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L1, L2 ET L3 EN CLASSE DE LANGUES : ANALYSE D’INTERACTIONS Dra. Béatrice Blin CELE UNAM [email protected] Les discussions ou les débats autour de l’emploi de la langue de première socialisation lors de l’apprentissage d’une langue étrangère occupent toujours une place importante dans la formation initiale des professeurs de français langue étrangère (FLE) au Mexique. En effet, notre expérience comme formatrice de formateur nous a montré que les interrogations sur la place de l’espagnol ou des autres langues dans les interactions ayant lieu dans la salle de classe de FLE sont toujours d’actualité et qu’elles se transforment parfois en vives inquiétudes 1 . Du côté des apprenants, on sait que les enseignements qu’ils ont suivis avant l’apprentissage du FLE et également les représentations qu’ils possèdent, par exemple, sur la place de l’espagnol lors de l’apprentissage du FLE, influencent considérablement leur manière d’apprendre. Nous avons observé, à de nombreuses reprises, que l’utilisation de l’espagnol ou d’une autre langue en classe de FLE est encore souvent ressentie comme une infraction. On entend parfois des apprenants s’excuser quand ils utilisent l’espagnol. Dans cet article, nous proposons de revenir sur cette problématique en nous intéressant aux sujets, locuteurs plurilingues, et aux différents besoins que leur permet de combler leur répertoire langagier. Nous postulons que les apprenants ont d’une part, des objectifs d’apprentissage, formulés bien souvent très vaguement comme est le cas, par exemple, de souhaiter « parler français » et d’autre part, des besoins (langagiers, socio affectifs, communicationnels). Ainsi, dans un premier temps, nous reviendrons très rapidement sur l’expression méthode directe. Dans un deuxième temps, nous reprendrons une partie des propositions de Weiss et nous proposerons un modèle des types de communication ayant lieu dans un cours de FLE. Par la suite, notre démonstration se centrera sur les besoins des sujets, apprenants et enseignant. En effet, au-delà de l’aspect instrumental, voire méthodologique, de l’utilisation d’une langue ou d’une autre, nous souhaitons souligner les besoins des interactants. Pour cela, nous reprendrons les résultats d’une recherche que nous avons menée dans un cours de FLE au Mexique. 1 Certains étudiants en formation choisissent cette problématique comme sujet de leur recherche-action, d’autres disent essayer d’utiliser le moins possible la L1 sans s’interroger réellement sur le pourquoi de cette restriction. 1 no.8 Diciembre 2010 Azcapotzalco UNIVERSIDAD AUTÓNOMA METROPOLITANA Casa abierta al tiempo

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L1, L2 ET L3 EN CLASSE DE LANGUES : ANALYSE D’INTERACTIONS

Dra. Béatrice BlinCELE

[email protected]

Les discussions ou les débats autour de l’emploi de la langue de première socialisation lors de l’apprentissage d’une langue étrangère occupent toujours une place importante dans la formation initiale des professeurs de français langue étrangère (FLE) au Mexique. En effet, notre expérience comme formatrice de formateur nous a montré que les interrogations sur la place de l’espagnol ou des autres langues dans les interactions ayant lieu dans la salle de classe de FLE sont toujours d’actualité et qu’elles se transforment parfois en vives inquiétudes1 . Du côté des apprenants, on sait que les enseignements qu’ils ont suivis avant l’apprentissage du FLE et également les représentations qu’ils possèdent, par exemple, sur la place de l’espagnol lors de l’apprentissage du FLE, influencent considérablement leur manière d’apprendre. Nous avons observé, à de nombreuses reprises, que l’utilisation de l’espagnol ou d’une autre langue en classe de FLE est encore souvent ressentie comme une infraction. On entend parfois des apprenants s’excuser quand ils utilisent l’espagnol.

Dans cet article, nous proposons de revenir sur cette problématique en nous intéressant aux sujets, locuteurs plurilingues, et aux différents besoins que leur permet de combler leur répertoire langagier. Nous postulons que les apprenants ont d’une part, des objectifs d’apprentissage, formulés bien souvent très vaguement comme est le cas, par exemple, de souhaiter « parler français » et d’autre part, des besoins (langagiers, socio affectifs, communicationnels).

