LA CULTURE DES TISSUS

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L'AVENIR DE LA SCIENCE - 21 Collection dirigée par Jean Rostand

R.-J. GAUTHERET lattre de conférences à la Fatuité des Sciences de Paris

UNE VOIE NOUVELLE EN BIOLOGIE VÉGETALE i

LA CULTURE DES TISSUS

GALLIMARD Deuxième édition

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Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous les pays y compris la Russie.

Copyright by Librairie Gallimard, 1946.

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A LA MÉMOIRE DE LÉON DELARGE

Botaniste belge tombé au champ d'honneur

le 27 mai 1940

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INTRODUCTION

La durée de la vie. La raison de l'homme est dominée par un instinct puissant qui le

pousse à vouloir conserver sa vie. Aussi, dès qu'il fut capable d'exprimer sa pensée, l'être humain essaya-t-il de traduire, sous des formes diverses, sa joie de vivre et son horreur de la mort, horreur que seule la religion parvint à adoucir par la promesse d'un au-delà. Mais, à cette vie future dont le sens lui demeurait caché, l'homme préféra la vie présente malgré ses imperfections et, de bonne heure il chercha à la prolonger. Déjà, les Philosophes de la Grèce antique envisageaient les moyens possibles de reculer le terme fatal de l'existence humaine. Au Moyen Age, les Alchimistes confondaient en un seul rêve leur projet de fabriquer de l'or et celui d'atteindre la vie éternelle. Puis, lors de l'avènement des sciences positives, les penseurs se tournèrent vers les biologistes ; ils leur demandèrent d'élu- cider les causes de la mort et de leur indiquer les moyens de la vaincre. Et c'est ainsi que le problème de la durée de la vie abandonna le domaine de la pure fantaisie pour pénétrer dans celui de la Science.

L'immortalité des Bactéries.

Ce problème ne se pose d'ailleurs pas pour tous les organismes car certains ont le privilège de ne jamais mourir. L'ob-

servation banale montre en effet qu'une bactérie placée

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\ dans un milieu de culture approprié survit indéfiniment, j Elle absorbe les substances nutritives qui l'environnent, j augmente de taille, puis se divise pour donner deux indi- ] vidus identiques qui se séparent l'un de l'autre : chacun \ se conduit ensuite comme l'élément initial, c'est-à-dire S qu'il s'accroît et se multiplie à son tour. La cellule bacté- rienne primitive produit donc de cette manière une foule '; d'individus identiques à elle-même et dans lesquels on retrouve toute la substance vivante ensemencée au début \ de la culture, augmentée de celle que synthétisent les cel- lules au cours de leur prolifération. A aucun moment cette \ matière vivante ne fait retour à la matière inerte.

Cependant si l'on ne renouvelle pas le milieu de culture il arrive un moment où les bactéries cessent de se déve- lopper ; malgré cela, elles ne meurent pas car, à l'intérieur de chacune d'elles, la matière vivante se condense à l'état d'un petit corpuscule sphérique que protège une mem- brane épaisse et imperméable. Ce corpuscule est une forme de conservation que l'on appelle une spore. A l'abri de son enveloppe imperméable le protoplasme de la spore résiste à la dessiccation, au froid, à la chaleur, et demeure à l'état de vie ralentie jusqu'au retour des conditions favorables à la reprise de son activité. La mort des Bactéries, comme celle de tout être unicellulaire ne peut donc survenir que par un accident auquel échappent toujours certains indi- vidus.

Certains animaux primitifs composés de nombreuses cellules possèdent comme les êtres unicellulaires le privi- lège de vivre indéfiniment. Tel est par exemple le cas des Hydres, de certains Vers etc... qui peuvent se multiplier non seulement par un processus de reproduction sexuée dont nous parlerons plus loin mais aussi par une simple fragmentation de leur corps ce qui a pour effet de trans- mettre à leur descendance l'ensemble de leur propre sub- stance. Il en est de même pour quelques végétaux qui,

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comme le Fraisier, ou la Nummulaire produisent des sto- lons se propageant sans limite à partir de la plante-mère.

