge.—Elleétaitencolère?Bien qu'elle connaisse la réponse, Ronnie ne pouvait s'empêcher de poser la
question.—Unpeu,admit-il.—Justeunpeu?—Àmonavis,elleadûsaccagerlacuisinependantqu'onparlait.Ronniefermalesyeuxenimaginantlascène.—Tuluiasditcequis'étaitréellementpassé?— Bien sûr. Et même que j'étais persuadé de ta bonne foi, ajouta-t-il en la
prenantparl'épaulepourl'étreindreaffectueusement.Elles'enremettra.Elles'enremettoujours.Ronniehochalatête.Danslesilencequisuivit,ellesentitsonpèrel'observer.—Désoléquetunepuissespasrentreraujourd'hui,déclara-t-ilavecdouceuret
sincérité.Jesaisàquelpointtudétestescetendroit.—Jedétestepas,s'empressa-t-ellederectifier.Elleétaitlapremièresurpriseparcetaveu,alorsmêmequ'elleavaittentédese
persuaderducontraire.
— C'est juste que je m'y sens pas chezmoi, précisa-t-elle. Il lui adressa unsouriremélancolique.—Siçapeutteconsoler,quandj'étaisjeune,moiaussijem'ysentaisétranger.
Je rêvaisd'alleràNewYork.Mais leplusétrange,c'estqu'aumomentoù j'aipuenfinfuir,WrightsvilleBeachs'estmisàmemanquerbienplusquejenel'auraiscru.Çadoitêtrel'idéedevivreauborddel'océanquimeplaît.Elleleregardadroitdanslesyeux.—Qu'est-cequivam'arriver,p'pa?L'agentPetet'arienditdeplus?—Non.Uniquementquelapropriétairesesentaitendroitdeporterplainte,car
ils'agissaitd'articlesd'unecertainevaleur...Etelleaeupasmaldevolsàl'étalagecesdernierstemps.—M'enfin,j'airienvolé,moi!s'écriaRonnie.—Jesais...etonvatâcherdetirerçaauclair.Etdetetrouverunbonavocat.—Çavacoûtercher?—Lesbonsavocatsnesontpasdonnés.—Tupeuxtelepermettre?— Ne t'inquiète pas, je me débrouillerai... Je peux te poser une question ?
Qu'est-ceque tuasbienpu fairepourenragerBlazeàcepoint?Tuneme l'asjamaisdit.Si samère le lui avait demandé,Ronnien'aurait sansdoutepas répondu.Ni
d'ailleurs à son père deux jours plus tôt. Mais à présent, elle ne voyait aucuneraisondenepaslefaire.—Cettefillesortavecungarsbizarreetflippant,etellepensequej'essayaisde
leluipiquer.Ouuntruccommeça.—Qu'est-cequetuentendspar«bizarreetflippant»?Nonloind'eux,
lespremièresfamilless'installaient,chargéesdeserviettesdebainetdejouetsdeplage.— Je l'aivuhier soir... Il se tenaitpar là-bas,murmura-t-elleendésignantun
endroitsurlesable,pendantjediscutaisavecWill.Sonpèrenecherchapasàmasquersoninquiétude.—Maisilnes'estpasapproché?Ellesecoualatête.—Non.Maisilyauntrucqui...cloche...chezceMarcus.—Tudevraispeut-êtreévitercesdeux-là.BlazeetMarcus,jeveuxdire.—T'enfaispas.J'avaispasprévudelesrevoir.—TuveuxquejepréviennePete?Jesaisqueçanes'estpasfranchementbien
passéaveclui,mais...—Non, pas tout de suite.Mais je lui en veuxpas, tu sais. Il faisait juste son
boulot,ets'estmontréplutôtcompréhensifdanscettehistoire.Jecroismêmequ'ilétaitdésolépourmoi.—Ilm'aditqu'ilcroyaitentaversiondesfaits.C'estlaraisonpourlaquelleila
parléàlapropriétaire.Ronnie eut un sourire timide, en pensant que c'était agréable de pouvoir
discuter avec son père. Un bref instant, elle se dit que sa vie aurait pu êtredifférentes'iln'étaitjamaisparti.Elletripotaunepoignéedesableet,d'unevoix
hésitante,luidemanda:—Pourquoi tu nous as quittés, p'pa ? Je suis assez grandepour connaître la
vérité,O.K.?Sonpèreallongeasesjambes,cherchantmanifestementàgagnerdutemps.Il
semblait tiraillé, ne sachant pas s'il pouvait tout lui dire ni par où commencer,avantd'attaquerparleplusévident.— Quand j'ai arrêté l'enseignement chez Juilliard, je me suis produit dans
touteslessallespossibles.C'étaitmonrêve,tusais.Deveniruncélèbrepianistedeconcert.Quoiqu'ilensoit...j'imaginequej'auraisdûmieuxréfléchiràlaréalitédelasituation,avantdeprendremadécision.Maisjenel'aipasfait.Jenemesuispasrenducompteàquelpointceseraitdurpourtamère.Illadévisageaavecgravité,avantd'ajouter:—Alafin,ons'estpeuàpeu...éloignésl'undel'autre.Ronniecontemplaitson
pèreetessayaitdelireentreleslignes.—Ilyavaitquelqu'und'autre,non?S’enquit-elled'untonneutre.Ilne réponditpas,maisdétourna lesyeux.Elleeut l'impressionque toutson
universs'effondrait.Lorsqu'ilrepritenfinlaparole,savoixparaissaitaccablée.—Jesaisquej'auraisdûfairedavantaged'effortspoursauvermoncouple,etje
leregrette.Beaucoupplusquetunepeuxlecroire.Maisjetiensaussiàcequetusachesunechose...Jen'aicessédecroireentamère,enlaforcedenotreamour.Mêmesiàlafinçanes'estpaspassécommetoioumoilesouhaitions,quandjevousvoisJonahettoi,jemedisquej'aibeaucoupdechancedevousavoir.Malgrétoutesmeserreurs,vousêtestouslesdeuxlesplusbeauxcadeauxquelaviem'aitofferts.Lorsqu'il eut terminé, Ronnie se remit à jouer avec le sable d'un air las, en
disant:—Qu'est-cequejesuiscenséefaire?—Aujourd'hui,tuveuxdire?—Engénéral...— Je crois que tu devrais commencer par aller lui parler, suggéra-t-il en lui
tapotantaffectueusementledos.—Àqui?—ÀWill.Tu tesouviensquandvousêtespassésdevant lamaison,alorsque
j'étais sur la véranda ? Je vous observais en me disant que vous aviez l'airdrôlementàl'aisetouslesdeux.—Tuneleconnaismêmepas,répliquaRonnie,ébahie.—Eneffet,admit-ildansunsourirepleindetendresse.Maistoi,jeteconnais,
enrevanche.Ettuétaisheureuse,hier.—Ets'ilrefusedemeparler?dit-elle,inquiète.—Ilacceptera,crois-moi.—Qu'est-cequet'ensais?—Jel'observais,figure-toi,etilétaittoutaussiheureux.Elleétaitdeboutdevant l'entréedeBlakeleeBrakes,etunephrasenecessait
de la hanter. Pas question de faire ça. Ronnie ne voulait pas l'affronter... sauf
qu'elle lesouhaitaitquandmême,etsavaitqu'ellen'avaitpasd'autrechoix.Carelles'étaitmontréeinjusteenversluietilméritaitaumoinsd'êtreaucourantdecequ'AshleyavaitditàRonnie.Ill'avaitattenduedesheuressurlesable,non?Enoutre,elleadmettaitquesonpèredisaitvrai.Elles'étaitbienamuséeavec
Will... pourautantqu'onpuisse s'amuserdansunendroitpareil, en tout cas.Etpuis il se distinguait réellement des autres gars qu'elle avait connus. Pas tantparcequ'il jouaitauvolleyetavaituncorpsd'athlète,oumêmeparcequ'ilétaitplusintelligentqu'ilnelelaissaitcroire...maisparcequ'iln'avaitpaspeurd'elle.De nos jours, trop de garçons se contentaient de jouer les béni-oui-oui avec
leurs copines, en croyantqu'il leur suffisait d'êtregentil.C'était important, biensûr,maispasaupoint de jouer les carpettes.Ronnieappréciait le fait qu'il l'aitemmenéeàlapêche,mêmesil'idéenel'emballaitpastropaudépart.C'étaitsafaçonàluideluidire:Jesuistelquetumevois,etvoilàcequimeplaît...Etparmitouslesgensquejefréquente,c'estavectoiquejeveuxpartagercemoment.Tropsouvent,quandunmecluidemandaitdesortiravecelle,ilpassaitlaprendresansavoirlamoindreidéedecequ'ilsallaientfaire,etRonniesevoyaitcontraintededécider pour deux. Autrement dit, elle en avait soupé des mollassons et desabrutis. Will était à l'opposé, en revanche, et elle ne pouvait que l'apprécierd'autantplus.Voilà pourquoi elle se devait d'arranger la situation. Tout en s'armant de
courageaucasoùilseraitencoreenpétard,elleentradanslehall.Àl'atelier,Willet Scott travaillaient sous une voiture installée sur le pont élévateur. ScottmurmuraquelquechoseàWill,quisetournaetvitRonnie,maisneluisouritpas.Ils'essuyalesmains,puiss'approcha.S'arrêtantàunmètred'elle,illuidemanda,levisageimpassible:—Qu'est-cequetuveux?Pasvraimentl'entréeenmatièrequ'elleespérait,maisbon...çan'avaitriende
surprenantnonplus.—Tuavaisraison.Hier,j'aiquittélematchparcequeAshleyaditquej'étaista
dernière conquête en date. Elle a aussi sous-entendu que ce n'était pas lapremière fois que t'emmenais une fille à l'aquarium, à la pêche, tout ça... quec'étaienttestrucsdedragueavecchaquenouvellenana.Willcontinuaitàladévisager.—Elleamenti.—Jesais.—Alorspourquoitum'aslaissépoireautersurladunependantdesheures?Et
pourquoit'asrienditdetoutçahier?Elleramenaunemèchedecheveuxderrièresonoreille,tandisqu'ellesentaitla
hontelagagner,toutenessayantdenepaslemontrer.—J'étaisperturbéeetencolère.Etpuisj'allaisteledire,maist'asfiléavantde
m'enlaisserl'occasion.—Allonsbon...C'estdemafaute,maintenant?— Non, pas du tout. Il y avait plein de trucs annexes sans rapport avec toi.
Disonsque...c'étaitpasfacilepourmoicesderniersjours.Ellesepassaunemainsurlefront.Elleétouffaitdanscegarage.
Willmitunpetitmomentàdigérercequ'ellevenaitdeluiannoncer.—Pourquoit'ascruAshley,pourcommencer?Tulaconnaismêmepas.Ronnie ferma un instant les paupières. Pourquoi ? Parce que je suis une
imbécile.Etquej'auraisdûmefieràmoninstinctencequilaconcerne.Maiselleneditriendetoutça.—J'ensaisrien,répondit-elleàlaplace,ensecouantlatête.Commeellenesemblaitpasvouloirajouterquoiquecesoit,Willrepritlaparole
:—C'esttoutcequet'avaisàmedire?Parcequ'ilfautquejeretournebosser.—Jetenaisàtefairemesexcuses,murmura-t-elle.Alors,désolée...Jesuisallée
troploin.—Ouais,c'estlemoinsqu'onpuissedire.T'étaiscomplètementcinglée.Autre
chose,sinon?—Jevoulaisaussiquetusachesquej'aivraimentpasséunsupermomentavec
toihier.Jusqu'àcequ'ondispute,entoutcas.—O.K.Ellenesavaitpastropcequesignifiaitsaréponse,maislorsqu'illuidécochaun
petitsourire,ellesedétenditunpeu.— O.K. ? C'est tout ? T'as rien d'autre à me dire, alors que j'ai fait tout ce
cheminpourteprésentermesexcuses?O.K.?Enguisederéponse,Willfitunpasverselle,etlasuitesedéroulasivitequeça
défiait toute logique... L'instant d'avant il se tenait à un mètre d'elle, et celuid'après il s'avançait et l'attirait à lui pour l'embrasser. Ses lèvres se révélaientd'unedouceur incroyable.C'étaitpeut-êtredûà l'effetde surprise,maiselle luirenditsonbaiser.Oh,rienàvoiravecunbaiserdecinémaquivouschavireetfaittremblerlaterresousvospieds...maisRonnieétaitravied'unetelleconclusionàleur discussion. Et, étrangement, elle réalisait que c'était tout à fait ce qu'elleattendaitdelapartdeWill.Lorsqu'il recula,Ronniesesentit rougir.Quantà lui, sonvisageétaità la fois
tendreetgrave,etcertainementpasceluid'unabrutimollasson.— La prochaine fois que t'es furax contremoi, viensmeparler, dit-il. Neme
claque pas la porte au nez. J'aime pas ce genre de comportement débile. Etsinon...moiaussi,j'aipasséunesuperjournéeavectoi.Ronnie se sentait encore sur un nuage quand elle rentra chez elle. Tandis
qu'elle se repassait pour la centième fois ce baiser dans sa tête, elle ne savaittoujourspascommentilsenétaientarrivéslà.Maisçaluiplaisait.Beaucoup,même.Alors,pourquoiétait-ellepartieensuite?
Ilsauraientdûprojeterdeserevoir,maisavecScottquilesregardait,bouchebée,dufonddugarage,elleavaitjugéplussimplededonneràWillunpetitbaiserd'aurevoiretde le laisser reprendreson travail.Quoiqu'ilensoit,elleétaitcertainequ'ilsallaientserevoir,sansdoutemêmetrèsvite.ElleplaisaitàWill.Ronnienesavaitpastroplepourquoiducommentdecette
attirance, mais c'est sûr qu'elle lui faisait de l'effet ! Elle en était la premièrestupéfaiteetregrettaitdenepasavoirKaylaàsoncôtépourenparler.Biensûr,ellepouvaitluipasseruncoupdefil,maisceneseraitpaspareil...etpourluidire
quoi?Ronnieavaitjustebesoinqu'onl'écoute,enfait.Commeelles'approchaitdubungalow,laportedel'ateliers'ouvritàlavoléeet
Jonahsurgitausoleilpoursedirigerverslamaison.—Salut,Jonah!—Oh... salut, Ronnie ! lança-t-il en tournant les talons pour trotter vers elle.
(Arrivéàsahauteur,illadévisagead'unairintrigué.)Jepeuxtedemanderuntruc?—Pasdeproblème.—Tuveuxuncookie?—Quoi?—Uncookie.T'enasenvieoupas?Elleignoraitoùtoutçalamènerait,pourlasimpleraisonquelecerveaudeson
frèrefonctionnaitparfoisàl'opposédusien.—Non,répondit-elleprudemment.—Commentc'estpossiblequetuveuillespasuncookie?—J'enaipasenvie,c'esttout.—O.K.,dit-ilenagitantlamain.Maintenant,onvadirequetumeursd'enviede
mangeruncookieetqu'ilyenadansleplacard.Tufaisquoi?—Ben...jevaismeservir?Jonahfitclaquersesdoigts.—Exact!C'esttoutàfaitcequejedis!—Ettudisquoi,aujuste?—Quesi lesgensveulentuncookie, ilsvontseservir.Normalement,c'estce
qu'ilsfont.Ah,jecomprendsmieuxoùilveutenvenir...—Laisse-moideviner.P'paneveutpastelaissermangeruncookie?—Non.Mêmesi jecrèvedefaim, ilveutriensavoir. Ilditquejedoisd'abord
prendreunsandwich.—Ettutrouvesçainjuste?—Tuviensdedirequet'iraisteservirsit'envoulaisun.Alors,pourquoimoije
peuxpas?Jesuisplusunbébéetjepeuxprendremespropresdécisions,déclara-t-ilenlaregardantavecgravité.— Hmm... Je comprends pourquoi ça te perturbe autant, dit-elle en portant
l'indexàsonmenton.—Sip'paveutuncookie,ilpeutseservir.Toi,pareil.Maissimoij'enveuxun,
lesrègleschangent.Commetudis,c'estpasjuste.—Qu'est-cequetuvasfaire,alors?— Je vais manger un sandwich. Parce qu'il le faut. Parce que le monde est
injustepourlesenfantsdedixans.Sans attendre sa réaction, il s'éloigna en traînant les pieds, sous le regard
amusédesasœur.Peut-êtrequ'ellel'emmèneraitplustardmangeruneglace,sedit-elle.Ronniehésitaàlesuivredanslamaison,puischangead'avisetpartitversl'atelier.Ilétaitpeut-êtretempsdevoircefameuxvitrail!Depuisl'entrée,elleaperçutsonpèrequisoudaitdesplombs.—Salut,mapuce!Entredonc.
Ronniepénétradansl'atelier,qu'ellevoyaitpourlapremièrefois.Ellegrimaçaàlavuedesanimauxbizarressurlesétagèresetfinitpars'approcherdel'établioùétaitposélevitrail.Manifestement, ilsn'étaientpasauboutdeleurspeines... Ilsavaientpeut-êtreréaliséunquartdel'ouvrage,àencroirelemotif.Aprèsavoir terminésasoudure,sonpèrese redressaet rouladesépaulesen
s'étirant.— Cet établi est un peu bas pourmoi. Au bout d'unmoment, j'attrape des
courbatures.—Tuveuxduparacétamol?—Non,jevieillis,c'esttout.Leparacétamolnepeutpasyfairegrand-chose.Ronniesouritets'éloignaunpeu.Punaiséeaumur,prèsdel'articledejournal
décrivantl'incendie,ilyavaitunephotoduvitrail.Ellesepenchapourlaregarderendétail,avantdeseretournerverssonpère:—Jeluiaiparlé,annonça-t-elle.Jesuispasséeaugarageoùiltravaille.—Et?—Jecroisquejeluiplais...— Pas étonnant, dit son père dans un haussement d'épaules. T'es une fille
super!Ronniesouritànouveau,pleinedegratitudeenverssonpère.Ellesedemanda
s'il avait toujours été aussi sympa dans le passé, mais ne s'en souvenait pasvraiment.—Pourquoi tu réalisescevitrailpour l'église?Parceque lepasteurHarris te
laisseoccuperlamaison?—Non.J'enauraisfabriquéundetoutemanière...Commeils'interrompait,Ronnieleregardaetattenditlasuiteavecimpatience—C'estunelonguehistoire.T'essûred'avoirenviedel'entendre?Ellehochalatête.— J'avais peut-être six ou sept ans, la première fois que jeme suis aventuré
dansl'églisedupasteurHarris.Jem'yétaisréfugiépouréchapperàlapluie...Enfait,elletombaitàverseetj'étaistrempé.Quandjel'aientendujouerdupiano,jemerappelleavoirpenséqu'ilallaitsansdoutemedirequejenepouvaispasrester.Eh bien pas du tout. Au lieu de ça, ilm'a apporté une couverture et un bol desoupe, puis il a appelé ma mère pour qu'elle passe me récupérer. Mais avantqu'elle arrive, il m'a laissé jouer du piano. J'étais rien d'autre qu'un gamin quimartelaitleclavier...etpourtantjesuisrevenulelendemainet,defilenaiguille,ilestdevenumonpremierprof. Il avait cetamour inconsidérépour lamusique. Ilaffirmaitdu restequ'unebellemélodies'apparentaitauchantdesanges,et j'aifinipardeveniraccro.J'allaisdoncàl'églisetouslesjoursetjejouaispendantdesheuressouslevitraild'origine,baignédanscettelumièredivinequiletraversait.C'est l'imageque jegardeenmémoire, chaque foisque je songeàmesheurespasséeslà-bas...Etilyaquelquesmois,quandl'égliseabrûlé...Ildésignalacoupuredejournalaccrochéeaumuretpoursuivit:— Le pasteurHarris a faillimourir, cette nuit-là. Il se trouvait à l'intérieur et
mettait ladernièremainàsonsermon...Bref,c'estàpeines'ilaeuletempsdes'enfuir.Lefeuaprisenquelquesminutesetlabâtisseaétérapidementréduiteà
untasdecendres.Lepasteurestrestéunmoisàl'hôpital,etdepuislorsilofficiedansunvieilentrepôtmisàsadisposition.L'endroitestsombreetassezmiteux,maisjemedisaisquec'étaitprovisoirejusqu'àcequ'ilm'annoncequel'assurancene couvrait que lamoitié des dégâts... et que la paroisse ne pourrait s'offrir unnouveauvitrail.Pourmoi,c'étaittoutbonnementinconcevable.L'égliseneseraitplus celle dont j'avais le souvenir, et ça me paraissait injuste. Alors, je vaisterminercevitrail.Ils'éclaircitlavoixetajouta:—J'aiintérêtàleterminer...En l'écoutantparler,Ronnie tentaitde l'imaginerenfanten trainde jouerdu
piano,tandisquesonregardallaitàtourderôledesonpèreà laphotopuisauvitrailenchantiersurl'établi.—C'estdrôlementjoli,cequetufais.—Ouais...Onverracequeçadonneaufinal.MaisJonahal'aird'aimertravailler
dessus.—D'ailleurs... à propos de Jonah. Il râle parce que tu ne veux pas le laisser
mangeruncookie.—Ildoitd'aborddéjeuner.— Je cherche pas à te contredire, précisa-t-elle avec un sourire en coin. Je
trouvaisçadrôle,c'esttout.—Ilt'aditqu'ilenavaitdéjàprisdeuxdanslamatinée?—J'aibienpeurqu'iln'aitomisdelementionner.— Tu m'étonnes ! répliqua Steve en posant ses gants sur l'établi. Tu veux
mangeravecnous?—Ouais...volontiers,dit-elleenhochantlatête.Ilssedirigèrentverslaporte.— Au fait, dit-il d'un ton qui se voulait désinvolte, aurai-je l'occasion de
rencontrercejeunehommequiapprécietantmafille?Ellepassadevantluietsortitàlalumière.—Probablement...— Et si on l'invitait à dîner ? Ensuite, on pourra peut-être... tu sais bien,
s'amusercommeonlefaisaitdansletemps,suggéra-t-ilàtouthasard.Ronnieréfléchitàlasuggestion.— J'ensais trop rien,p'pa.Ça risqued'êtredrôlementaniméà lamaison,du
coup.—Tusaisquoi?Jetelaissedécider,O.K.?
18–Will-—Allez,monpote,tâchederesterconcentré!Sit'esàfonddanslejeu,onva
écraserLandryetTysonauchampionnat.Willjonglaitaveclaballe,tandisqueScottetluisetenaientsurlesable,encore
en sueur. L'après-midi touchait à sa fin. À trois heures, leur travail au garageterminé,ilsavaientfiléàlaplagepours'entraîneravecdeuxéquipesdeGéorgiequi passaient la semainedans la région. Tous sepréparaient pour le tournoi duSud-EstquisedérouleraitenaoûtàWrightsvilleBeach.—Ilsn'ontpasperduunseulmatchcetteannée.Etilsviennentderemporterle
championnatnationaljunior,observaWill.—Etalors?Onjouaitpascontreeux.Ilsontbattuunetripotéedegrosnazes.À son humble avis, Will pensait que les équipes disputant le championnat
nationalétaientloinderassemblerdesnullités.DanslepetitmondedeScott,enrevanche,lemoindreperdantétaitforcémentnul.—Ilsnousontbattusl'andernier.—Ouais,maisà l'époquetu jouaisencoremoinsbienquecetteannée.Toute
l'équipesereposaitsurmoi.—Merci.— Tout ce que je dis, c'est que tu manques de rigueur. Comme hier, par
exemple?Dèsquecettenanasortie toutdroitdeTwilighta fichu le camp, t'aspassélerestedelapartieàjoueràl'aveuglette!—Primo,ellesortpasdeTwilight.Etdeuzio,elles'appelleRonnie.—Peu importe.Tusais cequec'est, tonproblème?Oui,Scott, dis-moidonc
quelestmonproblème.Jemeursd'enviedelesavoir!Scottenchaîna,sanssedouterquesonamisemoquaitdeluienpensée.—Tonproblème,c'estquet'espasconcentré.Aumoindrepetitincident,paf!
T'esdanslesnuages.Mince!J'airenversédusodasurletee-shirtd'Elvira...etjeloupecinqmanchettesdedéfense!Oh,VampirellaestenpétardcontreAshley...ethop!Jeratelesdeuxservicesquisuivent...—Tuveuxbienarrêter?—Quoidonc?—Deluidonnerdestasdesurnoms.—Tuvois!s'exclamaScott.C'esttoutàfaitcequejedisais!C'estpasd'elle
quejeparle,maisdetoietdetonabsencedeconcentration.T'esincapabledetefocalisersurlejeu.—Onaremportédeuxmanchesd'affilée,etilsn'ontmarquéqueseptpointsen
tout!Onlesaécrasés,protestaWill.—Maisilsauraientmêmepasdûenmarquercinq.Onauraitdûlesécrabouiller.—T'essérieux?
—Ouais,monpote.Ilssontpastrèsbons.—M'enfin,onagagné!Çatesuffitpas?—Passionpeutremporterlematchencreusantdavantagel'écart.Onaurait
pucarrémentleurcasserlemoral,sibienqu'aumomentdenousrencontrerpourdebonauchampionnat, ilsauraientabandonnédès ledébut.Ças'appellede lapsychologie,mec.—Jecroisqu'onappelleça«cumulerlespointspourrien».—Ehben,c'estjustementpourçaquet'asl'espritailleurs,sinont'auraisjamais
finiparroulerunepelleàCruelladeVil!Elvira,Vampirella,etmaintenantCruella.Ilneserenouvellepasdesmasses...—Jecroisbienquet'esjaloux,déclaraWill.—Non.Personnellement,jepensequetudevraisressortiravecAshley,comme
çajepourraissortiravecCassie.—T'enesencorelà?— Redescends sur terre,mon pote ! Comment je pourrais faire autrement ?
T'auraisdûlavoirhierdanssonBikini...—Alors,demande-luidesortiravectoi.— Elle voudra rien savoir, répliqua Scott dans un froncement de sourcils
accablé.—Peut-êtrequ'elletetrouvemoche.Scottluidécochaunregardnoir.—Ha!Ha!Tropdrôle!Tudevraisécriredessketchespourlatélé.—Moi,cequej'endis...—Ehben,nedisrien,O.K.?Etpuisd'abord,ilyaquoientretoiet...—Ronnie?—Ouais.Àquoiçarime?Hier,t'aspassétoutelajournéeavecelle,etvoilàque
cematinellesepointeettul'embrasses?C'est...sérieuxentrevousouquoi?Willrestasilencieux.Dépité,Scottsecoualatête,toutenbrandissantl'indexpourappuyersonpoint
devue:— Tu vois, c'est ça le truc ! La dernière chose dont t'as besoin, c'est d'une
relationsérieuseavecunefille.Fautquetuteconcentressurcequiestimportant.T'asunboulotàpleintemps,t'esbénévolepoursauverlesdauphins,lesbaleines,lestortuesoupeuimporte,ettusaisqu'ondoits'entraîneràmortpourêtreprêtspour le championnat.Bref, je te rappellequ'il yaquevingt-quatreheuresdansunejournée!Willrestaitmuet,maisvoyaitbienqueScottpaniquaitdeplusenplusàmesure
quelessecondess'écoulaient.—Allez, quoi !Ne raconte pas d'histoires. Franchement, qu'est-ce que tu lui
trouves?Willsetaisaittoujours.—Non,nonetnon!PsalmodiaScottcommeunmantra.Jesavaisqueçaallait
arriver. C'est pour ça que je t'ai dit de ressortir avec Ashley ! Pour éviter de terelancerdansuntrucsérieux.Tusaiscequivasepasser.Tuvastetransformerenermite.Tuvaslarguertoustescopainspourpouvoirêtreavecelle.Crois-moi,t'as
besoindetout,saufd'unehistoiresérieuseavec...—Ronnie,complétaWill.—Peuimporte!l'interrompitScott.C'estpasleproblème.Willsourit.—Tut'esjamaisrenducomptequet'avaisbienplusd'opinionssurmavieque
surlatienne.—Parcequejemélangepastoutcommetoi.Willsecrispamalgrélui,tandisquelanuitdel'incendieluirevenaitsoudainen
mémoire...EtilsedemandasiScottnejouaitpasvolontairementlesabrutis.—J'aipasenvied'enparler,dit-il.MaisScottnel'écoutaitplus,tropoccupéàregarderpardessusl'épauledeson
copainquelquechosesurlaplage.—J'hallucine,marmonna-t-il.Will se retourna et vit Ronnie s'approcher. En jean et tee-shirt noir, bien sûr,
aussi déplacée qu'un crocodile sur l'Antarctique. Will souriait déjà jusqu'auxoreilles.Ils'avançaverselle,ravidelavoir,toutensedemandantunefoisdeplusce
qu'ellepensait.Maisàvraidire,cettepartdemystèreluiplaisait.—Salut!lança-t-ilentendantlamaincommepourlaprendreparlataille.Ronnies'arrêtanetpoursetenirhorsdesaportée.Ellearboraitunvisagetout
cequ'ilyadesérieux.—Nem'embrassepas,dit-elle.Tum'écoutes,O.K.?Assiseàsoncôtédanslacamionnette,Ronnieparaissaitplusénigmatiqueque
jamais. Un léger sourire aux lèvres, elle regardait par la fenêtre, apparemment.Mais au bout de quelquesminutes, elle joignit lesmains sur ses genoux et setournaverslui.—Si t'arrivesenshortetendébardeur,monpèrenevapasse formaliser, tu
sais.—Çameprendraquelquesminutesàpeine.—Maisc'estjusteundîneràlafortunedupot.—J'aichaudetjesuisennage.J'aipasenviededébarquerendébraillédevant
tonpère.—Jeviensdetedirequeçaluiestégal.— Ben moi, non. Contrairement à certaines personnes, j'aime faire bonne
impression.Ronniesehérissaunpeu.—Jedoismesentirvisée?— Bien sûr que non. Tous les mecs que je connais, par exemple, adorent
rencontrer des filles aux cheveux violets. Bien qu'elle sût qu'il la taquinait, elleécarquillalesyeux.—Çan'apasl'airdeteposerdeproblème,pourtant.—Oui,maisparcequemoi,jesuisàpart.Ellecroisalesbrasenledévisageant.—Tuvasfaireçatoutelasoirée?—Quoidonc?
—Joueràceluiquis'enremettrajamaisdem'avoirembrassée?Iléclataderire.—Excuse-moi.C'estpascequejevoulaisdire.Enfait,j'aimebienlesmèches
violettes.C'est...tonlook,aprèstout.—Mouais...faisquandmêmegaffeàcequetudislaprochainefois.Toutenparlant,elleouvritlaboîteàgantsetfarfouilladedans.—Qu'est-cequetufabriques?—Jejettejusteunœil.Pourquoi?T'asdestrucsàcacher?—Tupeuxtoutretourner...Etmêmeenprofiterpourymettreunpeud'ordre.Ellesortitunecartoucheetlaluimontra.—Jesupposequec'estavecçaquetuassassineslescanards?— Non, ça c'est pour les chevreuils. Trop gros pour un canard. Il serait en
miettessijeluitiraisdessusavecça.—T'asdesacrésproblèmes,tusais.—C'estcequej'aicrucomprendre...Elleneputs'empêcherdeglousser.Ils longeaient l'IntracoastalWaterway, et les villas se succédaient aubordde
l'eauquimiroitaitsouslalumière.Ellefermalaboîteàgantsetabaissalepare-soleil, où était accrochée la photo d'une séduisante blonde qu'elle retira pourl'examiner.—Elleestjolie,observaRonnie.—Ouais,c'estvrai.—Jetepariedixdollarsquet'asmisceclichésurtapageFacebook.—Perdu.C'estmafrangine.IlobservaRonnieàladérobée,tandisqu'elleregardaittouràtoursonpoignet
etlaphoto.—Pourquoivousportezlesmêmesbraceletsenmacramé?demanda-t-elle.—C'estmasœuretmoiquilesavonsréalisés.—Poursoutenirunenoblecause,j'imagine?—Non.Il ne dit rien de plus et constata avec surprise qu'elle respectait son silence,
aprèsavoirmanifestementdevinéquec'étaitlesouhaitdeWill.Ellerangeadoncleclichéavecsoin,puisrelevalepare-soleil.—C'estencoreloin?reprit-elle.—Onestpresquearrivés,luiassura-t-il.—Sij'avaissuquet'habitaisàperpète,jeseraisrentréeàpiedpourt'attendre
tranquillementchezmoi.—Maist'auraisétéprivéedemabrillanteconversation!—Etenplustutevantes!—T'asl'intentiondem'insultertoutlelongduchemin?dit-ilenlaregardant
ducoindel'œil.Justepoursavoirsijedoismonterlesondel'autoradio...— Tu sais, t'aurais pas dû m'embrasser ce matin. C'était pas franchement
romantique,répliquaRonnie.—Benmoi,j'aitrouvéçatrèsromantique.—Onétaitdansungarage,t'avaislesmainspleinesdecambouis,ettoncopain
nousmataitd'unairahuri.—Uncadreidéal,jetrouve.Il ralentit alors et mit son clignotant. Puis, après avoir tourné, il s'arrêta et
s'emparad'unetélécommandequ'ilactionna.Deuxgrillesenferforgés'ouvrirentencoulissant,puislepick-ups'engageadansl'allée.ToutexcitéàlaperspectivededînerplustardchezRonnie,Willnesemblapasremarquerlemutismesoudaindesapassagère.
19–Ronnie-0.K, se dit-elle, c'est ridicule. Pas seulement les haies, les buissons de roses
taillés, lesstatuesenmarbre, lademeuredestylegéorgienàcolonnades,ou lesvoitures étrangères hors de prix qu'on briquait à la main dans un coin... maisl'ensembleétaitsigrandiosequ'ilendevenaitgrotesque!Ronnie savait pourtant que de riches New-Yorkais possédaient des
appartementsd'unevingtainedepiècesdansParkAvenueetdesuperbesmaisonsdanslesHamptons,maisbon...ellenelesfréquentaitpasetn'étaitjamaisinvitéechez eux. Ce genre d'endroit, elle ne l'avait vu que dans des magazines, etencore...ils'agissaitlaplupartdutempsd'imagesvoléespardespaparazzis.Etellequi sepointait làavecson tee-shirtet son jeandestroy.Lecombledu
chic!Ilauraitpulaprévenir,aumoins.Ronnienepouvaitquitter lamaisondesyeux,alorsque lepick-up remontait
l'alléecirculaireavantdesegarerjustedevantl'entrée.EllesetournaversWilletallait luidemanders'il vivait réellement là,puis réalisaquec'étaitunequestionidiote.Biensûrqu'ilhabitaitlà!D'ailleurs,ildescendaitdéjàdupick-up.Elle descendit à son tour. Les deux hommes occupés à nettoyer les voitures
levèrentlesyeuxsurelle,puisrevinrentaussitôtàleurtâche.—Jevaismedouchervitefait.J'enaipaspourlongtemps.—Super.Ronnie ne trouva rien demieux à dire. C'était la demeure la plus imposante
qu'elleaitjamaisvue.Elle lesuivit,gravit lesmarchesquimenaientàlavérandaets'arrêtaunbref
instantà laporte, letempsdedécouvrirunepetiteplaqueencuivre indiquant :RésidenceBlakelee.CommedansBlakeleeBrakes...À savoir la chaînenationaled'entretienetde
réparation automobile. Donc le père de Will ne possédait pas une simplesuccursale,maiscarrémenttoutelasociété!ElledigéraitàpeinelanouvellequandWillpoussalaporteetl'entraînadansun
hall imposantoùtrônaitunescaliergigantesque.Sursadroite,unebibliothèquelambrisséedeboissombre;àgauche,unesortedesalondemusique.Justedevantelle, une immense pièce baignée de lumière, et un peu plus loin les eauxscintillantesdel'IntracoastalWaterway.—Tum'aspasditquetut'appelaisBlakelee,marmonnaRonnie.—Tumel'aspasdemandé,répliqua-t-ildansunhaussementd'épaules.Allez,
suis-moi.Ils passèrent devant l'escalier pour rejoindre la grande salle. À l'arrière de la
maison,elleaperçutlasuperbevérandaauborddel'eau,etentrevitunyachtdetaillemoyenneamarréauponton.
Bon,inutiledesevoilerlaface.Ellenesesentaitpasdutoutàsaplace.Etlefait que beaucoup de gens avaient dû partager cette impression leur premièrevisitenelaconsolaitpasvraiment.ElleauraitaussibienpuatterrirsurMars.—Tuveuxboirequelquechosependantquejemeprépare?—Non,non...çava,merci,dit-elleenévitantd'avoirl'airéberluéparlecadre
ambiant.—Tuveuxfaireletourdupropriétaire?—Non,c'estbon.Unpeuplusloin,surlecôté,elleentenditunevoixs'exclamer:—Will?C'esttoiquiviensderentrer?Ronnie se tourna et vit apparaître une femme séduisante, proche de la
cinquantaine, vêtue d'un sublime tailleur-pantalon en lin et tenant enmain unmagazinesurlemariage.—Salutm'man,ditWill.Il se débarrassa des clés de voiture dans une coupe posée sur la console de
l'entrée,àcôtéduvaseremplidelisfraîchementcoupés.— J'aiamenéquelqu'un,ajouta-t-il. Je teprésenteRonnie.EtvoiciSusan,ma
mère.—Oh...bonjourRonnie,ditSusanavecfroideur.Même si Mme Blakelee tentait de le dissimuler, Ronnie voyait bien qu'elle
n'étaitpasenchantéededécouvrirl'invitéesurprisedeWill.Sonmécontentementportait moins sur l'aspect inopiné de la visite que sur la visiteuse elle-même...autrementdit,Ronnie.Toutefois,siRonniesentaitlatensionambiante,Willnes'enrendaitvisiblement
pas compte. Peut-être était-ce dû à l'intuition féminine, se dit-elle, car Willcontinuaitàbavarderavecsamèrecommesiderienn'était.—P'paestdanslesparages?demanda-t-il.—Jecroisqu'ilestdanssonbureau.—Avantderepartir,j'aibesoindeluiparler.—Turessors?s'enquitSusanentripotantnerveusementsonmagazine.—JevaisdînerchezRonniecesoir.—Oh...C'estformidable.—Ronnieestvégétarienne.Çadevraitteplaire.—Oh,répétaSusanendétaillantRonnieduregard.C'estvrai?—Oui,confirmaRonnieenayantl'impressionderétréciràvued'œil.—Intéressant...Ronniedevinaitquel'intérêtdeSusanrelevaituniquementdelapolitesse,mais
Willsemblaittoujoursdanslesnuages.— O.K., le temps de faire un saut au premier, et je reviens tout de suite,
annonça-t-il.Bien que Ronnie ait envie de lui dire de ne pas traîner, elle se contenta
d'acquiescer.IlgrimpaensuitelesmarchesquatreàquatreetlaissaRonnieetSusanseules.
Danslesilencequisuivit,Ronniepritconsciencequ'endépitdeleursrarespointscommuns,ellesétaientaussicontrariées l'uneque l'autredeseretrouver faceà
face.Elleavaitenvied'étranglerWill!Pourquoinepasl'avoirmiseaucourant?—C'estdonctoi,repritSusanavecunsourirefacticequasifigé,quiasunnid
detortuederrièretamaison?—C'estbienmoi.Susanhochalatête,visiblementàcourtd'idées...tandisqueRonniefaisaitde
sonmieuxpourmeublerlesilence.—Vousavezunebienjoliemaison,observa-t-elleendésignantlehalld'entrée.—Merci.AutourdeRonniedeneplussavoirquoiraconter...Etellesrestèrentun long
momentàs'observerd'unairgêné.Ronnieignoraitcequiauraitpusepassersilasituations'étaitéternisée...Parchance,unhommeaccusantunepetitesoixantainelesrejoignit.Habillésport,ilportaitunpantalondetoileetunpolo.— Il me semblait bien avoir entendu quelqu'un entrer, lança-t-il d'un ton
cordial,presqueblagueur.Bonjour!Moi,c'estTom,lepèredeWill...EttudoisêtreRonnie,c'estça?—Enchantéedefairevotreconnaissance,dit-elle.—Etmoi,jesuisravid'avoirenfinl'occasionderencontrerlajeunefilledontil
necessedenousparler.Susans'éclaircitlavoix.—WillestinvitéàdînerchezRonnie.— J'espère que ta famille nemettra pas les petits plats dans les grands. Ce
gossesenourrituniquementdepizzasaupepperonietdehamburgers!—Ronnieestvégétarienne,précisaSusan.Autonemployé,onauraitditqu'elleannonçaitqueRonnieétaitterroriste.Mais
peut-êtrequeRonniesetrompait.Ellenesavaitpastrop...Quoiqu'ilensoit,Willauraitfranchementdûlabriefer...etelleseseraitpréparée.MaisTom,àl'instardeWill,n'avaitpasl'airdedécelerlamoindretension.— Sans rire ? reprit-il à l'adresse de Ronnie. C'est super. Eh bien, il va
s'alimentersainementpourunefois...Euh, jesaisquetu l'attends,maistuveuxbienm'accorderquelquesminutes?J'aiquelquechoseàtemontrer.—Jesuiscertainequetonavionnel'intéressepas,Tom,protestaSusan.—Jenesaispas.Peut-êtrequesi?SetournantdenouveauversRonnie,ilajouta:—Tuaimeslesavions?Benvoyons...pourquoicettefamilleneposséderaitpasunavion,aprèstout?
Çacadraitaveclereste.Maistoutça,c'étaitdelafautedeWill!Sitôtsortied'ici,elleallaitl'étriper!Pourlemoment,avait-elled'autrechoixquedesuivrelemouvement?—Oui,répondit-elle.Biensûrquej'aimelesavions...Ronnie imaginaitunLearjetouunGulfstream,garédansunhangarà l'autre
boutdelapropriété...maisl'imageétaitassezflouedanssatête,carlesseulsjetsprivésqu'elleaitjamaisvusapparaissaientsurdesphotos.Cequ'elledécouvritn'avaitcependantaucunrapport...Unhommeplusâgéque
sonpère,arméd'unetélécommandeets'amusantà fairevolerunavionmodèleréduit.
L'enginbourdonnaen rasant la cimedesarbres,puisdescenditenpiquésurl'IntracoastalWaterway.—Cegenredejoujoum'atoujoursfaitrêver,alorsj'aifiniparcraqueretm'en
offrirun,annonçaTom.Enfait,c'estledeuxième.Lepremieresttombéàl'eauparaccident.—Dommage...—Ouais,maisçam'aapprisàbienliretouteslesinstructionsdorénavant.—Vousl'avezcassé?—Non, il était à court de carburant, dit-il en lui lançant un regard. Tu veux
essayer?—Jepréfèreéviter,répliquaRonnie.Jesuispastrèsdouéeaveccestrucs-là.—Cen'estpastropdifficile,tusais.C'estunmodèlepourdébutants,autrement
ditàl'épreuvedesidiots.Biensûr,leprécédentl'étaitaussi...cequisignifiequoi,d'aprèstoi?—Quevousauriezpeut-êtredûlirelemanueljusqu'aubout?—Exact!Àlamanièredontilavaitprononcélemot,RonniecrutentendreWill.—Susanettoi,vousavezdiscutédumariage?reprit-il.—Non...MaisWillm'enaunpeuparlé.—Aujourd'hui, j'ai dû passer deux heures chez le fleuriste...Tu as déjà passé
deuxheuresdevantdescompositionsflorales?—Non.—Ehbien,tupeuxt'estimerheureuse!Ronnie gloussa, soulagée d'être sur la terrasse en sa compagnie. Au même
moment,Willréapparut,douchédefraisetvêtud'unpoloetd'unshort,touslesdeuxgriffés...maiselledevaits'yattendre.—Fautquetuexcusesmonpère,ironisa-t-il.Iloublieparfoisqu'ilestadulte.— En tout cas, je suis sincère. Et comme par hasard, tu n'es pas venu me
donneruncoupdemainpourlesfleurs...—J'avaisunmatchdevolley.—Mouais...jesuissûrquec'estlavraieraison.Etparailleurs,fiston,sacheque
Ronnieiciprésenteestbienplusjoliequetuleprétendais.SiRonniesouriaitetsesentaitflattée,Willauraitvolontiersdisparusousterre,
enrevanche.—P'pa,enfin...—C'estvrai, s'empressad'ajouterTom.Nesoispasgêné.Aprèss'êtreassuré
quel'avionvolecorrectement,illançaunregardàRonnie:—Ilestfacilementgêné.C'étaitlegaminleplustimidedumonde.Ilnepouvait
mêmepass'asseoiràcôtéd'unejoliefillesanspiquerunfard.Pendantcetemps,Willsecouaitlatêted'unairincrédule.—J'enrevienspasquetudisesdestrucspareils,p'pa.Justedevantelle.— Où est le problème ? s'exclama Tom en observant Ronnie du coin de Ça
t'ennuie?—Pasdutout.—Tuvois?S’exclama-t-ilentapotantlapoitrinedesonfils,commes'ilvenait
dedémontrerqu'ilavaitraison.Elles'enfiche.—Merci,grimaça-t-il.—Àquoiserviraientlespères,sinon?Disdonc,tuveuxfairequelquesloopings
aveccetengin?—J'aipas letemps,p'pa. JesuiscenséramenerRonniechezelle,oùonnous
attendpourdîner.—Alors,écoute-moibien.Mêmesiontesertdesauberginesetdesrutabagas
au tofu, je veux que tu finisses ton assiette et que tu n'oublies pas decomplimenterlecuisinier,recommandaTom.—Ce sera sans doute un plat tout simple à base de pâtes, intervint Ronnie,
toujourssouriante.— Vraiment ? répliqua Tom d'un air déçu. Eh bien, il les mangera... Toute
nouvelle expérience est bonne à prendre. Sinon, c'était comment à l'atelier,aujourd'hui,fiston?— Justement, il fallait que je t'enparle.D'après Jay, il y a unproblèmeavec
l'ordinateuroulelogiciel...bref,touts'imprimeendouble.—Uniquementàlamaisonmèreoupartout?—J'ensaisrien,àvraidire.Tomsoupira.—Jeferaismieuxd'alleryjeterunœil,soupiraTom.Àconditionquej'arriveà
faireatterrircetengin,biensûr.Quantàvousdeux,passezunebonnesoirée!Quelques minutes plus tard, une fois dans la camionnette, Will agita
nerveusementsesclésavantdedémarrer.—Désolé pour tout ça. Il arrive àmon père de dire des trucs complètement
dingues.—T'aspasàt'excuser.Jeletrouvesympa.—Etj'étaispasaussitimide,soitditenpassant.Jenerougissaispasàtoutbout
dechamp.—Biensûrquenon.—Sérieux.Çasepassaittoujourssuperbien.— J'en doute pas un instant, dit-elle en lui tapotant le genou. Maintenant,
écoute.Àproposdecesoir...Mafamilleaunetraditionbizarre...—Tumens!hurlaWill.T'asmentitoutelasoiréeetj'enairas-le-bol!—Nejouepasàcepetitjeu!rétorquaRonnie.C'esttoiquimens!Latableétaitdébarrasséedepuislongtemps...Commeprévu,Steveavaitservi
des spaghettis à la saucemarinara, etWill avait veillé à ne pas en laisser unemiettedanssonassiette.Àprésent,ilsétaienttousencoreattablésdanslacuisineet disputaient âprement une partie de pokermenteur.Will détenait un huit decœur,Steveuntroisdecœur,etJonahunneufdepique.Chacunavaitdevantluiunepiledepetitemonnaie,etlepotdumilieuregorgeaitdepiècesdecinqetdedixcents.—Vousmentez tous lesdeux, renchérit Jonah.L'uncomme l'autre,vousêtes
incapablesdedirelavérité,Willpritsonairleplusmauvaisetpiochadanssamonnaie.—Vingt-cinqcentsquetutetrompes.
Sonpèresecoualatêteendisant:—Unchoixpeu judicieux, jeunehomme.Trop tard. Jevaisdevoir relancerde
cinquantecents.—Pareilpourmoi!s'écriaRonnie.JonahetWillsuivirentdanslafoulée.Toutlemondesetut,chacunlorgnantl'autreavantd'abattresescartes.Voyant
qu'elleavaitunhuitenmain,RonniesupposaqueJonahremporteraitlamise.Unefoisdeplus!—Vousêtestousdesmenteurs!S’exclama-t-il.Sesgains,remarquasasœur,atteignaientledoubledeceuxdesautresjoueurs,
etenleregardantrécupérerlamonnaie,elleseditque,jusque-làentoutcas,lasoirées'étaitbienpassée.Commec'étaitlapremièrefoisqu'elleprésentaitungarçonàsonpère,Ronnie
nesavaitpastropàquois'attendreeninvitantWill.Steveallait-illeslaisserentreeuxenseplanquantdanslacuisine?Tenterait-ildecopineravecWill?Allait-ildireou faire quoi que ce soit qui la gênerait ? En roulant vers le bungalow, elleenvisageaitdéjàplusieurssolutionspourfilerendouce,sitôtledînerachevé.Cependant, dès qu'ils franchirent la porte d'entrée, Ronnie eut une bon
pressentiment.Pourcommencer,lamaisonétaitrangée...QuantàJonah,sonpèreavait dû lui faire lamorale en lui interdisant de leur coller aux basques ou detarabusterWillavecdes tasdequestions.EtSteveavaitaccueilli leur invitéparune chaleureuse poignée de main en lui disant simplement : « Ravi de terencontrer.»Willsemontraitd'unepolitesseextrême,biensûr,àgrandsrenfortsde«oui,monsieur»et«non,monsieur»,cequiattendritRonnieparsoncôté«VieuxSud».À table, la conversation se déroula naturellement ; son père posa àWill des
questions sur son travail augarageet à l'aquarium, tandis que Jonahpoussa lapolitessejusqu'àgardersaserviettesurlesgenoux!Mais,leplusimportant,sonpère ne fit aucune remarque gênante, et même s'il aborda vaguement sonpassagechezJuilliard,ilneprécisapasqu'ilavaitétéleprofdeRonnie,niqu'elleavaiteul'occasiondejouerauCarnegieHall.Niqu'ilsavaientécritdeschansonsensemble...etencoremoinsqueRonnieetluin'étaientplusbrouillésquedepuisquelquesjours.LorsqueJonahréclamadescookiesaprèslerepas,RonnieetSteveéclatèrentde
rire,etWillsedemandacequ'ilyavaitdesidrôle.Chacunmitlamainàlapâtepourdesservir la table, et quand Jonahproposaunpokermenteur,Will acceptaavecjoie.C'était tout à fait le genre de garçon qui aurait plu à sa mère : poli,
respectueux, intelligent, et surtout sans tatouages... Du reste, Ronnie auraitappréciéqu'ellesoitlà,neserait-cequepourluiprouverquesafillenepartaitpastotalementenvrille!SaufqueKimauraitmanifestéuntelenthousiasmequ'elleétaitcapabledevouloiradopterWillsur-le-champ,demêmequ'elleauraitsoûléRonnie,aprèsledépartdeWill,àforcedeluirépétercombienilétaitparfait...cequiauraitpousséRonnieàvouloirtoutarrêteravantquel'emballementdesamèrenevireaucauchemar.
Sonpère,enrevanche,nesecomporteraitjamaiscommeça...IlsemblaitsefieraujugementdeRonnieetlalaisserprendresespropresdécisions.Cequiétait franchementbizarre,compte tenudu faitqu'ilvenaitàpeinede
renoueravecelle,etenmêmetempsasseztriste,carRonniecommençaitàsedirequ'elle avait commis une grosse erreur en l'évitant ces trois dernières années.Alorsqu'elleauraitpujustementluiparlerquandsamèrelarendaitfolle.Dansl'ensemble,elleétaitravied'avoirinvitéWill.Nuldoutequ'ilavaitétéplus
facilepourluiderencontrerStevequepourRonniedevoirSusan.Cettefemmeluifaisaitfroiddansledos!Bon...peut-êtrequeRonnieexagérait,maisentouscasSusanl'intimidait.Sonattitudemontrait clairementqu'ellen'appréciaitpasRonnieou lesimple
faitquecelle-ciplaiseàsonfils.D'ordinaire, Ronnie ne moquait de ce que les parents des autres pouvaient
penserd'elle,demêmequ'elle se souciaitpeude sonapparencevestimentaire.Elleétaitcommeelleétait,aprèstout...Àvraidire,celafaisaituneéternitéqu'ellene s'était pas sentie aussi peu à la hauteur en présence de quelqu'un, et ça laperturbaitbienplusqu'ellenel'auraitcru.Tandis que la nuit tombait et que la partie de pokermenteur commençait à
s'essouffler, elle sentit le regard de Will posé sur elle. Ronnie le lui rendit ensouriant.—J'aipresqueplusdepièces,annonça-t-ilentripotantlepeudemonnaiequi
luirestait.—Jesais.Moi,c'estpareil.Iljetauncoupd'œilendirectiondelafenêtre.—Çatediraitd'allerfaireuntoursurlaplage?Cettefois,ellesavaitaveccertitudequ'il luiposaitlaquestionpourpasserun
peudetempsavecelle...cariltenaitàelle,mêmes'ilignoraitsic'étaitréciproque.—J'adoreraisallerfaireunebalade,répondit-elleenleregardantdroitdansles
yeux.
