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L A BERGÈRE , L ’OURS , LA P OLITIQUE POLITICIENNE ET MOI Catherine Brunet

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La Bergère, L’Ours,

La POLitique POLiticienne et mOi

Catherine Brunet

23.7 629221

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 310 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,055 mm) = 19.05 ----------------------------------------------------------------------------

La Bergère, l’Ours, la Politique politicienne et moi

Catherine Brunet

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« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas, qu’elles sont difficiles »

Sénèque – philosophe latin (4 J.-C. 65 après J.C.)

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Lundi 8 Avril 2013, 1 h 15 du matin

Insomnie… Pourquoi ? Peut-être ai-je trop mangé de sucrerie, bu trop de thé ? Mais voilà que l’idée d’écrire un livre sur ma position à propos de l’ours se précise. J’allume la radio, prends de longues inspirations pour essayer de me rendormir.

Impossible.

Un titre me vient à l’esprit. Je me lève, prends une feuille qui traîne et l’écris :

« La bergère, l’ours et la politique ».

Je vais peut-être réussir à me rendormir. Impossible. Je me relève, vais aux toilettes, me recouche. Je change de station de radio en me disant que France Inter et l’interview de l’acteur réalisateur de Kaamelott allaient me bercer. Je l’avais déjà écouté. La musique des voix de l’homme et de la femme réussiront peut-être à m’endormir. Longues respirations… Dans ma tête, le titre. Je vais compléter « politique » par « politicienne ».

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6 h 10. Je me réveille. Cela fait dix minutes que la radio est en marche sans que je l’entende. Je traîne encore cinq minutes et vais déjeuner. Je pense à la nuit, au livre, au titre. J’aimerai préciser avec « et moi ». Je prends une douche et m’habille. Il est temps de partir travailler. Je suis « assistante de vie ».

8 h 30 je suis à nouveau chez moi. Je cherche un vieux cahier et en arrache les pages déjà écrites et commence. Les premiers mots me viennent. Ça y est, c’est parti. Je sais que je vais aller au bout. Cela prendra le temps qu’il faudra : le transcrire ou l’écrire directement à l’ordinateur quand ce sera possible. Relecture dans des pièces différentes, corrections afin de préciser une idée, un mot choisi, tels seront les moments privilégiés de ce livre.

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Pourquoi écrire ?

De tout temps j’ai écrit : mon quotidien, quand j’étais éloignée de ma famille, mes arguments, pour défendre mes idées. Plutôt timide et un peu réservée, l’écriture me permet d’être seule avec une feuille, de prendre le temps pour exprimer mes sentiments, mes idées, mes réflexions et d’oser les relater. J’aime les mots et je « titille » sur leur emploi ou non. Je n’aime pas l’ambiguïté. Dans le doute je vérifie dans un dico ou sur internet la signification avant de l’employer. Parfois je peux passer outre la signification « normale » pour exprimer plus fortement une idée. Tant pis pour les puristes. Pour l’orthographe, c’est autre chose. Je me suis améliorée, mais je crois qu’il restera toujours des fautes. Je fais confiance aux « relecteurs » avant l’impression.

Je viens de me séparer de mon compagnon de vie. Dans mon déménagement j’ai récupéré des cartons dans lesquels j’avais rangé tous les courriers reçus, certains en réponse aux lettres que j’avais envoyées. Après le décès de ma mère, j’ai récupéré toutes celles que je lui avais écrites. En tout, plus de trois cents lettres.

Lors de la polémique sur l’ours, j’ai écrit quelques articles que j’ai envoyés à des journaux et qui ont souvent été publiés.

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Ma séparation va me faire tourner une page sur l’élevage, même si mon fils aîné prend la relève. Mes dix dernières années ont été passionnées (parfois trop) et passionnantes avec la problématique de la coexistence entre l’élevage et l’ours. Sujet moderne, tabou, doublement pour une femme travaillant dans le milieu du pastoralisme…

Mais même pas peur !