Soma et germen. Mais, pour la majorité des êtres vivants ce type de multiplication que l'on qua-

lifie d'asexuée n'est pas réalisable. On n'imagine pas en effet qu'une patte de Souris ou un pétale de Rose puissent jamais se développer pour donner un animal complet ou une plante entière. La reproduction de ces organismes s'opère exclusivement suivant un processus résultant de la sexualité et qui comme la multiplication asexuée assure la conservation de l'espèce mais non plus celle de l'individu. Pour nous en rendre compte il nous suffira, d'examiner ce que représente en somme cette reproduction sexuée.

Au sein d'un organisme complexe dont les cellules se spécialisent, vieillissent et meurent, certains éléments con- servent leur jeunesse initiale : ce sont les cellules sexuelles. Elles se détachent de l'organisme puis, chacune s'unit à une cellule de sexe opposé pour former un œuf qui se déve- loppe ensuite en un nouvel individu ; cette union qui repré- sente la phase capitale de la reproduction sexuée marque donc un retour à l'état unicellulaire. Il en résulte que l'or- ganisme ne transmet pas toute sa substance à sa descen- dance, mais seulement la quantité de matière vivante con- tenue dans ses cellules sexuelles qui, seules possèdent le privilège de vivre indéfiniment. Ces cellules sexuelles repré- sentent ce que les Biologistes ont appelé le germen. Elles ne constituent qu'une portion insignifiante de l'organisme car elles sont à l'état de massifs minuscules qui chez les Animaux sont inclus dans l'ovaire et le testicule et qui chez les Végétaux supérieurs sont localisés dans le pistil et l'étamine. Les autres éléments c'est-à-dire la presque totalité de l'organisme ne se retrouvent pas dans la descen- dance de l'individu mais sont destinés à mourir à échéance plus ou moins lointaine. Ils constituent le Soma qui après

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une brève jeunesse vieillit et meurt inéluctablement. Les êtres qui se reproduisent seulement par voie sexuée ne se survivent donc pas de la même manière que les Bactéries puisque la plupart de leurs cellules sont destinées à mourir et qu'ils ne transmettent à leur descendance qu'une infime partie de leur substance.

La prolongation de la vie des cellules somatiques.

Pour de tels organismes le problème de la durée de la vie doit être posé. Il n'est

pas douteux que l'homme attache plus d'importance à la durée de la vie de ses cellules somatiques qu'à celle de ses cellules germinales. En effet, s'il ne lui est pas indifférent de savoir qu'il peut assurer sa descendance, il lui paraîtrait bien plus intéressant de pouvoir prolonger la vie de ses muscles, de son estomac, de son cerveau, etc... c'est-à-dire de son soma où siège sa personnalité. On comprend donc sans peine que les Biologistes se soient attachés à reculer l'instant auquel le soma doit périr et retourner à la matière inerte.

Les premières tentatives ont porté sur des organismes entiers. Jadis, des vieillards ont cherché à se rajeunir en se faisant injecter du sang de jeunes hommes. Plus récem- ment on a essayé d'arrêter le vieillissement au moyen de greffes de glandes endocrines. D'autres méthodes encore ont été mises en OEuvre ; mais, les résultats furent toujours pitoyables. Alors renonçant provisoirement à vaincre de front les difficultés qui semblaient entourer de toutes parts le problème de l'immortalité, les Savants ont essayé de le résoudre par une voie détournée. Au lieu de poursuivre de vaines recherches sur des individus entiers, ils ont tenté de prolonger la vie de fragments d'organismes ; ils se sont en particulier adressés à l'unité fondamentale de l'être vivant : la cellule. Telle est l'origine de la culture des tis- sus.

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La culture des tissus. Son principe fut posé dès 190*2 par le Botaniste HABERLANDT. Le voici

dans toute sa simplicité. Imaginons qu'on isole un frag- ment d'organisme et qu'on le place dans un milieu conve- nable où il trouve tous les facteurs nécessaires à sa nutri- tion. Ses cellules vont effectuer la synthèse de leur propre substance, s'accroître et se multiplier. La prolifération étant installée, il suffira pour l'entretenir de procéder à des repiquages réguliers.

