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LE COMMERCEN’ADOUCIT PLUS LES MOEURS.La grande distributiona-t-elle besoin de vendeurs ?

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    SUR LE VIF

    GRER ET COMPRENDRE

    LE COMMERCE NADOUCIT PLUS LES MURS

    La grande distributiona-t-elle besoin de vendeurs ?

    PAR MICHEL VILLETTE

    ENSIA

    Lorsquon observe la vie quotidienne des clients, employs et cadres des

    magasins de grande surface spcialiss modernes, il est difficile de rsister

    lvocation nostalgique des sociabilits marchandes dautrefois, celles des

    marchs, des foires et des boutiques. La rduction des cots et la taylorisation

    du travail dans la grande distribution sont tels, particulirement en France,

    que le commerce a perdu lun de ses attributs historiques : adoucir les murs.

    Cest ainsi quune recherche, qui se voulait constat, pris irrsistiblement la

    forme dun plaidoyer en faveur dun nouveau commerce , au sens potique

    du terme. Une voie davenir ?

    Raym

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  • Avant la seconde guer-re mondiale, en Europe commeaux tats-Unis, lactivit com-merciale tait domine par lafigure mythique du vendeur.Jovial, bon vivant, amateur deplaisanteries faciles, ctait unautodidacte souvent fier de samodeste ascension sociale (2).On trouve encore aujourdhuidans les manuels denseigne-ment des BTS daction commer-ciale des schmas morpholo-giques du parfait vendeur : sanguin et non pas bilieux , ou mlancolique .On dit encore quun vendeur estavant tout un homme decontact, mais ce ne sont que desvestiges dune poque rvolue.La relation de face face entre leclient et le vendeur est prcis-ment ce que le marketing moderne a voulu dpasser etce que la grande distributionmoderne a limin.

    Prolongeant un mou-vement amorc ds les annes1880, la rvolution marke-ting des annes 1960 a modi-fi radicalement les conditionsde la distribution des biens de

    consommation aux tats-Unis eten Europe (3). Un des aspectsimportant de cette rvolutionest la taylorisation du commer-ce. Le travail intellectuel deconception des oprations mar-chandes effectu par les ser-vices marketing a t spardu travail dexcution des tran-sactions ralis par les forcesde vente . Cette division du tra-vail a t du mme ordre quecelle qui prvalait lusine entreles ingnieurs des bureaux de

    mthodes et les ouvriers deschanes de fabrication.

    On peut prendre lamesure de lacharne-ment des thoriciensmodernes du marke-ting vacuer le ven-deur, en comptant lenombre de pages quilsconsacrent dans leurs

    traits la personne et lactivit du vendeur. Le

    record est dtenu par leMercator (4), manuel de mar-

    keting des professeurs de HEC,dit pour la premire fois en1974, qui ne comporte pas len-tre vendeur dans son indexet ne consacre aucun chapitrespcifique ce mtier. On parlede circuits de distribution et dappareil commercial , lactede vente sefface devant limpo-sant difice des tudes , de la politique de communication ,des stratgies de marketing-mix .

    Aprs plus de quaran-te annes de domination sanspartage du marketing moder-ne sur les business schools, lescabinets de consultants et lessiges sociaux des grandsgroupes, on comprend queGrard Mulliez, P.D.G. du grou-pe Auchan, intitule un des cha-pitres du livre quil a crit avecRichard Whiteley : Librer leschampions du service clients (5). En effet, aprs une longuepriode domine par lidal de ladistribution de masse et la pro-motion du libre service, cestbien une vritable libration qui serait ncessaire pour placer nouveau le facteur humain aucentre de lacte de vente.

    Cependant, dans leschanes de grande distribution, ilnest pas sr que les conditionsdune telle inversion de tendancesoient remplies. Il se pourraitmme que la tendance lva-cuation des vendeurs du proces-sus de vente continue de se ren-forcer (6). Cest ce que suggrenotre enqute, ralise sur tren-te-neuf lieux de vente (dontquatorze grandes surfaces sp-cialises), relevant de trente-deux enseignes, par trente-septtudiants, stagiaires, employset cadres de la grande distribu-tion, quil faut remercier ici pourleur contribution.

    Entre un vendeurhumain qui cote cher et qui ne

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    (6) Cet article est issu dune rechercheralise dans le cadre de lassociationADRESSE, grce une bourse de lafondation SEITA-ANVIE. Je remercieClaude Riveline et Jean-Philippe Neuvillepour leurs commentaires etsuggestions. (7) ct du main stream dumarketing moderne , on a vuapparatre, au cours des annes 1990,un nouveau marketing qui se qualifie luimme de post-moderne :FEATHERSTONE M. 1990. ConsumerCulture and Postmodernism, SagePublications, Londres ; PAYNEChristopher, M. BALLANTYNE D. 1992.Relationship Marketing : BringingQuality, Customer Service andMarketing Together. Oxford.Butterworth-Heinemann ; COVABernard. 1995. Au-del du march :quand le lien importe plus que le bien.Paris. LHarmattan.