La colère, l’injustice, l’indignation, la révolte me donnent l’envie de publier cet écrit afin de pouvoir passer à autre chose. Un livre c’est un peu prétentieux, mais pourquoi pas ? Cela ne m’engage à rien… seulement me faire plaisir… et éventuellement me « prendre une claque » si personne ne veut publier mon témoignage. Dans l’ordinateur je trouve un modèle de mise en page pour écrire un livre. Puis, grâce aux copies des courriers ou des mails que j’ai envoyés, aux articles que j’ai gardés, j’établis une chronologie afin que mon récit soit le plus proche de la réalité. Je prévois de mettre des extraits ou des courriers entiers que j’ai pu envoyer. Pour m’avancer, ma sœur Françoise (secrétaire de direction retraitée) me tape tous les articles que j’ai écrits dont je n’ai plus d’exemplaires dans l’ordinateur. Quand je repasse chez moi entre deux interventions auprès de personnes dépendantes dont je m’occupe, je la vois sourire. Elle me dit que cela lui rappelle sa jeunesse quand elle tapait les articles que notre père écrivait et

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qui étaient publiés dans Ouest France ou Le Bonhomme Libre. Elle me dit que par mon militantisme je lui ressemble. Lui, il se mobilisait pour le lait. Hé oui nous habitions en Normandie ! Le premier écrit que nous avons de lui date de 1951, c’était avant ma naissance. Il était déjà maire à cette époque et l’est resté jusqu’à son accident en 1967.

Maintenant je comprends un peu plus mon père. Le souvenir visuel impressionnant que j’ai gardé de lui (je devais avoir 5 ou 6 ans) quand je rentrais dans cette petite pièce qui lui servait de bureau. Il était alors âgé de 40 ans et mesurait 1 m 80. Assis derrière son bureau (le meuble), avec une immense bibliothèque qui couvrait tout le pan de mur derrière lui, il écrivait. Je devais, sans doute, venir le chercher pour qu’il vienne manger.

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Qui suis-je ?

Je suis l’avant-dernière d’une famille de 12 enfants. La parité est de mise chez nous, six filles et six garçons nés entre 1940 et 1956. Après un accident en 1960 – j’avais 5 ans – traînée par une voiture, je suis restée 3 jours dans le coma. Tout cela pour acheter des bonbons ! De ce jour-là, il me reste une cicatrice à la jambe et un remerciement à la Vierge de l’église du village où je suis née. Il paraît aussi que j’ai un rein en moins… Je ne l’ai jamais vérifié ! Nous avons quitté la campagne pour la ville, j’avais 8 ans. A 12 ans j’ai perdu mon père dans un accident de voiture. À l’école, j’étais bonne en mathématiques. Je réussissais à trouver le résultat d’un problème ou d’une formule, mais pas avec le raisonnement prévu ! En orthographe j’étais plutôt nulle : beaucoup de fautes ! En rédaction : de bonnes idées, mais il fallait développer ! En résumé des annotations dans le carnet du genre « peut mieux faire ».

Mon militantisme de jeunesse : Adhésion à Amnesty International lors de la

dictature de Pinochet, le boycott des oranges venant de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Un mémoire

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avec des collègues sur l’importance des cancers dus au nucléaire pour les personnes voisines de la centrale de Cherbourg (50), mais aussi adhésion à la CGT puis à la CFDT et j’ai aussi participé à des réunions du « Mouvement de Libération des Femmes »… Ça, c’était avant, quand j’étais jeune et célibataire !

Mes goûts d’alors : Cinéma, les films qui m’ont marqué : Soleil Vert et

l’Exorciste (pour ce dernier, j’ai passé mon temps les mains sur les oreilles et la tête sur les genoux !)

J’ai souvent pris des photos de paysage, mais toujours avec une présence humaine, qu’il soit adulte et/ou enfant. Les portraits d’enfants et les bateaux étaient aussi mes sujets de prédilection.

J’aimais voyager : l’Angleterre, l’Écosse, l’Allemagne, l’Autriche et la Grèce sont les pays où je suis allée.

Les livres dont je garde un souvenir particulier : le Rouge et le Noir de Stendhal, la Mare au Diable de George Sand, le Grand Meaulnes d’Alain Fournier, Bonjour tristesse de Françoise Sagan, Mœurs et Sexualité en Océanie de Magaret Mead.

La musique : Pour le classique la Moldau de Smetana et le Boléro de Ravel.

Pour la variété j’ai été voir à l’époque Philippe Chatel, Graeme Allwright et Mama Béa. Je me régalais à écouter du Jazz et du saxo.

Vous vous demandez pourquoi je vous raconte tout cela. Vous le comprendrez en lisant la suite.

