La courtoisie, qualité passe-partout - RBCtion de Chang, dans Les Horizons perclus: "La cour-toisie...

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VOL. 53,No 9 SIÈGE SOCIAL:MONTRÉAL, SEPTEMBRE 1972 Lacourtoisie, qualité passe-partout SI VOUS ATTERRISSIEZ suruneautre planète habitée, votre premier soin, en descendant du navire spatial, serait d’écrire à vos parents pour leur dire comment les gens se comportent. Ce serait là ce qu’il y a de plus important à vos yeux. Et votre façon de vous conduire à vous formerait le sujet de conversation des habitants decette planète. Lesbelles manières, les manières distinguées com- mandent le respect et inspirent l’amitié. Dans toute situation sociale, il est élégant chez les hommes comme chez lesfemmes de penser, parler et agir avec bien- séance. Lesbonnes manières sont les gardiennes indispen- sables de la paix et des convenances dans la société, cequi est unrôle d’intérêt public, etpourtant on nous parle beaucoup moins de leur culte quedes régimes alimentaires et desdouzaines de recettes de toutes sortes pour conserver ou accroître la beauté du corps. Le Code pénal du Canada mentionne un grand nombre d’infractions punissables contre l’ordre public et lespersonnes, mais le mot"courtoisie" ne figure nulle part à son index. Les bonnes manières ne sont pas sanctionnées par laloi. Pour lasociété, la courtoisie n’est pas de précepte, mais simplement de conseil. Lacourtoisie se situe quelque part entre laloi posi- tive- ensemble desrègles auxquelles il faut obéir- et le libre choix, domaine où nous revendiquons et possédons une entière liberté. C’est ce qu’un auteur appelle si bien la sphère de l’obéissance volontaire. L’inclination à se bien comporter dans ce domaine est fortement ancrée dans le cur de tous, sauf chez les personnes extrêmement dépravées. Lacourtoisie n’est pas l’invention fantaisiste d’une génération révolue, mais unemanière de vivre de lon- guedate. Moïse n’apasfait quetransmettre lesdix commandements reçus sur le Sinaï; il a prescrit la conduite de l’homme comme il faut: respect dessourds, des aveugles etdes vieillards; abstention ducafardage; civilité envers les visiteurs etles étrangers. La courtoisie, entendue au sens de douceur et de politesse, est l’instrument consacré des échanges sociaux, tout comme la monnaie estcelui deséchanges économiques. Lescoutumes et les convenances régissent un large secteur du comportement humain. Ce que nousappe- lons ordinairement lesconvenances sont des usages enracinés dans le respect attentionné du bien-être et des sentiments des autres. Ce sontnotamment l’art de s’habiller comme il convient, la modération du ton de voix, les bonnes manières à table et le souci de ne pasdéranger les gens. La courtoisie suppose la politesse. Celle-ci est comme un coussin pneumatique: même s’il n’ya rien à l’intérieur, il n’en amortit pas moins merveilleusement les chocs. Un "s’il vous plaît" et un "merci" peuvent paraître sans importance; pourtant ils rendent les services agréables et plaisent aux gens. La chevalerie Notre conception de la chevalerie demeure associée auxarmures, auxtournois, à la déférence envers les dames et à la défense des faibles. Le principe de base delachevalerie c’est que les forts doivent utiliser leur force avec générosité, modestie et dignité pour protéger les faibles. Onpeut citer dans le même ordre d’idées la définition quedonne le cardinal Newman du gentleman : "Il n’est jamais mesquin ni vil dans ses discussions, ne profite jamais injustement descirconstances, ne prend jamais les personnalités ou les mots cinglants pour desargu- ments ni n’insinue de méchancetés qu’il n’oserait dire ouvertement." Ces notions de la chevalerie et dela galanterie sont l’une et l’autre dans l’esprit des béatitudes: douceur, droiture, bienveillance, amour de la paix et bonté. On dira naturellement queles temps ontchangé, que lachevalerie ne fleurit plus, que les doux ne possèdent pas la terre et quela lutte de la vie quotidienne ne laisse pas le temps de faire desfaçons. Pourtant, on voit à la devanture des librairies beaucoup de romans du dix-neuvième siècle, dont certains font partie des lectures obligatoires dans les écoles. N’aurions-nous pas la nostalgie dela civilité dutemps jadis? Unepersonnalité bien connue de la presse et de la radio, Claire Wallace, écrit dans songuide du savoir-

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VOL. 53, No 9 SIÈGE SOCIAL: MONTRÉAL, SEPTEMBRE 1972

La courtoisie, qualité passe-partout

SI VOUS ATTERRISSIEZ sur une autre planète habitée,votre premier soin, en descendant du navire spatial,serait d’écrire à vos parents pour leur dire comment lesgens se comportent. Ce serait là ce qu’il y a de plusimportant à vos yeux. Et votre façon de vous conduireà vous formerait le sujet de conversation des habitantsde cette planète.

