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1 Joseph Verrier sm La Congrégation mariale de M. Chaminade Documents marianistes Séminaire Regina Mundi Fribourg (CH)

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Joseph Verrier sm

La Congrégation mariale de M. Chaminade

Documents marianistes

Séminaire Regina Mundi

Fribourg (CH)

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Ce volume présente en cinq parties l’histoire de la Congrégation de M. Chaminade. Chaque partie comprend un exposé historique, auquel des pièces documentaires ajoutent un excellent complément. Ces pièces son regroupées dans un tome à part, qu’il est donc utile d’avoir toujours à portée de main lorsqu’on lit ou consulte le tome premier.

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La Congrégation mariale de M. Chaminade

Livre I

Les précédents

DOCUMENTS MARIANISTES

Séminaire Regina Mundi

Fribourg (CH) 1964

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AVANT-PROPOS

La congrégation mariale de M. Chaminade n'a eu ni la notoriété ni le ralentissement que des circonstances particulières ont valu à la congrégation de Paris.

Elle ne mérite pas moins de retenir l'attention de quiconque veut prendre une idée exacte du catholicisme en France après la Révolution, sous l'Empire et sous la Restauration.

Mais ses origines, ses principes, son organisation, les résultats obtenus présentent un intérêt spécial pour les familles spirituelles de M. Chaminade, dont les membres prolongent l'action à travers le monde, grâce à un apostolat qui, directement ou indirectement s'apparente à celui que leur fondateur pratiqua a Bordeaux, dans les réunions de congréganistes. Des centaines d'associations mariales, en Espagne et en Amérique notamment, ne prouvent-elles pas, aujourd'hui même, l'actualité permanente d'une méthode d'évangélisation conçue pour multiplier les chrétiens en dépit d'un matérialisme séducteur ?

L'étude que les séminaristes marianistes mettent à la disposition de leurs aînés se présente à la fois comme une justification des pages que divers biographes ont consacrées à G.-Joseph Chaminade, et comme une invitation à la réflexion.

Tout travail historique vieillit très vite, seuls les documents gardent leur valeur. En publiant l'essentiel de ceux que nous avons recueillis, nous avons voulu permettre à chacun de s'en faire une synthèse périodiquement mise au point.

La congrégation de M. Chaminade s'est greffée sur le tronc des congrégations jésuites ; elle a cherché sa voie sous le Consulat ; elle s'est stabilisée de 1804 à 1809 ; elle s'est terrée de 1809 à 1814 ; elle a relevé la tête sous la Restauration et conçu de grandes espérances...

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Nous l'avons suivie à travers son histoire en recourant à toutes les sources d'information qui nous ont été accessibles. Les « Lettres annuelles » des Pères jésuites, les archives de l’Aa de Toulouse, celles de la Société de Marie, celles du département de la Gironde, de la ville de Bordeaux, de la préfecture de police à Paris, ont été, avec les archives nationales du Palais Soubise, les principaux fonds auxquels nous sommes redevables

Si notre essai de compilation vient à être de quelque utilité, le mérite en reviendra à tous ceux dont l'accueil bienveillant, les conseils ou la serviabilité nous ont permis de travailler dans les différents dépôts. Qu’ils trouvent ici l'expression d'une gratitude qui croît encore de jour en jour.

Maintenant, à vous de juger, Lecteurs.

Paris, 8 décembre 1964

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INTRODUCTION

En arrivant à Bordeaux dans le dernier quart du seizième siècle,

les fils de saint Ignace n'eurent pas à révéler à la population la dévotion à Notre-Dame. De temps immémorial, les mariniers et les bateliers invoquaient la Vierge de Montuzet, près de Roque-de-Thau et, en rétablissant leur confrérie en 1462, Louis XI les avait autorisés à fixer le siège de leur association pieuse dans les paroisses de la ville d'où l'hostilité de la Jurade les avait écartés jusque-là. Au XIIIe siècle, les Carmes et les Dominicains s'étaient établis dans la ville et leur arrivée avait été suivie naturellement de l'érection d'une confrérie vouée à Notre-Dame du Mont Carmel et d'une autre honorant Notre-Dame du Rosaire. Pour leur part, dès avant 1600, les élèves du collège de Guyenne s'assemblaient dans le cloître de la Cathédrale, devant une statue d'albâtre, - la future Notre -Dame de la Nef, - dont l'origine se perdait dans la nuit des temps et qui, « de son seul aspect, dit Gilbert Grimaud, donnait de la dévotion ».

Pourtant, si l'on parle de congrégations mariales, à Bordeaux comme ailleurs on pense immédiatement aux groupements que les Pères jésuites y dirigèrent. De fait, ces groupements eurent une vitalité, un dynamisme et une influence qu'aucune autre institution se réclamant de la Vierge n'a atteints.

On a cru longtemps que ce genre d'association était né fortuitement, en 1563, de l'initiative d'un jeune religieux flamand, régent au collège romain. Aujourd'hui, grâce aux travaux de quelques chercheurs persévérants, nous pouvons remonter jusqu'à saint Ignace en personne.

Dans les Constitutions de la Compagnie, il avait posé le principe de l'apostolat des masses par leurs élites. Ses disciples eurent bien vite compris l'efficacité des associations, soit pour conserver les effets de leurs missions, soit pour étendre leur influence. Ils les multiplièrent. Dès 1540, on voit les Pères Favre et Laynez établir à

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Parme une association dont les membres travaillent à leur propre sanctification en même temps qu'ils se livrent aux œuvres de charité. A Lisbonne, en 1548, une société de 200 personnes se donne pour fin la réception fréquente des sacrements et la pratique de la pénitence corporelle. Des groupements semblables se rencontrent, vers la même époque, à Paula, à Messines, à Naples, à Florence, à Syracuse et en plusieurs autres lieux que nomment les historiens de la Société de Jésus. A Rome, saint Ignace dirige lui-même la Compagnie des Saints Apôtres, douze gentilshommes à qui il a confié le soin de distribuer les aumônes recueillies dans l'Église de la Société de Jésus.

En 1563, Jean Leunis ne fit qu'appliquer au collège romain une méthode que ses aînés avaient éprouvée dans d'autres milieux et qu'un Louis du Coudret, un Cogordan, un G. Pelletier, dont il avait été successivement le compagnon, lui avaient révélée avec compétence et enthousiasme.

Pour développer en ses jeunes élèves l'amour de la piété, à la fin des classes du soir il retenait les meilleurs d'entre eux, les intéressait par quelques lectures édifiantes et leur donnait ses conseils. L'année suivante, il rédigea les premiers règlements et les 70 étudiants qu'il avait groupés se placèrent sous le patronage de la Sainte Vierge. Devenue ainsi mariale sans dessein préconçu, simplement parce que d'une part l'usage des associations pieuses était d'avoir un patronage et que d'autre part elle tenait ses réunions dans l'Église dédiée à Notre Dame de l'Annonciation, la petite société du Père Leunis était appelée à dépasser les espérances de son fondateur.

En 1584, d'autres congrégations mariales s'étaient formées à peu prés partout où la Compagnie avait pris pied et chacune, individuellement, avait obtenu du Saint-Siège indulgences et faveurs spirituelles. Le mouvement était si bien lancé, donnait de si beaux résultats que le Général de l'Ordre, le Père Aquaviva, résolut de mettre au point une organisation définitive.

Jusque-là, les diverses sodalités s'inspiraient bien d'un désir commun : former la jeunesse à la vie chrétienne et à la vraie piété, sous la protection de Marie et avec son aide. Cependant, en dehors de cette communauté de vues, nul lien ne les unissait entre elles.… Le Père Claude Aquaviva..... désira que toutes les associations déjà

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constituées en dehors de celle de Rome pussent former comme un vaste réseau dont tous les fils se réuniraient à un nœud central. . . Il exposa donc au Souverain Pontife les difficultés que rencontraient les diverses sodalités, obligées qu'elles étaient de s'adresser chacune en particulier à la cour romaine afin de puiser au trésor des indulgences pontificales ; il fit valoir les avantages qu'elles pourraient recueillir d'une organisation qui les unirait intimement à la congrégation primaire de Rome. Grégoire XIII approuva ce dessein. . . Il signa, le 5 décembre 1584, la bulle « Omnipotentis Dei ».

L'acte pontifical instituait la congrégation du collège romain centre de toutes les autres et la gratifiait de nouvelles faveurs. Il autorisait la formation d'une sodalité, une seule, dans tout collège ou église de la Compagnie. A l'instar de celle de Rome, ces associations seraient érigées sous le titre de l'Annonciation de la B. V. Marie, à l'exclusion de tout autre, et s'ouvriraient non seulement aux élèves mais aussi aux hommes du monde dévoués à la Société de Jésus. Enfin, elles participeraient toutes aux indulgences, privilèges et faveurs spirituelles dont jouissait la congrégation du collège romain ou qui viendraient à lui être concédées après que le Général aurait prononcé l'affiliation.

L'unité était dès lors assurée. Deux ans plus tard, le 5 janvier 1587, Sixte V confirma les grâces accordées par son prédécesseur et permit au Général d'ériger, dans tout établissement de son Ordre, sous n'importe quel titre marial, plusieurs sodalités, si la diversité des personnes le demandait. La même année encore, les pouvoirs du Général furent étendus à toute maison, église ou collège confiés aux soins de la Compagnie même sans lui appartenir.

Il n'y avait plus rien à désirer. Le Père Aquaviva s'empressa de communiquer les décisions pontificales à son Institut et, laissant aux sodalités d'adultes la liberté que leur nature et leur diversité réclamaient, il promulgua, dès 1587, les premières règles communes à toutes les congrégations de collège.

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PREMIÈRE PÉRIODE

(1572- 1762)

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LA PREMIÈRE SODALITÉ A BORDEAUX

Ses premiers développements chez les adultes

Parmi les pionniers qui introduisirent la Compagnie à Bordeaux en y fondant, l'année 1572, le collège de la Madeleine, Leunis était loin d'être un inconnu. Edmond Auger l'avait défendu avec une ardeur enthousiaste, quand son œuvre avait été critiquée ; Charles Sager avait pu apprécier, à Billom et à Paris, les avantages des sodalités ; Edmond Hay, ancien provincial de France, avait été recteur du collège de Clermont, à Paris, l'année même où Leunis y avait organisé sa seconde congrégation mariale. Que de tels hommes aient songé très tôt à utiliser une méthode dont ils avaient constaté personnellement le succès, quoi de plus naturel ?

La première fois que les Lettres annuelles mentionnent la congrégation bordelaise, c'est en 1586 ; mais, elles en parlent comme d'une institution qui a mérité et acquis déjà droit de cité. En fait, nous apprend le P. Wicki, la fondation remonte à l'année 1576 et à l'homme que les passions politiques ont surnommé le Courrier de la Ligue, Claude Mathieu.

Entré au noviciat à Rome en 1558, provincial d'Aquitaine, puis de France, il était à même, lui aussi, d'agir en connaissance de cause. Son effort semble s'être porté sur les hommes dont l'influence pouvait seconder l'action des Pères dans la ville. Les documents connus à ce jour ne le disent pas explicitement ; ils nous laissent même ignorer sous quel titre la sodalité fut érigée ; mais elle ne

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paraît pas avoir jamais sollicité son affiliation à Rome et le Père Maggio, visiteur, notera en 1601, que les règles de la Prima primaria ne sont pas en usage à Bordeaux. Ces détails invitent à penser que la congrégation bordelaise n'était pas destinée essentiellement aux écoliers. Elle deviendra la congrégation de Nobles. Comme beaucoup de sodalités primitives, elle se recrutait sans doute dans la haute société et parmi les élèves les plus âgés du collège. Formée avant la Bulle Omnipotentis Dei, elle obtint probablement des faveurs et des indulgences en s'adressant au Saint-Siège lui-même. En 1587, elle se réjouit d'une lettre du Souverain Pontife, il pourrait s'agir alors de la Bulle de Sixte-Quint.

Le collège avait prospéré rapidement. Deux ans après sa fondation, il comptait 1.500 élèves répartis en neuf classes. « Les Jésuites avaient rallié autour d'eux tous les catholiques, dit leur plus récent historien, et se sentaient appuyés par une partie du Parlement ». Cependant le contrecoup des troubles qui divisaient alors le royaume de France ne tarda pas à sortir ses effets à Bordeaux comme ailleurs. Le 31 juillet 1589, après plusieurs alertes que les chroniqueurs de la Compagnie ont tous enregistrées, sur l'ordre du Maréchal de Matignon, les Pères quittèrent la ville « en attendant des temps meilleurs ». Ils se retirèrent dans leur prieuré de Saint-Macaire, à 40 km de là. Le collège fut occupé par les troupes et tous les cours supprimés.

Les temps meilleurs furent lents à venir. On connaît la suite des événements ; assassinat d'Henri III, guerre civile, abjuration d'Henri IV, attentat de Chastel et finalement bannissement des Jésuites en 1585.

La congrégation mariale survécut pourtant au départ de son directeur. Ne pouvant plus se réunir au collège, elle trouve asile chez les Pères franciscains et tint ses assemblées chez eux pendant onze ans. Il est à croire qu'elle n'oublia pas sa première famille et qu'elle contribue à entretenir des sympathies pour la Compagnie. Celles-ci de fait, étaient assez fortes pour que le Parlement de Bordeaux se refusât à enregistrer la volonté royale concernant le bannissement des Jésuites. Henri IV n'insista pas. Dès 1596, le Maréchal de Matignon autorisait les Pères « à se loger et retirer en leur dit collège, lorsqu'ils passeraient

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en cette ville pour leurs affaires..., à la charge qu'ils n'y pourraient faire séjour plus de trois jours, n'y faire aucun exercice d'escolle ».

Les Jésuites profitèrent d'abord de la bienveillance du gouverneur, pour donner quelques missions ; puis, peu à peu, ils rentrèrent dans leur établissement. Grâce à l'appui du Parlement, au dévouement et au courage de l'archevêque François d'Escoubleau de Sourdis, en dépit des menées de leurs adversaires, ils purent sinon rouvrir leur collège, du moins se faire entendre dans les chaires et prêter leur concours au clergé des paroisses. En 1600, leur situation était assez stable, pour qu'ils songeassent à reprendre la direction de leur ancienne sodalité. Les Franciscains se prêtèrent de bonne grâce à l'opération et les congréganistes revinrent au collège de la Madeleine.

Ils voulurent même avoir leur Manuel, comme beaucoup d'autres sodalités. Un petit opuscule parut en 1601. Il contenait les « Règles de la Congrégation de la Sainte Vierge établie a Rome, avec plusieurs pratiques de dévotion empruntées à différentes de piété ». Quelle imprudence ! « Il s'agissait, disait-on, d'une affiliation dangereuse et l'ouvrage contenait des maximes contraires à celles du royaume ». Le maréchal d'Ornano, en référa au roi, Heureusement, le P. Maggio, visiteur de France, vint à passer : des négociations étaient engagées pour obtenir le rétablissement officiel de la Compagnie ; ce n'était pas le moment d'indisposer aucune autorité : le Manuel fut supprimé et l'affaire n'eut pas d'autre conséquence. Le 1er septembre 1603, Henri IV publiait l'édit attendu : une période de progrès allait succéder à la période de lutte.

Nulle part l'Acte de Rouen ne fut accueilli avec plus d'empressement qu'à Bordeaux. On se hâta de satisfaire à toutes les exigences royales et, au début de novembre, devant le Gouverneur, le premier Président, les jurats et les membres les plus distingués du clergé, du Parlement, de l'Université, le professeur de rhétorique prononça au collège, un solennel discours d'ouverture. Plus de mille élèves étaient inscrits.

La sodalité se devait de participer au renouveau. Sous l'impulsion de directeurs tels que François de Marguestaud, Pierre Biard, Martin Rouelle, Jacques de Moussy, et surtout Charles Cluseau, elle acquit

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une vitalité dont quelques manifestations significatives ont laissé trace dans les documents parvenus jusqu'à nous.

Elle a sa chapelle, embellie et enrichie grâce à la générosité de ses membres, dans les bâtiments du collège. C'est là que les congréganistes vont prier et s'édifier, à jours fixes, tous les dimanches matin très probablement.

Ils sont nombreux. La seule année 1604 voit plus de 80 admissions. Il y a des élèves de philosophie et de théologie, mais surtout des hommes d'âge mûr. Les membres du Parlement, les professeurs de l'Université se distinguent par leur empressement. Quelquefois même l'exemple vient de plus haut : le recteur de l'Université et un évêque se font un honneur de se consacrer solennellement à Notre-Dame. C'est une sainte émulation qui pousse sous les étendards de Marie ceux-là mêmes qui ont mené la lutte contre les Jésuites et, en 1615, quand Louis XIII, sa sœur, la Reine mère et la cour s'arrêteront à Bordeaux, lors de 1'affaire des mariages espagnols, c'est dans la chapelle de la congrégation que Marie de Médicis fera ses dévotions.

* * *

Que cherchent les chrétiens dans leurs associations ? Un peu ce que les religieux demandent à la vie commune et à leurs règles : un stimulant, un soutien dans la pratique de la vie chrétienne. Ils prient beaucoup en commun et en particulier : la prière est le premier devoir du baptisé, la source de sa force. Ils se mortifient avec une générosité rare : les uns portent le cilice, d'autres couchent sur la dure, tous jeûnent fréquemment. Très vite, ils en viennent à réclamer et ils obtiennent de leur directeur la permission de se réunir tous les samedis de carême pour se donner la discipline. Leur piété n'est pas égoïste ; ils songent à la réparation et à l'édification et voilà l'origine de la dévotion des Quarante heures qu'ils pratiquent dans leur chapelle, tandis qu'au dehors les amusements des jours gras fournissent occasion à la licence.

Parfois, on se rassemble par groupe pour la visite des hôpitaux et des prisons. Les Lettres annuelles de 1612 nous permettent de saisir sur le vif le fonctionnement de ces œuvres d'assistance : « Jusqu'ici,

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écrit en latin l'annaliste, les congréganistes visitaient les hôpitaux et la prison à des jours fixés par la coutume. On s'est organisé pour que dorénavant le tour de chacun n'arrive qu'une fois par an. Un membre de Parlement est toujours à la tête du groupe et c'est chez lui que les congréganistes se rassemblent : il y a des avocats, des hommes d'affaires, des étudiants. On collecte ce que chacun a décidé de donner comme aumône : on ramasse ainsi souvent 50 écus, 40 pour le moins ; récemment il y eut une offrande de 50 livres. On se rend à la prison. Un congréganiste, presque toujours un prêtre, adresse aux détenus une exhortation appropriée, après laquelle on distribue un secours à chacun. Si l'on peut procurer à ces malheureux quelques consolations, on s'empresse de le faire. Si l'un ou l'autre peut être libéré à peu de frais, on assure aussitôt son élargissement comme on fit dernièrement pour l'un d'eux moyennent dix écus.

On suit la même marche dans la visite des malades. Arrivés à l'hôpital, les congréganistes rassemblent les pauvres et leur demandent s'ils ont besoin de quelque chose, principalement pour se garantir contre le froid. On prend note sur un carnet, et on commande aux artisans des coiffures, des bas, des chaussures, selon le nombre et le dénuement des personnes ».

Ce qui manquait le plus dans la prison, c'était les offices religieux. La congrégation s'émut de la situation. En 1610, elle demanda au cardinal de Sourdis de permettre la célébration de la messe dans l'enceinte des bâtiments pénitenciers. Exaucée, elle acheta de ses deniers l'emplacement convenable pour une chapelle et fit élever à ses frais un édifice qui fut achevé et livré au culte en 1612. Au surplus, elle assura la régularité du service religieux en attribuant à la chapelle un revenu annuel fixe.

Les emprisonnements pour dette étaient alors fréquents. La congrégation s'employa à diminuer le nombre des victimes. Nous l'avons vue payer une somme due à la place d'un débiteur insolvable. Plus souvent elle mettait gratuitement à la disposition des prévenus ou des détenus les offices des avocats qu'elle comptait dans son sein. En la seule année 1612, 74 prisonniers lui durent leur mise en liberté.

Aucune forme de charité n'est étrangère aux congréganistes, et le règne de Louis XIII, avec ses troubles et ses misères, offre à leur

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générosité des occasions multiples. Ici, ils s'intéressent à une famille que la pauvreté contraint à demeurer sous un toit branlant. Là, c'est un prêtre, chassé d'Agen par l'hérésie, auquel ils procurent des vêtements. Partout, leur libéralité est telle que loin d'avoir à être stimulée, elle doit étre modérée par le directeur.

En s'occupant des corps, ils songent aux âmes. S'ils se donnent la discipline ce n'est pas toujours par pure mortification, c'est souvent pour expier les fautes des pécheurs. S'ils le font parfois en public, ce n'est point par ostentation, mais par zèle : leur exemple prêche la pénitence. Quand ils se rendent à la prison ou aux hôpitaux, ils portent, avec l'aumône matérielle, la parole, qui, suivant le cas, instruit, console, éveille un remords ou fortifie. Leur conduite, à elle seule, est déjà une prédication et ils ont la joie, assez souvent, de contribuer à des retours édifiants.

On voudrait pouvoir suivre la sodalité à travers le dix-septième et le dix-huitième siècle. Les documents sont trop rares. Les Lettres annuelles, qui nous renseignent sur les débuts, ne vont pas au delà de 1614. Cà et là, quelques détails se livrent seuls à l'histoire. En 1624, nous voyons la congrégation des Messieurs quitter le collège pour s'établir dans la Maison professe nouvellement érigée. Après la construction de l'actuelle église Saint-Paul, elle se bâtira une chapelle - aujourd'hui détruite - qu'elle adossera au flanc Est de l'édifice. En 1727, sa vitalité est attestée par la publication d'un Manuel contenant les instructions et pratiques des exercices spirituels mentionnés dans les Règles des Congrégations érigées dans les Maisons professes de la Compagnie de Jésus. Malheureusement nous avons vainement cherché ce livre. Peut-être nous aurait-il fourni quelques indications nouvelles sur les usages de l'association. La liste des directeurs nous permet du moins d'affirmer qu'elle subsista jusqu'à la suppression de l'Ordre. Sous la conduite d'un Malescot, d'un Verthamon, d'un Meslereau et d'autres religieux tout aussi éminents, elle n'avait pu que réaliser les espoirs qu'autorisaient ses premières années.

De fait, à partir de 1687, les documents ne la désignent plus que sous les titres de sodalitium primariorum et sodalitium nobilium. Au lendemain de son premier centenaire, tout en poursuivant sa marche édifiante, elle était aussi nombreuse pour laisser une partie de ses

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membres retourner au collège et former une nouvelle congrégation autonome, celle des artisans.

* * *

Celle-ci se plaça sous le patronage de l'Assomption. Affiliée à la Prima primaria le 30 août 1687, elle s'accrut si rapidement qu'elle se scinda elle-même en deux dès 1690. Le 29 novembre, en effet, la Prima primaria répondait favorablement à la demande d'affiliation venue de Bordeaux et émanée d'une sodalitas Artificum minorum. La nouvelle société, placée sous le vocable de l'Immaculée Conception et réservée aux éléments jeunes était destinée à un bel avenir : c'est par elle, nous le verrons, que les congrégations mariales de Bordeaux se sont perpétuées jusqu'à nos jours sans interruptions notables.

Mais, excepté leur inscription sur les registres de la Prima primaria, ces congrégations n'ont laissé de leur existence avant 1762 que la liste de leurs directeurs et quelques allusions insérées dans un cahier ayant appartenu à la congrégation des écoliers. François Lemaye, Léonard Faugeras, Jacques Bernard, René de Laville et Mathieu Poirié furent les Pères qui exercèrent le plus longtemps leur ministère auprès des congréganistes, Antoine Besse et Pierre Dupin seront les derniers qui appartiendront à la Compagnie. Dans une note rédigée en 1762 par le recteur du collège de la Madeleine, le nom de A. Besse est suivi de la mention « directeur de la congrégation des habitants ». Ces notes nous renseignent sur le recrutement de la sodalitas Artificum majorum. Les artisans qui la composaient jouissaient d'une certaine considération ; habitants, ils étaient d'authentiques Bordelais et appartenaient aussi bien à la petite bourgeoisie qu'au monde du travail. Il faut en dire autant de la sodalitas Artificum minorum ou juniorum : l'âge seul faisait toute la différence.

Les documents connus ne nous permettent de localiser la pièce du collège où se réunissaient les jeunes artisans. Peut-être durent ils se borner à conclure un accord avec leurs aînés pour alterner avec eux dans le même lieu.

Ceux-ci, les Messieurs, se virent d'abord attribuer la chapelle des jeunes écoliers, réduits alors à fusionner avec les grands. Mais en

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1709, la direction du collège dégagea pour eux une salle « au-dessus des classes de logique et de rhétorique ». Ignace Boudin, vicaire général de Mgr Ferdinand Mériadec, la visitera en 1773, en vue d'une désaffectation, quand des lettres patentes du roi auront destiné l'ancien collège de la Madeleine à la « réunion des Cours établies à Bordeaux » ; il trouvera, élevé sur « un marchepied à deux marches en bois de sapin », un autel muni de sa pierre sacrée et surmonté d'un retable divisé en trois parties par deux colonnes et deux statues, l'une la Vierge Marie, l'autre de saint Gabriel, le tout en bois peint et doré. Au milieu, dira le rapport, le retable est garni d'un tableau représentant l'Assomption de Marie, tandis que deux autres petits tableaux montrent saint Ignace du côté de l'Evangile et saint Francois-Xavier du côté de l'Epitre. Ces vénérables souvenirs d'un temps de paix seront, au début de 1774, transportée dans une chapelle du séminaire Saint-Raphaël où ils deviendront la proie de la Révolution.

* * *

D'autres artisans, plus humbles peut-être, avaient leur congrégation, depuis 1690, dans la maison du Noviciat, qui s'élevait non loin de 1'Eglise Sainte-Croix et qui subsiste encore aujourd'hui. en partie. Elle honorait spécialement le mystère de l'Immaculée Conception et, sous ce titre, obtint son affiliation à Rome le 22 février 1691. Le premier directeur connu en fut Léonard Faugeras. Le dernier, Léon Bélézi, venait d'entrer en charge quand le décret royal supprima la Compagnie et ses œuvres.

Dans la plus récente étude qui ait paru sur les Jésuites à Bordeaux avant la Révolution, G. Loirette fait allusion à une congrégation de domestiques organisée au collège en 1704. Il signale aussi une congrégation d'artisans rattachée à la Maison professe dès 1694. Il est étonnant que ces œuvres ne figurent pas au registre des affiliations à la Prima primaria. Seul un nouvel examen des archives de l'ancienne Compagnie permettrait de tirer la question au clair et fournirait sans doute plus d'une précision, plus d'un détail intéressant pour l'histoire locale et pour l'édification de notre temps.

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LES CONGREGATIONS D'ECOLIERS

Quand le collège de la Madeleine rouvrit ses portes en 1603, le principe des congrégations spécialisées selon les catégories de personnes était appliqué partout. Une sodalité exclusivement étudiante s'organisa aussitôt sous le titre de la Purification de Marie. Le 10 décembre 1604, elle obtint de Rome ses lettres d'affiliation.

Vingt ans plus tard, elle avait une sœur cadette dont Sacchini nous raconte la naissance.

Quand la maison professe eut été ouverte, dit-il, et que plusieurs Pères du collège s'y furent transportés, il y eut au collège des locaux disponibles. Le Père Coton, Provincial, se trouvait justement là. Il réserva une salle et y établit une congrégation pour les jeunes écoliers, sous le patronage de la Reine des Anges. Bien plus, malgré les soucis de son administration provinciale, ce vieillard, dont la vie était déjà si pleine, composa lui-même les statuts de la nouvelle association et recueillit personnellement les noms des candidats, jugeant digne de lui et digne de sa charge de veiller à ces détails qui, futiles en apparence, ne laissent pas de contribuer au bon fonctionnement de ce qu'on peut appeler « une école de la piété ».

Les jeunes congréganistes fournirent immédiatement de beaux exemples de vie chrétienne. Sacchini cite le suivant. Un de ces nouveaux consacrés à Marie rencontra un jour un homme dont la conduite scandaleuse était connue de toute la ville. Il l'aborde, et, usant de douceur, il essaie de l'amener à regretter ses fautes ; mais vainement il multiplie les raisonnements propres à vaincre l'endurcissement d'un pécheur : il n'aboutit à rien. Alors voyant cette résistance et l'inutilité de ses paroles, sans rien laisser paraître de son dessein, il entraîne son homme dans la sacristie de la première église qu'il rencontre, met à nu ses propres épaules, sort une discipline et, se

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jetant aux genoux du coupable, commence à se frapper sans pitié. Tandis qu'il se meurtrissait de coups, il ne cessait de supplier l'autre de rentrer en lui-même et de rompre avec le mal. Honteux, l'homme se rend aux prières du jeune garçon et lui déclare qu'il est à sa merci. Alors tout joyeux de sa victoire, le congréganiste l'amène au collège et le remet entre les mains d'un Père pour la confession.

* * *

Vouée au mystère de l'Assomption, la nouvelle congrégation fut affiliée à la Prima maria le 15 mars 1625.

Un modeste cahier que conservent les Archives de la Gironde reflète quelques aspects de son existence.

Elle débute en rappelant à elle six élèves qui avaient déjà été admis dans la congrégation de la Purification et en recevant six rhétoriciens et trois humanistes. Le 2 février 1625, elle s’était accrue d'une trentaine de membres. Elle recrute dès lors régulièrement dans toutes les classes, de la rhétorique à la cinquième et même parfois à la sixième. Les plus beaux noms de Bordeaux s'inscrivent sur son « catalogue » : il y a même un Prince : Henri Louis de Bourbon.

Le conseil, renouvelé généralement trois fois par an, est nombreux : un préfet, deux assistants, un secrétaire et un trésorier doublés l'un et l'autre d'un remplaçant, une dizaine de conseillers, presque autant de portiers et autant de lecteurs, auxquels il faut ajouter un magister capellae dit aussi praefectus modestiae et chargé d'assurer l'ordre, des infirmiers proposés à la visite des malades, des questeurs, des introducteurs de probanistes : de quoi utiliser tous les talents, cultiver toutes les vocations et satisfaire toutes les petites ambitions.

Les congréganistes, lors de leur réception, offrent des chandelles, mais surtout de l'argent, et comme les membres sont généreux, la congrégation peut subvenir à ses dépenses et enrichir sa chapelle ou ses armoires. En 1641, elle achète un calice et un « plat d'argent" », qui lui coûtent chacun 95 livres. En 1656, elle se procure deux chandeliers sur le pied desquels elle fait graver : Min, Sodal. Burdig. B. Virg. Assumptae, 1656. Elle a ses linges sacrés, ses aubes, ses

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vêtements liturgiques, ses devants d'autel, des vases de tout calibre, des fleurs artificielles, des tentures, des tapis, des rideaux, des bustes, des statues, des tableaux, de gros meubles dont une table pour le préfet, un fauteuil, 5 chaises à bras, un pupitre pour les lecteurs et 20 bancs, des petits meubles dont une boite pour les hosties et un petit coffre de paille. Elle possède aussi un bénitier et une queue de renard, voire un marteau et une de ses armoires renferme, outre 2 missels, plusieurs livres de lecture spirituelle.

Tous ces objets et bien d'autres encore sont inventoriés régulièrement. Mais du dehors, on vient emprunter, et il arrive qu'on ne se hâte pas de rendre ou rapporter. En février 1657, « le préfet et les principaux officiers de la congrégation, assemblés pour obvier aux incommodités que l'on reçoit lorsqu'on prête les ornements à ceux du dehors », décident de ne plus rien prêter à personne. Le Père directeur seul pourra le faire.

Les divertissements, les séances littéraires ne sont pas négligés. En 1648 jeudi de l'octave du Saint-Sacrement, il y eut du latin, du grec et du français. Les troisièmes jouèrent en l'honneur de la Vierge une tragi-comédie et 5 petits actes qui faisaient l'histoire de Notre-Dame de Liesse en Picardie.

La charité, le souci des malheureux est au premier rang des préoccupations congréganistes : « l'an 1683, les congréganistes allèrent, le mercredi saint, à l'hôpital de la Manufacture et ils traitèrent 13 pauvres et ils leur lavèrent les pieds avant de leur donner le repas ».

De tout temps, la jeunesse est généreuse.

* * *

Florissante malgré des radiations périodiques, motivées et justifiées par le manque d'assiduité aux réunions, malgré aussi de nombreuses entrées en religion, qui enlèvent les membres les plus fervents et les plus dynamiques, la congrégation devrait connaître les joies de la paix. Hélas ! des ennuis lui viennent de son aînée. qui aurait intérêt, croit-elle. à l' absorber.

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Profitant d'une épidémie qui avait réduit les membres à une quarantaine, la grande sœur parvint une première fois à ses fins en juillet 1629. Dix-sept mois plus tard, elle arrête encore un essai de reconstitution alors qu'un nouveau conseil venait d'être élu et 28 postulants admis aux probations. Ce n'est qu'en 1637 que le sodalitium minus peut reprendre vie. Il a été tellement comprimé pendant six ans qu'ayant choisi Philippe de Gougues pour préfet, le 16 février, il s'ouvre ensuite brusquement à près de deux cents nouveaux membres.

Pendant vingt ans, il est tranquille. Mais en 1656, le sodalitiurn majus tente un nouvel effort. Peu nombreux, il est pauvre : la fusion lui vaudra ressources et recrues. L'association menacée tient tête et fait bloc derrière ses dignitaires, Michel Duhamel, Raphaël de Génissac, Ignace Boudin, Denis de Pontac. Elle invoque le droit et l'expérience. Elle réfute les arguments que l'on met en avant. Elle tient son existence du Général de la Compagnie : lui seul a autorité pour la dissoudre. La fusion a été essayée deux fois : a-t-elle duré ? Elle est demandée surtout par des congréganistes venus d'autres provinces, les Bordelais la repoussent. Les congréganistes des hautes classes ont déclaré qu'ils se retireraient, si on leur adjoignaient des confrères des classes inférieures. Le Père provincial a été averti. D'ailleurs quel bien veut-on obtenir ? Le minus sodalitium va très bien ; si l'on fusionne, les attitudes et les airs que peuvent se permettre les philosophes scandaliseront les plus jeunes, tandis que la légèreté des petits nuira aux sérieux des plus âgés. Et puis, avec tous ces changements que deviendra la réputation de la congrégation ? Ailleurs, dit-on, les petits sont unis aux grands : qu'est-ce que cela prouve ? Ailleurs aussi, - à Limoges, par exemple, - on trouve une congrégation pour chaque âge. Le sodalitium majus est pauvre ? « Puisque les congrégations ont été établies pour produire la sainteté, les congréganistes sont toujours assez riches, s'ils sont saints . Non expedit iterum uniri ».

Tout en se défendant sur place avec ses propres moyens, la petite garnison assiégée ne négligeait pas de faire appel à de puissants renforts. La veille des Ides de février, elle a exposé sa situation à la Prima primaria et demandé son appui auprès du Général, auquel elle a fait rapport.

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Tant de vaillance eut sa récompense. Bien que le recours à Rome n'ait abouti en mai qu'à une prudente promesse d'intervention pour obtenir la décision la plus conforme à la : gloire de la Vierge et aux intérêts de l'association, le petit cahier fait foi que -pour lors le sodalitium minus conserva son autonomie.

Il succomba 30 ans plus tard, mais noblement. « Le dix-huitième jour de décembre 1687, dit un autre cahier égaré dans la série C des Archives de la Gironde, Messieurs les Officiers et Consulteurs de la Congrégation furent assemblés pour s'entendre notifier la résolution qu'on avait prise de réunir les deux congrégations des écoliers afin de faciliter l'établissement d'une nouvelle congrégation des habitants auxquels on laisserait le lieu où se faisait auparavant la petite congrégation des écoliers, jusqu'à ce qu'ils eussent trouvé un endroit plus commode ».

Un motif si louable était de nature à décourager toute velléité de résistance : la congrégation sacrifiée à des intérêts supérieurs, cette fois laissa faire.

Incontinent, la coexistence fut codifiée. C'était l'assimilation ou plutôt une prise en tutelle, dont les conditions remplissent une page entière du registre de la consulte :

« 1° Désormais on ne recevrait point à la congrégation aucun enfant qui ne fût en âge de communier.

2° On n'en recevrait aussi de 6e.

3° Pour éviter la confusion, on disposerait ceux de chaque classe en sorte que les 5es et les 4es fussent aux premiers bancs du côté de l'Epître, et après ceux des 2es, ensuite les logiciens, et enfin les théologiens.

4° On établirait des préfets de modestie qui seraient de la théologie ou de la philosophie, pour veiller sur la conduite surtout des plus petits, et parce que ces préfets ne pourraient pas assez connaître ceux qui manqueraient de modestie, pour en donner avis au Père, on nommerait des sous-préfets pris dans le corps de la petite congrégation ou dans les classes qui la composaient auparavant.

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5° Pour consoler en quelque sorte ceux qui étaient dans les premières charges de la petite congrégation, on augmenterait le nombre des sacristains, lecteurs et visiteurs de malades, afin de leur y donner place, et à l'avenir on en mettrait de ces mêmes classes, afin que ce petit honneur et cette distinction servit à les animer à remplir leur devoir.

6° Les congréganistes des classes qui composaient auparavant la petite congrégation ne paieraient que 20 sols, au lieu de 30, pour la chandelle de la Purification ».

Les clauses du traité - un diktat - étaient dures. Elles furent bientôt complétées par les arrangements financiers que la congrégation des Artisans et celle des Ecoliers conclurent entre elles. En 1690, pour la somme de 550 livres, dont 300 en espèces et le reste en rente constituée, les écoliers cédèrent aux habitants tout le mobilier, autel, retable, balustre, bancs, armoires, etc... que la petite congrégation avait laissé dans son ancien local. Un dernier accord, le 19 juillet 1698, liquida la situation ayant payé 120 livres d'arrérages pour 8 ans de loyer, les Messieurs se libérèrent de toute redevance pour l'avenir en versant une nouvelle somme de 90 livres et en s'engageant à laisser annuellement l'usage de la chapelle aux écoliers congréganistes pour une retraite de 8 jours.

Qu'arriva-t-il dans la suite ? En 1709, quand les Messieurs se furent installés au-dessus des classes de Logique et de Rhétorique, la congrégation des jeunes écoliers se reconstitua dans une ancienne chapelle. Mais le mobilier, cette fois, avait été déménagé par le propriétaire. Alors, se souvenant qu'elle avait perçu le prix de la vente, la congrégation de la Purification ne voulut pas abandonner sa petite sœur dans le dénuement complet : moyennant le droit d'utiliser aussi cette chapelle pour une retraite annuelle de 8 jours, elle céda des nappes et les meubles les plus indispensables.

* * *

Le cahier des consultes s'arrête en 1728. A part trois mentions douteuses, le tableau du personnel de la Compagnie de Jésus n'indique aucun directeur pour la congrégation des jeunes écoliers au

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dix-huitième siècle. En 1773, Ignace Boudin ne fera aucune allusion à son oratoire quand il dressera son inventaire. Faut-il conclure que la reconstitution de 1709 n'a été qu'éphémère ? Notre documentation est trop indigente pour que nous hasardions une réponse.

Quoi qu'il en soit, on n'enlèvera -pas à cette cadette la gloire d'avoir été fondée par un Jésuite illustre, d'avoir fait du bien, d'avoir compté parmi ses membres des : écoliers destinés à laisser un nom et d'avoir été dirigée par des hommes tels que Brézets et Lejay.

L'aînée, elle aussi, a connu de beaux jours ; elle aussi a fait du bon travail.

Dès 1607, elle avait fourni 10 vocations religieuses dont 7 pour la Compagnie. Si l'on juge par les listes de congréganistes qui nous sont parvenues et qui nous renseignent exactement pour les années écoulées de 1669 à 1728, elle fut, son existence durant, une riche pépinière de prêtres et de religieux.

La ferveur et surtout la confiance en Notre-Dame avaient caractérisé les premières années. Un jour, nous dit-on, un congréganiste tomba malade et se vit bientôt abandonner par les hommes de l'art. Il se tourne alors vers la Vierge et lui promet que s'il guérit, il remplira avec zèle, pendant un an, les fonctions de portier dans la congrégation. Il recouvre peu après la santé, à la vue d'une image de la Mère de Dieu.

C'est pour recueillir de tels traits et entretenir l'enthousiasme juvénile que, sur les conseils du P. Coton, un des directeurs entreprit de rassembler tous les récits édifiants que l'histoire des congrégations mariales pouvaient fournir dès cette époque. En 1624, chez Pierre de Lacourt, à Bordeaux, Jean-Jérome Bajola éditait les premières annales des sodalités.

Le petit cahier des consultes nous présente, en 1669, une congrégation composée de 52 théologiens, 71 philosophes et 50 rhétoriciens. Après l'union des deux sodalités étudiantes, les effectifs monteront considérablement : en 1693, ils atteignent le chiffre de 374. En 1727, la dernière année pour laquelle nous ayons une liste complète, on compte 52 théologiens, 17 philosophes, 29 logiciens,

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18 rhétoriciens, 19 humanistes, 40 troisièmes, 47 quatrièmes, 35 cinquièmes et 14 sixièmes : soit 271 consacrés à Notre-Dame.

On suit et on rappelle d'année en année les Règles communes aux congrégations de collège. C'est là une norme à laquelle on renvoie chaque fois qu'il s'agit d'arrêter un abus ou de ramener au devoir un négligent.

Les dimanches, les fêtes de la Vierge et quelques autres jours sont marqués par une réunion où on récite l'Office de Notre-Dame et où le directeur fait une allocution. Le troisième dimanche de chaque mois est jour de communion générale : on l'annonce le dimanche précédent et, toute la journée, le tableau des indulgences concédées aux congréganistes reste affiché. Chaque année, une retraite de 8 jours favorise le recueillement, la réflexion, les orientations généreuses.

Les théologiens et les philosophes visitent les malades dans les hôpitaux en s'adjoignant des élèves plus jeunes pour les initier. Durant la semaine sainte, on se rend à l'hôpital de la Manufacture où l'on sert un repas aux pauvres après avoir accompli le rite du lavement des pieds, ou bien on fait venir 13 pauvres de la ville qui entendent la messe et à qui on fait une aumône après leur avoir lavé les pieds.

A partir de 1687, tous les congréganistes, le lundi gras, se rendent processionnellement, le cierge à la main, dans l'église de la maison professe, à l'occasion des Quarante heures. Cette louable coutume, nous dit-on, contribua beaucoup à l'édification de la ville.

Les réceptions de nouveaux membres se font aux fêtes de la Vierge, à celle de saint Joseph et le dimanche de la retraite annuelle. Pour se consacrer à Notre-Dame les récipiendaires se servent de la formule traditionnelle dite de St. Jean Berchmans qu'ils récitent en latin et qu'ils ont complétée depuis 1681, en y ajoutant une profession de foi explicite au mystère de l'Immaculée Conception.

Le jour le plus solennel reste celui de la fête patronale, le 2 février. Rien de ce qui peut contribuer à épanouir les congréganistes et à leur laisser un souvenir durable n'est omis. On sort et on étend les tapis, on loue des chaises. Cérémonies, allocutions, réceptions,

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discours, divertissements, se succèdent à l'envi. Mais gare aux étourdis qui ont négligé de payer leur chandelle ! La radiation les attend. Longtemps on offrit même une collation à tous les membres, mais « des raisons très importantes », qu'on ne nous dévoile pas, amenèrent « Messieurs les Officiers » à supprimer cet usage, le 28 janvier 1680.

Les dignitaires et officiers sont nombreux : 79 en 1728. Les places sont enviées secrètement et parfois recherchées d'une manière indiscrète. La consulte a beau mettre en garde les congréganistes contre les méfaits de l'ambition chez ceux qui sont « au service de la T.S. Vierge, leur commune mère », il se trouve des anciens officiers pour se plaindre de n'avoir pas été appelés en consultation, lorsqu'il s'est agi de constituer le nouveau bureau. Bien plus, la brigue, - horribile dictu, - la brigue au teint hâve, aux dents longues, ne reste pas toujours une étrangère pour cette jeunesse ardente. Si nous ouvrons le livre des consultes au 19 juillet 1698, nous y lisons : « Le Père directeur ayant proposé l'élection des officiers, savoir du préfet et des assistants, et 3 ayant été choisis, suivant que les règles le prescrivent, comme le Père fut sur le point d'ouvrir le scrutin et de le proposer le lendemain matin en pleine congrégation, M. le préfet alors en charge s'étant levé pria le Père d'arrêter l'élection, attendu que depuis la consulte qui s'était tenue le jour de devant, il avait découvert des moyens de nullité pris de la brigue qu'un des consulteurs avait faite pour proposer un des 3 qui avaient été choisis. Sur quoi, le Père appela aussitôt tous les consulteurs au pied de l'autel et, la brigue ayant été bien prouvée, déclara l'élection faite nulle, ferma le scrutin et ordonna qu'il serait procédé, le samedi suivant, à une nouvelle élection, dans une consulte qu'il indiqua pour ce jour ».

Le 26, chacun des consulteurs écrivit sur un billet les 3 noms qu'il croyait les plus dignes. Le Père enferma les billets dans une feuille qu'il cacheta. Il la rouvrit le lendemain en présence de toute la congrégation. Et c'est ainsi que Jean Andraud fut élu préfet.

De tout temps, les Bordelais furent friands de théâtre : si tous les autres témoignages faisaient défaut, ceux que nous fournit la petite histoire de la congrégation estudiantine suffiraient à nous renseigner. Pour satisfaire à ce goût sans sortir des limites, la congrégation se

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prêta longtemps à l'utilisation de son local pour des représentations dramatiques. Quelque discrétion qu'elle mit à la faire, quelque contrôle qu'elle exerçât sur les acteurs et les programmes, elle ne put empêcher tout scandale. Au reste, les congréganistes eux-mêmes ne se contentaient pas toujours du théâtre scolaire mis à leur portée. Leurs règles leur défendent d'aller à la Comédie, mais si on leur rappelle souvent cette défense, c'est sans doute que les infractions ne manquent pas. On est même obligé de leur interdire expressément de contribuer au succès des spectacles, de s'employer à la distribution des billets, d'accepter « l'office de prieur de la Comédie ». L'humaine faiblesse bravant toutes les foudres, il fallut bien en venir à des mesures énergiques : le 7 juillet 1700, ce fut l'exclusion d'un prieur de la Comédie, et le 22 janvier suivant, une consulte déclara que dorénavant les congréganistes ne prêteraient plus leur salle pour des usages dramatiques.

Le local prit alors définitivement un aspect de chapelle. Situé au rez-de-chaussée, orienté Nord-Sud, s'ouvrant sur la grande cour intérieure du collège, c'était un vaste quadrilatère de 18 mètres de long sur 7 de large. Une tribune, peut-être deux, réservée aux probandaires et aux étrangers, en augmentait encore la capacité. Des banquettes avec dossier couraient le long des deux murs latéraux et trois confessionnaux, sous la tribune probablement invitaient et attendaient les pénitents. Au sud, séparé de l'assistance par une table de communion « en bois de noyer avec quelques sculptures », un grand marchepied portait, à deux marches du sol, un autel que surmontait un grand tabernacle doré et un retable monumental. Celui-ci, œuvre du sculpteur Gautier, avait été payé en 1690 avec l'argent qu'on avait reçu en vendant aux Artisans les meubles de la petite congrégation. Il s'élevait jusqu'aux lambris, avec ordre et ornements d'Architecture. Six colonnes torses, en noyer, encadraient sur les côtés les statues de saint Joseph, saint Jean-Baptiste, la Vierge, saint Gabriel, et au milieu sous un relief où les lettres M.A. étaient gravées, un grand tableau représentant Jésus offert dans le temple. On reconnaît ici le mystère de la Purification auquel la congrégation était vouée. Au plafond, une peinture figurait l’Assomption : Serait-ce, avec le « M.A. » du retable, une satisfaction donnée au sodalitium minus, après son incorporation ? Peu importe : l'ensemble ne manquait ni d'unité, ni de goût, ni d'allure.

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Outre un petit tableau représentant Marie tenant son Fils entre ses bras, 5 autres décoraient les murs. Le plus grand avait environ dix pieds de long sur 6 de large. Son cadre, du noyer doré sur les coins, « se terminait par le haut en anse de panier » et entourait une toile représentant l'Assomption de Marie. Une Annonciation, une Sainte-Famille, une Madeleine pénitente, un Saint Jean dans le désert, tous de grandes dimensions encore, apparaissaient dans des encadrements de forme octogonale, les uns en noyer rehaussé d'or, les autres en vulgaire sapin noirci. Au total, un mélange d'austérité et de grandeur, d'humilité et de triomphe : Ecce ancilla…. Assumpta est Mari…, Castigo corpus meum… ne reprobus efficiar, l'abrégé du christianisme.

Derrière l'autel, on entre dans la sacristie. Un grand vestiaire renferme tous les ornements sacerdotaux et tout le linge sacré dont on se sert pour les séances et les cérémonies de la congrégation. Au-dessus, des armoires contiennent garnitures d'autel et vases liturgiques. Tout est en argent et porte, gravé en creux, le nom du propriétaire : Cong. B.M.V. Purif. Coll. Burd. S.J., avec la date acquisition. Le calice a été acheté en 1645, le plateau et les burettes en 1657, le crucifix d'argent qui a 2 pieds de haut et pèse 7 marcs moins une demi once en 1662 en même temps que 2 chandeliers de même style ; deux autres chandeliers ont été donnés par Jean Come en 1682, et, en 1688, un ciboire a complété le petit trésor. Charbonnier n'est pas riche, mais il est maître chez lui.

Ignace Boudin, en 1773, ne trouvera pas les vases sacrés, que les congréganistes auront vraisemblablement transportés ailleurs ; mais l'autel, le retable, les statues, les tableaux, la balustrade table de communion, la banquette, les confessionnaux figureront sur son inventaire et, comme le reste de la congrégation des Artisans, iront attendre la révolution dans une chapelle du séminaire Saint-Raphaël, Barbarus has segetes... !

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III

L'Aa

On connaîtrait mal la congrégation de la Purification si l'on faisait abstraction de l'Aa qui s'y rattachait.

Aucun texte ne donne la signification du mot Aa et l'on a proposé parfois des interprétations bizarres ; mais une série de documents révèlent qu'il faut le traduire par l'expression Assemblée des amis.

Le premier manuel des Aas, les lettres publiées par P. Cavallera en 1933 et 1934, quelques monographies récentes fournissent tous les renseignements désirables sur l'origine et la nature de cette discrète institution.

« L'an 1632 », six congréganistes au collège jésuite de la Flèche cherchaient par quels moyens « ils pourraient mieux pratiquer les règles de la congrégation, éviter les occasions de mal et de débauche », maintenir leur association dans la pureté de ses origines, quand leur directeur, le fameux Père Bagot, « fit à propos, sans toutefois connaître leur dessein, une exhortation sur l'utilité de la sainte amitié » et sur « le bien qu'un nombre de personnes bien unies ensemble est capable de produire, lorsque leur liaison a pour but celui de s'encourager les uns les autres dans la poursuite de la vertu. Ce discours les ayant confirmés dans leur dessein, ils proposèrent d'aller ensemble trouver le Père, pour lui communiquer leur résolution et consulter avec lui des moyens dont ils se serviraient ».

Le Père goûta fort leur pensée et les engagea à mettre leur projet par écrit indépendamment l'un de l'autre. « Ce qu'ayant soigneusement fait, il arriva » qu'ils se trouvèrent tous d'accord sur les principaux points.

A la lecture des règles de la congrégation, ils avaient « reconnu qu'il n'y avait pas de moyen plus efficace que celui des entretiens spirituels qui nourrissent et enflamment la charité, mère des grands

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desseins ». Ils décidèrent « de s'assembler une première fois toutes les semaines, pour s'exhorter mutuellement à la pratique de la vertu et traiter des moyens propres pour avancer la gloire de leur Dame et Maîtresse ».

L'Aa « n'a donc point d'autre dessein que la pratique des règles de la congrégation dans une pureté si exacte que si, outre les moyens qui s'y proposent pour l'avancement du service de Dieu, il s'en trouvait quelqu'un qui fût hors de l'étendue de ces règles, ce serait assez pour le rejeter comme une nouveauté entièrement insupportable et contraire à l'intégrité de la congrégation et à la pureté de son esprit ».

On comprend l'idée : il s'agit, en utilisant toutes les ressources d'une sainte amitié, de constituer et d'entretenir une élite au sein de la congrégation.

De là, les obligations particulières de Amis : « en premier lieu,... persévérer jusqu'à la mort dans la congrégation ; en faire une haute et publique profession ; n'omettre jamais aucun des devoirs et des exercices » compatibles avec leur genre de vie ; « porter à cette dévotion tous ceux qu'ils y jugeront propres, et chérir d'un amour de frère tous ceux qui y seront associés ; faire si bien que tous ceux sur lesquels ils auront quelque pouvoir (comme sont les amis, les parents, les sujets) aient une singulière dévotion à la Sainte Vierge et qu'ils l'honorent et servent avec une vénération extraordinaire, sachant bien que c'est véritablement honorer leur chère Maîtresse que de lui acquérir et attirer à son service quantité de serviteurs. En second lieu, « imiter toutes les vertus de Notre-Dame et s'attacher » avec une étude particulière à trois qui sont les plus nécessaires pour combattre les vices qui règnent davantage et mener une vie parfaite dans tous les devoirs d'un chrétien ; la première est la piété envers Dieu ; la seconde, la modestie et la chasteté pour son particulier ; la troisième est la charité envers le prochain ».

En conséquence, « tous les associés, dès qu'ils contractent cette sainte et précieuse alliance, se doivent considérer comme frères. Ils le sont en effet, puisqu'ils ont l'honneur d'avoir la Sainte Vierge pour leur commune Mère… De cette alliance et union si sainte, doit suivre une communication de bonnes œuvres, de mérites, de prières, si

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active et si parfaite, qu'ils n'aient rien dont ils ne se fassent part réciproquement l'un à l'autre de tout ce qu'ils peuvent communiquer, soit de mérites, soit de suffrages, soit de prières et de bonnes œuvres.

« Secondement, ils tâchent de s'entrevoir et se hanter souvent, ou tous ensemble, ou bien séparément tantôt l'un tantôt l'autre, d'agir ensemble à cœur ouvert avec une grande sincérité et une pleine franchise, qu'il s'agisse de s'aider mutuellement, de se consoler, de visiter des lieux de dévotion, des hôpitaux, des pauvres, des malades et des personnes affligées de quelque grande disgrâce.

« Quand l'église fait quelque dévotion publique, comme dans les grandes fêtes, la semaine sainte, l'Avent ou même... les temps de jubilé et d'indulgences, ils tâchent alors de s'en acquitter avec un soin particulier et confèrent ensemble de ce qu'ils peuvent faire, en ces saintes occasions, d'un commun accord et d'un même esprit. Enfin, ils se donnent bien garde d'un certain esprit critique et sévère qui n'est que trop ordinaire à ceux qui font état de la dévotion ».

Leurs pratiques dérivent de celles de la congrégation, qu'elles englobent naturellement.

Chaque année, ils font une confession générale, renouvellent solennellement leurs engagements, célèbrent pieusement la fête des Anges gardiens, de saint Joseph, de l'Annonciation, et passent saintement le carême.

Chaque mois, ils récitent individuellement « un nocturne et les Laudes de l'Office des morts, pour les congréganistes défunts » ; et ils se réunissent pour traiter en commun de tous les intérêts et de toutes les pratiques de l'association.

Chaque semaine, ils communient, font une méditation d'une demi-heure, retranchent un tiers ou un quart de leur souper ordinaire le vendredi soir - sauf de Pâques à la Pentecôte - et tiennent une assemblée pour s'encourager mutuellement à la pratique de la vertu fixée pour le mois, recueillir les aumônes et en déterminer la distribution.

Chaque jour, ils examinent leur conscience, lisent un passage "de la Sainte Ecriture ou de quelque autre livre dévot", récitent "les

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litanies de la Vierge à l'intention de ceux qui les disent, pour obtenir la grâce de bien mourir. Chaque jour encore, ils disent le "chapelet ou la petite couronne de trois pater et douze ave, assistent à la messe s'ils le peuvent et ajoutent aux prières des congréganistes, le matin trois Ave Maria et les quatre oraisons propres aux Aas, le soit trois Ave Maria seulement.

.

* * *

L'association est inconnue des autres congréganistes. « Quelque avantageux que soit un bien, écrit un saïste, il arrive souvent que c'est le perdre que le produire. Rien de si nécessaire pour la vertu que le secret et la retraite. Comme c'est là qu'elle prend sa source, c'est aussi là qu'elle se soutient, et l'on voit que le plus sensible et le plus éclatant n'est pas toujours le plus solide ni le plus perdurable. C'est dans le secret que Dieu a révélé et opéré les plus grands mystères, qu'il a enfanté les plus nobles desseins, qu'il a formé les plus dignes serviteurs. C'est là que le Seigneur nous exhorte de faire nos prières, de méditer ses grandeurs et d'accomplir les principaux devoirs de la charité. C'est aussi dans le secret qu'il veut perfectionner les Messieurs de l'Aa ».

Le recrutement s'entourera donc de garantie contre les indiscrétions. On ne reçoit que des congréganistes « judicieux, avisés, fort modérés dans tous leurs sentiments et dans toutes leurs façons d'agir…. affectionnés aux œuvres de miséricorde », sociables, « surtout très affectueux et propres à agir avec cordialité et candeur », tout en étant capables de garder le secret.

Pour connaître un sujet, l'association commence par le faire sonder. Un confrère, « par manière d'entretien » lui parle, d'une manière vague et générale, de la société, en lui disant qu'il « a ouï qu'elle se pratique en quelques congrégations, comme celle de Rome, avec beaucoup de profit ». Quelles que soient les réactions, l'unanimité de l'assemblée est nécessaire pour continuer l'initiation. Dans le cas le plus favorable, le confrère enquêteur est autorisé à communiquer à l'éventuelle recrue le texte des méditations propres à l'Aa. Si le sujet témoigne « beaucoup d'affection » pour cet écrit,

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« on délibérera pour la troisième fois de le recevoir. Mais on ne viendra point à cette troisième et même à la seconde délibération, que quelques-uns, cinq ou six, à proportion du nombre des associés, ne l'aient vu, ne lui aient parlé et reconnu s'il a les qualités » requises. Quand « quelqu'un est agréé, on l'admet à l'assemblée et on lui communique tout le livre, et on prend jour pour lui faire dire les oraisons…. Il se prépare environ huit jours auparavant par une sérieuse et mûre considération de tout ce dessein, adjoustant quelques dévotions particulières et œuvres de miséricorde, selon sa commodité ». Il communie ce jour-là ou le suivant. Tous les confrères sont alors invités à la cérémonie.

« Après le Veni Creator, le Père ou le commis ayant dit un mot, et fort familièrement, de cette action, tous récitent l'Ave Maris stella. Le nouveau confrère récite alors les oraisons, tenant un cierge en main ; tous les autres et le commis même, étant à genoux, disent : Amen, et après le Te Deum, tous l'embrassent, ainsi qu'il se pratique dans la réception d'un congréganiste ». Dès qu'il le pourra, il rendra visite à chacun des associés ou, s'il y a quelque difficulté, au moins aux deux dirigeants responsables, le commis et son substitut.

* * *

En prenant une initiative dont l'influence allait se faire sentir pendant deux siècles dans plusieurs villes de France, le Père Bagot, en 1632, n'était pas le premier à mettre en œuvre une association restreinte au sein de la congrégation. Quand il rendit compte à son supérieur provincial, le Père Binet, du projet dont six congréganistes lui avaient fait part, celui-ci lui confia que personnellement il s'était servi de ce moyen, à Parme, pour réformer une congrégation dont il avait la charge et dont l'esprit s'était altéré.

Les groupes de ferveur apparaissent, de fait, de divers côtés, dès les origines des congrégations mariales. En Allemagne, les congréganistes qui « ne se contentaient pas des exercices communs » formaient une association plus étroite et se réunissaient pour s'entretenir de sujets pieux ou pour honorer spécialement leur patronne. Ces assemblées s'appelaient des colloquia. Le plus célèbre

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est celui du Père Rem à Ingolstadt. En Italie, voici les ristretti sous des formes assez diverses. A Naples, la section de ferveur est composée par des clercs qui, sous le nom d'oblate, se réunissent à la maison professe et tendent à la perfection des vertus sacerdotales. A Messine, parmi les quinze congrégations qui se partagent les différentes classes de la société, la dixième est secrète : « les trente-trois membres qui la composent rivalisent de ferveur ; leur patronne est Notre-Dame de la piété ».

A Naples encore, le Père Caraffa assurait des soins spéciaux à une autre congrégation secrète. Celle-ci se réunissait tous les vendredis, à la tombée de la nuit. On y honorait par la prière et par la pénitence la Passion du Sauveur. Le collège romain avait son Ristretto o congregazione segreta de SS. Apostoli. A Milan, dès 1581, au collège de Bréra, quelques membres des deux congrégations s'assemblaient tous les vendredis soir et pratiquaient le chapitre des coulpes. Mais de toutes les associations de ce genre, la plus ancienne semble avoir été le soldalitium sanctorum omnium de Douai : établi en 1572, il fut approuvé par une bulle de Clément VII, le 1er décembre 1593.

* * *

Le principe de l'Aa pouvait être appliqué à toute congrégation. De fait, il le fut surtout dans les congrégations de grands écoliers, et même très vite des Aas restreignirent leur recrutement aux seuls aspirants ecclésiastiques.

On s'explique l'évolution. A cette époque, les clercs suivaient les cours de théologie dans les collèges où cet enseignement était donné, mais ils logeaient chez l'habitant comme les autres étudiants. Ils se trouvaient mêlés avec les autres élèves des classes supérieures dans les congrégations, et dès lors qu'il s'agissait de grouper quelques membres d'élite, quoi de plus naturel que de les chercher parmi les clercs ? L'importance de leur formation, les dangers que rencontrait alors leur persévérance justifiaient bien, d'autre part, quelques efforts particuliers en leur faveur ; on l'a noté, les Aas, au XVIIème et au XVIIIème siècle, obvièrent au manque de séminaires.

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* * *

De la Flèche, l'association du P. Bagot s'était implantée en 1643 au collège de Clermont, à Paris. C'est de là, qu'elle passa à Toulouse et à Bordeaux en 1658.

Un des premiers membres de l’Aa parisienne, Vincent de Meur, s'était rendu en pèlerinage à Rome, au tombeau des saints Apôtres. A son retour, il passa à Toulouse « à dessein d'y établir l'Aa ». Ayant réussi pleinement avec la coopération du P. Ferrier, il gagna Bordeaux avec la même intention et parvint encore à ses fins. C'était en juin. Le 7 juillet, en route pour la Rochelle et Poitiers, il écrivait à l'Aa de Toulouse : Je mande au cher Père (Ferrier) comme Notre-Seigneur nous a donné la grâce d'établir l'Assemblée à Bordeaux et je vous assure que vous avez de : braves et zélés confrères et ils vont commencer à votre imitation de faire la cour dans l'hôpital aux favoris de Jésus-Christ, c'est-à-dire aux pauvres qui y étaient dans un grand abandon et sans consolation.

A Toulouse, il avait consulté le directeur de la congrégation, et sur ses indications, reçu les engagements de sept congréganistes choisis « pour commencer cette sainte association ». « Le dix-neuvième mai, dit la relation toulousaine,... après avoir célébré la sainte messe, il leur fit réciter les quatre oraisons que l'on doit réciter quand on est admis en cette sainte congrégation, ainsi qu' il est marqué dans le livre de la même association. Et d'autant que M. de Meur reçut ces sept confrères et leur donna pouvoir d'en recevoir d'autres à l'avenir, suivant le pouvoir qu'il en avait des Messieurs qui composent cette association dans Paris, on fut d'avis que, pour s'unir parfaitement avec eux, M. le commis leur écrirait une lettre au nom de tous ; pour les remercier du bien qu'ils nous avaient procuré, et pour les prier de nous admettre en leur association et à la participation de leurs bonnes œuvres ». Il n’y a pas lieu de croire que les choses se passèrent autrement à Bordeaux où le directeur de la congrégation des grands écoliers était le P. Olivier.

Pourtant, la nouvelle association, après un beau départ, ne se soutint pas. Le 30 janvier 1662, elle communique ses difficultés à l’Aa de Paris. « La plupart de nos confrères, confie-t-elle, se sont trouvés embarrassés, depuis cinq ou six mois, avec d’autres

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empêchements et accidents qui sont survenus et qui ont fait que nous n’avons pu nous assembler au lieu ordinaire où nous faisons nos assemblées. Et même le jour de notre dernière rénovation, qui fut dans l’octave des Rois, nous fûmes interrompus au milieu de notre entretien et enfin obligés de nous en aller dans une église au pied de l’autel, dire en particulier les oraisons qui sont marquées pour cette circonstance ». Malgré tout, les auteurs de cette lettre ne désespéraient pas encore. Paris avait envoyé les livres et même un confrère songeait à introduire l’association à Limoges. On s’intéressait fort aux missions étrangères, la grande idée de Vincent de Meur : « un des très chers confrères… se dispose à suivre (Mgr Pallu et ses compagnons) ces grands hommes, dans le premier voyage qu’il fera, n’attendant rien, si ce n’est que la Providence rompe quelques chaînes qui le tiennent attaché deçà par ses ordres et qui l’ont empêché de suivre ces derniers missionnaires que son esprit et son cœur suivent toujours" ».

Volontiers, tous les membres de l’assemblée accordaient « à perpétuité… les prières de chaque dernière semaine de mois » en faveur des missionnaires. Promesse d'une moribonde : l'Aa ne survécut pas longtemps. En 1670, un prêtre qui en avait fait partie écrit de Garaison que « les conférences de Bordeaux n'ont duré que 4 ou 5 ans » et qu'elles « ont cessé... à cause que les membres ne furent jamais plus que dix ». « Et encore, ajoute le témoin, tous les Jésuites savaient quasi ouvertement tout ce qu'on faisait en ces assemblées… Les uns se sont retirés à la campagne ; les autres sont bénéficiers et ainsi tout a cessé ».

Vers 1665, il ne restait donc que le souvenir de l'association suscitée par Vincent de Meur. Les Aas voisines en étaient désolées et n'attendaient qu'une occasion pour reprendre l'affaire. Après quarante ans, celle de Cahors, un jour, put annoncer aux autres qu'elle avait réussi par l'entremise d'un de ses membres, un prêtre, M, Vézinet, auquel les médecins avaient prescrit un séjour dans la capitale de la Guyenne. « Il arriva enfin, sur la fin de septembre, mande-t-elle en avril 1702. Peu de temps après son arrivée, il alla écouter assidûment les leçons de théologie au collège, pour y faire le choix qu'il se proposait. Il y fit bientôt connaissance de deux jeunes hommes d'un très bon esprit et d'une rare modestie, dont le premier même allait

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exhorter avec zèle les galériens, leur procurant les confesseurs qu'ils demandaient. Cet heureux commencement lui fit former le dessein de communiquer cette affaire au Père de la congrégation. Le Père, qui selon toutes les apparences s'informa, au P. de la Ferté, de ces exercices, fit connaître à M. Vézinet qu'il était très porté à cet établissement.

Le P. de la Ferté prêchait justement une retraite aux élèves du collège de Bordeaux. Le moment semblait favorable. Des obstacles surgirent de la part des supérieurs. Il fallait surseoir. Mais le P. de la Ferté « promit de ménager cette affaire après Pâques, à son retour de Montauban à Bordeaux ».

En attendant, M. Vézinet confia « le secret de l'assemblée à deux jeunes théologiens fort vertueux, et bientôt, il leur adjoignit un troisième. Ensemble, ils faisaient les conférences et les visites des hôpitaux chaque semaine ». Ils songeaient même à commencer des entretiens de théologie. Dès ce moment, l'Aa de Cahors considérait la cause comme gagnée.

Elle avait raison. Un an plus tard, les confrères bordelais étaient dix et avaient l'espoir de s'accroître. S'ils n'avaient pas encore fait de rénovation, s'ils avouaient n'être pas fort exacts à la conférence de théologie et n'avoir pas encore établi l'exercice du vendredi, les bonnes résolutions ne manquaient point et l'on se dépensait généreusement pour le salut des âmes. « Quelles obligations n'avons-nous pas à M. Vézinet... ! » écrivait alors l'Aa, par la plume de son commis Rauconneau et de son substitut Lasseps.

De fait, une belle `période commençait pour l'Assemblée. Sous la direction de Jésuites éclairés et sages, un Dupuy, un Forien, un Braguier, un Badeau, un Marie, un Chourio, la petite société compta toujours : de 12 à l6 membres et, pendant vingt ans, réalisa les fins de son institution.

Que d'actes édifiants dans ces billets de bien qui étaient envoyés à l'Aa de Toulouse et que celle-ci nous a conservés ! Voici un confrère qui place des ais dans son lit, pour se mortifier. En voilà un autre qui donne son manteau à son malheureux. On pratique la communion fréquente. On assiste régulièrement aux conférences de

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théologie. On est fidèle à la réunion de piété chaque semaine. On visite les corps saints dans l'église Sainte-Eulalie. On suit pieusement les exercices de la retraite annuelle que dirige un Père éloquent et zélé, un Dupuy, un Forien, un Vignes. On s'impose de laver les pieds à quelques pauvres le jeudi saint. On fait la cérémonie de la rénovation une ou deux fois l'an.

Les aînés, les anciens, aiment à venir se retremper dans la ferveur au milieu des jeunes confrères, tel ce M. des Innocents, prieur de Castillon et curé de Preignac, qui assistait à la rénovation, la présidait même aussi souvent qu'il le pouvait. M. Vézinet lui aussi revient à Bordeaux chaque année ou presque. Il y fait même de longs séjours - quatre mois en 1706 - et pendant ce temps, il est le plus régulier, le plus édifiant, le plus apostolique des : confrères. Cor unum et anima una : la devise est vécue dans la plénitude.

S'ils ne négligent rien pour se former aux vertus sacerdotales et se sanctifier, les amis s'appliquent aussi aux œuvres de miséricorde. « Ils savent bien, disent-ils en 1703, qu'ils doivent travailler non seulement à leur propre salut, mais encore à celui du prochain ». C’est pourquoi, ils s'y emploient avec ardeur.

Sur ce point, M. Vézinet est admirable. Ayant remarqué, non loin de la ville, au lieu dit La Paludat, un grand nombre d'enfants dont l'éducation religieuse lui avait parue nulle ou rudimentaire, il entreprit de les instruire. M. des Innocents obtint facilement les autorisations voulues du curé de la paroisse Sainte-Croix dont dépendait la Paludate, et les confrères réunirent régulièrement les enfants. « Nous y allons trois, tous les dimanches, lit-on dans la correspondance de 1705 ; nous faisons la prière du matin en arrivant ; après quoi, nous catéchisons les petits enfants environ trois quarts d'heure. Ensuite nous faisons la prière du soir et chantons quelques cantiques spirituels ».

En un autre coin, une population très pauvre s'était établie sur le terrain où, dans le passé, on refoulait les contagieux. On appelait ce lieu le clos des Infects. M. Vézinet, là encore amorça l'instruction chrétienne des enfants et les confrères continuèrent. L'un d'eux - il n'avait que 16 ou l7 ans en 1708 - y faisait chaque semaine le catéchisme dans une modeste chapelle.

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Mais l'assemblée avait déjà repéré un autre champ de zèle. Des habitants des Landes venaient vendre du charbon de bois dans la ville. On les surnommait les Couziots. Autrefois, ils offraient leur marchandise sur les Fossés des Tanneurs ; mais leurs cris, les rixes qui éclataient souvent entre eux avaient plus d'une fois troublé le recueillement des religieuses de la Visitation, celles-ci ayant porté leurs doléances à la Jurade, un arrêté avait interdit aux Couziots, le 11 juillet 1685, de s'avancer en ville au delà de la Porte Saint-Julien. Les intéressés n'en étaient pas devenus. meilleurs et comme leurs enfants les accompagnaient, il y avait là l'occasion d'une bonne œuvre que l'Aa entreprit dès 1704. Sept confrères, en 1708 essayent d'enseigner la religion à ces pauvres gens aux mœurs bien peu policées : « leurs enfants, dit le correspondant de 1704, semblent des sauvages. Lorsqu'on veut les approcher, ils fuient, ils crient ; il semble qu'on veuille les tuer ».

Un des premiers membres de l'Aa, nous l'avons vu, s'intéressait aux galériens avant même la formation de la petite société. On devine que l'association ne négligea pas ce genre d'apostolat. Les secrétaires, en effet, ne manquent pas de relever les visites que l'on fait régulièrement aux prisonniers. Deux ou trois confrères ont en charge le Palais GalIien et la Maison de ville, où ils s'emploient à susciter le repentir et à préparer de sincères conversions. Par leurs soins, les détenus ont, chaque année, une retraite d'une semaine avec deux instructions et deux méditations par jour. Deux confrères ont comme mission spéciale de visiter fréquemment les convertis, pour assurer les persévérances.

Les malades de l'hôpital Saint-André ne sont pas oubliés. La tâche est moins délicate que dans les prisons. Aussi les aaïstes se rendent-ils rarement rue des Trois Conils sans emmener avec eux d'autres étudiants qu'ils associent à leur démarche de charité et d'apostolat.

Mais, est-il besoin de le dire ? - ce sont les élèves du collège et plus encore les congréganistes qui bénéficient les premiers du zèle de l'Aa. Les confrères sont heureux de mentionner que la congrégation générale est prospère, que beaucoup d'élèves demandent à y entrer, que si elle a été « assez agitée », le calme est revenu et que

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l'influence des messieurs de la congrégation secrète y est très bonne. Un jeune théologien de 21 ans s'occupe en 1708, de développer la piété de 80 jeunes gens ayant de 14 à 24 ans et il est parvenu à les rassembler le soir, dans un lieu écarté, pour les faire méditer sur la Passion du Christ.

On alla plus loin et, sur le modèle de l'Aa, on constitua d'autres petits groupements secrets. "Nous vous mandâmes, disent le commis et son substitut le 27 février 1715, l’établissement d'une compagnie : de philosophes. Le grand bien que cet établissement procure nous ferait souhaiter ardemment que vous eussiez la commodité de l'établir chez vous. L'utilité en est évidente pour les écoliers qu'on y élève et pour l'assemblée, à qui on procure des sujets tout formés à l'usage de l'oraison et des autres pratiques de piété, dès la première année de théologie et dont on est d'autant plus sûr qu'on les a éprouvés pendant deux années.

D'ailleurs, pour préparer les jeunes écoliers à cette compagnie, on a établi dans les classes inférieures, jusqu'à la troisième, de petites sociétés où, l'on développe l'esprit de piété et d'union. Les jours de vacances on assemble les membres ; on leur fait une lecture de piété et ils passent ensemble le temps de leurs divertissements. Par là, on leur ôte l'occasion de se gâter avec des mauvais compagnons et on les forme, autant que l'âge le permet, à l'oraison, en les entraînant à la réflexion sur ce qu'ils ont lu ou entendu lire. « Dieu bénit ces commencements par sa sainte grâce, écrit l'annaliste ; ils sont d'une piété charmante mais si solide qu'elle donne beaucoup à espérer pour leur persévérance. Leur assiduité à la congrégation, à fréquenter les sacrements est un effet que produit ce petit exercice de Piété ».

Si la méthode avait des avantages incontestables, elle présentait aussi des dangers pour le` secret de l'Aa. L'association toulousaine ne crut pas pouvoir imiter celle de Bordeaux. Elle eut raison. Les associés de Bordeaux allaient bientôt expérimenter qu'on ne peut être trop discret en pareil domaine.

Au début, ils l'avaient bien compris. Peut-être leur avait-on dit que l'indiscrétion, trente ans plus tôt, avait perdu l'Aa dans leur ville. En tout cas, ils souhaitaient passer aussi inaperçus que possible, et, pour ce motif, tenir leur assemblée dans la Maison professe. « Nous

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sommes fort vus au collège », écrivent-ils en 1704, M. Vézinet et M. des Innocents intervinrent pour appuyer leur désir, mais rien n'indique qu'on y ait satisfait.

Tout alla bien jusqu'en 1717. A cette époque, une première alerte mit les confrères en émoi. « On a jugé à propos depuis peu mandent le 19 mai MM. Boisson et Duronca, de suspendre la compagnie de philosophie, et cela n'a été fait que pour conserver notre assemblée, qui était en danger d'être découverte, ce qui nous ferait aussi discontinuer les exercices extérieurs ». Finalement, on sortit du mauvais pas : « Le Seigneur nous a fait la grâce de surmonter tous les obstacles », écrit avec émotion le correspondant de 1717. Bientôt, dans une lettre, qui n'est pas datée, mais qui semble de 1719, l’assemblée bordelaise pouvait même annoncer que deux de ses membres, aidés d'un de leurs anciens directeurs. le P. Badeau, travaillaient à former une assemblée à Poitiers. En 1721, on était tout à la joie du succès.

Mais quelques mois après, c'est la grande catastrophe, suivie d'un appel éploré à l'Aa de Toulouse. L'extrême douleur dont nous sommes pénétrés en voyant l'enfer déchaîné contre notre assemblée, gémissent MM. Barrère et Morraquier, nous oblige à recourir à vous, pour vous prier, par la charité qui nous unit, de joindre incessamment vos prières aux nôtres, afin de demander au Seigneur qu'il daigne faire cesser un orage qui est si furieux que nous avons tout lieu de craindre une ruine prochaine de notre Aa, si Dieu ne nous assiste d'une manière extraordinaire. Pour vous dire le mal qui nous presse, ce sont des persécutions extérieures, qui se tramaient depuis longtemps, comme nous l'avons appris par quelque bruit confus, et qui ont éclaté depuis un mois avec violence. "Notre Aa est découverte et nous la voyons sur le point d'être divulguée parmi les écoliers, car on a déjà commencé. Nous sommes réduits à ne pouvoir plus nous assembler. Nos promenades et nos pratiques sont connues. Ceux qui nous persécutent et qui ne tendent qu'à détruire notre Aa ont écrit sous un nom emprunté des lettres remplies de calomnies aux parents de plusieurs de nos membres, pour les exhorter à délivrer leurs enfants d'une telle secte, qui tend disent-ils, à l'hérésie et à détruire l'état religieux.

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Dieu a fait cependant que les parents de nos membres n'y ont pas fait attention. Nos ennemis, voyant cela, ont écrit à un écolier qui n'est point de l'Aa et qui, comme nous croyons, n'a pas encore parlé à d'autres qu'à quelques-uns de nos confrères. Nous sommes convaincus que, puisqu'ils ont tant fait, ils n'en resteront pas là, et qu'ils n'oublieront aucun des moyens qu'ils pourraient trouver pour venir à bout de leur dessein. Plaise au Seigneur de vaincre toutes leurs entreprises. Nous ne croyons pas pouvoir mieux faire qu'en priant Dieu. Nous sommes au reste persuadés qu'ils ont bonne intention et qu'ils n'ont en vue que la gloire de Dieu ».

En terminant, les Bordelais demandaient que les prêtres de l'Aa de Toulouse veuillent bien célébrer chacun une messe à leurs intentions et les autres membres offrir une communion. En post-scriptum, ils ajoutent qu'ils craignaient aussi pour Poitiers, dont les relations avec leur association avaient été découvertes dans cet accident.

Si violent qu'ait été l'orage, il paraissait dissipé au début de 1723. Fausse sécurité ! Bientôt, il redoublait de violence. « Une lettre remplie d’invectives contre l'Aa » était tombée entre les mains des Cordeliers et ceux-ci avaient cru « devoir en faire part aux écoliers. Nous avons été plus d'une fois l'objet de la risée et le jouet de tout le collège », écrivent les aaistes J. Baron et H. Pelé.

On ne pouvait rester passif ; mais que faire ? A Toulouse, on consulta un ami, Mgr de Mirepoix, Joseph Gaspar de Maniban, qui conseilla de tout découvrir à l'Archevêque de Bordeaux, offrant de lui écrire personnellement. Point ne fut besoin, Mgr Elie François De Voyer de Paulmy D'Argenson, ayant eu vent de l'affaire, s'en enquit lui-même et en conféra tant avec le directeur de l'Aa qu'avec le supérieur du séminaire. L'institution lui plaisait et il ne voulait pas se priver du bien qu'elle accomplissait. Si les réunions devenaient impossibles au collège, il fallait les tenir ailleurs. Il désignerait lui-même un directeur pour remplacer le P. Chourio.

En transmettant à l'Aa toulousaine ces nouvelles rassurantes, le commis et son substitut ajoutaient ce qu'ils avaient appris sur l'origine de leurs maux. Un confrère venu de Poitiers, « dont on n'avait point sans doute éprouvé le secret », avait dévoilé l'existence de l'association « au frère apothicaire » du collège et celui-ci n'avait

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pas su tenir sa langue. Maintenant c'était une avalanche d'écrits venimeux qui circulaient parmi les écoliers et hors du collège. Il y en avait en prose et en vers, en français et en latin. Certainement le frère n'était pas le seul auteur. Tous ces pamphlets tendaient à ridiculiser les confrères et à les rendre odieux. On les comparait aux « fanatiques des derniers siècles' » ; on les accablait sous un flot « d'épithètes burlesques qu'on apprenait aux écoliers, pour les tourner en dérision », sous le titre de Règles des Béguinguins, on leur attribuait des pratiques « pleines d'impiété et de fanatisme », on les mettait « sur le rang de Molinos » et enfin des religieux prétendaient que leur but était d'empêcher d’entrer en religion.

Un document postérieur achève de nous renseigner sur cet épisode, en indiquant une autre raison de l'animosité qui se déchaîna contre l'assemblée. « Un membre de l'Aa, écrit Ducastaing, directeur au séminaire d'Aire, étant entré chez les « J…. » et peu de temps après étant sorti, continua de suivre les premiers exercices. Quelque Jésuite cria assez fortement contre elle - l'Aa, il s'y en adjoignit bientôt quelques autres. Le professeur même de théologie voulut : publiquement la tourner en raillerie. On en vint jusqu'à la vouloir détruire. On crut même y avoir réussi et peu s'en fallut, en effet, qu'on. y parvint.

« Tant de fiel entre-t-il dans l'esprit des dévots ! »

Mgr de Bordeaux était parti pour assister à Paris à l'Assemblée du Clergé. Il fallait attendre son retour, puisqu'il s'était intéressé à la petite association et avait promis d'intervenir. Jusque-là, pour ne pas fournir de prétextes à ses adversaires, l'Aa suspendit ses promenades et ses réunions générales, ne conservant que des assemblées hebdomadaires par groupes très restreints.

Ici, la correspondance entre Bordeaux et Toulouse s'interrompt brusquement et ne reprendra que 44 ans plus tard. Poursuivant son idée, Mgr Argenson donna sans doute à l'Aa un directeur séculier. Dès lors, était-il prudent pour l'assemblée de continuer à correspondre avec une société dirigée par un Jésuite ? Elle garda le silence. Une nouvelle période de son histoire commençait.

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Des années qui s'écoulent entre 1723 et 1762, nous ne connaissons à peu prés rien, sinon que l'Aa vit et demeure fidèle à son passé, à son idéal, à ses pratiques et à son esprit.

Sous la direction d'un prêtre séculier, les confrères continuèrent à fréquenter la congrégation de la Purification, à renouveler leurs engagements, deux fois par an, à se réunir chaque semaine pour l'Aa de piété, à se servir des promenades pour leur sanctification, à visiter les corps saints, les malades et les prisonniers, à secourir les pauvres et à diffuser largement les idées chrétiennes.

La petite compagnie créée parmi les philosophes fut maintenue, l'Aa lui donnant toujours son chef, sans se révéler elle-même.

Si les missions de la Paludate, des Couziots et du Clos des Infects s'éteignent, - sans doute par suite de l'extension de la ville et de l'évolution sociale des quartiers, - d'autres les remplacèrent. On s'intéressa aux Teigneux, aux enfants trouvés et aux nécessiteux du Dépôt de mendicité dans l'enclos d'Arnaud Quiraud. Il n'est pas jusqu'au maintien du terme mission pour désigner chacune des œuvres, qui ne prouve à quel point l'Aa bordelaise avait conservé l'esprit de Vincent de Meur. Quand, en 1758, un membre de l'Aa de Toulouse, Carenne, était admis dans la petite société, il se trouvait en famille.

Aussi, en 1766, après s'être minutieusement renseigné, M. Ducastaing pourra écrire que depuis sa séparation d'avec les Jésuites, l'assemblée de Bordeaux n'avait cessé d'être prospère et que, sauf le fait d'obéir à un directeur séculier, elle avait « les mêmes manières d'agir » que l'Aa toulousaine.

Peut-être pourtant, moins liée avec la Société de Jésus, l'association avait-elle eu plus de liberté pour faire pénétrer son influence dans le milieu écolier du collège de Guyenne, rival du collège de la Madeleine.

Quant aux « épithètes burlesques » appliquées aux confrères en 1723, il en est une qui avait fait fortune et que l'on donnait méchamment à tout ecclésiastique pieux et zélé : c'est béguinguin. Au grand déplaisir des Nouvelles ecclésiastiques, les Béguinguins sont nombreux à Bordeaux et dans les régions limitrophes : l'Aa - on ne saurait en faire un plus bel éloge - n'est pas étrangère au fait.

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DEUXIEME PERIODE

(1762 - 1789)

I

L'Aa

On sait comment le gallicanisme parlementaire uni au jansénisme et au philosophisme obtint en France la suppression de la Compagnie de Jésus.

Dans l'examen des Constitutions de la Société, plusieurs Parlements relevèrent comme illégale l'organisation des congrégations mariales affiliées à la congrégation primaire du collège romain. N'était-ce pas là une atteinte à l'autorité des évêques ? une cause de perturbation pour la vie paroissiale si fortement recommandée par les saints canons ? Vain prétexte en fait, puisque l'épiscopat consulté ne manifestait pas les mêmes craintes et pensait que l'on pouvait facilement prévenir ou corriger les abus.

Le Parlement de Bordeaux s'honora en ne retenant pas ce grief puéril. Néanmoins, dans son arrêt du 26 mai 1762, après avoir enjoint aux Jésuites de quitter, avant le premier août, leurs trois établissements de Bordeaux, il faisait « très expresses inhibitions et défenses aux prêtres et écoliers ci-devant de la Société de Jésus de continuer à tenir, dans les maisons ci-devant de ladite Société, aucune congrégations, affiliations, confréries, retraites ou autres exercices particuliers ». En outre, la Cour faisait « pareilles défenses à tous sujets du Roi, de quelque état, qualité ou condition qu'ils soient, et sous telles peines qu'il appartiendrait, d'assister ou de s'assembler dans lesdites maisons avec lesdits Pères ou écoliers, sous quelque prétexte que ce puisse être ». Finalement, elle dressait une liste de livres jésuites qui seraient brûlés dans la cour du Palais et une

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autre de ceux qui ne devraient pas être réimprimés. Parmi ces derniers, figurait un Manuale Sodalitatis.

Les congrégations mariales avaient l'honneur de partager le sort de la Société qui les avait instituées et dirigées pendant près de deux siècles, avec quel succès !

Au moment où, comme tous leurs confrères, ils se voyaient réduits à opter entre l'expatriation et un serment odieux, les Jésuites de Bordeaux pouvaient se pencher avec fierté sur le passé de la Compagnie et, parmi leurs titres de gloire, le moins beau n'était pas celui que leur valait la formation de six congrégations mariales et d'une Aa.

* * *

La suppression de la Société de Jésus aurait pu être fatale aux sodalités mariales de Bordeaux. Le zèle de quelques prêtres et l'attachement des congréganistes à leur idéal les empêchèrent de disparaître toutes. De 1762 à 1789, on ne découvre aucun indice sûr de la Congrégation des Nobles, mais par contre, on retrouve la congrégation des écoliers, celles des Artisans et l'Aa.

L'Aa ne souffrit même en rien. Sa séparation d'avec les Jésuites datait de 40 ans. Elle était loin de leur être hostile ; pourtant, elle craignait un peu d'être connue d'eux. Leur disparition facilita la reprise de ses relations avec l'assemblée de Toulouse.

Il fallut, il est vrai, plus de deux ans de négociations. L'initiative partit d'un confrère de Toulouse, qui était passé à Bordeaux et avait été admis dans l'Aa. Le 5 décembre 1765, il écrivait à son ancienne assemblée et présentait celle de Bordeaux de la façon la plus avantageuse. Pourquoi ne pas rétablir l'union d'antan ? M. Ducastaing, qui connaissait bien les deux groupes, pourrait s'entremettre. De fait, celui-ci s'informa et, à son tour, invita Toulouse à renouer les relations.

Sa démarche n'eut pas de succès immédiat. L'Aa toulousaine restait défiante. Bordeaux avait eu un directeur étranger à la Société de Jésus. Il « pense très bien, dit-on, mais tel ou tel qui viendra après lui, pourra être ou gâté dans la doctrine ou singulier dans ses

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sentiments. La singularité du chef passe bientôt aux membres. De là que d'inconvénients pour nous dans le cas de la réunion ! » Autre raison d’hésiter : Bordeaux reçoit indifféremment « des sujets de toutes les classes, même des D… (sic). Les écoliers des D… sont au contraire exclus de la nôtre par une règle expresse ». Au surplus, si les Jésuites étaient rétablis, « nous voudrions nous réunir avec eux ». Enfin, les confrères de Bordeaux sont-ils assez discrets ? « Leur Aa n'a-t-elle pas quelque publicité qui fait qu'ils sont désignés par le titre de Béguins ou Béguinguins ? »

Passé d'Aire à Auch, M. Ducastaing reprit la plume pour dissiper les préventions. Le qualificatif de Béguinguins n'était pas spécial aux membres de l'assemblée. Peut-être, quelque fâcheux accident le leur a-t-il attiré autrefois, mais les confrères de Toulouse ont reçu « celui de Fla… » (sic). Qu'est-ce que cela prouve ? Quant au recrutement, si Bordeaux cherchait des sujets dans toutes les écoles, les élèves des D… quittaient leurs classes pour suivre les classes des autres membres de l'Aa. « L'union est donc actuellement possible, il faut la faire et laisser l'avenir à la Providence ».

Cette fois encore, pas de résultat sur le champ. Toutefois, la lumière se faisait peu à peu ; insensiblement des barrières tombaient. La persévérance de M. Carenne, directeur au séminaire d'Aire, triompha des dernières difficultés et, après échange de diverses lettres explicatives, qui remplirent l'année 1767, les deux sœurs, en mars 1768, purent se réjouir de l'alliance renouvelée. Chaque année, dans la suite, l'Aa de Toulouse fit une communion générale et chanta un Te Deum, le jour de la fête de saint Joseph, en mémoire de l'heureux événement.

* * *

Le groupe bordelais a, pour lors, comme directeur, M. Alary, bénéficier de Sainte-Colombe, un saint homme, type de l'ecclésiastique français, affable et distingué. Il vieillit et sans doute n'y eut-il pas plus d'un autre directeur de l'Aa entre le P. Chourio et lui. Mais l'âge n'a diminué en rien son dévouement pour les jeunes, qui le lui rendent en estime, en confiance et en affection. Pendant dix ans encore, il sera le guide aimé et le conseiller écouté. Le

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diocèse de Bordeaux et les diocèses voisins lui devront « un grand nombre de bons prêtres ».

Quand il meurt, en 1778, regretté de tous, à plus de 80 ans, il laisse après lui « M. Lacroix dont les vertus et la réputation égalent déjà » les siennes.

Né à Bordeaux d'une famille artisane, le 31 janvier 1746, Noël Lacroix, grâce à la protection de l'archiprêtre de Saint-Estèphe, M, Lalanne, a fait d'excellentes études au collège de la Madeleine. Il ne parle qu'avec admiration de ses anciens maîtres, du P. Bénazet surtout. Nul doute qu'il n'ait été congréganiste : il aura toute sa vie, pour Marie, les sentiments d'un enfant pour sa mère. Tonsuré à 18 ans, il a été reçu dans l'Aa. En 1767, il en a été commis. Si, après son ordination, il fit un court séjour à Saint-Estèphe, en qualité de vicaire de M. Lalanne, il retrouvait, dès le mois d'août, sa chère assemblée, en devenant titulaire d'une chapelle de l'Église Sainte-Colombe. Depuis, ayant toute la confiance de M Alary, il a partagé tous les travaux de ce prêtre vénérable et, maintenant qu'il lui succède dans sa charge de bénéficier, il n'a d'autre ambition que de continuer son apostolat auprès de la jeunesse.

« Une taille élevée et majestueuse, … un front modeste et serein, une physionomie pleine de douceur, de bonté, une attitude dévote et on ne peut plus édifiante, un langage pur et mœlleux, des manières affables et prévenantes, le sourire sur les lèvres, une gaieté vraiment spirituelle », tout en lui enchante les confrères de l'assemblée. L'un d'eux écrit à Toulouse, le 28 octobre 1779 : « il ne cède en rien à M. Alary par ses vertus et par son zèle, ni surtout par cette affabilité qui lui attire le cœur de tous les jeunes gens et que vous admirâtes en lui à si juste titre, lorsqu'au nom de notre Aa, il vous visita comme nos frères, avant que nous l'eussions comme directeur ».

Comme il les aime et les enveloppe de sa sollicitude, ses chers théologiens ! « Chaque année, rapporte son biographe, à l'ouverture des cours de théologie, il savait bien vite quels étaient les nouveaux venus qui fréquentaient l'Université. Il allait aussitôt les voir, s'insinuait dans leurs cœurs, gagnait leur confiance par sa douceur prévenante et affectueuse. Pour ne pas les perdre de vue, il les engageait à s'attacher à Sainte-Colombe ou à Saint-Projet, ou à une

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des églises les plus proches. Il les mettait aussi en relation avec ses autres disciples et bientôt ils faisaient partie de son troupeau chéri... Tantôt, les jours de congé, il faisait avec eux une promenade, afin de les unir par les liens d'une : pure amitié, il se prêtait à leurs jeux, puis proposait quelque lecture dont il rendait sa glose si intéressante et si pieuse que leurs cœurs s'ouvraient aux plus sublimes vertus. Tantôt, mettant plus de gravité dans ses rapports avec eux, c'était par des conférences, des retraites, qu'il formait en eux l'homme nouveau dans la sainteté et la justice. D'autres fois, il les conduisait dans les hôpitaux ou dans les prisons et, par ses exemples de charité, il faisait comme l'aigle qui excite ses petits à voler, étend ses ailes et voltige autour d'eux ».

On reconnaît facilement dans cette page les pratiques essentielles de l'Aa, retraites, promenades, conférences, œuvres de miséricorde, telles que les lettres de l'époque les évoquent.

Les confrères sont fidèles aux rénovations. Ils visitent pieusement le Saint-Sacrement et les reliques conservées à la Cathédrale de Saint-André, à Sainte-Eulalie, à Notre-Dame de la Mercy. Ils s'occupent des congrégations d'écoliers. Ils sont aussi très exacts, notent-ils en 1777, « à se faire agréger à la confrérie du Sacré-Cœur et à se rendre à la Visitation tous les premiers vendredis du mois, où l'on communie ordinairement ». C'est aux Incurables et au Grand-Hôpital, qu'ils vont porter la consolation et aider les moribonds à purifier leur conscience. Aux Enfants trouvés, à l'Enclos des Pauvres, chez les Teigneux, dans les prisons, ils distribuent l'instruction avec l'aumône. Accompagnés d'externes, qui étendent leur action et couvrent l'Aa, ils font chaque semaine le catéchisme. Une fois par an, ils organisent des retraites avec trois exercices quotidiens : celle des prisons a lieu pendant la semaine sainte et 6 associés en assurent les bienfaits, tant aux femmes qu'aux hommes. En 1773, la réunion de l'hôpital des Enfants trouvés, à l'Hôpital Saint Louis, obligera l'Aa à cesser les catéchismes qu'elle faisait dans le premier. Elle se dédommagera en entreprenant d'autres missions. Nous la voyons, en 1784, inaugurer un catéchisme pour les jeunes ouvriers et, l'année suivante, un autre pour les petits décrotteurs.

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On ne peut voir aucune misère, sans chercher un remède : « l'esprit de l'Aa est de propager le bien autant qu'elle le peut ».

Les initiés ne sont pas nombreux : 13 en 1767, 12 en 1770, 15 en 1772, en 1777 et en 1779, 17 en 1781, 10 en 1783 et 15 en 1785. Mais ils ont l'ambition d'être des valeurs chrétiennes. C'est un principe des Aas. « L'Aa est plus nuisible qu'utile aux sujets faibles », lisons-nous dans les règles de l'assemblée toulousaine. Et le rédacteur explique : « L'Aa composée de sujets médiocres, serait sans lumière pour se conduire, sans crédit auprès des supérieurs ecclésiastiques, sans force pour se soutenir, ou plutôt se conduisant par ses propres délibérations, se livrant d'ailleurs à des pratiques extraordinaires de piété, elle donnerait perpétuellement dans des écarts et dans les illusions ! Ce ne serait bientôt que des pieux ou plutôt des ridicules et fanatiques ignorants ». Autant que nous pouvons en juger, les membres de la « fervente Aa de Bordeaux » ne furent ni faibles ni médiocres. « Chaque année, nous apprend un correspondant de l'Aa de Toulouse, les confrères se partageaient dans les différentes classes et lorsqu'ils trouvaient un bon sujet, ils le gagnaient et l'admettaient parmi eux ».

* * *

Une liste complète des confrères bordelais présenterait un grand intérêt. A défaut, en attendant que cette liste, si elle existe encore, sorte au grand jour, nous pouvons recueillir quelques noms. Voici d'abord des commis, les plus investis de confiance et de responsabilité dans cette association où il n'y a pas de dignitaires : Desbordes, Moulié, Dufourg, Berreterot, Bergey, Gouges, Bacqué, P. Monier, Delort, Desarnaud, Vignon. Voici des sous-commis ou substitut : Dinety, Bellami, Arnaud, Saint-Marcq, Rauzan, François Cabrol, du Gravier, Hammon. Des allusions, des attaques d'adversaires, répandues çà et là, permettent d'énumérer encore Carenne, Lardes, P. Boutaric, Lacome, Luzit, J. Destenabe, V. Dubourg, Jalabert, Langoiran, Ducastaing. Sans crainte de se tromper beaucoup, on peut ajouter à cette liste, la plupart de ceux que les Nouvelles ecclésiastiques qualifient de Béguinguin : Boudin, premier vicaire général de Mgr de Cicé, Mondauphin son collègue,

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Ordonneau supérieur du séminaire Saint-Raphaël, Lalanne supérieur du séminaire d'Aire, Lafourcade curé de Saint-Eloi, Montmirel curé de Saint-Michel, Dupuy bénéficier de cette même église. « Moi aussi, j'étais Béguinguins », dirait le bon M. Magne, à la lecture de ces noms. Donnons-lui satisfaction et inscrivons-le : sa silhouette sympathique n'est pas déplacée ici.

Arnaud mourut jeune, emportant avec lui les plus belles espérances. Il était « le séraphin de l’Aa ».

Delort, à 21 ans, est professeur de philosophie. Il « se rend aussi exact que possible aux exercices de l'Aa ». Après la Révolution, qu'il passera en`Angleterre Mgr d'Aviau fera de lui le secrétaire de l'archevêché.

Vignon s'identifie peut-être avec un prêtre du même nom, qu'un registre de l’Aa bordelaise au XIXème siècle présente comme « un prêtre de l'ancienne assemblée ». Bel exemple de fidélité, qui certainement ne fut pas unique.

Dinety, après son ordination, entre comme directeur au séminaire de Saint-Raphaël et seconde M. Lacroix de toutes ses forces. En 1805, il prendra possession de la cure de Sainte-Eulalie et succèdera à Bergey.

Gouges est secrétaire de l'archevêché en 1786, Berreterot est destiné à la cure de Saint-Louis, aux Chartrons.

Jalabert est connu au diocèse de Paris comme vicaire général.

Le substitut Rauzan n'est autre que le futur fondateur des Missionnaires de France, des Prêtres de la Miséricorde et des Dames de Sainte Clotilde. Prêtre en 1782, docteur en théologie en 1784, successivement vicaire à Saint-Projet et directeur au séminaire diocésain, collaborateur zélé de M. Lacroix, il émigrera en Angleterre, le 22 juillet 1792, et passera en Prusse l'année suivante. Le 18 Brumaire le ramènera en France pour une vie des plus active. « Un des meilleurs sujets, pour ne pas dire le meilleur sujet du diocèse, pour la piété, l'esprit, les talents, les connaissances. A son retour d'Allemagne, il y a environ deux ans, il s'est arrêté à Paris où il a prêché le carême avec un succès extraordinaire. L'on a tout fait au

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monde pour l'y fixer. Il est propre à tout ce que à quoi M. l'Archevêque voudra l'employer ». C'est en ces termes qu'un grand vicaire le présente à Mgr d'Aviau en 1802. Après avoir remué toute la France par ses missions, il achèvera ses jours dans sa ville natale, à 90 ans, ayant toujours témoigné, à l'égard de la Vierge, cette dévotion toute filiale qu'il avait puisée à l'Aa, auprès de l'archiprêtre de Saint-Estèphe et M. Lacroix.

Condisciple de Rauzan, Valentin Dubourg, natif de Saint-Dominique, était venu à Bordeaux à l'âge de deux ans. « A 16 ans, note l'auteur d'un article nécrologique paru dans les Annales de la Propagation de la Foi, il instruisait les pauvres et les ignorants ». Qui ne songe ici à l'Aa ? Ayant achevé sa théologie au séminaire Saint-Sulpice, à Paris, il passera en Amérique sous la Révolution, ouvrira un collège à Baltimore et deviendra le premier évêque de la Nouvelle Orléans, en 1815. Rentré en France en 1826, il acceptera encore le siège épiscopal de Montauban et mourra quelques mois après avoir été transféré à la tête de l'archidiocèse de Besançon, en décembre 1833. Sa fidélité à Notre-Dame ne se sera jamais démentie. « Qui donc, écrivait-il dans son dernier mandement, n'ambitionnera de vous donner le doux nom de Mère ? Et cependant, quel est le chrétien qui n'en ait acquis le droit, puisqu'il n'en est aucun qui ne fut représenté par le disciple bien-aimé, lorsque votre Fils mourant le confia à votre tendresse ? Quel est celui à qui mille faveurs reçues par votre canal n'attestent pas votre sollicitude ? » Il avait renouvelé sa consécration mariale le 27 avril 1817, au sein de la congrégation de Paris et, le premier novembre précédent, il avait honoré de sa visite la congrégation de son ami, M. Chaminade .

Simon Langoiran est professeur de théologie à l'Université, très estimé des uns, très combattu par les autres. « Nous avons ici, écrit le commis en 1769, un professeur qui est de notre Aa. Tous les sujets de l'Université lui sont très attachés. Ils prennent presque tous le traité qu'il dicte ». Dès le début de sa carrière, la Cour lui a « fait inhibitions et défenses… de dicter à l'avenir... ou d'insérer soit dans les cahiers, soit dans les thèses, aucune des propositions qui pourraient se trouver dans le recueil intitulé : Extraits des assertions… etc ». En 1765, nouvelles « inhibitions et défense par rapport à toute proposition suspecte ou qui ne serait pas exactement

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conforme aux lois du royaume et aux maximes de l'Eglise de France ». Deux ans plus tard, il refuse d'approuver une thèse quiétiste patronnée par le Dominicain Noailles. Les Nouvelles ecclésiastiques crient au scandale. C'est pis encore quand, le 8 juillet 1780, dans le Lycée académique, il préside la soutenance d'une thèse sur l'Église ou le candidat prétend entre autres que seuls les évêques et le Pape, à l'exclusion des curés, sont juges des controverses en matière de foi et que l'Église est infaillible pour interpréter les livres saints. Au surplus, cette thèse est dédiée au Sacré Cœur Inde irae ! L'abbé ne s'émeut pas : en 1784, la thèse de M. Rauzan, qu'il patronnera, sera encore précédée de la même dédicace et sans doute ne sera-t-elle pas la dernière. Editeur du Parfait Intérieur de M. de Bernières, vicaire général de Mgr de Mériadec et de Vigo de Mgr de Cicé, le champion de l'orthodoxie paiera de sa vie l'influence qu'il aura prise dans son diocèse. Il expirera massacré sur le perron de l'archevêché : ce sera le 15 juillet 1792, quelques semaines avant les hideuses tueries de septembre.

Il faudrait des recherches spéciales pour retrouver les traces des autres membres de l'Aa, mais rien ne nous empêche de les englober avec leurs confrères, et sans autre enquête, dans des éloges que des témoins ont décernés aux associés. « Ah ! que n'ai-je pas vu d'édifiant dans cette chère Aa de Bordeaux ! écrit un directeur du séminaire d'Aire, en 1817. Je puis dire que j'y ai vu des prodiges de vertu, des sujets tout brûlants de zèle pour la gloire de Dieu... Non ! je ne l'ai pas oubliée, cette chère Aa, ni ne l'oublierai, j'espère, jamais ». Et de son côté, le « bon M. Magnes » témoigne : « Ils ne se poudraient pas ; ils n'avaient de frisures ; ils ne portaient pas de ceinture de soie ; ils n'avaient à leurs souliers que de boucles de fer poli », mais « ils étaient les plus forts du cours » et « brillaient aux examens dans les luttes publiques ».

On l'aura remarqué, les membres de l'Aa n'appartiennent pas à une seule génération. Il y a des jeunes, ceux qui étudient avant d'entrer au séminaire pour recevoir les ordres : ils constituent les membres actifs, si l'on peut ainsi s'exprimer. Il y a aussi les anciens, curés de ville, bénéficiers divers, directeurs de séminaire : ils n'assistent pas à toutes les réunions, ils ne participent point directement aux missions des jeunes, mais ils soutiennent leurs

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cadets de leurs exemples, de leur crédit, et on les voit nombreux aux Rénovations.

Cor unum et anima una : l'union est bien ce qui fait la force de l'Aa. Dans la capitale de la Guyenne, ces ecclésiastiques forment un groupe qui compte, et avec lequel, ajoutaient les mauvaises langues, il fallait compter. Ils s'imposent par la dignité de leur vie, la fermeté de leurs convictions, le degré de leur savoir et de leur zèle. On a peut-être exagéré le relâchement des gens d'église à la veille de la Révolution : un clergé qui, dans une seule ville, compte par dizaines des hommes éminents en science, en vertus et en dévouement n’est pas un clergé déchu.

* * *

Que de tels hommes soient combattus, ridiculisés, voire calomniés, qu'y a-t-il d'étonnant ? N'est-ce pas un fait que l'histoire peut enregistrer à toutes les époques ? Toute supériorité pèse à l'humaine faiblesse, qui se venge avec les seules armes qu'elle sait et peut manier.

Que ne dit-on pas des disciples ou des confrères de M. Lacroix ! Ce sont des fanatiques, de nouveaux pharisiens, des cordicoles, des espèces de sulpiciens, Sainte-Colombe est l'arsenal des calomnies et des complots contre leurs adversaires. Le terme béguinguins résume à lui seul les amabilités, et si les associés en ignorent l'origine, une vipère-aspic a bien indiqué l'interprétation courante : « Les confrères, a écrit Bernadeau dans ses venimeuses Tablettes, se distinguaient par la saleté de leur costume, et par les manières bizarres. On dit que c'était une continuation de la secte des Bégarres (sic) ou Béguins, proscrite par Clément V dit le Pape gascon, qui n'était cependant pas dévot ». Vingt-six ans plus tard, sa mémoire ne lui fournira pas d'autres souvenirs, et il écrira le jour des funérailles de M. Lacroix : « Les Béguinguins étaient de jeunes ecclésiastiques qui faisaient profession de rigorisme et que l'on distinguait entre autres, par leurs cheveux plats et crasseux ».

M. Lacroix est chefs des Beguinguins, avec M. Dinety, pour substitut, M. Mondauphin en est le coryphée ; le curé de Saint-Eloi,

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M. Lafourcade, l'oracle. D'ailleurs, si le terme a désigné d'abord les aaïstes, maintenant on le donne à ceux qui vivent le plus régulièrement. « Heureux, ajoute M. Ducastaing qui fournit le renseignement, l'ecclésiastique qui mérite de se l'attirer » !

M. Langoiran, qui est le plus en vue, est la bête noire des Nouvelles ecclésiastiques. « Il ne se connaît pas mieux en bonne théologie qu'en solide dévotion » : « bercé dès sa jeunesse de ridicules chimères », il « les débite avec la plus grande confiance », il « dévore les absurdités ». N'a-t-il pas refusé d'approuver une thèse parce qu'on y enseignait la nécessité de rapporter nos actions à Dieu par amour ? N'a-t-il pas présidé la soutenance d'une autre thèse « pleine d'erreurs » sur l'Église ?

Tant d'animosité devait déclencher une attaque généralisée. Elle se démasqua dans la revue janséniste, le 17 juillet 1780 : « L'abbé de Mondauphin, qui vise à être seul administrateur du diocèse, s'arroge le droit de connaître beaucoup de choses, sans la participation des autres grands vicaires. Par exemple, il décide seul des prêtres étrangers qui viennent travailler dans le diocèse. Il les envoie tous à M. Simon Langoiran, professeur de théologie et un des examinateurs du conseil pour le gouvernement du diocèse, qu'on nomme congrégation. M. Langoiran traite ses ecclésiastiques avec beaucoup de hauteur et de dureté, et M. de Mondauphin dit, pour le justifier, qu'il est fort scrupuleux ! Depuis quand le serait-il devenu ? Il ne l'était certainement pas à son dernier voyage de Paris, il y a peu d'années, où il allait, disait-il, pour apprendre le grec et où il se fit précéder de beaux présents adressés à M. Dufaux, grand chantre de l'Église de Bordeaux, qui était malade dans cette capitale. M. de Langoiran ambitionnait sans scrupules une dignité de quatorze mille livre de revenus et employait les présents comme un moyen légitime de déterminer le titulaire à une résignation. Il ne fut pas trompé dans son espérance. M. Dufaux fit sa résignation en faveur de l'étudiant en grec, mais heureusement sa mort prompte en empêcha le succès. Nous disons heureusement, parce qu'à présent que M. Langoiran est scrupuleux, il ne pourrait qu'être tourmenté de remords s'il eût réussi.

« Les prêtres étrangers, après avoir essuyé toutes les impertinences de ce professeur, doivent passer par une seconde

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épreuve. Ils sont envoyés à M. Lacroix, chef des Béguinguins, ou à M. Dinety, son substitut, pour faire une confession générale et subir une rigide fustigation. La fustigation est en grand honneur chez ces sulpiciens bordelais : c'est le vrai sceau de la capacité ecclésiastique et c'est à Sainte-Colombe qu'est le principal bureau où se distribuent ces importantes provisions, comme c'est aussi dans la communauté de cette paroisse qu'est l'arsenal des calomnies et des complots contre ceux qui ne veulent pas être fouettés, ni pratiquer les minutieuses dévotions qu'on y enseigne. Il y a quelques années que le curé de Saint-Michel (il s'agit de Montmireil, promoteur du diocèse) tant il est avide de tout ce qui peut lui donner du relief dans l'esprit des sots, se fit initier dans cette société, quitta la perruque, suivant les lois de l'Institut, et fut sans doute bien fustigé comme les autres. M. Ordonneau, qui dirige le petit séminaire sous l'abbé de Mondauphin, a aussi le grand pouvoir de fouetter et aucun séminariste n'échappe à son exactitude sur l'article. Plusieurs sujets ont déserté cette maison : les uns, qui avaient déjà été fouettés, ont refusé de l'être une seconde fois, d'autres n'ont jamais voulu consentir à une telle infamie. On laisse à juger si une pareille éducation convient à de jeunes ecclésiastiques et si elle est honorable pour les instituteurs ».

Quand Mgr de Cicé succéda à Mgr de Rohan, certains crurent que ce qui était à leurs yeux le règne des Béguinguins, allait finir. Leur attente trompée, la lutte reprit, méchante, haineuse, ignoble parfois, au total déshonorante pour ses instigateurs et dans ses motifs et dans ses procédés. « Bordeaux est bouleversé. Sainte-Eulalie assemblée a perdu la tête. La ville est infectée de libelles contre notre prélat et certains beguinguins, entre autres l'abbé Langoiron »,écrit un témoin le 12 août 1785. Analysant pour son correspondant un de ces pamphlets, le même abbé Labrouche, vicaire, poursuit : « MM. Langoiran, Lacroix, Rauzan et quelques autres viennent se mettre en rang pour paraître au bout d'une généalogie, la plus vile, la plus abjecte qu'on ait jamais tracée. Le sieur Langoiran y est surtout démasqué et peint d'après nature. Le tableau en est charmant. Il est laid, hideux comme une harpie, sot et méchant comme un dindon, brutal et hypocrite, ignorant surtout. Et comme preuve de cette dernière qualité, on fait une liste des ouvrages qui composent sa

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bibliothèque. Ce sont des auteurs condamnés et proscrits, erronés et sans jugement, avec d'autres ouvrages de la sorte dont le nombre n'est pas très grand… Bref, il n'a que son mauvais cahier :.de chaire et son bréviaire de complet. Il a été à Paris, non pour y apprendre la langue grecque, mais pour y devenir grec, et, crimine hoc ab uno, disce omnes ».

Les aaïstes ne bronchaient pas. Ils laissaient dire et priaient. J'ai offert quelques communions pour la conservation de la chère Aa, dit un confrère en 1781, et un autre, en 1785, se donne la discipline, une fois par semaine, pour faire cesser les persécutions. On ne néglige pas d'ailleurs de prendre les mesures que la prudence conseille en certaines circonstances. Nous avons vu que, pour. éviter la découverte de l'Aa,. les frères avaient renoncé, en 1779, à maintenir les petites sociétés qu'ils avaient discrètement organisées parmi les élèves de seconde .et de rhétorique. Pour la même raison, ils changèrent à cette date le jour de leur promenade hebdomadaire. Mais, une fois la prudence satisfaite, ils demeuraient en paix, inébranlables. « Soumis à la Bulle Unigenitus... sans restrictions, sans modifications, tant sur le fait que sur le droit », ils se déclaraient prêts à sceller de leur mort leur attachement au Souverain Pontife.

Encore quelques années, et, préférant au schisme la mort ou l'exil, ils auront prouvé, en même temps que la sincérité de leurs protestations, l'excellence des principes qu'ils devaient à l'Aa.

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II

LES ECOLIERS

Parmi les champs d'action sur lesquels les jeunes confrères de l'Aa exerçaient leur influence, la congrégation des écoliers avait toutes leurs préférences, avant la dispersion de la Compagnie de Jésus. Elle les garda après.

Séparée des Jésuites, l'association avait probablement pénétré très vite au collège de Guyenne où existait depuis longtemps un groupement marial qu'on appelait aussi congrégation et dont nous ne savons rien, sinon qu'il tenait ses réunions dans le cloître de la cathédrale, devant une magnifique statue d'albâtre.