    (1) White Collar, The American MiddleClasses, traduction franaise Les colsblancs, Maspero, Paris, 1966, chapitre2.5. La grande boutique .(2) Pour un portrait de ce personnage :Tom HOPKINS, How to Master the Artof Selling, Champion Press, USA, 1982.trad fran. La Vente, ditions delHomme, Montral, 1993.(3) TEDLOW Richard S. 1990. New andImproved, The Story of Mass Marketingin America, New York, Basic Books. trad.fran. Laudace et le march, linvention dumarketing aux tats-Unis, 1997, Paris,ditions Odile Jacob.(4) LENDREVIE J. LINDON D. LAUFERR. Mercator. Thorie et pratique dumarketing. Dalloz, premire dition,1974. (5) MULLIEZ Grard et WHITELEYRichard, 1991, La Dynamique duClient, Paris, Maxima.

    mesure que le

    march sorganise () levendeur perd son autonomie.Il vend les marchandises dun

    autre (). On lui enlve la fixationdes prix et le choix du produit. Enfin,le dernier lment indpendant de lavente, lart de persuader et les traits

    de personnalit quil comportait,est enlev au vendeur

    individuel .C WRIGHT MILLS,

    1951 (1)Latmosphre

    laccueil est souventplus proche dun matchcontre le client que dun

    partenariat. () Chaque employa une approche partielle du client etle client doit passer de lun lautre

    pour tenter dobtenir ce quilcherche .JEAN-NOL

    (Rapport sur son exprience au travaildans une grande surface spcialise

    de la rgion parisienne, 1998).

  • fait pas toujours ce quon attendde lui et un dispositif technique,moins coteux, permettant decanaliser le comportement desconsommateurs et de dclencherlacte dachat quasi-automatique-ment selon un programme prvudavance, les gestionnaires ducommerce moderne nhsitentplus gure. Dun ct, des spcia-listes du marketing post-moderne dissertent sur les ver-tus du marketing relationnel cens fidliser le client (7) ;de lautre, les contrleurs de ges-tion et directeurs de magasinrsistent rarement aux occasionsde dvelopper toutes les formesde vente automatique renduespossibles par lvolution tech-nique des emballages, de ltique-tage (8), du mobilier commercial,des caddys, de la signaltique, delarchitecture des magasins, desmoyens audiovisuels de promo-tion des ventes, des distributeursautomatiques, des bornes inter-actives, des caisses automatiqueset, bientt, du e-commerce.

    Pour une catgorie demarchandise donne, on mettraplus de vendeurs humains pourvendre les produits hauts degamme dans les circuits de dis-tribution rservs une clientleaise et on automatisera les lieuxde vente ouverts au tout venant.Plus de service chez Fauchonque chez Leader Price donc, ole kilo dorange nest videm-ment pas au mme prix. Plus deservice dans les agences priva-te banking des beaux quar-tiers, et beaucoup moins dansles agences bancaires libre servi-ce des quartiers populaires, olon fait la queue au guichet pouraccder une liste de servicesrduite au minimum (9).

    Les limitations et lescontre-exemples cette tendan-ce gnrale sexpliquent par uneffet de concurrence local etmomentan. Offrir un peu plusdassistance de vendeurs enchair et en os peut tre unmoyen de gagner ou de rega-gner des parts de march.Ainsi, louverture de la grandesurface de bricolage o il tra-

    vaille, un de nos informa-teurs avait port la part

    des frais de personnel 12 % du budget,

    avant de la rame-ner insensible-ment 10 %,une fois la clien-tle conquise.

    LES EMPLOYS DE LAGRANDE DISTRIBUTION :DES COMMERANTS EN MIETTE

    La part des emploiscommerciaux dans lemploi totalest bien plus forte aux USA et auJapon quen France (10). SelonThomas Piketty, lenseigne ToysR Us emploierait un tiersde personnel de moins dans sesmagasins franais quamricains(11). Selon Jean Gadrey [et al.],il y aurait presque deux fois plusdemploi commercial par habitantau Japon quen France. Pourtant,la dure moyenne du travail estsuprieure au Japon et les deuxpays ont des niveaux de vie sem-blables (12). Tokyo, la clientequi se prsente lentre dungrand magasin peut avoir le plai-sir dtre accueillie par unemploy qui lui ouvre la porte etlui demande aimablement cequelle recherche. En France, onne peut esprer un tel geste debienvenue que dans les magasinsde Grand Luxe de la PlaceVendme ou de la rue de la Paix.Voici donc un lment de la socia-bilit commerciale traditionnellequi est pass en quelques dcen-nies de ltat de pratique commu-ne ltat de privilge rserv une lite (13).

    Les nouveauxemplois crs par la grandedistribution moderne ne sontpas des emplois de vendeurs, proprement parler. Htesse,caissire, conseiller commercial,

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    (8) COCHOY Franck, Le choix dujambon emball en grande surface, oulconomie du package . Journal delcole de Paris du management, N15,janvier 1999.(9) Lanalyse du portefeuille clients des banques a t promue au dbutdes annes 1990 par le cabinet deconseil international Bain and C. LaBarclays Bank a t une des premires

    en tirer toutes les consquences,diffrenciant fortement les prestationsoffertes dans les diffrentes catgoriesdagence. La quasi totalit des grandesbanques a suivi et distingue agencesdentreprises, agences de banque priveet agences de proximit. (10) PIKETTY Th., Lemploi dans lesservices en France et aux tats-Unis : uneanalyse structurelle sur longue priode. conomie et Statistiques, N 318, 1998-8.

    (11) PIKETTY Th., Les crationsdemplois en France et aux tats-Unis ,Notes de la fondation Saint-Simon,Paris, 1997.(12) GADRAY Jean, JANY-CATRICE F.,RIBAULT T. 1999. France, Japon,tats-Unis : lemploi en dtail. Essai desocio-conomie comparative. PUF. Paris.(13) La lgislation du travail sembleavoir contribu la rduction delassistance aux clients dans le commerceFranais. Sur ce point, M. VILLETTE, Les grandes surfaces ne font plus leBonheur . Socital, N32, mars 2001.