20–Will-Séparée deWilmington par le pont qui enjambait l'IntracoastalWaterway, la
plages'étiraitsurplusieurskilomètres.Elleavaitchangé,biensûr,depuisqueWillétaittoutpetit...D'unétéàl'autre,lesgensyaffluaientdeplusenplus,àmesurequelesimposantesvillasdufrontdemerremplaçaientpetitàpetitlesmodestesbungalows,maisWillaimaittoujoursautants'ypromenerlanuit.Enfant,ilaimaits'y rendre à vélo, dans l'espoir d'y faire des découvertes, et il n'était presquejamais déçu. Il avait vu de gros requins échoués sur le rivage, demagnifiqueschâteauxdesabledignesdefigurerauGuinnessdesrecords,etmêmeunebaleinequiseroulaitdanslesvaguesàunecinquantainedemètresdelacôte.Cesoir-là,l'endroitétaitdésert,ettandisqueRonnieetluiflânaientpiedsnus
auborddel'eau,ilsesurpritàpenserquec'étaitlafilleaveclaquelleilaimeraitaffronterl'avenir.Iln'ignoraitpasqu'il était trop jeunepourcegenredeprojets,d'autantqu'il
allait jusqu'à envisager le mariage, mais curieusement il sentait que s'ilrencontraitRonniedansdixans,elleseraitsansdoutelamême.IlsavaitqueScottn'ycomprendrait rien...Scottparaissait incapabled'imaginer l'avenirau-delàduprochainweek-end.Commelaplupartdesgarçonsdesonâge,detoutemanière.Àcroirequeleurscerveauxfonctionnaientdifféremmentdusien.Willn'étaitpasattiré par les plans drague, ne cherchait pas àmultiplier les conquêtes pour seprouverqu'il avait du succès, en jouant les chevaliers servantsafind'obtenir cequ'il voulait, puis couper les ponts avant de passer à la suivante. Il n'était pascommeça,voilàtout.Etneleseraitjamais.Quandilrencontraitunefille,ilnesedemandaitpassielleferaitl'affairepourquelquessoirs,maiss'ilpouvaitenvisageravecelleunerelationdurable.C'étaitenpartieàcausedesesparents,supposait-il.Mariésdepuistrenteans,
ilsavaientdû,commelaplupartdescouples,sebattrepourdémarrerdanslavie.Au fil des années, ils avaient cependant réussi à fonder une entreprise et unefamille. Depuis le début, ils n'avaient cessé de s'aimer, fêtant chacun de leurssuccès et se soutenantmutuellement lorsqu'une tragédie venait assombrir leurbonheur.Nil'unnil'autren'étaientparfaits,maisWillavaitgrandiaveclacertitudequ'ilsformaientuncouplesoudé,lequelfinitparluiservird'exemple.N'importequiauraitététentédecroirequ'ilavaitpassédeuxansavecAshley
parcequ'elleétaitricheetbelle,etmêmesiç'avaitétémentird'affirmerquesabeautén'entraitpasenlignedecompte,celle-ciavaitmoinsd'importancequelesqualités qu'il pensait voir en elle. Ashley l'avait écouté et il lui avait rendu lapareille;ilavaitcrupouvoirtoutluiconfieretlaréciproqueétaitvraie.Maisavecle temps,ellen'avait cesséde ledécevoir, surtoutquandelleadmit,en larmes,avoir flirtéaucoursd'unesoiréeavecungarsde l'université locale.Depuis lors,
leurrelationavaitchangé.Passeulementparcequ'ilcraignaitunerécidivede lapartd'Ashley—tout lemondecommettaitdeserreurs,et iln'allaitpas faireundramepourunsimplebaiser—,maisparcequel'incidentavaitpermisàWillderéaliserexactementcequ'ilespéraitdesonentourageproche.Ilsemitainsiàremarquer lamanièredontelletraitait lesautres,et iln'était
pasfranchementcertaind'apprécier.Cettemaniequ'elleavaitdeparleràtortetàtravers—qu'ilconsidérait jusque-làcommeinoffensive—commençaà l'agacer,demêmequeleslonguesattentesqu'elleluifaisaitsubirlorsqu'ellesepréparaitpour sortir le soir. Quand il finit par rompre avec elle, Will éprouva un certainmalaise,maisseconsolaensongeantqu'ilavaitquinzeansàpeineaudébutdeleuridylle,etqu'elleétaitsapremièrepetiteamie.Auboutducompte,ilsentaitqu'iln'avaitpasd'autrechoixquedemettreuntermeàleurrelation.Désormais,ilseconnaissaitmieuxetsavaitqu'ilattachaitdel'importanceàcertainesvaleurs,dontaucunene semblait se retrouver chezAshley. Il préféradonc rompreavantquelasituationn'empire.Sur ce plan, sa sœur Megan lui ressemblait. Belle et intelligente, elle avait
toujoursintimidélaplupartdesespetitscopains.D'ailleurs,elleavaitlongtempspapillonné d'une relation à l'autre, mais pas par coquetterie ou esprit volage.Quandilluidemandaunjourpourquoielleneparvenaitpasàsestabiliser,elleluirépondit sansdétour : «Certainsmecsgrandissentenpensantpouvoir secaserdansun futur lointain,d'autres sontprêtspour lemariagedèsqu'ils croisent labonne personne. Les premiers me gonflent, surtout parce que je les trouvepitoyables...Quantauxautres,franchement,çacourtpaslesrues!Maisc'estlestypessérieuxquim'intéressent,etçaprenddutempspourentrouverun.Crois-moi,siunerelationnepeutpasteniràlongterme,àquoiçameserviraitdeperdremontempsetmonénergiepourducourtterme?».Megan...Ilsouritenpensantàelle.Ellemenaitsavieselonsespropresrègles.
Cessixdernièresannées,soncomportementavaitbiensûrrenduleurmèrefolle,carMegans'empressaitd'éliminertouslesprétendantsdelavilledontlesoriginesfamiliales portaient le sceau de l'approbation maternelle. Toutefois, Will devaitbienadmettrequeMeganavaitfaitlebonchoixet,parchance,purencontrerungarsàNewYorkquisatisfaisaitàtoussescritères.RonnieluirappelaitétrangementMegan.Poursoncôtéexcentrique,saliberté
d'espritetsonindépendancefarouche.Enapparence,ellen'avaitrienquipuissel'attirer,mais...sonpèreétaitgénial,son frère le faisaithurlerderire,etelleserévélait plus intelligente et attentionnée que toutes les filles qu'il avait purencontrer.Quid'autrepasserait lanuità labelleétoilepourprotégerunniddetortue?
Quid'autreinterrompraitunebagarrepourvenirenaideàunenfant?Quid'autrelisaitTolstoïàsesmomentsperdus?Etenfin...quid'autre,dumoinsdanscetteville,craqueraitpourWillavantde
savoiràquellefamilleilappartenait?Ildevaitbienreconnaîtrequec'étaitundétailnonnégligeable,mêmes'ilaurait
préférénepass'yattarder.Ilaimaitsonpère,étaitfierdesonnomdefamilleetdelasociétéqu'ilavaitfondée.Willnereniaitpaslesavantagesqueluiapportaitsa
vie,mais...voulaitaussisefaireunprénom.Ilsouhaitaitquelesgensapprécientd'abord Will, et non pas Will Blakelee... et la seule personne au monde aveclaquelle il pouvait en discuter n'était autre que sa sœur. Il ne vivait pas à LosAngeles,oùl'ontrouvaitdesenfantsdecélébritésquasimentdanschaqueécole.Ici, c'était moins évident, car tout le monde se connaissait, à tel point qu'engrandissant il avait appris à seméfier de ses amitiés. Il s'ouvrait volontiers auxautres,maisengardanttoujoursunecertainedistance,dumoinsjusqu'àcequ'ilsoitcertainquesafamillen'avaitrienàavoiraveccettenouvelleconnaissanceoule fait qu'une fille s'intéresse à lui, par exemple. S'il en avait douté concernantRonnie,saméfianceavaitdisparulorsqu'ils'étaitgarétoutàl'heuredevantchezlui.—Àquoitupenses?luidemandait-elleàprésent,alorsquelabrisesoulevait
ses cheveux qu'elle tentait en vain de rassembler en queue-de-cheval. T'esdrôlementsilencieux.—Jemedisaisquej'étaiscontentd'êtrevenu.—Dansnotremodestebungalow?Çadoittechangerdecequetuconnais.—Tamaisonestsuper,insista-t-il.IdempourtonpèreetJonah.Mêmes'ilm'a
écrabouilléaupokermenteur.—Ilgagnetoujours...depuistoutpetit,jeveuxdire.Maisnemedemandepas
commentilfait.Jepensequ'iltriche,maisj'aitoujourspastrouvésatechnique.—Peut-êtrequetudoisapprendreàmieuxmentir.—Oh...commetoi,quandtum'asannoncéquetutravaillaispourtonpère?—Jetravailleeffectivementpourlui.—Tusaistrèsbienoùjeveuxenvenir.—Commejel'aidéjàdit,jepensaispasquec'étaitimportantàtesyeux.Ils'arrêtademarcheretsetournaverselle,enajoutant:—Çal'est?Ronnieparutchoisirsesmotsavecsoin.— C'est intéressant, en tout cas, et ça permet de comprendre deux ou trois
choses sur toi. Mais si je t'annonçais que ma mère travaille comme assistantejuridiquedansuncabinetd'avocatsdeWallStreet,est-cequetumeverraissousunautrejour?Ilsavaitqu'ilpouvaitluirépondreentoutefranchise.—Non,admit-il.Maisçan'arienàvoir.—Pourquoi?Parcequetuviensd'unefamilleriche?Cegenred'affirmationn'a
desensqu'auxyeuxdequelqu'unquipensequel'argentcomptepar-dessustout.—J'aipasditça.—Qu'est-ceque tu voulais dire, alors ? répliqua-t-elle commepour le défier,
avantdese radoucir.Écoute...autantquecesoitclairentrenous. Jememoqueque ton père soit le sultan deBrunei. Il se trouve que t'es né dans une familleprivilégiée.C'esttoiqueçaregarde,aprèstout.Sijesuislàencemoment,c'estparcequej'enaienvie.L'argentn'arienàvoiravecmessentimentsenverstoi.Illaregardaits'animeràmesurequ'elleparlait.— Pourquoi j'ai l'impression que c'est pas la première fois que tu tiens ce
discours?
— Parce que je l'ai déjà tenu en effet. Viens à New York et tu comprendraspourquoi j'ai appris à dire ce que je pensais. Le soir, dans certaines boîtes, tucroisesdestasdesnobsquienfontdestonnessurleursfamillesetlefricqu'ellesgagnent... et çame gonfle prodigieusement. J'aurais envie de leur balancer : «Bravopourta famille !Mais toi,qu'est-cequetusais fairedetesdixdoigts?».Pourtantjelaboucle,parcequ'ilspigentriendetoutemanière.Ilsseconsidèrentcommedesheureuxélus.C'esttellementnulqueçavautmêmepaslapeinedes'énerver.Maissitucroisquejet'aiinvitéparcequetafamilleest...—Pasdutout!l'interrompit-il.L'idéenem'ajamaistraversél'esprit.Il savait qu'elle se demandait s'il disait vrai ou simplement ce qu'elle avait
envie d'entendre. Souhaitant mettre un terme à la discussion, il se tourna etdésignal'atelierderrièreeux,prèsdelamaison.—C'estquoi,cetteremise?demanda-t-il.ElleneréponditpastoutdesuiteetWillsentitqu'ellehésitaitencoreàlecroire
surparole.— Ça fait partie de la propriété, finit-elle par répondre.Mon père et Jonah y
réalisentunvitrailcetété.—Tonpèrefabriquedesvitraux?—Encemoment,oui.—Ilenatoujoursfait?—Non.Commeiltel'aditpendantlerepas,ilenseignaitlepiano...Ronniemarquaunepause,souhaitantàsontourchangerdesujet.—Ettoi,t'asprévuquoiàlarentrée?reprit-elle.Tuvascontinueràtravailler
pourtonpère?Ilsouhaitaitl'embrasser,maisréprimasonenvie.—Jebosseaugaragejusqu'àlafinaoût.EnsuitejerentreàVanderbilt[14].Au loin,onentendaitde lamusiquedansunedesvillasdufrontdemer.Will
plissalesyeuxetaperçutungroupedegenssurlavéranda.Ilreconnutvaguementunechansondesannéesquatre-vingt,dontletitreluiéchappait.—Çadevraitêtresympa.—Ouais,j'imagine.—T'aspasl'airconvaincu...Willluipritlamainetilsseremirentàmarcher.—C'estunegrandeuniversitéetlecampusestsuperbe,déclara-t-ilcommes'il
récitaitmaladroitementsaleçon.—Mais t'as pas envie d'y aller ? dit-elle en le dévisageant. Ronnie semblait
devinerlamoindredesespensées,cequiledéconcertaittoutenlesoulageant.Aumoins,ilpouvaitjouerfrancjeu.— Je voulais aller ailleurs, et j'étais accepté dans une école qui propose un
cursusscientifiquegénialentièrementaxésurl'écologie,maismamèresouhaitaitmevoirentreràVanderbilt.—Tufaistoujourscequ'elleveut?—Tucomprendspas,dit-ilensecouantlatête.C'estunetraditionfamiliale.Mes
grands-parentsysontallés,idempourmesparents,etmasœuraussiyaétudié.
Mamèresiègeauconseild'administration,et...elle...Ilpeinaitàtrouver lesmots justes. Ilsentait lesyeuxdeRonnieposéssur lui,
maisnepouvaitcroisersonregard.—Jesaisqu'ellepeutparaître...distante,disons,quandlesgenslarencontrent
pour la première fois. Mais dès qu'on apprend à mieux la connaître, c'est lapersonnelaplusauthentiquequipuisseexister.Elleferaitn'importequoi...jedisbien n'importe quoi... pour moi. Mais ces dernières années, la vie ne lui a pasvraimentfaitdecadeau...Wills'interrompitpourramasseruncoquillage,qu'illançadanslesvagues.—Tuterappellesquandtum'asposélaquestionàproposdubracelet?Ronniehochalatêteetattenditlasuite.—Masœuretmoileportonsenmémoiredenotrefrèrecadet.Ils'appelaitMike
et c'était un sacré petit bonhomme... le genre de bout de chou qui adorait lacompagnie, avecun rire tellement contagieuxqu'onpouvait pas s'empêcherderigoleraveclui.Willsetournaversl'océan,puisenchaîna:— Bref... il y a quatre ans, Scott etmoi on devait se rendre à unmatch de
basket, et c'était au tour de ma mère de nous y conduire en voiture. Commetoujours, Mike nous accompagnait... Il avait plu toute la journée et les routesétaientglissantes.J'auraisdûfairegaffe,maisScottetmoionacommencéàfairelesfoussur labanquettearrière.Onjouaità la lutteensetenantpar lesmains,doigtsentrelacés,etchacunessayaitdetordrelepoignetdel'autrejusqu'àcequ'ilcède...Ilhésita,tandisqu'ilrassemblaitsoncouragepourlasuitedel'histoire.—Chacuntentaitdoncdevaincrel'autre;ongigotaitetondonnaitdescoups
de pied dans le dossier du siège avant... Et ma mère nous disait sans cessed'arrêter, mais on faisait la sourde oreille. À la fin, j'ai réussi à dominer Scottjusqu'àcequ'ilsemetteàhurler.Affolée,mamèreatournélatêtepourvoircequise passait. Et cette seconde d'inattention a suffi. Elle a perdu le contrôle duvéhicule.Et...Savoixsebrisa,tandisqu'ilajoutaitdansunsanglot:—...Miken'apaspus'ensortir.D'ailleurs,sansl'aidedeScott,mamèreetmoi,
onn'enéchappaitpasnonplus.Lavoitureadéfoncélaglissièredesécuritéetons'estretrouvésàl'eau.MaisScottestunexcellentnageur,quiaquasimentgrandisurlaplage...Bref,ilaréussiànousextrairetouslestrois,alorsqu'ilavaitdouzeans à l'époque. Mais Mikey... est mort sur le coup. Il n'avait même pas fini sapremièreannéedematernelle.Ronnieluirepritlamain.—C'estatroce...Jesuisvraimentdésolée.—Etmoidonc...dit-ilenbattantdespaupièrespourretenirseslarmes,comme
chaquefoisqu'ilseremémoraitl'événement.—Tusaispertinemmentquec'étaitunaccident,pasvrai?—Ouais,biensûr.Etmamèrelesaitaussi.Malgrétout,çal'empêchepasde
s'envouloirden'avoirpaspumaîtrisersonvéhicule, toutcomme jesaisqu'unepartied'elle-mêmem'enveutaussi.Lefaitestque,depuiscejour-là,ellesecroit
obligéedetoutcontrôler.Ycomprismoi.Jesaisqu'elletientseulementàcequejesoisensécurité,àéviterqu'ilm'arrivedumal,etjepensequej'ycroisaussiplusoumoins. Regarde ce qui s'est passé... Elle a complètement pété les plombs àl'enterrement, et je m'en voulais de lui avoir fait subir ça. Je me sentaisresponsable.Alors,jemesuispromisd'essayerderéparerlemalquejeluiaifait.Mêmesijesavaisquec'étaitimpossible.Toutenparlant,ilsemitàfairetournerlebraceletenmacramé.—Quesignifientleslettresinscritesdessus,ATJDMC?—Àtout jamaisdansmoncœur.C'étaitune idéedemasœur,une façonde
garder le souvenir deMikey. Ellem'enaparlé justeaprès les obsèques,mais jel'entendais à peine. C'était si horrible, à l'église. Avec ma mère qui hurlait dechagrin,monpetitfrèredanslecercueil,monpèreetmasœurensanglots...Jemesuisjurédeneplusalleràunenterrement.Ronniesemblaitàcourtdemotspour leréconforter.Willseressaisit,sachant
que ça faisait beaucoup de confidences en une seule soirée... Du reste, il sedemandaitpourquoiilluiavaitracontécettehistoire.—Désolé,jen'auraispasdûteracontertoutça.—Net'inquiètepas,dit-elleaussitôtenluipressantaffectueusementlamain.Je
suiscontentequetutesoisconfié.—Rienàvoiraveclavierêvéequetudevaisimaginer,hein?—Jen'aijamaissupposéqu'elleétaitparfaite.Ilsetaisait,etd'instinctRonniesepenchapourl'embrassersurlajoue.—J'auraispréféréquetun'aiespasàtraverseruneépreuvepareille.Ilpritunelongueinspirationettousdeuxseremirentenmarche.—Toutçapourt'expliquercombienc'estimportantpourmamèrequej'étudie
àVanderbilt.C'estdonclà-basquej'iraiàlarentrée.—Jesuiscertainequeçavateplaire.Onm'aditquec'étaitunefacgéniale.IlpritsesdoigtsdanslessiensenappréciantladouceurdelapeaudeRonnie.—Àtontour,maintenant.Qu'est-cequejesaispassurtoi?—Riendecomparableaveccequetuviensdemeraconter,entoutcas.— Peu importe. Je veux juste savoir comment tu es devenue celle que tu es
aujourd'hui.Ellelançaunregardverslamaison.—Ben...jen'aipascommuniquéavecmonpèrependanttroisans.Enfait,ça
faitdeuxoutroisjoursqu'onsereparlevraiment,luietmoi.Aprèsquemamèreetlui se sont séparés, j'étais... en colère contre lui. Honnêtement, je voulais plusjamaislerevoir...etladernièredeschosesdontj'avaisenvie,c'étaitdepasserl'étéici.—Etmaintenant?demanda-t-ilenvoyantlaluneserefléterdanslesyeuxde
Ronnie.T'escontented'êtrevenue?—Probablement...Iléclataderireenlapoussantgentiment.—T'étaisquelgenredegamine?—Soûlante...Jepassaismontempsaupiano.—J'aimeraisbient'entendrejouer.
—J'enjoueplus,rétorqua-t-elle,unenuanceobstinéedanslavoix.—Plusjamais?Ellesecoualatête,etmêmes'ilsedoutaitqu'elleavaitsesraisons,Ronniene
souhaitait visiblement pas les aborder. Il la laissa donc parler de ses amis new-yorkais,de sesweek-endsàManhattan,et souritenécoutant sesanecdotes surJonah. Ça paraissait si naturel de passer du temps avec elle ; c'étaient desmomentsà la fois simpleset authentiques. Il lui avait confiédes chosesdont iln'avait même jamais discuté avec Ashley. Il supposait que Ronnie désiraitconnaître le véritable Will, et nul doute qu'elle saurait comment réagir en ledécouvrantpetitàpetit.Décidément,elleneressemblaitàaucuneautre.Ilétaitsûrdeneplusvouloir
luilâcherlamain...Leursdoigtss'entrelaçaientàmerveille...telleslespiècesd'unpuzzle,parfaitementcomplémentairesets'imbriquantsanseffort.Hormis la fêtequi avait lieudansunevilla etdont ils percevaientàpeine la
musiqueau loin,Will etRonnieétaient seuls sur la plage. En levant la têteparhasard, ilaperçutuneétoile filantedans lecielet,quand il regardaRonnie,Willcompritàsonexpressionqu'ellel'avaitvueaussi.—T'asfaitunvœu?murmura-t-elle.Incapablederépondre,Wills'approchaetlacouvad'unregardtendre,sachant
aveccertitudequ'ilétaitentraindetomberamoureux.Ill'attiraàluietlapritdanssesbraspourl'embrassersouslavoûteétoilée...en
se demandant par quelmiracle il avait eu la chance de trouver Ronnie sur sonchemin.
21–Ronnie-O.K.,elleadmettaitqu'ellepouvaits'habitueràcegenredevie...Seprélasser
surleplongeoirdelapiscine,unverredethéglacéàportéedemain,sansparlerdu plateau de fruits dans la cabine, servi par le chef, avec la vaisselle fine etl'argenterie,letoutagrémentédefeuillesdementhefraîches.Pourtant, elle avait peine à imaginer Will grandir dans ce genre
d'environnement.Maisaprèstout,commeiln'avaitjamaisrienconnud'autre,ilnedevaitsansdouteplusyprêterattention.Toutenpeaufinantsonbronzage,ellelevit grimper sur le toit de la cabine et se préparer à sauter. On aurait dit ungymnaste et,même à distance, elle pouvait admirer ses biceps, pecs et autrestablettesdechocolat.—Hé,regarde!s'écria-t-il.Jevaisfaireunsautpérilleux!—Unseuletbasta?Tu t'esdonné toutcemalengrimpant là-hautpourun
malheureuxsautpérilleux?—Oùestleproblème?—Bah...n'importequipeutfaireça,ironisa-t-elle.Mêmemoi!—J'aimeraisbient'yvoir,dit-ild'unairsceptique.—Pasenviedememouiller...—Maisjet'aiinvitéechezmoipournager!—C'estcommeçaquelesfillesaimentnager.Enclair,ças'appellebronzer.Iléclataderire.—Remarque, t'as raisondevouloirprendre lesoleil. J'imaginequ'ilbrillepas
souventàNewYork,hein?—Çaveutdirequej'aileteintpâle?rétorqua-t-elleenfronçantlessourcils.—Non.C'estpaslemotquej'emploierais.Jecroisque«terreux»conviendrait
mieux.—Waouh!Quelflatteur!Jemedemandecequim'aplucheztoiquandjet'ai
rencontré...—Cequit'aplu?—Oui,etjetepriedecroirequesitucontinuesàutiliserdesmotscomme«
terreux»pourdécriremon teintdepêche,notre relationne risquepasde fairelongfeu.Ilparutréfléchiràlamenace.—Etsijefaisundoublesautpérilleux,tumepardonnes?—Uniquementsituterminesparunplongeonimpeccable.Maissituratesplus
oumoinstonentréedansl'eau...Disonsquejeferaimined'êtreépatéetantquetum'éclaboussespas.Willhaussaunsourcilnarquoisavantdereculer,puiss'élançaetbonditdans
lesairs.Ilserepliasurlui-même,effectuadeuxrotations,puispénétradansl'eauàlaverticale,lesbrasenpremier,quasimentsansfairedevagues.
Impressionnant, pensa Ronnie, même si elle n'était pas vraiment étonnée,après l'avoir vu se déplacer en souplesse sur le terrain de volley. Lorsqu'il refitsurfaceaubordduplongeoir,elleconstataqu'ilétaitfierdelui.—C'étaitpasmal,commenta-t-elle.—Juste«pasmal»?—Jetemettrais4,6.—Sur5?—Sur10,précisa-t-elle.—Çaméritaitaumoinsun8!—Normalquetupensesça.Maisc'estmoilejuge!—Commentjepeuxfaireappeldetadécision?demanda-t-ilentendantune
mainpours'accrocherauplongeoir.—Impossible.C'estlanoteofficielle.—Etsiçameplaîtpas?— Alors, peut-être que t'y réfléchiras à deux fois avant d'employer « teint
terreux».Ilritdeboncœurensehissantsurlaplanche,tandisqueRonnies'agrippaitaux
bords.—Hé!Arrête...Faispasça!—Tuveuxdire...ça?répliqua-t-ilenappuyantdavantagesurleplongeoir.—Jet'aiditquejevoulaispasmemouiller!—Etmoi,jeveuxquetunagesavecmoi!Sans autre préambule, il la saisit par le bras et Ronnie poussa un cri en
plongeant dans l'eau. Dès qu'elle remonta à la surface et reprit son souffle, ilessayadel'embrasser,maisellerecula.—Non ! hurla-t-elle dansunéclat de rire, tout enappréciant la fraîcheurde
l'eauetladouceurdelapeaudeWillaucontactdelasienne.T'esimpardonnable!Tandisqu'elle faisaitminedesebagarreravec lui,elleaperçutSusanqui les
observait depuis la terrasse. À voir sa tête, lamère deWill n'avait pas l'air detrouverçadrôle.Plustarddansl'après-midi,commeilsregagnaientlaplagepourallerexaminer
leniddetortue,ilss'arrêtèrentpourmangeruneglace.RonniemarchaitàcôtédeWill et s'empressait de lécher le cônede crèmequi fondait à vued'œil. Perduedans ses pensées, elle n'en revenait pas qu'ils se soient embrassés pour lapremière fois la veille. Si la soirée d'hier avait été quasi parfaite, la journée sedéroulaitjusqu'iciàmerveille.Elleaimaitlafacilitéaveclaquelleilspassaientdusérieux au léger, d'autant qu'il n'avait pas son pareil pour la taquiner, et elleadoraitça!Bon, O.K... Il avait réussi à la pousser dans la piscine. Ronnie devait donc
programmer sa vengeance à la seconde près. Plus facile à dire qu'à faire,puisqu'elle était censée le surprendre. Mais dès qu'il approcha le cône de sabouche,elleluiflanquauncoupdecoudeetWillseretrouvaleslèvresbarbouilléesdecrèmeglacée!Hilare,Ronniesesauvaetdisparutaucoindelarue...oùelleatterritdanslesbrasdeMarcus.
Blazel'accompagnait,ainsiqueTeddyetLance.—Quelleagréablesurprise,susurraMarcusenresserrantsonétreinte.—Lâche-moi!s'écria-t-elle,bienqu'elles'envoulûtdecéderàlapanique.—Lâche-la,renchéritWillenarrivantparderrière.Toutdesuite!ajouta-t-ild'un
tonquinesupportaitpaslacontradiction.Lasituationavaitl'aird'amuserMarcus,enrevanche.—Tudevraisregarderoùtuvas,Ronnie,dit-il.—Toutdesuite!exigeaWill,furieux,ens'interposant.—Hé,ducalme,legossederiche.Ellem'estquasimenttombéedanslesbras...
jeluiaiévitédedégringoler.T'asdesnouvellesdecebraveScott,aufait?Ilfaittoujoursmumuseavecsesfuséesd'artifice?À la grande surprise de Ronnie,Will se figea sur place. Sourire narquois aux
lèvres,Marcus se tourna vers elle, resserra encore son étreinte, puis finit par lalâcher.CommeRonnie reculaitaussitôt,Blazeallumaunepelotede feud'unairdésinvolte.—Ravid'avoirput'empêcherdetrébucher,repritMarcus.Çalafoutraitmalde
teprésentermardiautribunalavecdesbleuspartout,non?T'assansdoutepasenviequelejugeteprennepourunepetitefrappe,enplusd'êtreunevoleuse.Ronnielecontemplabouchebée,jusqu'àcequ'iltournelestalons.Commele
petitgroupes'éloignait,BlazelançalabouledefeuàMarcus,qu'ilrécupérasanspeine,avantdelaluirenvoyer.Ilsétaientassis tous lesdeuxsur ladunedevant lamaison.Will l'écoutaiten
silenceracontertoutcequis'étaitpassédepuissonarrivée,ycomprisl'épisodedumagasin de disques. Lorsqu'elle eut fini, Ronnie se tordait les mains avecnervosité.—Etvoilà...Quantauvolàl'étalagedeNewYork, jemesouviensmêmeplus
pourquoij'aipiquécetruc.J'enavaispasbesoin.C'étaitjustehistoired'imiterlescopines,quoi... Lorsque je suispasséeau tribunal, j'ai reconnumes torts, car jesavaisquej'avaiscommisuneerreuretquej'allaispaslaréitérer.Etd'ailleurs,j'aipas recommencé... ni là-bas ni ici.Mais sauf si la proprio retire sa plainte ou siBlazeadmetm'avoirpiégée,jevaisavoirdegrosennuis,nonseulementici,maiségalementchezmoi.Jesaisqueçaparaîtfou,etjesuissûrequetumecroispas,maisjetejurequejeteracontepasd'histoires.IlposadoucementsesmainssurcellesdeRonnie.—Jetecrois,dit-il.Et,detoutemanière...riennemesurprendchezMarcus.Il
estcinglédepuistoutpetit.Ma sœur était en classe avec lui, et ellem'a racontéqu'un jour la prof avait
retrouvéun ratmortdans son tiroir. Tout lemondesavaitquiavait fait le coup,même le principal, mais ils ne pouvaient rien prouver, tu vois ? Aujourd'hui, ilcontinueàfairedesmauvaisesblagues,saufqu'ilsesertdeTeddyetLance,quiluiobéissent au doigt et à l’œil. J'ai entendu des trucs sur lui à faire dresser lescheveux sur la tête. Galadriel, en revanche... c'était une fille hypersympa,autrefois.Jelaconnaisdepuistoutgamin,etjemedemandecequiabienpusepasserchezelle,cesdernierstemps.Jesaisquesesparentsontdivorcéetqueçal'apasmalperturbée.Pourtant,j'ignorecequ'ellepeutbientrouveràMarcus,et
pourquoielles'escrimeàfoutresavieenl'air.J'avaistendanceàlaplaindre,maiscequ'ellet'afait,c'estfranchementdégueulasse.Ronniesentitsoudainl'accablementl'envahir.—Jevaisdevoirmeprésenterautribunallasemaineprochaine.—Tuveuxquejet'accompagne?—Non.J'aipasenviequetumevoiescomparaîtredevantlejuge.—Çan'aaucuneimportance...—Çaenaurasitamèreledécouvre.Jesuiscertainequ'ellem'appréciepas.—Pourquoitudisça?Parcequej'aivulafaçondontellemeregardaittoutàl'heure...—Justeuneimpression.—Tout lemonderessentçaen lavoyantpour lapremière fois, luiassura-t-il.
Comme je te l'ai dit, quand tu la connaîtras mieux, tu verras qu'elle peut sedécoincer.Ronnieendoutait.Derrièreelle,lesoleilrejoignaitpeuàpeul'horizonetparait
lecield'unevivenuanceorangée.—C'estquoi,leproblèmeentreScottetMarcus?demanda-t-elle.—Qu'est-cequetuveuxdireparlà?demandaWillensecrispant.—Tuterappelleslesoirdelafêteforaine?Aprèsqu'ilafaitsonnuméro,j'ai
sentiqueMarcusmijotaituntrucetj'aitentédegardermesdistances.Onauraitditqu'ilcherchaitquelqu'undanslafoule,etdèsqu'ilarepéréScott,ilaeuce...regardbizarre.Etjusteaprès...levoilàquifroisseenboulesoncornetdefritesvidepourlebalancersurScott.—J'étaislàaussi,figure-toi.—Maistutesouviensqu'iladitundrôledetruc?IlademandésiScottallaitlui
balancer une fusée d'artifice... Et quand il t'a dit ça tout à l'heure, j'ai eul'impressionquet'étaiscommetétanisé.Willdétournaleregard.—C'estrien,protesta-t-ilenluipressantlesmains.Jevoulaissurtoutéviterqu'il
tefassedumal.Ils'allongeaens'appuyantsurlescoudes.—Jepeuxteposerunequestion...suruntrucquin'arienàvoir?demanda-t-il.Ronniefitlagrimace,peusatisfaitedelaréponsedeWill,maisdécidadelaisser
couler.—Pourquoiilyaunpianocachéparunecloisondecontreplaqué,cheztoi?Commeelleparaissaitétonnée,ilajoutaenhaussantlesépaules:—Onpeutlevoirparlafenêtre,etcettecloisondétonneparrapportaureste.C'étaitautourdeRonniededétournerlesyeuxàprésent.— J'aidéclaréàmonpèreque jevoulaisplus jamaisvoir lepiano,dit-elleen
plongeantlesmainsdanslesable.Alors,ilafabriquécettecloison.Willbattitdespaupières,incrédule.—Tudétesteslepianoàcepoint-là?—Oui,affirma-t-elle,catégorique.—Parcequetonpèreaététonprof?Elleledévisagead'unairstupéfait,tandisqu'ilenchaînait:
—Ilenseignaitàl'académieJuilliard,c'estbiença?Çaparaîtdoncévidentqu'ilt'aapprisàjouer.Etjepariemêmequet'étaishyperdouée...Pourdétesterautantquelquechose,ilfautd'abordl'avoiradoré.Drôlementperspicace,lemécano-volleyeur...Ronnieenfouitdavantagesesdoigtsdanslesable,làoùildevenaitplusdense
etplusfrais.— Ilm'aapprisà jouerdèsque j'aisumarcher. J'ai jouédesheuresentières,
sept jours par semaine, pendant des années. On a même composé ensemble.C'étaitquelquechosed'unique,qu'onétaitlesseulsàpartager,tuvois?Etquandilnousaquittés...J'aieul'impressionquenonseulementiltrahissaitnotrefamille,maismoiaussienparticulier...Et je luienai tellementvouluque j'ai jurédeneplusjamaisjouerouécrireunechanson.Alorsquandjemesuisretrouvéeici,quej'aivulepianoetquej'aientendumonpèreenjouerchaquefoisquej'étaisdansles parages, j'ai bien cru qu'il faisait comme si de rien n'était... Comme s'ils'imaginait qu'on pouvait tout recommencer de zéro. Impossible... On peut pasdéfairelepassé.—Tum'avaispourtant l'airdebien t'entendreavec lui, l'autre soir ?observa
Will.Ronnieretiralentementsesmainsdusable.—Ouais,commejetel'aidit,çavamieuxdepuisquelquesjours.Maisjevais
pasrejouerpourautant,précisa-t-elleavecobstination.—Çameregardepas,maissit'étaisaussidouée,alorstutefaisdumalpour
rien.C'estundon,pasvrai ?Etpuis,qui sait ?Peut-êtreque tupourraisentrerchezJuilliard?—Jesaisquej'enailescapacités.L'écolecontinuedem'écrire.Ilsm'ontpromis
uneplace,sijechangeaisd'avis.—Alors,qu'est-cequet'attends?—C'estsiimportantpourtoi?lâcha-t-elleenluidécochantunregardnoir.Le
faitquejesoispasuniquementcellequetucroyaisconnaître?Quej'aieenplusuntalentparticulier?Çafaitdemoiunefillesuffisammentconvenablepourtoi?—Pasdu tout, dit-il avecdouceur. Tu restes celleque j'ai cruvoir en toi dès
l'instantoùons'estrencontrés.Tunepourraispasmieuxmeconvenir.Sitôt qu'il eut prononcé ces mots, elle eut honte de s'être emportée. Elle
percevaitlasincéritédansletondesavoixetsavaitqu'ilpensaitvraimentcequ'ildisait.Ronnieserappelaqu'ilsneseconnaissaientquedepuispeu,etpourtant...Will
était attentionné, intelligent, et elle savait déjà qu'elle l'aimait. Comme s'ildevinaitsespensées,ilserapprochad'elle.Willsepenchaetl'embrassatendrementsurleslèvres.Ronniecompritqu'elle
ne souhaitait rien d'autre que de passer simplement des heures et des heureslovéedanssesbras...
22–Marcus-Marcuslesobservaitdeloin.Alors,çavasepassercommeca,maintenant?Rienàfoutre!Qu'elleailleau
diable!Etquelafêtecommence...TeddyetLanceavaientapporté l'alcool,et lespremièrespersonnesarrivaient.
Un peu plus tôt, il avait repéré une famille de vacanciers qui chargeait sonmonospacemerdique,avecsonaffreuxchienetsesgossesencoreplusmoches,devant l'une des maisons situées à deux pas du bungalow tout aussi naze deRonnie.Marcus traînait dans le coin depuis assez longtemps pour savoir que laprochaine location ne démarrerait pas avant le lendemain, quand la boîte denettoyageseraitpassée.Illuisuffisaitdoncdesefaufileràl'intérieur,etsespotesetluiauraientlabaraquepourlanuit.Facile...vuqu'ilavaitlesclésetlecodedel'alarme.Lesvacanciersnefermaient
jamais la porte quand ils partaient à la plage. Pourquoi ils l'auraient fait ? Ilsn'emportaientaveceuxquedelabouffeetdesjeuxvidéo,puisquelaplupartnerestaientqu'unesemaine.Etlesproprios,quin'habitaientpassurplace,maisengénéralàCharlotteouailleurs,etquienavaientmarrederépondreauxappelsdelasociétédesurveillancequandleursabrutisdelocatairesdéclenchaientl'alarmeenpleinenuit,étaientassez sympapour laisser le codesurunPost-it, justeau-dessusduboîtierdanslacuisine.Futé.Trèsfuté.Avecunpeudepatience,Marcusdénichaittoujoursunemaisonoudeux,mais
pour être sûr de pouvoir y faire la fête, fallait pas abuser des occasions qui seprésentaient.TeddyetLanceadoraients'éclaterdanscesvillas,maisMarcussavaitques'ilsremettaientçatropsouvent,lesagencesdelocationallaientavoirlapuceàl'oreille.Ellesenverraientquelqu'unpourvoircequisepassait,demanderaientauxflicsetauxvigilesdemultiplier lesrondes,etmettraientengardelesfuturslocatairesetlesproprios.Etensuite?MarcusetsabandeseretrouveraientcoincésàBower'sPoint,commed'hab.Unefoisparan.Enété.C'étaitsarègle,etçasuffisait...Saufs'ilfaisaitcramer
labaraqueaprès.Marcussourit.Aumoins,çarésoudraitleproblème.Personnenesedouteraitqu'unesoiréeavaiteulieu.Riendetelqu'unbongrosincendie,parcequele feu,c'étaitpleindevie.Surtoutquand les flammesdévoraient toutetnelaissaientriensurleurpassage.Ilserappelaitavoirmislefeuàunegrangequandil avait douze ans, et regardé celle-ci se consumer pendant des heures, ensongeantqu'iln'avaitjamaisrienvud'aussifabuleux.Alorsilavaitrecommencé,cettefoisdansunentrepôtabandonné.Aufildesannées,Marcusavaitdéclenchépasmald'incendies. Ilneconnaissaitriendeplus jouissif.Rienne lefaisaitplusplanerquelepouvoird'unsimplebriquetentresesmains.Mais ce soir, pas question. Pas envie que Teddy ou Lance ne découvrent son
passé.Etpuis,ceseraitunefiestad'enfer.Delabière,delacameetdelazik.Etdesnanas.Éméchées,sipossible.IlsetaperaitBlazeenpremier,etpeut-êtreuneoudeux autres après, à condition qu'elles soient déjà trop défoncées pour fairegaffe.Oupeut-êtrequ'ilseferaitd'embléeunepetiteconnebiensexy,mêmesiBlazeétaitassezlucidepourréalisercequisepassait.Ilsavaitqu'ellereviendraitverslui.Ellerevenaittoujoursenpleurnichantetenlesuppliantdelareprendre.Elleétaittellementprévisible,putain!Etfallaittoujoursqu'ellechialesarace.PascommeMissNewYork,quicréchaitquelquesbaraquesplusloin.Ilessayaitpourtantdenepaspenseràelle.Alors,commeça,ellene l'aimait
pasetpréféraitpassersontempsavecl'héritierdel'empireBlakelee,leprincedesmécanos?Detoutefaçon,c'étaitpaslegenreàcoucher.Uneallumeuserigide,àtous les coups !Mais il ne comprenait toujours pas à quelmoment il avait faitfausserouteavecelle,nimêmecommentelleparvenaitàleperceràjour.Bah...ilétaitmieuxsanselle.Iln'avaitpasbesoind'elle.Nidequiquecesoit...
Alors,pourquoi il continuait à lamater ?Pourquoi ça legênaitencorede savoirqu'elletraînaitavecWill?Bien sûr, ça rendait tout ça plus excitant, ne serait-ce que parce qu'il
connaissaitlepointfaibledeWill.D'ailleurs,Marcuspourraitenprofiter!Toutcommeilallaitprofiterunmaxde
sasoirée...
23–Will-PourWill,l'étépassaitbientropvite.Entreleboulotaugarageetlaplusgrande
partie de son temps libre consacrée à Ronnie, les journées filaient à la vitessegrandV.Àmesureque lemoisd'aoûtapprochait, ilangoissaitdeplusenplusàl'idéequeRonnieregagneraitbientôtNewYork,etluil'universitéVanderbilt.Ronnieétaitpleinemententréedanssavie...elleenoccupaitmêmelamajeure
partie, désormais. S'il ne la comprenait pas toujours, leur relation semblait senourriretserenforcerdeleursdifférences.Ronnieavaitrefuséqu'ill'accompagneàl'audience,maisillasurpritàlasortiedutribunalenluioffrantdesfleurs.Mêmesi Ronnie était bouleversée par le maintien de la plainte — sa prochainecomparutionauraitlieule28août,troisjoursaprèsledépartdeWillpourlafac—,ilsutqu'ilavaitbienagilorsqu'elleleremerciad'untimidebaiser.Ronnie l'étonnaendécrochantun jobàmi-tempsà l'aquarium.Ellene luien
avaitpasparléaupréalable,nidemandédelapistonner.Dureste,ilneseseraitjamais douté qu'elle souhaitait travailler. Quand il l'interrogea par la suite à cesujet,elleexpliqua:— Tu bosses toute la journée, mon père et Jonah fabriquent leur vitrail. J'ai
besoindem'occuper, et puis je tiensàpayermoi-même les frais d'avocat.Monpèreneroulepassurl'or,tusais.Lorsqu'ilvintlachercheraprèssonpremierjourdeboulot,ilremarquaqu'elle
avaitlamineunpeuverdâtre.—J'aidûnourrir les loutres,expliqua-t-elle.T'asdéjàplongé lamaindansun
seauremplidepoissonmorttoutgluant?C'estécœurant!RonnieetWillbavardaientsansarrêt.Àcroirequeletempsleurmanquaitpour
partager tout ce qu'ils avaient envie de se dire. Quelquefois c'étaient desdiscussionstranquilles,surleursfilmspréférés,parexemple,oulesraisonsayantpousséRonnieàopterpourlevégétarisme.À d'autres moments, ils abordaient des sujets graves. Ronnie se confia
davantagesurl'époqueoùellejouaitdupianoetsarelationavecsonpère;Will,quantà lui,reconnutquelerôlequesamèretenaità levoirendosser luipesaitparfoiscommeunelourderesponsabilité.Ils discutaient de Jonah etMegan, le frère et la sœur. De leur propre avenir,
aussi.PourWill, ilsemblaittouttracé.QuatreansàVanderbiltpuis,unefoissondiplômeenpoche,iltâcheraitd'acquérirdel'expériencedansunesociété,avantde revenir diriger celle de son père. Mais tout en décrivant ses plans, Will sedemandait si tout cela correspondait à ce que lui-même souhaitait vraiment,tandisqu'ilentendaitlavoixdesamèreluisoufflersonapprobationàl'oreille.Ronnie,poursapart,admitnepastropsavoircequ'elleallaitfaired'iciunan
oudeux.Toutefois,cette incertitudeneparaissaitpas l'effrayer... cequipoussait
Willàl'admirerd'autantplus.Dureste,enréfléchissantparlasuiteàleursprojetsrespectifs, ilserenditcomptequeparmieuxdeux,c'étaitsansdouteRonniequiprenaitdavantagesondestinenmain.Malgré les cages de protection posées le longde la plage, les ratons laveurs
avaientcreusésouslegrillageetdétruitsixnidsdetortues.DèsqueRonnieappritlanouvelle,elleinsistapourqueWilletellesurveillentàtourderôlelenidderrièrelamaison.Bienqu'ilfûtinutiled'ycamperensemblelanuitentière,ilsypassaientlaplupartde leurssoiréesenlacés,às'embrasseretàbavarder longtempsaprèsminuit.Scott, bien sûr, n'y comprenait rien. Plus d'une fois, Will arriva en retard à
l'entraînement, alors que Scott faisait les cent pas, se demandant ce que soncopainpouvaitbienavoirdanslatête.Au garage, les rares fois où il demanda à Will comment ça se passait avec
Ronnie,Willréponditàpeine...sachantqueçanel'intéressaitpasvraiment.Scottveillait à cequeWill neperdepasdevue le tournoidevolley, et sedisait qu'ilfiniraitparentendreraison.OufaisaitcarrémentcommesiRonnien'existaitpas.Cettedernière, par ailleurs, ne s'était pas trompéeau sujet deSusan, qui se
gardaitpourtantdefaire lamoindreremarqueàsonfilsàproposdesanouvellerelation.Willdevinait la réprobationdesamèreàsonsourire forcé, chaque foisqu'elle prononçait le prénom de Ronnie, ou à son attitude guindée lorsqu'ilamenaitsapetiteamieàlamaison.Samèreneluiposaitjamaisdequestionsurelle,etquandilfaisaitallusionà
Ronnie—lesbonsmomentsqu'ilspartageaient,sonintelligence,lefaitqu'ellelecomprenaitmieuxquequiconque—,Susanluirétorquait:«TuvasbientôtentreràVanderbilt, et il est difficile d'entretenir une relationàdistance. »Oualors, elleallait jusqu'à se demander à voix haute s'ils « ne passaient pas trop de tempsensemble».Will détestait ce genre de remarques et se retenait de ne pas lui répondre
sèchement, car il les trouvait particulièrement injustes.À l'inversede laplupartdes jeunes qu'il connaissait, Ronnie ne touchait ni à l'alcool ni à la drogue,n'émaillaitpassesphrasesd'unekyrielledejuronsetnejugeaitpaslesautresenlescritiquantsansarrêt...Quiplusest,elleetluin'avaientpasdépassélestadedubaiser,maisWill savait d'instinct qu'aux yeux de samère rien de tout cela nepèserait dans la balance. Elle se murait dans ses préjugés, et personne neréussiraitàlafairechangerd'opinionsurRonnie.Derage,Willmultipliaitlesprétextespouréviterleplussouventderentrerchez
lui. Non seulement en raison de l'attitude de sa mère, mais aussi parce qu'ilcommençait à la voir sous un autre angle... et s'en voulait, bien sûr, de ne paspouvoirluidémontrerqu'ellesetrompait.Hormis la seconde comparution de Ronnie au tribunal, un seul sujet
d'inquiétudevinttroubler leurété,parailleurs idyllique: laprésencecontinuelledeMarcus.Mêmes'ilspurentl'éviterlaplupartdutemps,cefutparfoisimpossible.Lorsqu'ilstombaientsurlui,MarcustrouvaittoujourslemoyendeprovoquerWill,faisantsipossibleallusionàScott,cequiparalysaitWill.S'ils'emportait,Marcusrisquaitd'allervoirlapolice;maiss'ilneréagissaitpas,Willsesentaitminableet
plushonteuxquejamais.Bref, il se retrouvait là, en compagnie d'une fille ayant admis sa culpabilité
devant un juge de New York... alors que lui n'arrivait pas à trouver le couraged'agir,etçacommençaitsérieusementàleminer.Ilavait tentédeconvaincreScottd'aller toutavouerà lapolice,maiscelui-ci
avaitrefusé...enluirappelantàl'occasion,demanièresournoise,cequ'ilavaitfaitpoursafamilleetlui,lorsdecetatroceaccidentoùMikeyavaittrouvélamort.Willreconnaissait que Scott avait agi en héros,mais àmesure que l'été avançait ilfinissait par se demander si le fait d'avoir accompli un acte de bravoure par lepassésuffisaitàeffacertotalementundélitplusrécent...Etdanssesmomentslesplussombres,Willdoutaitmêmedepouvoircontinueràpayerlevéritableprixdel'amitiédeScott.Un soir, au début du mois d'août, Will emmena Ronnie à la chasse aux
araignéesdemer.—Jet'aiditquej'aimaispaslescrabes!hurla-t-elleens'agrippantaubrasde
Will.—C'estjustedespetitesaraignéesdemer!répliqua-t-ildansunéclatderire.
Turisquespasgrand-chose.—Ondiraitdesinsectesrampantsvenusdel'espace!grimaça-t-elle.—T'asl'aird'oublierquec'étaittonidée,audépart.— Non, celle de Jonah. Il m'a assuré que c'était marrant. Çam'apprendra à
écouterungaminquiapprendlavieenregardantdesdessinsanimés!—C'estpasquelquescrabesinoffensifsquivonteffrayerunefillequidonnedu
poissontoutgluantàmangerauxloutres.Ilbalaya le soldu faisceaudesa lampeélectriqueet lespetitescréatures se
mirentàgrouillersousleursyeux.Ronnie scrutait le sable avec frénésie, au cas où l'une des araignées
s'approcheraitdesespieds.—Primo,cesbestiolesn'ontpasl'aircooletilyenadescentaines!Deuzio,si
j'avaissuquecetteinvasionseproduisaitlanuitsurlaplage,jet'auraisfaitdormirprèsduniddetortuetouslessoirs.Alors,jet'enveuxunpeudepasm'avoirprévenue.Etpuis,c'estpasparcequejebosseàl'aquariumquej'adorevoirdescrabesmegrimperdessus!Willfitdesonmieuxpourgardersonsérieux,maisRonnievitsaminenarquoise
encroisantsonregard.—Arrêtedericaner.C'estpasdrôle!— Mais si ! Enfin quoi... il doit y avoir une vingtaine de gamins avec leurs
parentssurlaplage.—C'estpasdemafautesileursparentsmanquentdebonsens.—Tuveuxrepartir?— Non, ça va. Maintenant que tu m'as entraînée ici, au beau milieu de
l'invasion,autantquejem'yhabitue.—Ons'estpourtantpasmalpromenésdanslesparages,cestemps-ci.—Exact.Etencoremercid'avoirapporté latorcheélectriquepourmegâcher
messouvenirs.
—Commetuveux,dit-ilenéteignantlalampe.ElleenfonçasesonglesdanslebrasdeWill,ens'écriant,affolée:—Qu'est-cequetufais?Rallume!—Tuviensdedirequelalumièretedérangeait.—Maissitulacoupes,jeneverraipascesbestioles!—Trèsjuste.—Çaveutdirequ'ellespourraientm'encerclerlà,maintenant.Rallume,jet'en
supplie!Ilobtempéraettousdeuxreprirentleurbalade.—Peut-êtrequ'unjourjeréussiraiàtepiger,observa-t-ilenriant.— Ça m'étonnerait. Si tu n'y es pas encore arrivé, c'est que ça te dépasse
complètement.—C'estpossible,admit-ilenlaprenantparl'épaule.Tum'astoujourspasditsi
tuvenaisaumariagedemasœur.—Parcequej'aiencoreriendécidé.—JetiensàcequeturencontresMegan.Elleestgéniale.—C'estpastasœurquim'inquiète.Jepensepasquetamèreaitenviedeme
voirrappliquer,enrevanche.—Etalors,c'estpassonmariage.Masœursouhaitetaprésence.—Tuluiasparlédemoi?—Biensûr.—Ettuluiasditquoi?—Lavérité.—Quetutrouvesquej'aileteintterreux?Illadévisageaenplissantlesyeux.—Çatetracasseencore?—Naaan...c'estoublié,toutça.—Mouais...Pourrépondreàtaquestion, je luiai justeditque t'avais le teint
terreuxaudébut.Ronnieluiflanquauncoupdecoudedanslescôtesetilfitmined'implorersa
pitié:—Jerigole,jerigole...Jediraiplusjamaisça.—Alors,qu'est-cequetuluiasraconté,finalement?Wills'arrêtaetsetourna
pourlaregarderdroitdanslesyeux.—Lavérité,jetedis...Quetuétaisintelligente,drôle,facileàvivreettrèsjolie.—Oh,benalorsçava.—Aprèstouscescompliments,t'espascenséemedirequetum'aimes?—Jesuispascertainedepouvoiraimerunmecavecautantd'exigences,dit-
ellepourletaquiner,l'entourantdesesbras.Benquoi?Fautbienquejemevengedetouscescrabesquet'aslaissésgrimpersurmespieds.Biensûrquejet'aime!Ilss'embrassèrentavecfougue,puisseremirentàmarcher.Ilsavaientpresque
atteint la jetée et allaient faire demi-tour quand ils aperçurent Scott, Ashley etCassiequivenaientdelaville.Ronniesecrispaunpeu,commeScottchangeaitdedirectionpourlesintercepter.—Ah,t'eslà,monpote!s'écria-t-ilenseplantantdevanteux.Jet'aienvoyédes
SMStoutelasoirée.WillresserrasonbrasautourdeRonnie.—Excuse.J'ailaissémonportablechezelle.Qu'est-cequisepasse?TandisqueScottrépondait,Willsentaitleregardd'AshleyobservantRonniede
loin.—Ilyacinqdeséquipesparticipantauchampionnatquim'ontappelé,ettous
lesgarsveulents'entraîneravecnousavantletournoi.Ilssontvachementdouésetveulent organiser une espèce de stage intensif pour qu'on soit tous prêts àaffronter Landry et Tyson. Entraînements, exercices,matchs amicaux... la totale,quoi.On pensemême intervertir ici ou là lesmembres de chaque duo, histoired'améliorernostempsderéaction,parcequ'onatousdesstylesdifférents.—Ilsviennentquand?—Dèsqu'onestprêts,maisonpensaitmettreçaenplacecettesemaine.—Ilsvontrestercombiendetemps?— J'en sais rien. Trois ou quatre jours... Jusqu'au début du championnat,
j'imagine. Je sais que t'as le mariage de ta sœur et tout ça, mais on peut sedébrouiller.Willsongeaunefoisdeplusqu'ilneverraitbientôtplusRonnie.—Troisouquatrejours?Scottfronçalessourcils.—Allez,mec.C'estjustecequinousmanquepourêtrevraimentaupoint.—Tucroispasqu'onl'estdéjà?—M'enfin,turêvesouquoi?Tusaiscombiend'entraîneursdelacôteOuestse
déplacent...T'aspeut-êtrepasbesoind'uneboursedevolleypour lafac,déclaraScottenpointantunindexsurWill,maismoisi!Etc'estlaseuleoccasionqu'ilsaurontdemevoirjouer.Willhésita.—Laisse-moiletempsd'yréfléchir,O.K.?—T'asbesoind'yréfléchir?— Faut d'abord que j'en parle àmon père. Je peux pasm'absenter trois ou
quatrejoursdugarage,enleprévenantauderniermoment.Etjecroispasquetupuisseslefairenonplus.ScottlançaunregardendirectiondeRonnie.—T'essûrquec'estleboulot,levraiproblème?Willcomprenaitfortbienlesous-entendu,maisnevoulaitpascéderàcegenre
deprovocation.Scottparutluiaussisavoiràquois'enteniretreculad'unpas.—O.K., çamarche.Parles-enà tonpère... peut-êtreque t'arriverasà caser le
stagedanstonemploidutemps.Surcesparoles,ils'enallasansseretourner.Unpeudécontenancé,Willdécida
deraccompagnerRonniechezelle. IlsétaientassezloinetScottnepouvaitpluslesentendre,lorsqu'ellepritWillparlatailleetluidemanda:—Ilfaisaitallusionaufameuxtournoidonttum'asparlé?Willhochalatête.—Leweek-endprochain.Lelendemaindumariagedemasœur.—Undimanche?