Voici donc ce que représente le problème de la culture des tissus ; il a été pleinement résolu puisqu'on est parvenu à entretenir la prolifération de tissus animaux et végé- taux en dehors de l'organisme et même à prolonger la vie au delà du terme assigné par la nature. Alors qu'une Poule succombe à l',âge de 8 à 10 ans les cultures de tissus de Poulet réalisées par ALEXIS CARREL ont vécu plus de 30 ans. Tandis qu'une Carotte meurt au bout de deux ans, les cultures de tissus que nous avons réalisées au moyen de fragments de racine de cette plante sont actuellement âgées de plus de huit ans et rien ne permet de prévoir que leur développement puisse cesser dans l'avenir. La culture des tissus a donc. permis d'obtenir l'immortalité des cel- lules.

Sa réalisation a mis en évidence un caractère fondamen- tal des cellules en montrant qu'elles ne portent pas en elles-mêmes les causes de leur propre mort. La mort ne saurait donc résulter d'une évolution cellulaire inéluctable mais plutôt d'une intoxication provoquée par le jeu normal des processus physiologiques de l'organisme. Ce fait pré- sente un immense intérêt car il permet de penser que l'on sera bientôt capable de préciser les causes du vieillissemenl et laisse entrevoir la possibilité de prolonger la vie de l'or- ganisme lui-même. La culture des tissus inaugure donc une voie nouvelle dans laquelle il faut s'engager résolu- ment.

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La valeur de la culture des tissus.

F

Mais sa valeur positive serait négligeable si elle devait ouvrir simplement des voies nouvelles e

vers un problème qui appartient encore au domaine de la pure spéculation. Heureusement il n'en est pas ainsi, car ,lorsque la culture des tissus fut définitivement réalisée, les Biologistes s'aperçurent qu'elle allait permettre d'aborder une foule de questions demeurées jusqu'alors inaccessibles. On cessa donc de la considérer comme un but et l'on comprit qu'elle ne représentait qu'un moyen de travail doué d'une souplesse et d'une puissance surprenantes.

Comparaison entre culture des tissus

animaux et végétaux.

Mais les possibilités de la cul- ture des tissus diffèrent selon qu'on s'adresse au règne ani- mal ou au règne végétal car,

les cultures des tissus animaux sont particulièrement favo- rables pour des études d'ordre morphologique, tandis que les cultures de tissus végétaux sont surtout adaptées à des recherches physiologiques. On doit reconnaître en effet que les tissus végétaux cultivés in vitro se prêtent mal à l'ob- servation microscopique directe parce qu'ils demeurent compacts, tandis qu'au contraire les colonies de cellules animales, en raison de leur transparence parfaite, permet- tent une étude précise de leur structure. En revanche, dans le domaine de la Physiologie, la culture des tissus végé- taux permet d'obtenir des résultats très supérieurs à ceux que procure la culture des tissus animaux. Cette supério- rité tient surtout à la possibilité de cultiver des amas de cellules végétales pesant plusieurs grammes, sur lesquels ,on peut réaliser des études quantitatives variées, tandis que les colonies de cellules animales, dont le poids n'ex- cède pas quelques milligrammes, se prêtent mal aux mesures nécessitées par des recherches d'ordre physiolo- gique. Cette particularité a permis .d'appliquer la méthode

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des cultures de tissus à l'élude de certaines questions déli- cates que pose l'histophysiologie végétale, telles que la nutri- tion cellulaire, le déterminisme de la prolifération, le mode d'action des phyto-hormones, la néoformation des bour- geons, la polarité des tissus, etc... La culture des tissus végétaux promet donc d'être plus féconde que la culture des tissus animaux, car en s'orientant vers la physiologie elle permet de mieux aborder les problèmes fondamentaux de la vie.