    Au rayon desnettoyeurs sous pression,

    nous voyons un mannequin en plas-tique, grandeur nature, vtu comme un

    tre humain vritable et qui porte en guisede tte un moniteur tl. La tte cathodique seraccorde exactement au tronc costum et dbite

    imperturbablement, par squences de troisminutes, largumentaire parfait en faveur des appa-reils de la marque Karcher. Deux badauds sont en

    arrt devant le bonimenteur fictif. peu de distance,un vendeur humain se tient debout derrire son

    comptoir. Personne ne sadresse lui. Il a dentendre la bande son de son collgue lectro-

    nique une bonne centaine de fois depuis cematin. Gne, je passe en vitant son

    regard.

    (Observation dune tudiante,Leroy Merlin, 1998)

  • chef de rayon, dmonstratrice,manutentionnaire, ces titres nesont pas des mots nouveauxpour dsigner une ralit inva-riante. Ils signalent une trans-formation relle de lactivit autravail. Dsormais, lacte devente nest plus global, le clientnest plus pris en charge par unvendeur, il circule dans un dispo-sitif de vente compos de signeset dinscriptions, dinstallations,de machines et de quelqueshumains, distribus avec parci-monie et chargs chacun dunetche prcise. chaque poste,les humains interviennentcomme des auxiliaires, palliatifsaux insuffisances et dfaillancesdu dispositif technique quilsaccompagnent. Lhtesse dac-cueil doit guider ceux des clientsqui ne comprennent pas la signa-ltique. Les conseillres de ventedoivent pallier lindocilit declients qui se refusent lire lesinformations prsentes sur lesemballages et les tiquettes etelles remettent en place lesarticles malencontreusementdplacs. En mme temps, beau-coup des fonctions tradition-nelles du vendeur sont transf-res la clientle elle-mme,habilement incite effectuer dans la joie le travail derecherche dinformation, detransport, de montage, de miseen marche et dadaptation duproduit vendu. Le rsultat peuttre efficace, mais je ne peux medpartir de la conviction person-nelle quil est trop souventdsesprant pour les clients etpour les employs.

    Une courte scne, sai-sie sur le vif la caisse dunmagasin Eldorauto, illustreraparfaitement ce que jentends icipar dsesprant , bien que cene puisse sentendre que dans lenon-dit :

    La caissire (sadressant unejeune fille qui sapprte prendre sa place) : Moi, tu sais,je mtais jure que je ne seraisjamais caissire chez Casino. Etvoil, je suis ici, chez Eldorauto ! La jeune fille : (souriregn)

    La caissire : Toi, cest paspareil, tu viens seulement pourlt. Tes tudiante, cest a ? La jeune fille : Oui. (14)

    DES EMPLOYSEMPCHS DTABLIRUNE RELATIONSATISFAISANTE AVEC LE CLIENT

    Jean-Nol a commen-c comme vendeur dans unechane de grands magasins sp-cialiss dans la jardinerie. Il a tpromu cadre trente-cinq ans.Dans le cadre dune formation lESSEC, il a rdig un mmoiresur Lentreprise commercialefocalise sur la satisfaction duclient , dont voici lintroduction : en croire les discours desdirigeants dentreprise et lesouvrages des experts, le clientest au centre de toutes les pr-occupations. Sa satisfactionferait lobjet de toutes les atten-tions. Mais entre ce que lesentreprises disent et ce que lonobserve dans les magasins, ilexiste un cart important .

    Son texte comportedes observations personnellessur son mtier et des recom-mandations adresses aux diri-geants de la chane qui lemploie.On peut dfinir son attitudegnrale comme celle dunemploy de bonne volont, sou-cieux damliorer les choses enproposant ses patrons desvoies de progrs. Tout commeses suprieurs hirarchiques, ilest persuad que le servicerendu au client nest pas suffi-sant et il y voit une menace pourlavenir de lenseigne quil sert :

    En saison, cest--dire au prin-temps, sur un week-end, il y aprs de dix mille passages encaisse, sans compter les clientspotentiels qui quittent le pointde vente sans achats. Pourrpondre ce trafic, il y a envi-ron trente vendeurs, soit deuxminutes par client en moyenne.Il est difficile de prtendre quetrente vendeurs peuvent satis-faire la demande de dix milleclients avec qui lenseigne a com-muniqu sur une promesse deconseil .

    tord ou raison,Jean-Nol rve dune prise encharge globale des clients.Pour bien comprendre cetteaspiration et le contexte qui lasuscite, je lui ai propos denre-gistrer et de transcrire desconversations entre employs etclients au comptoir daccueil dumagasin. On se croirait parfoisdans une pice de Beckett, auxfrontires de labsurde et de labureaucratie :

    Un client : O sont les por-tiques en bois ?Lhtesse (montrant du doigt) :Regardez les panneaux.Un client : Cest pour monpommier damour, il est en trainde crever.Lhtesse (se penchant sur lemicro) : Une vendeuse desplantes dintrieur laccueil, silvous plat.Lhtesse (au client) : Jai appe-l la personne.Lhtesse (cinq minutes plustard) : Une vendeuse des plantesdintrieur laccueil sil vousplat.Lhtesse (trois minutes plustard) : Une vendeuse des Plantesdintrieur laccueil, sil vousplat, troisime appel !

    Dix minutes plus tard, le clientrevient.

