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. Contribution à une histoire du mouvement révolutionnaire La Gauche Communiste Internationale La Gauche Communiste Belge (1921 - 1970) Michel OLIVIER

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. Contribution à une histoiredu mouvement révolutionnaire

La Gauche Communiste Internationale

La Gauche Communiste Belge(1921 - 1970)

Michel OLIVIER

Contribution à une histoire du mouvement révolutionnaireLa Gauche Communiste Internationale

La Gauche Communiste belge (1921-1970)

sommaire

1 INTRODUCTIONQu’est ce que la Gauche communiste ?

5 Chapitre IUn parti communiste dirigé par la Gauche (1921–1928)

13 Chapitre IIDans l’Opposition de Gauche internationale (1928–1931)

26 Chapitre IIILa Ligue des Communistes Internationalistes (1931–1937)

36 Chapitre IVLa Gauche Communiste Internationale (1937–1940)

43 Document : Déclaration de principes de la Fraction belge(Communisme numéro 1, avril 1937)

47 Chapitre VDe la reconstruction de la GCI (1941) aux années 1970

53 Document : Le problème de la guerre,(Jehan, Cahiers d’étude de la LCI, 1935)

66 BIBLIOGRAPHIE CIBLEE

Adresse postale : Michel OLIVIER 7 rue Paul Escudier - 75009 PARIS, FRANCE

Cette édition au format « pdf » est réalisée et diffusée par le Collectif SMOLNY ( www.collectif-smolny.org )

Pour toute correspondance : [email protected]

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Introduction

Qu’est ce que la Gauche communiste ?Les lecteurs sont en droit de demanderune définition de la Gauche communisteà une époque où il est de bon ton de neposséder aucune certitude, où tout estfrelaté du fait d’un doute généralisé danstous les domaines et généré par uneculture bourgeoisie sans avenir. Cedoute est de plus largement accompagnéd’une grave inculture qui permet de toutmélanger : les concepts ont tendance àperdre leur réelle signification ce quipermet à des écrivassiers de la trempe deMonsieur Bourseiller (1) de tenter de re-grouper sous la même étiquette laGauche communiste et l’ultra gauche ycompris des composantes du mouve-ment anarchiste.

La Gauche communiste est tout à faitparticulière, elle possède une histoire,elle se rattache au mouvement ouvrier etau combat critique mené par les courantsde "gauche" au sein de la 3ème Internatio-nale. Voici toute la différence qui existeentre un courant ouvrier qui se réclamede toute une continuité politique et des"modernistes" qui croient avoir tout in-venté, le jour de leur éveil à la politiqueet qui ne veulent surtout pas se rattacherà l’histoire du mouvement ouvrier. Entant que courants petits bourgeois, ilsmanifestent une grande prétention car ilscroient tout connaître et tout avoir vu.

On peut nous dire… Et alors ? On peutbien posséder des idées neuves et justes.C’est bien là le problème.

Nous ne cherchons pas ici à faire delongs développements sur la question, ilsuffit de faire uniquement un très rapidebilan des courants dits "ultra-gauches"qui n’ont pas souhaité se rattacher auxGauches communistes dans les années1960 pour comprendre l’inanité de cesindividus. Où sont-ils aujourd’hui ? Quesont-ils devenus ? Par contre les groupesde la Gauche communiste qui ont unelongue histoire et qui ont mené un com-bat long et patient pour comprendre ladéfaite de la révolution russe et pour dé-

1. Christophe Bourseiller, Histoire générale de‘l’ultra-gauche’, Denoël, Paris, 2003. Histoire gé-nérale, on mesure déjà la prétention du titre. Maisaussi cette enquête ressemble à s’y méprendre àun document de police. On répertorie minutieuse-ment le parcours et le nom de chacun des mili-tants de ces courants. Par contre, les positions po-litiques défendus par les différents groupes sont lecadet de ses soucis et, les adresses des différentsgroupes, au cas où le lecteur chercherait à se do-cumenter, sont totalement absentes. (!!!)

fendre les positions révolutionnaires,sont encore et toujours présents sur lascène de l’histoire. Ils existent toujourset, c’est encore plus vrai pour lesgroupes se réclamant de la Gauche com-muniste italienne. On trouve parmi cesgroupes, le Parti Communiste Internatio-naliste (PCint), le Parti CommunisteInternational (PCI) et même le CourantCommuniste International (2) (CCI) quisont toujours des acteurs de l’histoire ausein de la classe ouvrière.

Par contre, que sont devenus, parexemple, les Situationnistes et leurdescendance "pro-situs" ? Avec beau-coup de prétention, ils traitaient lesGauches communistes comme de veillesbarbes traînant avec eux de vieilles idéesréchauffées. Leur habitude est bien de secroire les seuls révolutionnaires parceque possédant des idées neuves et s’ar-rogeant le droit de parler « du nouveaumouvement ouvrier ». C’est ainsi qu’ilsrejettent « aux poubelles de l’histoire »,les courants révolutionnaires et notam-ment ceux qui ont su développer de fa-çon critique la théorie révolutionnairemalgré la réaction stalinienne.

Un exemple de cette outrecuidance,nous direz-vous ?

« Malgré leur très grand intérêt histo-rique et programmatique, les conseilsouvriers du passé sont évidemment desexpériences insuffisantes. (...) Nous n’a-vons d’aucune façon à nous y ranger ;mais à la déranger, dès à présent. (…)Ce ne sont pas tant les situationnistesqui sont conseillistes, ce sont lesconseils qui auront à être situation-nistes. » (3)

Nous n’avons pas la prétention d’inven-ter l’histoire ou d’être des innovateurssociaux. Nous, contrairement aux Situa-tionnistes, nous ne connaissons que laméthode historique pour tirer des leçonsainsi que la réalité de la classe ouvrièreavec sa lutte comme moyen de dévelop-per la théorie du prolétariat. A notreconnaissance, il n’y a pas eu d’expé-riences plus avancées que la révolutionrusse pour amener de nouvelles expé-

2. CCI : Mail Boxes 153, 108 rue Damrémont,75018 Paris ; PCI : Editions Programme, 3 rueBasse Combalot - 69007 Lyon ; PCInt, BattagliaComunista,CP : 1753, 20100 - Milan , Italie.3. Texte interne rédigé par Guy Debord : Notespour la réunions des sections française et ita-liennes, mars 1970.

riences sur les conseils ouvriers et pouren tirer des leçons. Toute autre visionqui voudrait en faire l’impasse, ne pour-rait que procéder de l’idéalisme. L’idéa-lisme se caractérise par des élucubra-tions sur une question. Ici, on nous dit,par exemple, « les conseils auront à êtresituationnistes. » Personne ne peut direcomment se déroulera la lutte de classeau-delà des conseils ouvriers et surtoutlui donner des injonctions comme : lesconseils doivent être ceci ou cela et secomporter « en situationnistes ». L’-histoire nous a appris que les conseilsouvriers seront souverains, qu’ils sont laforme du nouveau pouvoir politique dela classe ouvrière et qu’ils imposerontleur pouvoir sur la bourgeoisie en détrui-sant son Etat. Voilà ce que les marxisteset la Gauche communiste ont tirécomme leçons de la révolution russecomme dernière révolution prolétariennede l’histoire. Avec l’arme historiquec’est uniquement cela qui pouvait êtretiré concrètement à partir des faits réels.La Gauche communiste sait que demainles conseils repartiront de cette expé-rience inestimable de la classe ouvrièreet qu’ils répondront aux nécessités de lalutte de classe au moment où la classeouvrière les fera à nouveau surgir.

Nous venons de définir la Gauche com-muniste comme un courant historique,celui qui représentait la gauche de la 3ème

Internationale. Ainsi, en tant que courantde gauche du mouvement ouvrier, il a puexister et se maintenir qu’en s’y rattac-hant fortement tout en en faisant sa cri-tique politique. La notion de continuitéorganique d’avec le mouvement ouvrierdu passé est fondamentale pour com-prendre la notion de Gauche com-muniste.

Tous les partis communistes, à leur nais-sance, possédaient des courants oppor-tunistes centristes et aussi de gauche.Deux principaux courants de gauche onttraversé le XX° siècle : celui qui se rat-tache à la Gauche italienne et celui quise rattache à la Gauche communiste ger-mano-hollandaise. La gauche italiennedont les premiers pas remontent avant laguerre de 1914, est à l’origine de lacréation du PCI en 1921 à Livournequ’elle dirige jusqu’à son exclusion. Ellen’est malheureusement connue que parson principal animateur : Amadeo Bor-diga. La Gauche germano-hollandaise

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est identifiée à ses principaux théori-ciens qui étaient déjà reconnus sous la2ème Internationale : Pannekoek et Gor-ter. Elle est aussi identifiée à travers leKAPD (Parti communiste ouvrier d’Al-lemagne) qui était aussi important, ennombre, que le Parti communiste officiel(KPD). Les deux courants ont été criti-qués par Lénine dans son ouvragemaintenant fameux : La maladie in-fantile du communisme, le gauchisme.

En tant que Gauches communistes, ellesont dès la fin des années 1920 mené uncombat contre la dégénérescence de l’ICet de sa bolchevisation. Les deuxGauches ont eu une postérité théoriqueet politique très importante. Leur apportthéorique et critique est fondamentalpour le mouvement ouvrier moderne :sur la question du capitalisme d’Etat enURSS ; sur la question de l’Etat dans laphase de transition au communisme ; surla question des conseils ouvriers ; sur laquestion nationale ; sur la question syn-dicale ; sur la question organisation-nelle ; sur la question parlementaire etélectorale et enfin sur la question écono-mique.

Notre propos ici est de traiter d’une ten-dance méconnue : la Fraction belge de laGauche communiste qui s’est rappro-chée dans les années 1930 de la Gauchecommuniste italienne (GI). Elle estméconnue car on a l’habitude de l’en-glober purement et simplement dans laGI.

Il reste une dernière précision à donneren distinguant la Gauche italienne deTrotski. Nous distinguons volontaire-ment Trotski du trotskisme. Les épi-gones de Trotski, en fondant le couranttrotskiste, l’ont amplement trahi ensystématisant ses erreurs politiques : surla nature de l’URSS, la nature des PC etdes PS, en faisant de l’entrisme dans cecourant : deux courants qui ont successi-vement trahi la classe ouvrière au coursde la première et de la deuxième guerremondiale, etc…

Trotski a toujours considéré Bordigacomme proche de ses positions et no-tamment dans la bagarre contre la dégé-nérescence de l’IC. Il a cherché à le faireévader des griffes de Mussolini en affré-tant et payant la location d’un bateau (4).

4. Lettre de Rosmer du 23 novembre 1929 à Trots-ki citée dans Correspondance L. Trotski Alfred etM. Rosmer, page 87. « Ce qui motivait la visitede leur envoyé, c’est leur inquiétude au sujet deBordiga. Vous savez qu’il a été libéré le 4 no-vembre. Or ils sont toujours sans aucune nouvelle(il s’agit des camarades italiens de Prometeo). Ilsont donc décidé d’envoyer un camarade sur placepour savoir exactement ce qui se passe et il m’ademandé l’aide promise. Ils estiment que la

Il lui a dédié son livre (5) L’IC aprèsLénine.

La Fraction italienne a travaillé avecTrotski jusqu’à son exclusion par ce der-nier de l’Opposition Internationale deGauche en 1933. Ensuite les routes ontdivergé.

En résumé comment peut-on caractériserun groupe politique appartenant à laGauche Communiste ?

Il doit mettre en œuvre trois caracté-ristiques :

1/ faire une critique de gauche des posi-tions politiques et théoriques de la 3ème

Internationale ;

2/ se rattacher au combat des Fractionsde gauche de la 3ème Internationale et as-sumer un lien organique avec ces der-nières, notamment se concevoir explici-tement comme continuateur desGauches communistes italienne ou ger-mano hollandaise.

3/ se reconnaître d’une façon critique duprogramme de la 3ème internationale paropposition au trotskisme qui reprend in-tégralement les quatre premiers congrèsde l’IC. Si l’on prend l’exemple de laGauche communiste italienne, cette der-nière se rattache uniquement et de façoncritique aux deux premiers congrès del’IC.

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somme nécessaire pourrait s’élever jusqu’à 10mille francs. Comme ils n’avaient pas besoin dela totalité tout de suite, j’ai remis ce qui était im-médiatement nécessaire et je compléterai à me-sure. »5. Lettre de Trotski du 15 avril 1929 à MauricePAZ (Houghton Library), citée dans les Œuvresde L. Trotski (Tome III, 2ème série) page 153.« J’envoie la préface de mon livre sur l’IC. Jepropose deux titres : ou L’IC après Lénine ou LesGrands Organisateurs des Défaites, avec en soustitre ‘la direction du Comintern après Lénine’.J’ai dédié ce livre à Amadeo Bordiga. La préfaceest devenue plus importante que je ne pensais.. .»

Quel est l’intérêtd’une l’histoirede la Gauchecommuniste belge ?D’abord sa longévité est remarquable,elle court de la première guerre mon-diale aux années 1970. Par ailleurs, sielle se rattache à la Gauche italienne, ilest clair qu’elle exprime une forte per-sonnalité qui s’est enrichie au contact decette dernière tout en lui apportant beau-coup.

1. Les situations concrètes

La Gauche italienne pendant l’entredeux guerres n’a eu de cesse que de rap-peler aux autres Oppositions dans lesdifférents pays qu’elles devaient être enprises avec leur situation nationalepropre si elles voulaient devenir lescadres donnant naissance aux futures or-ganisations communistes en remplace-ment des Partis communistes dégé-nérescents.

Les « conditions générales sur le partidoivent se greffer sur les conditionshistoriques des situations particulières »(souligné par nous) ou, « les problèmesde la tactique (…) ne peuvent être réso-lus que par un organisme qui pose sessources dans le mécanisme de la luttedes classes... » (6)

La GI précise encore plus nettementquelle était sa méthode pour résoudre lacrise communiste survenue après la ré-volution russe. « Sa collaboration (cellede la Ligue) avec la Fraction Italienne,en déterminant un élargissement de sabase de travail, la venue de nouveauxéléments restés sur l’expectative ou pro-venant du groupe trotskiste, détermi-nèrent une atmosphère de discussionsoù les problèmes essentiels du mouve-ment communiste furent affrontés, tantsur le terrain international que sur leterrain spécifiquement belge. Au coursde ces discussions, qui eurent pour ma-tière l’évolution de la Russie et la nou-velle situation internationale et belge(idem), des divergences apparurent et secristallisèrent peu à peu dans l’opposi-tion des deux courants qui trouvaientpourtant encore une base commune detravail. » (7) (souligné par nous)

6. Lettre de la Fraction italienne à la Ligue desCommunistes internationaliste, dans le Bulletin dela Fraction de gauche du PCI n°6, février 1933.7. La GI disait la même chose pour la constitutiond’une Fraction de gauche en France « Pour nous,il est clair que les difficultés actuelles ne pourrontêtre surmontées qu'à une seule condition. Il fautque l'Opposition unifiée s'attelle à la tâche ardueet difficile qui consiste à se relier aux traditionsrévolutionnaires en France et à reprendre l'hé-

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Ainsi, la Fraction belge qui était enprises avec la situation belge a été un la-boratoire très efficace pour la GI quimalheureusement était coupée de la si-tuation italienne puisque ses militants setrouvaient en exil répartis dans plusieurspays du monde. La Gauche italienne re-connaît ainsi l’expérience inestimablequ’elle a pu acquérir aux côtés de laFraction belge.

Voilà ce qu’écrivait la Fraction italienneen 1937 au moment de la création de laFraction belge et de la séparation d’avecla Ligue des communistes internationa-listes qui s’était fourvoyée dans le sou-tien au POUM.

« Notre organisation n’éprouve aucunepeine à constater qu’avec un courantqui s’est précipité dans le giron ennemi,une collaboration de plusieurs années aété toutefois possible. Par contre, notrefraction constate l’utilité de cette colla-boration qui lui a permis de profiter desexpériences accumulées par laLigue. » (8) (souligné par nous)

Tout cela fait de la Gauche communistebelge (GCB) un groupe très attachant,une véritable école de communisme.

Mais encore cet aspect, très vivant, del’expérience de la GCB belge est encoreintéressant aujourd’hui pour les nou-velles générations car elle nous permetde suivre, face à tous les événementshistoriques de l’entre deux guerres et au-delà, le questionnement des révolution-naires et leurs réponses. C’est une leçonpolitique ainsi qu’un concentré d’-histoire prolétarienne en face de l’-Histoire "officielle" écrite par les plumi-tifs de la bourgeoisie. L’histoire écritepar le sang et les larmes de notre classeest beaucoup plus instructive.

2. Les développements théo-riques et politiques

Avec la GCB on aborde la question del’unité dans les luttes. Dans les années1920-30 elle se traduit par la défense del’unité syndicale contre toutes les or-ganisations qui cherchent à s’inféoderles syndicats comme cherchent à le faireles partis staliniens ou socialistes. LaGCB a eu pendant toutes ces années uneintervention juste et décidée dans toutesles luttes aux côtés de la classe ouvrièrepour défendre ses intérêts et son unité.

roïque héritage des Communards de 71 » dans leBulletin préparatoire de la Conférence politiquede l'Opposition communiste de gauche. (Avril1933) reprint dans la Gauche communiste enFrance, brochure du CCI.8. Résolution de la Commission exécutive de lafraction italienne, in Communisme n°5, 25 août1937.

Souvent, pour les théoriciens enchambre, il n’est fait état que desquestions purement théoriques. Et ceuxqui se transforment en théoriciens enchambre deviennent « une secte isoléed’académiciens politiques n’apportantaucun élément positif dans la lutte desclasses. » (9)

Pour les révolutionnaires, la théorie nepeut que se traduire en actes ; c’est ainsique l’unité de la classe, la question del’unité syndicale ou la question parle-mentaire ne sont pas que des questionstactiques ; elles ont également uneimportante portée théorique. La CGB enest l’exemple vivant, c’est à partir dedésaccords électoraux qu’une diver-gence naît au sein de la Ligue des Com-munistes Internationalistes pour aboutirà la création d’une fraction laquelle don-nera un peu plus tard naissance à laFraction belge. (10) Mais effectivement laGCB a aussi fait un énorme travail surles questions : économiques, de l’Etat dela période de transition au socialisme, ducontenu du socialisme, ou de la guerreimpérialiste comme l’écrit la Gauchecommuniste italienne :

« Les problèmes essentiels du mouve-ment communiste furent affrontés, tantsur le terrain international que sur leterrain spécifiquement belge. Au coursde ces discussions, qui eurent pour ma-tière l’évolution de la Russie et la nou-velle situation internationale et belge,des divergences apparurent et secristallisèrent peu à peu dans l’opposi-tion des deux courants (de la LCI) quitrouvaient pourtant encore une basecommune de travail. Sur la Russie, leproblème de la guerre (guerre d’Abyssi-nie), sur la démocratie (Plébiscite de laSarre), sur les élections, la gauche so-cialiste et, enfin, sur le problème duparti. » (Octobre n°1)

3. Le rôle de la Fraction belgedans la renaissancede la Gauche communiste inter-nationale

L’histoire du mouvement ouvrier se bâtitautour de ses éléments les plus avancés,ses fractions les plus à gauche. C’estainsi que la reconstitution de la GCI àMarseille a pris corps, en grande partie,autour des idées de la minorité de laFraction belge et des idées défenduespar Jehan (11) sur la guerre impérialiste et

9. Communisme numéro 1, 1937.10. Numéro 9 du Bulletin de la LCI septembre1936.11. De son vrai nom Mélis dit Jehan. Il était fondéde pouvoir à la Westminster Bank. Il a étémembre de la Ligue des Communistes Internatio-

la mise en évidence pour le capitalismesénile ou décadent de la nécessité impé-rative de la guerre pour survivre.

C’est pourquoi nous publions en annexede ce travail la brochure de Jehan surLes problèmes de la guerre. Ce docu-ment de réflexion a été publié en 1935.La justesse de ses démonstrations a étéamplement validée par l’histoire. Il aparfaitement prévu à l’avance le dérou-lement des événements jusqu’à la guerreimpérialiste pour en conclure la poli-tique à mettre en oeuvre du point de vuedu prolétariat contre la guerre impéria-liste. Les conclusions du texte sont lar-gement valables encore aujourd’hui.Bien sûr quelques idées contenues dansce document devraient être actualisées.Il serait nécessaire de revoir lesconséquences sur l’impérialisme et laguerre dans la partie qui traite de la poli-tique coloniale des Etats impérialistes. Ilserait aussi nécessaire de relativiser lavision donnée de la viabilité d’autresEtats impérialistes indépendants dans lemonde. Effectivement, on peut, peutêtre, dire qu’un nouvel Etat, la Chine, apu s’affranchir des grandes puissancesimpérialistes ce qui reste à démontrer.Dans tous les cas, c’est une question quine se traite pas aussi facilement et quimérite d’être étudiée sous tous sesaspects.

Ces réflexions ne remettent nullement encause la validité intrinsèque du docu-ment.

Avant de terminer ce paragraphe sur laquestion du capitalisme sénile ou déca-dent, nous souhaitons souligner la dif-férence qui existe entre la notion decapitalisme décadent chez Jehan et cellede Trotski qui confond cette période devie du capitalisme sénile avec la notionimbécile d’ « arrêt des forces produc-tives » (Trotski)

Jehan est clair. Pour lui, le capitalismecontinue toujours à développer sesforces productives même au cours de sapériode de sénilité et de décadence :

« Entré dans sa crise générale, le capi-talisme mondial, loin de poursuivre l'ex-pansion de ses capacités productives, sevit contraint de les comprimer, de lesadapter à sa phase de dégénérescenceen procédant "pacifiquement" à desdestructions de valeurs d'échange et decapitaux, prélude à la destruction vio-

nalistes puis de la Fraction belge et délégué pourcelle ci au Bureau International de la Gauchecommuniste internationale, décédé dans un campde concentration allemand pendant la deuxièmeguerre mondiale.

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lente et sanglante dans la guerre impé-rialiste.La décadence capitaliste n'a évidem-

ment pas mis fin à la destruction deséconomies pré-capitaliste. Dans les co-lonies se poursuit toujours la désagré-gation des communautés primitives, deséconomies domestiques, de l'artisanatpaysan et leur incorporation à l'écono-mie marchande. On peut même dire que

le rythme de cette désagrégation seprécipite dans la mesure où lescontradictions spécifiques du capita-lisme impérialiste s'approfondissent. Lacontraction de la masse totale de plus-value produite dans le monde entraîneune aggravation inouïe de l'exploitationdes populations coloniales, inconnuedes prolétariats des métropoles. »

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Un dernier mot, il est évident que cetexte n’est qu’une histoire de la GCB, dufait de l’extraordinaire richesse de celle-ci, beaucoup reste encore à découvrir.

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Chapitre I

Un parti communiste dirigé par la Gauche(1921–1928)

Quelques dateset naissance du Particommuniste belgeEn Belgique la naissance du parti social-démocrate intervient quatre ans avant lafondation de la 2ème Internationale (1889à Paris). Celui-ci, qui se nomme le PartiOuvrier Belge (POB), voit le jour enavril 1885 (12). Si Caesare de Paepe joueun rôle essentiel dans sa naissance,celle-ci est avant tout le résultat d'un lentprocessus de regroupement de plus d'unecentaine d'associations ouvrières, syndi-cales et démocratiques. La plupart deces associations sont de création récente,mais certaines se présentent toutefoiscomme les héritières de groupes plus an-ciens. Ce parti va devenir une des plusimportantes sections de l’Internationale(13). Le Comité exécutif de l’Internatio-nale sort des rangs belges ainsi que sonprésident Emile Vandervelde. Les syndi-cats belges sont assez riches pourconstruire la fameuse Maison du Peuplede Bruxelles qui devient le siège del’Internationale.

Et, en novembre 1918, quand la révolu-tion éclate en Allemagne, mettant fin àla Première Guerre mondiale, la Bel-gique ne connaît pas de situation révolu-tionnaire ; les partisans du soulèvementrusse restent très minoritaires dans uneclasse ouvrière fortement apolitique. LaRévolution d'Octobre et la fondation del’Internationale communiste deux ansplus tard vont cependant susciter un ventd’espoir chez tous les opprimés et lesexploités de la planète.

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12. Le Parti socialiste ouvrier allemand (SDAP) avu le jour à Eisenach en 1869. Le Parti ouvrierfrançais (POF) de Jules Guesde en 1879.13. La Deuxième Internationale (1889-1923), Pa-tricia van der Esch, Rivière, Paris, 1957.

Deux partis communistes (14)

1. En mars 1920, le premier groupecommuniste se constitue autour de WarVan Overstraeten à partir des "JeunesGardes socialistes" (JGS). Puis, VanOverstraeten participe au 2ème Congrèsde l’Internationale communiste àMoscou (août 1920). Le groupe édite lejournal L’Ouvrier communiste et ses po-sitions politiques s’articulent autour dedeux points majeurs : l’anti-parlementa-risme et le soutien à la formation desconseils ouvriers sur le modèle d’Oc-tobre 1917. Il obtient avec ce pro-gramme une certaine audience auprèsdes travailleurs. Dès sa formation, cegroupe se situe à la Gauche de l’Interna-tionale sur des positions très proches decelles du groupe réuni autour de Bordigaet de la Gauche communiste italienne.La question parlementaire est en effetune question importante qui se pose àtous les nouveaux partis communistes.(15) Au 2ème Congrès (juillet-août 1920)cette question est un des points essen-tiels en discussion. Avant cela l’IC n’a-vait pas clairement établi si ses sectionsdevaient ou non faire figurer, dans lesmoyens tactiques, la participation auxélections et l’intervention dans les Parle-ments des pays capitalistes européens.Les nouveaux partis et mouvements

14. Robert Camoin dans Présence Marxiste n° 23-24 de décembre 2001 retrace fort bien la pré-histoire du PCB dans l’article « La première an-née du PC unifié belge.»15. Cette position avait déjà été prise au Congrèsdes 23-22 mai 1920. Cf résolution sur le parle-mentarisme adoptée à ce congrès in l’Ouvriercommuniste n°7 du 1er juin 1920. (reprint in Pré-sence Marxiste op.cit). De la même façon legroupe prend des positions similaires à celles dela Gauche italienne sur la question de la critiquede la « démocratie bourgeoise» et contre le « fron-tisme » dès 1921 (cf. prise de position de VanOverstraeten en septembre 1921 dans la brochureLe Mouvement capitaliste et Révolution russe).Sur les syndicats dans cette même brochure il ditque les « relations toujours plus étroites avec lesdifférents ministères bourgeois » (des syndica-listes) tendent « à neutraliser l’action révolution-naire des syndicats, à les transformer de plus enplus en organismes de l’Etat bourgeois ». Etailleurs il dit que les syndicats sont devenus devéritables organisations de l’Etat bourgeois. Cf. ;Rapport de la délégation du PCB à l’exécutif del’IC en juin 1921.

adhérents à l’IC n’hésitent pas àcondamner le social-patriotisme et le ré-formisme ; ils ne doutent pas de lanécessité de l’insurrection mais n’ontpas de position claire sur le problème dupouvoir, de l’Etat. Presque tous s’op-posent à l’utilisation du Parlement tantpar tradition que par réaction contrel’opportunisme. En Italie, cette questionest posée nettement dès la fin de laGrande Guerre. La fraction révolution-naire, intransigeante, a triomphé dans leparti avant la guerre, mais elle n’oserompre qu’avec la droite ultra réformistede Bissolati (16) en 1912. Quand démarrela vague révolutionnaire, les élémentsles plus décidés de la gauchecommencent à pressentir la nécessitéd’une scission plus importante dans levieux parti. Ils aboutissent à la conclu-sion qu’il faut en finir avec la méthodeélectorale et parlementaire si l’on veutamener le prolétariat à l’assaut révolu-tionnaire. Cette position est défenduedans le journal Il Soviet, dès 1818. Au2ème Congrès de l’IC, le délégué italienBordiga, propose un contre-rapport etsoumet un ensemble de thèses sur laquestion (17). Lors du vote, sept voixmanquent aux thèses de Boukharine-Lénine qui sont approuvées par leCongrès. Mais, à la demande expressede précisions de la part de Bordiga quiest soucieux d’éviter toute confusionavec les arguments des syndicalistes ré-volutionnaires, sur les sept voix minori-taires seules trois se portent vraiment surles thèses qu’il défend : celles du PCsuisse, du PC belge et d’une fraction duPC danois, le rapporteur n’ayant pas devoix délibérative mais seulement consul-tative.

16. Léonida Bissolati chef de l’aile réformiste duparti socialiste italien avec Ivanoe Bonomi. Ilssont violemment attaqués sur la question de l’ex-pédition militaire en Libye par la Gauche du partiau Congrès de Reggio Emilia en juillet 1912 etnotamment par Mussolini qui appartient, à cetteépoque, à la gauche antimilitariste du parti. Lagauche l’emporte ; ils sont exclus du parti socia-liste italien en tant que réformistes et chauvins.17. Cf, les Thèses dans La question parlementairedans l’Internationale communiste, Editions Pro-gramme communiste, 1967, Marseille.

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Nous rapportons cette discussion poursouligner qu’au moment où le PCB secrée, il se trouve immédiatement sous ladirection de la Gauche : en effet, WanVar Overstraeten en est son premier Se-crétaire général. Le PCB belge a des po-sitions plus claires que d’autres PC ougroupements adhérents à l’IC. L’histoirede la Fraction de War Van Overstraetenainsi que son parcours politique tout aulong de l’entre deux guerres en est le té-moignage éloquent, comme nous allonsle voir.

2. Joseph Jacquemotte (18) et CharlesMassart représentent l’autre composantedes groupes communistes adhérents àl’IC ; c’est une composante plus hési-tante et plus floue. Jacquemotte est leresponsable du syndicat des employés àBruxelles qui publie le journal L’Exploi-té. Ses partisans, regroupés dans les“Amis de l’Exploité”, espèrent faire re-venir le Parti ouvrier belge (POB, so-cial-démocrate) à ses positions d’avant-guerre. Ce dernier croit que la social-dé-mocratie peut encore retrouver le terrainrévolutionnaire. Bien qu’ils ne re-présentent pas la gauche mais le centre,les “Amis de l’Exploité” finissent, pourla plupart, par quitter le POB en mai1921 (à Bruxelles et en Wallonie) etfondent le Parti communiste belge(PCB). Leurs positions politiquescentristes se manifestent sur la questionde la guerre impérialiste : ils refusentd’attribuer la guerre uniquement à laphase impérialiste du capitalisme et ilsn’approuvent pas totalement la Révolu-tion russe. Enfin, jusqu’au dernier mo-ment, ils cherchent à sauvegarder uneunité factice au sein du POB.

Sous la pression de l’Internationalecommuniste, les deux partis fusionnentle 3 et 4 septembre 1921 au congrèsd’Anderlecht (banlieue de Bruxelles).Durant les discussions d’unification, ils’avère clairement que les divergencessont encore profondes et les déléguésdes deux organisations sont conscientsque la fusion est formelle. Cependanttous sont convaincus qu’au cours de son

18. Il participait au journal L'Exploité, avec sesamis, et y développait des idées, souvent encontradiction avec celles de la majorité du POB,ce qui énervait le bureau du parti. Enfin l'im-primerie coopérative socialiste refusa d'imprimerL'Exploité. Ce fut la mesure qui mit le feu auxpoudres. Le 29 mai 1921, les ‘Amis de L'Exploité’tiennent leur 3ème Congrès où ils décident dequitter le POB et de créer le Parti Communiste deBelgique. Joseph Jacquemotte, secrétaire du syn-dicat des Employés préside aux destinées du nou-veau parti. Ayant quitté le secrétariat du syndicaten 1923, il est élu député en avril 1925. Il décèdele 11 octobre 1936. (Extrait de : Un syndicat cen-tenaire, édité par le Setca - section Bruxelles -Halle- Vilvoorde).

existence le futur parti pourra lesaplanir.

Les débuts difficilesdu PCB1921-1928Au début, le développement du PCB estdifficile. Le parti n’a que 500 membreset ne peut, par exemple, déposer delistes pour les élections législatives denovembre 1921 que dans deux arrondis-sements : Bruxelles et Verviers. De plus,le PCB subit des attaques conjointes dela bourgeoisie et de la social-démocratie.En 1923, se déroule le procès du “GrandComplot”: une quinzaine de dirigeantscommunistes comparait devant la Courd’Assises sous l’inculpation de “com-plot” ; le procès tournera cependant à laconfusion du pouvoir bourgeois.Quelques années plus tard, le conseil gé-néral du POB (social-démocrate) adoptela motion “Mertens” qui permet d’élimi-ner les militants communistes des postesde responsabilité syndicale.