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La bergère

Le hasard a voulu que je devienne bergère. À dix-sept ans, j’ai réussi le B.E.P.C… au rattrapage ! On me conseille de m’orienter dans le sanitaire et social en faisant un B.E.P. Cela ne m’intéresse pas, mais je veux être éducatrice spécialisée. Je vais travailler dans une maison d’enfants à caractère social, dans un Institut Médico-Pédagogique, puis un an en Autriche m’occuper de sept enfants dans une famille de diplomate. Je passe le concours d’entrée à l’école d’éducateur. La dernière en France qui accepte les candidats sans le bac. Je fais les trois ans de formation, dont trois stages : le premier en institution « classique » un Institut Médico-psychologique, le second dans « le camp des gens du voyage » de Rennes (35) et le troisième avec des autistes chez Fernand Deligny à Monoblet dans le Gard. Mon mémoire a pour titre : « Travailleur social : constat d’une idéologie raciste ? », entre autres choses, je compare la structure des « parcs » proposés aux gens du voyage à des « camps » connus pendant la dernière guerre, photo à l’appui… Je n’ai pas eu le diplôme. Je n’avais plus envie de travailler dans ce secteur, qui pour moi,

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à l’époque, ne donne pas assez de place « active » à l’enfant, à l’adolescent ou à la personne différente…

Je vais faire les vendanges dans le Bordelais, en Touraine, en Champagne et en Alsace, puis je termine par la cueillette des clémentines en Corse.

Je cherche autre chose de plus durable. Je prends alors le journal, l’ouvre à la page des annonces, ferme les yeux et pose le doigt sur l’annonce d’une dame qui cherche une personne pour lui tenir compagnie. Je l’appelle, mon cursus ne l’intéresse pas. Je referme les yeux. La deuxième annonce, c’est un éleveur qui cherche une personne pour l’aider durant la période d’agnelage. Je l’appelle. Je ne me souviens plus des arguments que j’ai eus à l’époque. Toujours est-il que je le rencontre et que je signe un contrat de cinq mois (les « fameux » plans Barre). Ce n’est pas la première fois que je mets les pieds dans une ferme. En effet, je suis née sur une propriété qui comprenait une petite ferme normande. J’ai huit ans quand mes parents décident de tout quitter pour aller en ville. Ma grand-mère maternelle possédait avec mes oncles une ferme familiale où l’odeur du lait, dans la pièce où on lave les bidons, me reste encore en mémoire. Ma marraine qui est aussi ma cousine, vivait avec son mari dans une ferme laitière où je vais régulièrement en vacances jusqu’à mes 20 ans. Je les aide à donner le lait aux veaux, nourrir la volaille et les lapins. De loin j’assiste à la traite, car j’ai peur des vaches… c’est

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grand, une vache ! Je participe au nettoyage des trayeuses, seaux et bidons qui se fait aussitôt après chaque traite. La vente des œufs et des volailles constitue la cagnotte personnelle de ma cousine. Leurs enfants les aidaient à la ferme quand ils n’avaient pas école. Ma marraine, en plus du travail sur l’exploitation, était une fana de la propreté : les meubles et les chambres cirés, cuivres reluisants, les fenêtres ouvertes et la serpillière passée tous les jours. Ma marraine n’arrêtait pas, du matin jusqu’au soir.

Il me reste en mémoire quelques moments qui m’ont particulièrement marqué comme l’empreinte de la tête de mon cousin sur l’oreiller souvent noir de poussière et de sa sueur, ou bien le gant de toilette posé sur le lavabo de la salle d’eau, lui aussi noir, mais sentant bon l’eau de Cologne. Quand le temps le permet la nature entrait dans la maison par les fenêtres grandes ouvertes : un rayon de soleil, l’odeur de la ferme, le chant du coq, des oiseaux, le bourdonnement des abeilles, le bruit du tracteur au loin. Mais aussi les moments de convivialité qui s’installaient tout naturellement, quand les amis, les voisins, des membres de la famille passaient. C’était alors l’occasion de faire la pause autour d’un café, parfois allongé d’un calva* et le temps s’arrêtait… J’ai appris à comprendre le pourquoi de tous ces moments… et bien entendu, j’ai reproduit !