    Lhtesse : On sest occup devous ?Le client : Oui, trs bien.Un client : Est-ce que je peuxplanter ce rosier tige sur monbalcon ? Lhtesse interpelle une vendeu-

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    (14) Pour ltude des relations entresalaris permanents et extras tudiants,voir : Isabelle GARABEAU, 1997 Colscroiss, cols droits et tee-shirts, tudede classification chez les caissires desupermarch. Anthroepotes II (4)-2,Universit de Paris VIII.

  • se du rayon Produits de jardin proximit.

    La vendeuse : Pas de problme,sil nest pas orient plein nord. La cliente : Vous pouvez megarder mes plantes, jai encoreautre chose aller chercher ? Lhtesse : Mettez-les l.Un client : Je voudrais changera.

    Lhtesse rdige un bon dentreet une notification dchange ensilence.

    Le client : Merci.Un client : O sont les toilettessil vous plat ?Lhtesse (montrant du doigt) : lentre du magasin. ()Une cliente : Est-ce que je peuxavoir quelquun pour les jouets ? Lhtesse : Cest quoi, ce quevous cherchez, exactement ? La cliente : Les portiques de jar-din.Lhtesse : Je vous appelle unvendeur. Lhtesse (au micro) : Ondemande un vendeur du rayonPlein air laccueil. Lhtesse : On demande un ven-deur du rayon Plein air lac-cueil, sil vous plat. Lhtesse : On demande un ven-deur du rayon Plein air, troisi-me appel.

    La cliente montre des signesdimpatience.

    Lhtesse (au bout de 20 mn) :Ah ! voil, cest pour vous.La cliente : Je ne remettraisplus les pieds dans cette bote !Une cliente : Je voudrais un sacsil vous plat.Lhtesse : Tenez, Madame. Une cliente : Jai un thuya quiest mort, comment a se passepour lchange?Lhtesse : La garantie est de 6mois, il faut nous ramener laplante et le ticket de caisse. Une cliente : Est-ce que je peuxavoir un carton pour mes cactus,sil vous plat ?Lhtesse : Prenez-le en caisse,l-bas, Madame.La cliente : La caissire ne veut

    pas, ils sont rservs pour lemarch aux fleurs.Lhtesse (sadressant la cais-sire) : Tu peux donner un car-ton la dame, sil te plat. ()

    Ces dialogues dcou-sus sont symptomatiques desattentes des clients dans le cadrequimpose lorganisation actuelledes lieux de vente : chacun nevoit dans lemploy quunaiguilleur (questions commen-ants par o ), un distribu-teur (de sac, de monnaie, etc.),une borne dinformation sur lesprocdures et les droits (ques-tions comportant le terme comment ).

    Comme le remarqueJean-Nol, on se trouve un peucomme dans une administrationo le dossier est transmis duneinstance comptente lautre .La situation est bureaucratiqueet les tres humains (vendeurset clients) sinstrumentalisentlun lautre. Le rsultat est unesociabilit o lhostilit lemportesur la convivialit :

    Si je parle tellementdu client, cest que sur la surfacede vente, cest lEnnemi publicN1 . Tout le monde lui doittout, mais lui, en retour, naaucune considration pour letravail fourni. Il ne se rend pascompte et se croit tout permis .

    Rapport de stage tudiant,Magasin C&A,1998

    DES CLIENTS PRIS ENTRE UN APPAREILCOMMERCIAL OPAQUE ET DES VENDEURSINSAISISSABLES

    En 1963, les MagasinsJ, chane aujourdhui disparue,faisaient une campagne de publi-cit trs sre delle-mme et desattentes du public : Nous lesfemmes, aprs tout, nous nesommes pas tellement difficiles

    contenter. Nous voulons desproduits frais, des qualitsconstantes, des prix tudis.Nous voulons gagner du temps,conomiser notre fatigue, trebien informes et bienconseilles . 1963, ctait aussilanne de louverture du pre-mier hypermarch au monde, leCarrefour de Sainte-Genevivedes Bois.

    Le programme publici-taire a-t-il t respect ? Lutopiemoderniste sest-elle rvleaussi agrable quannonce ?

    Il est difficile de direavec exactitude jusqu quelpoint les clients et les employsdes entreprises de grande distri-bution modernes sont insatis-faits . Les enqutes dopinionsignalent une lente et rgulireaggravation de linsatisfaction.Dans une enqute ralise parNielsen, en 1998, deux clientssur trois critiquent les grandessurfaces : en premier lieu, lloi-gnement (une fois sur deux),lattente aux caisses (40 % desrcriminations), labsence deconseil (33 % des critiques), lesruptures de stock (25 % desplaintes), lambiance dsa-grable (22 % des citations)(15).

    La description circons-tancie dun achat, du point devue du client, permet de dresserle constat des frustrations gn-res par les contacts elliptiquesavec les vendeurs en miettes quelui propose la grande distribu-tion moderne. Entre errance,garement, informations nonpertinentes, renseignementsfragmentaires et influences per-nicieuses, on le voit perdre sontemps, commettre des erreurs,snerver et effectuer une tran-saction dont le cot global paratrtrospectivement trop lev, silon tient compte du tempspass et des cots de transport.

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    (15) CHAIN Christophe et NATHANGian, Commerce : Une dynamique pourdemain ? Paris, 1998, ditionsLiaisons. pages 58-59.