Un certain nombre de difficultés pro-vient du manque d’homogénéité poli-tique au sein du Parti communiste : letravail syndical, la lutte parlementaire etles problèmes organisationnels divisentle parti entre deux ailes qui, dans lesgrandes lignes, recoupent les divisionsd’avant la fusion de 1921.

Le désaccord qui est au devant de lascène porte sur les questions organisa-tionnelles. Mais il ne faut pas s’y trom-per, ces questions recoupent des diver-gences politiques générales et de fond.Comme nous allons le voir, les diver-gences organisationnelles apparaissenten premier mais elles ne font que recou-vrir les autres questions politiques.

A- De la question organisationnelleà la lutte contre la « bolchevisation »

La discussion porte alors sur la défini-tion de la qualité de membre du Parti :pour Jacquemotte, est membre celui quipaye sa cotisation ; pour W. VanOverstraeten, pour être membre, il fautégalement être présent aux réunions etêtre un militant dont on contrôle l’activi-té. On a l’impression de revivre, malgrécertaines différences, la discussion de1903 au sein du Parti social-démocratede Russie (POSDR) qui a donné nais-sance à la fraction bolchevique sur cesquestions de rigueur et de centralisationorganisationnelle. Cette question revien-dra à chaque congrès du PCB.

D’ailleurs les plus banales questions decentralisation ne cessent de poser prob-lème d'autant plus que de mauvaisescommunications entre la base et le

sommet du Parti accentuent la dispersionet l’« autonomie » des fédérations. AinsiJoseph Thonet (19), dont le cas est discutéau congrès, est accusé d'avoir recruté àNuy des membres qui ne paient pas leurscotisations.

De même, la question de la formationdes membres du parti se relie complète-ment à cette discussion. Pour le groupeW. Van Overstraeten (ou "vieux parti"),il est fondamental que les militantspuissent "penser par eux-mêmes".

Par contre, le groupe Jacquemotte (ou"nouveau parti") pense que cette exi-gence revient à créer des entraves pourfaire du PCB un parti de masse. Ce dé-bat s’avèrera, par la suite, capital ; ildélimitera réellement la Gauche com-muniste de tous les autres courants poli-tiques, notamment et en grande partie ducourant trotskiste. Pour la gauche duParti, il est clair que nous ne sommesplus à l’ère des partis de masse commel’étaient les partis social-démocrates dusiècle précédent ; les partis communistessont des partis de militants qui doiventêtre « des dirigeants sur place » et oùqu’ils se trouvent, comme aimera à lerappeler Jan Appel de la Gauche com-muniste allemande.

Plus tard, vers le milieu des années1920, à cause de cette position politique,l'IC zinoviéviste ira jusqu'à accuser le"vieux parti" de sectarisme. Le "vieuxparti", de son côté, accuse Jacquemotteet les siens de ne rechercher que desrésultats immédiats et de sombrer dansl’immédiatisme alors qu’un parti de mi-litants politiques formés est capable d’a-gir de façon beaucoup plus efficace etdécidée.

C’est à cause de ses positions politiquesopportunistes que la bolchevisation faitses ravages dans le PCB comme dans lesautres partis communistes. L'IC zinovié-viste et opportuniste a mis en avant labolchevisation en la réduisant à unesimple réorganisation du Parti sur labase notamment du système des cellulesd'entreprise qui doit permettre le déve-loppement d'une plus grande disciplinedans le parti pour en faire un bloc mono-lithique. En Belgique, l’opposition à labolchevisation ne se manifeste que vers1925-26 et ne s'attaque nullement ausystème des cellules ; elle en reste à lasurface des choses et critique ce "gad-get" dont on prétend obtenir une plusgrande homogénéité dans le Parti. C'estquasiment une baguette magique.

Une première critique porte sur l’infanti-lisme qui consiste à vouloir mettre en

19. Membre de la tendance de Jacquemotte.

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place la bolchevisation dans la hâte : en1924, au congrès du PCB, on se donne 5semaines pour la réaliser. Mais, en réali-té, c’est seulement en 1927 que lescellules seront bâties sur base des entre-prises notamment à Gand, Charleroi et àBruxelles. A première vue, le résultatparait positif puisque le nombre de mili-tants augmente de 25 % en un an. MaisHennaut le met en doute car cela n’a paspermis d’obtenir les résultats voulus etnotamment le travail destiné aux cellulesétait, dans les faits, effectué par les sec-tions.

L’opposition à la bolchevisation re-présente le premier conflit important ausein du PCB. Derrière l’opposition à labolchevisation, il y a en réalité une op-position croissante à la politique de l'IC,et ce n'est pas un hasard si ceux qui dé-fendent une véritable centralisation et unparti de militants politiquement formés,seront ceux qui feront partie de l’Oppo-sition de gauche internationale.

B- La question syndicale

En 1924, le POB tente de préserver soninfluence dans les syndicats et pour celail fait voter une résolution connue sousle nom de résolution Mertens, qui excluepour les communistes la possibilité d’ydétenir les postes clefs. Elle menaced'exclusion tout communiste qui déve-loppe une action politique dans lesgrèves ou les syndicats (août 1924).

En 1925, la lutte contre cette motions'organise car elle menace la nécessaireunité syndicale. Le mouvement de lutteest initié par les ex-"Amis de l'Exploité"qui n’avaient pas quitté le POB en1921 ; en 1924-25, ils éditent le journal :La lutte de classe. Les critiques faitespar le journal entraînent immédiatementleur exclusion du POB ; ils deviendront,ensuite au cours des années, une puretendance syndicaliste. (20)

20. « En 1925, dix-huit responsables sont à nou-veau expulsés des usines. C'est une véritablechasse aux sorcières qui n'est pas sansconséquences pour le monde syndical, comme leconfirmera beaucoup plus tard Bondas dans sonouvrage, "Histoire de la Centrale des Métallur-gistes, 1887-1946", dans lequel il est obligé d’ad-mettre que l’exclusion des communistes et dessyndicalistes de combat a considérablement frag-menté et affaibli le syndicat dans de nombreuxsecteurs et régions. Ainsi, à Ougrée-Marihaye, lesyndicat est retombé de 4.491 membres en 1921à... 895 en 1922. » (Extrait d’un article rédigé pardes staliniens et intitulé Julien Lahaut, syndica-liste communiste au cœur des grandes luttes ou-vrières, reproduit dans Vive Lahaut! - Un survolde la lutte ouvrière jusqu’en 1968. Julien Lahautest un stalinien bon teint et un des dirigeants lesplus importants du PCB de 1936 à la fin de ladeuxième guerre mondiale, après la mort deJacquemotte en 1936. A la fin des années 1920,

Ils prennent le nom de "Eenheidsbewe-ging" et se donnent pour but, dans leurprogramme, l'unité syndicale et la luttecontre la résolution Mertens. Le travailcommun entre ce mouvement et lescommunistes est rendu possible du faitque les communistes sont eux aussi ex-clus du syndicat. Mais, il n’y a pas unréel accord politique et, de ce fait, le tra-vail commun va connaître pas mal deproblèmes par la suite.

Le mouvement "Eenheid" est peu déve-loppé : à Bruxelles, les militants sontpeu nombreux et répartis pour l'essentieldans deux centrales différentes (les se-crétaires étant Leibars et Ceertz) ; àLiège ils ont des positions plus impor-tantes mais disparaîtront pratiquementdès 1926. En 1924, quelques-uns unsmilitent encore à Anvers.

La tendance Jacquemotte défend l’idéequ’il faut utiliser le "Eenheid" et toutesles autres possibilités qui se présententpour former une opposition syndicale,minoritaire sans doute, mais qui soit di-rigée par les communistes au niveau na-tional. On voit bien se manifester là l’es-prit manœuvrier des opportunistes quine cherchent qu’une chose : se mettre àla tête du mouvement ; à aucun momentne se pose la question de l’unification dela classe ouvrière.

Pour la majorité du parti, la questionavant tout est d'arriver à l'unité syndi-cale, ce qui est également la positionmajoritaire de l’IC durant les années an-térieures à la bolchevisation (21) et, no-tamment, c’est la politique que défendde la Gauche italienne dès cette époque.

C- La question russe

Enfin, comme pour tous les autres PC, laquestion russe va délimiter plus claire-ment les tendances naissantes à l’inté-rieur du parti. En décembre 1924, pourla première fois, des articlescommencent à paraître sur le conflit ausein du PC d'URSS, ce qui est inévitablemais aussi nécessaire puisque la pressebourgeoise et socialiste fournit déjà des

découvrant qu'une partie des fonds recueillis parle syndicat en faveur des grévistes anglais n'ajamais été envoyé, le Comité central du PCB diri-gé par Van Overstraeten dénonce les malversa-tions financières de celui-ci qui « conduisit à uneproposition d'exclusion de Lahaut du Bureau po-litique qui reçut les suffrages de tous les cama-rades qui rallièrent l'Opposition fut rejetée parparité des voix ». (archives Ottorino Perrone).21. Cf. l'article de Nin, dans Cahiers du bol-chevisme numéro 22 du 1er juillet 1925 pages1410-1412. Andrés Nin (Vendrell 4 février 1892 –Alcala de Henares juin 1937 où il fut tué par lesstaliniens) fut secrétaire de l’Internationale Syndi-cale Rouge (l’ISR) de 1920 à 1927 jusqu’à sonexclusion de cette dernière.

informations mais surtout des informa-tions fantaisistes. Par exemple, le journalDe Schelde se permet de donner la "nou-velle" selon laquelle « Trotski est achetépar l'impérialisme américain. »

Dans tous les articles de la presse duPCB, on explique qu'il ne s'agit pas d'unproblème neuf, ni d'une opposition entredeux personnes, mais bien d'un conflitidéologique et politique sur l'avenir deI'URSS.

Cette campagne s’accélère dès la publi-cation par Trotski des Leçons d'Octobrequi exacerbe les conflits au sein des or-ganes dirigeants du PCUS. Dans le Dra-peau Rouge sont édités alternativementdes articles de Trotski et des membres dela troïka : Zinoviev, Kamenev et Staline,qui est à la tête de l’IC et du PCUS.

Puis, de février 1925 à novembre 1927,la presse du PCB se tait sur cettequestion ; toutefois, la discussion sepoursuit à l'intérieur du parti.

La vie du PCBdurant la bolchevisationAu Comité Central du 1er mars 1925,une motion est déposée par VanOverstraeten affirmant que Trotski estune victime, que le "trotskisme" n’estqu’une fabrication artificielle de l'IC etqu'il n'existait pas avant 1925. Cette ré-solution est très prudente car elle n’ex-clue pas que Trotski puisse se tromper,mais elle affirme en tout cas que cetteerreur ne peut être aussi énorme que cequ’affirme le PC d'URSS. La résolutionest adoptée par 19 voix.

Jacquemotte présente une autre motionjustifiant la politique du PC d'URSS quin'obtient que 3 voix.

La résolution adoptée est très vague etprudente ; en fait, elle est astucieusedans la mesure où elle ne prend pas réel-lement partie pour un des protagonistesmais elle marque le refus de suivre aveu-glément l'IC.

La motion de Jacquemotte est très laco-nique car ce dernier et sa tendance nedisposent pas de postes clefs dans le par-ti ; il tente d’abord de marquer sa "dif-férence" tout en cherchant des appuis.

Ces motions finissent par parvenir entreles mains des militants mais officieuse-ment car le Comité Central attend la ré-ponse de l'IC à ces interrogations et à saprise de position. L’IC ne fera aucune ré-ponse officielle (22).

22. Le 29 juin 1930, suite à des insinuations de Ve-reeken selon lesquelles la gauche, qui était à la di-rection du PCB, n'avait pas bien lutté et ne s'était

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Cependant les archives Vereecken (23)

indiquent que la discussion a tout demême eu lieu de 1925 à 1927. Dans lasection numéro 3 (celle de Vereecken)de Bruxelles, il y a de nombreuses pro-testations contre le monolithisme etl'unilatéralisme de l'information donnéeaux militants. Cette dernière ne met enavant que les points positifs de la vie enURSS. On peut également relever denombreuses réactions d’hostilité contreles déportations de révolutionnairesrusses, etc.

La discussion est aussi stimulée par Lei-bars (24), à travers son Journal l’Unité,alors qu'il est hors du Parti. Malgré tout,il pose publiquement une série dequestions importantes et, avec l'aide decommunistes bruxellois, il parvient à at-teindre l'intérieur du parti.

D’autre part, deux militants, Bracops etPottelberghs, effectuent un voyage enRussie, où ils mènent une enquête cri-tique auprès de membres du PC d'URSSet de l’opposition. Jacquemotte quivoyage avec eux, les décrira dans leDrapeau Rouge comme des contre-révo-lutionnaires. Ils répondront par un ar-ticle intitulé « Une fourberie du Dra-peau Rouge » qui ne sera jamais publié.

Entre temps la troïka (25) au pouvoir enRussie se désagrège, ce qui est unévénement capital pour l’IC (26). L’Oppo-sition Unifiée au sein du PCUS voit lejour. Mais suite aux manifestations or-ganisées par cette dernière, Zinoviev etTrotski sont exclus, ainsi que d’autresoppositionnels.

Cette nouvelle choque évidemment denombreux membres du PCB ainsi que denombreux communistes dans le monde.Ainsi, par exemple, un jour après avoireu écho de ces événements, la sectionnuméro 3 de Bruxelles lance un ultima-tum. A la réception et à la lecture du rap-port de Treint, qui est le délégué du Co-mité exécutif de l'IC pour la France, elleretire sa confiance aux dirigeants de l'ICet décide d’arrêter toute activité pu-blique, durant la prochaine période, pour

pas déclarée assez tôt contre la politique de bol-chéviation, un texte est adopté par le Comitécentral du groupe d'opposition, affirmant en sub-stance concernant la position de la gauche en1925 :« Elle fut sommée de discuter dès 1924 dela situation dans le parti communiste russe. Celaeut pour conséquence l’adoption à une quasiunanimité par le Comité central, d’une résolutionniant l’existence du « trotskisme » et qui était uncamouflet pour les falsificateurs aux gages de Zi-noviev. Ceci se passait en mars 1925 »23. cf. Cahiers du CERMTRI, numéro 27 dedécembre 1982.24. Syndicaliste déjà cité plus haut.25. Zinoviev, Kamenev et Staline.26. cf. l’histoire du PCUS de cette période.

mener une enquête sur la base des docu-ments parus dans des journaux commele Bulletin Communiste de Souvarine, laRévolution prolétarienne de Monatte etde Rosmer, la Tribune et Klassenstrijddes Pays Bas (27). Elle demande desréunions fédérales avec à l'ordre du jourla question des exclusions en URSS.

La contestation ne se limite évidemmentpas à cette seule section. A la réunion duComité central du 26-27 novembre1927 (28), il y a également des protesta-tions émanant de Schaerbeek, Molen-beek et de la fédération de Charleroi.Molenbeek décide de stopper toute acti-vité publique.

Des réactions se sont déjà exprimées à laréunion du Bureau Exécutif du 12 oc-tobre 1927. Van Overstraeten et Hennauty ont déposé deux motions : la premièredemandant au présidium de l’IC desuspendre les exclusions et de convo-quer rapidement un congrès mondial, ladeuxième exigeant que les documents del'Opposition soient publiés dans lapresse. Les 2 résolutions sont rejetées àégalité de voix, mais il n’y a que 4membres présents.

Réunion du Comité centraldu 27 novembre 1927sur l’Opposition russe

Les deux résolutions sont à nouveauprésentées et obtiennent 15 voix pour et3 contre. Il est important de soulignerqu'elles ne se prononcent pas sur le fonddu fait du manque de documents dispo-nibles. Des journaux de l’Oppositionexistent bien, mais tous craignent qu'enne se basant que sur ces derniers, ce soitune aide bien venue à l’IC et que lesBelges soient traités d'oppositionnels et,par conséquent, exclus. Pour VanOverstraeten, Hennaut et leurs cama-rades, il est impératif de rester dans lecadre de la discipline. C'est pourquoi, ilsse taisent sur les exclusions qui ont lieu

27. « La lutte contre l’opposition trotskiste dansles pays occidentaux (…) était difficile du fait quele Parti communiste russe et l’Internationale, aulieu de publier des documents de l’opposition etde réfuter ses arguments, se bornaient à polémi-quer en ne faisant paraître que des extraits ou descitations des documents trotskistes. Cette façonbien stalinienne de renseigner unilatéralementfroissait les communistes, qu’on estimait àMoscou incapables de juger par eux-mêmes etaugmentait la méfiance à l’égard de la majorité.Après avoir constaté l’influence néfaste de ce sys-tème en Belgique, j’écrivis à Jenny (sa femme)ceque j’en pensais, avec prière de transmettre mesremarques à Boukharine et à Kuusinen, àMoscou. » Jules Humbert Droz in Mémoires,1921-1931, A la Baconière, Neuchâtel, 1971pages292.28. Jules Humbert Droz, Mémoires, op. cit., page290, ce dernier indique qu’il était présent à laréunion du CC du 9 octobre.

partout, en France ou ailleurs, dont ilsont connaissance. C’est la raison pourlaquelle Van Overstraeten, au nom del'IC, à un congrès des jeunes, fait voterune motion soutenant la politique del’Internationale.

Le parti attend les informations offi-cielles qui n'arrivent qu'en décembre1927 avec les discours parus dans laPravda de Trotski, de Zinoviev et deStaline. Cependant, il est difficile d’ad-mettre que c'est alors seulement que lespositions sont réellement prises par lesmembres du PCB. Il faut retourner auxrésolutions du 27 novembre. (29)

Avaient alors voté la résolution de VanOverstraeten, Lode Pock (Anvers):Frans Morriens (Anvers), JosephDescamps (Verviers), Alexandre Dewaet(Charleroi), Nestor Cloostermans(Centre), Henri Sausez et Georges Cor-dier (Borinage), Ferdian Minnaert etFrans Van Dooren (Gand), Omer Petit etBonvoisin (Liége) War Van Overstrae-ten, Michel Lootens et Adhémar Hen-naut (Bruxelles), Edouard Stiers(jeunes). Les 3 autres membres du CC,Joseph Jacquemotte, Joseph Thonet etMarc Willens estiment que l’on ne peutdemander la suspension des exclusionssans avoir pris position sur le fond. Levote de cette résolution est en fait un ap-pui caché à l'Opposition.

La majorité du CC pense qu’il faut lan-cer la publication des documents et pré-senter un rapport qui doit servir de basede délimitation pour les fédérations. Ellesouhaite aussi ouvrir une tribune de dis-cussion aux deux tendances dans LeDrapeau Rouge, pour que des débatsaient lieu dans toutes les fédérations ets'achèvent par une Conférence Natio-nale. Le 30 novembre, Jacquemotte metau vote une motion expliquant claire-ment que la résolution du 27 n'est en faitqu'un appui déguisé à l'Opposition. Dansces conditions, il déclare qu'il ne lui estplus possible de se soumettre à la majo-rité. Van Overstraeten dépose alors unenouvelle notion rappelant que l'on doitrespecter les décisions prises. Cette der-nière, seule, est acceptée.

Le 5 décembre Jacquemotte avertit leBureau politique de l'IC de sa position.L’IC, en réponse, demande à Jacque-motte de remettre le PCB sur la bonnevoie ; pour accomplir cette tache,Jacquemotte fait appel à Félix Coenenqui était auparavant considéré commetrotskiste dans le PCB.

29. Contre le courant, n° 2-3, 2 décembre 1927,page 26.

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Réunion du Comité centraldu 1-2 janvier 1928 :début de la période de discussion

La réunion est très mouvementée. Deuxrapports sont présentés : celui de VanOverstraeten et celui de Coenen.

Dans son rapport, Van Overstraeten sou-ligne le principal problème, de son pointde vue, qui est le manque de formationpolitique des partis de l'IC. Pour lui, aulieu de pousser les partis dans la voie ducentralisme démocratique, l'IC imposedes méthodes de centralisme bureaucra-tique et administratif. Il faut maintenantse documenter et ensuite prendre des po-sitions critiques sans que l’IC les cha-peaute. Et il n’en reste pas là. Il déve-loppe aussi ses divergences par rapport àla politique générale de l’IC. Pour lui,les dirigeants de celle-ci font fausseroute sur la question de la révolutionchinoise, sur celle du comité anglo-russe, sur les questions nationales, laconstruction du socialisme dans un seulpays et sur la lutte contre les koulaks (30).

Van Overstraeten, cependant, n’est pasd’accord sur toutes les questions avecl’Opposition russe ; ainsi, il montre clai-rement sa différence d’avec les mé-thodes utilisées par celle-ci qu’il qualifiede fractionnelles. Malgré tout, il reste enphase avec elle sur les questions de fondet essentielles.

Coenen, dans son rapport, ne répond àaucune des critiques formulées par lagauche. Il repart de l’idée selon laquellela motion du 27 novembre est un soutienà l'Opposition russe, pour dire qu’ellefait preuve d'un fractionnisme raffiné,qu’elle menace l'unité du PC de l'URSSet que ce dernier a été trop clément.Pour ce qui est de la Belgique, il af-firme : « Le PCB est et restera sectionde l'IC. »

Le vote sur les rapports donne 13 voix àchacun d’eux. On ne sait pas vraimentqui vote pour quoi, mais Morriens, Min-naert et Bonvoisin, qui ont voté le 27 enfaveur de la résolution de VanOverstraeten, se prononcent maintenanten faveur de Coenen.

Il faut voir qu'en novembre 1927, le Co-mité Central a 18 membres et qu'unmois plus tard, il en compte 26. En fait,entre-temps, les travailleurs immigrés,qui au départ étaient indépendants duPCB, obtiennent en 1928 le droit de

30. Ces questions sont discutées dans toute l’Inter-nationale et dans tous les PC. Et par exemple,c’est la question chinoise qui fait nettement évo-luer Treint vers le camp de l’Opposition.

vote, décision également approuvée parla gauche.

En faveur de Coenen, on trouve 6 voixde délégués étrangers. Au début de l’an-née 1928, la Gauche communiste ita-lienne ne possède pas encore de groupeen Belgique (31). Or, l’on sait qu’elle vaprendre le camp de l’opposition.

L’intervention de L'Internationaleen Belgique

L’Internationale intervint de plus en plusdans les affaires du PCB à la demandede Jacquemotte.

Durant l’année 1927, le bureau de L'Eu-rope occidentale de l’IC (WEB), dontc'est une attribution pour les sections decette région du monde, se doit d’inter-venir dans la controverse et, au début, ille fait, pas tant par des interventionsécrites et ouvertes que par des contacts"discrets"’ et oraux fréquents et étroits ;mais voilà, son représentant, Jules Hum-bert Droz, est en prison durant quelquesmois à la fin de 1927. (32)

Jules Humbert Droz, surnommé « l’œilde Moscou », est le représentant de l’ICpour les pays latins comme la Belgique,la France, l’Italie, l’Espagne et le Portu-gal. L’IC et ses représentants ont unepréférence pour l'action dans les cou-lisses. On sait qu’à travers son représen-tant, l'IC intervient directement le 9 oc-tobre 1927 ; puis à travers une lettre deson Comité exécutif adressée auxmembres du PCB, lettre qui demande dereporter la tribune libre qui doit s’ouvrirdans la presse après la réunion du Comi-té central du 27 novembre. La tribuneest reportée au 18 janvier 1928. La lettrene peut pas être publiée car cela consti-tuerait une violation de la décision duCC qui souhaite faire connaître lespoints de vue des 2 tendances du partiavec les mêmes moyens et ouvertement ;elle ne le sera pas ce qui indisposenombre de militants. Kuusinen (33), danscette lettre pose la question suivante :comment justifier qu’une des sectionsles plus dynamiques de l’IC soit celle oùles militants sont d’accord en majorité

31. La Fraction italienne de la Gauche communisteest créée en 1928, à Pantin.32. Jules Humbert Droz, Mémoires, op. cit. Aucours de cette période, ce dernier passe 2 mois enprison en France à la fin de l’année 1927 puisrentre à Moscou en janvier 1928. Il n’a pas jouéun grand rôle durant ces mois dans la situation duPCB. Cf. pages 339 à 341, Komintern : l’histoireet les hommes, les éditions de l’atelier, Paris,2001.33. Otto Kuusinen (1881-1964) Professeur, dépu-

té en 1907, il est un des fondateurs du P.C. finlan-dais créé en Russie. Il est l'un des principaux diri-geants de l'Internationale Communiste stalinisée.

avec l’Opposition ? De son point de vue,il y a deux explications : d’une part, lemanque de contact entre le PCB et l’ICet, d’autre part, le fait que le PCB ne soitpas encore un parti de masse révolution-naire.

A la réunion du CC du 29 janvier 1928,l’IC intervient de nouveau. L’ordre dujour porte sur la stagnation numériquedu Parti. L’IC cherche à focaliser la dis-cussion sur la question belge et ainsiévacuer la question de l’opposition enRussie ; elle cherche aussi à minimiserl’influence de l’Opposition belge parune critique de l’action du secrétaire gé-néral du parti (W.Van Overstraeten) du-rant l’année écoulée. D’après le re-présentant de l’IC, ce qui est fondamen-tal, c’est avant tout de comprendre lesfautes commises en Belgique et noncelles commises par l’IC en Chine.

Il dénonce la politique oppositionnellede W.Van Overstraeten qui, selon lui, estun frein pour le développement du partià cause de l'esprit sectaire du secrétairegénéral et de son programme abstraitpour un « communisme pur ». Il est in-téressant de rapprocher ce genre de cri-tiques peu sérieuses et très psychologi-santes de celles qui seront faites plustard par Trotski en direction de laGauche communiste en général et de laGauche communiste d’Italie en particu-lier.

Une deuxième lettre de l’IC, sous laplume de Humbert Droz, est publiéedans la presse du parti le 11 février1928 ; il y souligne que la discussion encours sert les capitalistes et la social-dé-mocratie. On voit poindre la manœuvrequi consiste à déconsidérer l’action de lagauche. Dès lors, l’IC éloigne petit à pe-tit des fonctions dirigeantes les membresde la gauche qui devient l’opposition po-litique belge. Cette politique est utiliséedans tous les partis communistes.

En Belgique comme ailleurs les fonda-teurs des partis communistes et del’Internationale sont d’abord écartés etmarginalisés avant d’être exclus : c’estle cas de Souvarine, Rosmer, Monatte,Treint, (34) etc. en France ; de Bordiga etdes membres de la gauche italienne en

34. Cf. Contribution à une histoire du mouvementouvrier, la dégénérescence de l’IC, le cas du PCF(1924-1927), brochure de la Fraction interne duCCI, Paris, 2003.

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l’Italie ; de Ruth Fischer, Brandler (35) etThalheimer (36) en Allemagne, etc.

Discussion publique dans la pressedu parti communiste

La tribune de discussion occupe un pagesur quatre dans le Drapeau rouge (jour-nal quotidien) et, dans l’hebdomadaireRode Vaan, cinq pages supplémentairesy sont consacrées. On parle de « majori-té » pour ceux qui ont choisi la majoritéde l’IC et « d’opposition » pour ceux quisont déclarés être d’accord avec l’oppo-sition russe. Pourtant il est clair que lagauche du PCB n'est pas en total accordavec l’opposition russe. C'est, en fait, latactique d’amalgame conçue d’abord parZinoviev puis reprise par Staline. On nefait pas dans la finesse théorique. Pourl’IC, toute critique est immédiatementtraitée de trotskiste : Il n'est pas questionde discuter ; il s’agit uniquement de dé-considérer et de battre l’opposition.

Au point de vue théorique, le débat dansla presse n’apporte pas d’argumentsnouveaux ; son intérêt est de mettre aucourant tous les militants du parti. Tou-tefois, il faut noter que la « majorité » nerépond toujours pas aux arguments etaux positions défendues par la gauche etl’opposition. Elle se contente de faireappel à la discipline, avec l'aval duPCUS et de l’IC, et de se réfugier der-rière le prétexte selon lequel il ne fautpas donner des arguments aux ennemisdu communisme. Sur la question de ladiscipline, l’opposition est entièrementd’accord avec sa nécessité, mais elle in-siste encore plus sur le besoin vital dudébat politique et, par conséquent, sur lanécessité absolue que les deux tendancesen présence puissent exprimer et dé-fendre leurs positions politiques.

La méthode de la « majorité » consiste àdéformer et à utiliser les textes des « op-posants » en les sortant de leurcontexte : des parties de textes de Trots-ki d’avant 1917 sont amalgamées à ceque celui-ci écrit dans les années 1920.L’opposition belge subit le même sort.Mais l’on connaît bien aujourd’hui cesméthodes staliniennes ! L’opposition estaccusée de posséder une tare trotskistecongénitale. La recette consiste à répéterqu’elle était trotskiste avant d’exister,donc elle est toujours trotskiste au-

35. 1881 – 1967 , il participe à la Ligue Spartacuspuis à la direction du KPD dès sa fondation. Excludu KPD fin 1928, il fonde avec Thalheimer le Par-ti communiste – opposition (KPO fin 1928) , Partiqui regroupa 3400 membres. Il rejoint le SAP en1931 (gauche socialiste).36. 1884 – 1948 ; il participe à la Ligue Spartacuspuis à la direction du KPD dès sa fondation. Excludu KPD début 1929. Il rejoint le KPO mais neparticipe pas au SAP contrairement à Brandler.

jourd’hui (37). Suivront rapidement les ac-cusations de contre-révolutionnaire,d’anti-léniniste et de liquidatrice. Mais,pour l’instant, elle est attaquée seule-ment sur le fait qu'elle ferait le jeu de labourgeoisie et de la social démocratie.

Hennaut dénonce une argumentation quin'est pas mise en avant officiellementmais qui est utilisée en coulisse parl’IC : les oppositionnels seraient des« défaitistes », c'est-à-dire des gens fati-gués de lutter contre le capitalisme, oubien des gens d’une ambition person-nelle énorme, ou bien des éléments quiont peur de la prison et qui cherchent àéchapper à une répression future. Ces ar-guments sont largement utilisés par lesagents de la majorité allant rencontrerles militants indécis. Tous les moyenssont bons pour la « majorité » : visitesaux militants, correspondances person-nelles, etc. Dans les tribunes de discus-sion, certains militants de base se fontl’écho de cela et s’indignent des mé-thodes utilisées tout en reconnaissantqu’ils ne saisissent pas encore le fond duproblème. Ils s’indignent également duton sectaire et âpre de la « majorité » etdes attaques personnelles qu’elle déve-loppe. Beaucoup d’entre eux attendrontla déportation de Trotski pour prendreenfin position.

Puis, le 2 mars 1928, la « majorité » clôtle débat dans la presse avec un articleintitulé « Leçons de la discussion » ; ellea déjà tenté de le faire au Bureau poli-tique précédent mais elle a été mise enminorité. Maintenant, elle le fait par lebiais du Comité de rédaction qui estentre ses mains.

Pourquoi en Belgiquele PCB n’a-t-il connu au-cune exclusionavant 1928 ?Les autres partis communistes ont unevie oppositionnelle agitée dès 1924-25et connaissent, dès 1925, des exclusions,comme en France ; puis le phénomènes’accélère en Italie, en France et en Alle-magne pour ne parler que des grandspartis. En Belgique il faut attendre 1927pour connaître la phase de mise au pasdu parti. On peut en donner plusieursraisons.

Le parti est plus homogène, plus solidepolitiquement et clairement orienté surdes positions de gauche. Cette situationpolitique est due essentiellement à l’ori-gine du parti regroupé en grande majori-

37. On sait aujourd’hui que le trotskisme était uneinvention de Zinoviev comme il l’a reconnu, lui-même, quelques années après.

té derrière la tendance Van Overstraetenqui possède des positions théoriquesplus affirmées et plus à gauche quecelles de la majorité des fondateurs desautres partis communistes. L’on peutcomparer la situation de la Belgique à lasituation de l’Italie où le parti possèdeune filiation très solide et provient enmajorité de la fraction abstentionniste.Cette situation est toute à l’honneur dusecrétaire général Van Overstraeten et deses camarades proches qui ont su préser-ver le parti des affrontements peu clairsdes premiers temps et qui se déroulaientdans le PCUS.

