La condition ouvrière · PDF fileSimone Weil, La condition ouvrière (1951) 2 Un...

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Simone Weil (1909-1943) Philosophe française (1951) La condition ouvrière Un document produit en version numérique par Mme Marcelle Bergeron, bénévole Professeure à la retraite de l’École Dominique-Racine de Chicoutimi, Québec et collaboratrice bénévole Courriel : mailto:[email protected] Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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  • Simone Weil (1909-1943) Philosophe franaise

    (1951)

    La condition ouvrire

    Un document produit en version numrique par Mme Marcelle Bergeron, bnvole

    Professeure la retraite de lcole Dominique-Racine de Chicoutimi, Qubec et collaboratrice bnvole

    Courriel : mailto:[email protected]

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/

    Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque

    Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

  • Simone Weil, La condition ouvrire (1951) 2

    Un document produit en version numrique par Mme Marcelle Bergeron, bnvole, pofesseure la retraie de lcole Dominique-Racine de Chicoutimi, Qubec, courriel : mailto:[email protected]

    Simone Weil La condition ouvrire. Paris : Les ditions Gallimard, 1951, 375 pp. Collection

    ides, no 52.

    Polices de caractres utilise :

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    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pour Macintosh. Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5 x 11) dition complte le 7 mai 2005 Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Qubec.

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    Simone Weil (1909-1943)

    Philosophe franaise

    La condition ouvrire

    Montral : Les ditions Gallimard, 1951, 375 pp. Collection ides, no 52.

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    Table des matires Prsentation de luvre et de lauteure (pochette verso du livre) Avant-propos par Albertine Thvenon, Roche-la-Molire, dcembre 1950. I. Trois lettres Mme Albertine Thvenon (1934-1935) II. Lettre une lve (1934) III. Lettre Boris Souvarine (1935) IV. Fragment de lettre X (1933-1934 ?) V. Journal d'Usine (1934-1935)

    Premire semaine Deuxime semaine Troisime semaine Quatrime semaine Cinquime semaine Sixime semaine Septime semaine Treizime semaine Quatorzime semaine Quinzime semaine Seizime semaine a Le mystre de lusine

    I. Le mystre de la machine II. Le mystre de la fabrication III. Le mystre du tour de main

    b Transformations souhaitables c Organisation de lusine d la recherche de lembauche e Dimanche de Pques f Deuxime bote, du jeudi 11 avril au mardi 7 mai, Garnaud, Forges de

    Basse-Ingre, rue du Vieux-Pont de Svres, Boulogne-Billancourt

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    g Pour la deuxime fois, la recherche du boulot h Renault i Incidents notables j Incidents

    VI. Fragments VII. Lettres un ingnieur directeur d'usine (Bourges, janvier-juin 1936) VIII. La vie et la grve des ouvrires mtallos (Sur le tas) (10 juin 1936) IX. Lettre ouverte un Syndiqu (aprs juin 1936) X. Lettres Auguste Detuf (1936-1937) XI. Remarques sur les enseignements tirer des conflits du Nord (1936-1937 ?) XII. Principes d'un projet pour un rgime intrieur nouveau dans les entreprises

    industrielles (1936-1937 ?) XIII. La rationalisation (23 fvrier 1937) XIV. La condition ouvrire (30 septembre 1937) XV. Exprience de la vie d'usine (Marseille, 1941-1942) XVI. Condition premire d'un travail non servile (Marseille, 1941-1942)

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    Prsentation de luvre et de lauteure (pochette verso du livre)

    Retour la table des matires En dcembre 1934, Simone Weil entrait comme manuvre sur la

    machine dans une usine. Ce professeur agrg voulait vivre la vie d'un ouvrier, partager ses peines, mais prouver aussi la solidarit et l'amiti.

    La Condition ouvrire est la somme de ces observations vcues. Il se

    compose de son Journal d'usine et d'une srie de textes, o l'auteur dgage la philosophie et la morale de cette exprience.

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    Avant-propos

    Retour la table des matires Le hasard n'est pour rien dans le fait que le petit groupe des syndicalistes-

    rvolutionnaires de la Loire connut Simone Weil en 1932. De bonne heure, ainsi qu'elle le raconte elle-mme, elle avait t mue par les injustices sociales et son instinct l'avait porte du ct des dshrits. La permanence de ce choix donne sa vie son unit.

    Trs tt elle fut attire par les rvolutionnaires. La rvolution russe, porteuse

    l'origine d'un immense espoir, avait dvi, et les proltaires y taient maintenus en tat de servage par la bureaucratie, nouvelle caste de privilgis, confondant volontairement industrialisation et socialisme. Simone avait trop l'amour et le respect de l'individu pour tre attire par le stalinisme qui avait cr un rgime dont elle devait dire en 1933 : vrai dire, ce rgime ressemble au rgime que croyait instaurer Lnine dans la mesure o il exclut presque entirement la proprit capitaliste ; pour tout le reste il en est trs exactement le contre-pied.