Alors, quand cet éleveur me propose ce stage rémunéré, je le prends sans hésiter. Il est l’un des

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premiers éleveurs à avoir des brebis de race Romanov en France (brebis faisant en moyenne 4 à 5 agneaux par mise bas). Il a des brebis pures races et des F1 (croisement avec des Ile de France). Mon travail consiste à l’aider en donnant du foin et des céréales aux brebis. C’est la période de l’agnelage et je dois surveiller les bêtes qui vont mettre bas, les encaster* avec leurs agneaux, vérifier qu’ils tètent bien le colostrum*. Puis, le lendemain, laisser un ou deux agneaux avec la mère et mettre les autres à l’allaitement artificiel. Une pièce est réservée à cet effet avec une chaleur constante. Je dois apprendre aux nouveau-nés à téter les biberons et surveiller les diarrhées. La régularité dans la distribution des biberons, la chaleur du lait, le processus du sevrage sont très importants pour que cela se passe bien. Je nourris aussi les agneaux à l’engraissement et le troupeau. Avant la fin du contrat, l’éleveur me demande de m’occuper du troupeau pendant une semaine, le temps de ses vacances avec sa femme et ses jeunes enfants.

Cette relation avec l’animal qui dépend de soi, de la qualité de nos gestes toujours avec le souci de son confort, la notion du temps qui passe – non pas au rythme de l’homme, mais de l’animal – tout à fait différente de celle que j’ai connue – tout ceci m’a incité à continuer dans ce métier.

Une amie me parle d’un couple d’amis. Lui travaille comme berger en Provence et me voilà partie dans le Sud. Ce berger m’informe l’existence de l’école de

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bergers-éleveurs de salon de Provence. Je vais voir le directeur de l’époque qui veut vérifier que ce n’est pas une lubie. Il me demande alors d’avoir une expérience pendant l’été avant la rentrée de septembre. En effet, pour lui, l’élevage en Normandie n’est pas comparable à celui de la Provence. Il me donne quelques adresses, dont une dans le Vaucluse à Monteux. L’éleveur chez qui je travaille est aussi producteur de melons, et autres fruits et légumes. Il cherche quelqu’un pour s’occuper de son troupeau avant de partir en transhumance. Un mobile home pour logement, une journée de congé par semaine et les heures, on ne les compte pas. Comme c’est la période chaude, je pars avec les brebis et ma biasse* le matin au lever du jour vers sept heures et rentre au coucher du soleil vers vingt et une heures. Entre onze et dix-sept heures, le troupeau chôme* à l’ombre des arbres, le chien et moi avec. Je profite de ce temps pour faire la sieste, lire, écrire et/ou faire du tricot. Les pâtures sont des chaumes* de culture. Les jours de pluie, je pars plus tard en fin de matinée et rentre plus tôt le soir. Le parapluie avec la tenue adéquate, pour ne pas se mouiller et avoir froid, est de mise. L’odeur que dégage le troupeau quand vous le suivez, le temps qui passe au rythme du bétail et de la météo, le chien, indispensable « outil », expert pour mener les brebis sont pour moi une découverte et un plaisir inaltérable. Le mois de mai passe et la montée en transhumance est déjà arrivée. Mon patron prolonge mon embauche pour l’estive*. Lui et sa femme montent aussi. Ma présence

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leur permettra de se libérer et de redescendre sur l’exploitation plus souvent.

Première transhumance et pas des moindres, car c’est sur le plateau du Vercors que je vais compléter mon apprentissage comme bergère. C’est sur ce plateau aussi que j’ai appris à gérer l’eau : pour le bétail (mille sept cents têtes) qu’il faut mener faire boire régulièrement dans des abreuvoirs fabriqués par l’éleveur. Pour nous, c’est à dos d’ânes et dans des bidons qu’il faut aller chercher l’eau. Nous y allons tous les deux ou trois jours suivant la nécessité. La vaisselle se fait une fois par jour, l’eau de rinçage est gardée pour le lavage suivant. Une des particularités du plateau du Vercors est le brouillard et les « abîmes ». Un matin, vers six heures, mon patron me demande d’aller chercher le troupeau qui dort sur un col, non loin de la cabane. Nous devons faire des soins. Il y a du brouillard, mais nous entendons certaines sonnailles tinter indiquant que les brebis commencent à se lever. Je pars avec le chien sans rien emporter, car je suis censée revenir dans une demi-heure voir une heure au plus tard, en prenant le temps.

Je suis rentrée vers seize heures, affamée et trempée par l’humidité de l’air ambiant !

