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GILBERT LAFFAILLE

LA BALLADE

DES PENDULES

TEXTES CHOISIS PAR L'AUTEUR

PRÉFACE DE CLAUDE DUNETON

ILLUSTRATIONS GRAVURES DE J.I.I. GRAND VILLE

MISE EN PAGE

& COUVERTURE DE J-J. MARTIN

AVEC L'AIDE DE BERTALL

CHRISTIAN PI ROT

É D I T E U R

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Tous droits de reproduction strictement réservés © Christian Pirot

13, rue Maurice-Adrien 37540 Saint-Cyr-sur-Loire

Dépôt légal : 3 trimestre 1994 ISBN : 2-86808-086-3.

ISSN : 0-764-9088.

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LA BALLADE

DES PENDULES

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PRÉFACE

Le texte d'une chanson est assez ordinairement un texte " maigre Je veux dire par là que c'est un poème élémentaire, dont l'harmonie des vers demeure faible lorsque les paroles sont déclamées seules, "à sec".

Je vous arrête : il existe assurément un outillage compliqué de termes savants pour raconter ce que je vais dire — des mots qui produisent sur le lecteur un effet scientifique d'éblouissement dans une odeur de vérité éternelle... Mais ils resteront dans ma tabatière, vous n'en verrez pas la couleur !

Je disais donc que publier le texte des chansons n'est pas toujours un exercice évident, car les paroles ne sont pas faites en principe, pour se suffire à elles-mêmes. Les jolies chansonnettes du folklore font encore moins excep- tion que les autres : La Claire fontaine où l'on va se baigner ne dit que deux ou trois mignardises, à tout prendre ; ça ne casse heureusement pas les pattes des canards en train de nager dedans, à l'ombre du grand chêne... Sans l'envelop- pement musical, la Claire fontaine n'est rien : un texticulet sans résonnance.

D'autre part essayez de vous déclamer le texte de La Marseillaise, à cru, comme ça, sans la moutarde musicale qui monte au nez. Pour vous seul, dans l'intensité des paroles. Au fou !...

N'est-ce pas ? Au feu les rougets !

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Bien sûr il existe des textes plus gras, poétiquement. On trouve même de très beaux poèmes, authentiques, mis en musique avec goût par Pierre ou par Paul — par Georges ou par Léo. Le seul truc : est-ce que ça fait vraiment des plus belles chansons ?...

Rien n'est moins sûr. Les grandes chansons de Bras- sens sont toutes écrites par lui, à la main, sur le fil du rasoir. Idem pour Ferré, même s'il a joliment tripatouillé Rutebœuf pour le faire entrer dans le cadre.

D'ailleurs si l'on prend des succès peu suspects, La mer ou Le plat pays, qui sont des chansons infiniment belles, d'accord, dans le genre paysage — il y a, je crois, illusion dans les appréciations que l'on fait des paroles. Car, quoi qu'il fasse, un lecteur contemporain ne se détache jamais entièrement de l'air qui lancine dans sa mémoire.

La mer qu'on voit danser le long des golfes clairs a des reflets d'argents, des reflets changeants sous la pluie. Voilà une phrase plutôt ordinaire. Assez banale, je dirai,

littérairement — au mieux le genre de note d'un peintre impressionniste sur son carnet de croquis. La phrase nous baise — révérence gardée ! — parce qu'en la lisant nous y surajoutons un brimborion de notes tenues, un balance- ment d'instinct qui nous vient de la mélodie tenace, qui traîne, à laquelle les mots restent attachés comme les mouches au papier collant, pour nous, aussi malins que nous puissions nous juger.

Quant au Plat pays, accroché à des images simples et mouvantes qui tambourinent fort sur notre sensibilité de plagistes fin de siècle, il est bien difficile de savoir...

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Ces images sont frappées pour l'instant par l'étrange plainte de Brel, modelant par-delà la tombe et les bateaux voiliers sa litanie d'appartenance à la plaine des Flandres.

Il résulte de ces réflexions, triviales en apparence, qu'il faut toujours lire le texte des chansons en fredonnant un air — l'air de la chanson, si on le connaît, ou bien n'importe quel air. Un air inventé sur l'instant, composé à mi-voix en lisant, à la mesure des vers, très lâchement. Une mélodie qui " pourrait " à votre sentiment spontané, s'accorder au ton du texte, au rythme, à l'auteur... À l'époque, au style.