Les belles manières, les manières distinguées com-mandent le respect et inspirent l’amitié. Dans toutesituation sociale, il est élégant chez les hommes commechez les femmes de penser, parler et agir avec bien-séance.

Les bonnes manières sont les gardiennes indispen-sables de la paix et des convenances dans la société,ce qui est un rôle d’intérêt public, et pourtant on nousparle beaucoup moins de leur culte que des régimesalimentaires et des douzaines de recettes de toutessortes pour conserver ou accroître la beauté du corps.

Le Code pénal du Canada mentionne un grandnombre d’infractions punissables contre l’ordre publicet les personnes, mais le mot "courtoisie" ne figurenulle part à son index. Les bonnes manières ne sont passanctionnées par la loi. Pour la société, la courtoisien’est pas de précepte, mais simplement de conseil.

La courtoisie se situe quelque part entre la loi posi-tive- ensemble des règles auxquelles il faut obéir-et le libre choix, domaine où nous revendiquons etpossédons une entière liberté. C’est ce qu’un auteurappelle si bien la sphère de l’obéissance volontaire.L’inclination à se bien comporter dans ce domaine estfortement ancrée dans le c�ur de tous, sauf chez lespersonnes extrêmement dépravées.

La courtoisie n’est pas l’invention fantaisiste d’unegénération révolue, mais une manière de vivre de lon-gue date. Moïse n’a pas fait que transmettre les dixcommandements reçus sur le Sinaï; il a prescrit laconduite de l’homme comme il faut: respect des sourds,des aveugles et des vieillards; abstention du cafardage;civilité envers les visiteurs et les étrangers.

La courtoisie, entendue au sens de douceur et depolitesse, est l’instrument consacré des échangessociaux, tout comme la monnaie est celui des échangeséconomiques.

Les coutumes et les convenances régissent un largesecteur du comportement humain. Ce que nous appe-lons ordinairement les convenances sont des usagesenracinés dans le respect attentionné du bien-être etdes sentiments des autres. Ce sont notamment l’artde s’habiller comme il convient, la modération du tonde voix, les bonnes manières à table et le souci de nepas déranger les gens.

La courtoisie suppose la politesse. Celle-ci estcomme un coussin pneumatique: même s’il n’y a rien àl’intérieur, il n’en amortit pas moins merveilleusementles chocs. Un "s’il vous plaît" et un "merci" peuventparaître sans importance; pourtant ils rendent lesservices agréables et plaisent aux gens.

La chevalerie

Notre conception de la chevalerie demeure associéeaux armures, aux tournois, à la déférence envers lesdames et à la défense des faibles. Le principe debase de la chevalerie c’est que les forts doivent utiliserleur force avec générosité, modestie et dignité pourprotéger les faibles.

On peut citer dans le même ordre d’idées la définitionque donne le cardinal Newman du gentleman : "Il n’estjamais mesquin ni vil dans ses discussions, ne profitejamais injustement des circonstances, ne prend jamaisles personnalités ou les mots cinglants pour des argu-ments ni n’insinue de méchancetés qu’il n’oserait direouvertement."

Ces notions de la chevalerie et de la galanterie sontl’une et l’autre dans l’esprit des béatitudes: douceur,droiture, bienveillance, amour de la paix et bonté.

On dira naturellement que les temps ont changé, quela chevalerie ne fleurit plus, que les doux ne possèdentpas la terre et que la lutte de la vie quotidienne nelaisse pas le temps de faire des façons. Pourtant, onvoit à la devanture des librairies beaucoup de romansdu dix-neuvième siècle, dont certains font partie deslectures obligatoires dans les écoles. N’aurions-nouspas la nostalgie de la civilité du temps jadis?