Dans le brouillard la montagne n’est plus la même. Quand je réussis à voir le troupeau, mais pas en son entier, ne sachant pas où je suis, il n’est pas question d’envoyer le chien. Je le tiens à mes pieds, car je sais

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que cela peut être dangereux pour les brebis avec tous ces gouffres. Depuis mon départ je cherche la cabane. Je me retrouve, entre autres, sur un plateau que je sais être à l’opposé de la couchade* des brebis. Rapidement j’abandonne l’idée de ramener le troupeau, mon objectif est de regagner la cabane. Après avoir essayé de la retrouver par déduction et hypothèse, je me laisse guider par le sens de l’orientation du chien. Il passe devant moi et je le suis. Après quelques remises en cause de ses capacités, vers seize heures, j’entends des voix et, enfin, j’arrive à la cabane. C’est pour moi ma première expérience difficile avec le temps, dans les deux sens du terme. Sinon les jours se ressemblent suivant la météo. Quand il fait beau, je pars le matin vers six heures rejoindre le troupeau encore à la couchade* où quelques brebis commencent déjà à se lever, s’étirer et je leur donne la virée* du jour.

À deux heures de marche de la cabane.

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Quand il pleut je rejoins le troupeau vers huit heures et je leur donne le biais* réservé pour les temps de pluie.

En montagne, les brebis ont des « quartiers » : quand elles arrivent, elles commencent à pâturer le bas de l’estive et au fur et à mesure que l’herbe pousse, elles montent en altitude. Cette zone est souvent appelée le « quartier d’août ». L’herbe du bas peut repousser. C’est alors que j’apprends que le gardiennage permet de gérer l’herbe pour les quatre mois d’estive*. C’est là aussi que je comprends l’importance de garder du Net* (prononcer nette) pour pouvoir en donner tous les jours au troupeau, en milieu de journée, afin de le « calmer ». Comme en bas, les jours de chaleur, entre onze et dix-sept heures c’est le moment où les brebis chôment*. Quand elles se trouvent éloignées de la cabane, je reste avec le troupeau, sinon je rentre manger avec les éleveurs quand ils sont là. Le soir, les brebis reprennent la virée* pour rentrer à la couchade* et moi à la cabane. Il ne me reste plus qu’à nourrir le chien du troupeau et me mettre les pieds sous la table quand je ne suis pas seule. Les jours de pluie, le troupeau se lève naturellement plus tard et nous les faisons pâturer dans des zones pas très éloignées de la cabane que nous réservons pour ces jours-là, cela nous permet ainsi de rentrer nous abriter. Le patron me remplace une fois par semaine pour mes congés. J’en profite pour faire mes courses. Nous nous relayons quelques fois, moi le matin et lui l’après-midi, cela me permet de faire ma lessive et de m’occuper de moi.

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À la fin de l’estive, j’ai été acceptée à l’école de bergers-éleveurs du Merle à Salon de Provence. Cours théoriques (agronomie, biologie de l’animal, comptabilité gestion…) et cours pratiques sur le Domaine*. En ce qui concerne la théorie, il faut dire que cela n’a pas été la grande passion (je tricote pendant certains cours !). Trois stages pratiques de trois mois sont prévus pendant la formation. Mon premier stage, pendant l’hiver, je le fais chez un herbassier*, (éleveur de brebis qui loue l’herbe l’hiver en Provence et remonte, en général chez lui, en montagne l’été). Vieux célibataire, il loue une ferme vétuste avec une bergerie, un stock de foin et des terres. Il loge dans une partie des bâtiments et me donne comme chambre un réduit situé plein nord, avec un petit lavabo, comme ouverture un simple fenestron*, et pour dormir, un matelas de paille. Ma chambre qui donne sur la cuisine est voisine de la sienne. Cela ne m’a pas dérangé, mais j’ai appris plus tard par un ancien stagiaire qu’il y avait une chambre plus confortable dans un autre bâtiment.

Ce sont mes premières gardes* dans les fameuses prairies de La Crau : ces prairies riches d’une herbe que l’on ne trouve nulle part ailleurs, protégées par des haies contre le mistral. Cette herbe nourrit et donne du lait riche et en abondance aux brebis, sans aucun autre complément. La méthode de gardiennage, à l’époque, dans ces prés consiste à faire manger, voir maquer* les près de pâtures de la veille et donner une soupade* dans du net* chaque jour. Ce « net » ne devant pas dépasser la