En supprimant la Société de Jésus, le Parlement de Bordeaux s'était prononcé pour le maintien du collège de la Madeleine et, le 4 février 1763, il avait nommé Principal Louis-Benoit Marichal, prêtre et chanoine de Saint- Nicolas de Sézarne-en-Brie. L'établissement subsista jusqu'en 1772 sous le titre de Collège royal de la Madeleine. Les confrères fréquentèrent les deux congrégations jusqu'à cette date : « Nous nous rendons à la congrégation, écrivent-ils le 12 avril 1772, aussi exactement que nous le pouvons, les uns au collège royal de la Madeleine, les autres au collège de Guyenne ».

S'est-on demandé alors si la congrégation de la Purification pouvait continuer à jouir des indulgences qu'elle avait obtenues par son affiliation en 1604, et a-t-on sollicité de nouvelles faveurs ? Rien ne le fait penser. D'ailleurs, l'œuvre se réunissait toujours dans la même chapelle et la mesure qui frappait la Compagnie en 1762 n'engageait en rien l'Église. Un Bordelais écrit même en 1819 : « Plusieurs religieux ayant conservé leur résidence à Bordeaux soutinrent la piété et les exercices des congrégations ». Effectivement, d'après un Fiat conservé à la Bibliothèque nationale à Paris, huit anciens Jésuites habitaient Bordeaux en 1788 et parmi eux se trouvait le P. Bélézi, dernier directeur de la congrégation des Artisans, établie au Noviciat depuis 1691. Pour la congrégation du

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collège de Guyenne, il est à conjecturer qu'elle avait été enrichie d'indulgences par une bulle ou un bref particulier.

En dépit de tous les efforts des confrères, les dix années qui suivirent le départ des Jésuites en furent une période de ferveur pour aucune des associations mariales. « Plût à Dieu, s'écrit un membre de l'Aa bordelaise, que ces exercices fussent faits dans l'esprit de l'Aa ».

En 1772, les deux collèges réunis n'en formèrent plus qu'un seul, le Collège royal, qui s'installa dans les locaux de l'ancienne maison professe de la Compagnie, tandis que les bâtiments du collège de la Madeleine étaient attribués au Parlement. Le procès verbal d'une enquête faite par l'Officiel diocésain Ignace Boudin, le 9 août 1773, nous apprend que « par les ordres du Bureau du Collège et de M. le Procureur général et par les soins des commissaires du Bureau, les vases sacrés, reliquaires, argenterie, ornements, linge, livres, vestiaires et autres effets à l'usage de l'autel, église et sacristie, ont été portés de l'église Saint-Jacques et de la chapelle de la congrégation des écoliers du collège de la Madeleine, dans le collège royal de Guyenne ».

Ce fut peut-être à cette occasion que se constitua, autour de l'abbé Lacroix, ce qu'on appellera très vite, à Bordeaux, la Congrégation estudiantine de la Purification.

Si elle ne le fut pas en droit, elle le fut en fait, et l'intervention de l'abbé Lacroix provoqua dans le groupement un véritable renouveau.

Plus de 400 jeunes gens ne tardent pas à fréquenter l'église de ce prêtre étonnant d'accueil et d'emprise. Ils ont une place réservée, prennent part à des exercices particuliers et entendent des instructions pour eux. Le dimanche, on s'ingénie à les distraire d'une manière honnête dans l'intervalle des offices. Quelquefois, au temps de Carnaval surtout, on organise de petites fêtes. « M. Lacroix avait un talent si singulier pour égayer les jeunes et varier leurs jeux que c'était pour eux, disaient-ils, les plus délicieuses soirées. Un petit repas auquel chacun contribuait, terminait la fête… » Chaque année, le prêtre infatigable ; prêche une retraite à ses jeunes disciples et, avant de les laisser se disperser pour les vacances, il leur distribue

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une copie manuscrite de quelques conseils qu'il :a rédigés et intitulés Préservatif contre la séduction pendant les vacances.

En 1801, l'abbé Chaminade fera imprimer, à l'intention de ses jeunes, un Recueil de prières et Pratiques pour servir au culte de la très pure Marie. L'opuscule s'ouvre par une Introduction qui expose et commente les obligations d'une Personne consacrée à la très sainte Vierge.

Or, la critique interne révèle que l'abbé Chaminade n'est pas l'auteur de cette introduction, mais que ce texte, dans son ensemble, a été rédigé sous l'ancien régime. Pour de jeunes étudiants. Dans ces conditions, on pense tout naturellement à la congrégation de Sainte-Colombe. Retrouvera-t-on un jour le prototype daté de cet exposé ? Dès maintenant nous croyons pouvoir l'utiliser pour évoquer plus totalement l'œuvre de M. Lacroix.

L'Esprit du Seigneur, y lisons-nous, ranime de toutes parts les sentiments de la plus tendre dévotion envers son Epouse Immaculée ; les fidèles s'empressent à l'envi de lui rendre ce culte spécial et distingué qu'exige sa suprême dignité de Mère de Dieu.

Son Immaculée Conception surtout est l'objet d'une vénération particulière. Point de vrai catholique qui ne mette aujourd'hui sa gloire et sa consolation à rendre à ce mystère de prédilection les hommages de son amour et de son respect.

Mais ce qu'on ne vit jamais, d'une manière aussi frappante, c'est la ferveur, c'est la noble émulation que montre la jeunesse à se consacrer au service de la très pure Marie…

Le cœur, le tendre cœur de l'auguste Marie a dû être bien sensible au doux nom de Mère des chrétiens, Mère des prédestinés, que tous les siècles lui ont prodigué. C'est dans son sein que le Ciel vit toujours, avec tant de complaisance, germer et croître le froment des élus. Venter tuus sicut acervus tritici (Cant., VII, 2. ).

Mais aujourd'hui, c'est en quelque manière une gloire nouvelle qu'elle reçoit dans le nouveau titre que les âmes innocentes lui donnent à l'envi. Combien de fois dans le jour cette Vierge sans tache est invoquée sous l'aimable nom de Mère de la Jeunesse !

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Dans le siècle le plus perverti qui fut jamais, du sein de la corruption, au milieu de tous les vices, on voit naître une génération chaste, une génération vertueuse. Elle se dit être la famille de la très pure Marie. Tout en effet annonce en elle la noblesse et la dignité de sa divine naissance. On ne voit plus en elle qu'éloignement pour le vice, qu'inclination pour la vertu. Tous les membres de cette famille s'aiment tendrement et sont habituellement réunis dans le cœur de la divine Mère. Si la différence des caractères, si l'apparence de quelque défaut personnel pouvait quelquefois les refroidir les uns à l'égard des autres, pour rétablir la paix, l'union, la charité, ils n’ont besoin que de penser qu'ils sont tous frères, tous engendrés dans le sein maternel de Marie…

Qui n'a déjà répéter mille fois : « Qu'elle est belle, cette génération chaste, cette génération vertueuse ! Quam pulchra est casta generatio cum claritate ! (Sap., IV, I). Quel horrible contraste, quelle affreuse différence, quand on compare cette vertueuse famille de Marie avec cette jeunesse que la corruption. du siècle a enfantée ! … Malheur à cette partie de la jeunesse qui ne court. pas après l'odeur des parfums qu'exhale de toutes parts la connaissance des vertus de cette Vierge incomparable ? Pécher contre l'auguste Marie, c'est blesser son âme. S'éloigner de son culte, c'est rechercher la mort : Qui autem in me peccaverit laedet animam suam ; omnes qui me oderunt diligunt mortem (Prov. VIII, 36 ) ».

Ecrite au lendemain des excès révolutionnaires, dans le climat de 1800, cette page serait pâle, naïve, inexacte. Une cinquantaine même de jeunes gens se trouvent réunis au bout d'un an d'efforts, dans une ville de 100.000 âmes, est-ce suffisant pour faire dire spontanément qu'il y a une nouvelle génération impatiente de se consacrer à. Marie ? Le bilan n'est-il pas plus exact, plus normal, si la « nouvelle génération », ce sont les 400 jeunes gens de M. Lacroix, tous élèves du collège, fraction imposante de la jeunesse estudiantine d'alors ? et si « Ie siècle le plus perverti », c'est le siècle des Voltaire et des Talleyrand, de l'Encyclopédie et des salons philosophiques ?

« Une consécration sincère au culte de la très pure Marie, poursuit l'auteur, forme, entre la personne qui se consacre à la Vierge immaculée qui reçoit cette consécration, une alliance véritable. D'une

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part, l'auguste Marie reçoit sous sa puissante protection ce fidèle qui se jette entre les bras de sa tendresse maternelle et l'adopte pour son enfant. De l'autre, le nouvel enfant de Marie contracte avec son auguste Mère les obligations les plus douces et les plus aimables ».

Vient alors l'énumération de ces obligations : invoquer Marie, l'honorer, lui faire honneur toujours, imiter ses vertus, ne jamais rester en état de péché mortel, favoriser le culte marial et, par amour pour Marie, rendre un culte spécial à saint Joseph.

Les pages suivantes contiennent de judicieux conseils sur l'Assiduité aux exercices du culte de la sainte Vierge, la modestie et le recueillement, qui sont de mise lors de ces exercices, la fuite des mauvaises compagnies, le zèle que doivent avoir, les uns à l'égard des autres, les enfants de la très pure Marie, l'obéissance et la docilité, le travail ? la lecture des bons livres et la pratique des bonnes œuvres.

Quoique ce que l'on appelle communément bonnes œuvres, lisaient les congréganistes, paraisse ne pas convenir aux jeunes gens occupés de l'étude ou à remplir les devoirs de leur état, il y en a cependant quelques-unes dont ils peuvent se servir pour attirer sur eux les bénédictions du ciel et pour s'accoutumer, dès leur jeunesse, aux exercices de piété.

On a vu, dans tous les temps, des jeunes gens unis par les liens de la charité et de la religion, s'appliquer à la pratique des œuvres de miséricorde, visiter les prisonniers, soulager les pauvres, soit en leur faisant part de ce qu'ils auraient pu employer à leurs amusements, soit en les exhortant, d'une manière douce et familière, à s'acquitter des devoirs d'un chrétien et à élever leurs enfants dans la crainte de Dieu, en leur enseignant à faire la prière du matin et du soir, à approcher des sacrements, à supporter patiemment leurs maux, leur faisant comprendre que ces maux finiront et que le bonheur dont Dieu couronnera leur constance à les supporter n'aura jamais de fin.

On en vu sanctifier de plusieurs manières leurs promenades : tantôt en s'écartant dans la campagne et rassemblant les enfants des paysans pour leur apprendre le catéchisme, pour leur enseigner à prier Dieu, pour leur inspirer l'horreur du péché : tantôt en prenant

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pour terme de ces promenades quelque église ou quelque chapelle ; tantôt en s'unissant deux ou trois ensemble pour faire en se promenant la lecture de quelque livre de piété, ou pour s'entretenir sur des matières de dévotion.

Ils ne doivent pas ignorer qu'ils ne peuvent se permettre de pratiquer des mortifications ou des pénitences corporelles sans consulter leur confesseur et suivre exactement ses avis sur cet article, de peur de tomber dans quelque indiscrétion. La faiblesse de leur âge ne peut cependant pas les dispenser d’en observer quelqu’une, car il y en a qui peuvent leur convenir. Ils peuvent, par exemple, jeûner quelquefois le vendredi en l’honneur de la Passion de Notre Seigneur, ou le samedi, en l’honneur de la sainte Vierge. Les autres peuvent, à leur repas, se mortifier en quelque chose, s’abstenant de ce qu’ils avaient plus envie de manger. Ils peuvent quelquefois aussi, par esprit de pénitence, employer à la prière, à l’étude ou au travail une partie du temps qu’ils seraient libres de passer dans les amusements, se priver d’une petite satisfaction permise, offrir à Dieu une humiliation qui leur sera arrivée, n’en sachant pas mauvais gré à ceux qui en sont la cause, au contraire priant pour eux. Mais qu’ils se persuadent qu’à leur âge, ils ne sauraient pratiquer des mortifications plus agréables à Dieu, plus utiles et plus capables d’attirer sur eux les bénédictions du Ciel, qu’une grande application à vaincre leurs passions, à en arrêter les saillies, à surmonter les répugnances qu’ils ont à s’acquitter de leurs devoirs.

Toute l’ascèse, toutes les pratiques extérieures de zèle en honneur dans l’Aa ont passé dans cette page. Au dix-neuvième siècle, il faudra quelques adaptations.

Pour les jeunes gens, rien n’est plus important que le choix d’une carrière. C’est sur ce sujet que l’Introduction se terminait.

« Tous les états ne conviennent pas à toutes sortes de personnages, remarquait le rédacteur, parce que tous les hommes n'ont pas les mêmes inclinations, ni les mêmes dispositions du corps et de l'esprit, ni les mêmes grâces de Dieu. Un jeune homme, dans un état pour lequel il n'est point fait, est donc dans une situation violente. C'est un élément hors de son centre : quel repos, quel contentement peut-il y avoir ? Privé des grâces particulières

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attachées à l'état où Dieu l'appelait, comment pourra-t-il faire son salut ? Il se perdra vraisemblablement, au lieu qu'en suivant la volonté de Dieu, il se serait sauvé bien plus sûrement ».

Six paragraphes indiquaient alors la conduite à tenir avant, pendant et après l'élection d'un état. A les lire, on ne peut se défendre, d'un sentiment de sympathique admiration pour celui qui les rédigea, tant on y découvre de bon sens, de modération, de religion et de vrai amour de la jeunesse.

Si l'Introduction du Recueil de 1801 remonte au moins à M. Lacroix, il est très probable aussi que l'acte de consécration mariale qu'on y lit est celui dont on usait à Sainte-Colombe.

On sait, en effet, que dans les congrégations affiliées à la Prima primaria, deux formules de consécration sont traditionnelles : celle dite de saint Jean Berchmans et celle dite de saint François de Sales. On ne l’ignorait pas à Bordeaux où l'on retrouve explicitement la formule de saint Jean Berchmans, avant 1762 dans la congrégation de la Purification, nous l'avons vu, et après dans les statuts de la congrégation des Artisans. C'est une oraison toute différente que contient le manuel de 1801. Il ne serait pas impossible que ce fût celle de la congrégation de Sainte-Colombe.

Au reste, nous ne sommes pas en face d'un texte absolument original. En substance, cette consécration se trouve à peu près entièrement chez le P. Croiset d'abord, puis chez le P. de Gallifet, sous le titre, chez ce dernier, Oraison ou Exercice qui contient le culte propre de la sainte Vierge comme Mère de Dieu.

Un détail est à noter. Tandis qu'à l'origine, il s'agit d'un hommage rendu spécialement à la maternité divine, inspiré par le respect et aboutissant à une consécration à titre d'esclave, à Bordeaux l'hommage s'est élargi pour embrasser tous les privilèges et toutes les grandeurs que la foi chrétienne reconnaît en Marie ; sa virginale pureté et son Immaculée Conception ont été particulièrement mises en relief ; l'ensemble s'est empreint d'une tendresse filiale très accentuée et l'oraison s'achève en une offrande en qualité d'enfant. L'exercice qui contenait le culte propre de la sainte Vierge comme Mère de Dieu est devenu un exercice qui contient le culte propre de

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la Sainte Vierge comme Mère de la jeunesse. Si nous ne pouvons affirmer que Noël Lacroix eut l'initiative de cette transformation, - elle peut n'être le fait d'un de ses prédécesseurs, - avouons qu'aucun autre acte de consécration mariale ne s'harmonise mieux avec ce que-nous savons du pieux bénéficier et de son œuvre.

Le biographe de M. Lacroix ne signale pas explicitement l'aide que le jeune directeur trouvait dans ses confrères de l'Aa, on l'imagine sans peine : maintenir l'ordre, - on disait : veiller à la modestie, - donner l'exemple de la piété et du recueillement, organiser les jeux et y mettre de l'entrain, contribuer aux retraites, tout était dans les meilleures traditions des Amis.

* * *

C'était une autre pratique de l'assemblée bordelaise de former, sur le plan de l'Aa, une compagnie de philosophes. On l'a gardée et nous la retrouvons avec M. Alary et avec M. Lacroix. Deux confrères s'occupent spécialement, font chaque semaine une méditation avec eux et les accompagnent en promenade, tandis que d'autres les réunissent pour des conférences de saine philosophie. Le témoignage qu'a recueilli le biographe de M. Rauzan ne fait que préciser heureusement ce que nous lisons dans les lettres de l'Aa. Il y avait au collège, rapporte le P. Delaporte sous la dictée de l'abbé Magnes, à peu près une centaine d'élèves de philosophie, tous externes et portant la soutane pour la plupart. Beaucoup, parmi eux, menaient une vie fort légère : c'était l'effet des mauvais principes dont les infectait la philosophie du temps. Des hommes probablement poussés par le parti philosophique, travaillaient à attirer à eux ces jeunes gens et à corrompre leur esprit. M. Lacroix faisait tous ses efforts pour s'opposer à ces funestes influences. Il accueillait, il appelait chez lui ces étudiants, surtout ceux qui se destinaient à l'état ecclésiastique et, deux fois par semaine il leur faisait dans l'église de Sainte-Colombe une instruction de piété. Il était secondé par un jeune prêtre qui jouissait d'une grande réputation de savoir et de vertu. C'était l'abbé Rauzan, alors sans fonctions et vivant au milieu de sa famille qui habitait la paroisse Sainte- Colombe.

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« Tandis que M. Lacroix cultivait le cœur de ces jeunes gens. M. Rauzan songeait à les prémunir contre les erreurs qui faisaient tous les jours des progrès effrayants. Il les réunissait plusieurs fois la semaine chez Monsieur son Père, dans une grande chambre, rue Neuve, et leur faisait un cours de philosophie, dans lequel il réfutait, avec force et talent, Voltaire, Rousseau, Diderot. Ces jeunes gens assistaient tous les jours à la messe, et, le dimanche aux offices, dans l'église Sainte-Colombe, sous la surveillance de MM. Lacroix et Rauzan. Leur règlement portait en substance entendre la messe tous les jours, communier tous les mois, ne jamais lire de comédie - (en ce temps là, tout le monde en lisait) - ni les ouvrages de la philosophie contraire à la religion ».

La méthode donna toute satisfaction aux confrères. A plusieurs reprises, ils signalent que la petite. compagnie des logiciens et de physiciens « est assez nombreuse et assez fervente » et qu'elle leur « prépare des sujets propres à être reçus dans l'Aa dès qu'ils seront en théologie ». Il y a 17 membres en 1777, 16 en 1779, 13 en 1791.

Comme leurs devanciers, les aaistes d'alors essayèrent d'organiser des groupements similaires parmi les élèves plus jeunes. La lettre écrite à Toulouse durant les vacances de 1777 mentionne que deux confrères assemblent les élèves de seconde et les rhétoriciens trois fois par semaine.. Ils leur font une lecture de piété et leur font réciter les 3 Pater et les 12 Ave Maria de la petite Couronne. De quinze en quinze jours, ils leur adressent en outre quelques paroles d'édification.

Malheureusement, il fallut très vite renoncer à ces réunions restreintes : c'était pour les membres admis une occasion de découvrir, ou de soupçonner au moins, la compagnie de philosophie, et même l'Aa. Mieux valait couper les branches que de risquer la ruine de l'arbre. On se.borna dès lors à entraîner les écoliers aux visites du Saint-Sacrement et à quelques missions.

La congrégation de Sainte-Colombe dura jusqu'à la Révolution. Des centaines, des milliers de jeunes gens y subirent l'influence de M. Lacroix et s'y formèrent à un vrai christianisme, à une profonde et solide dévotion à l'égard de la Mère de Dieu. « Bordeaux, a écrit le chanoine Gaussens, vit avec admiration ce que Paris avait vu un

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siècle auparavant. Sainte-Colombe, c'était Saint-Lazare. Noël Lacroix, c'était Vincent de Paul. Il semble que ce sage instituteur eût déjà entendu comme un bruit lointain d'armes, comme une vague annonce des prochains combats et il préparait à l'Eglise de robustes et puissants athlètes ».

Noël Lacroix devra s'expatrier en 1792. Le vandalisme révolutionnaire rasera l'église Sainte-Colombe. Mais la flamme allumée ne s'éteindra point et, au début du XIXème siècle, elle jettera de nouveau toute sa clarté dans la congrégation de M. Chaminade .

* * *

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III

LES ARTISANS

Quand leurs réunions furent devenues impossibles dans les établissements jésuites, les artisans, petits et grands, furent sans doute pris au dépourvu, mais ils avaient trop apprécié les avantages de leurs associations pour ne pas chercher à les reconstituer dès que possible. En 1765, c'était fait : deux nouvelles congrégations étaient à même de reprendre le travail interrompu par la suppression de la Compagnie de Jésus.

* * *

La première avait son siège dans le couvent des Petits Carmes, aux Chartrons. Son acte de naissance se lit encore aujourd'hui, aux archives départementales de la Gironde, dans un registre où le secrétaire du chapitre a écrit, sous la date du 13 février 1765 : « On a proposé d'ériger dans le couvent une congrégation d'hommes, semblable à celle que nous avons à Marseille et dans plusieurs autres couvents de notre congrégation et avec les mêmes statuts, pour le bien spirituel des habitants de ce faubourg et conformément à la permission qu'en a donnée N.S.P. le Pape, M. l'Archevêque et notre Révérend Père général.

La communauté a accepté le tout par acclamation et avec tous les suffrages, et nommé pour la direction de cette congrégation le R.P. Hyacinthe de la Sainte Vierge.

« La fête principale est l'Annonciation de la Sainte Vierge, avec exposition du Saint-Sacrement ».

Durant quatre ans, les confrères tinrent leurs réunions et célébrèrent leurs offices « dans une des chapelles intérieures dudit couvent ». Mais, en 1769, le nombre de congréganistes ayant augmenté considérablement, l'association sollicita un local plus

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vaste. La communauté, « déférant à leurs pieuses intentions », leur assigne une salle située au-dessus d'un chais que longeait la rue Sainte-Thérèse.

C'était une pièce de 44 pieds de long sur 24 de large, assez haute de plafond pour qu'on pût en augmenter la capacité au moyen d'une tribune. Prenant jour sur la rue d'un côté, elle s'adossait de l'autre à la chapelle principale du couvent et on y accédait par le couloir intérieur qui desservait la sacristie des Pères.

Avant l'aménagement, un acte notarié fixa les conditions de la jouissance et de l'occupation. En l'étude de M. Fatin, le 19 février, les sieurs Andrieux, préfet, Guillaume Arnaud, assistant, Gabriel Richet, secrétaire, Thomas Bouilh, aîné, syndic, Jean Derives, substitut du secrétaire, Etienne Lamarque préfet d'approbation, Jacques Dutilh, ancien préfet, rencontrèrent donc le Révérend Père Joachin de la Vierge, syndic des Petits Carmes. Les préliminaires accomplis, le tabellion écrivit : « Désirant, tant ladite communauté représentée par le Révérend Père Joachin de la Vierge, syndic d'icelle, à ce présent et consentant, que lesdits préfet, assistant, secrétaire et trésorier de ladite congrégation, éviter qu'à l'avenir les congréganistes prétendent ou imaginent avoir quelque droit sur ledit local, lesdits préfet, assistant, secrétaire et trésorier reconnaissent, tant pour eux que pour leurs autres congréganistes, qu'eux ni leurs successeurs n'ont et n'auront nul droit de propriété ni de jouissance quelconque sur ledit local ou chapelle, n'ayant contribué en rien à la construction dudit bâtiment, qu'au contraire il appartient aux Révérends Pères Carmes, comme dépendant et faisant partie dudit Couvent des Chartrons, qui ne leur a accordé ledit local que par une grâce spéciale et moyennant la rétribution de cent livres pour chacune des cinq premières années à compter du premier janvier mil sept cent soixante neuf, savoir pour la défense de la cire, des chaises et autres dépenses de cette espèce, et tout autant que ladite congrégation aura lieu de l'agrément de ladite communauté, qui, en tout temps, sera maîtresse d'augmenter ledit prix ou de reprendre à son usage ledit local, sans aucune forme ou figure de procès, auquel cas, lesdits congréganistes pourront uniquement retirer les décorations qu'ils auront fait faire à ladite chapelle et les ornements, s'il y en avait lors appartenant à ladite congrégation, lesdits Révérends Pères Carmes ne voulant point entrer

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dans les dépenses qui sont à faire pour la décoration : car ainsi le tout a été convenu et arrêté entre lesdites parties, pour l'exécution de quoi lesdits préfet, assistant, secrétaire et trésorier se soumettent aux rigueurs du droit ».

Rédigé dans le plus pur jargon de la chicane cette page sera reproduite dans le contrat de neuf ans que, le 17 juillet 1776, les sieurs Gilles Guilhem, préfet, Jean Bouilh, jeune, premier assistant, Pavie, second assistant, Dutilh, secrétaire, Derive, trésorier, Moreau, substitut, du secrétaire, signeront avec le Père Etienne de Saint Louis, prêtre, religieux, syndic du couvent. A cette date, la rétribution due annuellement sera de 150 livres. En vertu d'une clause nouvelle, lesdits préfet, assistant, secrétaire et trésorier pourront placer des bancs au devant de la chapelle sainte Thérèse les jours de leurs fêtes et le quatrième dimanche de chaque mois, reconnaissant n'avoir ni ne pouvoir prétendre droit de bancs ni dans l'église, ni dans les chapelles sous ce prétexte et à raison de ladite permission, qui ne leur a été accordée et qu'ils ne regardent que comme un effet de la bonté de ladite communauté, à qui il sera loisible de les priver de cette faveur quand bon lui semblera, pendant le cours desdites neuf années.

Dans son chapitre du 23 mars 1776, la communauté avait aussi accepté d'accorder « le droit de sépulture de congréganistes, dans les deux courroies de saint Joseph et de sainte Thérèse », mais, « à eux seulement et à ceux qui viendraient après eux, non à leurs parents, pour la somme de mille livres ». Quelque empêchement apparut-il dans la suite ? Les confrères trouvèrent-ils le prix trop élevé ? Cette disposition ne figura pas dans le bail signé quatre mois plus tard.

A partir de ce moment, l'histoire de la chapelle nous échappe presque autant que celle de la congrégation elle-même, dont aucun document connu à ce jour ne permet de retracer la vie et l'activité. Tout ce que nous savons, c'est que « l'an sixième de la République française, le 8 du mois de germinal », lorsqu'il voulut procéder à l'estimation du bâtiment, pour l'administration centrale du département, l'architecte commis, Jacques Roux, ne trouva qu'une grande salle « boisée à hauteur d'appui et plafonnée », avec « une tribune d'environ dix pieds de long et un escalier en bois à côté pour

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y monter, le dessous formant un petit cabinet ». Vendue et revendue avec le chai qui était en dessous, finalement adjugée à un capitaine de navire, Jean-Baptiste Darrignand, le 28 messidor an 8, « après le neuvième feu, pour 150 000 francs », l'humble chapelle tombera sous la pioche des démolisseurs, lors de l'aménagements de l'actuelle rue Sicard.

* * *

Grâce à des documents plus nombreux, l'œuvre qui assura la survie de la congrégation des jeunes artisans nous est mieux connue.

Lorsque les Jésuites eurent été expulsés par le Parlement, nous apprend l'abbé Bertrand qui semble s'appuyer sur des textes, « la confrérie se vit obligée de suspendre ses exercices (1764), Mais Mgr de Lussan zélé pour la gloire de Dieu et le culte de la Sainte Vierge, ne voulut pas qu'un établissement si avantageux à la Religion cessât d'exister ». Ayant obtenu l'agrément des PP. Capucins, il érige la congrégation dans leur chapelle par un mandement de juillet 1765.

Comme l'atteste un arrêt rendu en 1776 par le Parlement de Bordeaux, la sodalité érigée antérieurement au noviciat jésuite avait fusionné avec sa sœur chassée du collège. Les confrères étaient nombreux. A l'expérience, les exercices congréganistes se révélèrent peu en harmonie avec le service général de l'église des religieux. Il fallut songer à une autre solution. Pourquoi les congréganistes ne se bâtiraient-ils pas une chapelle séparée, sur le terrain même des Capucins, qui, ne fournissant plus qu'un directeur, recouvreraient toute leur liberté de mouvement dans leur église ?

On se mit d'accord. Ces artisans étaient en fait, de petits bourgeois bien à l'aise ; la dépense ne constituait pas un obstacle. L'archevêque donnait toute permission. Le 12 mai 1769, en l'étude de M. Laville, notaire royal, un traité fut signé entre « Messire Christophe Caila, écuyer, secrétaire du roi, maison couronne de France, conseiller en la chancellerie près de la Cour des Aydes de Guyenne, agissant en qualité de Père spirituel des RR. PP. religieux Capucins de la ville, . . . assisté du R. P. Pavin, gardien dudit couvent, d'une part, et Pierre Lurteau, préfet, Laurent Capdefer, assistant, Pierre Baudoin, trésorier, Jean Lurteau, secrétaire,

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Barthélemy Barade, Pierre Detan, Pierre Lasserre, Antoine Parade et Jean Heubert, tous confrères de la congrégation des Artisans de la ville, instituée et desservie dans l'église dedits RR. PP. Capucins, faisant tant pour eux que pour tous les autres confrères de la congrégation, d'autre part ».

Le préambule rappelle l'agrément donné primitivement par les Capucins, l'augmentation des effectifs congréganistes, les inconvénients éprouvés par les religieux et les doléances de ceux-ci. De leur côté, « lesdits confrères de ladite congrégation reconnaissant réellement que leurs exercices et offices dérangent et interrompent ceux desdits RR. PP. Capucins par la grande augmentation des confrères en ladite congrégation, vu surtout le peu d'étendue de leur église, la congrégation désirant avec ardeur se maintenir toujours sous la direction des RR. PP, Capucins ; lesdits congréganistes les auraient souvent très instamment priés, comme ils les prient et sollicitent par les présentes, vouloir leur permettre de faire bâtir, à leurs frais et dépends, une chapelle dans leur petit jardin et à tel endroit qu'ils jugeront à propos, afin d'y pouvoir faire leurs exercices et offices, ce qui serait le seul vrai moyen de ne pas interrompre lesdits RR. PP. Capucins en aucune manière, offrant d'ailleurs lesdits congréganistes de faire bâtir ladite chapelle en la grandeur et forme que les RR, PP. Capucins commis à cet effet estimeront convenir, et généralement sous les autres conditions qu'il leur plaira d'imposer à ladite congrégation ».

Quatre conditions sont mises à la construction :

1° le fond sur lequel sera assise ladite chapelle sera et appartiendra toujours en toute propriété auxdits RR. PP. Capucins.

2° ladite chapelle sera bâtie à tel endroit dudit petit jardin qu'il plaira aux RR. PP. Capucins indiquer, et de la grandeur et forme que ceux-ci estimeront convenir.

3° si lesdits congréganistes, d'eux-mêmes ou par induction ou autorité du dehors, venaient à se soustraire à la direction des RR. PP. Capucins, en ce cas : ladite chapelle demeurera en toute propriété auxdits RR. PP. Capucins, quant aux matériaux seulement, suivant la loi que l'accessoire suit le principal, le bâtiment le sol, sans que MM.

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les congréganistes puissent dans ce cas en user malgré lesdits RR. PP. Capucins ou ceux-ci être contraints à le remettre.

4° si lesdits RR. PP. Capucins venaient d'eux-mêmes à vouloir se décharger de cette direction - ce qui leur sera loisible de faire - comme trop onéreuse ou pour autres raisons, ou si l'autorité leur en ôtait absolument la direction, la congrégation sera libre, si mieux elle n'aime leur abandonner ladite chapelle, de la démolir et de disposer à son gré des matériaux, sans nul droit de s'y faire diriger par d'autres, le local demeurant toujours, comme il a été dit ci-dessus auxdits RR. PP. Capucins, la liberté néanmoins qu'ils n'auront pas si la direction desdits RR. PP Capucins n'était interrompue que faute de pouvoir, c'est-à-dire par interdit des Pères à ce destinés ou de la communauté, qui pourrait durer ou ne pas durer au bon plaisir de l'Ordinaire ; dans ce cas la congrégation sera tenue de chômer, sans être en droit de ladite démolition, a moins que ce ne fût de l'autorité immédiate du Roy ».

Avec un tel contrat en main, les intéressés pensaient bien avoir prévenu toutes les difficultés. C'était oublier que, conformément aux règles de leur Ordre, les RR. PP. Capucins n'étaient pas propriétaires de l'enclos que la ville avait mis à leur disposition. C'était compter sans la Jurade. Celle-ci s'émut et intervint pour rappeler les contractants aux réalités du droit.

L'usurpation était patente. Les Capucins se hâtèrent de plaider coupables en invoquant les circonstances atténuantes et en faisant appel au bon cœur des magistrats.

« Les Pères Capucins disaient leur supplique transcrite sur le registre sur la Jurade, reconnaissent qu'ils ont eu trop d'empressement de satisfaire le désir de Mgr l'Archevêque et le zèle des artisans. Redevables à Messieurs les magistrats de Bordeaux, de leur établissement, ils devaient au préalable leur en avoir demandé et obtenu leur consentement, mais l'empressement des artisans d'un côté et le désir qu'a témoigné Mgr l'Archevêque de l'autre, ont été les seules causes du manquement qu'ils ont commis envers Messieurs les Magistrats. Ils osent espérer de votre bonté et de la protection dont vous les honorez que vous voudrez l'oublier et autoriser le contrat qui a été passé, pour consentir à la bâtisse de ladite chapelle… Tous nos

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religieux ne cesseront de continuer leurs vœux et leurs prières pour le bonheur de la ville et la prospérité de chacun des Messieurs les Magistrats ».

Les artisans, eux, passaient totalement le faux-pas sous silence, se bornant à dire : « Ayant obtenu, pour le spirituel, des grâces de Mgr l'Archevêque et, du consentement des RR. PP. leur installation dans le local et à l'intérieur de leur communauté et maison où ils sont à même d'édifier, les confrères de la congrégation des Artisans auraient à se reprocher, Messieurs, vous reconnaissant les fondateurs de ce couvent et communauté, si, pour le temporel, ils n'imploraient très humblement et avec respect, l'honneur et la grâce de votre suffrage et agrément pour le maintien et le soutien de leur institution à la postérité chez ces Pères. C'est la grâce, qu'ils attendent, Messieurs, de vos bienfaits ordinaires, et ferez justice ».

Dans l'entre-temps, le Père gardien qui avait outrepassé ses droits avait cédé la place à un autre, sans qu'on puisse dire s'il y eut relation de cause à effet. Dans sa réponse, la Jurade réaffirma catégoriquement ses prérogatives : « Requérons, disait l'acte du 4 juin, qu'il soit fait inhibitions et défenses aux Capucins de la présente ville de consentir ni souscrire aucun acte publique ni sous seing privé relativement à la propriété ou à l'usage des terrains ou bâtiments faisant partie de ladite fondation avec des tierces personnes étrangères à leur communauté, sous quelque prétexte que ce soit, que par la permission et du consentement des magistrats ». Puis, la leçon du tuteur administrée à ses pupilles, se radoucissant, l'autorité municipale continuait : « Néanmoins, attendu les marques de soumission et de respect contenues en la requête des suppliants, n'empêchons qu'en usant d'indulgence, le contrat du 12 mai 1769 passé entre les Capucins et les confrères de la congrégation des Artisans soit autorisé et confirmé par la magistrature, pour être exécuté, selon sa forme et sa teneur aux conditions y contenues, et à la charge au surplus, et non autrement, que les armes de la ville seront apposées, aux frais des confrères de la congrégation des Artisans, tant au dehors qu'au dedans de ladite chapelle de la congrégation, et qu'au surplus le plan de ladite chapelle sera arrêté et approuvé ne varietur ».

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L'entreprise, cette fois, ne rencontra plus d'obstacles. Le bâtiment fut construit. Il subsiste aujourd'hui, désaffecté et abritant un atelier de menuiserie. On n'avait cherché aucun effet artistique. Adossé au mur d'enceinte, à égale distance à peu près de l'actuelle rue Marbotin et du couvent des religieux, c'était une grande salle, de mêmes dimensions approximativement, que celle de la congrégation des Chartrons, 14 mètres de long, six de large et 6 de haut. Quatre baies cintrées de deux mètres cinquante de haut sur un de large assuraient l'éclairage de chaque côté. Au fond, derrière l'autel, une cloison fermait une petite sacristie. C'était simple, décent et suffisant pour les besoins de l'association.

La Jurade ne s'était pas bornée à autoriser la construction. Lorsque celle-ci avait été achevée, « n'ayant pas la faculté d'orner la chapelle » les préfets et les assistants avaient « supplié Messieurs les Maire et Jurats de bien vouloir leur donner l'autel de la chapelle domestique de la maison du noviciat jésuite, pour servir à leur chapelle dont la ville était, à double titre, la fondatrice. Sur quoi, ayant considéré que si cet autel venait à être démonté, il deviendrait pour la ville d'une très petite conséquence, les Jurats délibérèrent qu'il serait donné pour la chapelle de la congrégation, à condition que les confrères feraient dire une messe basse à perpétuité, chaque année, le premier dimanche du mois de mai, pour la ville et Messieurs les Jurats en particuliers ». Par la bouche de son préfet, Antoine Barade, flanqué de ses deux assistants, Michel Duchon et P. Bernard, la congrégation était allée remercier, donner son agrément à la condition et prendre livraison de l'autel. A partir de cette date, le premier dimanche du mois de mai, était devenu, chaque année, un événement pour la confrérie et même pour la ville de Bordeaux.

Rien de plus significatif à ce sujet que le récit qui, d'année en année, est reproduit, sans grandes variantes, dans le registre de la Jurade. Quelques jours avant le dimanche fixé, le préfet de la congrégation, ses assistants et plusieurs officiers se rendent en Jurade, après avoir sollicité une audience. Solennellement introduits, ils redisent les sentiments des congréganistes, rappellent leur engagement, expriment le désir de changer la messe basse en une messe « haute » et de voir les magistrats honorer la cérémonie de leur présence. L'invitation est acceptée. Le dimanche arrivé, vers les

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dix heures, revêtus de leur robe rouge, précédés d'un officier, d'un détachement considérable du guet à pied en armes, des trompettes en casaque, des sergents de police, d'huissiers, hérauts d'armes, fourriers et massiers, tous en robe et habit de cérémonie, tandis que la grosse cloche avertit tous les habitants, les Jurats quittent l’Hôtel de ville. Le cortège s'engage dans les Fossés Saint-Eloi. Par la rue Leyteire, il gagne celle des Petites Carmélites et la rue Parmentade, traverse la place du Maucaillou, emprunte la rue Saumenude et par la rue Marbotin arrive à la porte du couvent. Toute la communauté des Capucins attend. Le Gardien accueille les Magistrats, puis, renforcé des moines, le cortège est conduit jusqu'à l'entrée de la cour sur laquelle s'élève la chapelle. Il s'avance alors entre une double haie de congréganistes, « au bruit d'une décharge de plusieurs pièces d'artillerie dressées dans la cour ». A l'entrée de la chapelle, entouré du diacre, du sous-diacre et des principaux officiers de la congrégation, le religieux qui doit célébrer la messe, le directeur généralement, offre l’eau bénite, complimente et entonne le Te Deum. On entre au son des versets triomphants, les officiants gagnant le sanctuaire et les Jurats les fauteuils disposés tout près de la table de communion, du côte de l'Évangile, derrière des prie-Dieu couverts de tapis aux armes de la ville. La messe déroule alors sa liturgie la plus solennelle. A l'Epître, le préfet se présente devant les magistrats et leur offre des fleurs dans un bassin couvert d'une écharpe ; un autre congréganiste en offre « en moindre quantité, à l'officier du guet, au massier, au fourrier, au héraut d'armes et aux autres personnes du cortège ». Après les fleurs, c'est l'encens avec tout le cérémonial alors en usage, puis l'offrande au cours de laquelle chaque membre de la Jurade va déposer à la balustrade, trois livres qu'un huissier de la ville est venu leur présenter quelque instants auparavant. Comme ils doivent être fiers alors, les artisans des Capucins, de prier avec Monsieur le Maire, avec Monsieur l'Adjoint de Maire, avec Messieurs les Jurats ! Comme ils doivent se féliciter d'avoir de tels protecteurs ! Comme ils ont été bien inspirés en demandant l'autel devenu inutile dans un noviciat désaffecté !

La messe est achevée : le saint Sacrement a été exposé, les chants de la Bénédiction remplissent la chapelle. Quand le prêtre élève l'ostensoir, une nouvelle « décharge d'artillerie » ébranle l'air

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aux alentours. Une autre la suit à quelques minutes d'intervalle, signifiant que l'office est terminé, que les magistrats sortent de la chapelle et que le cortège va se former pour les reconduire derrière la tour de la Grosse Cloche aussi cérémonieusement qu'ils sont venus.

Pendant près de vingt ans, chaque premier dimanche de mai, l'humble chapelle vit se renouveler le même spectacle, qui ne fut pas sans doute étranger à l'influence que la congrégation put exercer sur la vie bordelaise. Quand, sous la Terreur, d'autres spectacles retenaient l'attention et les regards sur la Place de la Nation, plus d'un congréganiste dut évoquer le passé avec nostalgie.

* * *

Quand la congrégation passa de la direction des Jésuites à celle des Capucins, il fallut réviser les statuts. Il est probable qu'on se borna à des changements très minimes, aux seuls qu'on ne pouvait éviter. Nous possédons l'édition de 1786 : c'est bien la congrégation traditionnelle que nous y retrouvons.

Il est vrai qu'au premier abord, on est surpris de constater la place qu'y tient la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus. Les Litanies du Sacré-Cœur se chantent tous les premiers dimanches du moi. Le jour de la fête du Sacré-Cœur, fixée au troisième dimanche après la Pentecôte, les congréganistes sont invités à communier. Ce jour-là, en outre, ils récitent l'office à neuf leçons et, avant la bénédiction, l'amende honorable au Sacré-Cœur. Le livret des Statuts contient, au surplus, un acte de consécration au Sacré-Cœur de Jésus et la page finale porte une vignette du Sacré-Cœur avec ces vers :

O Sacré-Cœur de Jésus,

Soyez la vie de notre vie.

Contribuons à sa victoire !

Il doit triompher de nos cœurs.

C'est notre amour, c'est notre gloire :

Soyons donc ses adorateurs !

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Il semble même que le sceau de l'association ait représenté le Sacré-Cœur. Dans tous ces détails, il est impossible de ne pas voir une intention très nette et une insistance marquée.

Pourtant, un instant de réflexion suffit pour se rendre compte que cette dévotion n'est pas née au moment du transfert de la congrégation dans l'enclos des Capucins : c'est un legs de la Compagnie, qui en fut l'ardente propagatrice, et un trait particulier que la sodalité dut prendre au cours du XVIIIème siècle. Bel exemple de la souplesse des congrégations ouvertes à toutes les dévotions solides ! Bel exemple aussi de l'harmonie naturelle qui unit le culte de la Mère à celui du Fils !

En entrant dans cette voie, la congrégation de l'Immaculée Conception n'avait rien sacrifié de ses traditions.

L'autorité y appartient à un directeur - un Père Capucin - et à un bureau formé d'un préfet, deux assistants, un doyen, douze conseillers, un secrétaire, un trésorier des pauvres et un trésorier de la chapelle. Un préfet de probation préside à la formation des recrues. Un sacristain et trois aides assurent l'entretien et l'ornementation de la chapelle. Un détail laisse supposer une grande stabilité parmi les membres : il faut être congréganiste depuis 6 ans pour avoir accès à la charge de second assistant, depuis huit ans pour être élu premier assistant, et depuis dix ans pour devenir préfet.

Innovation sans doute : un sindic doit traiter les affaires de la congrégation avec les magistrats et avec l'archevêque.

Ceux qui désirent être reçus congréganistes doivent adresser au Bureau une demande écrite et « mettre dans leur requête qu'ils sont résolus :

1° d'être assidus aux offices, exhortations et prédications qui s'y font tous les dimanches et fêtes.

2° de fréquenter souvent les sacrements.

3° de veiller et assister les pauvres malades et accompagner le très saint Sacrement, quand on le leur porte.

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4° d'assister aux enterrements et offices qui se font pour les défunts.

5° de contribuer aux frais et à l'entretien de la chapelle.

On ne reçoit jamais « aucun confrère de congrégations établies en ville ou dans les faubourgs, sans de fortes raisons approuvées et signées par les chefs desdites congrégations ».

Une disposition spéciale, qui fait penser à un lien de parenté aux temps des Jésuites, règle qu'il n'y aura jamais « aucune communication ni union d'affaires temporelles entre la présente congrégation et celle qui est établie dans le couvent des Révérends Pères Carmes des Chartrons, ces deux corps ayant une existence entièrement distincte et séparée ». Par là, les confrères voulaient sans doute ménager des susceptibilités et prévenir tout conflit.

L'offrande à faire le jour de la réception est de 18 livres et la contribution annuelle de chacun aux frais commun est fixée à 3 livres, sommes qui seraient énormes si l'on avait affaire à de simples ouvriers et non à des Messieurs.

L'acte de consécration prononcé lors de l'admission canonique est celui-là même que François Coster a indiqué dans son Libellus Sodalitatis, en 1576, et que l'on. appelle aujourd'hui acte de saint Jean Berchmans. Il contient lui aussi, l'addition que le mystère de l'Immaculée Conception avait inspirée, en 1681, aux écoliers.

Chaque dimanche et chaque fête, on s'assemble à 6 heures « depuis Pâques jusqu'à Notre-Dame de Septembre », à six heures et demie depuis la Toussaint jusqu'à Pâques. Dans ces réunions, on récite l'office de la Vierge, on entend une exhortation du directeur, on assiste à la messe. Chaque mois, on tire des sentences pieuses destinées à fournir une matière de travail spirituel aux confrères. Du 9 septembre au dimanche qui précède la saint Martin, comme depuis le lundi des Rameaux jusqu'au Dimanche de Quasimodo, tous les exercices sont suspendus, pour donner toute liberté aux associés, dans l'accomplissement de leurs devoirs paroissiaux.

De leur côté, les membres du Bureau se réunissent le troisième dimanche de chaque mois.

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Les solennités étaient rares. A la demande des Capucins, Mgr de Lussent avait expressément exclu, dans son mandement d'érection, la solennité des fêtes de la Conception, de la Purification et de la Nativité, « parce que ces trois fêtes se célébraient de tout temps avec solennité », dans l'église du couvent. En 1776, sans avertir le Gardien, - ni leur directeur, sans doute, - les congréganistes obtinrent des vicaires généraux la permission de solenniser ces fêtes dans leur chapelle et de faire trois jours de retraite à l'occasion de la Pentecôte. L'intention était louable, mais c'était imposer de nouvelles charges aux religieux qui ne manquèrent pas de présenter leur observations.

Le 27 novembre 1777, « assemblés en congrégation », Jean de Cadillac, gardien, Prosper de Marmande, vice gardien, Léon de Montech, Prosper de Marmande, directeur de la congrégation, Christophe de Bordeaux, Cajétan de Marmande, et Raphaël de Marmande rédigèrent une supplique. « Contre leur intention », le dernier mandement leur devient « onéreux et pénible et même nuisible, par des circonstances particulières, au bien des fidèles ». « Par le malheur des temps, la communauté…. est réduite à onze prêtres anciens, parmi lesquels il y en a trois qui ne confessent pas, trois autres infirmes et vieux, hors service ; les cinq autres qui restent peuvent à peine suffire au ministère en ville et en campagne ». Dans ces conditions, disaient les requérants, la célébration de ces trois fêtes, que nous faisons dans notre église, ne nous permet pas de nous partager entre le service de la chapelle des Artisans et celui de notre église, le nombre des confesseurs, toujours plus rétréci par les fêtes, par les prédications qu'on nous demande en dehors, étant beaucoup inférieur au concours des fidèles qui réclament notre ministère.

« La retraite de la Pentecôte, continuaient-ils, ne nous est pas moins onéreuse, .ou plutôt impossible, puisque dans le temps, de même que dans celui des fêtes annuelles, nous sommes, malgré notre petit nombre, le plus occupés par le ministère : au-dehors, pour remplir nos engagements avec plusieurs paroisses de la campagne, et au-dedans, pour servir celles de la ville ».

Ils demandaient en conséquence de pouvoir s'en tenir au mandement de Mgr de Lussan et ils terminaient en ces termes : « Nous vous en supplions encore, dans l'intérêt de la congrégation,

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de ne pas leur permettre d'innover, d'ajouter, de leur propre autorité, à son régime de même qu'aux exercices publics de piété qu'ils ont observés de tout temps et qui sont en tout suffisants et relatifs à leur état, et ordonner de suivre régulièrement les uns et les autres. Et nous continuerons à les instruire et à les conduire dans les voies de Dieu avec Messieurs les Pasteurs et sous votre autorité ; comme nous l'avons fait dans tous les temps. Et les suppliants ne cesseront de faire des vœux au ciel pour votre conservation ».

Aucun document ne nous fait connaître l'issu de ce petit conflit, mais il ne sera pas intérêt, de reproduire ici l’horaire quotidien de la retraite demandée par les confrères :

« 5h. - Veni Créator. la prière du matin et un cantique.

5.1/2 - Première messe.

6. - Office de la sainte Vierge jusqu'à Tierce.

7. - Première méditation.

8.- Deuxième messe.

8. 1/2 - Tierce, Sexte, None, et un cantique.

9. - Lecture spirituelle.

9.1/2 - Deuxième méditation.

10.1/2 - Litanies de la sainte Vierge et un cantique.

1.1/2 - Le chapelet et les cantiques.

2. - La considération.

3. - Vêpres et Complies.

3.1/2 - Litanies de la sainte Vierge et un cantique.

4. - Lecture spirituelle.

4.1/2 - Méditation.

5. - Bénédiction du Très Saint Sacrement.

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On se levait tôt et on aimait les viandes fortes, les nourritures épicées, aux siècles passés.

* * *

On se souciait aussi des indulgences plus que de nos jours. Nos pieux confrères s'adressèrent plusieurs fois à Rome pour en obtenir, et deux greffes nous ont été conservés dans leur traduction française.

Le premier, du 6 janvier 1771, émane de Clément XIV. Il n'accordait aux congréganistes qu'une seule indulgence plénière, aux conditions ordinaires, une fois par mois, avec faculté d'application aux âmes du purgatoire. Le 5 février de la même année, le cardinal de Rohan, en visant le document pontifical, décida que l'indulgence serait gagnée le premier dimanche de chaque mois.

La concession de Clément XIV était faite pour sept ans. Une autre dut lui faire suite, valable pour cinq ans : il n'en reste aucune trace, à notre connaissance, si ce n'est l'intervalle de cinq ans, qui s'étend entre l'expiration du premier bref et la réception d'un autre, de Pie VI, en 1783.

Celui-ci comblait tous les vœux de la congrégation : il rappelait son passé sous la direction des Jésuites, son transfert au couvent des Capucins, et lui accordait, à perpétuité, toutes les indulgences et toutes les faveurs que conférait anciennement l'affiliation à la Prima primaria du Collège romain. Donné à Rome le 13 mai, le bref fut promulgué à Bordeaux, par Mgr Champion de Cicé, le 4 juin.

* * *

Très peu d'autres documents nous renseignent sur l'association. Le 15 mars 1776, sur une requête des confrères, le Parlement donne mainlevée aux suppliants d’une petite croix, d'un encensoir avec sa navette, d'une petite « réserve » en argent comme les pièces précédentes, d'un devant d'autel, de deux petits reliquaires et d'une niche de bois doré. Le tout provenant sans doute de la congrégation érigée au noviciat jésuite avait été déposé des mains des religieux bénédictins, qui, la remise faite, en demeurèrent « valablement déchargés ». Le 18 septembre 1782, Mgr Chapion de Cicé autorise

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les mêmes confrères à « vendre une croix, une custode, des burettes avec leur plateau ou cuvette, le tout d'argent ». Ils « ont tous ces effets doubles pour le service de la chapelle qui leur est affectée » et ils désirent appliquer le produit de la vente à la liquidation d'une dette de huit cents livres, dont « ils paient l'intérêt ».

Un témoignage de bonne conduite, du 13 août 1787, nous fait connaître le nom du dernier directeur de la congrégation, le P. Mathieu, et celui d'un congréganiste de cette époque, Jean Triat, « habitant du Chartron, paroisse de Saint-Remy » : « il édifia la société autant par la fréquentation des sacrements que par son assiduité aux saints exercices : qui s'y font ».

Une pièce de 1776 mérite aussi de retenir l'attention. C'est une attestation de fidélité aux règles de l'association. Le contexte laisse entendre qu'on délivrait ce témoignage, chaque année, aux membres qui en étaient dignes. Il nous apprend aussi que la consécration à Marie était précédée de la rénovation des vœux du baptême. Enfin, grâce aux signatures, un conseil de plus, un bureau, peut prendre place dans la petite histoire ; il était formé du P. François Honoré de Périgueux, capucin et aumônier, André Pichon, préfet, L. Piverger, premier assistant, Jacques Dador, second assistant, Pailloy, secrétaire, Jean de Larue, substitut, Lapérère, syndic, et Ordonno, doyen.

* * *

Le dimanche, 3 mai 1789, les Jurats, réunis à l'Hôtel de ville, se préparaient à se rendre officiellement, comme chaque année, à la chapelle de la congrégation, quand « des affaires extraordinaires » bouleversèrent le programme. Le détachement du guet rentra au quartier et une estafette alla prévenir les confrères, auxquels elle remit douze livres comme offrande de la Jurade. La Révolution s'annonçait.

Un an plus tard pourtant, la congrégation accueillit un cortège comme elle n'en avait jamais reçu. Le corps municipal successeur de la Jurade venait à elle. Derrière le détachement du guet conduit par son capitaine, autour du comte de Fumel, maire de Bordeaux, et

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revêtus comme lui de leur écharpe, il y avait Séjourné, Bazanac, Crozillac, Duvergier, Alphonse, Chicou-Bourbon, Despujols, Duranteau, Desmirall, Vigneron, Arnoux, Courau, officiers municipaux et Barennes, procureur de la commune. Le maire répondit aimablement au compliment du célébrant. La veille, la municipalité avait arrêté qu'elle ne recevrait d'encensement ni dans cette chapelle ni dans aucune église ; la décision fut respectée. Mais après l'Évangile, le maire et les officiers municipaux allèrent l'un après l'autre à l'offrande où ils donnèrent « chacun trois livres, qui, leur avaient été distribuées, dans un bassin, quelques instants auparavant, par un de leurs huissiers ». Quand, la messe terminée, le capitaine du guet remit le cortège en marche dans la direction de Saint-Eloi, les congréganistes purent penser que jamais ils n'avaient été aussi honorés.

Dernier éclat d'une flamme que la tempête va éteindre. Huit jours auparavant, des représentants de ces mêmes officiers municipaux étaient venus interroger les religieux sur leurs intentions « de sortir des maisons de leur ordre ou d'y rester ». Les événements vont se précipiter : constitution civile du clergé, élection des curés constitutionnels, fermeture des couvents et des églises, décrets contre les réfractaires.... Le maire de Bordeaux n'ira plus avec son conseil assister à la messe fondée à perpétuité par la Jurade, le 15 avril 1771.

La congrégation essaya bien de séparer son sort de celui qui était fait aux RR. PP. Capucins comme aux autres religieux. En décembre 1791 encore. elle adresse une pétition au Directoire du District pour obtenir la permission de continuer le service divin dans sa chapelle. « Oui le procureur syndic », le Directoire renvoya la demande à la Municipalité « pour vérifier les faits et fournir ses observations ». Mais bientôt la 25e Section de Bordeaux, dite la Parfaite-Union tient quotidiennement séance là où, pendant plus de vingt ans, les confrères ont récité l'office de la Vierge. Finalement, au début de novembre 1793, un épinglier demeurant rue Bouquière, n. 1, âgé de 65 ans, se présente au maire Bertrand. C'est Michel Duchêne, jeune, ci-devant membre de la confrérie de congrégation établie aux ci-devant Capucins. « Il vient faire remise de l'argenterie et des ornements du culte provenant de ladite congrégation ». A-t-il été dénoncé ? A-t-il eu peur ? On ne le saura jamais. Cité comme témoin, l'année suivante, au

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procès intenté à Bertrand pour détournement, il dira seulement qu'il a demandé un reçu - d'ailleurs refusé – « pour pouvoir justifier à ses confrères qu'il avait fait cette remise ».

Qu'importe ! la chapelle désaffectée, l'argenterie fondue, les ornements liturgiques profanés et réduits à l'état de chiffons, l'esprit de la congrégation ne périra pas, des membres fidèles le garderont aux jours les plus sombres et, dix ans plus tard, à l'aube du XIXe siècle, une belle élite de la jeunesse bordelaise entrera en possession de l'héritage séculaire.

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CONCLUSION

« La congrégation se glorifie a juste titre de son antiquité ; elle est l'héritière de tous les privilèges des plus anciennes sodalités ». C'est G.-J. Chaminade qui s'exprime ainsi en 1819.

Dès 1800, il s'est consacré à l'organisation et à la direction d'une association mariale, pour regrouper, sous les auspices de la Vierge, les chrétiens dispersés par la malice des temps et l'apostasie des masses. Guidé par son réalisme de bon aloi, il a créé une œuvre jeune, bien adaptée aux circonstances, très propre à servir la cause chrétienne au dix-neuvième siècle et différente en plusieurs points des anciennes congrégations. En toutes occasions pourtant, il rappelait les liens qui l'unissaient au passé et il se plaisait à faire remonter l'origine de sa société jusqu'aux origines mêmes des congrégations, en particulier jusqu'à la bulle de Sixte-Quint, en janvier 1587. Sans avoir de documents historiques à sa disposition, il ne se trompait pas. Par la congrégation de Sainte-Colombe, dont il avait recueilli quelques éléments épars et qui était elle-même l'héritière de deux congrégations jésuites, celle de la Purification et celle de l'Assomption, il se rattachait bien, historiquement, à la première association formée au collège de la Madeleine, au temps de la bulle Superna dispositione. Il ne s'y rattachait pas moins par la congrégation des artisans, la congrégation de l'Immaculée Conception, sœur cadette du Sodalitium majus qui avait quitté le collège pour la maison professe en 1624 et qui continuait alors le Sodalitium Deiparae des origines.

Pendant plus de deux siècles, en dépit de violentes secousses, la Providence avait maintenu ces associations et en avait fait des pépinières de vocations religieuses ou sacerdotales, des foyers de vie intérieure, des centres d'édification et d'apostolat. Le moment était venu où Dieu voulait que « sous la sage direction » d'un Missionnaire apostolique, ancien disciple et ami de MM. Langoiran et Lacroix, elles soient « la sainte milice » des temps nouveaux.

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Joseph Verrier SM

La Congrégation Mariale de M. Chaminade

Livre II

Sous le Consulat (1800-1804)

DOCUMENTS MARIANISTES

Séminaire Regina Mundi

Fribourg (CH) 1965

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Chapitre premier

UNE SITUATION ET UN HOMME

Une année s'était écoulée depuis que le général Bonaparte avait débarqué inopinément et sans bruit sur la plage de Saint-Raphaël.

Le Consulat s'affermissait. Une nouvelle organisation des finances assurait maintenant des ressources au Trésor. Sur les champs de bataille, la victoire avait rallié le drapeau tricolore, messagère d'une paix durable que tous désiraient et que beaucoup croyaient très prochaine. L'ordre succédait progressivement à l'anarchie, la confiance à la crainte, l'espoir au doute. Entre les mains énergiques d'un jeune chef dont le prestige grandissait encore de jour en jour, la France se sentait vivre.

La législation antireligieuse du Directoire subsistait et la prière n'était pas réellement libre ; mais on savait le Premier Consul partisan d'un rapprochement avec Rome et, un peu partout, en dépit des tracasseries suscitées par les autorités locales, le catholicisme osait s'exercer publiquement. Des oratoires avaient été ouverts dans toutes les villes. On voyait reparaître au grand jour les prêtres que la persécution avaient contraints à se cacher et ceux qui avaient dû fuir à l'étranger revenaient.

Après trois ans de séjour en Espagne, l'abbé Guillaume-Joseph Chaminade arriva à Bordeaux aux environs de la Toussaint.

S'il n'appartenait pas au diocèse par ses origines, il n'était plus un inconnu dans la capitale de la Guyenne. Quand pour la première fois, il y vint, du collège-séminaire de Mussidan se joindre aux jeunes ecclésiastiques qui étudiaient la théologie à l'Université, le pays était engagé dans les affaires d'Amérique et M. Necker s'épuisait à remplir les caisses royales qui ne gardaient aucun argent.

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Quatorzième et avant-dernier enfant d'un « bourgeois » de Périgueux, ayant déjà deux frères dans les Ordres, notre jeune clerc fut tout de suite bien accueilli et noua rapidement plusieurs amitiés durables. Il fréquenta assidûment l’abbé Lacroix et l'abbé Jean-Baptiste Rauzan qui entouraient les aspirants au sacerdoce des soins les plus dévoués. Le plus éminent et le plus saint de ses maîtres, l'abbé Simon Langoiran, l'eut en particulière estime et en profonde affection.

Aussi n'est-il pas étonnant que nous le retrouvions là dix ans plus tard. Il est prêtre et la Révolution l'a contraint de cesser son ministère d'éducation à Mussidan où il était syndic du collège. Avec l'aide de son ami, l'abbé Langoiran, alors l'un des douze grands vicaires de Mgr de Cicé, il a fait l'acquisition d'une propriété aux abords de la ville. En cas de danger il aura un lieu de retraite. Ses vieux parents y sont installés et lui-même s'est assuré, en outre, un domicile, rue Abadie en plein centre de l’agglomération urbaine.

Joignant dès lors ses travaux à ceux de ses confrères, il partage avec eux toutes les angoisses, tous les dangers de cette époque.

Pendant cinq ans, dans son oratoire de la rue Sainte-Eulalie, ou dans les maisons particulières, ouvertement ou en secret, selon que domine la tolérance ou la persécution sanglante, il apporte le réconfort de son zèle et de son ministère à tous ceux qu'il peut atteindre. Bénissant des mariages, baptisant des nouveau-nés, assistant des mourants, dirigeant des âmes pieuses, prêchant des retraites, formant la jeunesse, il est bientôt l'un des prêtres les plus connus et les plus estimés des catholiques. L'administrateur du diocèse, l'abbé Boyer, n'hésita pas à le charger de la réconciliation des prêtres assermentés. La mission est délicate entre toutes ; il s'en acquitte avec prudence, tact, charité et succès. Il n'a pas 35 ans !

Maintes fois il s'en faut d'un rien qu'il ne tombe entre les mains des sans-culottes. Déguisé un jour en rétameur, un autre en colporteur ; prenant, suivant l'opportunité, l'allure d'un bourgeois ou la démarche pesante d'un ouvrier ; allant tantôt en voiture, tantôt à cheval ; gardant toujours une grande présence d'esprit et un sang-froid imperturbable, il échappe à toutes les enquêtes, toutes les perquisitions. Avec le temps, la mort, les départs pour l'étranger, les

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exécutions diminuent le nombre des prêtres restés à Bordeaux ; ils ne sont plus qu'une vingtaine. Le zèle de l'abbé Chaminade n'en devient que plus actif et son influence plus étendue.

Au printemps de 1797, il croit à la fin de la persécution religieuse et ne se cache plus. Ce n'est qu'une embellie. Le coup d'Etat du 18 Fructidor provoque la réapparition de toutes les lois et mesures d'exception contre les émigrés et le clergé. C'est comme émigré rentré clandestinement que, tout à coup, Guillaume-Joseph Chaminade se voit en situation irrégulière. S'il est introuvable, c'est qu'il est à l'étranger, a conclu la police et, en 1795, elle l'a inscrit sur les listes d'émigration. Il y est encore en 1797, malgré les certificats qu'il a fournis pour prouver sa résidence continue à Bordeaux depuis 1790. S'il est arrêté, ce sera la comparution devant la Commission militaire et, sur simple constatation dc son identité, l'exécution par les armes dans les vingt-quatre heures. Que faire ? Il est trop connu maintenant pour échapper aux dénonciations et aux recherches. Il déclare vouloir gagner l'Espagne, reçoit un passeport et prend le chemin de Saragosse où il arrive le 11 octobre.

L'exil dure trois ans. Aucun ministère n'était permis aux prêtres français ; au collège Saint Jean-Baptiste qui l'abritait, dans le sanctuaire de Notre-Dame del Pilar, le prêtre banni put à loisir prier et élaborer un programme pour le jour où il rentrerait en France.

La Révolution, comment ne pas le voir ? avait porté le dernier coup à un édifice sapé depuis la Réforme. Un régime s'était écroulé. Une agonie avait pris fin. I1 fallait repartir à frais nouveaux, recréer pour ainsi dire, par la base, une société chrétienne. L'évangélisation des masses serait indispensable, mais les efforts des missionnaires resteraient peu fructueux sans une organisation nouvelle de l'apostolat et de la vie chrétienne. Les paroisses répondaient aux besoins des époques de foi. Elles seraient désormais insuffisantes, à supposer que la situation politique permit de les relever. Elles étaient faites pour encadrer les foules chrétiennes ; elles seraient impuissantes, demain, à reconstituer des croyants en nombre, à mordre sur l'indifférence et le paganisme, à absorber les convertis et assurer leur persévérance. Le ministère paroissial devra être préparé,

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accompagné et soutenu par un autre ministère plus souple, plus dynamique.

Tout à ces réflexions, l'esprit de Chaminade se reporte aux premiers temps de l'Eglise. Qu'ont fait les Apôtres et leurs successeurs à tous les degrés de la hiérarchie jusqu'au jour où les masses furent chrétiennes ? Parcourant le monde ancien, dès qu'ils avaient communiqué la foi à quelques auditeurs, ils les organisaient en communauté. Des assemblées fréquentes, une union étroite entre tous, une assistance mutuelle en toutes circonstances, l'existence de cadres actifs et dévoués, tels étaient les moyens humains qui entretenaient le zèle des premiers chrétiens. Chaque fois qu'elles pouvaient vivre en pleine lumière, ces sociétés solidement organisées devenaient en outre l'argument le plus efficace en faveur du christianisme ; leur vue, à elle seule, provoquait de nouvelles conversions. De proche en proche, elles ont conquis le monde gréco-romain.

Dans une situation semblable à celle du début de l'ère chrétienne, le retour à une tactique qui a réussi est tout indiqué. Dès que les circonstances le permettront, on fera surgir en France des associations au sein desquelles les membres retrouveront les secours, les avantages dont les premiers chrétiens ont bénéficié dans leurs communautés. Comme dans le passé, ces associations seront des milieux de vie chrétienne, des instruments de propagande, des preuves irréfutables de la valeur du christianisme, un moyen de conquête rapide. N'est-ce pas d'ailleurs la méthode qu'a préconisée un abbé Linsolas à Lyon ? la méthode que plusieurs diocèses ont adoptée et que l'abbé de Castéran tente d'appliquer dans celui de Tarbes, de concert avec l'abbé de Chanvalon, sous l'impultion de Mgr de Gain-Montaignac ?

Les résultats, - il faut s'y attendre, - varieront avec les âges. Depuis cinquante ans surtout les Voltaire, les Diderot, les Rousseau, les D'Alambert et tous les affidés de l'Encyclopédie ont répandu tant d'idées fausses que peu d'adultes, sans doute, répondront aux appels des nouveaux missionnaires. La génération présente est comme perdue : on en sauvera ce qu'on pourra ; on ne s'attardera pas en efforts inutiles. L'important n'est point d'aller vite, c'est d'assurer des

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fondements solides pour l'avenir. Dans cette vue, on cherchera à atteindre la jeunesse des deux sexes. Avertie par les malheurs de ses aînés, elle marchera volontiers dans les voies nouvelles. On l'attirera, on l’organisera, on l'instruira. Elle s'enthousiasmera pour la rénotation chrétienne. L'œuvre fera boule de neige et la déchristianisation de la société progressera au rythme du recrutement, de la multiplication des groupements envisagés.

Ces associations vivront sous le patronage de la Vierge immaculée et auront un caractère marial très prononcé. Dans le plan de la Rédemption, Dieu n'a-t-il pas réservé à Notre-Dame un rang unique, une mission très spéciale ? N'est-elle pas l'associée du Sauveur, la Nouvelle Eve, l'Epouse du Verbe ? Chaque chrétien est un membre du Corps mystique du Christ. Comme le Chef, chaque membre est conçu en Marie et chaque membre doit naître de Marie, grandir sous l'influence et par les soins de Marie. Une âme atteint le niveau de sa perfection avec d'autant plus de rapidité, d'aisance, de sûreté que Marie tient une place plus grande dans sa vie personnelle. Un apôtre exerce une action d'autant plus efficace que son ministère participe davantage à la mission universelle de la Vierge co-rédemptrice. Dans les communautés chrétiennes de l'avenir, grâce à l'enseignement et à la direction qu'ils recevront, les baptisés prendront conscience de leur dépendance mariale et en tireront profit.

N'est-ce pas ce caractère marial qui a contribué, dans le passé, au succès des congrégations formées et dirigées par la Compagnie de Jésus ? Moyennant adaptation, ces organisations retrouveront vie et fécondité ; elles serviront de bases de départ pour la croisade des temps modernes. Elles ont été, à leur origine, des groupements de tendance à la perfection pour l'élite de chaque état. Plus tard, elles ont encadré les masses des chrétiens zélés qui voulaient s'opposer aux progrès du protestantisme et faire triompher l'orthodoxie. Demain elles seront des institutions dans lesquelles et grâce auxquelles, au milieu de l'indifférence générale, toutes les bonnes volontés parviendront à la pratique habituelle, sincère et publique d'un vrai christianisme. Se recrutant autrefois parmi les chrétiens fervents, elles ont alors assuré l'existence d'une élite dynamique ; à l'avenir, elles prendront leurs membres dans les foules déchristianisées pour fournir à l'Église des masses de fidèles.

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Guillaume-Joseph Chaminade n'avait rien d'un illuminé. Avant d'arrêter sa décision, il réfléchit et consulta sans doute des personnes prudentes. Quand, en septembre 1800, son mandataire à Bordeaux, lui transmit sa radiation de la liste des émigrés, il avait acquis la conviction que sa vocation était de promouvoir ces associations mariales qu'il avait conçues pour remplacer provisoirement d'abord, puis pour compléter les paroisses, et son ami, la métropolitain d'Auch, Mgr de la Tour du Pin, exilé lui aussi en Aragon, venait de s'entremettre pour lui faciliter la tâche et obtenir de Rome, en sa faveur, le titre de Missionnaires apostoliques.

* * *

Des ruines ! En cet automne 1800, c'est le mot qui résume les premières impressions du bordelais qui retrouve sa ville après quelques années d'absence. Ces impressions s'accentuent à mesure qu'il reprend contact avec la cité. La population a baissé de vingt mille âmes au moins. Les bateaux meurent dans le port sur leurs ancres. Les chais restent obstinément fermés. Toutes les façades ont vieilli, faute d'entretien. Avec sa toiture qui porte encore les larges traces de l'incendie survenu en 1787, avec ses nefs et ses chapelles qui, ayant servi de magasin à fourrage, de temple décadaire et de salles de réunion pour les fêtes civiques, gardent, comme des stigmates, les marques de toutes ces profanations, l'antique cathédrale Saint-André ressemble à une grande blessée en agonie, les autres églises, toutes plus ou moins mutilées, fermées, livrées à toutes sortes d'usages ou occupées par le schisme, n'ont pas meilleur aspect. Aucune n'est intacte. C'est pitié de voir ces grandes baies murées ou privées de leurs vitraux, ces frontons aux Christs brisés, ces tympans stupidement martelés, ces socles sans statues, ces porches enlaidis par des placards ou des panneaux de bois que l'esprit mercantile et sectaire a fixée maladroitement dans la pierre où l'âme religieuse des siècles passés chantait si bien pour tous les passants ses poèmes pleins de grâce, de naïveté et de foi. Et si, à travers les rues où, à tout instant, une vieille demeure présente une niche vide comme un aveugle ses orbites sans yeux, l'exilé revenu s'en va à la recherche des vingt-cinq couvents qui, avec les quatorze églises paroissiales, disaient, jadis, la vie chrétienne des Bordelais et

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constituaient pour eux un trésor, son pieux pèlerinage devient vite si douloureux qu'il ne tarde pas à l'interrompre. Partout la spoliation a transformé ces maisons de prières et de paix en bâtiments sordides au milieu desquels vont et viennent des gens indifférents, de type exotique pour la plupart. Cà et là, dans un pâté d'habitations, une trouée surprend : elle est récente. Un édifice religieux s'élevait autrefois en cet endroit : en le démolissant, la pioche des athées a balafré les constructions voisines qui ne peuvent soustraire aux regards leur laideur accusatrice et vengeresse.

Et les âmes ? Si le prêtre qui rentre incognito pouvait lire dans les cœurs de tous ces hommes, de toutes ces femmes, de tous ces enfants rencontrés sur sa route, dans combien découvrirait-il une pensée religieuse, un souci de vie intérieure, une préoccupation de zèle ? Depuis dix ans, que de baptêmes omis, que de catéchismes et de premières communions impossibles, que d'unions irrégulières, que d'ignorance, que de préjugés accumulés, que d'habitudes païennes contractées ! Le clergé ne s'est pas recruté : 54 prêtres ou religieux ont péri sous la guillotine ; d'autres sont morts ; d'autres sont partis et ne reviendront pas ; d'autres, hélas ! ont trahi la cause de Dieu et, si certains répareront leurs scandales, quelques-uns continueront à être des loups dans la bergerie ; d'autres sont usés par l'âge et par une vie de proscrit. Combien d'ouvriers restent aptes à la besogne urgente et surhumaine que les circonstances exigent ?

Toutes ces pensées hantent l'esprit réfléchi de Guillaume-Joseph Chaminade, tandis qu'en ces premiers jours de son retour, il regagne, le soir, sa propriété de Saint-Laurent, par le chemin du Tondu. Heureusement, il y a encore une hiérarchie dans le diocèse. Mgr Champion de Cicé est toujours en Angleterre, mais parmi ses grands vicaires, M. Boyer, a pu ne jamais quitter la ville épiscopale, et M. de La Porte est attendu d'un jour à l'autre. Tous deux connaissent bien la situation et assureront le bienfait d'une autorité légitime. En outre, tous les résultats du zèle déployé avant l'exil n'ont pas été anéantis. Si Guillaume Bouet est resté en Espagne, si les Damis, les Joffre, les Bidon sont aux armées, dès maintenant, l'ancien syndic de Mussidan peut compter sur les Lafargue, les Darbignac, les Estebenet, les Ducos, les Dubosq, les Rotis, les Tapy, les Duchon, les Capdeville et d'autres encore. Dans l'autre sexe, il y a l'intrépide demoiselle de

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Lamourous, les demoiselles Fatin, les demoiselles Vincent, toutes des âmes d'élite.

Alors, s'étant assuré des sentiments de quelques jeunes chrétiens prêts à tous les sacrifices, le confesseur de la foi n'hésite plus. Il réalisera le programme mûri à Saragosse.

Dix ans d'irréligion et de persécution ont détruit toutes les institutions du passé. Le souvenir de leur splendeur et de leur rôle ne s'est pas encore totalement évanoui. Quelques pieuses personnes, quelques hommes de foi en conservant l'esprit. Isolés dans la masse indifférente ou corrompue, ils en souhaitent le rétablissement ; ils appellent de leurs vœux l'apôtre éclairé qui saura utiliser les forces du passé pour relever les ruines du présent et travailler à un avenir chrétien. Le milieu et l'heure sont propices. Guillaume-Joseph Chaminade va sur ses 40 ans, l'âge des réalisations. I1 est pauvre, au point qu'il n'a d'autre mobilier que celui de sa servante, mais à Bordeaux qui tient à sa disposition ses richesses chrétiennes et mariales de jadis, il apporte sans arrière-pensée son zèle, sa confiance, son expérience des gens et des lieux. En l'absence du pieux abbé Lacroix, encore au Portugal, la situation semble préparée pour lui : il sera, docile aux circonstances où sa foi reconnaît les ordres de la Providence, l'homme de la situation.

* * *

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Chapitre deuxième

AVANT LE CONCORDAT

« La congrégation commença le 8 décembre 1800 » ; ces mots écrits par un témoin sur une simple feuille volante, c'est pour l'œuvre de M. Chaminade un authentique acte de naissance.

« Il paraît, a noté l'abbé Rigagnon, qu'il la forma des éléments épars de celle dite de Sainte-Colombe que le saint abbé Lacroix avait dirigée jusqu'au moment de son exil. Les douze premières colonnes de celle de M. Chaminade avaient appartenu à la précédente ». Le fait n'a rien d'invraisemblable. On rencontre, en 1819, une autre affirmation relative à la liaison des deux œuvres. De nos jours, encore, un érudit bordelais, M. Ricaud, a recueilli sur place l'écho d'une tradition qui fait des premiers congréganistes de M. Chaminade des disciples. Au pieux desservant de Sainte-Colombe.

L'originalité de M. Chaminade reste d'ailleurs entière. M. Lacroix ne s'occupait que de la jeunesse : les enfants des écoles, les élèves du collège royal, les étudiants de 1'Université. Son œuvre tendait à préserver et à former pour la vie. M. Chaminade entend reprendre l'évangélisation du pays sur une nouvelle base, en organisant, en marge des paroisses, des associations chrétiennes fortement constituées, mariales, dynamique, susceptibles non seulement d'arrêter la déchristianisation mais encore de rechristianiser rapidement et sûrement les masses enfoncées dans le matérialisme. Il s'agit pour lui moins de préserver les bons que d'organiser la contagion du bien, moins de cultiver une élite que de ramener directement les masses à la pratique d'un vrai christianisme, moins de soutenir les baptisés à l'âge des sollicitations dangereuses que de saisir l'homme tout entier de l'enfance à la mort, moins de se mettre au service des familles chrétiennes que de faire œuvre missionnaire. Nova bella elegit Dominus : A situation nouvelle, méthodes nouvelles.

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* * *

Le 2 février 1801, après deux mois de préparation, la main sur le saint Evangile, les fondateurs faisaient la promesse suivante :

« Moi (nom de baptême seulement ), serviteur de Dieu et enfant de la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine, je me donne et me dédie au culte de l'Immaculée Conception de la très sainte Vierge Marie. Je promets de l'honorer et de la faire honorer autant qu'il dépendra de moi comme Mère de la Jeunesse. Ainsi Dieu me soit en aide et ses saints Evangiles ! »

Sans s'astreindre à aucune obligation de vœu ni de serment, ils s'engageaient d'honneur à se conduire à l'égard de Marie suivant les usages de leur société. Ils recevaient un ruban blanc en guise d'habit marial et la bénédiction de 1'Eglise, avec l'efficacité des sacramentaux, les constituaient dans un état de serviteur et d'enfant de Marie, puisqu'elle établissait entre eux et la Vierge une relation qui leur donnait droit à des faveurs particulières chaque fois qu'ils recourraient à leur Mère et Patronne.

Ils auraient dû être douze, mais la mort avait déjà creusé un vide. Le dimanche 28 décembre, « à trois heures de relevée, âgé de trente trois ans et six mois », Louis Alexis Descombes était décédé à son domicile, n°. 22 de la rue Sainte-Catherine. Les derniers moments du modeste chapelier avaient sans doute été adoucis par l'assistance de ses amis et le ministère de M. Chaminade : Guillaume Darbignac, congréganiste fondateur, est l'un des deux témoins à 1'état civil.

Pour remplacer le défunt, les survivants inscrivirent sur leur liste l'abbé Pineau, adjoint à leur directeur pour l'administration du diocèse de Bazas. Il est assez vraisemblable que le nouveau sociétaire aurait du prononcer sa consécration avec les autres, le 2 février, mais qu'il fut alors empêché. Porté sur le catalogue avant des confrères admis aux épreuves les l et 15 mars, il ne s'engagera lui-même que le jour de l'annonciation.

Ce prêtre n'était pas déplacé parmi ces jeunes laïques, car on ne peut douter qu'ils n'aient été de l'élite.

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Ils s'appelaient Bernard Rotis, Guillaume Darbignac, Louis-Arnaud Lafargue, Jean-Baptiste Estebenet, Etienne Ducot, François Tapy, Pierre Capdeville, Jean Duchon, Pierre Dubosq et Alexandre Dubosq.

Bernard Rotis était clerc. Arrêté dans sa vocation par les événements de 1790, il n'attendait que la pacification religieuse pour se présenter aux ordres. La congrégation lui devra les paroles de son chant officiel et retourné dans son pays, le Toulousain, il restera en relation avec elle jusqu'à sa mort survenue vers 1812.

Darbignac et Louis-Arnaud Lafargue, deux anciens soldats des armées de la République, braves au feu, avaient gardé sous l'uniforme toute la fraîcheur de leurs sentiments chrétiens. Ils se préparaient alors à quitter le monde pour la vie religieuse. Agé de 29 ans, employé de commerce, Lafargue, dès le 2 janvier 1802, ouvrira une école pour les enfants pauvres. Il prendra l'habit lassallien, dirigera successivement les maisons de Bordeaux, d'Auch, de Montpellier, sous le nom de Frère Eloi et deviendra assistant du Supérieur général en 1816. Plus jeune d'un an, cartier de son état, « de fort belle tournure », Darbignac suivra son ami et, devenu Frère Paulin, assumera la direction d'un noviciat de sa famille religieuse. I1 décédera prématurément des suites de ses blessures, le 6 mai 1813, laissant le souvenir et le regret d'un religieux digne des plus hautes charges. Raymond Lafargue avait 27 ans. Cousin de Louis-Arnaud, il s'adonnait à l'instruction et à l'éducation de la jeunesse. Il se mariera quelques années plus tard et restera fidèle à la congrégation dans la section des Pères de famille.

Jean-Baptiste Estebenet enseignait lui aussi et, à 24 ans, se trouvait à la tête d'un pensionnat qui allait vite devenir un des plus estimés de la ville. Nature riche et ardente avec une âme de chouan, il militait dans l'Institut philanthropique, surveillait la fabrication des cartouches pour l'organisation et présidait l'arrondissement sud de Bordeaux, sous le nom de Mauny. La confiance des premiers chefs l'investira même de la charge de secrétaire. C'est de lui que parle Mme de la Rochejaquelein dans ses Mémoires. C'est chez lui que les anciens membres de l'Institut se réuniront après la découverte du complot royaliste de 1804. Très habile à dépister la police, il jouera

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encore un rôle important dans les événements du 12 mars 1814. Ses sentiments religieux vont de pair avec ses convictions royalistes. Après la Révolution de juillet, il entra dans la Compagnie de Jésus, reçut les ordres et termina sa vie, en 1848, comme procureur du collège de Dole.

Le cordonnier Etienne Ducot, âgé de 25 ans, appartenait à l'une de ces familles bordelaises où le travail et les pratiques religieuses étaient de tradition et où le souvenir de M. Chaminade s'est conservé jusqu'à nos jours. Les Ducot seront nombreux dans la congrégation. D'après M. Ricaud, Etienne avait ce disciple de M. Lacroix.

Né à Castelnau, en Médoc, le 3 mai 1777, François Tapy recevra la tonsure le 17 décembre 1803, avant même l'ouverture du séminaire. Ordorné prêtre le 17 décembre 1808, il ne célébrera qu'une fois la sainte messe : le 18 février 1809, il succomba à une maladie qui avait déjà retardé ses études

Jean-Baptiste Duchon, de la paroisse Saint-Eloi, fils d'un instituteur, entrera au séminaire le 20 octobre 1804 et son goût pour la liturgie lui vaudra d'être chargé de l'enseignement et de la préparation des cérémonies. Malheureusement une maladie de poitrine l'emporta à 31 ans le 28 juillet 1812. Il avait reçu l'ordination le 23 mai précédent et n'était monté que cinq ou six fois à l'autel.

C'est aussi à l'état ecclésiastique que se destinait, malgré la dureté des temps, 1'étudiant Pierre Capdeville. Natif de Laurède, près d'Aix, il n'aura que le temps d'édifier ses confrères. Il mourra en février 1802, mais longtemps, associant son nom à celui d'un jeune camarade disparu quelques semaines plus tard, les congréganistes chanteront dans 1eurs réunions :

« Capdeville et Fautoux, noms chers à la jeunesse,

Nous aimons à vous répéter,

L'éclat de vos vertus honorent la jeunesse

Jalouse de vous imiter ».

Alexandre Dubosq ne leur survivra que quelques mois et laissera le même souvenir édifiant. « Enfant précieux, a écrit de lui l'abbé

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Rigagnon, modèle de vertus, ravi trop jeune aux bonnes œuvres et à l'esprit de pénitence dont il avait été la victime... On peut dire de lui comme de saint Louis de Gonzague qu'il possédait dans un corps mortel les vertus sublimes des Anges. Voyant les enfants de son quartier privés de toute instruction religieuse, il les réunissait chez lui et, prenant un ton convenable d'autorité, il leur enseignait, avec les éléments des lettres, le catéchisme afin de leur apprendre à craindre Dieu et à le servir » Alexandre et Pierre étaient les frères de François, le jeune homme qui « seul, sans ressources, demandant, comme les pèlerins d'autrefois, le pain et le logement de la charité », avait rejoint son directeur spirituel à Saragosse dans la pensée de pouvoir lui être utile. Les vertus chrétiennes n'étaient pas un vain mot dans cette famille.

* * *

Le souci de la qualité caractérisa d'ailleurs le recrutement durant toute l'année 1801. C'était une nécessité. La paix religieuse ne s'établissait que peu à peu ; il fallait user de prudence et éviter de faire crier au prosélytisme intempestif ou indiscret. Surtout, s'agissant d'allumer un foyer ou les indifférents viendraient s'embraser, on devait le constituer d'éléments fervents. Un congréganiste connaissait-il un jeune homme pieux, il l'introduisait à la congrégation, le présentait au directeur, aux chefs, aux associés ; les épreuves commençaient. Deux mois plus tard environ, si le candidat avait montré de la piété, s'il avait été assidu aux réunions et s'il exprimait le désir d'être reçu congréganiste, il devenait membre définitif.

Nous ne sommes pas renseignés sur chaque cas, mais c'est un fait que parmi les recrues de la première année, on en compte beaucoup de la même valeur que les fondateurs. Les Maignol, les Forcade, les Daguzan représentent les plus honnêtes familles du commerce bordelais. Jérome Labrouche et Pierre Dalga entreront au séminaire dès que celui-ci s'ouvrira en 1804. Crepin Cahier, précepteur, terminera sa carrière d'éducateur dans la Compagnie de Jésus comme Estebenet. Le tonnelier Jean-Baptiste Bidon, ancien combattant d'Italie, sera un des fondateurs de la Société de Marie en 1817. Etienne Ferlat se verra confier la première charge de l'association dès 1803 et mettra en relation la congrégation de Bordeaux avec celle de

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Lyon. Jean-Baptiste-Hyacinthe Lafon, diacre et précepteurs sera trois fois préfet avant les événements qui l'impliqueront dans la diffusion de l'excommunication papale encourue par Napoléon. Enfermé dans une prison d'État, il prendra part au complot du général Malet, - (s'il n'en fut pas le principal instigateur, et même l'unique), - échappera à toutes les recherches, sera sous-gouverneur des Pages à la Cour de Louis XVIII et commissaire royal, dans la région de l'Est, durant les Cent-Jours. Décoré de la Légion d'honneur sous la Restauration, il abandonnera définitivement la vie politique pour recevoir la prêtrise vers 1826 et mourir à Gensac (Gironde), le 15 août 1836. Quentin Lousteau, originaire de Coarraze (Basses-Pyrénées), aussi calme et posé que Lafon était remuant, se dévouera corps et âme à la congrégation. Plusieurs fois préfet, il se spécialisera dans l'œuvre des Postulants et sera l'un de ces jeunes gens qui, sous la conduite de M. Chaminade, essaieront de vivre la vie religieuse sans quitter leur état. Quand la Propagation de la Foi sera fondée, il en sera un des dirigeants à Bordeaux avec Estebenet. Jean Laborde sera longtemps l'animateur de la congrégation des Chartrons sous la Restauration. Comme on serait embarrassé si l'on devait dresser un palmarès et comme l'on sent que l'on serait injuste à l'égard de ceux qui, sans briller aux yeux des hommes, ont vécu chrétiennement non sans mérite devant Dieu ni sans influence sur leur entourage !

Plusieurs prêtres ont donné leur adhésion à l'association au cours de cette première année et leur présence achève d'imprimer à la congrégation de 1801 un caractère de perfection qu'on ne peut nier. En attendant le vénérable Lacroix qui, à son retour du Portugal, viendra s'agenouiller dans l'oratoire de M. Chaminade et renouvellera sa consécration mariale à l'automne de 1802, voici son bras droit, l'abbé Jean-Baptiste Rauzan, le futur Missionnaire de France, qui fondera deux sociétés religieuses. Il arrive d'Allemagne précédé de la renommée d'orateur qu'il s'est acquise en prêchant la station quadragésimale dans l'église des Carmes à Paris. Sa consécration est du 7 août 1801. Huit jours plus tard, la congrégation accueille un ancien Lazariste, Pierre Vlechmans, « excellent sujet, très instruit, ayant un grand zèle, beaucoup de piété et surtout beaucoup de docilité ». Lui aussi dirigera une fondation, celle de Mlle Fatin, la Réunion au Sacré-Cœur. Le 1er novembre, c'est le tour de l'abbé François

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Décubes et le 8 décembre celui de l'abbé Jean Boyer. Le premier, ancien vicaire de Portets, « bon esprit, ayant du zèle, de la piété et de l'instruction » sera nommé curé de Mérignac en 1803. L'autre, né le 30 janvier 1759, ancien vicaire de Carignan-en-Benauge, « très suffisamment instruit, docile, d'un excellent caractère », acceptera un poste de vicaire à Saint-Pierre de Bordeaux. Malgré les occupations de leur ministère, tous ces prêtres resteront en contact étroit avec l'association. Il y a tout lieu de croire qu'ils font revivre l'Aa sacerdotale que Bordeaux a connue avant la Révolution.

Toute foi n'avait pas disparu et quoiqu'en ce début elle cherchât la qualité avant la quantité, la congrégation s'accrut rapidement. Chaque réunion à peu près se marquait par une ou plusieurs adhésions nouvelles ; chaque fête était l'occasion d'une réception solennelle. Au début de juin on comptait 20 congréganistes et 15 probationnaires. Les seuls congréganistes étaient 66 le 8 décembre. Atteignirent-ils la centaine le 2 février suivant ? M. Chaminade l'a écrit, appuyant son affirmation sur un détail qui semble devoir écarter tous les doutes : pour arriver au chiffre 100, sur le désir des anciens, on aurait abrégé le temps d'épreuve d'un candidat. Cependant la liste qui nous a été conservée et qui semble complète jusqu'au 2 février 1802 ne confirme pas cette assertion : elle n'indique que 78 membres après la réception de la Purification qui aurait été de 7 congréganistes, tous en probation depuis le 13 décembre. Le directeur écrivait en 1848, à 87 ans ; n'a-t-il pas dans sa mémoire confondu deux dates ? Dans l'hypothèse la moins avantageuse, les disciples du zélé missionnaire furent cent le jour où les cloches de Bordeaux s'unirent à toutes celles de France pour accompagner la voix du bourdon de Notre-Dame annonçant au pays la promulgation du Concordat. C'était un résultat. « Qu'ils étaient pieux, écrira un témoin, qu'ils étaient fervents, ces chrétiens généreux !... Avec quelle ardeur ils travaillaient au salut de leurs frères, à la sanctification des âmes !... Ils pratiquaient ouvertement la religion dans un temps où la religion était ouvertement persécutée. Ils avaient la force de se montrer vertueux dans un temps où le vice seul pouvait se montrer avec honneur ». Faisons la part de 1'éloquence, c'est encore beau.

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En même temps qu'elle se développait, la congrégation s'était organisée. La loi normale du christianisme, c'est l'association, l'union, l'entraide. Les chrétiens doivent s'unir visiblement pour s'entraider dans tous leurs intérêts, - ceux de la terre et ceux du ciel, pour se porter secours en cas d'accident, pour être un témoignage imposant et irrécusable en faveur de la vérité.

Les premiers disciples du Christ se sont formés en communautés : ils n'avaient qu'un cœur et qu'une âme. Les paroisses ont été créées pour succéder à ces premiers groupements et pour en assurer les avantages dans un monde devenu chrétien.

Au lendemain de la Révolution, après des siècles de lutte et de décadence, les paroisses ne peuvent plus procurer aux baptisés les bienfaits des communautés primitives et c'est précisément parce que les congrégations ne sont pas de simples confréries mais des associations formelles que M. Chaminade s'y est consacré tout entier.

Les congrégations doivent unir et mettre à la disposition de leurs membres tous les fruits de l'union. C'est pour mieux obtenir ce résultat que les Jésuites avaient établi autant de congrégations distinctes qu'il y avait de catégories de personnes à atteindre : l'homogénéité du recrutement favorisait l'union. A suivre cette méthode, après les bouleversements religieux et sociaux de la Révolution, M. Chaminade voyait plusieurs inconvénients. On avait pendant dix ans, beaucoup parlé d'égalité, abusé du mot et de la chose. Il n'en allait pas moins que les classes populaires se félicitaient du renversement des barrières sociales et auraient vu d'un mauvais œil tout ce qui, de près ou de loin, les lui eut rappelées. Organiser des congrégations séparées pour chaque catégories de chrétiens, c'est été fournir prétexte à l'animosité des travailleurs et les écarter de l'Église. C'est été disperser des forces restreintes et les affaiblir d'autant, rendre la lumière invisible en la distribuant sur plusieurs points. Plus les âmes à convertir étaient nombreuses, plus il convenait de grouper les pratiquants pour imposer le christianisme à l'attention des masses. Plus la congrégation serait nombreuse, plus elle attirerait les regards, plus elle ferait réfléchir, plus elle ramènerait d'hommes à Dieu par sa seule existence. L'avantage n'était pas à négliger puisqu'on voulait conquérir. La réunion de

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toutes les classes dans une même organisation serait d'ailleurs très propice à l'action des classes dirigeantes sur les autres. Celles-ci, flattés qu'on les admit, sur le pied d'égalité, viendraient plus volontiers et les premières n'auraient qu'à frayer avec elles pour leur communiquer le meilleur d'elles-mêmes. Le christianisme primitif ne faisait aucune acception des personnes ; les premières communautés chrétiennes s'ouvraient à tous sans considération de classes : on devait moyennant un peu de tact pouvoir obtenir le même résultat dans les congrégations du dix-neuvième siècle.

User de tact, ce serait unir sans confondre. Il n'y aurait jamais qu'une seule congrégation, même lorsqu'elle se serait ouverte aux jeunes filles, aux hommes et aux femmes mariés. Mais au sein de ce corps unique, il y aurait des Systèmes particuliers doués d'une organisation propre. Les jeunes gens, les jeunes personnes, les hommes d'âge mur, les dames formeraient des groupes individualisés ; chacun de ces groupes, à son tour, comprendrait autant de subdivisions qu'il y aurait de catégories de membres. Chacun serait rapproché de ses semblables sans être isolé de l'ensemble. Union sans confusion, tel serait le programme.

Dès 1801, ces vues prennent corps. Les associés sont groupés on fractions suivant leur état. On se contenta au début, selon toute vraisemblance, de distinguer les artisans des autres congréganistes, puis, le nombre augmentant, les étudiants et les instituteurs purent constituer une fraction particulière, tandis que la gent commerçante en formait une autre et que les artisans se scindaient en deux. A défaut de documents, on peut conjecturer, sur des indices sérieux, qu'au commencement de 1802, il y a 2 ou 3 fractions.

Les fractions se réunissent ensemble pour les offices religieux, pour les conférences religieuses, pour l'étude des questions qui intéressent toute l'association. Elles tiennent une réunion particulière chaque semaine pour s'occuper des intérêts de leurs membres, de leurs absents, de leurs malades ; elles organisent leurs divertissements les après-midi de dimanches et les jours fériés. C'est grâce à ces réunions fréquentes, - assemblées générales et assemblées particulières, - que les contacts se multiplient entre les membres, que

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ceux-ci « socient » entre eux suivant l'expression du directeur et que se crée un véritable esprit de corps.

Des chefs, des officiers divers entretiennent la vie. Le 8 février, les premiers congréganistes avaient élu un conseil. Louis-Arnaud Lafargue s'était vu confier la charge de préfet, G. Darbignac et B. Rotis celles d'assistants, Raymond Lafargue celle de conseiller. Les fonctions de secrétaire étaient dévolues au second assistant, mais celui-ci ayant dû s'absenter, Estebenet le remplacera. Dans la suite, le conseil se développa dans la même mesure que l'association. Le 5 juin, les élections confièrent la préfecture à Jean-Baptiste Estebenet, lui donnèrent deux assistants, portèrent le nombre des conseillers à 3 et pourvurent à différentes charges nouvelles. La présence d'un trésorier et d'un receveur semble indiquer qu'on posa, à cette date, le principe d'une cotisation ; celle d'un contrôleur montre qu'on attachait de l'importance à l'assiduité. Un lecteur trouvait peut-être emploi au début des offices en attendant que tous les confrères soient arrivés ou dans les assemblées générales d'instruction pour lire un passage d'Évangile. Si, parmi les officiers, il y a un magasinier, c'est que, sans doute, la congrégation a décidé d'exercer la charité à l'égard des pauvres et de rassembler à cette intention, chez un de ses membres, les vêtements et les objets que les autres destinaient à cette fin. Deux sacristains devenaient chargés de la chapelle et deux inspecteurs visitaient probablement les associés malades.

Croira-t-on que, le 10 septembre, le nombre des charges et des dignités fut porté à 28 ? Une liste complète est là qui fait foi. Les conseillers et les sacristains sont augmentés les uns et les autres d'une unité. Le secrétaire reçoit un suppléant. Conjointement avec le trésorier et le receveur, un « économe » prend en mains les intérêts matériels de l'association. Un ordonnateur du plein chant et un ordonnateur de la musique sont appelés à rehausser l'éclat des cérémonies et deux officiers d'honneur à introduire, à placer les personnes, à assurer l'ordre et la dignité en tout. Enfin un introducteur assisté de trois adjoints, prendra soin des candidats et les préparera à leur admission.

Au sein des fractions, d'autres responsables, les uns désignés par le Conseil, les autres choisis par les fractionnaires, veillaient à la

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bonne marche du groupe. Les substituts présidaient habituellement les réunions particulières où les premiers dignitaires ne paraissaient qu'aux grandes occasions. C'étaient eux qui réalisaient la liaison entre les dirigeants et les congréganistes. Leur rôle était important et c'était en définitive de leur zèle, de leur tact, de leur entrain, et de leur initiative que dépendait la vitalité de l'œuvre. Nommés pour trois mois par le Conseil, ils proposaient eux-mêmes leurs remplaçants, s'ils devaient s'absenter et se trouvaient assistés d'un conseiller élu. Pour éviter tout changement brusque dans la conduite des fractions, le renouvellement des conseillers ne se faisait qu'un mois après celui des substituts.

Aucun détail, on le voit, n'était négligé, ni laissé au hasard. La petite association se voit en face d'une besogne immense : elle s'y livre avec cet enthousiasme et ces espérances de succès qui sont l'apanage de la jeunesse.

Très vite l'association avait été à l'étroit dans l'oratoire que M. Chaminade lui avait ouvert,(au 36, rue Arnaud Miqueu). Sans doute, était-ce une simple chambre, aussi modeste de dimensions que d'aspect. Quelques pas plus loin, dans la rue Saint-Siméon, au troisième étage du n°. 16, une pièce spacieuse s'étant trouvée à louer, le directeur la prit à bail et se transporta lui-même au n°. 15, l'ancien Hôtel des Monadey que la Révolution avait enlevé au séminaire de la Mission. Le n°. 16 était lui-même l'ancienne maison des bénéficiers de l'église Saint-Siméon, devenue bien de la Nation en 1790. On accédait à la partie louée par M. Chaminade en contournant le chœur de l'église. C'est dans ce modeste asile que les officiers d'honneur, les sacristains, l'ordonnateur du plein chant et l'ordonnateur de la musique eurent, jusqu'en 1804, l'occasion de se rendre utiles. « Je me souviens y avoir vu célébrer, nous dit l'abbé Rigagnon, avec la plus grande piété, l'office divin accompagné de chants en l'honneur de Marie et tous propres à faire aimer et chérir cette religion qui n'osait encore étaler au-dehors la pompe si imposante de ses cérémonies ».

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Le principe de la congrégation valait aux yeux de Chaminade pour tous les âges des deux sexes. L'organisation de la jeunesse masculine n'était qu'un commencement.

Le 25 mars 1801, Marie-Thérèse de Lamourous, Louise Maqué, Hélène Jay, Catherine Pichon, Andrée Bidon, Rose Laurède, Catherine Bidon, Thérèse et Marie Tauzin se consacraient à Notre-Dame : le rameau féminin de la congrégation était formé.

Il était de valeur. Louise Maqué, Hélène Jay, Andrée Bidon, n'hésiteront pas à entrer dans ces nouvelles familles religieuses que l'Esprit de Dieu va susciter de différents côtés. Marie-Thérèse de Lamourous n'était autre que la fondatrice de la Miséricorde. Sa présence parmi des jeunes personnes dont la moins âgée a seize ans et l'aînée vingt-quatre, n'est point un effet du hasard. Chaminade l'a choisie pour être l'animatrice des personnes de son sexe.

Née à Barsac, d'une famille de noble, le 1er novembre 1754, elle était parvenue à un rare degré de vie chrétienne, grâce aux excellents principes de son éducation première et à la prudente direction de ses guides successifs, le P. Pannetier, l'abbé Lacroix, l'abbé Chaminade. Le Carmel l'avait attirée ; son confesseur l'avait jugée faite pour l'action. « Servez Dieu en homme et non en femme », lui avait dit le P. Pannetier, en lui donnant sa dernière bénédiction avant de monter sur l'échafaud. Elle était digne d'un tel conseil. Plus d'une fois au cours de la Terreur, elle s'était glissée à la dérobée dans la salle du Comité de surveillance et y avait surpris des projets d'arrestations que ses avertissements avaient déjoués. Sans se laisser arrêter par le danger, elle avait approché les suspects dans les prisons et les avait réconfortés. Au Pian, elle avait reçu des prêtres et catéchisé des enfants. En 1796, elle s'était offerte à Dieu en victime de réparation ; elle avait signé son offrande de son sang, la renouvelait chaque jour. la précisait fréquemment. Simple dans sa foi, surnaturelle dans ses vues, ferme dans ses résolutions, hardie sans témérité, distinguée sans effort, enjouée, personnelle et bonne, elle exerçait un ascendant irrésistible sur tous ceux avec qui elle entrait en contact. On eût difficilement trouvé dirigeante plus qualifiée. Sans élection sans doute, mais avec l'assentiment unanime des associées, elle assuma la

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responsabilité de toute la section des jeunes filles. Pour toutes, elle fut, dès lors, la Mère.

La Mère ne plaignait pas sa peine. Elle était femme à mener de front deux œuvres aussi différentes qu'un refuge pour filles repenties et une congrégation d'enfants de Marie. En un an, celle-ci groupa 60 membres et parmi les associées qui se joignirent aux 9 premières, avant le 25 mars 1802, on relève les noms de 7 futures religieuses.

Faute de documents, nous savons peu de chose sur la vie du groupe féminin durant cette première année, mais il est à croire qu'elle ne différa pas beaucoup de celle qui caractérisa la section des jeunes gens. Le but est le même : unir pour affermir. D'où même organisation : une seule société pour toutes les conditions avec des fractions aussi homogènes que possibles. Mêmes moyens aussi : des contacts fréquents, grâce à des réunions nombreuses et diverses : messe, vêpres et assemblée d'étude chaque dimanche, assemblée générale et réunion de fraction une fois le mois, distractions en commun les jours fériés. A la base un grand esprit de charité chrétienne et une filiale dévotion à la Vierge.

Il est à noter que si M. Chaminade demandait aux jeunes gens la récitation quotidienne du Petit Office de l'Immaculée Conception, c'est le Petit Office du Cœur Immaculée de Marie qui était de règle chez les jeunes filles et que si, au jour de leur consécration ceux-là recevaient, comme signe de leur contrat marial, un ruban blanc destiné à être porte en sautoir sous les habits, celles-ci se voyaient imposer une ceinture rouge sur laquelle se détachaient ces mots : « Société de la très pure Marie et du glorieux saint Joseph ». Pourquoi ces différences ? On ne découvre pas l'intention qui les expliquerait. Ne serait-ce pas que le rameau féminin de la congrégation faisait revivre la confrérie du Sacré-Cœur de Marie érigée en 1748 dans l'église des Cordeliers à Bordeaux ? Les premières congréganistes de M. Chaminade semblent trop jeunes pour y avoir appartenu, mais Mlle de Lamourous ? D'ailleurs est-il impossible que quelques jeunes filles se soient entendues secrètement pour continuer la dévotion au Cœur de Marie, pendant les temps si difficiles de la Révolution ? M. Chaminade se sera trouvé devant un embryon d'association et il l'aura recueilli dans son

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organisation comme il recueillera plus tard les survivants de la congrégation des Capucins et les Dames de la Retraite.

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Dès l'année 1801, à défaut de règlements définitifs, l'association possède un Manuel. Imprimé chez M. F. de Léon, solidement relié en cuir, il a pour titre : « Recueil de prières et de pratiques pour servir au culte de la très pure Marie, auquel on a ajouté plusieurs cantiques ! » Le Petit Office de l'Immaculée Conception, celui du Sacré-Cœur de Marie, la Petite couronne, les prières qui se font au jour de la consécration, remplissent la majeure partie des 144 pages dont il est composé. Quelques formules de dévotion, des litanies, onze cantiques et une introduction de 28 pages sur les « Obligations d'une personne consacrée au culte de la très pure Marie », occupent le reste.

Divers indices font penser qu'il s'agit de la réédition - légèrement remaniée, peut-être, - d'un recueil antérieur. Comment expliquer autrement que le Manuel s'ouvre par le tableau des indulgences accordées aux congrégations affiliées à la Prima Primaria ? que l'introduction soit écrite exclusivement pour les jeunes gens et qu'on y insiste sur les dangers - inexistants en 1801 - de l'entrée en religion ou dans l'état sacerdotal sous l'empire de considérations intéressées ? On songe, en le parcourant, à une œuvre composée pour les disciples de l'abbé Lacroix à Sainte-Colombe plus qu'à un travail original de M. Chaminade .

Celui-ci du moins ne reniera jamais les idées émises là sur la nature et les obligations de la consécration mariale et c'est à bon droit que l'on peut chercher dans ce texte la plus ancienne expression de sa pensée à ce sujet.

Sans comporter une donation comme la profession religieuse, la consécration est un contrat, un échange de promesses, entre le fidèle et la Vierge. Le chrétien, pour rendre à Marie le culte qui lui est du, s'engage a se conformer aux usages, règlements et directions de la congrégation. Il promet d'invoquer Notre-Dame, de l'honorer, de s'abstenir de tout ce qui blesserait ses intérêts, d'imiter ses vertus, de fuir le péché, de contribuer à répandre son culte et d'avoir pour saint

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Joseph, son Epoux, des égards particuliers, des sentiments de respect et de confiance. En retour, la Vierge lui assurera son concours maternel en toute circonstance. C'est une alliance qui se noue et se scelle. C'est un acte d'adoption en ce sens que cette démarche assure le jeu normal des fonctions maternelles de Marie à l'égard de la personne qui se voue à son culte. Il y a là, en raccourci, toutes les idées que M. Chaminade développera dans la suite à ses congréganistes.

A quarante-sept ans de la, parvenu à une extrême vieillesse, l'ancien directeur de la congrégation ne pouvait évoquer sans émotion le temps où il avait lancé son œuvre. On le comprend. Ces premiers mois avaient été si encourageants ! Dans l'un et l'autre sexe, une élite s'était levée, s'était groupée, décidée non seulement à vivre ostensiblement et effrontément sa foi, mais encore à seconder de tout son pouvoir l'ardent missionnaire sans ses projets de rechristianisation. Une centaine de jeunes gens, une centaine de jeunes filles avaient senti toute la gravité de l'heure, avaient pris conscience de leurs responsabilités chrétiennes et se tenaient prêts à entreprendre méthodiquement la contagion du christianisme. Après l'Autriche, l'Angleterre se décidait à traiter ; l'autorité de Bonaparte inspirait confiance ; le Concordat devenait loi l'État : on pouvait aller de l'avant.

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Chapitre troisième

GUÉRIR ET PRÉSERVER

Au lendemain de la Révolution, les chrétiens sont une minorité. Il ne s'agit plus simplement d'entretenir la vie chrétienne parmi des populations qui sont, de longue date, attachées à la foi. Ce qui doit passer au premier plan, dans les villes du moins, c'est le travail de pénétration dans les masses déchristianisées. Il ne saurait être question de se borner a maintenir des positions acquises, puisqu'il n'y a plus de positions acquises ; il faut conquérir, augmenter le nombre des vrais chrétiens le plus rapidement possible.

Plus que tout autre M. Chaminade le comprend. Il est Missionnaire apostolique, « envoyé pour le soutien de la foi, par la sacrée congrégation de la Propagande » ; c'est pour remplir son mandat qu'il a organisé la congrégation de l'Immaculée Conception : celle-ci doit être une mission perpétuelle, un outil missionnaire continuellement en travail. Si durant l'année 1801, il a visé à réunir une élite et à la cultiver, il entend bien ne pas s'en tenir là et entreprendre avec méthode la conquête des foules égarées ou indifférentes à leurs intérêts spirituels.

Nous sommes familiarisés de nos jours avec deux méthodes d'apostolat par lafques. Certaines organisations se présentent ouvertement comme des formations réservées à l'élite. Elles veulent être des associations de chefs, des écoles d'apostolat. Ayant un caractère de perfection avoué, voulu et entretenu, elles sont au laïcat ce que les Ordres actifs sont à la vie religieuse. Elles se recrutent parmi les bons chrétiens qui ne veulent pas se contenter de se sanctifier eux-mêmes et entendent collaborer en actes à l'apostolat sacerdotal. Elles présupposent ce qui est donné à tous comme éducation et comme formation chrétienne. Elles exigent, en outre, un certain désir de faire du bien aux autres, une sorte de vocation apostolique. Elles donnent elles-mêmes une initiation à la vie active et visent à faire en quelque sorte des techniciens de l'apostolat. Ayant

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insufflé à leurs membres une âme d'apôtre, elles comptent sur leur rayonnement, sur leur influence, pour diffuser les idées chrétiennes. Elles organisent, elles assurent l'enseignement du christianisme et si elles s'incorporent certains des individus convertis par leurs sociétaires, ce n'est qu'après avoir éprouvé la conversion et découvert une vraie vocation à l'apostolat.

D'autres œuvres, au contraire, pratiquent la méthode d'absorption et d'assimilation. Loin de faire de la pratique religieuse une condition d'admission, elles attirent, elles incorporent avant de christianiser et pour christianiser, la christianisation se faisant pour ainsi dire d'elle-même, au sein de la communauté, par l'influence que celle-ci exerce sur les associés. C'est la méthode, la tactique de la. contagion.

En 1802, M. Chaminade avait opté pour la méthode d'assimilation par la communauté. Sans renoncer à produire des chrétiens de valeur et des chefs, son association aura les caractères extérieurs d'une organisation de masse. Elle n'aura d'autres exigences et d'autres pratiques communes que celles de la vie chrétienne ordinaire. Elle se présentera comme le moyen facile d'accomplir tous les devoirs du christianisme, comme un îlot de sécurité. Elle s'ouvrira à toute demande sincère de la part de ceux qui, sans elle, ne sont pas assez forts pour être chrétiens. Bien plus, dans la persuasion que les préjugés et l'ignorance sont pour beaucoup dans l'attitude des jeunes à l'égard du christianisme, elle cherchera à attirer de toutes manières et accueillera même ceux qui vivent loin de toute religion. L'apostolat prendra la forme du prosélytisme et la transformation religieuse des âmes se fera au sein même de la congrégation par le contact avec les anciens.

Le 18 avril, le jour même où l'Église de France chante le Te Deum du Concordat, en la solennité de Pâques, la congrégation, prête pour l'offensive, s'adjoint une classe des prétendants, véritable catéchuménat, l'homologue du groupe des sympathisants dans notre J. O. C.

Les prétendants sont, en principe, des jeunes gens dont l'éducation chrétienne est à faire ou à reprendre. Ils viennent de l'indifférence, de l'insouciance, de la médiocrité, d'où l'association veut les retirer pour faire d'eux de bons chrétiens. Un premier attrait,

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un sentiment de faiblesse dans l'isolement, la voix du remords parfois, le désir d'échapper à la tyrannie du respect humain : les motifs sont divers qui orientent vers la société de la rue Saint-Siméon. Là, on se garde de rebuter ceux qui se présentent ainsi. On les traite, au contraire, avec tous les ménagements que la charité la plus avertie peut inspirer.

Un introducteur spécial s'occupe d'eux, les voit en groupes et on particulier. Le Conseil a choisi pour cet office un congréganiste profondément religieux et surnaturel, mais gai compagnon et nullement bigot. « Même il est à propos, dit le directoire, que sa piété ne se laisse pas tout à fait découvrir, car il faut ménager les yeux qui craignent la lumière. Il doit être lui-même d'une conduite régulière et édifiante sans renoncer aux distractions de la jeunesse. Son rôle n'est pas de faire connaître les règlements de la congrégation », c'est de ramener au bercail des brebis égarées, de convertir des libertins. Il sait que « le prétendant doit être considéré comme retenu encore par plus d'un lien..., comme rappelé secrètement et quelquefois verbalement à ses faux plaisirs. Il s'agit de maintenir ses forces, de l'aider et non de le molester… Il faut le veiller comme un tendre oiseau que l'on chérit… Tout ce que la religion a de charmes, tout ce que la vertu a de plus aimable doit être prodigué à ce néophyte, comme le lait aux enfants à la mamelle ».

Quoiqu'ils aient plus de 16 ans, âge requis pour l'admission, - ces nouveaux venus « peuvent n'avoir pas fait leur première communion ». Dans ce cas, il faut les y préparer. Sans hâte, - aucune limite de temps ne la gêne, - de la façon la plus naturelle possible, en évitant tout ce qui sent la propagande artificielle, l'introducteur s'ingénie à leur faire découvrir les avantages de l'association, et les met en relation avec les sociétaires les plus qualifiés pour leur inspirer confiance. Aucune contrainte formaliste ne leur est imposée : il faut que les actes naissent des convictions. C'est peu à peu et comme d'eux-mêmes qu'ils doivent constater la bienfaisante influence de la religion. Quand ils s'ouvrent de leurs dispositions, rien de plus facile que d'orienter leurs lectures ou d'avoir avec eux quelques entretiens pour leur assurer 1es connaissances religieuses élémentaires. Aidés par l'ambiance. ils prennent insensiblement des habitudes chrétiennes ; l'idéal religieux les attire ; la grâce les

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travaille ; un jour, ils se confessent et communient : leur catéchuménat est terminé. Ils peuvent demander à devenir approbanistes ; leur christianisation se poursuivra au sein de la communauté chrétienne par contacts fréquents avec de vrais chrétiens. Ainsi, la multiplication des chrétiens se fait au rythme de la multiplication des congréganistes.