  • O trouver ces spotsclignotants au rythme de lamusique que ma fille juge indis-pensables la russite de saboum danniversaire ? . Il esttrois heure de laprs-midi, noussommes un jour fri, il ne resteque Leroy Merlin, 10 km de l.Il faut rentabiliser le dpla-cement. On en profitera doncpour acheter aussi un luminaire,des ampoules de rserve et, surune ide de dernire minute dema femme, un paquet de grainesde gazon.

    Parking. Entre. Accueil :Non ! il ny a pas de spots ryth-miques dans ce magasin. Nousnous sommes tromps.Recherche du rayon luminaire. Ily a tellement de standards diff-rents quon sy perd. Je deman-de au vendeur quelle est lanorme la plus courante. Ilrpond quil y a beaucoup denormes Nous repartons avecun modle 60 W, culot de 27 etdiamtre 31. Est-ce le bonchoix ? Le vendeur nous aban-donne pour dautres clients sansnous dire que lemballage necontient pas les trs longues visindispensables pour fixer lappa-reil au mur. Il faut maintenantaller chercher lautre bout dumagasin, au rayon lectricit, lesampoules correspondants lap-pareil. Devant nous, une bonnedizaine de mtres de rayonnagesgarnis dampoules. Commenttrouver la bonne rfrence ?Jinterpelle un jeune hommeassis face un ordinateur enbout de linaire. Il me rpond :

    Ah, non, moi, cest le finance-ment !

    Voyant mon air ahuri, il penseque je ne comprends peut trepas la signification du mot financement et prcise :

    Je ne moccupe que des sous.Moi, cest largent, le vendeur durayon lectrique, il est l-bas. Ah bon, vous ntes pas unvendeur alors ?

    Et, lui, comme pour bien mar-quer la diffrence :

    Non, je ne suis pas vendeur,vous voyez, je ne suis pas envert comme eux, je suis en rouge(il montre son badge et sa che-mise).Jinterpelle un homme en vert.

    Cest vous, le vendeur ? Non, moi, cest pas le vendeur !

    Il sarrte, me regarde et laissepasser un moment de suspens,puis sourit :

    Pour le rayon lectricit, jepeux vous renseigner. Quest-cequil vous fallait ?

    Je demande lampoule corres-pondant au luminaire que jetiens en main et, aprs un courtmoment dhsitation au coursduquel il balaye son rayon duregard, il sort avec autorit uneboite de ses rayonnages :

    Voil !

    Il sloigne. Quelques instantsplus tard, nous constatons quilnous a fourni des lampes au prixde 25 F, alors quil en est pro-pos du mme type 12 F, justeau dessous. Il revient dans notredirection et je linterpelle nou-veau :

    Dites, entre celles 12 F etcelles 24 F, quelle est la diff-rence ? Cest juste une question demarque. Pourquoi navez-vous donnezcelles-l, alors ? Je nallais tout de mme pasvous donner les moins chres !()

    De retour la maison, nousdcouvrons avec dpit que deuxdes cinq ampoules que nousavons choisies seuls ne sont pasdu diamtre correspondant nos appareils dclairage. Il nousdonc faut repartir pour un nou-veau voyage chez Leroy Merlin.

    Ainsi, finalement, aprsdeux heures de travail et qua-rante kilomtres en voiture,nous avons une partie de ce que

    nous voulions, mais pas lessen-tiel. Il ne reste plus qu installerle nouveau luminaire au prixdune petite demi heure de bri-colage.

    Au vu de ce rcit,peut-on dire que le client a tbien servi ?

    Dune certaine faon,oui. Le magasin tait ouvert, lesvendeurs ont rpondu aux ques-tions qui leur taient poses. Leclient ne peut se plaindre dutemps pass, ni du cot dutransport, consquence de sonimprvoyance et de ses erreurs.Il ne peut se plaindre des prixexcessifs, puisquil lui suffisait dechoisir avec attention dans lalarge gamme des marques et desprix proposs. Il ne peut seplaindre de lerreur quil a com-mise en se servant lui-mme.Bref, bien y regarder, il ny arien reprocher Leroy Merlin !

    Riant jaune, on pour-rait dire que le dispositif efficacedu grand commerce a compenset corrig les imperfections dunhumain imprvoyant, inattentifet incomptent.

    Il semble que plus lavente sera automatise et plusles clients seront mis en checpar des machines inflexibles etsourdes aux protestations. Dansun tel contexte, il ne reste doncau client que la fuite pour expri-mer son mcontentementEncore faut-il quune formealternative de commerce soitdisponible sur des zones de cha-landise o, en particulier dansles petites villes, le grand com-merce est concentr et les petitscommerces traditionnels raysde la carte.

    LES AVANTAGES DESSYSTMES TECHNIQUESSUR LES VENDEURSHUMAINS

    Une manifestationdirecte de concurrence entre unvendeur humain et un dispositif

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    de vente automatise a pu treobserv par deux tudiantes(16) aux abords des GaleriesLafayette. Elles ont dabordconstat que certains camelotsvendaient des grills et des rpes lgumes vendues aussi, par

    tlachat, sur la chane de tlvi-sion M6. Enregistrant lmissionde tlachat et le boniment ducamelot, elles ont montr que cedernier reprenait parfois mot mot largumentaire tlvisuel.Sentretenant avec lui, elles ontfini par dcouvrir quil taitemploy vendre dans la rue lesinvendus du tlachat.