Une personnalité bien connue de la presse et de laradio, Claire Wallace, écrit dans son guide du savoir-

vivre canadien: on est moins cérémonieux dans la vied’aujourd’hui- dans la conduite, dans les vêtements-- particulièrement chez les jeunes. Pourtant, cela nechange rien au fait que les bonnes manières et l’obser-vation des règles de la société sont importantes.

Il est un raffinement qui doit avoir sa place dansl’existence de quiconque désire mener une vie décenteet chevaleresque. C’est le tact. Le tact, conscienceintelligente et respect des sentiments des autres, de-meure le moyen le plus efficace pour rendre les genssympathiques.

C’est la qualité qui nous incite à être indulgentsdans nos différends avec les autres et à leur laisserainsi la possibilité de devenir nos amis. Elle leur permetde "sauver la face". La pire des choses que l’on puissefaire à quelqu’un c’est d’écraser son amour-propre.C’est donc une haute manifestation d’humanité demême qu’une excellente démonstration de courtoisieque de ménager une issue ou un moyen de réhabilita-tion à l’adversaire.

Un mot résume tous les principes de courtoisie men-tionnés jusqu’ici" la bienveillance. La vraie source dela bonne éducation réside dans les égards que l’on apour les autres. Dans la vie courante, cela signifie sedéranger pour donner du bonheur à quelqu’un qui sesent seul, qui a perdu pied ou qui est timide; c’estfaire un effort délibéré et réfléchi pour satisfaire à sesdésirs; c’est, faute de pouvoir obliger quelqu’un, luiparler avec compréhension et bonté.

Un état habituel

L’habitude de la politesse ne peut résulter que d’unelongue et constante pratique, grâce à laquelle l’aménJ, tédes manières devient quelque chose de subconscient.L’homme bien élevé n’a pas à réfléchir avant de dire"s’il vous plaît" ou "merci" en demandant ou enrecevant un service.

La courtoisie la plus parfaite est celle qui se mani-feste le moins. On se souvient de la délicieuse descrip-tion de Chang, dans Les Horizons perclus: "La cour-toisie émanait de lui comme un parfum trop délicatque l’on ne perçoit que lorsqu’on n’y pense plus."

Efforcez-vous d’acquérir un vif instinct des conve-nances, afin de vous comporter comme il sied à chaquesituation selon qu’elle est empreinte de gravité ou degaieté, en vous appliquant avec un même soin, àéviter les impairs et à observer ce qui est pertinent.

Si vous vous sentez embarrassé avec les personnesde bonne compagnie, plus à l’aise avec les gens detroisième ordre que ceux d’une classe supérieure, c’estpeut-être que vous vous êtes laissé aller à fréquenterune société peu raffinée. Le remède consiste à organiservotre vie de façon à entrer en relations et à vous lieravec le genre de personnes que vous admirez.

Existe-t-il des règles ?

Il arrive, dans la vie de chaque homme, un momentoù il tient absolument à savoir comment faire ce qu’il

faut dans un milieu peu connu. La Société a adopté àcette fin un série de règles appelées savoir-vivre ouconventions sociales, mais il reste impossible de dresserune liste de bonnes manières qui seraient applicablesà tout le monde et dans toutes les circonstances.

Certaines personnes appartiennent encore à l’écoledu "petit doigt en crochet"; pour elles la façon detenir sa tasse de thé ou son verre de vin est un symbolede leur rang dans la société. C’est là une conceptionridicule du savoir-vivre. Notre manière de faire leschoses dérive de ce que nous admirons chez les autreset de notre sens naturel de ce qui est bien et important.Les bonnes manières sont en nous -- d’où l’expression"bien né"--mais on peut aprendre à les pratiquer.

Il est nécessaire que les relations sociales soient bienordonnées pour que les gens vivent et travaillent dansune harmonie relative. Si chacun est libre de se com-porter comme il lui plaît en société, cela n’autorise paspour autant à agir de façon à troubler le bien-être et latranquillité des autres, ll y a quelque chose de rustrechez celui qui fait exprès pour agir autrement que legroupe où il se trouve, et on reconnaît les gens vul-gaires à leur désir d’attirer l’attention. Sir WinstonChurchill disait un jour d’un député: "Notre honorablecollègue cherche à se distinguer par sa grossièreté."

La courtoisie n’est pas un produit artificiel. On nepeut s’en vaporiser comme d’une eau de toilette.Impossible de la simuler par une cordiale poignée demain qui ne serait pas sincère. Chez l’hôtesse qui reçoità contre-coeur, comme Héloïse dans la pièce de Tor-rence, la mine de l’accueil chaleureux doit resterimpénétrable.