En inaugurant cette méthode et en portant les efforts de la congrégation sur la jeunesse égarée, M. Chaminade n'a garde de renoncer à faire œuvre de préservation. S'il espère reprendre quelques sujets à l'indifférence, à l'irréligion et à l'inconduite, il se rend compte aussi que s'il peut s'attacher l'enfance avant qu'elle n'ait subi l'influence anti-chrétienne, il préparera efficacement un avenir plus chrétien.

M Rigault nous a dit comment, dès janvier l802, deux congréganistes du Missionnaire avaient ouvert à Bordeaux une école pour les enfants pauvres. A l'autre extrémité de la ville, au quartier des Chartrons, un autre congréganiste de la première heure, Alexandre Dubosq réunissait chez lui les garçons de son voisinage et leur apprenait le catéchisme avec les premiers éléments de la grammaire. D'autres sociétaires, Estebenet, Raymond Lafargue, Crépin Cahier, Timothée Momus, Jean Thomas, Jacques Déjernon, André Martres, s'occupaient d'enseignement, M. Chaminade se réjouissait de toute cette activité pédagogique qui ne séparait pas l'éducation chrétienne de l'instruction. A ses yeux, 1'école chrétienne faisait pour les enfants ce que la congrégation s'efforçait de réaliser pour les jeunes gens. Mais de la sortie de l'école, vers douze ans, à l'entrée dans la congrégation à 16 ans, les adolescents étaient livrés à eux-mêmes, exposés à tous les dangers de l'isolement. Pour obvier à la situation, la classe des postulants s'organisa.

Les postulants sont des pré congréganistes. Ils forment un groupe spécial, ont leurs chefs, leurs règlements, leurs réunions. L'association les accueille au lendemain de leur première communion. Elle les répartit, suivant ses principes, en diverses fractions d'après leur origine sociale, leur assigne des congréganistes zélés qui, sous la direction d'un introducteur des postulants, se partagent les responsabilités de l'organisation. Ils récitent le Petit

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Office de l'Immaculée Conception ou la Petite Couronne tous les jours ; ils prennent part à la communion générale des jeunes gens, chaque deuxième dimanche du mois : ils assistent aux offices religieux avec les congréganistes et sont convoqués à leurs assemblées générales, mais on les dispense des réunions tardives, s'ils habitent loin de l'oratoire. Leurs divertissements sont distincts de ceux des congréganistes. Leur petite société possède une caisse autonome pour les besoins des pauvres, la décoration de l'oratoire et les récréations communes. Tous les quinze jours, ils tiennent une assemblée générale qui leur est propre. Bref, c'est une sorte de patronage avant le mot et c'est une pépinière pour la congrégation.

L'initiative obtint vite grand succès. Les recrues vinrent en nombre ; les congréganistes accueillirent l'œuvre nouvelle avec empressement : en peu de temps, il exista trois fractions de postulants.

Autant que l'on peut en juger, la classe des postulants faisait revivre l'œuvre que l’abbé Lacroix dirigeait à Sainte-Colombe avant la Révolution. Mais en l'intégrant dans la congrégation même, M. Chaminade achevait de donner à celle-ci son caractère de communauté missionnaire et sa physionomie originale. Décidé à multiplier le nombre des chrétiens, il veut en faire et avec les enfants qu'il formera et avec les jeunes gens, de 20 à 30 ans, qu'il reprendra au paganisme du siècle. Conçue pour mettre à la portée de tous la pratique sincère et sérieuse du christianisme, la congrégation christianisera en attirant à elle, en devenant toujours de plus en plus nombreuse. C'est dans son sein qu'elle préservera, aidera, formera, guérira, refera une société chrétienne. Avant le terme, elle est dès 1802, un mouvement.

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Chapitre quatrième

PROGRES ET DIFFICULTES

Le Consulat durait. Affermi coup sur coup par la Paix d'Amiens et par le Concordat, il justifiait les espoirs de ceux qui avaient salué en lui un régime réparateur. Plus que tous autres, les Bordelais se réjouissaient d'une situation qui, ranimant leur port, ouvrait à leur commerce les plus belles perspectives de gain.

Dans sa nouvelle métropole, Mgr Charles-Francois d'Aviau du Bois de Senzay avait été bien reçu. Il s'était occupé immédiatement d'organiser son diocèse.

On dit qu'il songea à prendre l'abbé Chaminade dans son conseil. Dans leur rapport sur l'état du clergé, MM. de la Porte et Boyer avaient écrit : « M. Chaminade est resté sept ans à Bordeaux où il a rendu les plus grands services ; ce prêtre infiniment respectable par son zèle et par ses vertus a de grands moyens pour faire le bien et mérite d'être distingué sous tous les rapports ». Mais s'il fut pressenti pour quelque poste en vue, le directeur de la congrégation dut décliner toutes les offres sans arrière pensée. Il était Missionnaire du Saint-Siège, ce titre lui suffisait. S'il avait accepté l'administration du diocèse de Bazas, c'était par déférence pour Mgr de la Tour du Pin ; le Concordat lui avait rendu sa liberté. Sa mission à lui, c'était de faire des chrétiens avec les générations grandies pendant la Révolution. Il se sentait bien dans sa voie : pouvoir se dépenser pour multiplier les congrégations, c'était la seule faveur qu'il ambitionnait.

Mis au courant, l'archevêque félicita, encouragea et bénit. Dès lors, la petite société de la rue Saint-Siméon avait en lui un père dévoué. Elle le comprit et exprima sa joie reconnaissante par la plume du jeune Rotis qui, devenu préfet en septembre, voulut donner à ses camarades un chant de ralliement. En neuf couplets, l'apprenti poète dit le prix et les avantages de la congrégation établie sous les auspices de la Vierge Immaculée, puis dans une dernière strophe, il unit dans une pensée de gratitude, le nom de l'archevêque à celui du

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Premier Consul. Et les congréganistes, à partir de ce jour, accueillirent leur protecteur dans leur humble oratoire en chantant de toute leur âme :

« Tu fais de tous les cœurs la certaine espérance,

Pontife auguste et vénéré !

Nous chérirons toujours le héros de la France

Par lequel tu nous fus donné.

Napoléon, de la Patrie

Sera la gloire et le soutien ;

Et d'Aviau, pour l'autre vie,

Nous assurera le vrai bien ».

M. Chaminade maintenant n'avait plus les soucis du Bazadais. Tout naturellement la congrégation devait bénéficier de la plus grande liberté laissée à son directeur. Allant à l'essentiel, celui-ci avait organisé son œuvre pour les jeunes. La jeunesse, par nature est révolutionnaire. C'est son charme et c'est sa force. Elle donne volontiers dans les nouveautés et cette tendance est précieuse quand il s'agit de travailler en réaction contre des années de déchristianisation. Pourtant il ne déplait pas aux jeunes d'avoir avec eux des personnes d'âge mûr qui partagent leurs aspirations. Ils trouvent dans ce contact et un surcroît de confiance et une assurance contre leur propre inconstance. Après l'impiété du XVIIIème siècle, la jeunesse de la congrégation adhérait à l'idéal chrétien avec quelque fierté : si, à côté d'elle et en lui laissant la première place, on établissait une section d'hommes et une section de femmes, jeunes gens et jeunes filles se sentiraient épaulés solidement. Quand et quand, on aurait la possibilité de garder à l'association les membres qui, avec l'âge, ou le mariage, quitteraient les rangs de la jeunesse. N'est-ce pas à tout âge que l'homme a besoin de la chaude atmosphère d'une communauté pour exploiter à fond les richesses de sa foi et de son baptême ?

A la Noël 1802, six hommes s'agenouillent devant l'autel dédié à la Vierge Immaculée et sont reçus congréganistes. Ce sont : Pierre-Léon Lapause rentier, Pierre-Paul Moreau marchand, Claude Héliès et Jean Feuilhade propriétaires, Bernard Genniau chef de Bureau et

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Guillaume Dordé fondeur en cire. Huit jours plus tard, le médecin François Trocard et l'arbitre Antoine Plasseau se joignent à eux. Quatre autres réceptions faites 1es 2 et 25 mars, 10 et 17 avril amènent à la congrégation Marc Fournio1 et Louis Lalanne propriétaires, Bernard Lacombe négociant, François Duchesne de Beaumanoir avocat.

La plupart de ces hommes sont d'aimables et paisibles Bordelais, qui on vécu la Révolution sans aventures, mais non sans courage, fidèles à Dieu, à leur conscience et à l'Église romaine. Sous la Terreur, Claude Héliès n'a pas craint d'abriter le vicaire général Boyer et sans doute les autres pourraient-ils revendiquer maints services rendus au clergé réfractaire. Leurs relations avec M. Chaminade doivent remonter à cette époque.

La vie de l'un ou l'autre a été plus mouvementée.

De noblesse paloise, Pierre-Paul de Lapause, frère d'un prêtre émigré, a eu ses biens saisis, a été mis en prison et n'a retrouvé la liberté que pour recevoir le dernier soupir de sa vieille mère, le 5 octobre 1796. Resté seul et rentré en possession de ses terres, il habite maintenant Bordeaux et ne songe qu'à utiliser ses revenus en œuvres pieuses. I1 est très lié avec M. Chaminade depuis 1792.

Marie-François Duchesne de Beaumanoir, qui a fait bénir son mariage par l'abbé Boyer, dans l'oratoire d'Hélies, en pleine Terreur, le 9 juillet 1795, a été subdélégué général de l'Intendance de Guyenne, sous Dupré de Saint-Maurs. Très cultivé, ancien membre de l'association littéraire du Musée, il avait occupé le fauteuil directorial à l'Académie de Bordeaux, en 1788, et passait pour l'un des érudits les plus remarquables de la ville. Il avait aussi milité en politique et acquis une influence assez considérable dans cet Institut philanthropique dont M. Caudrillier puis l'abbé Lacouture ont retracé l'histoire et le rôle. Après l'arrestation de Dupont-Constant, en mai 1800, il avait pris, sous le nom de Franc-Fidèle, la direction de ce mouvement que Marengo paralysa. Il eut alors pour secrétaire Jean-Baptiste Estebenet, - Mauny pour les initiés, - et c'est peut-être ce dernier qui l'introduisit auprès de M. Chaminade . Originaire de Vitry-le-François, il était en 1803 dans sa 47e année.

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Sa réception portait à 12 le nombre des hommes congréganistes. C'était assez pour justifier l'organisation d'une section spéciale. On mit à l'étude un règlement qui fut prêt le 16 mai. L'Agrégation des Pères de famille date de ce jour et les membres perpétueront le souvenir de la fondation en célébrant chaque année la fête de Notre-Dame-aux-Martyrs, le 13 mai.

Des quinze articles qui constituent ces statuts primitifs, le premier est à citer : « Considérant tout le bien qui résulte de l'organisation sage, éclairée et vaste de la congrégation des jeunes gens pour le culte de la patronne des saints, sous le nom de l'Immaculée Conception de Marie. Considérant combien cette œuvre, si utile à la jeunesse, si précieuse à la société, si avantageuse pour les chœurs et la religion, doit être chère à tous les pères de famille, qui y acquièrent chaque jour un plus grand intérêt en proportion de l'accroissement de leurs enfants. Nous avons déclaré que l'accroissement et la perfection de la congrégation de la jeunesse, établie et dirigée à Bordeaux par Monsieur notre directeur, devenait dès ce moment l'œuvre de notre cœur. Ainsi rien de ce qui peut intéresser les jeunes gens de cette congrégation ne nous est étranger ; nous les considérons sous les liens les plus prochains. Travailler à leur édification dans la piété, à leur soutien dans la société civile, c'est le devoir très cher de notre cœur ». Ne dirait-on pas d'un mandement épiscopal ? Ces braves gens faisaient les choses sérieusement.

Les articles suivants précisent les engagements de caractère religieux, fixent les jours de réunion, règlent l'assistance aux malades et la participation aux convois funèbres. Rien d'essentiel n'a été oublié, pas même l'interruption des réunions de la Nativité de Notre-Dame jusqu'à la Toussaint exclusivement. A ce moment de l'année, le directeur est occupé par les retraites qu'il prêche aux jeunes.

La formation de l'agrégation au sein de la société qui se réunit rue Saint-Siméon pose un petit problème d'histoire locale. Les premiers membres n'ont-ils pas appartenu à la congrégation des Artisans qui, avant la Révolution, tenait ses assemblées dans l'enclos des Capucins ? Dix ans se sont écoulés depuis que l'ancienne sodalité s'est dispersée. Au témoignage de M. Chaminade, « l'œuvre ne fut

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pas totalement anéantie : les membres pieux de cette réunion eurent la constance de la soutenir ». En 1803, plusieurs congréganistes en sont « les restes ».

Faut-il chercher ces survivants dans la jeunesse ? Les divers biographes de M. Chaminade l'ont pensé. N'est-ce pas à tort ? En 1789, les Lafargue, les Ducot, les Estebenet, les Dubosq et les autres pouvaient appartenir à la congrégation de Sainte-Colombe, mais ils n'étaient pas d'âge à fréquenter la chapelle des Artisans. Pourquoi ne serait-ce point par les agréganistes que l'association de la rue Saint-Siméon se rattacha au passé ? C'est toujours à eux que fait allusion M. Monier, le secrétaire du directeur, quand il évoque les survivants de l'œuvre ancienne. On objectera que les 12 premiers Pères de famille n'étaient pas des artisans. C'est oublier qu'avant la Révolution, le terme artisan désignait tout autre chose qu'un ouvrier de nos jours. En 1824, M. Chaminade écrira encore : « il y a dans nos congrégations de simples artisans qui, sans sortir de la modestie convenable à leur condition, connaissent leur religion assez bien pour l'enseigner à leurs ouvriers... » L'ancienne congrégation établie chez les Capucins présente d'ailleurs les caractères d'une association de Grands Artisans ou bourgeois. Certains documents l'appellent congrégation des habitants et, pour payer, comme ils le font, 18 livres lors de leur réception et ensuite trois livres chaque année, pour être, comme ils le sont, les protégés de la Jurade qui fréquente leur chapelle, ces habitants doivent être plus près de la bourgeoisie que l'artisanat. Dès lors il n'y a aucune difficulté à admettre que des propriétaires comme Claude Héliès, Jean Feuilhade, Marc Fourniol et Louis Lalanne, qu'un fondeur en cire, comme Guillaume Dordé, ont pu appartenir à l'ancienne congrégation de l'Immaculée Conception. C'est par eux que l'œuvre de M. Chaminade sera devenue l'héritière des sodalités jésuites.

Cette hypothèse trouve une sorte de confirmation dans le fait que, sitôt l'agrégation des Pères de famille constituée, le directeur s'adressa au Cardinal Caprara pour obtenir en faveur de ses sociétaires la confirmation du Bref pontifical que la congrégation des Capucins avait sollicité et reçu en 1783. Il est à croire que les nouveaux arrivants avaient conservé par devers eux la traduction du document et la remirent à M. Chaminade. Celui-ci rédige une

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supplique. Il porte à la connaissance du Saint-Siège que « depuis quelques années, l'Église de Jésus-Christ a eu la consolation de voir s'établir et s'augmenter considérablement, de jour en jour, dans la ville de Bordeaux, une réunion de la jeunesse de l'un et l'autre sexe, sous les auspices et l'invocation de l'Immaculée Conception de la très Sainte Vierge Marie, Mère de la jeunesse ». « Des prêtres, dit-il, des laïques d'un âge mûr et d'une piété solide se sont particulièrement dévoués a l'encouragement et à la stabilité de cette œuvre salutaire ». Aussi, « tout donne lieu d'espérer que, moyennant la grâce de Dieu, cette intéressante pépinière de serviteurs de Marie est appelée à propager l'esprit de religion et de ferveur dans les divers états de la société qu'elle est destinée à occuper un jour ». C'est pourquoi, certain que le Saint-Père « n'apprendra pas sans une vive satisfaction les grâces que la miséricorde divine a bien voulu ménager à cette intéressante portion du troupeau confié à sa sollicitude, dans un âge si exposé à la séduction de l'exemple et dans un pays si longtemps livré aux débordements de l'erreur et de l'impiété », le directeur ose demander, pour cette association, les « grâces, indulgences et privilèges dont Pie VI... gratifia tous les confrères et confrèresses affiliées à la congrégation de la Conception Immaculée de la très sainte Vierge Marie établie dans le couvent des religieux capucins de Bordeaux... »

La lettre était datée du 26 mai. Mgr d'Aviau 1'apostilla le jour même, attestant « à son E- L`Eminence le Cardinal Légat de sa Sainteté que la pieuse association pour laquelle était présentée cette humble supplique se rendait digne par sa régularité et sa ferveur que des grâces spéciales lui soient accordées. »

Par les soins de l'archevêché, la requête parvint rapidement à Paris avec une traduction du Bref de 1783. Le 2 juin, le Cardinal Caprara accordait le transfert des indulgences. Le 7, M, Chaminade était informé : la congrégation de la rue Saint-Siméon succédait régulièrement, canoniquement à celle des artisans.

Elle n'a pas encore trois ans, « la pieuse association » et déjà plus de 150 jeunes gens, autant de jeunes filles et 13 hommes s'y sont engagés publiquement à « se montrer effrontément chrétiens », Les prétendants et les postulants portent au chiffre : de 300 le seul

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effectif de la branche masculine. Celle-ci surtout attire l'attention : « C'est, dit à cette époque une note de l'archevêché pour le ministre des Cultes une congrégation de jeunes gens, de 14 ou 25 ans, qui se réunissent les dimanches et fêtes, sous la direction d'un prêtre zélé, dans un oratoire public où ils reçoivent l'instruction convenable aux dangers qui les environnent... Cette congrégation précieuse, qui préserve ou retire de la corruption d'une grande ville plus de trois cents jeunes gens pourrait encore beaucoup étendre son influence si utile à la restauration des bonnes mœurs. Elle a besoin d'encouragements autant sous les rapports de politique et de police que sous le rapport de la religion ».

On comprendra mieux la valeur de ce témoignage si l'on place en regard celui que Mgr d'Aviau portait à la même date sur l'état de son diocèse : « La dépravation des mœurs, écrivait-il a Portalis, l'impiété ou l'indifférence pour la religion sont portés à leur comble dans les campagnes comme dans les villes ; les lieux publics de danses et les cabarets, multipliés à l'excès jusque dans les campagnes les plus reculées, prennent la place des églises, attirent et corrompent la jeunesse des deux sexes, détruisent les habitudes et les affections de la société domestique et enlèvent aux bons pasteurs jusque aux consolations de l'espérance ».

Aussi bien les dirigeants de la congrégation prennent-ils leur rôle au sérieux. En janvier le préfet en charge, Bernard Rotis, semble avoir provoqué la formation d'un collège d'anciens préfets en s'inspirant apparemment du manuel des Aas. Du moins est-ce ainsi, pensons-nous, qu'on peut interpréter une petite feuille énigmatique restée dans les papiers de la congrégation. On y lit : « ouverture et déclaration le lundi. Projet mûri et renvoyé pour en parler au jeudi ensuite. Le jeudi point d'entrevue. Le samedi, première proposition d'union, d'amitié, d'intelligence. Le lendemain dimanche, seconde entrevue : après la proposition faite et adoptée, accord sur les moyens de faire de bonnes élections qui ont eu lieu comme elles avaient été projetées. Troisième entrevue le mardi, sur les moyens d'effectuer le plan arrêté. Les élections ayant été faites comme on l'avait désiré le 2 février, le 6 on s'est vu : on a renouvelé l'acte du mois ci-dessus ; on s'est promis du gouvernement actuel un double résultat : l'institution fixe de la congrégation et son esprit qui seront invariables ; la

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composition d'un ouvrage qui traitera du gouvernement de la congrégation et de son esprit dans les dispositions ramenées plus haut. On arrête que les entrevues commenceront et se termineront par la prière et qu'un secret inviolable couvrira tout ce qui se fera et se dira pour la plus grande gloire de Dieu ».

Sauf erreur, ces petites négociations auraient été conduites du 24 janvier au 6 février et auraient atteint Lafargue, Estebenet, Darbignac, Lafon, Lacombe et Rotis.

Le préfet élu le 2 février n'est autre que Lafon, qui, en janvier 1802, a déjà été porté à la tête de l'association, qui en 1809 sera arrêté avec Alexis de Noailles et qui, en 1812, lancera Malet a l'assaut de l'Empire. Il était bien fait pour seconder les vues de Rotis et l'on peut penser que, de fait, il y eut à cette date une refonte de règlements de la congrégation : tous les extraits qui nous restent sont postérieurs à la constitution de l'Agrégation.

Bientôt le collège des anciens préfets eut à s'occuper d'une autre question, celle des prétendants.

M. Chaminade, on le sait, avait voulu en faire un véritable catéchuménat, une classe de réadaptation chrétienne pour les jeunes gens que le zèle des congréganistes pourrait arracher à l'impiété. C'était alors une nouveauté et une hardiesse. Les prétendants étaient vite devenus nombreux, trop nombreux même au gré de certains congréganistes qui n'eurent pas l'abnégation, le dévouement, le zèle et l'esprit surnaturel requis par une telle méthode. Un malaise naquit et grandit. Dans le discours qu'il prononça à Pâques, pour célébrer le premier anniversaire de l'organisation des prétendants en classe, l'introducteur laissait déjà entendre qu'on éprouvait quelque déception devant la lenteur des résultats. Est-ce que la jeunesse n'est pas toujours pressée ? A la fin de 1803, les Anciens préfets examinèrent à nouveau la question. « Convoqués par Ferlat, préfet en exercice et présidés par lui d'après le consentement de M, le directeur », ils ne craignirent pas d'affirmer que la présence de ces jeunes gens était une source « d'abus sans nombre ».

« La corruption de leurs mœurs..., les scandales publics de certains produisent des ravages. Ne voulant pas remplir les

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obligations que la congrégation impose, plongés dans le vice et ne voulant pas y renoncer, désireux cependant de conserver aux yeux du public les apparences d'une conduite religieuse que pût leur faire honneur dans le monde, ils se sont empressés de se faire recevoir dans cette classe pour pouvoir impunément se livrer à leurs désordres et cependant avoir le droit d'assurer qu'ils appartiennent à la congrégation, afin de détourner par là la surveillance de ceux qu'ils ont intérêt à ménager ». Leurs vices se communiquent aux approbanistes qui, de confiance, se sont liés avec eux. Les familles se reposent sur la congrégation des liaisons de leurs enfants : grave responsabilité ! A tout prendre, « cette prétendue classe des prétendants n'a fait aucun bien, mais beaucoup de mal... L'expérience a prouvé que presque tous les prétendants, après avoir été reçus, ont cessé d'assister aux exercices de la congrégation. Ils n'ont fait aucune démarche pour lui appartenir. Ceux qui ont été reçus approbanistes l'eussent été sans avoir passé » par un autre grade. Et les Anciens de conclure à la nécessité de supprimer les prétendants.

A travers l'amertume des observations et l'exagération des expressions, on devine des jeunes gens blessés dans 1eur amour-propre de bien-pensants. Etre issu d'une famille honorable, avoir reçu une bonne éducation, n'avoir terni sa réputation par aucun écart de conduite et appartenir à la même société que des individus sans manières et sans retenue, des gens venus de tous les milieux, ayant vécu longtemps loin de toute pratique religieuse et peu scrupuleux en morale, comment admettre pareille situation ? Ces sentiments très humains sont de tous les temps. Combien de familles aujourd'hui critiquent ou boudent les mouvements spécialisés de l'Action catholique pour les mêmes raisons ! Le sentiment de respectabilité l'emporte sur l'amour de Dieu et des âmes.

M. Chaminade ne pouvait admettre la suppression de la classe des prétendants, qui constituait une pièce essentielle dans son mouvement de rénovation religieuse. Sa mission à lui, ce n'était pas de cultiver une élite, ce n'était pas d'organiser et de diriger un séminaire pour apôtres laïques, ce n'était pas de former des chrétiens à l'apostolat pour les envoyer seconder les membres du clergé dans l 'enseignement du christianisme ; sa mission propre, c'était d'organiser la propagation rapide des vertus chrétiennes par la

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contagion, c'était de créer un réseau de communautés transformantes, christianisantes. Si les congréganistes ne se laissaient plus approcher par les indifférents, par les faibles, s'ils ne permettaient plus à ceux-ci de vivre à leur contact, s'ils ne les admettaient plus dans leur société, il n'y avait plus de contagion possible pour le bien. Les Anciens Préfets n'avaient-ils pas compris ? Manquaient-ils de confiance dans l'efficacité du procédé ? Ou bien n'avalent-ils pas assez de générosité pour accepter les sacrifices qui s'imposaient aux « porteurs de germe » ?

La méthode même de l'abbé Chaminade se trouvait discutée. Que faire ? Le rapporteur des Anciens préfets, moins tranchant que ses collègues, avait terminé son compte-rendu en souhaitant la destruction des abus et le maintien de l'institution. C'était sagesse. On entra dans ses vues.

Il fut entendu désormais que les prétendants ne faisaient pas partie de la congrégation et que celle-ci ne répondait pas d'eux. Aucune cérémonie n'accompagna plus leur première démarche. Le temps qu'on leur laissait pour prendre une décision définitive fut limité.

L'introducteur reçut de nouvelles instructions. Il devait se borner à exprimer dans une réunion générale le désir du candidat d'appartenir à la congrégation et ajouter que lui-même favorisait ce désir en raison des renseignements recueillis sur le sujet. Auparavant, il avait à se livrer à une enquête sérieuse et à s'assurer que le jeune homme avait un confesseur, qu'il ne fréquentait ni les théâtres, ni les bals, qu'il n'avait causé aucun scandale notoire, qu'il était en état de pourvoir à sa subsistance, qu'il n'était pas « mal famé auprès du Gouvernement » et qu'il sollicitait librement son admission « par amour pour la congrégation ».

Le candidat avait du en outre prouver sa sincérité par son assiduité aux offices religieux et s'être entretenu avec le directeur.

C'était un compromis. La porte d'entrée restait ouverte, mais on la surveillait et plus étroitement sans doute que n'eut souhaité M. Chaminade. Cet égoïsme auquel il se heurtait une première fois

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attaquerait sans cesse la congrégation, comme un virus de dégénérescence.

Vers la même époque, la congrégation et son directeur purent mesurer une autre difficulté. Tant que l'accord n'avait pas été réalisé entre Rome et le Gouvernement français, M. Chaminade avait eu le champ libre. Approuvé par l'autorité diocésaine, il avait pu suivre les inspirations de son zèle sans porter ombrage à personne. La situation changea quand, en 1803, les paroisses se trouvèrent réorganisées et pourvues de titulaires.

Le directeur de la congrégation ne voulait nullement saper la vie paroissiale. Mais pour arriver à ses fins missionnaires, pouvait-il se passer de ses meilleurs congréganistes ? Pouvait-il leur demander d'assister régulièrement aux offices de leur paroisse, après avoir pris part à ceux de son oratoire ? Pouvait-il les envoyer communier dans leur église paroissiale, sans se priver d'un exemple indispensable à la réussite de son système ? Quant aux prosélytes nouvellement arrachés à l'indifférence par le charme de la congrégation, pouvait-il, sans compromettre leur retour, exiger d'eux autre chose que l'assiduité aux offices de la congrégation ? De leur côté, les curés se disaient que sans leurs meilleurs paroissiens, la vie paroissiale, tombée si bas, ne reprendrait jamais. Le conflit entre les exigences de l' esprit paroissial et celles de l'esprit congréganiste était presque inévitable. La bienveillance du nouvel archevêque pour M. Chaminade et son œuvre, la présence dans le clergé de ville de plusieurs constitutionnels imposés par le Gouvernement n'étaient pas faites pour écarter tout désagrément.

Au début de l'Avent 1803, l'archevêché reçut une protestation véhémente signée par les curés et desservants des paroisses Saint-Louis, Saint-Martial, Notre-Dame, Saint-Nicolas, Saint-Pierre, Sainte-Eulalie, Saint-Eloi, Saint-Seurin et Saint-Vincent-de-Paul. Ceux-ci se disaient informés que M. Chaminade allait transporter le siège de son oratoire dans l'ancienne église Saint-Projet et qu'il se proposait là « de dire et faire dire la messe à portes ouvertes, de chanter Vêpres, prêcher ou faire prêcher, de donner la bénédiction tous les dimanches, tous les jeudis, tous les premiers vendredis du mois ainsi qu'à toutes les fêtes générales ou particulières qu'il avait

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obtenu de célébrer dans son petit oratoire, de faire les fuérailles des congréganistes, en un mot, d'ériger, dans le centre de la ville, une quatorzième paroisse indépendante de la juridiction des curés et qui différerait des autres en ce point seulement qu'on n'y célébrerait ni baptêmes, ni mariages ». Les signataires reconnaissaient « tous les fruits » qu'avait produits la congrégation ; c'était même « afin qu'elle continue à être utile » qu'ils suppliaient l'archevêque de prescrire à M. Chaminade que les portes de l'église soient fermées pondant la messe et que sur trois communions les congréganistes en fassent deux dans leur paroisse, de lui interdire en outre de chanter Vêpres, de prêcher à portes ouvertes, de donner la bénédiction en dehors du jour et de l'Octave de la Conception, de faire les funérailles des congréganistes et d'instruire les enfants pour la première communion.

La congrégation songeait-elle de fait à se transporter dans l'église Saint-Projet ? Aucun document conservé ne fait allusion à un dessein de ce genre, hormis cette lettre des curés de Bordeaux, qui constitue d'ailleurs un témoignage sérieux. Mgr d'Aviau conseilla-t-il au directeur de surseoir ? Des difficultés surgiront-elles au dernier instant au sujet de la location ou de l'achat ? S'agissait-il seulement d'un rêve dont on avait souhaité la réalisation ? Le transfert n'eut pas lieu et, pour l'heure, l'incident fut clos. Mais le zélé missionnaire ne pouvait plus se faire d'illusion, les difficultés ne lui viendraient pas seulement des ennemis de l'Église.

Et la paix d'Amiens n'était déjà plus qu'un souvenir !…

* * *

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Chapitre cinquième

LE CONSULAT DEVENAIT L'EMPIRE

Divers événements passionnaient alors les Français et commençaient à les diviser. Le complot Cadoudal, l'enlèvement et 1'exécution du duc d'Enghien, une nouvelle coalition, la campagne pour l'établissement de l'Empire, autant de faits sur lesquels les esprits n'étaient pas unanimes. Les Bordelais pour leur commerce avaient besoin de la paix. Ils ne virent pas sans inquiétude Napoléon engagé clans la guerre. Ce n'est qu'à contre cœur et sans hâte qu'ils se décidèrent à « prier » le premier Consul de répondre aux vœux de tous les Français en fondant une nouvelle monarchie. Quand leurs députés arrivèrent à Paris, le Sénat venait de se prononcer. Modifiant sa mission, la délégation présenta des félicitations ; mais ' « l'empereur, note l'annaliste Bernadeau, dut trouver la démarche ou bien tardive ou bien rapide ».

Que, dans ces circonstances, les Estebenet, les Lafon, les Duchesne de Beaumanoir et autres anciens membres de l'Institut philanthropique soient restés spectateurs indifférents et muets, on l'imagine difficilement. Pour M. Chaminade, il ne se laissa pas distraire. Si à l'étroit qu'il fût dans son petit oratoire, il n'attendit pas plus longtemps pour ouvrir sa congrégation aux femmes mariées.

Sans doute y songeait-il depuis plusieurs mois. En 1803, quand il demande au Cardinal Caprara de transférer à la congrégation de l'Immaculée Conception les privilèges dont jouissait, avant 1789, la congrégation des Artisans, il parle déjà non seulement au nom de la jeunesse, mais aussi au nom des personnes d'un âge mur, de l'un et de l'autre sexe, dévouées à cette œuvre intéressante par une consécration spéciale au culte de Marie. Il est à croire qu'il pensait alors aux dames patronnesses que, de concert avec M. Rauzan, il avait constituées en comité, pour soutenir l'œuvre de Mlle de Lamourous. Plusieurs d'entre elles se réunissaient le second vendredi de chaque mois, dans la chapelle de la Miséricorde, pour y faire une

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récollection et s'y préparer à la mort. Il était facile de les rattacher à la congrégation.

Nous ignorons toutefois dans quelles circonstances précises l'incorporation se réalisa. En 1804, « les Dames consacrées au culte de la très sainte Vierge » ont leurs règlements : elles sont fidèles à la retraite mensuelle et s'appellent, de ce fait, les Dames de la Retraite. Elles entendent « honorer la très sainte Vierge Mère de Dieu, sous le titre de son Immaculée Conception, se préparer habituellement à la mort sous sa puissante protection et mettre un vrai intérêt au soutien, à l'accroissement et à la perfection de la congrégation des jeunes personnes de leur sexe ». A leur tête, elles ont une « première officière » pourvue d'une suppléante. Les premières réceptions connues sont celles de Mmes Jeanne Elisabeth Fourniol et Luce Laplante, le 5 avril 1804, et celles de Mmes CauteIlaz-Lionnais, Malleville et Elisabeth Cahill, 1e 3 mai suivant.

Les Dames de 1a Retraite ne sont astreintes à aucun office. Elles se bornent à réciter chaque jour un acte de résignation à la mort, un Souvenez-vous, l'oraison O Domina mea et un De Profundis. Une fois par an, le premier jeudi de l'année, elles communient dans les dispositions où elles voudraient être si elles recevaient le saint viatique.

Cette importance donnée à la préparation à la mort ne laissa pas se surprendre dans une congrégation mariale. Elle n'a rien de traditionnel. Pour comprendre, il faut se rappeler qu'avant 1751, la Prima Primaria n'affiliait que des congrégations d'hommes ou de jeunes gens. Par suite, pour réunir les personnes de l'autre sexe, les Jésuites formaient les congrégations de Jésus mourant et de Notre-Dame des Douleurs, qui s'affiliaient à une archiconfrérie du même nom érigée dans leur Maison professe de Rome. Bordeaux eut la sienne dès 1738 et c'était l'esprit de cette pieuse association que M. Chaminade faisait revivre en 1804.

C'est vers cette époque aussi que Chaminade fixa la situation des prêtres inscrits dans l'association. Leur caractère sacerdotal, leurs charges et leurs devoirs ne permettaient de les assimiler ni aux jeunes gens, ni aux Pères de famille. Ils formèrent une cinquième section et leurs obligations furent déterminées. Dorénavant, ils ne furent tenus

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qu'aux prières des affiliés, le Mémorare et le O Domina mea et ce fut aux jeunes gens qu'incomba la soin de les veiller dans leurs maladies. Quand, dans ses annales, l'Aa de Toulouse fait allusion à l'Aa bordelaise restaurée après la Révolution, sans doute veut-elle désigner cette section des prêtres groupés autour de M. Chaminade .

Dès son arrivée à Bordeaux, Mgr D'Aviau s'était soucié du recrutement et de la formation de ses futurs prêtres. En 1804, enfin, ses efforts pour obtenir un séminaire aboutissaient : le Gouvernement lui cédait l'ancien couvent des Capucins. L'archevêque n'attendit même pas que l'édifice fût restauré : dès le 4 avril, - il rassembla un groupe de séminaristes dans un local provisoire, rue de Rohan. M. Bertrand a raconté en détail ces débuts difficiles : ce qu'il faut retenir ici, c'est que les premiers jeunes gens qui s'offrirent pour le sacerdoce appartenaient presque tous à la congrégation et que directeurs et supérieur y étaient aussi inscrits. En cette circonstance, l'œuvre donnait une belle preuve de sa fécondité.

De fait, M. Chaminade, infatigable, est toujours en quête d'améliorations, de perfectionnements. Deux jours après le sénatus-consulte qui conférait la dignité impériale à Napoléon, il profitait des solennités de la Pentecôte pour faire donner aux jeunes gens par les pères de famille une promesse solennelle d'amitié et d'assistance.

Qu'on se représente le modeste local de la rue Saint-Siméon. Les congréganistes ont mis toute leur ingéniosité à l'orner le mieux possible, aux moindres frais. C'est le soir. Tous les quinquets de la sacristie, tous les chandeliers ont été sortis et unissent leurs lumières pour créer l'impression d'un grand jour. Postulants, prétendants, approbanistes, congréganistes, agréganistes sont venus au complet. Sur leur habit noir, les officiers ont passé l'écharpe blanche en sautoir. Plusieurs amis de la congrégation, beaucoup de jeunes gens attirés par l'annonce d'une soirée extraordinaire sont mêlés aux associés. Les officiers d'honneur les ont placés à côté des membres les plus anciens ; on a fait connaissance et la conversation va bon train.

Dans le sanctuaire, un fauteuil et une demi-douzaine de chaises occupaient le devant de l'autel que surmonte l'ancienne Madone des Jacobins. On a retiré le Saint-Sacrement. Sur chaque côté, devant une

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rangée de sièges disposés en stalles, une petite table est éclairée. Il est sept heures.

L'officier d'honneur en chef donne un signal : au milieu de l'attention générale, toutes les places du chœur se garnissent. La poitrine portant sa grande médaille de vermeil suspendue à un large ruban de soie blanche, le préfet des jeunes gens, Marc Arnozan, assume la présidence. L'abbé Chaminade se tient non loin de lui, mais un peu en retrait. Duchesne Le Beaumanoir, chef de l'agrégation, les Anciens préfets, peut-être aussi l'abbé Lacroix, regardent l'auditoire. Les autres membres du Conseil, revêtus de leurs insignes, sur les côtés se font face.

Quand le silence s'est établi, une voix très sûre d'elle-même entonne :

« Je chante ton bonheur, congrégation chérie », et la salle bondée de continuer :

« Ton esprit anime mes vers.

Voir accroître ta gloire est mon unique envie.

Tous tes intérêts me sont chers.

Je dis, quand mon œil te contemple,

O tendre objet de mon amour,

C'est pour toujours que dans ce temple

Benjamin marque son séjour ».

*

Les voix s'enflent encore pour lancer l'appel du refrain :

« Accourez, chrétienne jeunesse !

C'est ici le champ de l'honneur.

Vous y trouverez la sagesse

Qui veut embraser votre cœur ».

*

Avec le même entrain, on chante encore deux ou trois couplets :

« Rangés sous l'étendard de l'Auguste Marie,

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Chantons sa gloire et sa grandeur !

Amis, consacrons-lui le printemps de la vie !

Elle nous promet le bonheur.

Heureux le mortel qui s'engage

A vivre soutenir à ses lois !

Son culte est le trésor du sage

Qui de bonne heure entend sa voix.

*

Nos mains 1'ont établi sous ses sacrés auspices

Ce sanctuaire des vertus.

L'enfer en a frémi ; l'on a vu tous les vices

Reculer, tremblants, confondus.

Levant sa tête humiliée

Sous les mépris des esprits forts,

La religion éplorée

Triomphe ici par nos efforts.

*

A la voix du Seigneur, une troupe de frères

Conçut le généreux dessein

De bénir, d'exalter la plus tendre des mères

Qui les porte tous dans son sein.

Marie affermit leur courage ;

La paix du cœur en fut le prix,

Grand Dieu conserve leur ouvrage !

Pour ta gloire il fut entrepris ».

Scandés sur 1’air du Chant du Départ, ces affirmations ont perdu leur caractère prosaïque. On respire maintenant une atmosphère d'enthousiasme. Alors de sa voix chaude, Marc Arnozan, en quelques mots, salue l'assistance, souhaite la bienvenue aux « étrangers », dit l'objet essentiel de la réunion et présente « l'orateur » qui va parler au nom de la jeunesse.

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Ce dernier s'avance jusqu'à l'une des petites tables. C'est un étudiant, Jean Laborde. Il énonce son sujet : « La vertu établit l'ordre et fait le bonheur du mondes », puis, pathétique, il introduit sa division :

« Quel sujet intéressant pour vous, Messieurs ! Qu'il est digne des enfants de Marie ! ... Qu'il me serait doux si, par une courte analyse, je pouvais vous peindre la vertu revêtue de ses charmes et parce de ses admirables effets ! Que je me réjouirais si, dans la solennité de ce jour, j'allumais de plus en plus dans vos cœurs les douces flammes de cette vertu bienfaisante qui fait goûter en quelque sorte les prémices du bonheur éternel !

« Mais je n'ose prétendre à de si hautes espérances ; trop heureux si je peux vous persuader que la vertu établit l'ordre, que l'ordre est la vertu de l'Univers et que cet ordre établit les justes relations qui doivent exister de l'homme à l'homme, et de l'homme à Dieu, d'où découle la bonheur ».

Les lieux communs de l'art oratoire alimentent la première partie de 1'argumentation. Les métaphores succèdent aux métaphores. La vertu est « un antidote, une arme invincible qui terrasse le crime et l'attache à son char de triomphe, un bouclier impénétrable, un rempart inaccessible, un mur indestructible ». Les exclamations alternent avec les interrogations et les apostrophes ; l'éloge de la vertu amène le portrait de l'homme vertueux et par antithèse celui de l'homme corrompu : tous ces artifices ne donnent pas une haute idée du talent oratoire de Jean Laborde. Il est vrai que son sujet est des plus abstraits. Et puis, il y met tant d'âme qu'on en vient à lui être indulgent. Le voici maintenant s'essayant à démolir les thèses des ironies. Ils assurent qu'ils sont heureux dans les jouissances grossières et criminelles : « sans le savoir, ils sont les plus malheureux des hommes. Quel triste sort ! » Combien celui des congréganistes est plus enviable ! En ce jour, ils peuvent le constater une fois de plus :

« Considérons à nos côtés la triste existence de l'orphelin livré à lui-même, souvent sans expérience, entouré de mille dangers, pressé par une foule d'objets qui le frappent, sans guide, sans conseil, sans appui ! Considérons ce vertueux congréganiste accablé de revers,

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sans place, sans moyens, sans protection ! Que deviendra-t-il si le malheur trop violent le jette dans le désespoir ? »

Aux chrétiens de secourir leurs frères ! La congrégation ne faillira pas a ce devoir.

« Le conseil, toujours impatient de faire le bien a fixé ses regards sur cet infortuné. Il a pensé que pour entrer toujours de plus en plus dans les voies du Seigneur et pour mériter par là des grâces plus abondantes, il fallait ne pas délaisser cet enfant précieux, consacré comme nous au culte de la meilleure et de la plus riche des mères.... Disons-lui que s'il n'a pas de père, nous possédons dans notre sein des pères charitables et compatissants, des pères dont l'âme généreuse cherche à répandre des bienfaits et à verser dans le cœur de notre ami le baume des plus douces consolations, des pères enfin dont l'esprit ambitionne des occasions favorables pour porter dans l'âme des affligés l'expression des sentiments les plus tendres ».

Et l'orateur de se faire plus pressant en se tournant vers les agréganistes :

« Oui, c'est à vous, Pères de famille, la gloire de notre congrégation, c'est a vous que nous osons adresser nos vœux et nos désirs ; c'est à vos cœurs sensibles et bons, à vos âmes chrétiennes, à la piété qui vous caractérise, à la grandeur de vos sentiments, à l'heureux emploi de vos moyens, au nœud sacré qui nous unit, que les Officiers, représentant la congrégation tout entière, présentent avec confiance ce congréganiste qui nous intéresse à tant de titres ».

Il ne reste plus qu'à conclure : 1a fidélité ne se rencontre que dans le bien. Les congréganistes en feront aujourd'hui l'expérience. « La vertu va établir au milieu d'eux le siège de sa demeure. Quel spectacle ! Quel mot de consolation et de joie ! Le monde offre-t-il rien de semblable ? Non sans doute. Non ! Félicitez-vous et félicitons-nous donc tous ensemble d'appartenir à la mère de Dieu qui nous fait goûter dans la pratique des vertus de si pures délices. Méritons de plus en plus qu'elles fassent couler de ses mains sacrées les bénédictions abondantes qu'elles ne cessent de répandre sur nous. Prions cette tendre Mère de nous donner son esprit de douceur et

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d'humilité qui fait les saints et nous pourrons espérer posséder un jour la plénitude du bonheur céleste ».

Il salue et se retire. M. de Beaumanoir se lève et lui succède devant la petite table. Son discours en main, l'ancien directeur de 1'académie de Bordeaux est ému.

Il part d'un texte attribué à sainte Hildegarde : « Alors, il se formera des établissements de justice et de paix si nouveaux et si peu connus que les hommes en témoigneront leur admiration. Ils diront qu'on ne leur a jamais appris et qu'il est hors de leur connaissance que de si grandes choses aient existé avant eux ». On devine le développement : « .... Les anciennes confréries avaient bien des règlements saints et spirituels ; elles avaient obtenu dans notre sainte religion de très grands privilèges des Souverains Pontifes et sans doute elles édifièrent l'Église dans leur temps et beaucoup d'âmes chrétiennes n'ont dû leur salut qu'à leurs pieux exercices.

Mais aucune d'entre elles ne réunissait l'accord des relations civiles avec celui des grâces spirituelles. Il était réservé, dans le dessein de Dieu, il était, dis-je, réservé à notre congrégation de présenter aujourd'hui, et pour la première fois à l'admiration des hommes un si beau spectacle ».

Combien les secours assurés au malheur par la religion chrétienne l'emportent sur ceux que le paganisme connaissait !

Dans le premier article de leurs règlements, les agréganistes ont déclaré que rien de ce qui intéressait les jeunes gens ne leur était étranger, que travailler à leur édification dans la piété, à leur soutien dans la société civile, était le devoir très cher de leur cœur. Aujourd'hui, ils sont heureux de faire une application solennelle de ce statut fondamental.

« Oui, que tout congréganiste pouvant produire des attestations des chefs de la congrégation, sur son exactitude, suivie un temps moral, à en observer les règles, sur la conformité de sa conduite et de ses mœurs à son esprit, puisse, d'après le désir connu de M. le directeur, trouver, dans l'Agrégation des Pères de famille, un de ses membres qui devienne son appui dans la société, lui tienne lieu de père, le soutienne par ses conseils, par son crédit et par les moyens

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que sa tendresse et son expérience lui feront trouver chez lui, chez ses amis, dans le sein de la congrégation, enfin même dans le monde : telle est la volonté générale des Pères de famille de l'Agrégation. Comme leur premier Assistant comme leur organe, j'ose ici, d'avance, en donner l'entière certitude ».

Mais puisqu'ils sont présents, pourquoi ne pas leur demander un signe d'adhésion à cet engagement solennel ? L'orateur se tourne vers l'abbé Chaminade :

« Qu'il me soit permis, ô prêtre angélique, vous le premier à qui le Très-Haut inspira une idée si sainte, une idée si consolante dans les égarements d'une raison troublée par le malheur, si rassurante contre les coups de l'infortune ; qu'il me soit permis dans l'enceinte de ce saint lieu, en présence de cette pieuse assemblée et devant vous-même, notre sage et bien-aimé directeur ; qu'il me soit permis, dis-je, de demander ici à chacun des Pères de famille qui ont le bonheur de nous édifier l'expression solennelle de leur volonté... »

Tous les regards de l'assistance se sont portés sur le directeur : aucun trait de son visage n'a varié ; placide, il acquiesce d'un signe discret. Aussitôt, M. de Beaumanoir s'adresse aux agréganistes :

« O vous tous, Pères de famille qui m'écoutez, vous vraiment respectables par la pureté de vos mœurs et par la vénération publique dont vous êtes environnés, veuillez, en vous levant tous spontanément, offrir à cette jeunesse, portion vraiment choisie parmi les enfants de Marie, l'assurance d'une protection sans bornes… »

Les Pères de famille - ils sont seize- se lèvent, restent un instant debout, puis se. rassoient sur un geste de : leur chef, qui continue :

« Vous venez de le voir ce touchant spectacle de l'accord des Pères- avec les fils ! Vous venez de le recevoir, Messieurs, ce pacte de famille, vous, Officiers choisis par la Providence pour marcher à la tête : des enfants de Marie dans le chemin de l'ordre et de la vertu ; vous, Monsieur, qui avez été l'organe éloquent et bien agréable des vœux des jeunes gens de la congrégation ! Vous en sentez maintenant tout le prix et la satisfaction la plus entière. Oui ! Messieurs, désormais nous serons vos pères, vos tuteurs, votre appui et votre soutien dans la société. Désormais vous serez pour nous des

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enfants chéris, des jeunes frères que nous aimerons et que nous aiderons de tous nos conseils et de tout nos moyens.

Oui ! jeunes congréganistes, si le monde vous abandonne, si les malheurs presque toujours attachés à l'espèce humaine vous poursuivent et vous accablent, regardez le ciel ! Voyez-y la divine Marie toujours prête à secourir ses enfants ! Adressez-vous avec une entière confiance à ce saint et zélé directeur qu'elle nous montre dans sa bonté ! Venez à nous ! »

Et le discours s'achève. en actions de grâces à Dieu et à la Vierge qui ont voulu qu'en ce jour, sous les yeux de nombreux témoins, s'accomplissent les merveilles annoncées sept siècles auparavant par sainte Hildegarde.

« Ici, note le secrétaire, M. Arnozan, préfet en charge, témoigne à l'Agrégation des Pères de famille, par un petit discours, la reconnaissance de toute la congrégation ».

Qu'on imagine encore un mot du Directeur, puis quelques couplets d'un cantique à la Vierge et l'on aura une idée de ce qu'étaient ces réunions du soir auxquelles M. Chaminade attachait une grande importance.

Toute cette mise en scène un peu théâtrale, cette éloquence artificielle, nous portent à sourire. C'était dans le goût du temps ; la jeunesse s'en régalait ; la congrégation y puisait, en partie, son succès. Si elle n'avait voulu être qu'un groupe de piété, ou si elle n'avait cherché qu'à former une élite de personnalités chrétiennes, elle n'aurait pas eu recours à ces manifestations spectaculaires et populaires. Mais elle entendait être un mouvement, constituer « une conspiration pour le bien », une association d'assistance mutuelle pour la pratique du christianisme ; elle devait donc nécessairement prendre l'allure d'une œuvre populaire, s'adapter au goût des masses et s'intéresser à tous les détails de la vie quotidienne. Cette soirée du 20 mai 1804 est typique. On y saisit sur le vif la méthode réaliste du Missionnaire Chaminade.

Les résultats prouvaient la valeur de l’œuvre. Dès 1804, la première édition du Manuel se trouva épuisée. Elle n'avait pas dû

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être inférieure à 400 exemplaires. La nouvelle fut de 1.000 et sortit le l'imprimerie Léon avant la fin de l'année.

A cette occasion le directeur refondit le recueil de l80l. Aux prières que contenait celui-ci, il ajouta les exercices propres aux Dames de la Retraite, une bénédiction pour le « petit habit » des congréganistes, une autre pour les enfants, les litanies des grandeurs de la très sainte Vierge et des éloges en son honneur pour tous les jours de l'année, le chant de la congrégation et divers cantiques, enfin toute une partie liturgique pour la confession, la communion, l'assistance à la messe et aux vêpres ces principales fêtes de l'année. Le tout formait un volume in -24 de 396 pages et constituait une sorte de paroissien intitulé : « Manuel du serviteur de la très pure Vierge Marie, Mère de Jésus ».

Maintenant aussi M. Chaminade était sûr qu'il ne serait pas gêné par l'exiguïté de son local : il disposait, rue Lalande, d'une grande chapelle, dite La Madeleine.

Construite en 1685, remaniée en 1712, celle-ci avait été jusqu'à la Révolution l'oratoire d'un couvent des Madelonnettes. Le Directoire du District l'avait mise-en vente et, le 4 juin 1793, un négociant de Saint-Domingue, Elie Lafargue, surnommé Petiton, l'avait acquise pour en faire un entrepôt. Après l'avènement de Bonaparte, un vicaire de Sainte-Eulalie, l'abbé Rouiller la loua et la rendit au culte. En 1803, elle devint le siège officiel de la paroisse Saint-Eloi dont l'église se trouvait en restauration. Dans la suite, quand les offices avaient pu se célébrer à nouveau dans I'église Saint-Eloi, beaucoup de personnes avaient exprimé le désir de conserver la Madeleine comme oratoire de secours. Mgr d'Aviau était allé plusieurs fois rue Saint-Siméon ; il aimait la congrégation ; il venait d'en constater l'heureuse influence, puisqu'elle lui avait donné la plupart des recrues de son séminaire. Il s'empressa d'adresser une demande au Préfet du Département. Le 21 Thermidor - 9 août - il revécut la réponse suivante : « J'ai l'honneur de répondre à votre lettre du 17 dans laquelle au nom de plusieurs citoyens de Bordeaux vous demandez la conservation de la chapelle de la Madeleine où s'est fait le service paroissial pendant qu'on réparait Saint-Eloi. Je ne vois, pour le moment, aucun inconvénient à

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conserver cette chapelle, mais ce ne peut être qu'à la charge pour les pétitionnaires de l'entretenir à leurs frais. Au reste, la cession de cet édifice ne peut être que provisoire. La ville de Bordeaux manque de bâtiments pour divers établissements : il est très possible que tôt ou tard, elle réclame la Madeleine. Les pétitionnaires doivent s'y attendre et ne pas trop s'engager dans des dépenses qui, peut-être, tomberont en pure perte ».

D'après la loi, il eût fallu une autorisation du Ministre des Cultes, mais puisque le Préfet ne faisait pas d'opposition, c'était l'essentiel. La ville ne réclamerait pas l'édifice, car il était propriété privée. Le 14 août, l'archevêque rédigea l'ordonnance suivante :

Charles-François d'Aviau du Bois de Sanzay, par la miséricorde divine et la grâce du siège apostolique, archevêque de Bordeaux, au clergé et aux fidèles de notre diocèse, salut et bénédiction.

Vu la requête qui nous a été adressée par un grand nombre de fidèles des paroisses de Sainte-Eulalie, Saint-Paul et Saint-Eloi, à l'effet d'obtenir la continuation des secours religieux dans la chapelle de la Madeleine.

Vu les rapports des curés et desservants des susdites paroisses, consultés sur l'objet de cette demande.

Après avoir obtenu l'assentiment de M. le Préfet du Département de la Gironde en ce qui le concerne. Nous ordonnons ce qui suit :

« 1.- La chapelle de la Madeleine est accordée aux désirs des fidèles à titre d'oratoire de secours ;

2.- Le service religieux se fera dans le dit oratoire sous l'inspection et autorité du curé desservant de la paroisse et conformément aux dispositions suivantes :

3.- Tous les dimanches et fêtes chômées, il y aura dans l'oratoire deux messes basses. La plus tardive devra toujours être finie à 9 heures. Les vêpres se chanteront à 2 heures en toutes saisons et ne pourront en aucun cas, non plus que les messes, concourir avec les offices de la paroisse ;

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4.- Aucune première communion, ni communion Pascale n'aura lieu dans l'oratoire ;

5.- Il y aura bénédiction du Saint-Sacrement tous les vendredis de l'année et aux jours de la Purification, de l'Annonciation, de la Visitation et de la Nativité de la Sainte Vierge ;

6.- Il y aura exposition du Très Saint-Sacrement du matin au soir, grand-messe, vêpres sermon et bénédiction le jour de la conception de la Sainte Vierge. Cette dernière fête sera célébrée avec octave : il y aura exposition à la messe et aux vêpres et bénédiction le jour de l'octave, simple bénédiction les autres jours ;

7.- Nous défendons, sous peine d'interdiction ipso facto dudit oratoire, d'y célébrer aucune fête ou solennité ou dévotion autre que celles prescrites ci-dessus. Et sera notre présente Ordonnance adressée aux curés et desservants des paroisses Saint-Eulalie, Saint-Paul et Saint-Eloi et remise au prêtre que nous aurons commis pour le service de l'oratoire, afin de lui servir de règle ».

Visiblement ces dispositions ont été prises en considération des besoins de la congrégation. Peut-être même les pétitionnaires étaient-ils simplement les congréganistes. Nous voici de nouveau devant un petit problème d'histoire : notre document porte le sceau archiépiscopal, la signature de Mgr d'Aviau et celle du chancelier Delort ; il a donc toutes les marques de l'authenticité et d'ailleurs il sera invoqué en 1815 par la Commission de Haute Police ; mais d'autre part, dans ses nombreuses réclamations, jamais la fabrique de Sainte-Eulalie ne fera aucune allusion à cette Ordonnance et celle qui l'a remplacée ne contient aucune clause abrogatoire. Comment concilier ces faits ? M. Chaminade fit-il observer que ces stipulations le mettaient trop à l'étroit et refusa-t-il les avantages de la Madeleine mis à ce prix ? Y eut-il d'autres incidents ? d'autres difficultés ?

Bref, le 12 novembre, quelques jours avant son départ pour Paris où il devait assister au Sacre de l'Empereur, l'archevêque rendit une nouvelle Ordonnance, plus libérale que celle du 14 août. L'article 2 qui soumettait le service religieux de la chapelle à l'inspection et à l'autorité du curé de la paroisse n'était pas repris. Les articles 3, 5, 6,

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et 7 étaient modifiés. La dernière messe du dimanche pouvait se prolonger jusqu'à 9 heures et demie et le desservant n'était pas tenu d'assurer deux messes chaque dimanche. La bénédiction du Saint-Sacrement était autorisée, outre les jours mentionnés précédemment, le premier mercredi et le troisième dimanche de chaque mois. La fête de sainte Magdeleine se célébrerait solennellement le dimanche après l'incidence. La menace d'interdit disparaissait.

Le même jour, l'abbé Chaminade recevait sa nomination de desservant : « Désireux, disait l'archevêque, de donner à M. Chaminade, chanoine honoraire de notre église métropolitaine, un témoignage public de notre satisfaction pour son zèle à former aux bonnes mœurs et a la piété la jeunesse confiée à ses soins et pour lui donner les moyens d'étendre et de perpétuer les fruits de la bonne œuvre qu'il dirige depuis plusieurs années avec succès et édification.

L'avons nommé et nommons desservant de l'oratoire de secours institué par nous dans la chapelle dite de la Magdeleine, à charge pour lui de se conformer à notre Ordonnance du 12 novembre 1804, concernant le service divin qui doit avoir lieu dans ladite chapelle ».

Approbation, gratitude, encouragement, possibilités d'extension, tout échouait à la fois au zélé directeur.

Il ne perdit point de temps. Cinq jours plus tard, se substituant à M. Rouillier, moyennant un loyer annuel de 600 livres, il prenait à bail pour 5 ans, la chapelle et un petit bâtiment attenant qui servirait de sacristie. Le mobilier appartenant au curé de Pessac, il le racheta et le compléta par celui qu'il avait rue Saint-Siméon. Une Vierge de pierre, connue sous le nom de Notre-Dame du Berceau et provenant du couvent des Filles de Notre-Dame, prit place au-dessus du maître-autel. De part et d'autre de celui-ci, M. Chaminade disposa deux statues en bois sculpté, qu'il avait acquises, en janvier 1792, de l'ancienne confrérie du Rosaire. Quelques tableaux, des reliquaires qu'il avait apportés de Périgueux ou même d'Espagne achevèrent de donner à l'oratoire un aspect avenant.

La congrégation était logée : elle avait un local qui répondait parfaitement à ses besoins. Située au cœur de la ville, la Magdeleine était également accessible à tous. Avec son vaste vaisseau unique,

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elle se prêtait merveilleusement aux assemblées publiques. Sa tribune alors isolée de la chapelle par une cloison formait une belle salle pour les réunions privées et, au-dessus de la double sacristie, deux chambres étaient tout indiquées pour les assemblées de fractions. C'était l'installation idéale. Bien exposée aux regards de la population, la petite communauté du Missionnaire exciterait la curiosité, attirerait, gagnerait, transformerait en chrétiens ses nouveaux adhérents, tout en entretenant et attisant la ferveur des autres. Plus encore qu'à la rue Saint-Siméon, elle serait une mission permanente.

La France, en ces jours-là, regardait vers les Alpes : Pie VII se hâtait vers Paris, pour le Sacre.

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Chapitre sixième

LA QUATORZIÈME PAROISSE

A l'heure où la présence du Souverain Pontife à Paris marque le triomphe de la politique impériale, la communauté chrétienne conçue en 1800 par M. Chaminade se trouve constituée. Elle est pourvue de règlements. Elle vient de tirer une nouvelle édition de son Manuel. Avec ses 5 sections, elle groupe près de 500 membres et donne les plus beaux espoirs.

En l'appelant avec humeur une quatorzième paroisse dans Bordeaux, les curés de la ville avaient plus raison qu'ils ne pensaient ; elle est en quelque sorte la paroisse type des temps modernes.

Point d'uniformité factice. Les jeunes gens se répartissent dans la classe des postulants, dans celle des prétendants, dans celle des approbanistes et dans celle des congréganistes. Ils ont à leur tête un préfet secondé par deux assistants et plusieurs officiers généraux. Tous ces dignitaires sont élus. Les jeunes filles n'ont qu'une classe de préparation : celle des postulantes. Elles forment deux divisions partagées chacune en fractions. Une Mère les dirige, assistée d'une suppléante et des officières de fraction. Le directeur nomme à toutes les charges après consultation individuelle des membres du conseil. Deux assistants assument la responsabilité des Pères de famille, un premier chef et une suppléante celle des Dames de la Retraite.

Les pratiques et les obligations varient avec chaque catégorie de personnes. Chaque groupe jouit de l'autonomie qui lui permet d'atteindre sa fin particulière et chaque groupe aussi détermine ses moyens d'action. Si les Retraitantes ont surtout en vue de s'assurer une bonne mort, les Pères de famille veulent tout d'abord soutenir les jeunes gens. Si la jeunesse est conviée à s'acquitter de ses devoirs religieux dans l'oratoire de la congrégation, l'âge mûr est dirigé vers

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les églises paroissiales. L'union engendre la force, mais unir n'est pas confondre.

Les réunions sont nombreuses. Dans chaque section, chaque fraction s'assemble une fois par mois, au jour fixé par le chef responsable. Une fois par mois aussi, chaque section tient une assemblée générale : c'est le premier jeudi pour les jeunes gens et le deuxième lundi pour les Pères de famille. Les Dames consacrent la journée du premier jeudi aux exercices de leur retraite. Chaque dimanche et chaque jour de fête, les jeunes gens assistent à la messe en commun, Les jeunes filles font de même et se retrouvent encore ensemble pour les vêpres. L'après-midi, les uns et les autres se réunissent séparément pour se distraire et la journée se termine par une dernière réunion mi-récréative et mi-édifiante. A l'Immaculée Conception, à la Purification, à l'Annonciation et à la Nativité de Notre-Dame ? les Retraitantes se joignent aux jeunes per sonnes et les Pères de famille aux jeunes gens pour une communion générale. Enfin les d'ères de famille s'unissent aux jeunes gens pour une assemblée solennelle le soir de Pâques, de la Pentecôte, de l'Assomption, de la Toussaint et de Noël. Les Dames agissent de même à l'égard des jeunes personnes les premiers dimanches de décembre, de mars, de juin et de septembre, c'est-à-dire, tous les trois mois.

Les postulants et les probandaires en général ne sont admis ni aux assemblées générales ni aux assemblées de fraction. Ils tiennent des réunions particulières sous la direction de leurs introducteurs respectifs. Les postulants se réunissent en assemblée plénière tous les quinze jours : le préfet ou le directeur préside. Par exception, les approbanistes, chez les jeunes gens, sont admis aux réunions de fraction, mais ils n'y ont pas voix délibérative.

Chaque genre de réunions a son caractère. Les réunions de fraction sont les plus intimes et les plus familières. Après l'invocation du Saint-Esprit, on chante quelques couplets d'un cantique ou l'on écoute soit une brève lecture, soit une courte exhortation du président. On lit le procès-verbal de la dernière assemblée ; puis on inscrit les membres présents. L'état de la fraction, les moyens de l'augmenter, de la perfectionner, les relations que l'honnêteté ou le besoin lui impose, l'établissement des listes de confrères chargés de

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veiller les congréganistes malades, autant de sujets qui fournissent chaque fois une matière nouvelle et abondante aux échanges de vue. Si le secrétaire, le conseiller ou un autre officier vient à faire défaut, on pourvoit au remplacement. Souvent l'on concerte « quelques parties innocentes d'amusement ». L'assemblée se termine par la récitation du Sub tuum.

L'assemblée générale du mois règle la vie de la section. On y communique les décisions prises par le conseil ; on y recueille les suggestions propres à développer 1'influence de l'association ; on y rend compte de la situation financière ; on y donne des nouvelles des absents et, si le temps le permet, on s'instruit en écoutant une bonne lecture ou le discours d'un congréganiste.

Le dimanche et les jours fériés sont par excellence le temps de la vie congréganiste. A sept heures quarante-cinq en hiver, - une heure plus tôt en été, - les jeunes gens sont rassemblés à l'oratoire. Les règlernents portent qu'ils doivent se ranger par fractions ; en pratique, on n'urge pas cette disposition. Le préfet commence le psaume 8 Domine, Dominus noster, que l'on récite en deux chœurs. On dit de même les psaumes 18, Coeli enarrant gloriam Dei, et 23 Domini est terra puis le Petit Office de l'Immaculée Conception, le De Profundis et 3 Pater - Ave.

Pendant cet exercice, les officiers d'honneur veillent aux préparatifs de la messe. Ils font habiller les enfants de chœur, allumer les cierges de l'autel par le sacristain, porter dans le sanctuaire « le livre de la congrégation », et, 4 ou 5 minutes avant 8 heures préviennent le Directeur.

A huit heures précises, celui-ci monte à l'autel. Accompagné de ses deux assistants, le préfet s'approche, reçoit de l'officier d'honneur le registre qui contient les noms des congréganistes et le tend au célébrant en disant : "Monsieur le Directeur, les jeunes gens dévoués au culte de Marie se recommandant à vos suffrages : puissent leurs noms, de l'autel de l'Agneau immolé pour nous, être transportés dans le Livre de Vie ! » Le registre restera sur l'autel pendant toute la messe.

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Après 1'Evangile, l'abbé Chaminade fait une instruction. Elle ne doit pas durer plus d'un quart d'heure. Quand 13 minutes sont écoulées, l'officier d'honneur appuie ses deux mains sur la chaise qui se trouve devant lui : l'orateur se résume et conclut. Puérilité ? Non, la jeunesse aime l'organisation et se plaît dans l'ordre minutieux.

Il nous reste de l'abbé Chaminade plusieurs cahiers de notes manuscrites. Certaines ont dû lui servir pour ses homélies : aucune ne représente un texte intégralement rédigé. Son esprit répugnait à la composition. I1 dit lui-même qu'il n'écrivait que pour se fixer et le plus souvent il résumait quelque auteur. Le moment de parler venu, il s'abandonne à l'improvisation. D'où une certaine hésitation dans le débit et dans le développement. Un fort accent donne une saveur périgourdine à toutes ses phrases et, en d'autres circonstances, déchaînerait une hilarité bruyante. Mais les habitués de sa chapelle n'y viennent pas pour rire. Ils sont avides de vérité, non de beau langage. Ils écoutent pleins de bonne volonté.

Souvent le chant soutient l'attention des congréganistes. L'un d'eux en a la direction et tous aiment ces cantiques simples aux airs très connus.

Le second dimanche de chaque mois, il y a communion générale. La célébration de la messe revêt plus de solennité et le préfet lit à haute voix les actes de circonstance.

Tout au début, les jeunes filles assistaient à la même messe que les jeunes gens. Ceux-ci se plaçaient dans le sanctuaire, celles-là dans la nef avec les étrangers. Très vite elles eurent leur messe particulière, soit que le Directeur binât, soit qu'un prêtre ami ait prêté son concours. Cette messe se disait après celle des jeunes gens dans des conditions analogues et la communion générale se faisait le premier dimanche du mois.

L'intimité de l'oratoire plaisait à tous et plus d'un jeune y remplissait son devoir dominical qui eût hésité à se rendre dans son église paroissiale. L'après-midi, les vêpres se chantaient à 3 heures. Les jeunes filles devaient y assister. Les jeunes gens y étaient conviés. Y venaient-ils en nombre ? Dans les premiers temps, peut-être. Que, après l'organisation de la classe des prétendants, les

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assidus soient devenus peu à peu une minorité groupée autour des dignitaires, c'est assez vraisemblable. Ils gardèrent la direction de l'office.

A deux heures quarante cinq, l'officier d'honneur devait monter chez le Directeur pour l'avertir une première fois. Dix minutes plus tard, il retournait chez lui après avoir présidé à la préparation de l'autel et des enfants de chœur. L'abbé Chaminade se rendait aussitôt à la sacristie et l'office commençait avec une ponctualité parfaite.

Les vêpres chantées, le sermon durait trois quarts d'heure. Que faut-il admirer le plus ? Le prêtre qui s'impose chaque dimanche cette prédication, ou ceux qui ne se lassent pas de l'entendre ? Comme le matin, le temps est rigoureusement limité, si tant est que quarante cinq minutes constituent une limite pour l'abondance de l'orateur ou pour l'avidité de l'auditoire ; après quarante minutes, le sacristain allume les cierges pour le Salut du Saint-Sacrement : l'abbé Chaminade tire les conclusions de son exposé et s'en vient donner la bénédiction. Le reste de l'après-midi appartient aux distractions. S'il est toujours grave, le directeur de la congrégation ne prêche pas une dévotion maussade. « L'avantage qu'on veut faire résulter pour les jeunes personnes, dit une instruction pour les Officières, c'est de les préserver des dangers évidents qu'elles courent dans le monde…

Ces dangers sont :

1. - Des mauvaises sociétés. Donc, il faut leur en former de bonnes.

2. - Les plaisirs bruyants du monde. Donc, il faut leur procurer, autant qu'il est possible, tous ceux que la religion permet et s'attacher à leur en faire goûter d'innocents.

3. - Les conversations libres et impies. Donc, il faut leur inspirer du goût pour celles que la piété anime par des dehors sans prétention, aimables et enjoués et ne leur parler de la religion qu'avec simplicité et gaieté.

4. - Les chansons profanes et les mauvais livres. Donc il faut les mettre dans l'occasion d'exercer leur voix par des chants religieux et

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leur procurer autant qu'on pourra des livres intéressants en forme d'histoires.

5. - Les parures. Donc, il faut, on leur permettant celles de leur état et de leur âge, les mettre à même de discerner celles qu'elles doivent rejeter ? en mettant sous leurs yeux des exemples de décence et de modestie.

6. - L'occasion dangereuse de devenir les amies, les confidentes de cœurs corrompus ou qui commencent à l'être, et de s'ouvrir elles-mêmes à des personnes sans principes religieux. Donc, il faut leur donner une amie vertueuse.. »

C'est toute une méthode d'action constructive que suppose ce donc répété avec insistance. On ne supprime, insinue-t-il, que ce qu'on remplace. Ce qui existe de fait, fût-il condamné par la morale, répond à une tendance de l'être. Il faut non la refouler mais la satisfaire par de s moyens légitimes.

Quoi de plus normal pour la jeunesse que les divertissements ? Aussi, notre Instruction poursuit-elle : « Il parait que le premier moyen à employer est de travailler à unir les membres de chaque fraction entre eux et, comme les jeunes personnes se lient d'autant plus qu'elles goûtent ensemble quelque plaisir, il faut tâcher de leur en procurer quelques-uns comme des parties de promenade, de petits goûters suivis de jeux innocents. Une fois liées, voilà leur société formée. Les plaisirs qu'elles y trouvent aident la piété à les garantir de ceux du monde, et, l'habitude prise, elles deviennent elles-mêmes l'exemple et l'encouragement des autres. Elles ne tardent pas à sentir les soins de leurs officières, elles s'attachent à elles. De l'attachement surtout naît la confiance et alors l'officière a presque tout gagné. Pour peu qu'elle continue à les caresser, les plaindre, les consoler, les aider dans leurs -peines et prendre part à tout ce qui les intéresse, elle leur deviendra nécessaire comme confidente et comme conseil et par là, sera à même de leur faire toute espèce de bien ». N'est-ce pas joliment dit ? Et très juste ?

Ce programme, on tâche de le suivre chaque dimanche et chaque jour de fête chômée, tant chez les jeunes gens que chez les jeunes filles. Promenades et jeux, suivant les saisons, les caprices de

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l'atmosphère et les goûts des intéressés, - occupent tout l'après vêpres. C'est détourner la jeunesse des distractions dangereuses ; c'est travailler à créer et à entretenir l'esprit de corps. Si les moyens paraissent simples, qu'on n'oublie pas que l'époque ne connaissait ni le cinéma, ni la T. S. F., ni la T. V., ni l'auto, ni même la démocratique bicyclette.

Les mêmes préoccupations de préservation et la même expérience des jeunes apparaissent dans l'organisation des assemblées tenues à la tombée de la nuit, à l'heure où s'ouvraient les théâtres et où la jeunesse était le plus souvent sollicitée par les plaisirs troublants, il fallait la retenir et l'occuper. « On imagina, comme moyens, écrira le directeur en 1809, de tenir des assemblées, les jours de fêtes chômées, aux heures où d'ordinaire les jeunes gens sont le plus désoeuvrés ».

Plus tard, il dira aux premières Mères de l'Institut des Filles de Marie : « .... il faut que vous gardiez la jeunesse assez longtemps pour qu'elle puisse être à l'abri des tentations du plaisir, que, lorsqu'elle se retire des réunions, tout soit fini au dehors et que les jeunes personnes, en rentrant, n'aient plus que le temps de préparer une salade pour le souper ».

Chez les jeunes gens, ces réunions des jours chômés étaient publiques et 1es congréganistes étaient invités à y amener le plus de monde possible. Un service d'ordre était spécialement organisé pour accueillir et placer les étrangers. C'est qu'outre la préservation des associés, on envisage la conquête de nouvelles recrues.

Il importait donc de donner à ces assemblées une tournure attrayante. « L'instruction est bien la fin que vous vous proposez, dira encore M. Chaminade aux Filles de Marie, mais allez parler d'instruction à de jeunes personnes qui aiment à s'amuser ! ce sera le moyen de les faire fuir. I1 faut donc user d'une sainte ruse pour les attirer et leur faire quitter leurs plaisirs, ce que vous ne pourrez faire qu'en mêlant des choses intéressantes parmi vos instructions ».

C'est ainsi qu'il agit, s'appuyant sur l'exemple de saint Philippe Néri. L'assemblée dura deux heures. Elle commence à 6 heures et demie en hiver, à sept heures et demie en été. L'oratoire devenu salle

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de réunion est aussi orné, aussi éclairé que les moyens de la congrégation le permettent. On chante ; on écoute des discours, des conférences dialoguées, des dissertations ; on expose ses difficultés et l'on demande librement des explications. Ce sont généralement des congréganistes qui parlent. Le directeur a pris connaissance de tous les manuscrits ; il ne tolère aucune improvisation, mais il n'intervient dans l'assemblée que pour compléter une réponse, résoudre une difficulté ou conclure un débat par unes exhortation appropriée. Il laisse à ses jeunes la satisfaction de pouvoir considérer la soirée comme leur œuvre. Il évite ainsi de laisser ; le changement des orateurs, la variété des sujets traités sont des éléments d'intérêt et ses interventions sont toujours appréciées. On pouvait dire de ses réunions ce qu'il disait à propos de Saint Philippe Néri : « Tout le monde se retirait satisfait. Il y avait toujours affluence de personnes et c'était toujours un nouveau plaisir ». Dans l'art de « dorer les pilules, Chaminade était un maître.

D'après le plus ancien règlement des officiers d'honneur, il semble bien que, faute de locaux, les réunions du dimanche aient été, au début, communes aux deux sexes. C'était un pis aller. On avait beau placer les hommes on avant et surveiller la sortie, du troisième étage à la rue, la situation présentait trop d'inconvénients. Dès qu'il le put, M. Chaminade organisa des réunions distinctes pour l'un et l'autre sexe.

Toutes ces réunions, quel que soit leur caractère dominant, contribuaient à créer et à entretenir un esprit de corps qui facilitait aux associés la pratique de la vie chrétienne en les libérant du respect humain. Grâce aux multiples occasions de contact, chacun se sentait solidaire de tous et tous avaient à cœur de jouer à fond le grand jeu de la mutualité.

Aussi bien M. Chaminade entendait-il que la solidarité ne se manifestât pas seulement dans le domaine religieux. « Il serait bon, insérait-il, dans l'instruction pour les Officières, que chaque officière eût une aide ou zélatrice prise dans sa fraction, qui l'aidât, la suppléât, lui rendit compte et que quelquefois elles avisassent ensemble aux besoins de la fraction, soit pour l'âme, soit pour le corps, afin que les ouvrières sans travail puissent en avoir, que celles

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qui seraient sans place puissent s'en procurer une, que les indigentes soient soulagées et les malades soignées. Il paraît qu'il serait bien utile qu'il y eût chez un membre de la congrégation un bureau d'adresse pour les places et les ouvrages, où pourraient aller les officières pour tâcher de pourvoir les membres de leur fraction qui seraient dans le besoin ». Ainsi fut fait et chez les jeunes gens aussi. « On établit entre eux, dit une note officielle de 1803, des rapports de société pour les préserver des mauvaises compagnies. En cas de maladie, ils se procurent entre eux des consolations et des secours temporels et spirituels. En santé, les pauvres sont assistés et l'on s'applique à procurer des places ou du travail à ceux qui sont réduits à vivre à la sueur de leur front ». De fait, les règlements des jeunes gens et celui des jeunes filles attirent 1'attention des chefs sur tous les besoins de leurs confrères dont ils sont responsables. Chez les Pères de famille et chez les Dames, des infirmiers et des infirmières doivent procurer aux membres malades tous les secours dont ils ont besoin, soit dans l'ordre temporel, soit dans l'ordre spirituel. Nous nous rendons difficilement compte aujourd'hui de l'importance qu'avait alors le rôle de garde-malade volontaire. Elle était très grande à une époque où la plupart des malades étaient soignés chez eux, tandis que les ordres religieux voués à la charité corporelle étaient anéantis et les infirmiers ou infirmières de profession inexistants. Parmi les 300 jeunes gens et les 200 jeunes filles, il y a constamment des membres à visiter, souvent des malades à veiller. Si les fractions dressaient chaque mois une liste de veille, ce n'était pas un geste sans portée et parfois l'une ou l'autre fraction devait faire appel à une autre fraction pour ne pas surcharger ses membres. La fraternité congréganiste n'était pas un vain mot.

En maintes circonstances, l'âge mûr fait corps avec la jeunesse de son sexe. Les Pères de famille ont déclaré dans leurs statuts que « l'accroissement et la perfection de la congrégation de la jeunesse était 1'œuvre de 1eur cœur,... que rien de ce qui pouvait intéresser les jeunes gens ne leur était étranger, ... que travailler à leur édification dans la piété, à leur soutien dans la société civile était le devoir très cher de leur cœur ». Si les Retraitantes se proposent d'honorer la très sainte Vierge, Mère de Dieu, sous le titre de son Immaculée Conception et de se préparer habituellement à la mort sous sa

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puissante protection, elles entendent aussi « mettre un vrai intérêt au soutien, à l'accroissement et à la perfection de la congrégation des jeunes personnes ». Avant chaque assemblée comme avec la jeunesse, les Pères de famille invitent le préfet des jeunes gens à leur conseil. Ils interviennent dans le placement des employés ou des apprentis ; si quelque jeune congréganiste se trouvé dans le besoin, ils lui viennent en aide. Un agréganiste généreux, le docteur Trocard, soigne gratuitement les associés que les chefs lui adressent, et, au nom de tous ses confrères, nous l'avons vu, Duchesne de Beaumanoir s'est engagé à ne pas laisser sans famille le jeune homme vertueux que la mort priverait de ses parents. Ce n'était pas là une manifestation platonique. Le « pacte de famille », comme on appelait cet engagement, devait jouer et les documents congréganistes mentionnent expressément un renouvellement solennel en 1808. Lorsqu'une association religieuse est capable d'inspirer et de faire tenir de tels engagements, n'est-ce pas la preuve qu'elle est bâtie sur le réel et qu'elle informe toute la vie de ses membres ?

Avec quelle sollicitude elle les suit partout ! Sont-ils absents à une réunion ? Elle les informe par un confrère de tout ce qui s'y est passé. Leur zèle vient-il à se refroidir ? ou constate-t-elle chez certains quelque irrégularité ? Elle alerte les meilleurs, les lance à la recherche de l'enfant prodigue et n'a de cesse qu'il ne soit revenu au sein de la famille. Quand un associé s'absente de la ville pour quelque temps, elle lui demande de rendre visite au directeur et au chef de sa section avant son départ pour recevoir les conseils de circonstance et laisser son adresse. Un confrère lui est assigné comme correspondant. Il sera tenu régulièrement au courant de la vie congréganiste et on l'avertira de chaque communion générale pour qu'il puisse s'y associer. On se préoccupe même d'assurer des amis à ceux qui doivent séjourner au loin. Dès 1804, la société est en correspondance avec la congrégation de Paris et avec celle de Lyon. On a conclu une union spirituelle et l'on s'adresse les membres qui passent d'une ville à l'autre pour raison d'études ou de commerce. Jamais le congréganiste ne se sent isolé.

Les diverses réceptions maintiennent l'œuvre jeune et par leur cérémonial sont une source d'intérêt en tout temps.

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Celle des postulants est assez simple. Au jour fixé, un jour de communion générale ordinairement, le récipiendaire fait devant ses camarades et en présence du directeur la déclaration suivante : « Monsieur le Directeur, je crois et je confesse tout ce que la foi chrétienne m'apprend des grandeurs de l'auguste Marie, réellement et véritablement Mère de Dieu et toujours vierge. Je reconnais et j'honore le mystère de son Immaculée Conception. Je m'attache sincèrement à son culte. J'ai un vrai désir de m'y consacrer publiquement et solennellement dans le sein de la congrégation lorsque j'aurai atteint l'âge de seize ans. Je promets jusqu'à cette heureuse époque d'observer fidèlement les règles de la classe des postulants. Je vous prie de me donner votre bénédiction ». La veille ou le jour même, le nouvel admis s'est présenté au directeur pour obtenir 1'application des indulgences. Dès lors. il est confié à la sollicitude de l'introducteur des postulants et au zèle plus spécial de l'officier chargé de la fraction à laquelle il est affecté.

Il y a plus d'apparat quand il s'agit d'un approbaniste. A I'assemblée du dimanche matin, le candidat, conduit par l'introducteur, s'avance vers l'autel et s'arrête devant le directeur. « Monsieur N…., de la classe des prétendants, dit l'introducteur, désirerait être admis au nombre des approbanistes de la congrégation établie sous le titre de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge, Mère de la Jeunesse. Il espère, moyennant la grâce de Dieu, persévérer dans son nouvel état ».

Comme au jour de l'ordination l'évêque interpelle l'archidiacre sur les dispositions des ordinands, le directeur s'adresse ici au Préfet pour avoir son opinion. Le Préfet répond : « Autant que la fragilité humaine me permet de rendre témoignage à la vérité, je sais et.`j'atteste que Monsieur N... s'est rendu digne par la conduite et par ses pieux désirs d'être admis. au nombre des approbanistes de notre congrégation ».

Le Directeur bénit le candidat et celui-ci récite le Sub tuum comme un premier engagement envers la Vierge. Après l'oraison Defende, il reçoit l'accolade du Directeur et retourne à son rang. Il communie à la messe, à moins qu'il ne l'ait fait quelques jours auparavant. A l'assemblée publique du soir, l'introducteur des

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prétendants le présente à toute la congrégation. Le Préfet le félicite, l'exhorte et le met sous la direction de l'introducteur des approbanistes.

L'entrée définitive dans la congrégation est réglée de manière à laisser dans l'âme un souvenir impérissable.

La délibération dont elle a été l'objet au conseil, la visite officielle au Directeur en compagnie de l'introducteur des approbanistes, l'intervention du Préfet pour la préparation immédiate ont déjà donné aux récipiendaires -une haute idée de l'acte qu'ils vont poser.

Le jour venu, avant la Messe, tous 1es officiers généraux sont au chœur, revêtus de l'habit noir sur lequel se détache l'écharpe de soie blanche aux franges d'argent. Le préfet et les anciens préfets portent sur la poitrine, suspendue à un ruban blanc, leur grande médaille en vermeil de la Vierge Immaculée. A l'heure fixées, le Directeur sort de la sacristie, en surplis et étole. Il entonne le Veni Creator ; toute l'assistance continue.

Après l'oraison du Saint-Esprit, on lui présente autant de rubans de soie blanche qu'il y a des récipiendaires. C'est ce qu'on nomme dans la congrégation le Petit habit de la Sainte Vierge. Il les bénit, puis s'assoit face aux congréganistes.

Sur un signe de l'officier d'honneur, les candidats ont quitté leur place et pénétré dans le sanctuaire. Un cierge à la main, ils s'agenouillent. D'une voix distincte, ils lisent leur consécration mariale qui s'inspire d'un texte du P. de Gallifet et qui vient probablement de la congrégation de Sainte-Colombe : « Moi, N.... serviteur de Dieu et enfant de la sainte Eglise catholique, apostolique et romaine, je crois avec une soumission profonde, d'esprit et de cœur, tout ce que la foi chrétienne m'apprend des excellences de l'auguste Marie. Je crois qu'elle est réellement et véritablement Mère de Dieu et toujours Vierge ; je confesse qu'elle mérite, à raison de cette infinie dignité de Mère de Dieu, un culte singulier qui n'est dû qu'à elle ; je confesse que Dieu seul est au-dessus de cette incomparable Vierge, qu'elle est la maîtresse du monde, la reine des hommes et des anges, la distributrice de toutes les grâces, l'ornement

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de l'Église, qu'en elle est renfermée la grandeur incompréhensible de toutes les vertus, de tous les dons et de toutes les grâces, qu'elle est le temple de Dieu, le paradis des délices, le modèle de tous les justes, la gloire et la source de notre salut, la porte du ciel, la joie des élus, le refuge des pécheurs, notre consolation, notre vie, notre espérance, le sceau et la marque des vrais catholiques. Je crois et je confesse qu'elle est toute pure dans sa conception, qu'elle est la vraie Mère des chrétiens, qu'elle accorde une protection spéciale à la jeunesse et que sa tendresse égale sa puissance.

Pour reconnaître autant qu'il dépend de moi 1'éminente dignité de la Mère de Dieu, pour rendre hommage à sa bonté, à son amour pour les hommes et à son incomparable pureté, je me donne et me dédie à son culte, j'honore et j'honorerai toujours d'une manière spéciale son Immaculée Conception. Je me jette dans le sein de sa tendresse maternelle et je remplirai tous les jours de ma vie les devoirs de respect, d'obéissance, de confiance et d'amour que m'inspire la glorieuse et aimable qualité d'enfant de Marie ».

Le directeur reprend alors les prières liturgiques. Quand il a fini l'oraison Pretende, quaesumus, Domine, auxilium famulo tuo, il fait baiser aux nouveaux consacrés le petit habit de la sainte Vierge et l'officier d'honneur le leur passe en écharpe de droite à gauche.

Alors les récipiendaires se lèvent, reçoivent du directeur le baiser de paix, des officiers généraux l'accolade fraternelle et regagnent leur place au chant de l'Ecce quam bonum et quam jucundum. Ils gardent leur costume pendant la messe et communient.

Dans la journée, l'introducteur des approbanistes les accompagnera chez le directeur pour une visite de remerciement et le soir il prendra congé d'eux en les présentant à l'assemblée publique. On conçoit qu'un tel cérémonial ait pu impressionner des jeunes gens.

Les agrégés sont reçus dans les mêmes formes devant toute la congrégation lors de l'assemblée publique. Exceptionnellement, « pour des raisons particulières, le directeur peut dispenser certaines consécrations du cérémonial accoutumé et même les fixer à des jours non fériés ». Pour les jeunes gens qui, par suite de leur mariage ou de

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leur âge, passaient dans la branche aînée, c'était un simple renouvellement plutôt qu'une consécration proprement dite.

Chez les Retraitantes et les jeunes filles, le ruban blanc était remplacé par une ceinture rouge sur laquelle était brodée en blanc cette inscription : Société de la très pure Marie et du glorieux saint Joseph. Partout on faisait les choses avec âme.

Très souvent les réceptions, du moins celles des congrégations, coïncident avec les fêtes liturgiques qui ensoleillent périodiquement la vie des associées.

Jusqu'à la réorganisation officielle du culte, l'abbé Chaminade avait sans doute solennisé toutes les` fêtes chômées avant 1789. Depuis 1803, il avait à tenir compte des droits et de la susceptibilité des paroisses. Les solennités propres à la congrégation n'en prenaient que plus de relief et plus de prix.

On n'était pas riche ; on s'ingéniait ; l'élan des cœurs suppléait l'ornementation. Les jeunes gens célébraient plus spécialement la Purification et l'immaculée Conception, les jeunes filles l'Immaculée Conception et l'Annonciation, les Pères de famille Notre-Dame aux Martyrs - le 13 mai - et la Nativité de Notre-Dame, les Retraitantes l'Annonciation et la Visitation.

Dans ces occasions, chaque corps par l'organe de son premier chef renouvelait sa consécration mariale. Les jeunes gens en avaient trouvé l'idée, semble-t-il dans le manuel des Aas et cette pratique s'était généralisée dans toute la congrégation. « Il faut, Messieurs, avait dit l'initiateur, nous renouveler dans la ferveur et dans le premier esprit qui nous fit voler au pied de l'autel pour nous consacrer solennellement à l'honneur et au culte de la très pure Marie. Je ne vois rien de plus propre à cela que la sainte pratique autrefois adoptée dans la congrégation de Notre-Dame instituée par les RR. PP. Jésuites ».

En continuant le passé, le présent entendait ne pas être inférieur.

L'Immaculée Conception était la fête par excellence, la fête patronale. L'abbé Chaminade affectionnait ce mystère. A Mussidan, il l'avait honoré par 1a récitation quotidienne du petit office. Devant

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ses congréganistes, il se plaisait à en tirer des leçons d'estime de la grâce, de pureté, de confiance en la puissance de Marie sur l'enfer.

Le jour de l'incidence était réservé aux jeunes gens. Il y avait réception, rénovation, Messe et vêpres solennelles avec sermon d'apparat. Le saint Sacrement était exposé toute la journée. Les prêtres congréganistes entouraient le directeur. On offrait un pain béni de luxe que le préfet devait présenter personnellement aux deux assistants de l'Agrégation et porter en voiture à Mgr l'Archevêque. A midi, la préfet et ses deux assistants déjeunaient statutairement à la table lu directeur.

Et la fête ne finissait pas avec le 8 décembre. Chaque jour de l'octave, il y avait bénédiction du Saint-Sacrement ; le dimanche et le jour octaval ramenaient presque toute la solennité de la fête, là, à l'intention des jeunes filles, ici, à celle des agréganistes. On marquait la fête et la fête marquait les âmes.

Des chrétiens et des chrétiennes d'âge mûr ne pouvaient, pour des raisons étrangères à leur volonté assumer toutes les obligations des associés. M. Chaminade avait créé pour ces personnes la classe des affiliés. Les affiliés à l'Agrégation désireux dé « s'édifier dans les assemblées de pères vertueux et chrétiens, d'attirer la protection de la sainte Vierge et de se ménager de grands secours spirituels pendant la vie et après la mort », s'engageaient à réciter tous les jours le Souvenez-vous et la prière O ma Souveraine et ma Mère, à assister à l'assemblée générale de chaque mois et à participer tous les ans à la célébration d'une des fêtes de la sainte Vierge spécialement solennisées par les Pères de famille. Les affiliées aux Retraitantes promettaient, outre la récitation des mêmes prières quotidiennes, d'assister tous les mois à un des trois exercices de la retraite et de célébrer tous les ans la fête de l'Annonciation. « En retour, affiliés et affiliées s'assuraient une part aux prières et aux bonnes œuvres de l'association. A leur mort, ils avaient droit à des suffrages particuliers pendant huit jours et les uns, - les hommes - à un service solennel, les autres - les femmes - à deux -messes de Requiem.

On saisit immédiatement pourquoi et en quel sens la vie des congréganistes est foncièrement mariale. D'une part, les associés ont conscience que, Mère de Dieu, Marie doit recevoir en justice un culte

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proportionné à sa grandeur : ils lui offrent donc des hommages directs et personnels ; ils l'honorent. D'autre part, ils savent que Marie n'est devenue Mère de Dieu que pour être associée à la mission rédemptrice et sanctificatrice de son fils Jésus : tirant les conséquences de cette vérité, ils s'efforcent de vivre marialement leur vie chrétienne, prient marialement, reçoivent marialement les sacrements, pratiquent marialement toutes les vertus chrétiennes de leur état et entrant ainsi pleinement dans les intentions divines.

Les cadres maintiennent l'association dans sa voie. A la tête de chaque section, les responsables forment un conseil. Celui des jeunes gens, le plus nombreux se renouvelait d'abord tous les quatre mois ; depuis 1803, il n'y a plus que deux élections par an. L'installation des officiers se fait solennellement lors d'une réunion publique, un dimanche soir. Le préfet sortant et le préfet élu y vont chacun de leur discours ; c'est une occasion de faire le point, d'enregistrer les progrès, d'exprimer des regrets et des vœux, de rappeler l'idéal et d'esquisser des programmes. Le conseil se réunit chaque semaine. Celui des jeunes filles n'est convoqué qu'une fois par mois. Il semble qu'il en soit de même pour ceux de l'âge mur, où les dignitaires sont élus - chez les hommes ou nommés par le directeur - chez les Retraitantes - pour une année.

Depuis le début de 1803, les anciens préfets forment un collège qui constitue le conseil habituel du directeur dans tout ce qui a trait à l'organisation même de la congrégation. Ils sont les gardiens nés de l'esprit et de la tradition de l'œuvre. En 1804, à côte de Louis Lafargue et de Guillaume Darbignac qui vont bientôt s'unir de fait - comme ils le sont déjà de cœur - à 1'Institut Lassallien restauré, il y a Jean-Baptiste Estebenet, maître de pension, Hyacinthe Lafon, diacre remuant, Martial Renaud Lacombe, Ferlat et Marc Arnozan, tous trois appartenant au commerce bordelais, enfin Bernard Lotis, clerc toulousain ; une bonne équipe dont certains noms reviendront constamment dans l'histoire de la congrégation.

Chaque officier a un rôle bien déterminé qu'un directoire ou une instruction lui rappelle au besoin.

Aucun office n'est superflu, mais aucun apparemment n'est plus important que celui des chefs de fraction.

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Ils s'appellent substituts chez 1es jeunes gens. « La confiance de la congrégation repose sur eux pour la conservation, la perfection et l'accroissement de leur fraction ». A eux « d'entretenir entre les fractionnaires l'union et l'amitié », « de nourrir leur ferveur », d'entretenir entre eux « une tendre dévotion à la sainte Vierge » de « les consoler ou de leur procurer des secours, s'ils sont dans la peine ou dans quelque embarras ». A eux de recueillir ou de faire recueillir les souscriptions mensuelles et d'en délivrer reçu. A eux d'annoncer les communions générales, dix ou douze jours d'avance. A eux de contrôler l'assiduité aux réunions de la congrégation et de renseigner le préfet ou le directeur. Ils entretiennent des rapports étroits avec chacun de leurs fractionnaires, les voient souvent individuellement, s'informent d'eux s'ils sont absents à une réunion et montrent la plus grande sollicitude à leur égard en cas de maladie.

On n'attend pas moins des. officières de fraction chez les jeunes filles. C'est par elles que Dieu veut préserver de la corruption du siècle le petit troupeau confié à leur soin. Celles qui se pénètrent sous les yeux de Dieu et aux pieds de la Sainte Vierge Marie du bonheur d'avoir été choisies pour devenir un instrument de sa miséricorde et de son amour pour la jeunesse, recevront avec joie et reconnaissance l'occasion précieuse de travailler à sa gloire et de mériter la récompense promise aux soins et au zèle du serviteur fidèle qui, loin d'enfouir son talent, le fait valoir au centuple.

« Chaque officière s'appuiera uniquement sur le secours de Dieu et la puissante protection de la divine Marie. Elle recevra donc non seulement avec soumission aux ordres de la Providence mais avec plaisir le petit troupeau remis entre ses mains. Elle l'offrira souvent au Seigneur pour attirer sur lui et sur elle ses plus abondantes bénédictions. C'est en sa divine présence que, méditant leurs obligations, les officières recevront les lumières et les grâces qui leur sont nécessaires et que, s'animant de courage et d'une sainte confiance, elles vaincront avec une sage et prudente persévérance les difficultés qui s'opposent toujours à tous les biens ».

Le premier souci d'une officière sera d'unir ses fractionnaires entre elles et de gagner leur confiance. « C'est alors que, leur parlant gaiement et simplement de la religion et des pratiques de piété, elle

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les fera aimer, elle fera craindre les dangers des liaisons mondaines, des mauvais livres et des chansons, qu'elle leur inspirera l'éloignement pour les parures indécentes et recherchées et du goût pour une modeste simplicité.

Bientôt elle pourra pénétrer dans les replis de leur esprit et de leur cœur pour connaître la cause des contrariétés que plusieurs éprouvent dans leur famille pour pratiquer la piété. Elle s'attachera à vaincre les obstacles qu'elles peuvent apporter elles-mêmes à la liberté qu'elles se plaignent de ne pas avoir, en les engageant à la douceur, à la soumission et au travail assidu chez elles, les persuadant que si leurs parents voient qu'elles font des progrès dans ce qui peut contribuer à leur bonheur, ils en reconnaîtront la cause et finiront par désirer leur donner une satisfaction qui tourne à l'avantage de tous.

Quant à celles qui vivent peut-être avec des gens sans religion, il faut beaucoup plus encore les soutenir, les caresser, les instruire et s'attacher particulièrement à les lier étroitement avec les plus fortes et les recoins occupées afin qu'elles puissent se voir souvent et que l'officière ait un œil plus attentif sur elles.

Il serait bon que l'officière fit naître la conversation de temps en temps sur le danger de se décider légèrement pour un état de vie, qu'elle les excitât à craindre le malheur qui en résulterait... Si elle a la confiance de son troupeau, il ne prendra pas d'état sans le lui communiquer, mais il vaut mieux prévenir le moment, car pour le mariage, il est souvent trop tard quand l'occasion est arrivée. I1 est bon de passer beaucoup sur cette vérité - pour détruire le préjugé contraire de la jeunesse - que c'est la modestie, la vertu qu'on recherche dans un mariage, que ce n'est ni dans les lieux publics, ni par des allures légères et inconsidérées qu'on fixe le cœur même des libertins.

« Il serait bon que chaque officière eût une aide ou zélatrice prise dans sa fraction, qui l'aidât la suppléât, lui rendit compte et que quelquefois elles avisent ensemble des besoins de la fraction soit pour l'âme soit pour le corps, … que le plus grand secret fût gardé de tout ce qui pourrait se passer dans la fraction afin que l'amour-propre

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n'ayant rien à craindre à cet égard, la confiance dans l'officière et la zélatrice se conservât entière ».

Pareilles directives supposent des âmes généreuses, oublieuses d'elles-mêmes, remplies de la mystique de l'œuvre. Qu'il y en ait une à la tête de chaque fraction, et chaque fraction, - chez les jeunes gens ou chez les jeunes filles - devient une équipe compacte, vivante, joyeuse et attirante.

Il n'est pas jusqu'aux postulants qui n'aient besoin de bons chefs de fraction. La place d'officier des postulants est un honneur que la congrégation accorde au congréganiste qui joint une grande assiduité à des vertus et qui ayant un caractère doux et liant peut aisément conduire la fraction qui lui est confiée.

Pour bien remplir sa mission, il faut que ce congréganiste soit exact et assidu aux assemblées des postulants ; qu'il prenne note des absents aux assemblées de sa fraction et qu'il voie ces derniers afin qu'ils ne manquent pas la séance d'après ; qu' il parle aux postulants des grands avantages attachés au culte de la sainte Vierge, qu'il les engage à assister à la messe et à faire la communion aux jours fixés pour la communion générale. S'il en remarque de lâches ou d'indifférents, il les verra plus souvent et tâchera de les ramener à leur ferveur première.

Il doit faire part à l'introducteur de sa démarche et le voir particulièrement tous les mois pour conférer sur les moyens les plus propres à faire fleurir cette classe.

« Si un postulant se conduit mal, il doit de suite en faire part à l'introducteur. Il doit se rendre aux assemblées ou l'introducteur l'invite et exécuter autant que possible ce que l'introducteur peut lui dire concernant cette classe ».

La langue n'est pas celle du grand siècle, mais les textes indiquent sans erreur possible que les officiers de postulants ont dans leur fraction le rôle et l'importance des substituts ou des officières dans la leur.

Le directeur assure l'unité de cette communauté divisée et subdivisée en nombreux groupes et sous-groupes. Il est l'âme de tout,

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inspire tout, anime tout. Aucune réunion ne se tient sans son aveu. Il assiste à toutes les assemblées générales et on lui rend compte des assemblées de fraction où il n'a pu se trouver. Quand il ne parle pas lui-même, il a revu le texte des conférenciers. Non seulement c'est lui qui prononce l'admission canonique des nouvelles recrues, mais personne n'est reçu dans l'association sans qu'il ait donné son approbation. Présent à tous les conseils, c'est son consentement qui fait la valeur de toute décision.

Cette autorité n'a d'ailleurs rien de tyrannique, loin de là. En possession de la confiance de tous, M. Chaminade s'efface discrètement derrière les divers officiers. S'il contrôle les initiatives, il commence par les susciter et les encourager. Il ne préside jamais ni assemblées, ni conseils : il assiste et si son avis a toujours tant d'influence, c'est qu'il le présente toujours avec un tact suprême, sous la forme la plus propre à gagner tous les suffrages.

Il est très occupé. Au travail de préparation que lui impose la tenue des diverses réunions congréganistes et les instructions qu'il donne chaque dimanche s'ajoutent les nombreuses visites qu'il reçoit à toute heure. Il est un vrai père de famille chargé des soucis de chacun de ses enfants. Tous viennent à lui, sûrs d'être accueillis, éclairés, réconfortés, aidés. Sa porte est toujours ouverte et plus encore son cœur. Il a 43 ans. De belle taille, large d'épaules, bien pris de corps, très affable, d'une majesté princière unie à la plus grande simplicité et au naturel le plus exquis, avec cela capable de sauter en selle et de se lancer à travers les landes. Il est vénéré et aimé.

Nous avons de lui plusieurs portraits : de tous se dégage une impression de calme, de parfaite possession de soi.

L'abbé Lalanne, qui le connut dès le début du siècle, nous 1e présente en ces termes :

« Il avait au plus haut degré le talent de gagner les cœurs. Il fascinait ceux qui l'approchaient pour recevoir ses conseils de direction, mais il exerçait ce charme avec une telle candeur et une telle charité que chacun le subissait sans y prendre garde. Il était du reste un de ces hommes chez lesquels la sagesse et la maturité

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devancent les années et qui paraissent, dès le début, nés pour éclairer et conduire les autres hommes.

Son visage, d'une beauté et d'une placidité admirables, rappelait les plus beaux types sous lesquels on se plaît a représenter le Christ.

Sa parole était fort lente, un peu embarrassée mais pleine de sens. Son exquise sensibilité se révélait par une légère altération de la voix et par des larmes qui coulaient de ses paupières ; mais l'habitude de se contenir réprimait si bien ses premiers mouvements qu'on le réputait impassible. Sobre, sans austérité, tout à fait retiré du monde et presque trop renfermé dans son modeste cabinet, il n'avait pour affaires que ses œuvres de zèle et sa conversation n'était absolument que de Dieu.

Il ramenait tout aux enseignements de la foi : pensées, jugements, résolutions, conseils, actions, la vie tout entière, disait-il, doit être réglée par la foi selon cette parole de l'Apôtre : le juste vit de la foi ».

Animateur de cette communauté qu'il a créée comme la communauté-type pour une chrétienté des temps nouveaux, il se sent à sa place. Ses pouvoirs de Missionnaire apostolique doivent lui permettre d'étendre son action sur toute la France. Lors de la réorganisation des diocèses et des paroisses, Mgr d'Aviau 1’a nommé chanoine honoraire de sa cathédrale.

Ce jour-là, ce dut être grande liesse au local de la rue Saint-Siméon et il est à gager que, sur la table prêtée par sa fidèle Marie Dubourg, à l'intention des officiers réunis au complet, le chanoine frais promu déboucha, tout souriant, les meilleures bouteilles de son Haut-Brion-Saint-Laurent. Mais ce qui fait sa joie la plus profonde, c'est le succès même de son initiative. Le chef du diocèse le soutient ; des chrétiens d'élite l'ont compris et collaborent avec lui. Jeunes gens et jeunes filles sont venus à lui par centaines. Certes, il a connu des heures difficiles et il en prévoit d'autres non moins pénibles dans l'avenir. Que de transformations sociales se sont opérées en quatre ans ! Que de changements sont survenus ! Que d'événements politiques se sont produits tant à l'échelon national qu'à l'échelon mondial ! Sans dévier de la route qu'il s'était tracée dans ses

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méditations de Saragosse, en dépit des incertitudes, des craintes et des difficultés, il a construit pierre à pierre le centre d'une cité nouvelle. La méthode se révèle féconde.

L'installation dans l'ancien couvent des Madelonnettes ouvre de nouveaux horizons. Quelle belle rénovation chrétienne se prépare sous les auspices de Marie, si l'expérience peut se poursuivre, s'élargir, rayonner hors de Bordeaux, sur toute la France !

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Joseph Verrier SM

La Congrégation Mariale de M. Chaminade

Livre III

DU SACRE

A L'EXCOMMUNICATION (1804 - 1809)

DOCUMENTS MARIANISTES

Séminaire Regina Mundi

Fribourg (CH) 1965

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Chapitre premier

FACE A LA CRISE

La congrégation logée, M. Chaminade ne tarda pas à s'installer personnellement au n° 65 de la rue Lalande, en face de la chapelle où l'attendaient travaux, consolations et difficultés.

Les difficultés vinrent les premières. La réconciliation officielle de l'Église et du Gouvernement ne doit pas faire illusion. Le catholicisme jouissait de la paix ; sa hiérarchie était reconnue par l'État ; il avait sa place dans la vie nationale. Il pénétrait peu dans la vie des individus. Dix années de schisme, d'irréligion, de persécutions sanglantes avaient conduit les masses à l'indifférence religieuse. Aux yeux de beaucoup la religion ne survivait que pour rehausser de sa liturgie l'éclat de certains jours. Elle n'était pas maîtresse de vie. La foi était rare.

A Bordeaux plus qu'en beaucoup d'autres lieux. La suppression de la Compagnie de Jésus, en 1762, avait été le début d'une rapide décadence. "Ai-je donc fait une faute irrémissible ?" aurait dit à son confesseur M. Alary, le procureur général Dudon, après la séance du Parlement qui avait condamné les Jésuites. - "Non, lui aurait répondu M. Alary, mais irréparable. "A la veille de la Révolution, on ne comptait que 5.000 communions annuelles pour les 40.000 paroissiens de Sainte-Eulalie, 4.500 pour les 30.000 de Saint-Remy, et de 7 à 800 pour les 5.000 de Saint-Pierre. M. Chaminade pourra écrire un jour : "Avant la Révolution, la fréquentation des sacrements, même à Pâques, était comme perdue parmi les hommes. "On imagine quelle société était sortie de là, et quelles difficultés affrontait celui qui, au début de l'Empire, se proposait de former une association de jeunes gens décidés à être effrontément chrétiens". "On parle beaucoup d'instruction publique et de religion, note le sceptique Bernadeau dans ses Tablettes, cependant jamais on ne rencontra tant de vicieux et d'ignorants. Le costume des femmes se

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rapproche toujours plus de la nudité dans toutes les classes de la société. On court à la messe comme on va à la comédie par désœuvrement". En d'autres termes, M. Chaminade n'est pas moins catégorique : "Je le demande à quiconque voudra être de bonne foi, écrit-il, dans les assemblées qui se font dans nos temples, dans celle surtout où la solennité attire tous les rangs de la société par convenance ou pour quelque transport de joie qui nécessite de publiques actions de grâces, l'abondance des assistants alors fait-elle l'abondance des fidèles ? Et je le demande encore. hors les jours de solennité dont on vient de parler, le temple n'est-il pas désert ? Les murs des lieux saints ne pleurent-ils pas la dispersion du peuple d'Israël ?"

Pour changer la situation, il fallait disposer d'une élite généreuse, résolue et conquérante. En 1801, M. Chaminade l'avait rencontrée dans la personne des Lafargue, des Darbignac, des Estebenet, des Rotis, et autres. En 1805, elle lui manquait. De ses premiers disciples, certains étaient morts, et des meilleurs : Pierre Capdeville, Pierre Fautous, Alexandre Dubosq. D'autres avaient quitté Bordeaux ou s'étaient mariés. Darbignac, Lafargue, Estebenet, de plus en plus occupés par leurs écoles ne pouvaient plus exercer de charge active dans la congrégation. Ceux qui s'étaient formés à leurs exemples et qui auraient du les remplacer venaient, pour la plupart, d'entrer au séminaire. La conscription en enlevait d'autres. Il restait une troupe diminuée et trop peu de chefs.

En 1802 et en 1803, la congrégation des jeunes filles s'était augmentée, chaque année, de 56 recrues. En 1804, ce chiffre tombe à 18 ; en 1805, il n'est que de 17. Et pourtant l'année 1804 est, à Bordeaux, l'année du Jubilé, que prêchent quatre hommes au zèle ardent : Rauzan, Drivet, Lacroix, Maurel. De toute évidence, les temps sont durs.

Vers la même époque, une épidémie se déclara dans l'agglomération bordelaise. D'après l'abbé Rigagnon, elle sortit du récurage des ruisseaux du Peugue. "Le quartier Saint-Eulalie fut le premier atteint. Le mal s'établissait dans presque toutes les maisons qui le composaient et la mort fit de si cruels ravages que l'on vit à

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l'église jusqu'à six corps à la fois". Cette circonstance n'était pas de nature à favoriser le recrutement.

Le directeur de la congrégation ne se découragea pas. Avec Arnozan, le préfet de 1804, Timothée Lacombe et Lafon, ceux de 1805, Quentin Lousteau, tout dévoué aux classes de préparation avant de prendre lui-même la tête de l'œuvre en 1806, en profitant aussi des observations des anciens préfets Lafargue, Darbignac, Estebenet, il mit sur pied, au printemps de 1800, une nouvelle organisation adaptée à la pénurie de chefs et au nombre restreint des membres.

Les fractions disparaissent chez les jeunes gens ou, si l'on préfère, se réduisent à deux, en prenant le nom de divisions.

Les divisions n'ont aucune primauté l'une sur l'autre. Dotées d'une large autonomie, sous la direction et la responsabilité d'un chef que le Conseil de la congrégation leur propose et dont le choix est soumis chaque semestre à leur ratification, elles tiennent des assemblées distinctes, prennent soin de leurs malades, honorent les obsèques de leurs membres. Chacune nomme dans son sein deux officiers d'honneur, un secrétaire et un receveur particulier qu'elles font approuver par le conseil. Les délibérations, quand il y a lieu, se prennent au scrutin, en présence du préfet ou d'un ancien préfet.

Les communions générales sont communes. Les deux divisions assistent ensemble aux offices religieux et concourent l'une et l'autre aux assemblées publiques. Elles se prononcent tous les six mois sur le choix du préfet, qui peut être pris dans l'une ou dans l'autre et dont leurs chefs constituent les deux assistants. Elles n'ont pas de caisse particulière. Dans tous leurs besoins, elles s'entraident. La classe des prétendants et celles des approbanistes leur sont communes.

"On ne peut être prétendant avant l'âge de 16 ans, ni après celui de 36. On ne peut l'être, quand on est marié. Au dessous de 16 ans, on est postulant ; après la trente-sixième année, ou lorsqu'on est marié, on appartient aux Pères de famille.

"Pour entrer dans quelque classe que ce soit, il faut avoir une profession compatible avec les obligations, n'être pas dénué d'état ou de moyens, n'être point noté pour vie scandaleuse, ne pas fréquenter

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les lieux publics ou prohibés par les lois de l'Eglise, remplir les devoirs de religion, n'être pas ennemi du Gouvernement public, avoir obtenu l'agrément de M. le directeur....

"Les anciens préfets et les préfets honoraires forment un collège de censure chargé de la garde des règlements et de la suspension, révocation ou destitution des officiers dans des cas graves. Ils ont le devoir de conserver l'esprit de la société et de déférer à la censure du conseil ceux qui s'en écartent.

"La révision des congréganistes reçus s'opère tous les ans en séance particulière du conseil, entre les fêtes de la Toussaint et de Noël. La violation des devoirs du congréganiste, l'inexactitude aux exercices et réunions durant l'année, quand elle provient d'indifférence ou de causes plus graves, sont des motifs de radiation.

"La radiation peut être retardée ou déclarée provisoire, lors même qu'elle a été délibérée sans réserve. Le conseil peut priver d'assistance aux assemblées par manière d'avertissement et de correction.

"Le résultat de la révision est rapporté dans l'assemblée générale des membres de la congrégation. Il est suivi d'un aperçu sur l'état ultérieur de l'association".

La modification la plus importante concerne les substituts. En dépit de la suppression des fractions, ils demeurent, comme sous le régime antérieur, les chevilles ouvrières de l'édifice congréganiste. Mais, dépouillés de toute prérogative, sans aucun titre aux yeux des congréganistes qui ne doivent voir en eux que des confrères zélés, ils agissent dans un demi secret.

Choisis par le conseil, ils reçoivent chacun la responsabilité de dix membres, auprès desquels ils sont les aides discrets du chef de division. Celui-ci, sans attirer l'attention, leur ménage des entretiens particuliers chez lui, chez le préfet, chez le directeur. Il leur inspire "un vrai zèle pour les jeunes gens qui leur sont confiés", leur suggère "les pieuses tendresses qu'ils peuvent employer pour soutenir l'esprit de ferveur parmi les congréganistes et fortifier l'union qui doit régner entre eux". Toutes les semaines, il reçoit d'eux un rapport oral ou des notes écrites sur l'état de ferveur de chaque associé.

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Les substituts sont des gens de confiance dont la mission demande bien des qualités. Se rencontrer chaque semaine avec chacun des dix membres dont on a la charge, entretenir des liens d'amitié avec tous et surtout avec ceux qui sont les plus faibles dans la vertu, ramener à l'œuvre ceux qui s'en détachent, cela exige du temps, de l'abnégation et du tact.

Pourquoi M. Chaminade entourait-il ces fonctions du secret ? Il semble bien que tout en assurant à la jeunesse le bénéfice d'une sollicitude attentive, il ait voulu lui épargner l'impression désagréable d'une surveillance tatillonne. Il a écrit d'une institution analogue : "autrement, leur zèle eût été sans effet : les jeunes gens les auraient pris pour des surveillants incommodes". En fait quel congréganiste put ignorer que tel confrère qui, régulièrement, le prévenait des communions générales, jouait un rôle dans l'organisation de l'ensemble ?

Cet ensemble, c'est un corps auquel une âme assure les propriétés de la vie.

