N°45 – novembre 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 1

La collection d’objets asiatiques d’Alexandra David-Neel à Digne-les-

Bains

Episodes d’une vie de voyageuse : les objets d’Alexandra David-Neel

Geneviève Gascuel, chargée des collections à la Maison d’Alexandra David-Neel

(MADN).

« TOUTE MA VIE DE VOYAGEUSE » : LA COLLECTION ORIENTALE

2- Statuette hindoue representant Ganesh.

Collection MADN, ville de Digne-les-Bains

(DN 146). © J.M. D’Agruma- Collection

Départementale 04

A Digne, la collection orientale de 300 pièces est composee essentiellement d’objets

rituels, de statues de divinités, de thangkas, de sculptures ainsi que de belles estampes et

calligraphies.

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3- Couverture en bois de livre tibetain avec au centre le bouddha de Medecine, Bhaisajyaguru. En cours

d’expertise (datation et traduction des inscriptions en lantsa, ancienne forme d'ecriture.) Collection MADN,

ville de Digne-les-Bains (DN 16). © J.-M. D’Agruma-Conseil departemental 04

Ce fonds comporte également 33 documents exceptionnels dessinés et annotés par

Alexandra David-Neel : il s’agit des cartes de ses itinéraires. En 1974, Gilles Béguin1,

jeune conservateur de la section Népal-Tibet du Musée Guimet se rend à Digne. Il écrit à

Marie-Madeleine Peyronnet « pour étudier votre projet de transformer une partie du

Samten Dzong en un petit mémorial consacré à Alexandra David-Néel. L’inspection des

Musées de Province me propose une mission à Digne du 17 au 22 juin 1974 inclus.

Seriez-vous disposée à me recevoir durant ces quelques jours pour que nous puissions

pré-inventorier et classer un certain nombre de documents, de trier ce qui serait

exposable et définir les orientations possibles des futures salles d’expositions ? 2».

4- Carte manuscrite utilisee par Alexandra David-Neel, lors de son periple de 1921 à 1924, pour penetrer au

Tibet Interdit. Collection MADN, ville de Digne-les-Bains (DN 273).

1 Gilles Béguin (1946-), conservateur, responsable durant vingt-trois ans de la section des arts du Népal et

du Tibet au Musée Guimet, a dirigé le musée Cernuschi de 1994 à 2011.

2 Lettre de G. béguin à M.M. Peyronnet, le 4 juin 1974, Archives MADN, ville de Digne-les-Bains.

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C’est ainsi que la collection orientale dignoise est inventoriee pour la première fois à la

fin de l’annee 1974. A partir de 1988, plusieurs campagnes d’inscriptions et de

classements à l’inventaire des Monuments Historiques ont lieu : environ 200 objets

bénéficient en bénéficient désormais (voir infra). En novembre 2016, cette collection de

296 objets (dont 12 lots) est labélisée Musée de France.

2.1. Des objets acquis dans sa jeunesse

5- Alexandra David entouree d’objets asiatiques (kakemono,

bouddha japonais (DN 150) et horloge à feu chinoise (DN

194) dans son appartement parisien, entre 1896 et 1900.

Collection MADN, ville de Digne-les-Bains (PHDN 23)

Les modes d’acquisition de ces objets restent souvent incertains. Depuis 2016, toutes les

archives permettant d’apporter un eclairage sur la manière dont David-Neel a pu obtenir

ses collections sont étudiées (dépouillement de lettres, traduction de listes, comparaison

et datation de photographies). Elle livre à son mari son sentiment d’attachement à l’egard

de ses objets « […] Il y en a que j’ai depuis ma jeunesse, même avant d’avoir été pour la

première fois en Asie, et devant lesquels je rêvais à l’Inde, à la Chine avec le désir de

m’en aller par là. D’autres ont été acquis au cours de mes premiers voyages... bref c’est

toute ma vie passée qui est en eux, toute ma vie de voyageuse. […]3 ». Pour illustrer cet

attachement à ses objets asiatiques de sa jeunesse, on peut, sur une ancienne

3 Lettre à P. Néel, le 9 décembre 1928. Inédit. Archives MADN, ville de Digne-les-Bains.

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photographie4 conservée à Digne, voir Alexandra David (elle a entre 28 et 32 ans) tenant

dans ses mains une statuette japonaise du XIXe siècle représentant un Bouddha Amida

(nom japonais, connu aussi sous le nom sanskrit Amitâbha). Un autre objet qu’elle

possède également depuis cette époque : une horloge à encens chinoise dite horloge de

feu. Elle est constituée d'un bateau en forme de dragon avec la gueule ouverte, en bois

laqué, doré et orné sur les côtés de médaillons peints. On en distingue la tête également

sur ce cliche, l’objet est pose sur le petit meuble.