Ainsi, dans un premier temps, nous reviendrons très rapidement sur l’expression méthode directe. Dans un deuxième temps, nous reprendrons une partie des propositions de Weiss et nous proposerons un modèle des types de communication ayant lieu dans un cours de FLE. Par la suite, notre démonstration se centrera sur les besoins des sujets, apprenants et enseignant. En effet, au-delà de l’aspect instrumental, voire méthodologique, de l’utilisation d’une langue ou d’une autre, nous souhaitons souligner les besoins des interactants. Pour cela, nous reprendrons les résultats d’une recherche que nous avons menée dans un cours de FLE au Mexique.

1 Certains étudiants en formation choisissent cette problématique comme sujet de leur recherche-action, d’autres disent essayer d’utiliser le moins possible la L1 sans s’interroger réellement sur le pourquoi de cette restriction.

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MéthodesLe terme méthode, en français et dans le champ de la didactique des langues, possède trois sens différents (Puren, 1999 : 153). Le premier fait référence au matériel didactique, au manuel de FLE utilisé dans la salle de classe, le libro de texto. Le second sens est synonyme de méthodologie, on utilise l’appellation méthode audio-orale, par exemple, pour désigner une méthodologie. Dans ce cas, on se réfère aux différentes manières d’enseigner et d’apprendre et à la relation entre ces deux processus. Ici, le terme désigne : « des constructions méthodologiques d’ensemble historiquement datées qui se sont efforcées de donner des réponses cohérentes permanentes et universelles à la totalité des questions concernant les manières de faire dans les différents

domaines de l’enseignement/apprentissage » (Cuq, 203 : 166). Le troisième sens s’entend comme :

Dans ce sens, une méthode2 directe se réfèrera à tout ce que peut faire un enseignant pour que la langue cible soit l’unique langue utilisée dans les interactions entre enseignant et apprenant ou entre pairs.

Dans notre contribution, nous proposons d’observer les échanges langagiers du point de vue des sujets en laissant de côté, le temps de cet article, l’aspect méthodologique. À partir d’une étude empirique, nous observerons les besoins des apprenants et la manière dont ils les résolvent. Nous traiterons cette question dans un contexte particulier : des apprenants mexicains adultes qui possèdent l’espagnol comme première langue de socialisation et qui ont étudié l’anglais comme première langue étrangère. Le français est donc pour eux la deuxième langue étrangère.3.

« un ensemble de procédés visant à susciter et maintenir chez les apprenants un comportement ou une activité d’apprentissage déterminés, de sorte que l’on peut toujours la paraphraser par la formule : “tout ce que peut faire un enseignant pour...”. La “méthode active” désignera par exemple tout ce que peut faire un enseignant pour susciter et maintenir en classe l’activité des élèves : varier fréquemment les activités et les supports, choisir des documents intéressants, poser des questions, faire travailler en groupe, faire jouer, etc. ». (Puren, 1994 : 154)

2 Nous utilisons le mot méthode dans le sens « d’une unité minimale de cohérence concernant les manières de faire en didactique des langues » (Cuq, 2003 : 166).

3 Le groupe dans lequel nous avons effectué notre étude est composé de 17 étudiants mexicains salariés (9 hommes et 8 femmes) ; les membres du groupe ont 25 ans en moyenne. L’enseignante est également mexicaine. C’est un groupe de niveau A1. Afin d’élaborer notre corpus, nous avons opté pour une approche que l’on peut qualifier d’ethnographique, en privilégiant l’observation directe. Nous nous sommes proposée d’être témoin des comportements sociolangagiers d’un groupe d’individus – enseignante et apprenants –, au cours de l’interaction en salle de classe, c’est-à-dire dans l’espace-temps où se déroule l’activité d’enseignement/apprentissage. Nous avons assisté pendant trois semaines à tous les cours du groupe (18 heures), que nous avons par la suite enregistrés et transcrits.(v. Annexe)

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Types de communicationIl est important de situer les besoins en langues en fonction des différents types de communication ayant lieu dans une classe de FLE.