Plan de l'ouvrage. Dans cet ouvrage consacré à la cul- ture des tissus végétaux, nous

essayerons de préciser l'élat actuel de cette question qui est en pleine évolution. Nous montrerons tout d'abord combien les premières recherches furent pénibles et déce- vantes et nous retracerons brièvement son histoire si curieuse et si instructive pour ceux qui cherchent à savoir comment la Science se crée. Puis, après avoir indiqué les principes de la technique, nous examinerons les caractères morphologiques des cultures de .tissus végétaux. Nous étu- dierons ensuite leur nutrition ainsi que divers problèmes physiologiques accessibles à cette méthode et, pour finir, nous envisagerons brièvement son avenir.

A plusieurs reprises, au cours des pages qui vont suivre nous serons amené à signaler des lacunes dans nos connais- sances et à indiquer les voies souvent faciles qui doivent permettre de les combler. Oh reconnaîtra à ce caractère que la culture des tissus végétaux est une question en plein essor et c'est pourquoi M. Jean ROSTAND nous a offert de l'exposer dans la collection qu'il dirige. Il nous permettra de l'en remercier bien vivement.

Les travaux que nous allons évoquer dans cet ouvrage

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furent réalisés en grande partie pendant la guerre. Durant cette période difficile nos cultures ont à plusieurs reprises failli être détruites, et nous tenons à exprimer notre grati- tude à tous ceux qui nous ont aidé à les conserver.

Qu'il nous soit tout d'abord permis d'exprimer notre reconnaissance envers M. le Professeur MAGROU, membre de l'Institut qui, en accueillant nos souches dans sa serre de l'Institut Pasteur les a sauvées d'une mort certaine.

Nous n'oublierons pas non plus que la plupart de nos fournisseurs habituels ont fait de grands efforts pour satis- faire les besoins de notre laboratoire; nous tenons à leur exprimer notre gratitude.

Nous remercions tout particulièrement M. L'HUILLIER, Directeur Général de la Société des Laminoirs d'Alsace qui a mis gracieusement à notre disposition un produit sans lequel il nous aurait été impossible de poursuivre nos recherches.

Nous devons enfin mentionner que la poursuite de nos recherches n'aurait jamais été possible sans l'aide du Centre national de la recherche scientifique auquel nous devons tout l'outillage de notre laboratoire.

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CHAPITRE I

HISTORIQUES

La réalisation des

œuvres humaines.

Le besoin de lutte si propre à l'homme l'incite à entreprendre des oeuvres difficiles. Un explorateur imagine une expédition vers une

terre inconnue, un mécanicien songe à construire une machine nouvelle, un musicien rêve d'harmonies inédites. C'est ainsi que s'ouvrent des voies nouvelles vers la vérité ou la beauté. Des pionniers vont s'engager dans les chemins ainsi tracés ; mais comme ils lutteront seuls, sans appui, ils se laisseront finalement rebuter par les difficultés de plus en plus grandes auxquelles ils se heurteront et renon- ceront avant d'avoir atteint leur but. D'autres les rempla- ceront, d'autant plus nombreux et plus hardis que l'entre- prise semblera plus risquée. Bénéficiant des efforts de leurs prédécesseurs, ils avanceront d'abord très vite ; ayant estimé par avance les difficultés qu'ils vont rencontrer, ils seront mieux préparés à les vaincre. Ils iront donc plus loin que leurs devanciers mais, à leur tour, ils connaîtront la défaite. Seul, l'un d'eux parviendra au but. Ce but, ce sera par exemple, le pôle ou bien un mécanisme doué de propriétés inconnues ou encore la pleine possession d'une forme musicale nouvelle. Un seul aura su triompher des

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derniers obstacles ; tous les autres feront figure de vaincus. Et cela est injuste ; car ceux qui succombent avant la fin ont souvent plus de mérite que celui qui a surmonté les dernières difficultés. Leurs efforts auront en tout cas rendu possible la victoire finale. Il n'est en effet pas douteux que les tentatives infructueuses de SCOTT et de SHACKLETON ont facilité à AMUNDSEN la découverte du chemin du Pôle Sud. De même, les vaines études de Sir John CAYLEY et de W ENIIAM ont contribué à permettre la réalisation du pre- mier avion par ADER. Enfin, on peut penser que BEETIIOVEN n'aurait pas écrit de symphonies aussi parfaites s'il n'avait pu bénéficier de la longue expérience de HAYDN et de MOZART.