En Belgique, l’opposition aurait pu em-porter le morceau si les méthodes zino-viévistes puis staliniennes avaient étéappliquées. La « majorité » (majorité del’IC) peut difficilement utiliser l’argu-ment de la discipline puisque l’opposi-tion détient la majorité réelle à l’inté-rieur de la section.

Enfin, l'IC ne considère pas le PCBcomme une section importante et, de cefait, ne lui accorde pas une grande atten-tion.

La discussion s'achève par uneConférence nationale et c’est un fait ex-ceptionnel dans l'histoire de l’IC de cetteépoque. En Allemagne il n’y a que descongrès régionaux, en France cela serègle par des exclusions sans réelle dis-cussion. Même pour le PC d'Italie où il ya un débat au congrès de Lyon et où lasituation est très proche de celle du PCB,la solution n’est pas formellement aussi« propre », peut-on dire.

Il faut, enfin, noter qu’en Belgique,comme en Italie, la majorité des cama-rades exclus ne sont pas des intellec-tuels, comme en France, mais en majori-té sont des ouvriers.

Naissance de l’Opposi-tionde Gaucheen Belgique(11-12 mars 1928)

La dégénérescence stalinienne du Partibolchevique et de l’Internationale com-muniste gangrène le PCB, comme lesautres partis communistes. Comme nousallons le voir, une fois l'opposition ex-clue, le parti suit la même voie que lesautres partis stalinisés. Son involution vaêtre rapide.

Début mars 1928, se tiennent des assem-blées fédérales où les militants de basesont appelés à se prononcer sur les deuxrapports, celui de Van Overstraeten etcelui de Coenen, et à élire des délégués

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pour la Conférence nationale. Il y a 34mandats pour la Gauche et 74 pour la« majorité ». En Flandre la Gauche ob-tient la majorité (12 contre 10), en Wal-lonie la Gauche obtient 15 et la « majo-rité » 44 et à Bruxelles la Gauche obtient7 délégués contre 20 aux adversaires. LaGauche accuse les staliniens d’avoir tru-qué le vote par trois moyens :

1/ Le droit de vote a été donné auxgroupes étrangers mais les documents dela Gauche ne sont pas traduits et sontdonc inaccessibles à nombre de leursmilitants ;

2/ l’information aux jeunes est à sensunique. Les jeunes sont sous l’influencede De Boeck qui a tenu des meetingssans que la gauche ait pu lui apporter lacontradiction (la Gauche reconnaîtraelle-même, plus tard, qu’elle avait sous-estimé le poids des jeunes). Il n’y a pasde contre résolution de la gauche auCongrès des jeunes tenu à cette époqueet la résolution De Boeck contre le trots-kisme, votée le 5 février 1928, est consi-dérée comme la position des jeunes. Orà Bruxelles, par exemple, sur 270 vo-tants, 71 sont des jeunes.

3/ L’afflux artificiel et soudain de nou-veaux membres : à Bruxelles, parexemple, les membres passent brusque-ment avant le congrès de 160 à 270, etdans le Borinage le nombre de membresdouble carrément.

Mais une des raisons essentielles decette rapide involution, qu'il ne faut sur-tout pas négliger, tient au fait que, pourbeaucoup de militants, le vote pour la« majorité » représente le vote pourl’unité du parti. Les textes montrent queles militants sont placés devant un ter-rible « dilemme » : défendre leursconvictions ou défendre l'unité du partiqu'ils ont contribué à créer et qu'ils nepeuvent se résoudre à quitter. Et l’IC neleur laisse aucune porte de sortie : le 15février 1928, son Bureau exécutif voteune motion indiquant clairement quetoute sympathie pour l’Opposition estincompatible avec la qualité de membrede l’IC. La « majorité » saura tirer partiede cette tactique.

Au Congrès d’Anvers (11 et 12 mars1928), à la suite du gonflement artificieldu nombre de membres dans certainessections, la Gauche se retrouvent doncen minorité (34 mandats contre 74).

Le Congrès clôt la discussion. Laissonsla parole à un des acteurs ayant participéactivement à ce congrès du PCB,Charles Plisnier. On ignore souvent que

Charles Plisnier, avocat et écrivain (38)

originaire de la région de Mons, est aus-si un militant communiste. Membre duPCB et partisan de Trotski, il est, luiaussi, exclu quelques temps après lecongrès de 1928. Il raconte sessouvenirs de militant révolutionnairedans un recueil de nouvelles « FauxPasseports » pour lequel il a obtenu lePrix Goncourt. Il y évoque le congrèsd’Anvers (1928) :

« Moscou avait réglé, comme les autres,cette dernière comédie qui, autour desthèses trotskistes devaient se jouer dansce coin perdu de l’Occident. Pour abju-rer nos fautes, le congrès nous donnasix heures. Il ne nous en fallut qu’unepour rejeter l’offre provocatrice quinous semblait une offense non seulementà notre dignité d’homme, mais au prolé-tariat que nous représentions, à la Ré-volution, à la vérité.Nous étions trente massés en rond, hu-

manité disparate de la révolution : desmineurs de Liège, de Charleroi et duBorinage, trois dockers, des tisserands,des métallurgistes, deux artistes — unpeintre, un acteur — quelques étudiants.Une voix cria “Mentir, c’est trahir”.Déjà la déclaration commune de notre

fraction se trouva rédigée. Chacun te-nait une liasse de feuillets blancs. Quel-qu’un lut tout haut. Les fronts se pen-chèrent. Voix nue, qui s’efforçait d’êtredure, de donner le change, de trompersa douleur, la douleur de tous.Le projet de résolution fit l’unanimité.

C’est moi qui fut chargé de le lire l’a-près-midi au Congrès. L’envoyé du Ko-mintern demanda notre exclusion. Lestrente délégués oppositionnels se trou-vèrent rejetés du Parti et de l’Internatio-nale. »

Charles Plisnier ne rend pas exactementcompte de la réalité. En fait une com-mission est mise en place au cours duCongrès dont le rôle est de poser 11questions individuellement auxmembres de la Gauche.

« Au cours de la première journée, lesmajoritaires firent tout ce qui est pos-sible pour jeter le trouble dans les rangsde l'opposition et la disjoindre. Toutesses tentatives avortèrent. A la fin de lapremière journée, le bloc de l'opposi-tion, bien loin de présenter une fissurequelconque, se renforça d'une voix.Cependant, à peine le vote a t-il eu

lieu, donnant 74 voix à la motion majo-ritaire contre 34 voix à l'Opposition,

38. Charles Plisnier (1896-1952) succède à PaulSpaak à l’Académie royale de langue et de littéra-ture française.

que les staliniens se démasquent par unemanoeuvre grossière.Ils proposent la désignation d'une

commission chargée de la rédactiond'une série de questions qu'ils veulentposer, individuellement, aux membres del'opposition. Ils estiment devoir agirainsi "pour que le parti ait toutes les ga-ranties pour l’exécution de ses direc-tives".L'opposition n'avait pas à se cacher le

sens réel qu'allaient avoir ces questions.Ce serait non seulement, sous desformes à peine modifiées, le renouvelle-ment de l'exigence du suicide politique,mais aussi l'obligation ferme de sous-crire et de participer à l'ignoble travailde calomnie dirigé contre l'oppositionrusse et notre propre opposition, tantpour ce qui concerne notre action natio-nale qu’internationale.Tous les membres de l'opposition,

après s’être concertés, déclarèrentunanimement refuser de comparaître,individuellement, devant la commissionet se rallier à une déclaration collectivequ'ils déposeraient le lendemain.Le deuxième jour de la Conférence

Nationale, la Commission élue la veille,présenta son rapport. Le rapporteur, pe-naud, dût se contenter de lire lesquestions que cette Commission auraitvoulu poser aux membres de l'opposi-tion. Etant donné que la décisionunanime de l'opposition avait été res-pectée sans défaillance aucune, il nepouvait pas même rapporter un soufflede réponse.Et ces questions ? Elles peuvent se

résumer à ce qui suit :1. Etes-vous prêts à renoncer à toutjamais aux vues de l'opposition ?2. Etes-vous prêts à attaquer demain,avec la dernière violence, ces vues et àvous présenter par conséquent, vous-mêmes, comme des néo-mencheviks, descontre-révolutionnaires de la veille ?Mais dès qu'il fallut marquer dans le

rapport la volonté arrêtée d'exclusionque traduisaient ces questions, la majo-rité biaisa de nouveau, restant fidèle auxmots d'ordre de grignotage de l'opposi-tion.» (39)

Et contrairement à ce que dit encoreCharles Plisnier, la Gauche n'est pas ex-clue sur-le-champ.

« Bien qu'elle disposait, disait-elle, d'un"matériel" suffisant pour prononcer desexclusions, elle voulait se contenter, mo-mentanément, d'une mesure de suspen-

39. Cf. Manifeste de l'Opposition du PCB, à tousles membres du Parti, à tous les travailleurs révo-lutionnaires ! publié dans Contre le Courant N°16, 31 mars 1928.

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sion de 6 mois, de tout mandat res-ponsable, des camarades VanOverstraeten, Hennaut, Lesoil, Lootens,Cloosterman, Dewaet et Polk. En plus,elle retirait à Van Overstaeten son man-dat de député.Étant avertie que l'opposition ne pou-

vait capituler, la majorité marquait doncson intention de se défaire un à un desmembres de l'opposition.Celle-ci avait annoncé sa réponse col-

lective. Elle la fit. Elle l'avait formuléed'abord dans sa résolution sur laquestion russe et sur la question natio-nale. Elle la répéta, sous une formebrève, dans une motion où elle annonçala ferme volonté de continuer la lutte,par tous les moyens politiques, pour ladéfense de son point de vue. » (40)

Les membres de la Gauche se réunissentet lisent une résolution – celle dont faitmention Charles Plisnier – qui rejette les"questions" ainsi que le procédé utilisé.Pour la majorité stalinienne, le but pour-suivi est que certains membres de laGauche s’accusent de menchevisme.Dans cette déclaration la Gauche affirmequ’elle ne se soumettra pas à cette faussediscipline.

Dernière précision : les représentants dela Gauche ne sont pas 30 comme le ditPlisnier, ni 34, mais 48 (41) ; soit les 12membres de gauche du Comité central,les 34 délégués, plus deux (un des 2 doitêtre celui qui a changé d’avis et dont ilest fait mention dans le "Manifeste" ;reste à déterminer qui est le 48ème) . Les48 membres de la gauche sont : HubertAerts, Peaudoux, B.E. Bertrand, ErnestBoegarts, Guillaume Bourgeois, P.Braem, Lucien Canon, Nestor Clooster-man, Jules Davenne, Delaere, JosephDeschamps, Hubert Detiste, E. Dufoing,Alexandre De Waet, Frédéric De Weedt,G. de Wolf, J. Frenay, Martin Gérard,Adhémar Hennaut, Zéphin Henneaux,Fernand Huet, M. Lefebvre, Legrand,Léon Lesoil, Michel Lootens, MarcelMathieu, Gaston Mathijs, René Massart,Jozef Muuscke, Gaston Pasteel, OmerPetit, Pick, Charles Plisnier, Poels, Lo-dewijk Polk, Lucien René Ry, HenriSaussez, Jef Scools, Léo Smets, PaulSottiaux, Alphonse Trifelet, Louis VanDe Heuvel, Frans Van Dooren, Van Hoe-gaerden, Jan Van Melseke, War VanOverstraeten, Verfaille, Vittorio.

Les délégués de la majorité staliniennesont 74, dont Félix Farges, Emile Wa-ckenier, Dejongh, Félix Coenen, JosephJacquemotte, Henri Glineur, Debruyn,W. Maesschalk, Jean Taillard, Mairlot,

40. idem.41. idem.

Henri de Boeck et Georges Van De-boom.

A l’issue du congrès, les membres de laGauche ne sont pas exclus en présencedes envoyés du Komintern : Jules Hum-bert Droz et Palmiro Togliatti. En effet,la majorité ne veut pas que cela appa-raisse, aux yeux des militants, commedes exclusions pour divergences poli-tiques mais pour « indiscipline », pour« ne pas avoir respecté les décisions fé-dérales ou celles du congrès. »

Effectivement, trois jours après lecongrès, War Van Overstraeten est exclupour ne pas avoir remis son mandat dedéputé ; le jour suivant Hennaut, Du-mortier et Vereecken le sont pour avoirpris une partie du matériel du PCB. Cefait a déjà été soulevé au Congrès et laGauche s’est déjà élevée contre ces pro-cédés ; mais les staliniens en ont tirépartie pour expliquer que cette dernièrecherche déjà à s’organiser en dehors duparti.

Le PCB aprèsles exclusions de 1928Les exclusions et les démissions fontperdre au PCB près de la moitié de sesmembres. Son quotidien Le Drapeaurouge doit désormais paraître de façonhebdomadaire. Sous les directives duKomintern stalinisé, le PCB suit, aucours de ces années-là, une orientation"ultra-gauchiste", comme les autres par-tis de l’IC, ce qui conduit à son isole-ment.

Immédiatement après le Congrès, lePCB se trouve dans une situation déli-cate comme cela transparaît dans unelettre de De Boeck à Jules HumbertDroz. (42)

L’IC avait prédit que la Gauche allait ra-pidement tomber dans la passivité or, lejour même des trois exclusions, VanOverstraeten tient un meeting et rédigeun Manifeste (op. cit. et publié ci-après).En deuxième lieu l’IC avait égalementprédit que la Gauche reviendrait au seindu parti or aucun de ses membres n’estallé aux réunions fédérales qui ont suivile congrès. Enfin, comme cela s’est faitau sein du PCF [cf. l’existence jusqu’en1931-32 de Gaston Davoust ou Chazécomme secrétaire du XVème Rayon (43) duPCF - banlieue ouest de Paris (44)], laGauche décide de laisser quelques-uns

42. Les Cahiers du CERMTRI, Op. Cit.43. A l’époque de la bolchevisation des PC, unrayon regroupe une zone géographique et plu-sieurs cellules pour ‘singer‘ le parti bolchevik. Lerayon le plus connu, à cause des épisodes de la ré-volution russe, était le rayon de Vyborg à Petro-grad.

uns de ses membres au sein du PCBpour continuer à y travailler. Cette posi-tion politique tactique n’a pas été prévuepar le parti et le PCB n’exclut formelle-ment aucun militant de base même s’ilfait ouvertement de la propagande pourla Gauche et l’opposition.

La Gauche est partie avec la plupart descadres du PCB. Ce dernier est contraintde reformer ses différentes commissionsjusqu’aux responsables locaux. Au ni-veau du journal, peu de membres sontimmédiatement capables d'être des ré-dacteurs mais, surtout, la nouvelle lignepolitique de l’IC est obscure (car il n’yen a pas) ; tout cela amène De Boeck àdemander par écrit, à l'IC, un soutienrenforcé et notamment sous forme d’ar-ticles.

Un an après, au congrès de 1929, les dif-ficultés ne sont pas surmontées. Le Dra-peau Rouge de journalier devient hebdo-madaire et la perte de militants n’est tou-jours pas compensée par le recrutement.En 1926, il y a 1048 membres, ils sont1175 en 1932. Dans les fédérationscentrales (Anvers, Charleroi, etBruxelles) on constate même une baisseimportante : à Anvers, on passe de 80 en1926 à 30 en 1932 et de 50 à 5 à Namur.Or, pendant toute cette période, le PCBn’arrête pas de faire des campagnes derecrutement de masse qui rappellent lafameuse « génération Lénine » dans lePCUS, au milieu des années 1920. En1936, il abandonne la stratégie de classecontre classe pour celle des Fronts popu-laires et malgré une politique de recrute-ment à outrance, le PCB n’a que 8500membres ; il obtient 6% des voix auxélections ce qui lui permet d’avoir 9 dé-putés et 4 sénateurs.

44. La Gauche communiste de France, publicationdu CCI, 2001.

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Chapitre II

Dans l’Opposition de Gauche internationale(1928–1931)

L’organisation de l’Op-position de Gaucheen Belgiqueà la suite du 12 mars 1928

Les exclus du Congrès d’Anvers des 11-12 mars 1928, se constituent immédiate-ment après le Congrès en Groupe d’Op-position au PC, ils publient les mensuelsLe Communiste et De Kommunist (5.000exemplaires au total). Les principaux di-rigeants sont Van Overstraeten, LéonLesoil, Adhémar Hennaut. Parallèle-ment, ils éditent un Manifeste (op.cit.) lelendemain du Congrès, il est signé des48 militants présents à ce dernier. L’op-position est la partie la plus dynamiquedu PCB. Elle ne peut pas se contenterd’attendre une éventuelle réintégrationcar elle est engagée dans une lutte so-ciale concrète. Elle n’a pas d’autre alter-native.

L’exclusion de l’Opposition communistede gauche du PCB qui représente un trèsfort courant au sein du Parti, est un coupdur pour celui-ci. L’Opposition a effecti-vement une influence importante dans lalutte de classe, c’est ainsi qu’elle inter-vient encore de façon significative dansla grève des mineurs de 1932. Aux élec-tions communales de la même année,elle a 5 élus dans la région de Charleroi.(45)

Six jours après les exclusions, le 18mars 1928, se tient une conférence na-tionale de l’opposition, un accord se dé-gage pour construire un groupe de l’op-position. Une commission nationale etun exécutif sont élus dont le secrétariatqui est formé par Van Overstraeten, se-crétaire politique, Adhémar Hennaut, se-crétaire administratif et Louis Van DenHeuvel. La structure organisationnelleest calquée sur celle du PC, comme lefera la Gauche Communiste italiennequelques mois plus tard L’organe su-prême est le congrès qui élit un Comitécentral pour prendre les décisions entredeux congrès. Pour prendre les décisionsentre deux réunions du Comité central

45. Léon Lesoil (géomètre) à Châtelineau; OctaveAtlas (verrier), Jules Henin et Pierre Van DerBorght (mineurs) à Gilly; Alexandre Dewaet (mi-neur) à Ransart.

est nommé un bureau politique au seinduquel est choisi un secrétaire. Il existedes fédérations et des sections. Le sys-tème des cellules préconisé au temps dela bolchevisation est remis en cause. Il aauparavant été également critiqué et dèssa mise en place, dans les années 1925-26, par la Gauche Communiste italienne.Chaque fédération a un secrétaire et untrésorier choisi au sein du comité fédé-ral. Il existe également des commissionsnationales ou régionales bâties sur desquestions spécifiques et syndicales ainsiqu’un comité de rédaction. Il est clairqu’il s’agit d’une véritable organisationstructurée et bâtie sur le modèle des par-tis communistes.

Financièrement, à la Conférence d’An-vers le groupe possédait déjà en caisse,1060 francs belges. Les cotisations sontpayées sur le modèle de celles du PCB.

La Fédération de Bruxelles est en chargedes tâches internes. Le premier meetings’est tenu le 21 mars et 502 personnes aumoins y ont assisté puisque 502 ticketsd’entrée ont été vendus. La fédérationcompte 61 inscrits dont un seul regagne-ra le PCB.

La Fédération de Gand est très active,elle compte 50 membres, son comité fé-déral est mis sur pied le 20 mars. Ellecommence à faire une série de meetingsdans les quartiers puis un meetingcentral fin mars 1928.

La Fédération de Charleroi compte 55membres qui sont en majorité des mi-neurs. Le premier meeting, le 8 avril,rassemble plus de 400 participants. Ellevend 850 numéros en moyenne du jour-nal francophone et plus de soixante enflamand.

La Fédération de Liége tient son premiermeeting début avril.

Il existe également une Fédération appe-lée du Centre ainsi qu’une Fédération àVerviers, une dans le Borinage et une àAth-Tournai.

AAnvers, le nombre des militants devaitêtre de 60 environ et le groupe se crééau moment où se déroule une grève quidébute le 7 mars.

La Fédération de la Flandre du sudn’appartient ni au PCB ni à l’opposition.L’Opposition rédige un courrier à PierreVan Landeghem (qui en est le secrétaire)pour lui demander combien de numérosdu Communiste il faut lui envoyer. Cedernier finit par retourner au PCB, lereste des militants de la Fédérationsemble s’être perdu dans la nature aprèsun certain temps d’existence. (46)

A Huy Waremme dans le Limbourg et àBruges quelques militants sont isolés. Ilfaudra attendre 1929 pour qu’un groupese crée.

Nous nous sommes étendus, et surl’importance politique, et sur le nombrede militants de l’Opposition belge carl’importance de son poids explique ladiscussion qui va avoir lieu entre elle etTrotski par la suite sur la question du« deuxième parti ».

L’Opposition privilégie, à sa création,trois axes.

1- La formation théorique. Il est clairque l’opposition ne fait pas de recrute-ment massif. Elle préfère des militantsformés au nombre et aux partis de massedu style des anciens partis de la social-démocratie. C’est déjà la position poli-tique que la gauche a défendue depuis lacréation du PCB contre la tendance im-médiatiste de Jacquemotte. C’est doncun vieux débat dans le parti.

2- Le journal. Comment améliorer soncontenu et augmenter sa diffusion ? Plu-sieurs travailleurs se plaignent du jour-nal car il ne traite pas assez des prob-lèmes concrets et il reste trop théoriquede leur point de vue. La diffusion re-présente 3000 exemplaires dont 1000 àBruxelles, 600 à Charleroi, 500 à Liége,300 dans le Borinage, 200 dans leCentre, et 70 à Verviers. Le premierMai, 1000 exemplaires supplémentairessont vendus à Charleroi et la vente estdouble soit 2000 à Bruxelles, ainsi qu’àVerviers, Le Centre et Liége. Le nombred’abonnements est de 90 en avril et 400début juin. La vente s’effectuait dans lesquartiers, dans les meetings et mani-

46. Cf. les archives d’Ottorino Perrone et les Ca-hiers du CERMTRI, op.cit.

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festations mais aussi dans des kiosqueset à domicile.

3– Le travail syndical. C’est le plus grosde l’activité. C’est sur ce terrain quel’Opposition s’affronte au PCB. L’Op-position a gardé des positions impor-tantes dans les principaux syndicats etdans les grandes entreprises. ABruxelles, l’Opposition est minoritaire(60 par rapport à 200 membres du PCB)mais elle se maintient dans 12 sur 18syndicats dans lesquels travaille le PCB.

Pour Anvers, l’Opposition se maintientdans 2 syndicats. A Verviers l’activitésyndicale a un certain poids chez les tis-serands et les blanchisseurs. Dans leCentre, l’Opposition est fortement im-plantée dans la fabrique « Boulonneriede Mariemont » et à Gand, chez les do-ckers.

Le groupe belge de l’opposition du faitde sa taille et de ses origines politiquesacquiert un rôle fondamental et son acti-vité a un retentissement dans toute l’Op-position internationale. Trotski leconstate et l’écrit dans une lettre du 30septembre 1929 à Van Overstraten quenous reproduirons dans une autre partiede ce chapitre. Il estime que la situationdes oppositionnels en Belgique n’est pascelle des oppositionnels en Allemagne,en France ou même en Tchécoslova-quie :

« L'Opposition belge peut devenir unparti indépendant en opposition directeà la social-démocratie belge. C'est ledevoir immédiat de l'Opposition inter-nationale d'aider l'Opposition belge àoccuper la place qui lui revient et sur-tout de l'aider à publier son hebdoma-daire. » Et puisqu’il en est ainsi l’Oppo-sition belge doit être attentive à sa lignepolitique :

« D'autant plus importante dès lors,pour l'Opposition internationale toutentière, est la ligne politique de nosamis belges sur chaque question spéci-fique. L'erreur de Contre le Courant n'aqu'une valeur de symptôme. Une erreurdu Communiste peut acquérir une va-leur politique. »

Cette importance, à égalité avec le PCB,l’autorise à avoir un rôle dans la vie po-litique nationale et une « valeur » poli-tique pour l’Opposition Internationale.Ce rôle et cette fonction politique del’Opposition belge a été, les premièresannées, prônée par Trotski, puis criti-quée. Nous montrerons cependant qu’ils’agissait d’une fausse querelle. D’autrescritiques sont contradictoires avec cetteorientation notamment celles en prove-nance de Charleroi sur l’immobilisme

ou sur le poids excessif de la théorie.Mais, la situation politique générale au-rait-elle permis que l’activité de l’oppo-sition se déploie de façon plus significa-tive et plus résolue? Peut être. Quoiqu’ilen soit, le cours dans les années 30 n’é-tait pas à la révolution et, par consé-quent, il n’était pas en faveur du déve-loppement des groupes de la gauche. Lapériode était au stalinisme, au fascismeet à la guerre et tout activisme même leplus débridé n’y aurait rien changé.

Exclus, mais toujoursmembres du Partiet de l’Internationale ;la méthode de l’Opposi-tion belge :le « redressement »du PCB et de l’IC

Le rapport, publié dans le Bulletin d’-information du Groupe d’Opposition duPC, rapport présenté par Charles Plisnierà la fin de 1928, décrit la méthode dugroupe. En traitant des élections législa-tives belges de 1929 et de la politiqueque devait défendre l’Opposition, leBulletin en vient à définir sa politique duredressement :

« Exclus de l’IC, tant que nous n’auronspas rompu ouvertement et publiquementavec la politique définie dans nos docu-ments ; tant que nous n’aurons pas ces-sé de réclamer le rappel de Trotski et laréintégration de l’opposition russe ;tant que nous n’aurons pas déclaré quenous cessons de réclamer notre propreréintégration ; tant que nous n’auronspas cessé de prendre le nom de ‘Opposi-tion du PCB’ ; tant que nous n’auronspas proclamé notre constitution en se-cond parti ; nous ne pouvons opposernos candidatures aux candidatures del’IC.Pesant notre responsabilité envers lestravailleurs, nous lancerons le motd’ordre : Vote pour le PC.Mais en même temps, poursuivant

notre travail de clarification, nous noustrouverons partout sur le chemin despropagandistes majoritaires pour expo-ser les graves divergences qui séparentl’Opposition de la majorité, pour dé-noncer les erreurs et les fautes de la di-rection de l’IC et du PCB.(…) Elle (l’opposition) pourra le faire

avec un crédit d’autant plus grandqu’elle apparaîtra ainsi aux tra-vailleurs, non comme une chapelle maiscomme la véritable avant-garde révolu-tionnaire. »

De leur passé politique, les membres dela direction ont retenu comme leçonqu’il faut réexaminer la position del’Opposition belge par rapport à cellesde l’IC. Une motion, présentée par VanOverstraten, est votée à l’unanimitémoins une voix le 27 juillet 1928 par lacommission nationale. Elle affirme qu’ilfaut remplacer les dirigeants du PC russe(PCR) par une direction révolutionnaire,car Staline et sa bureaucratie mènent unepolitique opportuniste. Il est donc urgentque l’opposition se dote d’un pro-gramme pour répondre aux résolutionsdu 6ème congrès de l’IC. Il s’agit de lapremière tâche pour lutter contre lesorientations de la direction du PCR.« Un changement de cours est (...) in-concevable puisque la direction actuellede PCR continue de justifier toute sa po-litique antérieure, inclus tous ses agisse-ments contre l’opposition. (…) Une tellesituation de fait rendrait également in-sensé, de la part de l’opposition, toutespoir de vaincre cette direction par uneréintégration préalable. Désormais aucontraire la rentrée de l’opposition dansle PCR ne pourra s’effectuer qu’aprèsla lutte la plus implacable contre cettedirection et son remplacement par unedirection révolutionnaire. » Le point 4conclue sur la destruction idéologiquede l’IC et de ses différentes sections. Lepoint V traite de « l’extraordinaire éner-gie de l’opposition russe » qui lui acquit« la plus grande influence. Cette in-fluence doit être considérée comme unecontribution immense au redressementde l’activité communiste révolution-naire. Elle ne sera néfaste que dans lamesure où les groupes d’oppositionappartenant à d’autres pays, identi-fiaient leurs tâches (...) aux taches del’opposition russe et où ils négligeraientle grand effort nécessaire à l’acquisitiond’une activité marxiste théorique et pra-tique indépendante. Aussi la tâche laplus urgente des groupes d’opposition,est elle l’élaboration d’un programme,en opposition au programme présentéau 6° congrès de l’IC.» (47)

La commission nationale donnait unmandat de deux mois à l’exécutif pourpréparer le programme. Puis la discus-sion devait se dérouler durant deux nou-veaux mois avant d’être clôturée par uneconférence nationale. Les critiquescontre la place trop importante prise parla théorie, puis la lassitude entraînant ledépart de certains militants, empêchèrentl’opposition de mener à terme cetteorientation.

47. La position actuelle de l’Opposition dans l’IC,archives O. Perrone.

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Or, cette orientation était la seule valablemalgré les critiques venant des "immé-diatistes" qui cherchent des succès fa-ciles et rapides, alors que dans ce genrede période, défavorable pour la classe, ilne faut pas s’attendre à des résultats im-médiats. Que pensent les camarades dela Gauche au sein du groupe ? « L’er-reur essentielle fut de ne pas avoir suffi-samment annoncé son action en prévi-sion des défections certaines et de sescapacités réduites, de ne pas avoir misles membres en garde contre elles, cequi fit que quand ces défections se pro-duisirent, tombant pour beaucoup àl’improviste, elles engendrèrent chezeux un certain esprit de panique. » (48) Etplus loin : « Il y eut aussi nombre detravailleurs qui nous abandonnèrent,considérant que la scission dans le Particonstituait la faillite du communisme.D’autres encore, rebutés par les difficul-tés de la tâche, se retirèrent de toutmouvement. Ces défections ne restèrentpas sans influence sur les membres del’Opposition. Il en résulta une certaineaigreur chez certains ayant une ten-dance à attribuer ce recul de l’opposi-tion à une absence d’agitation exté-rieure et à une mauvaise direction dugroupe. » (49)

Malgré ces critiques, la discussion sur leprogramme et la situation de l’opposi-tion se déroule pendant cinq semaines.Certains militants comme il est décrit,ci-dessus, ne se sentent pas la force deréaliser ce travail nécessaire et fon-damental qui consiste à comprendre lasituation et à dresser des perspectivesd’action pour le futur. Ils abandonnentet, par exemple, à Bruxelles, le groupepasse de 50 militants à une vingtaine.

Le travail dans les syndicats

En 1928, l’opposition a une influenceimportante. Mais à la suite des grèves de1928, certains militants syndicaux se dé-couragent et l’influence de l’Oppositioncommence à diminuer.

Les deux piliers ouvriers du groupebelge étaient le port d’Anvers et les mi-neurs. En ce qui concerne le port d’An-vers, l’influence s’y maintiendra. Dansla grève de 1928, ils participent à la luttepar la création d’un comité qui subsisteencore après la grève et se transforme enun comité d’action. Le comité reste ou-vert à tous les travailleurs qui veulentque le syndicat devienne réellement uninstrument de lutte. Le PCB s’en retire

48. Texte adopté par le Comité central le 29 juin1930 sur les problèmes posés par Vereecken.(archives O. Perrone).49. Idem.

en 1930 pour créer un comité concurrentqui ne reste que très faible.

Les mineurs de Charleroi travaillentavec les Chevaliers du travail. Les che-valiers du travail, en France, étaient nésau XIX° siècle comme une émanationdes Knights of Labour états-uniens etcanadiens (50). En Belgique ils appa-raissent à la suite de la grève des verriersen 1884. Puis, ils se développent chezles mineurs et les métallos. Ils se re-constituent après la guerre à la suite desréactions ouvrières contre la politiqueréformiste du POB et de l’exclusion descommunistes des syndicats socio démo-crates. Il semble qu’ils n’aient plus toutà fait les mêmes orientations ésotériquesaprès la guerre. A Charleroi, il s’agitd’un syndicat indépendant groupant desmineurs. A Liège où Julien Lahaut dirigela section, il groupe aussi des métallur-gistes.