—Çasedéroulesurdeuxjours,maislesfillesjouentlesamedi.Ronnieréfléchit.—Etilabesoind'uneboursedevolleypourlafac?—C'estcertainqueçal'aideraitàpayersesétudes.Ellel'obligeaàs'arrêteret
repritlaparole:—Alorsarrange-toipourfairecestaged'entraînementintensif.Faiscequetu
dois fairepourêtreaupoint.C'est tonami,pasvrai?Onsedébrouilleraquandmêmepoursevoir,toietmoi.Mêmesiondoittouslesdeuxgarderleniddetortuenon-stop.C'estpasgênantsijesuisunpeufatiguéepourallerbosser.Tout en l'écoutant parler, Will la trouvait plus belle que jamais et se disait
qu'elleallaiténormémentluimanquerquandilseraitàVanderbilt.— Qu'est-ce qui va nous arriver à la fin de l'été, Ronnie ? demanda-t-il en
l'interrogeantduregard.—Tuvasalleràlafac,répondit-elleendétournantlesyeux.Etmoijerentreraià
NewYork.IlramenadoucementlevisagedeRonnieverslesien.—Tuvoistrèsbiencequejeveuxdire.— Oui. Évidemment. Mais j'ignore ce que tu veux entendre. Tout comme
j'ignorecequetoioumoionvadire...—Etsimoijetedisaisquejeneveuxpasqueçasetermine?—Jeneveuxpasnonplusqueçasetermine,murmura-t-elled'unevoixtendre,
presqueintimidée,tandisquesesyeuxprenaientunenuancevertocéan.Mêmesic'étaitlesmotsqu'ilsouhaitaitentendre,etqu'àl'évidenceRonniene
mentaitpas,ilenarrivaitàlamêmeconclusionqu'elle.Direlavéritén'avaitrienderassurantetnechangeraitrienàl'inévitable.—JeviendraitevoiràNewYork,promit-il.—J'espèrebien.—EtjeveuxquetuviennesdansleTennessee.—Si j'ai une bonne raison d'y aller, je devrais pouvoirme fendre d'un autre
voyagedansleSud...Ilsourit,tandisqu'ilss'étaientremisàmarcher.—Tusaisquoi?JevaisfairetoutcequesouhaiteScottpourêtrefinprêtavant
lechampionnat,àconditionquetuveuillesbienveniraumariagedemasœur.—Autrementdit, tuvas faireceque tudevrais fairede toutemanière,eten
échanget'obtiensdemoicequetuveux!Willnel'auraitpasformulécommeça,maisRonniemarquaitunpoint.—Ouais,t'asraison,j'imagine,dit-il.—Autrechoseteferaitplaisir,sinon?Vuquet'essidurenaffaires...—Puisquet'enparles...J'aimeraisquetuessayesderaisonnerBlaze.—Turigolesouquoi?J'aidéjàtentédeluiparler.—Jesais,maisçaremonteàquand?Sixsemaines?Ellenousavusensemble
depuis,alorsellesaitpertinemmentqueMarcusnet'intéressepas.Etpuiselleaeuletempsdes'enremettre.— Elle ne voudra jamais avouer ce qu'elle a fait, riposta Ronnie. Sinon, elle
auraitdesennuis.
—Commentça?Onpourraitl'accuserdequoi,aujuste?Pourmapart,j'aipasenvieque t'aiesdesproblèmespourun vol que t'as pas commis. Laproprio dumagasinveutriensavoir,leprocureurnonplus,etBlazefaitaussilasourdeoreille,c'estvrai...maisjevoispasd'autresolutionpourtetirerdecettegalère.—Çamarcherapas,jetedis,insistaRonnie.— Peut-être, mais je pense que ça vaut le coup d'essayer. Je connais Blaze
depuis longtemps, et elle n'a pas toujours été comme ça. Peut-être qu'au fondd'elle-même,Blazesaitqu'elleamalagietajustebesoind'unargumentvalablepourtenterderéparersafaute.Ronnien'étaitpasd'accord,maisnepouvaitpasnonplus luidonnertort... Ils
regagnèrentlamaisonensilence.Ens'approchant,Willaperçutdelalumièreparlaporteouvertedel'atelier.—Tonpèrebossesurlevitrailcesoir?—Ondirait...—Jepeuxallervoir?—Pourquoipas?Ils se dirigèrent ensemble vers la remise délabrée. À l'intérieur,Will vit une
simple ampoule électrique qui pendouillait au-dessus du grand plan de travailoccupantlecentredelapièce.—Jecroisbienqu'ilestpaslà,constataRonnieenregardantautourd'elle.— C'est le fameux vitrail ? s'enquit Will en s'approchant de l'établi. Il est
immense!Ronnielerejoignit.—Etmagnifique,hein ?C'estpour l'églisequ'ils reconstruisentenbasde la
rue.— Tu me l'avais pas dit, s'étonna Will d'une voix que lui-même trouvait
nerveuse.—J'aipascrubondelepréciser...Pourquoi?WillchassadesonespritlesimagesdeScottetdel'incendie.—Pourrien,s'empressa-t-ilderépondreenfaisantmined'examinerlevitrailde
près.Jemerendaispascomptequetonpèreétaitcapablederéaliserunevéritableœuvred'art.—Moinonplus.Etluipareil,jusqu'àcequ'ils'ymette,entoutcas.Maisilm'a
dit que c'était important à ses yeux, alors c'est pas un hasard s'il s'appliqueautant.—Pourquoic'estsiimportantpourlui?Tandis que Ronnie lui racontait l'histoire que son père lui avait confiée,Will
contemplait levitrail ense rappelant cequeScottavait fait...Sonvisagedut letrahir,carlorsqu'elleeutterminé,Ronnieleregardad'unairintrigué.—Àquoitupenses?Ilpassadoucementlamainsurl'objetavantdereprendre:—Tut'esdéjàdemandécequesignifiaitl'amitié?—Jevoispastropoùtuveuxenvenir...Willladévisagea:—Jusqu'oùtuiraispourprotégerunami?
Ellehésita.—Jesupposequeçadépenddecequecetamiafait.Etdelagravitédeson
acte,dit-elleenleprenantparlataille.Qu'est-cequet'essayesdemedire?Commeilnerépondaitpas,ellevintplusprèsdelui.— Au bout du compte, on devrait toujours faire le bon choix. Je sais que ça
risquepasdet'aider,parcequec'estpastoujoursfaciledesavoircommentbienagir. En apparence, du moins. Mais même quand j'essayais de me trouver desexcusesenmedisantquevoler,aprèstout,c'étaitpassigrave,jesavaisquejemetrompais.Enfait,jemesentais...malaufonddemoi.ElleapprochasonvisagedeceluideWill,quisedélectadel'odeurdesableet
demersursapeau,tandisqu'ellepoursuivait.— J'ai pas cherché à réfuter l'accusation, car je savais que je m'étais mal
conduite. Il y adesgensqui peuvent vivreavec leurmauvaise conscience, tantqu'ilss'entirentàboncompte.Chezeux,lebienetlemalseconfondentplusoumoins.Alorsquepourmoi,leschosessontbeaucoupplustranchées...c'estnoiroublanc,etpasunesortedegrisailleunpeufloue.Etjepensequetufonctionnescommemoi.Will détourna le regard. Il savait qu'elle disait vrai et mourait d'envie de se
confieràelle,maissemblaitnepaspouvoirtrouverlesmots.Ronnielecomprenaitcomme personne. Il pouvait apprendre beaucoup à son contact, et sans doutedevenirquelqu'undemeilleur.Surbiendespoints,ilavaitbesoind'elle,enréalité.Commeilhochaitlatêted'unairsongeur,elleposatendrementlasiennesursonépaule.Quandilsquittèrentl'atelier,illaretintparlamainetl'embrassa.Surleslèvres,
lesjoues,puisdanslecou.Sapeauétaitbrûlantecommelabraise,etlorsqueleurslèvressejoignirentànouveau,ilsentitlecorpsdeRonnienefaireplusqu'unaveclesien. Ilenfouit lesmainsdanssescheveux,touten lacouvrantdemilleetunbaisers,tandisqu'ill'amenaitlentementàs'adosseraumurdel'atelier.Ill'aimait,ladésirait,etsentaitlesmainsdeRonniel'électriseràmesurequ'ellecaressaitsondos, sesépaules... Leurétreinteenfiévrée l'entraînaitpeuàpeudansunmondeuniquementgouvernéparsessens...lorsqueRonnieposafinalementlesmainssursontorseetl'écartaendouceur.—S'ilteplaît,murmura-t-elle,ilfautqu'ons'arrête.—Pourquoi?—Parcequej'aipasenviequemonpèrenoussurprenne.Siçasetrouve,ilnous
regardeencemomentmêmedepuislafenêtre.—Onnefaitques'embrasser.—Ouais,biensûr...entouteinnocence,gloussa-t-elle.Unsourirelangoureuxse
dessinasurleslèvresdeWill.—Benquoi.Onfaisaitriendemal,si?—Jedisseulement...qu'onsecontrôlaitplus...—Etc'estquoi,leproblème?Elleleregardad'unairdedire:«Arrêtedefairel'imbécile»,etilsavaitqu'elle
avaitraison,mêmes'ilsouhaitaitprolongerleurétreinte.— C'est vrai, soupira-t-il en la prenant par la taille. Je vais tâcher de me
reprendre.Elleluiplantaunbaisersurlajoue.—J'aiunetotaleconfianceentoi!—Waouh,merci...Ronnieluifitunclind'œilenajoutant:—Jevaisallervoiroùestpassémonpère,O.K.?—O.K.Detoutemanière,jedoisêtretôtauboulot,demain.—Pasdebol...Pourmapart,onnem’attendpasavantdixheuresàl'aquarium.—Tudoistoujoursnourrirlesloutres?—Turigoles?Ellesmourraientdefaim,sinon.C'estbiensimple,ellespeuvent
plussepasserdemoi!—Jet'aidéjàditquetugagnaisàêtreconnue?Ironisa-t-il.—Non,maisjepeuxteretournerlecompliment.Quandonteconnaît,onadu
malàsepasserdetoi,tusais.
24–Ronnie-Avant de regagner le bungalow, Ronnie regarda Will s'éloigner en
s'interrogeant...Est-cequ'ildisaitvraiàproposdeBlaze?Toutl'été,ladatedelafutureaudienceautribunaln'avaitcessédelahanter,aupointdesedemandersilaperspectived'uneéventuellecondamnationn'étaitpaspirequelasanctionelle-même.Aufildessemaines,elles'éveillaitparfoisaubeaumilieudelanuit,sanspouvoirserendormir.Biensûr,Ronnienepaniquaitpasàl'idéedeseretrouverenprison—ellen'avaitpascommisdemeurtreetnerisquaitpasd'êtreenfermée—,maiscraignaitquecespetitesinfractionsnelasuiventàjamais.Allait-elledevoirrévélersonpasséens'inscrivantplustardàlafac?Oubienlesignaleràsesfutursemployeurs?Pourrait-elledécrocherunjobdeprof?Àvraidire,elleignoraitsielleseraitétudianteouvoudraitenseigner,maissacrainten'endemeuraitpasmoinsprésente.Bref,seserreursallaient-ellestoujoursluicollerauxbasques?Apparemment non, à en croire son avocat... Mais elle ne pouvait rien lui
promettre.Quantaumariage...FacilepourWillde l'invitercommesiderienn'était.Elle
savaitqueSusannesouhaitaitpassaprésence,etRonnien'avaitfranchementpasenviedesefaireremarquer.C'étaitlajournéedeMegan,aprèstout.Elle se trouvait sur la véranda et allait entrer, quand elle entendit grincer le
rocking-chair.Effrayée,ellefitunbondenarrièreetdécouvritJonahquil'observait.—C'étaitécœurant...—Qu'est-cequetufaislà?répliqua-t-elle,lecœurencorepalpitant.—Jevousregardais,Willettoi,répondit-ilengrimaçant.Beurk...Vousm'avez
carrémentdégoûté...—Tunousespionnais?—Difficiledefaireautrement.T'étaisjustelàprèsdel'atelieravecWill.J'aibien
cruqu'ilallaitt'étouffer.—Rassure-toi,c'étaitpaslecas.—C'estl'impressionquej'aieue,c'esttout.Elleeutunpetitsourire.—Tucomprendrasquandtuserasunpeuplusvieux.Jonahsecoualatête.—J'aitrèsbienpigécequevousfaisiez.J'aivudesfilms,d'abord.Maisjetrouve
çaécœurant.—Tuterépètes,observa-t-elle.Çaluicoupalesiffletl'espaced'uneseconde.—Ils'envaoù?reprit-t-il.—Chezlui.Demainiltravaille,figure-toi.—Tuvassurveillerlenidcesoir?Parcequet'espasobligée,tusais.Papaadit
qu'onpourraits'enoccuper.
—Tul'asconvaincudedormirdehors?—Ilveutbien.Ilditqueceserasympa.Çam'étonnerait...—Moi,çameva.— J'ai déjà préparé mes affaires. Sac de couchage, lampe, jus de fruits,
sandwichs,paquetdecrackers,marshmallows,chips,cookies...etuneraquettedetennis.—T'asl'intentiond'yjouer?—Justeaucasoùleratonlaveursepointerait.S'ilessayedenousattaquer,tu
vois?—Ilrisquepasdelefaire.—Ahbon?Jonahsemblaitpresquedéçu.—Enfin,c'estpeut-êtreunebonneidée,admit-elle.Onsaitjamais...—C'estcequejepensaisaussi.—Aufait,levitrailestdrôlementjoli,dit-elleendésignantl'atelier.—Merci.P'patientàcequechaquepiècesoitparfaite.Ilm'obligemêmeàles
refairedeuxoutroisfois.Maisjesuisdeplusenplusdoué.—Çam'enatoutl'air,eneffet.—Leproblème,c'estqu'ilfaitchaudlà-dedans.Surtoutquandilallumelefour.—Ouais,j'imagine...Etlaguerredescookies,c'enestoù?—Oh,çava.Suffitquejelesmangequandilfaitsasieste.—P'pafaitjamaislasieste.—Benmaintenant,si.Tous lesaprès-midi,pendantdeuxou troisheures.Ya
mêmedesfoisoùjedoislesecouertrèsfortpourleréveiller.Ronnie dévisagea son frère d'un air intrigué, avant je jeter un oeil dans la
maison.—D'ailleurs,ilestoù,encemoment?—Àl'église.LepasteurHarrisestpassétoutàl'heure.Ilvientsouventnousvoir
encemoment.P'paetluiaimentbiendiscuter.—Normal,ilssontamis.—Jesais.Maisjecroisqueçaluisertd'excuse.Jepensequep'paestalléjouer
dupiano.—Lequel?répliquaRonnie,interloquée.—Celuiqu'ilsontlivréàl'égliselasemainedernière.P'paestalléenjouerlà-
bas.—Ahbon?—Attendsdeuxsecondes...Jesuispassûrquej'étaiscensételedire.Vaudrait
mieuxquet'oubliesça.—Pourquoitudevraismelecacher?—Parcequeturisqueraisencoredel'engueuler.—Maisnon,protesta-t-elle.C'étaitquand,ladernièrefoisquejeluiaicriéaprès
?—Quandiljouaitdupiano.Tuterappelles?Ouais,trèsjuste.Cegosse,rienneluiéchappe...
—Ehben,c'estfini,maintenant.—Tantmieux.J'aipasenviequetutedisputesaveclui,parcequ'ondoitallerà
FortFisherdemain,etjepréfèrelevoirdebonnehumeur.—Çafaitlongtempsqu'ilestàl'église?— J'ensais rien. J'ai l'impressionqueça faitdesheures.C'estpourçaque je
l'attendais là, dehors. Et pis, voilà que tu rappliques avec Will et que vouscommencezàvouspeloter.—Hé!Onfaisaitques'embrasser!—Non,jecroispas.Jesuismêmecertainquevousfaisiezpasqueça,affirma
Jonahavecconviction.—T'asdéjàdîné?demandaRonnie,presséedechangerdesujet.—J'attendaispapa,jetedis.—Tuveuxquejeteprépareunoudeuxhot-dogs?—Uniquementavecduketchup,alors?—Oui,soupira-t-elle.—Bizarre...jecroyaisquetusupportaismêmepasdelestoucher.—C'estmarrant,maisdepuisquejetripotelespoissonsmorts,leshot-dogsme
dégoûtentbienmoinsqu'avant.Jonahsourit,avantdeluidemander:—Tuvoudrasbienm'emmenerunefoisàl'aquarium,pourquejetevoienourrir
lesloutres?—Situveux.Jepourraispeut-êtremêmetelaisserlesnourriràmaplace.—Pourdevrai?s'exclama-t-il,toutexcité.—Oui,jecrois.Faudraquejedemandelapermission,biensûr,maisilslaissentcertainsgroupesdejeuneslefaire,alors ça devrait pas poser de problème, à mon avis. Jonah sourit jusqu'aux
oreilles.—Waouh!Merci,alors!Ilselevadurocking-chairetajouta:—Aufait...tumedoisdixdollars.—Enquelhonneur?—Hé,revienssurterre,mavieille!Fautpayer,situveuxpasquejerépèteà
papacequeWillettoivousétiezentraindefaire.—Sérieux?Alorsquejevaisteprépareràdîner?—Benouais.Tutravailles,toi...Moi,jesuispauvre.—Tut'imaginesque jegagnedesmilleetdescents? J'aipasdixdollarssur
moi. Tout ce que j'ai gagné, c'était pour régler une partie des honoraires del'avocat.Ilpritletempsderéfléchir,puis:—Etcinq,alors?—Tumepiqueraiscinqdollars,alorsquejeviensdetedirequej'enaimême
pasdix?ripostaRonnieenprenantunairoutragé.Nouveautempsderéflexion...—Deux,çateva?—Siondisaitundollar?—O.K.,çamarche,dit-ilensouriant.
Après avoir préparé le repas de Jonah — il insista pour une cuisson dessaucissesàl'eaubouillanteetnonpasaumicro-ondes—,Ronnierepritlechemindelaplagepourserendreàl'église.Celle-cinesetrouvaitpastrèsloin,maisdansladirectionopposéeàsonitinérairehabituel,etlesraresfoisoùelleétaitpasséedevant,Ronniel'avaitàpeineremarquée.En s'approchant, elle distingua les contours de la flèche qui se découpaient
danslecielcrépusculaire.Hormiscedétail, labâtissedisparaissaitaumilieudesluxueusesvillasduquartier.Sesmursétaientrecouvertsdesimplesbardeauxet,bien qu'il s'agisse d'une construction récente, l'ensemble avait déjà un aspectvieillot.Ronnie dut franchir la dune pour atteindre le parking, où elle découvrit les
signesdestravauxencours:unebennerempliedegravats,unepilerécentedepanneaux de contreplaqué près de la porte qu'une cale gardait ouverte, et unegrossefourgonnettegaréeàproximité.L'entréebaignaitdansunedoucelumière,alorsquel'intérieurrestaitdanslapénombre.Enpénétrantdansl'édifice,Ronniepromenasonregardicietlàetconstataque
lechantierneseraitpasterminédesitôt.Lesolselimitaitàunedalledebéton,etil manquait apparemment certaines cloisons en Placoplâtre, sans parler del'absencedesiègesoudebancs.Lapoussièrerecouvrait tous les tasseauxànu,mais pourtant, droit devant elle, à l'endroit oùRonnie imaginait déjà le pasteurHarris faisant son sermon dominical, son père était assis derrière un pianoflambantneufettotalementincongrudansl'égliseentravaux.Branchéesurunerallonge,unevieillelampeenalufournissaitl'uniquesourced'éclairage.Ilnel'avaitpasentendueentreretcontinuaitàjouer,maisellenereconnutpas
lamélodie;celle-cisemblaitpresquecontemporaine,différentedecequ'iljouaitd'habitude...etsansdouteinachevée,mêmeàl'oreilledeRonniequi l'entendaitpourlapremièrefois.Sonpèredutpartagersonavis,carils'interrompitquelquesinstants,réfléchit,puisrepritdepuisledébut.Elle percevait maintenant les subtiles variations qu'il venait d'introduire. La
mélodie s'en trouvait améliorée, mais quelque chose clochait encore. Ronnieéprouva un sentiment de fierté à l'idée d'avoir conservé une si bonne oreille.Quandelleétaitplusjeune,cedonparticulierémerveillaitsonpère.Il recommença encore, apporta d'autres changements et elle comprit en
l'observantqu'ilétaitheureux.MêmesilamusiquenefaisaitpluspartiedelaviedeRonnie,ellerestait liéeàcelledesonpère.Etellesesentitcoupablede l'enavoirprivé.Aveclerecul,ellesesouvintdesarageàlaseuleidéequ'ilpuissetoutfaire pour l'inciter à jouer,mais avait-il seulement essayé ? Était-ce réellementRonnieleproblème?Oubiensonpèrejouait-ilparcequec'étaitl'essencemêmedesapersonnalité?Àforcedeleregarder,elleétaittouchéeparsaconcentrationetsonaisanceà
opérer desmodifications... tant et si bien qu'elle comprit tout ce qu'il avait dûsacrifierpoursatisfaireaucapriceinfantiledesafille.Ilcommençaàtoussoteretellecrutqu'ils'éclaircissaitlavoix,maisiltoussaet
toussaencore,d'unetouxgrasse,maladive...quinesemblaitpluss'arrêter.Affolée,Ronnieseprécipitaverslui.
—P'pa!Tuvasbien?Il levalatêteetsaquintecessacommeparmiracle.Ellesepenchasur luiet
constataqu'ilrespiraitpoussivement.—Çava..., soupira-t-ild'unevoix faible. Ilya tellementdepoussière ici...Au
boutd'unmoment,çam'irritelagorge.Çam'arrivetoutletemps.Elleledévisageaetletrouvaunpeupâle.—Tuessûrqueçava?—Certain,affirma-t-ilenluitapotantlamain.Qu'est-cequetufaislà,mapuce
?—Jonahm'aditquet'étaisàl'église.—Tumesurprendsenflagrantdélit,alors?Ronnieagitadoucementlamainensigned'apaisement.—Aucunsouci,p'pa.C'estundonduCiel,non?Commeilnerépondaitpas,
elle s'approcha du clavier en se rappelant tout ce qu'ils avaient composéensemble.—C'étaitquoi,cequetujouais?reprit-elle.Tuécrisunenouvellechanson?—Oh...ça?Disonsquej'essayed'enécrireune,plutôt.Enfait,c'estjusteune
mélodiesurlaquellejetravaille.Riend'extraordinaire.—C'étaitbien...— Non... J'ignore ce qui cloche. Tu pourrais peut-être... En fait, tu étais plus
douéequemoipourcomposer...Jen'arrivepasàobtenircequejeveux.—C'étaitbien,insista-t-elle.Etjediraismême...pluscontemporainqueceque
tujouesd'habitude.Ilsourit.—T'asremarqué,hein?Audébut,çanedémarraitpascommeça,enfait.Pour
nerientecacher,jenesaispastropcequim'arrive.—Peut-êtrequet'asécoutémoniPodendouce...Nouveausourirecomplice.—Non,jet'assure.Ronnieregardaautourd'elle.—Quandest-cequel'égliseseraterminée,alors?— Aucune idée. Je crois t'avoir dit que l'assurance ne couvrait pas tous les
dégâts...Lechantiertournedoncauralentipourl'instant.—Etlevitrail?—J'aibienl'intentiondelefinir.Puisildésignal'ouverturedanslemur,recouvertedecontreplaqué.—Iliralà,mêmesijedoisl'installermoi-même.—Tusaisfaireça?répliqua-t-elle,incrédule.—Pasencore...AutourdeRonnied'esquisserunsourire.—Pourquoiilsontmisunpiano,sil'égliseestencoreentravaux?T'aspaspeur
qu'onlevole?—Normalement,onnedevaitlelivrerqu'unefoisl'égliseachevée.Iln'estdonc
pascenséêtre là. LepasteurHarrisespère trouverquelqu'unquiveuillebien legarder chez lui en attendant, mais il n'a aucune date en vue pour la fin destravaux.Bref,c'estpassifacile...
Sonpèresetournaversl'entréeetparutsurprisdeconstaterqu'ilfaisaitnuit.—Ilestquelleheure,mapuce?—Neufheurespassées.—Bonsang!s'exclama-t-ilenselevant.Jen'aipasvul'heuretourner.Jesuis
censé camper sur laplageavec Jonahce soir. Enplus, il doit avoir une faimdeloup,lepauvre!—T'inquiètepas.Jem'ensuisoccupée.Ilpoussaunsoupirdesoulagementetrassemblasespartitions,puiséteignitla
lampe.Danslapénombre,Ronnieletrouvaplusépuiséetplusfrêlequejamais...
25–Steve-Ronniearaison.C'estunemélodietoutcequ'il_yademoderne.Steve ne lui mentait pas en affirmant qu'elle était différente au début. La
première semaine, il avait tenté une composition dans l'esprit de Schumann ;quelquesjoursplustard,ils'inspiradeGrieg.Ensuite,cefutSaint-Saëns.Maisenfindecompte, riennesonnait juste... Impossiblede retrouver lamêmeémotionque ce fameuxmatin où il avait griffonné ses premières notes sur un bout depapier.Si,parlepassé,ilavaitespérécomposerpourlapostérité,l'idéenel'effleurait
plusdésormais.Iltestaitdesmélodies,laissaitenquelquesortelamusiquenaîtred'elle-même...Tantetsibienqu'ilcessad'essayerd'imiterlesgrandscompositeurspour recouvrer enfin sa confiance en lui. Son oeuvre actuelle n'était certes pasencoreaboutie...etpeut-êtrequ'ellene leserait jamais,du reste,maisçane ledérangeaitplusvraiment.Etsic'étaitsonproblèmedepuisledébut?Autrementdit,d'avoirpassésavieà
prendre modèle sur autrui ? Il jouait de la musique écrite voilà des centainesd'annéespard'autrescompositeurs;ilcroyaitpouvoirtrouverDieuensepromenantsurlaplage,carlepasteurdisaitdialogueravecLuiaucoursde
sesbaladesensolitaire.Maintenantqu'ilétaitassisàcôtédesonfilsaupieddeladuneetscrutait le
ciel avec des jumelles—même s'il ne devait pas voir grand-chose—, Steve sedemandaits'iln'avaitpastoujourscruquelesautresdétenaientlesréponsesàsesquestions,parcraintedese fieràsonpropre instinct.Peut-êtrequesesmaîtresavaient fini par lui servir de béquilles et qu'au bout du compte il avait toutbonnementpeurd'êtrelui-même?—Dis,p'pa?—Ouais,fiston.—TuvasvenirnousvoiràNewYork?—J'enseraisravi,biensûr.—ParcequejepensequeRonnievoudrabienteparlermaintenant.—C'estcequej'espérais.—Elleadrôlementchangé,tutrouvespas?Steveposalesjumelles.—Jepensequ'onatousbeaucoupchangé,cetété.—Exact.Moi,parexemple,j'aigrandi!—C'estcertain.Ettuasapprisàfabriquerunvitrail.Jonahparutréfléchir,puis:—Hé,p'pa?—Ouais?—Jecroisquejeveuxapprendreàfairelepoirier.Allonsbon...Oùa-t-ilbienpu
pêchercetteidée?—Jepeuxsavoirpourquoi?— J'aime bien avoir la tête en bas. Je sais pas pourquoi. Mais je pense que
j'auraibesoindetoipourmetenirlesjambes.Audébut,entoutcas.—Jeserairavidepouvoirt'aider.Ils se turent pendant un longmoment. La nuit était douce, le ciel constellé
d'étoiles,etStevesesentitsoudainenvahiparuneénormeboufféedebonheur.Ilétaitheureuxd'avoirpassél'étéencompagniedesesenfants,d'êtreassislà,aupieddeladuneavecsonfils,àdiscuterdechosesetd'autres.Aufildesjours,ils'était habitué à la présence de Jonah et de Ronnie, et appréhendait déjà leurdépart.—Dis,p'pa?—Ouais,Jonah?—Ons'ennuieunpeulà,non?—Moi,jetrouvequec'estpaisible,ditSteve.—Maisjevoisquasimentrien.—Tupeuxvoirlesétoiles.Etentendrelesvagues.— Bof... je les entends tout le temps. D'un jour à l'autre, toujours la même
rengaine.—Quandest-cequetuveuxcommenceràt'entraîneràfairelepoirier?—Demain,peut-être...Stevelepritparlesépaules.—Qu'est-cequit'arrive,fiston?T'asl'airtristounet.—Non,c'estrien...murmuraJonahd'unevoixàpeineaudible.—T'essûr?—Jepeuxalleràl'écoleici?demanda-t-iltoutàtrac.Etvivreavectoi?Stevesavaitqu'ilallaitdevoiruserdediplomatie.—Etmaman,alors?—Je l'adore.Etellememanqueaussi.Maisçameplaît, ici. J'aimepasserdu
tempsavectoi.Commefabriquerlevitrail,joueraucerf-volant,tusais...Quandonsebaladeicioulà.C'étaitsympa,cetété.J'aipasenviequeçasetermine.Steveleserracontrelui.—Moiaussi, j'adoreêtreavectoi, fiston.C'est leplusbelétédemavie.Mais
quandtuirasenclasse,onneseraplusensemblecommeencemoment.—Peut-êtrequetupourraismefairecourstoi-même,tusais?Jonahparlaitd'unevoixétouffée,presquecraintive,etStevepritconscience,la
gorgeserrée,qu'ilavaitencoreaffaireàun jeuneenfant. Ils'envoulaitdéjàdesparolesqu'ilallaitprononcer,maisn'avaitpourtantguèrelechoix.—Jepensequetumanquerasàtamèresiturestesavecmoi.—Peut-êtrequetupourraisrevenir.Peut-êtrequemamanettoi,vouspourriez
vousremarier?Steveprituneprofondeinspirationet,lamortdansl'âme,luiexpliqua:— Je sais que c'est dur et que tu trouves ça injuste. J'aimerais bien pouvoir
changerlasituation,maisc'estimpossible.Tuasbesoind'êtreauprèsdemaman.Ellet'aimetrèsfort,tusais,etelleseraitperduesanstoi.Maissachequemoiaussi
jet'aime.N'oubliejamaisça.Jonahhochalatête,commes'ils'attendaitàlaréactiondesonpère.—OnvatoujoursauFortFisherdemain?—Sit'enastoujoursenvie.Etaprès,onpourraitpeut-êtrefaireuntoursurles
toboggansaquatiques.—Ilsenont,là-bas?—Non.Maisjeconnaisunendroitoùilyena,pasloindufort.Fautjustequ'on
n'oubliepasd'emporternosmaillotsdebain.—O.K.,ditJonahd'unevoixplusenjouée.—Peut-êtrequ'oniraauChuckE.Cheese[15]aussi.—Vraiment?—Siçatetente,pourquoipas?—Alors,çametente!Jonahrestauninstantsilencieuxavantd'ouvrirlaglacière,dontilsortitunsac
enplastiqueremplidecookies.Stevesegardadefairelamoindreréflexion.—Hé,p'pa?—Ouais?—Tupensesquelesbébéstortuesvontnaîtrecettenuit?—Jenecroispasqu'ilssoientdéjàprêts,maisilafaitchaudcetété,alorsilsne
devraientplustarder.Jonahpinçaleslèvresd'unairsongeur,etStevedevinaquesonfilspensaitde
nouveau à son prochain départ. Il le serra encore plus fort dans ses bras,maissentitquelquechosesebriseren lui,commeuneblessuredont ilsavaitqu'ilneguériraitjamaistoutàfait.Tôt,lelendemain,Stevecontemplalaplage,ensachantques'ilfoulaitlesable
illeferaitsimplementpourprofiterdelamatinée.Dieu,comprenait-ilenfin,n'étaitpasprésent.Paspourlui,dumoins.Maiseny
réfléchissant,çaluiparaissaitlogique.SidéterminerSaprésenceserévélaitaussifacile, les plages seraient bondées dès le matin, supposait Steve. Ellesgrouilleraientdegensavidesdepoursuivreleurproprequêtespirituelle,plutôtquedefaireleurjogging,promenerleurchienoupêcher.Il comprenait enfin que chercher la preuve de l'existence de Dieu relevait
autantdumystèrequeDieului-même...etquiétait-Il,sinonunmystère?Leplusétrange,c'étaitqueSteveaitmistoutcetempsàs'enrendrecompte.Ainsiqu'ilsl'avaientprévulaveille,Jonahetluijouèrentlestouristes.Commeil
avaitunecertaineconnaissancede laguerredeSécessionetdu rôlemajeurduport de Wilmington au sein des États confédérés, Steve fut sans doute plusintéresséparlefortqueJonah.Enrevanche,sonfilss'amusaplusqueluisurlestoboggansaquatiques.Chacundevait transportersonpropre tapis jusqu'enhautde l'escalierd'accès,etsi Jonah le fitsansproblème lesdeuxoutroispremièresfois,Stevedutensuiteprendrelerelais.Ilcrutsincèrementylaissersapeau.La pizzeria Chuck E. Cheese et sa dizaine de jeux vidéo occupèrent son fils
encoredeuxbonnesheures. Ilsdisputèrenttroispartiesd'airhockey,cumulèrent
descentainesde ticketsde jeu,qu'ils se firentensuite rembourserpouracheterdestasdechoses...etquittèrent l'établissementavecdeuxpistoletsàeau, troisballes rebondissantes, un assortiment de crayons de couleur et deux gommes.Stevepréféraéviterdepenseràtoutcequeçaluiavaitcoûté.Ce fut une journée formidable, remplie de joie et d'éclats de rire, mais
épuisante.Auretour,aprèsavoirpasséunpetitmomentavecRonnie,ilgagnasonlitets'endormitenquelquesminutes.
26–Ronnie-AprèsledépartdeJonahetdesonpèrepourlajournée,Ronniepartitenquête
deBlaze,dans l'espoirde la trouveravantd'aller travaillerà l'aquarium.Elle sedisaitqu'ellen'avaitrienàperdre.Aupire,Blazeluiferaitlagueuleoul'enverraitd'embléepromener,cequinechangeraitrienàlasituationactuelle.Commeellenes'attendaitpasàcequeBlazechangesubitementd'avis,ellepréféraitnepassefairetropd'illusions...Maiscommentéviterdesevoilerlaface?Willdisaitvrai,Blazen'avaitrienàvoiravecMarcus,lequelneselaissaitjamaisdémonterparlesscrupules...etBlazedevaitsesentirunpeucoupable,non?Ronnienemitpasbienlongtempsàladénicher.Blazeétaitassisesurladune
proche de la jetée et regardait les surfeurs. Elle ne dit rien quand Ronnies'approcha.Ne sachant trop comment amorcer le sujet, Ronnie commença par le plus
évident:—Salut,Blaze...L'autrenedesserrapaslesdentsetRonnieseressaisitavantd'enchaîner.—Jesaisquet'assansdoutepasenviedemeparler...—T'asl'aird'unoeufdePâques.Ronniejetaunoeilsursatenuedetravail:tee-shirtturquoiseaveclelogode
l'aquarium,shortblancettennisassorties.—Je leuraidemandédechanger l'uniformeennoir,mais ilsn'ontrienvoulu
savoir.—Dommage,lenoiresttacouleur,répliquaBlazeavecunpetitsourire.Qu'est-
cequetuveux?Ronnierepritsonsouffle.—J'essayaispasdedraguerMarcuscefameuxsoir.C'estluiquimecherchait,
et je sais pas ce qui lui a pris de crier ça... sauf qu'il devait vouloir te rendrejalouse.Jesuissûrequetumecroispas,maisjeveuxquetusachesquejet'auraisjamaisfaituncouppareil.Jesuispascegenredefille.Ronnieavaittoutdébitéd'unetraite,maisaumoinsc'étaitdit!Blazemarquauntempsd'arrêt,puis:—Jesais.PasdutoutlaréponseàlaquelleRonnies'attendait.—Alors,pourquoit'asfourguécesdisquesdansmonsac?lâcha-t-elle.Blazelaregardaenplissantlesyeux.—Jet'envoulaisàmort.Parcequetuluiplaisais,c'estclair.Ronniesemorditlalèvreinférieureetréprimauneréactionquiauraitclossur-
le-champlaconversation,préférantlaisserBlazecontinuer.Celle-cisefocalisaitànouveausurlessurfeurs.
—JeconstatequetupassesbeaucoupdetempsavecWillcetété.—Ilm'aditquevousétiezamisparlepassé.—Ouais,c'estvrai.Çafaitunbail.Ilestsympa.T'asdelachance,ditBlazeen
frottantsesmainssursonjean.Mamèrevaépousersonpetitcopain.Quandellem'aannoncélanouvelle,on
s'est engueulées comme du poisson pourri, et elle m'a foutue dehors. Elle achangélesserruresettoutça...—Désolée,ditsincèrementRonnie.—Bah...jem'enremettrai.Ronnie pensa alors aux points communs de leurs vies respectives : divorce,
colère et rébellion, remariage d'un des deux parents... Pourtant, elles ne seressemblaient plus du tout. Blaze avait changé depuis le début des vacances.Disparue, sa joie de vivre que Ronnie avait remarquée dès leur premièrerencontre... Et Blaze semblait plus âgée, comme si des années et non pas dessemainess'étaientécoulées.Àtelpointqu'elleavaitdespochessouslesyeuxetleteint cireux. Elle avait maigri. Énormément. Ronnie éprouvait une impressionétrange...commesiellevoyaitlafillequ'elleauraitpudevenir,etcettefille-làneluiplaisaitpas.—C'estmoche,cequetum'asfait,reprit-elle.Maistupeuxencorerattraperle
coup.Blazesecoualentementlatête.—Marcusm'enempêchera.Ilm'aprévenuequesinonilmereparleraitplus.En l'écoutant parler d'une voixmonocorde, Ronnie eut envie de la bousculer
pour la faire réagir. Blaze parut lire dans ses pensées et soupira avant depoursuivre.—J'aiplusd'endroitoùaller.Mamèreaappelélafamilleetademandéàtoutle
mondedenepasm'héberger.Elle leuraditquec'étaitdurpourelle,maisqu'ilfallaitqu'onsoitfermeavecmoi, là,maintenant.J'aipasd'argent,etàmoinsdevouloirdormirchaquesoirsur laplagepour lerestantdemesjours, jesuisbienobligéedefairecequeMarcusmedemande.Quandilestenpétardcontremoi,ilme laissemême pas utiliser la douche de sa chambre. Et il refuse deme filerl'argentqu'ongagneenfaisantnotrenuméro,alorsjepeuxpasmangernonplus.Yadesjoursoùilmetraitecommeunchien,etj'aihorreurdeça.Maisversquid'autrejepeuxmetourner?—T'asessayédeparleràtamère?—Àquoiçaservirait?Pourelle,jesuisunecauseperdued'avance,etelleme
déteste.—Jesuiscertainequenon.—Onvoitbienquetulaconnaispas.Ronniese remémora le jouroùelleétaitalléechezBlazeetavaitvu l'argent
glissé dans l'enveloppe.À croire qu'il s'agissait d'une autremère...Mais Ronnieévita ce genre de commentaire. Dans le silence qui suivit, Blaze se releva. Sesvêtementsétaientsalesetfroissés,commesiellelesportaitdepuisunesemaine...cequiétaitsansdoutelecas.—Jesaiscequetuveuxquejefasse,repritBlaze.Maisjepeuxpas.Etc'estpas
parcequejet'aimepas.Jetetrouvesympa,enfait,etj'auraispasdûtefaireuntrucpareil.Maisjesuispriseaupiègecommetoi.EtjecroisqueMarcusn'enapasencoreterminéavectoi...Ronniesefigeasurplace.—Commentça?— Il recommence à parler de toi. Et pas en bien... À ta place, j'éviterais de
traîneravecmoi.AvantqueRonniepuisseréagir,Blazes'enallaitdéjà.—Hé,Blaze!Blazesetournalentement.—Sijamaist'asfaimoubesoind'unendroitoùdormir,tusaisoùj'habite.L'espaced'uninstant,Ronniecrutvoirunelueurdegratitudedanssonregard,
une brève étincelle qui lui rappela la fillemarrante, pleine de vie, qu'elle avaitrencontréeenjuin.— Encore un truc, ajouta Ronnie. Ce numéro avec le feu que tu fais avec
Marcus,c'estdudélire...Blazeluiadressaunsouriretriste.—Tucroisfranchementquec'estplusdélirantquelereste,danscequejevis
encemoment?Lelendemain,dansl'après-midi,Ronniesetenaitdeboutdevantsonplacard,se
disantqu'ellen'avaitabsolumentrienàsemettre.Sielleallaitaumariage—etellehésitaitencore—,aucunedesestenuesneressemblerait,mêmevaguement,àcequ'onportaitpourcegenred'occasion...àmoinsquecesoitencompagnied'OzzyOsbourneettoutesabande!Enl'occurrence,ils'agissaitdenocesclassiques:smokingsetrobeslonguesde
rigueurpour les invités.Ronnien'aurait jamais imaginése rendreàcegenredecérémonie quand elle préparait ses affaires à New York. Du reste, elle n'avaitmêmepasapportélapaired'escarpinsnoirsquesamèreluiavaitoffertsauNoëldernier...ceuxquiétaientencoredansleurboîte.Franchement,ellenecomprenaitpaspourquoiWill tenait tantàsaprésence.
Même si elle dénichait une tenue présentable, avec qui allait-elle bien pouvoirdiscuter ?CommeWill faisaitpartiede la famillede lamariée, il participerait àtouteslesphotosdegroupe,pendantqu'elledevraitsecoltinerlaréception...Etiloccuperaitlatabled'honneur,forcément!Sibienquetousdeuxneseraientmêmepas ensemble pendant le repas. Elle allait sans doute se retrouver attablée encompagnie du gouverneur, d'un sénateur ou d'un parent éloigné venu en jetprivé...Bonjourl'ambiance!SanscompterqueSusanladétestait.Bref,toutecettehistoired'invitationétaitunemauvaiseidée.Trèsmauvaise.HorribleQuandaurait-ellel'occasiond'êtreréinvitéeàunmariagepareil?Depuisdeux
semaines,lapropriétédesBlakeleesubissaitd'énormestransformations...Onavaitagrandilaterrasse,enajoutantuneplate-formeamoviblesurlapiscine,dressédestentes dans le parc, planté des dizaines demilliers de fleurs, et non seulementlouédesprojecteursàl'undesstudiosdecinémadeWilmington,maiscarrémentfait venir une équipe qui avait répété le déroulement de la réception avec desdoublures.Larestauration—ducaviarauchampagne,enpassantparlesamuse-
gueulesetlesdifférentsplats—seraitassuréepartroistraiteursdeWilmington,letout supervisé par un chef de Boston que connaissait Susan, et qui aurait étépressentipourdiriger lescuisinesde laMaison-Blanche!Bref,c'était lemariagedusiècle...Sansaucunrapportavecceluiqu'ellepourraitenvisagerplustardpourelle-même—unepetitefêteauborddelamer,quelquepartauMexique,avecunedizained'invités—,maisRonnieseditqueçafaisaitsansdoutepartiedel'attraitde ce genre d'événement. Elle ne le revivrait pas une seconde fois dans sonexistence.Encore faudrait-il qu'elle puisse se dégoter une tenue potable ! À quoi bon
farfouillerdanssonplacard,detoutefaçon?Ellen'allaitpastransformerundesesjeansen robed'uncoupdebaguettemagique?Etcen'estpasen relevantsescheveux en chignon qu'elle passerait inaperçue avec un de ses tee-shirts deconcert.Laseuletenueàpeuprèscorrecte,quin'auraitpashorrifiéSusan,étaitcelle qu'elle portait pour l'aquarium... et qui la faisait ressembler à unœuf dePâques!—Qu'est-cequetufais?Deboutàl'entréedelachambre,Jonahl'observait.—Fautquejemetrouveunetenue,répondit-elled'unairabattu.—Tusors?—Non,jeparledumariage...Sonfrèrepenchalatête,intrigué.—Tuvastemarier?—Biensûrquenon.C'estlasœurdeWillquisemarie.—Elles'appellecomment?—Megan.—Sympa?—Aucuneidée,ditRonnieensecouantlatête.Jenel'aijamaisrencontrée.—Alors,pourquoituvasàsonmariage?—ParceWillm'ademandéd'yaller,figure-toi.Çasepassecommeça,expliqua-
t-elle.Ilpeutinviterquelqu'un...etl'invitée,c'estmoi.—Ah,d'accord...Etqu'est-cequetuvastemettre?—Benrien...J'airiendepotable.IldésignalatenuedeRonnie.—Cequetuporteslà,c'estcool.Tuparles...UnœufdePâquesambulant!—Jepeuxpasportercetruc,dit-elleentripotantsontee-shirt.C'estunmariage
engrandepompe.Jesuiscenséeyallerenrobe.—T'enaspas?—Non.—Alors,pourquoiturestesplantéelàdevanttesfringues?Cegosseestd'unelogiqueimparable...Ellefermalaporteduplacard,puiss'affalasursonlit.—T'asraison,dit-elle.Jepeuxpasyaller.C'esttoutbête.—T'enasenvieoupas?demandaJonahaveccuriosité.Enunclind'œil,elle
eutenviederépondre«Pasdutout»,puis«Unpeu,quandmême»etenfin«
Ouais,c'estsûr!».Ronnieseredressa,puiss'assitenrepliantsesjambessouselle.— Will tient à ce que j'y aille. C'est important pour lui. Et puis ça va être
grandiose!—Alors,pourquoitut'achètespasunerobe?—Parcequej'aipasd'argent.—Oh...çapeuts'arranger,alors.Il se dirigea vers sa collection de jouets dans un coin de la chambre, puis
s'emparad'unavionminiature. Ildévissaensuite lenezde lamaquetteetversason contenu sur le lit, tandis que Ronnie restait bouche bée à la vue de toutl'argentstockédanscettetirelireinattendue.Ildevaityavoirplusieurscentainesdedollars.—C'estmabanquedéclara-t-il.Çafaitunboutdetempsquej'épargne...—Maisoùt'aseutoutcefric?Jonahdésignaunbilletdedix:—Celui-ci,c'estpourpasdireàpapaquejet'avaisvuelesoirdelafêteforaine.Ilmontraunbilletd'undollar:—Celui-là,c'estpourpasluirépéterquevousvouspelotiezavecWill.Ilcontinuaenpointanttouràtourl'indexsurdifférentsbillets:—Ça,c'estpourlegarsauxcheveuxbleusquetufréquentais...Ça,c'estmes
gainsaupokermenteur.Ça,c'estquandt'asfiléendouceaprèsminuit...—O.K.,j'aipigé,l'interrompit-elle.Maisj'enrevienspasquandmême...T'asmis
toutçadecôté?dit-elleenbattantdespaupières.—Qu'est-cequetuvoulaisquej'enfasse?Lesparentsm'achètenttoutceque
jeveux.Suffitqueje lessupplieassezlongtemps.C'estassezfaciled'obteniruntruc qui me fait envie. Mais faut d'abord savoir comment ça marche... Avecmaman, jedoispleurnicher.Maisavecpapa, fautque je luiexpliquepourquoi jemériteletrucqu'ilvam'offrir.Ellesourit,visiblementépoustouflée.Monfrangin,lemaître-chanteurpsychologue...Incroyable!—Alors, j'aipasvraimentbesoinde toutça.Etpuis, j'aimebienWill. Je suis
contentquandjelevois.Ouais,moiaussi...—T'esunpetitfrèreadorable,tusais?—Ouais,jesais.Ettupeuxtoutprendre...àuneseulecondition.C'étaittropbeau...—Laquelle?—Pasquestiondefairelesboutiquesavectoi.Çamesoûle.Ronnien'yréfléchitpasàdeuxfoisavantderépondre.—Aucunproblème!Ronnie contemplait son reflet et avait peine à se reconnaître dans lemiroir.
C'était l'après-midi dumariage, et elle venait de passer quatre jours à essayerquasimenttouteslesrobesdecérémoniedesmagasinsdelaville,enfaisant lescentpasdansd'innombrablespairesdechaussures,sansoubliersalongueséancechezlecoiffeur.Elleavaitmisprèsd'uneheureàarrangeretàséchersescheveuxcommela
filledusalonleluiavaitappris,avantdeluiglisseraupassagequelquesconseilsdemaquillage...queRonniesuivitàlalettre.Quantàlarobe—malgrétouteslesboutiques écumées, le choix n'était pas immense —, elle avait opté pour unmodèle noir à paillettes et au décolleté plongeant en V... le genre de toilettequ'elle n'aurait jamais imaginé porter. La veille au soir, Ronnie avait limé sesongles avant de les laquer enprenant son temps, ravie denepas avoirmis duvernispartout.«Jeneteconnaispas»,dit-elleàsonreflet,ensetournantd'uncôté,puisde
l'autre.«Jenet'aijamaisvue».Ellerajustalégèrementsarobeetdutadmettrequ'elleluiallaitcommeungant.Ellesourit,ravied'avoirtrouvélatenueidéale.Ronnieenfilaensuiteseschaussuresettraversalecouloirmenantausalon.Son
père lisaitànouveaulaBibleet Jonah,commed'habitude,regardaitdesdessinsanimésàlatélé.Quandtousdeuxlevèrentlenez,ilsdurentyregarderàdeuxfoisavantd'êtrecertainsquec'étaitbienelle.—Benmerde,alors!lâchasonfrère.Sonpèreluifitlesgrosyeux:—Tunedevraispasdirecemot.—Quelmot?—Tulesaistrèsbien.— Désolé, p'pa. Je voulais dire... euh... mer... credi ! Ronnie et son père
éclatèrentderire,tandisqueJonahs'approchaitd'ellepourlaregarderendétail.—Qu'est-cequiestarrivéàtamècheviolette?s'enquit-il.Elleadisparu.—C'estprovisoire,réponditRonnieenagitantsesboucles.Sinon,dequoi j'ai
l'air?Avantqueleurpèrepuisserépondre,Jonahremitsongraindesel:—T'asl'airnormal,commeavant.Maisturessemblesplusdutoutàmasoeur.—Tuessuperbe,s'empressad'ajoutersonpère.Malgréelle,Ronniepoussaun
soupirdesoulagement.—Larobe,çava?—Parfaite,réponditsonpère.—Etmeschaussures?J'aiquandmêmeundoute...—Impeccables.—J'aiessayédememaquiller,j'aimisduvernisàongleset...Avantmêmequ'ellefinisse,sonpèrelarassura:—Tun'asjamaisétéaussijolie.Enfait,jemedemandes'ilexisteunefilleplus
jolieaumonde.Ill'avaitdéjàditdescentainesdefois...—P'pa...—Illepensevraiment!intervintJonah.Sansmentir,t'asunlookd'enfer.Jete
reconnaisàpeine.Ellefronçalessourcilsenprenantunairfaussementindigné.—Alors,çaveutdirequet'aimespasmonlookhabituel?—Fautêtredébilepouraimerlescheveuxviolets...Commeelleéclataitderire,
ellesurpritsonpèrequiluisouriaitd'unairémerveillé.Unedemi-heureplustard,lecoeurbattant,Ronniefranchissaitlesgrillesdela
résidenceBlakelee.Ilsvenaientdefranchirlecordondepoliciersstationnéslelongde la route pour contrôler l'identité des invités, et à présent des hommes encostumesstrictss'approchaientd'euxpourgarerleurvéhicule.Sonpèretentadeleurexpliqueraveccalmequ'ilnefaisaitqueladéposer...Maiscommentexpliquerà ces trois voituriers qu'une invitée ne possédait pas son propre moyen delocomotion?Quant aux transformations opérées dans la propriété... Ronnie devait bien
avouer que l'endroit était aussi spectaculaire qu'un décor de cinéma. Fleurs àprofusion,haiestailléesàlaperfection,etonavaitmêmerepeintlemurdebriqueetdestucquientouraitlapropriété.Lorsqu'ilspurentenfin sedirigervers l'alléecirculaire, sonpère restabouche
bée devant la demeure, laquelle grossissait à vue d'oeil à mesure qu'ils s'enapprochaient.Ronnien'avaitpasl'habitudedelevoirébahi,maisnuldoutequ'elleperçutlastupéfactiondanssavoix.—C'estlamaisondeWill?dit-ilenl'observantàladérobée.—Exact.Elle imaginaitdéjà la suite : «Cettemaisonestgigantesque... »Oubien : «
J'ignoraisquesafamilleétaitaussiriche...»Ouencore:«Tuessûredetesentiràtaplacedanscegenred'endroit?»Maissonpèreluisouritsimplementenremarquant:—Quelendroitfabuleuxpourunmariage...Ilconduisaitendouceuret,heureusement,n'attiraitpastropl'attentionsurleur
vieilleguimbarde,quiappartenaitenfaitaupasteurHarris.UneToyotadustyle«caisseàsavon»,déjàdémodéeàsasortied'usinedanslesannéesquatre-vingt-dix...Maisaprèstout,elleroulaitetc'étaitleprincipal.Ronnieavaitdéjàmalauxpieds...etsedemandaitcommentcertainesfemmes
pouvaient porter des escarpins à longueur de journée. Ils lui faisaient l'effetd'instruments de torture, même assise. Elle aurait dû s'entourer les orteils desparadrap.Sa robeellenonplusn'étaitvisiblementpasconçuepour lapositionassise...ellecomprimaitsapoitrineetl'étouffaitpresque.Maisbon...Ronnieétaitsansdoutetropnerveuse.Sonpèresefaufiladansl'alléecirculaire,lesyeuxrivéssurlamaison,comme
ellelorsdesapremièrevisite.Elleauraitdûs'yhabitueràprésent,maislabâtissel'impressionnaittoujoursautant.Ajoutezàcelalesinvités—ellen'avaitjamaisvuautantdesmokingsetderobesdecérémonie—,etRonniesesentaitdéjàdécalée.Cen'étaitdécidémentpassonmonde.Unpeuplusloin,unhommeencostumesombrefaisaitsigneauxchauffeurs,et
Ronnien'eutpasletempsdesoufflerquevintsontourdedescendredevoiture.Comme l'individuouvrait la portièreet lui tendait lamainpour l'aider àmettrepiedàterre,sonpèreluitapotaaffectueusementlegenou.—Toutvabiensepasser,luidit-ilensouriant.Etn'oubliepasquejesuisfierde
toi.—Merci,p'pa.Elle jeta un dernier coup d'oeil dans le miroir de courtoisie, puis sortit du
véhicule. Elle ajusta sa robe, remarquant qu'elle respirait plus facilement
maintenantqu'elleétaitdebout.Deslisetdestulipesornaientlabalustradedelavéranda,etquandellegravit lesmarchespourgagner laported'entrée,celle-cis'ouvritcommeparenchantement.Danssonsmoking,Willneressemblaitplusauvolleyeurtorsenuqu'elleavait
rencontrélepremiersoir,etencoremoinsaujeuneSudisteinsouciantquil'avaitemmenée à la pêche... Ronnie eut l'impression d'entrevoir l'homme élégant etprospèrequ'ilseraitdansquelquesannées.Enunsens,ellenes'attendaitpasàledécouvrir aussi... raffiné,et allaitmême le taquiner sur son look « tiré à quatreépingles»quandelleserenditcomptequ'ilneluiavaitpasencoreditbonjour.Pendantunlongmoment, ilrestaplantédevantelleàlacontempler.Pendant
cetinterminablesilence,Ronniesentitletraclagagnerdeplusenplus...aupointdesedemandersielleavaitcommisunefautedegoût.Peut-êtrearrivait-elletroptôt?Àmoinsquesarobenesoittropclinquante?Ouqu'elleaitunpeuforcésurlemaquillage?Nesachant tropquoipenser,elles'imaginaitdéjà lepirequandWillluisouritenfin.—Tues...incroyable,déclara-t-il,admiratif.Etcesquelquesmotssuffirentàladétendre.Enfin...unpeu.Tantqu'ellen'avait
pasvuSusan,Ronnien'étaitpastiréed'affaireToutefois,elleseréjouissaitqueWillappréciesatenue.—J'enaifaitunpeutrop,non?demanda-t-elle.Wills'avançaverselleetlaprit
parlataille.—Certainementpas.—Oualorspasassez,c'estça?—Justecequ'ilfaut,murmura-t-il.Elletenditlesmainspourrajustersonnoeudpapillon,puislesglissaautourde
soncouendisant:—Jedoisreconnaîtrequetun'espasmalnonplus.Ce ne fut pas si horrible qu'elle aurait pu le penser. En fait, la plupart des
photos de famille étaient déjà prises, si bien queWill et elle purent passer dutempsensembleavant la cérémonie. Ils sepromenèrent surtoutdans leparcetRonnierestaébahiedevanttouslesaménagements.Willneplaisantaitquandilluien avait parlé... L'arrière de la maison était totalement relooké, la plate-formerecouvrant la piscine pour agrandir la terrasse ressemblait à tout sauf à duprovisoire. Des dizaines de chaises y étaient disposées en éventail, face à untreillageblancoùMeganetsonfiancéallaientéchangerleursvoeux.Onavaitcrééde nouvelles allées dans le jardin, afin d'accéder facilement aux nombreusestables où les convives déjeuneraient, sous une immense marquise immaculée.Ronnie admira les cinq ou six sculptures deglace, finement ouvragées et assezgrandespourconserver leur formependantdesheures,maisce furent les fleursqui éveillèrent le plus son intérêt, un véritable océan de lis et de tulipesmulticoloresjonchantlesol.L'assistance correspondait plus ou moins à celle que Ronnie s'attendait à
trouver.HormisWill,lesseulsinvitésqu'elleconnaissaitvaguementétaientScott,Ashley et Cassie, et aucun des trois ne parut franchement ravi de la voir. Maisquelleimportance?Quandchacuneutprissaplace,toutlemonde,saufpeut-être
Will,attendait l'apparition imminentedeMegan. Ilavait l'airheureuxdepouvoiradmirerRonniedepuisletreillageoùilsetrouvait.Commeelletenaitàsefaireremarquerlemoinspossible,ellechoisitunsiège
situéàtroisrangéesdufondetloindel'alléecentrale.Jusqu'ici...pasdeSusanenvue. Elle ne devait pas lâcher Megan d'une semelle, en priant pour qu'elle nerepèrepasRonnieavantlafindelacérémonie.De toute manière, Susan, comme à sa habitude, ne risquait pas de faire
attentionàellenonplus...maisceseraitpeuprobable,puisqueRonnieseraitdetempsentempsavecWill.—Excusez-moi...Enlevantlatête,Ronniedécouvritunhommed'uncertainâgeetsonépouse,
quitentaientdepasserdevantellepouratteindrelessiègesvidesdel'autrecôté.—Jevaismedéplacer,ceseraplussimple,proposa-t-elle.—Vraiment?—Aucunproblème,ditRonnieengagnantladernièrechaisevacanteaubout
delarangée.L'hommeluidisaitvaguementquelquechose.L'aurait-elleaperçuàl'aquarium
?Non,pasvraiment...Avantqu'ellepuisseyréfléchir,unquatuoràcordesattaqualacélèbreMarche
nuptiale.Ellesetournaverslamaison,àl'instardesautresinvités,etchacunretintson souffle quand Megan apparut sur la véranda. Tandis que la soeur de Willdescendait l'escalier pour rejoindre son père, Ronnie décida sur-le-champ queMeganétaitsansl'ombred'undoutelaplusépoustouflantejeunemariéequ'elleaitjamaisvue.Captivéepar cette apparition, elle remarquaàpeineque son voisin semblait
plusintéresséparelle-mêmequeparMegan.Lacérémoniesedistinguaparsonraffinement,maisaussi,étonnamment,par
son atmosphère intime. Le pasteur lut un extrait de la seconde épître auxCorinthiens, puis Megan et Daniel récitèrent les voeux qu'ils avaient rédigésensemble. Ils se promirent de ne jamais céder à l'impatience ou aumensonge,maisdetoujoursleurpréférerlaconstanceetlafranchise,etchacunàsamanièredéclara qu'un véritable engagement dans le couple résisterait à l'épreuve dutemps.En les regardant échanger leurs alliances, Ronnie apprécia qu'ils aient opté
pourunmariageenpleinair.C'étaitmoinsguindéqueceuxauxquelselleavaitassisté dans une église, sans pour autant bousculer la tradition, et le cadre serévélaitabsolumentparfait.Elle comprit aussi que Will disait vrai : Megan lui plairait. Dans les autres
mariages auxquels elle avait assisté, Ronnie sentait bien que la jeune mariéetenait à toutprixà suivre le scénarioà la lettre, etplusd'une foiselleavait vucelle-ci s'affoler si le moindre détail clochait. Megan, en revanche, paraissaitsincèrementprofiterdelacérémonie.Lorsqu'elleremontal'alléecentraleaubrasdesonpère,ellefitunclind'oeilàsesamisetpritmêmeletempsd'embrassersagrand-mère au passage. Quand le porteur des alliances — un bout de chouadorable dans son petit smoking— s'arrêta àmi-parcours pour grimper sur les
genouxdesamère,Megan,attendrie,éclataderireetdésamorçadumêmecouplalégèretension.Ensuite,Megansemblamoins intéresséepar lesautresphotos,oùelledevait
prendre la pose comme dans les magazines, que par ses amis avec qui ellesouhaitait bavarder. Aux yeux de Ronnie, soit Megan était incroyablement sûred'elle,soittotalementinconscientedel'attentionqueportaitsamèreaumoindredétail.Mêmeenl'observantàdistance,RonnieauraitjuréqueriennesedéroulaittoutàfaitcommeSusanl'avaitprogrammé.—Tumedoisunedanse,murmuraWill.Ellesetournaetletrouvaplusséduisantquejamais.— Je crois pas que ça faisait partie de notre accord, ironisa-t-elle. Tu m'as
simplementdemandédeveniraumariage.—Quoi?Tuveuxpasdanseravecmoi?—Iln'yapasdemusique.—Plustard,jeveuxdire...—Oh...ben,danscecas,jepourraispeut-êtreyréfléchir.Mais...tunedevrais
pasêtreentraindeposerpourlapostérité?—Jefaisçadepuisdesheures.J'aibesoindesoufflerunpeu.—Àforcedesourire,t'aspasmalauxzygomatiques?—Onvadireça,ouais.Aufait,jesuiscensét'annoncerquetuserasassiseàla
table16,encompagniedeScott,AshleyetCassie.Quellepoisse!—Super...Iléclataderire.—Ceserapassipénible,jet'assure.Ilsvontbiensetenir.Sinon,mamèreserait
capabledeleurarracherlatête!AutourdeRonniedes'esclaffer.—Tupeuxluidirequ'elleafaitunboulotd'enferenorganisanttoutça.C'est
magnifique.—Jeluidirai.Will continuait à la dévorer des yeux lorsqu'il entendit quelqu'un l'appeler.