À cette fin, nous allons les placer dans le cadre communicatif où ils ont été produits, en nous rapportant au type de communication régissant l’échange. Pour cela, dans un premier temps, nous reprendrons les quatre types de communication en classe de langue définis par F. Weiss : la communication imitée, la communication simulée, la communication didactique et la communication authentique.

La communication imitée est caractérisée par :

La communication simulée permet à l’apprenant :

La communication didactique :

« l’apprentissage par cœur et la récitation de dialogues, de textes, par la répétition de modèles donnés par le maître ou par la bande magnétique, par la présentation dramatisée des dialogues, par la pratique des exercices structuraux et des micro-conversations » (Weiss, 1984 : 48).

« de faire preuve de beaucoup plus d’imagination et d’initiative, car il est amené à fabriquer des dialogues à partir de situations, de scénarios ou d’images éparses, à réagir spontanément à partir de stimuli en situation, à participer à des débats simulés et à des jeux de rôles » (Id. : 48).

« tourne autour de l’organisation de travail en classe et comporte, à cet égard, les demandes d’explication, les explications données par l’enseignant, les suggestions et tout le guidage du travail et des activités. Elle englobe également tout le discours centré sur les formes de la langue : les demandes d’éclaircissement, les contrôles et la réaction aux performances des élèves, les encouragements, les rejets, les descriptions grammaticales, les exercices de conceptualisation, les déclinaisons, autrement dit toutes les manipulations de la langue » (Ibid. : 47-48).

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Ce type de communication se rencontre dans les séquences organisationnelles et dans les séquences métalinguistiques.

La communication authentique correspond aux moments où l’apprenant :

« parle en son propre nom, prend l’initiative de la communication dans les différentes phases de l’organisation et de l’animation de tout travail de groupe ainsi que dans les prises de décisions par le groupe –à condition que toute cette interaction se passe en français ! On peut également parler de communication authentique dans les exercices de créativité, de remue-méninges, de débats réels, de résolution de problèmes, d’invention » (Ibid. : 48).

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Cette communication s’inscrit dans les séquences conversationnelles, lors d’échanges de type communication spontanée.

Nous coïncidons avec F. Weiss pour les deux premières définitions, mais nous divergeons légèrement au sujet de la communication authentique. Nous postulons d’une part, que l’interaction ayant lieu en langue première, l’espagnol pour notre étude, peut être, elle aussi, qualifiée d’authentique si l’apprenant parle en son propre nom sur des sujets personnels ou quand il prend l’initiative de la communication pour s’adresser à l’enseignant ou aux apprenants, même si cette prise de parole sert d’introduction à une demande d’explication et devient ainsi rapidement une communication authentique de type didactique. Nous utiliserons donc les classifications suivantes : communication imitée, communication simulée, communication authentique de type didactique et

communication authentique de type conversationnel.

Besoins en langues des sujetsLa suite de notre exposé se centrera sur les sujets et sur leurs besoins en langues. Il s’agit de se pencher sur les sujets dans l’expression de leur être-en-langues. Pour illustrer notre propos, nous étudierons tout d’abord les échanges langagiers où les apprenants et l’enseignante mobilisent leur compétence en anglais.

• Un besoin de communication : les apprenants produisent des énoncés en anglais dans des échanges relevant de la communication authentique. Il s’agit surtout de courts énoncés expressifs.

• Un besoin d’aide dans la communication : l’alternance codique permet aux apprenants de pouvoir poursuivre la communication.

• Un besoin de sens : les apprenants et l’enseignante se réfèrent à l’anglais afin d’établir des comparaisons avec le français et l’espagnol. Il s’agit de rapprocher ou de distancier les langues.

• Un besoin ludique : les apprenants utilisent l’anglais pour rire grâce à la langue.

Nous allons reprendre dans l’ordre ces besoins et étudier les échanges correspondants.

