«La Bolduc»: sa turlute des années dures · Un des moments les plus émouvants de La Bolduc,...

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«La Bolduc»: sa turlute des années dures Photo: Les films Séville Debbie Lynch-White trouve ici un rôle qui lui va comme un gant, en harmonie avec la bonhomie du personnage, mais aussi avec sa dimension tragique. André Lavoie 7 avril 2018 Critique Cinéma Un des moments les plus émouvants de La Bolduc, hommage signé François Bouvier (Histoires d’hiver, Paul à Québec), illustre la fragilité de cette artiste simple et courageuse (Debbie Lynch- White), portée par son public sur une scène improvisée, entonnant avec elle une de ses chansons les plus célèbres. Manière éloquente d’illustrer l’impact de ses ritournelles en apparence faciles et pourtant en symbiose avec ceux et celles à qui elles étaient destinées. Certaines ont traversé le temps, d’autres sont devenues des vers d’oreille pendant les Fêtes.

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«La Bolduc»: sa turlute des années dures

Photo: Les films Séville Debbie Lynch-White trouve ici un rôle qui lui va comme un gant, en harmonie avec la bonhomie dupersonnage, mais aussi avec sa dimension tragique.

André Lavoie7 avril 2018 CritiqueCinéma

Un des moments les plus émouvants de La Bolduc, hommage signé François Bouvier (Histoiresd’hiver, Paul à Québec), illustre la fragilité de cette artiste simple et courageuse (Debbie Lynch-White), portée par son public sur une scène improvisée, entonnant avec elle une de seschansons les plus célèbres. Manière éloquente d’illustrer l’impact de ses ritournelles enapparence faciles et pourtant en symbiose avec ceux et celles à qui elles étaient destinées.Certaines ont traversé le temps, d’autres sont devenues des vers d’oreille pendant les Fêtes.

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Ses succès, et quelques photos d’une Mary Travers bien en chair et souriante, voilà ce quisemblait constituer l’essentiel de son héritage culturel, celui d’une observatrice de la misère desannées 1930, mais aussi d’un quotidien enjoué sous le regard de cette Gaspésienne qui trouverason salut, et sa voie, à Montréal. Ce savant mélange de racines irlandaises, de talents musicauxet surtout d’ingéniosité la transformera en héroïne populaire, et plus tard en martyr, parcoursexemplaire pour les meilleurs biopics.

Toute cette matière, ancrée dans le paysage du Canada français (familles nombreuses,domination de l’Église catholique, marginalisation économique), se concentre dans La Bolducavec une inévitable précipitation, faisant table rase de son enfance gaspésienne pour seconcentrer sur la période montréalaise. Celle-ci est dominée par son union, longtemps toxique,avec Édouard Bolduc (Émile Proulx-Cloutier), incarnation de l’homme émasculé devant uneépouse volontaire, prête à tout, même à devenir parolière de chansons si cela peut éloigner lessiens de l’indigence. Le scénariste Frédéric Ouellet (Grande Ourse. La clé des possibles) insistesur ce trait de caractère, ses aspirations artistiques étant sans cesse justifiées par la duretéimplacable d’une époque qui la pousse sur scène ou en studio, rarement par narcissisme ou parélan créatif.

À ce choix narratif, pleinement justifié, se superpose un discours féministe quelque peu plaqué,et pas seulement parce qu’il fait se croiser la figure emblématique de Thérèse Casgrain (MylèneMackay), opposé bourgeois et élégant de cette femme du peuple qu’était La Bolduc, et celle deMary Travers. Ses affrontements avec sa fille aînée Denise (jouée en deux temps par LaurenceDeschênes et Rose-Marie Perreault), rêvant elle aussi d’une carrière artistique, narratriceoccasionnelle de cette tranche de vie, symbolisent la mesure de leurs aspirations parfoisbrutalement contenues.

Celle qui turlutait mieux que personne, qui a enfilé les succès dont certains semblent inusables(La bastringue, Dans le temps du jour de l’an, Ça va venir, découragez-vous pas), n’endemandait sans doute pas tant, emprisonnée dans une dynamique familiale quelque peumortifère, entre ses multiples fausses couches et un conjoint alcoolique à l’orgueil blessé. Cen’est pas là qu’excelle François Bouvier, cherchant à condenser l’essentiel d’une viemouvementée, ce qui donne parfois à penser que le projet aurait gagné en amplitude dramatiques’il avait fait l’objet d’une série télévisée.

Sur grand écran, cette figure singulière l’habite complètement lorsqu’elle exerce son art, lesthéâtres baignés d’une lumière chaude donnant un bel éclat à son interprète, DebbieLynch-White trouvant ici un rôle qui lui va comme un gant, en totale harmonie avec la bonhomiedu personnage, mais aussi avec sa dimension tragique. Elle rejoint ainsi le panthéoncinématographique de ces héros canadiens-français (Maurice Richard, Alys Roby, Louis Cyr) àqui l’on insuffle une modernité dont parfois ils ignoraient tout.