Les étapes de la découverte

scientifique.

La découverte scientifique ne diffère pas des autres entreprises humaines. Elle a aussi ses pionniers et ses victimes dont la défaite contribue à la victoire

d'un seul. Les conquêtes définitives de WINDAUS ou de KÔGL dans le domaine des vitamines et des hormones ne furent possibles que grâce aux travaux incomplets d'EuK- MANN, FUNK, PAAL, BOYSEN-JENSEN, etc... On croit trop sou- vent que la Science procède par bonds et que la décou- verte frappe au hasard, comme la fortune. Cela arrive, mais très rarement, car, le plus souvent la découverte est le ifruit d'efforts tenaces et continus qui peu à peu forcent la voie qui mène à la vérité. (Entre l'instant où un pro- blème est posé correctement et celui où il est pleinement résolu, il s'écoule généralement une période assez longue qui varie suivant la difficulté du sujet et aussi en fonction de l'activité déployée dans son étude. Il est rare qu'une question retienne pendant plus de 10 ans l'attention des chercheurs sans laisser entrevoir son point faible, c'est-à- dire celui qu'il convient d'envisager pour parvenir à sa solution. La culture des tissus végétaux fut à cet égard

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un problème particulièrement rebelle, car il n'a pas fallu moins de 36 ans d'efforts pour s'en rendre maître ; c'est dire que son histoire fut une longue suite de déceptions. Plus de 40 chercheurs essuyèrent une défaite si complète que leurs résultats ne purent pas même être utilisés par la suite. Nous allons en retracer les principales étapes. Mais, afin d'éviter une sèche énumération nous nous effor- cerons de mettre en évidence les idées qui ont guidé les expérimentateurs. Nous pourrons ainsi constater la multi- plicité des voies qui s'offraient à leurs efforts. Cela nous donnera aussi l'occasion de remarquer que certaines voies sans issue, furent suivies à maintes reprises avec une extra- ordinaire ténacité, tandis que l'unique chemin de la vérité demeura méconnu sans raison apparente, pendant plus de 30 ans.

Les précurseurs. Premiers échecs.

Le problème de la culture des tissus végétaux a des origines très lointaines.

Dès la fin du siècle dernier, RECIIIN-@ GER (1893) essaya de rechercher s'il existait une limite de fragmentation au-dessous de laquelle les tissus végétaux perdaient le pouvoir de proliférer. Pour cela il isola des fragments de bourgeons de Peuplier ou de Frêne, des tranches de racines de Betterave ou de Pissenlit, des tron- çons de tiges de Coleus etc... et les plaça à la surface de sable humide. En observant le développement de ces frag- ments, il constata que les plus volumineux produisaient des bourgeons, des racines, ou des cals, sortes de masses informes provenant de la multiplication désordonnée des cellules ou plus exceptionnellement de leur croissance.

; Plus les explantats étaient petits, plus leur activité était faible. Enfin, lorsque leur épaisseur était inférieure à

1 1 mm. 5, c'est-à-dire lorsqu'ils comportaient moins de 21 couches de cellules, ces fragments ne manifestaient aucun développement. Ceci amena RECHINGER à conclure

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à l'existence d'une limite de fragmentation au-dessous de laquelle les tissus perdaient le pouvoir de prolifération. Au cours de cette étude, il remarqua que la présence de vais- seaux dans les fragments favorisait leur développement. Ces expériences auraient pu servir de point de départ à la réalisation de cultures de tissus ; mais, RECHINGER n'y son- gea pas. Il ne comprit pas qu'à côté du chemin qu'il avait parcouru, il s'en trouvait un autre susceptible de conduire à des résultats bien plus importants que ceux qu'il avait obtenus.