En 1927, il y avait 3784 membres dont2168 à Seraing, 9 à Pâturages et 19 àGhin. Les communistes y détiennent lespostes clefs. (51)

50. Aux États-Unis, alors qu'il n'y avait pas encorede véritables syndicats, la première organisationnationale de travailleurs fut l'Ordre des Chevaliersdu Travail. Fondé en 1868, cet ordre s'inspira dela tradition des loges opératives, véritable combi-naison de corporations et de syndicats, qui, auMoyen-Âge en particulier, avaient servi de cadred'organisation à diverses professions, commecelles du "bâtiment" ou, plus exactement, de laconstruction. Cet Ordre rassemblait, au sein d'unemême localité, tous les travailleurs, Blancs etNoirs (mais ni les Indiens, ni les Chinois), femmeset hommes, Américains de "souche" et immi-grants : ouvriers qualifiés et non qualifiés, ou-vriers agricoles, mais aussi artisans, petitscommerçants, agriculteurs et travailleurs indépen-dants, à l'exception notoire des avocats, des ban-quiers ainsi que de tous ceux qui vivaient, d'unefaçon ou d'une autre, du commerce de l'alcool. Ausein des Chevaliers du Travail de nombreux mili-tants anarchistes jouèrent un rôle prépondérantdans la grève générale et les manifestations du 1ermai 1886 alors même que la direction de l'Ordrel'avait condamnée. C'est pourquoi, leurs dirigeantsainsi que les adhérent(e)s furent, avec lesanarchistes, les principales victimes de la répres-sion qui suivit le massacre de Haymarket (Chica-go). La première implantation européenne del'Ordre des Chevaliers intervint en Belgique en1880. En France comme en Belgique, la Chevale-rie du Travail se rattacha, dés sa naissance, à latradition révolutionnaire et avait pour projet l'abo-lition du capitalisme. Elle admettait le sabotage etla grève générale comme moyen de lutte. AristideBriand, théoricien de cette forme d'action, étaitChevalier du Travail. L'Ordre était égalementanticlérical et adhérait au coopératisme et à l'auto-gestion. Antiparlementariste, ses membres déten-teurs d'un mandat politique étaient interdits demaîtrise : les élus ne peuvent et ne pouvaient rece-voir de délégation qu'impérative, limitée et révo-cable à tout moment. De nombreux Chevaliersétaient francs-maçons.51. Cahiers du CEMTRI, op. cit., page 15.

Le congrès des Chevaliers du travail de1928 a adopté des statuts définitifs. Troistendances se sont exprimées. La ten-dance qui l’a emporté était la tendancequi voulait se battre pour la réintégrationdes exclus dans les syndicats et le re-groupement avec uniquement les mi-neurs. Après la scission dans le PCB,l’opposition ne va plus aux réunions demars 1928 à novembre 1928. Lorsqu’ilsreviennent, ils constatent qu’il n’est pluspossible de travailler avec des stalinienscomme Lahaut, qui veulent faire deschevaliers un syndicat inféodé au PCB.

La question syndicale donne lieu à unlarge débat dans le groupe d’oppositionet à la rédaction d’un document de poids« Résolution sur la situation syndicale etles tâches des oppositionnels. » (52) Cedocument après avoir rappelé la fonctiondes syndicats comme regroupement destravailleurs pour la défense de leurs inté-rêts, comporte tout un développementsur l’histoire du syndicalisme en Bel-gique : de l’exclusion des révolution-naires des syndicats réformistes au mou-vement unitaire et aux Chevaliers du tra-vail. Dans la période où le PCB était di-rigé par la Gauche « notre travail com-muniste unitaire (a permis) d’arriver àconvaincre les meilleurs ouvriers deschevaliers du travail de la nécessité del’unité syndicale. » La résolution ensuitepoursuit en rappelant la politique de l’ICet ses 4 premiers congrès. Le 4ème

Congrès déclara que « tous les partiscommunistes doivent faire tous leurs ef-forts pour empêcher la scission dans lessyndicats, qu’ils doivent faire tout ce quidépend d’eux pour reconstituer l’unitésyndicale détruite dans certains pays etobtenir l’adhésion du mouvement syndi-cal de leurs pays respectifs à l’ISR. »Cette vision est tout à fait en accordavec la vision de Marx qui disait que lescommunistes « n’ont pas d’intérêtsdistincts à défendre » (Manifeste com-muniste). Il montre que la tendanceJacquemotte qui va devenir stalinienneagissait, déjà de façon "cachée" avant1928 et anti-unitaire comme le faisaientles sociaux-démocrates dans le but deconquérir la direction des organisationsouvrières mais certainement pas dans lesens de développer l’unité des tra-vailleurs dans le seul intérêt de la classeouvrière, même contre les intérêts im-médiats de sa "boutique", si c’est néces-saire. Les "futurs majoritaires" « sabo-taient ouvertement notre travail syndi-cal. Malgré cela, avant notre exclusiondu PC, les majoritaires (53) étaient obli-

52. Archives O. Perrone.53. On sait que c’est ainsi qu’on appelait ceux quiétaient sur les positions majoritaires de l’IC.

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gés de masquer leur esprit division-niste.»

Et enfin, « la crise de l’IC, et le change-ment de l’orientation syndicale qui enrésulte…(font que )… nos adversairesau sein des Chevaliers du travail ontmaintenant pour eux l’appui du PCB etde l’ISR » et les « décisions du 4ème

Congrès de l’ISR » [nouvelles décisionsde l’ISR en voie de stalinisation] sont« en contradiction absolue avec la réso-lution sur le recrutement syndical votéeà l’unanimité au congrès des Chevaliersdu travail d’août 1927. » (54) Et, effecti-vement, les staliniens en désirant uni-quement conquérir la tête des organisa-tions syndicales, cassent tout le travailpolitique effectué par l’ancien PCB.L’Opposition conclue ainsi ce passagedu document : « Nous devons défendrela résolution du Congrès de 1927, car,seule elle tient compte des réalités syn-dicales, s’en écarter, serait faire la poli-tique des majoritaires et des chefs ré-formistes. » (55) Effectivement, la nou-velle politique des staliniens rejoint l’ac-tion des réformistes, des sociaux démo-crates qui divisent la classe ouvrière encherchant à prendre la tête des syndicatsou à créer sa propre organisation syndi-cale. « C’est dans le domaine syndicalque la bolchevisation commencée avantle 5ème Congrès, consacré par lui et misebrutalement en pratique en raisons deses résolutions, a porté les ravages lesplus néfastes. » Et, « les partis com-munistes incapables de résister à ceprocès [de bolchevisation] n’écartèrentpas seulement la démocratie ouvrièredans leurs propres rangs, mais tout leurtravail extérieur porta l’empreinte d’unmépris absolu de cette démocratie. »(…) « L’IC fut amené à faire uneconcurrence opportuniste aux scission-nistes réformistes » (…) « Par-là, lessections de l’IC croient pouvoir asservirune fraction de la classe ouvrière à leurbut particulier. » (…) « C’est ce qui faitqu’après tant de sectes que le marxismea rencontrées sur son chemin au coursde son histoire, dans le mouvement ou-vrier, le communisme dégénéré de l’IC,oppose actuellement, sa ligne scission-niste, à celle divisionniste de la social-démocratie. » Le document se terminesur les taches syndicales et plus particu-lièrement en Belgique. La principale re-commandation est de travailler à l’unitésyndicale. Ensuite, il est précisé que« les syndicats doivent organiser tousles ouvriers » et c’est vers ce but que lescommunistes doivent travailler quel que

54. Republiée en annexe de la Résolution citée,page 15, op. cit., archives O. Perrone.55. Résolution, page 6, op. cit.

soit le syndicat dans lequel ils setrouvent et également dans les syndicatsdes Chevaliers du travail.

Cette résolution est d’une très grandeportée, il ne s’agit pas encore pour l’Op-position de lutter pour l’unité ouvrièredans et en dehors des syndicats mais detravailler à l’unité des travailleurs à l’in-térieur de tous les syndicats quels qu’ilssoient. Rechercher l’unité de la classeouvrière hors des syndicats sera une po-sition en discussion dans la GaucheCommuniste seulement à la fin des an-nées 1930.

Les élections

On sait que le représentant du PCB, VanOverstraeten avait été un des trois délé-gués au 2ème Congrès de l’IC à avoir votéla résolution de Bordiga, contre le parle-mentarisme. En 1928, cette questionthéorique sur la question parlementaireet électorale se télescope avec la ré-flexion sur la place de l’Opposition parrapport à l’IC. L’Opposition demandealors sa réintégration à l’IC et, dans lemême temps, une question se pose :doit-elle se présenter aux élections alorsque le parti officiel : le PCB se présenteégalement ? L’organe central lance ladiscussion sur la question parlementaire,sachant que la Fédération de Bruxellesest d’accord pour la participation auxélections.

Dans l’ensemble de l’Opposition, ontrouve ceux qui sont d’accord avecCharles Plisnier. Ce dernier défend l’i-dée que l’IC peut encore être redresséecar elle n’a pas trahi définitivement pourlui ; c’est, toutefois, à Trotski et à l’op-position russe d’en juger. Par conséquentl’opposition belge n’est pas undeuxième parti et n’a pas à se présenteraux élections.

On trouve ensuite ceux qui pensent quecette discussion n’est pas nécessaire carl’opposition belge est déjà, dans lesfaits, un deuxième parti à cause de sonimportance et de son intervention dansla lutte de classe : c’est la position de lamajorité du groupe ainsi que desmembres de l’ancien Comité Centralcomme Van Overstraeten.

Un troisième groupe pense qu’il fautconstruire un deuxième parti car l’IC atrahi en déportant les révolutionnairesrusses.

Un quatrième groupe, extrémiste, dontfait partie Vereecken, soutient l’idée que,dès à présent, il faut construire une nou-velle internationale : la IV° Internatio-nale.

Les partisans d’un deuxième parti sontd’accord avec le point de vue de Trotskisur sa fondation jusque et y compris lanécessité de le fonder, uniquement, enBelgique. Ils pensent que, du fait del’importance égale du PCB, avec l’Op-position, est normal de le faire. Pour cestrois derniers groupes il est nécessaire dese présenter aux élections.

Charles Plisnier, au cours de la discus-sion, rédige un texte pour défendre lanon-participation aux élections. De sonpoint de vue, il existe des tâches priori-taires : l’homogénéisation de l’opposi-tion, la question du programme et dutype d’organisation à construire… Ilestime également qu’en participant auxélections, l’opposition apparaîtraitcomme un parti concurrent alors qu’elledevrait apparaître justement comme unpole de regroupement pour les tra-vailleurs à la recherche d’une orientationrévolutionnaire.

Le Comité central se prononce finale-ment pour la participation. La plate-forme électorale proclame faire « unepropagande révolutionnaire claire et dé-pourvue de toute démagogie, guidant aumieux les travailleurs dans la confusionet la désorientation extrême où se trouvele mouvement ouvrier dans la périodeprésente, tel est le but que nous poursui-vons dans notre participation aux élec-tions législatives de 1929. » (56) L’opposi-tion n’en reste pas dans ce texte au ni-veau de la situation immédiate mais cri-tique la situation générale du capitalismequi doit amener nécessairement à laguerre si la classe ouvrière ne lutte pas.Cette dernière est mise en garde. « Touten indiquant les perspectives de guerre,les travailleurs doivent répondre avec ladernière énergie et la plus grande vigi-lance à l’offensive ‘pacifiste’ actuelle, laplus dangereuse qui soit parce qu’elletend purement et simplement à la sup-pression du prolétariat en tant queclasse consciente de ses intérêts et de samission historique propre. »

Le 30 avril 1929, dans une lettre à VanOverstraeten, Trotski écrit sur laquestion électorale ce qui permet depréciser ses vues sur le rôle et la fonc-tion de l’Opposition en général ainsi queplus particulièrement sur l’oppositionbelge :

« [...] Vous allez participer aux élec-tions, indépendamment, en opposantvotre liste à celle du parti. Quelquesamis sont bien inquiets de cela. Quant àmoi, je ne vois pas là une question deprincipe. Si nous sommes tout à faitfaibles, c'est-à-dire si nous ne sommes

56. Archives O. Perrone, op. cit.

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qu'un groupement de propagande, plusou moins individuelle, et voulant s'impo-ser à la masse pendant les élections,nous pouvons facilement aboutir à unrésultat contraire, c'est-à-dire à indispo-ser la masse et même provoquer un dé-goût pour le groupement prétentieux,mais impuissant. Dans des cas pareils, ilest toujours préférable et même obliga-toire de soutenir les candidats officielsdu parti, en formulant exactement noscritiques et nos stipulations pour l'acti-vité parlementaire et municipale pourrappeler aux électeurs ces stipulationsau moment propice.Mais si nous sommes assez forts, nous

devons nous présenter indépendammentet avec succès. Ce serait du doctrina-risme abstentionniste de ne pas le faire.Pendant la lutte, nous devons rejeter laresponsabilité de la scission sur les diri-geants officiels.Nous devons et nous pouvons, même

de la tribune du parlement, proposerl'unité communiste sur la base de Marxet de Lénine. Or le fait que vous allezparticiper aux élections, indépendam-ment, est un signe pour moi que vousvous sentez assez forts, en comparaisonavec le parti communiste officiel. » (57)

Cette argumentation répond aux interro-gations générales des oppositionnels ain-si, en partie, qu’à la critique de Solnt-sev (58), qui reprochait à Trotski de«tordre le bâton» dans l'autre sens, aprèsles échecs électoraux de la gauche alle-mande et du Leninbund en 1928. Laquestion est : jusqu’où aller pour ne pastomber dans la politique du « deuxièmeparti» ?

Trotski précise encore cette analysequelques mois plus tard, dans une lettreau Leninbund à qui il reproche une ten-dance vers le « deuxième parti ». (59)

* Dans des élections locales le 9décembre 1928 de la région deBruxelles, l’Opposition présente Hen-naut sur la base d’un programme appe-lant à lutter contre le capitalisme. Il ob-tient 3805 voix. La liste soutenue par lePCB, le « Frontpartij » obtient 2615voix.

* Au niveau national, la participationaux élections législatives de 1929, estprévue dans 5 arrondissements etl’abstention ailleurs. La décision en est

57. Archives de la Houghton Library de l’Univer-sité de Harvard, document numéro 10708.58. Eléazar Solntsev, oppositionnel russe en mis-sion à l’étranger. Il en a profité pour participer auxréunions des différents groupes oppositionnels enformation notamment au Leninbund en Alle-magne.59. Lettre du 19 septembre 1929, cf. ci-après.

prise au Comité Central par 13 voixcontre 2. C’est ainsi que des listes sontdéposées à Anvers, Gand, Bruxelles,Charleroi et Liège.

A Charleroi, l’opposition obtient 2951voix contre 5140 pour le PCB, mais iln’y a quasiment pas de différence entreles deux à Charleroi ville et à Châtelet.Lesoil considère que les résultats sontdécevants. Il comptait sur trois fois plusde voix. Il l’explique par le fait que lestravailleurs n’ont pas compris la scissionet parce que le PCB grâce à d’impor-tants moyens financiers a pu faire unepropagande importante.

A Bruxelles, l’opposition récolte 502voix et le PCB 10437. A Gand l’opposi-tion obtient 1347 voix contre 2788 auPCB.

A Anvers, l’opposition obtient un beauscore de 1047 voix contre 2000 à la listeunie du PCB et du « Socialistische Stri-jd ».

Le Secours rouge internationalet le Secours ouvrier international

Du fait de l’action destructrice menéepar les « majoritaires » du PCB en voiede stalinisation, l’Opposition se voitcontrainte de réviser son interventiondans les structures créées par L’IC. Lerapport (60) fait par Michel Lootens du 20mars 1929 prend position pour :

- le Secours rouge international (SRI).Le texte indique que le SRI a regroupéquelques milliers de travailleurs. Il ajoué un rôle non négligeable contre laterreur en Bulgarie et par rapport à l’af-faire Sacco et Vanzetti. Mais quand ils’est agi de rechercher la solidarité avecles déportés en Russie, les « majori-taires » ont mis « en cause l’existence »du SRI. Depuis ce n’est plus qu’un« fantôme », « le devoir des opposition-nels est de le quitter ». Ils doiventmaintenant participer au « SecoursTrotski » qui vient d’être créé en février1929 (cf. ci-dessous) à une conférenceorganisée par le Leninbund.

- le Secours ouvrier international (SOI).Il empiète sur les organisations syndi-cales car son rôle est d’organiser la soli-darité envers les ouvriers grévistes. Letexte indique que « c’est une organisa-tion sans membres » qui existe avec des« fonctionnaires soudoyés parMoscou. » « Elle exploite la carencesyndicale des syndicats réformistes enfaveur d’une politique de scission syndi-cale préconisée par l’IC. » C’est uneentreprise « de division ouvrière » y par-

60. Archives O. Perrone.

ticiper « signifie simplement se faire lesinstruments inconscients de leurs [ceuxdes staliniens] agissements criminels. »

Première scissiondans l’Opposition belge,la créationdu Cercle Marx-Engels

Début 1930, une scission s’opère àBruxelles brusquement sans qu’il y aiteu de débat auparavant et personne n’enconnaît les raisons politiques. Ceux quiquittent le groupe de l’Oppositionfondent un cercle d’étude dont le but estd’approfondir la connaissance du mar-xisme (61) (Est-ce une résurgence ducercle Marx-Lénine de Souvarine ?). Lecercle regroupe peu de membres dontdes intellectuels comme Hioco, Jef deMeur. Plus tard Vereecken en fera partiece qui est assez contradictoire avec lescritiques qu’il élèvera par la suite en di-rection de l’Opposition qui n’a pas euune attitude assez militante face à la si-tuation politique. Au moment de la rup-ture avec Trotski, ce dernier pensait quele Cercle rejoindrait la Fédération deCharleroi et permettrait à son courantd’avoir un groupe à Bruxelles. En faitseul Vereecken la rejoindra quelquesmois après.

En 1931, le Cercle tout en critiquant laLigue des Communistes internationa-listes (c’est le nom que prendra cettepartie de l’Opposition qui sera écartéede l’Opposition Internationale deGauche) demande l’organisation d’uneréunion en vue du regroupement desforces belges de l’Opposition.

Quant à Vereecken sa position politiquen’a fait qu’osciller, entre la volonté decréer une 4ème Internationale pensant quela 3ème avait déjà failli ce qui estcontradictoire avec la position de Trotskiau début des années 1930 qu’il va pour-tant rejoindre dans quelques mois et, lacritique contre la stagnation en nombredu groupe de Bruxelles dont il était lesecrétaire, au demeurant (62). Le rapportdécrit ensuite les conditions de la rup-ture « C’est ainsi que la sortie de Veree-cken vint. Un soir, après avoir défendu àla suite d’un rapport syndical desconclusions bassement réformistes com-battues par les camarades présents, Ver-recken au moment de la réplique partiten claquant les portes. Il est allé re-joindre ses amis (un mot est illisibledans le texte) membres de l’Oppositionqui, entre-temps ont constitué un nou-

61. Cahiers du CEMTRI, op. cit, page 17.62. Rapport sur Vereecken adopté par le ComitéCentral de l’Opposition le 29 juin 1930, cf.archives O. Perrone.

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veau groupe, le cercle Marx etEngels.» (63) Il est intéressant de noterl’attitude peu assurée de Vereecken.

L’opposition belgeet l’OppositionInternationalede GaucheSi l’on se penche sur cette période de l’-histoire de l’Opposition internationalede Gauche, il semble qu’il existe claire-ment deux périodes : une période de dé-veloppement qui va de 1927 jusqu’auxderniers mois de 1929 et une période decrise que l’on peut clairement dater àquelques mois après l’arrivée de Trotskià Prinkipo où il arrive le 12 février1929. En fait, son arrivée a précipitél’action destructrice de la Guépéou suiteaux ordres de Staline en réaction à l’ac-tivité politique de Trotski.

La phase de développementde l’Opposition Internationalede Gauche au cours de 1929

Les premières rencontres entre les dif-férents groupes de l’Oppositions ne sontpas évidentes à organiser (64). L’opposi-tion allemande : le Leninbund (65) a pré-paré dès le mois de décembre 1928 uneconférence. Elle se tint le 17 février1929 à Aachen (Aix La Chapelle) LeLeninbund l’a présenté comme une« Conférence de défense des bolcheviksbannis ». Participent à cette réunion :pour l’Allemagne le Leninbund, laDeutsche Industrieverband (Associationde l’industrie allemande) le groupe kor-schiste de la Ruhr (Kommunistische Po-litick) ; l’Opposition belge ; Contre leCourant pour la France ; pour les PaysBas, le syndicat NAS et la rédaction dujournal De Nieuwe Weg (La nouvellevoie) mensuel auquel collabore Sneev-liet. D’autres groupes ont adressé leursoutien. Le Redressement communistes’excuse de son absence faute demoyens financiers pour se déplacer. Laconférence décide la création d’un « Se-cours Trotski » « destiné à venir en aideaux révolutionnaires défenseurs de ladictature du prolétariat. » (66) Un comité

63. Rapport sur Vereecken, idem, page 6.64. Opposants à Staline, 1929-1930, Damien Du-rand, Ed. La pensée sauvage, Paris, 1988.65. La gauche du KPD en 1926 s’est donnée unedirection nationale ‘de gauche’ composée de RuthFischer, Urbahns, Scholem, Josef Kohn dit Joko etAnton Grylewicz. Le XI° Congrès du KPD, début1927, voit la défaite de sa gauche. Le groupe« Urbahns-Fischer » est exclu du parti dès le dé-but avril. Le Leninbund est fondé les 8 et 9 avril1928 d’une partie de l’opposition, les zinoviévistequi suivent Ruth Fischer et Maslow.66. Contre le Courant, N° 23 du 25 février 1929,page 5 « Une conférence internationale ».

provisoire est mis en place. Urbahnspréside le Comité, il comprend : Paz,Van Overstraeten, Sneevliet, Paul Weyeret un militant du Leninbund : Jacob Rit-ter. L’importance de cette premièreconférence tient dans le fait que s’est lapremière tentative internationale. Biensur « c’est (tout simplement) un point dedépart » d’après les mots de la lettred’Urbahns à Trotski du 25 février 1929.

Dès ce moment, l’existence de l’Opposi-tion Internationale est posée. Trotskidans un texte publié dans Contre leCourant (29-30 du 6 mai 1929) sous letitre « Les tâches de l’Opposition »aborde ses axes de travail.

« Il est nécessaire d’élaborer, en mêmetemps que les plates-formes nationales,une plate-forme internationale de l’Op-position […] qui servira de pont au pro-gramme futur de l’Internationale com-muniste. » Ce premier point est enadéquation parfaite avec l’action de lamajorité de l’Opposition belge.

L’instrument de l’élaboration de cetteplateforme est, pour Trotski, un organeinternational de l’opposition.

« Un tel organe (…) doit être dans unpremier temps ouvert à tous les groupesqui se comptent comme opposition degauche ou qui tendent à s’en rappro-cher » (…) « Cette revue doit être égale-ment une tribune libre. Elle devra enparticulier effectuer un contrôle inter-national sur les divergences entre lesdifférents groupes nationaux de l’Oppo-sition de gauche. Un tel contrôle attentifet consciencieux permettra de distinguerentre les désaccords réels et les désac-cords imaginaires et de rassembler lesmarxistes révolutionnaires, en éliminantles éléments étrangers. »

C’est à cette tâche que va s’atteler Ros-mer, il compte y faire participer large-ment Van Overstraeten.

Trotski dans un projet de lettre circulairedu 13 octobre 1929 souhaite la constitu-tion d’un bureau international ce qu’ilavait déjà indiqué dans un courrier àRosmer le 10 juin 1929 (67). Il suggèredans le deuxième courrier de le consti-tuer avec l’Opposition russe : Trotski, unmembre du groupe de la Vérité (Ros-mer) et un membre de l’Oppositionbelge (Van Overstraeten). Trotski attendplusieurs mois (juin à décembre 1929)des nouvelles sur la constitution du bu-reau. Mais Rosmer garde le silence,Trotski s’en inquiète. Il reçoit enfin unelettre du 19 décembre 1929 qui lui ex-plique le développement de la crise

67. Archives de la Houghton Library de l’Univer-sité de Harvard, document numéro 9840.

belge ; « Une conséquence indirecte,c’est que War (68) Van Overstraeten se re-plie plus que jamais sur Bruxelles [..] etne veut plus entendre parler du bureauinternational provisoire ni signer l’ap-pel (69) que vous avez préparé. Et je n’aiguère d’espoir de le faire revenir sur sadécision. Au moins pour un temps, il vase murer dans Bruxelles. »

Mais on lit dans une lettre de VanOverstraeten à Trotski du 15 janvier1930 (70) un passage qui contredit Ros-mer. « En indiquant certains obstacles àl’affermissement de la cohésion interna-tionale, nous ne proposons nullement denous contenter de prendre simplementacte des choses. Au contraire, nousavons pleinement souscrit, lorsque Ros-mer nous a transmis la circulaire dontvous aviez conçu le projet il y a quelquetemps. Il est vrai que depuis, son envoisemble avoir été retardé. »

On constate que les Belges ont été accu-sés de retards mais rien n’est moins claircar l’on sait que Rosmer ressentait lanécessité d’être plus prudent face à l’im-mensité des tâches qui attendaient l’Op-position et l’on peut noter le début dedésaccords avec Trotski à partir de la finoctobre 1929 et l’attitude qu’il a adoptéeavec sur la question syndicale.

Les discussions avec Trotski

1- Sur le deuxième parti. La lettre du 19septembre 1929 traite de la politique duLeninbund et du danger de scission.Dans ce courrier, un passage a trait àl’Opposition belge qui définit ce queTrotski considère comme la politique de« redressement ». Cette question dudeuxième parti va empoisonner pendantquelques années l’Opposition Internatio-nale de Gauche et toutes ses sections.Elle va également rythmer toutes lesscissions et être largement utilisée parles provocateurs. Nous avons déjà abor-dé cette question du « redressement » ci-dessus ainsi que le rôle de l’Oppositionbelge à propos de la question électoraleen Belgique. L’importance accordée àcette question dans les différentes crisesdes oppositions dans tous les pays euro-péens, nous amène à citer longuementTrotski sur le sujet :

« En Belgique et en Amérique où le par-ti communiste officiel est très faible etl’Opposition relativement forte, les or-ganisations de l’Opposition peuvent

68. Diminutif d’Edward.69. Trotski voulait lancer un Appel de l’OppositionInternationale pour appeler les groupes à se re-trouver dans une organisation centralisée et por-tant la signature des 3 personnes déjà citées.70. Archives de la Houghton Library de l’Univer-sité de Harvard, document numéro 5669.

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avoir une politique totalement indépen-dante du parti officiel, c’est-à-direpeuvent en appeler aux masses par-des-sus la tête du parti officiel chaque foisque c’est praticable. En Allemagne,c’est une tout autre affaire, et dans unelarge mesure également en France. Il ya dans ces pays un rapport de forcestrès différent. L’Opposition se compte encentaines ou en milliers ; les partis offi-ciels en centaines de milliers.Il faut garder cela à l’esprit pour éla-

borer notre politique.Vous pensez que l’opposition russe a

besoin de mots d’ordre "démocratiques"pour se transformer plus vite en un par-ti. Mais je pense au contraire que vousavez besoin de quitter cette armure troplourde de parti et de revenir au statut defraction. Volkswille (journal) sous saforme actuelle n’a pas d’avenir. Il estplein aux trois quarts de matériaux pourun quotidien qu’il ne remplace pas, na-turellement. Ce dont vous avez surtoutbesoin, c’est d’un bon hebdomadaire fa-briqué avec sérieux qui soit capabled’éduquer des cadres révolutionnairesmarxistes. Le problème du quotidien nepourra se poser qu’à l’étapesuivante. » (71)

L’Opposition belge se trouve dans cecas : le groupe est à égalité avec le PCBen nombre de militants et en influence,elle peut « avoir une politique totale-ment indépendante du parti officiel,c’est-à-dire peu[ven]t en appeler auxmasses par-dessus la tête du parti offi-ciel chaque fois que c’est praticable. »C’est strictement cette politique quel’Opposition belge appliquera.

2- Sur le conflit du chemin de fer del’Est chinois qui touche également laquestion de la fonction et du rôle del’Opposition. La question de la défensede la politique soviétique se pose. Faut-il accepter la continuation de la mainmise sur le chemin de fer de l’Est Chi-nois ou non ? Et, la politique soviétiqueest-elle une politique impérialiste ?

Une discussion se développe, en 1929,dans les différents groupes de l’Opposi-tion au niveau international sur le che-min de fer de l’Est chinois. D’un coté ontrouve toute la rédaction de Contre lecourant (72) à l’exception du camaradeDelfosse, Louzon dans un article de laRévolution Prolétarienne (73), VanOvertstraeten dans Le Communiste (le 4

71.Œuvres, Léon Trotski.72 Contre le Courant, numéro 36-37 du 21 sep-tembre 192973. L’héritage du Czar ou celui de Lénine ? Nu-méro du 1er août 1929, repris dans le numéro 36-37 de Contre le Courant., pages 11 et suivantes.

août) et The Militant de la section améri-caine dans un article du 15 août ; del’autre côté Trotski et Landau de l’Op-position allemande. Les deux derniersdéfendent la politique soviétique.

Le journal Le Communiste de l’Opposi-tion belge a publié les articles de Lou-zon et de Trotski sur le conflit. Puis, il aannoncé dans le numéro du 8 septembreque des « divergences sérieuses » ontsurgi dans leur groupe ; il a, enconséquence, ouvert la discussion dansle journal. Dans l’article du 4 août intitu-lé « Vers le social impérialisme » VanOverstraeten a pris position. Il affirmequ’ « aucune argutie au monde ne feraque la lutte de l’Etat soviétique pour laconservation du contrôle commercial duchemin de fer de l’Est chinois soit unelutte révolutionnaire. Seules, les mor-telles déformations de l’Etat soviétique,sa soumission de plus en plus accentuéeaux intérêts de classes ennemies du pro-létariat, peuvent le pousser à s’acharnerpour la conservation d’un "droit" héritédu capitalisme. »

La réponse de Trotski est très alambi-quée c’est la raison pour laquelle nous lareproduisons in extenso.

[Citation de Trotski]

Je crois (74) nécessaire de répondrespécialement à l’article du camaradeVan Overstraeten paru dans le nº 23du journal Le Communiste, pour troisraisons :a). La question elle-même a uneimportance décisive pour la détermi-nation de la voie de l’Opposition.b). L’Opposition belge tient unegrande place dans nos rangs interna-tionaux.c). Le camarade Van Overstraetenexerce à juste titre un rôle dirigeantdans l’Opposition belge.

Tandis qu’en Allemagne, de mêmequ’en France ou en Tchécoslovaquie,l’Opposition de gauche ne peut et nedoit être qu’une fraction, l’Oppositionbelge peut devenir un parti indépen-dant en opposition directe à la social-démocratie belge. C’est le devoir im-médiat de l’Opposition internationaled’aider l’Opposition belge à occuperla place qui lui revient et surtout del’aider à publier son hebdomadaire.

D’autant plus importante dès lors,pour l’Opposition internationale toutentière est la ligne politique de nosamis belges sur chaque questionspécifique. L’erreur de Contre le Cou-rant n’a qu’une valeur de symptôme.

74.Œuvres – Léon Trotski, Le conflit sino-sovié-

tique et la position des communistes de gauchebelges, lettre du 30 septembre 1929

Une erreur du Communiste peutacquérir une valeur politique. Voilàpourquoi je crois nécessaire d’exami-ner séparément la position du cama-rade Van Overstraeten sur le conflitsino-soviétique. Je le ferai aussi briè-vement que possible, sous la forme dequelques points séparés puisque j’aidéjà développé les principales consi-dérations dans ma brochure La Dé-fense de l’U.R.S.S. et l’Opposition.

1. Van Overstraeten écrit :

“ L’affirmation que Thermidor est accom-pli serait, à notre avis une absurditémonstrueuse. Elle ne pourrait conduirequ’aux pires erreurs. Ce serait une rup-ture complète avec toutes les possibilitésquelles qu’elles soient d’activité ré-volutionnaire ”.

C’est un principe au plus haut degréimportant, qui nous sépare de façonirréductible des ultra-gauches. Et il ya une solidarité complète entre VanOverstraeten et nous.

Mais Van Overstraeten a tort quand ilpense que la question de Thermidorn’a pas de lien direct avec l’apprécia-tion du conflit sino-soviétique. Lecamarade Patri (75) (dans La Lutte deClasses) a tout à fait correctement dé-voilé l’erreur fondamentale de Lou-zon qui comprend l’impérialisme nonà la façon de Marx et de Lénine, maisà la façon de... Dühring (76). Du pointde vue marxiste, l’impérialisme est lestade suprême du capitalisme et n’estconcevable que sur une base capita-liste. Pour Louzon, l’impérialisme estune politique d’ « intervention » et de« conquête » en général, indépen-damment du régime, des conditions,des objectifs de ces interventions etde ces conquêtes. C’est pourquoi ladéfinition de classe du régime sovié-tique est un postulat fondamentaldans tout le débat. Louzon, qui est unformaliste, ne s’en rend pas compte.