Poser, c’est-à-dire se donner des airs, est une attitudefuneste à la courtoisie. Si vous voulez vivre en bonneintelligence avec les autres, il vous faudra quelquefoisparaître moins brillant que vous ne l’êtes en réalité.

Chez soi et en public

L’amitié, si grande soit-elle, ne saurait justifier niexcuser l’impolitesse. C’est de l’impertinence que de seprévaloir des liens familiaux pour se montrer grossierou insouciant du bien-être des autres.

Les parents mécontents des habitudes de comporte-ment de leurs enfants doivent malheureusement re-connaître le fait que la plupart des enfants adoptentles normes de comportement dont leurs parents fontmontre devant eux.

La courtoisie ne s’enseigne pas à coup d’interdiction,mais par l’exemple. Si on retient trop rigoureusementles enfants sous prétexte de leur apprendre à vivre, ilsfiniront par se rebeller et à rompre leurs entraves.

Il convient d’encourager les jeunes à considérer lefoyer comme le seul endroit où ils peuvent s’initier àl’art de pratiquer les aménités sociales nécessaires pourmener une vie harmonieuse à l’extérieur de la famille.Tout enfant devrait être instruit du fait qu’à l’école etdans les affaires l’homme est comme un poisson rougedans un bocal, c’est-à-dire exposé de tous côtés auxregards et à la critique; qu’il a le devoir envers ceux

qui l’entourent d’agir avec courtoisie, parce que c’estle seul moyen dont ils peuvent vivre agréablement aveclui; et qu’il se doit à lui-même de se comporter enhomme cultivé afin de toujours avoir une bonneopinion de sa personne.

La courtoisie n’est pas un raffinement que l’onréserve à un cercle d’amis ou de connaissances. Cen’est pas un vernis dont on se recouvre pour allerdans le monde. Il faut savoir s’en servir envers lecommis de magasin, la téléphoniste, le chasseur ou lafemme de chambre, le chauffeur de taxi ou le marchandde journaux, le chauffeur d’autobus ou le maîtred’école.

Les codes de la route sont faits par les spécialistes dela circulation dans l’intérêt de la sécurité, mais lesavoir-vivre n’en est pas exclu. Un chauffeur comme ilfaut a tôt fait de s’élever au-dessus de la masse par sapondération, ses attentions et son bon jugement. C’estlà un secteur de la vie où trouvent à s’appliquer lesbonnes manières.

Voici quelques suggestions concernant l’exercice dela courtoisie en public. De nos jours où tant de per-sonnes cessent de fumer, il serait temps de revenir àcertaines politesses que l’on observait avant que l’usagedu tabac fût aussi généralisé: demander la permissionde fumer; savoir deviner que l’absence de cendriersdans un salon est une invitation discrète à ne pasfumer; s’assurer que la fumée n’arrive pas dans lafigure de vos voisins.

La ponctualité n’est pas seulement une politesse,c’est un hommage que l’on rend aux personnes intelli-gentes et une remontrance que l’on fait aux imbéciles.Estimer qu’il est de bon ton d’être en retard c’est pourainsi dire considérer une imperfection physique oumentale comme un avantage.

Voyez ceux qui arrivent en retard à un concert ou àun spectacle. Ils font irruption après le lever du rideau,murmurant des excuses, obstruant la vue, obligeant lesgens à se lever pour les laisser passer. A un concert,on ne devrait pas permettre aux retardataires d’incom-moder les personnes déjà assises. S’ils n’ont pas lacourtoisie d’arriver à temps, il faut sévir.

Dans l’autobus ou le train, soyez prêts à présentervotre billet au conducteur; c’est une politesse enverslui et envers les autres voyageurs. Dans l’escalierroulant, tenez-vous à droite, afin de laisser le passage àceux qui sont pressés. En quittant un siège, dans untrain ou un autobus, il est de mise de dire à la personnedevant qui on passe: "Je vous prie de m’excuser."

Regardez derrière vous en franchissant une porte,afin de ne pas la laisser se refermer sur quelqu’un. Auconcert, ne développez pas de friandises aux papiersbruyants, ne battez pas la mesure avec votre pied surle fauteuil du voisin ni sur le parquet, ne portez pas debracelets cliquetants; n’entretenez pas de conversation,même à voix basse.