Commeilssetournaienttouslesdeux,Ronniecrutdevinerdel'amusementdansleregarddeMegan,quiconstataitquesonfrèreleuravaitfaussécompagnie.—Fautque j'y retourne,dit-il.Mais je te retrouveraiaudîner.Etn'oubliepas
notredanse.Ilestd'unebeautérenversante...—Autantteprévenirquej'aidéjàmalauxpieds.Mainsurlecoeur,ilrépliqua:—Situboites,jememoqueraipasdetoi,promis!—C'esttoujoursbonàsavoir...Ilsepenchapourl'embrasser.—Jet'aidéjàditquetuétaissuperbe?Ellesourit,sedélectantencoredeladouceurdeseslèvres.—Pasdepuisunebonnevingtainedeminutes.Maistuferaismieuxdefiler.On
t'attendlà-bas,etj'aipasenviedem'attirerdesennuis.Il l'embrassa de nouveau, avant de rejoindre le reste de la famille. Elle se
retourna,envahieparuneboufféedebonheur... etdécouvritquesonvoisinâgé
l'observaittoujours.Audîner,Scott,CassieetAshleyne firentpasvraimentd'effortpour l'inclure
dansleurdiscussion,maisRonniedécouvritqu'elles'enmoquait.Ellen'étaitpasd'humeur à leur parler, et n'avait d'ailleurs pas grand faim. Si bien qu'aprèsquelquesbouchées,elles'excusaetgagnalavéranda.Decetendroit,ellejouissaitd'une vue panoramique sur les festivités, d'autant plus enchanteresses à latombéedelanuit.Souslalune,lamarquiseprenaitunenuanceargentée.Ronniepercevaitdesbribesdeconversation,mêléesàlamusiquequel'orchestrejouaitàprésent,etellesedemandacequ'elleauraitfaitcesoir-làsielleétaitrestéeàNewYork.Àmesurequel'étéavançait,elleappelaitKaylademoinsenmoinssouvent.MêmesiRonnie laconsidérait toujourscommeuneamie,elleserendaitcomptequesonpetituniversdeManhattanneluimanquaitpas.Celafaisaitdessemainesque l'envie d'aller enboîte ne la démangeait pas, et quandKayla lui parlait duderniermecgénialqu'ellevenaitderencontrer,lespenséesdeRonnies'envolaientversWill.QuelquesoitlederniergarsendatequifaisaitcraquerKayla,iln'avaitabsolumentrienàvoiravecWill.Ellen'enparlaitpasbeaucoupàKayla.Celle-cisavaitqu'ilscontinuaientàsortir
ensemble,maischaquefoisqueRonniedécrivaitleursactivités—qu'ils'agissedepartiesdepêche,defairelesfousenpick-updanslaboueoudepromenadessurlaplage—,ellesentaitbienqueKaylan'étaitpassurlamêmelongueurd'onde.Àl'évidence, Kayla ne pouvait concevoir queRonnie soit simplement heureuse encompagniedeWill... à telpointqueRonnies'interrogeait sur les futurs rapportsavecsonamie,àson retouràNewYork.Ellesavaitqu'ellen'étaitplus lamêmeaprèstoutescessemainespasséesici,alorsqueKaylan'avaitmanifestementpaschangé d'un iota. À vrai dire, Ronnie se rendait compte que sortir en boîte nel'intéressaitplus.Aveclerecul,ellesedemandaitmêmequelintérêtelleavaitpuytrouver...Lamusiquebraillait,onnes'entendaitpasparler,etellen'ycroisaitquedes tas de gens dévorés par l'ambition. Et si c'était si génial, pourquoi tout lemondebuvaitous'adonnaitàladroguedansl'espoird'enrichirsonexpérience?Bref,toutçanerimaitàrien,etcommeelleentendaitauloinlebruitdel'océan,Ronniecompritsoudainquecettevie-làn'avaitjamaiseuaucunsensàsesyeux.Désormais,ellesouhaitaitaussiunemeilleurerelationavecsamère.Aprèstout,
sonpèreluiavaitmontréquelesparentspouvaientêtrecool.Biensûr,Ronnienesevoilaitpaslafaceetsavaitquesamèreneluifaisaitpasautantconfiancequeson père, mais l'une comme l'autre partageaient la responsabilité des tensionsdans leursrapports.Peut-êtrequ'enessayantdeparleràsamèrecommeelle lefaisaitavecsonpère,lasituationpourraits'améliorerentreelles.Incroyablecequ'onpeutchanger,dèsqu'onestcontraintd'adopterunautre
rythmedevie.—Çanevapasdurer,tusais...Perdue dans ses réflexions, Ronnie n'avait pas entendu Ashley s'approcher,
maisellereconnutsavoix.—Pardon?dit-elle,ensetournantverslablonded'unairméfiant.—Euh... jesuisraviequeWillt'ait invitéeaumariage...Maisprofites-enbien,
parcequeçavapasdurer.Ils'envadanspeudetemps.Tuyasdéjàréfléchi?
Ronnielaregardadehautenbas.—Jevoispasenquoiçateconcerne.—Mêmesiluiettoiavezprévudevousrevoir,tucroissincèrementquelamère
deWill va t'accepter un jour ? poursuivit Ashley.Megan a été fiancée deux foisavantdesemarier,etsamèreafaitfuirlesdeuxprétendants.Elleferapareilavectoi,quetuleveuillesounon.Detoutemanière,tuvast'enalleret luiaussi...etvotrerelationnevapasdurer.Ronnie se crispa. Elle en voulait à Ashley de dire tout haut ce qu'elle-même
pensaittoutbas,danssesmomentsd'inquiétudelesplussombres.Toutefois,ellenesupportaitpluscettefille,quicommençaitsérieusementàlafatiguer—Maintenant,écoute-moibien,Ashleyreprit-elleens'avançantverselle.Ouvre
tesoreillesengrand,carj'aipasl'intentionderépéter.Ronnie fitunautrepasenavant, jusqu'àcequ'ellesse retrouventquasiment
nezànez,puisajouta:—J'enaimarred'entendretesconneries,alorssijamaistut'amusesencoreà
m'adresser la parole, je te colle mon poing dans la gueule et tes jolies dentsblanchiesvontvolerenéclats!Pigé?L'expression de Ronnie dut se révéler assez convaincante, car Ashley tourna
aussitôtlestalonssanspipermotetbattitenretraiteverslamarquise.Unpeuplustard,surl'embarcadère,Ronnien'étaitpasmécontented'avoirfini
par clouer le bec à Ashley, mais les paroles pleines de rancune de la blondecontinuaientàlatracasser.Wills'eniraitdansdeuxsemainesàVanderbilt,etelle-même regagnerait New York la semaine suivante. Ronnie ignorait ce qu'iladviendraitd'eux,saufquelasituationallaitforcémentchanger.Le contraire serait étonnant, non ? Leur relation se nourrissait du simple fait
qu'ilssevoyaientchaquejour,etRonnieavaitbeauessayer...elleneparvenaitpasàs'imaginercequeçadonneraitlorsqu'ilscommuniqueraientpartéléphone,SMSoue-mail.Ellesavaitqu'ilexistaitd'autrespossibilités,commeutiliserlawebcamdesonordinateur,parexemple,maisàquoibonnierl'évidence?Çan'auraitrienàvoiraveccequ'ilsvivaientencemoment,cequisignifiait...quoi?Derrière elle, la réception battait son plein. On avait retiré les sièges de la
terrasse provisoire pour la transformer en piste de danse, et depuis le pontonRonnie avait souri en voyant Will danser avec la gamine qui accompagnait lesdemoiselles d'honneur, puis avec sa soeur. Quelques minutes après saconfrontationavecAshley,elleavaitregardéMeganetDanielcouperlegâteau.Lamusique repritetTomrouvrit lebalavecMegan.Puis, lorsquecelle-ci lançasonbouquet, la jeune femme qui l'attrapa poussa un tel cri de joie quemême lesvoisinséloignésdurentl'entendre.—Tevoilàenfin!s'écriaWillenl'arrachantàsarêverie.Jetecherchaispartout.
C'estl'heuredenotredanse.Ronnie le regarda s'approcher dans l'allée, et tenta de s'imaginer ce que
penseraient lesétudiantesqu'il rencontreraità la facsiellessetrouvaientencemomentàsaplace.Sansdoutelamêmechosequ'elle.Waouh!Quelcanon!Il sauta les dernièresmarches pour la rejoindre, tandis qu'elle détournait les
yeux. Contempler le clapotis de l'eau lui semblait plus facile que d'affronter le
regarddeWill.Illaconnaissaitassezàprésentpourdevinerqu'untruclatracassait.—Qu'est-cequivapas?Commeellenerépondaitpas,ilramenadoucementsesmèchesdecheveuxen
arrière.—Parle-moi...Ellefermabrièvementlesyeux,avantdeluifaireface.—Toutçavanousmeneroù?Toietmoi...Willfronçalessourcilsd'unairinquiet.—Jevoispasvraimentoùtuveuxenvenir.Elleluiadressaunsouriremélancolique.—Biensûrquesi...Etsitôtqu'iléloignasamaindescheveuxdeRonnie,ellesutqu'ilavaitcompris.—D'icideuxsemaines,toutvachanger,ajouta-t-elle.—Çaveutpasdirequetoutseraterminé...—Àt'entendre,çaal'airsimple.—C'est pas compliquéd'aller deNashville àNewYork.Ça représentequoi ?
Deuxheuresd'avion?C'estpascommesijedevaisterejoindreàpied.— Et tu viendras me voir, alors ? s'enquit Ronnie, sans pouvoir réprimer le
tremblementdanssavoix.—C'estprévu.Etj'espèrequetuviendrasaussiàNashville.Onpourraallerau
GrandOleOpryMalgrél'angoissequilarongeait,elleéclataderire.Willlapritdanssesbras.—J'ignorepourquoitumetsçabrusquementsurletapis,maistutetrompes.
Bon... jesaisqueçaneserapluspareilpournousdeux,mais ilyaurapeut-êtrecertainsavantagesaussi.MasoeurvitàNewYork,tutesouviens?Etpuis,onn'apascourstoutel'annéeencontinu.Ilyalesvacances,àl'automne,auprintemps,àNoël,etbiensûrtoutl'été.Commejetedisais,ceserafaciledeserejoindreenavion,mêmepourunweek-end.RonniesedemandacequelesparentsdeWillenpenseraient,maispréférane
riendire.—M'enfin,c'estquoileproblème?Tuveuxmêmepasessayer?—Biensûrquesi,dit-elle.—Onvasedébrouillerpourqueçamarche,O.K.?Jeveuxêtreauprèsdetoile
pluspossible,Ronnie.T'esunefilleintelligente,drôle,etfranche.J'aiconfianceentoi...ennous.Bon,c'estvraiquejevaispartiràlafacetquetuvasrentrercheztoi.Maismessentimentsnevontpaschangerparcequejem'envaisàVanderbilt.Jen'aijamaisaiméquelqu'unaussifortquetoi.Elle savait qu'il était sincère, mais au fond d'elle-même une petite voix la
tarabustait...Combiend'idyllesdevacancesrésistentàl'épreuvedutemps?Pasbeaucoup,mais ça n'a rien à voir avec les sentiments. Les gens changent... lescentres d'intérêt aussi. Il suffisait à Ronnie de se regarder dans le miroir pourl'admettre.Pourtant,ellenesupportaitpasl'idéedeperdreWill.C'étaitluiqu'elleaimait,
qu'elle aimerait toujours, et lorsqu'il se pencha pour l'embrasser, elle lui offrit
volontiers ses lèvres. Tandis qu'il la serrait dans ses bras, elle lui caressa lesépaules, ledos, sentit toutesavigueur.Elle savaitqu'il avait souhaitéallerplusloindansleurrelation,maisjusque-làellen'étaitpasprêteàluioffrirdavantage...Mais à présent, Ronnie réalisa soudain que lemoment était venu... unmomentprivilégié,quin'appartiendraitqu'àeuxseuls.QuandWillrepritlaparole,savoixsefitàlafoispressanteethésitante.—Tuveuxveniravecmoi...danslebateaudemonpère?Elle se sentait frémir, ne sachant plus si elle voulait poursuivre... tout en
éprouvantleformidabledésird'allerplusloin.—Oui,murmura-t-elle.Willsaisitsamain,etelleeutl'impressionqu'ilétaitaussinerveuxqu'elleenla
guidantversl'embarcation.Ellesavaitqu'ellepouvaitencorechangerd'avis,maisrefusait de faire machine arrière. À ses yeux, sa première fois devait avoir unvéritable sens et se dérouler en compagnie d'un garçon auquel elle tenaitbeaucoup.Commeilsapprochaientdubateau,elleserenditàpeinecomptequel'airs'étaitrafraîchietaperçutducoindel'oeillesinvitéssurlapistededanse.Unpeu à l'écart, elle vit Susan discuter avec le monsieur d'un certain âge qui necessaitde la regarderpendant lacérémonie...Denouveau,Ronnieseditque levisagedecethommeneluiétaitpasinconnu.—Quelbeauparleur...Dommagequejen'aiepasput'enregistrer,ditsoudain
quelqu'undanslenoir.Willtressaillit.Lavoixvenaitdel'autrecôtéduponton.Mêmes'ilrestaitcaché
dans la pénombre, Ronnie le reconnut tout de suite. Blaze l'avait prévenue...Marcussurgitdederrièreunpoteauetallumaunedesespelotesdefeu.— Sans déconner, le gosse de riche, tu l'as carrément enflammée, dit-il en
souriantàbellesdents.Enfin,presque...—Fouslecampd'ici!s'écriaWillens'avançantverslui.Marcusfittournerla
bouledefeuentresesdoigts.—Sinon,quoi?Tuvasappelerlesflics?Tuseraispasfouàcepoint-là,quand
même...Will se crispa. À l'évidence, Marcus avait touché un point sensible,même si
Ronnieignoraitpourquoi.—C'estunepropriétéprivée,repritWilld'unevoixmalassurée.—J'aimebiencecoin,pastoi?Parici,toutlemondeestpote,genrecountry-
club... Les gens ont construit cette belle allée le long de la berge, pour passerd'unemaisonàl'autre.J'adorevenirparici,tusais?Histoiredeprofiterdelavue...—C'estlemariagedemasoeur,ditWill,excédé.—Jel'aitoujourstrouvéed'enfer.Unjour,jel'aimêmeinvitéeàboireunpot.
Maiscettesalopem'aenvoyébalader.T'imagines?Willn'eutpasletempsderéagirqueMarcusajoutait,endésignantlesinvités:—J'aiaperçuScott,toutàl'heure,quisetrimballaitcommes'ilavaitrienàse
reprocher.Yadequoiseposerdesquestionssursaconscience,hein?Maisbon...latiennen'estpastrèscleannonplus,pasvrai?Jepariequet'asmêmepasditàtachèremômanquetapetitepouffeiciprésenterisquaitd'allerentaule.LecorpsdeWillétaittenducommeunarc.
—Maisjesuissûrquelejugevalaremettredansledroitchemin,non?Lejuge...Toutàcoup,Ronniecompritpourquoil'hommeâgéluisemblaitsifamilier...Età
présent,lejugeparlaitàSusan!CetteprisedeconscienceseproduisitaumomentmêmeoùWill lui lâchait la
mainpourse jetersurMarcus, lequel lui lançalabouledefeu,puiss'éloignadel'embarcadèrepourbondirdansl'allée.Ilremontatantbienquemalverslejardin,pour s'approcher de la marquise. Mais Will le rattrapa facilement... et quandMarcuslançaunregardpardessussonépaule,Ronnievitdanssesyeuxqu'ilavaitréussisoncoup.Elle eut à peine une demi-seconde pour s'interroger sur ses intentions, que
Marcusplongeaitdéjàverslescordes,àl'angledelatente...Ronnieseruaverseuxenhurlant:—Non,Will!Arrête!Troptard.Wills'écrasasurMarcus,ettousdeuxs'entortillèrentdanslescordes,alorsque
les piquets s'arrachaient de la pelouse. Elle regarda, horrifiée, un coin de lamarquises'effondrerpeuàpeu.Descrisfusèrentçàetlà,etRonnieentenditunénormefracastandisquel'une
des sculptures de glace basculait, semant la panique parmi les convives quis'éparpillèrent,puisserassemblèrentàl'extérieur.Lesdeuxgarçonssebattaienttoujours,jusqu'àcequeMarcusparvîntàs'extirper...et,plutôtquedecontinueràlutter,ils'enfuitàtoutesjambesetdisparutderrièrelavillavoisine.Dans le tumulte qui suivit, Ronnie se demanda malgré elle si quiconque se
souviendraitmêmed'avoiraperçuMarcus.Elle,enrevanche,toutlemondeserappelaitl'avoirvue!Assisedanslebureau,
Ronniesesentaitdanslapeaud'unecollégienneconvoquéechezleprincipal.Ellenesouhaitaitqu'unechose,quittercettemaisonauplusviteetseglisserdanssonlit.EnentendantSusanvociférerdanslapièceadjacente,elleneputs'empêcher
deserepasserlefilmdelamarquisequis'effondrait.—Elleagâchélemariagedetasoeur!—C'estfaux!hurlaitWill.Jet'airacontécequis'estpassé!—Tuespèresmefairecroirequejenesaisquelinconnuseseraitintroduiten
cachettedanslaréception,etquetuauraistentédel'arrêter?—C'estexactementcequis'estproduit!Pourquoi Will ne citait pas le nom de Marcus, Ronnie l'ignorait... mais pas
question pour elle de mettre son grain de sel ! D'une seconde à l'autre, elles'attendaitàentendreunechaisepasserparlafenêtreetcelle-civolerenéclats.Oubienàvoirlamèreetlefilsdéboulerdanslebureau,afinqueSusanpuisses'enprendreàelle.—Will, jet'enprie...mêmeensupposantquetonhistoiresoitvraie,parquel
miracles'est-ilretrouvélà?Chacunsaitqu'onn'apaslésinésurlasécurité!Touslesmagistratsdelavilleétaientprésentsaumariage.Leshérifsurveillait l'accèsà lapropriété,
pourl'amourduciel!Cettefilleestforcémentdemècheaveccetintrus!Nemeracontepasd'histoires...Jevoisàtatêtequej'airaison...Et,d'ailleurs,qu'allais-tufaireavecelleàborddubateaudetonpère?Susanavaitdit«cettefille»avecl'airécoeurédecellequivientdemarcherpar
mégardedansdesdétritus.—Maman...—Tais-toi!N'essayemêmepasdetrouverdesexcuses!Ils'agitdumariagede
Megan!Enfin,Will,tuneterendspascompte?Sonmariage!Tun'ignorespascombienc'étaitimportantpournoustous.Etcequetonpèreetmoiavonsfaitafinquetoutsoitprêtdanslestemps!—Jen'aipassouhaitécegenred'incident...— Peu importe, Will..., dit Susan dans un soupir explosif. Tu savais ce qui
risquaitd'arriverenl'amenantici.Tusaisqu'ellen'estpasdenotremonde...—Tuneluiasmêmepasdonnésachance...—LejugeChambersl'areconnue!Ilm'aconfiéqu'elleallaitcomparaîtreà la
findumoispourvolàl'étalage.Alors,soittul'ignoraisetellet'amenti,soittulesavaisettum'asmenti.Silence...Malgré elle, Ronnie tendit l'oreille pour écouter la réaction deWill. Lorsqu'il
repritlaparole,savoixétaitcommeétouffée.—Jenet'airiendit,carjemedoutaisquetunecomprendraispas.—Will,monchéri...Tunesaisisdoncpasqu'elleneteconvientpas?Tuastout
l'avenirdevanttoi,etladernièrechosedonttuaiesbesoin,c'estd'unepersonnecommeelle.J'attendaisquetupuissest'enrendrecomptepartoi-même,maistuesmanifestementtropimpliquédanscetterelationpourvoircequicrèvelesyeux.Ellen'estpasassezbienpourtoi.Elleestcommune,sanslamoindredistinction!Tandisqueladisputereprenaitdeplusbelle,Ronniesentitlanauséelagagner
et eut toutes les peines du monde à ne pas vomir. Susan se trompait sur denombreuxpoints,saufunseul :Ronnieétait laraisonde lavenuedeMarcus.Siseulementelleavaitécoutésonintuitionenrestantchezelle!Ronnien'étaitpasàsaplaceici.—Toutvabien?s'enquitTom,quisetenaitdansl'entrée,sesclésdevoitureà
lamain.—Jesuisinfinimentdésolée,monsieurBlakelee,bredouilla-t-elle.Jen'aijamais
voulucauserlemoindreproblème.—Jesaisbien...Malgrésa réactionplutôtbienveillante, ilétait forcémentcontrarié.Comment
nepasl'être?Bienquepersonnenesoitgravementblessé,deuxinvitésrenversésdans lacohueavaientété transportésà l'hôpital.TommaîtrisaitsesémotionsetRonnieluienétaitreconnaissante.S'ilavaitàpeineélevélavoix,elleauraitfonduenlarmes.—Tuveuxquejeteraccompagne?C'estunpeulapanique,là-dehors.Tonpère
auraitpeut-êtredesproblèmespouraccéderàlapropriété.Ronniehochalatête.—Oui,s'ilvousplaît.
Elleselevaetrajustasarobe,espérantrentrerchezellesansencombre.—VousvoudrezbiensaluerWilldemapart?Etaussiluidirequejenelereverraiplus.—Pasdeproblème.Jem'enchargerai...Surletrajetduretour,quiluiparutlepluslongdesavie,elleneversapasune
larme, ne dit pas un seul mot. Tom non plus, encore que ça n'avait rien desurprenant.Lamaisonétait tranquilleàsonarrivée, les lumièreséteintes,et Jonahetson
pèredormaientàpoingsfermés.Depuislecouloir,elleentendit larespirationdesonpère,profondeetpesante,commes'ilétaitexténué.Enseglissantentre lesdraps,ellesemitàpleurerenpensantqu'ellen'avait,poursapart, jamaisvécuunejournéeaussiinterminableetaussipénible.Elle avait encore les yeux tout bouffis quand elle sentit qu'on la secouait.
Plissantlespaupières,elleentrevitJonahassissurlelit.—Fautquetutelèves!LesimagesdelaveilleausoiretlesparolesdeSusanluirevinrentaussitôten
mémoire,luidonnantsubitementlanausée.—Pasenvie...—T'aspaslechoix.Yaquelqu'unquiveuttevoir.—Will?—Non,ditsonfrère.Quelqu'und'autre.—Demandeàp'pas'ilveutbiens'encharger,répliquaRonnieavantd'enfouir
latêtesouslesdraps.—Jevoudraisbien,maisildortencore.Etpisd'abord,c'esttoiqu'elleveutvoir.—Quiça?—Aucuneidée,maisellet'attenddevantlaporte.Mêmequ'elleestdrôlement
sexy!Après avoir enfilé un jean et un tee-shirt, Ronnie sortit prudemment sur la
véranda.Elles'attendaitàtout,saufàcettevisite.—T'asunesaletête,observaMegansanspréambule.LasoeurdeWillportaitunshortetundébardeur,maisJonahavaitraison...Elle
était encore plus jolie que dans sa robe de mariée. Il émanait d'elle une telleassurancequeRonniesetrouvasur-le-champbeaucoupplusgamine.—Jesuissincèrementdésoléed'avoirgâchétaréception...Meganlevalamainpourl'interrompre:—Tun'asriengâchédutout,dit-elleavecunsourirenarquois.Tuasrendula
réception...mémorable!Ronniesentitleslarmesluimonterauxyeux.— Ne pleure pas, reprit Megan avec douceur. Je ne t'en veux pas. Le seul
responsable,c'estMarcus.Ronniebattitdespaupières.— Ouais, je sais ce qui s'est passé. Will et moi, on en a discuté, une fois
terminée ladisputeentrenotremèreet lui. Je croisavoirbienpigé la situation.Alors,commejetel'aidit,jenet'enveuxpas.Marcusestcinglé.Ill'atoujoursété.Ronnie avait la gorge nouée. Même si Megan se confondait en excuses à sa
place...oupeut-êtreparcequ'ellesemontraitsicompréhensive,Ronniesesentait
plushonteusequejamais.—Euh...situn'espasvenuepourm'enguirlander,alorspourquoi?demanda-t-
ellehumblement.—Enpartieparcequej'aiparléavecWill.Maissurtoutparcequ'ilfautqueje
sacheuntruc.Etjeveuxquetumediseslavérité.Ronniecrutdéfaillir.—Tuveuxsavoirquoi,aujuste?—Situesamoureusedemonfrère.Ronnien'étaitpassûred'avoirbienentendu,maisMegannelaquittaitpasdes
yeux.Qu'avait-elleàperdre,aprèstout?Leurrelationétaitfinie.L'éloignementyveillerait,detoutemanière,siSusannes'enchargeaitpaslapremière.Meganexigeaitlavéritéet,comptetenudelagentillessequ'ellevenaitdelui
témoigner,Ronniesedevaitdeluirépondreavecfranchise.—Oui,eneffet.—C'estpasjusteuneamourettedevacances?Ronniesecouavivementlatête.—Willetmoi...c'est...Savoixs'évanouit,commesiellecraignaitdes'exprimer,sachantquelesmots
nepouvaientdécriresessentiments.Meganl'observaattentivementetluiàsourit.—O.K.,dit-elle.Jetecrois.Ronniefronçalessourcils,consternée,tandisqueMeganéclataitderire.—Jeconnaisunpeu lavie,tusais.Etceregard-là, je l'aidéjàvu.Commece
matin quand jeme suis regardéedans lemiroir. J'éprouve lamême chosepourDaniel,maisjedoisavouerquec'estunpeubizarrededécouvrircetteexpressionsurtonvisage.Quandj'avaisdix-septans,jecroisbienquel'amour...jenesavaismêmepascequec'était.Maisquandonfaitlebonchoix,onlesait...Ettoi,tulesais,çasevoit!Tandis que Ronnie l'écoutait parler, elle se dit que Will s'était trompé en
décrivantsasoeur.Ellen'étaitpasseulementgéniale...maisbienplusencore!LegenredepersonnequeRonnieaspiraitàdevenirdansquelquesannées...d'oresetdéjà,c'étaitsonmodèle,sonhéroïne!—Merci,murmura-t-elle,netrouvantpasderéponseplusoriginale.—Neme remercie pas. Le problème, c'est pas toi,maismon frère... qui est
toujoursfoudetoi,dit-elleavecunsourireentendu.Bref,cequejeveuxdire,c'estquesitul'aimes,tunedevraispast'inquiéterdecequiestarrivéàlaréception.Tun'asfaitqu'offriràmamèreuneanecdotequ'ellen'apasfinideraconter,crois-moi.Etavecletemps,elles'enremettra.Commetoujours.—Jesaispastrop...— C'est parce que tu ne la connais pas. Oh, elle est dure, je ne dis pas le
contraire. Et très protectrice avec ses enfants. Mais quand tu as appris à laconnaître,iln'existepersonnedemeilleuraumonde.Elleferatoutcequiestensonpouvoirpourunepersonneàlaquelleelletient.Les paroles de Megan faisaient écho à celles de Will, mais jusqu'ici Ronnie
n'avaittoujourspasdécouvertcettefacettedeSusan.—Tudevraisparleràmonfrère,repritMegand'unevoixgrave,enrabaissant
seslunettesdesoleil,commeellesepréparaitàpartir.Pasdepanique...Jenetedemandepasderappliqueràlamaison.Detoutefaçon,iln'yestpas.—Ilestoù?Megandésignalajetéepar-dessussonépaule.—Autournoi.Leurpremiermatchcommencedansquaranteminutes.Le fameux tournoi ! Dans la précipitation des derniers événements, Ronnie
l'avaitcomplètementoublié!—J'yaifaitunsauttoutà l'heure,maisquandj'aiquittéWill, lepauvreétait
complètementàcôtédelaplaque.Toutcequis'estpassél'adrôlementperturbé.Àmonavis,iln'apasfermél'oeildelanuit.Surtoutaprèscequet'asditàmonpère.Tudoisàtoutprixremettrelespendulesàl'heureavecWill.LavoixdeMeganétaitonnepeutplusferme.Elles'apprêtaitàdescendrelesmarchesdelavéranda,quandelleseretourna
versRonnie:—Aucasoùtune lesauraispas...Danieletmoi,onareculéd'un journotre
lunedemielpourvoirjouermonfrangin.Ceseraitsupers'ilpouvaitseconcentrersurlejeu.Ilapeut-êtreminimisél'importanceduchampionnat,maisjesaisqueçacomptebeaucouppourlui.Après s'êtredouchéeethabillée,Ronnie fila sur laplage. Lesalentoursde la
jetéegrouillaientdemonde,unpeucommelesoirdesonarrivée.De l'autre côté du quai, on avait installé des gradins qui entouraient deux
terrains de volley, et unbonmillier de spectateurs s'y entassaient. Il y en avaitencoredavantage,masséslelongdelajetée,laquelleoffraitunevueplongeantesurlesmatchs.Àcetendroit, laplageétaitsibondéequeRonnieputàpeinesefrayer un chemin dans la foule. Elle craignait de ne pas pouvoir trouverWill àtemps.Pasétonnantqu'ilsoitsiimportantdegagnercetournoi!Ellebalayalepublicdesyeux,aperçutcertainsjoueursdel'équipeadverse...ce
qui l'affola encore davantage. À ce qu'elle pouvait en juger, il n'existait pasd'espace particulier réservé aux volleyeurs... et elle commençait à désespérerd'apercevoirWillparmicettemultitude.Lematchallaitdébuterdansdixminutes...Ronnieétaitsurlepointd'abandonner,quandellelerepéraenfin!Ilmarchait
avecScottversdes secouristes,adossésà leur fourgonnette.Will retira son tee-shirtetdisparutderrièrelevéhicule.Elle s'élança dans la foule et bouscula des spectateurs en s'excusant au
passage.Enmoinsd'uneminute,elleatteignitl'endroitoùelleavaitaperçuWill...maisiln'étaitnullepartenvue.Elles'avançaencoreet,cettefois,crutvoirScott...Pasfacileàrepérerdanscetocéandetêtesblondes...Ellesoupirait,contrariée,quandelledécouvritWilldansuncoinisolé,àl'ombre
destribunes,prenaitunelonguegouléedeGatorade.Megan ne mentait pas. Il avait l'air abattu, et pas franchement boosté à
l'adrénalinecommeunjoueurprêtàdisputerunmatch.Ellecontournaunpetitgroupe,puisaccéléralepasens'approchantdelui.L'espaced'uninstant,ellecrut lire lasurprisesur levisagedeWill,mais ilse
détournaaussitôtetRonniecompritqueTomluiavaittransmislemessage.Sonexpressionsemblaitmi-peinéemi-confuse.Ronnieallaittoutluiexpliquer,
maisaveclematchquicommençaitdansquelquesminutes,elledevaitpareraupluspressé.Dèsqu'elleparvintàsahauteur,ellesejetaàsoncouetl'embrassaavec une fougue incroyable. Will ne resta pas longtemps stupéfait et retrouvarapidementsonénergiepourluirendresonbaiser.Dèsqu'elles'écarta,illuidit:—Àproposdecequis'estpasséhier...Ronniesecoualatêteetposadoucementl'indexsurleslèvresdeWill.—Onenparleraplustard...Maissachequejenepensaispasuntraîtremotde
cequej'aiditàtonpère.Jet'aime,Will.Maisj'aiunefaveuràtedemander...Commeilpenchaitlatêtedecôtéd'unairperplexe,elleprécisasapenséeen
souriant:—Aujourd'hui, jeveux tevoir t'éclaterà fondet jouercomme jamais tun'as
joué
27–Marcus-ÀBower'sPoint,Marcusshootaitdanslesabled'unairagacé.Pourtant,ilaurait
dû se réjouir des dégâts qu'il avait causés la veille au soir. Tout s'était déroulécommeprévu. L'aménagement de la propriété correspondait au détail près à ladescriptionqu'ilavaitluedanslejournal.Sibienquependantquecesmessieurs-damesdînaient,ç'avaitétéunjeud'enfantderetirerlespiquetsdelamarquise...oh,àpeine...justecequ'ilfallaitpourqu'ilssedétachentlorsqu'ilsejetteraitdanslescordes.Ça l'avait excité de voir Ronnie se diriger vers l'embarcadère, Will dans son
sillage ; ces deux-là ne l'avaient pas déçu. Et ce bon vieux Will, fidèle à saréputation,avaitjouésonrôleàmerveille.MarcusneconnaissaitaucunmecplusprévisiblequecebraveWill.Ilsuffisaitd'appuyersurtelbouton,etWillfaisaituntruc... T'en pressais un autre, etWill faisait autre chose. C'en devenait presquechiantàlalongue...maisMarcusavaitbienrigoléquandmême.Marcusn'étaitpascommelesautres,illesavaitdepuisbellelurette.Ado,déjà,
ilnesesentaitjamaiscoupablederien,etçaluiplaisait.C'étaitgénialdepouvoirfairetoutcequiluipassaitparlatête,chaquefoisqu'ilenavaitenvie!Mêmesileplaisirserévélaitengénéraldecourtedurée.Hiersoir,ça faisaitdesmoisqu'ilnes'étaitpasautantéclaté. Ilavaitprisun
piedd'enfer.D'ordinaire,aprèsavoirmisàexécutionundeses«projets»,commeil aimait lesappeler, ça le calmaitpendantdes semaines.Unebonnechose,dureste, carà forcedenepas contrôler sespulsions, il finiraitpar se faire choper.Marcus n'étais pas débile. Il connaissait la musique, voilà pourquoi il faisaittoujourshypergaffe.Maislà,maintenant...l'impressiond'avoircommisuneerreurnelequittaitpas.
Peut-être qu'il avait poussé le bouchon un peu loin en faisant des Blakelee sondernier « projet ». ÀWilmington, c'étaitgrossomodo l'équivalent de la familleroyaled'Angleterre,après tout... Ilsavaient lepouvoir,des relationset le fric.EtMarcus savait que s'ils découvraient qu'il était responsable du grabuge, ils nereculeraientdevantrienpourlefairemettreàl'ombrelepluslongtempspossible.Il avait doncun sérieuxdoute, qui le rongeait :Will avait couvert Scott dans lepassé,mais est-ce qu'il continuerait à le faire... au détriment dumariagede sasoeur?Marcusn'aimaitpascesentimentquiletaraudait.Çaressemblaitunpeuà...de
lapeur. Iln'avaitpasenvied'allerentaule,mêmepouruntempsassezcourt. Iln'avait rien à faire là-bas. Ilméritaitmieux. Il était plus futé que ça... et ne sevoyaitpasenfermédansunecage,obéirauxordresd'unetripotéedematons,sefairereluquerparuncodétenudecentcinquantekilosenrut,mangerdelabouffesaupoudréedecafards...outoutesceshorreursqu'ilpouvaitfacilementimaginer.Lesbâtimentsetlesgensqu'ilavaitbrûlésn'avaientaucuneimportanceàses
yeux,mais la seule idéede finir enprison lui filait... lagerbe.Etpasune fois il
n'avaitautantfrôlélapeurquedepuishiersoir.Jusqu'ici, c'était plutôt cool. À l'évidence, Will n'avait pas donné son
signalement, sinonBower's Point grouillerait de flics à cette heure.Malgré tout,Marcusavaitintérêtàsefaireoublierpendantunpetitmoment.Sansdéconner...Pasde fiestadans les villas inhabitées, pasd'incendiedans les entrepôts... et iléviteraitdumêmecoupWillouRonnie.Çacoulaitdesourcequ'ilnesouffleraitpasun mot de tout ça à Teddy ou à Lance, ou même à Blaze. Pas la peine d'enrajouter...ÀmoinsqueWillnechanged'avis.Cette possibilité lui faisait l'effet d'un coup de poing. Marcus détenait
l'avantagesurWilldansletemps,maislesrôless'étaientinversésàprésent...oùWilletluiseretrouvaientàégalité,disons.Peut-êtrequ'ildevraitquitterlavilleunpetitmoment.FilerausudversMyrtle
Beach,FortLauderdaleouMiami,jusqu'àcequelepetitscandaledumariagesedissipe.C'était la meilleure décision à prendre, mais pour ça fallait du pognon. Un
paquetdepognon.Etvitefait.Çavoulaitdirequ'ilallaitdevoirseproduiredevantpasmaldespectateurs.Coupdebol,letournoidevolleydémarraitaujourd'hui!Will allait participer, évidemment, mais Marcus n'avait aucune raison des'aventurerducôtéduterrain.Ilferaitsonnumérosurlajetée...unnumérod'enfer!Derrière lui, Blaze était assise au soleil, vêtue seulement d'un jean et d'un
soutien-gorge;sontee-shirttraînaitquelquepartprèsdufeudecamp.—Blaze!s'écria-t-il,vanousfalloirneufboulesdefeuaujourd'hui.Yauraun
peuplemonstreetonabesoindefric.Elleneluiréponditpas,maissoupiraassezfortpourlehérisser.Ilenavaitplus
quemarredecettenana.Depuisquesamère l'avait foutuedehors,elle tirait lagueule un jour sur deux. Il la regarda se lever et s'emparer de la bouteille deliquided'allumage.Bien.Aumoins,ellebossaitunpeupourgagnersacroûte.Neufboulesdefeu.Pastoutesenmêmetemps,biensûr;normalement,ilsen
utilisaientsixparnuméro.Maiss'ilenajoutaitunepar-cipar-là,histoiredecréerlasurprise,çasuffiraitpeut-êtrepourgagnerl'argentquiluimanquait.D'icideuxoutroisjours,ilseraitenFloride.Rienquelui.Teddy,LanceetBlazesedémerderaientseuls pendant un moment... ce qui lui allait parfaitement. Ces trois-làcommençaientàlegonflergrave.Tandis qu'il préparait déjà sa virée dans sa tête, c'est à peine si Marcus
remarquaBlazequi imbibait lespelotesde liquide inflammable, justeau-dessusdutee-shirtqu'elleporteraitplustardpendantlespectacle.
28–Will-Ils remportèrent lapremièremancheavecune facilitédéconcertante ;Willet
Scottmouillèrentàpeineleurmaillot.Ilsgagnèrentladeuxièmelesdoigtsdanslenez, leurs adversaires marquant un seul point. Et si le score s'inversa à latroisième,Willquittaleterrainenpensantquel'équipequ'ilsvenaientdebattreétaitbienmeilleurequenel'indiquaitlerésultat.Ilsattaquèrentlesquartsdefinaleàdeuxheuresdel'après-midi,lafinaleétant
prévueàsixheures.Willsoufflaitunpeu,mainssurlesgenoux,etattendaitquel'équiped'enfaceserveleballon;ilsesavaitàfonddanslejeuaujourd'hui.Leuréquipe était menée 5 à 2, mais ça ne l'inquiétait pas. Il se sentait en forme,tonique,etenvoyaitchaquefoisleballonàl'endroitprévu.Mêmeaumomentoùsonadversairelelançaenl'airpourservir,Willeutl'impressiond'êtreinvincible.Leballondécrivitunarcdecerclepar-dessus le filetavecunsupereffet lifté.
Will s'avançaet l'amortitàmerveillepour le renvoyeràScottquibonditdessusavec un parfait sens du timing, avant de faire un smash qui leur permit derécupérer le service. Ils marquèrent six points d'affilée, avant que l'autre duopuissedenouveauservir.Letempsdeseremettreenposition,Willparcourutduregard les tribunes. Ronnie était assise en face deMegan et ses parents... sansdouteunebonneidée.Il s'en voulait de n'avoir pas pu dire à sa mère la vérité sur Marcus, mais
commentagirautrement?Sisamèreconnaissaitlenomduresponsable,ellesebattraitbecetongles...cequientraîneraitforcémentdesreprésailles.SiMarcussefaisait arrêter, il tenterait d'emblée d'alléger sa condamnation en échange d'«informationsutiles»ausujetd'unautredélit,plusgrave..,celuicommisparScott.Etcelaluiposeraitdesérieuxproblèmes,aumomentoùilétaitauxaboispoursabourse universitaire, sans parler de la peine qu'éprouveraient ses parents...lesquels se trouvaient être des amis intimes des parents de Will. Il avait doncmenti, et malheureusement sa mère avait choisi de faire porter le chapeau àRonnie.Malgré tout,elle l'avait retrouvécematinpour luidirequ'elle l'aimait,en lui
promettantdediscuterplustard.Enoutre,elleluiavaitdemandédesesurpasserautournoi...etc'étaitbiensonintention.L'équipeadverseservitdenouveauleballon.Willfonçadessuspourlerenvoyer
àScott,qui le lui relança,etWill fitunsmash.Puis l'équipeadversenemarquaqu'unpointavantlafindelamanche,etseulementdeuxdansladernière.Scottetluiseretrouvaientdoncqualifiésendemi-finale...etdanslestribunes
Ronniel'acclamait.Lematchdedemi-finaleserévélaleplusdurdetous;ilsavaientremportéla
premièremanchesansencombre,maisperdirentladeuxièmeautie-break.Will se tenaitsur la lignedeserviceetattendait lesignalde l'arbitrepour le
début de la troisième manche, quand il promena son regard d'abord sur les
gradinspuissurlajetée,remarquantaupassagequelafouleyétaitdeuxfoisplusnombreuse que l'an passé. Ici et là, il aperçut des groupes de gens qu'il avaitconnusaulycéeetquandilétaitplusjeune.Ilnerestaitplusuneplacelibredanslestribunes.Ausignaldel'arbitre,Will lançaleballonenl'air,puisenchaînaquelquespas
rapidesenprenantsonélanetbonditpourunservicesmashé.Ilseréceptionnaetse mit en position, prêt à réagir, sachant d'ores et déjà que ce ne serait pasnécessaire.Leursadversairess'étantfigésunesecondedetrop,leballonrebonditdansunegerbedesableetsortitduterrain.Score:1àO.Ilservitseptfoisd'affilée,assurantàsonéquipeuneavanceconfortable,puis
les deux équipesmarquèrent à tour de rôle,mais la sienne finit par l'emporterassezfacilement.Àlafindumatch,Scottluidonnauneclaquedansledosendisant:—C'estfini,monpote!Onestautaquetaujourd'hui.TysonetLandry,ànous
deux!Âgésdedix-huitans,TysonetLandryvenaientdeHermosaBeach,Californie,et
formaient leduogagnantdubeach-volley junior.L'annéeprécédente, ilsavaientoccupé la onzième place au classement mondial, ce qui aurait suffi pourreprésenterquasimentn'importequelautrepaysauxjeuxOlympiques.Ilsjouaientensemble depuis l'âge de douze ans et n'avaient pas perdu un seulmatch cesdeuxdernièresannées.ScottetWilllesavaientrencontrésendemi-finale,lorsdecemêmetournoiunanplustôt,etavaientalorsquittéleterrainlaminedéconfite,sansmêmeavoirremportéunemanche.Maisaujourd'hui,rienàvoir.Ilsgagnèrentlapremièreenlesdépassantdetrois
points.TysonetLandryremportèrentlasuivanteaveclamêmemarge...etlorsdeladernière,ilsseretrouvèrentàégalité7à7.Letie-breakallaitdoncdéciderduduovainqueur...CelafaisaitneufheuresqueWills'exposaitausoleil.Malgréleslitresd'eauet
deGatoradeavalés,lachaleurauraitdûentamersesforces,etpeut-êtrebienqu'ilétaitépuisé.Maisiln'enavaitpasl'impression.Paspourl'instant.Àprésentqu'ilssetrouvaientàdeuxdoigtsdelavictoire.C'était à leur tour de servir — toujours un désavantage au beach-volley,
puisqu'on marquait un point sur chaque ballon joué, et que l'équipe qui lerenvoyaitavaitl'occasiondesmasher—,maisScottexécutaunserviceflottantquiobligeaTysonàchangerdeposition.Ilfrappaleballonàtemps,maisl'envoyaendirectiondupublic.Landrybonditdessus,maisnefitqu'aggraverleschosesetleballonfiladanslafoule...Willcompritqu'unebonneminutes'écouleraitavantqu'ilsoitremisenjeu.Etdansl'intervalle,Scottetluimèneraientd'unpoint.Commetoujours, ilsetournaversRonniequi luifitsigne,puisverslatribune
d'enfacepoursourireàsafamille.Au-delàdesgradins,surlajetée,ilapercevaitlesgensentassésprèsduterrain,maisc'étaitbizarrementclairseméunpeuplusloin.Ilsedemandaitpourquoi,lorsqu'ilvitunebouledefeuvolerdanslesairs.Ilsuivitmachinalement sa trajectoire et reconnutBlaze, qui récupéra le projectilepourlerenvoyeraussitôtd'ungestefluide.