Mais Van Overstraeten est un mar-xiste. Le soutien qu’il apporte à Lou-zon dans cette question est évidem-ment un malentendu.

2. Le camarade Van Overstraeten sou-tient Louzon dans une autre de seserreurs. Au sujet de ma démonstra-tion que le maintien du chemin de ferde l’Est chinois aux mains des sovietsn’a pas seulement une grande impor-tance pour la sécurité de la révolutionrusse, mais également pour le déve-loppement de la révolution russe. VanOverstraeten écrit :

75. Aimé Patri (1904-1983), professeur de philoso-phie, ancien du groupe de La Lutte de Classesétait l'un des collaborateurs de la Vérité, il signaitsouvent André Ariat.76. Karl Eugen Dühring (1833-1921), économisteet philosophe positiviste allemand, a été la cibledu célèbre ouvrage d'Engels : M. Dühring boule-verse la science.

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“ R.Louzon dit justement qu’une telleaction fait reposer sur l’U.R.S.S. le de-voir élémentaire de lutter sans mercipour la libération de toute la Mandchou-rie de toute sorte d’oppression réaction-naire ; ”

En d’autres termes, ou bien la répu-blique soviétique restituera de sonplein gré le chemin de fer au pire op-presseur de la Mandchourie ou bienelle est obligée en même temps de li-bérer d’un coup toute la Mandchou-rie, de toute espèce d’oppression.Cette alternative ne correspond àrien, Si la république soviétique étaitassez forte elle aurait évidemment ledevoir de venir en aide aux massesopprimées de Mandchourie et detoute la Chine, les armes à la main.Mais la république soviétique n’estpas assez forte pour le faire.

Ce manque de force ne lui impose ce-pendant pas l’obligation politiquediamétralement opposée d’abandon-ner volontairement le chemin de fer àl’oppresseur réactionnaire de laMandchourie et à l’agent du Japonqui, il est intéressant de le rappeler,est actuellement opposé à 1’unifîca-tion de la Chine, même sous l’autoritéde Tchiang Kai-chek.

3. Van Overstraeten écrit :

“ Une offre pure et simple de restitutiondu chemin de fer de l’Est chinois eût à lafois révélé aux masses chinoises toute lafausseté de l’accusation d’« impérialismerouge » portée par Tchiang Kai-chekcontre l’U.R.S.S. ”

Ici, la restitution du chemin de fer àl’ennemi est envisagée du point devue de la propagande et desmeilleures méthodes pour démasquerTchiang Kai-chek. Mais si on poussel’argument plus loin, on découvrequ’en livrant toutes ses armes à sesvoisins bourgeois, la Russie sovié-tique réfuterait de la meilleuremanière l’accusation de militarismerouge. Le meilleur moyen de dé-montrer que vous ne vous préparez àattaquer personne, est de vous couperla gorge.

4. Van Overstraeten formule mon« erreur » de la façon suivante :

“ Il (Trotsky) substitue la défense fictivede l’intérêt révolutionnaire du prolétariatmandchou à la défense réelle des intérêtséconomiques de l’U.R.S.S. ”

Il y a ici deux idées fausses réunies.Premièrement, je n’ai nulle part envi-sagé la question du point de vue desintérêts du prolétariat mandchou.Pour moi, il s’agit des intérêts de larévolution russe et chinoise dans leurensemble. La Mandchourie est l’unedes principales et plus solides têtesde pont de la contre-révolution chi-noise. Même le Guomindang deTchiang Kai-chek n’a pas pu se rendre

maître de la situation en Mandchou-rie – pas formellement, mais réelle-ment – sauf en faisant la guerre auxgens du Nord. Au cas où cette guerreéclaterait, le chemin de fer serait auxmains de Zhang Suolin, une armeformidable contre l’unification bour-geoise de la Chine. Dans l’éventualitéd’une nouvelle – c’est-à-dire d’unetroisième – révolution, la Mandchou-rie jouerait fatalement le rôle jouédans la révolution russe par le Donou le Kouban, ou dans la révolutionfrançaise par la Vendée. Il va sansdire que le chemin de fer pourraitaussi trouver place dans ce rôle.

La deuxième erreur dans ces lignesest que, on ne sait pourquoi, il n’estquestion que des intérêts écono-miques de la république soviétiqueen Orient qui jouent en réalité un rôlede troisième ordre. Nous parlons dela situation de l’URSS dans un encer-clement international. L’impérialismeéprouve la résistance de la républiquesoviétique en différents endroits.Chaque « épreuve » de ce type poseou peut poser la question : cela vaut-il la peine de faire la guerre pour lechemin de fer chinois ? Pour la Mon-golie ? Ou pour la Carélie ? Ou est-cepour la Géorgie ? Cela vaut-il la peined’entreprendre une guerre pour leremboursement des dettes du tsar ?Pour la remise des usines américainesà leurs ex-propriétaires ? Ou pour lareconnaissance des droits de labanque russo-asiatique ? Et ainsi desuite. Seul un formaliste peut opérerdes distinctions principielles entre cesquestions. Ce sont au fond des va-riantes courantes d’une seule etmême question : faut-il, dans le casprésent, livrer bataille ou vaut-ilmieux battre en retraite devant l’at-taque de l’impérialisme ? Les cir-constances peuvent dicter la retraite(et elles l’ont dictée, souvent). Maisalors il est nécessaire d’appeler l’a-bandon d’une position, une capitula-tion partielle inévitable, et de ne passe couvrir derrière le principe del’ « auto-détermination nationale »,c’est-à-dire sans faire de nécessitévertu, comme disent les Allemands.

5. Van Overstraeten voit ma princi-pale erreur dans le fait que je pose“ la question de la défense de l’URSSmême avant d’avoir répondu à laquestion de la défense de la paix. ”

Malheureusement ici, Van Overstrae-ten sombre complètement dans le pa-cifisme. Il n’existe pas de défense dela paix en général, si l’on fait bien en-tendu abstraction des découvertestardives de Briand sur la nécessitéd’éduquer les enfants dans l’esprit del’amour pour leurs prochains (et pourles réparations allemandes). Pour leprolétariat révolutionnaire, le conflitsino-soviétique pose la question nonde la défense de la paix en général –

quelle paix ? à quelles conditions ?dans l’intérêt de qui ? – mais précisé-ment de la défense de la républiquesoviétique. C’est le critère principal.Ce n’est qu’ensuite que se pose ladeuxième question. Comment assurerla défense de la répub1ique sovié-tique dans les circonstances concrètesprésentes : par des hostilités ou parune retraite temporaire pour nousprotéger contre une attaque ? Cettequestion est résolue approximative-ment de la même façon que les syndi-cats résolvent celle de savoir s’il fautfaire des concessions aux capitalistesqui baissent les salaires ou appeler àla grève. S’il est dirigé par des révolu-tionnaires, le syndicat résout laquestion de la grève en conformitéavec la situation d’ensemble qui dé-termine le rapport de forces des deuxcôtés, mais d’aucune façon conformé-ment au principe du maintien de la« paix industrielle ». Si on aborde leconflit sino-soviétique avec un critèremarxiste, il est impossible de ne pasreconnaître que la défense de la paixen général est aussi inacceptable quecelle de la paix industrielle, car, dansles deux cas, il s’agit de la lutte declasses entre le prolétariat et la bour-geoisie, à l’échelle nationale ou inter-nationale.

Si Van Overstraeten avait simplementdit :

“ Mieux vaut renoncer au chemin defer de l’Est chinois, mais préserver lapaix ”, on pourrait comprendre sa po-sition. Certainement la question de-meurait ouverte de savoir si cetteconcession n’aiguiserait pas les appé-tits de nos (nombreux) ennemis et sielle n’aggraverait pas encore la situa-tion. Mais c’est là une question prati-que de simple analyse qui n’a rien àvoir du tout avec la philosophie del’impérialisme soviétique. Ce dont ils’agirait, ce ne serait pas de remplirun pseudo-devoir vis-à-vis d’unepseudo-indépendance chinoise, maisde nous débarrasser de nos ennemis.Cela signifierait que l’on ne peut pla-cer la défense de la paix au-dessus decelle de l’Union soviétique, mais quel’on estime que, dans les conditionsprésentes, la défense de l’Union so-viétique peut être mieux assurée parl’abandon d’une partie de sa proprié-té à l’ennemi de classe.

Après l’écrasement de la révolutionchinoise, étant donné l’affermisse-ment de la stabilisation en Europe, laguerre est particulièrement domma-geable pour la république soviétique.Il ne saurait y avoir de doute à ce su-jet. Mais le camp ennemi égalementse résout difficilement à la guerre.Tchiang Kai-chek ne peut se lancerqu’avec l’intervention active de l’im-périalisme mondial. Or, pour ce der-nier, l’attitude du prolétariat, voire decertains secteurs du prolétariat, est

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d’une importance immense. Celui quiclame qu’il faut abandonner à l’agentjaponais Zhang Suolin ou au contre-révolutionnaire Tchiang Kai-chek lechemin de fer qui appartient à la ré-publique soviétique, celui qui cachela signification du mot d’ordre « Basles pattes devant la Chine », celui qui,directement ou indirectement, appuiel’accusation d’ »impérialisme rouge »,celui-là modifie, ce faisant, le rapportdes forces à l’avantage de Zhang Suo-lin Tchiang Kai-chek et l’impérialismemondial et par conséquent, dans lescirconstances présentes, accroît enpratique les chances d’un conflit mili-taire.

6. Dans les premières semaines quiont suivi la prise du chemin de fer, lesdépêches de presse, de même que lesdéclarations des représentants dugouvernement soviétique, laissaient àpenser avec assez de certitude qu’ilpourrait y avoir un règlement paci-fique du conflit. Mais le fait qu’il seprolonge non seulement compliquebeaucoup la situation, mais permetde penser qu’une troisième force, surlaquelle nous ne connaissons quetrop peu de choses, prend égalementpart à ce jeu. La diplomatie sovié-tique a-t-elle bien ou mal manoeu-vré ? Telle est la question fondamen-tale. Pour la résoudre, nous man-quons des éléments nécessaires. Maissi elle a commis des erreurs de tac-tique, ce qui est très vraisemblable, cen’est pas au sens d’une atteinte impé-rialiste aux droits nationaux de laChine, mais au sens d’une apprécia-tion factuelle de la situation. Si,comme le prédit avec assurance l’Hu-manité du 25 septembre, la guerrevient à éclater dès l’automne, on peutconsidérer que les conséquences enseront incalculables, Nous ignorons lasource de cette information de l’Hu-manité. Mais l’Opposition doit êtresolidement préparée, elle aussi, à untournant brutal de ce genre.

Van Overstraeten termine son articlepar deux mots d’ordre : “ Pour la Dé-fense de l’Union soviétique ! ” et“ Contre le Stalinisme ! ”. Ils sont toutà fait justes. L’Opposition russe a tou-jours posé la question de cette façon.Mais cela signifie aussi précisémentqu’en cas de guerre, les Opposition-nels seront entièrement et sans ré-serves du côté de la république sovié-tique. Et ils doivent, dès maintenant,devant les masses ouvrières, se sépa-rer implacablement de tous ceux qui,sur cette question capitale, adoptentune position ambiguë.

[fin de citation de Trotski

Le débat est très fraternel, après unephase difficile, les relations entre Trotskiet l’Opposition belge s’arrangent. L’ac-tion de Rosmer et ses lettres ont rappro-

ché les points de vue. Il y a en effet unedifférence importante entre Urbahns etVan Overstraeten. Le premier, contraire-ment à Trotski et Van Overstraeten,estime que la Russie a connu déjàThermidor c’est à dire que la réaction acommencé et c’est ce point qui paraitfondamental pour Trotski, ceux quipensent que la Russie à déjà connuThermidor ne peuvent pas appartenir àl’Opposition de Gauche. La position deVan Overstraeten est en complet désac-cord avec Trotski sur l’attitude de laRussie par rapport au chemin de fermais elle ne remet pas en cause la naturede la Russie.

Van Overstraeten écrit « L’affirmationde l’accomplissement de Thermidor se-rait, à notre sens, une monstrueuse ab-surdité. Elle ne conduirait pas seule-ment aux pires errements, elle rompraittotalement avec toute possibilité d’ac-tion révolutionnaire. » (77) Ceci dit dansce débat sur la question de l’attitude del’URSS par rapport à la position àprendre sur le chemin de fer de l’Estchinois, c’est Van Overstraeten qui a rai-son et Trotski qui essaie encore de seconvaincre lui et les révolutionnaires quile suivent, qu’il faut défendre la Russiestalinienne dans sa politique extérieureparce qu’il faut défendre la révolutioncoûte que coûte. C’est cette politiqueque Trotski va défendre jusqu’à ladeuxième guerre mondiale car il pensequ’il y a encore quelque chose à dé-fendre en Russie qui est un Etat ouvriermême s’il est dégénéré.

Parallèlement à cela, ce débat ravive lesdivergences qui existent entre la direc-tion de l’Opposition belge et le groupede Charleroi qui se trouve complètementsur la position de Trotski sur la questiondu chemin de fer de l’Est chinois. Dansune lettre à la Fédération de Charleroi,Trotski critique la résolution du bureauexécutif de l'Opposition belge, dirigé parVan Overstraeten et la direction deBruxelles, qui renouvelle, à son avis, leserreurs précédentes au sujet du conflitsino-russe. Puis, se défendant de l'accu-sation de «ménager les responsables decette faute», Trotski précise :

« Je le suis d'autant moins que ce sontprécisément des fautes pareilles, desexagérations disproportionnées, sansperspectives - antistalinisme formel aulieu de marxisme dialectique - qui ontcausé à l'Opposition de gauche les plusgrands préjudices et qui ont, parexemple, tout à fait sapé la position duLeninbund en Allemagne. [... ] Urbahns,

77. Le Communiste, n° 25, de 1929.

en défendant et en approfondissant sonpoint de vue faux, en est arrivé à unenouvelle théorie de l'Etat tout à faitidéaliste et démocrate. Je ne cache nul-lement que ce danger peut menacer aus-si bien nos amis de la direction de l'Op-position belge. » (78) La crise entre lesdeux tendances de l’Opposition belge estfinalement surmontée, cependant il enrestera des traces dans les désaccords fu-turs entre le groupe de Bruxelles et celuide Charleroi.

La conférence de l’oppositiondu 6 avril 1930

Le 21 février La Vérité lance un appelintitulé « Pour une liaison internatio-nale de l’Opposition ». Le 7 mars LaVérité annonce qu’elle a reçu des ré-ponses favorables. La lettre de convoca-tion est écrite le 21 mars 1929 parShachtman depuis Prinkipo pour le 6avril à Paris. Les conditions de prépara-tion de cette conférence en toute hâte etvoulu, à toute force, par Trotski qui abrûlé les étapes pour l’imposer, montrentses limites.

L’Opposition belge est divisée et prendune nouvelle dimension avec la démis-sion de van Overtraeten qui vient de seproduire.

Le 6 avril, Rosmer ouvre la conférencequ’il préside en tant qu’initiateur del’appel avec Naville. L’opposition belgeest représentée par Hennaut et Lesoil.Seipold représente l’Opposition alle-mande, Julien Gorkin le groupe espa-gnol, Jan Frankel le groupe tchèque, Ka-roly Szilvassy le groupe hongrois de Pa-ris, Shachtman la CLA des USA, Okhundit ‘Obin’ l’Ukraine et Pikas représentele « groupe juif » de La Vérité, GiovanniBotaioli dit ‘Peri’ et Severino re-présentent la Gauche communiste ita-lienne.

Hennaut appuyé par Severino dans ladiscussion des invitations propose qu’àla prochaine conférence soient invitésPaz et Urbahns. Ils défendent le principede n’écarter personne pour que la rup-ture, si elle doit avoir lieu se fasse à lasuite d’un véritable débat international.Il est évident qu’il ne faut pas écarter lesautres courants et surtout pas sur la based’une invitation faite en catimini uni-quement à certains groupes. La mêmediscussion rebondit sur le Bulletin danslequel Hennaut souhaite que tous lesgroupes s’expriment et qu’il soit ouvertà tous. Rosmer dit que le « démocra-

78. Lettre du 25 décembre 1929, Archives de laHoughton Library de l’Université de Harvard, do-cument numéro 7812.

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tisme extrême et formel » (79) des ‘bordi-guistes’ est un obstacle à l’avance del’opposition.

Rosmer propose ensuite de composer unsecrétariat international avec un re-présentant des oppositions russe, alle-mande, française et belge. Hennaut ré-pond qu’il est d’accord avec la proposi-tion mais que l’opposition belge ne peutpas assumer cette tâche :

« La liaison internationale repose avanttout sur une certaine activité dans lepays propre. Mais si ce travail portepréjudice au travail national, il estimpossible.» (80) Une longue discussions’ensuit entre Rosmer, Naville et Hen-naut pour faire changer d’avis ce dernieret lui faire accepter la participation aubureau. Il campe sur ses positions de re-fus.

Les difficultés avec l’oppositionInternationale de Gauche ;fausses discussionssur le « deuxième parti »et la rupture en 1930

La question du deuxième parti, et au-delà du rôle de l’Opposition, a enveniméles relations avec les différentes sectionsnationales de l’Opposition de Gaucheinternationale, en Allemagne, en Bel-gique, en Espagne. Bien souvent cettediscussion rebondissait quand une sec-tion s’avérait être trop indépendante parrapport aux positions politiques deTrotski. Ces sections se trouvaient, sansraison, accusées de défendre l’idée du«deuxième parti» lié à la question de lanature de l’Etat ouvrier russe. A la relec-ture des textes de l’époque, il est diffi-cile d’y voir clair encore aujourd’hui, ona carrément l’impression de se trouverdevant une fausse discussion sur laquestion du deuxième parti.

Un des protagonistes de ce débat au seinde l’Opposition, Verreken, estime qu’ilétait stérile. « Le plus curieux dans cettequerelle stérile, c’est qu’au momentmême où l’on condamnait les cama-rades espagnols, Trotski en était arrivéà la conclusion que le moment étaitvenu de faire sauter le carcan dans le-quel la notion, ‘Fraction et non parti’cantonnait notre mouvement. » (81)

79. Il est intéressant de voir la Gauche italiennetraitée de « démocratisme » elle qui a toujourscombattu cette notion qu’elle considère comme‘formelle’.80. Procès verbal de la conférence, archives de laHoughton Library de l’Université de Harvard, do-cument numéro 16421.81. Vereecken, La Guépéou dans le mouvementtrotskiste, La pensée universelle, Paris, 1975,p.66.

Le jugement de Trotski sur les dif-férentes Oppositions nationales étaitfaussé car il était manipulé par le SI auxmains de Mill et des frères Well (82) quiinduisaient ses réactions par rapport auxsections de l’Opposition Internationale.C’est ce que fit très bien Mill par rapportà la section belge qui nous intéresse ici.Il accusa Van Overstraeten de vouloirconstruire avec Laudan et Rosmer uneorganisation concurrente à l’OppositionInternationale (83). Et Vereeken poursuit.« En tout état de cause, après lecture deces documents (84), 36 ans après leur pa-rution, il est indéniable que nous étionstous, indistinctement, tombés dans lespiéges tendus par la Guépéou mais aus-si que Landau et ses amis avaient vuclair dans les tendances centristes etstaliniennes des Well. » (85) (il faut rajou-ter de Mill). Pourquoi Vereeken qui a re-joint ultérieurement la Fédération deCharleroi ne va-t-il pas jusqu’au bout encritiquant les positions politiquesconfuses des trotskistes ? Ce sont les po-sitions confuses de Trotski et sa ten-dance à soutenir un tel contre un autrequi ont permis au Guépéou de réaliserson sale boulot en montant les révolu-tionnaires les uns contre les autres. C’estparce que Trotski a confondu la poli-tique avec la personnalisation des dé-bats, que les choses ont entraîné descrises dans toutes les sections de l’Op-position.

Vereeken avait effectivement quitté legroupe de l’Opposition belge au début1930 pour adhérer au Cercle Marx-En-gels créé en fin d’année 1929. Cegroupe s’était créé, à l’époque, pour ap-profondir le marxisme et se positionnercomme cercle d’étude. (cf. ci-dessus)

Dernier acte, la scission avec la fédéra-tion de Charleroi intervient en octobre1930 après le rapport de Mill envoyé àParis au SI et, en parallèle, à Trotski,rapport qui « est tellement outrancier etfaux à l’égard de la tendance de VanOverstraeten, que nous voyonscontraints d’écrire à Naville de ne pasle publier parce que contraire à la réali-té et parce qu’il nous desservirait. » (86)

Un an après en 1931, les deux tendancesayant pris connaissance de ce rapport af-firment toutes les deux « qu’il étaitmensonger, qu’il dissimulait certainsfaits. » (87)

82. Idem, page 68.83. Idem, page 38.84. Il s’agit des documents publiés suite à l’inter-rogatoire de Marc Zborovski, ex-agent stalinien,par une commission du Sénat américain.85. Idem, page 39.86. Idem, page 20.87. Cahiers du CERMTRI, op. cit. page 18.

La rupture avec la fédérationde Charleroi de Léon Lesoilet avec l’Opposition Internationalede gauche

La situation de l’opposition belge aprèsavoir été très encourageante pour l’en-semble de l’Opposition internationale,rencontre une grave crise. Les militantsde Charleroi refusent de vendre le jour-nal dont ils jugent la ligne fausse. Ros-mer se rend en Belgique en décembre1929 pour rapprocher les points de vueet obtenir du groupe de Charleroi qu'ilvende de nouveau Le Communiste. Lacassure de l'Opposition belge est pro-fonde et la tâche de Rosmer délicate. Laconséquence immédiate en est son ma-rasme, puis un des groupes le plus acti-viste, celui des mineurs et métallurgistesde Charleroi refuse de travailler avec leCC de Bruxelles et prive indirectementl'opposition de moyens financiers en nevendant plus les neuf cents exemplaires- sur un total de plus de deux mille pourtoute l'Opposition belge - du Com-muniste qu'ils vendaient habituellement.Cette grave crise connaît une accalmieavec le retour des militants de Charleroiau travail commun début 1930, Trotskiayant écrit aux premiers pour les assurerde son soutien politique (sur l'analyse duconflit sino-russe, griefs entre militants)mais également pour les enjoindre de nepas rompre avec Bruxelles :« Vous n'êtes pas seuls, camarades deCharleroi ; vous devez vous aligner surl'opposition internationale. Continuez àdéfendre votre point de vue, qui estjuste. Faites tout ce qui est possiblepour éviter la scission. » (88)

Mais Trotski envisage cette dernièreéventualité et précise dans une lettre àMarguerite Rosmer, le 8 janvier 1930 :« Si on ne parvient pas à éviter la scis-sion, il faut qu'il y ait scission BruxellesCharleroi mais aussi entre les deuxgroupes de Bruxelles. » (89)

La scission n'intervient pas mais la ten-sion latente laisse présager de nouveauxproblèmes. Le 24 mars 1930, VanOverstraeten annonce sa démission et seretire de l'Opposition. L'aspect le pluspréoccupant est qu'il avait auparavantcessé de correspondre avec Rosmer, leprivant de toute possibilité d'intervenir.Cette grave crise met un terme aux ex-cellentes perspectives d’avenir de l'Op-position belge et l'empêche de jouer le

88. Lettre de Trotski à la fédération de Charleroidu 25 décembre 1929, archives de la HoughtonLibrary de l’Université de Harvard, document nu-méro 781289. Lettre de Trotski à Margueritte Rosmer, 8 jan-vier 1930, archives de la Houghton Library del’Université de Harvard, document numéro 9916.

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rôle phare qui aurait dû être le sien auplan international.

Trotski écrit une nouvelle lettre, le 12octobre 1930, à l’opposition belge pouressayer de calmer le jeu.

« Je puis à peine croire qu’après uneannée de lutte idéologique quelquechose de fondamental puisse être ajoutédans cette lettre à ce qui a déjà été ditpar les deux parties dans leur presse. Jevais me borner ici à une seule question,à savoir les perspectives d’un ou deuxpartis en Belgique.La lutte pour l’Internationale Com-muniste est la lutte pour l’avant-gardedu prolétariat mondial, pour l’héritagede la Révolution d’Octobre, et pour lapréservation du bolchevisme. Nous nesommes pas du tout enclins à croire quel’héritage révolutionnaire du passé, estactuellement incorporé dans les« idéaux » du groupe Urbahns ou dequelques camarades de Bruxelles. L’hé-ritage révolutionnaire est important.Nous devons apprendre à le réaliser.Notre ligne générale n’exclut pas lapossibilité pour nous, dans un pays ouun autre, conformément au rapport deforces, d’assumer le rôle d’un parti po-litique indépendant. Une telle conditionexclusive dans un seul pays isolé nechangerait néanmoins pas le moins dumonde notre orientation fondamentalepour régénérer l’I.C. Le parti indépen-dant des bolcheviks-léninistes dans unseul pays devrait agir en tant que sec-tion de l’I.C. et considérer le parti offi-ciel plus faible comme une fraction, ap-pliquant la tactique du front uniquepour démontrer aux ouvriers où résidela responsabilité pour la scission.Comme on le voit, cette position n’arien de commun avec celle que vous dé-fendez. Mais en tant que perspectivepour la Belgique, la possibilité que jeconsidérais comme une hypothèse s’estrévélée hors de portée. Il y a deux ans,l’Opposition belge représentait certai-nement une force qu’il fallait prendre ausérieux. Mais la direction bruxelloiseactuelle a manifesté pendant ce tempsun manque de décision, une hésitationimpardonnable sur toutes les questionset une tendance à soutenir tout groupequi s’est opposé à l’Opposition interna-tionale sur des questions fondamentales.Ouvertement ou en secret, vous avezsoutenu Urbahns, Paz, Monatte (90) etautres contre l’Opposition de gauche,bien que ces groupes n’aient rien decommun entre eux sauf leur haine desbolcheviks-léninistes. Les conséquences

90. C’est entièrement faux, c’est un argumentinstillé par Mill/Obin.

de semblable politique sont évidentes.Alors que, dans tous les autres payssans exception, l’Opposition a fait desérieux progrès dans toutes les direc-tions ou au moins s’est consolidée idéo-logiquement, en Belgique, l’Oppositionn’a cessé de s’affaiblir. Vous pouvezbien comprendre que l’Opposition inter-nationale n’a aucune raison de placerla responsabilité de cette situation tra-gique sur d’autres que le comité exécutifde Bruxelles. Dans le compte-rendu dela conférence internationale d’avril, jelis la déclaration suivante du camaradeHennaut : " Je crois que, si les cama-rades de Charleroi persistent dans leurposition intransigeante, il nous seraimpossible de continuer notre coopéra-tion. Pour la base d’une lutte en com-mun, il faut un minimum de confiance. "L’Opposition internationale doit appli-quer aujourd’hui ces mots au C.E. deBruxelles. Le Secrétariat Internationaln’est pas une boîte à lettres.C’est un organisme qui unit une fractionavec des idées communes à une échelleinternationale. Comme vous le savezbien, j’ai insisté l’année dernière pourque les camarades de Charleroi conti-nuent à coopérer avec vous. Avec lescamarades français, j’avais espéré que,sur la base des expériences de collabo-ration, on pouvait arriver à une conci-liation. Cet espoir ne s’est pas réalisé. Ilne reste rien à dire que ce qui est, avanttout que nous n’appartenons pas à lamême fraction et en tirer les conclusionsnécessaires.J’approuve donc la conclusion quem’ont présentée les camarades de Char-leroi, la rédaction de La Vérité et lecamarade Obin (91) dans leur critique devotre déclaration. »

Dernière épisode : automne 1930

La rupture entre l’opposition et la fédé-ration de Charleroi était latente depuisplusieurs mois ; après la Conférence du6 avril 1930, la crise est ouverte. Enjuillet 1929, le Comité central belgedécide d’ouvrir une tribune de discus-sion dans la presse sur l’orientation del’Opposition internationale. La questionqui surgit porte sur l’attitude à avoir parrapport à l’IC. Pour Trotski, il s’agit dela question centrale autour de laquelledoit s’effectuer la sélection. Ceux quin’étaient pas convaincus du redresse-ment possible de l’IC n’avaient plus leurplace dans l’Opposition Internationalede Gauche. Finalement La Fédération deCharleroi quitte l’opposition belge enoctobre 1930 au moment où le CC vafaire le bilan de la discussion et établir

91. Idem .

une commission pour rédiger une plate-forme politique. Parallèlement, la déci-sion est prise par Trotski sur la base durapport fait par Obin Mill. Après la scis-sion Charleroi ne compte plus qu’unetrentaine de militants. L’Oppositionbelge garde la majorité des militants ;elle est composée des groupes d’Anvers,de Bruxelles, de Gand, de Malines,d’Ougrée et de Verviers.

Les provocateurs :Trotskien personnalisantles discussionsdonne prise aux provo-cateursTrois événements interviennent qui vontchanger la situation internationale et lasituation de l’URSS :

1- Au cours de l’année 1929, Trotskicommence à regrouper l’oppositioninternationale et cela enrage Staline quine l’avait pas prévu, notamment il réagitavec fureur à la réunion de laConférence de l’Opposition du 6 avril1930 à Paris. Viktor Eltsine écrit depuisson lieu de déportation à Trotski« Grâce au bruit qui s’éleva dans lapresse et dans les derniers journaux(Bolchevik, d’avril), nous devinâmesque quelques grands événementsavaient eu lieu à l’étranger, des événe-ments qui mirent en fureur Staline et sesapparatchiks.» (92)

2- En novembre 1928 le plénum du CCdu PCUS attaque sa « direction droi-tière ». C’est l’un des premiers indicesdu conflit entre la fraction stalinienne etcelle de Boukharine. Puis, le plénum duCC condamne définitivement la droiteles 16-23 avril 1929 ainsi qu’à la XVI°conférence du parti tenue du 23 au 29avril 1929 pour aboutir à leur exclusionà la fin de l’année. Cette manœuvre deStaline dite du « grand tournant » outournant de gauche est le dernier épisodeavant la prise en main définitive del’Internationale. Ce dernier prend la me-sure de la capacité de lui nuire de Trots-ki et il comprend la faute qu’il a com-mise en lui permettant d’émigrer. Il estclair, dès lors, que ce dernier ne va pasrester isolé et sans voix, comme il l’es-pérait une fois en occident et hors deRussie. Au contraire, il gagne une formi-dable chambre d’échos et d’amplifica-tion à ses critiques.

3- La crise de l’opposition russe et lescapitulards. Radek estime qu’il faut ap-

92. Lettre du 11 juin 1930 in Cahiers Léon Trotski,n°7/8 pages 175-176.

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puyer le ‘centre’ contre la ‘droite’ duparti. Il fait circuler des textes que leGPU se fait un devoir de faire parvenirpartout jusque dans les camps où setrouvent les oppositionnels. Pendanttrois longs mois les négociations ont lieuà Moscou entre Radek, Préobrajensky etSmilga et la direction du parti. La direc-tion du parti se sert de ces capitulardspour démoraliser les révolutionnairesdans les colonies de déportés. Bien sûrla direction du PCUS et Staline sont arri-vés à manipuler les opposants russes ;Staline connaissait le parti qu’il pouvaittirer de ces capitulations pour déstabili-ser puis détruire les oppositionnels. Et,en effet, les capitulations ont été extrê-mement efficaces et entraînèrent unecrise catastrophique dans les rangs desoppositionnels en Russie.

Voilà, à grands traits, décrit le contextedans lequel les agents provocateurs deStaline vont agir en occident au sein del’Opposition Internationale de gauche.

Sans se tromper, aujourd’hui l’on peutconclure que l’offensive de Staline enRussie n’est que la partie visible et im-mergée de l’iceberg. Si l’on étudie l’-histoire de l’Opposition Internationale,on constate aisément que c’est justementà cette époque qu’elle est secouée parune crise permanente et par des scissionsen chaîne.

