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- 1 - LES MARCHEURS DE CHERBOURG 1993 LE TRIOMPHANT – 2008 LE TERRIBLE Les villes évoluent avec les besoins des hommes et le développement des techniques. Une nouvelle génération d’outils est arrivée vers la fin des années 1980 à la DCAN que beaucoup appellent l’arsenal en notre bonne ville de Cherbourg. La terminologie technique d’alors faisait état du système de transfert. Dans cette communication j’utiliserai le terme de marcheurs qui sont la tête et les jambes de ce nouveau système. 1 L’origine des marcheurs A la fin des années 1970, une nouvelle génération de SNLE plus grands et plus silencieux que les SNLE type Le Redoutable est à l’étude. Dénommés SNLE de nouvelle génération (SNLE NG), leur réalisation a nécessité la modernisation des infrastructures de la DCAN de Cherbourg. Cette opération a été baptisée RSC comme Refonte du Secteur Construction. Pour assurer de meilleures conditions de travail et une productivité accrue en vue de maîtriser le coût de ces nouveaux sous-marins, ceux-ci sont construits à l’horizontale dans le nouveau chantier LAUBEUF. Cette méthode se substitue à la traditionnelle construction sur cale inclinée laquelle, après lancement d’une coque partiellement équipée, se prolongeait par l’achèvement du sous-marin en forme du Homet dans la zone nord de l’arsenal. S’étendant sur 2,5 hectares, le nouveau chantier baptisé Laubeuf comprend deux nefs de hauteur supérieure à 50 m : la nef PL pour préfabrication lourde, et la nef CA pour construction assemblage (voir le schéma initial de la RSC, 1 sortie du SNLE). Il est symboliquement inauguré le 9 juin 1989 lorsque la première section du Triomphant est « mise sur cale » dans la nef CA en utilisant 4 marcheurs. Dans ce chantier, le système de transfert par marcheurs assure les déplacements des sections de sous-marins à l’intérieur de la nef PL, ainsi que de la nef PL à la nef CA où se fait l’assemblage et l’achèvement des sous-marins. Lorsque leur état d’achèvement est suffisant, les sous-marins sont transférés du chantier Laubeuf au dispositif de mise à l’eau ou DME (2-schéma de mise à l’eau) en marchant sur l’esplanade de l’Impératrice au nord du chantier. Mis en service en 1992, le DME aussi appelé ouvrage Cachin, a été la dernière opération de la RSC. Cet ouvrage est constitué d’un bassin dans lequel une plate-forme mobile permet la mise à l’eau ou la mise au sec des sous-marins construits dans le chantier Laubeuf. Le schéma projeté me permet au passage de rappeler la simplicité du fonctionnement archimédien et shadok de cet ouvrage, archimédien par

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LES MARCHEURS DE CHERBOURG 1993 LE TRIOMPHANT – 2008 LE TERRIBLE

Les villes évoluent avec les besoins des hommes et le développement des techniques. Une nouvelle génération d’outils est arrivée vers la fin des années 1980 à la DCAN que beaucoup appellent l’arsenal en notre bonne ville de Cherbourg. La terminologie technique d’alors faisait état du système de transfert. Dans cette communication j’utiliserai le terme de marcheurs qui sont la tête et les jambes de ce nouveau système.

1 L’origine des marcheurs

A la fin des années 1970, une nouvelle génération de SNLE plus grands et plus silencieux que les SNLE type Le Redoutable est à l’étude. Dénommés SNLE de nouvelle génération (SNLE NG), leur réalisation a nécessité la modernisation des infrastructures de la DCAN de Cherbourg. Cette opération a été baptisée RSC comme Refonte du Secteur Construction.

Pour assurer de meilleures conditions de travail et une productivité accrue en vue de maîtriser le coût de ces nouveaux sous-marins, ceux-ci sont construits à l’horizontale dans le nouveau chantier LAUBEUF.  Cette méthode se substitue à la traditionnelle construction sur cale inclinée laquelle, après lancement d’une coque partiellement équipée, se prolongeait par l’achèvement du sous-marin en forme du Homet dans la zone nord de l’arsenal.