Aumomentoùl'incidentseproduisit,ilségalisaientpar12à12.Leballonvenaitànouveaud'êtredéviédanslepublic,àcausedeScott,cette
fois,ettandisqueWillreprenaitsonpostesurleterrain,ilneputs'empêcherdejeterunoeilducôtédelajetée,sachantqueMarcuss'ytrouvait.À l'idée queMarcus était si proche,Will sentit la colère le crisper comme la
veilleausoir.Il aurait mieux fait de lâcher prise, ainsi que Megan le lui avait conseillé. Il
savait qu'il n'aurait pas dû la perturber avec toute cette histoire ; c'était sonmariage,aprèstout,etleursparentsavaientréservéunesuitepourDanieletelleauWilmingtonian, leprestigieuxhôtelduquartierhistorique.Maissasoeuravaitinsisté, Will s'était donc épanché. Même si elle ne critiquait pas sa décision, ilsavaitqu'illadécevaitenn'ayantrienditausujetdudélitdeScott.Aujourd'hui,ellelesoutenaitcependantàfondpourlematch,etcommeilattendaitlecoupdesifflet de l'arbitre, Will se disait qu'il jouait autant pour sa soeur que pour lui-même.Surlajetée,lespelotesenflamméesvirevoltaient.Àproximitédelarambarde,
lafoules'étaitdispersée,etildistinguaitTeddyetLanceselivrantàleurhabituelnumérodebreak-dance.MaiscelalesurprenaitdevoirBlazejongleravecMarcus.Aux yeux de Will, les boules de feu passaient de l'un à l'autre plus vite qu'àl'ordinaire. Blaze reculait doucement, sans doute pour tenter de ralentir lemouvement,jusqu'àcequesondosheurtefinalementlegarde-fou.La secousse dut la déconcentrer, car elle évaluamal la trajectoire d'une des
pelotesetlarattrapadejustessecontresontee-shirt,tandisqu'uneautrearrivaitdanslafoulée...Blazelasaisitauvoletlarenvoya,toutenplaquantlapremièrecontre son corps. En quelques secondes, son vêtement imprégné de liquided'allumagepritfeu.Paniquée,elletentad'étoufferlesflammes,enoubliantmanifestementqu'elle
tenaittoujourslabouledefeu...L'instantd'après,sesmainss'enflammaientetsescriscouvraientlebrouhaha
delafoulealentour.Lesspectateursdevaientêtresouslechoc,carpersonnenefitunmouvement vers elle. Même à distance,Will voyait Blaze se transformer entorchevivante.N'écoutant que son instinct, il quitta le terrain et courut sur la plage en
directiondelajetée,alorsqueleshurlementsdeBlazedéchiraientl'atmosphère.Ilfonçadanslafoule,zigzaguantentrelesgroupes,etparvintrapidementaux
marches,qu'ilgravitenunclind'oeilenagrippantaupassagel'undespilotispourgarder son élan. Arrivé sur le quai, il fit volte-face puis s'élança dans la cohue,incapable d'apercevoir Blaze, jusqu'à ce qu'il atteigne une brèche aumilieu del'attroupement. Un homme s'était accroupi auprès d'elle, qui se tordait dedouleur...Marcus,TeddyetLanceavaientdisparu.Wills'arrêtanetàlavuedutee-shirtdeBlaze,dontletissuavaitfondudanssa
chair boursouflée, à vif. Elle sanglotait et criait,mais personne autour d'elle nesemblaitsavoirquoifaire.Will se dit qu'il devait agir vite. Même sans la présence de la foule, une
ambulancemettraitquinzebonnesminutespourrejoindrelaplageenpassantpar
lepont.TandisqueBlazegémissaitdeplusbelle,ilsepenchaetlapritendouceurdanssesbras.Enarrivantparmi lespremierscematin, ilavaitgarésonpick-updanslesparages;illatransportadoncdanscettedirection.Médusésparlascènedontilsvenaientd'êtretémoins,lesgenss'écartèrentpourlelaisserpasser.Blaze était presque inconsciente, et Will avançait le plus vite possible en
prenantsoindenepastroplasecouer.Ronniesurgitenhautdesmarches,alorsqu'ilpassaitdevantelle ; il ignoraitparquelmiracleelleavaitpus'extirperdestribunes,maisétaitsoulagédelavoir.— Les clés sont sur la roue de secours ! Il faut qu'on l'allonge à l'arrière, tu
resteras auprès d'elle... et dès qu'on roule, tu appelles les urgences pour leursignalerqu'onarrive!Ronnie se précipita sur la camionnette et ouvrit la portière avant qu'il la
rejoigne. Ils installèrent Blaze non sans mal, et sitôt au volant Will écrasal'accélérateur,certaindegrillerplusieursfeuxrougesenchemin.Le service des urgences de l'hôpital était bondé. Assis près de la porte,Will
contemplaitlanuitàtraverslesvitres.Ronniesetrouvaitàsoncôté.LesparentsdeWill,accompagnésdeMeganetdeDaniel,avaientfaitunebrèveapparitionendébutdesoirée.Durant lesquatreheuresquivenaientdes'écouler,Willavait relaté l'incident
unnombreincalculabledefoisàdifférentespersonnes,parmi lesquelles lamèredeBlaze,quisetenaitàprésentauprèsdesafille.Lorsqu'elleavaitsurgidanslasalle d'attente, Will avait lu l'épouvante sur le visage de cette femme, avantqu'uneinfirmièrelaprenneàl'écart.Depuis qu'on avait transporté Blaze en chirurgie, Will ne disposait d'aucune
information.Lanuits'annonçaitlongue,maisilnepouvaitenvisagerdes'enaller.IlsesouvenaitdeBlazeassiseàcôtéde luiaucoursélémentaire...puisaussitôtaprès luiapparaissait l'imagedecettecréaturebrûléevivequ'ilavaitprisedanssesbrasquelquesheuresplustôt.C'étaituneétrangèreàprésent,maisilsétaientamisdanssajeunesse,etcelasuffisaitàWillpournepasl'abandonner.Il se demanda si la police allait revenir. Les agents étaient arrivés avec ses
parents,etWillleuravaitconfiécequ'ilsavait...Toutefois,undétailintriguaitlesflics. Pourquoi avait-il transporté Blaze à l'hôpital, plutôt que de laisser lessecouristess'encharger?Willditlavérité:ilavaittoutbonnementoubliéqu'ilsétaientsurplaceet,commeBlazedevaitêtreemmenéesanstarder,iln'avaitpashésité...Heureusement, lespolicierscomprirentsamotivation. Il crutmêmevoirl'agentJohnsonhocherlégèrementlatête,etpensaquecelui-ciauraitagicommeluidanslamêmesituation.Chaquefoisquelaportes'ouvraitau-delàdubureaud'accueil,Willtournaitla
têteenquêted'unedes infirmièresprésentesà leur arrivée.En chemin,Ronnieavaitréussiàjoindrel'hôpitaletuneéquiped'urgentisteslesattendaient;danslaminutequisuivitsonadmission,Blazefutemmenéesurunecivière.RonnieetWillrestèrentunlongmomentsansrienpouvoirsedire.IlssetenaientsimplementlamainettremblaientencoreausouvenirdeBlazehurlantdanslepick-up.Laportes'ouvritànouveauetWillreconnutlamèredeBlaze,quis'approchait
d'eux.
WilletRonnieselevèrentimmédiatement.— Une infirmière m'a dit que vous étiez encore là. Je tenais à venir vous
remercierpourtoutcequevousavezfait...Savoixsebrisa,tandisqueWillsentaitsagorgeseserrer.—Ellevas'ensortir?demanda-t-ild'untonrauque.—Jen'ensaisencorerien.Elleesttoujoursaubloc.LamèredeBlazeposasonregardsurRonnieetajouta:—JesuisMargaretConway.J'ignoresiGaladrielm'adéjàparlédetoi.— Je suis infiniment désolée, madame Conway, dit Ronnie en lui effleurant
doucementlebras.Lafemmerenifla,tentadeseressaisir,envain.—Etmoidonc!lâcha-t-elleentredeuxsanglots.Jeluiaiditdescentainesde
foisd'éviterceMarcus...Maisellenevoulaitpasm'écouter,etmaintenant...mapetitefille...Elle s'interrompit, incapable de retenir ses larmes. Sous le regard de Will
pétrifié, Ronnie s'avança pour l'étreindre affectueusement, et toutes les deuxsanglotèrentdanslesbrasl'unedel'autre.WillsillonnaitlesruesdeWrightsvilleBeach,l'espritauxaguets.Ilroulaitvite,
maissavaitqu'ilpouvaitencoreaccélérer.Enunéclair, il remarquaitdesdétailsqui,d'ordinaire,luiauraientéchappé:lelégerhaloflottantautourdesréverbères,unepoubellerenverséedanslaruellevoisineduBurgerKing,lapetitebossesurlacarrosserie d'une Nissan Sentra couleur crème, près de la plaqued'immatriculation.Àsoncôté,Ronniel'observaitd'unairangoissé,maisnedisaitrien.Ellen'avait
d'ailleurspasdemandéoù ilsallaient,c'était inutile.Sitôtque lamèredeBlazeavaitquitté lasalled'attente,Willétait sorti sur leparkingsansdireunmotet,d'unpasfurieuxetdécidé,avaitreprissonvéhicule.Ronnie lesuivitets'installasurlesiègepassager.Ilsroulaienttoujours...Unpeuplusloin,lefeupassaàl'orangemais,plutôtque
deralentir,Willécrasa lechampignon.Lemoteur rugitet lepick-ups'élançaendirectiondeBower'sPoint.Willconnaissaitunraccourcietnégociaitfacilementlesvirages;ilsquittaient
lecentre-villeetpassaientmaintenantdevantdepaisiblesvillasdufrontdemer.Ensuite la jetée, puis lamaison de Ronnie...Will ne ralentissait toujours pas etpoussaitlemoteuraumaximum.Prèsdelui,Ronniesecramponnaitàlapoignée,alors qu'il attaquait le dernier virage qui déboucha sur un parking en gravier,dissimuléparunrideaud'arbres.Lepick-upstoppaendérapant,tandisqueRonnietrouvaitenfinlaforcedeparler:—S'ilteplaît,nefaispasça...Willl'entendit,maisçanel'empêchapasdebondiràterre,sachantfortbience
qu'ilvoulait.Bower'sPointn'étaitplustrèsloin.Onyaccédaituniquementparlaplage, deux cents mètres environ après le poste de surveillance des maîtres-nageurs.Willsemitàcourir.IlsavaitqueMarcusseraitlà-bas.Ilcourutdeplusenplus
vite,commedestasd'imagessurgissaientdanssatête,l'incendieàl'église,lesoir
delafêteforaine,MarcusagrippantRonnieparlesbras...etBlaze,transforméeentorchevivante.Marcusn'avaitpascherchéàl'aider.Ils'étaitenfuiaumomentlepluscritique,
alorsqu'elleauraitpumourir.Willsemoquaitdecequipouvaitleurarriver,àluietàScott.Cen'étaitplusun
problème,désormais.Marcusavaitdépassélesbornes.Audétourduchemin,Willlesrepéraauloin,assissurdesmorceauxdeboisflotté,prèsd'unfeudecamp.Lefeu.Lesboulesenflammées.Blaze...Ilaccéléradeplusbelle,s'armantdecouragepourlasuite.Ils'approchajuste
assez pour discerner les bouteilles de bière vides ici et là, autour du feu,maissavaitquelapénombreempêchaitlesgarsdelevoir.Marcusportaitunecanetteàseslèvres,quandWillbaissalesépaulesetserua
surluienlepercutantparderrière,justeenbasducou.IlsentitMarcussecabrersouslechocetsuffoquer,tandisqueWilllefaisaitbasculerdanslesable.WilldevaitagirtrèsviteetatteindreTeddyavantquesonfrèrenepuisseréagir.
Cependant,lavuedeMarcuss'écroulantàterresemblalesparalyser.WillflanquauncoupdegenoudansledosdeMarcus,puiss'élançasurTeddy,qu'ilfittomberàla renverse, avant d'atterrir à califourchon sur son ventre...mais, plutôt que dejouerdespoings,Willseredressaetluiécrasalenezd'unviolentcoupdetête.Ilsentitlecartilagecraquerets'aplatirsousl'impact,maisserelevad'unbond,
ignorantTeddyquiroulaitsurlui-même,lesmainssurlevisageetlesanggiclantentresesdoigts,sescrisdedouleurenpartieétouffésparsessanglots.Lances'étaitdéplacéetfonçaitsurWill,quandcelui-ci fitunbondenarrière.
Lance allait s'abattre sur lui quand Will releva brusquement un genou pour lefrapper de plein fouet au visage. Lance rejeta la tête en arrière et perditconnaissanceavantdes'affalercommeunemasse.Deuxà terre... Iln'en restaitplusqu'un.Surcesentrefaites,Marcusserelevaitentitubant.Ilsaisitungrosmorceaude
boismortetrecula,commeWills'avançaitverslui.PasquestiondelaisserMarcusrecouvrer son équilibre pour l'assommer.Will l'assaillit. Marcus fit volte-face enagitantsamatraquedefortune,maisleheurtaàpeine,tandisqueWillladéviaitdesatrajectoirepoursejetersurlapoitrinedesonadversaire.Illeceinturaetlesouleva, en s'aidant de son élan pour le faire culbuter. Technique de plaquageparfaite,digned'unfootballeuraméricain...EtMarcusatterritsurledos.Will se juchade tout sonpoids sur lui et, commeavecTeddy, lui flanquaun
coupdetêtedetoutessesforces.Il perçut le même bruit de cartilage broyé, mais cette fois ne voulut pas
s'arrêter là. Il serra le poing et cognaMarcus... encore et encore, donnant librecoursà toute sacolère,à toute la fureur contenueen luidepuis l'incendie. Il lefrappa à l'oreille... à deux reprises. Les hurlements de Marcus ne faisaient quenourrirsarage.Brandissant lepoing, ilvisa lenez,cette fois,qu'il luiavaitdéjàcassé...etsentitsoudainquelqu'unretenirsonbras.Ilsetourna,prêtàluttercontreTeddy,maisc'étaitRonnie,l'airépouvanté,qui
l'agrippait.—Arrête ! Ilméritepasque tuaillesenprison !vociféra-t-elle.Tuvasquand
mêmepasgâchertavieàcausedelui!Ill'entendaitàpeine,maissentaitqu'elleletiraitpourl'obligeràserelever.—Will,jet'enprie!reprit-elle,lavoixchevrotante.T'espascommelui...T'asun
avenir...Nefouspastoutenl'air!Commeellerelâchaitpeuàpeusonétreinte,Willsentitl'épuisementlegagner.
Ilseremitdebouttantbienquemal.Lecontrecoupdespousséesd'adrénalinelelaissait tout flageolant. Ronnie le prit par la taille et tous deux regagnèrentlentementlepick-up.Lelendemainmatin,ilserenditautravaillamainendolorie,ettrouvaScottqui
l'attendaitdanslapetitepièceréservéeauxvestiaires.Enenfilantsacombinaison,illançaunregardmauvaisàWill.—T'avaispasbesoind'abandonnerlematch,dit-ilenremontantsafermeture
Éclair.Lessecouristesétaientlàavecleurfourgonnette.—Jesais,admitWill.J'aipasréfléchi,surlemoment.Jelesavaisforcémentvus,maisj'aioublié.Désolédenousavoirfaitperdrepar
forfait.— Etmoi donc ! rétorqua Scott, en glissant un chiffon dans sa ceinture. On
auraitpugagner,maisilafalluquemôssieurfoutelecamppourjouerleshéros.—Écoute,monpote,quelqu'undevaitforcémentluivenirenaide...— Ah ouais ? Et pourquoi fallait que ce soit toi ? Tu pouvais pas attendre
l'arrivée des secours ? Appeler le 911 ? Pourquoi t'avais besoin de la trimballerdanstonpick-up?—Jeviensdeteledire...j'aioubliélessecouristes.J'aipenséquel'ambulance
seraittroplongueàarriver...Scottfrappalecasierdesonpoing.— M'enfin, tu la trouvais même pas sympa ! s'écria-t-il. Vous n'étiez plus
copainsdepuisdeslustres!O.K.,sic'étaitAshleyouCassie,oumêmeRonnie,jepourraiscomprendre.Mêmeuneétrangère,à la limite!MaisBlaze?Bonsang!Blaze!Lananaquivaenvoyertacopineentaule?LacopinedeMarcus?Scotts'avançaverslui,enajoutant:—Tucrois,neserait-cequ'uneseconde,qu'elleauraitfaitlamêmechosepour
toi?Sit'étaisblesséetquetuaiesbesoind'aide?Aucunrisque!—C'estjusteunmatchdevolley,objectaWill,sentantlacolèremonterenlui.—Pourtoi!vociféraScott.Pourtoi,c'estriend'autrequ'unjeu!Maispourtoi,
toutestunjeu!T'aspaspigé,encore?Parcequeçan'apasd'importancepourtoi! T'as pas besoin de gagner ce genre de tournoi, parce quemême si tu perds,t'aurastoujourstoutcequetuveuxservisurunplateaud'argent!Maismoi,fallaitquejegagne!C'estmonavenirquiétaitenjeu,mec!—Ouais,ehben... ilyavaitaussi lavied'une filleen jeu, répliquaWill.Etsi
t'arrêtaisdeuxsecondesdeteregarderlenombril,tuverraisquesauverlaviedequelqu'un,c'estplusimportantquetaprécieusebourseuniversitaire!Scottsecoualatêted'unairécoeuré.—T'esmonamidepuislongtemps...maistusais,t'astoujoursdécidédetout.
Fauttoujoursagirselontavolonté.TuveuxrompreavecAshley,tuveuxsortiravecRonnie,tuveuxsécher l'entraînementplusieurssemainesd'affilée,tuveux jouerleshéros.Ehben...tusaisquoi?Tut'esplanté.J'aiparléauxsecouristes.Ilsm'ont
ditqu'enlatransportantdanslepick-upcommetul'asfait,t'auraispuaggraverleschoses.Et t'asobtenuquoien retour?Elle t'a remercié,aumoins?Non, tuparles...Etelleteremercierajamais.Enrevanche,çatedérangeabsolumentpasd'entuberunpote,parcequec'estplusimportantpourtoidefairetoutcequitepasseparlatête!Les paroles de Scott lui faisaient l'effet d'uppercuts dans le ventre, tout en
attisantsacolère.—Reprends-toi,Scott.Toutnetournepasautourdetapersonne,cettefois.—Tumedevaisbiença!hurlaScottenflanquantunautrecoupdepoingdans
le casier. Pour une fois que je te demandais un service ! Tu sais combien çacomptaitpourmoi!— Jene tedois rien,déclaraWill encontenant sonexaspération.Ça faithuit
moisquejetecouvre.J'enaimarrequeMarcusutiliseçacontrenous.Tudoisfairelebonchoix,maintenant.Etdirelavérité.Leschosesontchangé.Will tourna les talons et se dirigea vers la porte. Comme il la poussait, il
entenditScottluicrier:—Qu'est-cequet'asfait?Will fit volte-face en tenant la porte entrouverte et planta son regard d'acier
dansceluidesonami.—Jerépète...Tudoisdirelavérité.Il attendit que Scott enregistre ses paroles, puis sortit en claquant la porte.
Tandisqu'ilpassaitdevantlesvoituressurlespontsélévateurs,Scottbrailladanssondos:—Tuveux foutremavieen l'air ?Que jeme retrouveen tauleàcaused'un
accident?Pasquestion,t'entends?Alors qu'il s'approchait de l'entrée du garage, Will entendait encore Scott
cognerdanslescasiersd'unpoingrageur.
29–Ronnie-La semaine suivante, une certaine tension régna entre Ronnie et Will. La
brutalitédontilavaitfaitpreuvelamettaitmalàl'aise.Ronniedétestaitlabagarreet n'aimait pas voir les autres souffrir, d'autant qu'elle savait qu'en général lerecoursàlaviolencen'arrangeaitrien.Toutefois,ellenepouvaitenvouloiràWilldecequ'ilavaitfait.Mêmesiellenesouhaitaitpascautionnersoncomportement,aprèsl'avoirvufracasserlestroisgars,RonnienepouvaitnierquelaprésencedeWilllarassurait.Willn'enrestaitpasmoinsstressé.IlétaitsûrqueMarcussignaleraitl'incident
etque lapoliceviendrait frapperàsaported'unmomentà l'autre,maisRonniesentaitbienqu'autrechose le tracassait...unechosequ'il refusaitde luiconfier.Bizarrement,Scottetluineseparlaientplusvraiment,etellesedemandaitsiçan'avaitpasunrapportaveclemalaisedeWill.Sanscompterqu'ilyavait la famille.Enparticulier lamèredeWill.Depuis le
mariage,Ronniel'avaitaperçuedeuxfois.Lapremière,enattendantWilldanslepick-uppendantqu'il sechangeait,et lasecondedansun restaurantducentre-villedeWilmingtonoùWilll'avaitinvitéeàdîner.Alorsqu'ilsétaienttousdeuxattablés,Susanétaitentréedansl'établissement
avecungrouped'amis.Ronnieavait unevue imprenable sur l'entrée,maisWillétait installé en face d'elle. En ces deux occasions, Susan l'avait ignorée, luitournantdélibérémentledos.Ronnien'enparlapasàWill,pasplusqu'ellenefitallusionàsarencontreavec
Susandanslasalled'attentedel'hôpital.AlorsqueWill,perdudanssespensées,songeaitdéjààlavengeance,RonniedevinaqueSusansemblaitaussilatenirplusoumoinsresponsabledelatragédiequis'étaitabattuesurBlaze.ElleregardaitàprésentWillparlafenêtredesachambre.Ildormait,lovédans
son sac de couchage, près du nid de tortue. Comme d'autres oeufs avaientcommencéàéclore,ilsavaientretirélacagecetaprès-midietlenidseretrouvaitàciel ouvert. Ni lui ni elle n'avaient l'intention de le laisser toute la nuit sanssurveillance,etcommeWillpassaitdemoinsenmoinsdetempschezlui,ils'étaitportévolontairepourjouerlesvigiles.Si Ronnie refusait de se laisser envahir par leurs problèmes récents, elle ne
pouvait s'empêcher de se repasser dans la tête le filmde ses vacances. Elle serappelait à peine la fille qu'elle était à son arrivée. Bientôt, elle aurait dix-huitans...etaprèsundernierweek-endavecelle,Wills'eniraitàl'université.Quelquesjoursplustard,Ronniecomparaîtraitdevantletribunal,ensuiteelledevraitrentreràNewYork.Elleavaitdéjàvécutantdechoses...etil luienrestaitencoretantàvivre!Ronniesecoualatête,l'airégaré.Quiétait-elle,aujuste?Quellevieaurait-elle
plustard?Qu'allait-elledevenir?Cesjours-ci,toutluiparaissaitàlafoisillusoireetpourtantbeletbienréel:son
amourpourWill, le lienquinecessaitdese renforceravecsonpère, saviequiprenait une tournure plus oumoins paisible. Ronnie avait l'impression que toutcela arrivait à une autre fille... qu'elle apprenait encore à connaître. Jamais ellen'auraitcruqu'unevillebalnéairesomnolenteduSudpouvaitserévélerlethéâtred'un tel éventail d'émotions et de drames humains... au point de paraître plusaniméequeManhattan!Tout en souriant, elle devait bienadmettrequ'àde rares exceptionsprès ses
vacancess'étaientplutôtbiendéroulées.Elleallaits'endormirdansunechambretranquille qu'elle partageait avec son frère ; seuls une vitre et du sable laséparaientdujeunehommequ'elleaimaitetquil'aimaitenretour.Existait-ilplusgrand bonheur sur terre ? Et en dépit — ou peut-être à cause — de tous lesévénementssurvenus,Ronniesavaitqu'ellen'oublieraitjamaisl'étéqu'ilsavaientpasséensemble,quoiqueleurréservel'avenir.Allongéedanssonlit,ellesombradoucementdanslesommeil.Justeavantde
s'endormir,ellesongeaqu'ellen'étaitpasauboutdesessurprises.Mêmesicetteimpression laissait souventprésager lepire,Ronnien'envisageaitpasun instantquecesoitpossible,pasaprèstoutcequ'ilsavaienttraversés.Au matin, elle s'éveilla pourtant avec un sentiment d'angoisse. Comme
toujours,ellesavaitpertinemmentqu'unenouvellejournéeécouléesignifiaitunejournéedemoinsàpasserencompagniedeWill.Maisenréfléchissant,ellecompritqu'autrechosel'angoissait.Willparlaitàla
faclasemainesuivante.MêmeKaylaallaitétudieràl'université.QuantàRonnie...elleignoraittoujourscequil'attendaitàsonretouràNewYork.O.K.,elleauraitdix-huit ans... O.K., elle gèrerait elle-même, en adulte responsable, la décision dujuge...Etensuite ?Allait-elle toujoursvivrechezsamère?Est-cequ'elledevaitpostulerpourunjob,chezStarbucks,parexemple...?C'était bien la première fois qu'elle affrontait son avenir de manière aussi
directe.Curieusement,ellepensaitdepuistoujoursquetoutfiniraitpars'arranger,quellequesoitsadécision.Etellesavaitqueceseraitlecas...lespremierstemps,dumoins.Maisserait-elletoujourschezsamèreàdix-neufans?Àvingtetun?Voire...non,impossible!...àvingt-cinq?Comment une fille était censée se débrouiller pour gagner suffisamment
d'argent— et s'offrir le luxe de vivre à Manhattan— sans lemoindre diplômeuniversitaire?Ronnien'enavaitaucuneidée.Enrevancheellesavaitqu'ellen'étaitpasprête
àvoircesvacancess'achever...niàrentrerchezelle.EtencoremoinsàimaginerWill sebaladant sur le campusdeVanderbilt, entouréd'étudiantesen tenuedepom-pomgirl!Non...pasquestiondepenseràtoutça!—Toutvabien?Tuparlespasbeaucoup,remarquaWill.—Désolée...J'aipasmaldesoucis...Assis sur la jetée, ils partageaient des bagels et du café achetés en chemin.
D'ordinaire, l'endroit grouillait de pêcheurs, mais ce matin-là, Will et elle seretrouvaientseuls.Unesurpriseagréable,puisquec'étaitlejourdecongédeWill.
—T'asréfléchiàcequetucomptesfaire?—N'importequoi...saufnourrirleséléphantsduzooduBronx.Ilposasonbagelsursongobeletenplastique.—Jesuiscenséypigerquelquechose?—Pasvraiment,grimaçaRonnie.— O.K. En fait... je parlais de ce que tu voulais faire demain pour ton
anniversaire.Ronniehaussalesépaules.—Pasbesoindefaireuntrucparticulier.—M'enfin,tuvasavoirdix-huitans!Admetsquec'estgénial.Légalement,tu
serasadulte.Ouais,super...Toutçapourmerappelerqu'ilest tempsque je fassequelque
chosedemavie!Willdutdevinersespensées,carilposagentimentunemainsursongenou.—J'aidituntrucqu'yfallaitpas?—Non...J'ensaisrien.Jemesensbizarreaujourd'hui.Au loin, un banc de marsouins batifolait dans les vagues. La première fois
qu'elleenavaitvu,Ronnieavaitétéfascinée.Àprésent,ilsfaisaientpartiedesonenvironnement...mais ils luimanqueraient sans doute quand elle serait à NewYork,vaquantàsesoccupations...Maisqu'est-cequ'elleferait,aujuste?Je vais finir accro aux dessins animés comme Jonah, et j'insisterai pour les
regarderlatêteenbas!—Etsijet'emmenaisdînerquelquepart?Non...Rectification...JevaisêtrescotchéeàlaGameBoy.—O.K.,dit-elle.—Oupeut-êtrequ'onpourraitallerdanser.OubienàGuitarHero. Jonahadoreyjouerpendantdesheures.CommeRick,
maintenantque j'ypense... Lesgamins, lesgeeks...etengénéral lesgenssansaucunbutdansleurviesontaccrosàleurconsoledejeu...—Çam'al'airsympa.—Sinon...euh...Onsebarbouillelafigureetoninvoqueunedéesseinca?Ça
teva?Vu que je serai scotchée à la télé et aux jeux vidéo, je vivrai toujours à la
maisonquandJonahentreraenfacdanshuitans.—Commetuveux.Çam'estégal...Willpartitd'ungrandéclatderirequilaramenaàlaréalité.—Quoi?...Tudisais?—Tonanniv',j'essayaisdetrouveruneidéequiteplairait,maisapparemment
t'étais complètement ailleurs. Je m'en vais lundi et j'aimerais faire un trucvraimentoriginal...rienquepourtoi.Elleyréfléchit,avantdesetournerverslamaison,remarquantunefoisdeplus
combiencebungalowdétonnaitparmilesluxueusesvillasdufrontdemer.—Tusaiscequimeferaitvraiment...vraimentplaisir?L'événementn'eutpaslieupoursonanniversaire,maisdeuxsoirsplustard,le
vendredi22août...L'équipedel'aquariumorganisal'opérationdanslesmoindres
détails;unpeuplustôtdansl'après-midi, lesemployésetlesbénévolesavaientcommencéàpréparer le sitepourque les tortuespuissentaccéderà l'eausansencombre.Will et Ronnie aidèrent à niveler le sable dans la tranchée peu profonde qui
menaitàl'océan,tandisqued'autresdélimitaientlepérimètreàl'aided'unrubanjauned'avertissement,afindetenirlescurieuxàdistance.Laplupart,dumoins.SteveetJonahétaientautorisésàpénétrerdanslazone
de sécurité, mais restaient sur le côté pour ne pas gêner les employés del'aquarium.Ronnienesavaitpasvraimentcequ'elleétait censée faire, sinonveillerà ce
quepersonnenes'approchetropdunid.Bienqu'ellen'aitriend'unespécialiste,danssatenue«oeufdePâques»debénévole,lesbadaudslaprenaientpouruneexperteentortues.Enuneheure,elleavaitdûrépondreàunebonnecentainedequestions.RonnieétaitdoncraviedeserappelertoutcequeWillluiavaitapprissur les tortues, et soulagée d'avoir consacré quelques minutes à lire la fiched'information sur les caouannes que l'aquarium avait fait imprimer pour lesvisiteurs.Dureste,laplupartdesréponsesàleursquestionssetrouvaientlà,noirsurblanc.Maisc'étaitsansdouteplusfacilepoureuxdel'interroger,plutôtquedesedonnerlapeinedejeterunoeilsurlacartequ'ilstenaientenmain.Et puis, ça permettait de passer le temps. Ils étaient sur le pied de guerre
depuisdesheures,etbienqu'onleuraitpromisquelesoeufsallaientéclored'uneminute à l'autre, Ronnie avait quelques doutes à ce sujet. Et les tortues s'enmoquaientéperdumentsi,parmilesvisiteurs,lesjeunesgaminscommençaientàs'impatienterousi certainsadultesdevaient se lever tôt le lendemainpour leurtravail.À vrai dire, Ronnie s'attendait à voir une demi-douzaine de badauds tout au
plus,etnonpasdescentainesdepersonnesmassées tout le longducordondesécurité.Ellen'étaitpascertained'appréciercegenred'engouementpopulaire...quitransformaitl'événementenunevraiefoire.Commeelles'asseyaitsurladune,Willlarejoignit.—Qu'est-cequet'enpenses?dit-ilenmontrantlascène.—Pourlemoment,pasgrand-chose.Ilnes'estencorerienpassé.—Çadevraitpastarder.—Onn'arrêtepasdemelerépéter.Wills'installaauprèsd'elle.—Tudoisapprendrelapatience,petitscarabée...—Jesuispatiente.Jeveuxjustequecesoeufséclosentauplusvite.—Meaculpa,dit-ildansunéclatderire.—Tudevraispasbosser,aufait?—Jesuisbénévole,moi.C'esttoiquitravaillesàl'aquarium.—Exact,maisjecomptepasmesheures...etenthéorie,puisquet'esbénévole,
jecroisquetudevraismeremplaceraucordondesécurité.— Laisse-moi deviner... La moitié des gens te demande ce qui se passe, et
l'autreposedesquestionsdontlesréponsessetrouventsurlafiched'infoquetuleurremets?
—T'astoutcompris!—Ett'enasunpeumarre?—Disonsquec'estpasaussisympaqueledînerdel'autresoir.Poursonanniversaire, il l'avait invitéedansunpetit restaurant italientoutce
qu'il y a d'intime et lui avait offert une chaîne en argent avec un pendentif enformedetortue,qu'elleadoraitetnequittaitplus.—Quandest-cequ'onsauraquel'éclosionestsurlepointdeseproduire?Illuimontraleresponsabledel'aquariumetl'undesbiologistesdel'équipe,en
disant:—Dèsqu'ElliottetToddcommencerontàs'agiter.—Mouais...pastrèsscientifique,toutça.—Si,jet'assure.Fais-moiconfiance.AprèsqueWillfutpartichercherdeslampesélectriquessupplémentairesdans
lepick-up,sonpères'étaitapproché.—Jepeuxm'asseoiràcôtédetoi?—Inutilededemander,p'pa.Biensûr!—Jenevoulaispastedéranger.Tuavaisl'airunpeupréoccupé.— Ben... j'attends, comme tout le monde, répondit-elle en lui faisant de la
place.Depuis une demi-heure, le public était encore plus nombreux, et Ronnie
appréciaitlefaitqu'onaitautorisésonpèreàs'installerdanslepérimètreprotégé.Illuiparaissaitsifatigué,cestemps-ci!— Crois-le ou pas, dans ma jeunesse, je n'ai jamais assisté à ce genre
d'éclosion.—Pourquoipas?— Ça ne rameutait pas les foules comme aujourd'hui. O.K., il m'arrivait de
tomberparhasardsurunniddecaouanneet je trouvaisçachouette,mais j'enfaisaispas touteunehistoire.Un jour, j'aidûdécouvrirunnidquiavaitéclos laveille... Il restait les coquilles brisées tout autour, mais bon... c'était monnaiecourantedanslarégion.Quoiqu'ilensoit,jepariequetunet'attendaispasàça,hein?Avectouscesenvahisseurs?—C'est-à-dire?—Ehbien...Willettoi,vousavezsurveillélenidchaquenuitàtourderôle.Età
présentquelemomentleplusintéressantvaarriver,tudoislepartageravectoutlemonde.—Oh,çamedérangepas.—Mêmepasunpeu?Ronnie sourit. Elle n'en revenait pas que son père la connaisse aussi bien,
désormais.—Ettacomposition,t'enesoù?—C'estuneoeuvreenchantier,onvadire.Jusqu'ici,j'aidûécrireunecentaine
devariationssurlethème,maisilyatoujoursuntrucquinevapas.Jesaisqueçane sert quasiment à rien... Si je n'ai pas encore trouvé ce qui cloche, je ne letrouveraisansdoutejamais.Çam'occupe,disons.—Aufait,j'aiaperçulevitrail,cematin.Ilestpresqueterminé.
—Onapprochedelafin,admitsonpèreavecunhochementdetête.—Ilssaventàpeuprèsquandilspourrontl'installer?— Non. Ils attendent toujours le financement pour achever l'église. Ils ne
veulent pas l'installer avant la réouverture. Le pasteur Harris craint que desvandalesn'yjettentdescailloux.Depuisl'incendie,ilseméfiedetout.—Àsaplace,jeseraistoutaussiméfiante.Steveétenditlesjambessurlesable,puislesrepliaengrimaçant.—Tuvasbien?—Jesuisrestédebouttroplongtempscesjours-ci. Jonahtientàfinir levitrail
avantdepartir.—Sesvacancesluiontdrôlementplu.—Ahouais?— Il m'a dit l'autre soir qu'il n'avait pas envie de rentrer à New York... et
souhaitaitresteravectoi.—C'estungosseadorable,ditSteve,d'unairàlafoistristeetsongeur.Ilhésitaavantdesetournerverselle,enajoutant:—J'imaginequelaquestionsuivante,c'est:«Ettoi,tesvacancest'ontplu?».—Ouais,super.—GrâceàWill?—Grâceàdestasdechoses,dit-elle.Jesuiscontentequ'onaitpassédutemps
ensemble,toietmoi.—Moiaussi.—Alors,tuviensnousvoirquand,àNewYork?—Oh,j'ensaistroprien...Onvajouercettepartitionàl'oreille...Ellesouritànouveau.—T'étaissioccupé,cesdernierstemps?—Pasvraiment.Maistuveuxquejetediseuntruc?—Quoidonc?—Jepensequetuesdevenueunejeunefemmeabsolumentgéniale.N'oublie
jamaisàquelpointjesuisfierdetoi.—Qu'est-cequiteprend,toutàcoup?—Euh...jen'étaispassûrdetel'avoirditrécemment...—Toiaussit'esgénial,p'pa,dit-elleenposantlatêtesursonépaule.—Hé!s'écria-t-ilendésignantlenid.Jecroisqueçacommence!Elleregardadansladirectionindiquée,puisserelevatantbienquemaletfaillit
dégringolerdeladune.Willdisaitvrai,ElliotetTodds'agitaientdanstouslessens,tandisqu'unmurmureparcouraitlafoule.Tout se déroula ainsi que Will l'avait décrit, sauf que c'était encore mieux
d'assisterendirectàl'événement.Quandelleputs'approcher,Ronnievitécloreletoutpremierœuf,suiviparunautre,puisencoreunautre... l'ensembledonnantl'impressiondesemouvoirjusqu'àcequ'unbébétortuefinisseparémergerdesacoquille,enpassantpar-dessussescongénèrespourquitterlenid.Etcequisuivitserévélad'autantplusfascinantàobserver,alorsquelalégère
activité dudébut cédait peuàpeu la placeàunevéritable effervescence.À telpoint que Ronnie ne sut bientôt plus où poser les yeux, tellement il y avait de
bébéstortuesquigrouillaienticietlà.Onauraitdituneespècederuchesurvitaminée!Quelle merveille de voir ces minuscules créatures d'aspect préhistorique
s'escrimeràsortirdutrou,engrimpantlesunessurlesautres...jusqu'àcequ'ellesparviennentàrejoindrelatranchée,guidéesparlalumièredelalampedeTodd,deboutauborddel'eau.Ronnieregardaitlestortuesramperverslesvaguesetlestrouvaitsipetitesque
leursurvieluiparaissaitpresqueinconcevable.L'océanallaittoutbonnementlesengloutir ! Ce fut d'ailleurs ce qui se produisit, lorsqu'elles se retrouvèrentballottées par la houle et flottèrent un court instant à la surface avant dedisparaître.GlissantsamaindanscelledeWill,Ronniene regrettaitpas toutescesnuits
passéesàgarderlenidetsedisaitqu'elleavaitcontribué,mêmemodestement,aumiracledelavie.C'étaitincroyabledepenserqu'aprèsdessemainesd'inertie,cetévénementtantattenduallaits'acheverenquelquesminutes.Là, sur cetteplage,auprèsdugarçonqu'elleaimait,Ronnie savaitqu'ellene
partageraitplusjamaisunetellemagieavecquiquecesoit.Uneheureplustard,aprèsavoirrevécutoutel'éclosionendétail,RonnieetWill
souhaitèrentunebonnenuitauxautresmembresde l'aquariumquiregagnaientleursvoitures.Hormislatranchée,ilnerestaitplusriendel'événement.Mêmelescoquillesd'oeufavaientdisparu,Todd lesayantrécupéréesafinde lesétudieretd'ydétecterl'éventuelleprésencedeproduitschimiques.— J'espèreque tout s'estpassécomme tu l'attendais,ditWillàRonnieen la
prenantparlataille,tandisqu'ilsmarchaientsurlesable.— Encore mieux que prévu, dit-elle. Mais j'arrête pas de penser aux bébés
tortues.—Ilsn'ontrienàcraindre.—Tousnevontpass'entirer...—Exact,admit-il.Quandellessontjeunes,c'estpasgagné...Ilspoursuivirentleurbaladeensilence,puisRonniereprit:—Çamerendtriste.—Maisc'estlecycledelavie,non?—Là, sur lemoment, évite deme citerLeRoi Lion, tu veux ? J'ai besoin de
croireauPèreNoël...—Oh...Danscecas,ilsvonttouss'ensortir...grandir,s'accoupler,fairepleinde
petitsbébéstortues...etfinirontparmourirdevieillesseaprèsavoirvécubienpluslongtempsquelaplupartdeleursemblables!—T'ycroisvraiment?—Biensûr,affirmaWill.C'estnosbébés.Ilssontpluscostauds!Elleriaitencorequandelleaperçutsonpèresur lavérandaencompagniede
Jonah,quilesinterpella:—Hé!Voussavezquoi?Aprèstoutcetapageridicule,etaprèsavoirassistéà
l'événementdudébutàlafin,j'aiunseulmotàdire...—Ont'écoute!répliquaWill.—C'étaittropcool!s'écriaJonah,avecunsourireépanoui.
Ronniegloussaensongeantqu'ilvenaitdetroquer«génial»pour«cool».Aumêmemoment,sonpèrefutsaisid'uneviolentequintedetoux.Iltoussaettoussaencore,incapabledes'arrêter...commel'autrejouràl'église.Elleleregardasecramponneràlabalustradepourgarderl'équilibre,etvitson
frèrefroncerlessourcils,àlafoisinquietetapeuré...MêmeWillsefigeasurplace.Stevetentadeseredresser,luttapoursecontrôler...puisportalesdeuxmainsà
saboucheettoussaunedernièrefois.Lorsqu'ilrepritenfinsonsouffle,ilrespiraitpluspoussivementquejamais.Ildéglutitavecpeineetbaissalesmains.Danslessecondesquisuivirent,etqui
luiparurentlespluslonguesdesavie,Ronniel'observa,épouvantée...Levisagedesonpèreétaitcouvertdesang.
30–Steve-Ilavaitapprisqu'ilétaitcondamnéenfévrier.Assisdanslecabinetmédical,une
heureàpeineaprèsavoirdonnésadernièreleçondepiano.En revenant à Wrightsville Beach, comme sa carrière de concertiste se
terminait,ilavaitrecommencéàenseigner.Quelquesjoursaprèssoninstallation,sansmême le consulter, le pasteurHarris lui avait demandé une « faveur », etprésentéuneélèvepromiseàunbelavenir.Toujoursaussiattentionné,sonvieilamiavaitcomprisqu'àsonretouraupays,Steveseretrouvaitseuletdésemparé,etqueleseulmoyendel'aiderconsistaitàredonnerunsensàsavie.L'élève en question se nommait Chan Lee. Ses parents étaient tous les deux
professeursdemusiqueàl'universitédeCarolineduNorddeWilmington,etelletémoignait à dix-sept ans d'une formidable technique mais, curieusement, neparvenaitpasàtrouversonproprestylemusical.Elle était à la fois sérieuseet avenante, et Steve l'adopta sur-le-champ ; elle
l'écoutaitavecattentionettenaitcomptedesessuggestions.IlattendaitchaqueleçonavecimpatienceetluioffritàNoëlunouvragesurlafabricationdespianosanciens.Cependant,malgrésonplaisiràenseignerdenouveau,Stevesesentaitde plus en plus fatigué. Les séances l'épuisaient, alors qu'elles auraient dû lerequinquer.Pourlapremièrefoisdesavie,ilfitdessiestesrégulièrement.Au fil du temps, celles-ci se prolongèrent, jusqu'à ce qu'il s'assoupisse deux
heures d'affilée... et il souffrait souvent de l'estomac à son réveil. Un soir, alorsqu'il se préparait un chili con carne pour le dîner, il ressentit une douleurfoudroyanteàl'estomac.Pliéendeux,suffoquant,ilrenversalefaitoutetrépanditsoncontenusurlesoldelacuisine.Enrecouvrantsonsouffle,ilmesuralagravitédesonmalaise.Stevepritalorsrendez-vouschezunmédecin,puissubitéchographiesetradios
à l'hôpital.Plustard, tandisqu'on lui faisaituneprisedesangpour lesanalysesprescrites,ilsongeaàsonpèreetaucancerquiavaitfiniparletuer...etildevinacequelepraticienallaitluiannoncer.Àlatroisièmevisite,ilappritqu'ilnes'étaitpastrompé.—Vousavezuncancerdel'estomac.Lemédecin prit une profonde inspiration, avant d'ajouter d'une voix neutre,
maissansbrutalité:—Leséchographieset les radiosmontrentque lesmétastases s'étendentau
pancréasetauxpoumons.Jesuissûrquevousaveztoutuntasdequestionsàmeposer,maisjedoisvousdireenpréambulequeçan'augureriendebon.L'oncologuesemontraitcompatissant,toutens'avouantquasiincapabledele
sauver.Stevesentaitbienquelespécialistevoulaitl'entendreposerdesquestionsprécises,dansl'espoirqueledialoguepuissefaciliterleschoses.Àl'époquedelamaladiedesonpère,Steves'étaitdocumentésurlesujet...Les
chancesdesurvieavoisinaientzéro.Aussi,plutôtqued'interrogerlemédecin,ilse
tournaverslafenêtreetcontempladistraitementunpigeonquivenaitdeseposersurlerebordextérieur.Ilvientdem'annoncerquej'allaismourir,etveutendiscuteravecmoi.Maisil
n'yarienàendire,pasvrai?Jevaismourir...Stevesesouvintavoirjointlesmains,étonnédenepaslesvoirtrembler.—Ilmerestecombiendetemps?Soninterlocuteurparutsoulagédel'entendreenfinbriserlesilence.— Avant d'entrer dans ce genre de considérations, je tiens à aborder les
différentesoptionsquis'offrentàvous...—Iln'yenapas,répliquaSteve.Vousetmoilesavonspertinemment.Silemédecinfutsurprisparsaréaction,iln'enlaissarienparaître.—Ilyenatoujours,insista-t-il.—Maisaucunenepeutmeguérir.Vousvoulezsimplementparlerdequalitéde
vie.—Exact,admitlepraticienenécartantsonbloc-notes.—Commentpouvons-nousdiscuterqualitédeviesij'ignoreletempsqu'ilme
reste ? Si je n'en ai plus que pour quelques jours, autant que je commence àpasserdescoupsdefil.—Ilvousrestedavantage.—Plusieurssemaines?—Oui,biensûr...—Plusieursmois?Lemédecinhésita.IldutdevinerqueSteveinsisteraitjusqu'àcequ'ilsachela
vérité.Ils'éclaircitlavoix,puisreprit:— À force d'avoir été confronté au problème, j'ai appris que ce genre de
prévisionsnesignifiaitpasgrand-chose.Tropde facteursentrenten jeu,dont laplupartéchappentauxconnaissances
médicales.Cequivasepasserdépendengrandepartiedevous-même,devotrecapitalgénétiqueetdevotrecomportement.Certes,nousnepouvonsrienfairequipuisseempêcherl'inévitable,mais...cequej'essayedevousdire,c'estquevousdevezprofiteraumaximumdutempsquivousestimparti.Stevenecessaitdelefixerpendantqu'ils'exprimait...etéludaitlaquestion.—Unan?Cettefois,lepraticiensetrahitparsonsilence.Tandisqu'ilquittaitlecabinet,
Steveinspiraprofondément,fortdecequ'ilvenaitd'apprendre...àsavoirqu'illuirestaitmoinsdedouzemoisàvivre.Ilprit consciencede ladure réalitéunpeuplus tard, sur laplage. Il souffrait
d'uncanceravancé...etincurable.Ilseraitmortdansl'année.Avant qu'il s'en aille, le médecin lui avait laissé toute une documentation :
plusieursbrochures et une listede sites Internet, surtout utiles pour le compte-rendu de lecture d'un étudiant en médecine... Aussi Steve préféra-t-il s'endébarrasserdansunepoubelleenrejoignantlavoiture.Deboutsurlesable,souslesoleilhivernal,ilenfouitsesmainsdanslespoches
desonmanteauetcontemplalajetée.Mêmesisonacuitévisuelleavaitbaissé,il
distinguait au loin les gens qui s'y promenaient ou pêchaient pardessus larambarde,etlabanalitédelascènelefrappa.Commesiriend'extraordinairenes'étaitproduit.Ilallaitmourir...danspeudetemps.Ilserenditalorscomptequetoutcequile
tracassaitjusque-làdevenaitfutiledésormais.Sonpland'épargneretraite?Jen'enauraiplusbesoin.Commentgagnersavieàlacinquantaine?Aucuneimportance.Sonenvie de rencontrer une femmeet de tomber amoureux ?Ce serait injusteenverselle,etde toutemanière...mondésirdecouples'estenvoléen fuméeàl'annoncedudiagnostic.C'estlafin,serépéta-t-il.Dansmoinsd'unan,ilneseraitpluslà.Certes,ilse
doutait qu'il allait mal et peut-être s'attendait-il à ce qu'on lui annonce lamauvaise nouvelle. Mais le souvenir encore frais des paroles prononcées par lemédecinnecessaitdelehanter.Surcetteplagedéserte,Stevesemitàtrembler.Crevant de peur et de solitude, il se prit la tête dans lesmains et se demandapourquoicettehorreurs'abattaitsurlui.Lelendemain,ilappelaChanetluiexpliquaqu'ilnepouvaitplusenseignerle
piano.Ensuite,ilretrouvalepasteurHarrispourlemettreaucourant.Àl'époque,cedernierétaitencoreconvalescentaprèsl'incendie,etmêmesiStevesesentaitégoïstedel'accablerdesonproprefardeau,ilnevoyaitpersonned'autreàquiseconfier.Assissurlavérandadederrière,Steveluirépétalediagnosticdumédecin.Il tenta bien de contenir son émotion, mais finit par craquer... et tous deuxfondirentenlarmes.Plustard,Stevemarchasurlaplageensedemandantcommentoccuperlepeu
detempsquiluirestait.Qu'est-cequicompteleplusàmesyeux?En passant près de l'église, dont les réparations n'avaient pas encore
commencé,ilcontemplaletroubéantquiabritaitauparavantlevitrail...etsongeaà la sublime lumièrematinale qui le traversait, pour le plus grand bonheur dupasteurHarris.Dèscetinstant,Stevesutqu'ildevaitfabriquerunnouveauvitrail.Le lendemain, il appelaKim.Quand il luiannonça lanouvelledesoncancer,
elles'effondraautéléphone.Stevesentitsagorgeseserrer,maisretintseslarmes,etcomprit,étrangement,qu'ilnes'apitoieraitplusjamaissursonsort.Il la rappela plus tard pour lui demander si les enfants pouvaient passer les
grandesvacancesaveclui.Mêmesil'idéel'effrayaitunpeu,Kimdonnasonaccord.ÀlademandedeSteve,elleacceptadenefaireaucuneallusionàl'étatdesantéde leur père.Ce serait un été où flotterait un lourdparfumdemensonge,maisStevepouvait-ilagirautrements'ilsouhaitaitserapprocherdesesenfants?Àlavenueduprintemps,ilcommençaàs'interrogerdeplusenplussouventà
proposdelavéritablenaturedeDieu.Danssonétat,c'étaitsansdouteinévitable,supposa-t-il. Soit Dieu existait, et Steve passerait l'éternité au paradis... Soit Iln'existaitpasetiln'yavaitplusrienaprèslamort.Enunsens,Stevetrouvaituncertain réconfort à tourner et retourner sans cesse la question dans sa tête. Cemonologueintérieurassouvissaitundésirancréauplusprofonddelui-même.IlfinitparconclurequeDieuétaitréel,maissouhaitaaussipouvoirtémoigner
deSaprésencesurterre,auquotidien.Etainsicommençasaquête.
Steve vivait la dernière année de son existence. Il pleuvait presque chaquejour... comme jamais au printemps. Puis vint lemois demai et une sécheresseinhabituelle...àcroireque,dansleciel,quelqu'unavaitsubitementdécrétélafindudéluge.Steveachetaleverredontilavaitbesoinetcommençalafabricationduvitrail.Enjuin,sesenfantsarrivèrent...AprèsavoirmaintesfoisarpentélaplageenquêtedeDieu,ilcompritqu'ilavaitpurenouerlesliensfragilesquilerattachaientàJonahetàRonnie.Àprésent,parcettesombrenuitd'aoûtoùlestortuesàpeinenéesrejoignaient
l'océan,ilsuffoquaitetcrachaitdusang.Finilesmensonges...ilétaittempspourluidedirelavérité.Ses enfants le regardaient, effrayés, et Steve savait qu'ils attendaient des
parolessusceptiblesdelesrassurer.Maissonestomacétaitcommetranspercépardesmilliersd'aiguilles.Dudosdelamain,ils'essuyalevisageetessayadeparlerd'unevoixcalme.—Jecroisqu'ilfautquej'ailleàl'hôpital...
31–Ronnie-Steve était allongé sous perfusion sur son lit d'hôpital, lorsqu'il la mit au
courant.Assiseàsonchevet,Ronniesecouaitlatêteavecobstination.C'estpasvrai.J’ycroispas...—Non,dit-elle.Impossible.Lesmédecinssetrompentforcément.—Pascettefois,dit-ilenluiprenantlamain.Désoléquetudoivesl'apprendre
decettemanière...Willet Jonahse trouvaientà lacafétériadurez-de-chaussée.Stevesouhaitait
parleràchacundesesenfantsséparément,maisRonnienevoulaitplusriensavoir.Plusquestiond'entendrelamoindreparoledelabouchedesonpère.Destasd'imagesluitraversaientlatête.Ellecomprenaitàprésentpourquoison
père tenait tellement à ce que Jonah et elle viennent en Caroline du Nord. Demêmequ'elledevinaitquesamèreétaitaucourantdepuisledébut.Etcommeilleur restait peu de temps à passer ensemble, Steve s'étaitmontré conciliant etavaitrefusédesedisputeravecRonnie.Sansparlerdesonacharnementàvouloirfinirlevitrail...Toutdevenaitlogique,àprésent.Elle le revoyait tousser comme un forcené à l'église, et chaque fois qu'il
grimaçait de douleur en se levant, en s'asseyant... Avec le recul, les pièces dupuzzles'imbriquaientàmerveille.Etpourtant,toutsonuniverss'effondrait...Sonpèrenelaverraitjamaismariée,netiendraitjamaissespetits-enfantsdans
sesbras.Ronnietrouvaitinsupportablelaseuleidéededevoirvivrelerestedesonexistencesanslui.C'étaitinjuste.Intolérable.Ronnierepritlaparoled'unevoixbrisée.—Quandest-cequetucomptaism'enparler?—J'ensaisrien...—Avantmondépart?Ouquandj'auraisétéderetouràNewYork?Commeilnerépondaitpas,ellesentitlerougeluimonterauxjoues.Ellesavait
qu'ellenedevaitpassemettreencolère,maisnepouvaits'enempêcher.—Quoi?Tuprévoyaisdemel'annoncerpartéléphone?Enmedisantuntruc
dugenre:«Désolédenepast'avoirmiseaucourantcetété,maisj'aiuncanceraustadeterminal.Àpartça,tuvasbien,mapuce?».—Ronnie...—Situcomptaispasmel'annoncer,pourquoitum'asfaitvenirici?Pourqueje
puisseteregardermourir?—Non,machérie.C'esttoutlecontraire,sedéfendit-ilentournantlatêtepour
luifaireface.J'aivouluquetuviennesafindetevoirvivre.Àcesmots,Ronniecrutdéfaillir.Elleentenditdeux infirmièrespasserdans le
couloirenchuchotant.Auplafond,l'éclairageaunéonbourdonnaitetprojetaituneatroce lueurbleuâtre sur lesmurs. Laperfusion s'écoulait régulièrement,goutte
après goutte... La banalité d'un hôpital dans toute son horreur... Mais tout celan'avaitriendebanalpourRonnie.Lagorgeserrée,elledétournalesyeuxetluttapourretenirseslarmes.— Ne m'en veux pas, ma puce... J'aurais dû t'en parler, je sais, mais je
souhaitaisunéténormalpournoustous.Jevoulaisjusterenoueravecmafille.Tuveuxbienmepardonner?Son tonsuppliant luidéchirait lecoeuretRonnie laissaéchapperunsanglot.
Sonpèreétaitmourantet implorait sonpardon.C'était si pathétiquequ'ellenesavaitcommentréagir.Iltenditlamainetellelaluiprittendrement.—Biensûrquejetepardonne,déclara-t-elle,lavoixentrecoupéedelarmes.Ellesepenchavers luietposadoucement latêtesursapoitrine,remarquant
combienilavaitmaigrisansqu'elles'enrendevéritablementcompte.Ellesentitlesossaillantsdesacagethoraciqueetcompritsoudainqu'ildépérissaitdepuisdesmois.Elles'envoulaitdenepasyavoirprêtéattention, tellementelleétaitpréoccupéeparsaproprevie.Quandsonpère l'entouradesesbras,elle sanglotadeplusbelle, consciente
qued'icipeucesimpletémoignaged'affectiondisparaîtrait.Malgréelle,Ronnieseremémorasonarrivéeaubungalowetlacolèrequ'elleéprouvaitalorsenverslui.Elle ledétestait tantqu'ellen'auraitpassupporté lemoindrecontactphysique...alorsqu'ellel'adoraitplusquetout,désormais.Ronnieappréciaitdeconnaîtreenfinlesecretdesonpère,mêmesielleaurait
préféréne riensavoir.Ellesentit samain luicaresser lescheveux.Un jour, ilnepourraitpluslefaire,ilneseraitpluslà...etelleplissafortlespaupières,commepourrepousser l'échéance.Elleavaitencorebesoinde lui...quandelleauraitduchagrin,quandellecommettraitdeserreurs...Elleavaitbesoinqu'ill'aimecommeil l'avait aimée cet été.Ça lui était indispensable... et pourtant elle allait devoirbientôtyrenoncer.Elleselaissabercerdanslesbrasdesonpèreetpleuracommel'enfantqu'elle
n'étaitplusdésormais.Plus tard, il répondit à ses questions. Il lui parla de son propre père et de
l'héréditécancéreusedanssafamille,desdouleursqu'ilavaitéprouvéesàl'arrivéedunouvelan.Illuiexpliquaqu'uneradiothérapieneserviraitàrienenraisondelapropagation des métastases. Tout en l'écoutant, Ronnie imaginait les cellulesmalignesmigrantdanslecorpsdesonpère,telleunearméediaboliquedétruisanttout sur sonpassage.Elle l'interrogeasur lachimiothérapie,mais la réponsedeStevefutlamême.Lecancersemontraitpugnaceetsilachimiopouvaitralentirsesprogrès,ellene l'arrêteraitpaspourautant.Et sonétat se révélerait encorepireques'iln'avaitriententé.Ilabordaensuitelaquestiondelaqualitédevie...etelle luienvoulutànouveaudenepas luienavoirparléplus tôt.Toutefois,ellecompritqu'ilavaitpris labonnedécision.Sielleavait su, l'étéseseraitdéroulédifféremment.Leurrelationauraitévoluéd'uneautremanière...etRonniepréféraitnepasréfléchiràl'orientationqu'elleauraitprise.Son père avait le teint blafard et elle savait que la morphine le rendait
somnolent.—Tuasencoremal?