Pour appuyer notre propos nous citonsle long passage suivant de Verrecken (93) :

« Le premier secrétariat international,dont Naville fut la cheville ouvrière, futconstitué à Paris, avec à ses côtés l'ita-lien Suzo et Mill. Mill fut bientôt démas-qué comme stalinien. (…)

Certes, Mill n'était pas du genre de cesagents de la Guépéou qui allaient,quelques années plus tard, se distinguerpar la ruse, l'hypocrisie, le chantage, laviolence, la cruauté et surtout par cettecapacité d'entrer virtuellement dans lapeau du personnage conçu et fabriquépar les dramaturges (dans le sens leplus précis du mot) de l'état-major de laGuépéou. Il est incontestable que Zbo-rovski-Etienne et l'assassin de Trotski,Ramon Mercader, furent d'authentiquesartistes criminels animés d'une foi peucommune.

Obin-Mill, lui, n'était qu'un débutant etne pouvait être qu'un débutant puisquela Guépéou elle-même vivait en pleinepériode d'apprentissage et de sélectiondu rôle meurtrier qu'elle aurait à jouerplus tard.

93. La Guépéou dans le mouvement trotskiste, lapensée universelle, Paris, 1975, pages 20 etsuivantes.

Cela se confirme lorsqu'on examine sesactes et ses écrits où se reflètent déjà,mais malhabilement, la « ligne géné-rale » de cette espèce d'individus parti-culiers qui se sont succédés dans nosrangs.

Son entrée politique au sommet de l'Op-position Communiste de Gauche coïn-cide avec les divergences entre l'Oppo-sition de Gauche belge et le camaradeTrotski qui soutenait l'U.R.S.S. dans sonrefus de céder la propriété du Cheminde Fer de Mandchourie convoitée parTchang Kai-Chek. Mill se trouve évi-demment être le défenseur le plus ardentdes positions de Trotski et l'adversaire leplus décidé de la fraction majoritaire deWar Van Overstraeten (W.V.O.) et deHénnaut dont nous partagions le pointde vue dans cette affaire.»

Vereecken est obligé de rectifier les af-firmations mensongères de Mill ainsique les fausses déductions que Mill tiraitdes positions générales de la majorité.En voici deux exemples caractéristiques.

[Citation de Vereecken]

« l) Alors que W.V.O. écrit dans unprojet de résolution sur la questiondes rapports entre le parti, l’Interna-tionale Communiste et l’Etat sovié-tique : ‘Par le contrôle du Parti Com-muniste Russe sur l’appareil de l’Etat,celui-ci devait rester l’arme la plus puis-sante entre les mains de l’InternationaleCommuniste’,

Mill en arrive à répliquer doctement :‘Ce sont les mencheviks et les libérauxrusses qui posent ces questions comme« mots d’ordre transitoires » et quidisent dans leur propagande contre-révo-lutionnaire « des soviets sans com-munistes », « pas de soumission del’Etat au Parti », « ne plus gaspillerl’argent russe pour la révolutionmondiale », etc. Formulées tellesqu’elles le sont dans le projet du BureauExécutif, elles ne peuvent être comprisesque comme une tentative de révision duprincipe même de la dictature du proléta-riat exercée par l’avant-garde qu’est leP.C.R.’

2) Le projet affirmait aussi : « Il est in-contestable que dans l’avenir immédiat ladéfense de la révolution et son salut dé-pendent dans une très large mesure del’Opposition Communiste de Gaucherusse. L’Opposition internationale peutvenir à la rescousse, mais il est inutile etdangereux d’exagérer ses forces et sesmoyens. »

Mill argumente : “Dernièrement nousavons assisté à une guerre économiquedéclarée par l’Amérique (contrel’U.R.S.S.) sous des prétextes menson-gers et hypocrites. Nous savons qu’à laMaison-Blanche à Washington et à WallStreet on compte peu avec l’Opposition

américaine et avec le journal The Mili-tant ; nos camarades auraient dû dired’après le « Projet » aux ouvriers : noussommes trop faibles pour nous mêler à labagarre, nos camarades russes sont assezforts, qu’ils se débrouillent tout seuls (...).C’est comme cela que l’on comprend àBruxelles la solidarité. ”

« Nous ne pensons pas qu’il faillecommenter ces interprétations défor-mantes. »

Après ce « beau travail », Mill partavec Molinier à Prinkipo chez Trotski.Dans la première lettre (4/9/1930)qu’il adresse à ses camarades belgessuite à deux courts entretiens qu’ilseurent avec le ‘vieux’ (..) Mill ajoute :“ Quand je lui ai parlé de la questionbelge et lui développais mes opinions, iln’a dit que quelques mots : d’accord, ilfaut rompre avec W. Van Overstraeten ;le camarade chauffeur (il a du mal àprononcer ton nom et il s’en excuse !)est préférable à tous les Van Overstrae-ten, etc. » « A mon avis personnel, vousdevez vous considérer le seul groupe del’O.C.G. de Bruxelles. Vous n’usurpez,de cette façon, les droits de personnepuisque le groupe officiel est mort. ” « Etde continuer à nous flatter en vue denous utiliser à l’aider à remplir samission destructrice des forces oppo-sitionnelles. » “Il faut bouger, écrit-il, ilfaut creuser, même au risque d’être appeléun manoeuvrier « (par qui ? VanOverstraeten - mais il n’existe plusdans notre mouvement !). ”

« De la grande majorité des militantsqui soutiennent W.V.O. et Hennaut,pas un mot. Pure spéculation sur ledécouragement que provoquera larupture avec Léon Trotski.

N’ayant pas reçu de réponse, il re-vient à la charge quinze jours plustard (17/9/1930) et s’étonne que salettre soit restée sans réponse. Avecun aplomb qui ne manque pas d’effetcomique, il écrit : “ I1 est possible quema première lettre se soit égarée. Je le re-gretterais beaucoup : elle était exclusive-ment politique. ” Et de recommencer ànous donner ses conseils pour qu’ons’entredéchire à pleines dents et delancer déjà des flèches en d’autres di-rections : “Entre nous, le prolongementde la crise belge est dû dans une largemesure à la passivité du Bureau Interna-tional de Rosmer et Naville en particu-lier. ” Insinuations qui doivent servirà aggraver le conflit qui va conduire àla rupture de Rosmer avec l’O.C.G. Etde poursuivre : “Trotski s’en rendcompte, sans le dire ouvertement. Mais ila déjà écrit quelques lettres au sujet devotre crise au Bureau International. Jecrois qu’à la suite de ces lettres, le Bureausortira de sa torpeur et son interventiondans nos affaires sera plus énergique. Cen’est qu’après cela et après une discus-sion sérieuse dans quelques numéros duBulletin Intérieur, que Trotski prendraposition et tu peux être sûr qu’il ne sera

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pas doux avec War. (Je crois même qu’ilsera accablant et impitoyable.)”. “ Donc,on va discuter sérieusement sur les diver-gences ! » Mais, ajoute-t-il, « en atten-dant, il faut préparer le terrain pour letravail futur. A mon avis, tu ne dois past’attendre à ce que W.V.O. soit liquidéd’après toutes les règles de la discussionpolitique internationale et à venirprendre sa place rendue libre. Avant qu’ilne soit liquidé, il y a beaucoup de travailpour toi... “Préparez votre organisation ;mettez-vous en relation avec Charleroi(c’est, à mon avis personnel l’essen-tiel) ; rends quelques visites à Lesoil (94)pour parler franchement avec lui et jesuis sûr qu’à vous deux, avec De Waetcomme troisième, vous feriez un noyaucentral pour le regroupement de l’opposi-tion belge. Tes craintes d’être accusé demanœuvrier et de scissionniste ne sontpas justifiées : manoeuvre contre qui ?W.V.O. et son petit groupe sont actuelle-ment un ballast, un fardeau pour l’oppo-sition internationale (et surtout pour lemouvement oppositionnel en Bel-gique) dont le Bureau International et lecamarade Trotski cherchent le moyen leplus commode pour s’en débarrasser. Ilest évident que ces quelques considéra-tions que je t’écris maintenant me sontpersonnelles et n’engagent que moi seul.Mais tu peux être sûr qu’elles me sontdictées par la réalité objective des chosesque j’ai l’heureuse occasion d’approcherde prés.”

Quelle terminologie ! “Pas attendre queW.V.O. soit liquidé d’après les règlesde discussion politique internatio-nale ! ”; “ Avant qu’il ne soit liqui-dé !” ; “ Le Bureau International et lecamarade Trotski cherchent le moyenle plus commode pour s’en débarras-ser ! ”

Devons-nous insister ? »[fin de citation de Vereecken]

Les agents provocateurs ont réussi àdésagréger l’Opposition Internationalenon pas parce qu’ils étaient extraordinai-rement malins ou efficaces mais parcequ’ils ont su utiliser les faiblesses poli-tiques des oppositionnels et surtoutcelles de Trotski. Ce dernier, commenous pouvons l’entrevoir en étudiantcette période de l’histoire du mouve-ment ouvrier, a eu une politique de per-sonnalisation à outrance en jouant sur telindividu contre tel autre quand il voyaitque les choses n’avançaient pas assezvite dans l’Opposition à son gré. Il ad’abord soutenu Paz contre Souvarine,puis Rosmer contre Paz, puis Molinier etles frères Well contre Rosmer et Laudau,et enfin Mill contre d’autres. Et, l’on saitque les frères Well et Mill qui était le se-

94. Lesoil et De Waet étaient les membres les plusinfluents de la Fédération de Charleroi, grandcentre minier à l'époque.

crétaire du Bureau international de l’Op-position de Gauche, étaient des agentsdu Guépéou ou utilisés par lui.

Si l’on souhaite tirer un enseignementgénéral de cet épisode tragique du mou-vement ouvrier, il est clair que la seulefaçon cohérente et révolutionnaire detraiter correctement les questions poli-tiques et organisationnelles dans des or-ganisations révolutionnaires, est de res-ter toujours sur le seul terrain politiqueet collectif pour ne pas sombrer derrièrele « qui défend telle ou telle position »avant de se prononcer. L’on ne traite pasdes questions politiques ou des idées po-litiques en écartant tel individu ou telautre et en souhaitant comme le dit Millles liquider « Pas attendre que W.V.O[Overstraeten) soit liquidé d'après lesrègles de discussion politique interna-tionale ! » Seulement chez les bourgeoisou les staliniens les individus sont liqui-dés sans les règles de discussion poli-tique. Pour les révolutionnaires il en vatout autrement. Mill, lui-même, recon-naît que les positions ou idées politiquesne peuvent être surpassées qu’à traversla discussion politique. Il n’y a pasd’autre moyen entre révolutionnaires.Une idée qui n’a pas été creusée jus-qu’au bout ressurgit toujours, le débatdoit être mené jusqu’au bout, jusqu’à saclarification complète, il n’y a pasd’autre méthode. Seuls les révolution-naires le savent, Trotski malheureuse-ment a eu tendance à l’oublier car ilcommençait à sombrer dans l’oppor-tunisme.

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Chapitre III

La Ligue des Communistes Internationalistes (LCI)(1931–1937)

Le contexte général de la situation poli-tique au début des années 1930 est mar-qué par la crise économique majeure dusystème capitaliste (krak de 1929) et sesrépercussions en Europe avec son cor-tège de chômeurs et de miséreux.

Que s’est-il passé en Belgique après laguerre impérialiste de 1914-1918 ?

La Belgique fait partie des Etats vain-queurs de la guerre et aux termes dutraité de Versailles, comme les autrespuissances impérialistes du camp desvainqueurs, elle reçoit son dû. A la curéeimpérialiste d’après guerre, la Belgiqueobtient les cantons germanophonesd'Eupen, Malmédy et Saint-Virth, et leterritoire du Ruanda-Urundi (95), anciennecolonie allemande, qui est placé sousson mandat. Elle reçoit également desdommages de guerre mais sa neutralitéest levée.

La reconstruction des régions dévastéesa été relativement rapide. En 1921,l'Union économique belgo-luxembour-geoise est créée permettant un redresse-ment plus rapide de l’industrie et de l'a-griculture. Cependant, des privatisationset une dévaluation ont été nécessairespour parfaire le redressement écono-mique.

Mais, à nouveau la crise économique gé-nérale ressurgit, une fois la reconstruc-tion d’après guerre terminée lesconséquences de la crise de 1929 af-fectent tous les pays du monde et égale-ment la Belgique qui dut pratiquer unenouvelle dévaluation monétaire en 1936de 28 %. La crise traverse l'Atlantiqueavec un retard variable selon les pays,elle frappe la Belgique au début des an-nées 1930 (96). Elle se traduit d'abord parl'effondrement de la demande extérieuredes produits d'exportation, accompagnéeensuite de celui du pouvoir d'achatinterne. Si les provinces de Luxembourget de Namur, peu industrialisées sup-portent moins le poids du chômage,celles du Hainaut et de Liège sont dure-

95. Ecriture de 1918-1919.96. La production industrielle passe de l’indice134 en 1929, à 130 en 1930, puis à 116 en 1931 et101 en 1932 avant de repartir à 106 en 1932entraînée par la reprise de l’économie de guerre etla marche à la deuxième guerre mondiale in F.Bismans, Une odyssée économique, 1995.

ment touchées. Les fermetures d'entre-prises sont nombreuses et le chômageimportant. Mais aussi « les salaires (..)ont écopé. Depuis la fin 1929, les dimi-nutions de salaires se succèdent sansinterruptions. (…) Entre juillet1930 etmars 1932, l’index des prix de détailpour le royaume a baissé de 114 pointsc’est à dire de 16,5 % . Officiellementpour cette même période les diminutionsde salaires atteignaient dans les mines :29 % ; dans la sidérurgie : 20 % ; dansl’industrie mécanique : 17,5 %. Dans laréalité ces chiffres là furent largementdépassés.» (97)

La bourgeoisie durant la période de re-construction économique a dû faire évo-luer la «législation sociale» pour contrerles revendications ouvrières : le droit degrève, la liberté syndicale et la semainede quarante-huit heures sont obtenus en1921 et, des lois sur le salaire minimumet les congés annuels de six jours ont étéoctroyées en 1936 comme cela a été lecas avec le Front populaire en France lamême année.

Sur le plan politique, la Belgiqueconnaît une période d'union nationaleavec l'alliance entre les catholiques, leslibéraux et les socialistes. Commeailleurs en Europe, les mouvementsd’extrême droite se développent tels quele Rexisme, parti francophone autour deLéon Degrelle, et le Front-Partij,flamand, qui devint en 1933, le VlaamsNationaal Verbond (VNV), la Ligue na-tionale flamande.

Sur le plan diplomatique, la Belgique,ayant abandonné sa politique de neutra-lité, signe une alliance militaire avec laFrance en 1920, ainsi elle participe àl'occupation de la Ruhr en 1923-1925puis adhère aux accords de Locarno en1925.

97. Bulletin de la Ligue n°4 octobre 1932, page 9.

Le début des années1930,la poursuite des mêmesorientations politiquesde deuxième partiLa partie la plus nombreuse du groupe,une fois exclue de l’Opposition deGauche Internationale, continue lamême politique qu’elle a initiée les an-nées précédentes. Elle regroupe l’unani-mité des sections d’Anvers, deBruxelles, de Gand, de Malines, d’Ou-grée et de Verviers. La fédération deCharleroi va suivre, dès lors, tous lestournants effectués par Trotski au coursdes années 30, le premier tournantaboutit à faire de « l’entrisme » dans lasocial démocratie. Nous ne traiteronspas de la fédération de Charleroi. Nousrenvoyons aux travaux effectués par lestrotskistes nous n’avons pas la préten-tion de tout traiter.

La réflexion politique

La discussion politique et l’approfondis-sement théorique caractérisent fon-damentalement la future LCI au coursdes années 30. C’est le fait le plus no-table de ce groupe et ce qui le rend ext-rêmement vivant et intéressant. En celac’est un véritable groupe révolutionnaireet une école de communisme en pleineréflexion.

La LCI s’atèle à la rédaction des « Di-rectives pour une action communiste ré-volutionnaire » Le texte est prêt endécembre 1931. L’avant propos note que« près de quatre années (…) se sontécoulées depuis que l’Opposition, surordre de l’Internationale communiste futexpulsée. » « Le moment est actuelle-ment arrivé de grouper tous les cama-rades qui ont survécu à la débâcle au-tour d’un programme d’action précispour en vérifier l’exactitude à la lumièred’une participation active à la lutte. »

La question de son rôle est posée immé-diatement après. « La question primor-diale qui se pose est celle-ci :* les communistes oppositionnels degauche doivent-ils se grouper dans desgroupements qui jouent le rôle de frac-tion vis-à-vis des partis communistes of-

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ficiels s’assignant pour tache principaleleur réintégration au sein de ces der-niers ;* ou bien doivent-ils former des organi-sations indépendantes avec l’espoir devoir ces organisations servir de noyauxautour desquels plus tard se créeront lesvéritables communistes ? »

Et la réponse est : « nous optons résolu-ment pour la deuxième alternative» ;c'est-à-dire la création de noyaux com-munistes autour desquels les com-munistes pourront se regrouper. On peutnoter, à cette époque, la proximité d’idéeavec la Gauche italienne.

La décadence du capitalisme. (cha-pitre 1)

« Depuis que Marx mit à jour le mé-canisme de la société capitaliste, lescontradictions inéluctables de son déve-loppement mettent l’humanité devant lechoix d’un nouveau bond vers le pro-grès par la révolution socialiste, oud’un dépérissement graduel dans lesconvulsions et les troubles d’un capita-lisme plein de contradictions… Si versla moitié du siècle précédent le capita-lisme était représenté par une série d’é-conomies nationales n’ayant entre ellesque des rapports très relâchés, depuis1900 le capitalisme a conquis le mondeentier. Les différentes économies natio-nales s’interpénètrent». « La lutte pourles débouchés est apparue : l’impéria-lisme a vu le jour. » La grande guerremondiale de 1914-18 »… aboutit à ceque «tous les continents se trouventmaintenant partagés entre les grandespuissances impérialistes. La modifica-tion de ce partage (..) ne peut se fairepar d’autres voies que par celle de laguerre entre les puissances rivales.»L’ère de l’impérialisme n’est pas uni-quement caractérisée par une lutte ef-frénée pour l’accaparement de débou-chés et le partage de colonies, mais aus-si par la substitution sur l’arène de lapolitique mondiale de groupements d’E-tats nationaux isolés. » Suit une descrip-tion des configurations impérialistes à lafin des années 1920 et les raisons de lanécessité du passage au socialisme.

Démocratie et fascisme(chapitre deux)

Le chapitre deux décrit le parlementa-risme comme « le régime politique aumoyen duquel la bourgeoisie des paysindustriels a pu se donner les libertésnécessaires à l’établissement de sa do-mination. » Puis, le développement de lalutte de classe et le développement ducapital et de sa concentration entre « lesmains d’une oligarchie de plus en plus

restreinte » ont « amené la bourgeoisieà rechercher d’autres formes de domi-nation politique ». « Le fascisme et ladictature ouverte sont devenus néces-saires au maintien du pouvoir de labourgeoisie » Sur cette question l’onconstate la proximité de pensée avec lagauche italienne.

La révolution russe(chapitre trois)

« La révolution russe a porté un coupmortel au capitalisme en Russie et y ajeté les bases économiques pour laconstruction d’une société socialiste. Lerégime de la dictature du prolétariat ap-puyé par les paysans pauvres réalisaitles conditions politiques nécessaires àcette transformation. » « La NEP fut uneretraite dictée au pouvoir des Sovietspar l’état arriéré de l’économie russe etpar l’arrêt de la vague révolutionnaireen dehors de la Russie. »… « Le régimesoviétique, expression de la dictature duprolétariat est la forme la plus haute-ment démocratique de gouvernementque l’on ait connu. .. Il en fut tout autre-ment, lorsque après la disparition deLénine, la bureaucratie s’empara défini-tivement des rênes du parti… La bu-reaucratie a supprimé le parti en tantqu’expression de la classe ouvrière.Idéologiquement cette besogne contre-révolutionnaire a trouvé son expressionla plus achevée dans la théorie stali-nienne du ‘socialisme dans un seulpays’. » Cependant, « la bureaucratien’a pas encore triomphé définitive-ment. »

La social-démocratie et les syndicats(chapitre quatre)

La position classique du marxisme révo-lutionnaire est réaffirmée. Il est rajoutéune idée intéressante qui permet d’expli-quer le maintien du rôle de la social-dé-mocratie dans les années 1920 au seinde la classe ouvrière. « La social démo-cratie ne pourrait pas jouer sa fonctioncontre révolutionnaire sans les syndicatsouvriers sur lesquels elle exerce une in-fluence sans contexte. » Et c’est la rai-son pour laquelle cette dernière a prisdes mesures d’exclusion contre les syn-diqués communistes pour garder la mainmise sur les syndicats comme cela a étépoussé jusqu’au bout en Belgique avecla motion Mertens. (cf. premier chapitre)

Le communisme et les syndicats(chapitre cinq)

« Le communisme est réellement uni-taire. C’est la seule (tactique) possibleet durable » sur « le terrain de la lutte »ce qui n’est pas le cas des staliniens. Eneffet, ils décrètent « par des mesures pu-

rement administratives du rôle dirigeantdu parti. » Cela « ne pourrait avoird’autre résultat que de réduire les syndi-cats en question à l’état de secte, commel’a prouvé l’exemple du Parti com-muniste français avec la CGTU. » (quiest devenu un groupuscule par rapport àla CGT social démocrate dans la Francede l’entre deux guerres).

La troisième internationale(chapitre six)

Nous ne nous étendrons volontairementpas, ici, sur sa création et sur sa dégé-nérescence du fait de l’influence russecomme facteur déterminant: La positionde la LCI est similaire à celle dévelop-pée par tous les oppositionnels dans cesannées là. « Le processus de décomposi-tion » s’accéléra « lorsque la directiondu parti communiste russe passa desmains du groupe représenté par lescamarades Lénine et Trotski à celles ducentrisme et de la droite. » Par contre, ilest intéressant de citer ce qui est dit parrapport à l’accélération de l’involutiondes PC.

Le « cours ultra gauchiste qui résulta del’appréciation erronée du cours desévénements, fit un tort énorme aux par-tis communistes. Le mot d’ordre de ‘bol-chevisation’ intimait aux partis com-munistes d’Europe occidentale l’obliga-tion de se transformer du jour au lende-main en véritables partis de masses.L’internationale communiste mécon-naissait les conditions essentielles de laformation de véritables partis com-munistes… L’internationale voulait for-cer les processus. Elle crut pouvoir leremplacer par des ordres et des mesuresadministratives, par des campagnes, desscissions, des fusions, des déplacementsde directions décrétés par en haut.. »Puis, « le cours ultra-gauchiste se trans-forma tout naturellement en cours dedroite. Ce fut la période où l’Internatio-nale crut pouvoir se passer des partiscommunistes. » « Elle comptait davan-tage sur les ailes gauches dans les par-tis socialistes.» (…) « C’était l’époqueoù l’Internationale communiste étaitprête à faire entrer les syndicats russesdans l’Internationale d’Amsterdam et sepréparait à porter le coup de grâce àl’Internationale syndicale rouge. »

« La question essentielle pour tous ceuxqui s’efforcent de comprendre l’étenduedu mal causé par l’Internationale à lacause de la révolution prolétarienne estla recherche des causes de ces dévia-tions. » (...) « La clé du mystère setrouve dans la situation dans la Russiedes Soviets. L’Internationale com-muniste n’est plus qu’un appendice du

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gouvernement soviétique. Le gouverne-ment soviétique est entre les mains de labureaucratie. Cette bureaucratie est leproduit de la situation des classes enRussie et des rapports entre la révolu-tion et le monde capitaliste.» (...) « Lathéorie de la possibilité de la ‘construc-tion du socialisme dans un seul pays’ aconduit la bureaucratie soviétique àbâillonner la classe ouvrière russe, àfaire régner dans le parti, les syndicatset les soviets la dictature del’appareil. »

L’organisation de l’avant gardedu prolétariat(chapitre sept)

« L’Internationale communiste a exclude ses rangs l’Opposition de gauche.Cette dernière s’est constituée en frac-tion internationale luttant pour le re-dressement des partis staliniens et del’Internationale. » L’Opposition doit ti-rer de son échec « toutes les conclu-sions. » « L’Opposition de gauche doitbatailler pour gagner directement lesmasses ouvrières à sa propre politiqueet à ses propres organisations, sans lesfaire d’abord passer par le canal despartis staliniens. L’Opposition doit op-poser aux partis staliniens ses propresorganisations. La politique qui consiste-rait à subordonner toute l’activité del’opposition à sa réintégration dans l’ICne peut réserver que de graves dé-faites. » C’est, bien sûr, une critique por-tée contre la politique de Trotski quicroit possible une réintégration de l’op-position dans l’IC et que ce seul faitpuisse permettre de résoudre toutes lesquestions politiques.

Nous soulignons l’importance de la ré-flexion politique de la LCI ainsi quel’importance de ce texte. Cet effort théo-rique est gage de sérieux, il dénote uneréelle force politique et de fortes poten-tialités de développement pour le futurde la théorie révolutionnaire.

Parallèlement à la discussion et à l’adop-tion de ce texte, la LCI ouvre une dis-cussion en décembre 1931 avec leCercle Marx Lénine à la demande de cedernier (cf. Bulletin de la Ligue n°1mars 1932, pages 4 et suivantes).

« En décembre dernier, le Cercle Marx-Engels (98) de Bruxelles adressait, à di-vers groupements révolutionnaires, unecirculaire les invitant à instituer une dis-cussion dans le but de confronter leursthèses et programmes. Dans l’esprit deses promoteurs cette discussion devaitjeter les bases d’un regroupement ulté-

98. Ces derniers ont publié un numéro qui s’intitu-lait Tribune de discussion, édité par J. De Meur,15, rue du Saphir, Schaerbeek.

rieur des différentes formations révolu-tionnaires. (…) Nos camarades deBruxelles marquèrent leur accord sur leprincipe de la discussion». Ce débatavec le Cercle porta sur Les directivespour une action communiste révolution-naire. La LCI fit une réponse aux cri-tiques du Cercle dans son premier Bulle-tin (pages 4 à 10). En fait, il semble quela principale divergence avec le Cercleportait sur la nature de la Russie. Mais,il est difficile d’identifier les désaccordspolitiques : un cercle par définition n’apas de positions politiques tranchées. LeCercle, comme peut être le cercle deSouvarine à Paris, pensait qu’en Russieil y avait eu « le triomphe définitif de labureaucratie » (cité dans le bulletin dela LCI). A l’époque, c’est la question quidélimite les différents groupes opposi-tionnels existants de l’Opposition Inter-nationale de gauche.

Le premier congrès se tient les 20 et 21février 1932 à Bruxelles, il prend le nomde Ligue des Communistes Internationa-listes (LCI), il adopte une Déclarationde principes (cf. Bulletin de la Ligue n°1mars 1932, pages 2 et suivantes). Lespremiers points sont une reprise despoints essentiels du Manifeste com-muniste et de la déclaration de l’IC.

Le point 8 est plus instructif sur le posi-tionnement de la LCI. « La Ligue s’ef-force de nouer des relations avec legroupement des autres pays qui seplacent à un point de vue analogue ausien. Plus spécialement, elle ne laisserapasser aucune tentative pour se rappro-cher de l’Opposition communiste degauche dont elle partage l’opinion surbeaucoup de questions, mais dont ellerejette résolument les directives quantaux rapports à observer avec la 3èmeInternationale et les partis staliniens.Les communistes internationalistesestiment que la tâche de tout révolution-naire doit être de se grouper dans desorganisations luttant d’une manièrecomplètement indépendante des partiscommunistes officiels pour le triomphedu communisme. »

Pour la première fois la LCI clarifie ladivergence réelle qu’elle a avec l’Oppo-sition Internationale de Gauche. Maisc’est après son exclusion. « Les com-munistes internationalistes estiment quela tâche de tout révolutionnaire doit êtrede se grouper dans des organisationsluttant d’une manière complètement in-dépendante des partis communistes offi-ciels pour le triomphe du com-munisme. » Il s’agit de lutter de façonindépendante de celle des partis stali-niens. Cette opinion la distingue deTrotski.

A ce niveau, il est intéressant de rendrecompte de la position de la Gauche ita-lienne (GI) sur l’opposition belge.

« En Belgique, comme en Espagne et enFrance, notre Fraction s’est opposée àces « oppositions » qui ont appliqué ouproposé une politique de deuxième par-ti, et à réaffirmer que la tache actuelledes fractions est seulement celle de ré-soudre la crise du mouvement com-muniste en relations avec les partis ac-tuels et leur base prolétarienne et révo-lutionnaire. » (99)

Parallèlement, la GI rédige une lettre àla LCI pour définir le rôle d’une fractionce qu’elle précise très clairement et avecune très grande intelligence politique.Ce texte comporte la réponse à plusieursquestions :1/ Quelle doit être l’attitude politiqued’une Fraction ?2/ La fonction de l’opportunisme enprécisant les caractéristiques de l’oppor-tunisme stalinien ;3/ La distinction entre fraction indépen-dante et deuxième partie.

Une partie de cette longue lettre est pu-bliée dans le Bulletin de la Fraction degauche du PCI n°6, février 1933.

1/ « Votre groupe a déclaré, à plusieursreprises, que la divergence entre possi-bilité de redresser ou non le parti, entrela politique d’opposition et celle du 2ème

parti, entre la politique d’opposition etcelle de ‘fraction indépendante’, quetoutes ces divergences n’ont pas aupoint de vue pratique, une importanceprimordiale. » (souligné par la Fractionitalienne) (….)

« Votre déclaration nous parait être encontradiction avec la position de la‘fraction indépendante’ que vous défen-dez, puisque vous-même commencez parconstater que même en se déclarantprêts à agir pour remplacer le parti, onne se trouve pas en réalité, dans lesconditions de pouvoir le faire. » La GIprécise que l’on ne peut pas employerl’argument de la faiblesse de ses forcespour ne pas invoquer les notions de frac-tion indépendante ou de 2ème parti puis-qu’en 1927-28 « lorsque la majorité duparti était derrière » l’Opposition belge,le groupe n’a pas pu remplacer le parti.« Et à cette époque, pas de doute pos-sible, vous suiviez la voie de la fractionindépendante appuyée (..) par l’autoritédu camarade Trotski lequel avait admisla possibilité pour la création du 2ème

parti en Belgique. »

99. Bulletin de la Fraction de gauche du PCI n°5,mars 1933, page 12.

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Quelle est la situation politique actuellede la LCI d’après la GI? « La victoire del’opportunisme enlève au parti - ainsitransformé – la capacité de guider leprolétariat à la révolution, mais ne sup-prime pas, en même temps, la positionde classe du parti ; le parti la perd alorsqu’il prend position dans l’intérêt d’uneautre classe. » (souligné dans le texte).Autrement dit, le parti ne peut plus gui-der le prolétariat mais pour autant il n’apas changé de camp : il ne se trouve pasencore dans le camp de la bourgeoisie.Car, « entre temps un processus trèscompliqué s’opère et ici s’affirme le rôledes fractions qui restent une expressionde la lutte des classes et le facteur deleur évolution à la seule condition de sediriger vers le milieu donné, vers ce mi-lieu de classe où se manifestent les fric-tions entre le prolétariat et l’oppor-tunisme, ces mêmes frictions qui devien-dront demain un heurt de classe,lorsque l’opportunisme prendra saplace parmi les forces de l’ennemi capi-taliste.» (souligné dans le texte). «S’enécarter, se diriger dans une autre direc-tion (la GI veut dire qu’il faut mener lecombat dans la classe et dans le partipour le redresser), signifie (…) s’expo-ser aux déceptions que l’opposition aconnues en Belgique.» L’idée dévelop-pée ici est la suivante : même si la frac-tion est indépendante, elle doit, malgrétout, rester en liaison avec le parti et laclasse ouvrière.

De plus, « ces conditions générales surle parti doivent se greffer sur les condi-tions historiques des situations particu-lières. » Il existe aussi des conditionsparticulières à prendre en compte « àl’époque de la pleine expansion ducapitalisme » pour la Première et laDeuxième Internationale : « les condi-tions existaient pour la formation despartis et des syndicats. » « Dans laphase ultime du mouvement ouvrier,dans la phase actuelle qui précède l’as-cension au pouvoir du prolétariat, lesproblèmes de la tactique (…) ne peuventêtre résolus que par un organisme quipose ses sources dans le mécanisme dela lutte des classes... » Ces phrases sontun peu alambiquées, mais ce que veutdire la GI c’est que les révolutionnairesdoivent être présents au sein de la luttede classe pour combattre avec lecentrisme et mener le combat jusqu’aubout pour faire émerger les solutionsconcrètes et les réponses aux nouveauxproblèmes posés par la lutte de classe.