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Fragment 1 : cours 14

3105 . EN elle a 27 ans311. PAT1 27 ans312. EN tu es d’accord↑ Wendy313. WEN yeah314. EN yeah↑315. WEN oui 316. GR (rire)317. EN ok très bien alors qui tu vas présenter ↑ monsieur

En (314), l’enseignante répète le terme en utilisant une intonation ascendante. Wendy interprète l’énonciation de l’enseignante et propose le terme en français. Le groupe rit et l’enseignante atteste la réponse de l’apprenante. L’enseignante, de manière implicite, refuse le terme anglais. Wendy le comprend, l’accepte et propose ce qu’elle sait que l’enseignante attend. Dans la même séance, quelques minutes plus tard, Berenice utilise elle aussi l’adverbe yeah.

Fragment 2 : cours 1

4 Pour chaque échange, nous indiquons le cours où il a eu lieu.5 Le numéro du tour de parole nous informe sur le moment où il a été produit.

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Un besoin de communication Dans l’échange ci-dessous, en (313), Wendy utilise l’adverbe yeah pour indiquer à l’enseignante son accord.

575. EN tu es étudiante ok576. ALE de quoi↑577. EN de quoi↑ (l’enseignante se lève et quitte son bureau pour se placer au milieu de la salle)578. BER commerce579. EN de commerce commerce international↑580. BER yeah581. EN yeah non oui582. GR (rire)583. BER oui584. EN de commerce international ok tu es étudiante de commerce

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Cette fois, (en 581), l’enseignante refuse de manière explicite l’emploi de l’anglais et propose l’adverbe « oui ». Berenice accepte la reformulation, elle répète « oui ». Le groupe rit de nouveau. Nous pouvons noter que l’émergence de l’anglais entraîne presque systématiquement le rire au sein du groupe. Dans le fragment ci-dessous, Patricia1 utilise l’interrogatif what pour signaler qu’elle ne comprend pas.

Fragment 3 : cours 6

252. PAT2 je m’appelle Patricia mon numéro de téléphone est 56 89 22 91253. PAT1 qué dice ↑254. GR (rire)255. EN hein c’est deux fois256. PAT2 56257. PAT1 what↑258. GR (rire)259. EN mm 56260. PAT2 56 89 22 91

Dans les trois fragments que nous venons d’observer, il semblerait que les termes yeah et what échappent au contrôle des apprenantes. Nous avons très souvent pu observer ce phénomène dans nos cours, quand le français est la seconde langue étrangère. Il existe une tension forte pour communiquer sans utiliser la langue première et, de ce fait, les apprenants produisent des énoncés en anglais. Cependant, ce phénomène aisément compréhensible n’explique qu’en partie pourquoi les apprenants rient. En effet, il est probable que le rire des apprenants soit dû d’une part, à la constatation de la perte de contrôle de la part du locuteur et, d’autre part, à l’absence de concordance entre l’image6 que possèdent les apprenants de la situation et la production langagière proposée.

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Nous pouvons dire que la communauté sociolinguistique de notre étude a créé une norme subjective de communication qui exclut la production d’énoncés en anglais quand il s’agit de répondre à un besoin de communication. En effet, sur le plan individuel, tous les apprenants du groupe, excepté un, déclarent parler anglais. Sur le plan social, la norme de communication qui a été mise en place est de ne pas utiliser cette langue.

L’image de la tâche à réaliser – l’apprentissage du français – et l’image de la langue anglaise, dans le sens de ce qu’il est possible de faire avec cette langue dans ce contexte, ne coïncident pas. Ce jeu d’images a créé cette norme de communication dans le groupe. Nous pourrions dire que la représentation sociale de l’enseignement apprentissage des langues que possède le groupe penche pour une méthode directe. Cependant, lors de l’analyse que nous avons menée, nous avons pu nous rendre compte que l’espagnol est présent dans les échanges. Il

semblerait que, comme nous le verrons par la suite, l’anglais et l’espagnol connaissent deux traitements différents.

6 Nous utilisons le terme image pour faire allusion à un positionnement ou à un faire être né de l’instant interactionnel, positionnement éphémère, mais pouvant se répéter. Les images seront de deux types : image que l’on donne à voir et image que l’on perçoit (Vasseur, 2005).