S’étendant sur 2,5 hectares, le nouveau chantier baptisé Laubeuf comprend deux nefs de hauteur supérieure à 50 m : la nef PL pour préfabrication lourde, et la nef CA pour construction assemblage (voir le schéma initial de la RSC, 1 sortie du SNLE). Il est symboliquement inauguré le 9 juin 1989 lorsque la première section du Triomphant est « mise sur cale » dans la nef CA en utilisant 4 marcheurs. Dans ce chantier, le système de transfert par marcheurs assure les déplacements des sections de sous-marins à l’intérieur de la nef PL, ainsi que de la nef PL à la nef CA où se fait l’assemblage et l’achèvement des sous-marins. Lorsque leur état d’achèvement est suffisant, les sous-marins sont transférés du chantier Laubeuf au dispositif de mise à l’eau ou DME (2-schéma de mise à l’eau) en marchant sur l’esplanade de l’Impératrice au nord du chantier.

Mis en service en 1992, le DME aussi appelé ouvrage Cachin, a été la dernière opération de la RSC. Cet ouvrage est constitué d’un bassin dans lequel une plate-forme mobile permet la mise à l’eau ou la mise au sec des sous-marins construits dans le chantier Laubeuf. Le schéma projeté me permet au passage de rappeler la simplicité du fonctionnement archimédien et shadok de cet ouvrage, archimédien par les opérations de mise en flottaison, et shadok par les opérations de pompage.

2 L’innovation des marcheurs et la construction à l’horizontale du TRIOMPHANT

La course à la productivité débute à l’ère industrielle de la construction navale et se poursuit de nos jours. Sans rentrer dans des considérations technico-économiques détaillées, ce simple graphique (3-shipbuilding trends) nous montre comment au cours du vingtième siècle, l’accroissement des capacités de manutention des chantiers navals ont permis de réduire les temps de construction et les coûts en divisant par 5 le nombre d’heures pour construire une tonne de navire. D’autres facteurs sont aussi intervenus comme l’emploi de la soudure remplaçant le rivetage. Les responsables du programme des SNLE NG ont fait un calcul de retour sur investissement en comparant, d’une part le coût d’un nouvel agrandissement des cales avec une moindre productivité de construction par la méthode traditionnelle et d’autre part, la création d’un nouveau chantier de construction à l’horizontale, plus coûteux mais générant une meilleure productivité avec une amélioration certaine des conditions de travail. Le graphique joint, établi au cours de la construction et l’achèvement des 2 premiers SNLE NG, LE TRIOMPHANT et LE TEMERAIRE, a confirmé la pertinence de cette décision (4-productivité). Il fallait aussi étudier et faire le choix d’un système de manutention capable de déplacer et de positionner des sections de sous-marins pouvant dépasser le millier de tonnes.

Ce terme de section désigne les parties de la coque constituées par un certain nombre de tronçons ne dépassant pas 400T, capacité du plus puissant pont roulant du chantier Laubeuf. Trois systèmes étaient alors en concurrence.

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Les rails étaient bien connus et leur système validé par le choix des Américains et des Anglais pour leurs chantiers de construction de SNLE. Les rails avaient l’inconvénient de figer les parcours des éléments de sous-marins lors de la construction et de générer des difficultés de circulation pour tous les autres engins du chantier comme le montrent ces planches que l’on aperçoit sur cette vue (5) du chantier de Groton-USA prise en 1981.Un SNLE OHIO à 24 tubes et un SNA LOS ANGELES sont alors en achèvement. Ces deux vues (6) du dispositif de mise à l’eau du chantier britannique de Barrow-in Furness lors de ses essais avec une charge de 900 tonnes en 1986 font apparaître une surface où les déplacements doivent se faire avec quelques précautions.

Les systèmes à glissement avaient fait leurs preuves dans le bâtiment et les travaux publics notamment pour des lancements de ponts d’un tonnage supérieur à celui d’un SNLE NG. Mais les changements de direction nécessitaient des opérations laborieuses peu compatibles avec la recherche de la productivité abordée plus haut.