    Le discours du camelotdes rues mle considrationspersonnelles, arguments de

    vente et rfrences explicites lmission de tlvision dont ilest la fois le rival, le compl-ment et la caricature :

    Vous achetez lappareil,vous tes satisfait ou rembour-s. Le montage est trs facile,cest de lacier inoxydable. Cestpas fabriqu en Chine Populaireou Taiwan, je dis a parce queje me permets de critiquer, et lje critique ! Il ny a pas de came-

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    GRER ET COMPRENDRE

    Le dispositif efficacedu grand commerce a compens et corrigles imperfections dun humain imprvoyant, inattentifet incomptent.

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    (16) TINNACI Pascale et Vronique DEGALARD, Contribution unesociologie de la vente : le tlvendeurou le camelot des temps modernes ,ENSIA, Fvrier 1998.

  • lote en Europe ! Nous, on faitdes produits srieux ! Alors 495 F, je vous le fais 165 F et vous partez avec ! Sivous les avez pas, faites commeles gens qui mendient (il dsigneles clochards assis de lautre ctde la rue). Vous savez quils sefont dans les 1000 F par jour !Et le soir, les mecs viennent leschercher en Mercedes et ils ontdes Caravanes 40 briques, oui ! Voil, regardez, cest simplecomme tout, cest vraiment unappareil de qualit. Il est livravec une notice qui donne tousles conseils pour travailler. Parexemple, l, il y a des petitesctes dagneau, jvais les sortircar elles sont cuites. L, ellessont bien cuites ! Si vous lesaimez carbonises, alors l, ilfaudra autre chose, car avec cetappareil, je peux pas les carboni-ser, je peux pas les brler, cestpas possible Tiens ! (il sort une barquettede merguez) Tiens alors a, cest vraimenthorrible, a fume normment,a sent mauvais dans toute lamaison ! Je les mets dans monappareil et vous allez voir toutde suite ! Regardez bien ! Pas dodeur, pas de fume ! Vous lavez vu la tlvision !a passe sur M6 ! Cest nous quisommes les fournisseurs de M6.On prend un contrat avec eux eton vend deux mille, trois mille,cinq mille grills dun coup ! Deuxpassage T.V. par semaine, et silen reste deux ou trois cents,nous on les reprend et on lesvend sur le stand ! De toutes faons, a craint pasla poussire, on fait les mmesconditions, 495 F et vous navezpas payer le port, vous cono-misez dj 90 F et vous pouvezpayez en trois fois

    Comparons point parpoint le spot T.V. et la perfor-mance du marchand des rues.Dun ct un prsentateurvedette, bien habill, souriant,bien pay, accompagn lcrandune jolie femme qui lui sert defaire valoir. De lautre, unhomme vieillissant, travaillantseul dans le bruit et les courants

    dair, se laissant aller parfois exprimer ses lubies, son ressen-timent et ses frustrations. Dunct, un scnario minutieuse-ment prpar par des profes-sionnels, un tournage en quipe,une performance unique. Delautre, la rptition sans relchedu boniment par squences dedix minutes jusqu lusure. Lesforces sont ingales.

    Les camelots apparais-sent comme des survivants.Lorsque C&A et Marks&Spencerse sont installs en face duPrintemps, ils ont demand ceque la rue soit propre . Propre signifiait interdictiondes stands des camelots sur letrottoir. Selon les spcialistes dumarketing, les stands ont uneconnotation ringarde .

    QUI VEUT PAYER POURUN SERVICE HUMAIN ?

    Dans le commerce, leservice rendu au client locca-sion de la vente a longtemps tconsidr comme un mal nces-saire, un cot que le commer-ant devait supporter de bonnegrce pour paratre aimable.

    Dans la grande distri-bution, on a dabord cherch rduire ces cots au minimum,sr que les clients iraient cher-cher des conseils chez les petitscommerants avant daller ache-ter moins cher au grand com-merce. la fin des annes 90, latactique change : la grande sur-face veut offrir toujours plus deservices, mais condition de lesfaire payer. La nouvelle tendanceest de faire du service un l-ment de transaction vendable etrentable. On soriente vers unesolution dans laquelle le clientachtera un appareil en libre ser-vice et devra ensuite payer lheure ou au quart dheure las-sistance et les conseils dont il abesoin pour adapter lappareil ses besoins et apprendre senservir. Cest ainsi que lon pour-ra assurer la satisfaction com-

    plte du besoin du client tout encontinuant lui proposer desappareils garantis au prix le plusbas du march. Encore faut-il luifaire accepter le principe de lafacturation des services !

    Pour pouvoir mettre la disposition du client unemain duvre qualifie, il fauttrouver le moyen de rentabilisercette main doeuvre supplmen-taire. Nous avons quatre moyensdy parvenir : vendre les pro-duits plus chers; faire payer leservice au client; rmunrer letravail des vendeurs en leurprescrivant dorienter un maxi-mum de clients vers les produitsles plus margs; faire rmunrerle travail des vendeurs par lessocits de tlcommunicationqui bnficieront ensuite des

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    ANNALES DES MINES - JUIN 2001