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284. PAT1 elle parle français285. EN elle parle français286. PAT1 and espagnol287. EN and non288. GR (rire)289. EN et espagnol290. GR et291. PAT1 et espagnol et england292. EN england↑293. PAT1 “ineglais”294. EN et anglais295. PAT1 et anglais296. EN ok et anglais

Dans le fragment ci-dessus, Patricia a recours à deux « alternances de compensation » (Castellotti, 2001 : 56). En (286), elle utilise la conjonction and afin de pouvoir poursuivre la communication. L’enseignante

refuse cette alternance et propose un autre énoncé en remplaçant and par la conjonction « et ». En (291), Patricia utilise le substantif england dans l’intervention réactive. L’enseignante reprend le terme

et accompagne sa reprise d’une intonation ascendante pour signaler, de manière implicite, qu’elle ne l’accepte pas. L’interaction se poursuit avec une séquence dont l’axe pragmatique est la prononciation par Patricia du substantif anglais.

Les analyses que nous venons de réaliser nous montrent que l’enseignante refuse que les apprenants utilisent l’anglais pour répondre à un besoin d’aide dans la communication. Une fois de plus, cette langue n’a pas sa place dans l’interaction. Il nous semble important de préciser que l’enseignante possède un niveau C 1 en anglais. Le rejet n’est donc pas dû au fait que cette langue ne fasse pas partie de son répertoire langagier.

Un besoin de sens Dans les échanges où l’anglais répond à un besoin de sens, les interactants font référence à leurs connaissances antérieures en anglais pour établir des comparaisons avec le français ou avec l’espagnol. Nous allons voir que, cette fois, l’enseignante fait également référence à l’anglais.

Dans le fragment ci-dessous, l’initiative vient d’Alejandra.

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Un besoin d’aide dans la communication

Fragment 4 : cours 1

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262. EN oui alors regarder par exemple là je vois la télévision/ oui mais si je mets power je la regarde/si vous comprenez↑263. HUG non264. EN a ver Ale265. ALE como en inglés watch y see266. EN mm qué internacional watch y see ok267. ALE en español no hay no↑268. GR ver observar y mirar269. EN SI par exemple si está apagada la televisión↑270. ALE pero veo la tele apagada o prendida no↑271. EN ah oui c’est vrai

En (262), l’enseignante sollicite Alejandra afin que celle-ci explique la différence de sens entre les verbes « regarder » et « voir ». Pour répondre à la requête formulée par l’enseignante, Alejandra se réfère aux verbes watch et see. Elle suggère d’établir un rapport de sens entre deux verbes anglais et deux verbes français. Elle propose ainsi un rapprochement entre la langue anglaise et la langue française. En (266), l’enseignante se moque du rapprochement réalisé par Alejandra.

Dans le fragment ci-dessous, Karina cherche à établir une relation graphique entre l’anglais et le français

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Fragment 5 : cours 2

pour l’écriture des pronoms personnels.

Fragment 6 : cours 8

448. EN elle↑ alors tu vas passer pour la elle/ et qui va passer pour je↑/ Aramis tu veux passer pour je↑ oui / quand vous terminez449. KAR los pronombres se ponen también con mayúscula en medio de la frase/ (…)? 450. EN estás pensando en el “I” del inglés no↑ 451. KAR sí sí sí452. EN (rire)* porque en español tampoco se ponen

L’enseignante, en (452), rejette de manière implicite le rapprochement proposé et suggère un rapprochement entre le français et l’espagnol.

Nous passons maintenant à l’étude des échanges où c’est l’enseignante elle-même qui effectue des rapprochements entre le français et l’anglais. Dans le fragment ci-dessous, l’enseignante, à la demande de Raymundo, propose une

traduction du substantif boliche.

Fragment 7 : cours 71230. RAY boliche↑1231. EN ah c’est le bowling le bowling comme en anglais1232. RAY se escribe como en inglés↑

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L’enseignante traduit le terme et indique implicitement que l’orthographe du mot est la même qu’en anglais. Elle fait appel aux savoirs des apprenants en langue anglaise. Lors de cet échange, l’image qu’elle a des apprenants est qu’ils savent écrire ce terme en anglais. L’image qu’elle a de la tâche à réaliser est de l’ordre de la compétence orthographique. L’image qu’elle a de la langue anglaise concorde avec l’image de la tâche à

réaliser. Ce jeu d’images lui fait proposer un étayage qui rapproche les deux langues.