—Pascommetoutà l'heure.C'estsupportable.Ellehocha la tête,évitantdepenserauxcellulesmalignes.—Àquelmomenttuasmismamanaucourant?—Enfévrier,justeaprèsavoirapprislanouvelle.Maisjeluiaidemandédene
rienvousdire.Elle essaya de se rappeler le comportement de samère à cette période.Nul
doute qu'elle devait être bouleversée... mais Ronnie ne parvenait pas à s'ensouvenir,oubienellen'yavaitpasprêtéattention,à l'époque.Commetoujours,ellenepensaitqu'àelle.Ronnievoulaitcroirequ'elleavaitchangéàprésent,mêmesiellesavaitquece
n'étaitpastoutàfaitlecas.EntreWilletletravailàl'aquarium,elleavaitpassérelativementpeudetempsavecsonpère...etnepourraitjamaislerattraper.—Si j'avaissu, jeseraisrestéedavantageauprèsdetoi. J'auraisput'aideret
t'éviterd'êtreaussifatigué...—Lesimplefaitdetesavoiricim'étaitplusquesuffisant.—Maistun'auraispeut-êtrepasfiniàl'hôpital.—Dansunpremier temps, c'est de te voir profiter de tes vacances en toute
insoucianceettomberamoureusequim'apeut-êtreévitél'hôpital.Mêmes'iln'y fitpasallusion,Ronniedevinaitqu'ilnes'attendaitplusàvivre
trèslongtemps...etelletentad'envisagerlaviesanslui.Sielleneluiavaitpasdonnésachanceenpassantcetétéàsoncôté,elleaurait
sansdoutepul'oublierplusaisément.Maiselleétaitvenue,avaitrenouéaveclui,etplusrienneserait facileàprésent.Dans lesilenceangoissantde lachambre,Ronnie entendait la respiration poussive de son père et remarquait encorecombienilétaitdevenuchétif.Ellesedemandaits'ilvivraitjusqu'àNoël,oumêmeassezlongtempspourqu'ellepuisserevenirlevoir.Elleseretrouvaitseuleavecsonpèremourantetnepouvaitmalheureusement
rienyfaire.—Qu'est-cequivasepasser?luidemanda-t-elle.Ilnes'étaitguèreassoupi...
dixminutestoutauplus,avantdetournerlatêteverselle.—Jenesuispassûrdecomprendre...—Est-cequetuvasdevoirresteràl'hôpital?C'était laseulechosequ'elleappréhendait.Pendantqu'il sommeillait,elle lui
tenait toujours lamainet l'imaginaitdéjàclouéàce lit... contraintdepasser lerestant de ses jours dans cette chambre qui empestait le désinfectant, entouréd'infirmièresquin'étaientriend'autrequedesétrangères.—Non.Jevaisprobablementrentreràlamaisond'iciquelquesjours,dit-ilen
souriant.Entoutcas,jel'espère.Elleluipressavivementlamain,enrépliquant:—Etaprès?Quandonserapartis?Ilpritletempsd'yréfléchir.—Jesupposeque j'aimeraisvoir levitrail terminé.Et finir lachansonque j'ai
commencée.Jerestepersuadéqu'ellemérited'être...retravaillée.Ronnierapprochasachaise.—Quivaveillersurtoi?Jeveuxdire...s'assurerquetoutvabien?Steveneréponditpastoutdesuite,maisessayadeseredresserunpeucontre
lesoreillers.—Çaira...Etsij'aibesoindequelquechose,jepeuxtoujoursappelerlepasteur
Harris.Ilhabiteàdeuxoutroisruesdechezmoi.Elle voyait déjà le pauvre homme avec sa canne, les mains couvertes de
brûlures encore douloureuses, essayant d'aider son père à s'installer dans lavoiture.Steveparutdevinersespensées.—Commejetel'aidit,çavaaller,murmura-t-il.Jem'ysuispréparéet,quitteà
affronterlepire,ilexisteunétablissementdesoinspalliatifsrattachéàl'hôpital.—Autrementdit,unhospice?—C'estpasaussiterriblequetul'imagines.J'ysuisallé.—Quandça?—Voilàquelquessemaines.Etdenouveaulasemainedernière.Ilssontprêtsà
m'accueillir,aubesoin.Encoreundétailqu'elleignorait,encoreunsecretqu'illuirévélait.Etunevérité
présageantl'inévitable.Ellesentitsonestomacsenouer,lanauséelagagner.—Maistupréféreraisrestercheztoi,pasvrai?—Eneffet.—Jusqu'àcequetunesoiesplusautonome?—Exact...,murmura-t-ilavecunregardtriste,insupportablepoursafille.Ronniequitta lachambrepourallerà lacafétéria.Sonpèreavaitdécidéqu'il
étaittempspourluideparleràJonah.Elletraversalescouloirscommeunzombie. Ilétaitpresqueminuitàprésent,
maislesurgencesnedésemplissaientpas,commetoujours.Ellepassadevantdessallesoùpleuraientdesenfants,accompagnésdeparentsangoissés,aperçutunefemmeprisedevomissementsincessants.Médecinsetinfirmièress'affairaientçàetlà.Ronnien'enrevenaitpasdevoirautantdegenssouffrantsàuneheureaussiavancée...toutensachantquelaplupartdecespatientsrentreraientchezeuxlelendemain. Son père, en revanche, serait transféré dans une autre chambre del'étage,aprèsavoirremplisondossierd'admission.Ellesefaufiladanslasalled'attentebondée,puisfranchitlaportedonnantsur
lehalld'entréeprincipaletlacafétéria.Unpeuplusloin,lesbruitss'atténuaient.Seulssespasrésonnaientsurlesolet,
tout en marchant, Ronnie sentit de nouveau la fatigue et les haut-le-coeurl'envahir...Ellesedisaitquec'étaiticiqu'onaccueillaitlesmalades,lesmourants...et,ellelesavait,iciquesonpèrereviendraitunedernièrefois.Cefutlagorgeserréequ'ellearrivaàlacafétéria.Elleséchasesyeuxrougiset
gonflésetsepromitdenepascraquer.Lesnackétait fermé,mais ilyavaitdesdistributeurs installés contre lemur du fond, et elle vit deux infirmières assisesdansuncoinquisirotaientleurcafé.WilletJonahétaitattablésprèsdelaporte,autourdeboissonsetd'unpaquetdecookiesentamé.Willlevalatêteenlavoyants'approcher.—T'enasmisdutemps!s'exclamasonfrère.Qu'est-cequisepasse?P'pava
bien?—Ilvamieux,répondit-elle.Maisilveutteparler.—De quoi ? rétorqua Jonah en reposant son cookie. J'ai rien fait demal, au
moins?—Non,pasdutout.Ilveutt'expliquercequisepasse.—Pourquoitupeuxpasmelediretoi-même?Sonfrèreavaitl'airanxieux,et
Ronnieappréhendaitsaréactionlorsqu'ilseraitenfinaucourant.— Parce que p'pa souhaite te parler en tête à tête, comme avec moi. Je
t'accompagnejusqu'àlachambreetj'attendraidanslecouloir,O.K.?Jonahselevapourgagnerlaporte.—O.K.,dit-ilenpassantdevantRonnie,quieutsoudainenviedefuir.Maiselledevaitsoutenirsonfrère.QuantàWill,ilrestaitassislà,immobile,lesyeuxfixéssurelle.—Jeterejoinsdansdeuxsecondes!lança-t-elleàJonahquis'enallaitdéjà.Will se leva à son tour et parut effrayé pour elle. Il a compris, pensa-t-elle
subitement.D'unemanièreoud'uneautre,iladeviné.—Tupeuxnousattendre?commença-t-elle.Jesaisquet'assansdoute...—Biensûr,dit-ilcalmement.Jerestelàtantquevousavezbesoindemoi.Soulagée,Ronnieleremerciad'unsourire,puistournalestalonsetemboîtale
pas à son frère. Ils poussèrent la porte et traversèrent le hall désert, avant deretrouverl'effervescencedesurgences.Jusque-là, Ronnie n'avait jamais perdu quelqu'un de proche. Même si les
parents de son père étaient décédés et si elle se souvenait avoir assisté auxobsèques, elle ne les avait jamais vraiment connus. Ce n'était pas le genre degrands-parentsquivousrendaientvisite.Ellelesconsidéraitpresquecommedesétrangers...qui,àvraidire,neluiavaientjamaismanqué.Uneseulefoiselleavaitétéconfrontéeàlamort,lorsquesaprofd'histoireen
cinquième,AmyChildress,avaitsuccombéàunaccidentdelaroutependantlesvacancesd'été.Kayla luiavaitappris lanouvelleetRonnieserappelaitavoirétépluschoquéequevéritablementtriste,surlecoup...neserait-cequeparcequ'Amyaccusait une petite vingtaine d'années et n'enseignait que depuis peu. Bref,Ronnie avait peine à croire à sa disparition. Cette prof était sympa et comptaitparmilesraresenseignantsquis'autorisaientàrireencours.Lejourdelarentrée,Ronnie ne savait pas trop à quoi s'attendre au collège. Comment les autresallaient-ilsréagiràlamortd'Amy?Quepouvaientbienpensersescollèguesprofs? Elle arpenta les couloirs ce jour-là, en quête de signes quelconques... maishormis une petite plaque commémorative fixée au mur, près du bureau duprincipal,Ronnienevit riend'extraordinaire. Lesenseignantsavaient repris leurroutineet lesnouveauxvenussympathisaientavec lesanciensdans lasalledesprofs;elleaperçutMmeTayloretM.Burns—deuxdescollèguesaveclesquelsMlleChildressdéjeunaitsouvent—,bavardantgaiementdanslescouloirs.Ronnie se souvint que ça l'avait gênée de les voir aussi joyeux. Bien sûr,
l'accident s'était produit pendant l'été, et les gens avaient déjà fait leur deuil...maisendécouvrantquelasalled'histoiredeMlleChildressservaitdésormaisauxcoursdescience,elleavaitsentilacolèrelagagner.Ellenesupportaitpasqu'onpuisseeffacerlesouvenirdesaprofensipeudetemps.Ellen'avaitpasenviequecelaseproduiseavecsonpère.Pasquestionqu'on
l'oublie en quelques semaines... C'était un brave homme, un bon père, et il
méritaitmieuxqueça.Defilenaiguille,elleenvintàsedirequ'ellen'avaitjamaisréellementconnu
son père lorsqu'il était en bonne santé. La dernière fois qu'elle avait passé dutempsaveclui,avantderefuserdeluiparlerpendanttroisans,Ronniesetrouvaitentroisièmeau lycée.Àprésent,elleétaitadulte—dumoinssur lepapier...Entout cas, assez âgée pour voter ou s'enrôler dans l'armée. Et son père avaitconservésonsecretduranttoutl'été.Queserait-ildevenus'ilavaitignorécequiluiarrivait?Quiétait-il,aujuste?Hormislessouvenirsqu'elleengardaitquandilluienseignaitlepiano,Ronnie
nedisposaitd'aucuncritèrepoursefaireuneopinion.Enfait,ellesavaitpeudechoses à son sujet. Quels auteurs aimait-il lire ? Quel était son animal favori ?Connaissait-elle seulement sa couleur préférée ? Autant de détails anodins enapparence... mais la seule idée que ces questions restent sans réponses laperturbait.Derrièrelaporte,elleentenditJonahpleureretcompritqu'ilvenaitd'apprendre
lavérité.Entredeux sanglots, son frère refusaitde l'admettre, tandisqueStevetentaitdel'apaiser.Elles'adossaaumurducouloir,aussipeinéepourJonahquepourelle-même.Ronnieauraitvouluchassercecauchemar,remonterletempsjusqu'àl'éclosion
desbébés tortues,quand toutsemblaitallerpour lemieuxdans lemeilleurdesmondes.Ellesouhaitaitseretrouverauprèsdugarçonqu'elleaimait,entouréedesafamilleheureuse.EllerevitalorslevisageradieuxdeMeganquidansaitaubrasdesonpèreàson
mariage,etpritdouloureusementconsciencequeSteveetellenepartageraientjamaiscemerveilleuxmoment.Elle ferma les yeux et se boucha les oreilles, afin de ne pas entendre Jonah
pleurer. Il avait l'air si désemparé, si jeune... si épouvanté. Comment pouvait-ilcomprendre,accepter lasituation?S'enremettrait-ilun jourou l'autre?Ronniesavaitqu'iln'oublieraitjamaiscettehorriblesoirée.—Jepeuxt'apporterunverred'eau?Elle entendit à peine les paroles, mais devina qu'on s'adressait à elle. Elle
relevasesyeuxnoyésdelarmes,etvitlepasteurHarris.Impossibledeprononcerunmot...maiselleparvintàsecouerlatête.Quantà
lui, il arborait une expression bienveillante empreinte de douceur, mais Ronniedevinait son angoisse à ses épaules voûtées, à la manière dont il agrippait sacanne.— Je suis infiniment désolé, reprit-il d'une voix accablée. Je n'imaginemême
pascombiençadoitêtredurpourtoi.Tonpèreestunhommeextraordinaire.—Commentvousavezsuqu'ilétaitlà?Ilvousaappelé?—Non.C'estuneinfirmièrequim'aprévenu.Jeviensicideuxoutroisfoispar
semaine, et quand Steve a été admis aux urgences, le personnel a pensé quej'aimeraisêtreaucourant.Ilssaventquejeleconsidèrecommemonfils.—Vousallezluiparler?LepasteurHarrisjetaunregardsurlaporteclose.—Uniquements'ilsouhaitemevoir.(Àenjugerparsonexpressionaffligée,nul
doutequ'ilentendait Jonahpleurer.)Etaprèsvousavoirparléàtous lesdeux, jesuissûrqu'ilenaurabesoin.Situsavaiscommeilappréhendaitcetinstant...—Vousenavezdiscuté?—Plusieursfois.Iltientàvousdeuxplusqu'àsaproprevie,etnevoulaitpas
vousfairedumal.Ilsavaitquecemomentviendraitunjouroul'autre,maisjesuiscertainqu'iln'avaitpasenviequevousledécouvriezdecettemanière...—Quelleimportance,maintenant?Çanechangerienàlasituation.—Aucontraire,toutestdifférent.—Parcequejesuisaucourant?— Non... Parce que vous avez passé du temps ensemble. Avant que vous
arriviez,tonfrèreettoi,Steveétaittrèsnerveux.Pasàcausedesamaladie,maisparcequ'il tenaità toutprixàpartagerdesmomentsavecvous,etque l'étésedérouleàmerveille.Jenecroispasquetupuissesterendrecompteàquelpointvousluiavezmanqué,nicombienilvousaime,Jonahettoi.Avantlesvacances,ilcomptaitlesjoursetmeledisaitchaquefoisqu'onsevoyait.Laveilledevotrearrivée,ilapassédesheuresàfaireleménage,àchangerles
draps,toutça...Jesaisquelebungalownepaiepasdemine,maissitul'avaisvuavant,tucomprendrais...Steveavaitenviequevousviviezunétémémorable,etdésiraitenfairepartie.Commetouslesparents,ilsouhaitevousvoirheureux...Ilveuts'assurerquetoutsepasserabienpourvousdeux,quevous ferez lesbonschoixdanslavie.Voilàpourquoiilavaittantbesoindecetété...etvousleluiavezoffertcommeunmerveilleuxcadeau.Elleledévisagea,hésitante.—Pourmapart,jen'aipastoujoursprislesmeilleuresdécisions.LepasteurHarrisluisourit.—Çaprouvesimplementquetueshumaine.Tonpèrenes'estjamaisattenduà
cequetusoisparfaite.Maisjesaiscombienilestfierdelajeunefemmequetuesdevenue. Ilme l'a dit voilà quelques jours à peine, et tu aurais dûentendre enquels termes il parlait de toi. Il était si heureux... et cettenuit-là, enpriant, j'airemerciéDieupourSteve.Carenseréinstallantici,tonpèreaconnudespériodesdedouteetdedésespoir,et jen'étaispassûrdelevoirretrouver lebonheurunjour.Etpourtant,malgrétouscesévénements,jelesaisheureuxàprésent.—Qu'est-cequejesuiscenséefaire,maintenant?s'enquitRonnie,uneboule
danslagorge.—Riendeparticulier,jecrois.—Maisjecrèvedepeur...Etpapa...— Jesais.Etmêmesi ton frèreet toi l'avez rendu trèsheureux, jemedoute
qu'ilatrèspeur,luiaussi.Plus tard, debout sur la véranda,Ronnieméditait dans lapénombre.Comme
chaque soir, les vagues se brisaient avec régularité sur la grève, tandis que lesétoiles scintillaient dans le ciel, plus intenses que jamais. Néanmoins, tout luisemblaitdifférent.Willparlaitavec Jonahdans lachambre...sibienqu'ilyavaittoujourstroispersonnes,maislamaisonparaissaitsingulièrementplussilencieusequ'àl'ordinaire.LepasteurHarrisétaitrestéauchevetdeSteve,laprévenantqu'ilypasseraitla
nuit,afinqu'ellepuisseramenerJonah...Ronniequittapourtantl'hôpitalavecunsentiment de culpabilité. Le lendemain, son père devrait subir des examens etrencontrer son médecin. Dans l'intervalle, il serait épuisé et aurait forcémentbesoinderepos.Toutefoiselleauraitvouluêtreàsoncôté,mêmes'ilsomnolait,carellesavaitquebientôtelleseraitprivéedesaprésence.Derrièresondos,laportegrinça,alorsqueWilllarefermaitendouceur.Comme
ils'approchaitd'elle,Ronniecontinuaàfixerlaplagedanslanuit.— Jonaha finipar s'endormir,annonça-t-il.Mais jecroispasqu'il comprenne
vraimentcequisepasse.Ilm'aditqu'ilétaitsûrquelemédecinallaitguérirvotrepère,etn'apasarrêtédemedemanderquandilpourraitreveniràlamaison.Ellesecontentad'acquiescer,songeantauxlarmesdeJonahdanslachambre
d'hôpital.Willlapritdanssesbras.—Commenttutesens?—D'après toi ? Je viensd'apprendrequemonpèreétaitmourantetqu'il ne
passerasansdoutepasNoël...—Jesais...Etj'ensuisdésolé.Jesaisaussicombienc'estdifficilepourtoi,dit-il
enlaprenantparlataille.Jevaisresterlà,cettenuit...Aucasoùtuseraisobligéedepartir,ilyauratoujoursquelqu'unauprèsdeJonah.Jepeuxrestericitantquetu auras besoin demoi. Je suis censém'en aller dans deux jours,mais je peuxtoujoursappelerlafacetexpliquercequisepasse.Lescoursnecommencentpasavantlasemaineprochaine.— Tu pourras rien changer à la situation, rétorqua Ronnie, qui s'en voulut
aussitôtd'êtreaussicassante.Tupigespas,ouquoi?—J'essayepasdechangerquoiquecesoit...—Biensûrquesi !Maisc'est impossible ! lâcha-t-elle,àboutdenerfs.Et tu
peuxpasnonplustemettreàmaplace!—Moiaussi,j'aiperduunêtrecher,luirappela-t-il.—C'estpaspareil!dit-elleenretenantseslarmes.J'aiétésimauvaiseenvers
lui.J'aiabandonnélepiano!Jeluireprochaistoutetn'importequoi,etjeluiaiàpeine adressé la parole en trois ans ! Trois ans, t'imagines ! Trois années deperdues.Peut-êtrequesij'avaispaseutoutecetterageenmoi... ilneseraitpastombémalade.Peut-êtrequec'estmoiquin'aifaitqu'aggraversonstress...etquisuislacausedetoutça!explosa-t-elleens'écartantdeWill.—C'estpasdetafaute.Willtentadelareprendredanssesbras,maisc'étaitladernièrechosedontelle
avaitenvie.Ellelerepoussaet,commeilrésistait,luimartelalapoitrineenhurlant:—Laisse-moi!Jepeuxmedébrouillertouteseule!Mais il tenait bon, et lorsqu'elle comprit qu'il ne céderait pas, elle s'effondra
contreluietsanglotaunlongmomentaucreuxdesonépaule.Allongéedanslenoir,RonnieécoutaitlarespirationdeJonah.Willdormaitsur
lecanapédusalon.Elleauraitdûessayerdesereposer,maiselletendaitl'oreille...aucasoùretentiraitlasonneriedutéléphone.Elleimaginaitlepire:sonpèreprisd'une nouvelle quinte de toux, perdant encore beaucoup de sang, sans quequiconquepuisseluivenirenaide...
À son côté était posée la Bible de Steve sur la table de nuit. Ronnie l'avaitfeuilletéetoutàl'heure.Avait-ilsoulignédespassages,marquécertainespages?Hormis son aspect usé témoignant du fait qu'il avait lu et relu la plupart deschapitres,elleauraitsouhaitéydécelerlatracedesonpère,quelquesindicessurlui-même...Maisriennelaissaitsupposerqu'ilpréféraittelpassageplutôtquetelautre.Ronnien'avait jamais lu laBible.Pourtant,ellesavaitqu'elle liraitcelle-ci,en
quête des réponses que son père avait dû trouver au fil des pages. Le pasteurHarris la lui avait offerte, ou bien Steve l'avait-il lui-même achetée ? Et depuisquandl'ouvrageétait-ilensapossession?Elleignoraittantdechosesausujetdesonpère...etsedemandaitàprésentpourquoiellen'avaitjamaisprislapeined'enparleraveclui.Toutefois,elleallaityremédier.Sid'icipeuRonnieallaitdevoirseraccrocherà
sessouvenirs,alorsellesouhaitaitenrecueillirlepluspossible...Et,sesurprenantàprierpourlapremièrefoisdepuisdesannées,elledemandaàDieudeluilaissersuffisammentdetempspourmieuxconnaîtresonpère.
32–Will-Willnedormitpastrèsbien.Toute lanuit, ilentenditRonniesetourneretse
retourner dans son sommeil, quand elle ne faisait pas les cent pas dans sachambre. Le choc qu'elle éprouvait ne lui était pas étranger... Il se rappela sastupeur,saculpabilité,puis ledéniet lacolèrequ'ilavaitéprouvésà lamortdeMikey.Letempsavaitfiniparatténuersesémotions,maisilsesouvenaitencoredubesoinparadoxaldecompagnieetdesolitudequ'ilavaitressentiàl'époque.Ilétaitenvahid'uneprofondetristesseenpensantàRonnie,àJonah,tropjeune
pourcomprendrecequiluiarrivait...etàlui-mêmeaussi.Toutl'été,Steveluiavaittémoignéunegentillesse incroyable,comme ilsavaientpassébeaucoupplusdetempschezRonniequechezlui.WillaimaitvoirStevepréparertranquillementlesrepasetpartagerunevraiecomplicitéavecJonah.Illessurprenaitsouventsurlaplageou jouantdans lesvagues,aucerf-volant,oubiens'affairant sur levitrail,paisiblesetconcentréssurleurouvrage.Silaplupartdespèresaffirmaientêtredeceuxquiconsacrentdutempsàleursenfants,nuldoutequ'auxyeuxdeWill,Steveincarnait l'idéal. Durant la courte période où il l'avait connu, il ne le vit jamaishausser la voix, se mettre en colère. Peut-être aussi parce que Steve se savaitmourant...maisçan'expliquaitpastout,selonWill.LepèredeRonnieétaitavanttout unbravehomme, enpaix avec lui-mêmeet ses semblables ; il adorait sesenfants et leur faisait confiance pour l'avenir, sachant qu'ils seraient assezintelligentspourprendrelesbonnesdécisions.Allongésurlecanapé,Willseditqu'ilsouhaiteraitdevenircegenredepèreun
jour. Il aimait le sien, bien sûr, mais Tom n'avait pas toujours eu cette imagedébonnaire que Ronnie avait découverte en faisant sa connaissance. Will avaitvécudelonguespériodesdurantlesquellesilvoyaitàpeinesonpère,tropoccupéàfaireprospérersasociété.Ajoutezàcelal'instabilitéémotionnelledesamère,ledécèsdeMikey...ettoutelafamilleavaitsombrédansladépressionpendantdeuxoutroisans,aupointqueWillsouhaitaparfoisavoirvulejourdansuntoutautrefoyer.Ilsavaitqu'ilavaitdelachance,etlasituations'étaitdrôlementamélioréecesdernièresannées.Maisàl'adolescence,cen'étaitpasrosetouslesjoursàlamaison.Quoiqu'ilensoit,Steveappartenaitàunautregenredeparents.Ronnie lui avait raconté qu'il restait assis des heures entières à son côté,
lorsqu'elle apprenait le piano. Pourtant, chaque fois queWill s'était trouvé à lamaison,iln'avaitjamaisentenduSteveenparler,mêmepasunesimpleallusion.SiWilltrouvaçaassezbizarreaudébut,ilfinitparyvoirtoutelaforcedel'amourpaternel. Ronnie ne voulait plus entendre parler de piano, eh bien Steve n'enparlait plus... même si la musique avait occupé une grande partie de leur viecommune. Ilétaitmêmeallé jusqu'à fabriquerunecloisondans l'alcôve,afinde
masquerl'instrumentetderespecterlesouhaitdesafille.Quelgenred'hommeferaitunechosepareille?Uniquement Steve, un homme queWill admira plus de jour en jour, auprès
duquel il apprenait beaucoup... le genre d'homme qu'il espérait devenir enmûrissant.Réveilléparlesoleilmatinalquitraversaitlesfenêtresdusalon,Wills'étiraet
seleva.Enjetantunoeildanslecouloir, ilvit laportedelachambreouverteetcompritqueRonnieétaitdéjàlevée.Illaretrouvasurlavérandafaceàlaplage,aumêmeendroitquelaveille.—Bonjour...Ronniesetournaverslui.—Bonjour,dit-elle,l'ombred'unsouriresurleslèvres.Elletenditlesbrasetil
l'étreignit,heureuxdelaretrouver.—Désoléepourhiersoir,reprit-elle.—T'asaucune raisonde l'être, ditWill en respirant ledélicat parfumde ses
cheveux.T'asrienfaitdemal.—Mouais...Maismerciquandmême.—Jet'aipasentenduetelever.— Jesuisdeboutdepuisunmoment,soupira-t-elle. J'aiappelé l'hôpitalet j'ai
parléàmonpère. Iln'apasditgrand-chose,mais j'aicomprisqu'ilavaitencoremal.D'aprèslui,ilsdevraientlegarderencoredeuxoutroisjours,letempsdefairedesexamens.End'autrescirconstances,Willluiauraitditquetoutallaitbiensepasser,que
toutfiniraitpars'arranger...Maisdanslecasprésent,tousdeuxsavaientquecesparolesn'avaientpasdesens.IlpréférasepencheretposerdoucementsonfrontcontreceluideRonnie.—T'aspudormirunpeu?demanda-t-il.Jet'aientendueteleveretarpenterla
chambre.—Non, jemesuispasvraimentreposée. J'ai finiparmeglisserdans le litde
Jonah,maismon cerveau était en ébullition. Pas seulement à cause de ce qu'iladviendraitdemonpère...Àcausedetoi,aussi.Tut'envasdansdeuxjours...—Jet'aidéjàditquejepouvaisreportermondépart.Sit'asbesoinquejereste
unpeu,aucunsouci...Ellesecoualatête.—Pasquestiondeteretenir.T'essurlepointdecommenceruntoutnouveau
chapitredetavieetj'aipasenviedet'enpriver.—Maisjesuispasobligédepartirmaintenant.Lescoursnecommencentpas
toutdesuite...— J'y tienspas, répéta-t-elled'unevoixdouce,mais ferme.Tuvasentrerà la
fac...Touscesproblèmesneteconcernentpasdirectement.Jesaisquejepeuxteparaîtredure,maisc'estpasmonintention.Ils'agitdemonpère,pasdutien,etonn'ychangerarien.Etpuisj'aisuffisammentdechosesentêtepournepas,enplus,culpabiliseràproposdecequetupourraiséventuellementrateràcausedemoi.Tucomprends?Sesparolesavaientunaccentdevéritépourtouslesdeux,mêmesiWillaurait
préféréqu'ellesetrompe.Ildéfitalorssonbraceletenmacraméetleluitendit.—J'aimeraisquetuleportes,murmura-t-il.Aencroirel'expressiondeRonnie,ellecomprenaitvisiblementcombienilétait
importantpourWillqu'elleaccepte.Elle luisourit timidementet refermasamainsur lebracelet.Willcrutqu'elle
allait reprendre la parole, quand ils entendirent soudain la porte de l'ateliers'ouvriravecfracas.L'espaced'uninstant,Willcrutavoiraffaireàuncambrioleur.Puis ilvit Jonahtraînerunechaisecasséeà l'extérieur.Legamin lasoulevaavecpeineetlalançapar-dessusladune.Mêmeàcettedistance,WillvoyaitlafureursurlevisagedeJonah.Ronniedescendaitdéjàdelavéranda.—Jonah!s'écria-t-elleensemettantàcourir.Will bondit dans son sillage etmanqua de la renverser quand elle parvint à
l'entrée de l'atelier. Par-dessus l'épaule de Ronnie, il vit Jonah qui tentait dedéplacerunelourdecaisse.—Qu'est-ce que tu fabriques ? hurla-t-elle. Quand est-ce que t'es sorti pour
venirici?Sonfrèrel'ignoraetcontinuaàpousserlacaisseengrognantsousl'effort.—Jonah!LegossesetournaenfinversWilletsasoeur,surprisparleurprésence.—J'arrivepasàl'atteindre!vociféra-t-ilauborddeslarmes. Jesuispasassez
grand.—Dequoituparles?s'enquitRonnieens'avançant.Maistusaignes!Will remarqua le jeandéchiréet le sangsur la jambede l'enfant, tandisque
Ronnieseprécipitait,paniquée,verssonfrère.Maiscelui-cinel'entendaitplusets'escrimait toujours à déplacer la caisse, laquelle heurta une des étagères. Unecréaturemi-poissonmi-écureuildégringolasurlatêtedeJonah,justeaumomentoùRonnielerejoignit.Legaminavaitlevisagecrispé,enfeu.—Fouslecamp!hurla-t-il.Jepeuxmedébrouillerseul!Pasbesoindetoi!Il voulutànouveau fairebouger lacaisse,maiscelle-ciétaitcoincée,comme
encastréedansl'étagère.Ronnieessayadel'aider,maissonfrèrelarepoussa,deslarmesdégoulinantsursesjoues.—Casse-toi,jetedis!P'paveutquejeterminelevitrail!C'estmoiquidoisle
finir!Pastoi!Onyapassétoutl'été!s'égosilla-t-ilentredeuxsanglotsrageursetterrifiés.Toi, tufaisaisquet'occuperdestortues!Maismoi, j'étaistous les joursaveclui!Savoixsebrisait,tandisqu'ilenchaînait:—Etmaintenant,j'arrivepasàatteindrelemilieuduvitrail!Jesuistroppetit!
Maisfautquejeletermine...parcequepeut-êtrequecommeça...papairamieuxaprès.Alors,jesuismontésurlachaise,maiselles'estcasséeetjesuistombésurleverre...etçam'afoutuencolère,alorsj'aivouluprendrelacaisse...maiselleesttroplourde...et...Jonahpouvait àpeineparler àprésent... et il s'affala soudain sur le sol. Il se
recroquevilla,têtebaissée,lesépaulessecouéesparsessanglots.
Ronnie s'assit auprès de lui et le prit dans ses bras, tandis qu'il continuait àpleurer.Willlesobservait,lagorgenouée,etsesentaitcommeunintrusaucoeurd'undramequin'étaitpaslesien.Toutefois il resta là, pendant que Ronnie berçait son petit frère en silence,
jusqu'àcequesessanglotss'atténuent.Jonahrelevaenfinlatête,lesyeuxrougisderrièreseslunettes,levisagemarquéparleslarmes.Ronnies'adressaàluiavecuneinfiniedouceur.—Onpeutretourneràlamaisondeuxminutes?Jeveuxjustejeterunoeilsur
tonentailleàlajambe.—Etlevitrail?répliquaJonahd'unevoixencoretremblante.Fautquandmême
leterminer.RonniecroisaalorsleregarddeWill,puissesyeuxrevinrentverssonfrère.—Onpeuttedonneruncoupdemain?Jonahsecoualatête.—Vousyconnaissezrien...—Ehbien,tuvasnousmontrer!AprèsqueRonnieeutsoignésajambeécorchéeetmisunpansement,Jonahles
entraînadenouveauversl'atelier.Levitrailétaitquasimentachevé,lesdétailsdesvisagesterminés,etlesbarres
de renfort déjà en place. Il ne restait plus qu'à ajouter les centaines de petitespiècesformantlalueurdivinedansleciel.Jonah montra à Will comment tailler les plombs d'entourage et à Ronnie
comment les souder ; Jonah,quantà lui,découpait lespiècesdeverre,puis lesinséraitentrelesplombs,avantqueRonniesechargedelessertir.Il régnait une chaleur étouffante dans cet atelier exigu, mais tous les trois
finirentpartrouverleursmarquesetuncertainrythme.Àl'heuredudéjeuner,WillfilaacheterdeshamburgerspourJonahetlui,etunesaladepourRonnie;ilsfirentunecourtepausedéjeuner,puiss'attelèrentdenouveauàlatâche.Dansl'après-midi,Ronnieappelal'hôpitalàtroisreprises,maisneputavoirsonpèreauboutdufil:tantôtilpassaitdesexamens,tantôtilsereposait...maissonétatdemeuraitstable. Au crépuscule, ils avaient fini la moitié du travail. Jonah commençait àfatiguer, et ils firent une nouvelle pause repas avant d'apporter des lampes dusalonpourmieuxs'éclairer.Àdixheuresdusoir,Jonahbâillaitàs'endécrocherlamâchoire.Ilsrentrèrent
unmomentsedétendredanslamaisonetJonahs'endormitaussitôtsurlecanapé.Willlepritdanssesbrasetlecoucha.Letempsderevenirausalon,Ronnies'étaitdéjàremiseàl'ouvragedansl'atelier.Willentrepritdecouperleverre.IlavaitvuJonahopérertoutelajournée,ets'il
tâtonnaunpeuaudébut,ilpritvitelecoup.RonnieetWilltravaillèrentsansrelâche...etauxpremièreslueursdel'aube,ils
étaient épuisés. Sur l'établi trônait le vitrail achevé. Will craignait un peu laréactionde Jonahendécouvrantqu'iln'avaitpasmis la touche finaleauprojet,maisseditqueRonniesauraitgérerlasituation.—Vousavezl'aird'êtrerestésdebouttoutelanuit! lançaunevoixdansleur
dos.
WillseretournaetvitlepasteurHarris,deboutàl'entréedel'atelier.Appuyé sur sa canne, il portait un costume — sans doute pour son office
dominical—,maisWill remarqua leshorriblescicatricessursesmainsetdevinaqu'ellesseprolongeaientsursesbras.Pensantalorsàl'incendiedel'égliseetausecretqu'ilgardaitdepuistantdemois,ilneputcroiserleregarddupasteur.—Onaterminélevitrail,annonçaRonnied'unevoixrauque.Leurvisiteurdésignal'objetendisant:—Jepeuxjeterunoeil?—Biensûr!Il s'avança lentementdans lapièce, sacannemartelant lesolàmesurequ'il
s'approchait. Arrivé devant l'établi, son expression passa de la curiosité àl'émerveillement,tandisqu'ilcaressaitl'ouvragedesamainnoueuseetmeurtrie.—Incroyable,murmura-t-il.Encoreplusbeauquejenel'imaginais.—MonpèreetJonahontréaliséleplusgros,précisaRonnie.Onasimplement
donnéuncoupdemainpourlesfinitions.—Tonpèreseratrèsheureux,dit-ilavecunsourireradieux.—Etlestravaux,çaavance?Jesaisquepapaaimeraitvoirlevitrailenplace.— Puisse le Seigneur t'entendre, soupira-t-il avec un haussement d'épaules.
L'église n'a pas autant de succès que par le passé, et les fidèles sont moinsnombreux.Maisj'aibonespoirquetoutfinissepars'arranger.Envoyantl'airangoissédeRonnie,Willcompritqu'ellesedemandaitsilevitrail
seraitinstalléàtemps...maisn'osaitpasposerlaquestion.—L'étatde tonpères'eststabilisé, reprit lepasteur. Ildevraitbientôtquitter
l'hôpital,ettupourrasluirendrevisitecematin.Tun'aspasratégrand-chose,hier.J'aipasséleplusclairdemontempsassisàl'attendre,pendantqu'ilsubissaitdesexamens.—Mercideluiavoirtenucompagnie.—Non,machérie...Merciàtoi,dit-ilenadmirantdenouveaulevitrail.L'atelier était bien calme au départ du pasteur. Will le regarda s'éloigner,
incapabled'oublierlescicatricesdebrûluressursesmains.Danslesilenceambiant,ilcontemplalevitrail,frappéparlasommedetravail
nécessaire à sa fabrication, alors que celui d'origine n'aurait jamais dû êtreremplacé.Ilrepensaauxparolesdupasteur...etàl'éventualitéqueStevenepuissevivre
assezlongtempspourvoirsonouvrageinstallé.Ronnieétaitplongéedanssespenséslorsqu'ilsetournaverselle.—Fautquejetediseuntruc...Assissurladune,Willluiracontatoutel'histoiredepuisledébut.Lorsqu'ileut
terminé,Ronniesemblaitdéconcertée.—C'estdoncScottquiamislefeu?Ettoi,tuleprotègesdepuis?dit-elled'un
airsceptique.T'asmentipourlui,alors?Willsecoualatête.—C'estpastoutàfaitça.Jet'aiexpliquéquec'étaitunaccident.—Peuimporte,rétorqua-t-elleenplongeantsonregarddanslesien.Accident
oupas,ildoitassumerlaresponsabilitédesonacte.
—Jesais.Jeluiaiditd'allervoirlesflics.—Mais s'il n'y vapas ? Tu vas continuer à le couvrir encore et toujours ? Et
laisser Marcus en profiter pour s'en servir comme d'une épée de Damoclèssuspendueau-dessusdetoi?C'estaberrant...—MaisScottestmonami...Ronnieselevad'unbond.—LepasteurHarrisafaillimourirdanscetincendie!Ilapassédessemainesà
l'hôpital. Tu sais à quel point les brûlures sont douloureuses ? Pourquoi ne pasdemanderàBlazecequeçafait,tiens!Quantàl'église...ilpeutmêmepasfinirlestravaux,fautedecrédits...etpeut-êtremêmequemonpèreneverrajamaislevitrailinstallé!Will tentadegarder soncalme. Il voyaitbienquec'était plusqueRonniene
pouvaitensupporter:lamaladiedeSteve,ledépartimminentdeWillpourlafac,saprochainecomparutionautribunal.— Je sais pertinemment que j'ai eu tort, reconnut-il d'une voix posée. Et je
culpabilisedepuisledébut.Tupeuxpassavoirlenombredefoisoùj'aivouluallercracherlemorceauàlapolice.—Etalors ?T'espasplusavancémaintenant... Tum'asécoutéequand je te
disaisavoirreconnumestortsdevantlejuge?Parcequejesavaisquejem'étaismalconduite !C'estquandonadesdifficultésà l'admettreque lavéritéprendtoutsonpoids!Commenttupeuxnepaspigerça?L'église,c'étaittoutelaviedupasteurHarris !Toute laviedemonpère!Etmaintenantqu'elleestdétruiteetquel'assurancenecouvrepasl'ensembledesdégâts... ildoitdirelamessedansunentrepôt...—Scottestmonpote,protesta-t-il.Jepeuxpaslejetercommeçadanslafosse
auxlions.Ellebattitdespaupières, sedemandants'il réalisaitcequ'ilétaiten trainde
dire.—Commenttupeuxêtreaussiégoïste?—Maisjenelesuispas...—Biensûrquesi!Etpuisquet'espasfoutudecomprendre,alorsautantqu'on
arrêted'enparler!Surcesmots,elletournalestalonsetpartitendirectiondubungalow.—Va-t'en!Dégage!lâcha-t-elle,excédée.— Ronnie ! lui cria-t-il en se levant pour la suivre. Elle sentit qu'il allait la
rattraperetfitvolte-face.—Bon,c'estfini,O.K.?—Maisnon,enfin...Soisraisonnable...—Raisonnable?répliqua-t-elleengesticulantdeplusbelle.Tuveuxquejesois
raisonnable?Nonseulementt'asmentipourprotégerScott,maistum'asmentiàmoi aussi ! Tu savais que mon père bossait comme un fou sur ce vitrail ! Etpendanttoutcetemps,t'aspaspipémot!Pendantqu'elleparlait,uneprisedeconscienceparuts'opérerenelle.—T'espasdutoutcommejelepensais!Jetecroyaisdifférent,meilleurqu’eux
!
Iltressaillit,Incapablederéagir,maisquandils'avança,ellebattitenretraite.—Casse-toi,bonsang !Tudois t'enaller,de toutemanière,etonse reverra
plusjamais.Fautbienquel'étésetermineunjour.Onabeaufairecommesi...Onpeutrienychanger!Alors,autantqu'onarrêtemaintenant.J'aitropdetrucsquimetombentdessusencemoment...et jepeuxpasfréquenterquelqu'unenquij'aipasconfiance.Leslarmesauxyeux,Ronnieajouta:—J'aipasconfianceentoi,Will.Laisse-moi...Ilétaitcommeparalysé,incapabledeparler.—Va-t'en!répéta-t-elleencourantverslamaison.Cette nuit-là, la dernière qu'il passerait àWrightsville Beach,Will était assis
danslesalondelademeurefamilialeettâchaitdetrouverunsemblantdelogiqueàcequiluiarrivait.Illevalatêtequandsonpèreentradanslapièce.—Toutvabien,fiston?T'étaispastrèsbavardàtable.—Ouais...çava.Sonpères'installaenfacedeluisurlecanapé.—C'esttondépartquiterendnerveux?—Non...—Tesbagagessontprêts?Willacquiesçaetsentitleregardscrutateurdesonpère.—Qu'est-cequisepasse?demandaTomensepenchantverslui.Tusaisquetu
peuxmeparler...Willpritsontempsavantderépondre...etsonregardcroisaenfinceluideson
père.—Sijetedemandaisdemerendreungrandservice,defaireuntrucénorme
pourmoi,tuleferais?Sansposerdequestions?Toms'adossaaucanapésanslequitterduregard.Danslesilencequisuivit,Will
connaissaitdéjàlaréponse...
33–Ronnie-—Tuasvraimentterminélevitrail?RonnieobservaitsonpèrequidiscutaitavecJonahdanslachambred'hôpital,et
letrouvaitenmeilleureforme.Ilavaittoujoursl'airfatigué,maissesjouesavaientreprisdescouleursetilsedéplaçaitplusfacilement.—Ilestgénial,p'pa!s'enthousiasmaJonah.J'aihâtequetulevoies.—Maisilrestaitdestasdepetitespiècesàassembler.—RonnieetWillm'ontdonnéuncoupdemain.—Ahbon?—J'aidûleurmontrercommentfaire.Ilsn'yconnaissaientrien.Maist'inquiète
pas...Jemesuispasénervé,mêmequandilsfaisaienttoutdetravers.—Çafaitplaisiràentendre,ditsonpèreavecunsourireamusé.—Ouais.Jesuisunsacrébonprof.—J'endoutepasuninstant.—Çasentbizarreici,non?repritJonahenplissantlenez.—Unpeu.Jonahhochalatêted'unairentendu.—C'estbiencequejemedisais.Ildésignalatélévisionenajoutant:—T'asregardédesfilms?—Pastrop,non.—Etcetruc-là,çasertàquoi?Stevelorgnalapochedeperfusion.—Çacontientdesmédicaments.—Etçat'aideraàallermieux?—Çavamieux,encemoment.—Alors,tuvasrentreràlamaison?—Bientôt.—Aujourd'hui?—Peut-êtredemain,ditsonpère.Maistusaiscequimeferaitplaisir?—Quoi?—Unsoda.Tuterappellesoùsesituelacafétéria?Auboutduhalld'entrée,à
l'angleducouloir?—Jesais,p'pa.Jesuisplusunbébé.T'asenviedeboirequoi?—UnSpriteouunSevenUp.—Maisj'aipasd'argent...Commesonpèreluilançaitunregard,Ronniecompritlemessageetfarfouilla
danslapochearrièredesonjean.—J'enai,dit-elle,ensortantunbilletd'undollarqu'elletenditàJonah.
Dèsquesonfrèrefutsorti,sonpèrenelaquittaplusdesyeux.—L'avocateaappelécematin.Ladatedetacomparutionestrepousséeàfin
octobre.Ronniesetournaverslafenêtre.—Pourl'instant,c'estlecadetdemessoucis...—Excuse-moi.Il se tut quelques instants,mais Ronnie sentait toujours son regard posé sur
elle.—Jonahtientlecoup?s'enquit-il.Ellehaussavaguementlesépaules.— Bof... Il est perdu. Paumé. Effrayé. Toujours à deux doigts de péter les
plombs...Commemoi...Sonpèreluifitsigned'approcher.Elles'installasurlachaisequeJonahvenait
d'occuper.Illuipritlamainetlaserratendrement.—Désolé de pas avoir été assez costaud pour éviter l'hôpital. Je n'ai jamais
souhaitéquetumevoiesdanscetétat.Iln'avaitpassitôtfinisaphrasequ'ellesecouaitdéjàlatête.—Jeneveuxplusjamaist'entendret'excuserpourça.—Mais...— Il n'y pas de «mais » qui tienne, O.K. ? Fallait que je sois au courant. Je
préfèresavoiràquoim'entenir.Ilparutacceptersaréponse,maislaquestionqu'ilposasurpritRonnie.—Tuveuxparlerdecequis'estpasséavecWill?—Qu'est-cequitefaitdireuntrucpareil?—Jeteconnais,figure-toi.Jesaisquandilyauntrucquitetracasse.Etaussià
quelpointtutiensàlui.Ronnieseredressa.Pasquestiondementiràsonpère.— Il est rentré chez lui préparer ses bagages, dit-elle. Steve l'observait
attentivement.—Jet'aidéjàditquemonpèrejouaitaupoker?—Ouais...Pourquoi?T'asenviedefaireunepartie?—Non.JesaisbienquetunemedispastoutausujetdeWill...Maissitune
veuxpasenparler,aucunproblème.Ellehésita.Ellesavaitqu'ilcomprendrait,maisn'étaitpasencoreprête.—Commejetel'aidit,ilestsurledépart...Sonpèrehochalatêteetn'insistapasdavantage.—Tuasl'airfatigué,reprit-il.Tudevraisrentrerfaireunesieste.—Jeleferai.Maisj'aienviederesterunpeuavectoi—Entendu.Elle contempla la poche de perfusion qui avait intrigué Jonah. Mais,
contrairement à son frère, Ronnie savait qu'il ne s'agissait pas demédicamentssusceptiblesdeleguérir.—Tuasmal?demanda-t-elle.Ilneréponditpastoutdesuite.—Non...pastrop.
—Maisavant,c'étaitdouloureux?Sonpèresecouaitdéjàlatête.—Arrête,mapuce...—Jeveuxsavoir.Est-cequet'avaismalavantd'entrerà l'hôpital?Dis-moi la
vérité,tuveuxbien?—Oui.—Depuiscombiendetemps?—Jenecomprendspascequetuveuxdire...—Jeveuxsavoiràquelmomentt'ascommencéàavoirmal,précisaRonnieen
sepenchantverslui,commepourl'obligerànepasfuirsonregard.—C'estpasimportant,dit-ilensecouantànouveaulatête.Jemesensmieux.
Etlesmédecinssaventcequ'ilsdoiventfairepourm'aider.— S'il te plaît, insista Ronnie. Quand est-ce que les premières douleurs ont
commencé?Ilregardaleursmainsentrelacéessurlelit.—J'ensaisrien...marsouavril?Maisc'étaitpastouslesjours...—Qu'est-cequetufaisais,alors?s'obstina-t-elle,décidéeàconnaîtrelavérité
coûtequecoûte.—Audébut,c'étaitpassiterrible...—Maisdouloureuxquandmême,non?—Benoui...—Alors?— Je ne sais plus trop... J'essayais de nepas y penser. Jeme concentrais sur
d'autrestrucs.Ronniesentaitsesépaulessecontractersouslatensionetappréhendaitcequ'il
risquaitdeluiavouer...maiselledevaitsavoiràtoutprix.—Surquoi,parexemple?Desamainlibre,Stevecaressadistraitementledrapcommepourledéfroisser.—Pourquoic'estsiimportantàtesyeux?—Parcequejeveuxsavoirsilefaitdejouerdupianotepermettaitd'oublierta
maladie...Dèsqu'elleprononçacesmots,ellesutqu'elledisaitvrai.—Jet'airegardéjouercesoir-là,dansl'égliseenchantier,quandtuaseucette
quintedetoux.EtJonahm'aditquetut'yfaufilaisrégulièrementdepuisqu'ilsontlivrélepiano.—Écoute,mapuce...—Tutesouviensquandtudisaisquejouerdupianot'aidaitàtesentirmieux?Sonpèreacquiesça.IldevinaitcequiallaitsuivreetRonnieétaitcertainequ'il
refuseraitderépondre.Maiselledevaitsavoirlavérité.—Tuvoulaisdirequeçasoulageaittadouleur?Nemeracontepasd'histoires,
s'ilteplaît.Situmens,jelesaurai.Ellenesupporteraitpaslamoindreesquive,cettefois.Ilfermalespaupièresuncourtinstant,puislesrouvritetlaregardadroitdans
lesyeux.—Oui,çamesoulageait.
—Pourtant,tuasfabriquéunecloisonpourcacherlepiano?—Eneffet...Ronniesesentitdéfailliretposadoucementlatêtesurlapoitrinedesonpère.—Nepleurepas,mapuce...Nepleurepas, je t'enprie.Maisc'étaitplus fort
qu'elle.L'idéemêmedes'êtrecomportéecommeunevraiepeste,alorsqueStevesouffraitlemartyre,lavidadupeud'énergiequiluirestait.—Oh,papa...—Non,ma puce... ne pleure pas, s'il te plaît. C'était pas si douloureux à ce
moment-là. Jemesuisditqueçapourraitaller,etd'ailleurs jenem'ensuispastropmalsorti,jecrois.C'estseulementlasemainedernièreque...Du doigt, il effleura son menton... Ronnie croisa son regard et ce qu'elle y
découvritluibrisalecoeur.Elledutdétournerlesyeux.—Àcemoment-là,çapouvaitaller,répéta-t-il.(Etellesavaitausondesavoix
qu'il était sincère.) J'avais mal, bien sûr, mais je n'étais pas obnubilé par ladouleur...Etj'yéchappaisautrementqueparlamusique.Quandjetravaillaissurlevitrailavec Jonah,parexemple,ouenprofitantsimplementdecetétéavecmesenfantsdontj'avaistantrêvé.Lesparolesdesonpèrestigmatisaientplusquejamaissoningratitude...Ellene
pouvaitsupporterqu'illuipardonne.—Jem'enveuxtellement,papa...—Regarde-moi,mapuce...MaisRonnienepouvaitaffronter le regarddeSteve.Ellenepensaitqu'àson
besoindejouerdupiano,dontellel'avaitprivéparégoïsme.Parvengeance...—Regarde-moi,répéta-t-ild'unevoixdoucemaisinsistante.Ellelevalatêteàcontrecœur.—J'aipassé l'été leplusmerveilleuxdemavie,murmura-t-il. Jet'airegardée
sauverlestortues, jet'aivuetomberamoureuse,mêmesicetterelationnedurepas...Etsurtout,j'aiapprisàconnaîtrelajeunefemmequetuesdevenue.Tunepeux pas imaginer le bonheur que çam'a procuré. Bref, c'est un ensemble dechosesquim'asoutenupendanttoutescesvacances.Ronnie savait là encore qu'il ne mentait pas, cela ne fit qu'accentuer son
malaise.Elleallaitintervenir,quandJonahresurgitdanslachambre.—Regardequi j'airencontré!s'écria-t-il,unecanettedeSpriteà lamain,en
désignantlanouvellevenue.RonniesetournaetdécouvritsamèrederrièreJonah.—Salut,mabelle!Ronnieobservasonpèreducoinde—Ilfallaitbienquejelaprévienne,expliqua-t-ildansunhaussementd'épaules.—Commenttutesens?demandaKim.—Çapeutaller,répondit-il.LamèredeRonniepritcelapouruneinvitationàentrerdanslapièce.—Jecroisqu'ondoitavoirunediscussiontouslesquatre,annonça-t-elle.Lelendemainmatin,Ronnieavaitprissadécisionetattendaitdanssachambre,
quandsamèreyfitirruption.—Tuasfaittesbagages?