Ses recherches tombèrent dans l'oubli. Pourtant elles ne méritaient pas ce sort car, malgré leur caractère superfi- ciel, elles contenaient un enseignement : elles indiquaient en effet, les types de tissus capables de proliférer in vitro.

Quelques années plus tard, en 1902, HABERLANDT définit pour la première fois le problème de la culture des tissus. Cet éminent botaniste devina que celui qui parviendrait à entretenir la multiplication des cellules en dehors de l'organisme disposerait d'une méthode physiologique d'une portée insoupçonnable. Il réalisa des expériences en vue de résoudre cette question, mais ses résultats ne furent pas à la hauteur de ses considérations théoriques. Ne tenant aucun compte des travaux de RECHINGEH et, pensant qu'on pouvait fragmenter sans limite les tissus végétaux sans entraver pour cela leur pouvoir de proliférer, il essaya de cultiver de très petits fragments et même des cellules iso- lées. Il eut recours à un matériel très varié : feuilles de Lamium purpureum, tiges d'Eicchornia crassipes, poils staminaux de Tradescantia, poils d'Ortie, épidermes de Fuchsia, d 'Ornilhogalum, etc... Il isolait des cellules ou des petites masses de tissus et les transportait dans des milieux de culture variés : solution de Knop additionnée ou non de saccharose, de glucose, de peptone, d'aspara- gine, etc... Dans ces conditions, les cellules survivaient pendant quelques mois ; elles pouvaient même s'accroître

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légèrement (fig. 2, pl. I) mais elles ne se multipliaient jamais.

Les expériences d'HABERLANDT aboutissaient donc à un échec complet. Il y avait à cela trois raisons. En premier lieu, les fragments isolés par HABERLANDT étaient beaucoup trop petits pour pouvoir proliférer. En outre, les cellules qu'il essayait de cultiver étaient trop différenciées pour être capables de se multiplier. Enfin, les milieux nutritifs employés dans ses recherches étaient peu favorables à la prolifération cellulaire. Mais, ni lui, ni ses contemporains ne soupçonnèrent les raisons de cet insuccès. On n'en tira donc aucun profit et sa seule conséquence fut de décourager les chercheurs, si bien que la culture des tissus végétaux fut considérée par beaucoup comme un problème insoluble.

Vers la même époque, une voie nouvelle fut inaugurée par 'WINKLER ; en essayant de cultiver des fragments de racines de Fève, cet auteur observa quelques divisions cel- lulaires mais pas de véritable prolifération. Au cours de ses expériences, il remarqua que le sulfate de Cobalt pos- sède la propriété d'exciter la multiplication des cellules et fut donc le premier à soupçonner la notion de substances excito-formatrices qui devait prendre par la suite une si grande importance. Mais ses études demeurèrent sans lendemain, et pendant 10 ans, le problème de la culture des tissus végétaux fut abandonné.

Réalisation de la culture des tissus animaux.

Mais bientôt l'idée d'HABER- LANDT fut appliquée aux tis- sus animaux. En 1907, le

physiologiste américain HARRISON ayant placé un fragment - de tube neural de grenouille dans une gouttelette de lymphe coagulée le vit s'entourer de fibres nerveuses qui provenaient de la croissance des neurones mutilés au cours de l'isolement. Cette expérience mémorable attira l'atten- tion de BURROWS et de CARREL, et ceux-ci, après avoir

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perfectionné la technique initiale d'HARRISON parvinrent à entretenir pendant fort longtemps la prolifération des cel- lules animales cultivées in vitro. Enfin, grâce à la décou- verte des tréphones, substances de division contenues dans l 'extrait d 'embryon de poulet et dans les leucocytes, CAR- REL prépara un milieu de culture qui lui permit de réaliser la culture indéfinie des cellules animales (1912). Dès lors la méthode nouvelle qu'il venait de mettre au point, mani- festa une extension mondiale. Sa puissante originalité ne tarda pas à séduire les physiologistes et, dans tous les pays, les grands laboratoires biologiques édifièrent des installa- tions de culture de tissus.

Reprise des recherches sur la culture

des tissus végétaux : nouveaux échecs.