Les marcheurs conçus par la firme norvégienne TTS (Total Transportation Systems) existaient à cette époque, mais étaient utilisés sur des chantiers construisant des navires de faible tonnage. Le défi était de passer des 1600 tonnes d’alors aux 14 000 tonnes envisagés comme capacité maximum du nouveau chantier Laubeuf. Des observateurs de la DCAN avaient pu se rendre sur le chantier américain de Marinette Marine utilisant 8 marcheurs de 200 tonnes pour assister au déplacement d’un chasseur de mines d’un peu moins de 1600 tonnes. Ils furent séduits par la rusticité de la préparation du sol et par la souplesse d’utilisation du système. La décision de retenir ce système ne fut pas facile à prendre car les tenants du rail disposaient d’un appui de poids en la personne de Gérald Boisrayon, l’architecte naval du TRIOMPHANT. Contrairement à la jeune école de l’amiral Aube et ses inutiles micro torpilleurs, la jeune école des marcheurs apporta un progrès certain comme le relate Pierre Quinchon à la page 36 du livre consacré à l’aventure du TRIOMPHANT; je le cite :

Les marcheurs sont des robots électrohydrauliques qui supportent le sous-marin et le translatent au « pas » de 60 centimètres par minute. Ce système est unique au monde, et la décision de le retenir n’a pas été facile. Ceux qui y étaient se souviendront longtemps de la réunion du 11 décembre 1985 chez le directeur des constructions navales, Jean Barbery. Face à face, les défenseurs du transfert par rails, et les défenseurs des marcheurs. Comme le disait Boisrayon à l’époque, « le rail, on sait que ça fonctionne ! Croyez-en un vieux lecteur de La vie du rail ». Le rail a perdu une bataille ce jour-là et l’histoire a donné raison aux promoteurs des marcheurs.

Cependant, je ne ferais pas croire à cette honorable assistance que les arguments des norvégiens de TTS présentant leur maquette au comité directeur de la RSC avec l’appui de Barbie et de Ken aient bénéficié de la présence de ces derniers pour emporter la décision de ce choix en 1985 (7- Barbie Ken et le marcheur 01). Par contre, en ces temps où tout se mesure à l’aune de la finance, une étude économique de 1988 démontra que les 250 millions de francs, montant total de l’ensemble des fournitures du système de transfert, était inférieur au prix d’un système par rails capable des mêmes prestations, alors évalué à 320 millions de francs. Le contrat fut notifié à un groupement d’industriels comprenant le mandataire du contrat, les ACB (ateliers et chantiers de Bretagne) de Nantes, les Norvégiens de TTS concepteurs des marcheurs et SOGELERG, ingénierie de l’opération RSC.

Pour limiter les risques, le contrat fut scindé en deux, une premier ensemble de 4 marcheurs fut destiné à valider le système et à débuter la construction du TRIOMPHANT, la suite du contrat avec les 32 autres marcheurs devant être notifié après la réussite du premier contrat. Pour l’anecdote sémantique, ce premier contrat fut appelé contrat de présérie car l’emploi du terme de prototype aurait généré une augmentation substantielle de l’assurance responsabilité civile des fournisseurs, lesquels en auraient évidemment répercuté le surcoût. Il n’y a pas de petites économies et dans sa grande sagesse le service des achats ne fit pas d’objection à ce changement de désignation. Le risque de ne pas pouvoir débuter la construction du TRIOMPHANT conduisit le service à s’assurer de la fourniture de 8 marcheurs de 200 tonnes en cas de retard sur la fourniture prévue des 4 nouveaux marcheurs de 400 tonnes et de leurs dispositifs de commande et d’alimentation. Car comme l’a dit Lao-Tseu, lorsque la crainte ne veille pas, il arrive ce qui était à craindre, ou en version shadok, il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien, que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas, ce qui ne fut heureusement pas le cas, l’ensemble arrivant en temps et en heure.