ElleregardaKimdroitdanslesyeux,aveccalmeetdétermination.—JenerentrepasàNewYorkavectoi.—Jepensaisqu'onenavaitdéjàparlé,répliquasamère.—Non...C'esttoiquienasparlé.Entoutcas,moi,jenevaispasàNewYork.Kimignorasaremarque.—Nesoispasridicule.Biensûr,queturentresàlamaison.—C'esthorsdequestion,s'obstinaRonnie, lesbrascroisés,sanspourautant
éleverlavoix.—Ronnie...Ellesecoualatête,sachantqu'ellen'avaitjamaisétéaussisérieusedetoutesa
vie.—Jereste là,etpasquestiond'endiscuter. J'aidix-huitansmaintenantet tu
peuxpasmeforceràrepartiravectoi.Jesuisadulteetlibred'agircommejeveux.Toutendigérantlesproposdesafille,Kimsedandinaitd'unpiedsurl'autre,ne
sachanttropcommentréagir.—Ce...c'estpasdetonressort,hésita-t-elleenessayantde faireappelàson
bonsens.—Non?ironisaRonnieens'avançantverselle.Alors,quidoits'encharger?Qui
vas'occuperdelui?—Tonpèreetmoiavonsabordélaquestionet...— Oh, tu fais allusion au pasteur Harris ? Ouais, bien sûr... comme s'il était
assez solide pour veiller sur papa s'il a un étourdissement ou s'il se remet àcracherdusang!Physiquement,lepasteurn'estpasdetaille,enfin!—Ronnie...—C'estpasparceque tu luienveux toujoursquemoi, jedois luienvouloir
aussi,O.K.?lâchaRonnie,gagnéeparlacolèreetplusdéterminéequejamais.Jesaiscequ'ilafait,etjesuisdésolées'ilt'ablessée...maislà,onparledemonpère.Ilestmaladeetabesoindemonaide,etjevaisresterpourlui.Ilaeuuneliaison,ilnousaabandonnés...peuimporte.Çam'empêchepasdeteniràlui.Pour la première fois, sa mère parut sincèrement interloquée. Elle reprit la
paroled'unevoixposée:—Qu'est-cequ'ilt'aditexactement?Ronnieallait répliquerque çan'avait aucune importance,maisundétail l'en
empêcha.L'expressiondesamèreétaitsiétrange,presque...coupable...Commesi...ElledévisageaKim,toutenprenantconsciencedesonerreur.—Papan'aeuaucuneliaison,pasvrai?déclara-t-ellelentement.C'étaittoi...Samèrerestaitimmobile,frappéedestupeur.L'atmosphèredevenaitpeuàpeu
étouffante,àmesurequetoutdevenaitplusclairdanslatêtedeRonnie.— C'est pour ça qu'il est parti, alors ? Parce qu'il avait découvert que tu le
trompais.Maisdepuisledébuttum'aslaissécroirequetoutétaitdesafaute,qu'ilavait abandonné sa famille sans raison valable. Comment t'as pu faire un trucpareil?Ronnien'enrevenaitpasettrouvaitàpeinelaforcederespirer.Quant à sa mère, elle semblait pétrifiée, incapable de parler. Ronnie avait
l'impressiondelaperceràjour,denel'avoirjamaisconnue,enréalité.—C'étaitavecBrian?demanda-t-ellesoudain.TutrompaispapaavecBrian?Kimrestaitmuette,etRonniecompritqu'elleavaitvujusteunefoisencore.Etdire jen'aipasadressé laparoleàmonpèrependanttroisansàcausede
fa...—Tusaisquoi?reprit-elled'untoncassant.Jem'enfous,jememoquedece
quis'estpasséentrevousdeux.C'estle passé et je m'en tape. Mais pas question de m'en aller en abandonnant
papa...Ettupeuxpasmeforcerà...—Qui c'est qui veut pas s'en aller ? intervint Jonah qui venait de surgir, un
verredelaitàlamain,lesdévisageantàtourderôle,l'airangoissé.—Turesteslà?demanda-t-il.Ellemituninstantàluirépondre,letempsdemaîtrisersacolère.—Ouais,jereste,confirma-t-elled'untonqu'elleespéraitcalme.Ilposasonverresurlacommode.—Alors,moiaussi!Leur mère parut tout à coup désarmée mais, malgré la rage qui l'animait
encore,Ronnien'avaitpas l'intentionde laisser Jonahassisterà l'agoniede leurpère.Elles'approchadesonfrèreets'accroupitpourluiparler.—Jesaisquet'enasenvie,maisc'estpaspossible,dit-elleavecdouceur.—Pourquoipas?Turestesbien,toi!—Maisjedoispasalleràl'école.—Etalors?Jepeuxsuivredescoursici.P'paetmoi,onenadéjàparlé.Leurmères'avançaverseux.—Jonah...Il recula et la panique transparut dans sa voix, comme s'il sentait qu'il ne
pourraitluttercontredeuxadultes.—Jemefousdel'école!C'estpasjuste!Jeveuxresterici!
34–Steve-Ilsouhaitaitluifaireunesurprise.C'étaitsonintention,dumoins...AprèsleconcertàAlbany,ildevaitseproduiredeuxjoursplustardàRichmond.
Habituellement,ilnerentraitjamaisentredeuxconcertsquandilétaitentournée; il jugeaitplus faciledegarderunesortede rythmeenvoyageantd'unevilleàl'autre.Maiscommeilseretrouvaitavecunsurcroîtdetempslibreetn'avaitpasvusafamilledepuisdeuxsemaines, ilprit letrainetdébarquaàManhattanàlami-journée,quandlesbureauxsevidentdeleursemployésenquêtededéjeuner.Cefutparleplusgranddeshasardsqu'iltombasurelle.Encoreaujourd'hui,il
sedisaitqueleschancesdelarencontrerétaientquasinulles.Lavillegrouillaitdemillionsd'habitants,ilsetrouvaitauxalentoursdelagarePennStationetpassaitdevantunrestaurantdéjàbondé.Sapremièrepenséeen lavoyant futdesedirequecette femmeressemblait
traitpourtraitàsonépouse.Assiseàunepetitetablecontrelemur,enfaced'unhomme aux cheveux poivre et sel qui semblait un peu plus âgé qu'elle. Vêtued'unejupenoireetd'unchemisierrouge,ellepromenaitsondoigtsurleborddesonverredevin.Ildutyregarderàdeuxfois,avantderéaliserquec'étaitbeletbien Kim... déjeunant avec un parfait inconnu, du moins pour Steve. Il la vits'esclafferetserenditcompte,lamortdansl'âme,qu'ilavaitconnuceriredanslepassé... lorsque tout allait biendans leur couple.Quandelle se levade table, ilobserval'hommequi,debout luiaussi,posalamainaucreuxdudosdeKim.Legesteétait tendre,presque familier, commes'il l'avait faitdescentainesde foisauparavant. Nul doute qu'elle devait apprécier ses caresses, songea Steve encontemplantl'étrangerquiembrassaitsafemmesurleslèvres.Stevenesavaittropcommentréagir...Aveclerecul,ilnesesouvenaitpasavoir
éprouvé grand-chose, en réalité. À l'époque, il savait fort bien qu'ils s'étaientéloignés l'un de l'autre et se disputaient trop souvent. La plupart des hommesseraient sans doute entrés dans le restaurant pour affronter Kim et son amant.Peut-êtremêmequ'ils auraient fait une scène.Mais Steven'était pas comme laplupart des hommes. Il tourna les talons, sonpetit sac de voyageà lamain, etrepartitendirectiondePennStation.Il prit un train deux heures plus tard et arriva tard à Richmond ce soir-là.
Commetoujours,iltéléphonaàsafemme,quiluiréponditàladeuxièmesonnerie.Ilentendaitlatélévisionenfondsonorelorsqu'elledécrocha.—T'esenfinàl'hôtel?Jemedemandaisquandtuappellerais.Assissurlelit,ilrevoyaitlamaindel'inconnuposéeaucreuxdudosdeKim.—Jeviensd'arriver...—Àpartça,riendeneuf?C'étaitunétablissementbonmarché.Lecouvre-lits'effilochaitsurlesbords.Le
climatiseurfaisaitunebruitdeferraillesouslafenêtreetagitaitlesrideaux.Delapoussièrerecouvraitlatélé.—Non,réponditSteve.Riendutout.Dans sa chambre d'hôpital, ces images lui revenaient enmémoire avec une
clarté surprenante. Probablement parce qu'il savait que Kim ne tarderait pas àpasserlevoir,avecRonnieetJonah.Sa fille l'avaitappelé toutà l'heure, luiannonçantqu'ellene rentreraitpasà
New York. Steve savait que ce ne serait pas facile. Il se souvenait du corpsdécharnédesonpèreàlafin,etnesouhaitaitpasquesafillelevoiedanscetétat.Cependant,elleavaitpris sadécision,et ilnepourraitpas ladissuader.Maisçal'effrayait.Toutl'effrayait,désormais.Cesdeuxdernièressemaines,ilpriaitrégulièrement...oudumoinsàlamanière
décriteparlepasteurHarris.Ilnejoignaitpaslesmainsnin'inclinaitlatête,pasplusqu'iln'imploraitsaguérison.Toutefois,ilpartageaitavecDieusesinquiétudesàl'égarddesesenfants.Àcesujet,Stevesupposaitqu'ilnedevaitguèresedistinguerdelaplupartdes
parents. Jonah et Ronnie étaient encore jeunes, avec une longue vie enperspective, et il s'interrogeait sur leur avenir. Rien d'extraordinaire à cela... Ildemandait à Dieu s'Il pensait que ses enfants seraient heureux, s'ils vivraienttoujoursàNewYork,semarieraientetauraienteux-mêmesdesenfants.Bref,desrequêtestoutcequ'ilyadebanal...Maiscefutàcemoment-làqueStevecompritenfin ce que le pasteur Harris voulait dire lorsqu'il affirmait se promener endialoguantavecleCréateur.Contrairement à l'homme d'église, Steve n'entendait toujours pas dans son
coeurlesréponsesàsesinterrogations,pasplusqu'ilnepouvaittémoignerdelaprésencedeDieudanssaproprevie...etilsavaitqu'illuirestaitpeudetemps.Iljetauncoupd'oeilàlapendule.L'aviondeKimdécollaitdansmoinsdetrois
heures. Sitôt qu'elle quitterait l'hôpital, elle se rendrait directement à l'aéroportavecJonahassisàsescôtés...etcetteseulepenséeleterrifiait.Dansquelquesinstants,ilserreraitsonfilsdanssesbraspourladernièrefoiset
luiferaitsesadieux...Jonahétaitdéjàenlarmesquandildébouladanslachambreenfilanttoutdroit
vers le lit.Steveeutàpeineletempsd'ouvrir lesbraspourqu'ils'yréfugie.Sesfrêlesépaulesd'enfanttremblaientetStevesentitsoncoeursebrisertandisqu'ilserraitJonahtrèsfortettentaitdeconserveràjamaiscettesensation.IlaimaitsesenfantsplusquetoutaumondeetsavaitqueJonahavaitbesoinde
lui...Denouveau,Steveréalisaitqu'ilneremplissaitpassonrôledepère.Jonahpleurait,inconsolable.Stevelegardaittoutcontrelui,nesouhaitantpas
l'abandonner.RonnieetKimsetenaientàdistancedanslecouloir.—EllesveulentmeforceràrentreràNewYork,papa,sanglotaJonah.Jeleurai
ditquejepouvaisresteravectoi,maisellesveulentriensavoir.Jeseraisage,p'pa,jetepromets.J'iraimecoucherquandtumelediras,jerangeraimachambre,etjemangerai pas de cookies n'importe quand. Dis-leur que je peux rester. Je teprometsd'êtregentil.
—Jesaisbienquetuleseras,murmuraSteve.Tul'astoujoursété.—Alorsdis-lui,p'pa!Disàmamanquetuveuxquejereste!Jet'ensupplie,
p'pa!Dis-lui!—J'aimeraisbienqueturestes,ditStevequiavaitautantdepeinepoursonfils
quepourlui-même.Maismamanabesoindetoi.Tuluimanquesbeaucoup.Si Jonah avait nourri le moindre espoir, celui-ci s'envolait à présent, et ses
larmesredoublèrentd'intensité.—Maisjevaisplusjamaisterevoir...etc'estpasjuste!C'estvraimentpasjuste
!Malgrésabouledanslagorge,Steverepritlaparole:—Dis,bonhomme...Écoutecequejevaistedire,O.K.?Tuveuxbien?Jonahs'efforçaderedresserlatête.Stevesentaitqu'ilauraittouteslespeines
dumondeànepascraquerdevantlui.—Fautque tu sachesque t'es lemeilleur fils dontunpapapuisse rêver. J'ai
toujoursététrèsfierdetoi,etjesaisquetuvasgrandiretquetuferasdeschosesformidables.Jet'aimetrèsfort.—Moiaussi,jet'aime,p'pa.Ettuvasénormémentmemanquer.Ducoinde l'oeil, SteveaperçutRonnieetKim,dont les joues ruisselaientde
larmes.—Toiaussituvasmemanquer.Maisjeveilleraitoujourssurtoi,O.K.?Jetele
promets.Tusais...cevitrailqu'onafabriquéensemble?Jonahacquiesça,lamâchoiretremblante.—Ehbien,jel'appellelaLumièredeDieu,parcequ'ilmefaitpenserauparadis.
Chaquefoisquelalumièrebrilleraàtraverscevitrailoun'importequellevitre,tusaurasquejesuislàavectoi,O.K.?Ceseramoi...Jeserailalumièrequitraverselafenêtrepourtefairecoucou...Jonahhochalatête,sansprendrelapeined'essuyerseslarmes.Steveleserra
encoretrèsfortdanssesbras,audésespoirdenepouvoirchangerlecoursdelavie...
35–Ronnie-Ronnie sortit avec Kim et Jonah pour leur dire au revoir. Avant que samère
montedanslavoituredelocation,ellelapritàpartetluidemandadeluirendreunservicedèssonretouràNewYork.Puiselleretournaauchevetdesonpèreetattendit qu'il s'assoupisse. Il resta un longmoment silencieux à regarder par lafenêtre.Elleluitenaitlamainettousdeuxcontemplaientlesnuagesquiflottaientlentementdansleciel.Quandsonpèrefutendormi,Ronnieeutenviedesedégourdirlesjambesetde
prendrel'air;lesadieuxentreSteveetJonahl'avaientbouleversée,épuisée...Elleévitait de penser à son frère dans l'avion, dans leur appartement, toujours enlarmes.Sur le trottoir longeant l'hôpital, l'esprit ailleurs, elle faillit passer devant lui
sanslevoirquandellel'entendits'éclaircirlavoix.Assissurunbanc,ilportaitunechemiseàmancheslonguesendépitdelachaleur.—Bonjour,Ronnie!—Oh...bonjour!—Jecomptaisrendrevisiteàtonpère.—Ildortencemoment.Maisvouspouvezmonterlevoir,sivousvoulez.Iltapotalesoldesacanne,d'unairhésitant,commepourgagnerdutemps.—Jesuisdésolédecequetutraversesencemoment,Ronnie.Ellehocha la tête, le regardnoyédans levague.Mêmecetteconversation lui
pesait.Bizarrement,elleavaitl'impressionqu'ilressentaitlamêmechose.—Tuveuxbienprieravecmoi?dit-ilenl'implorantpresquedesesdouxyeux
bleus.J'aimeprieravantd'allervoirtonpère.Disonsque...çam'aide.D'abordsurprise,Ronnieéprouvaensuiteunétrangesoulagement.—Çameferaitplaisir,répondit-elle.À partir de ce jour-là, Ronnie pria régulièrement et constata que le pasteur
disaitvrai.Non qu'elle espérât voir son père guérir. Elle avait parlé aumédecin, vu les
échographies...et,aprèsleurconversation,avaitquittél'hôpitalpourrejoindrelaplage, où elle pleura une bonne heure jusqu'à ce que la brise sèche enfin seslarmes.Contrairement à certaines personnes, Ronnie ne croyait pas aux miracles et
n'allaitpass'imaginerquesonpèrefiniraitd'unemanièreoud'uneautrepars'ensortir. Après avoir entendu le diagnostic de l'oncologue, à savoir que le cancers'étaitmétastaséde l'estomacaupancréasetauxpoumons,ellesavaitquetoutespoirdeguérisonserévélaitplusqu'hasardeux.Ellen'auraitjamaiscrudevoirseconfronter une seconde fois à la maladie, et pourtant ce fut le cas lorsqu'elle
discuta avec lemédecin. Alors que son fardeau était déjà assez lourd à porter,surtoutlanuit,quandelleseretrouvaitseuleavecsespensées...Ronniepriaitdoncpourgarderlaforced'aidersonpère,deresterpositiveensa
présenceplutôtqued'éclaterensanglotschaquefoisqu'ellelevoyait.Ellesavaitqu'ilavaitbesoind'entendrerirelafilleadultequ'elleétaitdevenue.Dèsqu'ilsortitdel'hôpitaletrevintàlamaison,ellelemenadansl'atelierpour
admirer le vitrail. Elle le regarda s'approcher lentement de l'établi, tandis qu'ilcontemplaitl'ouvraged'unairébahi.Steveluiavaitconfiéqu'àcertainsmomentsils'étaitdemandés'ilvivraitassez longtempspour levoir fini.Évidemment,elleauraitsouhaitéqueJonahsetrouvelàaveceux,etsavaitquesonpèrepartageaitcettepensée.Aprèstout,c'étaitleprojetcommundeSteveetdesonfils,quilesavaitoccupéstoutl'été.JonahmanquaitterriblementàSteve...ets'ildétournaleregardafinqu'ellenevoiepassonvisage,Ronniedevinaqu'ilavaitleslarmesauxyeuxenregagnantlamaison.Dureste,ilappelaJonahsitôtrentré.Depuislesalon,ellel'entenditluiassurer
qu'ilallaitmieux...etmêmesisonfrèrerisquaitdemalinterpréterlanouvelle,ellesavaitquesonpèreavaitraisond'agirainsi.Steve voulait que Jonah garde le souvenir de vacances heureuses et ne
souhaitaitpass'attardersurcequisurviendraitparlasuite.Ce soir-là, assis sur le canapé, il ouvrit la Bible et se mit à lire. Ronnie
comprenaitàprésentlesraisonsd'unetellelecture.Elles'installaauprèsdeluietluiposalaquestionquilataraudaitdepuisqu'elleavaitfeuilletél'ouvrage.—Tuasunpassagepréféré?—J'enaiplein,dit-il. J'aitoujoursappréciélespsaumes.EtlesépîtresdePaul
m'ontbeaucoupappris.—Maistun'asriensouligné...Commeilhaussaitunsourcilintrigué,elleluiprécisa:—J'yaijetéuncoupd'oeilquandt'étaisàl'hôpital.Ilréfléchituninstantavant
dereprendre:—Sijedevaissoulignercequimesembleimportant,jefiniraissansdoutepar
lefairequasimentpourchaquepassage.Jel'ailueetrelueplusieursfois,maisj'ydécouvretoujoursquelquechosedenouveau.—JemesouvienspasquetulisaislaBibledansletemps...—C'estparcequetuétaisjeune.Jegardaiscelle-ciprèsdemonlitetj'enlisais
certainspassagesuneoudeux foispar semaine.Demandeà tamère.Elle te leconfirmera.—Est-cequ'ilyaunpassagequetuasludernièrementetquetuaimeraisme
fairepartager?—Çateplairait?Commeellehochait la tête, il nemitqu'uneminuteà trouver lepassageen
question.—C'estdansl'épîtredePaulauxGalates,5,22,dit-ilenposantlaBiblesurses
genoux.Ils'éclaircitlavoix,puiscita:—Maislefruitdel'Esprit,c'estl'amour,lajoie,lapaix,lapatience,labonté,la
bénignité,lafidélité,ladouceur,latempérance...Elle le regarda lire le verset, tout en se rappelant son comportement à son
arrivéeetlamanièredontsonpèreavaitréagiàsacolère.Ellesesouvintdetouteslesfoisoùilavaitrefusédesedisputeravecsamère,mêmelorsqu'elleessayaitdeleprovoquer.Àl'époque,Ronnieyvoyaitdelafaiblesseetavaitsouventsouhaitélevoiragirdifféremment.MaisRonniecomprenaitsoudainqu'elles'étaittrompée.Steven'avaitjamaisagiseul...maisguidéparsafoi.LeplienprovenancedeNewYorkarrivalelendemain,etRonnieconstataque
samèreavaitfaitcequ'elleluiavaitdemandé.Elleapportalagrandeenveloppedanslacuisine,déchiralehaut,puisvidasoncontenusurlatable.Dix-neuf lettres, toutes envoyées par son père, toutes ignorées et jamais
ouvertes.Ronnienotaaupassagelesadressesd'expédition:Bloomington,Tulsa,LittleRock...Ellen'enrevenaitpasdenelesavoirjamaislues.Était-elleàcepointfurieuse
contre lui ? Aussi amère ? Aussi... infecte ? Avec le recul, elle connaissait laréponse...maisçan'expliquaitpassonattitudepourautant.Elletrialeslettresetcherchalatoutepremièrequ'illuiavaitenvoyée.Comme
lesautres,elleétaitsoigneusementécriteàl'encrenoireetlecachetdelaposteavaitpâli.Parlafenêtre,ellevoyaitsonpèredeboutsurlaplage,tournantledosàlamaison.Àl'instardupasteurHarris,ilportaitmaintenantdesmancheslonguesmalgrélachaleurencoreestivale.Ronnieprituneprofonde inspirationetouvrit lamissive.Puis,dans lacuisine
baignéedesoleil,ellecommençasalecture.MachèreRonnie,J'ignorecommentdébutercegenredelettre,sinonendisantquejesuisdésolé.C'est pourquoi je t'ai demandé de me retrouver au café, et c'est ce que je
voulaistedireplustardquandj'aiappelédanslasoirée.Jecomprendsquetunesoispasvenueetquetuaiesrefusédemeparlerautéléphone.Tuesencolèrecontremoi,jet'aidéçue-ettoutaufonddetoi,tucroisquej'aiprislafuite.Danstonesprit,jevousaiabandonnés,toietlesautresmembresdelafamille.Je ne peux nier que la vie va changer pour nous tous,mais je veux que tu
sachesqu'àtaplacej’éprouveraissansdoutelesmêmessentiments.Tuastoutàfaitkdroitdem'envouloir,d'êtredéçue. Jesupposequeje l'aimérité,et jen'aipasl'intentiondemechercherdesexcuses,derendrequiconqueresponsable,ouencore de tenter de te convaincre qu'avec le temps tu parviendras peut-être àcomprendre.Àvraidire,ilsepeutquetunecomprennespas,etçameblesseraitbienplus
quetunepeuxl'imaginer.Jonahettoi,vousaveztoujourscomptéénormémentàmesyeux,etsacheparailleursquejen'airienàvousreprocher,àluicommeàtoi.Parfois,pourdesraisonspastoujoursclaires,ilarrivequ'uncouplenefonctionneplus. Cependant, n'oublie jamais que je vous aimerai toujours, Jonah et toi. Demêmequevotremère,pourlaquellej'auraitoujoursdurespect.Ellem'aoffertlesdeuxplusbeauxcadeauxquisoientaumonde,etc'estunemamanformidable.Àmaintségards,mêmesi jesuis tristeà lapenséequ'elleetmoinevivronsplusensemble,jem'estimetoujoursaussiheureuxd'avoirétésonmaripendanttoutce
temps.Jesaisbienqueçadoitteparaîtredérisoireetqueçanet'aidesansdoutepasbeaucoupàyvoirclair,maisjeveuxquetusachesquejecroistoujoursaudondel'amour.Jesouhaiteraisquetucroiesaussi.Tuméritesdeconnaîtrecebonheurdanstonexistence,carrienn'estplusépanouissantquel'amour.J'espère que tu trouveras en toi lemoyen deme pardonner d'avoir quitté la
maison. Je n'espère pas cela dans l'immédiat, nimême dans un proche avenir.Maissachequelorsquetuserasprête,jet'accueilleraiàbrasouvertsetceseraleplusbeaujourdemavie.Jet'aime.
Papa
—J'aimeraispouvoirenfairedavantagepourlui,déclaraRonnie.Elleétaitassisesurlavéranda,faceaupasteurHarris,quileuravaitapportéun
platdelasagnespréparéparsafemme.Sonpèredormaitdanssachambre.C'étaitlami-septembreetilfaisaitencorechauddanslajournée,mêmesideuxoutroissoirs plus tôt, la fraîcheur ambiante évoquait déjà l'automne. Mais ça ne duraqu'unenuit,etlelendemainlesoleilbrillaitdeplusbelle.—Tufaistouttonpossible,ditlepasteur.Jenevoispascequetupourraisfaire
deplus.— Jeneparlepasseulementdem'occuperde lui.Pour l'instant, ilestmême
plutôt autonome. Il insiste pour faire la cuisine et on se balade souvent sur laplage.Hier,ons'estmêmeamusésavecuncerf-volant.Hormis lesmédicamentsquilemettentvraimentàplat,ilestquasimentdanslemêmeétatqu'avantd'alleràl'hôpital.C'estjusteque...—Tusouhaitesfairequelquechosedebienparticulier,devinalepasteurHarris.
Quelquechosequicomptebeaucouppourlui.Ellehochalatête,raviequ'illacomprenne.Cesdernièressemaines,lepasteur
Harris était devenu non seulement son ami, mais aussi son seul véritableconfident.—J'aibonespoirqueDieuexaucetademande.Sachecependantqu'uncertain
tempsestparfoisnécessairepourcomprendrecommentIldésirenousvoiragir.Çasepassesouventainsi.Dieus'adressed'ordinaireànousdansunsimplemurmure,ettudoisbientendrel'oreillepourl'écouter.Àd'autresmoments,enrevanche,laréponseànotreinterrogationserévèlesiévidentequ'ellerésonneaussifortqu'uncarillond'église!Ronniesourit,pensantqu'elleappréciaitbeaucoupleurconversation.—Àvousentendre,vousparlezparexpérience.— Moi aussi, j'aime beaucoup ton père. Et comme toi, je voulais réaliser
quelquechosedebienparticulierpourlui.—EtDieuvousarépondu?—Ilrépondtoujours.— C'était unmurmure, ou un son de cloches ? Pour la première fois depuis
quelquetemps,unsemblantdejoieanimaleregarddupasteur.—Uncarillon,biensûr.Dieusaitbienquejesuisdevenudurd'oreille!—Qu'allez-vousfaire,alors?Ilseredressadanssonfauteuiletluirépondit:
— Je vais installer le vitrail dans l'église. Un généreux donateur est apparucomme par enchantement la semaine dernière... Figure-toi qu'il a proposé definancerlerestedesréparationsetadéjàfaitrecrutertouslescorpsdemétier.Leséquipesserontàl'oeuvredèsdemainmatin.Dans les jours qui suivirent, Ronnie tendit l'oreille... mais en fait de cloches
d'église,ellen'entendaitquelecridesmouettes.Quantauxéventuelsmurmures,peine perdue aussi. Elle ne s'en étonna pas vraiment— la réponse n'était pasvenuedu jourau lendemainauxoreillesdupasteur—,maiselleespéraitquandmêmeobtenirlasienneavantqu'ilsoittroptard.Ronniecontinuadoncàmenertranquillementsavie.Elleaidaitsonpèrequand
ilenavaitbesoin,sinonellelelaissaitsedébrouillertoutseulettentaitdeprofiteraumaximumdutempsqu'illeurrestaitàpasserensemble.Ceweek-end-là,commeStevesesentaitenforme, ils firentuneexcursionau
parc de la plantation Orton, près de Southport. Ce n'était pas très loin deWilmingtonetRonnien'avaitjamaisvisitécesjardins,maisdèsqu'ilsgarèrentlavoituredansl'alléedegravierquimenaitàlademeurecolonialedatantde1735,elle sut d'emblée qu'ils allaient vivre une journée mémorable. C'était le genred'endroit où le temps semble comme suspendu. Tandis qu'ils se promenaientparmi les chênes géants dont les branches basses se drapaient de mousse
espagnole[16],Ronnieseditqu'ellen'avaitjamaisrienvisitéd'aussimerveilleux.Brasdessus,brasdessous, ils flânèrentdans leparcenparlantdesvacances
d'été.Pourlapremièrefois,RonnieparlaàsonpèredesarelationavecWill;elleluiracontaleurspartiesdepêche,lessortiesenpick-updanslaboue,lefameuxplongeon deWill dans la piscine familiale... et lemariage de sa soeur, dont laréceptions'étaitterminéeenfiasco.Ellesegardatoutefoisdeluiracontercequis'étaitpassélaveilledudépartdeWillpourVanderbiltoucequ'elleluiavaitdit.Ellen'étaitpasprête...sablessureétaitencoretropvive.Etcommetoujours,Stevel'écoutaitpaisiblement,intervenantpeu,mêmequandellehésitait,cherchaitsesmots.C'estcequeRonnieappréciaitchezlui.Rectification:elleadoraitça...tantet si bien qu'elle se demandait ce qu'elle serait devenue si elle n'avait jamaispassél'étéchezlui.Plus tard, ils reprirent la route jusqu'à Southport et dînèrent dans un petit
restaurant qui donnait sur le bassin oùmouillaient les bateaux. Elle sentait sonpère fatigué, mais les plats étaient délicieux, ils prenaient du bon temps et
partagèrentunhot-fudgebrownie[17]audessert.Cefutuneexcellentejournée,quiresteraitsansdoutegravéedanssamémoire.
Mais ce soir-là, quand elle se retrouva seule au salon, son père couché, elle seremitàpenserqu'ellepouvaitmalgrétoutluioffrirquelquechosedespécial.La troisième semaine de septembre, Ronnie remarqua que son père
s'affaiblissait. Il dormaitmaintenant jusqu'aumilieu de lamatinée et faisait unsomme dans l'après-midi. Même s'il avait l'habitude des siestes, celles-ci seprolongeaient,demêmequ'ilallaitsecoucherdeplusenplustôt lesoir.Tandisqu'ellerangeaitlacuisine,fauted'avoirmieuxàfaire,RonnieserenditcomptequeStevepassaitdésormaisplusdelamoitiédesajournéeàdormir.
De jour en jour, ça ne fit qu'empirer. Il ne s'alimentait pas non plussuffisamment.Ilgrignotaitàpeineetelleavaitl'impressionqu'ilmaigrissaitàvued'oeil.Septembretouchaitàsafin.Lematin,leventdesmontagnesdel'Estchassait
l'odeursaléede l'océan. Il faisaitencorechaudet lasaisondesouragansbattaitsonplein,maisilsavaientjusque-làépargnélelittoraldelaCarolineduNord.Laveille,Steveavaitdormiquatorzeheures.Ronniesavaitqu'iln'ypouvaitrien,
quesoncorpsneluilaissaitguèrelechoix,maiselleregrettaitqu'ilpasselepeude temps qui leur restait à dormir. Dans ses périodes de veille, il semblait pluspaisible,sesatisfaisaitde la lecturede laBibleoud'unepromenadesilencieusesurlaplageencompagniedeRonnie.Will occupait ses pensées plus souvent qu'elle ne l'aurait cru. Elle portait
toujourslebraceletenmacraméqu'illuiavaitoffertet,toutenlecaressantd'undoigtdistrait,sedemandaitparfoisquelscoursilsuivait,quiétaientsesnouveauxamis,avecquiilpartageaitsesrepasauresto-U...ets'ilpensaitàellequandilsepréparaitàsortirlevendredioulesamedisoir.Peut-êtrequ'iladéjàrencontréunefille,sedisait-elledanssesmomentslespluscafardeux.—Tuveuxqu'onenparle?suggérasonpèreunjour,lorsd'unebaladesurla
plage.Ils se dirigeaient vers l'église. Depuis qu'ils avaient repris, les travaux
avançaient à la vitesse de l'éclair. Peintres, électriciens, charpentiers, ébénistes,plâtriers, tous les corps de métier étaient à l'oeuvre. Les équipes allaient etvenaientsurlechantier,etunebonnequarantainedecamionnettesstationnaientsurleparking.—Dequoi?demanda-t-elleprudemment.—Delamanièredontças'estterminéentrevous.Elleluidécochaunregardperçant.—Qu'est-cequitefaitdireça?— Depuis son départ, tu as à peine prononcé son nom, dit-il dans un
haussementd'épaules.Ettuneluiparlesjamaisautéléphone.Pasbesoind'êtregrandclercpourdevinercequis'estpassé...—C'estcompliqué,admit-elleàcontrecoeur.Ilsfirentquelquespasensilence,puissonpèrerepritlaparole.—Sitantestquemonavispuissecompter,j'aitrouvéquec'étaitunjeunegars
toutàfaitexceptionnel.—Biensûr,tonaviscomptebeaucoup,répliqua-t-elleenleprenantparlebras.
Etjelepartage.Cheminfaisant,ilsavaientatteintl'église.Ronnieregardalesouvrierss'affairer
icietlà,avecleursplanchesetleursbidonsdepeinture,etcommed'habitudesesyeux lorgnèrent du côté de l'espace vide sous le clocher.On n'avait pas encoreinstallé le vitrail— il fallait attendre la fin des travaux pour éviter que le verrefragile ne se brise—,mais son père aimait venir y faire un tour. La reprise duchantierleréjouissait,maispasseulementàcauseduvitrail.Ilrépétaitsanscessequel'égliseavaituneimportancecapitaleauxyeuxdupasteurHarris,quirêvaitdepouvoir de nouveau officier dans ce lieu qu'il considérait comme sa deuxième
maison.Dureste,ilpassaitsouventvoirlechantieretengénéralfaisaitensuiteunsaut
chezSteveetRonnie.Tandisqu'ellejetaitàprésentunregardautourd'elle,Ronnierepéra leur ami sur le parking. Il discutait avec quelqu'un, tout en désignant labâtisseavecenthousiasme.Mêmedeloin,ellepouvaitlevoirsourire.Elleallaitluifairesignepourattirersonattention,quandellereconnutsoudain
soninterlocuteuretmanquatomberà larenverse.Ladernièrefoisqu'elle l'avaitvu,elleétaitdésemparée,etiln'avaitmêmepasprislapeinedeluidireaurevoir.Tom Blakelee passait sans doute dans le coin et s'était arrêté pour parler destravauxdereconstructionaveclepasteur.Peut-êtrequeçal'intéressait,aprèstout.Lerestedelasemaine,chaquefoisqu'ellefituntoursurlechantier,elleguetta
Tom Blakelee,mais ne le revit plus. Elle admettait être en partie soulagée queleursdeuxmondesn'enviennentplusàsetélescoper.Aprèsleurvisiteàl'égliseetlasiestedesonpère,ilsavaientprisl'habitudede
lire. Elle acheva Anna Karénine quatre mois après l'avoir commencé, puisempruntaLeDocteurJivaroàlabibliothèque.Lesécrivainsrussesl'attiraient,parleur aspect roman-fleuve, peut-être... avec de sombres tragédies et des amoursvouéesàl'échec,letouts'inscrivantdansuncontextehistoriquedécritavecbrio,ettellementéloignédelabanalitédesavie!Son père continuait à étudier sa Bible et lui lisait parfois un passage ou un
versetàsademande.Quelesextraitssoientcourtsoulongs,laplupartd'entreeuxsemblaientseconcentrersurlesensmêmedelafoi.Bienqu'elleignorâtpourquoi,Ronnieavaitlesentimentquelesimplefaitdeleslireàhautevoixapportaitàsonpèreunenuanceouunesignificationquiluiavaitéchappélorsd'uneprécédentelecture.Désormais, les repas étaient le plus souvent expédiés. Au début du mois
d'octobre, ce fut Ronnie qui s'en occupa et il accepta ce changement avec lamêmefacilitéqu'ilavaitacceptétoutlerestependantl'été.Laplupartdutemps,ils'asseyaitdanslacuisineetilsbavardaient,pendantqueRonniefaisaitcuiredespâtesouduriz,oufriredupouletouunsteakdanslapoêle.Ellen'avaitpastouchéàdelaviandedepuisdesannées,etelleéprouvaitl'impressionbizarrededevoirforcersonpèreàs'alimenter,aprèsluiavoirmissonassiettesouslenez.Iln'avaitplusguèred'appétitet lesplats se révélaientplutôt fades, car lamoindreépiceirritaitl'estomacdeSteve.Toutefois,ellesavaitqu'ildevaitsenourrir.Mêmes'iln'yavait pas de balance dans la maison, les kilos de son père semblaient fondrecommeneigeausoleil.Un soir, après dîner, elle lui raconta enfin ce qui s'était passé avecWill. Elle
n'omitaucundétail,l'incendie,lefaitqu'ilavaitprotégéScottetlabagarreavecMarcus. Son père l'écouta attentivement et, lorsqu'elle eut terminé, reprit laparole.—Jepeuxtedemanderuntruc?—Biensûr.Toutcequetuveux.—Quandtum'asditquetuétaisamoureusedeWill,tuétaissincère?EllesesouvintdujouroùMeganluiavaitposélamêmequestion.—Oui.
—Alors,jepensequetut'espeut-êtremontréetropdureaveclui.—M'enfin,p'pa...Iladissimuléunincendiecriminel...—Jesais.Maissituyréfléchis,tuteretrouvesdanslamêmesituationquelui.
Tuconnaiscommeluilavérité.Ettun'asrienrévéléàquiconque,àpartmoi.—Maisjen'airienàvoirdanscettehistoire...—Ettum'asdéclaréqueluinonplus.—Qu'est-ce que t'essayes deme dire ? Que je devrais en parler au pasteur
Harris?—Non,répondit-il,àlagrandesurprisedesafille.Jenecroispas.—Pourquoi?— Il se pourrait bien qu'on ne voie que la partie émergée de l'iceberg dans
cettehistoire.—Mais...— Je n'affirme rien. Je serais le premier à reconnaîtremes torts.Mais si tout
s'estpassécommetul'asdécrit,alorssachequelepasteurHarrisn'apasbesoinde connaître la vérité... Sinon, il serait contraint d'agir. Et crois-moi, il n'auraitaucuneenviede fairede lapeineàScottouàsa famille,surtouts'ils'agitd'unaccident. Ce n'est pas ce genre d'homme. Et j'ajouterai autre chose. La plusimportante...—Quoidonc?—Ilfautquetuapprennesàpardonner.Ellecroisalesbras,unpeuagacée.—J'aidéjàpardonnéàWill.Jeluiailaissédesmessagessur...Ellen'eutpasletempsdefinir,quesonpèresecouaitlatêteenl'interrompant:—JeneparlepasdeWill.Tudoisd'abordapprendreàtepardonneràtoi.Cettenuit-là,aubasdelapiledelettresquesonpèreluiavaitécrites,Ronnie
entrouvaunequ'ellen'avaitpasencoreouverte.Ilavaitdûl'ajouterrécemment...carelleneportaitnitimbrenicachet.Ronnieignoraits'ilsouhaitaitqu'ellelalisemaintenantousielleétaitcenséela
lireaprèssadisparition.Elleauraitsansdoutepuleluidemander,maisellenelefitpas.Àvraidire,ellen'étaitpas trèssûredevouloir la lire...Lesimple faitdetenirl'enveloppeenmainl'effrayait,carellesavaitqueceseraitladernièrelettrequ'illuiécrirait.La maladie de Steve continuait à s'aggraver. Ils suivaient toujours leurs
habitudes — repas, lecture, promenade sur la plage —, mais son père prenaitdavantage d'antalgiques. Parmoments, il avait le regard vitreux, perdu dans levague,etellesentaitquelesdosesn'étaientplusassezfortes.Detempsàautre,ellelevoyaitgrimaceralorsqu'illisaitsurlecanapé.Ilfermaitlesyeuxetpenchaitlatêteenarrière,etsonvisagesetransformaitenunmasquededouleur.Lorsquecelasurvenait, ilagrippaitsamain,maisau fildes jourssapoigne faiblissaitdeplusenplus.Sesforcesl'abandonnaient...Iln'étaitplusquel'ombredelui-même.Bientôt,ilallaitdisparaître.Ronnie devinait que le pasteur Harris remarquait aussi les changements
survenant chez son père. Ces dernières semaines, il leur rendait visite presquechaque jour, d'ordinaire avant le dîner. La plupart du temps, il adoptait un ton
léger, les tenait au courant de l'avancée des travaux, ou leur racontait uneanecdote amusante sur son passé, histoire d'arracher un semblant de sourire àSteve.Parfois,lepasteuretluisemblaientàcourtdesujetsdeconversation.Nierl'évidence se révélait tout aussi pénible pour l'un que pour l'autre, et dans cesmoments-làuneatmosphèredetristesseenvahissaitlesalon.Quandellesentaitqu'ilssouhaitaientresterseuls,elleallaitsur lavérandaet
tentaitd'imaginerleurdiscussion.C'étaitfacileàdeviner,biensûr.Ilsparlaientdelafoi,delafamille,etpeut-êtredeleursregretsdanslavie,maisellesavaitqu'ilspriaientaussi.Unjourqu'elleétaitentréedanslacuisineprendreunverred'eau,elle les entendit... et elle se souvint avoir pensé que la prière du pasteurressemblaitàunesupplique.Ilparaissaitinvoquerlaforce,commesisonexistenceen dépendait... et tout en l'écoutant, Ronnie ferma les yeux pour y ajouter sapropreprièresilencieuse.Àlami-octobre,untempsfrisquettoutàfaithorsdesaisons'installapendant
trois jours,et il faisaitassezfraispoursupporterunsweat-shirtdans lamatinée.Aprèsdesmoisdechaleur sans relâche,Ronnieappréciait l'airunpeuvif,maiscettefraîcheurinattenduefatiguadavantagesonpère.Bienqu'ilsaientcontinuéleurs balades sur la plage, il se déplaçait encore plus lentement et tous deuxs'arrêtèrentbrièvementdevantl'égliseavantdefairedemi-tour.Letempsd'arriveràlaportedubungalow,sonpèrefrissonnait.Elleluifitcoulerunbainchaud,dansl'espoir que ça l'aiderait, tout en sentant la panique la gagner à l'idée que cesnouveauxsymptômessignalaientuneprogressionrapidedelamaladie.Unvendredi,lasemaineprécédantHalloween,sonpèresesentitsuffisamment
enformepourallerpêchersurlepetitpontonoùWilll'avaitemmenée.LesergentPete leurprêtadescanneset tout lematérielnécessaire.Aussibizarrequecelapuisse paraître, son père n'avait jamais pêché... Alors, Ronnie se chargead'amorcer l'hameçon. Deux poissons y mordirent, mais s'enfuirent aussitôt. Ilsfinirentparenferreruntroisième,unpetitrouget...semblableàceluiqu'elleavaitattrapéavecWill.Enretirantl'hameçon,elleréalisasoudainqueWillluimanquaittellementqu'elleenéprouvaitunedouleurpresquephysique.Lorsqu'ilsrentrèrentàlamaison,aprèsleurpaisibleaprès-mididepêche,deux
personneslesattendaientsurlavéranda.Cenefutqu'ensortantdelavoiturequeRonnie reconnut Blaze et sa mère. Blaze avait incroyablement changé. Lescheveuxtirésenunequeue-de-chevalimpeccable,elleportaitunshortblancetunpetithautàmancheslonguesdanslestonsaigue-marine.Nibijouxnimaquillage.Revoir cette fille replongea Ronnie dans une réalité à laquelle elle préférait
éviterdepenser, pourmieux se consacrerà sonpère...Autrementdit,Blaze luirappelait par sa présence qu'elle comparaîtrait de nouveau devant le tribunalavantlafindumois.RonniesedemandacequeBlazeetsamèreluivoulaient...Ellepritletempsd'aidersonpèreàquitterlevéhicule,luiproposantsonbras
pourluiéviterdetomber.—Quisontcesfemmes?murmura-t-il.Ronnie lui expliqua en deux mots et il hocha la tête. Tandis qu'ils
s'approchaient,Blazedescenditlesmarchesdelavéranda.—Salut,Ronnie! lança-t-elleenplissantunpeu lesyeuxsous lesoleilde fin
d'après-midi.Jesuisvenueteparler.AssiseenfacedeBlazedansleséjour,Ronnielaregardaitfixerleplancher,l'air
unpeugêné.SteveetlamèredeBlazes'étaientretirésdanslacuisinepourleurlaisserunecertaineintimité.— Jesuisvraimentdésoléepour tonpère,commençaBlaze.Comment il s'en
sort?—Çava,ditRonnieenhaussantlesépaules.Ettoi?Blazedésignaledevantde
soncorsage,puissesbrasetsonventre:—Ilyaencoredescicatrices là... ici...et là.Mais j'ai lachanced'êtreenvie,
ajouta-t-elledansunsouriretriste.Ellesetrémoussasursonsiège,finitparcroiserleregarddeRonnieetdit:—Jetenaisàteremercierdem'avoirtransportéeàl'hôpital.Ronniehochalatête,sedemandantoùcetteconversationallaitlesmener.—Pasdeproblème...Dans le silence qui suivit, Blaze balaya la pièce du regard, cherchant
visiblementsesmots.Ronnie,quiavaitapprislapatienceaucontactdesonpère,attendittranquillement.—J'auraisdûvenirplustôt,repritBlaze,maisjesavaisquet'étaisoccupée.—T'inquiètepaspourça...Çamefaitplaisirdevoirquetuvasbien.—Vraiment?—Ouais,affirmaRonnieensouriant.Mêmesic'esttoiquiressembleàunoeuf
dePâques,maintenant!—Jesais,ditBlazeentripotantsonpetithaut.C'estfou,hein?Mamèrem'a
achetédesnouvellesfringues.—Celles-citevontbien,entoutcas.J'imaginequevousvousentendezmieux
touteslesdeux.Blazeluidécochaunregardaffligé.—Jem'accroche...Jevisdenouveauchezelle,maisc'estdur.J'aifaitsubirun
tasdetrucshorribles...àelle,àd'autresgens.Àtoi.Ronnierestaitimmobile,levisagedépourvud'expression.—C'estquoiaujuste,laraisondetavisite,Blaze?Soninterlocutricesetordait
lesmains,trahissantsonagitation.—Jesuisvenueteprésentermesexcuses.C'estatroce,cequejet'aifait.Etje
saisquejepeuxpasrevenirenarrièrepourréparertoutça...Maissachequej'aivulaprocureurecematin.Jeluiaiavouéquej'avaisglissélesdisquesdanstonsac,parceque jet'envoulaisàmort...Et j'aisignéunedéclarationsoussermentquiatteste que t'es absolument pour rien dans cette affaire. Tu devrais recevoir uncoupdefildetonavocateaujourd'huioudemain,etlaprocureurem'apromisdelevertoutesleschargesquipèsentsurtoi.Blaze parlait à une telle vitesse que Ronnie n'était pas certaine d'avoir bien
compris.MaisleregardimplorantdeBlazeluisuffit.Aprèstouscesmois,cesjours,cesnuitsd'inquiétude,c'étaitfini...Ronnierestaitsouslechoc.—Désolée,répétaBlazedansunmurmure.Jen'auraisjamaisdûfaireça.Ronniedigéraitàpeinelefaitquesoncauchemarétaitterminé.Ellecontempla
Blazequi,têtebaissée,tripotaitnerveusementl'ourletdesoncorsage.
— Qu'est-ce qui va se passer ? s'enquit Ronnie. Ils vont te faire porter lechapeau?—Non,réponditBlazequi redressa latêteetserra lamâchoire. Je leurai filé
desinfosqu'ilsn'avaientpasausujetd'unautredélit.Bienplusgrave.—Tuveuxparlerdecequit'estarrivésurlajetée?—Non...RonniecrutvoirunelueurdedéfidansleregarddeBlaze.—Je leuraiparléde l'incendiede l'égliseetdecequi l'avaitprovoqué.C'est
pasScottquiamislefeuaubâtiment.Safuséepyrotechniquen'arienàvoirlà-dedans.Bon,O.K...elleaatterritoutprès,maiselleétaitdéjàéteinte.Àmesurequesastupéfactiongrandissait,Ronnienelaquittaitplusdesyeux.—Alors,commentl'égliseapus'enflammer?Blazesepenchaenavantetposalescoudessursesgenouxentendantlesbras
commepourlasupplierdelacroire.—Onfaisaitlafêtesurlesable...Marcus,Teddy,Lanceetmoi.Unpeuplustard,
Scottadébarquédel'autrecôtédelaplage,justeenface.Luicommenous,onafait comme si de rien n'était, mais on l'a bien vu allumer des fusées de feuxd'artifice.WillétaitavecluietScottenalancéunedanssadirection,maisleventl'adétournéeetellea filévers l'église.Willapaniquéet ilestvenuencourant.MaisMarcusa trouvéçahypermarrant,etdèsque la fuséeest tombéederrièrel'église, il s'est précipité sur le cimetière. Au début, j'ai pas compris ce qui sepassait,mêmeaprèsl'avoirsuivietvumettrelefeuauxbuissonsprèsdelafaçadedel'église.Bref...l'instantd'après,toutlecôtédubâtimentétaitenflammes.— T'es en train de m'annoncer que... que c'est Marcus qui a fait le coup ?
balbutiaRonnie.Blazeacquiesça.—Ilamislefeuailleurs,figure-toi.Jesuissûrequec'estlui...ilatoujoursadoré
ça.Etmoi,j'aitoujourssuqu'ilétaitcinglé,jecrois,maisje...Elles'interrompit,réalisantqu'elleavaitlargementépuisélesujetetqu'ilétait
tempsdetournerlapage.Elleseressaisitenajoutant:—En tout cas, j'ai acceptéde témoigner contre lui. Ronnie s'affala contre le
dossier.Cesrévélationsluicoupaientlesouffle.Elleserappelacequ'elleavaitditàWill...etcompritques'ilavaitfaitcequ'elleexigeait,ilauraitgâchélaviedeScottpourrien.EllecrutdéfaillirquandBlazeenchaînadeplusbelle:—Jemesenstellementminabledanstoutecettehistoire...etçavateparaître
bizarre,mais je teconsidéraiscommeuneamie jusqu'àceque jemecomportecommeuneabrutieetquejefoutetoutenl'air.Pourlapremièrefois,lavoixdeBlazechevrota:— T'es une fille géniale, Ronnie. T'es quelqu'un d'honnête et t'as été sympa
avecmoiquandt'avaisaucuneraisondel'être.Unelarmeperlaitàsonoeil,qu'elles'empressad'essuyerdudosdelamain.—J'oublieraijamaislejouroùt'asproposédem'héberger,mêmeaprèstoutes
lesvacheriesquejet'avaisfaites.Jemesentaistellement...honteuse.Etpourtant,çam'atouchée,tusais?Qu'ilyaitencorequelqu'unquis'inquiètepourmoi...
Ellesetut,essayantmanifestementdesereprendre.Ellebattitdespaupièresetinspiraungrandcoup,avantderegarderRonniedroitdanslesyeux.—Alors, si t'as besoin de quoi que ce soit, n'importe quoi, n'hésite pas... Tu
peuxcomptersurmoi,O.K.?Jesaisquejepourraijamaiseffacercequejet'aifait,maisenunsensj'ail'impressionquetum'assauvée.Cequiarriveàtonpèreestsiinjuste...etjeferaitoutcequetuveuxpourt'aider.Ronniehochalatête.—Underniertruc,ajoutaBlaze.Onn'estpasobligéesderedeveniramies,mais
sijamaist'asenviedemerevoir,tuveuxbienm'appelerGaladriel?Blaze,jepeuxplussupporter...—Aucunproblème,Galadriel,réponditRonnieensouriant.Commepromis,Ronnie reçutunappelde sonavocatepour l'informerque la
plaintepourvolàl'étalageétaitlevée.Cettenuit-là, tandisquesonpèredormait,Ronnie regarda les infosà la télé.
Ellen'étaitpassûrequelejournalenparlerait,maisunsujetdetrentesecondes,justeavantlamétéo,annonça«l'arrestationd'unnouveaususpectdansl'enquêteconcernant l'incendie criminel d'une église de la région, survenu l'an dernier ».Lorsqu'unephotod'identitéjudiciairedeMarcusapparutsurl'écran,accompagnéedesautresaccusationscontrelui,elleéteignitleposte.Cesyeuxmorts,glacéslarendaienttoujoursaussinerveuse.RonniepensaalorsàWilletàcequ'ilavaitfaitenvuedeprotégerScott,pour
un délit que celui-ci n'avait en réalité jamais commis. Était-ce si terrible, sedemanda-t-elle, que sa loyauté envers son ami ait pu fausser son jugement ?Surtout à présent qu'elle connaissait le véritable déroulement des faits.Décidément, Ronnie n'était plus sûre de rien. Elle avait tout faux sur un tas desujets:sonpère,Blaze,samère...etmêmeWill!Lavieserévélaittellementpluscompliquée que celle que Ronnie imaginait quand elle n'était qu'une ado new-yorkaiserebelle.Elle se leva et gagna sa chambre, éteignant au passage les lumières de la
maison.Cettevie-là—unesuccessiondefêtes,depotinsdelycéeetdedisputesavecsamère—luisemblaitapparteniràunautremonde,uneexistencequ'ellen'aurait vécue qu'en rêve. Aujourd'hui, seuls comptaient sa promenadequotidienneavecsonpère,lebruitperpétueldesvagues,leparfumdel'hiverquiapprochaitetflottaitdéjàdansl'atmosphère.Et l'amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bénignité, la fidélité, la
douceur,latempérance...Halloweenarriva...Sitôtpassé,sitôtoublié.Etsonpères'étiolaitdejourenjour.Ilsabandonnèrentleursbaladesquandcelles-ciluidemandèrenttropd'efforts...
et le matin, quand elle faisait le lit de Steve, elle découvrait des cheveux parpoignées,éparpilléssurl'oreiller.Sachantquelamaladieprogressaitrapidement,elle installasonmatelasdans lachambredesonpèreaucasoù ilauraitbesoind'aide,etputainsiresterlepluslongtempspossibleauprèsdelui.Il prenait désormais les antalgiques les plus forts que son corps puisse
supporter,maisçasemblaitnepassuffire.Lanuit,ellel'entendaitparfoisgémiretça lui déchirait le coeur. Elle gardait sesmédicaments à portée demain, sur la
tabledechevet,c'étaitlapremièrechosequ'ilavalaitàsonréveil.Elles'asseyaitalorsàsoncôtéetlesoutenait,tandisqu'iltremblaitdetoussesmembresjusqu'àcequelescachetsagissent.Mais leseffetssecondairescommencèrentaussià fairedes ravages.Stevene
tenaitplussursesjambesetRonniedevaitl'aiderdanssesdéplacements,mêmepourtraverserlapièce.Malgrésapertedepoids,lorsqu'iltrébuchait,ellepeinaitpourluiéviterdetomber.Mêmes'ilnemanifestaitjamaissaragedesevoirainsidiminué,sesyeuxtrahissaientsadéceptiondenepluspouvoir,enquelquesorte,assumersonrôledepère.Ildormaitàprésentdix-septheuresparjourenmoyenne,etRonniepassaitdes
journéesentièresaubungalow,lisantetrelisantleslettresqu'illuiavaitécritesparlepassé.Sauflatoutedernière—l'idéel'épouvantaitencore—,maiselleaimaitparfois la tenir simplemententre lesmains,enessayantde rassembler tout soncouragepourl'ouvrir.ElletéléphonaitplussouventàNewYork,ens'arrangeantpourappelerquand
Jonah rentrait de l'école ou après dîner. Son frère paraissaitmorose, et lorsqu'ildemandaitdesnouvellesdeSteve,ellesesentaitparfoiscoupabledenepas luidirelavérité.Maisellenepouvaitluifaireportercefardeau,d'autantquechaquefoisquesonpèreparlaità Jonah,elleremarquaitqu'il faisaitdesonmieuxpouravoirl'airleplusenjouépossible.Ensuite,ilrestaitsouventassisdanslefauteuilprèsdutéléphone,épuisépartantd'efforts, incapabledebouger.Ellel'observaitensilence,toutenpestantintérieurementdenepouvoirluioffrirdavantage...maisencoreaurait-ilfallusavoirquoi,aujuste.—Quelleesttacouleurpréférée?luidemanda-t-elle.Ilsétaientattablésdans
lacuisineetRonnieavaitunbloc-notessouslesyeux.Steveluidécochaunsourireintrigué.—C'estdoncçaquetuvoulaismedemander?—Oh...c'estjustelapremièrequestion.J'enaipleind'autres.Il s'emparade lapetitebouteillequ'elleavaitposéedevant lui. Iln'absorbait
quasimentplusdenourrituresolideetelleleregardaprendreunegorgéedecetteboissonvitaminée,sachantqu'iln'avaitplusd'appétitetsouhaitaituniquementluifaireplaisir.—Levert,dit-il.Ellenotasaréponseetpassaàlaquestionsuivante:—T'avaisquelâgequandt'asembrasséunefillepourlapremièrefois?—Sérieux?grimaça-t-il.—S'ilteplaît,p'pa.C'estimportant.Son père répondit à nouveau et elle consigna la réponse. Ils atteignirent un
quartdesquestionsqu'elleavaitgriffonnéessurlecalepin,etdanslasemainequisuivitSteveparvintauboutdelaliste.Ellenotaitchaqueréponseavecsoin,pasforcémentmotpourmot,maisespérantconserver suffisammentdedétailspourplustard.C'étaitunexercicecaptivantetparfoissurprenant,dontelleconclutquesonpèreserévélaitgrossomodolemêmehommequeceluiqu'elleavaitapprisàconnaîtrependantl'été—cequilaréjouissaitplusoumoins.Biensûr,elleconstataitavecjoiequ'ellenes'étaitpastrompée...Enrevanche,
elle n'avait toujours pas de réponse à l'interrogation qui la taraudait depuis ledébut.Ladeuxièmesemainedenovembreapportalespremièresaversesd'automnes,
maislarénovationdel'églisecontinuait.Onpouvaitmêmedirequelerythmedestravauxs'accéléraitdrôlement.Sonpèrenel'accompagnaitpluslorsqu'elleallaityfaireuntour,maisRonnies'yrendaitquotidiennementpourjugerdesprogrèsd'unjoursurl'autre.Çafaisaitpartiedesaroutinependantlesheuresoùsonpèresereposait.MêmesilepasteurHarrisl'accueillaittoujoursenluifaisantunsignedelamain,ilnel'accompagnaitplussurlaplagepourbavarder.D'ici une semaine, le vitrail serait installé, et le pasteur aurait la certitude
d'avoir accompli quelque chose d'unique pour Steve, un geste capital pour lui.Ronnies'enréjouissait,mêmesiellepriait toujours,enquêted'unsigneduCielquilamettraitelleaussisurlavoie.Danslagrisailledenovembre,sonpèreinsistaunbeaujourpourserendreàla
jetée.Ronniecraignaitqu'ilnetiennepasladistanceetnesupportepaslefroid,mais iln'endémordaitpas. Ilvoulaitvoir l'océandepuis lequai,affirma-t-il.Unedernièrefois...furentlesmotsqu'iln'eutpasbesoindeprononcer.Ilsenfilèrentleursmanteaux,etRonnieluienveloppalecoud'uneécharpeen
laine. Leventvifoffraitdéjàunavant-goûtdupleinhiveret l'airparaissaitplusfroidque lemercurene le laissaitsupposer.Elle insistapourconduire jusqu'à lajetée et gara la voiture du pasteur sur le parking désert de la promenade enplanches.Ilsmirentuntempsinouïpouratteindrel'extrémitéduquai.Seulssousleciel
balayé par de gros nuages, face à unemer gris acier déchaînée, ils avançaientlentement,sonpèrecramponnéàelle,ballotéparlabourrasque.Lorsqu'ilsparvinrentaubout,Steves'accrochaàlarambardeetmanquaperdre
l'équilibre. La lumière argentée accentuait ses traits émaciés et ses yeuxsemblaientplusvitreuxquejamais,maisRonnievoyaitqu'ilétaitravid'êtrelà.Le mouvement de la houle s'étirant vers l'horizon paraissait lui apporter un
sentimentdesérénité. Iln'yavaitriendeparticulieràobserver—nibateaux,nimarsouins, ni surfeurs—,mais il semblait paisible et comme libéré de toute ladouleurdesdernièressemaines.Au-dessusde l'eau, lesnuagessedéchaînaient,tandis que le soleil hivernal tentait de percer leur masse floconneuse. Elle sesurprit à les contempler avec le même émerveillement que Steve, tout en sedemandantoùlemenaientsespensées.Le vent forcit et elle vit son père frissonner. Pourtant, elle devinait qu'il
souhaitaitresterlà, leregardfixésurl'horizon.Elleletiragentimentparlebras,maisils'agrippad'autantplusfortaugarde-fou.Ellecédaàsoncapriceetrestaauprèsdelui,jusqu'àcequ'iltremblecomme
unefeuilleetacceptedefairedemi-tour. Il lâchalarambardeet laissaRonnie leguiderlentementjusqu'àlavoiture.Ducoindel'oeil,elleremarquaqu'ilsouriait.—C'étaitbeau,hein?Sonpèrefitencorequelquespasavantdeluirépondre.—Oui,admit-il.Maisj'aisurtoutappréciédepartagercemomentmagiqueavec
toi.