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Dans le fragment ci-dessous, l’enseignante donne une clarification d’ordre phonétique.

Fragment 8 : cours 6979. EN comment est-ce que tu prononces↑980. HUG un “jou”981. EN un joueur982. HUG joueur 983. EN joueur984. HUG de “tenni”985. EN de tennis986. HUG de tennis987. CHR no que la s no sonaba↑988. EN oui, mais tennis c’est un mot anglais989. CHR ah990. EN entonces (…)? se pronuncia (…….)?

En (987), Christopher fait remarquer que la prononciation du « s » final du vocable « tennis » ne correspond pas aux informations que l’enseignante a fournies antérieurement. Face à la remarque de l’apprenant, l’enseignante fait appel aux savoirs des apprenants en langue anglaise. Elle explique que la prononciation du substantif « tennis » n’est pas en contradiction avec la règle qu’elle a donnée, car ce substantif est un terme anglais. Il est intéressant de noter que l’enseignante ne parle pas d’emprunts ou de vocables de la langue française qui sont d’origine anglaise, mais de « mots anglais ».

Un besoin ludiqueDans le fragment ci-dessous, nous allons observer le jeu de langue que réalisent les apprenants autour du

substantif palomita.

Fragment 9: cours 3

861. EN parfait parfait↑ oui c’est parfait alors vous mettez il est comment on dit palomita en français↑ (l’enseignante s’adresse à moi, mais je lui indique que je ne le sais pas et lui propose le substantif : trait ) alors vous mettez un trait un trait une palomita/ alors vous mettez une palomita/ 862. GR popcorn (rire)863. EN popcorn (rire) voilà très bien alors un autre↑++++

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En (862), les apprenants proposent le substantif « popcorn » comme traduction du terme palomita. Au Mexique, comme on le sait, le terme palomita sert à désigner le maïs soufflé (pop-corn), mais également un petit trait que l’on met à côté d’un mot. Nous ne savons pas si les apprenants connaissent le substantif en français, en revanche, il est sûr qu’ils le connaissent en anglais.

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La dimension ludique est présente dans le glissement de sens qui crée également un déplacement du contexte de communication. Il n’est pas possible de manger de pop-corn en classe. Durant quelques secondes, tous les interactants sont transportés dans un autre lieu. Nous avançons que dans cet énoncé, la co-construction du sens fonctionne à l’inverse. En effet, ce n’est pas le contexte qui crée le sens de l’énoncé, mais c’est le sens attribué à l’énoncé qui crée un autre contexte. L’imaginaire, dans sa capacité de faire être, permet la création d’un nouveau contexte.

Brève synthèse des besoins auxquels répond l’utilisation de l’anglaisLa langue étrangère la plus fréquemment étudiée dans le système éducatif mexicain est rejetée par le groupe de notre étude lors de l’enseignement apprentissage du français. Dans ce groupe, le contrat didactique, établi tacitement, tente d’exclure l’anglais de la salle de classe. Son utilisation est vue comme négative même si le groupe y a recours de manière ponctuelle. Toutefois, nous avons pu constater que l’image de la langue anglaise et de ce qu’il est possible de faire avec cette langue est une image plurielle et non stable qui répond au moins à quatre besoins.

Nous n’avons pas l’espace dans cet article de reproduire l’analyse détaillée que nous avons menée pour l’espagnol, nous nous contenterons de reproduire une synthèse de nos conclusions7. Signalons que notre étude nous a montré que l’espagnol est la langue de nombreux échanges ; elle est présente dans tous les types de communication et elle répond aux quatre types de besoin identifiés. En effet, l’enseignante n’a pas opté pour une méthode directe exclusive, l’espagnol occupe une place importante, comme langue de communication.

Rapport de force existant entre les langues en présenceLes interactants tentent de combler leur besoin de communication, leur besoin d’aide dans la communication, leur besoin de sens et leur besoin ludique en utilisant les langues anglaise et espagnole.

7 Nous avons procédé de la même manière que pour la langue anglaise (analyse du discours-en-interaction).

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Nous allons comparer la place de ces deux langues et en faire une synthèse grâce au tableau ci- dessous.