« Il est (…) impossible de prédire dèsaujourd’hui le cours des événements etd’affirmer que nous devrons assister

d’abord à la trahison de l’Internatio-nale et des partis communistes pourpouvoir passer (..) à l’édification desnouveaux partis. » « Mais il est d’oreset déjà certain (…) que c’est seulementaux fractions que revient la tâche decompléter le patrimoine théorique duprolétariat par la résolution des prob-lèmes que l’Internationale ne pouvaitpas résoudre dès sa naissance, et dontles partis avaient assumé la tâche. » Enclair, c’est par la Fraction dans un com-bat au sein du Parti communiste et dansles situations concrètes uniquement quele travail politique s’accomplit. Ou alorsil faut proclamer « à l’avance que l’éla-boration politique est indépendante dumouvement de classe et peut être l’attri-but d’un cercle de littérature politique. »(souligné par la GI).

2/ Dans la situation plus précise de1933, où les fractions sont exclues desPC et une fois comprise les raisons poli-tiques de l’exclusion des fractions desPC, que faire ? Il faut d’abord com-prendre la fonction de l’opportunisme ceque précise la GI.

« Il faut résoudre le problème de lafonction historique de l’opportunismelorsqu’il a conquis la direction du parti.L’opportunisme a la fonction d’embri-gader l’avant-garde prolétarienne – etpar conséquent le prolétariat tout entier- de l’immobiliser, de le mettre dansl’impossibilité de construire le parti dela révolution.

Si la fonction de l’opportunisme est telleau sein de la 2ème, ainsi qu’au sein de la3ème Internationale, les situations où cesdeux Internationales ont agi, dé-terminent deux chemins différents del’opportunisme qui sont dirigés vers uneissue analogue. » Dans la TroisièmeInternationale, il s’agit d’exclure lescommunistes et de les éloigner de labase du parti. C’est la raison pour la-quelle il ne faut pas vouloir créer des‘fractions indépendantes’. « Il estévident que nous ne nous figeons pas enune position formelle et que lors demouvements de classe, nous concevonsparfaitement une action indépendantede la fraction. »

3/ L’opportunisme s’est développé dansl’IC parce qu’elle n’a pas su résoudre lesnouvelles questions politiques qui s’of-fraient à elle.

C’est pourquoi, les Oppositions ontcommis une erreur « dès le moment oùelles se sont assignées comme but celuide redresser les partis communistes surla base même ‘de la direction de Lénineet Trotski’, alors que les situations ont

fait surgir de nouveaux problèmes. »C’est pourquoi les fractions doivent ré-soudre les nouveaux problèmes posés àl’IC et qui ne l’ont pas été.

La GI termine la lettre ainsi : « un der-nier point reste à éclaircir. Celui relatifà la création d’un nouveau parti (…)Les conditions historiques pour la créa-tion d’un 2ème parti consistent dans latrahison des anciens partis. » Et enfin,« nous nous attendons à ce que vousmettiez en évidence, par une interpréta-tion autre que la nôtre, les expériencesde l’Opposition belge. »

L’intervention de la LCIdans la situation politique

En tant que groupe « indépendant » laLCI poursuit son action au sein desluttes ouvrières et sa participation aucours des élections.

Les luttes ouvrières

Dans l’introduction de ce chapitre, nousavons dressé le tableau des répercus-sions de la crise économique suite à lagrande dépression de 1929. La situationde la classe ouvrière en Belgique,comme ailleurs dans le monde et dansles autres pays européens est catastrop-hique. Les réactions de la classe ouvrièrene se sont pas fait attendre.

« Maintenant que l’explosion de la co-lère ouvrière a forcé les dirigeants syn-dicaux et les gouvernants à y regarderde plus près, on s’accorde à reconnaîtreque les diminutions successives desalaires ont parfois affecté le minimumvital.» (100) « Au congrès extraordinairede la centrale des mineurs qui se tint le29 mai, un délégué du centre déclara :

‘A la suite du chômage partiel, des ou-vriers du fond ne disposent que d’unpouvoir d’achat de 17 F par jour. Desouvriers de la surface ont vu leur pou-voir d’achat réduit à 14,50F par jour’.(101) » D’autres délégués rapportent des si-tuations encore plus dramatiques.

Les syndicats et la crise

« Il n’y a pas d’exemple plus lumineuxdu profond désarroi dans lequel sonttombés les syndicats ouvriers, que l’atti-tude adoptée par leurs dirigeants vis-à-vis de la crise économique actuelle et laprofonde misère qui en résulte pour lesmasses ouvrières.» (102) Cet article sur« Les syndicats devant la crise » montre

100. Bulletin de la Ligue n°4 octobre 1932, pages 9et suivantes.101. idem.102. Bulletin de la Ligue n°2 mai 1932, pages 1 etsuivantes

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que la bourgeoisie chercher à « durer »face aux conséquences de la crise pourtrouver, si possible, une solution à sesproblèmes. Mais, l’objectif de durer« ne doit pas être nécessairement celuides ouvriers. La crise n’est pas unepériode « neutre » pendant laquelle lalutte des classes est suspendue. Aucontraire, elle se poursuit avec plus d’â-preté que jamais. » (..) Mais, la LCIconstate que « la lutte syndicale (est)presque réduite à zéro.» Et, « bien aucontraire, nous constatons que les tenta-tives d’organisation des chômeurs sesont heurtées à Bruxelles, à Anvers etailleurs à l’hostilité des dirigeants dessyndicats. » De même, « les diminutionssuccessives des salaires n’ont pas plusrencontré de résistance de la part dessyndicats. La méthode a été de discou-rir, mais non d’agir. » Ainsi, « dans lamétallurgie, il fallut subir six diminu-tions (de salaires) avant que la centralene se décide à organiser un référendumparmi ses membres. » La LCI donne l’« exemple, (de) la Centrale du bâtimentet des Industries diverses (qui vient) dese décider à autoriser le recours à lagrève contre les diminutions desalaires. »

Les membres de la LCI sont très pré-sents à l’intérieur des syndicats et sebattent pour l’unité de la classe ouvrièredans la lutte et contre les effets de lacrise économique. Et, par exemple, Hen-naut qui appelle à la grève en profitantdu créneau ouvert par son syndicat quiautorise le recours à la grève (cf. : ci-dessus) pour participer au développe-ment unitaire de la lutte, se retrouve ex-clu du syndicat du bâtiment, de l’ameu-blement et des industries diverses pourcet appel. En effet, il édite en avril 1932un Manifeste réclamant la préparationd’une grève générale de tous les tra-vailleurs. (103)

La lutte vis-à-vis des chômeurs

« Il reste (..) à examiner la tactique em-ployée par les syndicats dans cette crise(..) vis-à-vis des chômeurs. Près d’unquart des ouvriers sont chômeurs. Nepas tenir compte de la nécessité d’unirles revendications des chômeurs à lalutte pour la défense des salaires, c’étaitcourir à un échec certain. C’est pour-tant ce qui a été fait. » (104) La position etl’action de la LCI sont tout à fait justes.Face à la crise économique et à sesconséquences sur la classe ouvrière,l’action à mener ne pouvait qu’aller

103. Lettre ouverte au comité exécutif de lacentrale du bâtiment, de l’ameublement et desindustries diverses du 27/10/32.104. idem page 4.

dans le sens de l’unification de tous lesouvriers, au travail et au chômage.

Qu’ont fait les syndicats ? « Défendantà une assemblée syndicale bruxelloise lanécessité de revendiquer une indemnisa-tion si minime soit-elle pour les non syn-diqués, un de nos camarades s’attiracette apostrophe de la part d’un secré-taire ‘Si nous réclamons un secours pourles non organisés, quelle raison y aura-t-il encore pour les travailleurs de se fairesyndiquer’. Le fonctionnaire en questionescomptait un gros succès de la part deson auditoire. Il ne se doutait nullementqu’il venait de faire l’aveu le plus com-plet de sa conception banquerou-tière. (..) N’est ce pas là reconnaîtrequ’en dehors du rôle de caisse d’as-surance chômage le syndicat n’a plusaucune autre fonction à remplir et dèsqu’on la lui enlève, on lui retire aussi saraison d’être. »

La LCI s’implique fortement dans lesluttes des chômeurs à Anvers

Nous citons l’exemple le plus caracté-ristique de lutte relatée dans la presse dela LCI. Le 18 février 1932 des chômeursétaient en train de discuter devant le ‘bu-reau de contrôle’ des chômeurs rue de laFortune (sic !) ; la police « déblaye letrottoir à coup de sabre ». « Un vieuxcamarade Jean-Baptiste Gelijkens, âgéde 63 ans reçut quelques coups enpleine figure.. Le plus beau de l’histoirec’est que ce camarade ainsi qu’un autrechômeur, Jef Vereecken (105) viennent depasser en correctionnelle sous l’incul-pation de rébellion contre la police…Les 2 camarades viennent d’être scan-daleusement condamnés chacun à unmois de prison. Un troisième chômeur lecamarade Boudin, cité comme témoinpar la défense fut également inculpé etreçu quinze jours de prison. » Les ou-vriers du port sont indignés et le font sa-voir en assistant au procès. « L’Opposi-tion syndicale d’Anvers (106) s’est chargéede la défense des camarades.. Noscamarades d’Anvers nous demandent deles aider à recueillir des fonds néces-saires (107) pour payer les frais du pro-cès.» L’on constate par le ton de cet ar-ticle que la LCI est complètement partieprenante de la lutte de la classe ouvrière.

L’attitude des staliniens a été, par contre,parfaitement incroyable.

« Il est à noter… que le syndicat duTransport s’est refusé à accorder aux

105. Rien à voir avec Georges Verrecken.106. Ne pas confondre avec l’Opposition SyndicalRévolutionnaire stalinienne.107. Dans les souscriptions ont trouve un don de A.Rosmer de 10 francs. Bulletin 3, octobre 1932,page 3.

camarades en question, qui sont cepen-dant tous des syndiqués, l’assistance ju-diciaire à laquelle ils ont droit. Seul lacamarade Boudin, reçut un subside de50 francs du Syndicat des Métallur-gistes. Après le jugement, le Secoursrouge international a fait une démarche.Il voulait désigner un avocat pour dé-fendre le camarade Boudin, mais ils nedésiraient pas s’occuper des camaradesGelijkens et Jef Vereecken. Très proba-blement parce que ces camarades sontconnus comme communistes.. Mais nesont pas staliniens. Bien entendu lecamarde Boudin a décliné l’offre du Se-cours rouge. Frappés ensemble, ilsveulent se défendre ensemble sans fairede distinction de chapelle. »

La grève des mineurs (1932) (108)

En juillet 1932 a lieu la grande grève desmineurs contre laquelle la bourgeoisie aréagi de façon extraordinaire en en-voyant la troupe et la gendarmerie et enterrorisant les travailleurs en grève.

Le 4 juillet une baisse des salaires de 2 à10 % entraîne le déclenchement sponta-né de la grève. Du Borinage, elle s’étendtrès rapidement aux mines du Centre etde Charleroi (7 juillet), le 9 juillet àcelles de Liége et finalement en Cam-pine. A Charleroi, dans le Centre et àLiège la grève ne touche pas uniquementles mines, elle s’étend également et rapi-dement aux industries métallurgiques etmécaniques. La LCI s’investit à fonddans la lutte, comme le groupe trotskistedu même nom (LCI), lance le motd’ordre de grève générale, de marche surBruxelles et de manifestation nationale.Par contre, les syndicats jouèrent leurisolement pour les faire battre par labourgeoisie. Ils ne lancèrent aucun motd’ordre de généralisation des luttes.C’est pour l’Opposition un momentimportant et privilégié de son interven-tion. Elle s’est montrée parfaitement à lahauteur en lançant les mots d’ordreadéquats dans la lutte. Des comités degrève se forment partout. A Gilly et àChâtelineau, où l’Opposition est forte,ils regroupent tous les travailleurs : syn-diqués, non-syndiqués et membres deschevaliers du Travail. Les grévistes ob-tiennent, dans les premiers temps, dessatisfactions partielles. Durant la grèvese construit une structure nationale etdes comités de grève régionaux : à Char-leroi, dans la Basse Sambre, dans leCentre et le Borinage. Une premièreréunion nationale se tient le 27 août où171 délégués sont présents (109). Dewaet

108. Bulletin n°3, octobre 1932, page 4 et Bulletinn° 4, octobre 1932, page 4 .109. Cahiers du CERMTRI n°27, op. cit., pages 20et 21.

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de l’opposition développe la nécessitéde l’unité et il obtint la majorité. Une di-rection nationale est élue avec des délé-gués des différentes régions : 3 pour leBorinage, 3 pour le Centre, 3 pour Char-leroi (Lesoil [trotskiste], Cornez, Lom-bot [PCB]), 1 de Basse Sambre (Verhae-gen, trotskiste), 3 de Liége et la possibi-lité d’un représentant pour le Limbourg.

Une deuxième réunion nationale a lieude 9 septembre alors que le mouvementavait déjà fortement décliné sous lescoups de la bourgeoisie, de sa répressionet de l’attitude des syndicats sociaux dé-mocrates. Lesoil et Verhaegen en sontexclus pour pessimisme et défaitisme.En effet, à ce moment là, beaucoup detravailleurs ayant repris le travail, ilss’opposèrent au fait de continuer à appe-ler à la grève générale jusqu’à satisfac-tion. Suite à cet événement le Comité deCharleroi se retire, dès lors, c’est la findu Comité national.

Pour les révolutionnaires, leur actionpeut être considérée comme un succès,ils ont su défendre l’unité de la lutte jus-qu’au bout, même contre les tentativesjusqu’auboutistes de divisions et qui nemènent à rien qu’à plus de démoralisa-tion à la fin du mouvement.

Les mineurs même avec une très fortecombativité ne pouvaient qu’être battus.

« Dans un débat contradictoire entre unde nos camarades et les staliniens, unde ces derniers affirma que c’était aumoment où la victoire était à portée dela main des mineurs, que les dirigeantsréformistes lancèrent le mot d’ordre dereprise.(le 18 juillet 1932) » Pour la LCIet à juste titre « l’acte de trahison leplus nettement caractérisé n‘est pasl’ordre de reprise des dirigeants de laCentrale » mais « le refus des diri-geants des mineurs de faire appel auxouvriers du transport pour refuser toutemanipulation ou transport de charbons,soit du pays soit de l’étranger. En iso-lant les mineurs (..) les chefs réformistesramenaient la grève à (..) une simplecessation de travail. » En notant cela laLCI avait parfaitement raison. La grèvene peut vraiment réussir que si l’en-semble de la classe ouvrière toutes cor-porations confondues sont réunies. Maisles staliniens montrent qu’ils n’ont pasagi dans le sens des intérêts de la classeouvrière comme l’a fait la Ligue en ap-pelant à la généralisation des luttes. Voi-là pourquoi les ouvriers divisés petitspaquets par petits paquets et pays parpays, en Belgique, comme ailleurs dansle monde, furent battus dans les années1930. Seuls, quelques groupes révolu-

tionnaires ultra minoritaires défendirentleurs intérêts communs et l’unificationdes luttes.

Les élections

La LCI publie un manifeste électoralpour les élections communales du 9 oc-tobre 1932, dans un contexte de criseéconomique important et de répercus-sions terribles sur la classe ouvrière sup-portant le fardeau d’une armée dechômeurs. C’est la raison pour laquellele manifeste commence par le titresuivant : « Si nous ne voulons pas périr,luttons ! » (110)

« La presse bourgeoise parle de re-prise »… « Le désarroi, au milieu du-quel se débat le monde depuis trois ans,a accumulé tant de ruines, a répandutant de misères, a suscité tant demécontentements, que la coupe sembleprête à déborder et que le chaos menaced’emporter le capitalisme tout entier. »« La production a reculé de vingt ans. »« Particulièrement touchée est l’arméedes chômeurs et leurs familles quicrèvent littéralement de faim. »

La LCI défend encore la participationaux élections mais développe ce quel’on appelait alors le parlementarismerévolutionnaire. En effet, comme pourles organisations révolutionnairesadhérentes à l’IC qui le défendait à l’é-poque, le bulletin de vote ne changerien.

« Le vote n’est qu’un court épisode dela lutte et même pas un épisode décisif.Ce n’est pas le bulletin de vote, mais lalutte des masses sous le drapeau de larévolution qui vous apportera le socia-lisme. Demain vous devez reprendre labataille contre le capitalisme sur le ter-rain de la lutte directe…. » A la fin dumanifeste la LCI développe aussi un cer-tain nombre de mesures de transitionvers le socialisme comme c’était le caspour les PC dans les années 1920-30 :

« Instauration de la semaine de 40heures avec le salaire de 48 heures.Minimum de salaire permettant de vivredignement.Rétablissement de l’allocation de chô-mage au taux en vigueur avant l’arrêtéHeyman.Amnistie générale pour tous lescondamnés de la grève.Pour la répartition du travail entre tousles travailleurs.Pour l’abaissement du taux des loyers.Pour le contrôle ouvrier sur les indus-tries.Contre les armements de guerre.

110. Bulletin n°3, octobre 1932, pages 6 et 7.

Pour la défense de l’Union soviétique.Vive la révolution mondiale ! »

Les socialistes eurent un succès impor-tant de 37 à 42 % des voix selon les cir-conscriptions. Le PCB accroît globale-ment ses voix mais atteint moins de20 % des voix au niveau national etmoins de 10 % dans la région deBruxelles (111). « Dans son ensemble l’a-vance n’atteint pas ce que l’on était endroit d’attendre dans les circonstancesactuelles » « Il y a là le résultat de lapolitique erronée du PC. » Dans une si-tuation sociale agitée avec une très forteattaque contre les conditions de vie de laclasse ouvrière, la LCI était en droit des’attendre à une poussée du PCB ? Cettepoussée n’eut pas lieu. La conclusion estclaire, les staliniens n’ont pas su donnerles bons mots d’ordre dans les luttes ou-vrières. C’est pourquoi, les travailleursne leur font pas confiance pour les dé-fendre.

Par contre, l’Opposition eut 18,9 % desvoix à Gilly (centre ouvrier), le PCB yavait obtenu 9,3 % en 1926. Elle se bat-tit seule dans cette ville car le PCB n’a-vait pu constituer de liste électorale.

Pour les élections nationales des 27 no-vembre et 4 décembre, la LCI demande« de voter pour les candidats du PC. Sinous agissons ainsi ce n’est pas parceque nous faisons confiance à ce Partipour guider le prolétariat vers la révo-lution Mais c’est (..) parce que ce partireprésente, malgré tout, l’idée de la ré-volution prolétarienne, seule issue pos-sible. » (112) (souligné par la LCI). Là oùla Ligue peut présenter des candidats,elle le fait ; alors que la composantetrotskiste ayant essuyé le refus du PCBpour des listes communes demande sansaucune véritable raison à voter pour lePCB. Cette politique est critiquée par unmilitant ouvrier important du groupetrotskiste, Fernand Huet qui intègreaprès les élections la LCI et se présentesur ses listes électorales. Les mêmesconclusions qu’aux précédentes élec-tions sont tirées dans ces nouvelleséchéances électorales : le PCB n’est pasreconnu par la classe ouvrière, il obtientcependant trois députés.

Au débutde février 1933,l’avènement111. Bulletin n°4, octobre 1932, pages 1 à 4.« Comme à Bruxelles, il est notoire que le PCrencontre quelques succès dans certains milieuxintellectuels et petits bourgeois, il faut enconclure que la perte des voix ouvrières est en-core plus sensible. »112. Bulletin n°5, novembre 1932, page 4.

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du fascismeen Allemagne : un chan-gement dans la situa-tion politiqueLa LCI va s’atteler à tirer un bilan poli-tique des années des luttes qui viennentd’avoir lieu au cours de cette décennie.En effet, la nouvelle période ne com-porte plus les mêmes caractéristiquesqu’auparavant, la marche à la guerre im-périaliste s’affirme avec le développe-ment des premières mesures de capita-lisme d’Etat et d’économie de guerre, etchange la donne. Une deuxième périoded’accélération vers la guerre sera mar-quée par des mesures de capitalismed’Etat plus importantes et plus systéma-tiques : le « New deal » et celles desfronts populaires pour le camp des « dé-mocraties », et de concentrations indus-trielles et d’industrialisation forcée dansles Etats fascistes ou totalitaires pourl’autre camp. Ces politiques que la bour-geoisie va appliquer dans tous les grandspays impérialistes du monde vontpermettre à l’économie capitaliste de« repartir », de canaliser, pour un temps,le problème social et d’imposer un effortguerrier à la classe ouvrière. C’est la si-tuation à laquelle va devoir répondre laLCI au cours des années que nous allonsanalyser. Comment répondra-t-elle auxnouveaux enjeux ?

Les révolutionnaires sont tous contraintsde se positionner face à l’avènement d’-Hitler en Allemagne.

- Trotski appelle à s’unir avec les or-ganismes de gauche de la social démo-cratie ou des partis dits « indépendants »(113). Puis il affirme qu’«il est impossiblede rester dans la même internationaleque Staline, Manouilsky, Lozovsky etcompagnie. » (114) C’est une révolutionpour les oppositionnels qui se considé-raient jusqu’alors comme des fractionsde l’IC ; maintenant l’axe sera vers lessocialistes de gauche. « Nous sommesabsolument certains que le camaradeTrotski commet une erreur colossale enpréconisant un travail commun avec lesgauches socialistes dans le but d’arriverà la construction d’un nouveau particommuniste. » (115) Et « affirmer au-jourd’hui que l’on veut fonder des nou-veaux partis sur la base des quatre pre-miers Congrès de l’Internationale, c’estcommander à l’histoire de faire machinearrière de dix ans, c’est s’interdire la

113. La Vérité, 14 juillet 1933.114. La Vérité, 6 septembre 1933.115. Bilan n°1, novembre 1933, Vers l’Internatio-nale deux et trois quart.. ?

compréhension des événements surve-nus après ces congrès. » (116)

- La Gauche italienne écrivait dans Bi-lan (117) n°1 « l’avènement du fascisme enAllemagne commande aux révolution-naires communistes de tirer, sans délai,des conclusions politiques fondamen-tales. » (118) Elle s’élève contre les motsd’ordre de Trotski « aucune base poli-tique de travail commun avec celles-ci(des fractions de gauche de la social-dé-mocratie) n’est possible sans la scissionpréalable et l’adhésion aux principes del’insurrection prolétarienne. » « Pour lemouvement prolétarien, 1914 a signifiéle passage définitif de la social démo-cratie au service du capitalisme. »Quelle est la nature de ces groupes ?« Les partis indépendants doivent êtreconsidérés comme des ponts que la so-cial-démocratie voit s’établir entre elleet les ouvriers d’avant-garde, et nulle-ment comme des organismes pouvantmener au communisme. »

En quelques phrases magistrales lagauche italienne dresse le tableau de lasituation :

« Le processus historique partant d’oc-tobre 1917, pour aboutir à la révolutionmondiale s’est croisé avec un courantcontraire qui peut aboutir vers une nou-velle guerre, avant de rejoindre le che-min de la révolution. La condition quel’impérialisme mondial devait réaliserpour la nouvelle guerre consistait sur-tout dans l’écrasement des organisa-tions de classe du prolétariat allemand.L’IC a signé son acte de mort en se refu-sant à mobilier le prolétariat mondialcontre l’avènement du fascisme en Alle-magne et en transmettant ses fonctionset celles de l’Internationale syndicaleRouge aux parodies sinistres genre Am-sterdam (119) et Copenhague. » En fait laGI trace le cours de la période qui vient.Nous ne sommes plus dans un coursvers la révolution mais nous sommesdans la période qui précède la nouvelleguerre impérialiste.

Dans les premiers mois de 1933, Trotskidéduit de la situation en Allemagne avec

116. C’est à dire après 1923 et le début du combatde Trotski lui-même dans le PCUS et l’IC.117. Sa Revue mensuelle.118. Bilan n°1, novembre 1933, projet de Consti-tution d’un bureau international d’information,page 1, proposé en mai 1933 à la Gauche com-muniste allemande et à l’Opposition Unifiée fran-çaise après la Conférence d’unification de cettedernière en 1933.119. Congrès pacifiste des 27 et 29 août 1932« contre la guerre impérialiste ». Puis le PCFpoussera vers le « pacifisme et l’antifascisme » enétant le promoteur du Mouvement Amsterdam-Pleyel créé en 1932-1933 sous la direction d’Hen-ri Barbusse et Romain Rolland.

l’arrivée d’Hitler au pouvoir que les PCont failli et que l’opposition en Alle-magne doit construire un nouveau parti.La discussion a lieu également en Bel-gique, tous sont d’accord allant mêmejusqu’à défendre l’idée que le temps estvenu de le créer pour toutes les sectionsnationales. Quelques mois après, toutesles sections sont d’accord d’autant plusque plusieurs groupes ont quitté ou ontété exclus de l’Opposition Internationalede gauche (OIG) parce qu’ils voulaientcréer un nouveau parti. En Belgique laquestion se pose donc d’un rapproche-ment avec la Ligue des communistesinternationalistes puisqu’elle avait quittél’OIG sur cette question. Une réunionest organisée en octobre 1933 et deuxcommissions techniques travaillent pourconfronter le programme de chacune desorganisations. Le résultat de ce travailaboutit à la constatation que les diver-gences se sont accentuées entre les deuxgroupes. Notamment la Ligue critique la« déclaration des Quatre pour la IV°Internationale » (120) d’août 1933 et sur letravail en commun avec des socialistesde gauche. En 1934, la dérive des Trots-ki et des trotskistes ira donc jusqu’à prô-ner l’entrisme dans le POB. La majoritéde la section trotskiste se prononcecontre l’entrisme le 25 novembre 1934par 55 voix contre 44 et 5 abstentions.Les anti-entristes suivront Vereecken etle groupe Spartacus qui comprend legroupe de Bruxelles, une partie de celuide Liége avec Lucien Pommée, de Char-leroi avec Camille Richier, de Verviersavec Michel Guillemin

Reprenons le fil de l’histoire de la LCI.

Pourquoi la LCI belge n’est pas conviéepar la GI à la constitution du Bureauinternational d’information avec laFraction de Gauche du PCF et la GaucheCommuniste allemande ?

Adhémar Hennaut et Henri Heerbrant (121)

(1912 - 1982) ou ‘Hilden’ ont pourtantparticipé à la Conférence d'unificationde l’opposition française d’avril à mai193 (122) appelé en France par le groupede l’ex XV° rayon du PCF et son secré-taire Chazé. Le projet de création datebien de mai 1933, le bureau a été propo-sé à la fin de la Conférence de Paris quia vu l’Unification de l’Opposition degauche en France.

120. Les trotskistes et 3 organisations social démo-crates de « gauche » L’ILP britannique, le SAP al-lemand et le RSP hollandais.121. Il était peintre-architecte à la commune deIxelles.122. Bulletin préparatoire de 1933, archives Chazéet Brochure du CCI, La gauche communiste enFrance.

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La LCI se situe encore dans une optiquede deuxième parti alors que la Gaucheitalienne a une toute autre vision quiconsiste en un travail plus profond etplus sérieux devant être la base pour lacréation du nouveau parti. « Dans lepassé, nous avons défendu la notionfondamentale de la ‘fraction’ contre laposition dite ‘d’opposition’. Par frac-tion nous entendions l’organisme quiconstruit les cadres devant assurer lacontinuité de la lutte révolutionnaire(…) Contre nous la notion dite ‘d’oppo-sition’ a triomphé au sein de l’Opposi-tion Internationale de gauche. Cettedernière affirmait qu’il ne fallait pasproclamer la nécessité de la formationdes cadres : la clé des événements setrouvant entre les mains du centrisme etnon entre les mains de la fraction. »« Le camarade Trotski néglige totale-ment et pour la deuxième fois le travailde formation des cadres, croyant pou-voir passer immédiatement à laconstruction de nouveaux partis et de lanouvelle internationale. » (123) Si l’on es-saye de dresser une cartographie des 3positions l’on peut dire que Trotskipense que la clé de la situation se trouvetoujours dans les PC (124). La gauche ita-lienne ne le pense plus, s’il y a redresse-ment des PC, ce redressement se fera parl’intermédiaire de la fraction qui prendrala tête du parti. La LCI, elle, a déjà faitle choix de la création du deuxième partiindépendant du PC parce que ce derniern’est plus redressable. La LCI estimedonc que les éléments ouvriers ou du PCviendront s’agréger autour d’elle.

La collaboration entre la Ligue et laFraction italienne « fut déterminée parla confluence des 2 organisations dansla critique de la politique de l’Opposi-tion Internationale de gauche qui aucours de l’attaque fasciste en Allemagneavait appelé les ouvriers à lutter en vued’un front unique pour la défense des‘revendications démocratiques’ » (125) De1933 à 1937, un travail commun (126) trèsétroit et très fécond est effectué entre laLCI et la Gauche italienne. Les deuxgroupes avaient établi ce qu’ils appe-laient une ‘Communauté de travail’ à la

123. Bilan n°1, novembre 1933, Vers l’Internatio-nale deux et trois quart.. ?124. Dans quelques mois ce sera dans les Partis so-cialistes qu’il prônera ce travail. Nous prenons cesprécautions car la pensée de Trotski est très si-nueuse et difficile à suivre à cette époque125. Résolution de la Commission exécutive de laFraction italienne, in Communisme n° 5 du 25août 1937.126. Dans Octobre n°1, page 13 de 1938, il estmentionné- nous pensons par erreur - que la Com-munauté de travail a commencé entre la GI et laLCI fin 1932.

suite de l’arrivée au pouvoir d’Hitler enAllemagne début février 1933.

Les membres de la Ligue ont écrit dansBilan des articles sur ‘Les fondementsde la production et la distribution com-muniste’ (n° 19, 20, 21, 22) et sur ‘Na-ture et évolution de la révolution russe’(n° 33 et 34).

Egalement, à la suite des procès deMoscou fin août 1936, la LCI et la Frac-tion italienne diffusent un tract en com-mun intitulé Une vague de terreur enURSS qui condamne les assassinats du26 août de Zinoviev, Kamenev, IvanSmirnov, Evdokimov,… qui sont descompagnons de Lénine. Le tract setermine par « Prolétaires ! Insurgez-vous ! Hors des partis communistes etsocialistes qui ont réalisé leur accord envous immolant au triomphe du capita-lisme !» La LCI se retrouve sur les posi-tions politiques de la Gauche italiennequi avait considéré que les partis com-munistes avaient trahi en 1935 quand lespartis communistes et notamment lePCF avaient salué les accords passésavec la Russie comme l’accord Staline –Laval et, le soutien du réarmement fran-çais par Staline.

Dans ces années les événements poli-tiques nouveaux se succèdent rapide-ment et la LCI, qui est un groupe poli-tique très vivant, est traversée par denombreuses discussions.

Depuis les élections partielles de mars1935 un certain nombre de discussionspolitiques profondes se font jour dans laLigue. Dans le numéro 9, septembre1936 du Bulletin en page 5, la questionest portée à la connaissance des lecteursdans un article « À propos de diver-gences dans la Ligue », en effet deuxfractions y coexistent depuis quelquesmois.

« Nous nous accordons pour dire queles divergences surgies dans la Ligue àpropos de la tactique à suivre aux der-nières élections méritent de faire l’objetd’une discussion approfondie d’autantplus que les divergences qui se sontmanifestées ne sont pas fortuites. A l’oc-casion de la discussion d’autres prob-lèmes, nous vîmes les divers courants ausein de la Ligne se rallier à des solu-tions différentes. » Cette façon de rendrecompte au lecteur des discussions poli-tiques interne est tout à fait correcte et lafaçon de poser les divergences est trèssaine, sans drame. La LCI répertorie en-suite les points en discussions : la naturede classe de l’URSS, la façon de poser leproblème de l’impérialisme, les rapportsentre le parti et la classe ouvrière, etc. Il

est dit que sur chaque question le posi-tionnement des militants se retrouve ri-goureusement les mêmes et « nouscroyons que la cause fondamentale decette situation doit être recherchée dansles différences de méthodes que les deuxcourants entendent suivre. » On voitqu’il commence à se former deux cou-rants puisque sur plusieurs questions endiscussion les mêmes camarades se re-trouvent avec les mêmes positions poli-tiques.