En entrant en charge, chaque officier reçoit un résumé de ses devoirs : c'est le directoire, et une série de réflexions destinées à le guider, c'est l'instruction.

La plupart de ces écrits nous sont parvenus. Les directoires sont nets, brefs et précis comme des ordres de mission. Dans les instructions, les fines remarques, les conseils expérimentés, les saintes ambitions du directeur transparaissent sous l'éloquence abondante et diffuse de son secrétaire, l'avocat David Monier.

A tout seigneur, tout honneur. Voici le directoire du préfet :

"Le préfet doit bien connaître l'institut de la congrégation des Jeunes Gens, les arrêtés du conseil et le directoire de tous les officiers. Il doit en surveiller continuellement l'exécution. Tous les jours, il devrait en lire au moins une fraction.

Il doit être habituellement instruit de tout ce qui se passe dans la congrégation, voir à cet effet, toutes les semaines, les chefs de division et les trois introducteurs, donner un coup d'œil, de temps en

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temps, sur leurs listes de membres, leurs listes d'exactitude et leurs listes de correspondance avec les absents.

Il doit se ménager aussi des rapports assez fréquents avec les quatre officiers généraux : Secrétaire général, Trésorier général, Officier d'Honneur en chef et Officier d'Ordre en chef.

Il doit aussi avoir des rapports d'amitié avec tous les anciens préfets et préfets honoraires.

Il sera, pour ainsi dire, en rapport continuel avec M. le directeur, soit pour le mettre au courant de tout ce qui fait l'objet de sa sollicitude habituelle, soit pour prendre ses avis.

Il doit aussi s'entendre avec M. le directeur sur ses rapports avec l'Agrégation des Pères de famille et surtout pour son assistance à leurs assemblées.

M. le préfet trouvera d'ailleurs d'autres objets de sa surveillance dans la lecture attentive soit de l'Institut, soit des arrêtés du Conseil. Il est invité à se former comme un petit journal de tout ce qui se passe de plus particulier dans la congrégation, soit en bien, soit en mal. Cette précaution lui deviendra très utile dans ses rapports avec M. le directeur ou avec le Conseil.

Après la cérémonie de réception des congréganistes, il reçoit de l'introducteur des approbanistes les notes qui lui sont données sur les candidats reçus. Le soir, après la présentation des nouveaux congréganistes à son bureau, il les remet au chef de la division à laquelle les jeunes gens devront appartenir".

L'Instruction commente :

"Le préfet doit connaître toutes les instructions des divers officines. Il doit les avoir méditées assez pour, au besoin, aider de ses conseils chaque officier.

L'aide et le secours sont dus à qui les réclame. La surveillance s'exerce sur ceux qui ne la demandent pas et souvent sans qu'ils s'en aperçoivent.

L'office du préfet à l'égard de cette surveillance est la plus délicate de toutes les opérations des offices. Car, il ne faut point que

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la surveillance soit équivoque ou partielle ; d'autre part, il ne faut point qu'elle soit molestante ni inquiète.

Le meilleur moyen de cette surveillance doit consister dans une communication confidentielle avec les divers chefs.

L'expression des avis, des conseils, des ordres, doit être celle de la charité bien éclairée.

Il sera rare qu'ont ait bien exercé les autres offices et que l'on soit insuffisant dans celui-ci, pourvu que l'on ait pris dans les divers exercices une maturité convenable.

Que le préfet se garde bien d'entrer dans les détails qui l'absorberaient et lui feraient perdre de vue les fils principaux qu'il doit conduire. Il faut quelquefois parler en public : ce doit être rarement et brièvement.

Après la direction générale de chaque officier, le préfet doit songer à la tenue des assemblées. C'est là qu'il doit faire en sorte que l'instruction et l'agrément se trouvent réunis souvent ou que du moins ils se succèdent.

Le préfet, dans cet objet, doit mettre en œuvre les sujets les plus distingués de la congrégation. Si les bons ouvrages ou les essais manquent dans la congrégation, il doit y suppléer par des anecdotes, des fragments et de petits traités sortis de bons auteurs peu connus.

Il convient, dans ce cas, de confier le débit à ceux qui ont l'organe et la diction plus nette parmi tous ceux qui ne sauraient écrire, c'est un moyen fort utile de varier les tons et de prévenir l'habitude qui finit par rendre insipides les meilleurs orateurs.

Après les conseils à donner aux officiers principaux, la surveillance des offices et l'attention à nourrir les assemblées, le préfet doit se réserver quelques moments pour accueillir et visiter ceux d'entre les congréganistes qui ont besoin de plus de secours et de consolations, soit que le besoin vienne de la détresse des sujets, soit qu'il se trouve relatif aux vues plus particulières que l'on peut avoir sur un sujet dont on espère de plus grands biens. Tous les devoirs du préfet sont bornés à ces quatre objets, à moins qu'on ne veuille lui en faire un particulier de la tenue des bureaux, dans lesquels il suffit qu'il

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se rappelle les vues générales de ses quatre principaux devoirs. A tous les officiers, on a recommandé la patience, l'humilité, la confiance et le recours à Dieu, l'invocation de la très sainte Vierge et plusieurs autres dispositions. Il ne reste plus qu'à demander à tous ceux qui sont appelés au grade de préfet d'offrir dans l'exercice de toutes les vertus, un certain degré d'éminence, s'il est possible, que les autres n'aient pas encore atteint. Quand le chrétien est entré dans sa voie, il n'a plus qu'à demander pour obtenir ! "

N'était-ce pas beaucoup attendre de jeunes laïques ? Comme les Vincent de Paul, les Jean Eudes, les Olier, qui restaurèrent la vie chrétienne au XVIIème siècle, M. Chaminade sut découvrir et diriger une élite qui seconda fidèlement ses vues.

Marc Arnozan, le préfet de 1804 et de 1807, avait pu connaître M. Chaminade dès la Convention. Il appartenait à cette vieille famille dont un membre, Michel, avait bravé la mort d'une manière permanente durant la Terreur, en abritant les prêtres réfractaires. Il avait combattu sous la République. Dès son retour à Bordeaux, probablement en 1802, il s'incorpora à la congrégation. Il s'y dévouera au point de vendre son commerce pour n'avoir point d'autre souci. On rapporte qu'à l'armée il s'était lié avec Lafon, le futur tragédien. Celui-ci, devenu célèbre, vint jouer à Bordeaux. Marc Arnozan ne cacha pas qu'il brûlait du désir d'aller l'entendre, mais il s'abstint pour donner l'exemple à ses jeunes confrères. Sur ses vieux jours, quand ses yeux le trahiront, il demandera à un congréganiste charitable de le guider dans ses prières et de lui lire l'Imitation de Jésus-Christ ou la vie des saints. Son ami Quentin Lousteau, le préfet de 1806, moins cultivé, ne lui cédait pas en générosité. Comme lui, il resta dans le célibat et donna à la congrégation son temps et ses modestes revenus. Homme de foi, il en imposait à tous par la supériorité de son caractère et par l'éclat de sa vertu. Ses qualités s'affirmèrent longtemps dans les classes préparatoires à la congrégation.

Des deux préfets de 1805, Timothée Lacombe et Hyacinthe Lafon, nous connaissons déjà le second et nous aurons encore l'occasion de parler longuement de lui. Au cours d'une vie agitée, il fut plus d'une fois victime de son tempérament fougueux ; on ne peut

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lui contester ni l'élan, ni l'amour du risque, ni l'esprit d'initiative. Et ce sont des qualités de chef.

Timothée Lacombe, après avoir été son collègue dans l'enseignement à Figeac, entrera dans les Ordres et consacrera sa vie aux vocations sacerdotales. D'abord économe du petit séminaire de Bordeaux, il travailla à faire confier celui-ci à la Compagnie de Jésus. Ayant abouti en 1816, il parcourut les régions du Centre et en ramena un bon groupe de séminaristes. En 1812, pour susciter des vocations dans le diocèse même, il fonda les petites communautés de clercs et trouva dans le clergé de Bordeaux et de Libourne de dignes émules, de zélés auxiliaires. Un des plus actifs propagateurs en France de la dévotion au Chemin de la Croix, il fut conduit, par son amour pour la Vierge, chez les Montfortains, mais ne put y rester à cause de sa santé et revint à Verdelais, auprès de l'antique sanctuaire de Notre-Dame, achever sa vie, fidèle à sa mission d'éducateur de clercs.

En 1809, la préfecture fut exercée par Pierre Goudelin. Bientôt, devenu prêtre, il dirigera l'Institution des Sourds et Muets de Bordeaux. L'abbé Sicard le voudra pour son successeur à Paris. "Mon cher collègue, lui écrira-t-il sur son lit de mort, je vous lègue mes chers enfants. Je lègue leurs âmes à votre religion, leurs corps à vos soins, leurs facultés intellectuelles à vos lumières, à vos moyens. Remplissez cette noble tâche et je meurs tranquille." Sur l'intervention de M. Chaminade, il acceptera avec beaucoup de répugnance. Il ne gardera sa charge que deux ans. L'apostolat de la parole l'attirait. Il l'exerça avec succès comme supérieur des Missionnaires diocésains de Bordeaux, puis, en 1832, avec Estebenet, le doyen des anciens préfets de la congrégation, il embrassa la vie religieuse dans la Compagnie de Jésus, où il mourut en 1863.

P. Lapeyre a tracé de lui ce portrait : "Fils d'un bouvier, et élevé comme par charité jusqu'au sacerdoce dont il avait eu dès son jeune âge la vocation, on l'aurait dit de race princière. Prince, en effet, il paraissait être par le bon ton uni à la plus grande simplicité, par le goût exquis et le plus cultivé des lettres, par l'esprit naturel, contenu et ne se faisant jour qu'à bon escient, surtout par la vraie éloquence de la chaire. Quand il y montait, sa haute taille, sa physionomie

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austère et légèrement socratique, son organe grave et suave, son geste précurseur du sentiment qui l'animait et que la plus correcte improvisation faisait passer bientôt dans l'âme de son auditoire, - cet auditoire eût-il été composé à la fois des plus beaux esprits et des plus incultes, - tel était l'homme..."

M. Lalanne a écrit que M. Chaminade "était d'une extrême circonspection en toutes choses, excepté pour le choix et l'emploi des hommes". Ce fut peut-être vrai dans quelques circonstances où faute d'individus qualifiés, le Supérieur de la Société de Marie dut simplement s'en remettre à la Providence. Dans le gouvernement de la congrégation, il eut la main heureuse. Les préfets lui ont fait honneur. Il leur a beaucoup demandé et ils ont répondu à toute son attente.

* * *

Il ne peut être question de reproduire ici l'instruction des chefs de division. C'est un véritable petit traité dont l'introduction donnera quelque idée.

"Les chefs de division sont préposés à chacune des fractions principales de la. société. Comme chefs, ils ont trois devoirs à remplir :

1.- entretenir l'ensemble des individus dans l'état de vie ou de vertu qui est le premier et le plus général objet de la congrégation ;

2.- d'y susciter et ranimer le courage ;

3.- d'y exciter et maintenir cet esprit d'union, ce bon accord qui doit porter tout à la fois toutes les forces vers un seul objet.

Les chefs ne doivent point s'attacher spécialement comme le font les introducteurs à un ou deux individus qui réclament un secours plus spécial. Car, il ne suffirait pas, dans l'objet de l’institution, que les chefs procurent le salut de quelques sujets, il faut pour atteindre à leurs devoirs qu'ils vivifient et alimentent une colonne toute entière, qu'ils lui donnent une âme, qu'ils l'amènent en masse au but auquel elle doit tendre. C'est à ces trois points de vue qu'il faut arrêter leur attention".

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Les aliments que "doit assurer ou répandre le chef de division" sont la lecture des saintes Ecritures, "l'aliment des forts", la lecture des livres de piété, "préparation particulière du pain commun à tous, mais que supporteraient peu ou ne digéreraient pas certains sujets", les instructions qui "ont cela de particulier et d'avantageux, qu'accompagnées de l'intonation, de l'expression du visage et du geste, elles semblent entrer par tous les sens et, si l'on peut ainsi dire, frapper notre âme de tous les côtés à la fois". C'est encore la fréquentation des sacrements, les exercices de piété, les œuvres de la charité chrétienne.

Pour susciter et ranimer les courages, les chefs de division inculqueront la confiance en Dieu et le sentiment du néant de l'homme. "Le sentiment de notre néant est notre défense contre le monde ; notre confiance en Dieu est notre force".

Enfin, de la faiblesse de l'individu, ils concluront à la nécessité de l'esprit d'union. Ici, l'instruction se développe, se fait plus pressante que jamais. Il s'agit, on le sent, du principe fondamental des congrégations : "L'esprit d'union et d'accord est nécessaire dans toutes les grandes entreprises et doit l'être aussi dans celle du salut de plusieurs hommes unis dans les vues de la religion. Quand on dit que l'homme n'est en soi que faiblesse et néant, c'est sans aucune espèce de figure ni d'exagération, tant est petite, en effet, la force d'un individu, soit qu'on le considère en son physique, soit qu'on l'aperçoive dans le moral. Celui qui voudrait rester isolé de tout, dans la société comme dans la nature, périrait bientôt. Il y a même danger de vouloir diviser en deux une réunion déjà formée, suivant cette maxime que toute maison qui se divise périra."...Jésus-Christ n'a-t-il pas eu en vue de nous faire connaître toute la nécessité d'unir et de faire concorder nos forces pour l'œuvre du salut, lorsqu'il a établi la communion des hommes et des saints et qu'il en est devenu le centre ?

N'est-ce pas dans cette même vue que notre sainte Eglise nous fait chaque jour participer aux mérites qu'elle garde en réserve et qu'elle distribue aux temps favorables à tous ceux qu'elle admet dans sa communion ?

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C'est dans le même esprit que se sont établies, dès les premiers jours de l'Eglise, les plus saintes congrégations. Notre Seigneur paraît les avoir provoquées lui-même par cette parole mémorable : "Partout où vous serez plusieurs réunis en mon nom, je serai au milieu de vous".

Ce n'est donc pas une chose arbitraire ni d'une mince importance pour l'objet du salut que de se former entre plusieurs et de se mettre en congrégation. Toutes les réunions de ce genre, dans notre sainte religion, sont instituées sans doute dans l'esprit de Jésus-Christ. Chacune d'elle a une vocation particulière qu'il faut savoir respecter, mais il faut bien prendre garde à une chose, c'est d'opter entre les congrégations qui sont à notre portée et de ne pas rester entre deux ou plusieurs, sans être intimement uni à aucune.

Que les chefs de divisions rabattent souvent les oreilles des jeunes gens de ces deux maximes : c'est en congrégation que l'on opère son salut et on n'est pas en congrégation en se faisant inscrire dans deux ou plusieurs, mais en s'incorporant effectivement dans une seule et en en devenant une partie inséparable.

Les chefs de division ne se contenteront pas d'expliquer le principe des congrégations, la nécessité générale de se soutenir les uns les autres, dont le principe de l'union peut émaner ; ils feront des explications toutes particulières après qu'ils les auront eux-mêmes sérieusement méditées...

Il faut s'unir pour échapper aux pièges du démon... Tant qu'il n'y aura pas une réunion où l'on professe la même religion, la même vertu, les mêmes mœurs, quelques hommes - religieux et probes, si on le veut, mais épars et isolés seront d'un bien faible exemple pour les besoins de toute la jeunesse... Sociétés, promenades, fêtes publiques, tout est disposé pour tromper la simple innocence et réveiller en nous des passions dangereuses. Dès notre première apparition dans le monde, nous sommes jetés d'écueil en écueil sans le connaître... Que nous sommes heureux, lorsqu'une réunion dirigée par des principes sûrs et invariables nous attire à elle et nous garantit pour ainsi dire, en nous donnant l'exemple, le conseil et la force du bien, toutes choses que ne nous donneraient point de même des hommes restés isolés. Celui qui a été conduit dans une telle réunion

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et s'en retire périt ensuite parce qu'il le veut bien et sans trouver d'excuse...

Il faut s'unir aussi "pour donner à l'édification un développement qui en impose. L'homme vertueux a beau éclater, on dit assez ordinairement qu'il n'est pas imitable. On lui suppose un autre cœur, d'autres organes, un autre tempérament que nous... Il n'y a qu'une réunion d'hommes vertueux qui puisse amoindrir ou détruire ce funeste préjugé... Que les chrétiens se forment en congrégation et, de leur sein, resplendira comme une sorte de lumière qui les rendra l'objet de l'attention générale. L'individu ne sera rien, s'il le faut, dans ces saintes réunions ; ce sont les réunions elles-mêmes qui excitent l'admiration. Que ceux-là donc qui ne veulent que leur gloire personnelle demanderait à quoi bon ces réunions et cet esprit qui nous attache à un centre et nous porte vers un objet. Mais ceux qui aiment la religion en elle-même et qui veulent la gloire de Dieu la feront resplendir dans les assemblées où ils feront masse et en augmenteront l'éclat, et de leurs vœux, et de leurs prières, et de leur seul concours, quoique perdus dans la foule".

Vérité de bon sens, hélas trop souvent méconnue et pas seulement au lendemain de la Révolution. Qui dira les méfaits de l'individualisme en religion !

Enfin, il faut s'unir "pour donner à ceux que la grâce rappelle au sein de la religion un appui plus apparent, une retraite plus étendue". "Si l'assemblée est étendue, si elle est nombreuse, elle frappera plus les regards, elle ouvrira plus de portes à ceux qui demandent ce que c'est que la religion. L'homme battu par l'orage aura moins d'embarras à la rechercher, plus de confiance à s'y livrer..."

La conclusion ne saurait être discutée : "Pour se détacher du désir d'étendre une congrégation, il faut désirer pour soi une moindre ressource et moins de sûreté, pour Dieu et la religion moins de gloire, pour le prochain moins de grâces et de secours : il faut être irréligieux, c'est là le mot".

Les chrétiens soucieux de leurs intérêts et des intérêts de la religion s'uniront entre eux et travailleront à fortifier, à développer l'esprit d'union par leur sociabilité, par leur docilité à l'égard des

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chefs, leur confiance dans la congrégation, l'estime et le respect dont ils l'entoureront. "Notre zèle et notre accord ne seraient rien sans la faveur de Dieu, mais nous combattrions cette faveur, si nous négligions rien de ce qui peut s'opérer par nos soins et par notre organe".

Dans cette abondance verbale qui remplit une vingtaine de pages, il y a des longueurs, des métaphores risquées. Il y a aussi des comparaisons savoureuses qui sont d'un bon disciple de saint François de Sales. Par rapport à l'écriture sainte, les livres de piété sont comme "une préparation particulière du pain commun à tous". Il faut remarquer à cet égard, que telle préparation, quoique appropriée à de certains esprits, ne laisse pas de convenir à tous les autres, à peu d'exemples près, comme la plupart des extraits ou des conserves dont tout le monde s'arrange au besoin, quoique l'usage plus grand en soit pour les estomacs affaiblis ou vicieux. "On profite davantage des instructions que des lectures. C'est que l'esprit les écoute et les entend mieux, tandis qu'au contraire ce qu'on lit à l’écart passe notre tête comme un courant l'air duquel nous ne prenons qu'une bien faible partie et qui s'éloigne sans que nous nous en rappelions jamais plus". Cette simplicité est délicieuse.

A ne considérer que les idées, il se dégage de l'ensemble une impression de grande discrétion. Ici encore on songe à l'évêque de Genève. S'agit-il des saintes Ecritures ? La lecture en est de conseil, non de précepte : "Il faut donc... ne proposer que des essais, les ménager pour la durée ou pour le nombre avec circonspection, jusqu'à ce que le goût vienne à s'en développer". S'agit-il de déterminer la quantité de nourriture spirituelle ? "On n'en prend pas suffisamment ou on en prend trop à la fois. De ces deux excès, il serait préférable peut-être qu'on en prit un peu moins que le nécessaire. L'aliment, quoique restreint, fait son effet et de plus, il n'ôte rien à l'effectif des forces. Ce sont deux avantages qui se perdent dans la satiété".

Le chef de division exhortera à la fréquentation des sacrements, "mais ce n'est qu'en agissant petit à petit, en passant d'une explication à une autre qu'il doit s'insinuer, répandre la lumière, communiquer la

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chaleur jusque dans le cœur de chacun des membres qui lui sont confiés".

Il n'y a point de religion sans pratiques extérieures : "il faut toutes les remplir avec l'expression du cœur. Il ne convient point d'entreprendre sans de grands motifs des choses extraordinaires, surtout lorsqu'elles nous`singularisent.

Le chef de division laissera dans l'intérieur de chacun une liberté indéfinie, même indiscrète, s'il est possible, d'aimer tout exercice religieux. Il portera chacun à mettre son âme dans la démonstration d'actes prescrit ou usités. Il retiendra ce qui aurait trop de saillie et tout ce qui consommerait le temps des autres devoirs par un zèle mal éclairé".

Jusque dans les moindres détails, M. Chaminade apparaît comme un homme de mesure et de prudence. L'étude des offices d'introducteurs va nous en fournir une autre preuve.

Dans des circonstances où la question du recrutement se posait avec acuité, les classes de probation prenaient une importance capitale. En 1803, on s' en souvient, l'institution des prétendants s'était heurtée à certaines oppositions. A lire le directoire de l'introducteur, les difficultés semblent maintenant avoir disparu. Il ne reste rien de cette enquête minutieuse qui devait précéder toute inscription sur la liste des prétendants. Apparemment tout congréganiste peut présenter de nouvelles recrues. On note seulement que le préfet ne proclamera. leurs noms en séance de congrégation qu'autant qu'elles seront présentes. Après la proclamation, si ce n'est déjà fait, le candidat prend contact avec l'introducteur général et avec un congréganiste ancien chargé de son initiation avec le titre d'introducteur particulier.

Ils sont loin d'être parfaits ces prétendants, du moins on les suppose loin de l'idéal congréganiste. S'en étonner ce serait oublier que si la congrégation attache une grande importance au maintien de ses membres dans la ferveur, à leurs "progrès dans la piété et la fréquentation des sacrements", elle se préoccupa tout autant "de retirer du monde, par des instructions, des exemples et de prudentes

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insinuations, ceux qui ont le malheur d'y être engagés et que la grâce rappelle à la vertu et à la religion".

A défaut de chrétiens formés, tels qu'elle les conçoit, elle en forme. C'est par là qu'elle est une "mission permanente". C'est au moyen de cette méthode qu'elle compte déchristianiser la société.

Dans cette perspective, elle mandate officiellement l'introducteur des prétendants pour cultiver chez les jeunes gens le premier attrait qui les oriente vers elle. "Tout ce que la religion a de charmes, tout ce que la vertu a de raisons plus aimables devrait être prodigué à ces néophytes, comme le lait aux enfants à la mamelle. Ce fut là le premier soin de toutes les églises ; c'est l'objet de la parabole de la brebis égarée.

"Il ne suffit pas de l'esprit de religion et de l'amour de la vertu pour réussir à la culture des prétendants, il faut encore un esprit de douceur, une aménité, une prévenance et une charité que rien ne rebute".

Autant que quiconque, M. Chaminade croit à l'efficacité de la grâce, mais il est trop réaliste et trop psychologue pour sous- estimer les facteurs humains qui interviennent dans l'évolution d'une âme. Il analyse, - avec quelle finesse ! - l'état du prétendant. Celui-ci doit être considéré comme retenu encore, par plus d'un lien, dans le monde, comme rappelé secrètement et quelquefois verbalement à ses faux plaisirs. Il s'agit de maintenir ses forces, de l'aider et non de le molester, ni de lui donner des rebuts. Il faut le fréquenter assidûment, le livrer à propos à ses réflexions, l'importuner à propos et l'enlever pour ainsi dire aux occasions dangereuses. Il faut le veiller comme un oiseau que l'on chérit. On veut le laisser libre et l'on craint toujours qu'il s'envole pour ne plus revenir. Il est libre et il ne l'est pas. Il est libre en ce qu'on ne le contraint en rien. Il ne l'est pas en ce qu'on l'environne de complaisance, de bonté et de nourriture".

Le rôle d'un introducteur, dira-t-on est bien difficile. "Il n'est pas difficile, il est grand. La charité rend tout aisé. Même il faut à propos que la piété de l'introducteur ne se laisse pas tout à fait découvrir, car il faut ménager les yeux qui craignent la lumière et c'est certainement ce qu'il y a de plus difficile à l'homme religieux que de vivre avec

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ceux qui ne le sont pas entièrement encore et de se couvrir devant eux pour ne pas les offenser. Le seul moyen pour en venir à ce dernier effort est une profonde humilité ! "

En outre, "il s'adressera à Dieu pour chaque prétendant par l'intercession de Marie. C'est dans la prière et l'oraison qu'il puisera les forces, les moyens, les lumières dont son office lui fait un besoin. Qu'il ne présume rien de lui, mais qu'il s'offre à Dieu et qu'il suive l'inspiration reçue comme un organe fidèle et obéissant. Il doit lui-même être d'une conduite régulière et édifiante sans renoncer aux distractions de la jeunesse, mais sans en user autrement que par les vues de Dieu".

Et que fera cet homme précieux ? Il formera les candidats à l'accomplissement des devoirs du congréganiste. Il les "attirera aux exercices de la congrégation et leur insinuera le désir de concourir un jour tant aux exercices privés qu'à ceux qui sont publics, de même qu'aux actes communs de la congrégation". Il les acheminera vers la communion. Qu'en tout il se conduise avec zèle et surtout avec prudence. "Il ne communiquera point le règlement, ni la partie qui concerne les devoirs des prétendants, mais il en instruira par conversation ou en forme de catéchisme, en autant de leçons qu'il sera convenable pour qu'ils les apprennent.

Quoi qu’instruit des principes et de la fin de la congrégation, il n'a point charge d'en instruire le prétendant. Il doit se contenter de lui expliquer les obligations et les devoirs des prétendants et lui parler d'ailleurs comme un homme pénétré de l'esprit de l'Institut, qui agit en conséquence, mais qui ne l'expose point et ne l'explique pas".

Les fonctions de l'introducteur des approbanistes sont moins délicates. "Quoi qu'il faille dans toutes les classes de la congrégation que les officiers se conduisent envers tous les individus avec l'esprit de discrétion, néanmoins la discrétion est moins urgente et moins étendue selon le degré d'instruction et d'avancement où est parvenu chaque sujet. Si l'introducteur des prétendants avait à conduire (chaque individu) comme un enfant à la mamelle, l'introducteur d'un sujet parvenu à la classe des approbanistes n'a plus à conduire qu'un enfant qui ressent déjà la raison, qui s'offense moins, qui sait mieux voir, qui ne recule pas devant toutes les difficultés, qui veut s'essayer

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dans ses forces. "Question de tact et d'adaptation : L'introducteur des approbanistes avec même douceur, même condescendance que l'introducteur des prétendants, doit prendre, s'il est possible, moins d'autorité, traiter d'égal à égal avec l'approbaniste, consentant pour ainsi dire à se laisser instruire par lui, ne lui proposer quelque redressement que comme des doutes et lui mettra en mains les sources de la bonne doctrine plutôt que de la lui vouloir expliquer".

Le travail ne manque pas. Il s'agit d'entretenir les connaissances et les bons sentiments acquis jusque-là, puis de les développer. Il faut instruire progressivement de la fin et des principes de la congrégation, "sans rien donner par écrit". Il fait entretenir le candidat des devoirs et des obligations qu'il va contracter, l'attirer aux exercices de la congrégation, le lier avec les meilleurs associés, le préparer à sa réception et à sa consécration mariale. Le tout en liaison constante avec le directeur.

L'introducteur des approbanistes peut comme celui des prétendants demander deux adjoints, un de chaque division. "Ces. adjoints l'aideront dans ses fonctions, mais ne le déchargeront pas de sa responsabilité vis-à-vis de la congrégation. Chaque semaine il aura quelque rapport, direct ou indirect, avec tous les approbanistes. Il ne passera pas la quinzaine sans leur ménager quelque instruction ou exhortation. Il les assemblera tous ou par groupes, selon l'âge et le caractère des jeunes gens. Il s'entend pour ces petites réunions avec M. le directeur, afin de lui donner occasion de voir les approbanistes et de leur parler. M. le préfet en exercice ainsi que M. le doyen des anciens préfets peuvent se trouver à ses réunions".

Dans l'examen de la conduite des candidats, "il prendra pour règle : a)- leur assiduité à fréquenter les exercices de la congrégation et les réunions des approbanistes ; b)- l'amour des devoirs des congréganistes ; c)- leur fidélité à s'approcher des sacrements aux communions générales qui se trouveront pendant le temps de leur épreuve.

Pour mieux se rendre compte lui-même et pour éclairer suffisamment le conseil, l'introducteur tiendra une liste d'exactitude".

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En ce qui concerne la réception, l'introducteur s'attachera surtout à bien expliquer aux approbanistes le tableau des indulgences et il les préviendra de l'application qui doit leur en être faite par M. le directeur.

La veille ou l'avant-veille de la réception des congréganistes, il ménagera aux approbanistes qui devront être reçus une exhortation un peu vive, faite autant qu'il sera possible par M. le directeur, à son défaut par M. le préfet en exercice ou par quelque ancien préfet. Le sujet de l'exhortation peut être sur l'importance de l'acte de consécration.

Lors de l'admission d'un approbaniste au grade de congréganiste, l'introducteur des approbanistes, - (comme en son temps avait fait celui des prétendants) - dressera une petite note du caractère et des dispositions du candidat, comme aussi de quelque autre particularité plus remarquable, s'il y en avait. La note portera nom, prénom, âge, état, confesseur, adresse du jeune homme. Elle fera mention du zèle et de l'intérêt que l'introducteur particulier aurait mis à remplir ses fonctions. Il ne remettra cette note au préfet en exercice qu'après la cérémonie de réception du jeune homme. Il remettra un double de cette note au secrétaire de M. le directeur.

Et pour que rien ne soit oublié, pas même ce misérable argent qui ne perd jamais ses droits, "au jour de la réception, il remettra aussi au trésorier une note de la fixation de la contribution des nouveaux reçus".

L'histoire des congrégations mariales nous apprend l'importance attachée de tout temps à l'entrée dans ces associations. On s'y prépare souvent par une retraite ; on s'y dispose par une confession générale. C'est un tournant de la vie, un événement qui doit marquer dans l'existence. Sur ce point, M. Chaminade n'innove rien.

Pourtant, entre sa congrégation et celles des âges précédents, il y a une différence qui parait !; essentielle. Entrer dans une congrégation au XVIème, au XVIIème, au XVIIIème siècle, c'était le signe que l'on passait - ou au moins qu'on désirait passer - de la piété à la ferveur, d'une vie chrétienne honnête à une vie chrétienne

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dévote. C'était une démarche que les auteurs spirituels conseillaient à des lecteurs bien familiarisés avec les exercices religieux.

Il en va bien autrement chez M. Chaminade . Pour lui, un prétendant, c'est un chrétien sans doute, mais un de ces chrétiens qui ne le sont pas autrement que par leur inscription sur un registre des baptêmes. C'est aussi un chrétien comme le sont, hélas ! presque tous les jeunes gens du XIXème siècle naissant. L'entrée dans la congrégation marquera dans sa vie comme une véritable conversion, comme le passage de l'indifférence à la religion. Si le stage imposé aux candidats par les anciennes congrégations évoque l'idée d'un noviciat, c'est au catéchuménat antique que font songer les classes des prétendants et des approbanistes. Là, il s'agissait de s'engager dans la perfection du laïcat ; ici, il s'agit de s'engager simplement dans le christianisme vécu. Là, on avait affaire à un tiers ordre sans le nom ; ici, on se trouve devant une communauté chrétienne.

De là, les précautions minutieuses recommandées aux introducteurs et auxquelles on ne comprend rien quand on ne se place pas dans la perspective du directeur. De là, ces deux classes préparatoires ; de là, ce stage d'approbaniste dont les trois mois ne peuvent être ramenés à deux sans une délibération expresse du conseil de la congrégation et du collège des anciens préfets. De là encore, l'importance donnée à l'instruction des candidats et à la communion des prétendants. Après avoir indiqué que l'introducteur prend pour règle générale de la conduite des prétendants les devoirs des congréganistes, le directoire poursuit : "lorsqu'il s'apercevra qu'ils sont dans la disposition de les observer, - (les termes sont à peser) - et qu'ils commenceront - autre mot révélateur ! - à s'approcher de la sainte table, il les présentera pour être reçus approbanistes".

Et voici la contre-épreuve. Si le candidat est un postulant arrivé à sa seizième année, il ne sort pas de l'indifférence : les directives données aux- introducteurs deviennent alors caduques. "Le temps des épreuves n'est pas fixé pour le postulant devenu approbaniste. C'est un privilège attaché à la classe des postulants. S'il est bon d'ailleurs, s'il a édifié parmi les postulants, s'il fréquente les sacrements, l'introducteur l'instruira plus rapidement de ce qu'il aura à faire

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comme congréganiste, fera fixer sa contribution et le présentera au conseil pour être admis".

Ces textes sont suggestifs. Il ne semble pas que les divers biographes de M. Chaminade leur aient donné toute leur valeur.

C'est encore - en partie du moins - parce que la congrégation cherche des recrues dans un milieu indifférent que les officiers d'ordre et les officiers d'honneur tiennent un place importante dans la vie de l'association. Qu'ils sont nombreux ! Dans chaque division, un sous-chef d'ordre et un sous-chef d'honneur, l'un et l'autre avec plusieurs aides ; au-dessus, un officier d'ordre en chef et un officier d'honneur en chef ; plus haut encore, un ancien préfet pour diriger l'office d'honneur et un préfet honoraire pour présider à l'office d'ordre.

A quoi bon tout ce monde ? Représentons-nous la Madeleine un dimanche soir, quelques minutes avant la séance publique. Chacun est à son poste. Voici les officiers d'ordre. Celui-ci, dans le sanctuaire dispose tables, chaises et fauteuils ; celui-là place les quinquets, allume les flambeaux ; cet autre, armé des mouchettes met en état les lumignons. Tout près de l'entrée, au fond de l'église, deux d'entre eux abattent des chaises et préparent des sièges pour les visiteurs. Ce jeune homme qui va de l'un à l'autre et qui paraît attentif à tous les détails de l'organisation matérielle, c'est l'officier d'ordre en chef. Il vient de consulter le préfet honoraire. Tout à l'heure, quand la séance commencera, il circulera pour se rendre compte que personne ne s'est attardé dans les sacristies ni dans les chambres des divisions, ni à la tribune où les deux divisions tiennent ensemble, quand il y a lieu, leurs réunions privées. Il s'assurera aussi qu'aucune femme ou jeune n'est restée à l'intérieur. A l'issue de l'assemblée, il veillera à ce que chaque objet soit remis à sa place. Il a lu dans son directoire : "L'ordre des choses est le préparatif nécessaire à l'ordre des personnes. Tout l'intérêt que peuvent inspirer les exercices et les séances de la congrégation pèse sur l'office d'ordre comme sur son fondement. " Et encore ceci qui est le secret de sa belle fierté, de son zèle souriant : Les officiers d'ordre travaillent aussi directement et aussi essentiellement pour la gloire de Dieu et de Marie que ceux qui

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commandent aux divisions. La pureté d'intention et la noblesse du motif relèvent toutes les actions".

Les officiers d'honneur ne sont pas moins actifs. Distingués, accueillants, ils s'empressent auprès des arrivants. Affables avec tous, affectueux à l'égard des postulants, prévenants avec les prétendants et les approbanistes, simples avec les congréganistes, déférents à l'endroit des pères de famille, ils placent chacun selon sa qualité. En habit, la poitrine barrée d'une large écharpe blanche aux glands d'argent, ganté de blanc, le chef circule discrètement, salue celui-ci, échange un mot d'amitié avec celui-là et porte surtout son attention sur la réception des étrangers qui viennent à l'assemblée pour la première fois. Ce sont des recrues possibles : il importe qu'ils éprouvent une impression très favorable. Il vient d'en apercevoir un à l'entrée de l'église. Aussitôt, il se porte à sa rencontre, le salue avec aisance et engage avec lui la conversation. Tout en causant, il le fait avancer, puis, s'excusant, sur ses fonctions, de ne pouvoir demeurer avec lui, il le présente à deux congréganistes et l'invite à s'asseoir à leurs cotés. Il n'a pas agi au hasard ; il sait que ces associés-là exerceront une heureuse influence. "Quelle estime, dit le directoire, l'étranger prend de la congrégation, si, pendant la séance, il se trouve assis - à côté de jeunes gens qui ne le cèdent pas à leurs officiers en modestie et en honnêteté". S'il survient quelque personnalité, il avertira le directeur. S'il y a une proclamation de nouveaux membres, il présentera ceux-ci. En aucune circonstance, il ne perdra de vue "qu'il remplit un office de zèle et de charité !" Ni lui, ni l'officier d'ordre ne limitent leur activité aux séances publiques. Ils ont charge d'assurer l'organisation et la tenue correcte de toutes les réunions, soit générales, soit partielles, mais on leur recommande tout particulièrement l'assemblée publique : on compte sur leur zèle pour qu'elle vaille à la congrégation beaucoup de nouvelles adhésions.

* * *

Avec ses nombreux officiers aux fonctions minutieusement déterminées, la congrégation présente l'aspect d'un corps harmonieux.

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Ce corps a une âme : le directeur.

M. Chaminade, un jour, s'est expliqué : "Le directeur, en dirigeant l'ensemble, fait réellement tout. Je fis comprendre dans le principe aux congréganistes qu'ils formaient un corps, mais un corps qui devait être animé ; il n'en est aucun, depuis, qui ne regarde le directeur dans la congrégation comme l'âme dans le corps pour les fonctions qu'il a à remplir ; mais tous le regardent aussi comme un père tendre au sein de sa nombreuse famille".

A en juger par quelques notes anonymes qui nous transmettent un écho des discussions provoquées par la rédaction des règles générales de la congrégation, on aurait d'abord pesé les termes pour sauvegarder à la fois la primauté du spirituel et l'indépendance du temporel. Le directeur avait soumis une première rédaction aux anciens préfets, semble-t-il. Ceux-ci avaient proposé des modifications. Des prêtres, ceux de la congrégation, sans doute, avaient été consultés sur l'opportunité des changements demandés. On devine l'abondance et parfois la subtilité des remarques. Un exemple : M. Chaminade avait formulé le premier principe de l'Institut en ces termes : "L'enseignement et la direction des âmes dans les vues de la religion ne peuvent venir que de l'Eglise". Il en tirait cette conséquence : "C'est donc au chef canoniquement institué qu'il appartient seul d'enseigner ou de diriger". Les laïques proposèrent le texte suivant : "L'enseignement et la direction des âmes dans les vues de la religion doivent être conformes à l'Eglise. - C'est donc au chef canoniquement institué qu'il appartient de diriger et de surveiller l'enseignement".

Quelle était leur intention ? Selon toute apparence, ils pensaient que leur rédaction correspondait mieux à l'usage. Est-ce que discours, lectures, dialogues, tout, dans les assemblées publiques, n'était pas le fait de la jeunesse ? Le directeur faisait-il autre chose que diriger et surveiller ?

Il s'agissait d'un principe. Les ecclésiastiques prirent l'affaire au sérieux : "Vouloir rendre l'enseignement et la direction aux séculiers – entendez : aux laïques - en ce qui tient aux vues de religion, est un écart qui a été déjà jugé plusieurs fois et c'est là ce qu'on exprime par ces mots : disputer la chape à l'évêque… Si l'enseignement n'est pas

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accordé au chef, que devient la faculté de diriger et de surveiller... C'est ôter la houlette au pasteur... Il y a déjà dans cette discussion ce que Bossuet, d'après `l'Ecriture, appelait la vapeur sortie du sein de l'abîme. La foi demande à rentrer bien vite dans la soumission ; creuser plus avant serait se perdre dans la vapeur".

Pour autant, notre défenseur du pouvoir spirituel ne prétend pas absorber le temporel. Le troisième principe était ainsi conçu : "Les vues principales de la congrégation étant dans l'ordre de la religion, il est convenable que les moyens temporels qui peuvent y servir et toutes vues accessoires y soient subordonnés à l'autorité spirituelle et à la direction donnée par elle". Les jeunes gens n'avaient rien trouvé à reprendre. Quels aveugles ! "Cette dernière maxime est contraire aux principes ; elle combat les libertés de l'Eglise gallicane et les règles les plus certaines des gouvernements policés. L'autorité temporelle et l'autorité spirituelle sont deux branches sorties de la même souche, mais qui ne dérivent pas l'une de l'autre. Elles sont alternativement gouvernantes, mais chacune dans l'ordre de sa direction. Elles gouvernent des individus et ne doivent pas se maîtriser l'une l'autre... Celui qui dirait publiquement ou baserait une corporation sur le principe faux que l'autorité temporelle dans son ordre doit être subordonnée à l'autorité spirituelle serait criminel d'Etat et, s'il n'était excusé par son ignorance, il ne manquerait pas d'être puni ! "

Un autre clerc épluchait tous les articles et relevait en juriste toutes les expressions qui auraient pu laisser entendre que l'autorité des bureaux s'étendait jusque sur le directeur. La discussion aurait pu continuer longtemps. Il y avait mieux à faire qu'à ergoter sur les termes, puisqu'on était d'accord dans la pratique. M. Chaminade le comprit. Sans chercher à élever un monument juridique défiant toutes les chicanes, il précisa son rôle dans la réception canonique, affirma son autorité pour le spirituel, mentionna son devoir de surveillance dans toutes les questions mixtes et abandonna à la charité, au tact, le soin de dirimer les conflits théoriques. Il a écrit : "Il doit y avoir un rapport constant entre les officiers, conseils et autres représentations de la congrégation et son directeur. Ces rapports ne doivent pas être ceux d'une autorité temporelle, mais ceux de la charité réciproque et se régler sur les principes et conseils

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évangéliques. L'opposition ou le conflit entre l'autorité des bureaux ou du conseil et les vues du directeur doivent se considérer comme des choses impossibles parce qu'en ce cas, il n'y aurait ni corporation, ni communion, ni enseignement dirigé, dès lors que le chef institué serait divisé des membres".

Le directeur nomme lui-même toutes les officières des jeunes filles et des dames de la retraite, chaque année chez celles-ci, chaque semestre chez celles-là. Il se borne à consulter les officières sortantes. En fait, les changements sont rares : Melle de Lamourous restera "Mère" neuf années de suite. Les pères de famille choisissent chaque année leur chef. Cette opération ressemblait sans doute fort à la désignation de nos présidents d'œuvres paroissiales. Les renouvellements de mandat ne sont pas rares et l'on conçoit mal que l'élu n'ait pas été le candidat du directeur.

Chez les jeunes gens, tous les six mois, en janvier et en juillet, le conseil sortant après entente avec le directeur propose un nom pour la charge de préfet et deux pour celles de chefs de division. Le premier est soumis à l'approbation de tous les congréganistes, les deux autres à celle de chaque division intéressée. Le nouveau conseil ainsi formé se complète lui-même par la nomination des autres officiers. Ici encore, sous les apparences libérales qui flattent la jeunesse le directeur conduit tout. Aucun conseil, aucune réunion ne peut se tenir sans son assentiment. Aucune décision n'est valable sans son approbation. Il préside le conseil des jeunes filles le premier lundi de chaque mois. Il assiste, tous les lundis, à celui des anciens préfets et, tous les : mardis, à celui de la congrégation des jeunes gens. Il est à toutes les réunions des pères de famille, à toutes celles des dames de la retraite, à toutes les assemblées générales ou publiques des jeunes gens ou des jeunes filles. Il se trouve fréquemment aux réunions partielles ou particulières à une classe et il se fait rendre compte de celles qui se sont tenues hors de sa présence. Il suit de près et la marche de l'ensemble et l'évolution de chaque subdivision. Le directoire de son secrétaire, - il y a un directoire du secrétaire du directeur comme il y en a un du secrétaire de la congrégation - est révélateur à ce sujet. On y lit : "Il aura grand soin que toutes les listes de M. le directeur soient continuellement à jour. Il prendra garde à cet effet que tous les officiers et officières lui

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remettent leurs notes. Il les demanderait si on ne les lui remettait pas. Tous les mardis matin, à bonne heure, il présentera ces listes à M. le directeur. Il prendra connaissance de tous les directoires des officiers et officières et, sans faire semblant de rien, regardera si tout s'exécute ponctuellement. Il fournira des notes très courtes à M. le directeur des observations qu'il aura faites, le mardi matin, en lui présentant ses listes".

On ne saurait pousser plus loin le souci de l'ordre et de l'information exacte. Néanmoins, quand il s'agit de M. Chaminade, c'est ailleurs qu'il faut chercher le secret de sa méthode, la source de son influence. Plus que par l'exercice de son autorité, plus que par son exactitude poussée jusqu'à la minutie, il s'impose et dirige par l'esprit qu'il infuse, par la formation qu'il donne, par la mentalité qu'il crée.

La fréquence des réunions lui permet de distribuer un enseignement suivi, fondement solide pour la pensée et principe d'unité. Dans ses rapports incessants avec les dirigeants et les dirigeantes, il explique, suggère, conseille, répète au besoin, prévient les fausses interprétations ou les déviations. Dans les entretiens personnels, il gagne la confiance et s'assure les dévouements. Aussi comme il s'applique à multiplier les occasions de contact ! Aucun officier, aucune officière, qui ne soit pressé de voir souvent le directeur, de le consulter, de lui soumettre les difficultés, de lui adresser les congréganistes. Il reçoit chaque prétendant, chaque approbaniste, chaque postulant, chaque postulante, chaque agréganiste et chaque dame de la retraite, avant son admission officielle. Tout associé qui s'absente pour quelque temps lui doit une visite avant son départ et une autre à son retour. En outre, beaucoup de membres s'adressent à lui pour la confession et la direction. Peut-on faire davantage pour assurer l'unité de vues ?

Il aimait ce ministère et y consacrait tout son temps. Un jour il dira les assujettissements que crée la direction d'une congrégation. Elle absorbe "tous les moments et toutes les facultés d'un homme : confessions, instructions, séances publiques, directions spirituelles, rapports avec les officiers, direction particulière, surveillance, correspondance... Il faut être toujours chez soi, la porte ouverte à tout

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venant, tout entier à chacun comme si l'on n'avait que son affaire... Si (un prêtre) ne se donne pas avec cette plénitude et cet abandon, j'ose bien assurer qu'il ne réussira jamais et que sa congrégation ne tiendra pas ou ne fera que languir".

Toute sa vie de directeur est dans ces lignes. Ce programme idéal, au lendemain du transfert de son œuvre à la Madeleine, il le réalise à la lettre. Voilà l'origine et l'explication de ses succès. Son exactitude à se tenir à la disposition de tous est si connue, nous dit-on, qu'il est réputé ne sortir jamais de chez lui, où son accueil fascine tous ceux qui l'approchent.

Sa forte personnalité n'étouffe pas les initiatives. Peut-être faut-il dire qu'elle suscite celles qu'il désire, ce qui est encore pour un chef le meilleur moyen d'éviter les écarts de ses subordonnés et de ses aides. Plus il met de soin à inculquer un esprit commun et à préciser le but visé, plus il peut faire confiance aux divers officiers. Il a recommandé au préfet honoraire de veiller à ne pas priver les officiers d'ordre, par un excès de zèle, du mérite qu'ils peuvent acquérir dans leurs emplois. Il s'en tient à ce principe dans l'exercice de ses fonctions. Quitte à l'avertir, les chefs de division, les introducteurs, les officières d'instruction organisent leurs réunions. Aménagement des locaux, éclairage des salles, ornementation, préparation de l'autel, formation et surveillance des enfants de chœur, exécution des chants, organisation des jeux et des promenades, contrôle des présences, collecte des souscriptions, comptabilité, tenue des divers registres, confection des listes de veille auprès des malades, fonctionnement de l'office de placement, détails des visites aux prisons ou aux hôpitaux, tout est confié au zèle et au savoir-faire des congréganistes. Il les laisse présider les assemblées et les conseils comme font aujourd'hui les prêtres dans les groupements d'Action catholique. S'il "fait réellement tout", s'il "demeure responsable de l'enseignement à l'Eglise, dont il est l'envoyé et le ministre'', il agit moins par autorité que par suggestion. Le but fixé, il provoque pour l'atteindre, le concours actif de tous les membres, autant que la prudence le permet.

Toute sa mesure, il la donne dans l'utilisation des laïques pour la diffusion du christianisme. La question vaut qu'on l'examine de près.

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A lire certaines biographies de M. Chaminade on prend facilement une idée inexacte de ses vues et de sa congrégation... Il aurait sonné le rappel d'une élite chrétienne pour suppléer au manque de prêtres. Il aurait formé son œuvre au cri de : "Ici les âmes apostoliques ! sous la conduite de Marie, chef des apôtres, pour la seconder de toutes nos forces ! " La congrégation nous dit-on, "ne voulait pas se grossir d'unités qui viendraient y chercher uniquement leur profit, même spirituel ; elle devait rester une élite militante et conquérante ; les âmes qui n'avaient pas la flamme du prosélytisme n'étaient pas faites pour elle".

Nous avons connu et nous connaissons encore des associations fondées sur de tels principes. La Constitution apostolique Bis saeculari en fait même une des caractéristiques traditionnelles des congrégations mariales dirigées par la Société de Jésus. La conduite de M. Chaminade révèle une pensée plus complexe, un plan d'apostolat plus moderne.

Il est missionnaire apostolique "envoyé par la Congrégation de la Propagande". Il n'a pas cru "pouvoir mieux exercer les fonctions (de sa charge) que par l'établissement" de l'association qu'il a constituée.

"La congrégation est une mission permanente". Est-ce à dire que tous les congréganistes sont aptes à la propagande directe ? Qu'ils ont été amenés à l'association par le désir de l'apostolat ? Que les exercices de la congrégation tendent à leur donner une formation spécialisée et pour ainsi dire technique en vue de la propagande chrétienne ? Que la société veille à ne pas s'altérer par l'admission de membres en qui elle ne trouve pas la flamme apostolique ? Que le mot d'ordre qu'elle donne à tous, c'est "diffusion de la vérité chrétienne ?" Qu'elle est, en un mot, un groupement, ou au moins une école de chefs, de militants laïques exclusivement ? - Non.

Elle est née d'une claire vue des avantages - naturels et surnaturels - de l'association. Elle se propose d'utiliser ces avantages pour mettre sans l'altérer, la vie chrétienne à la portée de toutes les bonnes volontés. Elle veut assurer "la constance du juste, l'affermissement du faible, la conversion du pécheur". Elle accueille, elle recherche les uns et les autres. Pour rechristianiser la société, elle compte moins sur l'apostolat individuel de ses membres que sur la

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valeur apologétique de son existence. En offrant le spectacle d'une masse chrétienne de fait, elle impose le christianisme à l'attention, elle prouve qu'il est praticable -au XIXème siècle comme aux origines de l'Église, elle brise le respect humain. En s'ouvrant à toutes les sincérités, elle multiplie les chrétiens de fait et enlève aux faibles l'excuse d'un idéal au-dessus de leurs forces. En attirant les indifférents, en se les incorporant pour les christianiser par "contagion" des vertus chrétiennes, - l'expression est du directeur - elle devance la J.O.C. et se présente comme un "mouvement" autrement fait pour servir le catholicisme qu'un groupement restreint composé de spécialistes dans "l'enseignement" de la vérité. Ces idées nous deviennent chaque jour plus familières : elles ont inspiré tout l'apostolat congréganiste de M. Chaminade .

Dans chaque branche de la congrégation, on trouverait sans peine l'équivalent des sympathisants et des militants de nos mouvements spécialisés. Et parmi les uns et les autres, hier comme aujourd'hui, quelle diversité ! Il y a le jeune homme, la jeune fille, issus de familles où la vie chrétienne s'est maintenue aux jours les plus mauvais ; il y a les jeunes gens, les jeunes personnes, qui ont grandi dans une atmosphère d'indifférence ou d'irréligion jusqu'au jour où la congrégation les a atteints. Voici les âmes ferventes, généreuses qui fournissent les cadres ; voilà les âmes faibles, hésitantes, qu'il faut suivre, encourager, guider sans cesse. A côté des congréganistes anciens épris de leur idéal, on trouve dans les classes de probation des candidats, des candidates, qui à 18, à 20 ans, n'ont pas fait leur première communion et qui la préparent.

Les pères de famille offrent le spectacle d'hommes dont la vie a toujours été exemplaire, la foi assurée, unis à d'autres qui ont longtemps vécu en marge de la religion. En outre, aux assemblées du dimanche soir, aux promenades, aux retraites, on admet, on attire des curieux souvent étrangers à toute idée religieuse. Que d'individus qu'on ne rencontrerait pas dans l'association, si elle était une sélection d'âmes apostoliques ! Les uns s'en seraient tenus éloignés ; on aurait écarté les autres. Il ne serait resté que le petit nombre.

M. Chaminade veut des masses. Il pose en principe que "les instructions purement morales, les exercices dans les arts et les sujets

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d'agrément, dans tout ce qui est honnête, peuvent entrer dans les travaux et entretiens des réunions, aussi bien que les sujets de religion". D'emblée le nombre de ceux qu'il pourra intéresser est immense. Il prescrit de ne pas communiquer aux prétendants le chapitre de l'Institut qui traite de la fin et des principes de l'association : il faut avoir égard à leur mentalité et les gagner d'abord par l'exposé des avantages naturels. Il déclare que les associés se proposent "pour objet immédiat... d'être unis de prières et de mérites, et de se rendre ensemble plus forts dans les voies du salut par le secours des instructions et des mutuels exemples" ; qu'une "des premières vues de la congrégation regarde les progrès des congréganistes dans la piété et la fréquentation des sacrements" ; que pour ramener à la vertu et à la religion ceux qui en sont loin, on a recours aux "instructions, aux exemples et à de prudentes insinuations" c'est-à-dire à un apostolat collectif. Et voilà rassurés tous ceux qui ont besoin d'un appui ou qui ne se sentent ni le caractère d'un entraîneur, ni l'envergure d'un chef. Bref, il n'écarte que les individus dangereux : ceux qui dépourvus de moyens d'existence seraient une charge insupportable pour la congrégation ; ceux qui, adversaires résolus du Gouvernement, attireraient de graves ennuis ; ceux qui livrés aux plaisirs et à la débauche deviendraient des corrupteurs et discréditeraient le mouvement.

De tous ceux qu'il reçoit, il fait des membres actifs de la mission. En ce qui concerne la propagande directe des idées chrétiennes hors de la congrégation, il est très réservé. Crainte d'éveiller l'attention de la police ? Moins qu'on ne l'a cru et dit. Question de méthode plutôt. C'est là un apostolat délicat. Les congréganistes ne l'entreprendront que sur mission expresse de leurs guides. Puisqu'il s'agit moins d'enseigner le christianisme que de le montrer vécu, bienfaisant, accessible à tous, leur grand devoir, leur devoir essentiel, c'est de contribuer à la vie, à la progression du "mouvement".

Tous donnent le concours de leur présence, de leurs exemples, de leurs prières, de leurs mérites. Tous sont invités à travailler au développement de l'œuvre en attirant de nouvelles adhésions. Il en est qui ne peuvent aller au-delà : ils ne sont pas inutiles puisque le corps tire d'eux un accroissement d'influence. Ceux-ci par leur jovialité et leur entrain assurent le succès des promenades. Ceux-là

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rendent quantité de petits services matériels lors des réunions. Tels excellent dans l'accueil des "étrangers" aux assemblées publiques. Tels, doués d'un bel organe, lisent des discours, prennent part à des entretiens, exécutent des chants. Presque tous s'occupent, à tour de rôle, des confrères malades. Quelques uns se chargent de trouver des places à ceux qui en cherchent. D'autres maintiennent la liaison avec les absents par les visites ou la correspondance. Au nom de tous, certains agréganistes portent le réconfort de la charité et les lumières de la foi chrétienne dans les hôpitaux et dans les prisons ; d'autres prennent en charge des congréganistes orphelins. Dans le groupe des âmes généreuses, les unes ont à s'acquitter de leurs fonctions au sein de l'Association ; d'autres prennent soin d'un postulant, d'un prétendant, en particulier ; d'autres se mettent à la disposition de leur curé pour catéchiser les retardataires ou pour constituer et diriger des "patronages" avant la lettre. Et si quelque associé chancelle, il y a toujours deux membres fervents pour accepter la "mission" de le voir, de le soutenir, de le ramener Dans un orchestre, les rôles sont divers : aucun n'est sans valeur.

L'harmonie fut-elle toujours parfaite ? Les vues du directeur furent-elles toujours admises sans discussion ? Qui voudrait le croire ? Que l'on songe à la hardiesse de son entreprise. Créer un véritable esprit de corps, réaliser le Cor unum et anima una des premiers chrétiens dans une association ouverte à tous les rangs, à toutes les classes, à toutes les professions, au voisinage d'une époque qui s'était grisée - jusqu'à en mourir - de distinctions sociales, c'était nouveau, c'était difficile. Les réactions dont nous percevrons plus tard l'écho chez les plus anciens des congréganistes donnent à penser qu'en tout temps, à des degrés divers, M Chaminade connut des difficultés. Elles ne l'arrêtèrent pas et, en dépit des préjugés, des préventions, des oppositions peut-être, l'œuvre prospéra. Elle avait une âme, une âme forte, toujours "maîtresse du corps qu'elle animait"

* * *

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Chapitre deuxième

ET BALAAM S’ECRIA

Tandis que la section masculine de la jeunesse subissait et surmontait sa crise de croissance, les autres se développaient.

Les dames de la Retraite, les dernières organisées, pouvaient être une trentaine à la fin de 1805. Les listes des jeunes filles s'étaient allongées de dix-huit noms en 1804 et de quatorze l'année suivante. L'organisation en fractions subsistait, sous l'active direction de Thérèse de Lamourous.

Chez les pères de famille, le 27 mai 1805, M. Duchesne de Beaumanoir, après sa troisième réélection aux fonctions de premier assistant, établissait le bilan des progrès en ces termes :

"Il y a deux ans nous étions une douzaine ; aujourd'hui ce nombre a doublé, et nous avons à remercier notre sainte Mère de voir parmi nous des hommes qui réunissent autant de talents que de vertus.

"Il y a deux ans nous avions pour guide notre zèle et les lumières de notre saint directeur ; aujourd'hui avec les mêmes avantages, nous avons une règle et des statuts dont vous avez vous-mêmes fixé l'invariabilité.

"Il y a deux ans, disséminés, sans aucune liaison avec l'édifiante jeunesse de la congrégation, plusieurs pères de famille différèrent, par un faux respect humain, de s'allier à nous ; aujourd'hui nos rapports sont déterminés : protecteurs, amis, conseils et comme de nouveaux pères, nous nous sommes spécialement dévoués au soutien des jeunes enfants de Marie. La barrière bien méprisable du respect humain n'existera plus et nous verrons bientôt venir au milieu de nous des hommes recommandables autant par leur piété que par le rang qu'ils occupent dans le monde.

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"Pères de la jeunesse, dans la famille de la divine Marie ! O Messieurs, que ce titre est beau ! Qu'il est grand dans l'Église ! Qu'il est honorable même aux yeux des mondains ! Qu'il est digne de la sagesse de ce prêtre vénérable dont toutes les démarches sont marquées au coin de la science et de la charité parfaite !

"Retirés dans les oratoires, nous nous contentions, il y a deux ans, de prier, chacun en particulier, suivant notre piété individuelle ; aujourd'hui nos prières se font plusieurs fois en commun ; aujourd'hui les prisons, les hôpitaux ne nous sont plus étrangers et déjà nos frères ont porté tour à tour les consolations chrétiennes et sociales dans le sein des malheureux qui se croient abandonnés".

La venue du Pape en France, les splendeurs du sacre n'avaient pas désarmé toutes les résistances. Les anticoncordataires se rencontraient avec les incrédules pour s'opposer à la restauration religieuse. A Bordeaux, le prêtre jureur Timbaudy avait en 1803 refusé de quitter Sainte-Eulalie et, à sa mort survenue le 14 mars de l'année suivante, les constitutionnels lui avaient fait des funérailles extraordinaires. "Les réfractaires obstinés et les relaps nous ont suscité une infinité de tracasseries, écrivait Mgr d'Aviau au Pape le 28 novembre 1804.... Les scènes scandaleuses qui ont eu lieu aux obsèques de deux d'entre eux ont montré de plus en plus combien ils étaient propres à entretenir et à propager la séduction parmi le peuple.... Une autre espèce de dissidents, ceux qui par attachement à des principes exagérés, méconnaissent la légitimité du régime actuel de nos églises, n'ont pas causé les mêmes troubles dans le diocèse de Bordeaux que dans quelques-uns des circonvoisins. Cependant, les dispositions y sont trop marquées pour ne pas laisser craindre l'explosion la plus funeste si elle n'est prévenue enfin par une manifestation non équivoque de votre suprême autorité". M. Duchesne ne manque pas d'adapter ses conseils à la situation :

"Il vous reste encore bien des choses à faire. L'ennemi du salut des hommes ne dort pas ; il veille pour nuire. Nous devons déjouer ses projets infernaux et, en nous ralliant sous l'étendard invincible de Marie, nous devons combattre et détruire sans cesse tout germe de schisme et de scandale.

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"L'hérésie audacieuse lève la tête, et, bientôt, elle lèvera le masque. Unissons-nous aux prêtres catholiques, secondons-les de tous nos efforts ; prières, paroles, discours, écrits, que tout tende chez nous à la conservation entière de la foi, des mœurs et de la sainte discipline de l'Eglise ! Que son chef visible soit toujours pour nous l'organe des volontés divines ! Suivons sans hésiter l'impulsion de nos pasteurs ! Que les lumières de ce sage et bien aimable directeur nous servent toujours de flambeau et de centre d'unité ; car, c'est ainsi et point autrement que nous devons nous tenir dans le Seigneur".

Quelqu'un qui dut entendre ces paroles avec satisfaction, ce fut David Monier, un des derniers arrivés. Elles répondaient si bien aux tendances de son imagination combative et au zèle de sa foi rajeunie !

"C'était un homme hors ligne" a dit de lui l'abbé Lalanne, "d'une activité juvénile, d'une hardiesse presque audacieuse, disant et persuadant tout ce qu'il voulait dans la plus brillante conversation, ayant tout vu dans son siècle et n'ayant rien oublié, rompu aux affaires importantes comme aux plus épineuses".

E. Daudet n'a vu en lui qu'un escroc : a-t-il étudié tout son dossier ? Il était né à Bordeaux, le 7 novembre 1757, de parents très chrétiens. Avocat, il se lia avec les Vergniaud, les Guadet, les Gensonné, les Cadroy et les suivit à Paris où, à la fois, il participa à leur activité politique et s'intéressa à des entreprises de librairie en faveur de ses auteurs préférés. Rousseau l'enthousiasmait. Il avait salué la Révolution comme l'aurore de la paix et de la liberté pour tous les hommes, grâce à l'application des principes du Contrat social.

Les excès de la Terreur le dégoûtèrent et le rejetèrent si bien dans la réaction qu'il passa au camp monarchique. Le voilà agent bénévole de Louis ;XVIIl. Il se rend en Allemagne, noue des intrigues et s'entremet pour tenter de gagner Barras à la cause des Bourbons. Mais le 18, Brumaire le surprend ; il est arrêté, enfermé au Temple. La politique l'a mal servi. Relâché grâce à Fouché, semble-t-il, il retourne à Bordeaux, décidé à ne plus abandonner le barreau. En peu de temps, son cabinet de la rue Sainte-Colombe devint très

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fréquenté et il s'acquit une grande notoriété. Comment entra-t-il en contact avec M. Chaminade ? Jusque- là, il ne s' était point soucié de pratiques religieuses. Les déboires de sa carrière politique provoquèrent-elles un de ces revirements qui ne sont pas rares chez les natures ardentes ? Fut-il témoin d'une cérémonie religieuse qui le bouleversa ? Subit-il l'influence d'un ami ? de Duchesne de Beaumanoir ? Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il se livra à M. Chaminade qui le mit en retraite, le fit lire, réfléchir, prier, écrire. La conversion fut complète. Désormais toute son ardeur se dépensera en faveur de la religion, au sein de la congrégation où Duchesne lui servit d'introducteur.

Des prêtres étaient venus se joindre à ceux qui, dès 1801, avaient prononcé leur consécration mariale. M. Chaminade appréciait leur adhésion. Si leurs fonctions les retenaient souvent loin des assemblées, leur seule présence sur les listes générales disait leur estime pour l'œuvre. Ils furent bientôt assez nombreux pour constituer une section spéciale.

Noël Lacroix, l'un d'eux, n'était autre que l'ancien bénéficier de Sainte- Colombe, l'animateur de l'Aa bordelaise, l'infatigable organisateur de réunions pour la jeunesse avant la Révolution. On devine avec quelle joie, à son retour du Portugal, il retrouva bien vivante l'œuvre qui lui avait été si chère. Les Lafargue, les Estebenet, les Darbignac, les Ducot et bien d'autres avaient appartenu à la congrégation de Sainte-Colombe. Comme directeur de l'Aa, il avait apprécié le jeune abbé Chaminade : il l'aiderait désormais en lui adressant la jeunesse. Les deux prêtres durent plus d'une fois évoquer le passé et y chercher ensemble des enseignements. Plus d'une fois, devenu sacriste sacriste (sic) de Saint-Paul, Noël Lacroix dut assister et prendre la parole aux réunions de la Madeleine. "Une taille élevée et majestueuse, une tête chauve et déjà blanchie par les années, un front modeste et serein, une physionomie pleine de douceur, de bonté, une attitude dévote et on ne peut plus édifiante, un langage pur et moelleux, des manières affables et prévenantes, le sourire sur les lèvres, une gaieté vraiment spirituelle", tel il apparaissait alors aux assistants et plus d'un sans doute remarquait par combien de traits lui ressemblait celui qu'on regardait comme son continuateur.

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Jacques Bergey, curé de Sainte-Eulalie, avait lui aussi appartenu à l'Aa dont il avait été commis en 1772. La congrégation ne jouira pas longtemps de son concours. Il mourut dés 1805.

Son vicaire, Jean Antoine Martegoutte devait entretenir avec la Madeleine une collaboration qui ne cessa pas quand il devint aumônier des prisons. Joseph Momus, originaire du diocèse de Condom, était vicaire à Saint-Michel et avec Jacques Micheau, un Vendéen, donnait ses soins à la communauté naissante des Filles du Sacré-Cœur.

Pierre Drivet avait fait ses études à Mussidan et y avait connu les frères Chaminade. Curé de Soulignac-en- Benauge, il n'avait pas quitté son diocèse pendant la Révolution et occupait maintenant la cure de Saint-Martial. Il s'éteindra à 92 ans le 10 novembre 1834. Son frère Jean dirigeait le séminaire et mieux que tout autre pouvait dire la part que la congrégation prenait au recrutement sacerdotal. Il expirera entre les mains d'un congréganiste, Denys Joffre, le 4 mars 1808.

Pierre Bouny travaillait aussi à la formation des futurs prêtres. Jean Laboual, du diocèse de Bazas, était prêtre sacriste à Saint-Eloi. Antoine-Marie Toucas de Poyen, curé de Saint-Pierre, bientôt professeur de philosophie à la faculté de Bordeaux, s'était distingué naguère dans les querelles soulevées par la Constitution civile du clergé et l'on parlait encore de sa belle attitude à l'égard de son prédécesseur, le curé jureur Bordenave, ex dominicain. Jean- Antoine Cossourd était un de ses Vicaires. L'autre était Jean Boyer, disciple de Noël Lacroix et agrégé dès 1801.

La congrégation, on le voit ne manquait pas de sympathies parmi le clergé bordelais. Elle s'en était même acquise quelques-unes plus loin par la réception de Louis Ferret et Jean Larribeau de Condom et par celle de Jean Bernier, curé de Lapoujade. Au total plus de vingt ecclésiastiques très édifiants.

Dans l'enthousiasme suscité par les victoires d'Ulm, d'Austerlitz et par la paix de Presbourg, aux accords répétés des Te Deum solennels, on était arrivé aux premiers jours de 1806.

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Une mission s'achevait. Le P. Lambert avec ses compagnons, les PP. Thomas, Gloriot, Desmarres, Enfantin, avaient obtenu des succès consolants. Le dimanche 19 janvier, une grande procession de clôture se déroula dans la cathédrale Saint-André et l'on fixa, en souvenir, une belle croix dans l'une des chapelles. La police n'avait pas autorisé l'érection sur la place publique. C'est peut-être au soir même de cette journée, - le dimanche suivant au plus tard - que la Madeleine reçut les missionnaires. Aux congréganistes s'étaient joints beaucoup de curieux. M. Chaminade profita de cette circonstance pour traiter, une fois de plus, un sujet qui lui tenait à cœur : la nécessité des congrégations.

Nous avons la préparation écrite du discours qu'il prononça. La rédaction est complète, - fait rare chez cet homme qui se contentait de notes ; des variantes marginales indiquent seulement qu'il se réservait de choisir ses expressions devant son auditoire. C’est l'exposé le plus méthodique que nous ayons de sa pensée.

Il part d'un texte des Nombres qu'il cite et traduit : "Et le prophète élevant les yeux, vit tout le peuple d'Israël placé sous des tentes et distribué selon l'ordre des tribus et il s'écria : "Que vos pavillons sont beaux, ô Jacob ! Que vos tentes sont belles, ô Israël ! Elles sont comme des vallées couvertes de grands arbres, comme des jardins le long des fleuves, toujours arrosés d'eau, comme des tentes que le Seigneur lui-même a affermies, comme des cèdres plantés sur le bord des eaux. L'eau coule de sa propre abondance et la semence se multiplie comme l'eau des fleuves et ceux qui les béniront seront eux-mêmes bénis".

Cet ordre et cette force que le prophète Balaam admirait chez le peuple de Dieu, il se plaît à les retrouver "dans cette sage distribution des tribus qui composent la société des plus zélés chrétiens et qui sous le titre de congrégations existent partout sans se confondre, forment une union toute sainte, toute spirituelle, et prennent leur centre de paix et de charité en la personne du vicaire de Jésus-Christ". C'est le principe de l'Union sans confusion.

Ces associations, de plus en plus, vont réunir tous les chrétiens : "Les tribus dispersées jusqu'aux extrémités de la terre viendront l'une après l'autre se réunir à ce bel ordre et en augmenter la magnificence.

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Les corps séparés s'y réuniront et un jour il ne se formera de nouveaux corps que selon l'ordre qui seul peut faire la force d'Israël".

Mais il ne suffit pas d'admirer. L'ordre naît du concours de chacun. Pour ne pas s'opposer à la marche générale, il faut que tous entrent dans ces groupements. Il en est qui ne comprennent pas. "Un certain aveuglement naturel porte les hommes, - même les plus sages quelquefois - à ne pas voir, à ne pas sentir l'avantage qu'ils ont à des choses communes bien ordonnées..."

"Les uns disent : "Je me tiens à l'écart. Je ne fais pas de mal. Que les autres fassent le bien comme ils l'entendent !"

D'autres "allèguent qu'ils ont été et qu'ils sont de plusieurs associations ; qu'ils n'en veulent pas prendre de nouvelles et qu'ils ne voient pas le fruit plus grand d'une réunion différente".

Négligeant, s'il y en a dans l'auditoire, ceux qui veulent rester dans le mal, l'orateur va essayer de montrer aux premiers "les avantages d'une union", aux seconds "les avantages d'une union plus profondément enracinée et plus féconde dans tous ses fruits", celle de la congrégation.

Les chrétiens doivent s'unir. Tout dans la religion le leur dit : la charité, principe de leur félicité, qui ne- peut leur procurer un avant-goût du ciel en dehors d'une association ; l'exemple des premiers chrétiens qui ont été persécutés parce qu'ils formaient corps et qui ont trouvé dans leur union même un moyen de résistance ; les mots de disciples, d'amis, de frères qui sont courants dans l'Eglise primitive et qui montrent que les fidèles se connaissaient, se fréquentaient, mettaient en commun leurs joies, leurs afflictions.

Une objection se présente. Les chrétiens ne sont-ils pas réunis en paroisses, en diocèses ? Ne forment-ils pas "un seul troupeau" ? "...Il est de fait que les pasteurs sont préposés par contrées, de proche en proche, et que les fidèles peuvent se ranger à chaque endroit sous la houlette qui leur est désignée".

Mais cette union n'est plus que nominale. Il faut le reconnaître, l'institution paroissiale s'est altérée. "Ce n'est pas le pasteur, ce n'est pas le signe visible de la houlette qui manque aux fidèles. On peut

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même dire que jamais les pasteurs préposés aux divers lieux dans la France n'ont fait preuve de plus de sainteté dans les mœurs, de plus de zèle au salut des hommes, de plus grande pureté dans la doctrine, de plus d'humilité, de foi, de charité, de plus de vertus chrétiennes. Mais, je le demande à quiconque voudra être de bonne foi, dans les nombreuses assemblées qui se font dans nos temples, dans celles surtout où la solennité attire tous les rangs de la société, par convenance ou pour quelque transport de joie qui nécessite de publiques actions de grâces, - (Ulm, Austerlitz, Presbourg et leurs Te Deum imposés sont- encore si récents ! ) - l'abondance des assistants alors fait-elle l'abondance des fidèles ? Et je le demande encore, hors les jours de solennité dont on vient de parler, le temple n'est-il pas désert ? Les murs des lieux saints ne pleurent-ils pas la dispersion du peuple d'Israël ? "

Ainsi les jours solennels, "....les fidèles en nombre presque imperceptible sont suffoqués par les nations étrangères au culte et..... dans les autres temps, les uns, honteux de la solitude du temple, craignent de s'y montrer, les autres, le plus petit nombre, s'y consument à verser des larmes amères.

Dites après cela aux fidèles de ne point chercher à s'unir, qu'ils le sont suffisamment, qu'ils ont des lieux désignés où le public aborde librement, c'est leur dire : "Laisser languir la religion et que les vrais chrétiens se perdent comme les juifs au milieu des peuples idolâtres ou impies, sans être aperçus, sans trouver à se fortifier ni à se consoler".

"Il n'y aurait que deux fidèles dans cette enceinte, ils me répondraient : - Le fait n'est que trop vrai. Il faut que les fidèles, quel que soit leur nombre, s'efforcent de se rapprocher et de se réunir -"

"Mettez-vous en congrégation ! Congregamini ! Congregamini ! Que les étincelles qu'on a dispersées avec trop de malice soient rapprochées : elles s'embraseront et le feu de la charité brûlera de toute sa force..."

"...Supposez un moment que la dispersion dont je parle ne soit pas aussi grande que quelques uns disent, l'effet du rapprochement serait de raviver un feu qui existe et qui ne saurait trop s'enflammer.

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"Il faut donc s'arrêter de toute façon à ce mot : Congregamini ! "L'isolement est une faute pour un chrétien. C'est un concours quoique involontaire chez la plupart - aux efforts que les ennemis de la religion font pour la .... réduire à la désolation et au petit nombre. Ceux en qui la foi s'est ranimée par les effets d'une salutaire mission ne resteront pas dans une indifférence aussi mortelle".

Ils entreront dans une association. Encore faut-il qu'ils choisissent celle où ils rencontreront "l'union la plus profondément enracinée et la plus féconde dans ses fruits". La congrégation présente ces caractères, si bien que les membres des autres groupements eux-mêmes ont avantage à devenir congréganistes.

"Il n'est pas une association religieuse entre toutes celles que l'autorité légitime a consacrées qui ne mérite des éloges ; pas une qui n'ait fait des saints, qui n'ait propagé les bons principes, qui n'ait répandu les trésors de la charité".

".... Mais, leur diversité et leur succession même" prouvent que la Providence les a suscitées pour répondre à des besoins différents. Les congrégations sont apparues sous Grégoire XIII et Sixte V, lorsque les confréries se suffirent plus pour combattre "le libertinage de l'esprit et la dissolution des mœurs". D'où vient leur supériorité ? C'est que les fidèles qui les composent, "pour imiter les chrétiens de la primitive Eglise, tendent par leurs réunions fréquentes à n'avoir tous qu'un cœur et une âme, à ne former qu'une même famille, non seulement comme enfants de Dieu, frères de Jésus-Christ et membres de son corps mystique mais encore comme enfants de Marie".

..Ce sont deux vérités dans notre sainte religion que, (sur le Calvaire), Jésus-Christ devint le Père des hommes et que la divine Marie fut désignée par lui comme leur Mère.

"Pourquoi ce titre de Père à notre Sauveur et le titre de notre Mère à la divine Marie, si l'on n'y voit la promesse de toute la protection attachée à des titres aussi saints ?... Le culte rendu à Jésus-Christ nous méritera de prendre part aux fruits de la Rédemption. Le culte subordonné envers Marie nous méritera de prendre part aux grâces dont elle peut disposer auprès de son Fils. Et qui disposerait de plus de grâces ? " Les souverains Pontifes Grégoire XIII, Sixte V,

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Pie VI, Pie VII et dernièrement le Cardinal Caprara, légat du Pape, ont renouvelé la promesse faite par le Christ d'une assistance maternelle de la part de Marie à l'égard de ceux qui lui sont dévoués.

Le dévouement, le culte, c'est la seule condition requise pour éprouver les effets de ces promesses solennelles. Or, quel dévouement est plus total que celui qui s'exprime dans l'acte de consécration congréganiste ? Quel culte est plus complet, plus manifeste, plus constant que celui de la congrégation ? "Les autres associations ont quelques observances de prières, de mortification ou de bonnes œuvres et chacune de ces choses est bonne, il faut prendre soin de le dire". Dans la congrégation, "la prière divisée entre le grand nombre des congréganistes qui sont sur la terre est perpétuelle. Les mortifications sont en vue de participation entre tous les membres. Les œuvres de tout genre, réparties dans les différentes classes, sont en commun et pour tous".

".... D'autres associations ont un habit de la Vierge porté sous les vêtements. Les membres ont quelque signe extérieur de culte". Dans la congrégation, "on porte non seulement l'habit désigné, mais le signe d'enfant de la Vierge dans toutes ses habitudes, dans tout. son corps et visiblement sur le visage. Devant la modestie d'un membre, on dit : "C'est un congréganiste", et ce signe est répandu déjà à travers tout le monde chrétien. Les temples, les monuments, les fêtes les plus fréquentées sont ceux des congrégations".

".... On a dit ... comment les prières étaient divisées et formaient un cantique perpétuel, quoique chacun n'y donnât qu'un temps assez bref ; il faut ajouter que la même perpétuité existe dans le concert des œuvres au rang desquelles est la propagation de l'instruction pour ceux qui y sont destinés, sans que les incapables en soient embarrassés ! "

La congrégation honore la très sainte Vierge dans tous ses mystères, tous ses privilèges, toutes ses grandeurs. Etre congréganiste, c'est être nommément l'enfant et le serviteur de Marie : "C'est un état, une sorte de condition dans la religion...., c'est par de fréquentes réunions rétablir le véritable esprit du christianisme sous les auspices de Marie et entrer ainsi dans les intentions de Jésus-Christ".

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"Est-il étonnant que les Souverains Pontifes aient ouvert en quelque manière tous les trésors de l' Eglise en faveur des congrégations ? " Ici, M. Chaminade signale les indulgences et les faveurs spirituelles concédées aux congréganistes. Après quoi, il conclut la première partie de son second point et entame son dernier développement : la congrégation réalise "l'union la plus féconde en fruits".

Quels sont ces fruits ?

1. - ceux que Jésus-Christ a attachés aux pieuses réunions faites en son nom, ceux qui naissent de la présence du Saint-Esprit ;

2.- l'entraînement de l'exemple au milieu d'une association où sont les plus pieux d'entre les chrétiens, les plus sages souvent d'entre les hommes ; l'excitation habituelle à tous les genres de bien ; le goût des choses saintes ; la propension à suivre le culte et les divers offices ; la douceur des sacrements qui est connue seulement de ceux que Dieu appelle à l'éprouver ;

3. - la force réciproque que l'on se prête contre les divers genres de tentations et surtout contre celle qui naît du respect humain ;

4. - les bonnes œuvres.... qui sont plus faciles à chacun, plus étendues dans leur ensemble, chacun y participant selon ses talents, son aptitude, ses facultés et dans le secret autant qu'il le faut ; surtout les oeuvres de zèle qui sont la base des préceptes et qu'on est si peu à portée de pratiquer presque partout ailleurs ;

5. - l'instruction plus souvent renouvelée, mieux réglée, tantôt plus simple et tantôt plus approfondie, selon les classes où elles se distribuent ;

6. - cette communication d'œuvres avec toutes les branches de la grande congrégation depuis le XVIème siècle qu'elles furent établies et incorporées entre elles par celle qui est la mère commune ;

7. - et pour tout dire en un mot, le développement du zèle, de l'amour d'une part, et de l'autre cette manière d'observer la justice selon Dieu qui consiste à éviter le mal et à pratiquer toutes sortes de biens".

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Nous voici à la conclusion : "la congrégation des nations rassemblées au nom de la Mère de Dieu, devant Dieu son Fils, notre Rédempteur, c'est le triomphe de la religion..." "Unissez-vous ! Que les plus parfaits soient des canaux de la grâce pour soutenir, animer les moins avancés ! Soyez mutuellement comme les Anges du Seigneur ! ..."

La péroraison, - digne de l'exorde, - est fournie par Isaie : "Surge, illuminare Jerusalem ! Soyez toute brillante ! Quia venit lumen tuum et gloria domini super te orta est... Leva in- circuitu oculos tuos et vide : omnes isti congregati sunt, venerunt tibi. Filii tui de longe venient et filiae tuae de latere surgent. Tunc videbis et afflues et mirabitur et dilatabitur cor tuum." Une indication marginale laisse supposer que dans la traduction est venue s'insérer une allusion à la présence des missionnaires.

Tel fut le discours. Nécessité de l'association pour vivre chrétiennement ; supériorité des congrégations mariales pour assurer aux chrétiens les bienfaits de l'association, ce sont les deux convictions fondamentales de M. Chaminade, celles qui expliquent toute sa vie à partir de 1800, celles qui résument toutes les notes qu'il a écrites pour justifier ou défendre son œuvre de prédilection.

* * *

Presque au lendemain de son vigoureux plaidoyer en faveur des congrégations, il vit le moment où malgré lui, il lui faudrait cesser ce ministère. Il se trouva "très gêné du côte des moyens d'existence."

Il est facile de faire le compte de ses ressources. Du Gouvernement, il ne reçoit qu'une modeste pension de 450 francs. Il n'est pas sur les listes du clergé paroissial, seul rétribué. Les deux classes de l'âge mur et celle des Jeunes Filles lui laissent les deux tiers de leurs cotisations, mais celles-ci ne constituent pas une fortune, on le devine. Depuis le 15 janvier 1805, les jeunes gens payent l'éclairage des assemblées dominicales et versent au directeur une somme fixe de 36 livres par mois pour couvrir les dépenses que lui occasionnent toutes les autres réunions. A parcourir le registre de comptabilité, on constate que ce modeste dédommagement ne

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parvient au directeur qu'après des mois de retard. Au total, ces diverses contributions lui permettaient tout au plus de payer la location de la chapelle et d'y entretenir le culte. Qu'avait-il pour vivre ? pour rémunérer sa servante ? pour acquitter son loyer ? Les honoraires de ses messes, de quelques services funèbres célébrés pour les congréganistes défunts, les revenus de sa propriété de Saint-Laurent. Il n'y avait pas de quoi économiser beaucoup et une récolte déficitaire suffisait à déséquilibrer le budget. Etait-il prudent de rester dans cet état précaire ?

Pressé par la gêne, M. Chaminade songea à "s'employer en ville à quelques œuvres lucratives" et envisagea "la douloureuse nécessité" de dissoudre lui-même la congrégation. Comme il ne voulait pas d'ailleurs "perdre le fruit de ses travaux passés", se rappelant sans doute les méthodes de l'Aa, il pensa qu'un petit groupe de congréganistes fervents pourraient, dans une mesure, continuer l'œuvre commencée. Un jour, il prit une feuille et fixa quelques idées qu'il avait en tête à ce sujet. Sans chercher une dénomination compliquée, il appelait ce groupement d'élite la "Réunion des douze" parce qu'il croyait pouvoir compter sur douze jeunes gens, la plupart des officiers sans doute. "Un des douze, nommé par ses confrères, devait être le régulateur de leurs opérations et en être comme le centre".

Les assemblées, les délibérations devaient être secrètes, c'est-à-dire que les jeunes gens de la congrégation ne devaient s'apercevoir de rien ; autrement le zèle des douze eut été sans effet ; les jeunes gens les auraient pris pour des surveillants incommodes.

"Le zèle des douze devait redoubler" quand on leur donnerait "la commission... de voir et d'exciter les jeunes gens les plus tièdes, les plus inexacts ou de ramener ceux qui se seraient égarés".

"La correspondance avec les congréganistes absents de Bordeaux devait leur être recommandée, pour soutenir leur vertu contre les scandales qu'ils pourraient rencontrer dans les divers lieux où ils se seraient retirés".

Le projet n'eut pas alors d'autre suite. "Quelques personnes sages m'encouragèrent, dit M. Chaminade . Je vendis divers objets dont je

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pouvais rigoureusement me passer ; entre autre, un magnifique ornement ; - je touchai de l'argent de ma famille ; je me remis de cette grande détresse. Tout demeura dans le même état". Ce fut heureux.

* * *

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Chapitre troisième

TOUT RENAIT

De 1806 à 1809, la congrégation vécut de belles années, des années de vigoureuse croissance, d'union bienfaisante, de fécondité.

Sous l'impulsion des Quentin Lousteau, des Marc Arnozan, des Pierre Goudelin, des Patrice Lacombe, les jeunes gens devinrent nombreux. Dès le 9 mars 1807, M. Chaminade fait dire à un père de famille au sujet de l'assemblée publique : "Je vis hier plusieurs fois le moment où l'on ne trouverait plus de place sur la tribune". L'hiver suivant, il écrit à Lafon : "Je vois avec plaisir renaître l'esprit primitif. Il y a plus d'union, plus de zèle. Les officiers paraissent comprendre qu'il faut moins délibérer qu'agir". Un an plus tard, c'est Lafon qui, revenu à Bordeaux, renseigne ses amis de Figeac ; le 26 février, l'un d'eux, A.Brougnon-Perrière, lui répond : "J'ai appris avec plaisir que la congrégation s'accroît chaque jour". Et le 9 mars, un autre, nommé Nau, s'exprime ainsi : "Je suis charmé des nouveaux progrès que la congrégation fait tous les jours. Je voudrais pouvoir partager les peines que vous vous donnez, pour accélérer les effets. Je pense cependant que vous vous sentez bien dédommagé par la consolation que vous avez de voir le succès couronner une fonction aussi noble".

A défaut des listes de la congrégation qui ont disparu, ces divers témoignages nous donnent quelque idée du développement de l'association des jeunes gens. A l'automne de 1808, ils forment le groupe le plus nombreux : or, celui des jeunes filles dépasse le chiffre de 250. En septembre 1809, la police, renseignée par des congréganistes, parle de 300 membres environ.

Un méchant bout de papier, conservé par hasard, nous apprend que dans une séance du mois de mars 1807, le conseil de la congrégation s'occupa spécialement des postulants.

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Si l'on avait toujours regardé cette classe "comme la pépinière de la congrégation", pour lors elle contribuait peu à accroître le nombre des congréganistes. Si plusieurs postulants étaient entrés au séminaire ; si plusieurs autres, "édifiants par leurs vertus et leur piété" avaient quitté la ville avant l'âge requis pour leur réception, il restait que ce groupement était beaucoup moins nombreux que dans le passé. Néanmoins, avait-on ajouté, "cette classe mérite le plus grand intérêt. Elle est digne de tout le zèle de la congrégation, car :

1°- Outre le bien réel de conserver dans l'innocence et la vertu tant de jeunes adolescents, la congrégation ne trouverait-elle pas un aliment continuel de sujets vertueux, animés de son esprit et exercés à ses pratiques ?

2°- Quelle est d'ailleurs la bonne œuvre qui rendra la congrégation elle-même et plus respectable et plus intéressante que de soutenir et faire croître dans la vertu toutes ces jeunes plantes ?

3°- Tous les prêtres de la ville et surtout les curés en seront touchés. Ils savent qu'à l'égard de cette jeunesse leur ministère est ordinairement insuffisant.

4°- Mgr l'Archevêque ne pourra voir sans attendrissement que les jeunes gens de la congrégation prennent un moyen si réel de soutenir la religion et d'augmenter le nombre des chrétiens".

Pourquoi le conseil ne réveillerait-il pas le zèle des divisions ? Il serait facile de relever cette œuvre "si la masse de la congrégation y mettait un vrai intérêt". L'expérience a enseigné les abus à éviter, les moyens à employer. Il faut consulter les divisions.

Toutes ces considérations furent "mûrement pesées et discutées", puis on en vint aux décisions. Nous lisons : "Le conseil arrête :

1. - qu' il sera fait un verbal abrégé de toutes ces considérations ;

2. - que le préfet de la congrégation se transportera successivement sans les chambres de division, le premier jour où elles seront assemblées et leur donnera communication du verbal. Il reste autorisé à l'expliquer et à l'interpréter selon les intentions du conseil ;

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3. - que si les divisions prennent la chose à cœur et manifestent un vrai intérêt pour la bonne œuvre qui leur est proposée, le conseil, dans le plus court délai, leur manifestera les moyens simples et pratiques qu'il entrevoit pour l'exécuter avec succès".

Aucun document écrit n'a fixé l'accueil fait par les divisions à cette communication. L'apparition d'un "Institut" complet pour la classe des postulants permet de penser à une approbation générale.

Aux termes du nouveau règlement, le postulant, lors de son admission, est présenté à une assemblée générale de la congrégation et reçoit la bénédiction du directeur. Le congréganiste qui le présente devient son "protecteur" et répond de sa conduite ; s'il y a empêchement, le conseil désigne un autre protecteur. Chaque congréganiste peut "protéger" plusieurs adolescents. Un introducteur nommé en conseil dirige et forme l'ensemble des postulants. A lui de fixer les assemblées et les promenades, qui doivent être distinctes et séparées de celles des congréganistes. A lui de connaître chaque sujet, de suivre son évolution, de contrôler son assiduité et de rendre compte au conseil, une fois le mois, des dispositions de son groupe et du zèle des introducteurs particuliers ou protecteurs... Sur son rapport, le conseil exclut les sujets ou les maintient sur les listes, confirme ou change les protecteurs.

Les postulants communient tous les mois avec les congréganistes. Ils récitent chaque jour une heure du petit Office de l'Immaculée Conception et assistent à la messe de congrégation le dimanche. Au fur et à mesure qu'ils avancent en âge et deviennent capables de profiter des instructions destinées aux hommes faits, ils sont conduits par leur introducteur ou par leurs protecteurs aux diverses assemblées de la congrégation. A 16 ans, ils entrent directement dans la classe des approbanistes.

Comparé à celui des années antérieures, ce règlement indique un allègement des obligations imposées aux associés et une plus grande initiative laissée à l'introducteur. Les protecteurs sont une innovation inspirée sans doute par l'existence des introducteurs particuliers chez les prétendants.

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Autre nouveauté révélée par ce qui subsiste des papiers de la congrégation : une longue instruction à l'intention de l'introducteur. Encore un délicieux morceau de fine psychologie et de délicate sollicitude ! Comme dans beaucoup d'écrits de cette époque, David Monier semble avoir été le rédacteur d'idées indiquées par M. Chaminade .

La première partie tend à pénétrer l'introducteur de ses responsabilités et souligne l'importance de ses fonctions : "Les jeunes postulants ont été appelés la pépinière de la congrégation parce qu'en effet celle-ci ne peut se renouveler d'une manière constante qu'au moyen des jeunes élèves qui remplaceront d'année en année les pertes inévitables que le temps amène. "Les jeunes postulants méritent.... toute l'attention du conseil et des officiers de la congrégation, tout le zèle, l'âme entière, si l'on peut ainsi dire, de celui qui sera proposé pour être leur introducteur".

Ne dirait-on pas que l'auteur de ces réflexions souffre de ne pas avoir à sa disposition des mots équivalents à sa pensée ? Il continue par une distinction qui, pour nous, jette une lumière sur le double programme de la congrégation : préserver et conquérir :

"Le monde, sans doute, par la classe des prétendants, fournira aussi des remplaçants, mais ces derniers ne nous paraissent pas destinés à produire la même utilité.... C'est dans la plus jeune adolescence, c'est dans cette jeunesse qui est encore vierge du monde que nous découvrirons, avec le temps, la plus belle fleur de l'institution protégée par l'auguste Marie".

L'auteur paraît de nouveau impuissant à exprimer ce qu'il éprouve. Cette importance donnée à la classe des postulants est d'un intérêt que peu d'âmes peut-être sauront ressentir en entier et qu'il serait superflu de développer à qui n'en a pas le sentiment. Ici, l'objet n'est pas de soustraire au monde une proie qu'il tient déjà et qu'il traite peut-être avec tyrannie ; c'est de le frustrer d'une proie qu'il envie de loin et qu'il attire à lui par des séductions d'autant plus trompeuses que l'adolescent, sans expérience, ne peut s'en défier et qu'il n'en aperçoit jamais que l'extérieur le plus brillant. En sauvant du faux brillant du monde ces jeunes gens, il faut leur conserver leur innocence. Cette œuvre est impossible sans la grâce divine ; c'est une

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de celles où éclate le plus la miséricorde de Dieu, quand il lui plaît d'en porter l'effet sensible dans une grande cité. Jamais un instrument de la Providence, faible comme nous pouvons l'être, ne dut avoir plus de crainte... de se trouver indigne de la mission qui lui est confiée. Le Très-Haut veut l'éprouver peut-être lui-même, en le mettant en œuvre dans un si grand dessein. "Faut-il se laisser décourager par l'immensité de la tâche ? Non ; car, nous n'opérons ni pour nous ni par nous. Mais il faut toujours avoir présent à l'esprit l'œuvre entreprise... Si la classe des jeunes postulants est une fois bien instituée, l'œuvre, - (la congrégation) est indéfectible".

La mission de l'introducteur se présente sous un double aspect : préserver l'adolescent de la contagion du mal, ce qui conduit à le soustraire aux mauvaises compagnies et à le prémunir contre les exemples pernicieux ; le défendre contre les dangers qui viennent de lui-même, ce qui porte à lui révéler son caractère, ses passions, les ardeurs de la concupiscence. Sur chacun de ces points, les remarques pertinentes abondent. Nous lisons : "L'introducteur ne défendra pas ses jeunes postulants des compagnies dangereuses ou suspectes, s'il ne les lie pas entre eux ou avec leur introducteur... Il doit s'informer quels sont leurs loisirs, leurs promenades, leurs exercices, leurs jeux et soit qu'il les rassemble par divers groupes, soit qu'à certains jours il n'en fasse qu'une société, soit qu'il se trouve forcé d'en livrer quelques uns isolément à leur protecteur ou autre préposé, il doit savoir où et comment se passent leurs recréations. ... Il ne faut pas que ces jeunes postulants soient privés de récréations. On doit au contraire compatir à leur âge et leur permettre l'amusement comme une nourriture. Mais il faut que tout dans les amusements soit décent et honnête.

En y réfléchissant, en prenant avis des personnes expérimentées…, en prenant soin de préposer à la conduite des réunions des esprits riants et qui aient de la gaieté, les sociétés se forment bien et le danger des compagnies extérieures inconnues sera prévenu".

Nous parlons aujourd'hui de la préservation par l'amitié, de l'éducation par la joie : les amis de la jeunesse, les Philippe Néri, les Allemand, les Chaminade, les Bosco n'ont pas suivi d'autres

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principes. La grâce, l'expérience et l'amour leur ont valu des intuitions que la psychologie moderne admire sans les dépasser.

"Mais il restera contre le jeune postulant le danger des exemples dont il sera témoin dans le monde et quelquefois jusque dans le secret des famille. Rien ne peut arrêter le danger de l'exemple, lorsque ceux qui le donnent sont à notre portée. C'est donc en celui qui est exposé qu'il faut amoindrir le mal. L'habitude des fréquentations honnêtes entre les postulants et leurs protecteurs doit ôter autant d'occasions dangereuses.

L'avertissement des maux dont le monde se rend coupable, l'amour intérieur de tout ce qui plaît à Dieu sont des préservatifs contre la nocivité du vice au temps où il voudra se montrer.

L'habitude d'avoir un confident de sa vie et de ses actions, soit dans son protecteur, soit dans tout autre congréganiste prudent, confident tel... qu'on ne lui cache rien de ce qui intéresse ou de ce qui étonne est un secours contre l'amorce de tout exemple qui se trouve hors des habitudes.

La fréquentation des exercices de piété, la fréquentation spécialement des sacrements de pénitence et d'eucharistie sera la force des simples et le soutien des bons.

L'essentiel pour l'introducteur... est d'être prévenu de bonne heure du danger, dans chaque circonstance et pour chaque individu ; car, le danger connu trop tard est sans remède. Qu'il entoure donc ou qu'il associe ses jeunes postulants de telle manière que l'avertissement ne puisse manquer de lui parvenir au besoin et, si la prévoyance antérieure n'a pu prévenir le péril quelquefois, que la vigilance soudaine, aidée de tous les conseils possibles, en détruise les effets".

En même temps qu'il prévient ou combat les influences malignes, l'introducteur doit attirer l'attention des sujets sur les dangers dont la source est en eux-mêmes. On sait l'importance du caractère dans la physionomie morale des individus. Il tient au tempérament, mais l'intervention de la volonté peut favoriser, surveiller ou arrêter les manifestations des tendances natives. L'introducteur étudiera le caractère de chaque postulant, cherchera le

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défaut dominant de chacun, pour le lui signaler. "Combien d'hommes, pour s'être connus trop tard, ne se corrigeront jamais !"

Les passions naissant le plus souvent du caractère. Si celui-ci est équilibré, dominé, elles seront peu dangereuses. "Le combat livré au caractère dès l'âge de raison, prévient l'écart des passions qui y seraient relatives. La connaissance que le sujet peut acquérir de son caractère ne laisse pas de place à la passion ! " Au besoin, dans le cas d'une nature riche, "il faudrait opposer une passion à une autre : l'orgueil à l'amour, la gloire à la paresse, la magnanimité à la haine, l'éclat et l'ostentation à l'avarice..., pour saisir à propos l'instant où. l'on ferait sortir le vice égal de la première et de la deuxième passion".

Toutes ces précautions, dira-t-on, sont-elles nécessaires quand il s'agit d'adolescents ? "Sans doute, ce travail serait superflu, si les petits efforts d'un jeune cœur n'étaient les préludes des plus grands élans pour un temps qui va suivre bientôt".

Il n'importe pas moins que le postulant ait des idées justes sur la concupiscence. "Cet appétit de l'homme vers tout ce qui contrarie ses lumières, sa droiture et même son juste intérêt se ressent dans toutes les circonstances de la vie. Le cœur le plus pur, en louant Dieu, se penche trop souvent vers les objets sensibles et leur donne par le fait un hommage qui est contraire à celui qui s'élançait du cœur. Cet état est la suite du désordre introduit dans le monde par le péché. C'est la tache funeste du péché originel.

Il faut considérer cet état tel qu'il est, et ne pas le confondre avec le mal volontaire, qui nous donne l'état du péché.

C'est pour n'avoir pas connu ce fond de concupiscence que tant d'hommes sont passés de l'inquiétude au scrupule, du scrupule renaissant à une impuissance apparente du salut et de là, les uns au désespoir, les autres à tous les excès de leurs sens corrompus.

L'homme doit savoir de bonne heure que le fond de concupiscence qui est en lui est racheté par Jésus-Christ ; que nous sommes destinés à combattre ce fond vicieux, mais qu'il ne peut nous faire périr, si le péché volontaire ne nous subjugue lui-même et ne rend inutile pour nous la Rédemption.

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Combattons ! Ne nous inquiétons pas de la victoire ! Elle nous est promise par celui qui peut tout. Si nos appétits déréglés s'élèvent, que notre volonté constante les désavoue. C'est dans la volonté qu'est réfugiée notre innocence, en attendant que nos appétits subissent la mort pour ne plus renaître".

Le guide connaît la montagne !

* * *

Les autres branches de la congrégation croissent aussi régulièrement. Les jeunes filles ont 23 réceptions en 1806, 19 en 1807, 31 en 1808 et dans ces chiffres ne sont pas comprises les "Sœurs associées du Sacré-Cœur" qui, au nombre de 14, les demoiselles Vincent en tête, vinrent à la Madeleine se consacrer à la Vierge, le 21 novembre 1806. Les membres sont répartis en deux divisions partagées, chacune en quatre fractions qui portent le nom d'un mystère de la Vierge. En 1808, il y a les fractions de la Conception, de la Purification, de l'Assomption, du saint nom de Marie, de la Nativité, de la Présentation, de l'Annonciation et de la Visitation. Elles comptent de 22 à 44 congréganistes, chacune. Chaque fraction a son officière particulière et une suppléante, chaque division, une officière principale. La "Mère" dirige l'ensemble. A cette date, on le voit, l'organisation diffère un peu de celle des jeunes gens : elle est restée ce qu'elle était au début ; elle a gardé les chefs de fraction, qui dans la branche masculine, ont été remplacés par des substituts secrets. L'agrégation comptait 24 adhérents en 1805. Elle en a 35 en 1806, 62 en 1807, 75 en août 1809.

Les dames de la retraite sont alors 80. Les premiers agréganistes appartenaient tous aux carrières libérales. Les professions manuelles entrèrent dans le groupement en 1804. Le 10 juin, on reçut un boulanger ; le 15 août, encore un boulanger et un sculpteur. Un article additionnel au règlement de 1803 leur accorda aussitôt (27 août) "la liberté de paraître ou de ne pas paraître aux assemblées particulières du 4ème lundi du mois, sauf à M. le directeur de les faire extraordinairement convoquer, si le cas le requérait". Le 2 mars 1807, se tint "la première séance de l'agrégation des artisans". Ils

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n'étaient que 7 ; trois mois plus tard, leur nombre avait doublé. Néanmoins, un nouveau règlement général rédigé vers cette époque se borne à prévoir que "si l'agrégation venait à s'accroître notablement, on pourrait y former deux divisions". L'éventualité se produisit-elle ? Les listes conservées sont incomplètes à partir de juin 1807. Toujours est-il qu'en 1808, l'avocat David Monier reprit la plume et composa "un règlement d'organisation" qui donnait aux pères de famille "un régime analogue à celui des jeunes gens" Le texte définitif nous manque. Les deux ébauches qui nous sont parvenues - la première avec les observations du directeur, la seconde inachevée - prouvent qu'à ce moment il existait deux sections pour lesquelles on cherchait le gouvernement le mieux adapté. David Monier proposait le nom d'affiliation pour "la nouvelle section" et celui d'agrégation pour l'ancienne. Celle-ci correspondrait à la deuxième division des jeunes gens et l'autre à la première. Chacune aurait à sa tête un premier et un second assistant, un infirmier, un secrétaire et un trésorier. :"L'affiliation se réunirait les premiers et troisièmes lundis de chaque mois ; l'agrégation les deuxièmes et quatrièmes lundis. Chaque fois qu'il se rencontrerait un cinquième lundi dans le mois, il y aurait réunion générale.

M. Chaminade craignit que la nomination d'officiers en nombre égaux dans chaque section fît naître l'idée de deux sociétés distinctes et indépendantes. C'est toujours le même principe qui le guide : il faut que les catholiques fassent masse. Il suggéra que les mêmes officiers aient à s'occuper de l'une et de l'autre sections ; si besoin était, on leur donnerait un suppléant. Alla-t-on plus loin et en vint-on au régime des autres parties de la congrégation : un chef et deux assistants ayant chacun la responsabilité d'une division ? C'est possible ; ce n'est pas certain : en juin 1808, les deux sections tiennent des réunions particulières et deux assistants, un riche négociant Lacombe et un chirurgien Trocard, président aux destinées de l'ensemble.

Ce que les brouillons de David Monier mettent bien en relief, c'est le but propre de l'agrégation : "Tous les membres de l'agrégation ont pour objet de procurer la plus grande gloire de Dieu et celle de la religion : tous, ils s'engagent à honorer la très sainte Vierge d'un culte très exprès.

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"La jeunesse dans cette entreprise doit avoir en vue de se maintenir et confirmer dans la foi et de se former dans l'exercice des vertus.

Les pères de famille, sans vouloir s'écarter de ce même objet pour eux-mêmes ont principalement en vue de venir, par leurs exemples et par les moyens qui seront en eux, au secours de la jeunesse.

Il peut arriver… qu'une partie de la jeunesse soit plus avancée que les pères de famille dans les voies de la perfection, - et plut à Dieu que cela fût, dans un certain sens ! - même dans ce cas, les pères de famille n'en devraient pas moins être agrégés, pour rester en exemple.

Il sera toujours bien d'offrir à l'attention leur nombre, leur âge et pour ainsi dire, la déposition de leur vie entière en faveur de la foi. La perpétuité du culte demande que chaque siècle finissant transmette sa vraie croyance à l'âge qui peut déjà la recueillir et à celui qui s'avance pour la soutenir à son tour.

C'est par agrégation et non pas isolément que doit se faire cette transmission. Les vertus individuelles n'ont pas toujours assez de force pour produire des imitateurs Il faut la raison et le nombre.

Il est donc à désirer que celui qui a la puissance de persuader la vertu vienne s'agréer ; mais il est désirable de plus que l'ami de la vertu qui ne peut lui consacrer que son inclination et ses actions secrètes, puisse s'agréger aussi. Que tous se réunissent sous l'étendard élevé par la religion en signe de ralliement et que Dieu fasse le reste !

Nous ne devons point douter des effets de l'agrégation dans l'ordre de la grâce. Qu'elle existe seulement ! Il ne lui faut ni effort ni langage. Elle animera par sa seule présence notre jeune milice chrétienne à porter dans les emplois civiles la justice immuable et la crainte secrète de Dieu ; elle lui donnera le courage de défendre contre des langues envenimées la croyance et les autels que nous ont transmis nos pères !

Le disciple était l'écho fidèle de la parole du maître.

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L'organisation des dames de la retraite a évolué dans le même sens que celle de l'agrégation. Nous ignorons à quelle date elles se formèrent en deux sections. Celles-ci existent à la fin de 1808 et la nouvelle section compte 22 membres. Le conseil de l'association comprend un chef, deux officières principales qui sont chefs de section, quatre officières de quartier et une officière d'instruction et introductrice des candidates.

Les officières de quartier sont une particularité du groupement et une trouvaille. Il y a quatre quartiers. Le premier embrasse les paroisses Saint-Michel, Sainte-Croix et Saint-Nicolas ; le second les paroisses Sainte-Eulalie et Saint-Eloy, le troisième, les paroisses Saint-Pierre, Saint-Paul et Saint-André, le quatrième, les paroisses Saint-Louis et Saint-Martial. Toute la ville est ainsi prise en charge, à l'exception de Saint-Seurin. L'officière de quartier a la sollicitude de toutes les associées domiciliées dans sa circonscription et doit, de ce fait, se maintenir en liaison constante avec les deux officières principales. Elle convoque les membres aux assemblées, transmet les directives et les invitations tant ordinaires qu'extraordinaires, avertit des communions générales, s'occupe des malades et remplit toutes les fonctions d'infirmière. Surtout, elle doit "maintenir l'union parmi toutes les dames".

A ce dernier trait, on reconnaît M, Chaminade. Celui qui voulait présenter au monde des masses de chrétiens fidèles savait que la naissance, l'éducation, la profession créent des affinités et que la juxtaposition des individus ne constitue pas une société. Il tenait compte des tendances et des goûts légitimes en organisant autant de subdivisions qu'il fallait, quitte à maintenir l'union en multipliant les occasions et les organes de contact. Pas de confusion, mais union. Chez les dames de la retraite, la division en sections écartait cela, l'institution des officières de quartier assurait ceci.

Dans le même temps, la vie liturgique de la congrégation prend de l'ampleur. L'ordonnance archiépiscopale du 12 novembre 1804 était assez restrictive : messes basses toute l'année sauf le dimanche dans l'octave de sainte Madeleine, le jour de l'Immaculée Conception et le jour octaval de cette fête ; vêpres sans "bénédiction" trois dimanches sur quatre ; simple bénédiction une fois par semaine, le

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vendredi, une fois par mois, le premier mercredi, et aux fêtes de la Purification, de l'Annonciation ; de la Visitation, de la Nativité de la Vierge : c'était peu. On tira le meilleur parti de ce peu et on profita de toutes les occasions pour obtenir davantage. Mgr d'Aviau se prêtait de bonne grâce aux désirs des congréganistes.

La fête de l'Immaculée Conception, déjà très solennelle à la rue Saint-Siméon, l'est devenue encore plus à la Madeleine. C'est la fête patronale de toute la congrégation et plus spécialement des jeunes gens qui, après Vêpres, devant le Saint-Sacrement exposé, renouvellent solennellement leur consécration à Marie. Le pain bénit, offert par les officiers, se devine magnifique : il coûte 33 francs en 1804, 35,40 en 1808. Une coutume apparaît celle d'inviter ce jour-là deux pauvres et de leur distribuer une aumône de trois livres.

Saint Joseph, patron du directeur, est aussi patron secondaire de l'association. Dès 1805, on lui élève un autel dans l'église et Mgr d'Aviau permet l'exposition du Saint-Sacrement le 19 mars toute la journée.

Le 2 février rappelle chaque année aux jeunes gens l'origine de leur association. Ils renouvellent en corps leur consécration comme le : 8 décembre. En 1807, ils obtiennent la faveur de l'exposition du Saint-Sacrement pendant les vêpres. Monseigneur espérant - curieux indice des mentalités - "que le scandale ne sera pas accru" par cette nouvelle concession.

Il y en a eu tant d'autres auparavant que certains curés ont présenté des "observations". Depuis 1805, l'Annonciation se célèbre avec exposition pendant la grand'messe et les vêpres : c'est une fête commune aux dames et aux demoiselles.

Il y a rénovation solennelle de la consécration. La Visitation est la fête propre aux mères de famille : chaque année, Mgr d'Aviau les autorise à la solenniser comme l'Annonciation. Les pères de famille ne sont pas moins bien traités. A la Nativité, qui, au début, était leur unique fête propre, est venue s'ajouter, en 1806, celle de Notre-Dame aux Martyrs : le 13 mai ; l'une et l'autre comporte la faveur de l'exposition pendant la grand'messe et les vêpres. M. Chaminade a obtenu en outre la permission dé prêcher la Passion le Vendredi saint

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(1805), de donner la bénédiction du Saint-Sacrement durant l'octave de la Fête-Dieu (15 juin 1805), le 22 juillet, fête de sainte Madeleine (20 Juillet 1805), à Noël (23 décembre 1805), tous les dimanches impairs de chaque mois (14 avril 1806), à la Toussaint (28 octobre 1806), le 1er de l'an, (30 décembre 1806) et le dimanche qui tombe dans l'octave de la Nativité de la B. Vierge Marie, (6 septembre 1809). Le jour des Rameaux, le directeur bénit un "laurier" et le Jeudi saint, on élève dans l'église un reposoir, "un : paradis".

Quand des curés trouvaient que l'ordonnance de 1804 était dépassée, ils avaient de quoi appuyer leurs doléances. La piété paroissiale pâtissait-elle des privilèges de la Magdeleine ? On peut en douter. La vie congréganiste y gagnait et, comme le directeur, l'archevêque devait penser que les paroisses profiteraient un jour du zèle des congréganistes. Leur présence massive aux manifestations religieuses de la ville métropolitaine n'offrait-elle pas déjà un spectacle réconfortant et très significatif. M. Chaminade formait des chrétiens et il savait demander à chacun toute sa mesure.

Vers 1806, dans un petit livre que le directeur leur a recommandé : "Les Véritables Motifs de Confiance, que doivent avoir les fidèles dans la protection de la sainte Vierge", les jeunes filles ont découvert une dévotion qui leur a plu : "L'amour actuel et perpétuel de la très sainte Vierge" Le but immédiat en est "de rendre la vie de ceux qui la pratiquent un exercice continuel d'amour envers Marie". On s'associe dit l'auteur, "un certain nombre de personnes, dont chacune choisit à son gré une heure dans la journée pour se rappeler plus particulièrement le souvenir de la sainte Vierge, ranimer l'amour qu'on a pour elle et le faire entrer d'une manière plus distincte dans tout ce qui se rencontre alors à pratiquer". Rien n'était plus facile. M. Chaminade donna son approbation sans contraindre personne et bientôt la jeunesse féminine se trouva presque toute sur les listes de cette association intérieure.

Il y en eut d'autres plus fermées et plus secrètes.

Quelle était la nature de celle qui se révèle à nous dans le clair-obscur de la note suivante : "Ouverture et déclaration le lundi. Projet mûri et renvoyé pour en parler au jeudi ensuite. Le jeudi point d'entrevue ; le samedi première proposition d'union, d'amitié,

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d'intelligence. Le lendemain dimanche, seconde entrevue ; après la proposition faite et adoptée, accord sur les moyens de faire de bonnes élections, qui ont eu lieu comme elles avaient été projetées. 3e entrevue le mardi sur les moyens d'effectuer le plan arrêté.

"Les élections ayant été faites comme on l'avait désiré le 2 février, le 6 février on s'est vu : on a renouvelé l'acte du mois ci-dessus ; on s'est promis du gouvernement actuel un double résultat : l'institution fixe de la congrégation dans les mêmes formes et le même esprit qui seront invariables ; la composition d'un ouvrage qui traitera du gouvernement de la congrégation et de son esprit dans les dispositions ramenées plus haut. On arrête que les entrevues commenceront et se termineront par la prière et qu'un secret inviolable couvrira tout ce qui se fera et se dira pour la plus grande gloire de Dieu".

En dépit du "secret inviolable", la terminologie de l'auteur n'est pas celle des confrères de l'Aa traditionnelle. En outre, il s'agit ici moins d'être de fervents congréganistes - ce qui est la fin propre de l'Aa - que de maintenir l'institution dans une forme stable et d'agir pour cela sur son gouvernement. C'était le rôle des anciens préfets et préfets honoraires. Notre bout de papier pourrait bien en être l'acte de naissance. L'événement se serait produit en février 1803 au moment où Lafon fut porté à la préfecture pour la seconde fois (2 février). A cette date, les anciens préfets étaient : Louis-Arnaud Lafargue, Jean- Baptiste Estebenet, Guillaume Darbignac, Hyacinthe Lafon, Martial-Renaud Lacombe et Bernard Rotis. C'est à partir de ce moment que, dans la section des jeunes gens, les élections eurent lieu chaque semestre et non plus chaque trimestre, et si l'organisation des cadres ne fut pas immuable dans la suite, il ne manque pas d'indices pour dater de 1803 la première rédaction de l'Institut de la congrégation.

Le collège des anciens préfets se réunit à la fin de 1803 et ne cessa plus d'intervenir dans la vie de l'association. Il est surtout une sorte de conseil et le secret dont il se couvre concerne ses délibérations - ce qui est normal - et non son existence ou sa composition, que tous connaissent.