Deuxjoursplustard,elledécidadelireladernièrelettre.Bientôt...avantqu'ils'enailleàjamais.Pascesoir-là,maisbientôt,sepromit-elle.Ilétaittardetlajournéeavaitétéparticulièrementpéniblepoursonpère.Les
médicamentsnesemblaientplus le soulagerdu tout. Les larmesauxyeux, il setordaitdedouleur, tandisqu'elle le suppliaitde la laisser l'emmenerà l'hôpital,maisilrefusait.—Non,grimaçait-il.Pasencore.—Quand,alors?demanda-t-elle,désespérée,elle-mêmeauborddeslarmes.Il ne répondit pas, retint son souffle en attendant que sa douleur se calme.
Quandcefut lecas, ilparutd'autantplusaffaibli,commesi lemalavaitencoregrignotélepeudeviequiluirestait.— J'aimerais que tu fasses quelque chose pourmoi, dit-il dans unmurmure
poussif.—Toutcequetuveux,répondit-elleaussitôtenluiembrassantlamain.—Quandledocteurm'aapprismondiagnostic,j'aisignéuneDNR.Tusaisce
que c'est ? dit-il en l'interrogeant du regard. Ça signifie « décharge de non-réanimation»...Autrementdit,jeneveuxaucunacharnementthérapeutiquepourmegarderàtoutprixenvie.Sijevaisàl'hôpital,jeveuxdire.Effrayée,Ronniesentitsonestomacsenouer.—Qu'est-cequet'essayesdemedire?—Lemomentvenu,tudoismelaisserm'enaller...—Non,protesta-t-elleensecouantlatête.Nemedispasdestrucscommeça...Illacouvadesonregarddoux,maisinsistant.—S'ilteplaît.C'estmavolonté.Quandj'iraiàl'hôpital,n'oubliepasd'apporter
les papiers. Ils se trouvent dans le tiroir du haut de mon bureau, dans uneenveloppeenpapierkraft.—Non... papa, je t'en supplie ! Nem'oblige pas à faire un truc pareil. Je ne
pourraijamais.—Mêmepourmoi?dit-ilsanslaquitterdesyeux.Cette nuit-là, ses gémissements furent entrecoupés de respirations heurtées,
poussives, qui la terrifièrent. Bien qu'elle ait promis de respecter la volonté deSteve,ellen'étaitpascertained'enavoirlaforce.Commentpouvait-elledireauxmédecinsdenerienfaire?Commentpouvait-
ellelelaissermourir?Le lundi, lepasteurHarrispassa lesprendretous lesdeuxet lesconduisiten
voitureàl'églisepourassisteràlamiseenplaceduvitrail.Commesonpèreétaittropfaiblepoursetenirdebout,ilsapportèrentunechaisepliante.LepasteuraidaRonnieàsoutenirSteve, tandisqu'ilsmarchaient lentement jusqu'à laplage.Lafoule s'était rassembléeenvuede l'événement,etpendant lesdeuxheuresquisuivirent ils observèrent les ouvriers procédant à l'installation minutieuse del'ouvrage. C'était aussi spectaculaire que Ronnie l'avait imaginé, et lorsque futposée la dernière clavette, tout lemonde applaudit. Elle se tourna pour voir laréactiondesonpèreetconstataqu'ils'étaitendormi,douillettementemmitouflédanssonplaid...Elleleramenaàlamaisonetlemitaulit,avecl'aidedupasteurHarris.
—Ilétaitheureux,luidit-ilenlaquittant,commepourlaconvaincreautantquelui-même.—Jesais,luiassura-t-elleenluipressantaffectueusementlebras.C'esttoutà
faitcequ'ilsouhaitait.Sonpèrepassa lerestede la journéeàdormir,et tandisque lanuit tombait,
Ronniesutqu'ilétaittempspourelledelirelafameuselettre.Siellenelefaisaitpasmaintenant,ellen'enauraitjamaislecourage.Souslafaiblelumièredelacuisine,elledéchiral'enveloppeetdéplialentement
lafeuille.L'écrituredifféraitdesprécédentesmissives...Aulieudelacalligraphiesoignéeà laquelleRonnies'attendait,elleavaitàprésentdespattesdemouchesous les yeux. Elle n'osa imaginer la peine qu'avait dû avoir son père pourgriffonnerces lignes,ni le tempsqueça luiavaitpris.Ronnieprituneprofondeinspirationetcommençaàlire.Salut,mapuce!Jesuisfierdetoi.Je ne t'ai pas dit ces mots aussi souvent que j'aurais dû. Je te les écris
maintenant,pasuniquementparcequetuaschoisideresterauprèsdemoitoutaulongdecetteépreuve,maisparcequejeveuxquetusachesquetuesdevenuecettepersonneremarquabledontj'aitoujoursrêvé.Mercid'êtrerestéeàmescôtés.Jesaiscombienc'estdurpourtoi,sansdoute
encoreplusquetunel'imaginais...Etjesuisdésolépourtoutescesheuresquetupasseras inévitablementen solitaire.Mais surtoutparceque jen'aipas toujoursétéunpèreà lahauteur. Jesaisque j'aicommisdeserreurs. J'aimeraischangertantdechosesdansmavie!Jesupposequec'estnormal,comptetenudecequim'arrive,mais je veux que tu saches autre chose encore... Aussi dure que soitl'existenceetendépitdetousmesregrets,j'aieulachancedevivredesmomentsextraordinaires.Enparticulieràtanaissance,puisquandjet'aiemmenéeauzootoutepetiteetquetut'émerveillaisdevoirlesgirafes.D'ordinaire,cesmoments-làne durent pas... Ils ne font que passer, comme une brise légère soufflant surl'océan.Maiscertainsdemeurentgravésàjamaisdansnotremémoire.C'estcequej'airessenticetété,etpasseulementparcequetum'aspardonné.
Ces vacances ont été pour moi un cadeau du Ciel, car elles m'ont permis deconnaître la jeune femmeque tudeviendrasun jour.Comme je l'aiconfiéà tonfrère,c'étaitleplusbelétédemavie,etjemesuissouventdemandépendantcesjournées idylliques par quel miracle quelqu'un comme moi avait pu se voirgratifierd'unefilleaussimerveilleusequetoi.Merci, Ronnie. Merci d'être venue. Et merci de tout le bonheur que tum'as
apportéchaquejourquenousavonseulachancedepartager.Jonahet toi, vous avez toujours été les plus beauxprésents que la viem'ait
offerts. Je t'aime, Ronnie, et je t'ai toujours aimée. Et n'oublie jamais que j'aitoujoursétéfierdetoi.Aucunpèreaumonden'aconnuuntelbonheur.
Papa.Thanksgivingétaitpassé.Surlesvillasdufrontdemer,lesgenscommençaient
àinstallerlesdécorationsdeNoël.
Sonpèreavaitperduuntiersdesonpoidsetgardaitpresquetoutletempslelit.Unmatinqu'ellefaisaitleménage,Ronnietombaparhasardsurdesfeuillesde
papier, apparemment oubliées dans le tiroir de la table basse du salon. En lessortant,ellereconnutaussitôtl'écrituredesonpère,quiavaitgriffonnécesnotesdemusique.C'était lafameusechansonqu'ilécrivait,cellequ'elle l'avaitentendujouerce
soir-làdansl'égliseencoreenchantier.Ronnieposalesfeuillessurlatablepourlesregarder attentivement. Ses yeux filaient sur la portée et la suite de notesgrossièrementcorrigées,etellepensadenouveauquesonpèreavaitcomposéunesuperbemélodie.Toutendéchiffrantlamusique,elleentendaitdéjàdanssatêtelespremièresmesures,maisenparcourantladeuxièmepuislatroisièmepartition,elle se rendit compte que quelque chose clochait et sentit à quel moment lacomposition s'essoufflait. Elle dénicha un crayon dans le tiroir et entreprit decorrigerlespassagesdéfaillants.Ronnienevitpas letempspasseret,troisheuresplustard,entenditdubruit
dans lachambredesonpère.Aprèsavoir fourré les feuillesdans letiroir,elle lerejoignit,prêteàaffronterlajournée.Plustard,cesoir-là,alorsqueSteveétaitdenouveauplongédansunsommeil
agité,elle ressortit lespartitionset travailla jusqu'àminuitpassé.Le lendemain,elle s'éveilla avec enthousiasme, presséede luimontrer son travail.Mais quandellerevintlevoirdanslachambre,ilnebougeaitplus...Lapaniquelasaisit,elleréalisaqu'ilrespiraitàpeine.L'estomac noué, elle appela l'ambulance, puis regagna la chambre tant bien
quemal.Jenesuispasprête,pensa-t-elle,jeneluiaipasmontrélamusique.Illuifallaitunautre jour.C'estpasencore lemoment...Mais d'unemain tremblante,elleouvritlepremiertiroirdubureaudeSteveetsortitl'enveloppekraft.Danssonlitd'hôpital,sonpèreparaissaitplusfrêlequejamais.Ilavaitlevisage
creuséetleteintd'unepâleurcadavérique.Ilrespiraitfaiblement,commeuntoutpetitenfant.Ronnie ferma lesyeuxetplissa lespaupières...Elleauraitsouhaitésetrouver
n'importeoù,saufencetendroit.—Pasencore,papa...,murmura-t-elle.Resteencoreunpeu,tuveuxbien?De l'autre côtéde la fenêtre, le ciel était gris etnuageux. Lesarbresavaient
perdu presque toutes leurs feuilles, et leurs branches nues évoquaient dessquelettes décharnés. Il faisait froid, sans un souffle d'air... Le calme d'avant latempête.L'enveloppeétaitposéesur la tabledenuit,etbienqu'elleeûtpromisàson
pèredeladonneraumédecin,Ronnienel'avaitpasencorefait.Pasavantd'êtresûrequ'ilneseréveilleraitplus,qu'ellen'auraitplusl'occasiondeluidireaurevoir.Pasavantd'êtrecertainedenepluspouvoirluioffrirunultimeprésent.Elle pria pour qu'un miracle survienne, un minuscule miracle... Et Dieu dut
l'entendre,carill'exauçavingtminutesplustard.Ronnieavaitpassé leplusclairde lamatinéeassiseauchevetdeSteve.Elle
étaitsihabituéeàsarespirationetaubiprégulierdumoniteurcardiaquequele
plusinfimechangementlafaisaitsursauter.Enlevantlatête,ellevitlebrasdesonpèreremuer,tandisqu'ilrouvraitlesyeux.Ilbattitdespaupièressousl'éclairageaunéonet,d'instinct,elleluipritlamain.—Papa?Malgréelle,Ronniesentitunregaind'espoirl'envahiretimaginadéjàSteveen
traindeseredresserlentementsurl'oreiller.En vain. Il ne semblaitmême pas l'entendre. Lorsqu'il tourna la tête au prix
d'ungroseffortpour la regarder,ellevitdans sesyeuxunvoilenoir inhabituel.Toutefois,ilpapillonnaencoredespaupièresetellel'entenditsoupirer.—Salut,mapuce...,dit-ild'unevoixrauque.Leliquidedanssespoumonsdonnaitl'impressionqu'ilsenoyait.Elles'efforça
deluisourire.—Commenttutesens?—Pastrèsbien...Ilmarquaunepause,commepourrassemblersesforces.—Oùsuis-je?—À l'hôpital.On t'ya transportécematin. Je saisque tuas signéuneDNR,
mais...Commeilclignaitencoredesyeux,elleseditqu'ilallaitdenouveaulesfermer,
maisillesouvrit.—Pasdeproblème,chuchota-t-il.Jecomprends...Lepardonquitransparaissait
danssavoixbrisaitlecoeurdeRonnie.—Nem'enveuxpas,s'ilteplaît...—Jenet'enveuxpas,mapuce.Ellel'embrassasurlajoueettentadeserrertoutcontreellelaformechétive.Ellesentitsamaineffleurersondos.—Çava,mapuce?—Non,admit-elle,sentantleslarmesvenir.Çavapasdutout.—Jesuisdésolé...—Nedispasça,déclara-t-elled'untonferme,ens'empêchantdecraquer.C'est
moi qui le suis. Je n'aurais jamais dû cesser de te parler. Je voudrais tellementremonterletempseteffacertoutça...Ilesquissal'ombred'unsourire.—Jet'aidéjàditquejetetrouvaisbelle?—Ouais...tumel'asdit...—Ehbien,cettefois-cijelepense.Ronniegloussamalgréelle,àtraversseslarmes.—Merci,dit-elleenluiembrassantlamain.—Tutesouviensquandt'étaispetite?reprit-ild'untongrave.Tumeregardais
jouerdupianopendantdesheures.Unjour,jet'aisurpriseassisedevantleclavier,entraind'interpréterunemélodiequetum'avaisentendujouer.Tuavaisàpeinequatreans.Tuastoujoursététrèsdouée.—Jemesouviens...Illuiagrippaalorslamainavecuneforceinouïeenajoutant:—Sachequemêmesitudevenaisunecélèbrevirtuose, jen'ai jamaisautant
aimélamusiquequemafille...Jetenaisàteledire.Ellehochalatête.—Jetecrois.Etjet'aimeaussi,papa.Ilpritunelongueinspiration,sansjamaislaquitterdesyeux.—Alors,tuveuxbienmerameneràlamaison?Lesparoleslafrappèrentdepleinfouet,inéluctablesetsansdétour.Ellelorgna
l'enveloppe,sachantcequ'illuidemandaitetlaréponsequ'ilsouhaitaitentendre.Àcetinstantprécis,l'uneaprèsl'autre,lesimagesdestroismoisécoulésdéfilèrentdanssatête...poursefigersurlavisiondesonpère,assisaupianodansl'église,sousl'espacevidedésormaisoccupéparlevitrail.EtRonniecompritalorscequesoncoeurluidictaitdepuisledébut.—Oui,dit-elle.Jevaisterameneràlamaison.Maismoiaussi,j'aibesoinquetu
merendesunservice.Sonpèrerepritsarespirationavecpeineavantdedéclarer:—Jenesuispassûrdepouvoir...Ellesouritets'emparadel'enveloppeendisant:—Mêmepourmoi?Le pasteur Harris lui avait prêté sa voiture et Ronnie roulait aussi vite que
possible.Téléphoneàl'oreille,ellepassasoncoupdefiletexpliquaendeuxmotslasituationetcedontelleavaitbesoin...Galadrielacceptasur-le-champ.Ellel'attendaitdevantlebungalow,quandRonniearriva.Surlavérandaétaient
posésdeuxpieds-de-biche,qu'ellesoulevaenvoyantRonnies'approcher.—Prête?lança-t-elle.Ronniehochaàpeinelatête,ettoutesdeuxentrèrentdanslamaison.Grâce à Galadriel, il leur fallut moins d'une heure pour démonter la cloison
fabriquéeparSteve.Peuimporteledésordredanslesalon,letempspressait...etRonnie devait à tout prix offrir cet ultime cadeau à son père. Lorsqu'ellesarrachèrent le dernier morceau de contreplaqué, Galadriel se tourna vers elle,essouffléeetennage.— Va chercher ton père. Je me charge de tout nettoyer. Et je t'aiderai à
l'installersurlecanapéquandtureviendras.Pour retourner à l'hôpital, Ronnie roula encore plus vite qu'à l'aller. Avant de
partir,elleavaitrencontrélemédecindeStevepourluiexpliquersonprojet.Avecl'aidedel'infirmièredeservice,elleavaitremplileformulairedesortie,etellelarappelait à présent de sonmobile pour lui demander de la retrouver au rez-de-chausséeavecsonpèresurunechaiseroulante.Les pneus crissèrent lorsque Ronnie déboula en trombe sur le parking. Elle
suivitl'alléemenantàl'entréedesurgencesetconstataquel'infirmièreavaittenuparole.Toutes deux aidèrent Steve à s'installer dans le véhicule, et Ronnie reprit la
routeàpeinequelquesminutesplustard.Sonpèresemblaitplusalertequedansla chambre d'hôpital, mais elle savait que cela pouvait changer d'un instant àl'autre.Ilfallaitcoûtequecoûteleramenerchezluiavantqu'ilnesoittroptard.Tandisqu'elle traversaitcettevillequ'elleavait finiparadopter,Ronniesentit
toutàlafoislapeuretl'espoirl'envahir.Toutparaissaitsisimple,siclairàprésent.
Lorsqu'elle arriva au bungalow, Galadriel l'attendait et avait préparé le canapépouraccueillirSteve...oùtouteslesdeuxl'aidèrentàs'allonger.Malgrésonétat, il sembladevinercequeRonniemijotait.Lorsqu'ildécouvrit,
stupéfait,lepianoquitrônaitdenouveaudansl'alcôve,ellesutqu'elleavaitprislabonnedécision.Ellesepenchaetdéposauntendrebaisersursajoue.—J'aiterminétacomposition!annonça-t-elle.Notredernièreoeuvrecommune.
Etjeveuxlajouerpourtoi.
36–Steve-Lavie,songeaSteve,ressemblaitunpeuàunemélodie.Le début est un mystère, la fin une révélation... mais toutes les émotions
éprouvées dans l'intervalle permettent d'affirmer que l'ensemble mérite d'êtrevécu.Pour la première fois depuis desmois, il ne ressentait aucunedouleur. Après
tant d'années, il détenait les réponses à ses interrogations. Tout en écoutant lacompositionqueRonnieavaitterminéeetaméliorée,ilfermalesyeuxensachantquesaquêtedel'existencedeDieuavaitabouti.Il comprenait enfin que la présence divine se manifestait partout, à chaque
instant, et que tout le monde pouvait en profiter. Cela avait été le cas dansl'atelier, alors qu'il réalisait le vitrail avec Jonah, durant toutes ces semainespassées en compagnie deRonnie... et en cemomentmême, tandis que sa fillejouait leur musique, l'oeuvre ultime qu'ils partageraient à tout jamais. Avec lerecul,ilsedemandacommentunechoseaussiévidenteavaitpuluiéchapper.Dieureprésentaitlaquintessencedel'amour,etaucoursdecesderniersmois
passés avec ses enfants Sagrâceavait transportéSteveavec lemêmebonheurquelamusiqueinterprétéeparRonnie,toutspécialementpourlui.
37–Ronnie-Sonpères'éteignitmoinsd'unesemaineplus tarddanssonsommeil.Ronnie
étaitallongéedanslachambreauprèsdelui.Ellenepouvaitserésoudreàaborderlesdétails.Ellesavaitquesamèreattendaitqu'elle finisse...Depuistroisheuresque Ronnie parlait, Kim était restée silencieuse, un peu comme Steve l'avaittoujours fait. Mais le moment où elle l'avait vu rendre son dernier soupir luiappartenait,etellesavaitqu'ellen'enparleraitjamaisàquiconque.Enquittantcemonde avec sa fille à son chevet, il lui avait offert son ultime cadeau... Et cetinstantsolenneletintimeresteraitgravédanslamémoiredeRonnie.Tout en contemplant par la fenêtre la pluie froide de décembre, elle préféra
parlerdesondernierrécital,leplusimportantdetoutesavie.— J'ai joué pour lui aussi longtemps que j'ai pu,m'man. Et j'ai fait demon
mieuxpourluioffrirlaplusbellemusiquequipuisseexister,carjesavaistoutceque ça signifiait pour lui. Mais il était si faible... À la fin, je ne suismême pascertainequ'ilm'entendaitencore.Elles'interrompit,auborddeslarmes...malgrétoutescellesqu'elleavaitdéjà
versées.Samèreluitenditlesbras...Elle-mêmeavaitlesyeuxbrillants.— Je sais qu'il t'a entendue, ma chérie. Et je sais que tu lui as offert une
musiquemagnifique.Ronnies'abandonnaà l'étreintedesamère,enposant latêtesursapoitrine,
commelorsqu'elleétaitenfant.—N'oublie jamais combien Jonahet toi vous l'avez renduheureux,murmura
Kimenluicaressantdoucementlescheveux.—Ilm'adonnépleindebonheuraussi.J'aitellementapprisaveclui.Jeregrette
de ne pas le lui avoir dit... Ça et un million d'autres choses, ajouta Ronnie enbaissantlespaupières.Maisc'esttroptard,maintenant.—Illesavait,luiassurasamère.Ill'atoujourssu.Les obsèques se déroulèrent en toute simplicité dans l'église récemment
rouverte.Sonpèresouhaitaitêtreincinéré,etsavolontéfutrespectée.LepasteurHarrisfitsonélogefunèbre.Bref,maisempreintd'unchagrinetd'un
amourdesplussincères.IlaimaitStevecommesonfils,etRonnieneputretenirses larmes...Ellepassaunbrasautourde Jonahquisanglotait,abasourdiparcemalheurquis'abattaitsurlui,etelleévitadepenserausouvenirqu'ilconserveraitdecettepertedéchirante,survenuesitôtdanssonexistence.Unepoignéedegensassistait à l'office. Elle reconnutGaladriel et le sergent
Peteenentrantdansl'église,etentenditlaportes'ouvriruneoudeuxfois,aprèss'êtreassise,sinonl'endroitdemeuraitpresquevide.Elleétaitpeinéeàl'idéequesi peudemondeait su combien sonpèreméritait d'être connuet tout cequ'il
avaitreprésentépourelle.Après l'office,elle restaassise sur lebancavec Jonah, tandisqueBrianet sa
mère sortaient discuter avec le pasteur. D'ici quelques heures, tous les quatreallaients'envolerpourNewYork,etRonniesavaitqu'illuirestaitpeudetemps.Malgrétout,ellen'avaitpasenviedequittercetteville.Lapluie,quin'avaitpas
cessédelamatinée,avaitenfincessédetomberetlecielcommençaitàs'éclaircir.Ronnieavaitpriépourleretourdusoleiletelleneputs'empêcherdecontemplerlevitraildesonpère,souhaitantquelesnuagess'éclipsent.Cequ'ilsfirent...Et,toutcommeStevel'avaitdécrit,lesoleiltraversaleverreetinondal'église
d'unesublimelumière,baignantlepianod'unecascademulticolore.L'espaced'uninstant,Ronnieimaginasonpèreassisauclavier,levisagetournéversleciel.Ellepressa alors la main de Jonah et, malgré tout le poids de son chagrin, eut unsourireensachantquesonfrèrepartageaitsespensées.—Salut,p'pa,murmura-t-elle.J'étaissûrequetuviendrais...Quandlalumièresedissipa,elleluiditaurevoirensilence,puisseleva.Mais
enseretournant,elleconstataqueJonahetellen'étaientpasseulsdansl'église.Prèsdelaporte,assissurledernierbanc,ellereconnutTometSusanBlakelee.Ronnieposalamainsurl'épauledesonfrèreenluidisant:—Tuveuxbienallerdireàm'manetBrianquej'arrive?Jedoisd'abordparlerà
quelqu'un.—O.K.,répondit-ilenfrottantdesonpoingsespaupièresgonflées.Dèsqu'il eutdisparu,elle s'avançavers lesBlakelee, tandisqu'ils se levaient
pourlasaluer.Curieusement,cefutSusanquis'exprimalapremière.—Jeteprésentetoutesmescondoléances.LepasteurHarrisnousaditcombien
tonpèreétaitunhommemerveilleux.—Merci,ditRonnieen lesregardantàtourderôle,sourireaux lèvres. Jesuis
touchéequevoussoyezvenus.Etjetiensaussiàvousremerciertouslesdeuxpourvotregesteàl'égarddel'église.C'étaittrèsimportantpourmonpère.Elle vit alors Tom Blakelee détourner les yeux, et sut qu'elle ne s'était pas
trompée.—C'étaitcenséêtreanonyme,murmura-t-il.—Jesais.EtlepasteurHarrisnenousenapasparlé,niàmonpèreniàmoi.
Maisj'aitoutcomprisenvousapercevantunjoursurlechantier.C'estfabuleux,cequevousavezfait.Ilhochalatêted'unairpresquetimide,toutenobservantlevitrailàladérobée.
Luiaussiavaitvulalumièreinonderl'église.Danslesilencequisuivit,Susanfitungesteendirectiondelaporte.—Ilyaquelqu'unquiestvenutevoir...—Tuesprête?demandasamère,dèsqueRonniesortitdel'église.Onestdéjà
enretard.Ronniel'entenditàpeine...carelledécouvraitWill,vêtud'uncostumenoir.Ses
cheveuxavaientpoussé,etelleseditaussitôtqueçalefaisaitparaîtreplusmûr.Ilparlait avec Galadriel, mais sitôt qu'il aperçut Ronnie il leva un index pourinterrompresoninterlocutrice.
—J'enaipourquelquesminutes,O.K.?ditRonnieàsamère,sansquitterWilldesyeux.Ellenes'attendaitpasàsavenue,n'espéraitmêmepas le revoir jamais.Elle
ignoraitcequesignifiaitsaprésenceetnesavaittropsielledevaitseréjouir,avoirlecoeurbrisé...oulesdeux.Ellefitunpasdanssadirection,puiss'arrêta.Impossiblededéchiffrerl'expressiondesonvisage.Tandisqu'ils'avançaitvers
elle, Ronnie se remémora le soir de leur première rencontre, où il donnaitl'impressiondeglisser sur le sable... puis lebaiser sur l'embarcadère, le soirdumariage de sa soeur... et les paroles qu'elle avait prononcées, le jour de leurséparation. Elle se sentit la proie d'une tornade d'émotions contradictoires... ledésir,leregret,lanostalgie,lapeur,lechagrin,l'amour...Elleavaittantdechosesà lui dire... Mais quels propos pouvaient-ils bien échanger, compte tenu descirconstances,etaprèstoutcetemps?—Salut...Siseulementj'étaistélépatheetsiseulementtupouvaisliredansmespensées.—Salut...Willladévisagea,commeenquêtedequelquechose...maisellen'auraitpassu
direquoiaujuste.Ilnefitaucungeste,pasplusqu'elleneluitenditlamain.—Tuesvenu,reprit-elle,incapablededissimulersasurprise.— Jepouvaispasme tenirà l'écart.Et je suisdésolépour tonpère.C'était...
quelqu'undebien,dit-il,commeuneombresemblaitpassersursonvisage.Ilvamemanquer.Lesouvenirdeleurssoiréesaubungalowdesonpèreluirevint,demêmequele
fumetdesacuisineetleséclatsderiredeJonah,quandilsjouaienttouslesquatreaupokermenteur.Ronniefutsoudainprisedevertige.C'étaitquasisurréalistedevoirWilllà,surleparvisdel'église,encejouratroce.Unepartied'elle-mêmeavaitenviedese jeterdanssesbrasetdes'excuserpour lamanièredontelle l'avaitlaissépartir.Mais l'autrepartie,muetteetparalyséepar lapertedesonpère,sedemandaitsielleétaitlamêmepersonnequeWillavaitaimée.Ils'étaitpassétantdechosesdepuisl'été...L'airgêné,ellesedandinad'unpiedsurl'autre.—Vanderbilt,c'estcomment?finit-ellepardemander.—Commejem'yattendais.—C'estbienouc'estnul?Plutôtquederépondre,ildésignalavoituredelocationd'unhochementdetête
:—J'imaginequeturentrescheztoi?— J'ai un avion à prendre dans un petit moment, dit-elle en ramenant une
mèchedecheveuxderrièresonoreille.Elle s'en voulait de se sentir aussi gênée. À croire qu'elle s'adressait à un
étranger!—T'asterminétonsemestre?—Non,j'ailesexamslasemaineprochaine,alorsjereprendsl'avioncesoir.Mes
cours sont plus durs que prévus. Va falloir que jem'accroche... et que je passe
quelquesnuitsblanchesàréviser.—Tuvasbientôtrevenirpourlesvacances.Quelquesbaladessurlaplageettu
serasdenouveaud'attaque,répliquaRonnieensouriantd'unairencourageant.—Enfait,mesparentsm'emmènentenEuropedèsquej'aifini.Onvapasser
NoëlenFrance.Ilsjugentimportantpourmoidevoirdupays.—C'estsympadeleurpart...Ilhaussalesépaules.—Ettoi?Elledétournalesyeux,tandisquelesimagesdesderniersjourspassésavecson
pèrel'assaillaientsansprévenir.— Je crois que je vais auditionner chez Juilliard. On verra bien s'ils veulent
toujoursdemoi.Ilsouritpourlapremièrefois,etRonnieretrouvauncourtinstantcettejoiede
vivrequ'ilmanifestaitsisouventpendantcesinterminablesmoisd'été.C'étaitfouceque sagaieté spontanéeet sonenthousiasmedébordant lui avaientmanquédanslesépreuvesqu'elleavaitdûtraverserenautomneetenhiver.—Ahbon?Bravo!Jesuissûrquetuvaslesépater.Elledétestaitcettediscussionsuperficielle.Çasonnait tellement... faux,après
tout ce qu'ils avaient partagé. Elle prit une profonde inspiration, essaya de secontrôler... mais c'était trop dur... et elle se sentait épuisée. Les mots qu'elleprononçaensuites'échappèrentmalgréelledesabouche.—Jetiensàm'excuserpourtoutcequej'aidit.Jenelepensaispas.Mavieétait
totalementchamboulée...maisj'auraisjamaisdûm'enprendreàtoi.Ilfitunpasverselleetluieffleuralebras.—Net'inquiètepas.Jecomprends.À son contact, toutes les émotions qu'elle avait contenues remontèrent à la
surface...etelleplissalesyeuxdansl'espoirdenepasfondreenlarmes.—Maissituavaisfaitcequejetedemandais,alorsScott...Ilsecoualatête.—Scottvabien.Crois-leoupas,ilamêmeobtenusabourse.EtMarcusesten
prison...—Maisj'auraispasdûtebalancerdestrucsaussiatrocesàlafigure!L'étése
seraitjamaisterminécommeça.Onauraitpasdûsequittercommeça...etc'estmoilaseulefautive.Tupeuxpast'imaginercommec'estdurdepenserquec'estmoiquit'aifaitfuir.—Tum'aspasfaitfuir,corrigea-t-ild'unevoixdouce. Jepartaisà lafac.Tule
savais.—On s'estpasparlé, on s'estpasécrit, et c'était tellementdurdevoirmon
pèredépérirdejourenjour...Jecrevaisd'enviedeteledire,maisjesavaisquetum'envoulaisàmort...Commeellesemettaitàpleurer, il l'attiracontre luiet l'entouradesesbras.
Sonétreinterendaitlasituationàlafoisplussimpleetpluscompliquée.—Chuuut...murmura-t-il.Toutvabien.Jenet'enaijamaisvouluàcepoint-là,
tusais...Ronnieleserraencoreplusfort.—Maist'asseulementappelédeuxfois.
—Parcequejesavaisquetonpèreavaitbesoindetoi,etjevoulaisquetuteconsacresentièrementà lui, pasàmoi. Jemesouviensdeceque j'ai vécuà lamortdeMikey...Àl'époque,j'airegrettédenepasavoirpasséplusdetempsaveclui.J'avaispasl'intentiondet'imposerça.Elle enfouit la tête au creux de son épaule, tout en se disant qu'elle avait
vraimentbesoindelui...d'êtredanssesbras,del'entendredirequ'ilstrouveraientunmoyendeseretrouver.Will l'étreignitplus fortque jamaisetmurmura sonprénomà sonoreille.En
s'écartant,ellevitqu'ilsouriait.—Tuporteslebracelet,dit-ileneffleurantsonpoignet.—Àtoutjamaisdansmoncoeur,dit-elleavecunsouriretriste.IlbaissalatêteetplantasonregarddansceluideRonnie.—Jevaist'appeler,O.K.?Dèsquejereviensd'Europe.Elleacquiesça,sachant
qu'il ne leur restait plus que ça... et que ce n'était pas grand-chose. Leurs viesrespectivesavaientprisdescheminsbiendistincts...Lesvacancesétaientfinies,etchacunallaitdel'avantensuivantsavoie.UneévidencequeRonnieavaitpeineàadmettre.—O.K.,murmura-t-elleenfermantlesyeux.
ÉPILOGUE–Ronnie-Dans les semaines qui suivirent les obsèques, Ronnie traversa toutes sortes
d'émotions,maiselles'yattendaitplusoumoins.Illuiarrivaitdeseleverlematinavec un sentiment d'angoisse et elle passait des heures à se remémorer cesderniers mois en compagnie de son père, trop paralysée par le chagrin et lesregretspourverserunelarme.Aprèsunepériodeaussiintenseàsoncôté,elleneparvenaitpasàacceptersadisparition,alorsqu'elleavaitplusquejamaisbesoindelui.Sonabsenceluiétaitinsupportableetlaplongeaitparfoisdansl'amertume.Mais ces réveils pénibles la perturbèrent surtout la première semaine de son
retour à New York, et Ronnie sentait bien qu'au fil du temps ils finiraient pars'estomper.Le faitd'avoirvécuavecsonpèreetdes'êtreoccupéede lui l'avaittransformée,maisellesavaitqu'ellereprendraitledessus.D'ailleurs,c'étaitcequeSteve aurait souhaité... Elle pouvait presque l'entendre lui rappeler qu'elle serévélaitplusfortequ'ellenelecroyait.Iln'auraitpasvoululavoirsemurerdanssapeinependantdesmois,maisplutôtmenersavieàlamanièredontilavaitmenélasiennedansladernièreannéedesapropreexistence.Plusquetout,ildésiraitqu'ellesaisisselavieàbras-le-corpsets'yépanouisse.Jonahaussi.EllesavaitqueSteveavaitsouhaitéqu'elleaidesonfrèreàallerde
l'avant.Etpuisqu'elleétaitàlamaison,ellepassaitbeaucoupdetempsaveclui.Peuaprèsleurretour,JonahseretrouvaenvacancesdeNoël,etelleprofitadecetempslibrepoursepromeneràManhattanavec lui.Elle l'emmenaauRockfellerCenter pour patiner, puis tout en haut de l'Empire State Building ; puis ilsvisitèrent leMuséed'histoirenaturelle...etpassèrent toutunaprès-mididans lecélèbre magasin de jouets, FAO Schwarz. Ronnie avait toujours considéré cesendroitscommetroptouristiques,maisJonahappréciacessorties,etbizarrementelleaussi.Parfois,ilsrestaientpaisiblementàlamaison.Elleluitenaitcompagnietandis
qu'il regardait des dessins animés ou dessinait dans la cuisine, et un soir, à lademandedeJonah,elleallajusqu'àcamperdanssachambre,dormantparterreàcôtédesonlit.Danscesmomentsprivilégiés,illeurarrivaitd'évoquerleurétéetd'échanger des anecdotes sur leur père, ce qui les réconfortait autant l'un quel'autre.EllesavaitcependantqueJonahfaisaitdesonmieuxpourtenirlecoup,duhaut
desesdix-ans.Untrucbienprécissemblaitpourtant leperturberetsonfrèreseconfiaàelle,unsoiroùilsétaientalléssepromeneraprèsdîner.Unventglacialsoufflait,etRonnieavaitlesmainsenfouiesdanssespoches,quandilfinitparluicracherlemorceau,enlaregardantàladérobée,latêteàl'abrisouslecapuchondesonanorak.—Est-cequemamanestmalade?Commepapa?
LaquestionlastupéfiatellementqueRonniemituninstantàluirépondre.Elles'arrêtaets'accroupitpourleregarderbienenface.—Non,biensûrquenon.Qu'est-cequitefaitcroireça?— Ben... c'est parce que vous vous disputez plus, toutes les deux. Comme
quandt'asarrêtéderouspéteraprèspapa.Elle pouvait lire dans ses yeux toute sa frayeur et comprenait la logique,
enfantine,desonraisonnement.Ildisaitvrai,aprèstout...Samèreetellen'avaientpashausséletondepuissonretour.—M'manvabien,reprit-elle.Onenaeumarredesebagarrer,alorsonaarrêté.—Promis?insista-t-ilenlafixant.—Promis,ditRonnie,tandisqu'elleleserraitfortdanssesbras.Le tempspasséavecsonpèreavaitmêmemodifié ses relationsavecsaville
natale.Illuifallutseréadapteràlaviecitadine.Ronnien'avaitplusl'habitudedubrouhahaincessantdeManhattan,delaprésenceconstantedelafoule;elleavaitoublié les trottoirssanscesseombragéspar lesénormesgratte-ciel,etcesgenstoujourspressés,mêmedans lesalléesétroitesd'unesupérettedequartier.Ellen'éprouvaitpasvraimentlebesoinderencontrerdumonde;quandKaylal'avaitcontactéepoursavoirsielleavaitenviedesortir,Ronnielaissapasserl'occasion...etKaylanel'avaitpasrappelée.Sisansdouteellespouvaientencorepartagerdessouvenirs,ceneseraitpluslamêmeamitié.ToutefoisçanedérangeaitpasRonnie;entre lessortiesavec Jonahet lapratiquedupiano, il lui restaitpeudetempspourd'autresactivités.Comme l'instrument de son père n'avait pas encore été rapatrié à
l'appartement,elleprenaitlemétropourserendreàl'académieJuilliardetjouaitlà-bas.Dèssonpremier jouràNewYork,elleyétaitpasséeetavait rencontré ledirecteur.Steve et lui étaient de bons amis, et il s'excusa de n'avoir pu assister aux
obsèques. Il parut surpris — et manifestement enthousiaste — d'avoir desnouvelles de Ronnie. Lorsqu'elle lui apprit qu'elle envisageait de postuler denouveauchezJuilliard,ilsedébrouillapourlafaireauditionnerdanslesplusbrefsdélaisetl'aidamêmeàremplirillicosondossierd'inscription.TroissemainesàpeineaprèssonretouràNewYork,elledébutaitsonaudition
par la mélodie qu'elle avait composée avec Steve. Sur le plan de la techniqueclassique, Ronnie était un peu rouillée — elle n'avait pas eu le temps de seprépareràunexamendeceniveau—,maisenquittant l'auditoriumellepensaquesonpèreauraitétéfierd'elle.Detoutemanièreill'avaittoujoursété,sedit-elle,sourireauxlèvres,englissantsapartitionadoréesoussonbras.Depuis l'audition, elle jouait trois ou quatre heures par jour. Le directeur
l'autorisait à utiliser les salles de répétition de l'école, et Ronnie commençait àbricolerdespetitescompositionsdesoncru.AssisedanscespiècesoùSteveavaitlui-mêmejouéautrefois,ellepensaitsouventàlui.Detempsàautre,lesderniersrayonsdusoleilsefaufilaiententrelesimmeublesalentouretprojetaientdelongstraitslumineuxsurleparquet.Etchaquefois,l'imageduvitrailetdesacascadedelumièreluirevenaientenmémoire.Willnequittaitjamaissespensées,biensûr.
Elleseremémoraitsurtoutleurété,plutôtquelabrèverencontresurleparvisdel'église.Depuislesobsèques,ellen'avaitpasdenouvellesdelui,etsitôtNoëlpassé elle commença à perdre espoir qu'il lui téléphone. Elle se souvenait qu'ilpassaitlesfêtesdefind'annéeàl'étranger,maisàmesurequelesjourspassaient,Ronnie oscillait entre la certitude que Will l'aimait encore et le côté trèsimprobabledeleurrelation.Peut-êtrequ'ilvautmieuxqu'iln'appellepas…,Qu'est-cequ'onvabienpouvoir
sedire,detoutemanière?Elleeutunsouriretristeets'efforçadechassercespenséesnégatives.Elleavait
du pain sur la planche et, tout en se concentrant de nouveau sur son dernierprojet, unemélodie intégrant des influences country et pop, Ronnie se rappelaqu'ilétaittempspourelled'allerdel'avant,deneplusvivredanslepassé,qu'ellesoit admise ou non chez Juilliard, même si le directeur lui avait assuréque sacandidatureserévélait«desplusprometteuses».Peu importecequiarriverait,ellesavaitquesonavenirrésidaitdanslamusiqueet,d'unefaçonoud'uneautre,ellesedébrouilleraitpourvivrecettepassion.Son mobile vibra soudain sur le piano. Elle s'en empara, supposant qu'il
s'agissaitdesamère,avantde jeterunoeil sur l'écran.Ellese figea tandisquel'appareilvibraitdeplusbelle.Enrespirantungrandcoup,ellesoulevaleclapetetportaletéléphoneàsonoreille.—Allô?—Salut!réponditunevoixfamilière.C'estWill.Elle tenta d'imaginer d'où il pouvait appeler. Elle percevait une sorte d'écho
caverneuxenfondsonore...commedansunaéroport.—Tudescendsàpeinedel'avion?—Non,jesuisrentréilyadeuxoutroisjours.Pourquoi?—T'asunedrôledevoix,expliqua-t-elleavecunlégerpincementaucoeur.Ilétaitrevenudepuisquelquesjoursetsedécidaitseulementàl'appeler...—L'Europe,c'étaitcomment?—Trèssympa,enfait.Mamèreetmoi,ons'estbienmieuxentendusquejene
l'auraiscru.Jonahvabien?—Çapeutaller.Maisc'estpeudurpourlui,parfois...—J'imagine.Toujourscetéchobizarre.Peut-êtrequ'ilappelledelaterrassedesamaison?—Sinon,quoideneuf?—J'aiauditionnéchezJuilliard,etjecroisqueças'estplutôtbienpassé...—Jesais.—Commentça,tusais?—Pourquoituseraislà-bas,sinon?Ellenecomprenaitpasvraimentlalogiquedesonraisonnement.—Euh...non...Ilsmelaissentjustepratiquerlepianoici,jusqu'àcequ'onnous
livreceluidemonpèreàl'appart.Parcequ'ilaétéprofici,ettoutça...Ledirecteurétaitunpoteàlui.—Ben,j'espèrequet'espastropoccupéepourpouvoirtedétendreunpeu...—Maisdequoituparles?
— J'espérais que tu serais libre, ce week-end. À moins que t'aies d'autresprojets,biensûr.LecoeurdeRonniebonditdanssapoitrine.—TuviensàNewYork?—JevaislogerchezMegan.Tusais...histoiredevoirsilesjeunesmariésvont
bien.—T’arrivequand?—Voyonsvoir...Ellel'imaginaitentrainderegardersamontre.—J'aiatterriilyaunpeuplusd'uneheure.—T'esdéjàlà?T'esoù?Willmitunpetitmomentàrépondre,etquandRonnieentenditdenouveausa
voix, celle-ci ne venait plus du téléphone... mais de derrière son dos. Elle seretournaetledécouvritàl'entréedelasalle,téléphoneenmain.—Désolé,dit-il.J'aipaspurésister.Mêmes'ilsetenaitlàsoussesyeux,ellen'enrevenaitpas.Ellebattitplusieurs
fois des paupières... comme pour s'assurer qu'elle n'était pas victime d'unehallucination.Ouais,toujourslà...Incroyable!—Pourquoitum'aspasappeléepourmeprévenir?—Parcequejevoulaistefaireunesurprise.C'estréussi!Vêtu d'un jean et d'un pull enVmarine, il était aussi séduisant que l'image
qu'ellegardaitdelui.—Enplus,j'aiunegrandenouvelleàt'annoncer.—Quoidonc?—Avantd'allerplusloin,fautquejesachesionarendez-vous.—Quoi?—Ceweek-end,tuterappelles?Jepeuxcomptersurtoi?Ellesourit.—Ouais,biensûr.Ilhochalatête.—Etleweek-endsuivant?Pourlapremièrefois,ellehésita.—Turestescombiendetemps?Ils'avançalentementverselle.—Ben...enfait,c'estdeçaquejevoulaisteparler.Tutesouviensquandjet'ai
ditqueVanderbilt,c'étaitpasmonpremierchoix?Quej'étaisvraimentintéresséparcettefacavecuncursusscientifiquegénialaxésurl'écologie?—Oui,jemesouviens...—Bon...normalement,ilsn'acceptentpasdetransfertsenmilieud'année,mais
mamèrefaitpartieduconseild'administrationdeVanderbilt,etilsetrouvequ'elleconnaîtaussicertainespersonnesdanscetteautreuniversité...Alors,elleapumepistonner,disons.Bref,quandj'étaisenEurope,j'aiapprisqu'ilsacceptaientmontransfert.Jecommencedoncchezeuxleprochainsemestre,etjemesuisditque
t'aimeraisêtreaucourant...—Ben,euh...tantmieuxpourtoi,déclara-t-elle,toujoursunpeudéboussolée.
Etc'estquellefac,alors?—Columbia.Ellecrutquesesoreillesluijouaientuntour.—Tuveuxparlerdel'universitéColumbia,àNewYork?—Exact!s'exclama-t-ilensouriantjusqu'auxoreilles,telunprestidigitateurqui
sortunlapindesonchapeau.—Vraiment?répliqua-t-elled'unevoixsuraiguë.Ilhochalatête.— Je commence dans deux semaines. T’imagine ? Un brave petit Sudiste
commemoi,lâchédanslajungleurbaine?Ilvasansdoutemefalloirunbonguidepourm'aideràm'adapter,etj'espéraisqueceseraittoi.Sit'enasenvie...Willavaitcontinuéàs'avanceretglissaitàprésentundoigtdansunpassantdu
jeandeRonnie.Commeill'attiraitverslui,ellecrutdéfaillirdebonheur.Willallaitétudierici...àNewYork!Prèsd'elle!Ellel'entouradesesbras,retrouvaavecplaisirlecontactdesoncorpscontrele
sien, sachant que rien ne serait meilleur que ce merveilleux moment deretrouvailles,là,maintenant....—Bon,benj'imaginequeçadevraitpasmeposerdeproblème,ironisa-t-elle.
Enrevanche,ceserapasfacilepourtoi.Onn'apastropd'endroitspourpêcherparici,nipourroulerenpick-updanslaboue.—Jem'enseraisdouté,dit-ilenlaprenantparlataille.—Idempourlebeach-volley.Surtoutenjanvier.—Bah...j'imaginequejevaisdevoirfairecertainssacrifices.—Peut-êtrequ'avecunpeudechance,ontrouveraunmoyendet'occuper.Il l'embrassa tendrement, d'abord sur la joue, puis sur les lèvres. En croisant
son regard,elle revit le jeunehommequ'elleavaitaimé l'étédernier,etqu'elleaimaittoujours.—Jen'aijamaiscessédet'aimer,Ronnie.Nidepenseràtoi.Mêmesitousles
étésontunefin...Ellesourit,sachantqu'ilétaitsincère.—Jet'aimeaussi,WillBlakelee,murmura-t-elleenluirendantsonbaiser.
—REMERCIEMENTS—Commetoujours,jedoiscommencerparremercierCathy,mafemmeetl'amour
demavie.Voilà vingt ansquenousvivonsunehistoire fabuleuseet que jemeréveilleencorechaquematinensongeantquej'aiunechanceincroyabled'avoirpassétoutescesannéesauprèsd'elle.Mesenfants—Miles,Ryan,Landon,LexieetSavannah—sontunesourcedejoie
inépuisable.Jelesaimetouslescinq.Jamie Raab, mon éditrice chez Grand Central Publishing, mérite comme à
chaquefoisd'êtresaluéepoursonexcellenttravailetsagentillesse.Merci.DeniseDiNovi,laproductriced'Unebouteilleàlamer,LeTempsd'unautomne,
LeTempsd'unouragan,etTheLuckyOneestnonseulementungénie,maisaussilapersonnelaplussympathiquequejeconnaisse.Mercipourtout.DavidYoung,P-DGdeHachetteBookGroup,asugagnertoutmonrespectet
magratitudeaprèsplusieursannéesdecollaboration.Merci,David.JenniferRomanelloetEdnaFarley,mesattachéesdepresse,sontd'excellentes
amiesetdespersonnesformidables.Mercipourtout.Bravo à Harvey-Jane Kowal et à Sona Vogel, auxquelles je ne facilite pas la
tâche,carjerendstoujoursmesmanuscritsenretard.UncoupdechapeauàHowieSandersetàKeyaKhayatian,mes fantastiques
agentsdeUnitedTalentAgency.Scott Schwimer, mon avocat, est tout simplement le meilleur dans son
domaine.Merci,Scott!JerendségalementhommageàMartyBowen(leproducteurdeDearJohn),sans
oublierLynnHarrisetMarkJohnson.Toutes mes félicitations à Amanda Cardinale, Abby Koons, Emily Sweet et
SharonKrassney.J'apprécievraimentleurtravail.La famille Cyrus mérite d'être saluée pour l'accueil chaleureux qu'elle m'a
réservéetsaparticipationau film.UnementionspécialeàMiley,quiachoisi leprénomdeRonnie.Dèsquejel'aientendu,j'aisuqu'ilconviendraitàmerveilleaupersonnage!Et,pourfinir,merciàJasonReed,àJenniferGipgot,etàAdamShankmanpour
leurtravailsurlaversioncinématographiquedeTheLastSong.
[1]SteveIrwin(1962-2006),animateurdelatélévisionaustralienneetpropriétaireduzooduQueensland,
connupoursonrôledechasseurdecrocodilesdanssonémissionCrocodileHunter(N.d.T.).[2]Écoleprivéenew-yorkaisederéputationinternationale,oùl'onenseigneprincipalementlamusique,ladanseet
l'artdramatique(N.d.T).[3]SyndromeprémenstruelN.d.T.).
[4]QuartierchicdeManhattan,à l'estdeCentralPark,oùsont implantéeslesprestigieusesécolesprivées
DaltonetBuckley(N.d.T.).
[5]Gamma-hydroxybutyratedesodiumou
«drogueduvioleur»[6]Boissonàbasedeglacepiléeetdesirop(N.d.T.).
[7]«Flamboiement»,«flambée»,«incendie»(N.d.T.).
[8]Voienavigable intérieurequi longe lacôteEstdesÉtats-UnisetunegrandepartiedugolfeduMexique
(N.d.T.).
[9]Pâtisseriefourréeàréchaufferaugrille-pain(N.d.T.).
[10] Petit carré d'étoffe bénite, souvent double, orné ou non d'images pieuses, retenu par des rubans
passésautourducouetportésouslesvêtements(N.d.T.).[11]AnnaKarénine,LéonTolstoï(1828-1910),traductionHenriMongault,Gallimard,1952(N.d.T.).[12]
Titreoriginal:TheCatinTheHat,DrSeuss,traductionA.-L.FournierLeRay,Pocket,2004(N.d.T).[13]Enfrançaisdansletexte(N.d.T.)
[14] 1. Université privée, fondée en 1873 par Cornelius Vanderbilt, un magnat du chemin de fer et du
transportmaritime,àNashville,dansleTennessee(N.d.T.).[15]
1.Chaînedepizzeriasfamilialesavecjeuxd'arcades(N.d.T).
[16]Tillandsiausneoides.Égalementappelée«barbeduvieillard»ou«crinvégétal»,latillandsie,uneplante
de la famille de l'ananas, vit à l'état naturel accrochée aux branches des arbres, notamment dans les lieuxhumidesdusuddesÉtats-Unis.Onl'asouventassociéeauximagesdesromansgothiquessudistes(N.d.T.).
[17]Gâteauauchocolatservitiède,aveccrèmeanglaiseetglaceàlavanille(N.d.T.).