Répond à un besoin de communicationAnglais Espagnol

Pour les apprenants Oui OuiPour l'enseignante Non Oui

Répond à un besoin d’aide dans la communicationPour les apprenants Oui OuiPour l'enseignante Non Oui

Répond à un besoin de sensPour les apprenants Oui OuiPour l'enseignante Parfois Oui

Répond à un besoin ludiquePour les apprenants Oui OuiPour l'enseignante Non Oui

Les besoins des interactants en anglais et en espagnol

Nous pouvons observer que les apprenants font appel à l’anglais et à l’espagnol pour couvrir les quatre besoins. L’enseignante, quant à elle, accepte l’anglais parfois, mais uniquement pour répondre à un besoin de sens.

Lors de 18 heures d’observation, nous avons pu noter que l’enseignante qui, à maintes reprises, sollicite des prises de parole en espagnol – pour des reformulations par exemple – refuse qu’un échange, même binaire, ait lieu en anglais. L’anglais, pour répondre à un besoin de communication ou à un besoin d’aide dans la communication, bien que très peu présent en comparaison à l’espagnol, n’est pas identifié comme ayant sa place dans les échanges.

En utilisant l’anglais, les apprenants transgressent les normes de communication du groupe. Lors des observations, nous avons noté que les apprenants et l’enseignante possèdent une image différente de ce qu’il est possible de faire avec la langue anglaise dans l’interaction visant l’appropriation du français. Cette image varie en fonction du moment interactionnel. Il existe, parfois, des tensions quand les imaginaires des interactants ne coïncident pas. Nous postulons que les tensions sont inévitables et qu’il ne doit pas s’agir de les ignorer ou de vouloir les supprimer, mais plutôt d’apprendre à les utiliser afin de co-construire une conscience en langues.

L’étude que nous avons menée a montré la complexité de la gestion des répertoires langagiers des apprenants lors de l’apprentissage d’une nouvelle langue. Nous croyons qu’une réflexion doit avoir lieu dans les cours de FLE au Mexique afin d’établir des contrats pédagogiques explicites sur ce point. Une des questions à laquelle il faudrait répondre est si les apprenants doivent exploiter l’intégralité de leurs compétences langagières dans la classe de

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FLE. Une réponse négative ne permettrait pas aux apprenants de combler tous leurs besoins. Une réponse positive impliquerait la mise en place d’un contrat didactique afin de préciser la relation entre les langues qui composent le répertoire langagier des apprenants. Celui-ci devrait permettre de développer une conscience en langues.

Enfin, n’oublions pas les besoins ludiques en langue. La capacité de passer d’un type de représentation mentale à un autre peut être une entrée à la décentralisation, à la mise en place d’un dialogue au sein d’un même individu qui favorise le passage d’un espace linguistique à un autre. Le locuteur plurilingue est un être parfois déchiré entre les différentes cultures, mais c’est aussi un être qui est capable de franchir les frontières linguistiques des signifiants afin de construire de nouveaux signifiés. Pour illustrer le besoin ludique, nous nous permettons de terminer notre contribution par la question suivante : ¿Un gato y un gâteau son dos gatos o ya no hay gâteau, ya que se lo comió el gato ?

BIBLIOGRAPHIE

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CONVENTIONS DE TRANSCRIPTION/ Rupture dans l'énoncé sans qu'il n'y ait réellement de pause

Interruption d'un énoncé par l'intervention d'un interlocuteur+, ++, +++ Pause très brève, brève, moyenne↑ Intonation montante↓ Intonation descendanteOUI, VOIlà Accentuation d'un mot, d'une syllabeoui: bien:: no:::n Allongement de la syllabe ou du phonème qui précède. Le signe :

est proportionnel à l'allongement(alors/allons) ? Hésitation à transcrire l'une ou l'autre de ces formes(………) ? Enoncé inaudible ou incompréhensibleune question Chevauchement de la parole les soucis Représentation phonético-orthographique« chépa » Représentation phonético-orthographique383. EN Le chiffre indique le numéro du tour de parole. EN indique que c'est

le tour de parole de l'enseignante ALE Chaque apprenant est désigné par les trois premières lettres de son

prénomGR Groupe

Annexe

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