D'une façon indirecte mais très réelle, il est un groupe de ferveur. Il serait beau de voir que d'anciens dignitaires honorés de la

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confiance générale ne fussent pas des modèles d'assiduité aux exercices et d'entraide fraternelle !

M. Chaminade arriva-t-il à former avec eux et avec quelques autres sujets une association orientée vers la perfection de la vie chrétienne ? On ne saurait en douter quand on se rapporte aux lignes suivantes du 8 octobre 1814 : "Je rentrais on France, il y a quatorze ans, avec la qualité de Missionnaire apostolique dans toute notre malheureuse patrie, sous l'autorité néanmoins des Ordinaires des lieux. Je ne crus pas pouvoir mieux en exercer les fonctions que par l'établissement d'une congrégation telle que celle qui existe. Chaque congréganiste, de quelque sexe, de quelque âge, de quelque état qu'il soit, doit devenir membre actif de la mission. Plusieurs congréganistes de chaque corps de la congrégation formulerait une petite société religieuse, quoique répandue dans le monde. On trouverait toujours dans ces sociétés, des officiers, des officières pour conduire la congrégation. Plusieurs de ces religieux ou religieuses ont désiré de vivre ensemble : il n'y avait que de l'avantage pour le but. "Si, en 1814, plusieurs de ces religieux... ont désiré de vivre ensemble", n'est-ce point qu'auparavant, ils étaient membres d'une "petite société répandue dans le monde". Cette petite société remonte-t-elle jusqu'aux années d'Iéna, de Tilsitt, de Wagram ? Un fait est certain : M. Chaminade songeait à elle quand, vers 1806, à la perspective d'une dissolution de la congrégation, il rédigeait son projet d'une "Réunion des Douze". En 1809, il affirme que cette réunion n'a jamais existé. Peut-être faut-il le prendre tout à fait à la lettre : la réunion des Douze n'a jamais existé ; mais une autre réunion a très bien pu la remplacer, sous une autre dénomination.

Quand l'abbé Lalanne mourut en 1874, on trouva sur lui, dans une enveloppe de cuir, un petit cahier de parchemin. On y lit :

IHS

Vous êtes mes amis. si vous faites ce que je vous ai commande (St. Jean, ch. XV, v. 14).

Là où deux ou trois personnes seront assemblées en mon nom, je suis au milieu d'elles. (St. Mathieu, ch. XVIII, v. 20)

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Je suis venu apporter le feu sur la terre, et qu'est-ce que je veux, sinon qu'il s'allume ? (St Luc, ch. XII, v. 49)

M

Mon âme glorifie le Seigneur et mon esprit se réjouit en Dieu, mon Sauveur..., parce que le Tout-puissant a fait en moi de grandes choses. (St. Luc, ch. I, v. 46, 47, 49)

Je mettrai une inimitié éternelle entre toi et la femme entre ta race et la sienne (Genèse,

Jésus voyant sa mère et auprès d'elle le disciple qu'il aimait, dit à sa mère : "Femme, voilà votre fils"' et au disciple : "Voilà votre mère" (St. Jean, ch. XIX, v. 26, 27)

Les ..........

Leur armure :

Une croix. - Les quatre évangiles. - Le Combat spirituel. - Une connaissance de la religion et de ses preuves analogues à son état ; adhésion entière, de l'esprit et du cœur, à l'enseignement de Pierre et des évêques unis à Pierre : car, c'est écouter Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Leur Convention :

Toutes leurs prières sont communes : cette communion subsistera toujours ; ni la durée des temps, ni la distance des lieux où la Providence les placerait, ni l'âge, ni aucune situation quelconque, ni même la mort ne la pourront détruire. La douleur que ferait éprouver la défection de l'un d'eux ne l'en sépare pas dans l'intention des autres.

Leurs pratiques :

Grande honnêteté. - Douceur et fermeté de caractère. - Fréquentation des sacrements. - Zèle pour la gloire de Dieu. - Douce confiance en la protection de la très sainte Vierge ; zèle pour son culte.

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Tous les jours : Memorare, o piissima Virgo, etc... Saint Joseph, priez pour nous... Saints Anges, priez pour nous...

Lire quelques lignes de l'Evangile, en suivant l'ordre des quatre évangélistes.

Un court examen de conscience le soir.

A midi, l'oraison jaculatoire : Soit faite, louée et éternellement exaltée la très juste, très haute et très aimable volonté de Dieu en toutes choses ! A cette heure, en la présence de Dieu, la même pensée les réunit tous, laissant écouler quelques minutes pour jouir du plaisir qu'offre la certitude d'un souvenir mutuel".

Ce carnet l'abbé Lalanne le portait sur lui depuis 1809 et il l'avait reçu à cette date des mains de Quentin Lousteau. En 1812, il note dans son règlement personnel : "A midi, je dirai l'oraison Soit faite, etc., m'unissant à ses confrères de la petite Constit...." Et encore : "Je lirai tous les jours un chapitre du Nouveau Testament, procédant par ordre de matières. - Je lirai tous les jours un chapitre du Combat spirituel''.

Ainsi en 1809, il existe une petite société à base d'amitié, de piété et de zèle. Le jeune Lalanne âgé de 14 ans en est membre. Quentin Lousteau la propage. En fait-il partie lui-même ? Il a 31 ans ; il est introducteur des postulants, ancien préfet. Lalanne est postulant. Peut-on les inscrire tous les deux sur les mêmes listes d'un groupement unique. J'admettrais plus volontiers deux associations sœurs : une pour les cadets, celle de LaIanne en 1809 et une pour les aînés à laquelle Lalanne dut appartenir en 1812 avec Quentin Lousteau.

Un groupement identique se retrouvait sans doute parmi les jeunes filles. Il ne dut pas être étranger aux nombreuses vocations religieuses fournies par la congrégation, mais les documents postérieurs n'autorisant pas d'autres conjectures précises pour les années 1804-1809.

Ce que l'on peut ajouter, c'est que tous ces groupements, sans être de véritables Aas, celles dont les règles ont été imprimées en 1654 - procèdent d'une inspiration analogue et en dérivent assez directement. Guillaume-Joseph les connaissait ; il savait que saint Alphonse de Liguori les recommandait ; l'abbé Lacroix pouvait lui

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dire tout le bien qu'il avait réalisé avec elles. Dans le passé, l'Aa bordelaise avait organisé de petites associations pieuses parmi les philosophes, les rhétoriciens et même parmi les élèves de seconde au Collège Royal. Celle de Lalanne en 1809 n'en serait-elle pas une reviviscence ? Toujours est-il que par elle et par les autres, M. Chaminade se trouve continuer une tradition congréganiste qui, avec le "Colloquium" du P. Rehm à Ingolstadt, le Sodalis sanctorum omnium de Douai, la Société des Bons Amis du P. Bagot et les Aas en France, les ristretti en Italie, avait été d'une merveilleuse fécondité. En 1781, alors que le jeune Chaminade poursuivait ses études de théologie à Bordeaux, l'Aa de cette ville priait pour venir en aide au P. de Diesbach qui travaillait à introduire l'Aa à Turin : parmi les Lalanne et les Quentin Cousteau n'a-t-il jamais été question des Amitiés anonymes, des Amitiés chrétiennes, des Amitiés sacerdotales ?

* * *

La ferveur que l'élite devait entretenir par son rayonnement, l'instruction la nourrissait constamment. La piété solide, en effet, s'appuie sur le dogme. En dehors de la vérité connue par l'étude, par la réflexion, il peut y avoir des attitudes religieuses, il n'y a pas de religion personnelle, pas de religion vraie, pas de religion dynamique. M. Chaminade entend que la foi des congréganistes soit une foi éclairée. On parle tant alors des lumières de la raison, de la philosophie, et l'instruction des chrétiens a été si entravée pendant de longues années ! Il est urgent d'instruire les pratiquants, sinon ils passeront pour des simples et c'en sera fait du prestige de l'Eglise.

Un des avantages de la congrégation, c'est qu'elle assure à ses membres une connaissance sérieuse de la religion. Nous avons vu que chez les jeunes gens, les chefs de division ont le devoir d'instruire les congréganistes dont ils assument la responsabilité. Les introducteurs, surtout celui des prétendants, doivent s'enquérir des connaissances religieuses des candidats et, au besoin assurer le minimum indispensable. Cette préoccupation se retrouve dans toutes les branches de la congrégation. Chez les dames, il y a une officière d'instruction et nous possédons le "memento" copieux que David

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Monier rédigea en 1808, sur mission du Conseil, à l'intention de l'agréganiste chargé de préparer les candidats.

De son côté, le directeur continue à la Madeleine le ministère d'enseignement qu'il s'est imposé dès le début : chaque dimanche et chaque jour de fête chômée, quinze minutes d'instruction à la messe, trois quarts d'heure aux vêpres.

Enfin l'instruction est un des buts de toutes les assemblées, générales ou particulières, privées ou publiques. "Mes chers enfants, disait M. Chaminade aux congréganistes, peu après leur installation à la Madeleine, il y a bientôt quatre ans, au sortir des orages de la Révolution, nous voulûmes rassembler les étincelles d'une religion qui venait d'être violemment persécutée. Ce fut l'objet pour lequel nous nous réunîmes d'abord.

Après nos premières actions de grâces, nous conçûmes le dessein de glorifier Dieu plus amplement et autant que nos forces pourraient nous le permettre. Nous résolûmes alors de former un centre d'édification, de venir ensemble, chrétiens intérieurs, nous prosterner publiquement au pied des autels et de retourner chaque jour à nos occupations dans le monde y reporter l'exemple d'une foi solide et d'une probité constante.

La plus pure, la plus excellente de toutes les créatures, la très sainte Vierge, reçut nos invocations. Nous nous consacrâmes à son culte pour nous assurer d'être plus forts au besoin. Et enfin, le temps qui ne fut consacré ni à la prière ni à nos devoirs, nous résolûmes de l'employer ici à notre instruction. Puissions-nous par ce moyen obtenir la plénitude de vie à laquelle la miséricorde de Dieu nous appelle ! Puissions-nous n'être réunis que pour nous y soutenir et nous y animer !"

Avec raison, David Monier voit là une caractéristique de l'association. "Les instructions ordinaires dont on veut parler ici, dit-il en traitant des avantages que l'on peut attendre de son entrée dans la congrégation, ne sont point celles des pasteurs qui catéchisent et exhortent les fidèles : elles ne seraient pas spéciales à la congrégation. Il ne s'agit que des instructions familières qui font le

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sujet des colloques et des entretiens de tous dans les assemblées fréquentes de chaque classe de la société".

Et il nous apprend dans quelles conditions avantageuses les congréganistes étudient. Le sujet est ordinairement indiqué par M. le directeur. L'un des membres de l'assemblée est chargé de le proposer et d'y donner, s'il le veut, quelque développement ; mais il est libre à chacun de proposer ses réflexions, ses incertitudes, ses embarras, ses vues propres et chacun des autres peut lui répondre à son tour. M. le directeur est toujours attentif et présent pour prévenir que le sens humain ne se mêle à ce qui serait de doctrine. Il facilite au besoin le développement des points de morale que l'on y traite d'habitude. Les bons desseins peuvent toujours s'étendre et s'augmenter dans l'assemblée ; ni le mal, ni l'erreur ne saurait y prendre racine. La simplicité des moins habiles y devient souvent une source de richesse pour tous les autres. La gaieté n'y est point étrangère. On y est comme dans une même famille. On s'y formera peu à peu à ces mœurs qu'avaient les premiers chrétiens, si du moins nous savons mériter que la grâce seconde le dessein d'une si pieuse et si aimable institution".

Effectivement, c'est bien ainsi que nous apparaissent les réunions de la congrégation à la lumière des documents qui nous sont parvenus. Entendons le directeur nous dire lui-même, à la fin de 1804 ou au début de 1805, comment il conçoit les assemblées publiques : "Notre instruction, je crois, doit être relative à nos autres fins ; et de plus, il serait à désirer qu'elle ne présentât pas moins d'intérêt que d'utilité". Il s'explique : "Notre instruction se rapportera à notre première fin si elle tend essentiellement à nous rendre chrétiens dans toute l'énergie que peut avoir cette dénomination. Elle se rapportera à notre seconde fin, si elle nourrit dans nos habitudes, si elle porte dans nos actions cette délicatesse, ce tact et en quelque sorte cette fleur de justice mêlée à la bienveillance qui font l'exacte et inviolable probité.

L'instruction pourra encore nous amener à la connaissance de la maternité de Marie et au développement du culte que nous devons à cette puissante protectrice, si nous savons lire dans l'histoire sainte cette longue chaîne de prédictions et d'événements confirmatifs qui ont conduit l'homme de sa chute à sa réparation et nous offrent cette

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Vierge sainte comme la première partie de l'espèce humaine sauvée d'un naufrage qui a duré des milliers de siècles et qui pouvait durer éternellement".

En d'autres termes, "nous serons chrétiens en nous attachant aux faits évangéliques. Nous serons comme en exemple de probité aux regards de la société en suçant, pour ainsi dire, et en nous rendant propres les principes les plus purs de la morale. Nous découvrirons la gloire de notre auguste protectrice et la justice des hommages infinis que nous lui devons, par l'histoire sainte qui n'est que celle de ses aïeux et la longue prophétie de ce qu'elle devait être. Les faits évangéliques, la plus purs morale et l'histoire sainte furent donc dans le principe et resteront encore l'objet de nos instructions. L'utilité inappréciable de tels sujets vous est assez connue. L'intérêt en viendra... de votre disposition et du goût que vous avez déjà pour les choses d'une si haute importance. Il peut aussi venir de la manière dont elles sont traitées. A cet égard, la Providence, jusqu'à ce jour nous a suscité assez d'orateurs pour fixer souvent votre attention et revêtir les vérités déjà connues des plus brillantes couleurs.

"L'Esprit-Saint a quelquefois voulu que nous fussions nous-mêmes, l'organe de ses instructions saintes... .... La Providence ne nous laissera point manquer, j'ose l'espérer, des mêmes secours qu'elle nous a prodigués. Nos orateurs affligés de maux ou de maladies seront rendus à leur premier zèle, ceux qui s'éloignent seront remplacés et, du milieu de vous, Dieu, quand il le voudra, pourra nous en susciter.

Mais ne croyons pas que l'éloquence humaine soit la cause principale du vif intérêt que nous trouvons aux vérités qui journellement nous occupent. Dieu y a mis une autre onction, une autre cause d'attachement et de vrai plaisir en créant des cœurs purs en quelques élus d'entre nous et en leur donnant l'esprit de droiture...

.... Je vous propose aujourd'hui de laisser les travaux de l'assemblée divisibles à chaque séance entre les faits évangéliques, quelques points plus importants de la morale et l'histoire sainte....

Les séances qui seraient divisées entre ces trois matières n'emploieraient qu'une demi-heure à chacune : de là naîtrait une

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variété qui recréerait l'attention. Les séances où l'une de ces matières serait traitée avec plus d'étendue ne manquerait pas d'intérêt aussi par son importance. Mais avec la précaution d'avoir constamment les trois sujets préparés par une ou par diverses personnes, les maladies des uns, les absences forcées des autres ne nous exposeraient pas à des vides qu'il est quelquefois malaisé de remplir sur le champ.

Afin que trois bouches au moins soient toujours prêtes à répondre de l'intérêt de chaque séance, je me propose de vous soumettre, à l'avance et pour toutes les séances à venir, des prospectus de manière qu'ils seront connus quinze jours ou trois semaines avant d'être à l'ordre de la séance. ... J'inviterai chaque fois ceux qui voudraient en avoir une connaissance plus particulière, à en prendre communication au bureau ou chez celui des membres du bureau qui en tiendra la copie durant la semaine.

Ceux qui en auront pris communication seront toujours invités à prendre eux-mêmes la charge, s'ils le veulent, de développer les prospectus en tout ou en partie, les jours où ils seront à l'ordre. D'autres pourront proposer des observations, faire des objections. Je pourvoirai constamment à ce qu'il ne manque point d'organe pour expliquer les sujets proposés et pour répondre aux observations et demandes. Je verrais avec plaisir que chacun de vous s'habituât à prendre une connaissance directe des points proposés. Je ferais même multiplier les copies, s'il en était besoin.

Alors je vous porterais à faire vos demandes par ordre, d'un ton familier, de les faire suivre de vos répliques. Je voudrais même que les plus timides confiassent leurs vues à leurs voisins et que ceux-ci les fassent valoir. Croyez que le degré d'intérêt qui naîtrait de ces colloques serait aussi piquant que tout autre et deviendrait à plusieurs plus profitable".

Le premier ''prospectus'' expose sommairement "l'objet de l'évangile, la suite, le caractère et la concordance des quatre livres de l'Evangile". Quatre questions sont prévues et les réponses à faire sont résumées. On demande si l'histoire de Jésus-Christ n'est pas "la plus belle histoire qu'il y ait au monde", si sa doctrine lui est propre, pourquoi "les évangiles ne sont pas ressemblants et ne présentent pas les mêmes faits", si un seul ouvrage classant les faits de l'Evangile

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selon l'ordre chronologique ne constituerait pas une perfection plus grande que ce que nous avons avec quatre évangiles différents.

Voici comment cette dernière question est amenée : "Vous dites, Monsieur, que l'esprit humain ne saurait rien imaginer qui puisse ajouter a la perfection de l'Evangile. Mais vous-même semblez indiquer un mode de perfectionnement, c'est de ne faire qu'un évangile des quatre en classant les faits selon l'ordre".

Et voici le sens de la réponse : "On répondra que l'unité d'un seul évangile composé sur les quatre livres qui nous ont été donnés ne serait pas une perfection sous plusieurs rapports ; que, sans entrer sur l'effet que produisent quatre historiens originaux au lieu d'un seul qu'il y aurait eu et sans considérer les avantages multipliés des quatre versions primitives sur chacun des faits, il y aurait eu à un seul texte le grand danger des altérations plus faciles que sur quatre ; altérations que sans doute Dieu aurait pu prévenir par sa toute puissance, mais qu'il a mieux aimé placer sous la défense morale et naturelle qui garde le mieux parmi nous tous les autres dépôts historiques. Après le miracle qui aurait prévenu les altérations, n'aurait-il pas fallu croire l'homme endurci et lui prouver le miracle ?

Mais sans approfondir les vues impénétrables de la Providence, contentons-nous d'observer ici que le rapprochement que nous avons laissé entrevoir des quatre évangiles selon l'ordre des faits n'est qu'un mode de se prêter à la faiblesse de notre intelligence et que ce que nécessite notre faiblesse est sans doute bien loin d'être une imperfection".

S'agit-il d'un fait proprement dit, comme l'apparition de l'ange Gabriel à Zacharie, le prospectus prévoit qu'on "fera la narration de tous les faits relatifs à cette apparition", qu'on "en expliquera le sens dogmatique et moral", qu'on "rapportera les faits historiques" semblables, et que l'on indiquera surtout "les difficultés les plus marquantes".

On voit le genre et la méthode.

La morale, l'histoire de l'Eglise, l'Ancien Testament, la mariologie sont étudiés de la même manière. Telle année le programme de morale comporte l'étude des devoirs envers Dieu pour

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le premier trimestre, celle de la charité à l'égard du prochain pour le second, celle des rapports avec le monde pour le troisième et celle des vertus individuelles pour le dernier. Chaque trimestre, douze séances seront consacrées à des points particuliers et une à la récapitulation de l'ensemble. Telle autre année, on reprend la morale sous une autre division : ce qu'il faut faire, ce qu'il faut éviter, ce qui est indifférent.

Parfois la conférence dialoguée n'est que la reprise d'un sermon, d'une allocution ou d'un discours. Ce procédé grave les idées essentielles, qui se trouvent répétées, et il ne manque pas d'apporter des précisions nouvelles. C'est ainsi que nous voyons M. Chaminade remettre au programme d'une assemblée le sujet de son discours sur la nécessité et les avantages des congrégations. Il saisit l'occasion pour introduire une question assez délicate, mais importante : "Est-il avantageux d'être de plusieurs congrégations ?" Il répond sans ambages : "Si on considère les congrégations superficiellement et seulement dans quelques moyens extérieurs d'édification, on pourra croire facilement qu'il y a des avantages. Mais si on en examine bien la nature, si on sonde bien l'esprit de leur institution, il sera facile de s'apercevoir qu'il n'est avantageux d'appartenir à plusieurs congrégations ni pour soi, ni pour les autres : ni pour soi, à raison de la diversité de directions et aussi de la trop grande multitude de pratiques ; ni pour les autres, par la difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité de concerter ses forces et ses travaux pour le succès des bonnes œuvres, surtout des œuvres de zèle". Quand il aura encore donné sa pensée sur l'affiliation simultanée à une congrégation et à une ou à plusieurs confréries il n'y aura pas un congréganiste qui n'aura compris que le but essentiel de son association est de créer l'union la plus étroite entre les adhérents, pour leur permettre la pratique intégrale de la vie chrétienne, que l'isolement rend impossible d'une manière habituelle. La répétition, surtout quand elle emprunte des formes variées, n'est-elle pas un moyen efficace d'éducation ?

Les solennités liturgiques, les événements de la vie locale, l'annonce un peu tapageuse d'une troupe théâtrale, fournissent d'autres thèmes dont l'actualité corse l'intérêt. On aborde même les sujets de simple formation générale : en voici un sur l'art de lire, un

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autre sur la pluralité des amis, "extrait librement de Plutarque", note l'auteur David Monier, un autre, encore fourni par Plutarque, sur la manière d'écouter et de répondre, un autre qui l'eut pensé ? - sur la malignité d'Hérodote. Du Cange, Dom Carpentier, Plutarque, Cicéron, Tillemont, Fleury, Bossuet et bien d'autres sont exploités tour à tour.

Nous connaissons moins pour cette époque les programmes des jeunes filles. Les documents postérieurs nous autorisent à penser qu'ils tendent aux mêmes résultats, par les mêmes voies. La mode et la danse y occupent une bonne place et le chant - qui n'est pas inconnu des jeunes gens puisque l'officier d'honneur en a la responsabilité - y vient plus souvent peut-être détendre les esprits.

Les jeunes filles, les dames n'ont que des réunions privées. Il en est de même pour l'agrégation. Si l'exposé suivi est ici plus fréquent, la variété est obtenue par l'emploi de lettres - réelles ou fictives - qui sollicitent des éclaircissements sur les sujets traités ou posent des cas de conscience. En février 1808, il est question de la restitution. Voici la lettre qui est attribuée à un père de famille en date du 8 : "Je prendrai la liberté de vous demander si l'obligation de restituer est personnelle, si elle passe aux héritiers, donataires etc.... de ceux qui ont pris injustement le bien d'autrui ou causé du dommage par des usures ou autres injustices ? S'il y avait plusieurs héritiers, chaque cohéritier serait-il tenu solidairement à la restitution ? Peut-on considérer des légataires ou donataires particuliers, pour l'objet de la restitution, comme les héritiers ou cohéritiers ? En ont-ils les obligations ? - Voilà, M. le directeur, bien des questions accumulées, mais comme elles n'ont qu'un même projet, j'ai cru devoir les réunir. Nous sommes tous, dans la société, intéressés à être fixés sur ces questions.

"Je suis avec un profond respect….."

Le 23 du même mois, un correspondant supposé demande : "Un débiteur qui n'ayant pas d'effets suffisants pour payer tous ses créanciers en a obtenu une remise autorisée par une transaction homologuée, est-il obligé de leur payer ce qu'ils lui ont remis, si, dans la suite,il est capable de le faire ? Il faudrait, il me semble, regarder ces remises comme un bien acquis, dès lors que la loi en a adjugé la propriété. Ne peut-on pas appliquer en faveur de ces

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remises faites par la justice les raisonnements qu'on fait en faveur de la loi de la prescription ?"

Avouons que l'on pourrait passer son temps sur des problèmes moins importants. M. Chaminade est convaincu que pour la dignité du chrétien, pour la sécurité de sa foi, pour le rayonnement de son influence, une instruction religieuse solide est nécessaire à chacun. Les études qu'il a faites le qualifient pour en assurer l'acquisition par tous ; l'expérience acquise dans la pratique du Ratio studiorum, à Mussidan, l'aide à éviter l'ennui : Utile dulci..., l'idéal du maître !

Sous l'impulsion de ses dirigeants, la congrégation retrouva sa vigueur et sa fécondité. A deux reprises, le 10 juillet 1808 et le 25 mai 1809, la trésorerie accuse une dépense de six francs pour "souvenirs donnés aux postulants" et le 29 janvier 1809, le trésorier inscrit dans son registre : "pour la collation des postulants de Saint-Martial : 12 francs". Le zèle des congréganistes avait donc relevé la classe des postulants et permis même l'établissement d'un groupe particulier pour la paroisse la plus éloignée de la Madeleine.

Grâce à la congrégation aussi, l'éducation chrétienne de la jeunesse fit des progrès décisifs. Les deux classes qu'Arnaud Lafargue et Guillaume Darbignac dirigeaient dans la rue des Etuves, s'étaient attirées beaucoup de sympathies. On en souhaitait le développement. En décembre 1804, le vicaire général de l'Institut des Ecoles chrétiennes, Frère Frumence, arriva à Lyon pour y reconstituer sa congrégation. Dès que M. Chaminade apprit cette nouvelle, il s'entendit avec Mgr d'Aviau pour obtenir du Fr. Frumence l'envoi d'un ou deux religieux, qui viendraient donner l'habit à Darbignac et Lafargue puis former communauté avec eux. Les négociations aboutirent. Le Fr. Séraphin, désigné comme directeur, vint à Bordeaux avec un jeune religieux, Fr. Alexandre, Lafargue et Darbignac revêtirent le costume traditionnel en prenant les noms de Fr. Eloi et Fr. Paulin. La communauté s'installa dans une maison particulière, près de l'église Saint-Eloi et M. Chaminade en fut le supérieur ecclésiastique.

Plusieurs quartiers désiraient les Frères. Le maire, M. Lafaurie de Monbadon, d'entente avec l'archevêque, soumit à son conseil la proposition suivante : "Sur les douze écoles primaires actuellement

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payées à raison de 600 francs chacune, 8 seront supprimées et les 4.800 francs économisés seront affectés à l'établissement des 4 écoles de charité qui existaient autrefois dans les 4 paroisses de Sainte-Eulalie, Saint-Michel, Saint-Seurin et Saint-Louis". Adaptée le 3 juillet 1806, cette délibération reçut l'approbation préfectorale le 5 août.

Il ne s'agissait plus que de trouver des Frères. On s'adressa à M. Chaminade qui proposa au Fr. Frumence l'ouverture immédiate d'un noviciat à Bordeaux : Mgr d'Aviau avançait les fonds nécessaires ; la congrégation des jeunes gens fournirait de bonnes recrues. Ce projet n'enthousiasmait pas Fr. Séraphin ; il fut pourtant agréé après quelques mois de négociations et, au début de 1808, quelques novices commencèrent leur année de probation, rue Sainte-Eulalie, sous la direction de Fr. Paulin. "Tous ceux qui composaient ce noviciat, dit Rigagnon, paraissaient plutôt des anges que des hommes". Les écoles projetées purent s'ouvrir et, en 1808, huit cents enfants recevaient une éducation chrétienne des Frères Ignorantins. "C'était un spectacle bien édifiant, écrit encore Rigagnon alors séminariste, de voir tous les jours entrer cette nombreuse foule d'enfants des quartiers de Sainte-Croix et de Saint-Michel, obéissant et marchant dans l'ordre et le silence au moindre signal des Frères surveillant tous leurs mouvements".

De leur côté les jeunes filles continuaient à fournir des vocations religieuses : un tableau de 1808 ne nous signale pas moins de 34 congréganistes religieuses. La Réunion au Sacré-Cœur des demoiselles Fatin, les Filles du Sacré-Cœur des demoiselles Vincent, les Ursulines les Sœurs de saint Vincent de Paul, les Ursulines du Sacré-Cœur, le Carmel recueillent tour à tour les plus beaux fruits du travail congréganiste.

* * *

Ces résultats et d'autres encore prouvent que l'œuvre était solidement assise.

Les difficultés cependant ne manquaient pas. Il faut en tenir compte pour apprécier les mérites du directeur. En dépit des victoires de Napoléon, Bordeaux souffrait de plus en plus. Le port était vide. Le vin se vendait mal. Le travail manquait aux ouvriers. En 1808, les

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affaires d'Espagne valurent à la ville des visions de guerres. Après la cortège des souverains détrônés, les prisonniers et les blessés affluèrent par milliers. "La charité chrétienne,note un témoin, ne fut pas en défaut dans notre cité déjà si réputée par ses abondantes aumônes. De bonnes âmes se cotisèrent afin de procurer des secours à ces malheureux. On fonda des distributions régulières de soupe en leur faveur. On les visitait, on les consolait dans les dépôts où ils étaient entassés et des traits d'une charité vraiment héroïque signalèrent cette désastreuse époque".

Le typhus se déclara et l'on imagine aisément quel surcroît de soucis et de deuils s'en suivit. La fermentation des esprits commençait. Les mécontents augmentaient de jour en jour. Les appels réitérés des conscrits irritaient. Depuis que l'Empereur était entré en conflit avec la Papauté, les catholiques murmuraient ; les difficultés d'Espagne inspiraient des craintes aux uns, des espoirs aux autres ; pour contenue qu'elle fût encore, l'opinion publique ne laissait pas d'inquiéter la police en éveil : à la foire de Bordeaux, en 1809, les agents de Fouché saisirent des tabatières à l'effigie de Charles IV et signalèrent la vente de ces objets comme un geste de résistance.

Si l'on songe que, dans ces circonstances, M. Chaminade perdit son frère Louis à peine âgé de cinquante ans, que sa propre santé demandait des ménagements, que ses ressources matérielles restaient précaires, que son œuvre ne cessait d'exciter les susceptibilités des paroisses, qu'au début de 1809, la maladie l'immobilisa plusieurs semaines, qu'un peu plus tard un commencement d'incendie dévora à la Madeleine le reposoir du Jeudi saint et une bonne partie des petites richesses de la sacristie, on aura quelques vues des conditions dans lesquelles travaillait le directeur de la congrégation. Homme de foi, confiant dans la Providence, fort des encouragements de Mgr d'Aviau, il allait de l'avant. En 1807, il engageait Thérèse de Lamourous dans l'acquisition de l'ancien couvent des Annonciades ; à la Pentecôte de 1808, il provoquait le renouvellement solennel de l'alliance des pères do famille avec les jeunes gens et, en cette année 1809, plein des plus beaux espoirs, il songeait à se mettre en route pour aller propager la congrégation dans l'Agenais et le Condomois, où l'appelait une jeune et pieuse personne, Melle de Trenquelléon.

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Chapitre quatrième

ADÈLE DE TRENQUELLEON

Adèle de Trenquelléon appartenait à la noblesse du Condomois. Née en 1789, elle avait grandi au milieu des troubles révolutionnaires. Son père, M. de Batz, baron de Trenquelléon, officier aux Gardes françaises avec rang de Colonel avait rejoint les Princes en 1791. Sa mère, soit erreur, soit malveillance, se trouva inscrite sur la liste d'émigration au lendemain du 18 Fructidor. Subitement, alors qu'avec ses deux enfants elle revenait de Figeac où elle avait passé quelques semaines auprès de sa propre mère, la comtesse de Peyronnencq, il lui avait fallu gagner l'Espagne. Les exilés se fixèrent d'abord à Tolosa, puis se rendirent à Bragance, en Portugal, où le Baron de Trenquelléon les rejoignit au milieu de l'été 1798. Deux ans plus tard, la famille reconstituée et accrue d'une seconde fille, Désirée, se rapprochait de la frontière française et s'établissait à Saint-Sébastien, dans l'espoir d'un prochain retour au foyer ancestral. Il fallut attendre encore un an.

Ces événements brutaux avaient singulièrement mûri Adèle et développé sa piété. En 1803, à l'occasion de sa confirmation, elle se lia d'amitié avec la fille d'un magistrat d'Agen, Jeanne Diché. Il s'ensuivit d'abord une correspondance régulière des plus édifiantes, puis, à partir de 1804, la formation d'une association pieuse dont l'initiative et la mise au point semble revenir à un laïc, Jean-Baptiste Ducourneau, que la Révolution avait empêché d'arriver au sacerdoce et qui exerçait la charge de précepteur dans la famille de Trenquelléon. Les sœurs de Jeanne Diché, Thérèse, Lucile et Agathe entrèrent aussitôt dans la petite société avec deux jeunes personnes, Adèle et Rosalie de Vomies dont Jean-Baptiste Ducourneau rapporta l'adhésion au retour d'une visite à son pays natal, Villeneuve- de- Marsan.

Les associées précisèrent leurs vues et leurs pratiques dans une convention écrite de 8 articles :

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1.- Chaque membre de la société est entièrement libre et ne contracte nulle obligation (sous peine de péché).

2.- Toutes les prières, bonnes œuvres, messes, communions, aumônes, mortifications sont communes entre tous les membres, en ce monde et en l'autre, de telle sorte que celles qui auraient achevé de satisfaire et qui auraient obtenu leur récompense, ne cessent pas de s'intéresser au salut de celles qui sont dans le purgatoire ou en danger sur la terre.

3.- Comme le but de la société est d'obtenir une bonne mort, chaque membre se mettra sous la protection spéciale de la sainte Vierge par une communion faite à ce dessein.

4.- Le vendredi étant le jour de la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ, on fait ce jour là quelques minutes de méditation pour former en soi le désir de mourir et de ressusciter avec J-C, examinant sérieusement si on voudrait que Dieu nous appelât à lui en ce moment ; puis, se rappelant les sept plaies de Jésus-Christ, on récite sept Avé Maria. Les sept plaies sont celles de la flagellation, du couronnement d'épines et les cinq qui lui furent faites en croix.

5.- L'amour de Dieu est l'unique lien de la société. Ainsi l'exclamation : Mon Dieu ! répétée si souvent et si naturellement par toutes les bouches. Servira à tous les membres de terme de ralliement et équivaudra à cet acte : Aimons Dieu !

6.- Si Dieu voulait que le grain de sénevé devint un grand arbre, les jeunes personnes associées goûteraient les fruits et les consolations de la Société en se réunissant ensemble, au moins les vendredis, pour faire en commun les exercices de ce jour-là.

7.- On pourrait les réunir en d'autres jours de la semaine, ou de temps en temps, pour réchauffer mutuellement le feu de l'amour divin, se faire part des bonnes pensées et lire les lettres édifiantes des membres absents.

8.- On a tous les jours à 3 heures du soir un rendez-vous spirituel sur le Calvaire pour adorer J-C mourant sur la croix, s'unir à lui et faire un acte d'adoration à ses plaies sacrées. Cette pratique est toute intérieure et peut se faire sans quitter la compagnie où l'on pourrait

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se trouver et sans se déranger de son ouvrage. En général, on exhorte les associés à se rappeler souvent la présence de Dieu et à élever leur cœur vers lui par de fréquentes aspirations".

Dans la suite, on ajouta deux articles. Le premier relatif aux qualités requises des personnes que l'on pourrait s'adjoindre était ainsi conçu : "On n'admettra que des personnes éprouvées, d'un caractère égal, propres à faire des prosélytes et se distinguant par la pratique des vertus. On exigera la plus sévère décence dans le costume".

L'autre tendait à développer l'activité apostolique : "On exhorte les associées à tâcher de procurer la gloire de Dieu et le salut du prochain par tous les moyens possibles, en s'attachant surtout à gagner le cœur et la confiance d'une personne de leur sexe, afin de l'attirer au service de Dieu, en s'appliquant à enseigner la doctrine chrétienne aux enfants et à d'autres pieuses industries pour tâcher de faire des conquêtes à notre divin Maître".

On n'avait prévu aucune autorité directive. En fait, Melle de Trenquelléon fut l'âme du mouvement. Chaque semaine, elle écrivait une lettre édifiante que les membres se communiquaient successivement. Elle indiquait le mot d'ordre de la semaine - une oraison jaculatoire qu'elle appelait "l'acte" - demandait des prières à une intention déterminée, commentait un mystère ou une fête, recommandait la fréquentation des sacrements, ou encore annonçait les deuils et les épreuves qui frappaient telle ou telle associée.

Voici en quels termes cette jeune fille de 16 ans inaugurait sa correspondance avec Agathe Diché, la sœur de son amie Jeanne :

+ J.M.J.T

Ce 2 février 1805

Dieu est le principe de toute amitié chrétienne....

Mademoiselle,

"Je ne saurais vous exprimer tout le plaisir que m'a fait votre lettre et l'espoir que j'ai que vous voudrez bien continuer une correspondance qui ne sera, je l'espère, que pour la gloire de Dieu,

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ainsi que notre union. Vous êtes la sœur de mon amie : il n'en fallait pas davantage pour m'inspirer le plus vif intérêt. A cela nous avons ajouté une association qui n'a fait que m'inspirer un plus fort attachement.

Ainsi, ma chère associée, vous savez comment nous nous écrivons, mademoiselle votre sœur et moi. Par conséquent, si vous voulez, ce sera de même entre nous ; nous nous ferons part de nos bonnes pensées, et Dieu, pour l'édification de l'une et de l'autre, nous en suscitera qui, peut-être, ne nous seraient pas venues sans cela. Vous savez aussi que ces lettres doivent être communiquées aux autres associées, comme il est dit dans le petit règlement. Nous ne devons viser dans ces lettres que notre avancement et ne pas trop rechercher le style, dire couramment ce qu'on croit convenir à la personne à qui l'on écrit. Je me propose de donner une intention dans la première communion que nous ferons, pour que Dieu bénisse notre nouvelle correspondance.

Ce qu'il ne faut pas cesser de nous inculquer, c'est l'amour de Dieu. Le jour où vous recevrez cette lettre est le jour où cet amour du Père et du Fils, qui est le Saint-Esprit, est descendu sur nous. Conservons la mémoire d'un jour si heureux pour nous. Tâchons de rallumer, si nous avons eu le malheur de l'éteindre, le flambeau de l'amour divin que le Saint-Esprit vint en ce jour allumer dans nos cœurs.

Si une de nos chères associées a le bonheur de s'unir à Jésus ce jour-là, je réclame ses prières, moi qui n'aurai pas le même bonheur suivant les apparences.

Combien je désirerais que quelque occasion survint pour me permettre de jouir du plaisir de vous voir et de vous témoigner toute l'amitié que vous m'inspirez en Dieu ! Il est l'unique principe de toute amitié chrétienne et le seul lien durable. Quand on s'aime en Dieu et en vue de Dieu, on est sûr de s'aimer toujours. Une amitié qui n'a pas pour fondement cette base, ne peut subsister longtemps, au moins pour l'ordinaire : la moindre chose cause du refroidissement, au lieu qu'en s'aimant en Dieu, quoi qu'il arrive, les raisons de s'aimer subsistent toujours. Je l'espère et je le désire : c'est sur ces motifs que commence notre amitié, qui durera jusqu'à la mort.

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Ainsi j'ai confiance que Dieu bénira notre union et me procurera l'avantage de profiter de vos exemples et de vos conseils. Et, afin que cette union soit plus intime, je vous prie de prendre et de me permettre de prendre dorénavant dans vos lettres le titre d'amie. J'attends de vous cette marque d'amitié ; que je ne voie plus dans votre première lettre le nom de Mademoiselle. Oui, ma chère amie, conservons ce doux nom toujours et tâchons de ne nous écrire et de ne nous aimer que pour Dieu et sans mélange d'intérêt propre et d'une amitié purement humaine.

Je finis ma lettre, ma très chère amie, en vous priant de ne pas m'oublier auprès de toute la société que j'embrasse tendrement, ainsi que vous, dans le divin Cœur de Jésus".

Tant de zèle ne pouvait rester sans résultats. La petite société obtint de nombreuses adhésions. De passage au château de Trenquelléon, en septembre 1805, l'évêque d'Agen, Mgr Jacoupy, la connut, la bénit et s'en déclara le protecteur. Des prêtres s'y affilièrent et en devinrent les auxiliaires, tels un vicaire d'Agen, M. Malon, un curé et un vicaire de Condom, M. Destrac et M. Ferret, le curé de Valeilles, M. Grenier, le curé de Lompian, M. Larribeau, un missionnaire, M. Miquel. En 1808, l`'association avait des adhérentes à Agen, à Villeneuve-sur-Lot, à Valeilles et à Monflanquin dans le Lot-et-Garonne, à Condom dans le Gers, à Villeneuve-de-Marsan et à Saint-Sever dans les Landes, au château de Cordoue dans la Dordogne : en tout, une bonne soixantaine de membres sans compter les prêtres et les personnes admises au titre d'affiliées. Depuis 1806, M. Larribeau était le guide spirituel écouté, "le chef".

On en était là quand au cours de l'été 1808 ; Jean-Baptiste Lafon, ancien préfet de la congrégation de Bordeaux et alors professeur au Collège de Figeac, fut présenté à Mme de Trenquelléon en visite chez la Supérieure de l'hôpital, Gertrude du Trudet. Comme la conversation avait amené la baronne à parler de la petite société fondée par sa fille, Lafon fit connaître l'œuvre de Bordeaux et proposa une affiliation qu'il s'offrit à solliciter de M. Chaminade . Aussitôt mise au courant, Adèle de Trenquelléon entra dans ces vues.

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De retour à Bordeaux à la fin de l'année scolaire, Lafon s'empressa de tenir sa promesse. Il y eut d'abord méprise. Sur les premières indications de l'ancien préfet, M. Chaminade fournit quelques notes concernant les dames de la retraite. Il avait cru qu'il s'agissait de personnes d'âge mur et il avait fixé les prières en conséquence. Tout s'expliqua dès qu'Adèle de Trenquelléon se fut mise directement en correspondance avec lui.

"J'ai reçu, répondit-il, à sa première lettre, avec autant de plaisir que d'intérêt et votre lettre et la liste des jeunes personnes qui désirent être affiliées à la congrégation. J'ai été sensiblement touché de la ferveur qui me paraissait régner parmi un aussi grand nombre de jeunes vierges. Lorsque, dans une assemblée générale de la congrégation des jeunes personnes, j'ai manifesté les vœux de votre pieuse société et que j'en ai lu les noms, toutes se sont aperçues de ma joie et de la satisfaction intérieure que je ressentais, et toutes y ont participé ; toutes ont promis de vous regarder désormais comme faisant partie de la congrégation, de se rappeler tous les jours de vous dans leurs prières, etc...

La congrégation des jeunes personnes a une messe tous les dimanches et fêtes pour elle seule. C'est un usage de mettre sur l'autel, pendant le saint sacrifice, un livre qui contient tous leurs noms. Ceux des postulantes et des affiliées n'y sont pas portés. Pour vous donner une preuve de l'intérêt particulier que nous inspire votre société, tous vos noms et ceux des jeunes personnes que vous recevrez désormais seront portés sur ce livre, qui n'a pas d'autre usage et qui est gardé avec respect à l'église de la congrégation".

Il continuait en exposant l'organisation de la congrégation divisée en cinq "corps" ; il entrait dans quelques détails au sujet des jeunes personnes et poursuivait :

Sans de grandes raisons, on n'y reçoit que jusqu'à 30 ans. Votre société a le même usage et c'est ce qui m'a déterminé à l'affilier spécialement à la congrégation des jeunes personnes, quoique vous soyez en communication de prières et de bonnes œuvres avec la congrégation entière.

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Les dames de la retraite ont pour pratique journalière l'Acte de résignation à la mort et l'oraison de saint Bernard à la sainte Vierge. Les jeunes personnes récitent tous les jours le Petit Office du Sacré-Cœur de Marie, avec un De Profundis pour leurs sœurs décédées. Je conseille à toute votre société de réciter chaque jour ce petit Office à la place des prières que j'avais d'abord indiquées. Cet Office est très court mais très beau et très touchant.

J'ai fait imprimer à Bordeaux un livre, dans un format commode et très portatif, sous le titre de Manuel du Serviteur de Marie. Il renferme, outre les offices, prières et instructions de la congrégation entière, la plupart des offices de l'Eglise. Si vous voulez, je pourrai vous en faire passer à Agen 50 à 60 exemplaires bien reliés. On est obligé de les vendre ici à 3 francs pièce, à cause des frais considérables que cette édition a coûtés.

Je vais, Mademoiselle, m'arrêter ici pour cette fois. Peu à peu, je vous mettrai au cours de nos usages et de nos pratiques. Oh ! si je pouvais vous faire bien sentir le bonheur qu'il y a d'appartenir d'une manière spéciale à la Mère de Dieu ! Nous nous glorifions ici du titre d'enfants de Marie : nous croyons composer sa famille privilégiée....

Tout ce que j'ai l'honneur de vous dire ou que je pourrai vous dire dans la suite, c'est généralement pour chaque membre de votre société.

Je suis, avec respect, Mademoiselle, votre très humble et très obéissant serviteur.

Mademoiselle de Trenquelléon, d'accord avec ses amies, s'empressa de répondre à tous les désirs que M. Chaminade avait exprimés. Elle envoya copie du règlement de la petite Société, commanda douze ''Manuel du Serviteur de Marie", écrivit à Melle de Lamourous et assura les jeunes bordelaises qu'en échange du souvenir qu'elles auraient chaque dimanche pour leurs associées du Haut-Pays, elles participeraient, chaque premier vendredi du mois, aux fruits du sacrifice célébré par M. Larribeau à Lompian.

En quelques mois l'entente et l'harmonie devinrent parfaites. L'association se divisa en fractions, nomma des officières, adopta le petit Office du Sacré-Cœur de Marie, l'acte de consécration, le chant

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de la congrégation, la pratique de l'Amour actuel et perpétuel de Marie, et même le principe d'une participation financière aux œuvres de son année. Melle de Lamourous joignait ses lettres à celles de M. Chaminade, et une pieuse congréganiste, animée d'un "très grand zèle pour la gloire de Marie" en même temps que d'un bel "esprit de prosélytisme" était la correspondante officielle chargée "d'entrer dans tous les détails" que les associées pouvaient souhaiter.

De part et d'autre, on se félicitait et l'on se piquait d'émulation. "Toutes nos congréganistes, écrivait M. Chaminade, ont une grande joie et sont très édifiées de notre petite correspondance : elles m'ont prié d'offrir à votre Société les sentiments de leur reconnaissance pour la part qu'elles auront désormais à la messe du premier vendredi du mois". (23 décembre 1808). "Je serais bien long, si je voulais être ici l'interprète de tous les sentiments d'affection et d'estime que leur inspire la troisième division" (28 février 1809). "La presse où je suis m'empêche de donner à mes sentiments pour la petite Société tout le cours que je désirerais. Daignez, je vous prie, leur bien dire que je les porte toutes dans mon cœur et que je les ai souvent présentes devant les saints autels. Vous y avez, vous ma chère fille, une part spéciale comme représentant la troisième division donnant tant de marques de zèle pour la gloire de la Mère de Dieu". (mai 1809)

Les lettres de Mlle de Trenquelléon à M. Chaminade, à Mlle de Lamourous, à Mlle Lacombe n'ont pas été conservées, mais nous retrouvons ses sentiments dans sa correspondance avec son amie Agathe Diché :

"Eh bien ! ma chère Agathe, que dites-vous de toutes les grâces qui nous arrivent de Bordeaux ? Que M. Chaminade a l'air d'un saint homme ! Quel accueil flatteur il nous fait ! Ah ! tâchons de mériter la bonne opinion qu'il a conclue de la Société. Et la lettre de notre Mère Mme de Lamourous ? Je la trouve charmante et affectueuse. Puissions-nous, comme elle nous y exhorte, nous aider mutuellement à gagner des cœurs à Jésus-Christ et à sa sainte Mère !" (15 mars)

Elle n'est pas entrée en relations avec Bordeaux, évidemment, sans l'assentiment de M. Larribeau. Le desservant de Lompian connaissait M Chaminade ; peut-être l'avait-il rencontré en Espagne. Il n'avait pu qu'encourager la démarche de sa dirigée. Devant les

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résultats, il exultait : "La lettre de M. Chaminade m'a fait beaucoup de plaisir. Voyez donc comme ses saintes personnes sont déjà toutes nôtres ! Oh ! ne manquez pas d'entretenir la correspondance avec ces bonnes filles. Que notre association est consolante ! Il est donc vrai que la défection n'est pas totale et que Dieu s'est réservé des âmes qui ne fléchissent pas le genou devant Baal. Qu'il en soit à jamais béni !" (janvier)

Unanimement, la Société suivait "la chère Adèle". Les douze premiers "Manuel du serviteur de Marie" avaient vite trouvé acquéreurs ; de janvier à mai, M. Chaminade en avait expédié dix-huit autres à l'adresse de Mme Belloc, à Agen. Chaque associée voulait avoir le sien. "Que j'aime ces petits livres, confiait Adèle de Trenquelléon à son amie Agathe Diché, toutes ces belles prières, ces belles instructions, ces beaux cantiques en l'honneur de Marie !" (19 janvier)

Le zèle de cette âme d'apôtre brûlait d'une nouvelle ardeur et d'un nouvel éclat. Sa dévotion à l'égard de Marie grandissait soudain et devenait communicative : "Nous avons donc l'honneur d'être ses enfants, membres de sa famille privilégiée. Oh ! confions-nous à cette tendre Mère ! Elle est le refuge des pécheurs : considérons-la souvent sous ce titre, car étant aussi pécheurs que nous sommes, c'est celui qui nous convient le plus". (19 janvier) "Implorons sans cesse l'assistance de la sainte Vierge. Elle est une si bonne Mère ; elle ne méprisera pas les voix de ses enfants, de ses filles, qui ont tant besoin de son secours pour se soutenir dans les dangers de cette vie. Faisons-lui le don de nous-même par la consécration qui est dans le Manuel du serviteur de Marie. Exhortez toutes nos sœurs à la faire souvent, mais surtout jeudi prochain, fête de la Purification de cette Vierge incomparable.

Heureux celui qui dés l'enfance

Lui fait de soi-même le don

Et met son innocence

A l'abri de son nom !

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"Elle a sur les démons un empire absolu : invoquons-la donc avec confiance dans toutes nos tentations". (26 janvier) "Aimons d'un amour tout particulier la sainte pureté : elle doit distinguer les enfants de la Vierge immaculée. Ayons le plus grand soin de ne pas la ternir. Mettons une garde à nos yeux et une sentinelle à nos oreilles, une porte à nos lèvres, afin de ne rien voir, de ne rien entendre, de ne rien dire qui pût la blesser". (15 juin)

Elle goûtait les recommandations du Manuel au sujet des lectures, les expliquait, les justifiait, les commentait, les interprétait avec prudence et pondération : "Je ne trouve rien de trop fort dans le Manuel. Il veut parler des romans, qui réellement tous, les meilleurs mêmes, sont toujours bien dangereux et doivent être interdits aux enfants de la plus pure de toutes les vierges, qui doivent éviter tout ce qui pourrait ternir une vertu si délicate que nous portons dans des vases bien fragiles. Ah ! ma chère, l'expérience nous apprend tous les jours qu'il ne faut qu'un mot un peu trop tendre, pour porter le poison et la tentation dans notre cœur. Fuyons donc jusqu'à l'apparence de l'occasion et souvenons-nous de cet avis du Saint-Esprit : Celui qui aime le péril y périra. Je sais, ma chère amie, qu'il en coûte pour se sevrer de ces lectures, là où l'innocence des jeunes personnes et l'artifice de l'ennemi ne trouve rien de mauvais. Mais : je sais aussi qu'il en coûte pour se sauver et qu'il n'y a que ceux qui se font violence qui ravissent le ciel. Au reste, le mieux est de consulter, sur le choix des lectures, un directeur prudent et éclairé ; alors on ne risque pas de se tromper. Mais il y a bien d'autres livres d'agrément qu'on peut lire et c'est un délassement bien permis : on ne peut pas avoir toujours l'esprit tendu". (2 février )

N'y avait-il pas orgueil de sa part à faire ainsi la leçon aux autres ? M. Larribeau calmait ses scrupules, modérait sa vivacité, stimulait ses sentiments généreux : "Lorsque vous écrivez, faites-le en vue de Dieu, pour sa gloire et le bien des âmes. Dirigez votre intention avant de prendre la plume ; renouvelez-la quelques fois en écrivant et puis méprisez tout ce que votre imagination pourrait vous suggérer.... Il n'y a nul inconvénient que N... éprouve les mêmes difficultés que vous. Continuez à la servir et à la consoler ; et profitez la première des avis que vous donnez aux autres".(janvier) "Vous pouvez bien extraire de l'écrit dont vous me parlez ce que vous

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jugerez convenable pour nourrir la piété de nos amies ; mais n'allez pas trop les surcharger. Nous sommes assis, pour parler comme saint François, à une table abondamment pourvue ; nous ne pouvons manger tout. Notre estomac spirituel est trop faible pour digérer tant de choses. Contentons-nous encore de nos petites pratiques, mais faisons-les avec perfection... Quant à ce qui vous regarde, ayez patience et remerciez le Seigneur des grâces qu'il vous fait : je crains que vous ne les connaissiez pas assez. Point de paresse, je vous prie, mais beaucoup de fidélité, coûte qu'il en coûte ! Que -diriez-vous d'un officier qui ne paraîtrait que rarement a la tête de sa troupe et qui, au besoin, ne se battrait pas en brave et des premiers ? Vous êtes officière ; appliquez-vous la comparaison". (février)

Docile, "l'officière" médite sur l'humilité et, pour soutenir la ferveur de ses amies, s’abandonne aux inspirations de la grâce. "Faisons à notre aimable Sauveur la conquête de notre cœur. C'est ce que nous pouvons faire qui lui soit le plus agréable. C'est l'offrande qu'il demande spécialement de nous : ne la lui refusons pas. Mais, pour qu'elle lui soit plus agréable, faisons-la présenter par la très sainte Vierge sa Mère et la nôtre. Pourrait-il dédaigner ce qu'une aussi bonne Mère lui offrirait. Mais tâchons de lui offrir ce cœur bien vide du péché et de lui-même. Ornons-le des vertus qui lui sont le plus chères, surtout la douceur et l'humilité. Faisons notre capital de ces deux vertus". (15 mars)

En avril, elle est à Condom, en visite chez ses tantes, toute heureuse de revoir les associées qui forment maintenant la fraction de l'Incarnation. Le 11, elle confie ses constatations et ses réflexions à ses amies d'Agen : "Je suis édifiée des vertus que je remarque dans cette fraction. Je me trouve bien humiliée de les présider dans nos chères réunions. Hélas ! elles pratiquent déjà parfaitement ce que je leur dirai ne le pratiquant pas. Puissions nous à l'envi les suivre. Le même Dieu qui les aide est prêt à nous prêter le même secours. Il ne tient qu'à nous de correspondre à toutes ses faveurs" Dirigées par M. Ferret, vicaire à Saint-Pierre, un ami de M. Larribeau, les Condomoises de la petite Société travaillent, elles aussi, à acquérir l'humilité. "La chère Adèle" fait un nouveau retour sur elle-même et tire des conclusions qu'elle communique à Agathe Diché, le 2 mai : "Je suis aussi peinée que vous, chère amie, que notre chère fraction

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de la Conception - (celle d'Agen)- ne témoigne pas autant de zèle que celle de l'Incarnation. Enfin il faut avoir patience et tout recommander au Bon Dieu et à la sainte Vierge. Tâchons surtout, ma chère amie, de veiller sur nous-mêmes d'imiter nos plus ferventes sœurs et de les surpasser en humilité. Voilà la vertu qui doit être la marque caractéristique de la Société. Votre officière vous aura dit que la société de Condom faisait faire une neuvaine de messes par M. Ferret, pour obtenir par l'intercession de la sainte Vierge cette belle vertu. Appliquons-nous y donc à l'envi et ne nous en tenons pas à une vaine spéculation. Passons à la pratique. Supportons avec résignation les petites paroles humiliantes qu'on peut nous dire. Offrons tout cela au Bon Dieu, reconnaissant que nous en méritons de plus grandes. Ne disons jamais rien de bien de nous. Parlons très peu de ce qui nous regarde. Ne cherchons à plaire qu'à Dieu. Ne faisons rien pour nous attirer les regards d'autrui. Tâchons de mener une vie cachée à l'exemple de la sainte Vierge".

Une vie cachée, oui ! mais une vie inutile (sic) : l'humilité vraie s'accompagne du zèle pour les intérêts de Dieu. Mlle de Trenquelléon le comprenait de plus en plus. Elle se réjouissait des progrès de sa petite Société et voulait cultiver l'humilité pour gagner de nouvelles âmes à Jésus-Christ : "Ne cherchons, chère amie, que la gloire de Dieu dans toutes nos actions et elles seront d'un prix infini. Prenons pour devise celle de saint Ignace : A la plus grande gloire de Dieu ! Notre Société doit y être entièrement consacrée. Tâchons de la procurer cette gloire par tous les moyens qui seront en notre pouvoir. Montrons la dévotion douce et aimable. Reformons à cet effet notre caractère, afin d'attirer des cœurs à Jésus-Christ. Quel motif pour nous animer a nous faire violence, que celui de penser que nous aurons peut-être le bonheur incomparable d'arracher une âme à l'enfer et de la consacrer au Seigneur ! La pratique des vertus chrétiennes est si aimable ; la sainte humilité gagne les cœurs : que ce soit, comme le dirait M. Ferret, la marque caractéristique de la Société". (15 juin)

M. Chaminade pouvait venir : les cœurs étaient préparés.

* * *

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Un vœu de la petite Société n'était pas encore satisfait : ses membres ne participaient point aux indulgences dont pouvaient bénéficier les congréganistes de Bordeaux comme ceux de toutes les sodalités canoniquement érigées et régulièrement affiliées à la Prima primaria de Rome. Adèle de Trenquelléon et ses amies étaient congréganistes de cœur, elles ne l'étaient pas de droit et elles souhaitaient le devenir.

Les congrégations ne sont pas des confréries parmi d'autres. Elles ont une législation propre, qui leur a été donnée par le Saint-Siège et en vertu de laquelle, pour être congréganiste, il faut être reçu par le directeur canonique et dans des conditions très précises.

Si toutes les associées de la petite Société avaient pu se rendre individuellement à Bordeaux et se soumettre à la cérémonie de la réception, aucun problème ne se fût posé. Mais de fait en ces années-là, aucune ne pouvait envisager ce déplacement. Faire ériger une congrégation indépendante ou à Agen ou à Condom n'eût été une solution que pour une fraction de la Société, et cette solution eût été incomplète même pour la fraction locale, car il eût fallu encore recourir à Rome pour obtenir l'affiliation à la Prima Primaria ce qui, dans les circonstances, se révélait presque impossible.

M. Chaminade étudia longuement la question. Le 28 février 1809, il laisse entendre qu'il entrevoit la possibilité de tourner les difficultés. "Je saisirai l'occasion, dit-il à sa correspondante, ou plutôt je prendrai les moyens de vous rendre définitivement congréganistes. J'aurai l'honneur de vous en faire part avant la fin du carême". Sans Joute hésitait-il encore, puisque à la fin du carême, il faut un rappel de Melle de Trenquelléon pour le décider, le 28 mars, à exposer son plan. "Il vous tarde de connaître le moyen que je pense prendre pour vous rendre définitivement Enfants de Marie. Votre empressement me plaît et m'édifie. Je ne pensais vous en faire part que quelque temps après Pâques : je vais satisfaire vos désirs dès à présent. Une tournée qui embrasserait quatre ou six des chefs-lieux de l'arrondissement de la petite Société, aujourd'hui troisième division, me paraîtrait un moyen de voir tous mes nouveaux enfants, en autant de groupes ou de réunions qu'on fixerait de lieux. Chaque réunion serait reçue, etc.,. Je n'ai pas encore cherché à prévoir et encore moins à lever les difficultés

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qu'un semblable projet entraîne comme nécessairement : j'ai un si grand désir de vous conférer les grâces et privilèges accordés aux Enfants de Marie, que je compte pour rien la peine de ce long voyage. Vous pourriez examiner vous-même : 1° si l'exécution du projet est possible dans un assez court espace de temps (car j'en ai bien peu dont je puisse disposer) ; 2° quels seraient les moyens d'exécution ; 3° quelles seraient les précautions qu'il y aurait à prendre. Il n'en faut pas parler, ou il en faut très peu parler, jusqu'à ce : que le projet soit mûr, jusqu'à ce que nous soyons convenus de tout".

M. Chaminade pensait donc qu'en raison de ses pouvoirs de Missionnaire apostolique, il pouvait, moyennant l'autorisation des Ordinaires diocésains, procéder à la réception de congréganistes hors de Bordeaux. La réponse de sa correspondante ne nous est point parvenue, mais nous la devinons facilement, aux réflexions qu'elle lui suggéra en mai suivant : "Vous relevez fort bien les difficultés prises du côte de la fervente affiliation ; il en est d'autres qui ne seraient guère facile a lever : ne renonçons cependant pas à un projet qui n'est propre qu'à faire naître que de bons sentiments et à resserrer de plus en plus les liens précieux qui nous unissent. D'ailleurs il peut nous conduire à perfectionner notre œuvre sous d'autres rapports. ... Je ne suis pas autorisé par le Souverain Pontife à déléguer le pouvoir de recevoir. De la patience, du zèle, de la persévérance ! Espérons que tout se rangera en son temps"

Ce qui n'était pas possible aujourd'hui pouvait le devenir demain. Dans sa foi, M. Chaminade ne croyait pas que l’appel de la petite Société à la Congrégation de Bordeaux resterait sans réponse. "Espérons toutes sortes de succès de la protection de notre Mère. Sous ses auspices, nous avons ici réussi en des choses autrement difficiles".

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Joseph Verrier SM

La Congrégation Mariale de M. Chaminade

Livre IV

En des temps difficiles (1809 - 1814)

DOCUMENTS MARIANISTES

Séminaire Regina Mundi

Fribourg (CH) 1965

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Chapitre premier

QUAND ON CONSPIRE...

Le 19 septembre, à six heures du matin, deux agents de la police, les commissaires Viette et Boyer, se présentaient à Bordeaux, au domicile de M. Mareilhac, n°. 22, Façade des Chartrons, et arrêtaient le précepteur de ses enfants, Jean-Baptiste-Hyacinthe Lafon, ancien préfet de la congrégation de la Madeleine.

Que s’était-il passé ?

G. de Grandmaison a dit comment, en la dissimulant dans ses bottes, Eugène de Montmorency avait apporté à Paris le texte de la bulle Quum memoranda dont la police voulait empêcher la divulgation. Le même document pontifical parvint peut-être, à la même époque, dans la capitale par l'intermédiaire de l'abbé Perreau, qui semble avoir fait alors le voyage de Rome, précisément pour chercher des directives à l'usage des catholiques de France, inquiets de la tournure prise par la politique religieuse de Napoléon. L'abbé Pierre Perreau, le marquis E. de Montmorency étaient tous deux membres de la congrégation mariale que dirigeait le P. Delpuits. Cette association se fit un honneur de diffuser la bulle vengeresse, ainsi que d'autres pièces relatives à l'occupation des Etats pontificaux.

Or, depuis longtemps la congrégation de Bordeaux était en relations avec celle de Paris. La police avait signalé un échange de correspondance dès le 21 janvier 1803. Un séjour qu'Alexis de Noailles fit à Bordeaux, en 1804, avait resserré les liens d'une manière décisive. Quoi de plus naturel ? Il avait sans doute rendu visite à des jeunes gens qu'il avait connus à Paris et qui, fixés à Bordeaux, fréquentaient l'œuvre de M. Chaminade . Par eux, il était entré en contact avec le directeur lui-même et avec toute l'association. On fraternisa, on s’entretint de l'idéal commun et quand

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l'hôte s'éloigna, il était chargé d'obtenir de ses confrères parisiens "trois choses". La lettre qui nous apprend que les trois demandes aboutirent ne nous dit pas d'une manière explicite, de quoi il s'agissait, Sans risquer toutefois de se tromper beaucoup, on peut conjecturer ce que Bordeaux désirait en premier lieu, contracter une "union spirituelle" avec l'association sœur, ce qui fut obtenu cette même année 1804 ; en second lieu, s'entendre avec elle pour l'accueil des congréganistes qui passeraient d'une ville dans l'autre, ce qui effectivement se produisit à plusieurs reprises. Comme la congrégation de Paris communiqua le texte de ses principes constitutifs à celle de Bordeaux, il est assez vraisemblable que le troisième vœu de cette dernière tendait à obtenir cette faveur. En annonçant à Alexis de Noailles qu'il accordait "les trois choses" demandées, le P. Delpuits avait ajouté : "Je désire qu'on soit très discret pour en parler. Quand vous serez de retour, nous prendrons les arrangements nécessaires et vous serez l'homme de notre part qui, quand il le faudra, écrira".

Lafon fut le délégué de la congrégation bordelaise, en vue de cette correspondance.

A partir de 1808, les événements politico-religieux prirent une place importante dans les lettres échangées. Lafon transmettait à ses confrères les salutations de leurs amis parisiens, leur lisait les nouvelles relatives aux membres qui avaient été recommandés et réservait les renseignements confidentiels pour quelques initiés qu'il voyait avant ou après les réunions de la Madeleine.

Très intrigant de caractère, ancien membre de l'Institut Philanthropique, affilié à la Franc-maçonnerie aux dires de certains, en tous cas beau-frère d'un maçon authentique, il avait de nombreuses relations.

Au début de l'été 1809, il fit un voyage en Bretagne et déploya une grande activité "pour former, dira-t-il en 1814, à Rennes et dans toute la province, des associations destinées à propager l'esprit de royalisme". Les pièces d'archives prouvent seulement qu'il parut aux réunions de la congrégation de Rennes, qu’il parla et qu'il se fit présenter à l'évêque par le jeune abbé Bruté, mais, remuant comme il l’était, il fut bien capable d'organiser, de réveille ou de fanatiser

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d'autres groupements moins inoffensifs que les congrégations mariales. A. de Noailles pouvait lui écrire, peu après :"Nous savons ici en détail que votre voyage fait grand bien à nos affaires. Les négociateurs de Bordeaux se sont conduits comme ceux de Paris ; j'en suis ravi et bénis Dieu du bien qu'Il daigne faire par vous." L'incident provoqué à Bordeaux, en décembre 1808, par le sermon de l'abbé Anglade pour l'anniversaire du couronnement, la destitution de l ’abbé Thierry vicaire général, et de l'abbé Lacroix supérieur du séminaire, qui fut une des conséquences, en mars 1809, de cet incident, la tension croissante des rapports entre Napoléon et le Saint-Siège, tout était alors de nature à surexciter une tête aussi ardente que celle de Lafon.

Au retour de Rennes, il prit la route de Paris et s'arrêta chez un jeune homme, nommé Justus, qu'il avait connu à Bordeaux et à Figeac. Naturellement il vit Alexis de Noailles, déjeuna deux fois chez lui, - une fois en compagnie d'un ami du comte, le jeune Beaumes, congréganiste, - et reçut de lui plusieurs notes manuscrites relatives aux affaires de Rome. Il fut même convenu que Noailles lui ferait parvenir tout ce qui circulerait à Paris à ce sujet.

Il rentra à Bordeaux à la fin de juillet. Le 2 août, il reparaissait à la congrégation et présidait l'assemblée du soir. Déjà, il avait communiqué ses documents aux initiés. "Je m'empresse, mon respectable ami, écrit-il à Noailles, de vous apprendre mon heureuse arrivée dans cette ville. Mes premières démarches, le jour même de mon arrivée, ont été remplir les différentes commissions que vous m’aviez donné, de voir nos amis qui ont le grand plaisir de recevoir, par moi, de vos nouvelles. Recevez mes remerciements pour toutes les bontés que vous n’avez cessé de me témoigner à Paris. J'en conserve : une vive reconnaissance.

J'ai communiqué à un très grand nombre de littérateurs le dernier ouvrage, de M. de Laharpe, qu'on ne connaissait que vaguement et qui a produit le plus grand enthousiasme. J'ai rassemblé les favoris des Muses : je leur en ai donné connaissance ; ils en font des extraits ; ils le font connaître à leurs amis. Il faut convenir que Laharpe a bien soigné cette partie. Quelle force ! Quelle véhémence dans toutes les parties qu’il traite ! Dans le moment où je vous écris,

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plus de trente personnes sont assemblées autour d’une table pour prendre des notes. Elles ont la patience de tout lire, de tout extraire et même de tout transcrire, ce qui sera très long.

Avant de partir de Paris, vous me promîtes de me faire parvenir tous les ouvrages modernes qui auraient rapport à la littérature. Je compte sur votre parole. Nous avons ici des sociétés littéraires qui compte sur moi pour leur procurer les meilleurs ouvrages en ce genre. A l’exemple des membres de l’Institut, nous aimons à propager les connaissances à en acquérir de nouvelles. Pour moi, mon ardeur sur ce point est extrême. Je la communique à tous mes amis et certes, je me croirais malheureux au dernier point, si je n’avais aucun moyen de m’instruire…"

A. de Noailles lui avait laissé, entrevoir que le Pape privé de sa liberté déléguerait ses pouvoirs pour le gouvernement de l'Eglise. C'est à quoi fait allusion la fin de la lettre : "J'attends toujours avec impatience la procuration et les pouvoirs de la personne à laquelle vous vous intéressez pour négocier ses affaires de famille. Quand vous les aurez, ne manquez pas de me les faire parvenir".

Tandis que la missive s'acheminait a l'adresse de Justus, Alexis de Noailles écrivait à Bordeaux pour recommander la prudence. Il s'était rendu compte, sans doute, que la police devenait nerveuse. "Allons en avant, disait-il, et sachons distinguer chaque signe de vocation ; vous réjouissez les anges et les saints par vos victoires et les chrétiens de cette cité en louent Dieu. La prudence a arrêté notre zèle sur cet objet, car sans le conseil du Sage, nous eussions fait partager à bien d'autres notre allégresse. La prudence qui nous retient me porte encore à vous conjurer de ne jamais nous déclarer publiquement à Bordeaux. Nos progrès, qui ne nous laissent pas sans inquiétudes unis à cette publicité extérieure, rendraient notre œuvre dangereusement exposée envers le monde. Ainsi, définitivement, il est mieux, je. crois, provisoirement, que notre correspondance soit de vous à moi ; pendant mon absence, je vous désignerai un remplaçant".

Tout en admettant que la congrégation de Paris tenait à être ignorée du public, et celle de Bordeaux à être connue, pour agir plus efficacement sur l'opinion, on peut difficilement croire que dans ses

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recommandations de prudence, A. de Noailles ne pensait qu'à ses confrères

A de Noailles lui avait laissé entrevoir que le Pape privé de sa liberté déléguerait ses pouvoirs pour le gouvernement de l’Eglise. C’est à quoi fait allusion la fin de la lettre "J’attends toujours avec impatience la procuration tes pouvoirs de la personne à laquelle vous vous intéressez pour négocier ses affaires de famille. Quand vous les aurez, ne manquez pas de me les faire parvenir".

Tandis que la missive s’acheminait à l’adresse de Justus, Alexis de Noailles écrivait à Bordeaux pour recommander la prudence. Il s’était rendu compte, sans doute, que la police devenait nerveuse. "Allons en avant, disait-il, et sachons distinguer chaque signe de vocation ; vous réjouissez les anges et les saints par vos victoires et les chrétiens de cette cité en louent Dieu. La prudence a arrêté notre zèle sur cet objet, car sans le conseil du Sage, nous eussions fait partager à bien d’autres notre allégresse. La prudence qui nous retient me porte encore à vous conjurer de ne jamais nous déclarer publiquement à Bordeaux. Nos progrès, qui ne nous laissent pas sans inquiétudes unis à cette publicité extérieure, rendaient notre œuvre dangereusement exposée devant le monde. Ainsi, définitivement, il est mieux, je crois, provisoirement, que notre correspondance soit de vous à moi ; pendant mon absence, je vous désignerai un remplaçant".

Tout en admettant que la congrégation de Paris tenait à être ignorée du public, et celle de Bordeaux à être connue, pour agir plus efficacement sur l’opinion, on peut difficilement croire que dans ses recommandations de prudence, A. de Noailles ne pensait qu’à ses confrères congréganistes. En tous cas, il pénétrait nettement sur le terrain politique dans un autre passage de sa lettre et, encore qu’il eût recours à l’antiphrase ou à l’allégorie, il ne laissait pas d’exprimer ses espoirs anti-napoléoniens : "Nos nouvelles de commerce sont que tout va très bien. Les Anglais sont descendus en force à Flessingue et vers Ostende. Ils brûlèrent quelques barques. On aura le plaisir de les battre avec quelques bommes gardes nationales qui sont sur les côtes. On est sûr de la Hollande. La guerre va recommencer, mais j’en jouis parce que Sa Majesté va gober d’un seul coup de filet toute

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l’Europe ; car, Russes, Autrichiens et Prussiens nous connaissent déjà. La reprise des hostilités n’est pas certaine, mais elle est probable. Ce sera plus tôt fini, car sa Majesté doit toujours triompher…"

Un jeune homme, Georges Giresse, qui avait été approbaniste dans la congrégation de Bordeaux et qui, par celle-ci, avait été reçu dans celle de Paris, où il étudiait le droit, devait se rendre en Gironde et remettre, à cette occasion de nouveaux documents à Lafon. Au dernier moment, pour des raisons de famille, le voyage fut supprimé. Le 18 août, A. de Noailles en avertit son ami en donnant à ses phrases une allure commerciale. Selon Lafon, le Pape serait désigné par l’expression "le vieux Denis" ; mais ce vieux Denis et ce premier homme d’affaires de notre Maître, ne serait-ce pas plutôt les chefs de la résistance catholique, les futurs dirigeants, peut-être, du mouvement des Chevaliers de la Foi ?

"Nous serons forcés, écrit Noailles, de changer de voie. J’ai des marchandises bien importantes à vous envoyer. Je ne dois pas tarder plus longtemps. Je les adresserai à votre tailleur. Vous le préviendrez pour que les étoffes ne soient pas abîmées… Ne négligez pas ce qui viendra de moi ; je vous en conjure, tenez-vous prêts.

Mon ami est revenu de ses voyages. C’est à lui que je dois toutes mes nouvelles et précieuses spéculations. Je ne vous donne aucun détail, vous en aurez par la suite. Je vous remercie au nom de notre maître et de son premier homme d’affaires de ce que vous avez fait. Ce vieux Denis vous en a une obligation infinie et une charge de vous le dire.

Je vous enverrai, avec mes marchandises, un livre dont la reliure sera travaillée avec soin ; voilà mon présent, le reste est de votre commerce. Quant à la procuration que vous m’avez demandée et que je vous avais promis, on n’en a point donnée. Ils sont tous dans l’idée que le procès ne durera que peu de temps. Ceci est positif. Ainsi continuez comme avant !"

Justus n’avais pas remis la lettre du 2. Surpris et vivement contrarié, Lafon écrit à une autre adresse, rue Saint-Jacques. La personne laquelle il dit simplement "ma bonne amie" paraît bien

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s’identifier avec Alexis de Noailles. "Je suis bien désolée, ma bonne amie, que vous n’ayez pas reçu ma lettre. Elle était adressée à M. Justus, sous le couvert de M. Auguié. Dans cette première lettre, je vous disais que l’ouvrage de littérature dont vous m’avez fait présent avait produit de très précieux effets ; que j’avais fait tous mes efforts pour le faire connaître ; que tous nos amateurs en avaient fait un tel cas que plus de trente personnes à la fois avaient entrepris de le copier. Il est maintenant très connu. Tous ont pris le goût de la littérature et on soupire ardemment après les nouveaux ouvrages de ce genre que vous devez m’envoyer".

Pour Bordeaux, où l’émoi causé par la destitution des abbés Thierry, Lacroix et Delort n’était pas encore apaisé, un tel état d’excitation n’est pas invraisemblable. Les gens prudents, néanmoins, ne manquaient pas. Tout en mettant l’archevêque hors de cause, Lafon se plaint de son entourage : "On fait des reproches à un de nos négociants en chef, qui est sourd et qui parle difficilement, de ne pas l’avoir communiqué. Ce sont ses premiers commis qui ont agit cette liberté. Comptez que je ne néglige rien pour l’affaire importante que vous m’avez confiée. Depuis mon arrivée, tous ceux avec lesquels j’avais autrefois des discussions se sont rapprochés de moi. Ils viennent souvent me voir et j’espère les ramener à une conciliation parfaite. Quelques annoncent des dispositions hostiles".

Il éprouve un plaisir extrême, à la pensée que de nouveaux documents vont lui arriver : "Votre lettre du 18 courant me comble de joie. Vous m’annoncez l’envoi des marchandises que je vous avais commandées. Je suis fâché que notre ami Giresse ne m’en apporte pas la facture, mais vous y remédierez en les adressant à mon tailleur qui aura ordre de les bien soigner".

Il est encore plus sensible au cas que le vieux Denys fait de lui : "Vous n’avez aucun remerciements à me faire. Votre maître me tiendra compte des soins que je me donne. Priez-le souvent de me rappeler à son souvenir. Comment se peut-il faire que le vieux Denys ait pensé à moi ? Ah ! s’il savait combien je l’aime ! combien je le révère ! combien je l’intéresse au succès de ses entreprises ! il m’aimerait bien plus encore. Si jamais vous pouvez lui parler de moi,

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dites-lui que ma fidélité sera inviolable et que rien au monde ne pourra me détacher de son service".

Il n’est pas certain d’une évolution rapide des événements : "Je suis bien étonné de la procuration que je vous ai demandée ne puisse s’obtenir ; je désirerais que ce procès ne fût pas long, mais le désir que j’en ai m’inspire de vives craintes".

Le 23 août, A. de Noailles confirmait l’envoi imminent de documents. Il les remettrait le 25 au conducteur de la diligence, un nommé Ledoux, "parfaitement sûr." Mais que Lafon donne donc des nouvelles !

C’est justement le 23 que Lafon avait écrit à la rue Saint-Jacques. Les deux lettres se croisèrent entre Paris et Bordeaux. Quand il reçut la sienne, il fut contrarié et, reprenant la plume, il s’adressa directement cette fois à Alexis de Noailles, Place du Corps législatif, no. 79 : "Votre lettre du 23, ainsi que les deux précédentes, me sont très bien parvenues, mon bon et digne ami. J’ai déjà répondu aux deux premières et je suis fâché du retard qu’elles ont éprouvé. La première vous devait être remise des mains de M. Justus à qui je l’avais adressée sous le couvert de M. Auguié, directeur des Postes, afin qu’elle vous parvint plus promptement. Voyez ce M. Justus, rue des Saints-Pères, dans la maison où je logeais, et témoignez-lui ma surprise qu’il ne vous ait pas remis la lettre qui était insérée dans la sienne, et qu’il n’ait pas répondu à celle que je lui écrivais. S’il vous dit de ne pas l’avoir reçue, qu’il aille de suite la réclamer chez M. Auguié. J’ai écrit à notre bonne amie, rue Saint-Jacques ; elle vous aura sans doute communiqué ma lettre où il y avait bien des choses pour vous. Dans ces deux lettres, je vous parlais du prompte débit des marchandises que j’avais apportées de Paris. Je vous priais de m’en expédier de même qualité. Votre dernière m’apprend qu’elle m’en a fait envoi le 25 : j’irai moi-même les faire décharger et je m’empresserai de vous en accuser réception".

Ici, il revient sur l’attitude du clergé bordelais et précise les plaintes de sa lettre précédente : "Je suis assez content de nos négociants de Bordeaux. Je les ai presque tous vus et ils me témoignent la plus grande confiance. Il y en a quelques-uns qui occupent les premiers rangs, dont je ne suis pas très satisfait. Ils sont

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faibles, lâches, sans énergie dans leur partie de négoce. Ils n’osent rien entreprendre dans la crainte que la guerre ne leur occasionne des pertes.

A n’en pas douter, ces insinuations concernent M. de Sèze et M. Filhol qui ont remplacé M. Thierry et M. Delort à l’archevêché, par ordre de l’Empereur. Je les vois souvent. Je leur communique mes idées ; ils les adoptent ; mais dans la pratique, c’est une autre marche. Moi qui suis vif, actif, entreprenant et même ardent dans les affaires - (il se peint assez bien !) – je voudrais qu’ils me secondassent pour en faire de brillantes, afin de me reposer dans un âge avancé. Cependant, par l’intérêt que vous, en particulier, avez pris à la réussite de mon entreprise, je puis vous assurer que tout va, pour le moment, au-delà de mes espérances ; je vous dois tout mon bonheur et celui de plusieurs autres dépendra de vous.

Continuez à faire le bien. Une âme aussi généreuse que la vôtre trouve en elle-même sa propre satisfaction et celui qui a promis de récompenser un verre d’eau donné en son nom proportionnera votre récompense au bien immense que vous faites".

Napoléon essayait alors de dissiper les craintes du Pape en affectant de le traiter avec le plus grand respect. Lafon demande ce qu’il en est : "Je passe à des objets qui m’intéressent fortement. Veuillez me confirmer la nouvelle qui se répand à Bordeaux et à laquelle on croit parce que notre brave archevêque a reçu de M. Jaubert une lettre qui annonce l’objet de la demande que je vous fais. M. Thierry – le vicaire général destitué – en a reçu une dans le même genre. Ces deux lettres assurent que l’Empereur a appris avec la plus vive indignation les traitements que deux généraux avaient fait éprouver au Saint-Père, que dorénavant il serait traité avec plus d’égard et qu’il y aurait vraisemblablement une destitution prononcée contre le nombre des chanoines, ainsi que le traitement des curés et qu’enfin le clergé peut être à l’abri de toute inquiétude".

C’est sans doute en prenant le contre-pied de toutes ces affirmations qu’on peut retrouver la véritable pensée de Lafon. L’antiphrase et une des clefs de cette correspondance occulte et elle explique sans doute aussi ce qui suit : "J’ai, comme je vous l’ai toujours dit, et comme je le disais à M. Jaubert à Paris, la plus grande

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confiance dans les intentions de l’Empereur. Je ne varie point et je pense maintenant comme je pensais alors, que tout prendra une tournure favorable. Mais je disais à l’abbé Thierry, qui me voit fréquemment et dont je suis très satisfait, ainsi qu’à quelques autres du conseil de M. l’archevêque, que cette nouvelle méritait d’être confirmée Veuillez m’en dire deux mots dans votre prochaine".

Viennent des conseils de prudence, après un petit couplet lyrique : "Comptez toujours sur mon amitié. Je vous aime vraiment de tout mon cœur. Comment ne pas vous aimer, vous qui êtes si aimables ! En vous aimant, c’est la vertu qu’on aime.

"Dans ce qui concerne l’article de mon commerce, il faut, je voue prie la plus grande discrétion. Ne confiez aucune de nos opérations à nos amis de Bordeaux. Je ne voudrais même pas en cas de maladie, vous désignez qui que ce fût. Il est rare de trouver hommes assez versés dans cette partie, assez honnêtes, assez réservés, assez courageux pour courir les risques du hasard dans un temps où les Anglais bloquent tous nos ports. Personne ne sait ici les services que vous me rendez, au moins d’une manière positive. Je serai obligé de vous recommander quelques-uns de nos amis de Bordeaux, mais ne leur dites rien de nos affaires. Ils sont sans doute très honnêtes, mais l’honnêteté ne suffit pas.

Embrassez nos bons amis pour moi et surtout celui avec lequel vous me fîtes déjeuner un nommé Beaumes, semble-t-il, premier commis du domaine au département de la Seine. N’oubliez pas Giresse. Je vous embrasse".

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Chapitre deuxième

LA POLICE …. !

A Paris, sur une banale dénonciation, la police venait d’arrêter deux anciens Chevaliers de Saint-Louis, pensionnaires aux Invalides, Briançon et Bornier, un ex-maréchal des logis de la Reine, Pigenot-Lapalun, et le père du jeune Beaumes, ami d’Alexis de Noailles. Ils se réunissaient chez Bornier et avaient tenu, après boire, des propos qu’une oreille délicate avait trouvés "très répréhensibles".

Chez Beaumes, la police avait saisi plusieurs copies des pièces relatives aux affaires de Rome. Il fallait redoubler de discrétion et de prudence. Le 3 septembre, en possession de la lettre de Lafon depuis la veille, Alexis de Noailles prévient son correspondant, à mot couverts : "Soignez toujours mes affaires, comme vous le dites, avec une prudence infinie, pour ne pas choquer notre partie adverse qui commence à faire des siennes et à nous réclamer sérieusement. Je voudrais vous envoyer différents paiements, je ne sais trop comment faire. J’ai été obligé de mettre mon argent en lieu sûr. Vous pouvez compter sur moi dans l’occasion".

Lafon, ou un autre, lui avait remis certains documents écrits en latin : il les avait traduits ou fait traduire ; mais, pour le moment, il est plus prudent de suspendre toute correspondance, tant directe qu’indirecte : "J’ai réalisé vos médailles d’un style antique et nous les avons maintenant en très bonne monnaie française. J’ai encore divers paiements antérieurs à celui que je vous ai fait par ma dernière lettre de change, puis un grand et intéressant exposé de toute la gestion. N’écrivez que peu à ma bonne amie et point à moi d’ici quelques jours, jusqu’à ce que je vous mande que nous sommes moins accablés d’inquiétude. C’est une raison de ne laisser aune prise".

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Voici toutefois la réponse au sujet des dispositions de l’Empereur, appelé pour la circonstance le banqueroutier Julien : "Vous êtes trop habile en affaires pour avoir été séduit par une infernale protestation du banqueroutier Julien. Cet homme se voyant enfin vaincu par l’opinion publique, ne sachant comment s’en tirer, fait le bon apôtre et ne nous donne pas moins, du moins à nous, de fières preuves de sa rage. Quelle calamité que la distance et l’ascendant de ceux qui mentent effrontément ! Il est certain que le mauvais payeur, insolvable, a fait prendre à ses ayants cause une autre route, mais forcé par les circonstances et ne s’attendant point à ce qui est arrivé, à l’espèce de mépris qu’on aurait pour ses billets à ordre et à la pitié qu’inspireraient ceux qu’il a ruinés. Je pourrais vous en donner de fières preuves. Mais croyez-moi sur parole".

La police avait poursuivit ses opérations. Elle avait appréhendé le jeune Beaumes et sa mère, ainsi qu’un sieur Castellin, originaire de Marseille et paroissien de Saint-Sulpice. Le 9 septembre, le préfet de police faisait son premier rapport à Fouché :

"La dame Beaumes reconnut d’abord les pièces relatives au pape, qu’elle et son mari avaient recopiées, mais elle refusa de dire de qui elle les tenait. Elle prétendit qu’elle les avait reçues par la petite poste, et ce ne fut que dans un second interrogatoire, qu’elle subit le lendemain, qu’elle convînt que toutes ces pièces lui avait été remises par son fils, mais elle déclara en même temps qu’elle ne savait ni comment, ni par qui elles étaient parvenues à son fils.

Elle est convenue qu’elle avait envoyé copie de ces pièces à M. Fustier, aumônier des dames de Notre-Dame de Charité à Versailles, et une lettre de ce M. Fustier, trouvée dans ses papiers, la remercie de cet envoi, en cers termes : "Je vous remercie des détails que vous me donnez sur la personne qui nous intéresse tous ; ils m’ont fait grand plaisir et à ceux à qui j’en ai fait part. Quand vous en aurez d’autres, j’espère que vous voudrez bien encore me les faire parvenir.

…Beaumes fils, … a déclaré être premier commis à la Direction des domaines du Département. Quant aux pièces relatives au Pape, il a constamment soutenu qu’elles étaient parvenues à sa mère par la petite poste, et, lorsqu’on a mis en opposition les aveux de sa mère, il

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s’est référé à ses premières réponses et a refusé, avec une obstination et un sang-froid vraiment remarquable, de convenir de ce que sa mère avait avoué. Il a reconnu d’ailleurs toutes ces pièces et, quoiqu’au moment de l’arrestation de son père, il eût dit – ce qui est consigné au procès verbal – qu’il savait par qui avait été écrit toutes les pièces, il a refusé à son interrogatoire de faire connaître de qui il les tenait. Il a prétendu qu’il n’avait entendu parler que d’une seule pièce, écrite de la main de son père. Ce jeune homme s’est renfermé, en général, dans des dénégations absolues et a montré dans sa tenue pendant les interrogatoires et dans ses réponses le sang-froid d’un homme qui se croit martyr ou qui désirait l’être".

Tout le mal, d’après Dubois, venait des conférences de l’abbé Frayssinous. "C’est à ces conférences que Beaumes a fait connaissance de divers jeunes gens, comme lui nouveaux convertis et ayant aujourd’hui le zèle et la ferveur des néophytes. Les relations de ces jeunes dévots entre eux, l’association religieuse qu’ils ont établie et qu’il propage de tous leurs moyens, cette mysticité qu’ils prêchent sans cesse, cet attachement au Pape qui les distinguent, cette abnégation apparente d’eux-mêmes, tout cela est l’effet des conférences de Saint-Sulpice. Les jeunes gens, - et il y en a beaucoup, - qui les fréquentent, prennent goût à l’éloquence toute particulière de l’orateur ; ils deviennent pieux d’abord par ton et ensuite par esprit de parti, ils se voient les uns les autres, s’électrisent et vont porter à la société es maximes qui n’ont pas été explicitement débitées à la conférence, mais qu’ils professent tous, parce qu’ils se les ont inculquées dans les conversations qu’ils ont entre eux à la suite de ces conférences…"

L’encre du rapport n’était pas encore sèche que devant Pierre-Hugues Veyrat, inspecteur général du 4e arrondissement de la police générale de l’Empire, Marc-Antoine-Marguerite, Bouquet-Beaumes, âgé de 23 ans, natif de Lunel, département de l’Hérault, à Paris depuis 12 ans, premier commis à la Direction des Domaines, demeurant chez son père, rue de la Sourdière, n° 31, faisait une nouvelle déclaration : "Si jusqu’à présent j’ai résisté à nommer la personne qui m’a remis les pièces relatives au Pape, c’est que je craignais de la compromettre. D’après les assurances de bienveillance que vous manifestez pour elle et pour ma famille, je

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n’hésite pas à confier leur sort entre vos mains,je tiens ces pièces de M. Alexis de Noailles".

Le lendemain, à dix heures du matin, A. de Noailles était arrêté à son domicile, Place du Corps législatif, n° 79. Peu après Veyrat commençait l’interrogatoire.

L’inculpé n’était plus un enfant. Héritier des meilleures traditions de la noblesse de France, mûri à la rude école de la Révolution, il fut crâne et ne dit que ce qu’il voulut bien dire :

- Quelles sont vos relations avec M. Beaumes fils et à quelle époque ont-elles commencées ?

- Il y a à peu près deux ans que je le connais. Nous allons quelquefois ensemble visiter les malades dans les hôpitaux ; nous faisons des bonnes œuvres ; je n’ai pas d’autres relations avec lui.

- Quelle est la personne qui vous a fait faire sa connaissance et quelles sont celles que vous fréquentez ensemble ?

- Je ne peux pas répondre à cette question, ou pour mieux dire, je ne veux pas y répondre. Puisque je suis arrêté pour l’avoir connu,e ne veux pas procurer à d’autres les mêmes désagréments.

- Comment vous sont parvenus les pièces relatives au Pape que vous lui avez remises ?

- Il ne peut jamais avoir dit que je lui ai remises, ce qui serait contre la vérité.

- Persistez-vous dans cette dénégation ?

- J’y persiste ; je ne peux dire ce qui n’est pas vrai.

- Quel est le sieur Jean-Baptiste-Hyacinthe Lafon qui vous a adressé le 8 janvier dernier la lettre n° 4 que nous vous représentons ?

- J’ai fait connaissance avec lui, il y a cinq ans, en passant à Bordeaux.

- Quel présentement le motif de votre correspondance ?

- Le motif qui a toujours existé.

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- Quels sont ses rapports avec vous pour vous qualifier de respectable confrère.

- Nous avons visité quelques établissements pieux à Bordeaux et fait quelques bonnes œuvres, et de là, la première fois que je lui ai écris, je l’ai appelé mon cher confrère ; il m’a rendu ce titre en y ajoutant une preuve de déférence à mon égard.

- Qui est ce M. Giresse dont vous lui avez fait mention par la lettre que vous lui avez adressée le 12 décembre dernier ?

- C’est une personne avec laquelle il m’a fait faire connaissance à son arrivée à Paris.

- Quel est son état de demeure ?

- Point de réponse.

- Il faut vraiment que vous ayez de grands motifs pour faire de pareilles réponses ?

- Les lois sacrées de l’honneur me défendent, quoiqu’il n’y ait à cela aucun motif, de ne jamais citer ou nommer personne.

- Quelle est la personne qui vous a écrit la lettre n° 5 que nous vous représentons ?

- J’ai déjà répondu que je ne nommerai personne

- Il est constant que cette lettre vient du secrétaire de M. le cardinal Fesch, qui se nomme M. Feutrier.

- Si vous le savez, je n’ai pas besoin de vous le dire.

- Quelle est la personne qui vous a adressé, le 5 juin dernier, la pièce n° 37 trouvée dans les papiers de M. Beaumes fils, que nous vous représentons ?

- Si M. Beaumes ne l’a point nommée, j’obéis comme lui aux lois de l’amitié.

- Nous vous affirmons que M. Beaumes a déclaré affirmativement que tous les papiers relatifs à l’arrestation du Pape et à son voyage lui ont été remis par vous : nous vous invitons à vous expliquez franchement à cet égard ?

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- M. Beaumes a pu répondre et dire ce qu’il a voulu sur cet objet ; je persiste dans ma première réponse".

Malheureusement la lettre écrite par Lafon le 23 août avait été trouvée, déchirée en morceaux, dans la cheminée de Noailles. Réunir les fragments, lire le texte, pour la police ce fut un jeu. Trois nouvelles personnes étaient compromises : Lafon, Justus et Giresse.

Vingt-quatre heures plus tard, Veyrat avait devant lui Jean-Philippe Justus, âgé de 21 ans, né à Bordeaux, employé à la direction des Contributions, logé rue des Saints-Pères, n° 23.

-. Quel état exerciez-vous à Bordeaux ?

- Je n’en exerçais aucun. J’étais chez mon père qui était musicien.

-.Quelles étaient vos relations avec M. Lafon ?

- Celles d’avoir été 18 mois avec lui au collège de Figeac, où il était professeur de philosophie.

- Quel état exerce-t-il présentement ?

- Il est instituteur des enfants de M. Mareilhac négociant, demeurant à Bordeaux, aux Chartrons.

- M. Lafon a-t-il son domicile chez M. Mareilhac ?

- Oui, Monsieur.

- Indiquez-nous plus positivement la demeure de M. Mareilhac et la nature du commerce qu’il fait.

- Je crois que M. Mareilhac fait le commerce des vins et eaux-de-vie, mais ce n’est pas sûr. Je crois qu’il demeure au n° 34 de la Façade des Chartrons.

- M. Lafon jouit-il de quelque aisance ?

- Oui, Monsieur. Il a un bien de campagne à lui appartenant.

- Quelles sont les personnes qu’il fréquente à Bordeaux ?

- Il connaît M. Trocard, médecin, ayant été précepteur de ses enfants.

- Donnez-nous exactement le signalement de M. Lafon.

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- Il peut avoir cinq pieds un pouce. Il est brun et il a les yeux bleus. Il a les membres assez gros, quoiqu’il soit maigre de visage. Il a 36 ans environ.

- Quelles sont vos relations avec Mme Giresse ?

- J’ai été chez elle deux fois ; la première, j’y ai été conduit par M. Lafon ; la seconde, j’y suis allé seul pour lui faire une visite, il y a environ un mois.

- Que s’est-il passé dans l’entrevue qui a eu lieu en votre présence entre elle et M. Lafon ?

- C’était pour me faire connaître Mme Giresse.

- Quel motif a pu avoir M. Lafon pour vous faire connaître Mme Giresse ?

- C’est un motif de bienveillance, celui de me faire connaître à une personne qui a des rapports avec beaucoup de gens en place.

-Quels sont les gens en place avec lesquels elle a des relations ?

- Avec son Altesse Sérénissime le Prince archichancelier, avec plusieurs Sénateurs dont j’ignore les noms, mais il y en a qui demeurent à la Chaussée d’Antin.

- Mme. Giresse jouit-elle de beaucoup de fortune ?

- Oui, Monsieur ; et elle a des propriétés du côté de Bazas.

- Où demeure-t-elle positivement ?

- Dans la rue Castiglione.

- Quelles ont été vos relations avec M. Alexis de Noailles ?

- Aucune, car, je ne l’ai pas encore vu. Vous trouverez dans mes papiers une lettre que j’étais chargé de lui remettre.

- M. Lafon vous a fait connaître quelles étaient ses relations avec M. de Noailles ?

- Oui, Monsieur. Voici ce que m’a dit M. Lafon et ce que je sais, car j’en suis sûr. A Bordeaux, ainsi qu’à Paris, il existe une congrégation de jeunes gens dévoués au culte de la Vierge Marie.

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Les deux congrégations ont des rapports entre elles. M. Lafon a été préfet de la congrégation de Bordeaux et M. de Noailles de celle de Paris. M. de Noailles est venu à Bordeaux, je ne sais à quelle époque, et c’est à la congrégation de cette ville qu’il a fait la connaissance de M. Lafon. On ne fait dans ces réunions que des actes pieux.

- Où se tient la congrégation de Paris ?

- J’ignore le lieu où elle se rassemble. Si j’avais voulu y aller, je m’y serais fait conduire par M. Giresse, le fils, qui en est membre, ainsi que de celle de Bordeaux, parce que ces deux congrégations correspondent ensemble.

- De combien de personnes sont composées ces deux congrégation ?

- Celle de bordeaux est composée de 250 à 300 personnes, mais j’ignore quel est le nombre de celles qui composent celle de Paris.

- Indiquez-nous l’endroit où se réunit celle de Bordeaux.

- La congrégation a acheté l’église de la Madeleine ; c’est dans cette église où les membres de la congrégation se réunissent.

- Dans ces réunions, on s’y entretient d’objets relatifs au gouvernement ?

- Pendant l’assemblée, on ne s’occupe que d’exercices pieux ; mais avant et après l’assemblée, il y a des réunions particulières et secrètes, soit à la sacristie, soit dans différentes autres parties de l’église. C’est dans ces endroits particuliers que l’on s’entretient des affaires relatives à l’état actuel des choses et relatives à la politique. Quand j’ai été dans la réunion de Bordeaux, je n’ai jamais pris part à es réunions particulières.

- Quels sont les objets que M. Lafon a emportés de Paris ?

- Sous les rapports du gouvernement, il a emporté la lettre du Gouverneur de Rome au Pape et la lettre du Pape au ministre des Relations extérieures, et autres sur le même objet dont je ne me souvient point.

- Quelle est la personne qui lui a remis ces pièces ?

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- C’est M. Alexis de Noailles.

- Vous connaissez les opinions de M. Lafon relativement au gouvernement ?

- Je sais que M. Lafon a été vivement affecté de la dernière affaire qui a eu lieu entre le gouvernement français et le Pape, et il a, à ce sujet la tête très montée et très exaltée contre le gouvernement, et ce que j’expose ici est la suite des conversations que j’ai eues avec lui, il y a trois mois environ, époque à laquelle il était à Paris.

- Comment se trouve entre vos mains les deux lettres que nous vous présentons ?

- Celle adressée à M. Lafon est arrivée ici poste restante et je l’ai retirée conformément à sa demande. Celle adressée à M. de Noailles était incluse dans une des lettres que m’a écrites M. Lafon.

Justus ne devait pas être une tête bien équilibrée. S’il eût été plus objectif, il se fut gardé d’affirmer si catégoriquement des faits inexacts. Où a-t-il pris que la congrégation de Bordeaux avait acheté la Madeleine, quand l’abbé Chaminade ne l’occupait qu’en vertu d’un bail ? que A. de Noailles a été préfet de la congrégation de Paris, quand il n’en a jamais été membre ? Comment peut-il assurer que dans les réunions particulières de la congrégation, on s’occupait de politique, quand il avoue qu’il n’a jamais assisté à ces réunions ? Et que penser d’un individu qui, sans aucun motif, garde une lettre qu’un ami l’avait chargé de remettre ?

La police de Dubois ne fit pas toutes ces considérations ; elle enregistra avec satisfaction des déclarations qui pouvaient concourir à montrer sa vigilance. Le 12 septembre, un mandat d’amener était lancé de Paris contre Lafon, et, en attendant l’arrivée de celui-ci, Giresse fut interrogé ainsi que sa mère.

Quelque chose de l’attitude d’A. de Noailles se retrouve dans celle du jeune Giresse.

- Quelles sont les personnes que vous fréquentez à Paris ?

- Les connaissances de ma mère.

- Quelles sont-elles ?

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- M. Jaubert, procureur de la banque, M. le Sénateur Chollet, M. Journu-Aubert, Sénateur M. Boazan, auditeur au Conseil d’Etat et quelques autres dont je ne me ressouviens pas en ce moment.

- Quels sont les endroits que vous fréquentez le plus ordinairement ?

- Chez M. Jaubert.

- Quelles sont vos relations avec M. Beaumes fils ?

- Je le connais depuis que je suis à Paris ; nous nous voyons une ou deux fois par semaine, tantôt chez lui, tantôt chez nous.

- Quelle est la personne qui vous à fait faire sa connaissance ?

- Ce sont des lettres de recommandation de Bordeaux.

- Combien aviez-vous de lettres pour lui ?

- Je n’en avais aucune.

- Pour qui donc étaient les lettres de recommandation qui vous ont procuré sa connaissance ?

-Comme je ne veux mettre personne dans l’embarras, vous me permettrez de ne pas vous le dire.

- Vous vous êtes trouvé fréquemment avec lui dans des réunions de personnes pensant comme vous.

- Je me suis trouvé chez lui, chez moi, et chez d’autres personnes. Pour la même raison que je n’ai pas voulu vous dire pour qui j’avais des lettres de recommandation, je ne peux vous désigner ces personnes.

- Quelles sont vos relations avec M. de Noailles ?

- Les mêmes qu’avec M. de Beaumes.

- Ils vous ont communiqué divers écrits relatifs au Pape et à son départ de Rome ?

- J’ai eu connaissance de ces papiers-là, mais je ne veux pas dire qui m’en a donné communication.

- A quelle époque avez-vous été reçu à la congrégation de Bordeaux ?

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- Je n’ai jamais été reçu, parce que je n’ai pas passé par tous les grades nécessaires pour être admis à la congrégation.

- Quels sont les grades nécessaires pour être admis à la congrégation ?

- Le premier grade est celui de postulant. Ensuite, on est approbaniste ; on reste ordinairement deux ou trois mois dans ce grade. Enfin on est reçu congréganiste après qu’on a pris des renseignements sur la conduite de celui qui se présente.

- Quel est le chef de la congrégation de Bordeaux ?

- C’est l’abbé Chaminade, qui demeure près de l’église de la Magdeleine où la congrégation a lieu. Il est supérieur seulement.

- Quel est le grade que vous aviez ?

- J’étais approbaniste.

- Depuis que vous êtes à Paris, vous avez été avec MM. Beaumes fils et A. de Noailles à la congrégation où ils se réunissent ordinairement.

- Je me suis trouvé avec eux à Saint-Thomas d’Aquin, à Saint-Roche et à Saint-Sulpice.

- Expliquez franchement le motif de vos réunions.

- Chacun de nous, en particulier, récite un certain nombre de prières. Nos conversations ordinaires, après le service, roulent sur la piété, sur les nouvelles politiques relatives à Flessingue et à la guerre d’Allemagne.

- Quelles ont été vos relations avec M. Lafon à Bordeaux ?

- Il est membre de la congrégation de Bordeaux. Je l’ai vu une fois chez lui. Il est présentement préfet de la congrégation.

- Combien de fois vous a-t-il écrit depuis que vous avez quitté Bordeaux ?

- Il est venu à Paris, il y a environ deux mois. Je l’ai vu trois ou quatre fois chez moi où il a déjeuné, et je suis allé le voir, le jour de son départ, rue des Saints-Pères, où il logeait.

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- Il vous a donné communication de diverses pièces relatives au Pape, qu’il a emportées à Bordeaux ?

- Non, il ne m’a rien communiqué.

- Cependant vous avez eu communication des dites pièces tant par lui que par M. Beaumes et M. de Noailles ?

- Un grand nombre de personnes m’a parlé de ces pièces, mais je ne peux pas les nommer.

- Vous avez vu un recueil de ces pièces imprimées ?

- J’ai vu cet ouvrage imprimé, mais je ne l’ai pas lu.

- De quel format était-il ?

- Je ne me rappelle pas s’il était in-8° ou in-12.

- La personne qui avait ce volume, que vous a-t-elle dit de cet ouvrage ?

- Cette même personne m’avait dit quelques jours auparavant qu’il était étonnant qu’on imprimât ces pièces tandis qu’on faisait des perquisitions pour les trouver.

- A combien d’exemplaires vous a-t-elle dit que cet ouvrage avait été tiré ?

- Elle ne m’en a point parlé.

- Elle ne me l’a point nommé. Elle a dit seulement qu’il fallait que l’imprimeur soit bien hardi pour avoir fait cet ouvrage dans un moment où l’on en recherchait les pièces.

- Vous ne dites pas tout ce que vous savez à cet égard. Vous savez certainement où cet ouvrage a été imprimé et où en sont les exemplaires ?

- Vous sentez que d’après mes réponses précédentes, je ne pourrais pas vous dire où et par qui elles ont été imprimées, quand je le saurais.

- Pourriez-vous affirmer que M. Alexis de Noailles ne vous a pas fait voir cet ouvrage ?

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- S’il me l’avait fait voir, je ne le dirais pas.

- M. Lafon était-il seul dans les visites qu’il vous à rendues à votre domicile ?

- Il est venu me voir seul ; il y est venu avec un jeune homme de Bordeaux qui travaille dans les Contributions, et avec d’autres personnes de Bordeaux.

- Comment nommez-vous la personne avec qui il est venu chez vous ?

- Elle se nomme Justus.

- Pourquoi ne répondez-vous pas aussi franchement aux diverses questions que nous vous avons faites ?

- Je crois mes réponses dictées par l’honneur.

- A quelle époque avez-vous eu connaissance de l’arrestation de M. Alexis de Noailles ?

-Le jour même.

- Comment avez-vous été exactement instruit de l’époque de ces diverses arrestations ?

- J’en ai eu connaissance par les personnes qui se sont présentées à leur domicile pour les voir et à qui ont a dit qu’ils étaient arrêtés.

- Qui sont ces personnes ?

- Je ne peux vous les nommer.

- Mme Giresse était à Paris depuis neuf mois et vivait seule avec son fils étudiant en droit. Son interrogatoire porta spécialement sur ses relations avec les personnes compromises :

- Dans les visites que vous avez reçues de M. Lafon, il a dû vous donner communication de quelques pièces relatives au Pape et à son départ de Rome ?

- Non, Monsieur.

- Quelles sont les relations que vous et votre fils avez avec M. Beaumes fils ?

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- Des relations de société.

- Il allait fréquemment chez vous ?

- Très rarement et ses visites étaient courtes.

- Ses entrevues avec M. votre fils étaient certainement plus fréquentes ?

- Cela ne peut être, car mon fils est toujours avec moi.

- Quelles sont les relations que vous et votre fils avez avec M. Alexis de Noailles ?

- Des relations de société. Nous nous voyons ordinairement une ou deux fois par semaine.

- Il vous a donné communication des pièces relatives au Pape, dont nous avons parlé ?

- Non, Monsieur.

- Déclarez-vous que vous n’avez aucune connaissance des pièces relatives au Pape ?

- J’ai eu connaissance de ces pièces, il y a 7 ou 8 mois, époque où il me les a montrées.

- Quelle est la personne qui vous les a montrées ?

- Plusieurs personnes m’en ont parlé. Je ne vous dirai pas qui me les a montrées.

- Indiquez-nous les diverses personnes qui vous ont entretenu sur ces objets ?

- Je ne m’en souviens pas. D’ailleurs, comme il me paraît que j’ai été mandée à la police pour ce motif, je ne le dirai pas si je m’en souvenais, pour éviter d’autres désagrément.

Le lendemain, Mme Giresse dut subir encore quelques questions :

- Vous avez eu en votre possession un volume imprimé ayant pour titre : Correspondance authentique de la cour de Rome avec la France depuis l’invasion de l’Etat Romain jusqu’à l’arrestation -

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Non, Monsieur. J’ai vu le volume dont vous me parlez, sous le bras d’une personne. J’ai demandé à cette personne : qu’est-ce que vous avez là ? Elle répondit : c’est la correspondance du Pape. Je n’ai pas manifesté à cette personne le désire de la lire. Elle a continué son chemin avec ledit ouvrage.

- A quel endroit avez-vous rencontré cette personne ?

- Dans les environs des Tuileries.

- Etiez-vous seule quand vous avez rencontré cette personne ?

- Oui, Monsieur.

- Comment se nomme-t-elle ?

- Je ne peux la nommer, puisse qu’on attache une si grande importance à cet ouvrage.

- Combien y a-t-il de temps que vous avez rencontré cette personne ?

- Il y a dix ou douze jours.

- Votre fils n’était-il pas avec vous ?

- Non, Monsieur.

* * *

Avec les quelques renseignements qu’il avait obtenus au cours des divers interrogatoires, Dubois, le 15 septembre, rédigea un nouveau rapport. Il disait comment l’aveu de Beaumes fils avait amené l’arrestation d’Alexis de Noailles et comment une lettre trouvée chez ce dernier avait fourni les noms de Lafon, de Justus, de Giresse qu’il avait fait mettre en détention. Il concluait : « Giresse a avoué qu’il avait vu les pièces relatives au Pape imprimées et formant un volume, prétendant n’en pas connaître l’imprimeur et assurant que, quand il le saurait, il ne le ferait pas connaître. Tout donnant lieu de croire qu’il devait avoir vu cet imprimé entre les mains d’Alexis de Noailles, il lui avait fait la question suivante : « Pourriez-vous affirmer que M. Alexis de Noailles ne vous a pas fait voir cet ouvrage ? » Il a répondu : « S’il me l’avait fait voir, je ne le

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dirais pas. » Cette réponse, qui n’est point positive, ne détruit pas l’espèce de certitude que l’on a qu’Alexis de Noailles a eu entre les mains le recueil imprimé. Peut-être même qu’il en est l’éditeur et qu’il l’aura imprimé en Suisse où est son ancien précepteur, nommé Grellet, homme très dévot.

Le caractère des personnes arrêtées jusqu’ici, leur système de ne point nommer les individus qui partagent leur opinions et agissent assez de concert pour que chaque individu de le congrégation soit avertit à l’instant même de l’arrestation d’un des membres quel qu’il soit, donnent lieu de croire que l’on n’aura de plus grands renseignements sur cette affaire que quand Lafon aura été arrêté à Bordeaux et que ses papiers auront pu être saisis et examinés…. Je pense que les sieurs A. de Noailles, Justus et Giresse, doivent rester provisoirement détenus, jusqu’à ce que l’instruction complète de cette affaire permette de prendre, à leur égard, une mesure définitive. »

Fouché mentionnait tous les faits, toutes les arrestations dans son Bulletin quotidien ; il avait couvert de sa haute autorité le mandat d’amener lancé contre Lafon, mais, au total, il se réservait.

* * *

A Bordeaux, le commissaire général, Pierre Pierre, ne semble pas avoir mis beaucoup d’empressement à seconder les vues du préfet de police. Originaire de Marseille, il devait son poste à l’amitié de Lucien Bonaparte et peut-être à la reconnaissance de Laetitia. « Trop souvent,avait-il déclaré à son arrivée dans la ville le 28 mars 1800, la police, sous nos divers gouvernements, fut tour à tour l’instrument docile de la tyrannie ou l’arme meurtrière de la faiblesse… J’écrirai dans tous mes actes que tous les hommes sont égaux devait la loi, que nul n’a le droit de s’interposer entre Dieu et la conscience, que le maintien de la tranquillité publique est la seule mesure commune entre le magistrat et les religions. » De fait, au témoignage du royaliste Dupont-Constant, « il se conduisit avec modération, évita beaucoup de mal et, en servant la cause des nouveaux gouvernements, il n’oublia jamais les devoirs de l’humanité. » Dans

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ses Mémoires, le premier préfet de le Gironde, A.-C. Thibeaudeau, l’a croqué sur le vif : « Il fait de la rondeur et de la gaieté, plus d’esprit naturel que d’instruction. C’était un de ces patriotes provençaux effrayants de loin et très rassurant de près, en tout un bon homme, propre à réconcilier le public avec la police. » Lui-même écrira, en février 1815, s’appuyant sur le témoignage du ministère Lainé et rappelant son appartenance à la loge bordelaise de l’Amitié : « dans un temps où il était difficile de ne pas faire le mal, j’ai fait beaucoup de bien M… » Si nous ajoutons qu’il était plus opportuniste que serviteur convaincu du régime impérial et qu’en 1809, comme son patron Fouché, comme bien d’autres ; il se demandait ce que durerait ce régime, on comprendra son attitude relativement modérée dans l’affaire Noailles-Lafon. On le sent ici plus près de Fouché que de Dubois. On dirait qu’il cherche à gagner du temps.

Les ordres de Paris étaient arrivés à Bordeaux le 16. Lafon ne fut arrêté que le 19. Comme on lui demandait d’exhiber les papiers qu’il avait pour lui, il s’approcha « d’une fenêtre donnant sur la toiture des maisons voisines » et lança quelques feuilles que les policiers firent « vainement rechercher en pénétrant sur le toit ». L’interrogatoire conduit par Pierre en personne, fut sommaire :

- Vos noms ? Je me nomme Jean Lafon. Je suis âgé d’environ 35 ans – (il en avait 43) – professeur de belles-lettres et de mathématiques, natif de Pessac-sur-Dordogne, domicilié à Bordeaux, Façade des Chartrons, n° 22, chez le sieur Mareilhac, négociant.

- Y a-t-il longtemps que vous êtes à Bordeaux ?

- Il y a longtemps, y ayant fait mes études.

- Ne tenez-vous pas à l'état ecclésiastique ?

- Oui, j e suis diacre.

- Connaissez-vous le motif de votre arrestation, avez-vous, au moment où elle s'est opérée, jeté par la fenêtre de votre chambre des papiers que vous avez brusquement sortis de la poche supérieure de votre habit ?

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- Ces papiers ne m'appartenaient pas et regardaient les intérêts d'une famille. Je ne pouvais, sans manquer à la délicatesse, en abuser. Pour tout ce qui était à moi, je l'ai donné volontairement et librement.

- Cette famille est-elle française et en France ? Reconnaîtriez-vous les papiers dont il s'agit, si on vous les présentait ? Est-il papier libre ou timbré ? manuscrit ou imprimé ?

- Oui, je le reconnaîtrais si c'est le même. Il est papier libre et manuscrit.

- Y a-t-il longtemps que vous êtes instituteur des enfants de M. Mareilhac ?

- Il y a environ un an.

- N'avez-vous fait aucune absence de Bordeaux dans l'an passé chez M. Mareilhac ?

- Oui, j'ai été en Bretagne et à Paris.

- A quelle époque avez-vous été en Bretagne ? Dans quelle ville ? Et pour quels motifs ?

- Il y a environ 4 mois, j'ai été à Rennes par Nantes ; c'était pour affaires de commerce et affaires diverses.