Un succès aussi retentissant ne devait pas laisser les Botanistes indifférents ; de nouveau ils se penchèrent sur le problème de la culture des tissus.

En 1913, HABERLANDT aborda de nouveau cette question mais, par une voie détournée, en étudiant la physiologie de la division cellulaire. Il découpa des tranches de tis- sus dans des organes variés et s'efforça de préciser les conditions de leur prolifération. Comme RECHINGER l'avait déjà constaté 20 ans auparavant, HABERLANDT remar- qua que la présence de faisceaux conducteurs favorise la croissance des tissus. Il mit aussi en évidence l'action excitante des blessures.

C'est alors qu'entraîné par sa tendance à la généralisa- tion, il formula sa célèbre théorie des hormones de divi- sion, théorie qui devait susciter une foule de travaux con- tradictoires et qui actuellement est encore très discutée. Ces recherches avaient éloigné HABERLANDT des principes qui présidèrent à ses premières tentatives et n'avaient égale- ment que des rapports lointains avec les études réalisées sur la culture des tissus animaux. Aussi, pendant que ce savant

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s'efforçait de consolider ses idées sur les hormones de plaie et de leptome, d'autres chercheurs entreprirent-ils de réa- liser la culture des tissus végétaux en s'inspirant des direc- tives établies par CARREL pour les cellules animales. Ce fut l'origine d'une série de travaux entièrement négatifs.

En 1916, BOBILIOFF-PREISSER essaya de cultiver des cel- lules isolées. Il songea tout d'abord à, se servir d'éléments jeunes en voie de prolifération active. Mais, en raison de l'extrême fragilité des cellules méristématiques, il fut obligé, comme HABERLANDT d'avoir recours à des éléments différenciés qu'il prélevait sur des feuilles ou des pétales de diverses Phanérogames, Viola:, Thunberyia etc... Ses milieux de cultures différaient peu de ceux employés aupa- ravant et ses résultats ne furent pas meilleurs. Les cellules qu'il cultivait demeuraient vivantes pendant quelques mois. Elles manifestaient quelque accroissement mais aucune tendance à se multiplier.

Peu après, un élève d'HABERLANDT, LAMPRECRT essaya de cultiver des fragments de feuilles de Bryophyllum, de Crassula etc... Il ne fit pas usage de véritables milieux de culture mais employa une technique singulière qui consis- tait à transporter de petits groupes de cellules à la surface de plaies pratiquées sur des feuilles appartenant soit à la même plante soit à une espèce différente de celle sur laquelle l'explantat avait été prélevé. Il s'agissait donc d'une sorte de transplantation. Ces expériences permirent à LAMPRECHT de vérifier l 'opinion d'HABERLANDT au sujet du rôle des faisceaux conducteurs dans la prolifération des tissus ; mais, elles n'indiquèrent pas davantage la voie qui devait conduire à la réalisation de cultures de tissus.

En 1919, KNUDSON essaya de nouveau de cultiver des cellules isolées. Afin d'éviter les traumatismes qu'entraîne l'isolement mécanique des cellules il s'adressa à des élé- ments qui se détachent naturellement de la plante, c'est-à- dire aux cellules de la coiffe qui protège l'extrémité de

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toute racine. Pour obtenir ces cellules il faisait germer des graines dans des tubes à essais contenant une solution nutritive. Les racines, au cours de leur développement abandonnaient des cellules de coiffe qui, en raison de leur densité se réunissaient au fond des récipients, où l'on pou- vait les recueillir afin de les observer au microscope. Comme ses prédécesseurs KNUDSON constata une survie pro- longée des cellules isolées mais aucune multiplication (fig. 1, pl. I). Deux ans plus tard, HABERLANDT essaya de nou- veau de cultiver des fragments de tissus végétaux. Au lieu de s'adresser à des cellules isolées, il utilisa cette fois des fragments assez volumineux mais encore sans succès. Ainsi vingt ans avaient passé depuis ses premières tentatives et le problème de la culture des tissus végétaux demeurait toujours impénétrable.

Une voie nouvelle est ouverte :

utilisation des tissus méristématiques.