L’essai de réception se fit avec une charge de 400 tonnes utilisée de longue date pour les essais des ponts roulants (8-ligne de supportage de 800 t). L’épreuve consistait à parcourir une

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distance de 240 mètres en moins de 8 heures, représentant la journée de travail prévue pour sortir le sous-marin du chantier Laubeuf et le déposer délicatement sur le DME Cachin. Cette épreuve marcha un peu plus vite que prévu le 17 novembre 1988 dans la nef CA en exactement 5 heures et 24 minutes, puis fut arrosée comme il se doit par l’équipe du groupement industriel dans un restaurant de la rue de l’Abbaye qui s’appelait alors le Grandgousier. La marge qui avait été prise par rapport au planning de construction du TRIOMPHANT, permit aux opérateurs de la DCAN de s’entraîner tranquillement et sans stress avec la charge d’essai en attendant de prendre en charge les précieuses sections du nouveau SNLE. L’événement prévu pour cela le 9 juin 1989 fut la « mise sur cale » d’une section de 500 tonnes (9-mise sur cale 1989), la soute N° 1, à l’emplacement qu’elle occupera dans la nef CA jusqu’à ce que le TRIOMPHANT soit au complet. Cette section sera suivie en octobre de la section du compartiment chaufferie nucléaire (le CCN) qui constitue le cœur du sous-marin, l’une des rares opérations qui donna des sueurs froides à l’ingénieur chargé de l’époque, l’un des marcheurs se mettant à « pédaler dans le vide » jusqu’à ce qu’un des norvégiens de TTS appelé au titre de la garantie résolve le problème en quelques clics sur le bon programme. Ce norvégien fut néanmoins conservé en otage le temps que le CCN soit transféré et positionné à son emplacement définitif pour être soudé à la soute N° 1.

C’est l’occasion de préciser que ce système doit assurer non seulement les déplacements des sections dans le chantier, mais aussi leur positionnement précis en vue de leur assemblage par soudage. Nous y reviendrons dans la description détaillée du système. Une opération de communication eut lieu devant la presse le 5 janvier 1989. Un stylo fixé sur la charge d’essai de 400 tonnes fut utilisé pour tracer un carré de 1 centimètre de coté sur du papier millimétré avec une précision effectivement millimétrique. (10-copie de «La Presse »).

Le premier contrat de présérie ayant permis de valider les résultats attendus, la suite fut notifiée sous forme d’un contrat dit contrat principal pour l’ensemble du système avec 32 autres marcheurs destinés à déplacer et à positionner les plus grosses sections prévues et surtout de transférer LE TRIOMPHANT sur le DME Cachin à la date prévue le 13 juillet 1993. Pour l’histoire, il y eut quelques débats relatifs aux cérémonies devant remplacer le traditionnel lancement. La disparition du lancement et de son cérémonial rôdé de longue date conduisit à une étude particulière intitulée « impact des systèmes sur la cérémonie de lancement » avec deux options bien distinctes.

La première, bien connue et déjà mise en œuvre pour les grands bâtiments de surface, aurait prévu que la cérémonie officielle se déroulât lors de la sortie de forme. Les opérations de marche puis d’enlèvement des marcheurs auraient été des opérations techniques internes à la DCAN remplaçant le blinage de la mise sur cale qui consistait à transférer le navire de ses supports de construction à sa coulisse de lancement avant de procéder à la cérémonie.

La seconde, plus risquée vu la nouveauté du système de transfert par marcheurs, a été décidée par la « jeune école » déjà citée. Elle a consisté à faire la cérémonie au cours de la marche proprement dite, avec un bon déroulement qui n’était pas du tout certain. Une journée portes ouvertes avec démonstration des 4 marcheurs sous la charge d’essais en 1991 fut notamment mise à profit pour rôder l’opération « roue de secours » consistant à remplacer un marcheur défaillant en cours de transfert, ce qui ne fut pas nécessaire le 13 juillet 1993.

Il faut rendre ici un juste hommage à tous ceux qui contribuèrent à ce que cette partie du programme soit un succès, grâce à un travail d’équipe entre l’ingénieur chargé du TRIOMPHANT, les personnels d’INFRA/LOG (service infrastructures et logistique industrielle de la DCAN) et le groupement industriel, les ACB de Nantes, les Norvégiens de TTS et l’ingénierie SOGELERG. Les grands anciens veillaient aussi sur nous en ces lieux portant les noms de Laubeuf, créateur du premier sous-marin opérationnel, et de Cachin sans lequel la façade maritime de Cherbourg ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui.