- Vous êtes donc professeur et négociant ?

- Non, je ne suis allé que pour rendre service momentanément à M. Mareilhac.

- Les affaires de M. Mareilhac vous ont-elles aussi appelé à Paris ?

- J'ai passé par Paris pour venir à Bordeaux, parce que la route était plus agréable et moins dispendieuse.

- Connaissez-vous quelques ecclésiastiques à Bordeaux ?

- Je les connais tous.

- En fréquentez-vous quelques-uns particulièrement ?

- Je les vois tous indifféremment.

"Et plus n'a été interrogé."

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Dès le lendemain, le "chirurgien juré du commissariat général de police, de la mairie et des prisons" se rendait auprès de Lafon. Après avoir constaté que le détenu "est atteint d'un rhumatisme chronique nerveux, qui occupe le thorax, les articulations des bras avec les omoplates, les vertèbres cervicales et les enveloppes de la tête", estimant "que l'état de souffrance actuel... est dû : 1. à l'état chronique de la maladie ; 2. à l'intempérie de la saison", il attesta "que le Sr Lafon était hors d'état de supporter les secousses de la voiture, ni du cheval, et qu'il était urgent d'attendre 8 à 10 jours avant qu'il puisse être transporté."

Le 21 seulement, Pierre envoya son premier rapport à Paris. Il regrettait que les commissaires n'aient pas pu empêcher Lafon de jeter par la fenêtre des papiers qu'on n'avait pas retrouvés. Pour obvier aux conséquences de ce geste, il avait fait subir à Lafon un interrogatoire dont il envoyait le texte en même temps que les écrits saisis dans la chambre du prévenu. "La nature de ses réponses et ce que j'ai appris sur ses principes antigallicans, ajoutait-il, m'ont engagé à ordonner des perquisitions secrètes dont je n'aurai l'honneur de vous rendre compte que demain, parce que tous les rapports ne me sont pas encore parvenus. Je profiterai de l'estafette de la loterie pour que le résumé de ces rapports vous arrive même avant cette lettre". Notant que Lafon ne pourrait pas être mis en route avant quelques jours, il poursuivait : "Ce retard vous donne le temps, Monsieur le conseiller d'Etat, - il s'adressait à Dubois, préfet de police, - de me répondre par l'estafette impériale qui part tous les jours de Paris pour l'Espagne. Quant aux frais de translation, je suis persuadé que la gent dévote qui a paru prendre le plus grand intérêt à la situation de cet individu, et le citoyen Mareilhac lui-même y pourvoiront."

Le lendemain, effectivement, Pierre est un peu mieux renseigné. Il a lu ou fait lire les lettres d'A. de Noailles, trouvées chez Lafon, quelques indicateurs officieux sont venus à son aide : sans prendre les choses au tragique, il rend compte : "Ce sieur Lafon est un ecclésiastique dont les principes sont tout à fait ultramontains. Il parait qu'il entretenait une correspondance relative au Pape avec quelques personnes de Paris. Il avait soin de donner à cette correspondance une forme qui paraissait étrangère à son objet, afin qu'elle ne fût comprise que de ceux-là seuls qui en avaient la clef. On

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cite un Sr Noailles et un Sr Montmorency-arrêtés à Paris - c'était faux pour Mathieu de Montmorency qui n'a jamais été compromis pour cette affaire et qui se trouvait alors à Aix ou à Coppet - et on prétend que c'est à eux, entre autres, qu'il écrivait ses doléances sur ce qu'il appelait - l'enlèvement du Pape, le vol de ses biens temporels et l'affreux état en France de la religion catholique, apostolique et romaine. D'où je puis conclure que les papiers jetés par la fenêtre étaient ou quelques lettres de ces Messieurs, ou l'écrit qui circule clandestinement en France, depuis quelques jours, intitulé : Correspondance authentique de la Cour de Rome avec la France."

Le commissaire avait fait une autre découverte, ou plutôt il avait redécouvert l'association qu'il surveillait déjà en l'an IX. "Il y a ici, disait-il une congrégation de fanatiques, dirigée par un Sr Chaminade, qui est le confesseur du Sr Lafon. Ce sont ces congréganistes, le directeur Chaminade en tête, qui, les premiers, sont allés visiter le Sr Lafon au dépôt, où il est détenu. Il parait qu'il y a une affiliation entre cette congrégation et quelque autre de cette espèce à Paris, peut-être même les sieurs Noailles et Montmorency. Je vais tâcher d'avoir quelques éclaircissements là-dessus en mandant le directeur Chaminade, et j'aurai l'honneur de vous les transmettre, si vous pensez qu'ils vous soient nécessaire dans l'affaire du Sr Lafon, tandis que de votre côté vous jugerez à propos, peut-être, d'interroger sur cette congrégation et ses affiliations, à. Paris. J'attends M. le Conseiller d'Etat, votre décision pour la translation de cet individu, qui parait réellement,.mais, légèrement indisposé."

En somme, rien que Dubois ne sût déjà ; donc rien de compromettant. Pierre n'aurait sans doute pas demandé mieux que de recevoir du préfet, de police de Paris l'ordre de remettre Lafon en liberté. Il avait annoncé son intention de convoquer l'abbé Chaminade. Il ne l'avait pas encore fait, quand celui-ci lui écrivit le 24 :

Monsieur le Commissaire général,

M. Lafon me fit demander pour le confesser, aussitôt après son arrestation, sur ce que son confesseur était absent et même loin de Bordeaux.

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Je ne crus pas devoir lui refuser les secours et les consolations de mon ministère je me transportai, le lendemain au soir, à la prison.

Réfléchissant depuis, que la police pouvait avoir intérêt à connaître le motif des visites qu'on rendait à M. Lafon, je n'ai pas voulu lui continuer mes services sans vous en faire connaître l'objet et avant d'avoir votre assentiment positif. Je suis prêt à me transporter chez vous, si vous croyez que ces considérations méritent un plus long entretien.

Je suis avec un très profond respect... "

Cette lettre semble être restée sans réponse. Pierre savait à quoi s'en tenir.

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Chapitre troisième

AVEUX ET RETICENCES

Aynés, de Lyon, venait d'imprimer clandestinement la Correspondance authentique de la cour de Rome avec la France et la diffusait en dépit des efforts de la police impériale. Persuadé qu'il était sur la piste d'un complot de première importance, Dubois n'était pas homme à perdre le bénéfice, de ses découvertes. Le 25 septembre, par l'estafette de la loterie impériale, il réclama .à Pierre Pierre le transfert de Lafon à Paris.

Sur ce, il apprit qu'un libraire lyonnais, de passage à Paris, insistait pour voir A. de Noailles. Il le fit arrêter et interroger aussitôt.

- Quels sont vos noms, prénoms, âge, lieu de naissance, profession et domicile actuel ?

- Je m'appelle Pierre-Simon Ballanche, âgé de 32 ans, natif de Lyon, imprimeur-libraire, logé rue du Colombier, Hôtel de Saxe.

- Depuis quelle époque êtes-vous à Paris ?

- Depuis le 4 juillet dernier.

- Quels sont les amis que vous avez vus depuis votre arrivée à Paris ?

- J'ai vu M. de Chateaubriand avec qui nous avons quelques relations d'affaires, étant propriétaire de son premier ouvrage, le Génie du Christianisme. J'ai vu aussi M. d'Herbonville, préfet du Rhône et enfin M. Alexis de Noailles que j'ai vu trois fois.

- Où ont eu lieu vos entrevues avec M. Alexis de Noailles et à quelle époque ?

- Depuis mon voyage en Normandie, je -me suis rendu trois fois à son domicile.

- Quel est le motif qui vous a amené près de lui ?

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- La veille de mon départ pour la Normandie, je le rencontrai rue de Grenelle-Saint-Honoré. Il me fit des reproches obligeantes sur ce que j'étais à Paris sans aller le voir. C'est ce qui m'a engagé, à mon retour de la Normandie, à aller trois fois chez lui.

- Avec quelles personnes vous êtes-vous trouvé chez M. de Noailles ?

- Deux fois j'ai rencontré une personne différente que j e n'ai pas connue.

- Sur quoi a roulé votre conversation ?

- Nous avons parlé de différents objets et un peu des affaires actuelles concernant la politique.

- Donnez-nous une explication à cet égard, c'est-à-dire rendez-nous compte de votre conversation politique.

- Nous avons parlé de l'Empereur, du Pape et de nos armées.

- Depuis quelle époque connaissez-vous M. de Noailles ?

- Il y a 6 ans, à peu près, que j'ai fait sa connaissance chez M. Degérando.

- Quelles sont les relations que vous avez entretenues avec lui depuis cette époque ?

- Je n'ai entretenu d'autres relations avec lui que de le voir quelquefois à Paris, chaque fois que j'y suis venu.

- Veniez-vous fréquemment à Paris ?

- Une ou deux fois par an.

- Faites-nous connaître les différentes époques où vous avez reçu la visite de M. Noailles à Lyon.

- Il est très possible que je l'aie vu à Lyon, mais je n'en ai pas la certitude. Je suis assez souvent absent de Lyon et il est possible qu'il soit venu en mon absence.

- Quelles sont les affaires d'intérêt que vous avez traitées avec lui directement ou indirectement ?

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- Aucune.

- Reconnaissez-vous le volume que nous vous présentons, ayant pour titre : Correspondance authentique de la cour de Rome avec la France depuis l'invasion de l'Etat romain jusqu'à l'enlèvement du Souverain Pontife ?

- Je ne le connais point.

- Pourriez-vous nous dire où cet ouvrage a été imprimé et broché ?

- Je soupçonne que c'est dans quelque ville du Midi, et plus particulièrement à Avignon.

- Vous êtes membre de la congrégation de Lyon ?

- Oui, Monsieur.

- Quel est le préfet de cette congrégation ?

- C'est M. Filpin, qui est le préfet de cette congrégation. Il demeure à Lyon, chez M. Prudan ? il est son commis quincaillier, Place de la Comédie.

- Vous avez été à la congrégation de Lyon avec M. de Noailles ?

- C'est très possible, mais je ne puis l'affirmer.

- A quel endroit se tient la congrégation de Lyon ?

- Elle n'a point de lieu fixe.

- Mais, où vous êtes-vous réunis avec les autres membres ?

- Quelquefois dans une chapelle des Chartreux et chez un des membres, M. Coste, agent de change, Pont Sainte-Claire. Nous nous sommes réunis parce qu'il a un salon très grand. Nous nous sommes réunis aussi rue de la Vieille Monnaie, chez un Monsieur Mièvre, que je crois mort.

- Quel est le nombre des membres de cette congrégation ?

- Autant que j e peux en juger par la grandeur du salon de M. Coste, je pense que nous ne sommes qu'une quarantaine de membre ; tout au plus.

- Quels sont les titres et qualités nécessaires pour y être admis ?

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- C'est de pratiquer la religion et d'exercer les œuvres de charité.

- Nous avons une parfaite connaissance que les membres de cette réunion s'y entretiennent de politique et des nouvelles du jour relativement au gouvernement. Le but de la réunion, est, comme je l'ai dit, d'exercer des actes de religion. Il est vraisemblable qu'on s'y entretient aussi de politique et des nouvelles du jour avant ou après la séance ; mais je déclare n'avoir rien entendu de répréhensible.

- Si vous n'avez â exercer que des actes de religion, pourquoi ne les exercez-vous pas dans les églises qui sont ouvertes et publiques pour tout le monde ?

- Cette réunion s'est formée â une époque où le culte n'était pas libre, et depuis qu'il l'est devenu, nous avons continué comme par le passé, mais avec moins de secret.

- Il paraît que votre réunion n'est composée que de jeunes gens ?

- Nous sommes tous âgés de 20 à 30 ans environ.

- Y a-t-il dans vos réunions des personnes membres des autorités ?

- Je peux dire que non.

- Quel est le motif qui vous a engagé à quitter Paris pour vous rendre en Normandie ?

- J'y suis allé accompagner M. et Mme de Chateaubriand qui n'avaient d'autre but que de voir le pays.

- M. de Noailles vous a communiqué des manuscrits relatifs au Pape et à son voyage en France ?

- Il m'en a parlé ; mais il ne me les a pas communiqués.

Pour un homme prévenu comme Dubois, les réponses de Ballanche rendaient un fait évident : les congréganistes s'occupaient du gouvernement et Alexis de Noailles n'était pas un inconnu pour eux, que ce soit à Paris, à Bordeaux ou à Lyon. Dans ces conditions, l'interrogatoire de Lafon revêtait une importance particulière. Vainement dans un entretien particulier, puis au moyen d'une note écrite, Alexis de Noailles avait essayé d'endormir les soupçons du préfet de police et de le faire revenir sur ses décisions ; Dubois. fut

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inflexible : Lafon devait être amené à Paris et Giresse, Justus, A. de Noailles maintenus au secret jusqu'à son interrogatoire.

Le 30 septembre, à 5 heures du matin, le prisonnier quittait Bordeaux en diligence "sous la conduite et la responsabilité d'un commissaire de police et sous l'escorte d'un gendarme sûr et intelligent". Pierre Pierre, quelques heures plus tard envoyait une note au préfet de police pour annoncer l'arrivée prochaine du prévenu. "Cette translation, disait-il, se fait aux frais de ce détenu ou plutôt aux frais des personnes qui ont fourni les fonds pour cet objet, et qui n'ont donné que le nécessaire. Je sais même que quelques-uns des gens qui ont mis en avant cet instituteur, ont reculé lorsqu'il a été question de faire quelques avances". Il ajoutait : "D'après les renseignements particuliers qui me sont parvenus depuis ma lettre du 22 de ce mois..., il parait que le Sr Lafon est décidé à parler. Les papiers jetés par lui étaient, à ce que j'ai su, une bulle du Pape sur les derniers événements. Il croyait qu'on ne recherchait que cette pièce et ne pensait pas que sa correspondance avec le Sr Noailles eût été interceptée à Paris".

Le 5 octobre, Lafon se trouvait en face de Pierre-Hugues Veyrat "un des inspecteurs les plus en vue de la préfecture..., un ancien prisonnier, ancien faux-monnayeur, mais, ... intime avec le valet de chambre de Napoléon, Constant".

- Rendez-nous compte de tout ce qui est à votre connaissance de relatif aux congrégations qui existent à Bordeaux, Lyon et Paris.

- La congrégation de Bordeaux est une réunion de jeunes gens au nombre d'environ trois ou quatre cents. On y est admis dès l'âge de 18 ans jusqu'à 30. Elle tient ses séances le dimanche soir seulement, dans l'église de la Madeleine. Le but de cette réunion a été et est toujours de former les jeunes gens à la vertu, en se consacrant spécialement au culte de la très sainte Vierge. Il y a trois grades d'admission : le premier est celui de prétendant, le second celui d'approbaniste et le troisième celui de congréganiste. On est admis à ce dernier grade 2 ou 3 mois après avoir été approbaniste. Les femmes ne sont point admises aux exercices de la congrégation.

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- Vous ne dites pas tout ce que vous savez à cet égard ; d'autres membres de ces congrégations sont convenus qu'avant et après le service dont vous venez de parler, une partie des membres de la congrégation se réunissent en comité particulier et secret où ils passent en revue les opérations du gouvernement. Nous vous invitons à vous expliquer franchement à cet égard.

- Je jure sur mon âme et conscience que dans aucune assemblée, soit publique, soit particulière, il n'est venu à ma connaissance qu'on ait parlé contre le gouvernement.

- Nous vous mettrons en présence de membres de la congrégation de Bordeaux, et ils attesteront, en votre présence, ainsi qu'ils l'ont déjà fait dans les divers interrogatoires qu'ils ont subis, que les membres de votre congrégation se formant en comité secret, discutent sur les affaires relatives au gouvernement, sur nos armées, sur notre position avec les puissances étrangères, et que, dans toutes les occasions, toutes nos opérations militaires sont blâmées et présentées de manière à affaiblir la confiance que l'on doit avoir dans notre gouvernement.

- Je persiste dans ma réponse précédente et j'ajoute que le but de ces assemblées a toujours été, à ma connaissance, diamétralement opposé aux inculpations citées. J'ajoute encore que moi en mon particulier ainsi que plusieurs membres de ma, connaissance nous avons fait un devoir de conscience aux jeunes gens et de prier pour le gouvernement et de partir pour les armées.

- Quel est le grade que vous avez eu dans la congrégation et celui que vous avez encore ?

- J'ai eu le grade de préfet, il y a environ 3 ans pour la seconde fois, car je l'avais été un an auparavant. Chaque fois je suis resté six mois en fonction.

- Comment nommez-vous le préfet actuel ?

- M. Patrice Lacombe, négociant à Bordeaux et demeurant rue Poitevine.

- Depuis quelle époque est-il préfet ?

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- Il y a 5 ou 6 mois.

- Quelles sont vos relations avec les congréganistes de Lyon et de Pari ?

- Je ne sais pas si quelques membres de la congrégation de Bordeaux en ont avec celles de Lyon et, avec celle de Paris, n'avoir été en correspondance qu'avec M. de Noailles.

- Quel est le motif de votre correspondance avec M. de Noailles ?

- En principe une correspondance d'amitié et de confiance, ayant pour but de lui recommander les jeunes gens de Bordeaux qui viendraient à Paris afin qu'il veillât sur la conservation de leurs mœurs.

- Quelles sont les pièces arrivées en vos mains relatives au Pape et à son voyage en France ?

- La correspondance diplomatique de la cour de Rome avec le gouvernement français et la bulle du Pape.

- Quelle est la personne qui vous a fait parvenir cette pièce ?

- M. Alexis de Noailles.

- Quel usage en avez-vous fait ?

- Je l'ai lue et j'en ai donné connaissance à quelques amis.

- Quel motif avez-vous eu en propageant ces pièces ainsi que vous l'avez fait ?

- Mon motif, en parlant de la bulle, a été de tranquilliser les consciences et d'empêcher une division dans l'Eglise.

- Reconnaissez-vous l'ouvrage que nous vous représentons, ayant pour titre : Correspondance authentique de la cour de Rome avec la France depuis l'invasion de l'Etat romain jusqu'à l'enlèvement du Souverain Pontife ?

- Je connais l'ouvrage en manuscrit, mais je ne l'ai jamais vu imprimé. C'est M. Alexis de Noailles qui me l'a remis à Paris, et il portait le même titre que celui que vous me représentez.

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- Quel emploi avez-vous fait de ce manuscrit ?

- J'en ai communiqué quelques fragments à M. Justus à Paris, et j'ai directement emporté cet ouvrage à Bordeaux, et je l'ai remis à quelques connaissances membres de la congrégation et autres.

- Quelles ont été vos relations pendant votre séjour à Paris avec M. Alexis de Noailles, Beaumes, Giresse et Justus ?

- J'ai vu M. Alexis de Noailles quatre ou cinq fois. J'ai déjeuné deux fois avec lui et M. Beaumes s'y est rencontré une fois. J'ai connu M. Giresse pendant le temps qu'il était à Bordeaux ; j'ai déjeuné une fois chez lui. Quant à M. Justus, j'ai logé chez lui pendant tout le temps que je suis resté à Paris, comme ancienne connaissance.

- Quel est le motif qui vous a amené alors à Paris ?

-J'étais à Rennes. La beauté de la route pour venir à Bordeaux, le désir de connaître l'organisation de l'Université et l'état des affaires de l'Eglise furent les motifs de mon passage à Paris.

- A quelle époque avez-vous pris et quitté l'habit ecclésiastique ?

- Je l'ai pris avant la Révolution et quitté à l’époque de la Révolution.

- Quels sont les endroits particuliers à Bordeaux où les congréganistes se sont réunis ?

- J'ignore dans quels endroits particuliers les congréganistes se sont réunis. Mais j'observe cependant qu'ils se sont réunis quelquefois au domicile de M. Chaminade, directeur de la congrégation.

- En quel nombre se sont-ils réunis chez lui ?

- Dix, quinze, vingt et plus.

- Vous êtes-vous trouvé quelquefois dans ces réunions ?

- Oui.

- Quel était le but de ces réunions, et de quoi y traitait-on ?

- On y parlait de la religion et des moyens de former les jeunes à la vertu.

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La matinée devait être très avancée. L'inspecteur suspendit l'interrogatoire. Aussi bien, il fallait faire le point avant de préparer d'autres questions.

Depuis le jour de son arrestation, Lafon avait eu le temps de réfléchir. D'une manière ou d'une autre, il avait appris les arrestations opérées à Paris. Pierre Pierre lui avait sans doute laissé entendre que des lettres de lui avaient été saisies chez Alexis de Noailles et chez Justus. Dès lors à quoi bon vouloir nier les faits dont la police avait les preuves ? Avouer sur ce point serait encore le meilleur moyen de disposer les enquêteurs à écouter favorablement les explications par lesquelles il essayerait de se justifier ou de diminuer ses torts. Par contre, il fallait éviter de mettre en cause qui n'était pas encore compromis.

Il n'y avait rien à cacher sur la congrégation. Les réponses de Lafon sont aussi exactes qu'on peut le demander à un caractère aussi imaginatif que le sien. Les registres indiquent qu'il a été préfet une première fois au premier trimestre de 1802, une seconde fois au premier trimestre de 1803 et une troisième fois au deuxième semestre de 1805 : ces renseignements ne concordent pas exactement avec ceux qu'il donna à ce- sujet, mais on ne voit pas quel intérêt il aurait eu à altérer la vérité ; une confusion de souvenirs est possible.

En 1804 ou 1805, le préfet de la congrégation de Bordeaux était allé à Lyon et était entré en contact avec l'association du P. Roger. Il s'appelait Ferlat. A son retour, il était porteur d'une lettre pour l'abbé Chaminade. L'auteur qui signait Chaulet fils, marchand de bas, Place de l'Herberie, n° 11 - sans doute le préfet - exprimait le désir de correspondre avec Bordeaux, comme, il le faisait avec les autres villes. Les deux sociétés, disait-il, "celles de Bordeaux et de Lyon, doivent être également unies par les nœuds de la fraternité et de la confiance. La vôtre a pour elle la plus grande publicité, la nôtre est forcée d'agir dans le secret, avec prudence et discrétion". Il proposait l'accueil réciproque des congréganistes qui passeraient d'une ville dans, l'autre. Il y a tout lieu de croire que l'offre fut acceptée. Mais s'il y eut des relations entre les deux associations, elles durent être rares elles n'ont laissé aucune trace dans les papiers de la

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congrégation de Bordeaux. Lafon, en 1809, pouvait très bien tout ignorer à ce sujet.

Giresse avait reconnu, on s'en souvient, qu'il s'était rencontré à Paris avec des congréganistes et qu'avant les réunions de piété, on avait parlé des nouvelles, politiques, de Flessingue et de la guerre d'Allemagne. Justus avait déclaré qu'à Bordeaux, avant ou après l'assemblée, on se groupait dans la sacristie ou dans d'autres parties de l'église et qu'on parlait des nouvelles politiques. Les deux jeunes gens pouvaient avoir raison : chaque fois que des hommes se rencontrent, il est normal qu'ils en viennent à échanger leurs idées sur les événements du jour, qu'ils soient à la terrasse d'un café ou devant le porche d'une église. A Bordeaux, dans la chapelle de la Madeleine, la tribune alors fermée par une cloison et la sacristie du premier étage étaient affectées aux réunions de divisions et servaient aussi de salles de jeux. Il serait bien étonnant que les congréganistes n'aient jamais commenté en ces lieux les bruits de la rue avant de passer à la chapelle pour l'office, ou après leurs réunions. L'inspecteur Veyrat exagérait quand il prenait des conversations accidentelles pour une caractéristique des congrégations. Lafon n'avait pas tort de démentir.

D'un autre côté, il semble avoir manqué d'objectivité en affirmant qu'il avait vu entre les mains d'Alexis de Noailles le manuscrit du livre intitulé : Correspondance authentique de la cour de Rome avec la France depuis l'invasion de l'Etat romain jusqu'à l'enlèvement du Souverain Pontife. Il est assez vraisemblable qu'il n'aura vu qu'un manuscrit portant un titre analogue et contenant la plus grande partie des pièces qui furent publiées à Lyon au début du mois d'août, celles-là même qui furent saisies chez Beaumes et qui se retrouvent aujourd'hui aux archives de la préfecture de police à Paris. Alexis de Noailles protestera énergiquement quand il apprendra la déclaration de Lafon. Celui-ci n'avait aucun intérêt à parler comme il l'a fait, mais il a très bien pu attacher, plus d'importance aux pièces elles-mêmes qu'au titre exact et se méprendre. S'il eût été plus défiant de lui, il eût été moins catégorique dans son affirmation.

Où sa sincérité est plus discutable, c'est quand il prétend n'avoir eu d'autre but, en répandant la bulle, que de tranquilliser les consciences. Son passé, aussi bien que sa conduite ultérieure,

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repousse une telle explication : nous n'avons plus ici qu'un accusé qui tente de se justifier. L'interrogatoire reprit le jour même :

- Quels étaient les papiers que vous avez jetés par la croisée de votre chambre à Bordeaux, au moment de votre arrestation ?

- La bulle du Pape.

- Vous avez jeté par la croisée divers papiers. Expliquez-vous mieux à cet égard ?

- J'affirme et j'assure sur mon honneur qu'il n'y avait que la bulle du Pape, consistant en un cahier manuscrit.

- Que sont devenus, ces papiers ?

- Je n'en ai aucune connaissance depuis mon arrestation.

- Puisque vous prétendez avoir attaché peu d'importance à ces pièces, pourquoi vous êtes-vous empressé, au moment où vous avez été arrêté, de les jeter par la croisée ?

- En jetant la bulle du Pape, j'avais l'espoir de la conserver et d'y puiser un jour les motifs qui prouveraient mon innocence.

- Expliquez-nous votre réponse. Comment avez-vous pensé trouver dans cette pièce des motifs pour prouver votre innocence ?

- L'opinion publique, presque toujours égarée, avait répandu que le chef du gouvernement et ses membres étaient frappés de censure. On allait même jusqu'à dire que les évêques étaient excommuniés. Or, par le dispositif de la bulle, je prouvais que ni le chef du gouvernement, ni les membres, ni les évêques n'étaient sous aucun rapport frappés des susdites censures. En conséquence, en faisant connaître le dispositif de la bulle, avec les explications qui se présentent naturellement, j'assurais la tranquillité publique, je calmais les consciences, j'évitais les divisions, et c'est sous ce rapport-là que j'ai dit que, par le dispositif de la bulle, je prouvais mon innocence.

Voilà, certes, une explication que l'inspecteur n'attendait pas et qui, avouons-le, était assez spécieuse. Veyrat sursaute :

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- Avez-vous envie de nous faire croire que vous, l'un des chefs d'une congrégation dont les membres ont donné des preuves non récusables de leur haine pour le gouvernement, avez-vous envie, dis-je, de nous persuader que vous en êtes devenu. le défenseur contre l'opinion de tous les membres de votre société ?

- J'ai l'intention de dire la vérité. Si quelques membres ont cherché à nuire au gouvernement, je ne me suis jamais associé à leurs machinations, et je déclare que j'ai toujours montré pour le gouvernement le respect le plus inviolable.

- Si ce sentiment eût existé en vous, vous n'auriez point été conduit de Bordeaux à Paris, mais nous vous prouverons, par vos écrits mêmes, que vous vous êtes déclaré et avez agi comme ennemi implacable de notre gouvernement.

- Je n'ai jamais parlé que des écrits du Souverain Pontife qui avaient rapport à la religion. Or, agir ainsi, ce n'est point se montrer l'ennemi d'un gouvernement qui protège la religion.

L'interrogatoire prend un peu l'allure d'une altercation :

- Vous n'avez point l'honneur d'être l'un des ministres des autels. Si vous étiez dans ce cas, vous vous seriez conformé aux lois et votre conscience aurait dû être d'accord avec elles. Vous, simple instituteur des enfants de M. Mareilhac, à quel titre avez-vous pu vous permettre de préciser et d'interpréter les actes du gouvernement relativement à la religion et au Pape ?

- Il est vrai que je n'ai pas l'honneur d'être ministre de la religion, mais j'ai l'honneur de lui appartenir comme diacre. En interprétant la bulle du Pape, j'ai usé d'un droit qu'ont tous les citoyens, quand la loi ne le défend pas.

Cette réponse, fait,. avec dignité, ramène le calme.

- Vous nous avez dit que, pour conserver les pièces que vous aviez, relativement au Pape, vous les aviez abandonnées en les jetant par la croisée : vous concevez que c'est un singulier moyen pour conserver les choses. Dites plutôt que vous vous trouviez compromis par l'usage que vous aviez fait de ces mêmes pièces.

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- Je répète que j'avais jeté cette pièce dans l'espérance de la retrouver. Mais j'ajoute que si j'étais à le faire, je ne le ferais pas. Il n'en est pas moins vrai que mon intention a toujours été de développer la bulle dans le sens que j e viens d'indiquer.

Il est manifestement inutile d'insister : le prévenu n'abandonnera pas son système de défense. L'inspecteur pose alors quelques questions sur diverses lettres saisies au domicile de l'inculpé. Il n'y a rien de compromettant ; çà et là quelques allusions à la congrégation, parce que les correspondants de Lafon sont des congréganistes ou l'abbé Chaminade, mais le sens est obvie il ne s'agit que d'une "correspondance d'amitié et de religion".

Il y a plus de mystère, naturellement, dans les lettres échangées avec Alexis de Noailles. Des neuf qui avaient été retrouvées à Bordeaux, les plus anciennes remontaient à la première visite de Noailles aux congréganistes bordelais et éclairaient les origines des relations entre l'œuvre de Bordeaux et celle de Paris. C'étaient les moins dangereuses. Une, du 12 décembre 1808, relatait l'admission de Giresse dans la congrégation de Paris, sur la demande de Lafon et avec la recommandation de Noailles, événement anodin au fond. Les moins claires et les plus compromettantes étaient celles des mois d'août et septembre 1809. Veyrat s'acharna vainement à obtenir l'aveu d'un vaste complot : Lafon s'en tint à son attitude du matin et ne livra à la police aucune victime nouvelle :

- Quel est l'ouvrage de littérature dont il est question dans cette pièce ?

- La correspondance diplomatique du Pape avec le gouvernement français.

- Quel est le négociant en chef qui est sourd et qui parle difficilement, à qui on fait des reproches de ne l'avoir pas communiqué ?

- C'est un homme que M. de Noailles connaît ainsi que moi et qu'il me paraît peu important de nommer.

- Rien ne peut vous autoriser à garder le silence sur les questions que nous devons vous faire. Nous vous engageons à vous expliquer

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franchement sur les diverses questions que nous devons vous adresser.

- Il y a des égards à garder, et je crois l'autorité trop juste pour me forcer à les violer.

- Par votre manière de répondre, vous fortifiez les préventions déjà fortement établies sur vous. Si, ainsi que vous le dites, votre conduite a toujours été loyale, si vous n'avez jamais eu l'intention d'agir contre le gouvernement, vous devez vous expliquer avec plus de loyauté.

- Puisque vous insistez et que vous exigez de moi ce que je croyais ne pouvoir dire à cause d'autrui, je dis que par ces mots M. de Noailles, dans une de ses lettres avait entendu désigner, du moins je l'ai cru, Monsieur l'archevêque de Bordeaux, et qu'à mon tour, je m'étais servi des mêmes expressions. J'avais appris qu'il avait eu connaissance, de cette correspondance du Pape et, à raison de l'inquiétude des esprits qui étaient portés à croire que le Pape avait tout renversé dans l'ordre de la religion en France, j'aurais désiré que Monsieur l'archevêque eût fait connaître ces actes diplomatiques, dans quelques-uns desquels le Pape recommande l'obéissance, la tranquillité et le respect dû aux personnes et aux propriétés. Voilà sur quoi est fondé mon reproche.

- Expliquez-nous les mots suivants faisant partie de ladite pièce : "Comptez que je ne néglige rien pour l'affaire importante que vous m'avez confiée".

- Par ces mots, j'entendais dire que je ferais tout au monde pour faire connaître ce qui aurait rapport à la religion émanant de la cour de Rome, comme nous en étions convenus.

- Vous ajoutez que quelques personnes annoncent des dispositions hostiles : expliquez-vous à ce sujet.

- J'ai voulu dire et j'ai entendu dire que certaines personnes, après les bruits qui couraient croyaient ne devoir plus communiquer avec les prêtres catholiques, prétendant qu'il y avait une bulle qui les frappait de censures ecclésiastiques. Je niais le fait et je prétendais que le Pape n'exercerait pas un tel acte de rigueur qui conduirait à

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de grands malheurs ; voilà pourquoi je disais qu'ils annonçaient des dispositions hostiles.

- Expliquez-nous encore cette phrase : "Votre maître me tiendra compte des soins que je me donne ; priez-le souvent de me rappeler à son souvenir. Comment se peut-il que ce vieux Denis ait pensé à moi. Ah ! s'il savait combien je m'intéresse au succès de ses entreprises, il m'aimerait bien plus encore. Dites-lui que ma fidélité sera inviolable et que rien au monde ne pourra me détacher de son service".

- Je n'ai jamais connu le Pape. Je ne lui ai jamais écrit. Je répondais à M. de Noailles qui me disait dans une de ses lettres que le vieux Denis m'aurait une grande obligation du bien qu'il croyait que j'aurais fait ; alors je répondis, comprenant que c'était le Pape dont il me parlait, que ma fidélité serait inviolable et que rien ne pourrait me détacher de son service.

- Donnez-nous encore une explication sur ces mots : "Je suis bien étonné que la procuration que je vous ai demandée ne puisse s'obtenir ; je désirerais que ce procès ne fût pas long, mais le désir que j'en ai m'inspire de vives craintes".

- M. de Noailles m'avait laissé entrevoir que si le Pape perdait sa liberté, il laisserait des pouvoirs généraux pour gouverner l'Eglise ; c'est la connaissance que je voulais avoir de ces pouvoirs pour fixer ma croyance, qui me fit demander à les connaître par le mot de procuration, en lui exprimant mon vif désir pour que la paix fût rétablie entre la cour de Rome et le gouvernement français.

Il semble bien qu'ici Lafon et Noailles touchent aux démarches qui furent faites à Rome à cette époque, par quelques personnalités ecclésiastiques de France, pour savoir quelle attitude il fallait adopter dans le conflit romano-impérial. Les historiens n'en ont point parlé, mais le cardinal Bausset les mentionne clairement dans sa notice sur l'abbé Legris-Duval et le fait que, le 5 juillet 1809, la congrégation de Paris a obtenu du Saint-Siège de nouvelles faveurs pourrait bien indiquer que la personne choisie comme intermédiaire, celle que Alexis de Noailles appelle son ami en voyage, - l'abbé Perreau, semble-t-il, - était sur le point de quitter Rome à cette date. Alexis de

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Noailles avait assez de relations pour avoir été mis dans le secret, mais on peut alors se demander si le "vieux Denis" était bien le Pape et non l'instigateur de toutes ces pieuses intrigues. Lafon, sur ce point, n'a eu que des réponses évasives :

- M. de Noailles vous a parlé de l'ami qu'il avait et qui était en voyage ?

- Il ne me l'a jamais nommé.

- Donnez-nous quelques explications sur la partie suivante de la lettre n° 22 qu'il vous écrivait le 18 août dernier ; après vous avoir annoncé que M. Giresse ne pourra plus vous voir à Bordeaux, il ajoute : "Nous serons forcés de changer de voie. J'ai des marchandises bien importantes à vous envoyer ; je ne dois pas tarder plus longtemps ; je les adresserai à votre tailleur. Vous le préviendrez pour que les étoffes ne soient pas abîmées. Nous savons ici en détail que votre voyage a fait grand bien à nos affaires. Les négociants de Bordeaux se sont conduits comme ceux de Paris. J'en suis ravi et bénis Dieu du bien qu'il daigne nous faire par vous. Ne négligez pas ce qui viendra de moi, je vous en conjure tenez-vous prêt. Mon ami est revenu de ses voyages. C'est à lui que je dois toutes mes nouvelles et précieuses spéculations. Je ne vous donne aucun détail, vous en aurez par la suite. Je vous remercie au nom de notre maître et de son premier homme d'affaires, de ce que vous avez fait. Ce vieux Denis vous en a une obligation infinie et me charge de vous le dire. Je vous enverrai, avec- mes marchandises, un livre dont la reliure sera travaillée avec soin. Voilà mon- présent ; le reste est de votre commerce. Quant à la procuration que vous avez demandée et que je vous avais promise, on n'en a point donné. Ils sont tous dans l'idée que le procès ne durera que très peu de temps. Ceci est positif ; ainsi continuez comme avant".

- Par ces marchandises, il entend la bulle du Pape qu'il m'a adressée chez mon tailleur, ainsi que nous en étions convenus. Je ne sais pas qui a pu l'instruire que mon voyage avait fait grand bien à nos affaires. Il a sans doute voulu parler des pièces concernant la cour de Rome qu'il m'avait remises. Quant à son ami qu'il dit qu'il était en voyage et qui lui apportait toutes les pièces, je ne l'ai jamais vu et je n'ai jamais su son nom. Quant aux remerciements qu'il

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m'adresse de la part de notre maître et de son premier commis, je crois toujours qu'il veut parler de Dieu et du Pape, comme son vicaire. Quant au livre relié dont il fait mention, c'était le manuscrit de l'ouvrage dont vous m'avez parlé, qui était enveloppé de toile et qui effectivement formait l'épaisseur d'un volume. Quant à la procuration dont il fait mention, j'ai déjà donné l'explication demandée.

- Il paraît par la lettre n° 23 que M. de Noailles vous a adressée le 23 août dernier, que le nommé Redoux, homme, suivant lui, parfaitement sûr, conducteur de la diligence, vous a remis encore un paquet de l'ouvrage dont il est question.

- C'est l'ouvrage qu'il m'annonçait par la lettre précédente.

- Donnez-nous encore quelques explications sur la partie suivante de la lettre n° 24 que M. de Noailles vous a adressée le 3 septembre dernier :

« Soignez toujours mes affaires, mais, comme vous le dites, avec une prudence infinie pour ne pas choquer notre partie adverse, qui commence à faire des siennes et à nous réclamer sévèrement. Je voudrais vous envoyer différents paiements : je ne sais trop comment faire. J’ai été obligé de mettre mon argent en lieu sûr. Vous pouvez compter sur moi dans l’occasion. J’ai réalisé vos médailles de style antique et nous les avons maintenant en très bonne monnaie française. J’ai encore divers paiements antérieurs à celui que je vous ai fait par ma dernière lettre de change, puis un grand et intéressant exposé de toute la gestion. N’écrivez que peu à ma bonne amie et point à moi d’ici quelques jours, jusqu’à ce que je vous mande que nous sommes moins accablés d’affaires.

- La prudence qu’il me recommande par cette lettre, c’est en réponse à une lettre que je lui avais écrite pour l’engager de na pas confier ses papiers à toutes espèces de personnes qui pourraient en abuser, soir par ignorance, soit par passion. Les différents paiements sont les différents ouvrages de la cour de Rome que je l’avais prié de me faire passer. C’est pourquoi il me marque que des inquiétudes l’ont forcé à les mettre en lieu sûr. Si je n’avais pas été sûr de mon

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innocence, j’aurais pris les mêmes précautions. Quant aux médailles d’un style antique, il a voulu dire qu’il avait traduit les pièces latines en langue française. Je n’ai point eu l’exposé dont il parle et qui est, sans doute, le résumé de cet ouvrage. Je persiste à dire que je ne me rappelle point du nom de sa bonne amie, quoique je lui aie écrit une fois… »

Le lendemain fut une journée chargée pour l’inspecteur Veyrat. Celui-ci commença par confronter Justus et Lafon : l’entrevue fut brève ; Justus n’avait qu’une préoccupation, obtenir sa liberté.

- M. Justus, vous avez dit par votre interrogatoire que dans les réunions des membres de la congrégation de Bordeaux, on s’entretenait pendant l’assemblée d’exercices pieux, mais qu’avant et après l’assemblée, il y avait des réunions particulières et secrètes, soit à la sacristie, soit dans différentes autres parties de l’église, que c’est dans ces endroits particuliers que l’on s’entretient des affaires relatives à la politique. Persistez-vous dans vos dires ?

- Oui, Monsieur ; je persiste dans mes dires.

- Vous, M. Lafon, vous venez d’entendre la déclaration qu’a faite M. Justus le 11 septembre dernier, et qu’il vient de confirmer présentement en votre présence : qu’avez-vous à répondre ?

- Je déclare, comme je l’ai déclaré dans mon interrogatoire que jamais je ne me suis entretenu de politique, qu’il n’est jamais venu à ma connaissance que d’autres s’en soient entretenus, que la sacristie dont parle M. Justus est un endroit public, où tout le monde a le droit d’entrer et où la congrégation se trouve confondue avec un plus grand nombre de personnes qui ne sont pas congréganistes.

- M. Justus, vous entendez la réponse que vient de faire M. Lafon ; avez-vous quelques observations à y faire ?

- J’ai à répondre que par assemblées particulières et secrètes, j’ai entendu celles des congréganistes qui avaient à se communiquer des choses qu’ils ne voulaient pas dire à tout le monde, et, comme je l’ai dit, je persiste dans ma déclaration que l’on s’y entretient d’affaires politiques, fait dont j’ai été témoins ».

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Sans se demander s’il n’était pas étrange que Justus déclare avoir été témoin des faits qu’il affirme se passer dans les assemblées particulières, alors que, le 11 septembre, il disait n’avoir jamais pris part à ces assemblées, l’inspecteur se borna à enregistrer dans son procès verbal les déclarations contradictoires des deux détenus. Il se promettait sans doute d’obtenir un résultat décisif avec Alexis de Noailles, maintenant qu’il avait en mains les lettres écrites par ce dernier à Lafon.

En fait, comme Lafon, avec l’aisance aristocratique en plus, A de Noailles reconnut tous les faits qui n’étaient dangereux pour personne, et éluda les questions scabreuses ou n’y répondit que par des formules sans portée précise : il avait autant, sinon plus, d’à-propos que son correspondant et ne se croyait pas plus autorisé que lui à dénoncer personne :

- Par votre lettre n°16 vous dites : « J’ai eu le plaisir de causer souvent de mes bons confrères de Bordeaux et de notre respectable chef aux saintes âmes de cette ville (Nîmes) ». Quel est le respectable chef dont vous entendez parler et quelles sont les personnes avec lesquelles vous vous êtes entretenu de vos confrères de Bordeaux ?

- J’ai oublié ce que signifient ces choses que j’ai écrites il y a plusieurs années.

- Vous ajoutez : « Notre digne chef est dans la joie de tout ce que je lui ai mandé et ne désire rien plus ardemment que de s’unir à vous ». Vous ajoutez encore : que votre chef vous a dit : « J’accorde volontiers les trois choses que vous me mandez qu’on désire de notre part, mais je désire qu’on soit très discret pour en parler. Quand vous serez de retour, nous prendrons les arrangements nécessaires et vous serez l’homme de notre part qui, quand il le faudra, écrira ». Quel est le nom de ce chef et quelles sont les trois choses dont il est convenu avec vous ?

- Je ne veux citer aucun nom et déclare qu’il s’agit là de puérilités, auxquelles on met trop d’importance à cause du style solennel dans lequel elles sont écrites.

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- Par votre lettre n°17 vous rappelez à M. Lafon ce que vous lui avez écrit de relatif à vos chers et très dignes lyonnais. Vous lui demandez de changer le genre de votre correspondance qui ne doit pas être personnelle et vous lui dites qu’il aura bien amplement à vous parler de Bordeaux : cela indique d’une manière positive combien les congrégations de Bordeaux, de Lyon et de Paris étaient d’accord sur les différents points convenus entre vous et que vous venez de refuser d’indiquer.

- Je les ai indiqués en les nommant d’une misérable puérilité et cette correspondance n’a jamais existé, malgré mes dires et écrit.

- Quel est M. Lacombe dont il est question par votre lettre n°18 ainsi que M. Girard ?

- MM. Lacombe et Girard étaient apparemment des hommes que j’avais rencontrés à Bordeaux avec M. Lafon.

- Puisque vous prétendez qu’il n’existait rien d’irrégulier dans vos réunions ni de contraire à l’ordre et au Gouvernement, pourquoi -(pièce 19)- conjurez-vous votre ami Lafon de ne jamais vous déclarer publiquement à Bordeaux, vu vos progrès que ne vous laissaient pas sans inquiétude, que la publicité extérieure rendrait votre œuvre dangereusement exposée envers le monde ?

- Il s’agit ici du ridicule que le monde, qui n’est point l’autorité publique pourrait jeter sur des enfantillages, qui produisent du bien, mais auxquels on met quelquefois secrètement une trop grande importance et qui ne méritent point d’attirer les regards de cette même autorité publique.

- Par votre lettre n°20, datée du 12 décembre 1808, il paraît constant que sur la recommandation de M. Lafon, vous avez fait recevoir M. Giresse membre de la congrégation de Paris.

- Il n’y a pas doute à cela et j’en tire une preuve importante pour attester que ces congrégations ne se tiennent pas comme une seule et même chose, puisqu’il faut faire recevoir de nouveau les personnes recommandées.

- Expliquez-nous la partie suivante de la lettre n°21 que vous avez adressée à M. Lafon le 4 du mois d’août dernier : « Mon bon et

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digne frère que de bien vous nous avez fait ! Que votre pieux voyage est édifiant ! Vous êtes un homme des siècles anciens etc… Dites à vos intimes amis ce que je sens pour eux et remerciez-les en commun de cette faveur précieuse qu’ils m’ont faite en me mettant de pair avec vous. Vous rappelez-vous ce que je vous ai dit le jour de votre départ sur mes espérances ? Elles se sont réalisées au-delà de toute attente. Sur une cinquantaine de capitalistes, il n’y en a que trois qui ont manqué à leurs engagements. Cela fait un plaisir inexprimable et m’enrichit au-delà de mon espérance ».

- Il s’agit de bonnes œuvres et de choses pieuses et édifiantes dans cet énoncé.

- D’après vous c’était donc le but du voyage M. Lafon ?

- En aucune manière et je l’atteste de la manière la plus sacrée.

- Nous vous observons que votre réponse est en contradiction avec votre lettre.

- J’ai cru dire quelque chose d’agréable à M. Lafon en m’exprimant ainsi. Les formes du style épistolaire et les témoignages d’une forte amitié pouvaient m’y inviter.

- Par cette même lettre vous vous exprimez ainsi : « Aurai-je de vos nouvelles ? Ma bonne dame du quartier Saint-Jacques en attend avec impatience. »

- Il s’agit ici d’une pauvre femme à laquelle je lui avais dit qu’il pouvait adresser mes lettres en cas d’absence.

- Comment la nommez-vous ? Vous ne devez pas faire mystère de son nom, s’il n’y en a point dans votre conduite.

- Le respect profond que j’ai pour M. l’inspecteur général ne m’empêchera pas de lui observer qu’il aurait pu connaître par d’autres interrogatoires qu’il m’a faits que sans autre motif que celui de la discrétion, j’ai coutume de ne répondre ni aux questions sur le nom, ni à celles qu’on peut me faire sur les différentes adresses, de peur non pas de compromettre, mais d’inquiéter ou troubler le moins du monde des gens, pauvres ou non que je puis connaître.

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-Expliquez-nous la partie suivante de la même lettre : « Vous aurez des détails précieux, sur nos spéculations de vin, par notre confrère qui part avec sa bonne mère. On dit que votre négociant en chef, celui qui est sourd et qui parle difficilement est mieux qu’avant votre départ ».

- Il est plaisant de se servir ensemble de toutes sortes d’expressions et de choses de ce genre réunies, mais il s’agit ici de quelques bonnes œuvres.

- Vous ne répondez point à notre question. Faites-nous connaître positivement ce que vous avez entendu dire par la promesse que vous avez faite à M. Lafon de lui envoyer des détails précieux sur la spéculation de vin par votre confrère, qui part avec sa bonne mère : quelle est cette négociation et quel est ce confrère qui devait partir avec sa mère ?

- Il s’agit ici d’un misérable petit discours en forme de notice sur la vie de M. Hontarède qu’il m’avait recommandé, que j’ai assisté à l’heure de sa mort et qui m’a tellement édifié que j’en ai rédigé les principaux traits. Quant à la mère et au fils qui devaient en être porteurs, je ne les nommerai pas selon ma coutume.

- Voilà une manière d’expliquer franchement l’opération des vins ; il me semble que vous auriez pu nous donner plus d’éclaircissements sur cet objet que vous deviez confier à Mme Giresse et à son fils.

- Je remercie M. l’inspecteur général de la bonté qu’il a de faire mention de Mme Giresse. Mais je le prie d’observer qu’à part la mauvaise métaphore du vin, il était de quelque importance pour celui dont on avait bien voulu se souvenir à Bordeaux de prouver qu’il se souvenait de ceux de Bordeaux qu’on lui avait recommandés.

- Q’avez-vous entendu dire par ces mots : « Sur une cinquantaine de capitalistes, il n’y en a que trois qui ont manqué… » ?

- Il est inutile de nommer les personnes, ni aucune chose, mais il s’agit d’une bonne œuvre.

- Vous avez toujours prétendu que, par votre correspondance avec les congréganistes, il n’a jamais été question de nouvelles politiques :

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expliquez-nous ce passage : « Nos nouvelles de commerce sont que tout va très bien. Les anglais sont descendus en force à Flessingue et vers Ostende. Ils brûlèrent quelques barques. On aura le plaisir de les battre avec quelques gardes nationales ».

- Je réponds à la première partie de la question que, par hasard, étant en correspondance avec M. Lafon, je lui ai mandé des nouvelles de gazette, mais que je ne les ai point mandée à la congrégation, ni pour la congrégation. J’ajoute qu’il y a une ridicule incohérence entre les diverses parties de la phrase citée, que je devrais presque m’applaudir de trouver une si convenable occasion de me rendre plus attentif et plus conséquent dans les choses que j’énonce dans des lettres, écrivant le soir en dormant à moitié ou dans d’autres moments de la journée où je suis occupé à tout autre chose de ce que j’écris. S’il y avait eu dans ma correspondance le moindre mauvais dessein, j’y aurais apporté plus d’attention et de prudence.

- Expliquez nous encore ce qui suit : "On est sûr de la Hollande. La guerre va recommencer, mais j'en jouis parce que Sa Majesté va gober d'un seul coup de filet toute l'Europe ; car Russes, Autrichiens et Prussiens nous connaissent déjà. La nouvelle de la reprise des hostilités n'est pas certaine, mais elle est bien probable. Ce sera plus tôt fini, car Sa Majesté doit toujours triompher".

- Il a été répondu à cela par ma précédente réponse.

- Il paraît par votre lettre n°22, datée du 18 du mois. d'août dernier que M. Giresse vous avait servi d'intermédiaire, car vous dites à M. Lafon : "Pouvons-nous concevoir, mon digne frère, votre silence ? Giresse ne va plus vous voir. J'ai des marchandises bien importantes à vous envoyer. Je ne dois pas tarder plus longtemps. Je les adresserai à votre tailleur tout simplement ; vous le préviendrez pour que les étoffes ne soient point abîmées".

- J'ai déjà dit en d'autres circonstances à M. l'Inspecteur général que j'avais mis un empressement infini à confier à qelques personnes certaines pièces de la correspondance du Pape ou conçues en des termes ou tournures où qui que ce soit ne se trouve nommé ou cité, lesquelles pièces devaient selon mon expression elle-même, servir à

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calmer les esprits, avec cette voix même que d'autres auraient pu employer pour les échauffer.

- Vous annoncez à M. Lafon, par cette même lettre, que vous savez ici, en détail, que son voyage a fait grand bien à vos affaires, que les négociants de Bordeaux se sont conduits comme ceux de Bordeaux. Vous ajoutez : "Ne négligez pas ce qui viendra de moi, je vous en conjure, tenez-vous prêt".

- Dans le sens de .la lettre, il faut ajouter, pour l'intelligence de ces dernières paroles :"à recevoir le petit envoi que je vous fait". Les motifs qui m’excitaient à un empressement que j'avoue, comme tout le reste sans feinte, étaient ceux énoncés dans ma réponse précédente.

- Quel est l'ami que vous aviez en voyage à cette époque ou pour mieux dire qui arrivait de voyage ?

- Je ne répondrai point à cette question.

- On trouve cependant dans cette même lettre du 18 août dernier ces mots : "Mon ami est revenu de ses voyages. C'est à lui que je dois toutes mes nouvelles et précieuses spéculations". Nous vous invitons encore à vous expliquer franchement à cet égard.

- Je réitère respectueusement ma précédente réponse.

- En continuant l'examen de cette même lettre, nous y trouvons ces mots adressés à M. Lafon : "Je vous remercie au nom de notre maître et de son premier homme d'affaires de ce que vous avez fait. Ce vieux Denis vous en a une obligation infinie et me charge de vous le dire".

- On peut voir, par cette phrase plaisante et par le sens réel de cette phrase, que M. Lafon, j'en suis sûr, n'a pu ni su la comprendre, qu'il est bien malheureux pour l'honneur de mon pauvre esprit que des lettres écrites aussi promptement et aussi gaîment deviennent des pièces sur lesquelles on puisse bâtir un interrogatoire.

-Expliquez-nous ce que vous entendez en parlant de votre maître, de son premier homme d'affaires et du vieux Denis.

- Je ne rappellerai point ici l'objet de cette pure plaisanterie.

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- Nous continuons l'examen de votre lettre par laquelle vous dites qu'il n'y a pas d'occasion pour Bordeaux ; si vous en aviez, vous en profiteriez et vous enverriez à M. Lafon, avec vos marchandises un livre dont la reliure sera travaillée avec soin. Quel est le livre que vous promettez ?

- Cette petite ruse pouvant faire croire que j'aurais manqué à la sainteté de mes serments, en faisant transporter à Bordeaux quelque imprimé des pièces du Pape, me forcera à révéler à M. l'Inspecteur général une petite ruse de maraudeur et un petit moyen de faire la contrebande.

- Nous comprenons bien que vous aviez l'intention d'indiquer que dans la couverture du livre annoncé il devait s'y trouver quelque pièce importante. Nous vous avons déjà fait cette observation. Indiquez-nous donc le volume envoyé et quelle pièce avait été introduite dans la reliure.

- Il n'y a jamais eu de livre ni de pièce envoyés par ce moyen.

- Par cette même pièce, vous dites à M. Lafon que "quant à la procuration que vous m'avez demandée et que je vous avais promise, on n'en a point donnée. Ils sont tous dans l'idée que le procès ne durera que très peu de temps".

- Ces choses regardent le for intérieur, alors il n'est pas nécessaire de donner des détails sur ce point.

- M. Lafon s'est mieux expliqué que vous à cet égard et nous vous en donnerons la preuve en vous confrontant avec lui. En attendant nous passons à l'examen de votre lettre à M. Lafon en date du 23 août dernier, n°23, par laquelle vous lui annoncez qu'il recevra par Ledoux, conducteur de la diligence, des échantillons de bonne manufacture. Vous ajoutez que ce conducteur est un homme parfaitement sûr. Quel est l'envoi que vous avez fait ?

- Le conducteur n'a jamais connu et ne connaîtra jamais probablement ce que renfermait le petit paquet en question. En parlant de lui et le citant comme un homme parfaitement sûr, j'affirmais seulement qu'il était incapable de dérober ce qu'on pouvait lui confier.

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- D'après vos précédentes déclarations, vous avez eu connaissance de l'arrestation de M. Beaumes le jour même où elle a eu lieu, c'est-à-dire le trente août dernier. C'est pourquoi le 3 septembre suivant, vous écrivez à M. Lafon (pièce n°24) : "Soignez toujours mes affaires, comme vous le dites, avec une prudence infinie pour ne pas choquer notre partie adverse qui commence à faire des siennes et à nous réclamer sévèrement. Je voudrais vous envoyer différents paiements : je ne sais trop comment faire. J'ai été obligé de mettre mon argent en lieu sûr". Expliquez-nous ce que vous avez entendu par ces mots.

- Je n'ai cessé de le dire : il s'agit des pièces en question et de la suppression de celles qui étaient en mon domicile.

- Expliquez-nous ces mots extraits de cette même lettre : "J'ai réalisé vos médailles d'un style antique et nous les avons maintenant en très bonne monnaie française".

- Il s'agit ici d'une traduction de la Bulle d'excommunication.

- Est-ce vous qui l'avez traduite ?

-Je ne répondrai point à cette question.

- Vous auriez dû observer que par votre lettre vous avez déjà répondu affirmativement.

- M. l'Inspecteur général peut obtenir par là une preuve de plus de la légèreté avec laquelle j'écris, puisque j'affirme que j e n'ai point traduit la présente pièce.

- Vous ajoutez encore par cette pièce que vous avez encore divers paiements antérieurs à ceux que vous avez faits puis un grand et intéressant exposé de toute la gestion : expliquez-nous l'ouvrage que vous annoncez.

- Il n'est ici question, dans ces mots entortillés que des pièces qu'on a trouvées chez M. Beaumes. La pièce que j'ai désignée par ces mots "grand et intéressant exposé de toute la gestion" n'était qu'un récit très court et très médiocre de quelque événement arrivé à Rome. Cette pièce n'existe plus.

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- Vous dites cependant à M. Lafon par la même lettre que vous la lui adresserez en temps et occasion. Vous lui recommandez de n'écrire que peu à votre bonne amie et point à vous jusqu'à ce que vous lui ayez mandé que vous êtes moins accablé d'affaires et d'inquiétudes, pour ne laisser aucune prise, mais de redoubler de sages efforts.

- Il est visible que les événements arrivés à M. Beaumes et dont j'ai fini par être la triste victime m'avaient appris à être prudent et réservé, sans cependant que je perdisse, de vue la nécessité d'éteindre par des pièces plus calmes le mauvais effet des pièces plus violentes qui ont été colportées par d'autres que par moi.

- Quels sont les objets que vous avez fait passer à M. Lafon pour être par lui envoyés à M. l'abbé Berdontal, place Percepinte à Toulouse ?

- Je déclare devant Dieu que je n'ai jamais vu M. Berdontal, que je ne l'ai connu en aucun lieu que ce soit, que jamais lui-même n'a eu connaissance qu'un envoi de quelque chose que ce soit dût lui être fait, mais que témoignant à quelqu'un mon désir que les pièces qu'on a débitées, relatives au Pape, exprimées dans un style et une manière que je désapprouve hautement ne fussent pas publiées à Toulouse comme ailleurs, j'ai mis quelque prix à ce que les pièces plus sages fussent répandues, pour un motif également sage, à Toulouse. Cette adresse m'avait été vaguement donnée.

- C'est avec peine que nous sommes obligés de vous rappeler le paragraphe suivant de votre lettre : "Vous êtes trop habile en affaires pour avoir été séduit par une infernale protestation du banqueroutier Julien. Cet homme, se voyant enfin vaincu par l'opinion publique, ne sachant comment s'en tirer, fait le bon apôtre et ne nous donne pas moins à nous de fières preuves de sa rage. Quelle calamité que la distance et l'ascendant de ceux qui mentent effrontément ; il est certain que le mauvais payeur, insolvable, a fait prendre à ses ayant cause une autre route, mais forcé par les circonstances et ne s'attendant point à ce qui est arrivé, à l'espèce de mépris qu'on aurait pour ses billets à ordre et à la pitié qu'inspireraient ceux qu'il a ruinés : je pourrais vous en donner de fières preuves, mais croyez-moi sur parole. Je ne puis assez vous

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rendre la peine que j'éprouve de voir de telles mauvaises raisons débitées et crues".

- Il est bien malheureux qu'il y ait des gens assez imprudents et insensés pour écrire ainsi des sottises, quand elles leur passent par la tête. Je ne reconnais ici aucune de mes opinions, ni de mes sentiments. Je voudrais pouvoir ne pas plus pouvoir reconnaître mon écriture que je ne reconnais mon style et ma manière habituelle. Une pareille faute serait impardonnable, si elle n'était pas isolée dans ma correspondance et si les regrets qu'elle m'a inspirés ne s'étaient rappelés à mon esprit durant tous les jours qui se sont écoulés depuis que j'ai eu le malheur et l'étourderie d'écrire ces sottises. Il est impossible qu'avec la plus légère réflexion, on ne reconnaisse au style de cette réponse tout le regret dont mon âme est remplie".

Peu convaincu, sans doute, Veyrat fit une nouvelle tentative le 7 octobre.

- Nous vous engageons encore à répondre plus catégoriquement et franchement que vous ne l'avez fait hier sur les diverses questions que nous allons encore vous adresser. - Par une de vos lettres n°16, vous dites que vous avez souvent parlé à Nîmes de vos bons confrères de Bordeaux et de votre respectable chef :quel est le nom de ce chef et dans quelle réunion à Nîmes, vous êtes-vous entretenu de vos bons confrères de Bordeaux ?

- C'est en septembre 1804 que j'ai écrit cette lettre. Je ne sais pourquoi elle est renfermée dans de pareils termes, que je ne saurais expliquer ; mais je déclare à la face du ciel et de la terre que je n'ai jamais passé que deux jours à Nîmes, dans ma vie, que j'ai logé à l'auberge, que je n'y ai vu qui que ce soit, qu'apparemment il s'agit d'une autre ville dont j'ai perdu le souvenir.

- Cependant nous vous observons encore que vous avez positivement écrit, par votre lettre datée de Nîmes, que vous vous y êtes entretenu souvent de vos bons confrères de Bordeaux et de votre respectable chef.

- J'ai probablement voulu parler d'une autre ville, car je n'ai point la plus légère connaissance d'aucune rencontre que j'aie faite à Nîmes

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et je dirais avec le plus grand plaisir tout ce que je puis connaître sur ce point.

- On ne peut pas décemment s'éloigner autant de la vérité. La suite de cette phrase le prouve : "Notre digne chef est dans la joie et ne désire rien plus ardemment que de s'unir à vous". Nous vous engageons encore à répondre catégoriquement et à faire connaître quelles sont les trois choses que votre chef a accordées pour la congrégation de Bordeaux, en recommandant que l'on soit très discret pour en parler.

- Je réponds à la première partie de cette question et prouve facilement l'absurdité de ma lettre puisque M. Lafon ne peut jamais avoir demandé aucune union entre les congréganistes de Bordeaux et ceux de Nîmes qui n'ont jamais existé, mais bien une espèce d'union de prières ou chose de ce genre renfermée dans les trois choses en question qui sont mentionnées comme accordées entre les siens et ceux de Paris, les seuls que je puisse connaître alors.

- Expliquez-vous encore une fois sur les trois choses promises sous le plus grand secret.

- Ce secret ne pouvait être d'une grande importance puisque ces trois choses sont, si toutefois j'en ai bonne mémoire, union de prières, correspondance entre un membre de la congrégation de Bordeaux, choisi, et un membre de la congrégation de Paris, et la troisième assistance charitable en cas de besoin à ceux qui pourraient être recommandés.

- Quel est-le chef qui a fait ce traité ?

- Il n'y a jamais eu de traité, mais seulement une réponse sur cet objet d'un vieil ecclésiastique de Paris qui a été nommé par moi-même à M. le Préfet et il n'a jamais été question de ce prétendu traité que dans cette seule réponse où je fais valoir, par politesse, la manière dont la demande avait été agréée.

- L'on voit par votre lettre n°19, combien vous aviez de motifs pour empêcher de transpirer les résultats de vos réunions de congréganistes, car vous recommandez expressément à votre ami Lafon de ne jamais vous déclarer publiquement à Bordeaux, vu vos

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progrès qui ne vous laissent pas sans inquiétude, que la publicité extérieure rendrait votre œuvre dangereusement exposée envers le monde. Des réunions non mystérieuses n'ont pas besoin de prendre ces précautions.

- Je déclare de la manière la plus solennelle et la plus sacrée que je n'étais moi-même -( puisqu'il faut ici pour éclairer le Gouvernement déclarer jusqu'à la moindre faiblesse )- excité à insister tellement sur l'importance de ce secret qu'à cause de la petite honte qui aurait pu résulter pour moi, vis à vis de ma famille et des gens que je connais et que je dénomme ici sous le nom de monde, de l'importance ridicule que je mettais moi-même à ces puérilités.

- Désavouez-vous encore que le voyage de M. Lafon n'avait pas pour motifs les intérêts des congrégations de Bordeaux et de Paris ?

- Je ne sais ce, que M. Lafon a pu dire ou déclarer sur ce point. Je serais loin de désapprouver ce motif, mais je m'attendais si peu à son arrivée qu'il a été obligé de se nommer deux fois pour que je le reconnusse.

- Vous ne répondez pas positivement à notre question ; nous vous invitons à le faire franchement : le voyage de M. Lafon n'avait-il pas pour motif les intérêts des congrégations de Bordeaux ?

- M. Lafon pouvait avoir des motifs dont, il n’était pas obligé de me rendre compte et je ne sache point, quoique cela soit possible, qu'il ait fait à Paris aucune démarche sur ce point.

- Répondez et expliquez ces mots de votre lettre "Mes espérances se sont réalisées au delà de toute attente. Sur une cinquantaine de capitalistes, il n'y en a que trois qui ont manqué à leur engagement".

- Je suis persuadé que M. Lafon n'aura pas facilement compris le sens de cet énoncé si pompeux.

- Expliquez-le nous donc à présent.

- Je l'ai expliqué dans mon interrogatoire d'hier, en disant qu'il s'agissait d'une bonne œuvre à laquelle plus ou moins de personnes - dont le nombre n'est point déterminé, quoique cela paraisse dans la lettre - avait pris part.

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- Vous vous enveloppez constamment du manteau des bonnes œuvres pour masquer, le sens véritable de plusieurs parties de vos lettres, quoique ces phrases soient assez claires pour détruire en vous, si vous y réfléchissez, l'espérance que vos réponses soient dans le cas d'induire en erreur ou d'égarer sur le véritable sens des choses indiquées.

- Je n'ai jamais eu le désir de tromper personne.

- Nous vous sommons encore de déclarer quelle est la personne indiquée dans votre correspondance sous le nom de la bonne dame du Quai Saint-Jacques ?

- Si M. le Préfet veut me promettre de ne point inquiéter cette vieille et pauvre femme, absente de Paris en ce moment, j'offre moi-même de conduire chez elle la personne qu'on pourrait me donner et on jugera que ce que j'ai affirmé est exact.

- Nous vous réitérons notre précédente demande et vous observons qu'on ne traite pas avec l'autorité.

- Dès que j'ai eu tort de faire la demande énoncée, dans la réponse précédente, je me tais respectueusement en mettant aux pieds de M. le Préfet cette observation qu’il sentira comme moi qu'il serait malheureux d'ajouter à la misère de cette pauvre femme la peine bien vive dans son état, de se trouver inquiétée, pendant qu'elle est dans une ignorance parfaite de tout ce qui aurait pu se passer antérieurement.

- Nous vous demandons aussi quel est l'ami que vous aviez en voyage et qui est arrivé au mois d'août dernier ?

- J'ai répondu hier que je ne le nommerais jamais.

- Quelles sont les personnes que vous avez indiquées par votre lettre ? On y voit que vous dites à M. Lafon que vous le remerciez au nom de votre maître et de son premier homme d'affaires de ce que lui, M. Lafon, a fait. Vous ajoutez : "Ce vieux Denis vous en a une obligation infinie et me charge de vous le dire".

- M. l'Inspecteur général peut facilement imaginer que, quelque réponse qu'ait faite sur ce point M. Lafon, je suis seul à bien

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entendre la plaisanterie que j'ai voulu faire. J'ai dit hier que ce maître dont je parlais est Dieu avec lequel je n'ai point communication directe et qui ne m'a pas, donné plus que l'autre personnage - son prétendu premier homme d'affaires - le pouvoir de remercier de sa part.

- Nous vous demandons encore quelles sont les personnes que vous avez désignées par le premier homme d'affaires et le vieux Denis ?

- Ces deux personnes ne sont dans ma plaisanterie qu'une seule et même personne dont j'interprétais aussi gratuitement les sentiments. Et je voulais ici faire une plaisanterie sans fondement sur le Pape.

- D'après vos principes connus, l'on ne peut pas croire que vous ayez eu l'intention de faire une plaisanterie sur le Pape. Dites donc que votre correspondance directe ou indirecte avec lui vous avait fourni l'occasion de vous exprimer ainsi que vous l'avez fait par votre lettre à M. Lafon.

- Je déclare solennellement que je n'ai jamais eu l'honneur d'approcher du trône du Pape qu'au moment où il est venu en cette ville pour sacrer l'Empereur ; que même à cette époque je ne. lui ai jamais adressé la parole et que je ne l'ai vu chez lui qu'une fois et n'ai eu avec lui, soit directement soit indirectement, la moindre correspondance que ce soit.

- Vous induisiez donc en erreur les membres de la congrégation de Bordeaux, car d'après ce que vous leur avez écrit par l'intermédiaire de M. Lafon, il est constant que vous communiquez directement ou indirectement avec le Pape. Votre conduite à l'égard des congréganistes de Bordeaux les a mis dans le cas de vous en faire plus d'une fois leur remerciement. Nous tenons en nos mains présentement une pièce écrite par M. Lafon, qui est la minute d'une lettre qu'il vous a adressée. Il vous dit : "Votre maître me tiendra compte des soins que je me donne. Priez-le souvent de me rappeler à son souvenir. Comment se peut-il faire que le vieux Denis ait pensé à moi ? Ah ! s'il savait combien je l'aime, combien je le révère, combien je m'intéresse au succès de ses entreprises, il m'aimerait bien plus encore. Si jamais vous pouvez lui parler de moi, dites-lui que ma fidélité sera inviolable et que rien au monde

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ne pourra me détacher de son service". Il ajoute : "Je suis bien étonné que la procuration que je vous ai demandée ne puisse s'obtenir. Je désirerais que ce procès ne fût pas long mais le désir que j'en ai m'inspire de vives craintes". Nous vous observons encore que cette lettre vous a été écrite par M. Lafon et que cette copie est écrite de sa main, avouée et signée de lui et que les aveux qu'il a faits dans son interrogatoire ne laissent aucune équivoque à cet égard.

- M. Lafon a droit de répondre sur les choses qu'il a écrites ; il connaît mieux que personne quelles étaient ses idées, ses intentions, ses espérances vraies ou fausses : il a donc pu répondre mieux que je ne pourrais le faire et interpréter sa lettre dont je n'ai qu'une faible souvenance.

- Votre réponse n'est pas édifiante ; elle porte un caractère qui la rend même ridicule. Nous vous observons encore que M. Lafon ne s'est point bercé de vaines espérances, qu'il a eu la confiance entière, dans tout ce que vous lui aviez écrit et dit comme aussi dans la promesse que vous lui aviez faite que vous lui feriez passer les pouvoirs généraux du Pape pour gouverner l'Eglise, que c'est la connaissance qu'il voulait avoir de ces pouvoirs qui l'a engagé à vous demander cette procuration promise par vous. Tels sont les aveux faits par M. Lafon ; dans l'interrogatoire qu'il a subi le 5 du courant.

- Je ne veux point ici faire le moindre tort à M. Lafon, mais M. l'Inspecteur général comprendra facilement que M. Lafon a été, je ne sais comment et par quels dires, violemment induit en erreur. Il eût été bien ridicule, ce me semble, et je ne dis ceci que pour M. l'Inspecteur général, - eussé-je même le moyen que je n'avais pas de communiquer avec le Pape - de confier le soin de l'Eglise à M. Lafon.

- Nous comprenons très bien, ainsi que M. Lafon en est convenu que la procuration dont il est question ne devait pas rester en ses mains : expliquez-vous à cet égard.

- Comme il s'agit ici de conjectures, il m'est impossible de suivre toutes celles qu'aura pu faire M. Lafon ; mais ce que je puis déclarer

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avec sincérité, c'est que je n'ai jamais eu sur ce point aucune idée que ce soit.

- Nous avons : représenté à M. Lafon un volume in-8 ayant pour titre : Correspondance authentique de la Cour de, Rome avec la France depuis l'invasion de l’Etat romain jusqu'à l'enlèvement du Saint-Père. M. Lafon nous a répondu que vous lui avez remis à Paris le manuscrit de cet ouvrage portant le même titre. Il a ajouté dans une autre partie de ce même interrogatoire que vous lui avez encore envoyé à Bordeaux un autre exemplaire de ce même manuscrit format in-8 d'environ deux pouces d'épaisseur et portant le même titre ; que c'est le volume que vous lui aviez annoncé par votre lettre et dont vous lui recommandiez si extraordinairement de soigner la reliure.

- Je réponds : 1° que M. Lafon a annoncé quelque chose de contraire à la vérité s'il a dit que les pièces que je lui avais remises à Paris étaient sous un titre quelconque. Elles étaient écrites en assez gros caractères et renfermées dans 20 à 25 pages in-folio à peu près semblables à celles qui ont été saisies chez M. Beaumes et commençaient par ce seul titre au haut de la page in-folio : Notification.... et consistaient en pièces numérotées depuis 1 jusqu'à 23 ; 2° j'atteste que jamais je ne lui ai fait l'envoi in-8 en question. Je ne sais d'où il a pu lui être adressé et comment il a pu me l'attribuer. Je lui ai fait seulement un dernier envoi de 7 à 8 pièces d'entre les dernières et ces pièces avec les premières au nombre de 23 sont les seules qu'il a reçues de moi.

- Votre réponse ne parait point exacte puisque l'aveu que nous a fait M. Lafon de l'envoi du manuscrit que vous lui avez fait passer à Bordeaux se trouve d'accord avec la lettre que vous lui avez écrite et qui est en nos mains sous le n°22, par laquelle vous lui donnez avis de l'envoi du dit volume.

- Je déclare de la manière la plus solennelle que sur toutes les charges qui me sont personnelles, je ne tairai pas un seul mot ; qu'il n'importe donc ici que pour l'exactitude de la vérité, - que je suis toujours très disposé à déclarer à M. l'Inspecteur général, - que je dise que les pièces précitées sont les seules que j'ai envoyées, même quand M. Lafon aurait soupçonné, d'après les diverses annonces

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que je lui ai faites pour une seule et même chose, que d'autres envois qui lui avaient été faits, avaient été adressés par moi.

- Nous vous engageons encore à vous expliquer franchement et à nous indiquer la personne à qui M. Lafon devait remettre la procuration, soit les pleins pouvoirs du Pape. Nous vous observons que M. Lafon, dans son interrogatoire, a dit que, d'après vous, cette pièce devait être remise à M. l'archevêque de Bordeaux.

- Je voudrais de tout mon cœur pouvoir attester les mêmes faits que M. Lafon. Il a pu se bercer de cette idée, mais je ne l'ai jamais eue.

- Nous devons aussi vous faire connaître que M. Lafon, dans son interrogatoire, a désapprouvé hautement les expressions injurieuses et criminelles dont vous vous êtes servi dans la lettre que vous lui avez adressée le 3 septembre dernier, en parlant de la personne sacrée de Sa Majesté Empereur et Roi.

- J'ai moi-même respectueusement joint mes sentiments à ceux de M. Lafon et j'aime à ajouter que si on voit un excès révoltant dans les dénominations, c'était seulement pour envelopper ces phrases d'un plus profond mystère par le ridicule indéchiffrable de ces expressions et dénominations qui sont loin d'appartenir à ceux auxquels moi-même je refuserais de les attribuer. J'en ai témoigné mon regret profond par les expressions de ma déclaration d'hier et je remercie M. l'Inspecteur général de 'l'occasion qu'il veut bien me donner de terminer encore aujourd'hui mon interrogatoire par cette assertion que je ne pense aucune des choses que j'ai écrites, et que je ne les ai écrites ainsi que dans un moment d'irréflexion et d'égarement, chargeant indécemment pour. me rendre indéchiffrable."

A la préfecture de police, ces interrogatoires ne donnaient pas satisfaction. On était persuadé que A. de Noailles avait vu le Pape et dirigeait tout un réseau de propagande en faveur de celui-ci. Ce même jour 7 octobre, Veyrat fit comparaître à nouveau Lafon :

- Qu'entendez-vous par la phrase suivante du 8 janvier dernier à M. de Noailles : "J'ai lu à nos confrères la partie de votre lettre qui devait se lire". ?

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- Comme dans quelques lettres de M. de Noailles, il y avait quelques phrases irrévérentielles, qui contrariaient mes principes et qui n'avaient nul rapport aux renseignements que je lui avais demandés sur l'état de l'Eglise, ma prudence et ma charité ne me permettaient pas d'en donner connaissance.

- Quelles sont les phrases sur lesquelles vous avez cru convenable de garder le secret auprès de vos confrères de la congrégation ?

- Sur toutes celles qui n'avaient aucun rapport aux pièces qu'il devait m'envoyer provenant du Pape.

- Est-ce les phrases des lettres qu'il vous a adressées injurieuses et criminelles dirigées directement contre la personne sacrée de Sa Majesté l'Empereur et Roi que vous avez cru devoir supprimer et ne pas faire connaître aux congréganistes ?

- Oui, Monsieur ; ce sont les phrases concernant la personne de S. M. l'Empereur et Roi que j'ai cru ne pas devoir communiquer, parce qu'elles sont contraires au respect que la religion nous ordonne d'avoir pour le chef de l'Etat.

- Nous voyons néanmoins par votre lettre du 2 août dernier que vous avez répandu et publié avec enthousiasme et en en faisant un grand éloge en faveur du Pape, toutes les lettres relatives que M. de Noailles vous avait fait passer.

- Il y avait de l'exagération dans la manière dont j'ai parlé de ces pièces à M. de Noailles ; je le faisais dans l'intention de l'engager à me faire passer tout ce qui pourrait paraître à ce sujet.

- Par votre lettre du vingt-neuf août dernier, vous mandez à M. de Noailles, après lui avoir accusé la réception de diverses pièces relatives au Pape que vous êtes assez content de vos négociants de Bordeaux ; que vous les avez presque tous vus, qu'ils vous témoignent la plus grande confiance, mais qu'ils sont faibles,lâches, sans énergie dans leur partie de négoce ; qu'ils n'osent rien entreprendre, que vous leur avez communiqué vos idées ; qu'ils les adoptent, mais que dans la pratique c'est une autre marche ; que vous êtes vif, entreprenant et même ardent ; vous voudriez qu'ils

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vous secondassent. Cependant vous ajoutez que tout va au delà de vos espérances. Donnez-nous des explications sur cet article.

- J'ai voulu dire par là que j'avais fait sentir à plusieurs la nécessité de faire imprimer avec les explications nécessaires, le dispositif de la Bulle pour prouver que ni le chef du gouvernement, ni ses membres n'étaient tombés sous le coup des censures. Je désirais le faire pour la tranquillité des consciences, ainsi que pour le repos public. Plusieurs m'approuvaient en particulier, mais dans la pratique personne ne voulait agir ; voilà pourquoi je les ai appelés lâches etc...

- Cette réponse ne peut en aucune manière être appliquée à la partie de votre lettre que nous venons de transcrire. Après avoir fait un éloge outré des pièces relatives au Pape qui vous ont été envoyées ; après avoir dit qu'elles avaient produit le plus grand enthousiasme, parce qu'elles étaient bien écrites et que toutes les questions y étaient traitées avec force et véhémence, qu'elles ont été admirées par les 30 personnes rassemblées autour d'une table, qui ont la patience de tout lire, de tout extraire et même de tout transcrire (lettre du 2 août) ; cette manière de s'exprimer n'annonce point l'intention où vous dites avoir été d'expliquer les dites pièces en faisant imprimer des observations.

- Le fait que j'ai annoncé est un fait certain dans la correspondance de la cour de Rome et dans la Bulle, il y a un grand nombre de pièces propres à assurer au gouvernement français le respect, l'obéissance qui lui sont dus. Par exemple, dans la correspondance de la cour de Rome, il est ordonné par le Pape à tous ses ci-devant sujets d'être obéissants au nouveau gouvernement, et dans les dispositions de la bulle, il ordonne de respecter les personnes et les prérogatives. Par conséquent, quoique j'aie pu parler avec exagération de cette correspondance, il n'en est pas moins vrai que dans la dernière question, j'ai toujours eu l'intention de la faire imprimer avec les annotations citées.

- Si votre conduite était si pure, si régulière, quel motif pouvait vous engager à envelopper toutes vos opérations par un mystère extraordinaire, car nous trouvons dans votre lettre du 29 août dernier, ces mots : "Dans ce qui concerne l'article de mon

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commerce, il faut, je vous prie, la plus grande discrétion. Ne confiez aucune de mes opérations. Je ne voudrais même pas en cas de maladie vous désigner qui que ce fût ; car, il est rare de trouver des hommes assez réservés et surtout assez courageux pour courir les risques du hasard dans un temps où les Anglais bloquent tous nos ports." ?

- J'ai voulu employer le mystère et me servir de termes énigmatiques, afin de recevoir avec sûreté les pièces de Rome que M. de Noailles m'avait promises. Quand j'ai dit qu'il ne fallait confier à personne l'objet que nous traitons, c'est parce qu'en effet, la plupart des personnes sont lâches, timides et imprudentes. Ce que j'ai avancé est si vrai que si on y consent, pour le bien public, je donnerai au public le dispositif de la bulle, imprimé avec les annotations dont j'ai parlé".

Veyrat n'en demanda pas davantage.

Jamais encore Lafon ne s'était montré aussi impudent. Dans ce diacre, il y avait de l'aventurier. Au témoignage du Marquis de Puivert, qui fut un de ses compagnons de captivité "il avait des principes, un zèle très ardents, mais une mauvaise tête, beaucoup d'ambition et un amour-propre excessif". Il mourra simple curé de Gensac, mais persuadé "que ses services en faveur de la cause royale lui donnait droit à un poste en vue dans le clergé".

Quoi qu'il en soit, l'enquête ne menait pas loin. Les individus arrêtés avaient contribué à répandre le texte de la bulle. Les congrégations en elles-mêmes, étaient étrangères au fait. Tout ce qu'on pouvait leur reprocher, c'était d'être une occasion de rencontre pour ceux qui en faisaient partie. On eût pu formuler le même grief contre tous les offices religieux des paroisses. L'affaire Noailles-Lafon aurait dû être classée. Tout au moins, puisqu'une loi de l'Empire portait que tout individu arrêté devait, dans les dix jours, être traduit devant un tribunal. A. de Noailles, Lafon et les autres auraient dû être jugés. Mais au-dessus de la loi, Napoléon avait organisé la Haute Police.

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Chapitre quatrième

UN FOYER DE FANATISME

L'Empereur était à Schoënbrünn, attendant la conclusion des pourparlers engagés avec l'Autriche après l'armistice de Znaïm. La lenteur des négociations l'impatientait. L'évolution de la situation en Espagne l'exaspérait. Fouché l'inquiétait, et les autres ministres le déconcertaient par leur manque d'initiative. La résistance inattendue de Pie VII le gênait et l'irritait.

En apprenant les premières arrestations opérées par Dubois, il ne réagit d'abord qu'avec une certaine modération : "Le préfet de police, écrit-il à Fouché le 15 septembre, m'a envoyé un rapport sur des individus qu'il a fait arrêter, dans lesquels se trouvent compromis plusieurs Invalides. Il paraîtrait que dans les conférences qui se tiennent à Saint-Sulpice, les prêtres se conduisent mal et excitent le cagotisme. Il est convenable que vous insinuiez aux vicaires de Paris - (il s'agit des vicaires généraux) - si les conférences ont lieu, de les ajourner jusqu'à l'Avent, et, dans cet intervalle, de leur faire bien comprendre que je ne veux plus tolérer ces conférences. Si elles ne se tiennent plus, conseillez-leur sur le champ de ne pas les laisser renouveler, car je n'entends pas qu'elles aient lieu davantage. Je vous ai écrit aussi que je ne voulais pas de missions ni françaises, ni étrangères".

Dès 1807, Napoléon s'était intéressé aux conférences que l'abbé Frayssinous faisait chaque dimanche à l'issue de la messe d'une heure, devant trois ou quatre cents jeunes gens. "Faites-moi connaître, avait-il demandé à Portalis, quel est le curé qui prêche à Saint-Sulpice, son âge, son opinion, ses talents". "Ce qui est certain, avait répondu le ministre des cultes, c'est que l'abbé Frayssinous fait un grand bien. Il n'offense jamais personne dans ses discours ; il est tolérant sans indifférence ; il jette des semences d'ordre et de moralité dans de jeunes têtes auxquelles une éducation révolutionnaire avait rendu ces idées étrangères ; il réussit à parler de la religion et à en

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parler sans ennui a des hommes qui ne paraissent pas même dans nos églises et qui dédaigneraient un sermon". Ce témoignage avait alors sauvé l'abbé Frayssinous. Mais maintenant Portalis était mort et l'Empereur avait oublié sans doute ce qu'il lui avait dit du conférencier de Saint-Sulpice.

D'ailleurs sur la proposition de Dubois, Fouché avait déjà pris sur lui "d'enjoindre à l'abbé Frayssinous de ne point reprendre ses conférences à l'époque où il est dans l'usage de les faire, et de supprimer à l'avenir ces conférences, comme étant un point dangereux de réunion". "J'approuve fort, lui répondra Napoléon le 24, le parti que vous avez pris de défendre à l'abbé Frayssinous de continuer ses conférences. Je vous ai déjà écrit que mon intention était de ne souffrir aucune réunion. Je veux la religion chez moi, mais je n'ai envie de convertir personne. Je viens d'effacer du budget des cultes les fonds que j'avais accordés pour les missions étrangères. Ecrivez aux préfets, commissaires généraux de police et même aux commandants de la gendarmerie, de veiller à ce qu'on ne prêche ailleurs que dans les églises et qu'il n'y ait que les curés, avec l'autorisation de l'évêque, qui aient cette faculté. Mais je ne veux ni affiliés à des associations, ni missionnaires, ni prédicateurs errants dans mes Etats. Voyez le ministre des cultes pour que les missionnaires soient placés comme curés et desservants dans les paroisses".

Entre temps, du préfet et du ministre, Napoléon avait reçu de nouveaux rapports annonçant l'arrestation de Noailles, de Justus, de Giresse, et mettant en cause la congrégation de Bordeaux.

Bordeaux ! Aucune ville n'était plus suspecte à l'Empereur. Elle avait toujours été un foyer d'opposition royaliste. Le refus du catéchisme impérial, le sermon maladroit de l'abbé Anglade en décembre précédent, telles phrases d'un mandement de Mgr d'Aviau avant la dernière campagne d'Autriche : autant de faits qui avaient indisposé Napoléon et qu'il n'avait pas encore oubliés. "Je reçois, écrit-il fiévreusement à Fouché, le 23, des rapports du préfet de police sur un certain nombre d'intrigants qui se rattacheraient toujours à un complot que des cagots trameraient à Bordeaux. Faites-

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moi connaître quels sont les individus dont il est question dans ces rapports.

Le 26, nouvelle lettre : "24 heures après avoir reçu le présent ordre, vous ferez partir le sieur A. de Noailles, qui est compris dans cette cabale d'enfants de chœur, `pour se rendre à Vienne, auprès de son frère et servir comme lieutenant. Vous témoignerez à ses parents combien je suis fâché de voir ce jeune homme si mal élevé et livré à ce cagotisme, que l'air du régiment lui fera du bien et le fera revenir promptement de cette folie mystique". La mère d'Alexis de Noailles avait péri sur l'échafaud pendant la Révolution ; son père avait été tué sur mer en 1803 : il n'y avait donc pas beaucoup de difficultés à vaincre du côté des parents. Le jeune comte fut conduit devant le ministre de la police. Ce fut peut-être alors qu'informé du sort que lui assignait l'Empereur, il prononça cette parole qu'on rapporte de lui "Faites plus ; ordonnez qu'on m'y mène la corde au cou". Ce qui est sûr, c'est que si l'ordre de départ lui fut signifié, le ministre accorda un délai : l'enquête n'était pas terminée et un indicateur demandait 8 jours pour saisir le "fil d'une conspiration véritable contre l'Etat et la sûreté de Sa Majesté".

Deux jours ne s'étaient pas écoulés, qu'un contre-ordre arrivait de Schoënbrün : "Je reçois votre bulletin, disait l'Empereur ; je vois que le sieur de Noailles est très coupable. Gardez-le jusqu'à nouvel ordre. Qui est-ce donc qui hébète ainsi la jeunesse ? Les parents ont bien des reproches à se faire".

Daté du 28 septembre, le message dut parvenir à l'Hôtel de Juigné à peu près au moment où Lafon arriva de Bordeaux à Paris, vers le 5 octobre. Le 15, l'Empereur ayant enfin signé le traité de Vienne reprenait le chemin de la France. Le 26, il arrêtait sa voiture devant le château de Fontainebleau. Le jour même, il convoquait l'archichancelier et, en tête à tête, les deux hommes firent ensemble un tour d'horizon.

Il fut naturellement question des affaires religieuses, du Pape, des réactions que son enlèvement et l'excommunication avaient suscitées dans tout le pays, mais principalement à Paris et à Bordeaux. Dès le lendemain, Maret adressait à Fouché, devenu duc d'Otrante, la lettre suivante :

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Monsieur le duc,

J'ai l'honneur de rappeler à Votre Excellence le désir manifesté par Sa Majesté afin que vous fassiez connaître aux préfets, par une circulaire d'une demi page, ce qui vient de se passer au sujet des congrégations, l'intention de Sa Majesté qu'aucune société ne se réunisse dans les églises qui ne doivent être consacrées qu'à la prière et où les prêtres seuls peuvent exercer des fonctions, et la nécessité de dissoudre ces sociétés et d'en saisir les papiers. Sa Majesté juge convenable que vous communiquiez ensuite cette circulaire au ministre des cultes, qui, de son côté, fera connaître aux évêques que Sa Majesté ne peut tolérer des abus aussi contraires aux véritables intérêts de la religion".

Comme l'a remarqué E. d'Hauterive, "à partir du moment où les ponts sont coupés entre l'Empereur et le Pape, Fouché qui a été jadis trop près du sanctuaire pour ne pas connaître ! l'extrême force de résistance que l'Eglise puise dans l'assurance de sa perpétuité et de son triomphe final, et qui ne cherche pas encore la chute du pouvoir impérial, modifie sa politique". Il atténue, dans toute la mesure du possible, l'exécution des instructions que Napoléon lui dicte. Il n'avait pas mis beaucoup d'empressement à seconder Dubois dans l'affaire Noailles-Lafon. Il ne se hâte pas d'envoyer la circulaire exigée. Elle ne fut prête que le 3 novembre.

"J'appelle votre attention, disait le duc, sur des associations mystiques qui s'établissent sous diverses formes. J'ai fait arrêter à Paris et à Bordeaux les principaux membres de ces sociétés, dites congrégations du culte de la Vierge Marie. Ils se réunissaient dans des églises et, après quelques pratiques de dévotion, ils s'entretenaient d'objets tout à fait étrangers à la religion. L'examen de leurs papiers m'a fait connaître qu'ils cherchaient à étendre leurs affiliations dans d'autres villes et qu'ils avaient, à cet effet, des correspondances avec des jeunes gens sans expérience, jouets de quelques fourbes intrigants.

Ces associations sont contraires au bon ordre comme aux véritables intérêts et à l'esprit de la religion. Je vous charge de veiller à ce qu'aucune réunion de cette nature n'ait lieu dans les églises, qui ne doivent être consacrées qu'à la prière et où les prêtres seuls

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peuvent exercer des fonctions. Vous dissoudrez sans délai celles qui pourraient exister dans votre département ; vous saisirez leurs papiers ; vous m'en ferez connaître particulièrement les membres.

Je vous préviens, Monsieur, que je rendrai à Sa Majesté le compte le plus circonstancié de la manière dont cet ordre sera exécuté".

Sa Majesté avait la demi page qu'elle avait désirée.

* * *

Dès le 10 septembre, la congrégation de Paris avait suspendu ses réunions. Celle de Bordeaux n'avait rien changé à ses habitudes même après l'arrestation de Lafon. L'abbé Chaminade savait que la police locale surveillait de près son association et, comme on ne pouvait rien lui reprocher, il n'avait- pas voulu laisser croire, par aucune mesure, qu'il avait lieu de craindre.

Le 7 novembre, il écrit à Mlle de Trenquelléon et sa lettre, tout en qualifiant les événements survenus de très graves, montre qu'il n'a rien retranché à son activité antérieure. "Je suis bien sensible, dit-il, ma très chère fille, à votre sollicitude pour savoir des nouvelles de ma santé ; si je suis fort en retard envers vous et vos chères sœurs, ce n'est pas précisément à raison de maladie, quoique, depuis quelque temps, ma santé fût dérangée. Je retardais d'abord dans l'intention de vous envoyer un directoire propre à chacune des officières ; c'est ainsi que nous appelons l'instruction destinée à chaque officier. Survinrent ensuite des affaires très graves, et puis des retraites que je suis dans l'usage de diriger pendant le temps des vacances.

"Je commence à expédier l'arriéré et je me tourne d'abord vers la troisième division, qui me tient si fort à cœur. Toutes les nouvelles que j'en ai reçues, directement ou indirectement, je les ai communiquées aux deux premières divisions. L'exposition de vos sentiments sur le mépris du monde, de ses vanités, de ses parures, souvent même de son indécence dans ses modes, ne peut qu'être très utile dans nos assemblées, pourvu qu'il n'y paraisse aucune affectation. Vous en avez des occasions, lorsque vous me. parlez, par

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exemple, de quelque nouvelle affiliée. Vous en auriez eu une bien belle en nous annonçant la mort de Mlle Aminthe Motier. Je l'ai recommandée aux prières de la congrégation et en ai indiqué de spéciales trois jours.

"Au sujet de votre lettre, nous mîmes en question, dans une assemblée, si de vraies chrétiennes devaient se réjouir ou s'attrister de la mort de leurs amies mortes dans l'amour de Dieu. Il nous semble comprendre que plus elles seraient amies, plus elles devraient se réjouir. Je pense bien que c'est aussi le sentiment de là troisième division. Vous pourriez néanmoins consulter à loisir chacun de ses membres, en vous adressant aux officières des fractions. Vous me feriez ensuite un résumé de leurs opinions et des motifs qui les appuieront. Que le retard de ces consultes ne vous empêche pas, en attendant, de m'écrire sur tout ce qui pourrait vous intéresser, mais jamais, ma chère fille, rien de relatif aux nouvelles. Si j'apercevais que vous et vos pieuses compagnes eussiez autre chose à faire qu'à prier, je prendrais des précautions pour vous en instruire.

Vous avez dû recevoir les 4 Manuels du Serviteur de Marie que j'ai fait expédier. J'ai tiré aussi le petit mandat tant pour les 15 fr. que vous m'avez annoncés que pour les manuels.... "

Deux mois s'étaient écoulés depuis l'arrestation de Lafon. Le calme semblait revenu, quand, le 17 novembre, aux termes de la circulaire de Fouché, deux commissaires procédèrent à une perquisition au domicile de l'abbé Chaminade et saisirent les papiers qui leur tombèrent sous la main. L'après-midi, le directeur de la congrégation était convoqué chez Pierre Pierre qui, le lendemain, envoya à Paris un rapport ainsi conçu :

"Aujourd'hui dix-sept novembre mil huit cent neuf, par-devant nous commissaire général de la ville de Bordeaux, a été introduit par les sieurs d'Olhéguy et Boyer, commissaires de police, le sieur Guillaume-Joseph Chaminade, chanoine honoraire, desservant l'église de la Madeleine, instituée oratoire de secours, auquel nous avons présenté les papiers trouvés chez lui ce matin par les deux commissaires susnommés, qui y avaient apposé les scellés en sa présence. Et après que les susdits scellés ont été trouvés sains et intacts par ledit Sr Chaminade, nous les avons brisés devant lui et

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avons procédé à un examen sommaire, à la fin duquel le Sr Chaminade nous a invité à en dresser un inventaire, en nous observant que parmi ces papiers, il y en avait qui appartenaient au Sr Davasse, son secrétaire. Nous avons mis ces derniers sous une enveloppe particulière et nous avons ensuite remis tous les papiers dans un carton que nous avons scellé en signant ainsi que le Sr Chaminade, attendu que nos occupations ne nous permettaient pas de procéder de suite à l'inventaire demandé.

Après quoi nous avons procédé à l'interrogatoire du Sr Chaminade ainsi et de la manière qui suit :

-.N'êtes-vous pas directeur d'une société religieuse dite Congrégation du culte de la Vierge Marie ? Cette société ne se réunit-elle pas dans l'église de la Madeleine, rue Lalande ? N'a-t-elle pas des officiers nommés par vous ou par elle ? Quel est son but ?

- Je suis directeur de la congrégation susnommée, qui se réunit dans l'église de la Madeleine, rue Lalande, chaque dimanche et fête chômée, à l'entrée de la nuit et toujours publiquement. Cette congrégation a des officiers nommés par elle, savoir un préfet de deux chefs de division. Le préfet actuel est le Sr Patrice Lacombe, marchand, rue Poitevine. Le but de cette société est de réunir, par l'appareil de ces assemblées, un grand nombre de jeunes gens, soit congréganistes, soit étrangers, aux heures où ils sont les plus désœuvrés et de les porter à la vertu.

- N'y a-t-il pas une semblable réunion des personnes du sexe ? Quel en est le directeur ou la directrice ?

- Il y a en effet une autre congrégation de personnes de l'autre sexe, dont je suis également le directeur. Leurs réunions sont à d'autres heures et n'ont aucune communication ni rapport avec la première. Les assemblées sont toujours publiques et ont le même but.

- Pourriez-vous fournir la liste des congréganistes de l'un et l'autre sexe, ou celles informes que j'ai vues en parcourant tout à l'heure vos papiers et qui se trouvent actuellement sous scellés sont-elles les seules qui existent ? Ces congrégations ont-elles des Statuts et des Règlements ? Pouvez-vous les produire et sont-ils approuvés par M. l'Archevêque ?

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- Je crois le pouvoir avec du temps et des recherches. Je crois que les différents officiers peuvent avoir des listes entre leurs mains pour l'une et l'autre congrégation et que, par conséquent, les listes informes qui se trouvent dans mes papiers mis sous le scellé ne sont pas les seules qui existent. Les congrégations n'ont ni statuts ni règlements, mais seulement des usages qu'un grand nombre de congréganistes observent sans obligation. M. l'Archevêque connaît seulement l'existence de ces congrégations.

- Pouvez-vous me donner le nom des deux chefs de division de la congrégation des dames ?

- Les deux chefs de division se nomment MM. Goudelin, instructeur aux Sourds-muets et Lemathe, imprimeur, chez M. Pinard, rue des Lauriers. Pour les dames, Mlle de Lamourous est la Mère. Je ne me rappelle pas en ce moment les noms des autres officières.

- Ces deux congrégations, notamment celle des hommes ont-elles des affiliations avec quelque autre congrégation de l'Empire ?

- Elles n'en ont aucune.

Et plus n'a été interrogé.

Lecture à lui faite du présent procès-verbal et interrogatoire, a dit icelle contenir vérité et, avant de signer, nous lui avons déclaré que les deux congrégations dont il est directeur sont dès ce moment dissoutes en exécution des ordres de Son Exc. le Sénateur ministre de la police générale de l'Empire, et qu'il ait en conséquence à ne plus les convoquer ni faire convoquer.

A quoi le Sr Chaminade nous a répondu qu'il y déférait, en nous observant que se réunissaient à la Madeleine un très grand nombre d'enfants qui tous ont fait leur première communion, dans l'objet de les former à la vertu et de les entretenir dans les sentiments pieux de leur première communion ; qu'il demandait en conséquence, que nous ne regardions pas comme dépendances des congrégations ces réunions d'enfants.

Nous avons répliqué que provisoirement cette réunion d'enfants pouvait avoir lieu, jusqu'à nouvelle décision de Son Exc. le Sénateur ministre auquel nous en rendrions compte.

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Et ledit Sr Chaminade a signé avec nous au bas de chaque page."

Une lettre du commissaire général accompagnait le texte de l'interrogatoire :

"Votre lettre du 3 de ce mois, disait Pierre Pierre, que je n'ai reçue que le 13, a excité mon attention. Selon les désirs de Votre Excellence, j'ai fait saisir par les sieurs d'Olhéguy et Boyer, commissaires de police, les papiers du Sr Chaminade, prêtre et directeur de la congrégation du culte de la Vierge Marie. Je n'ai pu encore que parcourir rapidement les objets mis sous le scellé. J'ai chargé spécialement MM. d'Olhéguy et Boyer de leur examen et j'aurai soin d'en rendre un compte exact à Votre Excellence.

Je m'étais auparavant abouché avec M. le préfet, qui avait reçu pareille dépêche de Votre Excellence. J'ai fait subir au Sr Chaminade un interrogatoire, dont j'ai l'honneur de vous transmettre une copie.

Vous remarquerez, Monseigneur, que j'ai dissous les réunions de cette congrégation, et j'aurai soin de tenir la main à l'exécution des ordres de Votre Excellence à cet égard.

Cette société, établie depuis le Concordat, était extrêmement répandue à Bordeaux. Elle a même excité, à diverses fois, les réclamations de MM. les curés, qui se plaignaient de ce que cet établissement contrariait les réunions des fidèles dans les églises paroissiales. Elle percevait des aumônes ou des redevances de ses affiliés, pour l'entretien de l'institution et autres dépenses appelées pieuses. "Cette association était au reste un vrai foyer de fanatisme. Pendant longtemps, j'ai eu un agent particulier qui s'était fait congréganiste, pour mieux me servir ; mais son absence et surtout la trop grande diminution de mes dépenses secrètes ; ne m'ont `pas permis de suivre avec autant de soin ces réunions. M. Chaminade m'a témoigné son étonnement, lorsque je lui ai donné des détails circonstanciés et particuliers dans un journal que j'ai des séances de cette société. Je pourrai le communiquer à Son Exc. si elle le juge convenable. Ils remontent à l'an XI et sont assez curieux.

"La réputation de la congrégation du culte de la Vierge Marie a absorbé la connaissance des autres sociétés religieuses. Je vais

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cependant m'assurer de leur existence et je les dissoudrais si elles ont les caractères tracés par vos instructions.

Je redoublerai mes efforts dans cette circonstance, Monseigneur, pour justifier la confiance de Sa Majesté et celle de Votre Excellence".

Sans déposer la plume, le commissaire mettait le préfet de la Gironde au courant de ses opérations et celui-ci, le baron Gary, s'empressait d'informer, lui aussi, le ministre de la police générale. Il annonçait comme une découverte sensationnelle que dans les papiers du Sr Chaminade se trouvait "la liste des habitants attachés à cette congrégation et aussi la notice des fonds versés par tous ceux qui en étaient membres". On s'occupait du dépouillement de ces papiers ; le résultat en serait bientôt transmis avec un rapport que le commissaire général promettait pour une date rapprochée.

Dès le 15, le même préfet avait averti Fouché qu'il ne pensait pas que, dans son département, il y eût des congrégations ailleurs qu'à Bordeaux, mais que néanmoins, il avait prescrit aux sous-préfets de dissoudre celles qui pourraient exister. Et, comme preuve de vigilance, il avait ajouté : "deux jeunes ecclésiastiques du séminaire de Bazas ont passé pour avoir fait partie de cette agrégation : j'ai obtenu, il y a environ deux mois, leur renvoi de M. l'Archevêque de Bordeaux".

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Chapitre cinquième

JUSQU'AU BOUT ....

La congrégation de la Madeleine pouvait-elle encore être sauvée ? M. Chaminade le crut quelque temps et ne négligea rien pour obtenir le retrait des mesures prises.

Le 21, trois jours après la perquisition, il .dressait au commissaire Pierre, mais à l'intention du ministre de la police, un mémoire qu'il intitulait : "Notes sur la congrégation, fournies par M. Chaminade, chanoine honoraire de l'Eglise de Bordeaux". L'exposé, simple et concis, ne manque pas d'habileté. Il met d'abord en relief le caractère public de l'association : "On prendrait, commence-t-il, une fausse idée de cette réunion, si on la jugeait d'après celles du même nom qui se sont formées en différents temps et qui n'ont eu de commun avec elle que quelques dénominations". Celle de Bordeaux fut formée avant le Concordat, lorsque la religion était encore sous une sorte de proscription ; ses exercices ne commencèrent qu'après en avoir prévenu l'autorité locale et la soumission en fut faite en outre à M. Portalis, ministre des cultes, par le vicaire général du diocèse.

"La publicité que, dès sa naissance, on donna à la congrégation est donc une première garantie qu'il n'y avait, ni dans ses moyens, ni dans sa fin, rien de contraire aux intérêts du gouvernement".

Vient la démonstration de la thèse par l'énoncé du but et des moyens :

"Son objet fut de préserver les jeunes gens de la corruption du vice et d'en retirer ceux qui avaient eu le malheur d'y être tombés". On imagina comme moyens, de tenir des assemblées, les jours de fêtes chômées, aux heures où, d'ordinaire, les jeunes gens sont les plus désœuvrés. Elles étaient publiques et n'ont pas cessé de l'être.

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On les remplissait par des discours, des dialogues ou des dissertations sur quelques points de religion ou de morale".

L'organisation écarte toute possibilité d'abus.

"Celui qui portait le titre de préfet et ses deux assistants n'y avaient d'autre emploi que de maintenir l'ordre et la décence.

L'assistance à ces assemblées ainsi qu'à quelques pratiques religieuses a toujours été libre.

L'ecclésiastique qui avait le titre de directeur n'exerçait d'autre autorité sur ces jeunes gens que celle qui naît de la confiance. Son caractère connu, ses principes modérés, sa conduite dans toutes les circonstances de sa vie, soit pendant la Révolution, soit après, étaient d'ailleurs une garantie pour l'autorité".

La conclusion qui s'impose après cet examen peut être confirmé par la police elle-même.

"Si on envisage la congrégation en elle-même ou dans ses pratiques de piété, ou dans ses assemblées, on n'y trouvera rien qui puisse faire craindre ni l'exaltation dans les idées religieuses, ni le relâchement dans le respect et la soumission aux lois et à leurs dépositaires. Neuf années d'une existence irrépréhensible dispenseraient de toute autre preuve, mais on a la confiance d'invoquer ici le témoignage de Monsieur le commissaire général de police, dont la surveillance, toujours active, pour tout ce qui intéresse le gouvernement ou les mœurs, a toujours eu l'œil ouvert sur cette institution".

Il y a plus : si elle n'était pas dangereuse, elle était utile :

"Non seulement elle n'offrait rien de dangereux, mais au contraire, elle était d'une utilité incontestable pour le maintien des bonnes mœurs, par la réforme qu'elle introduisait parmi les jeunes gens. Que le gouvernement daigne consulter les autorités locales, il se convaincra qu'aucune institution n'a fait plus de bien sous ce rapport. Dans les instructions religieuses ou morales qu'on y faisait aux jeunes gens, tous les sentiments qui rendent meilleur fils, meilleur citoyen, meilleur sujet, étaient inspirées.

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"Pour coopérer au bien de cette jeunesse, quelques pères de famille respectables s'étaient joints à eux et les aidaient dans leurs extrêmes besoins ; ils les arrachaient ainsi souvent à la cruelle alternative de la misère ou du crime".

Les mêmes considérations valent pour les jeunes filles.

"Ce que nous disons des jeunes gens, nous pourrions, à plus forte raison, le dire des jeunes personnes de l'autre sexe. La congrégation a été, pour plusieurs d'entre elles, un préservatif de la corruption. Leur innocence s'est garantie au milieu des écueils dont cette grande ville est semée".

Et le plaidoyer se termine par l’évocation des dangers que présente la suppression de l'œuvre.

"La suppression de la congrégation porte donc un notable préjudice à la société, par l'utilité dont elle était pour conserver les mœurs parmi la jeunesse.

Privés des instructions et des bons exemples qu'ils y recevaient, la plupart de ce qui reste des jeunes gens vertueux se corrompront par le désoeuvrement des jours de repos, par la fréquentation des libertins, des lieux publics et dangereux, par la misère même. On verra se grossir la liste des scandales et peut-être des crimes, et on aura à gémir de la perte d'une institution qui fut chère à tous les gens de bien."

Les Notes s'arrêtent sur cette perspective désolante. La lettre d'envoi, d'une autre encre, curieuse en son genre, est bien celle que l'on peut adresser à un policier terrible de loin, rassurant de près :

Monsieur le commissaire général,

Votre cœur fut touché, je m'en aperçus, de l'exposé rapide que j'eus l'honneur de vous faire des suites fâcheuses qu'entraînerait la suppression de la congrégation.

"Je m'y soumis sans murmurer, vous le savez, et j'aurais demeuré dans le silence si, témoin du bien qu'ont opéré les réunions de la jeunesse, vous ne m'aviez invité vous-même à vous fournir un petit

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mémoire pour le mettre sous les yeux de Son Exc. le ministre de la police générale.

Votre invitation tempéra l'amertume de mon âme et me fit espérer.

Je ne parais parler dans les réflexions que je prends la liberté de vous faire passer, que de la congrégation des jeunes gens, parce que vous aviez eu la bonté de me dire déjà que vous pensiez que le gouvernement laisserait subsister la congrégation des jeunes personnes de l'autre sexe, et que tout ce que l'on peut dire de la première s'applique, à bien plus forte raison, à la seconde. O que de scandales ont été arrêtés depuis neuf ans" !

Pierre transmit-il le mémoire ? On peut en douter : jamais la correspondance ultérieure entre Paris et Bordeaux n'y fait allusion.

* * *

Fouché, dans son bulletin du 24 novembre, inséra à peu près tout le rapport que Pierre avait rédigé le 17, ainsi que les observations complémentaires contenues dans la lettre d'envoi. Dans la marge même du rapport, il écrivit : "Il a eu tort d'autoriser les réunions d'enfants ; c'est dans leurs paroisses que ces enfants doivent se réunir pour être instruits par leurs curés". Plus loin, en face des lignes où le commissaire s'excusait de n'avoir pu surveiller davantage la congrégation, il ajouta "C'était cependant un des premiers devoirs de sa place et cet objet devait certainement plus l'occuper que toutes les sottises dont il se redonnait la peine de nous entretenir dans ses rapports". En conséquence, le conseiller d'Etat Pelet, chef du deuxième arrondissement de police, fut chargé de faire la leçon à son subordonné.

Celui-ci, pourtant, poursuivait son enquête, mais sans hâte.

Le 28, il convoquait M. Chaminade pour le lendemain à 10 heures, voulant procéder en sa présence à l'inventaire des papiers saisis le 17, 72 pièces furent retenues. Il y avait de tout : 8 cahiers de notes destinées à être utilisées dans des sermons, des lettres reçues, quelques écrits relatifs à la congrégation, jusqu'à deux vignettes "que

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M. Chaminade, - mentionne le procès-verbal, - a dites (sic) être connues sous le nom de Cœur de Jésus".

Le 1er décembre, l'infortuné directeur s'adressa de nouveau à Pierre. Il essayait de lui montrer l'inutilité de garder tels et tels papiers trouvés chez lui ; il demandait au moins l'autorisation de fournir par écrit quelques éclaircissements sur l'un ou l'autre numéro.

C'est alors qu'au moment de répondre, le commissaire reçut la lettre de Pelet.

"Son Exc. le Sénateur ministre, lut-il, m'a renvoyé, Monsieur, votre lettre du 18 de ce mois, par laquelle vous l'avez informé de la dissolution de la congrégation du culte de la Vierge Marie, dirigée par le Sr Chaminade, chanoine honoraire de Bordeaux, dont vous lui avez, en même temps, transmis l'interrogatoire.

"Je dois vous faire observer à cet égard que cette société étant regardée depuis longtemps comme un foyer de fanatisme et son existence ayant excité de nombreuses réclamations de personnes animées d'une juste et raisonnable piété, ainsi que vous l'avez écrit vous-même dans votre bulletin du 15 au 20, il eût été à propos de m'en informer ainsi que des instructions que vous étiez dans le cas de donner à vos agents pour savoir ce qui se passait. Cet objet était beaucoup plus important que les divers autres dont vous m'avez entretenu, attendu qu'il demandait de promptes mesures.

Quant à la réunion des enfants à la Madeleine, c'est dans leurs paroisses qu'ils doivent se réunir pour y être instruits par leurs curés ou desservants.

A l'égard du Sr Chaminade et des autres chefs de la congrégation, vous voudrez bien me donner des détails personnels sur leur conduite, leurs opinions, leur degré d'influence. Vous aurez soin également de me faire connaître le but réel ou présumé de cette association d'après les rapports particuliers que vous dites avoir sur ce qui se passait. Veuillez donc me transmettre tout ce que vous m'annoncez avoir de curieux depuis l'an XI".

Quelle impression ce blâme à peine voilé produisit-il sur le fonctionnaire impérial ? Il est difficile de le dire exactement. Il ne

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semble pas l'avoir stimulé beaucoup. Si Pierre Pierre transmit à l'abbé Chaminade la décision ministérielle au sujet des enfants, en le priant d'en accuser réception et de s'y conformer, s'il lui déclara ne plus pouvoir "toucher" aux papiers saisis, il s'offrit aussi à attendre "les observations en marge de l'inventaire", jusqu'au mardi suivant, alors qu'on était au samedi. Décidément, il n'était pas très pressé. Aussi bien, si l'affaire avait été renvoyée par Fouché au second arrondissement de police, c'était un signe qu'il ne s'agissait pas de faits particulièrement importants.

L'abbé Chaminade rédigea donc ses Observations. Mais déjà il avait écrit à l'abbé Rauzan qui se trouvait à Paris, pour étudier avec lui la possibilité de faire intervenir le cardinal Fesch. En attendant une réponse, il composa une nouvelle note que, le 4, il fit transmettre par l'archevêque au ministre des cultes.

Bigot de Préameneu répondit le 14. Ignorant encore ce qui s'était passé, il avait demandé au ministre de la police de lui communiquer la circulaire en vertu de laquelle les congrégations mariales avaient été dissoutes, mais il entrait pleinement dans toutes les vues de son illustre collègue. "Je vous en transmets une copie, disait-il à l'archevêque. Vous y verrez qu'il n'est question que des réunions qui ont un but religieux en apparence, mais dont les membres, après quelques pratiques de dévotion, s'occupent, suivant les renseignements parvenus à la police, d'objets entièrement étrangers à la religion. Il vous est facile d'apercevoir les motifs qui dans les circonstances présentes, ont porté Sa Majesté à faire intervenir l'action de la police pour la dissolution de ces sociétés. Il fallait connaître. avec exactitude leur nombre et leur objet, examiner leurs papiers, vérifier s'il n'existait aucune correspondance contraire aux intérêts de l'Etat, ce qui était autant, de mesures dépendantes des attributions de la police".

Puisqu'à Paris on savait mieux que l'archevêque de Bordeaux ce qui se passait à la congrégation de la Madeleine, il était inutile d'insister. C'était d'ailleurs l'époque où le gouvernement s'énervait de ne pas découvrir qui répandait la bulle d'excommunication.