Se montrer courtois envers les personnes âgées, cen’est pas faire preuve de pitié, mais de délicatesse.Voici ce que nous dit le grand philosophe grec Aristote

à ce sujet: "A tous nos aînés témoignons la vénérationqui convient à leur âge en nous levant en leur présence,en leur cédant le passage et en leur manifestant toutesles autres marques de respect."

Dans les affaires

La courtoisie est une habitude qui aide à réussir danstoutes les entreprises. Elle offre le moyen de travaillerefficacement et agréablement avec les autres.

Le type agressif et dominateur, sans égards pour lesdroits ou les susceptibilités des autres, est un excèsqu’il faut éviter à tout prix. Il vaut la peine de faire uneffort pour "traiter chacun de ceux que vous rencon-trez avec une considération telle qu’il gardera de vousun charmant souvenir". Ce ne sont pas là les parolesde quelque philosophe perdu dans les nuages, mais unemaxime tirée du premier volume du cours d’adminis-tration moderne de l’Alexander Hamilton Institute.

Toute personne racée sait être attentive aux senti-ments des autres quelle que soit sa situation sociale, etles patrons et les cadres ont le devoir incontestabled’être courtois envers ceux qui travaillent pour eux.La courtoisie tempère le ton impératif des ordres etadoucit le tranchant de l’autorité.

De quelques techniques

De la conception de la courtoisie en tant que pré-venance envers les autres et souci de leurs sentiments sedégagent plusieurs techniques d’application, techni-ques auxquelles il faut s’exercer jusqu’à ce qu’ellesdeviennent partie intégrante de notre comportementhabituel.

Celui qui est sensible aux besoins des gens fera lepremier pas pour manifester son intérêt et sa sym-pathie. C’est le philosophe français Auguste Comtequi a créé le mot "altruisme", sentiment qui consiste àplacer les autres au-dessus de soi, à mettre leurs in-térêts au-dessus des siens. Les éducateurs de toutes lescroyances et les moralistes de toutes les écoles ontinsisté sur nos devoirs envers le prochain, et le désinté-ressement contribue dans une large mesure à l’épa-nouissement de la oeurtoisie.

L’indifférence est l’affront le plus blessant que l’onpuisse faire à quelqu’un. Chacun désire ardemmentêtre apprécié. C’est être mal élevé que d’ignorer cer-taines personnes à la maison ou au bureau, de lescroiser sans les saluer, de les regarder avec des yeuxsans expression, de causer avec les autres, comme sielles étaient absentes. Un excellent moyen par lequeltout le monde peut concourir à rendre la vie agréableconsiste à considérer les autres comme des êtreshumains semblables à nous en les saluant ou en leurdisant au revoir, même par un simple signe de la main.

Nous avancerons encore d’un cran le jour où nousserons capables de nous réjouir sincèrement du succèsou du bonheur d’une connaissance et de lui dire notrejoie. Rien n’est moins onéreux que de décerner deséloges quand ils sont mérités, et même d’insister quel-

que peu sur une tâche bien accomplie ou un effortlouable.

L’homme bien élevé sait se souvenir avec bonnegrâce des droits des autres. Il tient compte des désirs,des opinions et des réactions des gens et les apprécieavec magnanimité, même s’ils semblent faire erreur.Dans un régime de liberté, la diversité des opinions estinévitable et ne doit pas être condamnée, mais lamesure où quelqu’un s’efforce avec persistance deréaliser l’harmonie marque son désir de devenir unepersonne courtoise, raffinée et cultivée.

Il n’y a pas de critère plus rigoureux pour juger dela courtoisie ou de la probité d’une personne que safaçon de se comporter quand elle a tort. Les excuses nedoivent être ni guindées ni tièdes. L’offensé ne tient pasà humilier l’offenseur: il veut qu’on panse la blessurequ’on lui a faite. Il oubliera volontiers une insulte ouune injure en voyant que l’auteur la regrette.

La patience est un élément de la courtoisie. Il ne fautpas s’attendre que l’harmonie parfaite règne toujoursautour de soi. Tout le monde a des moments sombres,imputables à la frustration, au désappointement, àl’impuissance à surmonter une crise. Devant un col-lègue ou un compagnon de travail froid et renfermé,dites-vous que c’est peut-être un de ces jours oùplusieurs problèmes font irruption en même temps,et soyez patient.