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3 Description du système de transfert par marcheurs

Comme c’est souvent le cas, les réussites techniques font appel à des idées simples et à la réunion de technologies connues et maîtrisées. Pour ne pas nous perdre dans des détails et dans un jargon de spécialiste, je vais faire appel à quelques schémas décomposant le système de transfert en sous-systèmes dont la désignation est explicitée ici (11-schéma installation 1).

Le sous-système supportage est l’ensemble des éléments mécaniques interposés entre le sous-marin et les marcheurs. Ces éléments mécaniques se composent de lignes de supportage formées d’une poutre comportant 4 vérins à vis recevant les oreilles d’appui des marcheurs articulées à chaque extrémité (12-sous-système supportage-transfert)

Le sous-système déplacement-positionnement est constitué par les marcheurs.Le sous-système alimentation de puissance électrique est constitué par des plates-formes mobiles,

l’une alimentée en 380 V pour 8 marcheurs maximum, et deux autres alimentées en 5000 V avec un transformateur 5000 V / 380 V embarqué sur chacune pouvant alimenter 24 marcheurs maximum, à raison de 25 kW par marcheur. Ces différentes plates-formes assurent la flexibilité voulue dans le chantier selon la taille des sections à transférer. En pleine époque de la guerre froide, ouvrons une parenthèse en notant que les deux plates-formes 5000 V peuvent alimenter jusqu’à 48 marcheurs maximum, ce qui est apparemment un surdimensionnement dans la plus pure tradition du « trop fort n’a jamais manqué ». Les projets de SNLE NG avaient envisagé d’aller jusqu’à 20 tubes lance missiles. La RSC et donc le système de transfert devaient prévoir une éventuelle possibilité d’extension des sous marins à construire pouvant aller jusqu’à 24 tubes et 16 000 tonnes comme les SNLE OHIO américains. Le prix d’un transformateur 5000 V / 380 V n’étant pas proportionnel à sa puissance il fut décider d’incorporer cette possibilité d’extension dès la construction sous-système alimentation de puissance électrique. C’est la seule trace matérielle de cette extension avec la page 21 du livre consacré à l’aventure du TRIOMPHANT et ses quelques lignes relatives au projet NF1 à 20 tubes.

Le sous-système contrôle commande gère l’ensemble des mouvements à partir d’un pilote central commandé par l’opérateur agissant sur l’ensemble des pilotes locaux des marcheurs.

Le sous-système liaisons comprend la distribution électrique de puissance, les liaisons de l’informatique de commande entre le pilote central et les pilotes locaux et des liaisons hydrauliques assurant une suspension trois points. La suspension hydraulique trois points consiste à relier trois groupes de marcheurs par des flexibles égalisant les pression dans les vérins de chacun des marcheurs d’un groupe.  Chaque groupe se comporte comme un unique vérin fictif et le colis, section ou sous-marin, repose isostatiquement sur ces trois points fictifs qui sont en fait une série de supports tous à la même pression hydraulique. Cela évite en particulier d’exercer des efforts excessifs sur la coque et permet aussi de respecter la loi de Phoeni-Rincquer. Cette loi est relative au supportage des coques résistantes de sous-marins en construction et son exposé sort du cadre de cette communication.

Le système de transfert est complété par quelques outillages spécifiques comprenant un banc de test sous charge des marcheurs et deux tables élévatrices pour la mise en place des poutres et des oreilles sous la coque.

Sur ce schéma (13-ligne= section sur 4 marcheurs) on voit sous la section un ensemble reliant les marcheurs 2 à 2. On l’appelle sous-système ligne de déplacement, formé d’une poutre centrale munie de 4 gros vérins à vis et recevant à chaque extrémité des appuis articulés appelés oreilles venant reposer sur les marcheurs. La poutre et ses 2 oreilles comportent à leur partie supérieure des emplacements pour des calages en bois sur lesquels reposera la section de coque (14-poutres nues). Sa capacité utile est de 800 tonnes. En cas de défaillance d’un ou plusieurs marcheurs, les vérins à vis des poutres reprendraient la charge après une « chute » de quelques centimètres ne risquant pas de causer le moindre dommage à la coque.