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* * *

Restait pourtant le cardinal Fesch. L'abbé Rauzan, aux premiers sondages, semble avoir répondu en conseillant de faire présenter à Son Eminence, par Mgr d'Aviau, une demande justifiée. De là ce plan de lettre que l'abbé Chaminade soumit à l'archevêque de Bordeaux, aux derniers jours de 1809 :

Monseigneur,

"Pour vous épargner la peine de compulser les diverses notes que j'ai faites pour éclairer leurs Excellences les ministres des cultes et de la police générale, et pour entrer dans les vues de M. Rauzan, je vais user de la liberté que vous m'avez donnée de mettre sous les yeux de Votre Grandeur ce que je croirais convenable d'exposer et de demander à Son Altesse Eminentissime. Vous n'aurez Monseigneur, qu'à supprimer, changer ou ajouter tout ce que l'amitié dont vous m'honorez et votre sagesse ordonneront.

"Et d'abord apprend à S.A.E. l'événement qui alarme tant de gens de bien, la dissolution de la congrégation dont les exercices se faisaient depuis 9 ans révolus, avec tant de fruits et tant de tranquillité. Vous ne ferez que rendre hommage à la vérité, en assurant que l' ecclésiastique à qui on donnait le nom de directeur, ne s'est jamais mêlé d'affaires du gouvernement que pour lui former de fidèles sujets et pour enseigner les principes du respect et de la soumission à l'autorité souveraine et à ses représentants, etc. ...

1° - S. A. E. ne sera pas étonnée que vous la priiez de solliciter le rétablissement de la congrégation telle qu'elle était, si vous lui dites l'impossibilité qu'il y a de suppléer jamais au bien qu'elle faisait non seulement à la religion, mais encore au gouvernement, que depuis 9 ans révolus, on n'a jamais rien eu à lui reprocher, que depuis son origine néanmoins, ses réunions ont toujours été publiques, que les étrangers ont toujours été accueillis avec honnêteté dans ses assemblées, qu'ordinairement il y avait des surveillants de police, que les abus que le gouvernement a cru pouvoir s'y glisser, parce qu'ils se seront peut-être rencontrés dans quelque autre congrégation, sont comme impossibles dans celle de Bordeaux, par sa forme : il ne peut jamais se tenir aucune espèce d'assemblée que le directeur n'y soit

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présent, que les torts que le gouvernement a trouvés dans M. Lafon, congréganiste de Bordeaux, lui sont absolument personnels et individuels : ni la congrégation, ni son directeur ne sont entrés en rien ni pour rien dans ses liaisons ou dans ses correspondances.

2° - Si Sa Majesté ne voulait revenir sur l'ordre donné pour la dissolution- de la congrégation des jeunes gens, M. le ministre de la police pourrait, à la demande de S.A.E. permettre les réunions des enfants. On entend par enfants, les adolescents qui ont fait leur première communion et qui sont au-dessous de 16 ans. Les réunions ne sont pas possibles dans les paroisses, l'expérience ne le démontre que trop. Sans la congrégation, elles seront très difficiles à opérer et ne produiront pas les mêmes effets, par le défaut des bons exemples et des motifs d'émulation qu'ils trouveraient dans la congrégation : toujours travaillerai-je à préserver du vice le plus grand nombre qui se pourra.

3 - La congrégation des personnes de l'autre sexe a été dissoute en même temps ; mais ce n'est qu'une extension donnée par M. le commissaire général à l'ordre qu'il a reçu de Son Exc. le ministre de la police. S. A. E. pourrait au moins faire rentrer l'ordre dans ses premières limites et laisser subsister cette congrégation qui a sauvé tant de jeunes, personnes de la corruption du vice.

4° - Tous mes papiers, saisis par M. le commissaire général, sont au commissariat. S.A.E. pourrait bien facilement faire donner un ordre à M. le commissaire général de me les remettre. Ils ont été vus et revus : y a-t-on trouvé autre chose que la franchise et la bonne foi avec laquelle j'ai laissé prendre tout ce qui pouvait faire connaître ce que j'ai toujours été ?

M. Rauzan, qui a l'honneur d'être auprès de S.A.E. pourra lui donner tous les renseignements quelle pourrait désirer.

Pour plus grands développements, vous pourriez joindre à votre lettre les copies : 1° de la lettre du ministre des cultes avec la circulaire du ministre de la police générale à M. le commissaire général ; 2° de mes réflexions pour le ministre des cultes ; 3° de mes notes pour le ministre de la police avec la lettre que j'écrivis à M. le commissaire général en lui envoyant ces notes.

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Vous verrez, Monseigneur, si vous ne pourriez pas encore ajouter, comme réflexion, que vous ne demanderiez pas le rétablissement de la congrégation de Bordeaux, si la mesure générale de la dissolution des congrégations n'énonçait pas un motif qui n'était pas applicable à celle-ci, que Sa Majesté aurait du plaisir à trouver moins de coupables qu'elle ne pensait et à pouvoir conserver des Institutions dont les formes garantissent des abus et contribuent efficacement à policer une petite portion de ses sujets et à les attacher à la religion et à sa personne".

Au ton de cette lettre, on devine que l'archevêque était en plein accord avec son chanoine. Mais si Mgr d'Aviau fit, auprès du cardinal, la démarche dont il est question ici, d'avance cette démarche était vouée à l'échec. Déjà Napoléon a écrit à son oncle : "Il est du devoir de mon clergé d'obéir et... le Saint-Esprit cesserait d'être avec lui le jour où il tenterait de s'écarter de l'obéissance qu'il me doit". Déjà l'impérial neveu a écrit au duc d'Otrante, par rapport au Primat des Gaules : "Faites-lui connaître... que je ne souffre pas que qui que ce soit manque à l'autorité dont je suis revêtu et lui moins que personne... Ou ma lettre est contre la religion ou elle ne l'est pas, et appartient-il à un évêque de changer le caractère que je lui ai donné ? Je suis théologien autant et plus qu'eux ; je ne sortirai pas de la ligne ; mais je ne souffrirai pas que personne en sorte". Pierre Pierre n'avait pas outrepassé les volontés impériales. Le 22 décembre, à la suite de plusieurs interventions, le conseil de police soumit au ministre la question suivante : "Des congrégations n'ayant pour objet que des exercices de piété, et qui sont autorisées par les évêques, sont-elles dans le cas d'être supprimées ?'' Le duc d'Otrante répondit que l'intention de Sa Majesté était de supprimer ces réunions pieuses auxquelles se rattachaient le plus souvent des intérêts politiques ; qu'aucune ne devait exister sinon en vertu d'une autorisation spéciale du gouvernement, seul juge de la nécessité de leur établissement. Plusieurs évêques, s'appuyant sur les meilleures raisons essayèrent d'obtenir une exception : tous échouèrent. A Lyon même, la police dispersa toutes les associations pieuses, sans excepter celle que dirigeait le grand vicaire Brochart. Dans ces conditions, le cardinal Fesch, qui n'avait pu sauver les missionnaires

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de M. Rauzan, ne pouvait guère intervenir d'une manière efficace en faveur de la congrégation de Bordeaux.

* * *

Pierre Pierre prenait son temps. Sans doute, sachant à quoi s'en tenir, voulait-il classer l'affaire. Mais il y avait Paris. Que faire ? Ce que font parfois des fonctionnaires intelligents, à toutes les époques : feindre un zèle excessif qui fasse craindre au gouvernement d'être entraîné dans une intervention ridicule. Parmi les papiers saisis il y avait la lettre par laquelle, en 1807, M. Rauzan avait averti l'abbé Chaminade de ménager autant que possible la susceptibilité du Frère Séraphin, directeur des Frères de la Doctrine chrétienne à Bordeaux. "Personne, avait alors écrit le protégé du cardinal Fesch, ne connaît mieux que vous les ménagements, les égards, et si je puis m'exprimer ainsi, les saintes adresses de la charité". J'ai trouvé, dut penser le commissaire, en lisant et relisant cette phrase. Et gravement, le 16, ayant mis sur son papier la mention confidentielle, il écrivit à Fouché :

Monseigneur,

"Une indisposition qui me retient encore dans mes appartements ne m'a pas permis d'achever le dépouillement des papiers saisis chez M. l'abbé Chaminade, directeur de la congrégation du culte de la Vierge Marie. En attendant la prochaine confection de ce travail, je crois devoir adresser à Votre Excellence une lettre, sous le n° 55, trouvée parmi ces papiers et écrite de Lyon, le 15 septembre 1807, à cet ecclésiastique, par M. l'abbé Rauzan qu'on dit secrétaire de l'assemblée du clergé qui se tient actuellement à Paris. On sait bien que ce dernier n'occupe cet emploi que par la puissante protection de Son Eminence le cardinal Fesch, qui lui porte, dit-on, un vif intérêt. Il m'a paru cependant utile de mettre confidentiellement sous les yeux de Votre Excellence une pièce qui puisse donner une idée du style et des sentiments de ce prêtre attaché depuis quelques années à un établissement religieux dans le diocèse de Lyon. Les saintes adresses de la charité n'échapperont certainement point à l'attention de Votre Excellence, qui fera de cette lettre l'usage qu'elle jugera

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convenable. Si elle n'offre rien qui puisse piquer la curiosité ou intéresser la police générale, elle pourrait être gardée au ministère pour être jointe aux autres papiers de M. l'abbé Chaminade que je me propose d'adresser à M. le conseiller d'Etat Pelet, aussitôt après leur dépouillement que je suis sur le point d'achever".

Effectivement, la lettre de M. Rauzan fut gardée au ministère et c'est ainsi qu'elle se trouve aujourd'hui aux Archives nationales, mais Fouché, qui avait tout de même du bon sens et le sens du ridicule y a mis la mention : classée.

Pierre ne voulait probablement pas autre chose. Le 28, il n'a pas encore rédigé son rapport, "mais, écrit le préfet Gary,il résulte de ce dont il a bien voulu me faire part verbalement, d'après le dépouillement qu'il a commencé des papiers, que ce dépouillement ne présente rien de suspect sur le point de vue politique. On remarque seulement que ses .adeptes sont fortement attachés à leurs opinions religieuses. Ils composent une espèce de secte qui aspire à une plus haute perfection que le commun des fidèles. Ils font leurs exercices spirituels à part, et sont en quelque sorte détachés des paroisses. De là résulte nécessairement une sorte de jalousie entre eux et les autres fidèles, comme entre leur pasteurs et les curés".

En promettant de transmettre le rapport définitif dès qu'il l'aurait, le baron notait dans sa finale : "tous mes autres renseignements sont conformes à ceux donnés par M. le commissaire général.

Le silence des archives, le fait que M. Chaminade soit rentré en possession de ses papiers, - la lettre de M. Rauzan exceptée - tout porte à croire qu'il n'y eut pas de "rapport définitif".

* * *

A Paris, Bornier et Briançon, mis d'abord en surveillance aux Invalides, avaient bientôt été envoyés à Auxerre, d'où, en 1811, ils demanderont à se retirer dans leur pays d'origine, Lunel (Hérault) pour le premier, Lorgues (Vaucluse) pour le second. Beaumes père, après un mois de détention s'est vu expulsé de son poste et relégué à Nîmes ; sa femme et son fils seront élargis le 22 mai 1810. Castellin,

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placé en surveillance à Marseille, sera libéré lui aussi au printemps de 1810. Pigenat-Lapalun ne restera en prison que faute d'avoir voulu regagner son pays à ses propres frais. Justus et Giresse ont retrouvé bien vite la liberté. Noailles, après avoir été transféré dans une maison de santé à Chaillot, bénéficiera d'une mesure de faveur à l'occasion du mariage de l'Empereur et sans doute en considération des services de son frère Alfred. En 1811, il passera en Suisse et de là ira de capitale en capitale prêcher une croisade européenne contre celui qu'il regarde comme l'anti-Christ. Lafon fera longtemps démarche sur démarche, pour obtenir un adoucissement à son sort ; mais en juin 1810, appuyé par Alexis de Noailles, il se fera transféré dans la maison de santé du Dr Dubuisson, d'où, dans la nuit du 22 octobre 1812, il s'évadera pour courir l'aventure du général Malet et vivre ensuite sous un nom d'emprunt jusqu'à la Restauration.

La congrégation de la Madeleine, elle, restera supprimée officiellement jusqu'à la fin de l'Empire ; en fait, elle va vivre d'une vie clandestine.

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Chapitre sixième

QUOIQUE PÉNIBLEMENT

D'après le P. Simler, l'abbé Chaminade aurait fait le voyage de Paris pour -plaider la cause de la congrégation. C'est une hypothèse qui résiste peu à la réflexion. Les chances d'aboutir étaient nulles et il le savait. Et puis l'on était en hiver, saison où un rhume catarrheux l'obligeait à des soins réguliers. Plus tard, les événements avaient marché ; le conflit religieux s'était envenimé : il était clair qu'il n'y avait rien à espérer. Navré, mais ne se piquant pas de provoquer des mesures de rigueur par des éclats, confiant en sa foi et décidé à sauver de son œuvre ce qui pouvait l'être, il s'enferma dans le silence de 1810 à 1814.

Quelles sombres années ! Le mariage de l'Empereur avec l'archiduchesse Marie-Louise, la naissance du Roi de Rome, quelques victoires isolées en Espagne, ne sont que des éclaircies dans un ciel de plus en plus chargé et menaçant.

Napoléon s'obstine dans sa lutte contre la Papauté. Furieux, il envoie au donjon de Vincennes, au château d'If, au Fort de Ham, à Fénestrelle, en Corse, dans toutes les prisons d'Etat, les cardinaux, les supérieurs d'ordres, les évêques, les ecclésiastiques qui lui déplaisent ou lui résistent. Au moyen d'un concile national, il essaie de créer une église gallicane. Ayant échoué, il fait amener Pie VII à Fontainebleau pour lui arracher un nouveau concordat.

Le Pape tient bon. Il refuse l'Institution canonique aux évêques choisis unilatéralement par l'empereur. Il interdit à ceux-ci d'administrer les diocèses avec le titre de vicaire capitulaire. Les diocèses sans chef se multiplient. Les consciences subissent une intolérable pression. Le schisme va-t-il renaître ?

Malgré ses 130 départements, la France s'épuise dans un effort de guerre gigantesque. Le blocus continental ruine le commerce et

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l'industrie ; la guerre d'Espagne décime les meilleures troupes : pour quels résultats ? La campagne de Russie est un échec, celle d'Allemagne, tout aussi meurtrières, ne peuvent conjurer la catastrophe. Au début de 1814, toutes les frontières sont forcées ; le pays est envahi au nord, à l'est, au sud, au sud-est, et si les Marie-Louise ont l'âme des vieux grognards ils n'ont pas leur entraînement.

A mesure que pâlit l'étoile de Napoléon, l'expression du mécontentement, des craintes, des espoirs, - il y en a ! - devient plus audacieuse. La police ordinaire ne suffit plus pour rechercher les réfractaires à la conscription. Partout les royalistes remuent.

A Bordeaux, c'est la stagnation, la misère et la détresse. En 1811, et 1812, on souffre de la disette et les épidémies multiplient les décès. En 1814, la population qui était de 110.000 habitants en 1789, ne sera plus que de 60.000. On ne comptera plus que 1.100 ouvriers employés aux constructions navales, au lieu de 10.000 avant la Révolution. Les faillites se multiplient. Suivant un rapport officiel du 31 décembre 1812, 5.200 familles indigentes et 278 familles honteuses, soit 16.509 individus ont été admis aux secours publics, de septembre 1811 à fin août 1812. Faute de ressources, on diminuera le nombre des assistés en 1813, mais le nombre des malheureux ira toujours croissant. "Le mécontentement parait à son comble, écrit Bernadeau, dans ses Tablettes, le 19 septembre 1813. Il devrait éveiller l'engourdissement de l'Empereur sur ses projets trop vastes... Il pourrait espérer de régner, s'il se bornait à défendre la France dans ses frontières anciennes". A la même date, l'annaliste bordelais consigne un incident caractéristique : "Dans une représentation de Sémiramis, on applaudit hier d'une manière très prononcée ce vers : "Le ciel donne souvent des rois dans sa vengeance". L'ironie de pareils applaudissements indique la lassitude générale qu'on éprouve pour le gouvernement actuel et fait la satire de la criminelle apathie de ceux qui en conseillent ou pallient les projets ridiculement atroces". Six jours plus tard, il note : "On a chanté hier à l'église métropolitain de Bordeaux un Te Deum pour nos dernières victoires, qui sont un peu problématiques". Et quelques pages plus loin, il ajoute : "Il pourrait bien se faire qu'on accepte les Bourbons comme un pis-aller".

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La police est débordée. Dès la mi-juin 1811, Pierre Pierre est trouvé tiède par Savary, le successeur de Fouché. Le 25 janvier 1813, il est révoqué, à 44 ans, et la mesure est motivée en ces termes par le ministre : "Depuis quelque temps, on remarquait de l'hésitation et de la faiblesse dans son administration et il répondait mal à la direction que je lui donnais au milieu des circonstances graves qui l'environnaient". Pour le remplacer, on fait venir Joliclerc de Gênes : la situation n'en continue pas moins à se détériorer. Pendant les opérations de recrutement, en décembre 1813, on lance des bulletins royalistes dans le Grand Théâtre et on crie "Vive Louis XVIII" ! "A mort le tyran" ! Une instruction ouverte n'aboutit à rien.

Si retirée que parût sa vie, l'abbé Chaminade n'ignorait rien de l'état du pays. En 1816, Decazes écrira : "M. Chaminade a été longtemps et peut-être est encore intimement lié avec un des fondateurs de l'Anneau". Le ministre fera allusion à cette société des Chevaliers de la Foi, dont le P. G de Bertier a révélé l'histoire. Quelques années plus tard, l'abbé Chaminade confiera lui-même à M. Caillet : "S'il y avait lieu à faire connaître mes sentiments pour la famille royale, vous pourriez, entre autres particularités, dire que c'est moi qui donnait le conseil de l'assemblée qui détermina l'entrée de Mgr le Duc d'Angoulême à Bordeaux, etc... Mais il ne faut parler de ces choses que quand l'occasion le demande. Vous avez pu vous apercevoir que je ne parle guère de l'intérêt, assez actif néanmoins, que j'ai mis, toute la Révolution, à aider, au moins, à préparer les événements qui nous ont donné tant de consolations en même tant que tant de sollicitudes". Jusqu'où est allé cet engagement dans le réel ? Nul ne nous l'a révélé. Mais c'est chez un congréganiste, Estebenet ; que furent arrêtées, dans la nuit du 11 au 12 mars, les directives que les royalistes suivirent le lendemain pour accueillir le duc d'Angoulême ; c'est à Estebenet lui-même que fut confié le premier drapeau blanc qui devait flotter sur Bordeaux, et c'est un congréganiste, le menuisier Hagry, qui l'arbora au clocher de Saint-Michel. "Je suis tout joyeux, s'écrira l'abbé Chaminade au lendemain du 12 mars, quand je pense que c'est un fidèle congréganiste qui a fait arborer, sur le clocher de Saint-Michel de cette ville, le premier drapeau blanc qui, je crois, a paru en France''. Le directeur de la congrégation vivait avec son temps et avec ses contemporains.

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Ses rapports étroits avec l'archevêque le mettaient au courant des difficultés de l'Eglise. Le 2 mai 1811 il envoie ce billet à Mgr d'Aviau : "J’ai appris, Monseigneur, que le concile était définitivement fixé le 8 ou 9 de juin. Je ne cesserai jusque-là de demander à Dieu de vous remplir de l’esprit de force et d'intelligence qui vous sera si nécessaire dans une circonstance qui sera infailliblement la plus importante et la plus délicate de votre vie".

Par ses relations personnelles avec les jeunes gens, les jeunes filles, les pères de famille, il connaît la mentalité générale ; il voit quel désarroi il y a dans les esprits, avec quelles difficultés les jeunes sont aux prises pour vivre honnêtement. Son cœur, un cœur d'or, compatit à toutes les souffrances et celles-ci sont nombreuses.

Un deuil dut lui être particulièrement sensible, celui de l'abbé Lacroix. Noël Lacroix avait été pour lui un initiateur, puis un ami et un auxiliaire précieux. Aux heures difficiles, les deux prêtres avaient dû, plus d'une fois, mettre en commun leur doléances et leurs plans d'action. Aux maux dont ils avaient gémi ensemble, le survivant ajouta la douleur de la séparation. On fit au défunt de belles funérailles, ce qui n'étonna pas le vieil anticlérical Bernadeau : "il était déjà considéré comme un saint homme par les bonnes gens" ! Derrière la dépouille mortelle, le 2 juillet 1813, les congréganistes de la Madeleine furent, sans doute, si nombreux que l'association, ce jour-là, put se croire reconstituée.

* * *

De fait, si elle était dispersée, elle subsistait dans ses membres, et dans son directeur. Si rares que soient les documents de cette époque, - et pour cause, - ils ne laissent pas de nous révéler quelques détails suggestifs.

Dans deux lettres, l'une du 11 mars 1811, l'autre du 19 avril 1812, l'abbé Chaminade se dit très occupé. Quels pouvaient être alors ses travaux ?

Une partie de son temps allait à la Miséricorde et au noviciat des Frères, puisqu'il était supérieur ecclésiastique de ces deux établissements. En 1811, le transfert du noviciat lassalien, de Bordeaux à Toulouse, le dégagea partiellement. Rigagnon prétend

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qu'il fut chargé de cours au séminaire. C'est possible, mais l'expérience ne fut pas de longue durée : "Le bon M. Chaminade, rapporte notre témoin, vint aussi nous donner... un enseignement difficile à suivre, avec un langage et des mutations de voix incroyables, tellement que l'on ne pouvait s'empêcher de rire".

La congrégation resta le centre de son activité. Il écrit le 10 avril 1812 : "Ici, tout va, quoique péniblement". Ces mots résument les années 1810 - 1813.

Des réunions publiques, des réunions de piété spéciales aux congréganistes, il ne saurait être question. Mais la Madeleine reste ouverte. Officiellement, elle est un oratoire de secours érigé après autorisation préfectorale pour les trois paroisses Sainte-Eulalie, Saint-Eloi et Saint-Paul. L'abbé Chaminade y assure le culte en vertu de l'ordonnance épiscopale du 12 novembre 1804, où la congrégation n'a pas été nommée. Cela suffit à la police du commissaire Pierre Pierre, pour rendre correcte et légale l'attitude du desservant.

Se trompe-t-on beaucoup alors, si l'on pense que l'assistance aux offices du dimanche, au salut du vendredi ; du premier jeudi du mois, continua à être composée en majorité de congréganistes ?

La congrégation subsiste si bien qu'au témoignage du directeur même, "en tous temps, elle s'accroît de nouveaux membres". Jusqu'en décembre 1812, les jeunes gens perçoivent des cotisations et versent à leur directeur ses honoraires habituels. Dans beaucoup de paroisses, des congréganistes fervents réunissent les enfants de la première communion, leur font apprendre le catéchisme, les divertissent le dimanche, les conduisent en promenade, quand la saison le permet. Le commissaire Pierre a été prévenu de ces réunions paroissiales et il ne s'y est pas opposé. S'il ne peut plus s'adresser aux associés en public, l'abbé Chaminade reste à leur disposition pour la direction de conscience et beaucoup recourent à lui. Ainsi se maintient l'esprit.

Les membres qui habitent le quartier des Chartrons se distinguent par leur zèle et leur fidélité. En 1804, l'archevêque avait approuvé la reconstitution, dans la paroisse Saint Louis, de la congrégation

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mariale que les Carmes avaient organisée en 1765 et dirigée jusqu'à la Révolution.

Cette association différait très peu de celle de la Madeleine : même dévotion à l'Immaculée Conception de la Vierge, mêmes genres de pratiques, mêmes usages essentiels, même esprit. Les bonnes relations que l'abbé Chaminade sut entretenir avec le curé de Saint-Louis et avec celui de Saint-Martial achevèrent de changer en collaboration ce qui aurait pu être un ferment de rivalité plus ou moins marquée. Ce fut heureux. Quand en 1809, la congrégation de la Madeleine fut déclarée dissoute, celle des Chartrons, moins spectaculaire, échappa aux mesures de rigueur. A une enquête du gouvernement, Mgr répondit qu'on pouvait compter "pour dévotions paroissiales les exercices de piété pratiqués aux églises des Chartrons, sous la protection et spéciale invocation de la sainte Vierge, par quelques personnes associées et conduites par leurs curés respectifs". D'après le commissaire de police, la "confrérie" des Chartrons comptait 25 hommes et 60 femmes à Saint-Louis, 50 femmes environ à Saint-Martial. Il est naturel que l'abbé Chaminade ait alors dirigé sur la confrérie épargnée les congréganistes qu'il ne pouvait plus réunir. Qui sait si lui-même n'a point paru dès lors à Saint-Louis et à Saint-Martial ?

Les jeunes filles ne lui donnent pas moins de satisfaction que les jeunes gens. "La congrégation des jeunes personnes, écrit-il en août 1812, était généralement très édifiante. La Providence en a permis la suppression : je n'ai pas murmuré, quoique je l'aie regrettée à cause du bien qui s'y faisait. La vertu de ses membres est moins équivoque depuis qu'elle n'existe plus. Elles se comportent généralement très bien. Il doit y en avoir peu qui aient oublié leur consécration au culte de la très sainte Vierge".

Ici, l'animatrice est Mlle Félicité Lacombe de Pigneraud, qui, depuis 1809, remplit les fonctions de Mère à la place de Mlle de Lamourous. "Elle porte à la vertu et à la religion toutes celles qui s'approchent d'elle. Il y en a plusieurs qui la voient souvent. On dirait qu'elle est leur mère, par la confiance et l'intimité qui règnent entre elles". Au début de l'hiver 1811, elle tomba malade. Elle ne devait plus guérir ; mais la maladie ne ralentit pas son zèle : "Elle travaille

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plus que ne feraient deux bien portantes. Le bon Dieu donne la bénédiction à ses travaux". Après sa mort, survenue en 1814, son directeur ne put retenir son admiration et, tout ému, lui si calme d'ordinaire, il dévoila le secret de son influence dans les lignes suivantes adressées à Adèle de Trenquelléon : "Mlle Lacombe mourut le 23 janvier, ou plutôt, alors elle commença à vivre de la vie seule désirable. Sa vertu ne se démentit ni ne s'affaiblit point vers la fin de sa carrière. Il était convenu entre nous, dès qu'elle parut sans ressource, qu'elle ne témoignerait jamais le bonheur qu'elle avait de souffrir beaucoup et sa joie d'aller à la céleste patrie. Pendant sa vie, elle ne pouvait se rassasier de pénitences et d'humiliations. Elle triomphait intérieurement de joie de voir s'éloigner de jour en jour l'heure de sa mort, afin de souffrir davantage avant son départ. Elle a passé près d'un mois dans des douleurs très aiguës. Pendant les 8 ou 9 derniers jours, elle ne put plus se remuer qu'avec le concours d'une compagne. Celle-ci s'aperçut le dernier jour que, quand la malade voyait arriver à peu près l'heure où je la visitais, elle se faisait tourner pour souffrir davantage et pour se priver du plaisir de me voir. A toutes les heures, elle faisait depuis longtemps, une des stations de la Voie de la Croix, et les trois dernières semaines, à chaque station, elle offrait ses souffrances pour une des fractions des jeunes personnes. Je n'ai jamais trouvé un zèle plus vif et plus constant pour le salut des jeunes personnes. Enveloppée d'une grande modestie et d'une profonde humilité, elle était sans cesse : depuis plusieurs années, occupée à les instruire, à les encourager, à leur rendre toutes sortes de services, ou à prier pour elles".

Mlle Lacombe appartenait à cette élite que l'abbé Chaminade cultivait dans les groupes de ferveur.

La dissolution de la congrégation donna à ceux-ci une valeur particulière. L'association subsistait en eux, comme le directeur l'avait prévu bien avant les événements, et par eux un grand nombre de congréganistes anciens continuaient à vivre de l'idéal commun, de nouvelles recrues étaient formées.

Dès cette époque, plusieurs jeunes personnes émettent des vœux privés. Le 15 août 1812, Félicité Lacombe, Marie Courech, Seconde Lablancherie, Henriette Bidon, Elisabeth Bossage et Marie Reine

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souscrivent la formule suivante : "Dieu tout-puissant et éternel, moi....., quoique très indigne que vous abaissiez vos regards sur moi, me confiant toute fois en votre bonté et piété infinies, et poussée du désir de vous servir, voue et promets à votre divine Majesté, en présence de la très sainte Vierge Marie, de toute la cour céleste et de toutes celles qui sont ici présentes et à vous, Monsieur le directeur, et à vous, ma Mère, tenant la place de Dieu, chasteté et obéissance pendant l'espace de trois mois, et sous la direction de l'obéissance que je promets, je travaillerai autant qu'il dépendra de moi à la multiplication des chrétiennes. Je supplie votre immense bonté et miséricorde infinie, par le précieux sang de votre fils Jésus-Christ, qu'il vous plaise recevoir cet holocauste en odeur de suavité et m'accorder la grâce d'une entière fidélité à exécuter les vœux que vous m'avez inspirés et que vous me permettez actuellement de vous offrir".

L'obéissance, on l'aura remarqué, est vouée au directeur et, en outre, à une supérieure appelée Mère. S'il y a une supérieure, il y a un groupement organisé. La correspondance de l'abbé Chaminade nous apprend qu'il s'agit de personnes qui "vivent en religieuses" et "portent un habit religieux sous leurs vêtements ordinaires" et à l'insu des congréganistes.

Quelles sont les pratiques de ces religieuses ? Comment s'appelle leur société, en ces dernières années de l'Empire ? Nul document ne nous fixe d'une façon définitive. Nous en sommes réduits à glaner quelques indications au milieu des multiples papiers sur lesquels le directeur a jeté ses projets autant que ses réalisations.

Sur la portée des engagements de chasteté et d'obéissance, diverses notes projettent une lumière assez vive. En voici une de la main de Mlle Lacombe : "Le vœu de chasteté ne s'étend qu'à ce que la vertu même de chasteté défend. On pèche contre la chasteté par les pensées, les paroles, les actions : ce qui comprend tous les mauvais désirs, les discours licencieux et obscènes, la lecture des romans et de tous les livres dangereux, les chansons qui peuvent contribuer à amollir le cœur et inspirer le vice de l'impureté, les spectacles, les bals, les assemblées mondaines, les danses, la vie molle et sensuelle, la bonne chère, le luxe, les parures recherchées, l'envie de plaire,

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l'immodestie des habits, la fréquentation trop familière des personnes d'un autre sexe".

A ces précisions, l'abbé Chaminade a ajouté de sa main : "Le vœu de chasteté défend aussi de s'occuper de mariage et d'en écouter pour soi aucune proposition".

Quant au vœu d'obéissance, il "n'a rien qui puisse troubler une conscience droite : 1° dans quelque époque de la vie que ce soit, le directeur peut toujours en dispenser ; 2° s'il s'élève quelque difficulté dans son accomplissement la réponse du directeur doit fixer sans autre recours ; 3° l'état de la personne n'est pas sous l'obéissance, mais seulement la personne exerçant son état".

Ce qui prouve que nous ne nous trouvons pas en face d'un essai de fraîche date, c'est que le directeur continue en ces termes : "L'expérience de plusieurs années a prouvé que ce vœu pouvait s'accomplir sans trouble de conscience et néanmoins avec un grand avantage spirituel, soit pour la personne même qui le fait, soit pour les personnes qui deviennent l'objet de son zèle guidé par l'obéissance".

Si curieux que l'on soit, on ne peut en savoir davantage sur ce groupe des jeunes filles. Tout ce que l'on pourrait ajouter ne serait qu'hypothèses invérifiables, faute de documents datés.

* * *

Le travail que faisait les demoiselles Lacombe, Courech, Bossange, Chagne et autres, parmi les jeunes filles, les Estebenet, les Arnosan, les Lousteau, les Bidon, les Cantau. et les Lalanne l'accomplissaient parmi les jeunes gens.

Jean-Baptiste Bidon était un congréganiste des origines. Il avait prononcé sa consécration le 1er novembre 1801, après deux mois de probation. D'après certains souvenirs de ses confrères, il semblerait qu'il ait fait partie du petit groupe de jeunes chrétiens qui fréquentaient l'abbé Chaminade avant 1797. S'il n'avait pas été l'un des membres fondateurs de la congrégation, c'est que la conscription lui avait valu d'être enrôlé dans l'armée d'Italie et d'être fait

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prisonnier par les Autrichiens. Libéré sans doute après la paix de Lunéville (février 1801), il s'était joint à ses anciens camarades dès son retour. Simple tonnelier, il ne laissa pas de gagner l'estime de tous, avec la confiance totale du directeur. Il entra au conseil de la congrégation, fut plusieurs années trésorier général et mérita le titre de préfet honoraire.

Ce fut lui qui recruta le jeune Cantau. Il l'avait remarqué, à l'église Sainte-Croix, assidu à la grand'messe, édifiant par son maintien. Ils s'étaient liés et au contact de l'aîné, le cadet avait appris à connaître le groupement de la Madeleine contre lequel il avait d'abord été prévenu. "Peu de temps après qu'il eut été reçu congréganiste, la conscription l'atteignit. Il n'usa d'aucun déguisement pour se soustraire à la loi. Il partit dans les meilleures dispositions de persévérance, se soumettant avec une grande résignation à la volonté de Dieu". Sa santé était délicate. Il fut réformé et on le revit à Bordeaux aussi fervent qu'avant son départ.

Jean-Baptiste Lalanne était plus jeune. Né en 1795, recommandé à l'abbé Chaminade par son père mourant, il fut postulant dans la congrégation et membre du groupe de ferveur dont s'occupait Quentin Lousteau. Ses 16 ans atteints, il fit promesse de congréganiste et ne cessa dès lors d'appartenir à l'élite pieuse.

Dès 1812, alors qu'il était étudiant en médecine et venait, à 17 ans, d'être reçu interne à l'hôpital de Bordeaux, il fixait tous les détails de sa vie dans un long règlement approuvé par son guide spirituel. "Régler sa vie, écrivait-il, c'est disposer toutes ses actions de la manière la plus convenable dans sa situation, pour parvenir à sa fin dernière... Dans mon règlement de vie, je dois disposer mes actions temporelles et spirituelles de la manière que mon état permet et que ma passion dominante et la grâce actuelle exigent".

Envisageant ses études, ce jeune homme intelligent, qui précisément cette année-là, prenait part, aux côtés du naturaliste Laterrade, à la fondation de la Société Linnéenne de Bordeaux, savait s'imposer des résolutions héroïques :

"1.- Je ne me livrerai à l'étude que de manière à laisser un temps libre pour vaquer à mon aise aux œuvres saintes.

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2. - Je m'appliquerai à mépriser la science et à fuir la réputation de savant.

3. - Je cacherai avec soin ce que j'en posséderai, n'écrivant qu'avec une grande nécessité."

Sa place d'interne le mettait en contact avec les malades. Il arrêtait sa conduite à leur égard :

"Je les respecterai, les chérirai au nom de Jésus-Christ, les traiterai avec complaisance et les recommanderai avec indulgence.

Je me ferai un devoir d'une rigoureuse assiduité dans leur service. J'y mettrai tout le temps convenable.

Dans la partie de leur traitement qui m'est confié, j'agirai avec prudence et conseil''.

Le temps accordé au repos et aux repas était parcimonieusement mesuré : 6 heures de sommeil, trois quarts d'heure pour le déjeuner et une demi-heure pour le dîner "sauf quelques cas de bienséance".

Les prières vocales se réduisaient à la récitation du petit Office de l'Immaculée Conception, des Litanies de la sainte Vierge et de l'acte de consécration du congréganiste auxquels il ajoutait, deux fois par jour, le Pater, l'Ave, le Credo, les commandements, le Confiteor ainsi que quelques oraisons à son Ange gardien, à son patron, à saint Joseph.

Il accordait chaque jour une demi-heure à la méditation d'une vertu de Jésus-Christ, et à la lecture spirituelle, le temps nécessaire pour lire un chapitre du Nouveau Testament et un chapitre du Combat spirituel.

A midi, il récitait la formule "Soit faite, louée et éternellement exaltée, la très juste, très haute, très sainte volonté de Dieu en toute chose". C'était une pratique commune aux membres du groupe de ferveur.

A 3 heures, il se recueillait pour contempler Marie au Calvaire.

Il s'endormait en pensant à la mort et en disant le De Profundis. Chaque semaine, il assistait deux fois à la messe. Il se confessait et

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communiait tous les huit jours. Le dimanche, il ne se contentait pas de la messe. S'il y avait une bénédiction, il voulait la recevoir, et s'il y avait quelque instruction particulière aux jeunes gens, il s'y rendait.

Le règlement, très détaillé, se terminait par une liste de mortifications :

"Je ne ferai que deux légers repas par jour. Je ferai toujours à table quelque privation, dans quelque circonstance que ce soit.

Je jeûnerai le mercredi et le samedi, en ne mangeant à souper qu'un quart d'aliments. Quand je serai seul à souper, je souperai au pain et à l'eau.

Je me tiendrai toujours, en travaillant, dans une position un peu gênée. Quand je serai seul, je travaillerai sans m'asseoir.

Je ne me chaufferai pas les pieds cet hiver. Je ne travaillerai jamais qu’à une certaine distance du feu, assez grande pour souffrir du froid. Je ne fermerai pendant tout l'hiver qu'un des rideaux de mon lit, jusqu'à ce que le froid m'empêche de dormir.

Je garderai le silence autant que possible.

Je prendrai en esprit de pénitence toutes les peines et tous les maux qu'il plaira à la Providence de m'envoyer. Je saisirai toutes les pénitences qui se présenteront à mon esprit et qui pourront se faire sans nuire à ma santé, sans paraître au-dehors, sans nuire à mon devoir.

Je renonce à toute occupation inutile ou curieuse : lectures de journaux, d'affiches, de livres de sciences étrangères, versification, composition de prose légère, choses curieuses, feux d'artifice, illuminations, prodiges, bruits et nouvelles de la vie publique.

Je marcherai, dans les rues, les yeux baissés, sans affectation".

Voilà, serte, un programme austère. Il faut faire la part d'une ardeur juvénile qui ne veut compter qu'avec la générosité. L'expérience a pu demander quelques adoucissements. Il reste qu'on ne peut refuser sa confiance à un caractère qui entreprend de se discipliner de la sorte. Est-il étonnant qu'avec de telles recrues

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soutenues par des anciens bien formés, l'œuvre de l'abbé Chaminade ait survécu dans l'ombre ?

Comme pour les jeunes filles, une question se pose ici : ces jeunes gens grâce auxquels la congrégation survivait, formaient-ils un groupement à règlement commun ?

Plus tard, en 1848, l'abbé Chaminade écrira : "Pendant le règne de Napoléon, les pierres de l'édifice restaient dispersées. Elles étaient travaillées insensiblement là où elles se trouvaient placées, par exemple M.M. Bidon et Cantau. Ce témoignage se réfère à la Société de Marie et le fondateur affirme que cette Société n'était pas constituée sous l'Empire. Par contre, il ne nie pas l'existence d'un autre groupement plus large, qui n'aurait pas modifier la situation sociale des adhérents et dont plusieurs notes manuscrites semblent l'indice. Celle-ci entre autres :

ÉTAT RELIGIEUX EMBRASSE PAR DE JEUNES CHRÉTIENS DISPERSES DANS LA SOCIÉTÉ.

1°- Quoique dispersés dans la société, ces jeunes gens croient avoir embrassé un vrai état de vie dans l'ordre de la religion et du salut, puisqu'en effet cet état doit sanctifier toutes les actions et les démarches de leur vie.

2° Leur acte de consécration en est comme la profession.

3° Comme dans tout état de vie, il faut considérer dans celui-ci son esprit, sa fin immédiate et principale, et les moyens qu'il a pour l'atteindre avec facilité.

4° Son esprit est une participation de l'esprit apostolique.

5° Sa fin principale et immédiate est la sanctification des âmes ou la multiplication des chrétiens.

6° Ses moyens sont la direction, l'union, le bon exemple, l'instruction, les bonnes œuvres, la dévotion à la sainte Vierge, les pratiques en commun et les sacrifices.

1.- La direction : La direction part et du régulateur même et du Centre. Celle du régulateur est comme l'âme dans le corps ; c'est elle qui en soutient l'esprit, qui l'empêche de s'affaiblir ou de varier. Celle

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du Centre combine les forces de tous les membres et les applique à la grande fin qu'ils se proposent.

2.- L'union : Union de sentiments, union de prières, union de services et d'intérêts dans les vues de la plus tendre charité. Communion très intime des membres entre eux et surtout avec le régulateur et le Centre. Plus l'influence du régulateur aura d'activité, plus l'union se resserra ; plus il y aura de directions spirituelles différentes, plus l'union s'affaiblira.

3.- Bon exemple : profession ouverte du christianisme ; victoires fréquentes sur le respect humain.

4.- L'Instruction : a. - se bien instruire soi-même ; b. - prendre toutes sortes de moyens pour propager la connaissance de la religion. Pour le premier objet, les avis du régulateur sont de la plus grande conséquence ; pour le second, il faut, tant qu'il est possible, se mettre en rapport avec le Centre. En agissant ainsi, outre le grand avantage qu'il y a de tout faire en union et dans le même esprit, il y a celui d'attirer la bénédiction du ciel, promise à ceux qui ne sont pas sages à leurs propres yeux.

5.- La dévotion à la sainte Vierge : Qu'on se rappelle toujours pour soi et pour les autres ce dont on a fait profession dans son acte de consécration : que Marie mérite un culte singulier, qui n'est dû qu'à elle, qu'elle est la Maîtresse du monde, la Reine des hommes et des anges, la distributrice de toutes les grâces, l'ornement de l'Eglise, etc.... etc….. qu'elle est immaculée dans sa conception, qu'elle accorde une protection spéciale à la jeunesse etc..., qu'en contractant avec Marie une alliance si étroite que celle qui existe entre la mère et l'enfant, on a par là même contracté des devoirs, etc., etc...

6.- Pratiques communes : 1. Réunion tous les huit jours où se réciterait le Petit Office et se ferait une courte instruction ou une lecture spirituelle ; 2. Office en particulier chaque jour ; 3. Direction tous les matins de son intention, pour mettre en commun toutes les œuvres de la journée ; 4. Réunion en esprit, à 3 heures de l'après-midi, dans le cœur de Marie percé d'un glaive de douleur ; 5. Chaque membre aurait son règlement de vie, qui d'ailleurs lui serait propre ;

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6. Communion générale tous les mois, en commun autant que possible.

7.- Les sacrifices : Sacrifices de ses goûts, des temps libres, d'une partie de son superflu, sous l'influence du régulateur et du Centre. Toutes les bonnes œuvres. Outre la propagation de la connaissance de la religion, aucune bonne œuvre, dans la fin de l'Institut, ne doit paraître étrangère".

L'absence de toute allusion à la congrégation date ses lignes. Elles ont été écrites pendant la dispersion des congréganistes, après 1809, alors que les réunions générales étaient impossibles. S'il ne s'agit que d'un projet, - l'emploi du conditionnel l'indique, - la rédaction est assez nette pour donner une idée précise du groupement envisagé.

Il ne s'agit pas d'une société religieuse au sens juridique de l'expression. Les membres ne sont liés que par une promesse d'obéissance au directeur et à l'un d'entre eux, le Centre. En dehors de quelques pratiques communes réduites au minimum, le programme de sanctification est affaire individuelle. Ce qui constitue l'unité de l'association, c'est l'action du directeur et le désir supposé chez tous les adhérents, de mener une vie chrétienne plus intense que la masse des baptisés.

N'y a-t-il pas harmonie entre cet idéal général et le règlement de vie du jeune Lalanne ? Celui-ci ne l'aurait-il pas rédigé pour se soumettre à une règle de son association ? On peut le croire. A regarder le texte de près, on constate aisément que l'intéressé n'est pas un isolé. Il prend la résolution de dire chaque jour à midi l'oraison "Soit faite..." en s'unissant à ses confrères "de la petite Constit..." (sic) et d'assister, autant qu'il le pourra "aux instructions particulières du dimanche". Il s'engage à revoir tous les mois son règlement de vie avec son directeur. En assistant à la messe, il veut s'offrir "pour son élève" ; en se divertissant, il veut être utile à ses "élèves". De qui peut-il être question, sinon des jeunes gens qu'il travaille à gagner au christianisme ? Il écrit encore : "La cloche qui m'appelle pour les malades, le médecin, etc... sera pour moi un ordre à exécuter avec obéissance". Pourquoi souligne-t-il le mot obéissance, si ce n'est parce qu'il a fait promesse de cette vertu et

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qu'il entend s'assurer le mérite de cette promesse tout au long de ses journées ? A trois heures, chaque jour, il veut considérer "Marie sur le Calvaire". Or, nous apprend une note de l'abbé Chaminade, l'origine de cette pratique, c'est qu'au pied de la croix Marie associée au mystère de la Rédemption apparaît comme le modèle du missionnaire. Le recueillement de 3 heures n'est donc pas le fait de tous les congréganistes, c'est la caractéristique de ceux que notre époque appellerait les "militants" et qui se nommaient eux-mêmes d'un terme équivalent puisqu'ils parlaient de leur "armure".

Jean-Baptiste Lalanne était l'un d'entre eux. Son règlement de vie nous révèle quelques aspects de cette association. On voudrait en savoir davantage, connaître les statuts définitifs du groupement, posséder la liste complète des initiés, suivre leur activité... Les traces laissées sont insuffisantes pour autoriser une reconstitution intégrale du passé. On ne peut douter du moins qu'une association secrète n'ait existé, en 1812, parmi les meilleurs congréganistes et qu'elle ait été pour l'abbé Chaminade un moyen de garder sur la jeunesse une partie de l'influence qu'il exerçait auparavant grâce à la congrégation.

Veut-on des noms ? A ceux qui ont déjà été cités, on ajoutera, non sans quelque raison, ceux de Dubrena, de Bonneval et de Dominique Clouzet dont un registre de la trésorerie révèle l'activité à cette époque. N'est-il pas légitime de penser que, dans ces temps difficiles, le directeur ne confiait les charges qu'aux membres de l'élite ?

* * *

La "mission" inaugurée en 1800 continuait aussi par "la troisième division" des jeunes filles.

L'arrestation de Lafon et la dispersion de la congrégation étaient survenues avant que l'association d'Adèle de Trenquelléon n'ait été définitivement incorporée à l'œuvre de Bordeaux. D'ailleurs la police n'avait saisi, aucun document relatif aux jeunes filles. Dépourvue de tout caractère extérieur, réduite à quelques membres dispersés en plusieurs lieux, la petite société n'attirait pas l'attention. Elle put

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subsister comme auparavant. Il fallut seulement user de prudence pour correspondre avec Bordeaux.

On a cru et écrit que, moins occupé, l'abbé Chaminade s'était rendu en Agenais au cours de l'année 1810, qu'il avait fait connaissance d'Adèle de Trenquelléon et qu'en 1813, par l'intermédiaire de Mlle de Lamourous, il avait obtenu de Pie VII à Fontainebleau le pouvoir de faire recevoir par délégué les congréganistes étrangers à Bordeaux. Au vrai, il ne s'agit là que d'hypothèses dont les bases sont trop fragiles pour permettre des conclusions. Qu'il nous suffise de noter la sollicitude que l'abbé Chaminade porta, durant ces années difficiles, à l'œuvre agenaise.

Le 27 août 1810, il profite d'une occasion pour achever de mettre sa correspondante au courant des usages de la congrégation de Bordeaux. "Je me rappelle, lui dit-il, que vous m'aviez demandé anciennement ce qu'étaient ou ce qu'avaient à faire dans la congrégation les demoiselles qui étaient officières. Quel que puisse être le motif de votre curiosité, j'y répondrai en peu de mots. Chaque officière devenait un centre auquel aboutissaient directement les jeunes personnes dont on lui confiait la sollicitude : ainsi une officière de fraction prenait soin de toutes celles qui composaient sa fraction ; une officière principale prenait soin de toutes les officières de fraction qui se trouvaient dans sa division et remédiaient à tous les inconvénients qui pouvaient se rencontrer dans les fractions. Une bonne officière devait être dans une surveillance habituelle pour entretenir la ferveur parmi ses compagnes, pour soutenir leur exactitude aux pratiques et usages de la congrégation, pour les animer surtout à la fréquentation des sacrements et les avertir des fêtes et des communions générales". La lettre se terminait par une petite leçon de doctrine et de dévotion marial : "Je vous invite, ma chère enfant, à faire l'acte de consécration de tout votre cœur à la fête de la Nativité de la sainte Vierge, si vous avez reçu cette lettre : ce sera aussi un bon avis à donner à toutes vos amies. Je suis comme étonné des grâces et des bénédictions que reçoivent tous ceux et celles qui le font de bon cœur, et qui persévèrent dans les sentiments qui le leur ont inspiré. Oh ! qu'heureux sont les vrais enfants de Marie ! La Mère de Jésus devient réellement leur Mère. - Peut-être direz-vous mais Marie ne peut pas être ma Mère comme elle est

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Mère de Jésus ! - Sans doute, si nous ne considérons pas les choses selon l'esprit ; mais c'est bien plus selon l'esprit que nous devons envisager sa maternité divine, que selon la nature. Marie, d'après l'aveu même de Jésus-Christ, a été plus heureuse de l'avoir engendré spirituellement, que de l'avoir engendré selon l'ordre de la nature. Si vous ne comprenez pas bien cette vérité, que je ne fais presque qu'indiquer, j'y reviendrai avec plaisir dans une autre lettre".

Au printemps de 1811, ce sont des encouragements mêlés de conseils : "J'ai reçu votre lettre avec un bien sensible plaisir : les détails dans lesquels vous entrez me prouvent que vous êtes attentive à tout. Faites avec prudence tout ce que vous inspirera votre zèle pour soutenir la bonne œuvre que vous avez entreprise envers vos amies.

"Vos amies : il en est quelques-unes néanmoins, qui n'en méritent guère le nom. Des amies sont censées avoir les mêmes sentiments, et celles-là s’en éloignent bien. Qu'y a-t-il de plus opposé à l'esprit du christianisme qui vous anime, que la vanité et l'indécence dans les parures ? Je serais très tenté de vous dire de ne plus les reconnaître pour amies. Cependant, avant de rompre entièrement, faites-leur de sévères remontrances ; peut-être quelques-unes néanmoins se corrigeront. Il me paraît d'ailleurs plus convenable que vous ne preniez pour amies que de jeunes personnes. Les personnes mariées ne se plaisent guère qu'avec les personnes du même état : cependant si une jeune personne, avec qui vous seriez intimement liée, venant à se marier, voulait toujours demeurer votre amie, pour ?"

En juillet 1812, il est heureux du travail de sa dirigée et promet de l'aider de son mieux "Je vois avec un sensible plaisir, ma chère Fille, que la ferveur se soutient parmi vos amies. Vous aurez la consolation de les voir persévérer dans la pratique de la vertu et de la piété, si vous avez des rapports fréquents avec elles. Ne les perdez jamais de vue, d'abord devant Dieu, pour prier pour elles, ensuite par correspondance. Exhortez-les à se voir entre elles, à s`écrire, mais uniquement pour s'exciter à aimer Dieu...

En écrivant ces derniers mots, j'ai pensé qu'on pourrait vous faire passer de petits écrits par les bateaux, ou les envoyer à Agen. Quand

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il n'y aurait pas de lettres, vous seriez au fait. Vous vous en serviriez pour vous et pour les autres. Ni vous, ni personne ne peut être compromis par la communication de petits écrits qui n'auraient absolument pour but que le service de Dieu ou la gloire de notre divine Mère. Dès aujourd'hui j'en ferai une tâche à Mlle L... (Lacombe, sans doute,) ; ce sera à elle à me demander de quoi nourrir les bulletins. Tâchons toujours d'augmenter les Enfants de Marie. Raidissons-nous contre les efforts de l'Enfer".

Adèle de Trenquelléon avançait allègrement dans la voie que l'abbé Chaminade lui ouvrait, transmettait les consignes, soutenait, encourageait, reprenait sans se lasser. Son grand moyen d'action, c'est toujours la correspondance. "Ne partageons plus notre cœur entre Jésus et le monde, écrit-elle. Qu'il ne nous soit plus rien, ce vilain monde. Ne le regardons plus en rien. Nous ne sommes plus à lui, mais à Dieu".

A l'occasion des fêtes mariales, elle répète les leçons de l'abbé Chaminade : "Ce n'est pas la seule qualité de Mère de Dieu qui l'a élevée si haut, mais bien ses éminentes vertus ... Appliquons-nous à la pratique de sa belle humilité. Imitons sa vie cachée, commune, aux yeux des hommes, mais précieuse aux yeux de Dieu. Fuyons le vain éclat, aimons à être inconnues... Imitons sa pureté. O Dieu, quelle devait être la modestie de la Reine des vierges dans son costume ! Oh ! qu'il devait être différent du nôtre ! Je vous l'assure, chère amie, je voudrais que les enfants de Marie se distinguassent par une sévère exactitude sur ce point. Evitons ces robes collantes, si étroites, qui marquent presque toutes les formes du corps. On n'y pense pas à mal, mais le diable y pense toujours".

En 1813, elle invite ses amies à redoubler de ferveur pour célébrer la fête de l'Immaculée Conception : "Préparons-nous à renouveler de tout notre cœur notre consécration à la très sainte Mère de Dieu, au grand jour de sa Conception, qui est singulièrement notre grande solennité. Préparons-nous-y par une grande pureté de cœur, puisque c'est le jour où la vierge sacrée fut conçue sans péché. Pourrait-elle reconnaître pour ses enfants des cœurs souillés de la lèpre du péché et qui ne feraient nul effort pour être guéris ? Fuyons toutes occasions même les plus légères, même celles qui n'en seraient

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pas pour d'autres, afin de renoncer à tout ce qui pourrait ternir cette vertu de pureté, qui doit caractériser les enfants de la très pure Marie et dont la ceinture que nous portons est le symbole".

M. Larribeau restait aussi un guide aimé pour toutes les associées. Le résumé d'une journée qu'il passa au milieu d'elles en juillet 1811 donnera une idée de son influence et achèvera de nous peindre la physionomie de la troisième division : "Il nous fit la méditation sur la fin de l'homme, le mardi soir, et le lendemain je le priai de nous en faire une pour nous en particulier sur les devoirs de la société... Il nous fit voir les avantages de cette sainte protection de l'auguste Marie, combien elle est une marque de prédestination, si nous sommes fidèles à l'invoquer et à l'imiter. Il s'étendit là-dessus. Ensuite, il nous fit ressouvenir que le but de notre société était d'obtenir une bonne mort, et par conséquent de nous y préparer en dirigeant toutes nos actions vers ce but essentiel. Il nous exhorta à être plus fidèles, à mieux nous acquitter de nos pratiques comme de l'exercice du vendredi, du rendez-vous de trois heures, de nos prières particulières ; il nous recommanda de mieux faire nos méditations, nos lectures, d'implorer l'Esprit Saint avant de lire, et de lui redemander, après la lecture, la grâce de profiter de ce que nous avons lu, de ne jamais rougir du Bon Dieu devant le monde, d'être exactes, quelque monde qu'il y ait, à dire l'angélus au son de la cloche, de dire avec plus d'attention les prières avant et après les repas et d'y faire le signe de la croix avec plus de modestie et de respect. Dans le reste de la journée, il nous dit combien il désirait que nous tâchions de gagner des âmes à Dieu par un mot du Bon Dieu lancé à propos, une réflexion courte et bonne, enfin mille moyens qu'un zèle industrieux peut fournir. Mais surtout ce qu'il nous recommande, c'est de fuir, autant que possible, le monde où, quand le devoir l'oblige, de s'y préparer le matin d'avance, prévoyant les occasions qu'on aurait et les moyens de les éviter ou d'y résister".

A Agen, à Tonneins, à Marmande, à Figeac, à Lectoure, la flamme s'allumait et jetait sa clarté...

* * *

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Travaillant avec calme, discrétion et intrépidité, l'abbé Chaminade n'avait donc qu'à remercier la Providence du bien qui continuait à se réaliser tant à Bordeaux que dans "le Haut-Pays", quand à Paris Malet tenta de renverser le gouvernement impérial.

On sait ce que fut cette folle équipée du 23 octobre 1812, qui se termina dans la plaine de Grenelle, le 29, par l'exécution de 12 condamnés. Un des derniers historiens de Malet, Louis Garros, se demande si "la conspiration Malet" ne serait pas une conspiration Lafon. Dès 1846, l'auteur de l'article Réal dans les Fastes de la Légion d'Honneur écrivait sans hésitation que la "conspiration Malet" serait appelée plus exactement "la conspiration Lafon." L'idée d'annoncer subitement la mort de l'Empereur et de s'emparer du pouvoir à la faveur de la surprise causée par cette nouvelle, l'idée du sénatus. consulte imaginé pour couper court à tout soupçon, cela, c'est du Malet : quatre ans auparavant, il avait déjà conçu un coup d'Etat sur ces bases. Le 23 octobre, le principal acteur, l’homme qui paie de sa personne et tranche les difficultés, c'est encore Malet. Mais quels furent ses complices ? ceux dont il s'était assuré le concours avant de tenter son aventure ? L'abbé Caamano, qui lui assura une chambre où se firent discrètement les derniers préparatifs ; Boutreux, qui accepta le rôle de préfet de police, et Rateau, promu, pour la circonstance, au grade d'officier d'ordonnance. Or, qui avait chargé l'abbé Caamano de louer la chambre ? C'est Lafon. Qui avait mis en relation Boutreux et Malet ? C'est Lafon. Qui avait trouvé à Malet un officier d'ordonnance dans la personne du caporal Rateau ? C'est Lafon. Qui avait remanié le sénatus-consulte de 1808 ? C'est Lafon. Qui avait fourni l'empreinte avec laquelle toutes les pièces de la conspiration furent authentiquées ? C'est encore Lafon, le codétenu de Malet dans la maison de santé du sieur Dubuisson. Caamano était un obligé de Lafon, Boutreux un jeune homme qu'il avait connu à Rennes, lors de son voyage de 1809. Rateau un de ses compatriotes bordelais : autant de faits qui lui donnent l'allure d'un personnage intrigant qui a voulu se servir de Malet, pour opérer un coup d'Etat qu'il souhaitait et dont-il envisageait de faire recueillir les fruits par ses amis du parti royaliste. Son attitude au cours de la fameuse journée ne dément point cette impression. S'il n'a pris pour lui aucune mission importante, il va d'un lieu à l'autre, suit les péripéties du

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drame comme un metteur en scène suit les évolutions des divers acteurs pour coordonner leurs mouvements. Devant l'échec, il disparaît, mais prévoyant, il s'est assuré un asile dans le château de Sauvigny.

Lamartine a raison : "l'abbé Lafon, le seul coupable, s'était sauvé". En toutes hypothèses, les congréganistes bordelais n'avaient aucune part aux agissements de leur ancien préfet, il va sans dire. Pourtant l'enquête dont il fut l'objet pouvait amener de nouvelles perquisitions chez les personnes qui l'avaient connu. On s'étonne qu'elles ne se soient pas produites. L'abbé Lalanne a bien écrit que l'abbé Chaminade avait été emprisonné à cette occasion ; mais son témoignage est infirmé par les documents. La gendarmerie départementale, le commissaire général de police furent alertés, évidemment ; mais, le 14 décembre, le préfet de la Gironde écrivit à Paris : "Il résulte soit de la correspondance des autorités locales, soit des procès-verbaux des perquisitions rapportées par les brigades de gendarmerie que, malgré les recherches les plus exactes, l'on n'a pu encore découvrir la retraite de ce particulier. Les personnes qui l'ont connu dans son pays natal, affirment qu'il n'y a point reparu et elles présument que les circonstances où il se trouve l'auront déterminé à chercher de préférence un asile dans tout autre département que celui-ci : conjecture qui me paraît assez vraisemblable".

L'abbé Chaminade n'en redoubla pas moins de prudence. A partir de décembre 1812, il semble avoir renoncé à toute activité congréganiste : il n'y a plus aucune réception et le 23 de ce mois, le trésorier des jeunes gens lui remet 39 fr. 90 "pour solde et remise de tout compte". Le pilote momentanément, cédait à la tempête. Nous n'avons de lui aucune lettre de 1813.

Que restait-il de la congrégation ? Uniquement, sans doute, quelques entrevues du directeur avec quelques membres fervents. L'abbé Chaminade n'était plus que le desservant de la Madeleine.

Il n'en prenait pas pour autant son parti.

Dans cette demi activité, il réfléchissait, il étudiait les moyens de continuer le travail de rechristianisation qu'il menait depuis douze ans. Une de ses lettres de 1814 nous apprend que dès cette époque, il

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fit connaître à Adèle de Trenquelléon son désir de la voir pour lui communiquer un nouveau projet et obtenir sa collaboration. De quoi s'agissait-il ? A en juger par une allusion postérieure, il aurait été question d'une extension des groupes de ferveur. La rencontre souhaitée n'eut pas lieu. Sous le signe de la défaite, l'année 1813 s'acheva et 1814 commença, grosse d'inconnu.

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Joseph Verrier SM

La Congrégation Mariale de M. Chaminade

Livre V

De la première à la seconde Restauration

(1814 - 1815)

DOCUMENTS MARIANISTES

Séminaire Regina Mundi

Fribourg (CH) 1966

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La publication des compléments et documents relatifs à cette cinquième période (1814-1815) marquera la fin de cette série de 8 volumes sur la Congrégation mariale de M. Chaminade.

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Chapitre premier

VIVE LE ROI ! VIVE LA RELIGION !

Au mois de janvier 1814, le duc d'Angoulême débarquait à Saint-Jean-de-Luz. Il rejoignait le duc de Wellington et lançait aussitôt un appel aux Français : "J'arrive, je suis en France ; je viens briser vos fers ; je viens déployer le drapeau blanc. Ralliez-vous, Français. Marchons ensemble au renversement de la tyrannie. Mon espoir ne sera pas trompé : je suis fils de vos rois et vous êtes Français". Le 12 mars, Bordeaux le recevait.

Cet événement aux répercussions immenses fut moins la conséquence de la défaite subie par le duc de Dalmatie à Orthez, le 27 février, que le résultat des intrigues ourdies dans la capitale de la Guyenne.

Les revers impérieux de 1813 avaient réveillé les espoirs des anciens chefs de l'Institut Philanthropique. A l'instigation de Rollac, sous la direction du Comte Taffard de Saint-Germain secondé par La Rochejacquelein et le chevalier de Gombault, un nouveau comité s'était constitué et, dès la fin de l'année, on avait procédé à la formation d'une troupe "La Garde Royale".

Tel était l'état d'esprit de la population que la police, au fait des enrôlements, n'avait pu les empêcher. Le maire de la ville, Lynch, comte de l'Empire se rallia secrètement au mouvement, au début de 1814. Après l'ajournement du Corps législatif, Lainé, Dufort, Legris, La Salle étaient rentrés à Bordeaux et attisaient les mécontentements. Le sénateur Cornudet, nommé commissaire extraordinaire dans la 11e division militaire se heurta à une passivité irréductible. "L'armée, écrivait-il le 1er mars, trouvera une faible coopération dans la garde nationale de ce département". De fait, on n'essaya même pas de

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défendre la ville. Avant que Wellington fît mine d'approcher, les troupes évacuèrent, la cour, le préfet, le commissaire extraordinaire se retirèrent.

Les royalistes eurent alors beau jeu. Ils prévinrent aussitôt Wellington et le duc d'Angoulême. Le 12 mars au matin, alors que Lynch se portait au-devant de Lord Beresfort pour lui remettre les clefs de la ville, les Volontaires de la Garde Royale hissèrent le drapeau blanc au sommet de la tour Saint Michel et prirent possession des rues, cocarde blanche à la boutonnière.

Le duc d'Angoulême arriva dans l'après-midi. Accompagné de La Rochejacquelein et Bontemps du Barry, qui étaient allés le chercher à Saint-Sever, escorté des Volontaires, qui, en guise d'insigne, s'étaient noué un mouchoir blanc autour du bras gauche, il fit une entrée triomphale.

Les catholiques furent les premiers à applaudir. A la cathédrale, le clergé, rangé autour de Mgr d'Aviau, reçut solennellement le neveu de Louis XVIII et une inscription gravée dans le marbre fixa le souvenir de cette journée, avec la décision d'une messe annuelle en reconnaissance.

La congrégation n'était pas une association politique. A ses débuts, elle avait salué, dans la personne du Premier Consul, le restaurateur des autels. Son admiration s'était inscrite dans son chant officiel et longtemps la jeunesse avait redit sans aucune arrière-pensée :

"Toujours, nous chérirons le héros de la France !"

Les règlements de l'association portaient que, pour être admis dans une classe quelconque, il fallait "n'être pas ennemi du gouvernement public". Simple clause de style et mesure de prudence ? Non. Les statuts n'ont jamais été présentés à aucune autorité et, en 1809, le directeur ne s'est point prévalu de cet article pour défendre son œuvre. Aucun doute n'est possible sur la droiture et la sincérité des rédacteurs.

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L'évolution des esprits dut commencer en 1808 quand Napoléon et Pie VII entrèrent ouvertement en conflit. En prenant parti pour la Papauté, on se détacha de l'Empereur ; on ne vit plus en lui que la Révolution couronnée et on aspira au retour de l'ancien état de choses, à la restauration de la royauté. Les guerres continuelles, les impôts, les levées de la conscription, les privations du blocus et la stagnation générale des affaires achevèrent, en le précipitant, ce changement de sentiments tout religieux à 1'origine.

A dire vrai, beaucoup de congréganistes rompirent facilement avec l'Empire, dès qu'ils eurent cessé de croire à sa durée. Ils étaient royalistes de famille, d'éducation, de conviction. Plusieurs étaient d'anciens militants de la cause monarchique. Lafon, si le chancelier Pasquier a été bien renseigné, aurait été mêlé à la chouannerie dès 1795. Duchesne de Beaumanoir, réélu plusieurs fois "assistant" des Pères de familles, avait en 1800 assumé la responsabilité de l'Institut philanthropique. Guillaume Brochon, un autre agréganiste, Estebenet, "doyen des anciens préfets", de la jeunesse, avaient milité dans le même mouvement, l'un en qualité de secrétaire, l'autre comme trésorier et chef d'arrondissement. Etaient-ils les seuls congréganistes dans cette organisation ?

Quand la Garde Royale se constitua, les congréganistes s'y envolèrent d'autant plus nombreux que la dissolution de la congrégation leur laissait toute liberté. On en trouve dans toutes les compagnies dont Jacques Déjernon, peut-être l'un d'eux, a fait imprimer les listes. Il y en a parmi les volontaires à pied et parmi les volontaires à cheval, dans la compagnie d'élite et dans la musique. Pour la plupart, ils sont simples soldats ; quelques uns sont caporaux, quelques autres sergents ou maréchaux de logis. Alexandre Dubosq est sous-lieutenant. Estebenet, quartier-maître, trésorier, fait partie de l'Etat-Major ; comme il était l'un des moins surveillés par la police, plusieurs réunions d'organisation ont eu lieu chez lui.

L'abbé Chaminade eût soutenu tout Gouvernement de fait qui eût protégé la religion. L'attitude de l'empereur, l'exemple de son ami,

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son chef, Mgr d'Aviau, lui firent souhaiter le retour des Bourbons. Il connut les agissements du comité royaliste et, s'il ne fut pas, comme l'abbé Rousseau, aumônier de la Garde Royale, il put dix ans plus tard revendiquer l'initiative de "l'assemblée" qui permit l'entrée du duc d'Angoulême à Bordeaux. Il n'en a pas dit davantage. "Ce sont des choses a-t-il écrit, dont il ne faut parler que lorsque l'occasion le demande". La suite des événements montrera qu'on le reconnut dès lors pour un Bourboniste marquant.

Le 12 mars, il se réunit à ses confrères du chapitre métropolitain pour recevoir le duc à la cathédrale. Son nom fut gravé avec les autres dans le marbre monumental. Ce que furent ses sentiments en cette circonstance, nous pouvons le deviner par une lettre qu'il écrivit quelques semaines plus tard. "La miséricorde divine, ma chère enfant, disait-il à Mlle de Trenquelléon, s'est enfin déclarée en faveur de la France. Bordeaux en a les prémices ; est-ce parce qu'à Bordeaux le culte de l'auguste Marie est en grande vénération, qu'elle y est honorée et invoquée habituellement par un très grand nombre de fidèles de tout âge, de tout sexe, de tout état ? J'oserais le croire, si d'ailleurs, nous, enfants de Marie, nous étions plus fervents dans le service de Dieu. Je suis néanmoins tout joyeux quand je pense que c'est un fidèle congréganiste - (il songeait à Estebenet) - qui a fait arborer, sur le clocher de Saint-Michel de cette ville, le premier drapeau blanc qui, je crois, a paru en France. Attachons-nous, ma chère enfant, plus que jamais au culte de notre divine Mère : oh, oui, Marie est vraiment et constamment notre Mère ! "

Ces préférences politiques étaient essentiellement à base religieuse. Si l'abbé Chaminade saluait avec enthousiasme le retour de la royauté, c'était surtout qu'il en attendait de nouvelles possibilités pour la religion catholique et spécialement une liberté bienveillante à l'égard des congrégations.

Dès le 30 avril, il avait jeté des bases de réorganisation pour les jeunes gens. Ce jour-là, en effet, une soixantaine de congréganistes signèrent solennellement une "Convention" inscrite en tête d'un beau registre à couverture rouge et à tranches dorées.

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C'était d'abord une réaffirmation des raisons qui justifiaient l'existence d'une congrégation :

"Nous, soussignés, considérant les dangers que les jeunes gens ont à courir pour leur salut au milieu d'un monde corrompu et corrupteur et la difficulté qu'ils ont à pratiquer la religion ; considérant la grande influence de l'exemple, soit pour le bien, soit pour le mal".

"Considérant que, des deux qualités essentielles de la religion, il découlait nécessairement les devoirs d'honorer la vérité de sa doctrine, par une profession ouverte de sa foi, et d'honorer la sainteté de sa morale par une pureté inviolable de ses mœurs, et qu'il y a aujourd'hui une espèce d'impossibilité qu'un jeune homme vivant isolément dans le monde puisse y remplir des devoirs aussi importants".

"Considérant de plus le devoir essentiel de rendre à Marie, Mère de Dieu, un culte distingué".

Sous une forme nouvelle où la syntaxe, toute orale, révèle l'intervention de David Monier, on retrouve les idées que l'abbé Chaminade avait développées en 1806 : l'individu isolé ne peut rien ; la force réside dans l'union ; il faut donc s'unir. Marie, Mère de Dieu, mérite un culte spécial qui conditionne son intercession : il convient donc de constituer une association mariale.

Aussi les signataires de la "Convention" déclarent-ils : "Nous avons déterminé : de rétablir entre nous et tous les jeunes gens qui, animés des mêmes sentiments, viendront se réunir à nous, la congrégation des jeunes gens, sous le titre de l'Immaculée Conception de Marie".

"Que l'organisation de cette société devra, comme autrefois, atteindre le double but et de frayer une route facile aux jeunes gens pour se sauver dans le monde et de leur procurer les moyens d'y exercer, sous une sage direction, - (délicat hommage rendu au directeur !) - toutes sortes d'œuvres de zèle, de telle manière

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cependant que la pratique de ces bonnes œuvres puisse s'accommoder avec l'âge, la condition et les talents de chaque jeune homme." "A cet effet, nous nous soumettons au régime de cette société ; nous serons dociles à ses chefs ; nous en remplirons tous les devoirs, nous nous occuperons des œuvres de zèle qui nous seront désignées".

Ce rappel des principes et ces résolutions générales étaient suivis d'une série de précisions qui n'allaient pas sans introduire quelques nouveautés. On se souvient de cette sorte de lutte que le directeur avait du soutenir contre quelques membres pour maintenir la classe des prétendants. En 1814, il semble avoir cédé sur ce point.- La "Convention" ne dit mot des prétendants. Si elle affirme qu'on "n'entrera pas dans la société sans épreuves", elle prévoit la formation de deux classes seulement : celle des approbanistes "qui aura son organisation particulière" et celle des postulants, "qui, en préparant des sujets à la congrégation donnera des occasions continuelles à un grand nombre de congréganistes d'exercer leur zèle". L'abbé Chaminade se serait-il rendu à certaines oppositions ?

La réception était accompagnée de la consécration au culte de la Vierge. Seulement, pour mieux marquer, sans doute, que l'association se distinguait d'une confrérie, qu'elle n'était pas une société à l'honneur de Marie, qu'elle se proposait d'une façon essentielle et primordiale la pratique sincère et publique d'un christianisme intégral, sous la protection et avec l'aide de la Mère de Dieu, la consécration mariale serait désormais précédée de la rénovation des vœux du baptême.

Outre la messe dominicale et l'assemblée publique des dimanches et fêtes chômées, on prévoyait une réunion privée, "tenue par forme de conseil" et réservée aux congréganistes inscrits sur les listes d'activité. "Cette assemblée, disait la Convention, comme très essentielle à la congrégation, devra recevoir un ordre de tenue très stricte".

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Les devoirs des congréganistes devaient faire l'objet d'une nouvelle détermination. L'assistance à la messe de la congrégation et à l'assemblée privée serait regardée, avec la fréquentation des sacrements, comme les premières obligations des associés.

Au sujet de l'activité extérieure, la Convention portait : "Les congréganistes continueront les bonnes œuvres qu'ils font déjà : 1) à instruire, sur la demande de MM. les curés et vicaires, les jeunes gens qui n’auraient pas fait leur première communion ; 2) à préparer également des catéchismes des paroisses auxquels ces enfants continueraient d'assister ; 3) à former de petites sociétés religieuses, soit parmi les étrangers à la congrégation, soit parmi les postulants et parmi les approbanistes ; mais l'exercice de ces bonnes œuvres sera toujours soumis au régime de la congrégation".

"A ces œuvres de zèle, on joindra la correspondance soit avec les congréganistes absents, soit avec d'autres congrégations, le soin des malades, le placement des jeunes gens, des cours soit seulement d'instruction religieuse, soit de commerce, d'écriture, etc..., joints à l'instruction religieuse".

"Les assemblées des dimanches et fêtes chômées sont regardées comme l'œuvre de toute la congrégation ; tous devront s'intéresser au succès ; tous devront, selon l'occasion, y exercer les fonctions d'officiers d'honneur, quoique par le fait il doive y avoir un certain nombre de ces officiers ainsi que des officiers d'ordre y exerçant actuellement leur fonction. Chacune de ces bonnes œuvres aura ses règles desquelles personne ne pourra s'écarter…'' "Les fonctions des chefs seront regardées elles-mêmes comme autant de bonnes œuvres". Tous les congréganistes "mettront beaucoup d'intérêt aux exercices de retraite donnés pour les jeunes gens, soit pour en profiter eux-mêmes, soit pour y attirer des étrangers". "Il y aura révision des listes tous les six mois dans un conseil secret : chaque congréganiste, deux ans après sa réception, pourra recevoir un diplôme de congréganiste ; mais alors le diplôme sera visé tous les 6

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mois. Après six ans de réception, il recevra un diplôme absolu, si pendant les six ans il a été porté constamment sur la liste d'activité".

Dans son ensemble, cette Convention, de toute évidence, marque un effort pour rapprocher la réalité de l'idéal. Celui-ci reste ce qu'il était : en 1814 comme en 1801, on veut accroître le nombre des chrétiens dignes de l'Église primitive, mais quels qu'aient été les résultats obtenus, on cherchera à faire mieux que dans le passé et on s'attachera davantage à rendre le terme congréganiste synonyme de chrétien intégral. L'association entend pouvoir être fière de chaque associé.

Il ne s'agit pas d'une improvisation. Les idées exprimées ont dû souvent alimenter les conversations des membres les plus actifs. Ils en ont conféré avec leur directeur et, soyons en sûrs, ils ont pesé avec lui chaque article de la convention. Les signataires déclarent avoir fait du texte "une lecture bien réfléchie" ; pour certains, il y a sans doute beaucoup plus, une participation active à la rédaction.

Pour M. Chaminade, ce fut l'occasion de repenser son œuvre à la lumière de l'expérience acquise. C'est alors, semble-t-il qu'il jeta sur le papier quelques réflexions qui nous sont parvenues et qui achèvent de nous faire connaître sa pensée.

Cherchant à préciser les caractères distinctifs de la congrégation, il en déterminait d'abord le but immédiat : "La fin prochaine de la congrégation est l'exercice habituel d'une vraie et solide dévotion à la sainte Vierge, ou la pratique des trois grands devoirs de la dévotion à la sainte Vierge : l'honorer, l'invoquer, l'imiter. On y fait une profession publique et authentique de cette dévotion et on s'engage à en accomplir les devoirs par l'acte de consécration qui en est la profession".

Au-delà de la fin prochaine, il voit la fin dernière : "L'accomplissement des devoirs de cette dévotion conduit à Jésus-Christ, à Dieu, la souveraine félicité, qui est la fin dernière de la congrégation comme de toute autre société religieuse".

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On peut donc dire que "toutes les règles, toutes les pratiques données à cette société, tous les devoirs généraux et particuliers, l'esprit même de prosélytisme qui anime la congrégation, émanent de cette consécration et n'en sont que comme des conséquences".

A moitié satisfait, il reprend l'idée de congréganiste, de congrégation, la creuse encore et écrit les résultats successifs de ses réflexions : "Qu'est-ce qu'un congréganiste ? C'est littéralement celui qui se réunit (à d'autres) ou pour honorer, ou pour invoquer Marie, ou pour faire des actes de vertu sous son imitation".

Ne dirait-on pas qu'il ne trouve pas de mots adéquats pour faire comprendre que toutes les congrégations sont essentiellement des "mutualités" et des mutualités mariales ? Chacune d'ailleurs a son visage propre : "Ce qu'il y a d'arbitraire dans la congrégation, - (il faut prendre ici le terme dans son sens générique ; nous dirions plus couramment : dans les congrégations ou dans une congrégation...) - C'est ou la manière de remplir ces devoirs, ou la multiplicité, ou la durée plus ou moins longue des actes d'où se forment les usages qui la distinguent de toute autre société de la même espèce".

"Le règlement reçoit des variations suivant l'âge et le sexe qui doit l'observer. La forme est la même ; les couleurs, si on peut le dire, sont différentes".

Est-il besoin de défendre cette manière d'aller à Dieu en passant par Marie ? "On peut appliquer dans un vrai sens à la sainte Vierge ces paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : Ego sum via, veritas et vita. Si la sainte Vierge est la voie, (si) on entre dans cette voie par une vraie dévotion, est-il étonnant qu'on ait regardé la dévotion (à Marie) comme un signe de prédestination ?"

"... Dans Marie s'est trouvé l'esprit de tous les Ordres, l'esprit des Apôtres, des martyrs, etc..., l'esprit des Bénédictins, des Franciscains, etc... C'est la source qui a fourni de toutes parts..."

De nouveau, il se pose la question : "Quelle est la nature de la congrégation ?" et, coulant sa réponse dans le moule scolastique il

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traduit sa pensée en ces termes : "Si on parle de la congrégation en général le genus proximum est d'être une société de chrétiens catholiques, libres, dispersés dans la société (c'est-à-dire : dans le monde) - de tout âge, de tout sexe, de tout état, etc... ; la differentia prima, c'est d'avoir pour but de tendre à la dernière fin de toute société chrétienne l'exercice habituel de la dévotion à la sainte Vierge".

"Si on veut savoir quelle est la nature de la congrégation des pères de famille, il faut considérer le besoin qu'ils ont de patience, de force, de constance, etc...qu'ils se proposent d'imiter Notre-Dame aux Martyrs..., etc..."

Chemin faisant, il a noté quelques mesures à étudier, celles-ci, par exemple, qui ont trouvé place dans la Convention :

"On ne devrait recevoir de congréganiste qu'autant qu'il renouvellerait les vœux de son baptême".

"Donner à chaque congréganiste un diplôme de sa réception et le renouveler ou le viser tous les six mois, pour tous ceux qui sont sur les listes d'activité".

"Former des fractions de congréganistes parmi les absents..., établir autrement une correspondance parmi les absents qui voudraient être sur les listes d'activité".

Sa pensée s'est arrêtée complaisamment aux groupes de ferveur. Ceux-ci ne sont que l'épanouissement naturel de la congrégation telle qu'il l'a définie : "L'état même religieux formé dans la congrégation n'est qu'une manière plus parfaite de remplir toute l'étendue de sa consécration à la sainte Vierge. La dévotion à la sainte Vierge y conduit à la pratique des conseils au lieu que le simple congréganiste ne tend à Jésus-Christ, par la sainte Vierge, que par la pratique des préceptes", ou par la pratique des conseils mais, "sans obligation de vœux".

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Il passe tout de suite aux conséquences pratiques : "Les obligations donc de l'État seront des pratiques plus multipliées et plus strictes pour remplir les trois devoirs de la dévotion à la sainte Vierge et surtout le devoir de l'imitation, par l'imitation actuelle des douze vertus de la sainte Vierge..."

"Dans l'état des hommes et des femmes, (entendons : parmi les pères de famille et les femmes mariées) - il n'y aura pas de vœux proprement dits, mais un renouvellement des vœux du baptême, ratifiés dans le sacrement de confirmation, dont on fera une profession solennelle et authentique, cependant toujours secrète, à cause des autres congréganistes : il y aurait de l'inconvénient qu'ils parussent faire plus, il faut seulement qu'ils fassent mieux..."

"Dans l'Etat religieux des jeunes gens, on se proposera d'imiter le zèle de la sainte Vierge. C'est le zèle que nous aurons pour nous-mêmes et pour notre propre perfection qui doit : 1) autoriser ; 2) rectifier ; 3) adoucir notre zèle pour le prochain... Jamais le zèle de Marie n'eut de défauts, parce que son zèle pour sa propre perfection fut revêtu de toutes les qualités".

Ici, il prend Bourdaloue pour guide et lui emprunte certaines expressions qui ont passé dans la Convention : "Zèle pour la défense des intérêts de Dieu" ; on abandonne les intérêts de Dieu ou par fausse prudence ou par une lâche faiblesse. (B., domi., tome 2, p. 231) Zèle pour l'honneur de la religion. Notre religion est vraie, donc nous devons l'honorer tous par la profession de notre foi. Elle est sainte, donc nous devons tous l'honorer par la pureté de nos mœurs. (B., domi., tome 4, p. 209)

"Dans l'état religieux des jeunes personnes, on se proposera d'imiter l'humble obéissance et la pureté virginale de Marie".

Il terminait par cette "observation" qui résume toute sa pensée : "Les congréganistes, de quelque âge, et de quelque sexe qu'ils soient peuvent être conduits à la plus haute perfection par la pratique des conseils évangéliques. Il pourrait y avoir différents degrés connus du

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seul directeur ; il tiendrait note de tout. Peu de pratiques à faire ensemble ; avoir rarement des assemblées qui les distinguent de la masse des congréganistes. Ceux d'un grade supérieur peuvent prendre soin de ceux d'un grade inférieur ; le directeur doit être l'âme du tout".

Dès cette époque, il envisageait la possibilité de faire vivre ensemble plusieurs congréganistes de l'Etat, et il écrit : "Les communautés de congréganistes religieuses donneront le mouvement à toutes les congréganistes de leur sexe.., et formeront secrètement des congréganistes à la perfection, etc.,. ; instruire de pauvres filles, mais non des enfants pauvres ; venir prendre chaque semaine l'ordre de la semaine".

Il s'agissait, on le voit, de beaucoup plus que de reprendre une œuvre de piété. C'était l'organisation complète d'un groupe de baptisés que M. Chaminade envisageait.

* * *

La Convention des jeunes gens réglait le sort de la jeunesse masculine. Les autres sections ne furent ni oubliées ni négligées.

Chez les pères de famille, Duchêne de Beaumanoir "fut chargé de rappeler provisoirement et sommairement les usages et règlements de la congrégation et d'en indiquer l'esprit dans les considérants dont il les ferait précéder".

Il intitula son travail :

"Statuts des Anciens de la congrégation de Bordeaux".

Le voici :

"Nous, soussignés, pères de famille et anciens de la congrégation de l'Immaculée Conception de Notre-Dame de Bordeaux.

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Considérant que c'est par l'intercession de la très sainte Vierge Marie Mère de Dieu que les grâces les plus abondantes et les plus multipliées ont été obtenues de Dieu, dans l'ordre spirituel et dans l'ordre temporel ; qu'il n'est aucun de nous qui ne lui doive le témoignage de sa reconnaissance pour les bienfaits qu'il en a reçus.

Considérant aussi les grands avantages que toutes les classes de la congrégation ont toujours trouvés dans son sein, soit par les communications mutuelles de prières et la participation spirituelle aux mérites de tous les congréganistes, soit par l'ascendant de l'exemple des grandes vertus qui s'y pratiquent journellement, soit par la suite des instructions morales et religieuses qui s'y font, soit par l'ordre du régime sage et modéré qu'on y observe, soit enfin par les témoignages de bienveillance et de charité qu'on y reçoit continuellement.

Considérant de plus que les jeunes gens retirent une grande édification des bons exemples que leur donnent les pères de famille, soit par leur consécration publique au culte de la sainte Vierge, soit par leur exactitude à remplir les devoirs qui leur sont communs avec eux, soit en les recevant dans leur société quand ils se marient, soit par les rapports que des réunions fréquentes leur donnent avec eux.

Considérant encore que l'esprit de religion s'étant aujourd'hui si fort affaibli, après tant d'années de révolution et de désordre, le christianisme fait une loi très expresse, à tous les chefs de maison, de travailler de toutes leurs forces à le rétablir et qu'ils en ont un moyen très facile et puissant en entrant dans la congrégation.

Considérant d'ailleurs qu'il est dû à la Bienheureuse Marie, Mère de Dieu, un culte distingué, qui fasse connaître l'économie admirable de la religion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en exigeant de tous les chrétiens de mêler à tous les hommages qu'ils lui rendent des hommages à sa divine Mère, comme lui-même l'a associée a tous les mystères de sa vie et de sa mort pour le salut des hommes.

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C'est donc d'après de si fortes et de si puissantes considérations que nous avons déterminé et statué de rétablir parmi nous et tous les catholiques d’un âge mûr qui, animés des mêmes sentiments, voudraient se réunir à nous, l'exercice des pratiques de piété et des règlements de l'agrégation des pères de famille, pour être comme autrefois, une des grandes branches de la congrégation des jeunes gens, sous le titre de l'Immaculée Conception de Marie.

La réorganisation de notre société se fait en vue d'atteindre, sous les auspices de la Mère de Dieu, le double but de se sanctifier soi-même par des exercices communs de piété et la pratique des bonnes œuvres et d'édifier et soutenir la congrégation des jeunes gens que nous continuerons de regarder comme l'œuvre de notre cœur, de manière cependant que la pratique de ces bonnes œuvres puisse s'accommoder avec l'âge, la condition, les talents, la position de chacun de nous.

A cet effet, nous acceptons le régime de cette société, nous reconnaîtrons ses chefs, nous remplirons les devoirs qui sont affectés à notre fraction, nous nous occuperons des bonnes œuvres qui nous seront désignées.

Nous avons en conséquence arrêté et soumis à M. le directeur les articles suivants de la réorganisation :

1) Nul n'entrera à l'avenir dans la société sans quelques préparations ; ceux qui s'y soumettront seront appelés Prétendants.

2) La classe des Prétendants aura son organisation particulière.

3) Le Prétendant qui sera reçu congréganiste renouvellera les vœux de son baptême publiquement et fera acte de consécration à la sainte Vierge. Il signera ou fera signer, entre les mains de M. le directeur, la soumission et promesse d'obéissance aux présents statuts.

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4) En cas de maladie ou de tout autre empêchement, M. le directeur pourra dispenser le prétendant de la publicité de sa réception.

5) Le corps de l'agrégation aura ses premiers chefs, des chefs subalternes sous lesquels chaque agrégé remplira ses devoirs et s'occupera des bonnes œuvres qui lui seront désignées. Les fonctions des chefs et des autres officiers seront regardées elles-mêmes comme autant de bonnes œuvres.

6) Les bonnes œuvres principalement assignées aux pères de famille sont : a) visiter les prisons et les hôpitaux ; b) faire quelques œuvres de zèle ; c) s’intéresser pour les jeunes gens qui leur seraient adressés par la congrégation ou par M. le directeur ; d) prendre soin de leurs frères malades, les assister à la mort, veiller à leur sépulture, venir à l'appui de leurs veuves, de leurs enfants ; e) tâcher de faire entrer dans la congrégation, quand il n'y a pas d'inconvénients, leurs épouses, leurs associés, leurs commis, leurs ouvriers, leurs apprentis, enfin tous ceux qui, dans l'ordre social, ont des rapports intimes avec eux.

7) Le secrétaire sera spécialement chargé de la correspondance avec les congréganistes absents. Il prendra les avis des chefs et suivra absolument les instructions de M. le directeur dans ses rapports de zèle avec les membres dissidents ou qui ne sont inscrits que sur les listes générales. Pour faciliter le travail, le secrétaire pourra adresser sa correspondance aux chefs de leur fraction qui la leur feront parvenir.

8) Les assemblées publiques des dimanches et des fêtes chômées seront regardées comme une des principales bonnes œuvres des Anciens, soit par l'édification que leur assiduité donnera à la jeunesse, soit par les moyens qu'ils auront d'y conduire les étrangers ou de les y rencontrer.

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9) Il y aura deux fois par mois, à 15 jours de distance l'une de l'autre, une assemblée générale mais privée, à laquelle les congréganistes inscrits sur les listes d'activité auront seuls le droit d'assister, sauf ceux que M. le directeur voudra y introduire.

10) aura un conseil régulateur pour tous les mouvements de l'agrégation. Il sera composé du premier chef qui le présidera, de son suppléant, des chefs de fractions et du chef de la classe de préparation. Il s'assemblera tous les quinze jours, et plus souvent si cela est nécessaire, mais toujours sous les yeux de M. le directeur ou autre personne expresse de son autorisation. L'ordre, la tenue seront fixés par un règlement particulier.

11) Dans les cas urgents, en quelque jour que ce soit, les deux premiers chefs pourront, avec le concours ou au moins le consentement de M, le directeur, prendre les arrêtés et donner les ordres que les circonstances exigeront.

12) Il sera procédé par le conseil, deux fois par an, à la révision et à la réformation des listes ; on ne portera sur le livre porté à l'autel que ceux qui seront sur les listes d'activité.

13) L'assiduité à la messe, aux instructions et aux assemblées de l'agrégation, et surtout la fréquentation des sacrements, seront regardés comme les premiers devoirs de l'activité des congréganistes.

14) L'édification du prochain en tout lieu et surtout dans leurs paroisses respectives est expressément recommandée à tous les agrégés. L'agrégation, loin de dispenser ses membres des devoirs de bons paroissiens et de celui surtout de l'assiduité à la messe de paroisse, ne pourrait les retenir sur les listes s'ils ne sont pas fidèles à les accomplir.

15) Les obligations des congréganistes absents seront déterminés par un règlement particulier.

16) M. le directeur est le Père spirituel de la congrégation ; en conséquence les pères de famille auront pour lui une entière

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déférence. Ils suivront l'impulsion du respect, de l'attachement et de la confiance à son caractère, à ses lumières et à ses vertus. Ils auront soin de donner à la jeunesse l'exemple de la plus grande docilité.

17) Les actes du conseil n'auront de force qu'après avoir été autorisés et approuvés par M. le directeur, qui sera le modérateur de toutes les assemblées, par lui-même ou par un délégué de sa part.

18) Chaque congréganiste sera soumis à une rétribution annuelle, tant pour les frais, entretien et service des assemblées générales ou privées que pour l'honneur du culte à rendre à la Mère de Dieu ; cette rétribution sera fixée pour chaque fraction par le conseil régulateur ou par M. le directeur. Elle se paiera par trimestre, semestre ou même par mois, suivant le règlement qui sera dressé par chaque fraction.

19) Il n'y aura qu'une seule et même formule de quittance pour tous les congréganistes. Ils seront censés payer tous et chacun dans leur fraction une égale rétribution. La différence, que nécessiteraient des circonstances particulières à quelques associés sera déterminée privativement avec eux par M. le directeur, qui donnera à l’associé un bon valant un reçu, pour remplir la caisse du trésorier, qui en fera l'apport à l'appui de ses comptes et délivrera la quittance requise. Les quittances seront nécessaires aux associés pour être inscrits sur les listes d'activité.

20) Chaque membre de l'agrégation continuera à réciter tous les jours le petit Office de l'Immaculée Conception et la prière pour les congréganistes décédés. Un règlement particulier fixera le cérémonial des convois et des services funèbres, ainsi que des fêtes particulières à la congrégation.

Après une lecture bien réfléchie, nous avons arrêté et signé, sous l'approbation de M. le directeur, les 20 articles ci-dessus pour servir de nouveaux statuts, avec l'intention d'en offrir la pratique à la très sainte Vierge, par l'acte de notre consécration à son culte, sans

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néanmoins contracter aucun engagement de vœux ou de serment, nous défiant de notre propre faiblesse".

Le rédacteur s'est inspiré de la Convention des jeunes gens, qu'il a suivie presque point par point. A part quelques détails, comme l'obligation de renouveler les vœux du baptême, il ne voulait que codifier les usages et coutumes de la société. M. Chaminade, satisfait de ce texte, le sanctionna en ces termes :

"Le directeur de la congrégation, ayant reconnu dans les présents statuts l'ancien esprit de l'agrégation des pères de famille, les approuve et promet de les faire observer.

Il désire que chacun ne voie dans les articles 17, 18, et 19 que les moyens de soutenir l'œuvre entière de la congrégation et que les légers sacrifices qu'ils feront puissent les rendre participants aux mérites des grandes œuvres de la charité chrétienne.

Il garantit d'ailleurs à tous les anciens et pères de famille la communion des mérites tant avec les membres de la congrégation de Bordeaux dont leur agrégation fait partie, qu'avec toutes les autres congrégations anciennes et modernes autorisées par le Saint-Siège, pourvu qu'ils méritent d'être portés sur les listes d'activité".

A David Monnier, qui lui servait un peu de secrétaire, il disait : "Une des utilités de ce petit écrit, c'est l'article de l'assistance à sa paroisse solennellement arrêté.... (Il) ne contient absolument rien de nouveau, qu'une expression plus claire de quelques usages et des sentiments qui les ont fait adopter".

Dans le même billet, qui est du 19 juillet, il signalait que plusieurs membres réclamaient "la convention de réorganisation". On avait acheté un registre, mais la maladie du secrétaire des pères de famille avait causé quelque retard. D'après ces détails, on peut dater la convention des pères de famille de la fin du mois de mai. Les anciens, non moins désireux que les jeunes de reprendre leurs réunions, avaient eu la plume un peu moins rapide.

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A cette époque, jeunes filles et dames de la retraite étaient aussi réorganisées. Avaient-elles signé, elles aussi une convention ? Si 1’absence de document interdit une affirmation catégorique, quelques lignes du directeur témoignent que celui-ci s'est demandé si pareille démarche était opportune et si jeunes filles et dames de la retraite devaient signer en commun ou séparément.

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Chapitre deuxième

FIÈVRE ADMINISTRATIVE

Les "conventions" n'étaient qu'une base de départ. Elles furent suivies, chez les jeunes gens surtout, d'une multitude de règlements qui, d'ailleurs, n'ont pas tous été conservés.

Certains organisent les conseils de la congrégation avec un luxe de détails qui ne laissent pas de surprendre. Les rédacteurs donnent l'impression d'être des congréganistes anciens qui ont été très sensibles aux imperfections de leur association et qui croient y remédier par une réglementation minutieuse. La jeunesse a toujours les mêmes illusions.

Trois conseils devaient exercer leur action sur l'ensemble de la congrégation : le conseil d'exécution, le conseil ordinaire, le conseil extraordinaire.

Sur le premier, appelé aussi conseil du préfet, nous sommes mal renseignés. Il devait être formé du préfet en exercice et de ses principaux aides. Sans doute, se contentait-il d'étudier l'application des mesures décidées par le conseil ordinaire.

Celui-ci se composait du conseil du préfet, du conseil extraordinaire, du secrétaire, des chefs de fraction, des officiers de zèle, de l'introducteur des approbanistes, de l'introducteur des postulants, du chef de la commission des placements, du chef des officiers d'honneur, du chef des officiers d'ordre. On pouvait en outre y appeler tous les autres officiers. Ces nombreux personnages réunis devaient former une assemblée imposante.

Le législateur avait-il constaté que le nombre expose aux délibérations verbeuses, voire tumultueuses ? Toujours est-il qu'il entre dans 1es moindres détails.

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Il prévoit une réunion hebdomadaire d'une heure et quart. Le premier quart d'heure est destiné à la méditation. Un ancien ou le directeur en expose le sujet. Elle se fait à genoux et tous les membres du conseil extraordinaire doivent s'y trouver ; pour les autres, l'assistance est facultative. Le conseil proprement dit commence par le Veni sancte. Les membres placés sur deux colonnes prennent rang selon l'ordre suivi dans la composition du conseil. Toutefois, les prêtres s'assoient toujours les uns à droite du premier assistant, les autres à gauche du second et le secrétaire occupe une place en dehors des colonnes.

Le préfet en exercice préside. Il a dû préparer la séance en recueillant les notes écrites des officiers qui ont quelque affaire à soumettre aux délibérations et en prévoyant l'ordre à suivre dans la proposition des matières. Car, il y a un rang assigné à chacun des 13 objets susceptibles d'occuper les conseillers. Je transcris :

1) présentation et admission d'approbanistes. Idem de postulants. Admission d'officiers de postulants, de chefs de quartier.

2) Changement ou remplacement provisoire d'officiers subalternes jugés convenables dans le conseil du préfet, M. le préfet doit avoir tout prévu pour fixer le conseil de la congrégation.

3) Lecture des nouvelles règles proposées par le conseil des Anciens. C'est M. le préfet qui la fait, quand il y en a. Ces règles ne sont pas alors soumises à discussion, mais tous les membres du conseil de la congrégation, qui ne sont pas du conseil des Anciens, pourront être interpellés par M. le préfet, pour faire des observations, s'ils les croient utiles. Le secrétaire en prendra note, si M. le directeur le trouve bon.

4) Rapport à faire par le chef de la commission des placements.

5) Rapport à faire par l'introducteur des approbanistes.

6) Rapport à faire par l'introducteur des postulants.

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7) Rapport à faire de la dernière assemblée publique par un membre du conseil d'exécution.

8) Rapport à faire de la dernière assemblée privée des congréganistes, par un membre du même conseil.

9) Rapport à faire par les chefs de fraction de 1'état de leur fraction respective.

10) Election des trois premiers officiers. Quant au mode d'élection, il est fixé au titre même de l'élection.

11) Renouvellement ou conservation de tous les officiers subalternes. Le travail doit en être présenté par le conseil d'exécution, comme il sera dit au même titre de l'élection. Tous les anciens officiers remplissent leurs fonctions jusqu'au jour inclusivement de l'installation des nouveaux, comme il sera expliqué ailleurs.

12) Révision de toutes les listes et principalement des listes d'activité, tous les six mois. Le travail peut en être divisé et préparé par le conseil d'exécution auquel alors M. le préfet aura appelé les divers officiers qui ont des listes particulières. Les révisions faites, le conseil ordonnera ce qui est dit à l'article de la révision des listes. Le préfet fera exécuter les ordres et donnera au prochain conseil de la congrégation avis de l'exécution.

13) Lecture du règlement des conseils et de tous les règlements dont la connaissance est plus particulièrement nécessaire aux membres qui les composent.

Trois raisons peuvent autoriser le préfet à modifier l'ordre des matières. Je continue à transcrire :

1ère exception : S'il y a quelque affaire pressante dans quelque fraction, classe d'approbation ou commission quelconque, telle, par exemple, que celle des officiers d'honneur, alors ces officiers seront appelés d'abord après les présentations et admissions dans l'ordre désigné à l'article.

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2e exception : Au temps des élections ou révisions des listes, on s'en occupera d'abord après les présentations et admissions, affaires pressantes et lecture des nouvelles règles, s'il y en a.

3e exception : Comme la lecture indiquée au n°13 pourrait revenir trop rarement, M. le préfet pourra, lorsqu'il le jugera nécessaire, la mettre au rang qu'il jugera à propos, mais alors on ne fera pas d'observation.

Nous voilà renseignés sur les travaux du conseil ; nous ne savons pas encore comment on y travaillait. Le législateur a tout prévu. Quel homme méticuleux ce devait être !

Le préfet en exercice... propose les questions. Après un exposé sommaire, il prend l'avis de chacun en suivant l'ordre des préséances.

"Si l'objet proposé est clair, sans difficulté, chaque membre admet, rejette ou renvoie ; autrement, il fait part de son opinion le plus courtement possible".

"Aucun membre ne doit chercher à faire prévaloir son opinion parce que c'est la sienne, mais parce qu'il voit que le bien de la congrégation l'exige".

"Lorsqu'un membre émet son opinion, personne ne le contredit, personne ne l'interrompt ; aucun des préopinans ne revient sur ce qu'il a dit".

"Lorsque tous ont été interpellés, M. le préfet résume brièvement les opinions qui lui ont paru dominantes, il se prononce et fait de nouveau l'appel : on répond par oui ou par non".

"A la deuxième interpellation, le secrétaire compte les voix secrètement et fait part du résultat à M. le préfet. S'il y a partage égal des voix, l'avis conforme à celui de M. le préfet prévaut".

"La discussion finie, M. le préfet s'adresse à M. le directeur pour lui demander s'il consent qu'on prenne un arrêté".

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Ici, comme dans l'ordre des matières, on prévoit certaines dérogations au règlement.

"M. le directeur n'est point assujetti à cet ordre, il parle quand il le juge convenable".

"Les membres du conseil qui seraient prêtres donneront leur avis d'abord après M. le préfet".

"Lorsqu'à la première interpellation, tous les membres ont adopté presque à l'unanimité ce qui a été proposé par M. le préfet, on ne revient pas à une deuxième interpellation".

"Lorsqu'il s'agit d'une affaire qui concerne spécialement les fonctions de quelque membre du conseil, M. le préfet lui donne d'abord la Parole, avant même d'émettre son opinion".

Le secrétaire donne sa voix après les membres du conseil des anciens.

Ainsi réglé, le conseil de la congrégation était comme le cœur de l'association.

* * *

Si l'on cherche le cerveau, on le trouvera dans le conseil extraordinaire ou conseil des anciens. Celui-ci se réunit toutes les fois que le directeur en manifeste le désir. "Il a lieu pour toutes les affaires qui, quoique externes au régime de la congrégation, peuvent néanmoins l'intéresser. C'est lui aussi qui conserve la constitution et fait les règles que les besoins des circonstances peuvent exiger, toujours de l'aveu et du consentement du directeur. En font partie, les anciens préfets, les préfets honoraires, quelques anciens congréganistes et le préfet en exercice. Si un membre n'était pas sur les listes d'activité, il ne pourrait pas être convoqué".

Les instructions sur "les qualités qu'il faut avoir pour être de ce conseil" sur "l’ordre de sa tenue" et sur "les règles qu’on y observent", si elles ont été rédigées ont disparu. A défaut, nous pouvons faire quelque idée du rôle que lui assignait M. Chaminade,

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par ces lignes qu’il écrivait le 29 septembre 1814 au Comte Jules de Polignac, reçu dans la congrégation avec le titre de préfet honoraire : "si vous aviez été présent, j’aurais eu la douce satisfaction de vous revêtir moi-même de l’habit de la sainte Vierge, - (le ruban blanc) – et d’y suspendre le signe de l’autorité que vous recevez dans la congrégation de Bordeaux, - (une médaille de vermeille). Ce grade vous oblige à soutenir de tout votre pouvoir la famille de l’auguste Mère de Dieu, et à ne jamais permettre qu’il s’y introduise aucun abus qui puisse en dénaturer la constitution. Messieurs les préfets sont regardés comme les fondements et les colonnes de la congrégation ; on les invite souvent à devenir des modèles toujours plus parfaits de vrais congréganistes".

La classe des approbanistes ne retint pas moins l’attention que les divers conseils. Voulait-on former une association de chrétiens exemplaires, il fallait assurer un recrutement de valeur.

On n’allait point pour autant jusqu’à ne recevoir que des chrétiens parfaits ; comme dans ces conditions, la congrégation aurait-elle pu se prétendre une mission perpétuelle ? Les directives données à l’introducteur des approbanistes ne diffèrent guère de celles qu’il recevait avant 1809. On sent pourtant davantage la préoccupation de ne pas compromettre la réputation de l’association. On écarte ceux qui auraient des défauts corporels susceptibles de les rendre ridicules parmi les jeunes gens, ceux qui ont eu une conduite scandaleuse et n'ont pas donné de grands signes de repentir, ceux qui n'ont pas dans leur fortune ou dans leur état les moyens d'une existence assurée, ceux qui sont en domesticité, ceux qui sont connus pour avoir mauvais caractère, ceux qui se sont gâtés l'esprit par de mauvaises lectures. Si de pareils candidats se présentaient, on les inscrirait sur une liste spéciale pour les rattacher à quelque œuvre de zèle, mais on ne les admettrait qu’à la bénédiction des approbanistes. Il n'en faut pas douter, ce sont les idées de 1803 qui réapparaissent, réveillées par la Restauration et la réaffirmation des inégalités sociales. Si l'on pense que la disparition de la classe des prétendants, loin d'ouvrir plus largement l'entrée dans celle des approbanistes, a

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été accompagnée de mesures qui excluent des individus qu'on aurait auparavant admis à titre d'essai, on doit avouer que la congrégation a délibérément restreint son recrutement.

Le jeune homme qui désire devenir congréganiste, doit avoir, dès le moment où il se présente, les dispositions qui pouvaient s'acquérir autrefois dans la classe des prétendants. Il doit être décidé à être chrétien, c'est-à-dire à correspondre à la grâce de son baptême dont il renouvellera les vœux au jour de son admission définitive. Il communie le jour où il commence son temps de probation, à moins qu'il ne l'ait fait dans le mois. Il "doit sentir le bonheur et la nécessité de fréquenter les sacrements" et il tâche de s'approcher de la sainte Table les jours de communion générale. Outre les réunions particulières à sa classe, il fréquente tous les exercices et toutes les assemblées générales de la congrégation. Il demande souvent à Dieu une vraie dévotion envers Marie, s'instruit des devoirs prescrits par cette dévotion et commence à honorer le mystère de l'Immaculée Conception, en récitant le petit Office. On admet, un peu à titre d'exception, semble-t-il, qu'il soit peu instruit de sa religion. Dans ce cas, il profite du temps de ses épreuves pour compléter ses connaissances sous la direction d'un congréganiste que l'introducteur lui désigne. Le prétendant d'avant 1809 pouvait être un jeune homme qui désirait passer de l'indifférence à la pratique religieuse ; l'approbaniste de 1814, on en a l'impression, ne peut être qu'un chrétien qui, non content de l'ordinaire, aspire à une certaine perfection.

De ce fait, le travail de l'introducteur se trouve simplifié. S'il reste le modèle sur lequel les candidats ont à se former pour mériter d'être reçus congréganistes, si, avant de présenter quelqu'un à la bénédiction des approbanistes, il doit avec prudence prendre sur lui "toutes les informations possibles", par des entretiens particuliers, chercher à connaître leurs dispositions et leur caractère pour éclairer le conseil, il devient surtout une sorte de secrétaire. Il tient trois registres. Le premier renferme : "1) les devoirs de l'introducteur des approbanistes ; 2) le tableau des avantages des congréganistes ; 3) les

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devoirs des approbanistes ; 4) le tableau des indulgences ; 5) la convention passée entre les congréganistes ; 6) le cérémonial de la réception des approbanistes ; 7) le cérémonial de la réception des congréganistes ; 8) les devoirs des congréganistes ; 9) une liste bien exacte de tous les jeunes gens admis aux épreuves, avec nom, prénom, âge, lieu de naissance, état, rue, numéro et une case pour les observations, s'il y a lieu, et une désignation pour ceux qui recevront la bénédiction d'approbaniste, par exemple ; 10) une liste de tous ceux qui auront reçu la bénédiction d'approbaniste : elle ne contiendra que le nom, prénom, rue et numéro".

Dans le deuxième registre, on trouve : "la convention passée entre les congréganistes, avec un certain nombre d'assez larges colonnes pour recevoir les signatures des approbanistes, lorsqu'ils auront été admis pour entrer dans la congrégation".

Le dernier contient : "1) la formule du renouvellement des vœux du baptême ; 2) l'acte de consécration à la sainte Vierge, avec un certain nombre d'assez larges colonnes pour recevoir les signatures des nouveaux congréganistes, aussitôt après la cérémonie de leur consécration".

Trois registres à tenir, c'est déjà quelque chose. Ce n'est pas tout. L'introducteur, dit le sommaire de ses devoirs, inscrira aussitôt après la cérémonie de consécration les noms des nouveaux congréganistes sur le registre de la messe - (le quatrième ! ), avec la date du jour.

Au premier conseil qui suivra la réception ou d'approbaniste ou de congréganiste, il inscrira les candidats sur les registres -(cinquième et sixième ! ) de M. le directeur ou remettra à leurs secrétaires des listes bien exactes des nouveaux reçus.

Au premier conseil qui suivra la réception de quelque congréganiste, l'introducteur le présentera au bureau de M. le préfet et de M. le directeur, avec autant de billets qu'il y aura de congréganistes présentés. Ces billets ne contiendront que l'adresse bien exacte d'un de ces nouveaux congréganistes.

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Si, après s'être acquitté fidèlement de toutes ces écritures, l'introducteur est exact à s'entendre avec M. le directeur et M. le préfet pour faire avec quelques membres une assemblée où les jeunes gens admis par le conseil au rang de congréganistes signeront avec quelque solennité la Convention entre les jeunes gens et seront prochainement préparés à la cérémonie de leur consécration, il sera un introducteur parfait.

* * *

Les postulants formaient traditionnellement une autre classe préparatoire à la congrégation. Elle fut reprise en 1814 et réorganisée sur une base un peu nouvelle.

Après la dispersion de 1809, quelques congréganistes pleins de zèle et dirigés par M. Chaminade avaient en quelque sorte maintenu l'œuvre des postulants, en organisant des réunions paroissiales d'enfants et d'adolescents. En rétablissant les réunions de la Madeleine, on décida de maintenir la répartition des membres suivant les paroisses d'origine. Plusieurs paroisses forment un quartier dont la responsabilité incombe à un jeune congréganiste appelé chef de quartier et assisté d'un postulant comme officier de fraction. Parmi les postulants de chaque fraction, ceux qui en prononçant l'acte de consécration, -(sans doute celui qu'on a lu dans les règlements de 1803)- se sont incorporés à la congrégation, autant que leur âge le permet, portent le titre de postulants formés.

Si large que l'on soit dans l'admission des candidats, on écarte ceux qui n'ont pas fait leur première communion, ceux qui ne pourraient être proprement vêtus par leur famille, ceux dont les parents exerceraient une profession méprisée, ou auraient subi une condamnation déshonorante, ou simplement jouiraient d'une mauvaise réputation. On retrouve ici le souci du décorum qui s'est affirmé dans le nouveau directoire de l'officier des approbanistes.

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Les devoirs des postulants restent ce qu'ils étaient dans l'institut de 1807 : fuite des mauvaises compagnies et des lieux dangereux, récitation quotidienne d'une hymne du petit Office de l'Immaculée Conception et d'un Pater-Ave pour les défunts de l'association, déférente soumission au directeur, au préfet, à l'introducteur, au chef de quartier, docilité à l'égard du chef de fraction, honnêteté réciproque dans tous les rapports qu'ils ont les uns avec les autres, même en récréation.

On les exhorte à se faire un petit règlement de vie chrétienne et à le soumettre à leur chef de quartier. Aux communions générales des congréganistes, ils communient eux-mêmes ou se contentent de la communion spirituelle selon l'avis de leur confesseur. Tous assistent à l'assemblée publique du dimanche soir et des fêtes chômées ; seuls les postulants formés doivent entendre la messe dominicale de la confirmation. Sous la présidence de leur introducteur, ils ont une réunion particulière avec leurs officiers, tous les dimanches et jours fériés.

Si un postulant devient difficile et se conduit habituellement de façon à troubler la marche de sa fraction, il est retiré de son groupe et confié à un jeune congréganiste auquel on donne le nom d'officier de zèle. C'est à ce dernier d'essayer de remettre l'enfant dans le droit chemin.

L'introducteur est l'animateur central. Son rôle est de découvrir, de former de stimuler les chefs de quartier et les officiers de fraction. A cet effet, il les réunit en conseil chaque dimanche.

Les chefs de quartiers agissent directement sur les postulants. Le précis de leurs devoirs donne une idée de leurs fonctions et de leur importance :

"Le chef de quartier, lisons-nous, doit se rappeler surtout que, comme définitivement consacré au culte de la très sainte Vierge, il est responsable à la congrégation des postulants de son arrondissement.

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C'est lui qui adroitement prend les moyens pour que les postulants continuent à s'instruire de leur religion, surtout l'officier ou les officiers de son arrondissement.

Il ne doit pas passer de semaine sans voir tous les postulants qui sont confiés à ses soins, sans leur faire amitié, sans les animer. Lorsqu'un postulant a passé huit jours sans paraître, le chef doit le voir à domicile, s'il est possible. L'officier de fraction peut l'aider beaucoup.

Il porte une décoration distinguée, soit dans les assemblées générales des postulants, soit dans le conseil.

Il doit être le modèle des postulants, faire bien volontiers le sacrifice de quelques moments de récréation pour s'occuper de son grand objet et joindre la pratique de ses devoirs de congréganiste à l'exercice de ses fonctions de chefs de quartier.

Il doit avoir une liste bien exacte des postulants de son arrondissement, marquer bien exactement sur les listes ceux qui feraient leur consécration. Il aura aussi une copie fidèle des devoirs des officiers de fraction et des chefs de quartiers.

Il portera toujours au conseil et à l'assemblée générale des postulants le petit cahier où seront les listes et les copies. Il aura de plus un cahier pour prendre les notes nécessaires et les rapporter chez lui sur son cahier. Il donnera aux officiers de fraction les notes dont ils auront besoin."

Les officiers de fraction sont des aides utiles malgré leur jeunesse. Ils sont chargés de toutes les convocations. Ils rendent compte en conseil de la conduite et de la fidélité des membres de leur fraction, sans en rien dire aux postulants. Très unis à leur chef de quartier, ils donnent l'exemple de la fidélité aux devoirs du postulant, mettent beaucoup de zèle à l'accroissement de leur classe et, s'ils n'ont pas encore prononcé leur consécration, se préparent à le faire. A l'assemblée générale et au conseil, ils ont une décoration

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particulière. Responsabilité en moins, ils remplissent toutes les fonctions que l'institut de 1807 assignait aux officiers des postulants.

Les modifications introduites dans l'organisation des postulants motivèrent une révision du règlement des cortèges funèbres. Désormais, à la mort d'un postulant, tous les postulants du même arrondissement que le défunt assisteraient à ses obsèques, sous la conduite du chef de quartier. Pour un officier de fraction, on convoquerait en outre tous les chefs de fraction. Si un chef de quartier venait à décéder, tous les chefs de quartier et tous les postulants de son arrondissement se joindraient aux congréganistes de sa fraction ; l'introducteur désignerait un chef de quartier pour présider. Au cas où la mort prendrait l'introducteur, toute la classe des postulants suivraient son cercueil et un ancien congréganiste, nommé par le préfet, présiderait. Enfin, si le préfet mourait, l'introducteur conduirait personnellement toute la classe des postulants.