C'est fou ce que ça fait comme différence avec une lecture seulement " poétique Surtout pour les chansons anciennes, celles du XIX du XVIII siècle. Le sens appa- raît mieux si l'on chantonne. L'esprit, l'humeur, se mettent alors à vibrer, à exister ; le dessin de la chanson " monte ", comme on dit de l'image qui prend de la netteté au cours du tirage photographique.

Toujours ajouter un son de flûtiau, en arrière-pensée. Hautbois ou violon, peu importe. Une vielle à roue de derrière les fagots.

Parce que les textes des chansons sont spéciaux. Ils sont maigres. Il les faut habiller d'une écharpe mélo- dieuse... Le son les réchauffe, même les plus vieux — il les rend pleine peau de poésie.

Lisez toujours une chanson avec un air en tête, le sien ou le vôtre.

Mais bien sûr n'en faites pas une pendule !

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Ce préambule très général pour tâcher de situer en particulier l'écriture de Gilbert Laffaille, né à Paris en 1948, ou 1848 peut-être, on n'est pas sûr, et qui a passé une enfance heureuse dans un milieu artistique. Ce Chevalier des Arts et Lettres, avec ses nombreux voyages au bout du monde, aurait bien pu devenir ambassadeur comme Paul Claudel s'il avait disposé d'une fortune personnelle. Il est en réalité un poète.

À quoi je vois ça ? Eh bien à la lecture. Il écrit des textes plus " gras " que

la moyenne des textes de chansons. Beaucoup d'entre eux possèdent une teneur langagière suffisante pour pouvoir être lus " à sec Sans fredon ! Je dirai, presque tous, il me semble... Ce sont des poèmes à lire, que l'on peut chanter.

Prenons Corso Fleuri, satire de la côte chic, de la côte des beaufs, d'azur sur fond de gueule la connerie passant... Ça peut se lire avec une petite java dans la tête, si l'on veut, ou bien un tango.

Oui, ça appelle assez le tango : Très vif succès du cyclocross Nuit d'élégance au casino... Tango !... Mais aussi ça peut s'entendre très rock, très fort, très

parisien, Bataclan à éclater la tête : Drame de l'amour et crime atroce Il tue sa femme à coups de râteau ! Mais voyez comme ces vers sont rythmés déjà à l'in-

térieur d'eux-mêmes — ils possèdent la musique

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intrinsèque, et pas seulement à cause de l'alternance des rimes qui fait joli : il y a un jeu vocalique entre les voyelles avant, les tractions arrière, sons ouverts, et puis fermés. Brochant sur le tout on perçoit le râclement des consonnes...

C'est très bien écrit, voilà ! Vous pouvez lire les deux couplets sans souci : le musical est inclus comme la liqueur à l'intérieur du berlingot.

Ça se voit mieux encore lorsque vous arrivez au refrain : On a vu tour à tour Le char bleu de l'Amour Disons qu'on revient là à de l'écriture plus purement

chanson-chanson, et qu'un coup de fredon bien placé, pour le coup, comme ça, au pif, aide à la bonne humeur — à la différence du reste.

C'est vrai, même les trucs plus ostensiblement chan- sonniers de Laffaille, se laissent lire seuls, comme Trucs et ficelles — si le lecteur veut bien se donner la peine d'aller vérifier à la page numéro 49.

Fort bien écrit, voilà le hic ! Le compliment est ambigu lorsqu'il s'adresse à un auteur de chansons. Car — je réitère ma question : " Cela fait-il forcément les chansons les plus chantantes ? " — La chose se discute... Il existe un point d'équilibre, c'est indéniable, une position à mon avis infi- niment fragile, instable, au-delà de laquelle les strophes basculent dans le texte littéraire et portent leur propre enchantement. La musique, alors, si elle se fait trop présente, risque de gêner... Paradoxe ? Pas du tout. Disons

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que plus beau que La mer-paroles, la chanson risque d'en mourir — d'en souffrir, et d'être beaucoup moins tubé- fiable que La mer telle qu'elle fut et demeure, avec son texte limite de jeu.

Qu'on jette un œil, dans ce recueil, sur Deux mi- nutes fugitives, laquelle se présente en habit de chanson- nette :

C'est une chanson naïve, Un accord de cristal... À première vue un texte qui s'appelle déjà " chanson "

devrait être hyper sympa à la bouche, à l'oreille... Mais on peut penser le contraire, par exemple quand l'auteur s'appelle Verlaine, tenez, et qu'il est lui-même... soluble dans l'air !