Revenons au contrôle commande et aux marcheurs qui sont donc la tête et les jambes du système. Un marcheur comporte une structure mécanosoudée en forme de croix avec 4 vérins de reprise et un gros vérin central. Entre les branches de la croix sont disposés le groupe électrohydraulique, le réservoir de fluide hydraulique, le bloc des automates du pilote local et les diverses liaisons entre ces équipements. La charge est reprise par la tête du vérin central dont le piston reçoit un pied rotatif à rotule permettant la marche dans toutes les directions grâce aux deux parties d’une table de roulement à galets d’une course de 55 centimètres. La partie inférieure de la table repose sur 8 plots en

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élastomère fixés sur la robuste semelle en acier moulé permettant la marche sur un sol même un peu inégal et le franchissement d’obstacles. Pour passer du sol à la plate-forme du DME, le marcheur devait pouvoir franchir une marche spécifiée de 3 cm de haut avec un fossé de 10 cm. Les patins en élastomère permettent à la table de roulement d’effectuer des mouvements fins par rapport à la semelle donc par rapport au sol. 4 paires de petits vérins orthogonaux assurent ces mouvements dont on a vu plus haut avec la Presse qu’ils étaient d’une précision millimétrique. Faisons à nouveau appel à Ken qui joue au mécanicien-hydraulicien sans Barbie avec la maquette de TTS pour nous montrer ces organes du marcheur assurant les divers mouvements (15 et 16-maquette marcheur 01-A & B). On voit le gros vérin central vertical blanc reposant sur la rotule centrée sur la partie supérieure de la table de roulement bleue. Un ensemble de galets blancs permettent à la partie supérieure de la table de rouler sur la partie inférieure sous l’action de deux vérins latéraux. Le rail de guidage engagé dans la gorge au milieu de chacun des deux jeux de galets leur impose une translation rectiligne. Les vérins latéraux assurent la « marche » lorsque la table supérieure fait un pas de 55 centimètres en roulant sur la table inférieure sous leur poussée. La partie inférieure bleue de la table repose par l’intermédiaire de 8 plots en élastomère sur le patin rouge qui transmet la charge au sol; ce patin rouge est une robuste pièce en acier moulé qui pèse près de 3 tonnes à elle seule.

Regardons maintenant ce schéma (17-schéma transfert 2002) pour voir comment la marche s’effectue à altitude constante, les vérins verticaux étant positionnés au voisinage de leur mi-course. La charge repose sur les 4 vérins extérieurs et sur le vérin central dont le pied est centré Les vérins extérieurs sont remontés, le vérin central reprend la charge et la table de roulement

assure la marche en roulant d’un pas sur la semelle sous l’effet de 2 vérins de déplacement Les vérins extérieurs sont descendus et reprennent la charge, le vérin central est remonté, le pied

central est recentré par les vérins de déplacement avant d’être redescendu pour reprendre le cycle.Ces mouvements sont gérés par l’échange d’informations entre les capteurs de position et de

pression des différents vérins et le pilote local de chaque marcheur d’une part, et d’autre part l’échange d’informations et d’ordres entre chaque pilote local et le pilote central sur lequel l’opérateur peut agir tant que le troll est debout (18-PC avec 1 troll). Le troll, lutin du folklore norvégien ressemblant à nos goublins, doit être posé sur le PC pendant tout mouvement comme l’a recommandé TTS.