Il ne devait cependant pas tarder à entrer dans une phase nouvelle riche de promesses, grâce aux recherches de KOTTE et de ROB- BINS (1922). Ces auteurs compri-

rent que les tentatives antérieures étaient demeurées vaines, parce qu'on s'était adressé à des cellules différenciées ayant perdu le pouvoir de se multiplier. Ils pensèrent obtenir des résultats meilleurs en essayant de cultiver des tissus capables de proliférer normalement, c'est-à-dire des tissus méristématiques.

L'organisation des végétaux supérieurs :

les deux catégories de méristèmes.

Afin de permettre de saisir pleinement le sens des expé- riences effectuées par KOTTIÎ et ROBBINS, il est nécessaire que nous rappelions aupara-

vant les grandes lignes de l'organisation des plantes supé- rieures.

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PL. I

CULTURES DE CELLULES

Fig. 1. Cellules isolées de coiffe de Lupinus albus. On remarque des cellules mortes dont le cytoplasme est ('oar/11l é.

Fig. 2. Cellules d'un poil staminal de Tradescantia cul- tivé in vilro (d'après HABERLAXDT).

Fig. 3. Cellules stomatiques cultivées in vitro. La cellule supérieure s'est accrue tandis que la cellule inférieure s'est nécrosée (d'après THIELMANN).

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PL. II

CULTURES DE RACINES

Racines isolées de Maïs, après quarante-cinq jours dl' culture. Ces racines mesur.tient initialement moins de deux centimètres de long.

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2* édition

L'AVENIR DE LA SCIENCE Collection dirigée par JEAN ROSTAND

1. — LE TEMPS ET LA VIE par LECOM7 E DU NOÜY

2. — L'ORIGINE DU CANCER par J. P. L O(,AII AR T-MUMMER Y a.-E:\IBRYOLOGIE ET GÉNÉTIQUE

par TH. H. MORGAN 4. — LA LUTTE CONTRE LA MORT

par S. MÉÏ ALNIKOV ô. — LA VIE SEXUELLE ET SOCIALE DES SINGES

par S. ZUCRERMANN 6.— LES MÉCANISMES nu CERVEAU

par JEAN LIIERMI1 2 E 7. — LA SCIENCE DES HORMONES

par B. RIVOIRE 8.— LES CELLULES EMBRYONNAIRES

par RA 0 U L - MI C II EL MAY 9. — LE SIÈCLE A VENIR

par C. C. FURNAS 10. — LES ATOMES, LES HOMMES ET LES ÉTOILES

par ROGERS D. RUSK 11. —BIOLOGIE ET MÉDECINE

par JEAN ROS1AND 12. — LE NOUVEL UNIVERS

par JULES SAGERET 13.— I)U CONNU A L'INCONNU

par ANDRÉ Ste-LAGUE 1 — L'HOMME (Introduction à l'étude de la biologie humaine)

par JEAN ROS1 AND 15. — LE JEU, LA CHANCE

ET LES THÉORIES SCIENTIFIQUES MODERNES par EMILE BOREL

iO.— LA PSYCHOLOGIE, SCIENCE DU COMPORTEMENT par PIERRE NAVILLE

17. - LES MIGRATIONS ANIMALES par L. CHOPARD, L. BERTIN, J. BERLiOZ, P. LAURENT

18. — DES ORCHIDÉES A LA POMME DE TERRE (Essai sur la symbiose) par JOSEPH MAGROU

19. — BIOLOGIE DES CHAMPIGNONS par MARIUS CUADEFAUD

20. —LA FORMATION DU SYSTÈME NERVEUX par RAOUL-MICHEL MAY

S É R I E lN-S. i.— LES FOSSILES VIVANTS DES CAVERNES

par RENÉ JEANNEL 2. — LES ASPECTS INTUITIFS DE LA MATHÉMATIQUE

par GEORGES BOULIGAND :1. — AUX SOURCES nE LA CONNAISSANCE :

LA SENSATION, GUIDE DE VIE par HENRI PIÉRON

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Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒

dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.