La discrétion, brillante qualité, est essentielle à lacourtoisie. Il y a des moments où le summum de labienveillance est de tourner la tête et faire semblant dene pas voir. Si cher que soit un ami, il n’est pas cheva-leresque de lui imposer sa sympathie ou son aide.

Conversation et discussion

Dans une conversation mondaine, il suffit de s’entenir aux règles de la bienséance élémentaire, savoirque chacun puisse parler, qu’il ne se dise rien de tropembarrassant, que l’on observe toutes les conventionspropres à la circonstance.

Le cat~seur courtois n’est ni un babillard, ni unhâbleur, ni un rustre. Il ne s’attarde pas aux chosesinsignifiantes comme les problèmes de ménage, lesennuis professionnels, le gros poisson manqué et lesdésagréments de ce genre. Si on lui demande parpolitesse comment il se porte, il n’en profite pas pourse lancer dans une description détaillée de ses petitsmalaises. 11 ne surestime pas l’importance de sonopinion, mais s’efforce de donner à tous l’impressionde participer à la conversation. Sa bouche ne lance pasla foudre du sarcasme, et il essaie de mettre un grainde charme dans la conversation.

La discussion aigrit et gâte la conversation a ditBenjamin Franklin. Les personnes intelligentes s’ylaissent rarement aller. Mais si une discussion survient,ayez présents à l’esprit certains principes de courtoisie.Chaque fois que vous exprimez une discordance d’opi-nion, faites-là précéder d’un mot conciliant. Ecoutez,réfléchissez, concédez, usez de modération, citez vossources et laissez la porte ouverte afin de permettre à

LA BANQUE ROYALE DU CANADA 1972

votre contradicteur de se ranger à votre avis sansessuyer une humiliation.

Ne faites pas d’esprit aux dépens des autres: il estodieux de faire une plaisanterie qui peut blesser quel-qu’un ou de rire des erreurs des autres.

Si votre situation vous oblige à critiquer quelqu’unparce que vous en avez le devoir, commencez par re-connaître honnêtement ce que l’on a bien fait ou tentéloyalement de bien faire. Dites ce qu’il faut et non pastout ce que vous pourriez dire.

La personnalité et la pondérationLa personnalité est en somme l’effet que nous pro-

duisons sur les autres. Elle procède de nos habitudesde pensée.

On vous jugera d’abord par votre civilité et peut-être ensuite par vos qualités intellectuelles. Il y a doncavantage à éliminer les menus caprices, manies ettraits personnels qui ternissent votre image sociale.

La sérénité et la pondération deviennent les fidèlescompagnes de l’homme courtois. Il apprend à co-ordonner ses facultés de façon harmonieuse, ce qui luipermet de trouver la stabilité émotive. Si quelqu’unlui pousse une botte qu’il ne peut parer la courtoisieest le bouclier avec lequël il encaisse le coup.

Le comportement des autres peut nous offenser etnous irriter, mais il n’est pas en notre pouvoir de lemodifier. Notre seule arme est de réagir convenable-ment, comme ce philosophe qui, rué par une mule,conclut qu’il valait mieux oublier l’incident eu égardà sa provenance. Un poète exprime la même idée entermes plus élégants: "Un homme de bonnes m�urs,intelligent et bien élevé ne saurait m’insulter, et per-sonne d’autre ne le peut."

Les petites chosesLa courtoisie, après tout, tient à des petites choses.

Elle ne comporte aucune qualité dominatrice, maiselle nous gagne des amis dans les conflits et les petitesmises au point de la vie quotidienne.

On ne saurait dire "merci" trop souvent. Lorsqu’unservice nous est rendu, il ne devrait y avoir aucunehésitation à en exprimer de la reconnaissance avec lesourire.

La démocratie comme l’industrialisme exigent unplus grand déploiement individuel de courtoisie et detolérance mutuelle que ce que l’on avait coutume dedemander à l’animal raisonnable dans des commu-nautés moins complexes.

Le but de l’homme courtois est d’être d’abordaimable, de nature tolérante, de comportement agré-able, d’humeur compatissante, d’esprit large et com-préhensif.

Le célèbre peintre italien Raphael disait qu’il repré-sentait les hommes et les femmes non comme ilsétaient, mais comme ils devraient être. Quel bon exem-ple à imiter pour ceux qui veulent être courtois:traiter les gens comme s’ils étaient ce qu’ils pourraientêtre !

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