Un journaliste de La Presse de la Manche ayant saisi le troll pour l’observer de plus près au cours d’un mouvement, le système s’est mis en alarme et tout s’est immobilisé. Cette anecdote nous rappelle qu’il faut un peu de magie mais surtout beaucoup de rigueur et de travail afin que l’homme soit bien le seul pilote à bord pour la mise en oeuvre du système (19-PC avec trolls). Nous savons que l’enseignement et l’éducation font partie des outils nécessaires à l’acquisition de la rigueur par le travail pour que l’homme soit bien le seul pilote à bord des systèmes complexes. Sachez donc que la plupart des documents utilisés pour cet exposé proviennent d’un CD rom qui me fut offert par un stagiaire que j’avais parrainé en 2002. Nous l’avions accueilli à la DCN au moment de la préparation du transfert du VIGILANT. Il a ensuite brillamment réussi la présentation de son rapport de stage et obtenu son diplôme à l’IUT de Cherbourg. Ses parents sont maintenant rassurés sur son avenir puisqu’il travaille chez EDF.

Prenons l’exemple d’une section de sous-marin, le colis à transférer et à positionner afin de poursuivre la description du système.Lors de la mise en place des poutres, des oreilles, des marcheurs et des liaisons sous le colis, la configuration du système est rentrée dans le pilote central (20-vues écran) qui prend en compte : le pas, c'est-à-dire la distance entre poutres, le pas nominal étant de 5 m ; l’adresse, c'est-à-dire l’identité de chaque marcheurs et les zones de supportage de la suspension

trois points où se trouve chaque marcheur.Les paramètres de pression donnent un recoupement des caractéristiques du colis, masse et

position du centre de gravité, fournies par le bureau d’études. Il est ensuite possible de sélectionner le mouvement de transfert ou de positionnement du colis (21-schéma déplacements). Le transfert en ligne droite est le plus simple, tous les pieds des marcheurs ont la même orientation avec un angle donné par rapport à l’axe du colis, zéro degré pour un mouvement longitudinal par exemple. Si l’on veut effectuer une rotation par rapport à un point donné, il faut rentrer ce point en coordonnées polaires donc une distance et un angle rapportés au barycentre du système. Le mouvement de rotation

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est obtenu en donnant au pied de chaque marcheur l’orientation nécessaire calculée par le pilote central. La faible variation de trajectoire entre l’arc théorique et la corde représentée par la table de roulement est absorbée par la déformation des plots en élastomère du pied central.

Les mouvements de positionnement (22-schéma positionnement) en x et en y dans le plan horizontal se font en orientant les pieds centraux dans la direction voulue, le positionnement fin se faisant avec les petits vérins orthogonaux déjà mentionnés. Les positionnements angulaires se font par mouvements différentiels verticaux en z en agissant sur les trois zones de supportage ou sur l’ensemble des marcheurs d’un même bord. C’est ce qui permet au système d’assurer avant sa jonction par soudage, le positionnement d’une section suivant six degrés de liberté avec une précision de l’ordre de 0,5 mm mesurée au niveau de la génératrice inférieure appelée la OH. Cette précision était nécessaire pour assurer la réalisation d’une coque résistante aussi proche que possible de son modèle mathématique théorique.

L’ensemble de ce système sous la conduite d’opérateurs motivés et d’un groupement d’industriels compétents permettra d’assurer les prestations attendues sans contribuer à augmenter les soucis des responsables de la construction et des essais du TRIOMPHANT, qui avaient largement leur dose par ailleurs. La marche du TRIOMPHANT le 13 juillet 1993 sera la conclusion satisfaisante d’un petit programme au service d’un grand programme. (23-sortie TRIOMPHANT 1993)

4 Quelques anecdotes en conclusion

Il serait immodeste de la part de l’un des responsables de ce programme de vous assurer que tout s’est bien passé comme on le dit parfois au restaurant. Les retours d’expérience se nourrissent des difficultés rencontrées chemin faisant, surtout lorsque l’addition ne s’en ressent pas trop, car Confucius l’a dit : rien n’est sans conséquence, en conséquence, rien n’est gratuit.