2.2. Une collection de souvenirs et de voyages

C’est surtout lors du premier long voyage (1911-1925) que se constitue le cœur de sa

collection orientale. Etant partie à la rencontre des deux grandes religions pratiquées en

Asie, l’hindouisme et le bouddhisme, elle recherche en premier lieu des livres pour ses

études, mais elle ramène également des objets rituels et des représentations religieuses

(peintures, gravures, etc.). La rencontre avec de hauts dignitaires politiques et religieux

(Dalaï Lama, Penchen lama, Maharadjahs du Népal et du Sikkim, etc.) lui permet

d’obtenir des documents precieux, l’accès à des manuscrits, des presents, des dons

d’objets rituels, des monnaies, …

6- Rosaire donne par le Gompchen de

Lachen en 1915. Ces objets rituels en

os humains sont le symbole de

l’impermanence et du renoncement.

Collection MADN, ville de Digne-les-

Bains (DN 73). © J.-M. D’Agruma-

Conseil departemental 04.

7- Collier realise à la demande d’Alexandra David-Neel à partir

de huit monnaies nepalaises (cadeau du maharadjah du Nepal en

1912) et d’une monnaie tunisienne (au centre). Collection

MADN, ville de Digne-les-Bains (DN 183).

Contrairement à la maigre documentation concernant les objets acquis avant 1911, de

riches descriptifs existent après son depart grâce aux recits qu’elle envoie à son mari.

L’acquisition de certains objets est parfois très bien documentee. C’est le cas ici avec le

detail d’un don exceptionnel : celui du rosaire tantrique (mala) en os humains qu’elle

reçoit de son maitre le Gömpchen de Lachen au Sikkim en 1915 : « […] ma collection

macabre s’est enrichie d’un de ces rosaires que les ermites thibétains des sectes ngas lu

(lu = secte) portent autour du cou. Ce n’est pas extrêmement facile de s’en procurer un.

Ils sont composés d’une centaine de rondelles taillées chacune dans un crâne humain

différent, pas deux rondelles ne sont extraites du même crâne, comme enjolivement et en

même temps, rappel symbolique de Tamdrin, un des yidam du panthéon lamaïste, des

boules de corail sont mêlées aux rondelles d’os, des deux côtés sont des perles en argent

4 Ce cliché a été pris par Louis David, son père, 3 rue Nicolo à Paris entre 1896 et 1900.

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et le dorjee et la clochette symbolisant l’intelligence et l’habileté ou la méthode. Il y avait

longtemps que je convoitais un de ces machins là. Mon ami le yogui le savait et sans rien

me dire, faisait faire des recherches. Bref, il y a quelques jours, il m’aborde sur la

terrasse où je me promenais, tire un rosaire de son gilet et me le met dans la main :

« Voilà, c’est pour vous ». Ce rosaire se trouve avoir appartenu à un Lama mort il y a

quelques années (4 ans) à Chemtung et considéré comme un grand saint. […]5 ».

2.3. Des objets mis en scène dans sa maison

A son retour de 14 ans de voyage, elle s’approprie l’idee de constituer un espace de

presentation pour ses objets grâce à des echanges qu’elle entretient en 1925 avec le

directeur du Musee Guimet de l’epoque, Joseph Hackin. Il « veut exhiber, au musée

Guimet, « l’oratoire privé » d'un lama tibétain que j'installerais. »6 explique t-elle à son

mari.

8- Samten Dzong, la maison d’Alexandra David-Neel à Digne, après les agrandissements de 1930-1932.

Collection MADN, ville de Digne-les-Bains (PHDN 2192).