    SUR LE VIF

  • abonnements induits par lacqui-sition dun GPS, dun modem oudune parabole. Quelle est lameilleure solution ? Cette ques-tion est en dbat dans lentrepri-se, mme si la tendance fairepayer les services simpose peu peu. Lvolution se fait progres-sivement, partir dexpriencesconduites en magasin et ten-dues lorsquelles sont russies. Par exemple, dans les rayonsde micro-informatique, on adabord constat que les ven-deurs passaient beaucoup tropde temps bidouiller lesordinateurs pour rpondre lademande des clients. On a alorscr un point expert dans lemagasin, o les clients pouvaientse rendre pour recevoir desexplications et bnficier dune

    assistance technique. Une foisles points experts mis enplace, on a constat quils deve-naient la poubelle des ven-deurs. Cela signifie que ceux-ci,pour raliser un maximum deventes, se dbarrassaient desmauvais clients en les envoyantvers le point expert , tandisquils continuaient assister per-sonnellement les clients quilsjugeaient prometteurs. Les chefsde vente ont alors demand lou-verture dun second pointexpert , qui a son tour, sestrvl insuffisant. Finalement, lecot du service devenait inaccep-table et les directeurs de maga-sins ont d chercher une autresolution. Les tentatives actuelles visent enseigner aux vendeurs des

    techniques pour diffrer lemoment du bidouillage surlordinateur et, dans un secondtemps, facturer le travail rali-s pour adapter la machine auxbesoins du client. Ainsi, un nou-veau mtier technico-commer-cial pourrait apparatre. Une foisla question de la facturation duservice rsolue, le spcialistepourrait mme se rendre chez leclient pour laider dmarrerson nouvel ordinateur ou ins-taller une nouvelle application .

    Entretien avec un cadre suprieur,Magasins Boulanger

    Dans ce discours, lesparties en prsence sontconstruites comme des agents

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    GRER ET COMPRENDRE

    Le discours du camelot des rues mle considrationspersonnelles,arguments de vente etrfrences explicites lmission de tlvisiondont il est la fois lerival, le complment et la caricature.

    SUR LE VIF

    Boye

    r-Vi

    olle

    t

  • conomiques calculateurs cher-chant maximiser leurs gains.Le client est incit par la publici-t rechercher les prix les plusbas du march ; le vendeur estincit vendre pour maximisersa prime de fin de mois et lesmagasins cherchent limiter lesfrais de main doeuvre, orien-ter les clients vers les produitsaux plus fortes marges et fairepayer autant que possible le ser-vice rendu au client.

    Ce raisonnementtroitement conomiste est labase des dcisions dorganisa-tion. Il fait lconomie des ques-tions de sociabilit sur lesquelsnous insistons dans cet article.Et, de laveu mme de notreinformateur, le moral est bas :

    Aujourdhui, lentre-prise recrute surtout ses ven-deurs au niveau bac + 2. ().On cherche tout particulire-ment tester la capacit dersistance lchec, laptitude autravail sur soi et, surtout, lacapacit dcoute.() On necherche pas recruter des tech-niciens ou des personnes ayantla passion des produits, maisplutt des personnes ayant lesens du contact. En effet, lesvendeurs trop passionns par latechnique ont souvent uneconception de la qualit du pro-duit trop leve par rapport auxattentes du client et, finalement,ils ne font pas de bons vendeurs.On essaie aussi dliminer lescandidats qui pourraient avoirdu ressentiment vis--vis de lagrande distribution et un mau-vais tat desprit vis--vis delentreprise, par exemple des filsde petits commerants dchus(...).

    Avec le systme de la rmun-ration la guelte, le gros probl-me est de moraliser la relationau client. Il faut constammentrappeler les vendeurs au soucidu long terme. Cest un des butsprincipaux des stages de forma-tion organiss lcole de vente.Voici ce quon leur dit et leurrpte longueur danne : Ceque vous gagnez, cest ce que

    vous vendez aujourdhui; com-ment vous vendez, cest ce quevous vendrez demain ! Un autre objectif de lcole devente est dinciter les vendeurs orienter les clients vers le hautde gamme. Nous sommes uneentreprise qui ne sait pas vendrele haut de gamme. Les vendeursnosent pas. Il reste nanmoinstoujours difficile de redonner lafoi et le courage nos vendeursparce que, lorsquon cherche desrsultats trs court terme, ontouche la rmunration et que,lorsquon touche la rmunra-tion, a atteint le moral.

    Je vous donne un exemple.Pendant les mois creux, enfvrier ou en juillet, certainsvendeurs avaient lhabitude desentendre deux : lun enregis-trait toutes les ventes sur soncompte et lautre, nayantpresque rien vendu, touchait leminimum garanti. Ensuite, ils separtageaient entre eux le suppl-ment de guelte ainsi obtenu.Maintenant, ce nest plus pos-sible, alors les vendeurs sontdcourags. Pendant les moinscreux, ils nont plus aucune inci-tation vendre .

    Entretien avec un cadre suprieur,Magasins Boulanger

    Dans un tel contextedpret au gain de toutes lesparties en prsence, les effortsde moralisation tents pen-dant les stages lcole desventes paraissent la fois path-tiques et drisoires. Commentpersuader quelquun qui estpay la commission etconstamment pouss vendreles produits les plus margs quildoit respecter le client ?Comment demander aux ven-deurs dabandonner les compor-tements que le dispositif de ges-tion les incite financirement adopter ? Comment encouragerquelquun qui est pay lacte perdre du temps pour se mettreau service du client ? Commentencourager des vendeurs ser-vir le client lorsque la question

    lordre du jour est de faire payerchaque service rendu ? Ny a-t-ilpas une contradiction insurmon-table entre le positionnement dumagasin attirer les clients parla garantie des prix les plus basdu march et lambition dof-frir un surcrot de service etdlargir la gamme des produitsvendus des objets techniquescomplexes demandant plus deservice quun simple appareil detlvision ?

    LABSURDE EST-IL INVITABLE ?

    La grande distribution moderne des annes 2000achve de raliser sous nos yeuxun rve moderniste conu dansles annes cinquante : vendre enmasse une profusion de mar-chandises bas prix, sans que lemoindre contact avec un ven-deur en chair et en os soit nces-saire.