En définitive, dans sa forme nouvelle, si elle s'articulait étroitement sur la congrégation, grâce aux chefs de quartier, la classe des postulants utilisait aussi les dévouements plus jeunes, dans les charges d'officiers de fraction et, par la répartition de ses membres en quartiers, elle marquait une orientation vers l'organisation paroissiale.

* * *

Les œuvres paroissiales sont, en France, une création du XIXème siècle et, en maints endroits, même du XXème.

Sous l'ancien régime, toutes les associations, toutes les confréries se recrutaient sans tenir compte des paroisses. Personnellement, M. Chaminade croyait peu à l'avenir des associations paroissiales. Il ne pensait pas que le clergé pût s'occuper en même temps de la masse des fidèles et de l'élite groupée dans une œuvre telle que la

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congrégation. Pour lui, il y avait là deux genres d'apostolat qui réclamaient chacun leurs spécialistes. Ses vues étaient celles de son temps. Elles furent dépassées par les faits. L'évolution de sa classe des postulants montre qu'il dut lui même faire fléchir ses principes. Qu'il n'eût pas été intraitable, on peut l'inférer de ce qui se passe, à la même époque, au sujet des congréganistes des Chartrons.

Quand la congrégation avait été officiellement dissoute, ceux-ci avaient été assez nombreux et assez entreprenants pour organiser des réunions sur le territoire de la paroisse Saint-Louis. Du moment qu'aucun ordre impérial n'interdisait les réunions paroissiales, la police laissa faire et M. Chaminade ne put qu'encourager des efforts grâce auquel était maintenue partiellement une œuvre qui lui était chère et qui était devenue impossible à la Madeleine.

En 1814, la petite association des Chartrons était si vivante et si attachée à son indépendance qu'il eût été maladroit, sinon impossible, de disperser les membres dans les différentes fractions de la congrégation rétablie. On discuta et l'on parvint à un compromis ; elle sera regardée comme une de ses grandes fractions.

"Comme cette congrégation s'est distinguée par son zèle et par sa fidélité dans des temps très fâcheux et qu'elle a toujours conservé pour la congrégation-mère un attachement sincère, elle en recevra aussi, dans tous les temps, des témoignages particuliers de dévouement et de distinction".

"Elle sera tout à la fois et fraction de la congrégation de Bordeaux et congrégation des Chartrons. Dans le premier rapport, elle ne devra jamais s'écarter des principes de l'organisation générale de la congrégation et dans le second, elle aura son organisation particulière".

"Comme congrégation, elle aura ses chefs, ses classes d'approbation et son conseil. Elle tiendra ses séances, soit générales, soit particulières, aux Chartrons, mais toujours dans la forme

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prescrite par la congrégation-mère et c'est cette forme qui fera son organisation particulière".

"Son conseil s'assemblera également aux Chartrons, mais ses attributions seront également désignées, sans qu'il soit permis de s'en écarter".

"Son président se trouvera de règle au conseil de la congrégation. Les chefs des approbanistes et des postulants pourront y être appelés, s'il est jugé convenable. Le président y aura sa place et sa voix avant tous les chefs de fraction".

"Comme fraction, tous les membres seront soumis aux premiers chefs de la congrégation, en qualité seulement de congréganistes. Les candidats qui se présenteront pour être postulants, approbanistes et congréganistes seront examinés, préparés et instruits aux Chartrons, mais ils ne pourront être reçus définitivement qu'à Bordeaux".

"Tous les congréganistes des Chartrons auront droit de se trouver aux assemblées privées des congréganistes de Bordeaux. S'il y a quelque séance extraordinaire, ils y seront appelés. Ils assisteront deux fois par an à la communion générale : à la fête de l'Immaculée Conception et à la Pentecôte".

"La congrégation des Chartrons pourra se composer des jeunes gens des paroisses de Saint-Louis et de Saint-Martial. Ceux néanmoins qui voudraient uniquement appartenir à la congrégation-mère seront libres. Ceux qui ayant appartenu à la congrégation-mère se seraient incorporés à la congrégation des Chartrons doivent toujours suivre la congrégation-mère, à moins d'une dispense particulière".

Les faits justifièrent les négociateurs. Ce compromis régla longtemps les rapports des deux groupements.

* * *

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Les autres branches de l'association ne restèrent pas en retard. Et règlements nouveaux d'apparaître à foison.

Nous sommes peu au fait des détails de la réorganisation des jeunes filles et des dames de la retraite. Peut-être faut-il dater de cette époque différentes dispositions prises au sujet du port du viatique aux congréganistes, au sujet des cortèges funèbres, des processions, de la messe du dimanche.

En dépit du concordat de 1802, les Articles organiques avaient imposé maintes restrictions aux manifestations extérieures du culte. Si dès 1803, les Bordelais avaient vu la procession de la fête-Dieu repasser dans leurs rues, les autres processions et le port du viatique demeurèrent interdits sous l'Empire. A la Restauration, l'Église prit d'elle-même plus de liberté. La congrégation en profite. Doit-on porter le saint viatique à une congréganiste, on convoque, pour accompagner le directeur, toute la fraction à laquelle la malade appartient. S'il s'agit d'une officière de fraction, on invite en outre toutes les officières de fraction et l'assistante de sa division. Pour l'officière des postulantes, toutes ces dernières seraient appelées ; pour une des assistantes, on informerait toute la première division et pour la Mère en fonction ou sa devancière immédiate, toute la congrégation.

On procède de la même manière pour organiser les convois funèbres. Les jeune filles, vêtues de blanc, - les dames de la retraite en noir, - se réunissent au local de l'association. Dans le cortège, "les divisions et les fractions marchent par ordre de numéro, selon l'uniformité des costumes ou des tailles". Les officières désignent la place de chacune. On garde le silence dans les rangs. Quatre congréganistes portent le cercueil sur lequel on place la ceinture de la congrégation soutenue aux deux extrémités par deux congréganistes distinguées. "Les jeunes postulantes de la division de la morte font la jonchée". Après l'enterrement, on revient en silence à la Madeleine et l'on suspend "la couronne de la morte" à l'autel de la conception de la sainte Vierge".

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Dans les processions, les congréganistes vêtues de blanc et voilées se disposent comme dans les convois funèbres. Deux, trois, ou quatre membres, suivant la longueur du parcours, se relaient, pour porter, en tête, la bannière de Notre-Dame. Deux autres, vers le milieu des rangs, tiennent déployée la grande ceinture brodée, qui représente les livrées de l'association.

Toute la congrégation assiste à la messe, les jours de fêtes qui tombent en semaine, ainsi que les dimanches fixés pour la communion générale. Les dimanches ordinaires, si deux des trois officières principales et une officière par fraction se trouvent toujours à la Madeleine, la présence n'est requise que d'une des deux divisions et les divisions se succèdent de dimanche en dimanche. Sans doute a-t-on voulu donner aux associées des facilités pour fréquenter l'office dominical dans leur paroisse. Le règlement, en effet, engage à se rendre à la Madeleine, toutes celles qui, sans y être tenues, par leur tour, peuvent le faire "sans préjudice de la messe de la paroisse".

Les autres usages antérieurs subsistent. "La messe est précédée de la récitation grave du petit Office du Sacré-Cœur de Marie et suivie de la prière pour les compagnes décédées". "Lorsque le célébrant se tourne pour lire 1'Evangile, toutes se tiennent debout. Elles s'asseyent pour l'explication". "A l'élévation de la sainte hostie, on peut chanter O salutaris hostia ou quelques versets de cantiques analogues à la présence de Jésus-Christ sur l'autel". "Aux communions générales, le premier chef fait à haute voix les actes avant et après la sainte communion. A la fin de l'action de grâces, on chante le Laudate Dominum ou quelques versets de cantiques". Une innovation nous est signalée par la correspondance de M. Chaminade : jusque-là, jeunes filles et jeunes gens avaient leur "livre de la messe" séparé. Dorénavant, il n'y en a plus qu'un seul, commun à toute la jeunesse tant masculine que féminine. La raison de ce changement nous échappe.

* * *

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Chez les pères de famille, quelques brèves directives fixèrent les devoirs des principaux officiers.

Le premier chef, "préside toutes les réunions sous les yeux de M. le directeur. Il est le ressort principal de tous les mouvements de la congrégation des pères de famille. Sa sollicitude s'étend à tous les besoins".

"Il donne et il exige l'exemple de l'assiduité. Il ne passe pas de quinzaine sans voir les officiers qu'il ne trouverait pas fidèles à leurs fonctions".

"Il vérifie tous les trois mois les registres de M. son suppléant et signe les mandats ou même tire les mandats qui alors sont visés par M. le directeur".

Le suppléant, "en l'absence du chef, le remplace en tout, et, quand il est présent, il l'assiste partout, se tenant à sa droite".

"Il tient le registre spécial des souscriptions et les chefs de fraction versent dans sa caisse : il observe d'ailleurs le règlement dressé à cet effet".

"Si le chef devait être absent longtemps, le conseil l'aviserait s'il ne devrait pas être remplacé par un autre membre, ou s'il ne faudrait pas nommer un autre suppléant".

L'office des chefs de fraction consiste essentiellement :

1) "A donner l'exemple de l'assiduité aux exercices de la congrégation et à s'assurer de l'assiduité des membres de leur fraction.

2) A voir au moins tous les quinze jours chacun des membres de leur fraction qu'ils n'auraient pas vus à quelque exercice de la congrégation.

3) A se trouver au conseil général.

4) A faire connaître à M. le directeur et aux chefs ce qui peut intéresser la congrégation, parmi les membres de leur fraction.

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5) A faire la collecte des souscriptions de leurs membres et verser ensuite entre les mains de M. le suppléant.

6) A convoquer extraordinairement ou porter les ordres ou instructions des chefs.

7) A prendre un grand soin des malades et faire exécuter ponctuellement le règlement qui les concerne".

Le secrétaire "tient la plume partout où il est nécessaire et expédie toutes les écritures de la société. Il occupe une place distincte au conseil et aux séances de la société. Ses fonctions lui imposent une obligation sociale d'édification et d'assiduité".

Comme le prévoyait la convention, la classe de préparation reçut son organisation propre. Elle comprend tous ceux qui se sont fait inscrire comme candidats à l'agrégation et qui, sous le nom de prétendants, se préparent "à renouveler religieusement les vœux de leur baptême et à faire, avec une vraie dévotion, leur acte de consécration à la sainte Vierge".

"Toute cette préparation, dit un article du règlement, consiste essentiellement à connaître les statuts de l'association, à se déterminer à les suivre avec exactitude, à purifier sa conscience pour faire la sainte communion le jour de sa réception, à la messe de la congrégation".

"Pendant le temps de la préparation, les prétendants se rendront le plus exactement qu'ils pourront à la messe de la congrégation et à l'assemblée publique des dimanches et fêtes chômées".

"Ils seront invités à commencer de s'accoutumer à la récitation du petit Office de l'Immaculée Conception de Marie, Mère de Dieu".

"Ils rendront à M. le directeur le nombre de visites nécessaires pour hâter leur préparation. S'ils craignent de ne pas le trouver libre, lorsqu'ils se présenteront chez lui, ils se rendront à l'invitation de leur chef qui leur indiquera le jour et l'heure à laquelle M. le directeur pourra les recevoir".

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"Ils peuvent d'ailleurs avoir avec leur chef divers entretiens sur leur entrée dans l'agrégatio".

Et le règlement poursuit : "L'admission des candidats se fera d'habitude au conseil, à la pluralité des voix. Cependant, M, le directeur, dans des cas pressés ou extraordinaires, pourrait admettre, mais alors il ferait prévenir tous les membres du conseil de cette admission et lui-même en donnerait avis à toute l'agrégation comme il est dit dans le cérémonial, soit de présentation des jeunes gens, soit de réception ou de consécration".

De tous ces textes, il ressort que l'agrégation, plus que par le passé, entend borner son recrutement aux bons chrétiens. Aussi le responsable de cette classe et ses aides ont-ils `pour principal devoir de barrer l'entrée aux indignes.

"Le chef de préparation, est-il dit, aura un petit registre, et non une feuille volante, sur lequel seront inscrits les prétendants, par nom, prénom, qualité, rue, n°., et date de leur présentation. Une case restera libre pour mettre la date de leur réception, si elle a lieu".

"Dès le jour de leur présentation, il tâchera de prendre secrètement et avec beaucoup de prudence des informations sur les prétendants : s'ils ont des mœurs ? s'ils ont de la piété ? s'ils jouissent dans le public d'une bonne réputation ? si, s'étant autrefois fait une mauvaise réputation, leur retour à la vertu est ancien ? s'ils ont un état honorable dans la société ? et toutes autres informations qu'il pourrait prendre, comme : s'ils avaient des ennemis ? s'ils étaient vindicatifs ? s'ils étaient désordonnés dans leurs affaires ? s'ils faisaient mauvais ménage dans leur famille ?"

"Si le prétendant qui se présentait, ou qui serait présenté, était déjà connu sous quelques-uns de ces mauvais rapports, ou si, dans les premiers jours de son inscription, le chef venait à en apprendre, il en donnerait de suite connaissance à M. le directeur et ne verrait pas ce prétendant. Autrement, après peu de jours de présentation, le chef donnera copie à chaque prétendant des 4°, 5°, et 6° numéros du titre

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"Classe de préparation" (ce sont les textes qu'on a lus plus haut). Il les donnera de la main à la main, afin de faire connaissance avec M. les prétendants".

"Quant aux avertissements des visites à rendre à M. le directeur, il pourra les donner personnellement ou par écrit".

"Le chef de la classe de préparation se trouvera chez M. le directeur, s'il y a convocation de tous ou de plusieurs prétendants à la fois, ou encore si un seul prétendant rend la visite où il doive recevoir les dernières instructions et voir fixer la réception définitive".

"Ordinairement on ne convoquera ensemble, chez M. le directeur que les prétendants dont les états ou les conditions ne sont pas trop distants les uns des autres".

"Le chef aura sur son registre des abrégés ou des copies de toutes les matières et sujets d'instruction que donnera M. le directeur. Il cherchera à s'en bien pénétrer lui-même, pour se mettre à même d'en conférer avec facilité avec MM. les prétendants".

"Le chef demandera au conseil l'adjoint qu'il jugera le plus propre à l'aider dans ses fonctions, si le nombre des prétendants augmentait, ou même pour le suppléer, s'il s'absentait, s'il était malade, ou s'il lui survenait des obstacles qui l'empêchassent de remplir ses fonctions".

"Ils s'entendront tous deux de manière à n'avoir entre eux qu'une même manière d'opérer. Tous deux peuvent se trouver au conseil, mais il doit y en avoir toujours au moins un".

"Le chef suivra envers les jeunes gens mariés ou très âgés qui voudraient passer parmi les pères de familles la même marche qu'avec les prétendants, avec cette différence que les jeunes gens n'auront pas besoin de renouveler leur consécration, s'ils ont toujours suivi la congrégation, mais qu'après les instructions préalables, ils seront présentés dans la séance générale de quinzaine. Le cérémonial

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de cette présentation et introduction sera fixé ainsi que celui de la consécration.

"Le chef, ainsi que son adjoint, doivent se pénétrer des sentiments du plus grand zèle, soit pour qu'aucun des candidats inscrits ne rétrograde, soit pour que les jeunes gens mariés passent parmi les pères de famille, soit pour attirer de nouveaux membres à l'agrégation".

''Ils raconteront à l'assemblée ce qui dans la quinzaine et pourrait édifier dans les démarches qu’ils auraient faites dans la quinzaine et exciteront le zèle des membres de l'agrégation pour se faire des prosélytes".

On ne saurait mieux dire.

* * *

En s'occupant activement de remettre sur un bon pied toute la congrégation, M. Chaminade n'oubliait pas sa "troisième division". "Désormais, écrivait-il à Adèle de Trenquelléon, au début de la Restauration, nous ne nous attacherons plus à trouver des commodités pour correspondre mais lorsque nous pourrons nous écrire, nous emploierons la voie de la poste, à moins qu'il n'y ait quelque difficulté de ce côté : quant aux frais que cette correspondance pourrait occasionner, nous y pourvoirons..."

"Envoyez-moi, je vous prie, un catalogue général de toutes les jeunes personnes, leurs nom, prénom, âge, demeure, ou plutôt leur adresse, l'état de leurs parents. Faites en sorte que tous les noms propres soient écrits bien lisiblement. Distinguez les officières et les fractions, celles aussi qui ont prononcé leur acte de consécration".

"En récompense de ce travail, je vous promets qu'aussitôt que j'aurai ce catalogue, je ferai transcrire les noms des jeunes personnes sur le Livre de la Messe…"

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"Je verrai ce qu'il conviendra de faire pour finir de vous organiser. Donnez-moi souvent le vos nouvelles avec les détails suffisants. Parlez-moi toujours avec l'ouverture et la franchise d'un enfant à son bon père..."

Adèle de Trenquelléon envoya une première liste de quatre fractions. Vers le milieu d'août, l'abbé Laumont fit parvenir lui-même un tableau à peu près complet de toute "la famille du Haut-Pays".

M. Chaminade profite de l'occasion pour encourager sa collaboratrice : "Répondez, ma chère enfant, à votre vocation ; travaillez à l'accroissement de la famille de Marie ; mais prenez garde qu'en augmentant le nombre, vous ne négligiez de nourrir la piété des anciennes, de les faire croître dans la vertu et la ferveur". Le directeur pouvait être sans crainte. A. de Trenquelléon était attentive à tout. C'était l'époque, où elle se préparait à embrasser la vie religieuse. Jamais elle n'avait encore déployé tant de zèle. Dès que la royauté avait été rétablie, elle s'était félicitée d'avoir une liberté plus grande pour propager son association. "C'est de Dieu seul, écrivait-elle à son amie, Amélie de Rissan, que nous tenons cette paix pour ainsi dire miraculeuse. Soyons donc pleins de gratitude envers cet aimable bienfaiteur,qui dispose en maître des sceptres et des empires .... A présent, nous pourrons lever la tête".

On la vit alors se multiplier. Secondée par Mme Belloc, qu'elle appelle "notre Chantal", encouragée par l'abbé Laumont, le délégué officiel de M. Chaminade, elle se déplace, écrit, provoque des réunions, recrute de nouvelles associées, fonde de nouveaux groupes, fait prononcer des consécrations.

Au début de 1815, la congrégation avait pris assez d'extension dans le diocèse d'Agen, pour que M. Chaminade s'occupât de présenter à l'évêque un rapport complet avec quelques considérations sur l'importance de cette œuvre. Mgr Jacoupy était son compatriote et son ami. Venu à Bordeaux pour fêter l'anniversaire de l'entrée du Duc d'Angoulême dans cette ville, il approuva tout. Le 14 mars 1815 le directeur put écrire à Mlle de Trenquelléon : "Je viens d'écrire une très longue lettre à Mme Belloc, avec recommandation de vous en

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envoyer une copie, et de plus, une autre copie d'un écrit que j'ai remis à M. l'évêque d'Agen".

"La congrégation est approuvée par votre bon prélat dans toutes ses classes et ses formes, comme vous verrez par les copies que vous enverra Mme Belloc. Comme vous êtes moins à portée de M. l'évêque que Mme Belloc et que d'ailleurs je l'ai nommée chef de la fraction d'Agen, tant des dames de la retraite que des demoiselles, il était pressant de l'instruire. Tout ira fort bien mais il y aura de la peine et des difficultés ; mais comment témoignerions-nous à Dieu et à Marie notre zèle pour leur service, s'il ne devait nous en rien coûter ? L'amour se nourrit dans 1es travaux entrepris pour la gloire du Bien-aimé.

"Vous pouvez voir tous les gros lieux où on pourrait former des fractions assez considérables pour les régulariser et qu'elles puissent faire publiquement leurs exercices de congrégation.

Mettez beaucoup de prudence. Tâchez de vous mettre toujours d'intelligence avec MM, les curés ; consultez toujours M. Laumont ; écrivez-moi tout ce qui se passera. Surtout ne brusquez rien. Avec les copies que Mme Belloc vous enverra, vous ou M. Laumont pourrez vous concerter avec MM. les curés".

* * *

Dans la saison froide, sous le vent glacial, les arbres les plus vigoureux, dépouillés de 1eurs feuilles, semblent morts. Mais que 1e printemps apparaisse : la vie éclate dans tous les bourgeons et toutes les branches se couvrent de verdure. La mort apparente n'était qu'un état d'attente.

Sous les rigueurs du régime impérial, la congrégation a paru mourir. Et voilà qu'aux premiers rayons de la liberté, elle s'affirme débordante de vie. A Bordeaux, toutes ses sections se réorganisent. Hors de Bordeaux, l'œuvre prend une nouvelle extension. Partout des

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recrues se présentent. On élabore des projets. On s'enthousiasme plus que jamais. Les années de silence n'ont été qu'une pause, espère-t-on.

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Chapitre troisième

UNE ANNÉE CHARGEE

L'année qui s'écoula d'avril 1814 à avril 1815 fut marquée pour la congrégation par une activité fiévreuse. Dans toutes les lettres qu'il écrivit à cette époque, M. Chaminade se dit surchargé d'occupations. Il n'exagère pas. En même temps qu'il surveille la rédaction des nouveaux règlements et préside à la remise en train de toutes les sections, il procure à l'association des locaux plus spacieux.

Le bail qui lui assurait l'usage de la Madeleine avait été renouvelé pour cinq ans en 1809. Il le fut encore pour cinq ans en 1814. Quant et quant d'autres démarches aboutirent à la location de l'ancien chœur des Madelonnettes, avec la salle qui s'étendait au-dessus, la cour qui le bordait rue des Carmes et une petite maison adjacente, sur la même rue. Le propriétaire, un sieur Artaud, avait d'abord demandé un loyer annuel de 300 francs et la réfection, par le locataire, du carrelage de la salle supérieure. On se mit d'accord en partageant les frais de réparation. L'acte du 1er août stipula en outre "qu'il serait loisible au sieur Chaminade de faire les ouvertures qui lui seraient utiles pour communiquer avec l'église de la Madeleine et les sacristies, toutefois à ses frais et à la charge de rétablir les lieux à fin de bail".

Les maçons se mirent au travail et bientôt l'ancien chœur des religieuses devint une salle spacieuse à la disposition des jeunes filles tandis que la jeunesse masculine prenait possession de l'étage.

Autre question matérielle, la réimpression du Manuel. Malgré l'inaction des années 1810-1814, l'édition de l804 était épuisée. Sur

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l'invitation de M. Chaminade, David Monnier prit la plume et prépara un nouveau teste. Les recommandations d'un congréganiste M. Hirigoyen, firent confier l'impression au sieur J.-M.-C. Duguet de Libourne. Dans une police du premier août, celui-ci s'engageait à tirer 2.000 exemplaires de l'ouvrage à 100 francs la feuille de papier.

Le livre est daté de 1815. Il est beaucoup plus volumineux que l'ancien et la disposition des matières toute différente. La première partie est un livre de piété renfermant les prières de la messe, évangiles des dimanches et fêtes, office des vêpres, avec les hymnes les plus connues.

La seconde partie était proprement le manuel de la congrégation. Diverses prières de dévotion privée, - notamment à l'usage des malades, - une formule de renouvellement des vœux du baptême, un grand nombre de cantiques nouveaux s'ajoutaient aux prières officielles de chaque section, à la suite d'une longue introduction à l'état du congréganiste.

Cette "introduction" constituait l'originalité de l'édition. L'auteur y reprenait, pour les développer avec toute son abondance verbale, les idées sobrement exprimées dans le "Discours préliminaire" des éditions antérieures.

Utilisant ses souvenirs et sans doute aussi des notes de M. Chaminade, il disait quels motifs avait un chrétien de se consacrer au culte de Marie ; il montrait comment en englobant dans son programme, la prière, l'action et l'instruction, la congrégation se distinguait de toute autre association, et il étudiait chaque point du programme, après avoir rappelé dans quelles circonstances le groupe de Bordeaux s'était formé.

Belle matière ! Malheureusement, l'ancien admirateur de Rousseau manquait des qualités qui font l'écrivain. Avec ses longueurs, ses obscurités, ses incorrections, l'œuvre est pénible à lire. M. Chaminade devait penser à cette introduction, quand, en 1821, il disait que le manuel n'était pas ce qu'il désirait. On n'avait pas eu le temps de faire mieux. Tel quel, dans son format oblong, imprimé en

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partie petit romain, partie en petit texte, vendu 45 sous, le nouveau manuel fut bien accueilli par tous.

Au milieu de toutes ces tractations, M. Chaminade eut encore à répondre aux réclamations de la fabrique de Sainte-Eulalie. Celle-ci avait à faire face à un déficit financier assez considérable. Rien de plus humain que d'en chercher la cause dans l'existence d'une chapelle qui détournait les fidèles de leur paroisse. Le curé Dinety, ancien "béguinguin", congréganiste de la rue Saint-Siméon et ami de M. Chaminade, ne put empêcher les réclamations de monter jusqu'à l'archevêque.

Le 8 mai donc, "les membres du conseil composant le bureau de la fabrique s'étant assemblés à l'issue de la messe paroissiale, dans la maison curiale, lieu ordinaire de ses séances, afin d'aviser aux moyens d'égaler les recettes aux dépenses et de voir s'il était possible de restreindre encore les dépenses pour atteindre ce même but, un des membres, - (ils étaient trois ce jour-là) - dit : "C'est en vain que nous nous agiterons pour y parvenir, si nous ne remontions pas à la source, si nous ne touchions pas à la véritable cause, à l'ouverture de la Madeleine". Après ce beau préambule et "en conséquence", ce vigilant fabricien, quelque peu "agité", suivant le mot qu'il nous souffle lui-même, mit "sous les yeux" de ses collègues, l'ordonnance rendue par Mgr l'Archevêque, le "12 novembre 1804, 21 Brumaire an XIII". Il en donna même lecture du premier au dernier mot. C'était plus sûr.

Cette lecture faite, le même membre, continue le secrétaire, nous a fait connaître les infractions, - il souligne avec indignation, - contre cette ordonnance, commises par le desservant dudit oratoire.

La première : les vêpres, au lieu de commencer à 2 h. ne commencent qu'à 3. La seconde : outre les fêtes de la Purification, de la Visitation, de la Nativité et de la Conception de la Sainte Vierge qui sont permises, on célèbre dans le dit oratoire, celles de l'Annonciation, de l'Assomption, de saint Joseph, de sainte Madeleine et de Notre-Dame des Martyrs, cette dernière avec exposition toute la journée. La troisième : la bénédiction se donne presque tous les dimanches de l'année avec annonce. La quatrième :

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on donne la bénédiction tous les jours de l'octave du Saint-Sacrement, au premier jour de l'an, à la Toussaint et à la Noël".

En sorte que cet oratoire se trouve plus favorisé qu'aucune des paroisses de la ville. D'où il résulte une injustice bien réelle envers la fabrique de Sainte-Eulalie, qui, par là, se trouve privée du produit des chaises dont le desservant de la Madeleine profite contre le règlement susdit approuve par Mgr l'Archevêque et signé par ledit desservant lui-même. Ce qu'il fallait démontrer, n'est ce pas ?

Mais bien renseigné sur le passé, notre nouveau Don Quichotte connaît aussi l'avenir : il nous a dit qu'il était instruit que ledit desservant de cet oratoire se proposait de tenter encore d'autres transgressions dudit règlement.

Que faire devant de telles révélations ? "Il a été délibéré à l'unanimité qu'il sera tenu registre de tout ce que dessus ; (ne nous effarouchons pas du jargon, notre secrétaire appartenait sans doute à la magistrature) - qu'un extrait dudit registre serait délivré par le secrétaire ; que ledit extrait serait remis à Mgr l'Archevêque par une députation de tout le bureau, - (très amusant ce "tout" ! ) - qu'il - (c'est l'archevêque) - serait supplié de donner sa décision.

"Sa décision !..." le mot est à signaler à quiconque cherche un exemple d'euphémisme. Nos défenseurs ombrageux des règlements ecclésiastiques avaient encore quelque usage du monde. En eux-mêmes, que voulaient-ils, sinon une condamnation, sous un nom ou sous un autre, de M. Chaminade . Ils en furent pour leurs frais d'éloquence... fielleuse. Si le bon Monseigneur d'Aviau reçut personnellement la députation, il dut en fait de "décision" lui donner des paroles. Au début de juin seulement, il communiqua la plainte à l'accusé. Un geste d'ami : "Je reçus aussi de votre part, lui écrit M. Chaminade, dans un billet du 4 juin, une délibération de la fabrique de Sainte-Eulalie : j'y répondrai dans les premiers jours de la semaine dans laquelle nous allions entrer. Je suis peu étonné que Satan commence à s'agiter ; c'est une petite marque qu'avec du courage et de la prudence, il est possible de faire un grand bien, pour la religion, en continuant l'œuvre de la congrégation, sur le plan qu'elle est reprise".

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Le chanoine attaqué ripostait sans tendresse. Il ajoutait : "Maintenant que, sans crainte de vous compromettre par la révélation des pensées de mon cœur, je pourrai prendre plus habituellement vos conseils, je vous ferai part de tout avec la confiance d'un enfant pour le meilleur des père". Si les fabriciens de Sainte-Eulalie avaient compté sur un désaccord entre le desservant de la Madeleine et son archevêque, combien ils s'étaient trompés ! Toutes les prétendues transgressions qui les indignaient étaient des faveurs positives du prélat. L'affaire n'eut pas de suite. La fabrique revint à la charge le 7 août. Elle n'enregistra - c'est bien le cas d'employer le mot - pas plus de succès que la première fois. Qu'importe ! Tant bien que mal, elle avait attaché un grelot ; elle se chargerait de l'agiter de temps en temps.

* * *

La congrégation elle, semblait vivre une seconde jeunesse. Peu à peu chaque section rétablissait ses réunions.

Pour la jeunesse masculine, comme pour la jeunesse féminine, la journée essentielle reste le dimanche avec la messe précédée de l'office, les jeux ou les promenades, les vêpres et l'instruction - à titre facultatif, l'assemblée à la tombée de la nuit.

Suivant l'usage du passé, l'âge mûr, ce jour-là, est convié : on ne lui impose aucune obligation. Peut-être insiste-t-on plus que naguère pour obtenir son concours. "L'assemblée publique du soir étant une œuvre de zèle de la congrégation, dit une note destinée aux pères de famille, ses chefs, (les chefs des jeunes gens) - la présideront comme ils font déjà sous les yeux de M. le directeur. Le conseil et M. le directeur continueront à en régler tous les mouvements et exercices. Quoique les jeunes gens doivent en être spécialement les acteurs, néanmoins, s'il y a, dans l'agrégation, quelques pères de famille à talent, ils pourront être employés au besoin".

Pour les dames, le règlement est plus catégorique : "elles assistent autant qu'elles le peuvent aux assemblées des jeunes

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personnes, les dimanches et les fêtes mais sans confusion. L'ancienne section entoure la première division ; la nouvelle section entoure la seconde division. Elles y assistent pour s'édifier et s'instruire. Elles n'y remplissent aucun office. Ces assemblées sont l'œuvre des jeunes personnes de leur sexe".

Publique chez les jeunes gens, l'assemblée du soir semble privée chez les jeunes filles. Orientée vers la conquête chez ceux-là, elle est, chez celles-ci une œuvre de préservation aux heures où le plaisir risque de les séduire.

Pour le programme, la jeunesse féminine laisse "à la sagesse de M. le directeur le soin de remplir ces assemblées de plus en plus utiles, édifiantes et instructives. Il n'est pas douteux, poursuit curieusement le rédacteur, qu'il s'y intéressera à proportion de l'exactitude qu'auront les congréganistes à s'y rendre". Encore est-il bon qu'il existe un plan général. On y a pourvu. "Après la prière et le chant d'usage, la séance commence par l'aperçu des listes d'activité et l'appel de quelques fractions, - (ce qui suppose qu'on n'est pas en séance publique)".

Viennent ensuite "la narration de la fête du jour ou de tout autre sujet édifiant, en forme de conférence, le récit de la patronne de semaine ou de mois, la proclamation de quelques effets particuliers de la protection de la sainte Vierge, selon le choix de celui ou de celle qui porte la parole. L'assemblée se termine par quelques versets de cantiques en l'honneur de Marie et le Sub tuum". C'est le premier texte qui nous présente en détail une assemblée générale des jeunes filles. Tel quel, il est peut-être un peu postérieur à 1814, mais à n'en pas douter, il nous révèle une tradition.

Le directeur pouvait provoquer chez les jeunes filles des assemblées extraordinaires, soit de toute l'association, soit d'une division seulement, ou même d'une seule fraction. Aucune n'était prévue d'une façon habituelle par les règlements et il est à croire que ces réunions extraordinaires furent très rares. Les réunions des

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postulantes et celles des jeunes postulantes sont, elles, laissées à l'initiative des chefs responsables.

Chez les jeunes gens, la convention du 30 avril a émis le principe d'une réunion privée chaque semaine. Elle eut lieu probablement le dimanche matin, avant l'office, suivant un programme analogue a celui des jeunes filles. Pendant l'année 1814, on ne tint pas d'autre réunion privée. En janvier 1815, sur "la proposition du conseil de M. le directeur", les assemblées de fraction reprennent. Les chefs de fraction en fixant le lieu et la date d'accord avec le préfet.

Détail curieux. Le terme prétendant, absent de la convention, se retrouve dans le registre du conseil. Ceux que le secrétaire qualifie de ce titre ne forment pas une classe organisée. Ce sont les candidats que le conseil n'a pas encore acceptés et qui n'ont pas reçus la bénédiction prévue pour les approbanistes. Au fond, il ne s'agit que d'une dénomination commode pour distinguer ceux entre lesquels la convention faisait déjà quelque différence. Du reste, prétendants et approbanistes sont confiés au même introducteur qui les réunit à son gré.

Comme sous l'empire, le premier mercredi du mois est le jour des mères de famille, qui se livrent aux exercices de la retraite mensuelle et tiennent une réunion générale de leur groupement. Chez elles, les assemblées extraordinaires durent être encore plus rares que chez les jeunes filles.

Les pères de famille avaient prévu, dans leur convention, une réunion tous les quinze jours. Il est probable qu'ils s'en tinrent à cette décision. Les assemblées de section et de fraction viendront plus tard.

* * *

A côté du prévu, il y a l'imprévu qui donne lieu à des manifestations des plus goûtées.

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En mai 1814, l'évêque de Limoges, Mgr Philipe du Bourg, s'arrêta à Bordeaux. Il était accompagné de son frère Joseph, dit le Chevalier. Personnellement, le prélat était très dévot à la Vierge. Membre de l'Aa de Toulouse, où il avait joué un rôle très important pendant la Révolution, il ne pouvait manquer de s'intéresser à l'œuvre de M. Chaminade, qu'il connaissait peut-être depuis 1806. Quoi qu'il en soit, le 22 mai, les deux illustres personnages furent reçus à la Madeleine.

"En entrant à l'église, avait écrit le directeur, Sa Grandeur sera introduite dans le sanctuaire près du prie-Dieu qui lui aura été préparée. De suite se fera la réception de M. le Chevalier, selon la forme ordinaire. Aussitôt après, deux officiers d'honneur se rendront, avec des flambeaux, aux côtés de Sa Grandeur qui prononcera si elle le juge à propos, l'acte de consécration à la sainte Vierge.

Le directeur, ensuite M. le préfet, s'approcheront de Sa Grandeur pour recevoir l'accolade fraternelle. Toute la cérémonie se terminera par le chant Ecce quam bonum, pendant lequel le directeur ira se déshabiller à la sacristie". Simple mais assez suggestif ! Qu'on ajoute les paroles que M. Chaminade n'a pas pu ne pas prononcer pour présenter les visiteurs, celles du prélat pour remercier et exprimer les sentiments qu'il éprouvait à la vue d'une si belle jeunesse : on aura quelque idée de ce qui se passa, ce dimanche soir, dans la chapelle de la Madeleine.

Le souvenir de cette réception ne s'était pas encore estompé dans les esprits que la congrégation faisait parler d'elle dans tous les milieux de Bordeaux. Voici le fait tel que nous le livre une tradition écrite deux ans plus tard. "La communion générale des jeunes gens coïncidait avec un service funèbre que l'on célébrait pour expier le crime commis sur la présence de Louis XVI. A cette cérémonie de douleur et de larmes, reçurent l'invitation de se rendre tous les corps constitués, toutes les autorités civiles et militaires, toutes les troupes qui formaient la garnison.

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A cette cérémonie parut aussi la Garde Nationale, cette garde qui la première avait arboré l'étendard aux couleurs de France, aux armes des Bourbons. Dans ce groupe se trouvait un assez grand nombre de congréganistes. Dès que les tambours et les trompettes eurent annoncé le moment où le prêtre sacrificateur immolait sur l'autel l’hostie de propitiation, la victime expiatoire, on vit les congréganistes sortir de leurs rangs, déposer leurs armes, les former en faisceaux et avancer deux à deux, dans le maintien le plus noble et de la manière la plus décente, vers la table sainte, vers la table de communion. Ainsi, foulant aux pieds les petites bassesses du respect humain, ils ne craignirent point de montrer, par une action d'éclat, qu'ils s'honoraient du titre de serviteurs et de soldats de Jésus-Christ, tout autant qu'ils se glorifiaient du nom de serviteurs et de soldats d'un Prince de la terre. Ils ne rougirent point de prouver par une action si éminemment religieuse, qu'ils s'estimaient heureux de professer hautement leur fidélité au Roi des rois, comme ils étaient fiers de manifester leur attachement inviolable à la mémoire du souverain dont la France pleurait amèrement la perte et la mort. Leur démarche ne manqua pas d'attirer sur eux tous les regards ; elle leur mérita l'affection et l'estime de tout ce qu'il y avait de chrétiens dans l'assemblée".

Le narrateur parle un peu la bouche en cœur, mais, la part faite au lyrisme, il reste un geste et c'est un geste de belle crânerie.

C'est à la même époque qu'il faut placer la réception de deux autres personnages illustres. D'un, le comte Alexis de Noailles, était connu des anciens congréganistes. Ce fut lui, sans doute, qui présenta l'autre, le comte Jules de Polignac. Royalistes ardents tous les deux, ils avaient accompagné les Princes dans "la ville du 12 mars". Les relations qui avaient existé sous l'Empire entre Noailles et Lafon, le rôle joué par Estebenet, M. Chaminade et un grand nombre de congréganistes dans l'entrée du Duc d'Angoulême à Bordeaux, la piété des deux comtes, leur qualité de congréganistes, on n'est pas embarrassé si l'on veut expliquer leur présence à la Madeleine.

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Ils durent être assidus aux réunions congréganistes durant leur séjour. Au gré de l'association, celui-ci fut trop court. En guise de consolation, le conseil décida de s'attacher ces deux personnages, en leur décernant le titre de préfets honoraires, M. Chaminade en avertit lui-même par lettre les intéressés.

A. de Noailles ne semble pas avoir été atteint. Jules de Polignac le fut avec quelque retard. Il répondit d'une façon charmante : "Je n'ai reçu qu'il y a deux jours, Monsieur, la lettre que vous m'avez écrite, en date du 16 août dernier. Je suis extrêmement reconnaissant des attentions toutes chrétiennes et toutes fraternelles que MM. les membres de la congrégation de Bordeaux veulent bien avoir pour moi, et je vous prie, Monsieur, d'être auprès d'eux, ainsi qu'auprès de M. le préfet de la congrégation, l'interprète de mes sentiments. J'accepte avec une grande joie l'offre aimable que vous me faites de me tenir au courant de ce qui se passera de plus intéressant dans la société ; rien ne pourra m'être plus agréable que d'entretenir avec vous, Monsieur, de semblables rapports et sur un si intéressant sujet. Agréez, je vous prie, l'assurance de ma parfaite considération". A la fin de septembre, le doyen des anciens préfets, Estebenet, eut à se rendre à Paris. La congrégation lui confia les médailles de vermeil qu'elle avait fait frapper à l'intention de ses deux nouveaux préfets honoraires, les mêmes que celles de ses dignitaires. "Monseigneur, écrivit alors le directeur au comte de Polignac, le conseil de la congrégation des jeunes gens de Bordeaux remet à M. Estebenet, un de ses anciens préfets, la médaille de préfet honoraire frappée en votre nom, d'après l'arrêté dont il eut l'honneur de vous faire dernièrement expédier une copie". Puis, ayant rappelé les devoirs des préfets honoraires, il ajoute : "Je m'étais proposé d'écrire à Mgr de Noailles, mais le temps me presse : M. Estebenet part avec le courrier. Je vous- prie de permettre que cette lettre soit commune entre vous et lui. J'eus l'honneur de lui écrire à Lyon. Je soupçonne que M. Tranchet, son secrétaire, ne lui aura pas remis ma lettre, je ne sais par quel motif...."

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Estebenet fut bien accueilli à Paris. Pour ne pas être en reste, - et ceci prouve que le geste de la congrégation de Bordeaux dépassait la personne des comtes, - la congrégation de Paris le reçut en son sein : le 9 octobre, il renouvela sa consécration mariale, rue du Bac. C'était un lien de plus entre les deux associations. Quant aux nouveaux préfets honoraires, il est à croire qu'ils répondirent tous deux à M. Chaminade, mais seule la lettre du comte de Noailles subsiste. Un morceau de finesse et de délicatesse, "Monsieur l'abbé, j'ai reçu avec reconnaissance, de M. Estebenet, la médaille que vous m'avez adressée. Je suis touché du souvenir de mes bons frères et ne me sens digne des témoignages qu'ils ne donnent que par mon attachement pour eux et par mon respect pour leur pieuse association. J'aurai peine à remplir les devoirs qui me sont imposés par la distinction que vous m'accordez. Je joindrai du moins sans cesse mes prières aux vôtres et fonderai mes espérances sur le secours de mes amis de Bordeaux en toute entreprise. Je vous renouvelle tous mes sentiments, mon respect et mon affection filiale".

* * *

Quand cette réponse lui parvint, M. Chaminade était plus occupé que jamais. C'était l'époque des retraites. Pour la première fois depuis plusieurs années, on pouvait leur donner toute la publicité désirable et y attirer un grand nombre de personnes.

Le directeur semble même s'être prêté à la prédication pour d'autres groupements que le sien. Dans une lettre du 1er décembre, il fait allusion à plusieurs retraites qu'il lui a fallu donner ou auxquelles il a fallu contribuer ; "encore, ajoute-t-il, faut-il y revenir d'aujourd'hui en huit".

On arriva au début de 1815. Suivant l'usage, il y eut renouvellement des officiers et officières. Nous ignorons les noms de ceux et de celles qui occupèrent alors des charges parmi les pères de famille ou parmi les dames de la retraite.

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Chez les jeunes filles, Mlle Chagne avait accepté les fonctions de Mère, à la mort de Mlle Lacombe. On était très content d'elle. "Non seulement, écrivait le directeur, la congrégation n'a rien perdu à ce remplacement, mais la justice exige de dire qu'elle y a beaucoup gagné. Il semble que le Bon Dieu l'ait créée tout exprès pour cette place difficile à remplir. Douceur, fermeté, prudence, droiture d'esprit, humilité, docilité, manières insinuantes ; parlant à propos, bien instruite, les caractères les plus difficiles finissent par plier ; toutes l'aiment et la respectent comme leur mère. Beaucoup de jeunes personnes attribuent le bonheur de l'avoir aux prières de Mlle Lacombe". On mesurera la portée de ce jugement, si l'on pense qu'on le trouve dans la lettre même où M. Chaminade fait à Mlle de Trenquelléon, l'éloge de la défunte Mlle Lacombe. Une perle si précieuse on la garde avec soin. C'est ce que fit la congrégation des jeunes filles. Mlle Chagne resta Mère pour 1815.

Chez les jeunes gens, les fonctions de préfet, en 1814, furent remplies par un ancien de la première heure, Quentin Lousteau. En 1815, celui-ci reprit un poste qu'il avait occupé autrefois avec bonheur, celui d'introducteur des approbanistes. La préfecture échut à un autre ancien, Patrice Lacoumbe au dévouement connu. C'est encore un ancien que nous trouvons au poste de trésorier général, Michel Arnozan. Les nouvelles générations sont aussi représentées au conseil. Jean Claverie, premier assistant, Eyquem, second assistant et introducteur des postulants, Rivière, secrétaire général, Castex, officier d'honneur en chef, Bonneval, Cantau, Motelay, Collineau, chefs de fraction : autant de noms qui vont reparaître longtemps à chaque page du registre des conseils. - Les nouveaux dignitaires se formeront au contact de leurs aînés et ne leur céderont ni en piété ni en dévouement.

Il fallut aussi pourvoir au gouvernement de la fraction des Chartrons. Jean Laborde, congréganiste de 1801, reçut le titre de président et deux aides : Birot, vice-président et introducteur des approbanistes, Quercy, introducteur des postulants.

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Tous les élus entrèrent en fonction dans les premiers jours de janvier : leur carrière d'officiers congréganistes allait être plus mouvementée qu'ils ne le prévoyaient au moment où ils promettaient d'être fidèles à leurs devoirs. Avril verrait le retour de Napoléon et une nouvelle dispersion de la Congrégation.

Du moins eurent-ils auparavant un grand sujet de joie. Pour fêter l'anniversaire de son entrée dans la ville, le Duc d'Angoulême était revenu à Bordeaux. La duchesse qui, l'année précédente, n'avait pu répondre à l'invitation des Bordelais, accompagnait cette fois son mari. Leur séjour fut une occasion de fêtes et attira de nombreuses personnalités. La congrégation y gagna trois recrues de marque : le Chevalier Mirambre sur lequel nous ne possédons pas d'autres détails, le marquis de Dampierre que nous retrouverons à la tête de la congrégation d'Agen et le Vicomte de Montmorency, chevalier d'honneur de la fille de Louis XVI. La réception eut lieu en assemblée publique, le dimanche 12 mars. "La cérémonie fut alors édifiante", écrivit simplement M. Chaminade.

Ce soir-là, le directeur dut être fort ému. Le feu qu'il avait entretenu sous la cendre pendant quatre ans jaillissait maintenant en flammes magnifiques, capables de tout embraser, de tout purifier. La congrégation reconstituée sur des bases solides, la bienveillance sinon la faveur du Gouvernement, l'adhésion de personnalités influentes, l'appui que l'évêque d'Agen venait d'accorder pour son diocèse, le nombre et l'élan des sociétaires, tout l'invitait à la joie et à la confiance, tout justifiait les plus belles espérances. Le jour n'allait-il pas se lever où, comme il l'avait rêvé quinze ans plus tôt, la France toute entière se couvrirait de congrégations florissantes, qui réintroduiraient dans les masses la ferveur de l'Église primitive ?

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Chapitre quatrième

L'ÉTAT CONGRÉGANISTE

Durant l'année 1814, M. Chaminade s'occupa beaucoup de l'élite congréganiste. Cette question, nous l'avons vu, lui avait toujours paru capitale et il avait toujours entretenu des groupes de ferveur au sein de son association. La forme avait varié et, au début de la Restauration, il était encore à la recherche d'une formule définitive. Nous avons cité de lui des réflexions occasionnelles qui révèlent quelques aspects de sa pensée à cette époque : pas de vœux pour les personnes mariées, différents degrés parmi les membres, peu de pratiques communes, premier rang donné au zèle chez les jeunes gens, à l'obéissance et à la pureté chez les jeunes filles.

Au cours de l'été, une jeune veuve congréganiste, "de la classe du peuple mais d'une vertu rare, à qui il paraissait que Dieu se communiquait particulièrement" annonça à son directeur que "plusieurs communautés religieuses allaient se former dans la congrégation". On ne saurait dire que M. Chaminade fut surpris. S'il ne lui répondit qu'évasivement, ce fut "à dessein, pour l'éprouver elle-même". Sans peut-être envisager la constitution immédiate d'une ou plusieurs communautés proprement religieuses, il n'en repoussait pas l'idée. Mais il n'était pas homme à s'engager à fond sans une invitation formelle de la Providence.

En attendant, il continuait à écrire des projets d'organisation. Nous en possédons plusieurs. Que ne sont-ils datés ! Le contenu, du moins, ne permet pas de graves anachronismes.

Voici une note qui fut intitulée successivement "Institution de jeunes congréganistes qui tendent a la perfection de la vie chrétienne'' puis ''Tiers-état de la congrégation", puis en fin de

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compte "Centre de la congrégation" ; "Beaucoup de jeunes gens, ne pouvant avoir l'avantage de se réunir en communauté pour y mener une vie entièrement religieuse et ne s'occuper qu'à leur propre sanctification et au salut des âmes, désirent en approcher autant que possible, par l'observance des conseils évangéliques et les pratiques de la piété chrétienne, en demeurant dans le monde, attachés aux différents états où ils se trouvent".

"L'institution appelée du Centre, dans la congrégation, facilite un si louable desseins qui ne peut être inspiré que par l'Esprit Saint. En voici le moyen : 1) vœu d'obéissance à M. le directeur, dans tout ce qui regarde leur salut ou la congrégation ; ce vœu se ferait pour un an et se renouvellerait tous les six mois pour un an ; 2) toutes les semaines, chacun viendrait prendre l'ordre de la semaine ; 3) chacun aurait son règlement particulier et le présenterait à M. le directeur avec les manquements qu'il aurait faits ; 4) le directeur retiendra un double du règlement de chacun".

Ce texte, qui rattache l'institution à un désir exprimé par les congréganistes, a pris la place d'un autre qui ne manque pas d'intérêt. "En attendant, avait écrit le directeur, qu'il se forme des communautés de congréganistes religieux dont l'état temporel devienne celui-là même de remplir entièrement leur vocation de congréganistes, des jeunes gens de tous états pourront se destiner à la pratique des conseils évangéliques".

Le terme auquel tendait M. Chaminade, c'était donc un groupement dont les membres seraient congréganistes par état. Le Centre lui apparaissait d'abord comme une solution d'attente. A la réflexion, il se rendit compte que les deux institutions pouvaient coexister. "Lors même, lisons-nous dans le second texte, qu'il se formerait un corps de congréganistes religieux, cette constitution pourrait toujours subsister : elle pourrait même y trouver alors de plus grandes facilités". On voit l'idée : un Ordre religieux avec son Tiers-Ordre.

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Pour l'instant, l’attention du directeur se porte sur le Tiers-Ordre. Quels en seront les éléments ? "Les jeunes gens qui appartiennent au Centre de la Congrégation sont ceux qui, plus pénétrés de l'importance du salut, du désir de la gloire de Dieu, de dévotion à la très sainte Vierge, ont pris une plus forte détermination de s'avancer dans la vertu et de travailler au soutien et à la propagation de la congrégation". C'est bien le zèle mis au premier plan.

Quels rapports ces jeunes gens entretiendront-ils avec la congrégation ? "Ces jeunes gens ne font point un corps distinct dans la congrégation, ils n'ont d'autres liens entre eux que ceux du congréganiste ; ces liens seulement deviennent tous les jours plus forts et plus purs". Bien plus, "souvent même, ils ne se connaissent entre eux qu'autant que M. le directeur les met d'intelligence pour opérer quelque bien dans la congrégation. Tous leurs rapports sont avec M. le directeur, centre toujours actif et influent de la congrégation".Qu'on ne s'y trompe pas ! "Cette institution ne forme pas grade dans la congrégation. Le conseil ou l'ignore ou ne s'en aperçoit pas. La réception dans le Centre n'est pas un motif pour la délivrance ni des cartes d'activité du congréganiste, ni des diplômes, absolus ou de révision".

En pratique, ces jeunes gens "entrent définitivement dans le Centre par un vœu annuel d'obéissance à M. le directeur et par une promesse d'un inviolable attachement à la congrégation. Le vœu se renouvelle tous les 6 mois pour un an ; toutes les semaines, ils se présentent à M. le directeur pour prendre l'ordre de la semaine ; tous sont obligés d'avoir un règlement de vie chrétienne dressé ou au moins approuvé par M. le directeur" : les trois caractères déjà indiqués plus haut. Au sujet du règlement de vie, voici quelques considérations : "ce règlement variera selon les progrès que chacun fera et selon les attraits de la grâce. Chacun se tiendra toujours à même d'en rendre compte à la première demande de M. le directeur ; celui à qui il n'aurait pas été demandé dans le mois sera obligé de se présenter pour le rendre : ce compte se rendra par écrit et la forme en

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sera très simple. Ceux qui auraient laissé copie de leur règlement entre les mains de M. le directeur pourront aussi y laisser le compte-rendu. Chacun fera son possible pour gagner des jeunes gens à la congrégation ou des congréganistes au Centre".

"Tous se tiendront disposés à faire la sainte communion au moins tous les quinze jours. Cette communion, ainsi que toute autre pratique de religion se fera où M. le directeur l'ordonnera pour la plus grande édification des fidèles ou autres vues qu'il pourrait avoir".

"M. le directeur ne permettra à aucun de faire vœu de chasteté perpétuelle qu'après 5 ans d'épreuve, c'est-à-dire de pratique de ce vœu renouvelé d'époque à époque pendant ces 5 ans et seulement à ceux qu'il confesserait lui-même ou au moins qui, dans la dernière année, lui aurait fait une confession générale".

"La pratique de la méditation ou oraison mentale, plus ou moins longue, avec des redditions de compte sur la manière dont on la fera, sera pour tous un article essentiel du règlement de vie".

"Le combat, la mortification et le règlement des passions originairement dominantes et actuellement dominantes feront aussi une partie très importante du règlement".

"Les règles de la modestie chrétienne, les pratiques de l'esprit de pauvreté, ne seront données que peu à peu, à proportion du progrès que chacun fera".

"On pourra accorder la permission de rendre perpétuel le vœu d'obéissance, mais celui qui l’aura obtenue la tiendra toujours secrète".

A ces quelques réflexions succède un "Projet de règlement de vie chrétienne". C'est à proprement parler, une énumération de 20 points que chacun examinera pour dresser son règlement personnel.

Que conclure de ces lignes jetées hâtivement sur le papier ? Dès ce moment, M. Chaminade songe à des communautés dont les

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membres seraient congréganistes par état. Il y a, à cette époque, dans la congrégation, plusieurs jeunes gens qui, sans abandonner leur situation, désirent mener une vie chrétienne aussi parfaite que possible. Deux pratiques seulement leur sont communes : ils font vœu d'obéissance, ils ont chacun un règlement personnel approuvé et contrôlé par le directeur. Aucune réunion, aucune organisation interne : on ne peut que dans un sens très large appeler cela une institution, un corps. Si M. Chaminade parle d'un Centre, c'est surtout pour avoir un moyen commode de désigner l'ensemble des jeunes gens épris d'un haut idéal de vie chrétienne. Ces jeunes gens sont inégalement avancés dans les voies de la perfection : le règlement personnel permet de doser l'exercice des vertus suivant les capacités individuelles. Ainsi, outre le vœu d'obéissance, celui-ci a émis le vœu de chasteté, celui-là le vœu de pauvreté, cet autre un vœu de zèle, un autre encore le vœu de ne pas pécher mortellement et certains se sont engagés par vœu à réciter telles prières, à s'imposer telle pénitence, à s'acquitter de telles bonnes œuvres. En définitive, rien de nouveau. Il y a longtemps que M. Chaminade a distingué les meilleurs éléments de son association pour les pousser à la perfection par la direction personnelle. Les notes citées prouveraient seulement qu'il n'est pas arrivé au but du premier coup et qu'en 1814, une fois de plus, il a tenté un nouvel essai.

Sur ce point, nous avons d'ailleurs le témoignage de Marc Arnozan. "Il y a de longues années, écrivait-il en 1826, il plut à la Reine du ciel de me faire comprendre qu'elle voulait que je renonçasse au monde pour me dévouer tout entier au bien-être de la congrégation qui lui est consacrée. Son invitation fut pour moi un ordre véritable : je me retirai totalement des affaires, je quittai mon négoce pour me livrer sans distraction au soin de mon salut et du salut de mes frères". Il ajoute qu'il est consacré à cette œuvre depuis douze ans entiers. C'est donc en 1814 qu'il s'est engagé dans cette voie. Il se sera joint aux Bidon, aux Cantau et autres. Il ne semble pas toutefois que chez les jeunes gens, l'état ait pris une forme organique. Plus qu'un corps, il y a les éléments d'un corps.

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Il en est de même chez les pères de famille. Quelques-uns - les noms de Léon Lapause, de Duchesne de Beaumanoir, de David Monier se présentent d'eux-mêmes sous la plume - en renouvelant leur consécration et les vœux de leur baptême, se sont établis dans une disposition de tendance à la perfection. Sans s'y être contraints par un vœu, ils acceptent la direction spirituelle de M. Chaminade et suivent un règlement individuel. Aucun statut définitif n'a été établi pour eux.

Avec les jeunes personnes, M. Chaminade est allé plus loin. Nous en avons la preuve dans un règlement établi à leur intention. C'est une adaptation de celui des jeunes gens. En voici les articles spéciaux :

"... La profession se fait par l'émission des vœux annuels d'obéissance et de chasteté".

"... La direction part du directeur et du Centre. Celle du directeur est comme l'âme dans le corps ; c'est elle qui en soutient 1'esprit, qui l'empêche de s'affaiblir ou de varier. Celle du Centre combine les forces de tous les membres et les applique à la grande fin qu'ils se proposent. Le Centre est dans une entière dépendance du directeur. Les membres sont soumis au directeur et au Centre dans les rapports de cet état de vie".

"...Très grande modestie dans le maintien et grande décence dans le costume. Le costume dans la médiocrité de celui qui convient au rang qu'on a dans la société".

"...Se bien instruire soi-même ; prendre toutes sortes de moyens pour propager la connaissance de la religion. Ne lire aucun livre sans l'agrément du directeur. Ne conseiller la lecture d'aucun livre sans avoir pris conseil ou du directeur ou du Centre".

"Pratiques communes : 1) Réunion tous les quinze jours où doit se faire l'examen et la censure le la quinzaine. Cette réunion est de rigueur. 2) Chaque membre en qualité de chef de douzaine réunit sa douzaine tous les 8 jours ; dans ces réunions, on récite le petit Office

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et on fait une lecture de piété. Le tout dure une demi-heure. 3) Réunion habituelle aux offices de la Madeleine. Ces réunions doivent être de cœur. Le bon exemple et l'intérêt des douzaines le demandent. Réunion avec les suppléantes tous les mois. 4) Deux communions chaque mois, une générale aux seules membres de la petite société, l'autre avec les douzaines. 5) Réunion en esprit sur le Calvaire à 3 heures pour y considérer le cœur de Marie percé d'un glaive de douleur. C'est à peu près l'heure où elle nous a enfantés etc... 6) Office en particulier chaque jour. 7) Direction de son intention tous les matins pour mettre en commun toutes les œuvres de la journée. 8) Chaque membre doit avoir son règlement de vie qui d'ailleurs lui soit propre et approuvé par le directeur".

"Tous les ans au même jour, elles renouvellent chacune individuellement leurs vœux de chasteté et d'obéissance et renouvellent ensuite en commun les promesses de leur baptême selon la formule d'usage, avec la profession de foi ; elles renouvellent également en commun leur acte de consécration à la sainte Vierge. Elles porteront d'autant plus de préparation à ce triple renouvellement que ce sont les actes par lesquels elles renoncent au monde, se dévouent au service de Jésus-Christ en devenant ses épouses sous les auspices de Marie, leur tendre Mère. Chacune renouvellera ces mêmes vœux ou promesses du baptême avec sa douzaine. Elle devra préparer avec zèle chacune des jeunes personnes de sa douzaine à ce renouvellement. Chacune renouvellera également l'acte de sa consécration avec sa douzaine au jour choisi pour l'alliance de fraternité."

"On cherchera à connaître les conseils évangéliques. On demandera à Dieu de les goûter. On le remerciera souvent des saints engagements qu'on a contractés. La chasteté surtout et la virginité doivent être en grand honneur parmi les jeunes personnes et par là même les pratiques de vigilance, de retraite, de prières, d'humiliation et de mortification qui en sont comme les gardiennes".

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Il existe donc, en 1814, une petite société formée de jeunes personnes qui émettent des vœux de chasteté et d'obéissance. Tous les 15 jours, elles s'assemblent pour l'examen et la censure. Elles communient tous les 15 jours aussi et, tous les jours, se réunissent en esprit dans le cœur de Marie, à 3 heures de l'après-midi. Enfin, elles sont chefs de douzaine et, de ce fait, la petite société s'articule hiérarchiquement sur la congrégation.

La correspondance de M. Chaminade avec Adèle de Trenquelléon nous fournit quelques autres précisions. Le 30 août 1814, le Père écrit : "Plusieurs jeunes personnes vivent en religieuses, font des vœux, portent un habit religieux sous leurs vêtements ordinaires etc. Mlle Lacombe était une de ces religieuses. Jusqu'à présent, je n'ai jamais permis que des vœux de 3 mois pour l'ensemble et je n’ai pas cru devoir permettre une profession définitive... La plupart des chefs formaient cette association religieuse : les congréganistes en ignorent l'existence". Le 8 octobre, il revient sur le même sujet et il apprend à sa correspondante que plusieurs de ces religieux ou religieuses ont désiré de vivre ensemble. Il ajoute : "Il n'y avait que de l'avantage pour le but". Il avoue que s'il s'est occupé habituellement de tous les corps de la congrégation, il a "donné plus de soin à celui des jeunes gens, comme le plus difficile et néanmoins celui qui pouvait le plus contribuer à la fin" qu'il s'était~proposée dans sa mission. Le 30 août, il avait confié à sa fille spirituelle que, depuis environ deux mois, une jeune veuve ne cessait de lui dire "que plusieurs communautés allaient se former dans la congrégation". Le 8 octobre, il écrit : "La jeune veuve dont je vous parlais continue toujours à me parler d'établissements religieux ; elle me reproche de ce que je ne lui réponds presque rien. Elle est étonnée de ce que je ne vais pas en avant : je le fais à dessein pour l'éprouver elle-même..." Enfin, dans une lettre du 1er décembre, nous apprenons que plusieurs jeunes personnes à Bordeaux "sont à même de s'engager par des vœux perpétuels, c'est-à-dire qu'elles vont commencer un véritable Ordre religieux".

"Jusqu'à présent, poursuit M. Chaminade, on a fait des vœux de 3 en 3 mois : j'étais au milieu d'elles pour résoudre toute difficulté, ou

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même pour en dispenser, si besoin était. Mais, des vœux annuels !... et plus encore perpétuels !... Je puis mourir... Il faut une constitution assez développée et des règles détaillées etc... Tous les points fondamentaux pour les jeunes personnes, pour les dames de la retraite, sont assez fixés pour que nous puissions aller prochainement en avant. J'ai encore néanmoins beaucoup de règles de développement à faire ; celles de la modestie chrétienne sont les plus avancées. Vous comprenez qu'indépendamment des articles constitutionnels, il faut des règles, quoique, souvent, ces articles soient eux-mêmes des règles".

Ces diverses allusions, si nombreuses soient-elles, n'apportent pas une pleine lumière. Il nous manque certaines pièces du dossier. Quelques points cependant paraissent sûrs. Parmi les jeunes filles et parmi les dames de la retraite, plusieurs, depuis quelques années font des vœux qu'elles renouvellent de 3 en 3 mois. Elles ont des constitutions sommaires que, à la fin de 1814, M. Chaminade est en train de refondre pour en faire les règles d'un véritable Ordre religieux dont il a les éléments. Ces constitutions sont-elles ce règlement que nous avons cité à propos des chefs de douzaine ? Peut-être ne serait-on pas loin de la vérité si l'on prenait ce règlement, tel que nous le possédons, pour la rédaction remaniée à laquelle M. Chaminade fait allusion en décembre 1814. De nombreuses notes relatives à la modestie datent sans doute de la même époque.

En ce qui concerne les dames de la retraite, nous possédons une ébauche de règlement intitulée "Institut des Dames congréganistes religieuses".

Art. 1) Les veuves et les demoiselles au-dessus de 30 ans feront les 3 vœux perpétuels de chasteté, d'obéissance et de dévouement à la congrégation. Ce dernier renferme celui de stabilité dans la congrégation.

(Il faudra dresser la formule pour la profession)

Art. 2) La profession ordinaire des dames sera le renouvellement des vœux du baptême et la profession qui les suit, dans laquelle on

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insérera le vœu de stabilité dans la congrégation et la soumission aux pénitences que mériterait l'infraction à ses règles.

(Il faudra recopier la formule de réception)

Art. 3) On pourra admettre des postulantes auxquelles on permettra un ou plusieurs vœux.

Art. 4) Les simples religieuses et les professes porteront le même habit de religion.

Art. 5) Les simples religieuses, quoique libres, ne pourront être forcées à devenir professes et on ne les admettra pas à la profession qu'elles n'en aient été trouvées dignes dans les épreuves.

Art. 6) Toutes les religieuses et même les postulantes seront soumises à la censure. (Il faut déterminer les objets, la manière et les temps de la censure ainsi que les pénitences pour les infractions).

Art. 7) Réunion tous les 8 jours (déterminer le temps, le lieu et ce qu'on fera, etc…)

Art. 8) Pratique des règles de la modestie chrétienne pour toutes.

Art. 9) Pratique des devoirs des congréganistes.

Art. 10) Une demi-heure de méditation au moins pour les professes, un quart d'heure pour les autres.

Art. 11) Assemblée générale au moins tous les mois.

Art. 12) L'existence et l'organisation de l'Etat sera secrète. Promesse du secret.

Art. 13) Communion générale entre les professes 3 fois par semaine, 2 fois entre toutes les religieuses, tous les dimanches pour toutes.

(Arrangement pour les paroisses)

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Est-ce à cet esquisse de règlement que se référait M. Chaminade quand il écrivait que pour les dames de la retraite comme pour les jeunes personnes, tous les points fondamentaux étaient suffisamment fixés pour qu'on pût aller prochainement de l'avan ? Après tout, pourquoi pas ?

Tandis que l'Etat se constituait et cherchait son organisation à Bordeaux, la troisième division évoluait aussi vers la vie religieuse. Depuis longtemps, Adèle de Trenquelléon songeait pour elle à une telle solution. Le 20 novembre 1818, elle avait "dit positivement non pour un établissement qu'on lui proposait" ; depuis, elle avait orienté toutes ses pensées et ses désirs vers une consécration totale à Dieu.

Sous quelle forme ? Le Carmel avait attiré son enfance, puis sa petite société lui avait donné le goût de l'action. Peu à peu, elle en était venue à l'idée d'une vie religieuse qui lui permettrait de continuer l'apostolat qu'elle avait entrepris avec ses amies. Parmi celles-ci, plusieurs se déclarèrent disposées à s'unir à elle. Dès 1810, sa correspondance atteste, l'existence du "cher projet".

Il n'était pas alors réalisable. En attendant des jours plus favorables, elle dut se contenter du détachement affectif. La paix rétablie, on envisagea les moyens de passer à l'exécution. Le 13 juin, une importante réunion se tint à Lompian. Adèle en rend compte à Agathe Diché en ces termes : "Parties lundi, à 4 heures du matin, - elle était accompagnée de Mme Belloc, - sans avoir presque dormi de la nuit, nous arrivâmes à huit heures et demie et nous surprimes beaucoup de monde.

Il y eut le matin une conférence de M, Larribeau, très longue ; une le soir et une autre le lendemain. Vous pensez qu'on fouilla les plus secrets replis.

Là se trouvaient plusieurs de nos chères amies de Puch, toujours plus ferventes et soupirant après l'heureux moment qui nous réunira dans notre bienheureuse retraite.

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On parla beaucoup de ce cher projet. On entra dans les plus petits détails. Nous primes des noms : voici le vôtre : Sœur Marie du Sacré-Cœur".

Depuis ce jour, pour les initiées, Adèle de Trenquelléon s'appela Sœur Marie de la Conception. La réalisation du cher projet semblait prochaine. "Faisons notre noviciat, écrivait Adèle, le 19 juillet, afin d'être des pierres toutes polies pour être mises en œuvre quand l'édifice se commencera. Nous accomplirons ce que nous pourrons de notre sainte vocation en ce monde. Témoignons une obéissance ponctuelle à nos parents ; ayons une grande circonspection sur la chasteté et pratiquons en ce que nous pourrons la pauvreté que saint François d'Assise appelait sa Dame : tout cela en perspective de nos futurs vœux".

Pour aller plus avant, il fallait la coopération d'un prêtre. M. Larribeau, qui avait dirigé la petite société, arguait de sa santé pour décliner des responsabilités qu'il jugeait trop lourdes pour lui : "M. Laumont, disait-il, ou M. Chaminade seraient mieux désignés pour une pareille mission".

M. Laumont consentit à rédiger un premier projet de Constitutions qu'on soumettrait à M. Chaminade . Ce dernier, semble-t-il, ne fut au courant de l'affaire qu'à la fin du mois d'août. Une lettre dans laquelle Adèle de Trenquelléon s'ouvrait à lui de ses intentions, - en juillet sans doute, - n'arriva pas à destination. Il n'était pas l'homme des résolutions précipitées. Sa réponse à Mlle de Trenquelléon est du 30 août. Un cri du cœur lui échappe au début : "A la plus grande gloire de Dieu et de Marie, notre Mère ! " Puis, il affecte une sorte d'impassibilité. C'est le guide spirituel qui veut se donner le temps d'étudier sa dirigée. Il qualifie la lettre de M. Laumont de "très édifiante", puis il dit équivalemment à sa correspondante que le désir qu'elle manifeste de se réunir en communauté avec quelques compagnes ne le surprend pas. L'année précédente, il a souhaité se rencontrer avec elle : c'était pour la

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mettre au courant de pratiques adoptées par les personnes de l'État. Il faut demander "les lumières de l'Esprit Saint pour ne faire que ce qui est dans les vues mêmes de Dieu". "Je serai bien aise de recevoir vos Constitutions le plus tôt possible, termine-t-il. Ne faites aucune démarche conséquente d'établissement sans m'en prévenir. Je ne tarderai pas à vous écrire pour vous dire ce que je ne puis faire en ce moment".

Que répondit-il à M. Laumont. Un peu les mêmes choses, à en juger par quelques allusions contenues dans une autre lettre à Adèle. Il fallait songer à faire profiter la congrégation du dessein de ces jeunes filles et pour cela "bien soigner" leurs Constitutions. Il serait bien aise de les voir.

Le curé d'Aiguillon lui récrivit sans tarder et de son côté, Adèle lui envoya quelques nouvelles des associées, à la date du 25 septembre. Il répondit le 8 octobre. Ce sont d'abord des conseils de patience : "Quoique je fusse en retard quelquefois dans mes réponses, ne laissez pas de m'écrire tout ce qui pourra intéresser nos chères filles. Du zèle et de la constance ! Par la protection de notre auguste Mère, nous viendrons à bout de remplir les vues de Dieu sur nous et sur elles". Puis, après avoir fait remarquer qu'il n'avait pas reçu les constitutions et qu'il en parlait à M. Laumont, il poursuivait : "Je vais vous dire mon secret tout entier. Un père pourrait-il user encore de retenue envers une de ses filles qui s'abandonne sans réserve à sa conduite ?" Le secret en question, ce sont les vues qui ont inspiré son apostolat depuis 1800. "Je rentrais en France, il y a 14 ans, avec la qualité de Missionnaire apostolique dans toute notre malheureuse patrie, sous l'autorité néanmoins des Ordinaires des lieux. Je ne crus pas pouvoir mieux exercer les fonctions que par l'établissement d'une congrégation telle que celle qui existe. Chaque congréganiste, de quelque sexe, de quelque âge, de quelque état qu'il soit, doit devenir membre actif de la mission. Plusieurs congréganistes de chaque corps de la congrégation formeraient une petite société religieuse, quoique répandue dans le monde. On

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trouverait toujours dans ces sociétés des officiers, des officières pour conduire la congrégation".

En exposant ce qu'il voulait faire dès 1800, M. Chaminade fait connaître un peu ce qu'il a réalisé. D'ailleurs il le dit encore plus expressément en ces termes : ''Plusieurs de ces religieux ou religieuses ont désiré de vivre ensemble : il n'y avait que de l'avantage pour le but". Le sens est obvie. Les groupements envisagés dès l'origine ont existé. Quelques membres dans l'un et l'autre sexe ont même vécu ensemble. Si nous avions des noms, notre curiosité serait plus satisfaite, mais notre certitude ne serait pas plus grande. Voici maintenant ce qui est nouveau, ce qui n'était pas prévu, semble-t-il, dans 1e plan primitif de la congrégation : "Actuellement, plusieurs voudraient vivre en communauté régulière, abandonnant toute affaire temporelle". C'est l'idée de Mlle de Trenquelléon. M. Chaminade n'y est pas opposé à priori : "Il faut suivre cette inspiration, mais prendre garde qu’elle ne dénature pas l'œuvre de la congrégation, au contraire qu'elle lui serve". Dénaturer l'œuvre de la congrégation, ce serait lui substituer en fait une communauté religieuse et écarter d'elle, ainsi, beaucoup de personnes qui reculeraient devant un idéal trop élevé, restant abandonnées à elles-mêmes pour la pratique de leur christianisme. Lui servir, ce sera unir harmonieusement la congrégation et la communauté, de façon, que celle-ci anime celle-là. Ici le problème. Car, il ne s'agit plus simplement, comme dans le cas des nombreuses vocations religieuses sorties de la congrégation, de renoncer au concours de telle ou telle congréganiste qui veut entrer en religion. "Plusieurs congréganistes sont entrées dans différentes communautés religieuses ; nous l'avons vu avec plaisir. Lorsque les officières m'en faisaient part avec quelque sentiment de regret, je leur disais, pour les consoler, que nous faisons au jeu "qui perd, gagne". Mais ici, c'est tout autre chose : ce sont des religieuses congréganistes, ou plutôt des congréganistes qui, en demeurant congréganistes actives, veulent vivre régulièrement en religieuses... Voilà pourquoi j'ai dit à

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M. Laumont qu'il fallait bien soigner vos constitutions et que je serais bien aise de les voir... Vous concevez combien cette espèce de plan doit renfermer de détails dans une entière exécution…"

A en juger par ces lignes, lors de ses premières ouvertures, Adèle de Trenquelléon s'est exprimée très clairement, d'elle-même, sur son intention de mener en religieuse la vie congréganiste qu'elle avait suivie jusqu'alors en chrétienne.

Dans sa réponse, M. Chaminade fait un aveu : jusque-là, il s'est occupé surtout des jeunes gens. Que veut-il dire au juste ? Peut-être est-il un peu mystérieux à dessein. Il veut inviter sa correspondante à prendre patience. L'exécution de son projet demande qu'on fixe quantité de détails. Il n’a pas encore songé à tous, car il s'est donné surtout à la jeunesse masculine. En d'autres termes, si, à cette époque, il y a, à Bordeaux, des religieux et des religieuses qui vivent isolés et dont la qualité est ignorée des autres congréganistes, les constitutions des religieux sont plus détaillées, plus au point, que celles des religieuses. Que ne les avons-nous !

La lettre du 8 octobre se termine par une invitation : "Ecrivez-moi prochainement, ma chère enfant, si votre désir d'être religieuse renferme les vues et les sentiments d'une petite missionnaire. Ouvrez votre âme tout entière, toujours avec grande franchise... Quelles sont celles de vous qui auraient la vocation d'être religieuses ?...

A la lecture de ces lignes, Adèle s'enthousiasma. "M. Laumont vous aura fait voir, écrit-elle le 13 à son amie Agathe Diché, une belle lettre que je reçus de M. Chaminade et qui nous marque le but de sa congrégation qui est d'être de petites missionnaires, chacune dans notre état. Je vous avoue que ce terme m'exalte. Allons donc ; regardons-nous comme destinées à procurer, par tous les moyens possibles, la gloire de Dieu et le salut du prochain". Quand à la vie religieuse, elle allait écrire à M. Chaminade pour lui demander les pratiques de ses religieuses et lui exprimer le désir de commencer un

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noviciat le jour de la Conception. MM. Laumont et Larribeau étaient de cet avis.

En effet, quelques jours plus tard, Mlle de Trenquelléon écrivait à son guide et, tout en les jugeant trop sommaires, elle joignait à sa lettre une copie des constitutions que le curé de Sainte-Radegonde venait de rédiger. Dans le même temps, elle provoquait une réunion de ses amies pour débattre, en présence de MM. Laumont et Larribeau, les dernières questions pendantes.

Tout allait bien. "On est fort de l'avis du noviciat, disait-elle à Agathe Diché, deux jours après l'assemblée d'Aiguillon, le 25 octobre. On veut se soumettre aux pratiques qu'indiquera M. Chaminade. M. Larribeau propose une neuvaine générale pour obtenir le rétablissement des Ordres religieux et en particulier les lumières du Saint-Esprit pour notre projet. On commencera le jour de la Toussaint : un Veni Creator, un Salve Regina, une invocation à tous les saints, une communion et une légère aumône. Voilà la préparation au noviciat".

Les jours passèrent. Le mois de novembre s'écoula sans apporter la réponse attendue. Comme Adèle avait fait allusion dans sa lettre à la réunion qu'elle était alors en train d'organiser, M. Chaminade avait compté qu'elle lui en communiquerait les conclusions. Puis les retraites l'avait absorbé. Enfin, sans nouvelles, il prit la plume le 1er décembre.

Après avoir expliquer son silence, il en venait au sujet essentiel. Le projet de constitutions élaboré par M. Laumont était effectivement trop imparfait. Il aurait envoyé les constitutions de ses jeunes religieuses si, "après un mûr examen", il ne les avait trouvées trop succinctes. Il veut les développer. "Deux puissantes considérations, disait-il, m'ont porté à ce travail : la première, c'est la détermination où plusieurs de vous m'ont paru de s'engager par des vœux ; la seconde, c'est qu'ici, plusieurs sont à même de s'engager par des vœux perpétuels, c'est-à-dire qu'elles vont commencer un véritable Ordre religieux..."

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"Je désirerais qu'à la fête de la Conception de la sainte Vierge, ou pendant son octave, vous et vos chères compagnes, vous bornassiez à faire le seul vœu de chasteté pour 6 mois ; dans cet intervalle, et j'espère même d'ici à la Purification, (je pense) vous fixer assez pour que vous puissiez commencer un noviciat en règle. Patience et courage !"

"Ainsi, conclut le biographe de Mlle de Trenquelléon, l'on adopterait transitoirement l'organisation et les conditions de l'Etat. Eh ! non, puisque M. Chaminade n'avait rien communiqué de cette organisation. Mlle de Trenquelléon et ses amies ne seraient que des congréganistes ayant fait vœu de chasteté. Les membres de l'État, à Bordeaux, se soumettaient en outre aux obligations du vœu d'obéissance et à plusieurs pratiques de piété.

La future fondatrice entra facilement dans les vues de son guide. "Eh ! bien écrivait-elle à Agathe Diché, le 8 décembre, que pensez-vous de la lettre de notre Père général ? Il veut tout faire mûrement et nous présenter une Règle entière qui réponde à toutes les difficultés. Préparons-nous à tant de grâces et soyons fidèles plus que jamais". En attendant la prise de voile, elle suggéra le port d'un anneau "où il y eût écrit en dedans : Jésus, Marie, Joseph". "J'en parlerai à nos Pères, disait-elle, le 21 décembre ; s'ils étaient de cet avis, il faudrait les faire faire à Bordeaux, pour qu'on n'en sût rien. Ils pourraient être d'argent pour n'être pas si riches".

Ainsi fut fait. Cette fois, pensait-on avec Adèle, l'attente ne serait plus bien longue. Mais un Ordre religieux ne s'improvise pas et M. Chaminade eût-il été moins occupé, travaillait lentement. Absorbé de surcroît par sa congrégation, il vit passer la Purification sans avoir arrêter les Constitutions promises. Les fêtes données par la ville de Bordeaux en l'honneur de leurs Altesses le duc et la duchesse d'Angoulême lui enlevèrent encore une partie de son temps, si bien que plusieurs lettres de Mlle de Trenquelléon restèrent momentanément sans réponse. Le 14 mars, après s'être entretenu

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avec Mgr Jacoupy, le "Père général" ne pouvait annoncer à sa correspondante que l'approbation des congrégations pour tout le diocèse. "Je ne vous dit rien dans ce moment des vœux, ajoutait-il, mais tranquillisez-vous et tranquilliser aussi celles que vous devez avoir pour compagnes et pour sœurs. Je ne vous perds pas de vue".

Il y avait plus d'un trimestre qu'il avait conseillé le vœu de chasteté pour six mois. Réussirait-il à dresser un projet de constitutions avant l'expiration de cet engagement ?

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Chapitre cinquième

SOUS LES CENT JOURS

On sait ce que fut la rentrée de Napoléon en France et son deuxième règne : "une éblouissante succession de victoires sans combats" après lesquelles vinrent "cent jours d'agitation et de fièvre".

Le Duc d'Angoulême était au bal que la municipalité de Bordeaux donnait en son honneur, quand, le 9 mars, il reçut du roi l'ordre d'aller à Nîmes prendre le commandement des troupes. Laissant la Duchesse, il partit la nuit même. On ignorait à Bordeaux que l'ex-Empereur arrivait alors devant Lyon. L'eût-on su qu'on n’eût pas été plus alarmé. L'échappé de l'Ile d'Elbe se dirigeait sur Paris : il serait arrêté avant d'atteindre au terme de sa folle équipée et Bordeaux, la ville de France la plus royaliste, resterait à l'écart de toute agitation.

On vécut quelques jours sur cette illusion. Les fêtes prévues pour le 12 se déroulèrent suivant le programme et au milieu d'un enthousiasme très sincère. La Duchesse d'Angoulême ne cueillait que des sourires et des acclamations. L'arrivée de Vitrolles fuyant Paris, d'où Louis XVIII était parti, l'entrée de Napoléon dans la capitale, inspirèrent les premières inquiétudes sérieuses.

Le 26, au moment où elle recevait, en son palais, le clergé venu derrière Mgr d'Aviau lui présenter les rameaux bénits, Son Altesse royale était déjà bien préoccupée des événements. Bientôt on appris que le général Clauzel avait reçu mission de proclamer l'Empire à Bordeaux et qu'il approchait de la ville. Que faire ? On voulut résister : le Vicomte de Pontac répondait de la Garde nationale ; il y

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avait dans la ville deux régiments, le 62e et le 8e de ligne ; 1es volontaires royaux accouraient en masse se former en compagnies ; une souscription de 700.000 francs lancée par la Duchesse avait été couverte en quelques heures. Mais le 31 quand Clauzel se fut établi à Cubzac et eut fait savoir qu'il avait des intelligences dans la place, quand le général Decaen et le générai Harispe eurent déclaré qu'on ne pouvait compter sur les troupes, quand, enfin la Garde nationale eut abandonné spontanément la position qu'elle occupait à Saint-Vincent, l’inanité de la résistance devint évidente.

Le lendemain, la Duchesse tenta une suprême démarche. Elle se rendit elle-même aux casernes. Ses paroles de feu tombèrent dans le silence. Ni le 62e, ni le 8e, ni la garnison du Château-Trompette ne voulaient tirer contre des Français. Alors, comme la population criait : "Vive le Roi !" et que les Volontaires royaux lui promettaient leur concours jusqu'à la mort, la fille de Louis XVI comprit que, cette fois encore, pour conjurer le sort, les cris populaires et les larmes d'amour seraient d'un faible secours. Sur les quais de la Garonne, face à la Milice et aux Volontaires rassemblés pour une revue, elle fit arrêter ses chevaux, et, se tenant debout dans sa calèches elle dit : "Je vous remercie de votre zèle et de votre dévouement, mais je viens vous demander un dernier sacrifice. Promettez-moi d'obéir. - Nous le jurons, - On ne peut compter sur la garnison. La défense est impossible. Vous avez assez fait pour l'honneur. Conservez au roi des sujets fidèles pour un temps plus heureux... Je vous ordonne de ne plus combattre". Dans la soirée, escortée des Gardes royaux à cheval, accompagnée du comte Lynch, de Lainé, du vicomte de Montmorency, elle gagna Pauillac, d'où le lendemain, elle s'embarqua pour l'Angleterre. Clauzel était maître de la ville. Les passions n'étaient pas calmées. Les derniers événements les avaient même surexcitées. Elles restèrent très vives durant toute la période des Cent-Jours. La population bordelaise était royaliste ; la poigne énergique du gouverneur ne changea pas les cœurs.

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Le sang avait coulé le jour même du départ de la Duchesse, au cours d'une échauffourée entre un détachement de Volontaires et une compagnie de la Garde nationale. Des deux côtés on avait ramassé des morts et des blessés. Un mois plus tard, aux Chartrons, la troupe dut faire usage de ses armes contre deux cents émeutiers : il n'y eut cette fois qu'un mort et deux blessés. C'était le 5 mai. Le 11, les "rappelés" se ruent sur les membres du conseil de révision en criant : "Vive le Roi !" Il faut les baïonnettes du 62e pour maîtriser des furieux. On vivait dans une atmosphère de révolution.

Fauchet, vers le milieu d'avril, remplace le baron de Valsuzeney à la Préfecture, mais très vite il s'entendit mal avec Clauzel. A la mairie, on ne manifestait pas beaucoup de zèle pour l'Empire. La cour se demandait si elle pouvait condamner ceux qui criaient "Vive le Roi !", alors qu'un mois plus tôt elle sévissait contre ceux qui criaient : "Vive l'empereur !"

Pour vaincre les résistances, on en vint aux mesures d'exception. Boissy d'Anglas fut d'abord envoyé en qualité de commissaire extraordinaire pour tout le Midi. Sur sa demande, un nouveau commissaire de police s'installa à Bordeaux, dans la première quinzaine de mai. Enfin, le 23, un décret daté de l'Elysée créa de nouveaux organes de sûreté : un comité de Haute-police au chef-lieu de chaque département de la 11e division militaire et une commission au chef-lieu de cette même division.

La Commission s'installa le 1er juin. Elle était composée du lieutenant-général baron d'Armagnac, du comte Fauchet, préfet, et de Gaillard, lieutenant de police du 4e arrondissement.

Jusqu'au 14, Bordeaux eut en outre son comité départemental composé du maréchal de camp Pégot, commandant le département, du procureur impérial Babize et du secrétaire général de la Préfecture Mailla Garat. Y eut-il ensuite de nouvelles instructions ? L'expérience fit-elle apparaître des inconvénients sérieux ? Le 13 juin, le comité de Haute police du département de la Gironde passa

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ses pouvoirs à la commission. Il avait tenu la première de ses séances quotidiennes le 3.

Même avec un seul organe de sûreté générale, les Bordelais étaient bien surveillés. Clauzel, gouverneur de la place, veillait de son côté, prêt à la répression la plus impitoyable et d'autant plus attentif que l'empereur avait l'œil sur lui. Dès le 1er juin, Napoléon avait donné ordre de désarmer la Garde nationale de Bordeaux, de la réorganiser "en ne la composant que du nombre d'hommes attachés qui existaient dans la ville", d'arrêter "tous ceux qui avaient commandé pour le roi" et de "faire rejoindre aux armées tous les Volontaires royaux qui s'étaient enrôlés pour la Duchesse d'Angoulême". Déjà, pour tenir en respect la jeunesse excitée on avait constitué des compagnies de mulâtres.

Le clergé et les catholiques en général étaient pour les Bourbons. On jugera des dispositions de la police à leur égard par cet extrait de la correspondance préfectorale : "Les rapports de police, écrit Fauchet au duc d'Otrante, le 25 avril, me représentent le clergé de Bordeaux comme le principal auxiliaire du bourboniste. Ils attribuent la réponse suivante à l'archevêque consulté par plusieurs prêtres de son diocèse sur la question de savoir s'ils pouvaient prêter serment à Sa Majesté : "Dans l'Empire romain, existait un empereur, le plus exécrable des tyrans, et on lui jura fidélité. On peut en conséquence prêter le serment demandé : j'en donnerai moi-même l'exemple pour preuve de ma sincérité". Dimanche dernier, l'on chanta dans la cathédrale, après la messe et sur la demande des militaires, le Domine Salvum fac Imperatorem : les bigotes faillirent en crever de rage et le prêtre desservant (notre homme veut dire sans doute : officiant) - était si troublé qu'il balbutia l'oraison". Pour cette fois, Fouché se contenta de réconforter son subordonné. "Les prêtres sont généralement animés d'un mauvais esprit, disait-il dans sa réponse du 3 mai ; il fallait s'y attendre ; mais vous avez plus d'un moyen de discréditer leur cause. Rien d'ailleurs ne pouvait mieux vous servir

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que l'exemple donné par M. l'Archevêque. Il devient personnellement intéressé à la soumissions du clergé qu'il dirige".

La soumission ne fut pas ce que l'on désirait. A tort ou à raison, complicité ou crainte de difficultés, on n'exigea pas le serment. Faute d'ordre formel sur ce point, le préfet consulte et se plaint en même temps. Tous ces ecclésiastiques sauf un, à sa connaissance ont "des mœurs irréprochables... mais tous ont rivalisé de zèle, même depuis le retour de l'Empereur, pour faire des prosélytes au comte de Lille. Les chaires et les confessionnaux ont retenti d'anathèmes contre le gouvernement actuel et de prédictions sinistres sur l'issus de la lutte entre les puissances étrangères et la France. Ces messieurs se sont principalement attachés à détourner les militaires du service et à dissuader les contribuables de se libérer envers l'État. Enfin, ils se sont déclarés par le fait en état d'opposition avec la puissance temporelle".

Il y eut des dénonciations. On fit des perquisitions. Il fut question d'arrêter l'abbé Rousseau. On le chercha dans son église de Saint-Michel, à l'hôpital Saint-André où il allait de temps en temps administrer les sacrements. Il était à la campagne : on l'y laissa. Alertés, d'autres ecclésiastiques se cachèrent. Toutes les rigueurs semblent être tombées, à Bordeaux, sur Estebenet et Chaminade, sur le doyen des anciens préfets et sur le directeur de la congrégation. A vrai dire, si Estebenet fut frappé, sa qualité de congréganiste resta étrangère à cette mesure. Aussi ne mentionnera-t-on son sort que pour jeter plus de lumière sur les événements de cette époque.

Emu de l'effervescence générale des esprits, le préfet voulut faire un exemple. Le 13 mai, il dénonce, au duc d'Otrante les 12 institutions et pensions qui ressortissaient à l'Académie de Bordeaux. "Presque toutes, disait-il, sont dirigées d'après les maximes de servitude et de bigoterie que le dernier gouvernement s'appliquait à propager". A ses yeux, "l’un des plus acharnés bourbonistes que l'on comptât parmi" les instituteurs, c'était Estebenet "ancien membre de l'Institut Royal, dont les élèves ne cessaient de faire retentir l'air du

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cri de révolte et d'appeler hautement, par leurs vociférations journalières, le retour d'une dynastie justement proscrite". C'était "un factieux capable de tout entreprendre pour servir son parti, d'autant plus dangereux que son fanatisme n'était pas simulé et qu'il croyait véritablement faire une œuvre pie et méritoire en inculquant ses abominables maximes dans l'esprit de ses élèves". Il fallait sévir pour effrayer les autres. Fauchet obtint carte blanche. Alors, le 26 mai, "considérant qu'il était essentiel de réduire le sieur Estebenet à l'impuissance de nuire, d'en imposer à ses imitateurs et de faire enfin respecter l'administration publique", il arrêta qu'Estebenet serait placé en surveillance à 40 lieues de Bordeaux et que son établissement serait fermé, Estebenet eut beau se défendre, il dut s'exécuter. Tout ce qu'il obtint à l'aide des familles de ses élèves, ce fut que deux de ses maîtres, - deux congréganistes, - Gaston de Laborie et Auguste Perrière, puissent diriger l'école jusqu'à la fin de l'année scolaire. Pour lui, il quitta ou feignit de quitter Bordeaux à destination d'Agen, non sans avoir adressé au ministre de la police une longue et énergique protestation. Dans une lettre à Fouché, Fauchet donne pour ce départ la date du 11 juin, mais la protestation datée de Bordeaux est du 13. La mairie, chargée de faire exécuter l'arrêté préfectoral, semble n'y avoir mis aucun empressement.

Comme Estebenet, comme la masse des catholiques, les congréganistes étaient royalistes. Leurs sentiments pour les Bourbons n'avaient pu que s'exalter en voyant le vicomte de Montmorency, gentilhomme d'honneur de la duchesse d'Angoulême, se faire recevoir parmi eux, le soir même du 12 mars.

Cependant le directeur n'oublia pas que la congrégation avait été dissoute par la police de l'Empire. Après l'entrée de Clauzel dans la ville, il suspendit toute réunion. Sur quoi, comme il l'avait fait après les mesures de 1809, il continua à voir les congréganistes, - individuellement ou par petits groupes, - et laissa s'organiser les promenades du dimanche.

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Ces dernières ne pouvaient passer inaperçues. Dans l'état de surexcitation où se trouvaient les esprits, il suffisait qu'un groupe de : jeunes gens en rencontrât un autre d'opinion différente pour qu'on échangeât des épithètes, sinon des coups. Un dimanche, alors que des enfants, -- des postulants sans. doute, -- sous la conduite de quelques congréganistes, s'étaient rendus à Talence, au lieu dit "le Petit Bois", pour y jouer "aux barres", ils furent pris à partie par quelques garnements, qui les poursuivirent de leurs aménités jusqu'à l'ancienne porte Saint-Julien. M. Chaminade, mis au courant, suggéra de changer le but des promenades et même de supprimer momentanément toute réunion de divertissement.

Y eut-il d'autres incidents ? Quand cela serait, ils ne durent pas être plus graves. Mais fallait-il plus d'un fait semblable pour alerter une police soupçonneuse ? Le 2 mai, Bigot de Préameneu, directeur général des Cultes, invita les préfets à lui signaler directement les prêtres dont la conduite troublait l'ordre public. Fauchet put recevoir la note le 6 ou 7. On était au lendemain d'une échauffourée dans le quartier des Chartrons : de tels événements incitent toujours les autorités à chercher des responsables. Le 9, le préfet répondit au comte de Préameneu par un rapport consacré entièrement à l'abbé Chaminade. "Il existe à Bordeaux, disait-il, une congrégation d'hommes, dite de la Madeleine, dirigée par le sieur Chaminade et composée d'environ 400 à 500 affiliés. Ce sieur Chaminade est un bourboniste illuminé qui a fondé lui-même cette congrégation, il y a plusieurs années, dans l'objet de la consacrer à la propagation des doctrines ennemies de tout système libéral. Cet apôtre du fanatisme et de la servitude est d'autant plus dangereux qu'il affecte une sévérité de mœurs imposante et qu'il possède le don de la persuasion. Depuis l'entrée de l'Empereur en France, le sieur Chaminade s'est principalement appliqué à le faire abhorrer. Des réunions journalières ont lieu dans son bien de campagne (la propriété dite de "Saint-Laurent") peu distant de la ville. Les affiliés s'y rendent par petits pelotons. Là, se débitent les nouvelles les plus sinistres et les plus alarmantes ; là, s'organisent les moyens d'opposition et de provocation directe à la révolte ; là, enfin, des malheureux que la France désavoue pour ses enfants appellent par leurs vœux tous les

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fléaux de la guerre civile et extérieure. Ces faits, sont publics et les bons citoyens s'étonnent que M. l'Archevêque seul paraisse les ignorer. Dans cet état de choses, et conformément aux dispositions de la lettre de Votre Excellence du 2 de ce mois, relative aux prêtres prévenus de troubler l'ordre public, je vous prie, Monseigneur, de bien vouloir donner à M. l'Archevêque des instructions convenables pour réprimer les criminelles entreprises de ce chanoine Chaminade".

Le directeur général des Cultes s'exécuta comme un sous-préfet. Le 17, s'appuyant sur les renseignements de Fauchet, il rappelle à Mgr d'Aviau "qu'aucune congrégation ou confrérie, et en général aucune réunion, ne peut exister sans l'aveu du gouvernements. Il ajoute : "il est formellement dans son intention que celle dite de la Magdeleine soit dissoute. D'après cette déclaration, il est nécessaire que vous donniez des ordres à M. Chaminade afin que, par votre autorité, cette espèce de confrérie étant contre la règle cesse d'exister. Si vous ne preniez promptement ce parti, vous auriez à vous imputer le désagrément pour les affiliés de se voir poursuivis par une mesure d'ordre public".

L'archevêque s'empressa de répondre, le 24, "que les ci-devant membres de cette espèce de confrérie étaient en pleine dispersion, qu'il ne s'en était pas tenu une seule assemblée depuis la soumission de Bordeaux à l'Empereur et qu'ainsi il n'aurait point à la dissoudre comme il y était invité". C'était la vérité ; l'affaire eut pu en rester là.

Mais déjà toute la machine administrative s'était mise en marche. Bigot de Préameneu avait communiqué à Fouché et sa lettre à l'archevêque et la lettre du préfet de la Gironde. De son côté, Fouché avait reçu du commissaire Gaillard un rapport dans lequel, informé sans doute comme Fauchet, le vigilant gardien de l'ordre dénonçait une association qu'il appelait "de la petite Eglise". N'avait-il voulu parler que des dimensions de la Magdeleine ou avait voulu traiter les congréganistes d'opposants au Concordat ? Fouché avait retenu l'expression ; quand Bigot de Préameneu lui eut communiqué le rapport du préfet sur la congrégation de la Magdeleine, il ne vit dans

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l'association dénoncée qu'une ramification de la secte anticoncordataire. Aussitôt il écrivit à Gaillard et à Fauchet.

Au lieutenant de police, il recommandait la vigilance et une action concertées avec le préfet. Au préfet de la Gironde, il s'exprimait en ces termes : "Vous avez eu l'occasion, Monsieur, de signaler directement à Monsieur le Directeur général des Cultes une congrégation dite de la Magdeleine que je présume être la même que celle de la petite Eglise dont les affiliés sont répandus sur divers points de l'Empire. Le 17 de ce mois, Monsieur le comte Bigot de Préameneu a fait connaître à l'archevêque de Bordeaux que l'intention formelle du Gouvernement était que cette confrérie fanatique et séditieuse fût dissoute et que si, par son intervention, il n'obtenait pas un prompt résultat à cet égard, les affiliés seraient séparés et poursuivis par une mesure d'ordre public. Ces dispositions, Monsieur, me semblent exiger que vous vous concertiez d'abord avec M. l'Archevêque et ensuite, s'il est nécessaire, avec M. le Procureur général à Bordeaux. Vous aurez obtenu un très utile résultat en isolant des hommes aussi dangereux et en imposant silence aux provocations qu'ils se permettent de faire entendre contre l'ordre de choses actuel. Un décret du 9 de ce mois rappelle les articles du Code pénal dont ils encourent l'application".

Ainsi, pour disperser les membres d'une association qu'il croit anticoncordataire et qui, de ce fait, doit être rebelle à la hiérarchie, un Ministre recourt à un archevêque concordataire distraction... ? Le cas n'est pas banal.

Fouché, d'ailleurs, avait déjà envisagé d'autres mesures. Dès le 16, insérant au Bulletin de Police ce qu'il savait sur la congrégation de la Magdeleine, il annonçait à Napoléon qu'il ordonnait l'arrestation de l'abbé Chaminade et la saisie de ses papiers. Sans doute voulait-il par là sonder l'Empereur : aucun ordre d'exécution ne fut alors transmis.

A Bordeaux, le préfet, dès le 31, offrait à Mgr d'Aviau "l'assistance dont il aurait besoin pour faire exécuter les dispositions prescrites par le gouvernement". Le prélat lui répondit qu'il n'avait

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que faire de son aide, que la congrégation en question ne s'était pas réunie depuis la soumission de Bordeaux à l'Empereur et qu'il en avait informé le directeur général des Cultes. Le lieutenant de police réagit un peu plus lentement. Le 2 juin seulement, il se mit en communication avec Fauchet : "Ne pensez-vous pas, Monsieur le Préfet, lui disait-il, que j'aurais lieu d'entrer en relations avec Monsieur l'Archevêque pour connaître ses dispositions et les mesures qu'il se propose d'appliquer pour que la Petite Église - il souligne - soit fermée et que son directeur se tienne averti des inconvénients qui suivraient son opposition ou même les soins qu'il prendrait dans le dessein de réunir dans tout autre local les membres d'une association dangereuse. Dans le cas, Monsieur le Préfet, il est possible que Monsieur l'Archevêque reçoive plus volontiers la communication que lui ferait son correspondant habituel ; au surplus, j'attendrai à cet égard vos observations et votre avis". Visiblement, Gaillard n'était pas désireux de s'engager à fond. Il dut éprouver une sensation de soulagement quand le préfet lui transmit la réponse de l'archevêché.

L'incident était clos momentanément au moins, aux yeux des autorités locales. Il ne restait qu'a aviser Paris, ce que firent Fauchet, le 2, et Gaillard, le 3. Le lieutenant de Police était bref. Il disait sa démarche auprès du Préfet et la réponse qu'il avait reçue, puis, il concluait : "Des rapports de police confirment l'assertion du prélat et Votre Excellence peut compter sur les soins du Préfet et sur les miens pour que l'ancien directeur Chaminade ne renouvelle point les assemblées : il sera surveillé". Le Préfet était plus long et prenait des airs de grande perspicacité. "Je vois, écrivait-il, dans la réponse de M. l'Archevêque l'intention de ne point compromettre les intérêts du clergé en convenant de ses torts. Je me plais à croire qu'après avoir déféré aux ordres de M. le directeur général des Cultes et avoir rempli les intentions du gouvernement, il a voulu ménager au sieur Chaminade le mérite de les avoir prévenues. Peu importe d'ailleurs cette innocente subtilité ; il suffit que la confrérie ne se rassemble plus et il paraît en effet, d'après les rapports de police, qu'elle est dispersée depuis quelques jours. Je n'en continuerai pas moins de

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faire éclairer la conduite du sieur Chaminade". De fait, la question allait rebondir et Fauchet put croire qu'il avait été fin limier.

Que se passa-t-il à Paris, au ministère de la Police, entre le 24 mai et le 3 juin ? Quelque document enfoui dans une liasse des Archives nationales nous l'apprendra peut-être un jour. En attendant, on devine que, sous l'impulsion de Fouché, le dossier Chaminade s'est grossi de tous les griefs qu'on avait contre la "Petite Eglise". A Paris, Chaminade apparaissait comme un autre abbé Blanchard. Précisément les Blanchardistes se remuaient fort en Vendée où la chouannerie se rallumait. Il n'en fallut pas davantage pour alarmer le gouvernement. Plusieurs fois, en mai, le Bulletin de la Police avait signalé de l'agitation à Bordeaux. Fouché avait autorisé le préfet à fermer l'établissement scolaire dirigé par Estebenet. Le 23 mai, un décret de l'Elisée avait institué un comité de Haute police dans chacun des départements de la 11e division militaire et une commission de Haute Police dans le chef-lieu de la résidence militaire (Bordeaux). Cette Commission tint sa première séance le 2 juin. Elle était composée du Baron d'Armagnac, du préfet Fauchet et du lieutenant de Police Gaillard. Par ailleurs, Napoléon prescrivait pour Bordeaux l'emploi de la méthode forte. Le 1er juin, l'empereur écrit à Couché. "Je vois que Bordeaux continue à aller fort mal. Faites-moi pour la Garde nationale de Bordeaux, la même chose qu'à Marseille et réorganisez-la en ne la composant que du nombre d'hommes attachés qui existent dans la ville. Cela suffira pour contenir les malveillants..."

Le 3, avant d'avoir reçu les dernières notes de Fauchet et Gaillard, le duc d'Otrante lança un mandat d'arrêt contre l'abbé Chaminade et ordonna la saisie de ses papiers. Expédié d'urgence, l'ordre parvint au préfet de la Gironde le 5 ou le 6. Immédiatement Fauchet saisit la Commission de Haute Police et celle-ci, le 7 prit un arrêté d'exécution dont, le 9, elle envoya copie à Paris.

Pourquoi l'abbé Chaminade ne fut-il pas appréhendé sans retard ? Nous l'ignorons. Le fait est qu'on ne parle plus de lui, dans les

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réunions de la commission, jusqu'au 24. Il a été arrêté la veille seulement et conduit au Fort, du Hâ. Comment s'opéra l'arrestation ? Jusqu'ici ni le procès-verbal dressé par les commissaires, ni l'inventaire des papiers saisis n'ont pu être retrouvés. A la prison du Hâ, on cherche même en vain le nom de Chaminade sur le registre d'écrou. Pourtant, aucun doute n'est possible : le 24, "la commission lit... le procès-verbal de l'arrestation du sieur Chaminade. Elle pense que la présence de cet ecclésiastique peut devenir dangereuse pour la tranquillité de Bordeaux par l'influence qu'il exerce sur un grand nombre de personnes qui formaient des réunions fréquentes dans l'église dite de la Magdeleine. En conséquence, elle arrête que Monsieur le lieutenant-général, gouverneur de la Division, sera invité à désigner le département dans lequel le sieur Chaminade sera envoyé sous la surveillance des autorités constituées".

Les nouvelles extérieures sont mauvaises. La Vendée est prête à se soulever. Les Anglais peuvent d'un moment à l'autre tenter un coup de main dans le voisinage de Bordeaux. Dès le 18, Resigny, officier d'ordonnance de Sa Majesté, en mission dans la Gironde, a insisté longuement sur le danger et, en présence du comte Clauzel, la commission de Haute Police a délibéré "d'éloigner du département ou de faire arrêter tous les hommes désignés par leurs actes ou par leurs opinions comme capables de devenir les chefs ou le centre d'un mouvement propre à seconder une attaque extérieure". Les individus suspects devaient se rendre "par la route la plus directe et dans tel délai qui serait nécessaire, à raison de ... lieues par jour, devant les préfets qui leur seraient désignés ; à l'effet de quoi, le maire de Bordeaux leur délivrerait, dans les 24 heures, des passeports indicatifs de leur itinéraire. Ils seraient tenus de faire viser leur passeport chaque jour par les autorités ou la gendarmerie des lieux de leur passage, à défaut de quoi, ils seraient arrêtés et conduits de brigade en brigade à leur destination".

On voit quel sort était fait à l'abbé Chaminade. Au fait, le bannissement de Bordeaux valait mieux que la détention dans

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l'infecte prison du Hâ, où prisonniers politiques et condamnés de droit commun étaient alors contraints de vivre dans la plus étroite et la plus pénible promiscuité.

Cependant, avant de laisser partir le directeur de la congrégation, la commission voulut le faire- interroger. A 7 heures du matin, le 25, deux commissaires, d'Olhéguy et Pagaud se présentaient au Fort du Hâ, mandaient le détenu dans la salle du concierge et le soumettaient à leurs questions. Toute la vie de l'accusé est mise en cause. Ces messieurs ont consulté le fichier de la police et ont abondamment puisé dans les divers rapports, - surtout dans les diverses dénonciations, - qu'ils y ont trouvés. Avant la Révolution, l'abbé Chaminade a appartenu à un "corps ecclésiastique" suspect ; sous la Convention, il a refusé d'exercer le culte dans une église publique ; dans son oratoire particulier, il a "prêché ouvertement contre le Gouvernement et contre les prêtres qui avaient prêté serment", il a poussé "un grand nombre de ceux-ci à faire amende honorable, la corde au cou" ; sous l'Empire, il a formé une congrégation où l'on soutenait qu'il était "impossible d'être bon chrétien si l'on aimait les principes de la liberté" ; quand cette congrégation fut officiellement dissoute, il a "éludé l'arrêté du Gouvernement" ; à la fin de 1814, il a eu des entrevues "avec un ex-jésuite (allusion sans doute au P. de Clorivière) envoyé : par le Gouvernement pour tacher de donner à la congrégation une direction plus favorable au rétablissement de tous les préjugés" ; après 1e départ de la Duchesse d'Angoulême, .il a "fait semblant de dissoudre la congrégation", il a fait "tous les jours des prières pour le rappel des Bourbons" ; il n'a pas fait dans son oratoire la prière pour l'Empereur, etc...

A en juger par la longueur du rapport des commissaires, ce fut un siège d'au moins deux heures que le prévenu eut à soutenir. Ses réponses, toujours prudentes, auraient suffi pour l'innocenter, s'il n'avait été condamné d'avance.

Le directeur de la congrégation quitta Bordeaux. Muni d'un passeport, il se rendit donc par étapes contrôlées dans la ville qu'on

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lui avait indiquée. Quelle est cette ville ? Une tradition désigne Périgueux (Arch. de la Maison généralice de la Société de Marie : Notes de Pierre Serment). Il semble que ce fut Châteauroux.

Bordeaux était en effervescence : N'eût été l'énergie de Clauzel, la royauté était proclamée de nouveau. Mais le gouverneur entendait bien garder la ville à l'Empereur. Le 26, nous dit H. Houssaye, quelques cris de "Vive le Roi" ayant été poussés sur la place de la Comédie, les chasseurs à cheval dégainèrent et chargèrent au galop. Le même jour, sur le quai des Chartrons, le Colonel Carré assembla le 66e, le harangua et lui donna la consigne de tirer sur tout individu qui porterait une cocarde blanche. Les soldats répondirent par des hurlements qui, dit un témoin, "avaient quelque chose de féroce". Devant tous les postes, on distribua ostensiblement des cartouches aux gardes montantes. Ces détails indiquent la température. On conçoit que, dans ces conditions, le Gouverneur n'ait pas tardé à éloigner un individu qu'on lui signalait comme dangereux. Quand, le 29, le préfet transmit à Fouché une copie de l'interrogatoire du 25, Chaminade avait sûrement quitté la ville.

Cet éloignement soulagea-t-il la Commission ? Le 30, elle décide de renvoyer à l'archevêque les clefs de la Magdeleine. Elle lui écrit : "La commission de Haute Police, dans sa séance du 30 juin, a décidé de remettre à votre disposition les clefs de l'église de la Magdeleine et les objets servant au culte religieux qui peuvent se trouver dans cet oratoire. La commission n'a point vu, dans votre mandement du 14 août 1804, l'autorisation du Gouvernement pour l'ouverture de cette église ; elle pense cependant que vous vous serez conformé à cet égard aux dispositions de la loi du 18 germinal an X, relative à l'organisation des Cultes. Cette loi porte : art. 44 : "Les chapelles domestiques, les oratoires particuliers ne pourront être rétablis sans une permission expresse du Gouvernement accordée sur la demande de l'évêque" ; art. 62 : "Aucune partie du territoire français ne pourra être érigée en cure ou en succursale, sans l'autorisation du Gouvernement". La commission croit donc, Monsieur l'Archevêque,

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que l'autorisation du Gouvernement est de stricte nécessité pour l'ouverture d'une église succursale, oratoire ou chapelle, et que le défaut d'autorisation expresse rendait cette ouverture illégale".

Le lendemain, au nom de la commission, le préfet résumait au directeur général des Cultes toutes les mesures qui avaient été prises au sujet de l'abbé Chaminade. Ce même jour, Mgr d'Aviau accusa réception de la note qu'on lui avait envoyée et déclara qu'il tiendrait compte des observations formulées.

* * *

Le 22, Napoléon avait abdiqué pour la seconde fois. Le 29, il avait quitté la Malmaison. Le 6 juillet, les Alliés entraient à Paris, et, le 7, le gouvernement provisoire devait céder la place à la royauté rétablie. Dès le 6, Bigot de Préameneu enjoignit au préfet de la Gironde de donner des ordres pour que le desservant de la Magdeleine "fût rendu sur-le-champ à ses fonctions". La mesure de rigueur dont il était l'objet "ayant été prise à raison de circonstances, il convenait de la faire cesser".

Quelle suite Fauchet donna-t-il à cette lettre ? Aucune, vraisemblablement. Le 12, Bordeaux apprit la rentrée du roi à Paris. Une délégation se rendit auprès de Clauzel pour trouver un accommodement. Le général ne voulut rien entendre. Un drapeau blanc ayant paru au Grand Théâtre, le gouverneur le fit descendre et remplacer par les trois couleurs. Ce jour-là même, au cours d'une bagarre, il y eut un mort. Dans ces conjonctures, le préfet, qui ne quitta la ville que le 19, assez piteusement d'ailleurs, ne dut pas déployer un grand zèle pour faire rentrer Chaminade qui, effectivement, resta absent jusqu'à la mi-août.

Celui-ci semble avoir regagné Bordeaux la veille de l'Assomption. La nouvelle direction générale des Cultes ayant demandé, par circulaire du 31 juillet, l'état nominatif des "ecclésiastiques qui avaient souffert pour la bonne cause", la

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préfecture de la Gironde s'adressa à Mgr d'Aviau le 16 août. "Quand, répondit l'archevêque le 6 septembre, vous me donnâtes communication de ce que vous écrivait le directeur général de l'administration des Cultes concernant les ecclésiastiques éloignés de leurs fonctions comme suspens et odieux au gouvernement de l'ex-empereur, la question n'avait pour ainsi dire plus d'objet en ce diocèse. Plusieurs prêtres qui avaient eu devoir à la prudence de se tenir cachés reparaissaient librement et ici, Chaminade, chanoine honoraire, le seul qui eut été nominalement banni comme supérieur d'une congrégation, était de retour ou sur le point d'arriver". Le registre de la congrégation des jeunes filles mentionne même une réception le 15 août. S'il n'y a pas erreur, la fête de l'Assomption dut, cette année-là, sous la voûte de la Magdeleine, prendre un cachet bien particulier.

* * *

FIN

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Table des matières Livre I Les précédents 3 Avant-propos 5 Introduction 7

PREMIERE PERIODE (1572–1762) 1. La première sodalité à Bordeaux

11

2. Les congrégations d�écoliers 19 3. L’Aa 31

DEUXIEME PERIODE (1762 – 1789) 1. L’Aa 47 2. Les écoliers 61 3. Les artisans 71 Conclusion 89

Livre II SOUS LE CONSULAT (1800 – 1804) 91 Chapitre premier

Une situation et un homme 93

Chapitre deuxième Avant le concordat

101

Chapitre troisième Guérir et préserver

117

Chapitre quatrième Progrès et difficultés

123

Chapitre cinquième Le consulat devenait l’empire

135

Chapitre sixième La quatorzième paroisse

151

Livre III DU SACRE A L’EXCOMMUNICATION (1804-1809)

173

Chapitre premier Face à la crise

175

Chapitre deuxième Et Balaam s’écria…

207

Chapitre troisième Tout renaît

221

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Chapitre quatrième Adèle de Trenquelléon

249

Livre IV EN DES TEMPS DIFFICILES (1809-1814) 263 Chapitre premier

Quand on conspire 265

Chapitre deuxième La police !

275

Chapitre troisième Aveux et réticences

397

Chapitre quatrième Un foyer de fanatisme

335

Chapitre cinquième Jusqu’au bout…

345

Chapitre sixième Quoique péniblement

357

Livre V De la première à la seconde RESTAURATION (1814-1815)

381

Chapitre premier Vive le roi ! Vive la religion !

383

Chapitre deuxième Fièvre administrative

403

Chapitre troisième Une année chargée

427

Chapitre quatrième L’état congréganiste

441

Chapitre cinquième Sous les Cent jours

459