La première difficulté survint dès le début des essais avec le premier poste de commande et d’alimentation dont la motorisation de la plate-forme n’était pas au rendez-vous. En utilisant une remorque et un tracteur agricole puisés dans les stocks des généreux moyens généraux de la DCAN, les essais purent débuter conformément au planning pour le parcours de recette en nef CA effectué en 5 heures et 24 minutes (24- motorisation de circonstance). Il arrive parfois que la loi de Murphy, en français loi de l’emm. maximum, ne soit pas au rendez-vous. Ce fut le cas de ce marcheur victime d’une douloureuse foulure de ses ligaments hydrauliques juste après la mise sur cale du 9 juin 1989, et non avant, alors qu’aucun marcheur de rechange n’était encore disponible (25-vue incident chaîne porte câbles 1989). L’exploitation à 4 marcheurs avec un contrôle commande transmettant ses signaux sous 24 volts incita TTS à passer à 110 volts pour être sûr que les marcheurs situés en bout de ligne continueraient à obéir, ce qui fut confirmé au cours de la construction du TRIOMPHANT puis de son transfert. Les 2 marcheurs de secours qui seront à leur poste d’attente le 13 juillet 1993 n’auront pas à être mobilisés bien que quelques révisions ultimes aient été nécessaires lors des premiers mouvements l’avant-veille et la veille de la cérémonie (26-marcheurs et marteaux 1993).

Le dimensionnement du chantier Laubeuf pour des SNLE allant jusqu’à 14 000 t avait conduit à prévoir 40 marcheurs à l’origine avec possibilité d’extension à 48 comme je l’ai indiqué précédemment. Ce nombre fut réduit à 36 lorsque l’avancement des études du TRIOMPHANT montrèrent que sa masse au transfert n’excèderait pas 11 000 tonnes, 34 marcheurs étant alors suffisants avec 2 rechanges en réserve. Cette décision d’économies fut un peu hâtive puisque les SNLE suivants ont ensuite pris du poids au moment du transfert, étant plus avancés dans leur équipement. Pour assurer le transfert du TEMERAIRE nécessitant 36 marcheurs alors que la série des 32 marcheurs avait été livrée, il fut alors nécessaire de commander 2 marcheurs de plus, dont la reprise de fabrication augmenta considérablement leur prix unitaire.

Le système démontrera sa flexibilité en assurant des transferts qui n’avaient pas été prévus dans le cahier des charges initial. Je citerai, entre autres :

-le transfert en août 1998 de l’AGOSTA Pakistanais (27- transfert SMP 1) ;-le transfert en octobre 2007 du premier SCORPENE Malaisien (28- transfert SMA 1).Qui peut le plus peut le moins, ce qui fut le cas en utilisant les marcheurs (29-29 bis-retour

carlingage GMS1) comme simples vérins de levage avec la bonne vieille méthode des calages successifs alternés. Le colis était ici le carlingage du GMS 1, lourde structure de 175 tonnes ayant servi à transporter et positionner le groupe moteur de série n° 1 pour son montage dans le

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TRIOMPHANT en utilisant 4 marcheurs pour l’ensemble à son arrivée d’Indret. Livré par Indret, il devait y retourner pour recevoir le GMS 2 destiné au TEMERAIRE. L’utilisation des marcheurs et de la plate forme automotrice Nicolas appartenant à la DCAN ont évité le frais de location d’une grosse grue pour l’embarquer en vue de son voyage de retour.

L’électronique vieillit plus vite que l’hydraulique et la mécanique, aussi fut il nécessaire d’effectuer une refonte des automates du pilote central et des pilotes locaux avant le transfert du VIGILANT en 2002. (30-schéma refonte automates 2002). Depuis, les américains continuent de mettre des planches sur les rails de leur chantier (31-sortie en 2004 du Jimmy Carter à Groton) alors que les marcheurs continuent de marcher sur le béton du chantier Laubeuf et la tôle de la plate-forme du DME Cachin. Ils ont ainsi contribué à la construction du TERRIBLE et à son transfert en 2008 comme ils l’avaient fait à leur arrivée à Cherbourg pour le TRIOMPHANT et continueront de le faire pour les SNA BARRACUDA.

Je vous remercie de votre attention.

Richard NGUYEN HUU (autrefois dit LONG) Secrétaire adjoint de la Société Nationale Académique de Cherbourg

1993 LE TRIOMPHANT 2008 LE TERRIBLE Photo DCN Mer et Marine.com