    Ayant ainsi limin du monde rvolutionnaire des staliniens, elle se rapprocha

    des autres groupes : anarchistes, syndicalistes-rvolutionnaires, trotskystes. Elle tait trop indpendante pour qu'il soit possible de la classer dans un de ces groupes ; cependant celui pour lequel elle eut le plus de sympathie l'poque o nous l'avons connue tait symbolis par la Rvolution proltarienne.

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    Fonde en 1925, cette revue qui portait au dbut en sous-titre Revue syndicaliste-communiste rassemblait autour d'elle des syndicalistes qui, emports par leur enthousiasme pour la rvolution d'Octobre, avaient adhr au parti communiste et en avaient t exclus ou l'avaient volontairement quitt en constatant que peu peu la bureaucratie se substituait la dmocratie ouvrire du dbut. Les deux figures les plus marquantes en taient et en sont encore Monatte et Louzon, tous les deux syndicalistes-rvolutionnaires et de formation libertaire.

    Simone entra en contact avec plusieurs des hommes qui animaient cette revue, et

    lorsqu'en automne 1931 elle tut nomme professeur au lyce du Puy ce fut eux qu'elle demanda de la mettre en rapport avec des militants de cette rgion. C'est ainsi qu'un soir d'octobre elle vint chez nous pour y rencontrer Thvenon, alors membre du conseil d'administration de la Bourse du Travail Saint-tienne, secrtaire adjoint de l'Union dpartementale confdre de la Loire, qui s'efforait de regrouper la minorit syndicaliste et de ramener la C. G. T. la Fdration rgionale des mineurs, alors minoritaire dans la C. G. T. U. et dont le secrtaire Pierre Arnaud venait d'tre chass du parti communiste.

    Par Thvenon, Simone se trouva du mme coup plonge en plein milieu ouvrier et

    en pleine bagarre syndicale. Elle ne demandait que cela. Chaque semaine, elle fit au moins une fois le voyage du Puy Saint-tienne et deux ans aprs de Roanne Saint-tienne, pour participer un cercle d'tudes organis la Bourse du Travail, assister des runions ou des manifestations.

    *

    Son extraordinaire intelligence et sa culture philosophique lui permirent une

    connaissance rapide et approfondie des grands thoriciens socialistes, en particulier de Marx. Mais cette connaissance thorique de l'exploitation capitaliste et de la condition ouvrire ne la satisfaisait pas. Elle croyait utile de pntrer dans la vie de tous les jours des travailleurs.

    Au syndicat des mineurs, Pierre Arnaud reprsentait un beau type de proltaire.

    Bien que permanent, il avait gard toutes ses habitudes de mineur : son langage, ses vtements et surtout sa conscience de classe. Il tait un mineur et ne cherchait pas passer pour rien d'autre. Simone l'estima, apprciant sa fiert, sa droiture et son dsintressement. Autour de lui gravitaient des hommes habitus se heurter durement la vie, dont quelques-uns avaient servi dans les bataillons disciplinaires. Simone essaya de s'intgrer eux. Ce n'tait pas facile. Elle les frquenta, s'installant avec eux la table d'un bistrot pour y casser la crote ou jouer la belote, les suivit au cinma, dans les ftes populaires, leur demanda de l'emmener chez eux l'improviste, sans que leurs femmes fussent prvenues. Ils taient un peu surpris par l'attitude de cette jeune fille si instruite qui s'habillait plus simplement que leurs femmes et dont les proccupations leur semblaient extraordinaires. Cependant elle

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    leur tait sympathique, et c'est toujours avec amiti qu'ils revoyaient la Ponote 1 . Ils ne l'ont pas oublie. L'un d'entre eux, homme simple s'il en fut, lui garde une fidle affection ; un autre, rencontr il y a peu de temps, exprima ainsi ses regrets en apprenant sa mort : Elle ne pouvait pas vivre, elle tait trop instruite et elle ne mangeait pas. Cette double constatation caractrise bien Simone. D'une part une activit crbrale intense et continue et d'autre part la ngligence peu prs totale de la vie matrielle. Dsquilibre ne pouvant aboutir qu' une mort prmature 2.

    *

    Quelle fut sa participation au mouvement syndical cette poque ? Non

    seulement elle participa au cercle d'tudes de Saint-tienne, mais elle l'aida vivre en employant l'achat de livres sa prime d'agrgation qu'elle considrait comme un privilge intolrable. Elle renfora la caisse de solidarit des mineurs, car elle avait dcid de vivre avec cinq francs par jour, prime alloue aux chmeurs du Puy. Elle milita dans le syndicat des instituteurs de la Haute-Loire, o elle se rapprochait du groupe de l' cole mancipe . Au Puy, elle se mla une dlgation de chmeurs, ce qui lui valut une belle campagne de presse et des ennuis avec son administration. Et, pardessus tout, elle mit au point, aprs maint