Quand je lis les vers suivants — page 56 — avec l'image qu'ils portent :

Deux minutes fugitives Sans rien d'original Comme un bruit de gencives Contre une porte en métal,

je n'ai pas précisément envie d'entendre de la musique " en plus ". Tout le poème se lit comme ça, peut se dire comme ça, à voix haute, très bien, sur la cadence de cette fabuleuse humeur de tuer qui le sous-tend sans y toucher... Ironie meurtrière. Un air à danser ? Parce que ça s'appelle " chanson naïve " ? — Ben on n'a pas envie... Je trouve. Le texte est trop plein déjà, trop vachement beau poème. À mon goût, je veux dire...

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Ce qui conforte mon opinion — que nul n'est forcé de partager ! — ce sont les mini-pièces en proses qui sont jointes aux poèmes dans cette édition : L'invitée, Le demi, La séance. Ah ! La cruauté, la véracité de cette saynette de notre temps faux-cul : L'invitée. Superbement dosé, maîtrisé, à hurler de quotidien blafard avec ces deux présentateurs ordinaires qui se régalent parce qu'il y a du rififi qui les fait mousser aux antennes depuis une semaine — et qui se servent, les méprisables, au nom des bonnes intentions, la bonne soupe avec le malheur du monde habité ! Tout est décrit dans les détails de ce petit chef-d'œuvre : la parole réquisi- tionnée, fauchée par les puissances à la lucarne. Sketch terrible : " Attention à la marche " !...

Laffaille, Gilbert, né à Paris, devrait être le dramaturge vengeur de notre temps. Il en a la puissance ricanante, les tripes, la lucidité, la souffrance, le talent authentique de l'écrivain pétri de langue, inspiré par la langue.

Après avoir découvert l'Asie, l'Indonésie et l'Extrême- Orient, il nous ferait découvrir l'extrême bassesse de notre société médiatique.

Beau programme pour un Chevalier des Arts et Lettres !... Un auteur dramatique de cette taille, ce serait l'Amérique ! D'ailleurs, on l'appellerait Laffaillette... Il nous libérerait. Histoire, comme ça, en douce, de changer le monde, un tout petit peu. Au moins de se libérer la haine.

Ainsi soit-il.

C L A U D E D U N E T O N

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POST-SCRIPTUM J'ai même quelque chose

à dire sur les illustrations de ce livre, qui sont de Grand- ville, et choisies par Laffaille.

Grandville, né à Nancy en 1803 dans un milieu artis- tique, mort à Paris en 1847 dans un autre milieu artistique, fut un dessinateur caricaturiste impertinent que ses têtes de piafs firent considérer comme un cinglé. Même Baude- laire a écrit : " Il y a des gens superficiels que Grandville divertit. Quand à moi, il m'effraie ! " En fait il avait pris à la lettre l'un des textes les plus unanimement respectés de son temps : l' Art poétique d'Horace dont le début est :

Qu'immolant la nature aux caprices de l'art, Un peintre forme un tout de traits pris au hasard, Sur un cou de cheval place une tête humaine, La couvre de longs crins, de plumes ou de laines, Et qu'un buste de femme au sein voluptueux S'allonge sous sa main en serpent tortueux, Sans doute vous rirez de ce fol assemblage. (...) Mais nous ne devons pas marier les contraires, La rage à la douceur, la colombe aux vipères ; Faire dans le bercail jouer les lionceaux, Ni peindre la tigresse allaitant des agneaux. Ferré disait : " Merde à Vauban ! "

C L A U D E D U N E T O N

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A h oui ! Gilbert Laffaille est bien né en 1948 ! Après des études de Lettres, il devient professeur de français. De 1977 à 1990, il enregistre sept albums de chansons, se produit sur scène au Théâtre de la Ville à Paris, au Printemps de Bourges et effectue de nombreuses tournées en France et à l'Étranger. Son huitième album de chansons " Ici " obtient le Grand Prix de l'Académie Charles Cros 1994. Le lecteur retrouvera, dans La Ballade des pendules, ses chansons les plus connues (Le Gros Chat du marché, Le Président et l'éléphant, Corso fleuri, Neuilly Blues, Trucs et ficelles...), mais décou- vrira aussi ses pièces (inédites) pour théâtre de poche, véritables petits chefs-d'œuvre, selon Claude Duneton, qui préface ce livre.

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