    Partout, cest la dfi-nition moderne de la venteefficace qui simpose : la moinschre, la plus prvisible, celle quipermet dcouler les plusgrandes quantits dans le mini-mum de temps, la plus logis-tique , la plus profitable (17).

    En conomisant sur larelation marchande, les entre-prises de grande distributionont-elles contribu la baissedes prix pour le plus grandbnfice de tous les consomma-teurs ? Oui, thoriquement, et silon raisonne dans labstrait dunmarch pur et parfait, en ngli-geant les phnomnes deconcentration, de partage demarchs et surtout dententessur les prix entre soi-disantconcurrents dune mme zone

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    (17) RITZER George, 1996, TheMcDonaldization of Society, Pine ForgePress, Thousand Oaks, California.

  • de chalandise (18). Mais riennest moins sr.

    Les consommateursseraient-ils prts payer un peuplus cher pour avoir un meilleurservice ? La question est proba-blement mal pose. Les sondsse dterminent en fonction de cequils connaissent et de ce dontils ont lhabitude. Face aux pro-cds dinfluence mis en placepar le marketing moderne, leconsommateur prfre sisoler,se dbrouiller seul, viter lin-fluence pernicieuse demploysdont on croit devoir se mfier,souvent juste titre, lorsquilscourent aprs une guelte oulorsquils sont expressmentchargs de vendre le produit leplus marg. Dans un contexte desuspicion gnralis, le plaisir delchange, la courtoisie, lamabi-lit nont plus leur place et lonest tout surpris de les rencon-trer parfois, malgr tout.

    Les employs de com-merce daujourdhui seraient-ilsprts tablir une relationapprofondie avec les clients et leur offrir une prestation globa-le ? Ce nest pas impossible (19)mais nanmoins improbable car,sur les surfaces de ventesmodernes, il est souvent ration-nel de ne pas instaurer une rela-tion vritable avec les clients afinde rduire la charge de travail,lengagement motionnel et lerisque de mise en cause indivi-duelle (20).

    Clients et employssont ainsi soumis la logiquedun dispositif de vente qui, enltat, nadoucit plus les mursmais, au contraire, cristallise laviolence et lagressivit. Lesmagasins de grande surfacerpondent la mme logiqueque les grands ensembles deHLM, les parking souterrains ettous ces lieux efficaces ,conu la mme priode, selonla mme philosophie modernisteet qui tous posent problmeaujourdhui.

    Je suis persuad quunnouveau commerce est aujour-dhui inventer. Peut-tre auxmarges des grands groupes dedistribution, peut-tre en dehorset ct, dans des entreprisesdun genre nouveau. Et pour-quoi ne pas rver dun commer-ce qui puisse rconcilier sociabi-lit commerciale et efficacit deschanges que la vague dumodernisme des annes 60 aimprudemment spares ?

    Pour conclure sur unenote optimiste, il nest pas inuti-le dvoquer dautres com-merces, la fois proches et loin-tains, ceux des boutiques ( 21),ceux des marchs :

    Autour de chaquetal, il ny a pas, durant le tempsdu march, simple coexistenceentre inconnus, comme dans unefoule (...). Il stablit une vri-table communication sur la base, la fois, de lanonymat et delgalit.(...) On tablit avecnimporte qui, au hasard desrencontres, des relations demarch qui sont indpen-dantes de celles quon a parailleurs, dans la vie quotidienne.(...) On se prouve soi-mmecomme aux autres quon nestpas seulement le consommateurde masse qui achte aux maga-sins Auchan du Pontet, sur la

    route dAvignon, les mmes pro-duits qu Lille ou Bordeauxmais, quelques heures parsemaine au moins, un vraiComtadin. Cest pourquoi lemarch forain est un rassemble-ment de citoyens, mme sil yest gnralement plus souventquestion de la fracheur de lasalade ou de la saveur des olivesque des grands dbats politiquesdu moment. On a laiss provisoi-rement chez soi son statut ou saqualit, pour jouer ntrequun Comtadin faisant son mar-ch. Au nom de cette identitpartage et sous couvert dano-nymat, on peut, transgressantles usages ordinaires, pratiquerune interconnaissance gnrali-se, aussi joyeuse que feinte .

    Michle de La Pradelle, Les Vendredis deCarpentras, faire son march en Provence

    ou ailleurs, Fayard, 1996.

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    GRER ET COMPRENDRE

    SUR LE VIF

    (21) COQUERY Natacha ed., 2000, La boutique est la ville. Commerces,commerants, espaces et clientles,XVIe-XXe sicles. Universit FranoisRabelais. Tours.

    (18) Les ententes peuvent tre locales,entre grants de magasins tablis surune mme zone de chalandise. Ellespeuvent aussi intervenir plus grandechelle, au niveau national ou mmeeuropen, et impliquer les distributeursentre eux ou avec leurs fournisseurs.Pour une approche gnrale duproblme des ententes sur les prix, voirPhilip PARKER, Ententes sur les prix :les mcanismes. , Les chos, 3 avril 1999.(19) VILLETTE Michel. Lapprentissage de la vente, daprs lejournal de Lissia B . Genses, N 42,mars 2001. (20) NEUVILLE Jean Philippe, 1995, Le client au cur de lentreprise .Grer et Comprendre N 39.

    Pluttquune vocation

    nostalgique, ny a-t-il pas ici un modle travailler, pour inven-ter le commerce de

    lavenir ?

    D.R

    .