Ayant acheté sa maison à Digne après un séjour de travail de trois ans à Toulon, elle

sollicite le retour des œuvres de Tunisie auprès de son mari, insistant dans de nombreuses

lettres de la necessite pour elle d’être entouree de tous ses « objets exotiques »7. Elle les

désigne même dans une lettre comme de vieux compagnons : « […] je serai heureuse de

m’installer un peu plus confortablement et de retrouver mes anciens amis : des objets que

j’ai eu près de moi, sous mes yeux, pendant plus de trente ans. Quand on voyage, le

voyage lui-même tient lieu de tout, mais lorsqu’on devient sédentaire l’on aime bien vivre

dans un décor agréable. Et pour moi, rien n’est plus agréable que les choses, si

communes soient-elles, qui apportent l’Orient avec elles. […].8

Dès 1929, Alexandra David-Neel, pour illustrer un article, dispose ses collections

asiatiques devant sa maison, sur une table ornée de soieries, sur des petites tables

gigognes, le tout sur deux tapis poses à même l’herbe. Plusieurs cliches prouvent la

recherche de composition de l’autel principal.

5 Lettre à Philippe Néel, le 7 février 1915. Inédit. Archives MADN, ville de Digne.

6 Lettre à Philippe Néel, le 19 février 1925. Inédit. Archives MADN, ville de Digne-les-Bains.

7 Lettre à Philippe Néel, le 9 décembre 1928. Inédit. Archives MADN, ville de Digne-les-Bains.

8 Lettre à Philippe Néel, le 7 décembre 1928. Correspondances à son mari, Plon, 2016.

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9 et 10 – Alexandra David-Neel met en scène sa collection devant sa maison pour realiser des cliches,

1929. Collection MADN, ville de Digne-les-Bains (PHDN SD2-6).

Après agrandissement de sa maison, elle peut enfin agencer cette fameuse chambre

tibétaine. Sur les clichés des années 1950 (les plus anciens que nous puissions dater

aujourd’hui datent de 1948), on peut voir cette pièce finalisee avec les meubles

commandés spécifiquement pour cette salle : la bibliothèque de livres tibétains et le

meuble autel.

11- Alexandra David-Neel dans la chambre tibetaine

entouree des objets ramenes de ses voyages, annees

1950. Derrière elle, une bibliothèque contenant des

livres tibetains. Collection MADN, ville de Digne-les-

Bains (PHDN 4c).

12- Unique photographie en couleur connue de la

chambre tibetaine prise du vivant de l’ecrivain.

Article dans Provence Magazine, 20 janvier

1969. Collection MADN, ville de Digne-les-

Bains.

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Quand elle a fini d’amenager sa maison de Digne, Alexandra David-Neel rédige elle-

même une interview, se mettant à la place d’un journaliste qui decouvrirait pour la

première fois sa maison. Dans ce texte (inédit) elle y évoque « [son] petit musée9 » ou

encore la reconstitution de « la chambre d’un grand lama tibétain ». La majorité de sa

collection orientale est présentée dans cette salle.

Ce sont des œuvres japonaises qui sont les plus remarquables de sa collection de

statuaire. Voici comment elle decrit la statue du Bouddha Amida qui est l’une de ses

pièces de collections préférées : « […] Un majestueux bouddha, la face empreinte d’une

indicible sérénité trône sur une sorte d’autel en bois sombre entouré, comme d’une cour

[…]10

»

Il s’agit de la grande statue japonaise en bois laque (DN 149) qu’elle possède avant 1911.

On constate en effet qu’elle l’installe dans son bureau à Tunis ou le met dejà en scène

dans le patio sur une table autel. Les clichés sont datés 1902 et 1911 (entre sa 34e et 43e

annee). C’est avec cette statue qu’elle se fait le plus photographier à Digne-les-Bains.

13-Le bouddha Amida (DN 149) dans la maison

d’Alexandra David-Neel en Tunisie (1902-1911).

Collection MADN, ville de Digne-les-Bains (PHDN

2065a)

9 Document manuscrit, note à Brockaus, non daté. Inédit. Archives MADN, ville de Digne-les-Bains.

10 Op. cit.

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Cette œuvre ainsi qu’une autre statue japonaise de grande valeur beneficient actuellement

d’une restauration grâce aux subventions des monuments historiques et au mécénat de

l’Association Alexandra David-Néel.

Un autre document concernant la chambre tibétaine conservé aux archives de la MADN

est particulièrement précieux car il répertorie le contenu de la chambre tibétaine juste

avant le partage des collections en 1970. Réalisée par Marie-Madeleine Peyronnet, cette

liste rédigée en termes simples pour décrire les objets permet aujourd’hui de les identifier

clairement et grâce à la comparaison avec les photographies de procéder à une

reconstitution rigoureuse et précise de cet espace si caractéristique de Samten Dzong.