La discussion a démarré sur les électionsdéjà en 1935 et elle est systématisée à lafaveur du texte de Jehan « La ligue de-vant le problème des élections » du 20mai 1936. Il décrit dans ce texte les di-vergences politiques des 2 composantesde la LCI ainsi que leur logique.

En fait, c’est un texte qui indique d’a-bord que la période de la paix « est défi-nitivement close et que le conflit italoabyssin et la remilitarisation de la (Rhé-nanie) ont ouvert (...) la phase de laguerre. » Et, contrairement à ce que labourgeoisie pouvait dire « ce n’était pasle problème du fascisme qui devenaituniversel mais bien l’écrasement duprolétariat mondial… » « La divergencequi nous sépare du camarade Hennautporte précisément sur ce problème.Nous estimons qu’entre les régimes fas-cistes et démocratiques de la bourgeoi-sie il n’existe aucune opposition deprincipe... » « Nous estimons, partant duPlan de Travail et du gouvernement VanZeeland en Belgique, du Front popu-laire en France, que la démocratiebourgeoise s’est ‘fascistisée’ en ce sensqu’elle a réussi à encercler le proléta-riat (...) à le dissoudre au sein de la na-tion. (‘Réconciliation des français’ en-tend-on en France ; ‘Union Sacréeentre les classes !’ crie-t-on en Bel-gique). Ce sont les forces démocratiqueset les centristes staliniens qui, objective-ment, ont joué le rôle du fascisme dansnos pays. »

Que constate-t-on ? « Les PC n’at-tendent pas le déchaînement des hostili-tés pour tourner casaque et passer labarricade avec armes et bagages ; lessocialistes, au lieu de prêcher comme en1914 le pacifisme, sont avec les stali-niens les plus ardents défenseurs dubellicisme, eux, les défenseurs de laguerre anti-fasciste contre l’Italie etl’Allemagne. Par contre, c’est du seinde groupements de droite que surgirontdes appels démagogiques à la ‘neutrali-té’. » Et, les élections dans ce contexte ?« Abstention ou vote pour le POB ? »« Nous ne pensons pas que les diver-gences dans la Ligue portent sur l’ap-

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préciation de principe du problèmeélectoral. (...) Dans les situations ac-tuelles, la Ligue ne peut qu’exprimer lafaiblesse extrême du prolétariat belgepar sa propre faiblesse, inversementcette faiblesse explique pourquoi auxélections le prolétariat ne pourra se re-grouper sous un drapeau de classe. (...)Dire aux ouvriers de voter pour le POBou le PC (ce qui aujourd’hui reviendraitau même) revient à supposer qu’il existedes conditions objectives qui permet-tront aux prolétaires de se retrouver surun chemin de classe à la faveur de cevote. (…) Mais, nous objectera-t-on, etle danger fasciste en Belgique ? (…)Pourquoi le fascisme serait-il néces-saire ? A ce sujet le camarade Hennautapporte comme argument, page 3 de sonrapport, que ‘le fascisme est devenu unenécessité internationale dans ce sens quesa victoire dans une série de pays, obligeles classes possédantes des autres pays àréduire la somme des libertés accordéesaux classes exploitées’. »

« Si au nom du danger fasciste, l’onnous présente maintenant la nécessitéde voter pour le POB (..) nous ne pou-vons que rejeter un raisonnement quiveut extraire la tactique de la Ligue dela réalité sociale actuelle pour la basersur des hypothèses » comme la venue dufascisme en Belgique.

« Enfin, pour en revenir aux élections demai 1936, nous voudrions surtout faireressortir que si l’abstention par le voteblanc ne peut rien changer au cours desévénements, pour ce qui est du travailde la Ligue, elle peut avoir une certaineimportance. En effet, la Ligue veut pré-parer les fondements idéologiques et lescadres pour un nouveau parti. (..) De-mander aux ouvriers de voter pour lePOB, c’est contredire l’objectif que setrace la Ligue… » Pour Jehan voterpour le POB c’est briser tout le travailde la Ligue qui était de « ne pas accor-der la moindre confiance aux traîtres »dont le POB (127). Pour Hennaut c’est lemoyen de lutter contre la fascisation dela société.

Jehan conclue qu’« il s’avère qu’au su-jet du processus de la transformation dela Ligue en Parti, existent des diver-gences sérieuses. Nous eussions préféréne pas devoir discuter ces divergences àla faveur des problèmes électoraux, ceciafin de ne pas compromettre le travailde clarification au sein de la Ligue. » Ilindique encore qu’il ne souhaite pas en-core aboutir à la constitution de fractionce qui serait « vraiment prématuré ».

127. Notons que l’on retrouve quelque peu lamême interrogation chez Trotski.

Mais « si pour en sortir, il faut recouriractuellement à la constitution de frac-tions. C’est un problème qui reste à exa-miner. »

A partir de cette question, les autres di-vergences apparaissent. Elles sont re-prises dans le numéro 9 de septembre1936 du Bulletin en page 5, dans l’ar-ticle « À propos de divergences dans laLigue » déjà cité ci-dessus.

1/ « L’idée du parti (…) est utilisée pourse différencier de tous les autres groupe-ments et c’est en partant de cette idéeque tous les autres problèmes sont exa-minés. (…) En l’absence de parti,l’existence des classes est simplementniée. »

2/ « Des affirmations simplistes, commecelle-ci : l’impérialisme est la phasedescendante du capitalisme. » (…) Elles« dispensent d’analyser les modifica-tions concrètes que le capitalisme etl’impérialisme subit. »

Il est dit dans le numéro 1 de janvier1937 du Bulletin de la Ligue : « Les di-vergences avec le camarade Jehan pro-viennent de ce qu’il cherche les causesimmédiates de la guerre dans ladécadence des moyens de production,tandis que nous considérons la guerrecomme le résultat de ces moyens de pro-duction. »

Jehan, quant à lui, dans le Bulletin n° 9de septembre 1936 listait dans un article« La guerre impérialiste pose un prob-lème de classe » les divergencessuivantes :« * un désaccord a surgi sur le caractèrerégressif ou progressif de la guerre im-périaliste* sur la cause fondamentale des guerresimpérialistes. »

En conclusion de son article il indiqueque « comme marxistes, nous ne pou-vons nous borner à enregistrer ces riva-lités, à en suivre le développement ;considérant cela comme secondaire,nous ne pouvons aller au fond deschoses qu’en analysant, non seulementl’évolution du rapport de forces entreEtats, mais, avant tout, les changementsintervenant dans le rapport des classesà l’échelle nationale et internationale.C’est en marquant que les guerresplongent leurs racines dans l’antago-nisme des classes et non dans l’antago-nisme des nations que les communistes,au travers de l’analyse des événements,peuvent soustraire le prolétariat à l’i-déologie de la bourgeoisie, l’amener surle terrain de classe et le ranger, nonsous le drapeau de la guerre impéria-liste, mais sous celui de la guerre civile

internationale. » Il est important de sou-ligner la phrase suivante qui marque lavéritable divergence entre les deux frac-tions en gestation. « C’est en marquantque les guerres plongent leurs racinesdans l’antagonisme des classes et nondans l’antagonisme des nations… »Pour Jehan, l’analyse de l’impérialismeexige d’aller plus loin que l’analyse durapport de force existant entre les na-tions impérialistes. Ce dernier va creu-ser, dans les années ultérieures, cetteidée et en tirer toutes ses implications.

3/ A ces divergences il faut rajouter lavison de ce que représente le fascismeLa majorité de la ligue dans le même ar-ticle « À propos de divergences dans laLigue » rajoute que « il doit y avoir unedifférence entre le fascisme et la démo-cratie… Les camarades de la fractionont souvent affirmé que le fascisme n’yétait nullement nécessaire (en France)parce que la démocratie en tenait lieu etbrisait l’action des travailleurs. »

Ces divergences vont s’approfondir avecla question espagnole, comme le note lenuméro 2, février 1937 du Bulletin de laLigue, « La Ligue devant la questionespagnole », pour aboutir à la scissionen 1937.

« Les événements d’Espagne ont provo-qué (…) des divergences très graves.(…) La discussion se déroule en ce mo-ment au sein des groupes sur la base dedeux rapports. Dans le courant de cemois, les groupes se réuniront enConférence Nationale. » Les deux pro-jets de rapport suivent dans le Bulletin.La Conférence nationale de la Ligue vavoir la séparation des 2 fractions. Noustraiterons de la séparation et de la créa-tion de la Fraction belge de la Gauchecommuniste dans le prochain chapitre.

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Chapitre IV

La gauche Communiste internationale(1937–1940)

A la fin des années 1930, la situation im-périaliste se tend de plus en plus, elle estcaractérisée par la préparation de laguerre mondiale. Peu d’organisations ré-volutionnaires, à cette époque, le per-çoivent clairement, à part la Gauche ita-lienne (GI), la minorité de la LCI etquelques éléments épars dans le monde :en France ou au Mexique. C’est alorsqu’éclatent les événements d’Espagne.Comment les comprendre ? Pour les ré-volutionnaires, la situation n’est pas fa-cile. D’une part, on a affaire à une im-mense réaction ouvrière, c’est in-déniable et personne ne le nie (128), maisd’autre part, ce mouvement de classe sedéroule à contre courant. En effet, lavague révolutionnaire des années 1920est bien finie, elle se termine avec l’é-chec de l’insurrection allemande en1923, le mouvement révolutionnaire estalors définitivement battu notammentaprès l’écrasement du prolétariat chinoisen 1927. La crise économique de 1929ne permet pas au prolétariat d’inverser lecours même s’il y a eu, ici ou là,d’autres réactions significatives de laclasse ouvrière comme aux Etats Unis.Certains révolutionnaires ont cru auchangement de cours et à une remontéede la lutte de classe, comme le groupede Mattick (129) ; il a alors, à la fin des an-nées trente, changé le nom de sa revueen Living Marxism pour bien montrer ladifférence alors qu’elle s’appelait Inter-national Council Correspondence au dé-but des années 1930.

Pendant ce temps, la bourgeoisie tented’embrigader le prolétariat vers laguerre impérialiste et pour cela ellepousse les ouvriers des pays « démocra-tiques » dans des fronts antifascistes oudes politiques de fronts populairescomme en France ou d’Union Sacréecomme en Belgique avec son pro-gramme de ‘concentration nationale’.

128. Beaucoup de groupes critiqueront la positionde la GI en disant qu’elle n’avait pas voulu voir lemouvement de la classe. C’est une basse po-lémique et notamment le groupe de Hennaut re-prendra cet argument sans fondement.129. Paul Mattick (1904 – 1981) militant du Particommuniste ouvrier d’Allemagne, il émigre auxUSA en 1926 où il anime différentes revues Com-munistes de Gauche avant, pendant et après ladeuxième guerre impérialiste. Il appartient au cou-rant de la gauche communiste allemande.

Le gouvernement Van Zeeland com-prend l’union des trois partis de la bour-geoisie: le POB (socialiste), les catho-liques et les libéraux. Dans les pays fas-cistes la bourgeoisie agit autrement.Dans les pays « où l’économie de guerrelaisse une marge infime à l’industrie deconsommation, c’est au cri de ‘la guerrecontre le bolchevisme en Espagne’, dela ‘réparation des injustices de Ver-sailles’ que Hitler et Mussolini sont par-venus à remplacer le beurre par les ca-nons. » (Octobre n°3, avril 1938)

Voilà la toile de fond dessinée. Elle estvalable pour toute la période que nousallons décrire, jusqu’à la deuxièmeguerre impérialiste.

Vers la créationde la Fraction belgede la GauchecommunisteLes événements d’Espagne obligent tousles groupes révolutionnaires à se dé-terminer. C’est également un momentclé pour l’évolution de la Ligue desCommunistes Internationalistes. Aprèsplus d’un an de débat au sein de laLigue, on voit apparaître dans le numéro2 du Bulletin de la LCI de février1937 (130) deux résolutions, côte à côte,sur la ‘question espagnole’. Et, aprèsl’adoption d’une résolution à la majori-té (131) au cours de la Conférence Natio-nale de la Ligue de Belgique, il est déci-dé (132) dans une courte motion (133) de cette

130. On mesure combien les méthodes de discus-sions entre révolutionnaires ont été très correcte-ment respectées. C’est à souligner car cette situa-tion de débat organisé existe très rarement. Elle nepeut exister que dans des organisations réellementrévolutionnaires.131. signée Hennaut.132. De même l’adoption de la résolution de Hen-naut entraîne, ipso facto, la rupture politique avecla Gauche italienne. «Ainsi un terme est mis à unecollaboration qui s’est étendue sur près de quatreannées.» Bulletin de la Ligne numéro 3, mars1937.133. La Conférence « décide :1°/ de proclamer l’incompatibilité d’appartenir àl’organisation pour les membres qui se solida-risent avec la résolution publiée dans le (..) Bulle-tin, sous la signature du camarade Jehan ;2°/ de conformer les rapports internationaux àcette décision politique, ce qui devait déterminerla rupture des rapports politiques entretenus,

même majorité, du 21 février 1937, qu’ilest incompatible d’appartenir à la Liguepour les membres se solidarisant avec larésolution de Jehan (134). Cette motionmarque l’opposition irréductible entreles « participationnistes » d’une façonou d’une autre à la guerre impérialisted’Espagne et les internationalistes qui neveulent faire aucune union avec les par-tis démocratiques de la bourgeoisie(comme le défend également la GI endes termes à peu près semblables).

La minorité de la LCI, représente l’en-semble du groupe de Bruxelles moinstrois camarades dont Hennaut fait partie.La minorité quitte donc la Ligue. « Lenoyau issu de la scission qui s’estopérée au sein de la Ligue des Com-munistes Internationalistes déclare seconstituer en fraction (…) Elle se reven-dique du communisme sur la base desprincipes fondamentaux posés par lesdeux premiers Congrès de l’Internatio-nale Communiste.(…) En outre, la frac-tion a comme tâche de répondre auxproblèmes spécifiques de la lutte prolé-tarienne en Belgique, en fonction desprincipes généraux régissant la luttemondiale du prolétariat. » (135)Le 15 avrilla minorité fait paraître son premier bul-letin mensuel, Communisme avec les do-cuments de base concernant sa constitu-tion en Fraction Belge de la GaucheCommuniste Internationale.

Il ne s’agit pas, comme Hennaut veut lelaisser entendre (136), d’une émanation dela Fraction italienne (137), mais de l’a-boutissement de tout un processus enta-mé au cours des années 1934 et 1935,

entre la Ligue et la Fraction italienne ». Com-munisme n°5, 15 août 1937.134. Mélis dit Jehan ; il a fondé la LCI. Dans lePCB, il n’était pas un des militants de premierplan. Par contre, il est un des principaux anima-teurs de la Fraction belge jusqu’en 1940. Il est ar-rêté avec son fils par la Gestapo au tout début dela guerre. Il disparaîtra à Buchenwald.135. Déclaration, Communisme n° 1, 1er avril1937.136. Bulletin de la LCI, n°6, juin 1937. « Les bor-diguistes de la Ligue ont rejoint les autres. »137. Même si les deux groupes se retrouvaient surles mêmes positions politiques sur les questionsles plus importantes et sur la question espagnole,il n’y avait pas une adéquation totale entre eux.L’histoire des 2 fractions à partir des années 39 estlà pour le souligner.

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comme nous avons commencé à le dé-crire dans le chapitre précédent. Aucours de ce processus l’avant garde duprolétariat belge parvenait, pour la pre-mière fois, à jeter les bases de laconstruction d’un véritable parti declasse en Belgique.

Ecoutons le bilan de son évolution poli-tique tracé par la Fraction belge elle-même.

« On sait que le parti communiste belgefut créé par la Jeunesse socialiste qui, àl’appel de la Révolution Russe, quitta leP.O.B. Sa constitution ne fut pas précé-dée d’événements sociaux en Belgique,car la bourgeoisie put arriver, grâce aucompromis de Lophem, à endiguer avecdes "réformes sociales" la vague prolé-tarienne qui reflua vers les organisa-tions du P.O.B. Très vite, le jeune noyaucommuniste fut étouffé dans une fusionimposée par l’Internationale avec legroupe de la gauche socialiste deJacquemotte. Néanmoins, en 1928, lamajorité du parti passait à l’Oppositionet, après la scission d’Anvers, cette der-nière avait derrière elle tous les mili-tants d’avant-garde du mouvement ou-vrier belge. L’Opposition navigua enpleine nuit dans la multitude de prob-lèmes qui se posaient à cette époque de-vant les gauches marxistes. L’absencede grands mouvements sociaux, l’im-pression générale de stagnation ne futpas pour peu dans le découragement quila pénétra rapidement. Fallait-il agircomme parti ou comme fraction du par-ti ? Ces problèmes s’agitaient au seinde l’Opposition sans pouvoir trouverune solution, alors qu’il était évidentque seul, un travail en tant que fractiondu parti (même si l’on était exclu)permettrait d’aborder les problèmespropres à la dégénérescence centriste etd’élaborer les positions devantpermettre, au moment de la trahison ducentrisme, d’évoluer vers la constitutionde nouveaux partis. Trotski, dès son exil,pose impérativement les termes du prob-lème ("redressement des partis" au lieude fraction de gauche) et sans attendreune discussion internationale, sans com-prendre les difficultés inévitables del’Opposition Belge, provoqua sur laquestion de l’Est chinois (ce chemin defer que Staline a finalement vendu à laChine) une scission qui désagrégea défi-nitivement l’Opposition Belge. Celle-cise scinda en deux tronçons dont l’un (laFédération de Charleroi) créait legroupe trotskiste officiel qui allait finirdans le P.O.B., pour en sortir avec deséléments de la gauche et constituer leParti Socialiste Révolutionnaire; et dont

l’autre allait donner naissance à laLigue des Communistes Internationa-listes de Belgique qui végéta sur elle-même jusqu’en 1932. Au moment où legroupe trotskiste dégénérait et excluaitde son sein les éléments internationa-listes, rompait avec la gauche italienne,la Ligue apparaissait comme le seulnoyau de classe survivant. Tout en op-posant à l’idée réactionnaire du "redres-sement" l’idée confuse de "nouveauxpartis", elle admettait cependant que lesconditions historiques, la préparationidéologique, n’existaient pas pour lesconstituer. D’autre part, sur les prob-lèmes de démocratie et fascisme, laLigue, dans sa Déclaration de principes,donnait une réponse satisfaisante (bienqu’aujourd’hui elle l’ait révisée pourappuyer les républicains espagnols) etn’envisageait pas la possibilité de secontenter des "4 premiers Congrès del’I.C.". » (138)

Au terme de la réflexion effectuée ausein de la Ligue et de son évolution poli-tique « les événements d’Espagnemirent les deux courants devant lanécessité de donner une expression poli-tique à leurs divergences et une opposi-tion de principe apparut. » (139 De la dis-cussion « sur le problème de l’Etat et duparti », l’on a vu surgir « deux positionsopposées » (idem, Octobre), dont l’uneaboutissait à la participation d’une cer-taine façon à la guerre impérialiste etl’autre dans la lutte pour l’internationa-lisme prolétarien. Ces réflexions qui ontmûri depuis 1935, ont permis à Jehan derédiger une étude importante sur laquestion de la guerre impérialiste alorsqu’il était encore au sein de la Ligue :« Le problème de la guerre » (140) et ceciavant (publié en janvier 1936 mais rédi-gée dès novembre 1935) que n’éclatentles événements d’Espagne.

Certes, dans le processus d’évolution ducourant qui allait former la Fractionbelge, la fraction italienne intervint acti-vement, il en va de sa responsabilité po-litique, mais elle est plutôt un accéléra-teur de la tendance de classe qui tend às’affirmer dans la Ligue ; cette aide estconçue comme l’aide internationalistenormale du prolétariat italien au proléta-riat belge.

Le désaccord politique essentiel :la question espagnole

138. Vie des fractions de la Gauche communiste, inOctobre, n°1, février 1938, page 14,139. idem.140. in Cahiers d’Etude de la Ligue des Com-muniste Internationaliste, n°2, janvier 1936.

La thèse de la Fraction belge sur le sujetprovient d’une analyse qui montre com-ment le prolétariat a subi une lourde dé-faite à la suite d’un processus historique« puisque la situation que nous vivonsaujourd’hui n’est que le produit et leterme de tout un enchaînement d’événe-ments comportant l’élimination progres-sive du prolétariat de la scène histo-rique, situation qui se dénouera non parla libération des forces productives,mais par leur destruction» ; «une résur-rection de la conscience prolétariennene surgira vraisemblablement que dubouillonnement des événements de laguerre, de l’ébranlement de tout le sys-tème capitaliste et du bouleversementtotal du rapport des classes. » (141 L’oncomprend dès lors le fondement et la so-lidité des convictions de la FB par rap-port aux positions que la minorité de laLCI possède sur la situation générale quipréside aux événements espagnols. Je-han précise d’ailleurs « quant aux motsd’ordre de boycottage, de guerre à laguerre, de grève générale, d’insurrec-tion, qui pourraient être lancés à la dé-claration de guerre par des courants po-litiques à tendance pacifiste ouanarchiste, une connaissance marxistedes conditions ayant permis à la guerrede mûrir et d’éclater, doit permettre dedénoncer l’inanité de tels motsd’ordre. » (142) Et encore, « vouloir ‘BOY-COTTER LA GUERRE’, vouloir répli-quer à la guerre par la Révolution, re-vient à vouloir reconstituer ‘SPON-TANEMENT’ des facteurs révolution-naires qui ont été désagrégés au coursde tout un processus historique dont leterme ne peut pas être la Révolution,mais la Guerre. »

La résolution de la minorité de la LCIsignée Jehan ‘sur la guerre en Espagne’ne s’explique que dans le cadre politiquegénéral défini ci-dessous. « Le 19 juillet(1936) la lutte s’élève jusqu’à la formeinsurrectionnelle. Mais cela ne signifiepas qu’il s’agisse déjà d’une révolutionprolétarienne…La lutte des classesprend un caractère révolutionnaireseulement lorsqu’elle est orientée versla destruction totale de l’état capita-liste. » Voilà l’immense différence entrel‘insurrection des ouvriers espagnols quisaisissent les armes et, tout en jetant lesgrandes masses ouvrières dans l’actiondans les principales villes espagnoles,font échouer le coup d’état militaire.Mais, les ouvriers ne sont pas allés jus-qu’à la prise du pouvoir politique et, de

141. Le problème de la guerre, Cahiers d’Etude dela Ligue des Communiste Internationaliste, n°2,janvier 1936, page 34.142. idem.

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ce fait, n’ont pu égaler la révolution desouvriers russes qui ont pris le pouvoir etont détruit l’Etat de la bourgeoisie. Laminorité a profondément raison de dé-fendre la thèse essentielle du marxisme,c’est à dire la destruction de l’Etat bour-geois, comme première mesure révolu-tionnaire. Il ne faut pas confondre la ré-volution qui est la prise du pouvoir d’E-tat avec un mouvement insurrectionnelmême s’il est grandiose. « En Espagne,les données marxistes du problèmecentral de l’Etat ont été falsifiées par lescourants politiques dominant le proléta-riat. Non seulement l’Etat bourgeois n’apas été aboli, mais le prolétariat a étédétourné de sa tâche essentielleconsistant à créer avec des organisa-tions unitaires analogues aux soviets,les bases de son propre pouvoir (…) enCatalogne le Comité des Milices et leConseil de l’Economie, loin de re-présenter les organes d’un pouvoir pro-létarien même embryonnaire, ont été desinstruments de collaboration de classeet d’union sacrée. Ces organismes n’ontété que la’ façade prolétarienne’ du pou-voir bourgeois.». « Après son succèsinitial contre Franco, le prolétariat parmanque de conscience politique, n’a pupoursuivre son action (…) la guerre declasse entre la bourgeoisie et le proléta-riat se transformant en une guerre terri-toriale entre le fascisme et l’Antifas-cisme. Sous le drapeau antifasciste leprolétariat espagnol tombe pour le capi-talisme et non pour le socialisme. »

Bilan politique de la LCI

Du fait de l’importance de la significa-tion politique de l’évolution politique dela minorité de la LCI, la Fraction ita-lienne se devait de rédiger une résolu-tion pour tirer les leçons de la scission.

« Notre organisation n’éprouve aucunepeine à constater qu’avec un courantqui s’est précipité dans le giron ennemi,une collaboration de plusieurs années aété toutefois possible. Par contre, notrefraction constate l’utilité de cette colla-boration qui lui a permis de profiter desexpériences accumulées par la Ligue. Ilest incontestable que l’erreur des deuxorganisations a consisté à avancer dansla collaboration sans que la discussionsoit poussée sur les questions fondamen-tales mises notamment en lumière dansla lettre de la fraction publiée dans le n°3 - mars 1933 - du Bulletin de laLigue. » .(143 Il est incontestable que lacollaboration avec la Ligue a été trèsfructueuse pour la Gauche italiennecomme pour la minorité de la Ligue. Le

143. Résolution de la Commission exécutive de lafraction italienne, in Communisme n°5, 25 août1937.

fait que cette dernière ait pu, à tout mo-ment, se plonger dans la lutte des classesde façon concrète notamment en Bel-gique a été un élément très importantpour la vie et la réflexion politique de laGI. Il ne peut pas y avoir de réflexionthéorique en chambre, elle doit êtreconfrontée à la lutte et à la vie concrètede la classe ouvrière.

Puis, la GI tire un court bilan du travailpolitique plus immédiat accompli encommun avec la LCI :

« Sa collaboration avec la Fraction Ita-lienne, en déterminant un élargissementde sa base de travail, la venue de nou-veaux éléments restés sur l’expectativeou provenant du groupe trotskiste, dé-terminèrent une atmosphère de discus-sions où les problèmes essentiels dumouvement communiste furent affrontés,tant sur le terrain international que surle terrain spécifiquement belge. Aucours de ces discussions, qui eurentpour matière l’évolution de la Russie etla nouvelle situation internationale etbelge, des divergences apparurent et secristallisèrent peu à peu dans l’opposi-tion des deux courants qui trouvaientpourtant encore une base commune detravail. Sur la Russie. le problème de laguerre (guerre d’Abyssinie), sur la dé-mocratie (Plébiscite de la Sarre), sur lesélections, la gauche socialiste et, enfin,sur le problème du parti et le processusde sa formation en Belgique, des diver-gences apparurent qui furent consignéesdans le Bulletin de la Ligue et dans desCahiers (partiellement dans Bilan). »(Octobre n° 1)

Et, la réflexion suivante de la GI est éga-lement importante à souligner. Si laFraction belge est capable d’être, auxyeux de la GI, le noyau du futur partic’est qu’elle est complètement apte à as-sumer son rôle historique futur.

« Si donc, au point de vue formel, lasuccession historique entre la fractionbelge et le premier noyau communistequi forma le parti n’existe pas, en réali-té, au point de vue de l’évolution histo-rique du prolétariat belge, elle existecar la fraction actuelle n’est que l’a-boutissement de l’effort que le proléta-riat réalise dans tous les pays depuis1917 : la création des bases du parti declasse. » En un mot la critique portée autravail de la LCI n’est pas tout à fait ca-tastrophique puisque cette dernière adonné naissance à une véritable fractioncommuniste. Nous assistons effective-ment à la naissance d’une véritable Frac-tion communiste qui se dote des moyenspour donner naissance au véritable particommuniste du prolétariat belge.

Octobre (n° 1 de février 1938) rendcompte des efforts de la Fraction belgedans l’article « Vie des fractions de laGauche communiste », il est écrit que« dans le n° 1 de Communisme (est) pu-bli(ée) sa Déclaration de principe qui estun document de base et le point de dé-part pour l’élaboration de sa plate-forme. Cette déclaration s’inspire desmêmes principes que (ceux) de la Frac-tion italienne. Dans ses (anciens) Bulle-tins, avant la rupture, elle a aussi publiéune série de résolutions sur les prob-lèmes centraux de la situation. Cetteriche réflexion politique est un point fa-vorable pour le futur développement dugroupe. Et en son sein la discussion sepoursuit toujours « sur un ensemble deproblèmes dont (le groupe) fer(a) uneanalyse dans (son) prochain numéro. »(Communisme n°1)

De son côté, dans le numéro 1 de Com-munisme, la Fraction belge (FB) critiquetrès durement son parcours politiquepassé depuis 1928 dans un article« Notre position dans le mouvementcommuniste ». Elle estime que la poli-tique du seul redressement des partisétait fausse dans l’OIG, puis vouloirconstituer « un parti révolutionnaire demasse (brochure : Que veut l’Opposi-tion ?)» a abouti à « une politique d’iso-lement » de la classe. Tout en critiquantl’Opposition trotskiste, elle conduit lamême politique « en substance sa poli-tique s’apparentait à celle de l’Opposi-tion puisqu’elle ne rejetait pas l’hypo-thèse que ‘des noyaux révolutionnairesse hissant à la hauteur des buts histo-riques du prolétariat puissent se dévelop-per au sein des partis socialistes indé-pendants sous la poussée irrésistible desmasses’… (…) Sur le plan parlemen-taire, la faiblesse principielle de laLigue se marqua encore davantage ». Al’inverse de cette politique que nouspourrions aujourd’hui qualifier « d’im-médiatiste », il eût fallu créer de véri-tables fractions communistes pour édi-fier la charpente idéologique et pourcréer les cadres du futur parti de demain.La fraction « a comme tâche essentielled’élaborer la solution des problèmesthéoriques restés non résolus de par lescirconstances historiques et la carencedu parti» et, tout cela, en ne se transfor-mant pas « en une secte isolée d’aca-démiciens politiques n’apportant aucunéléments positifs dans la lutte desclasses. »

L’intervention communeavec la Gauche italiennedans les premiers moisd’existencede la Fraction belge

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Les deux groupes avaient l’habitude detravailler en commun. Ainsi, suite auxjournées de mai 1937 à Barcelone, la GIet la FB publient et diffusent en communle manifeste « Plomb, mitraille, prison :ainsi répond le Front populaire aux ou-vriers de Barcelone osant résister à l’at-taque capitaliste » (144). Et ils dénoncentl’attaque des forces du gouvernementantifasciste contre les ouvriers de Barce-lone qui sont les « forces de répressioncomprenant jusqu’aux anarchistes (quisont ministres du gouvernement bour-geois de Valence) et dont le POUM estindirectement solidaire (puisqu’il estmembre du gouvernement de la Généra-lité de Catalogne).» Les deux groupes,sur ces positions véritablement révolu-tionnaires, se trouvent totalement isolésbien évidemment. De leur côté, des ré-volutionnaires comme ceux appartenantau Groupe de Munis qui se rattache à laIV° Internationale ou aux ‘Amis de Dur-ruti’, ont combattu aux côtés des ou-vriers de Barcelone attaqués par lesforces de répression de l’Etat du frontpopulaire mais ils ne sont pas allés jus-qu’à dénoncer la politique de collabora-tion de classe du POUM ou desanarchistes.

Dans la poursuite d’un travail en com-mun, la Fraction italienne et la Fractionbelge font un ‘Appel de solidarité’ pourla création d’un « Fonds commun de so-lidarité en faveur de toutes les victimesde la guerre impérialisted’Espagne » (145)

Au niveau international, un seul groupepolitique se dégage et prend des posi-tions semblables à celles des deux frac-tions : le Groupe des Travailleurs Mar-xistes du Mexique. Pour cette prise deposition révolutionnaire dans un Mani-feste un de ces membres (Kirchoff a étédénoncé par la section mexicaine de laIV° Internationale comme étant « à lafois une entreprise de provocation, à lasolde du GPU et un ‘agent du fascis-me’. » (146) Les deux fractions demandentdes explications dans une « Lettre ou-verte au Centre pour la IV° Internatio-nale et au Parti Socialiste Révolution-naire de Belgique » (147) Car cette accusa-tion ne repose sur rien et de plus « cescamarades visés ont adopté une positioninternationaliste analogue à celle que

144. Communisme n°3, 15 juin 1937 et Bilan n°41,mai-juin 1937.145. Communisme n°5, 25 août 1937.146. in Bilan n°44, octobre – novembre 1937 etCommunisme n°7, 15 octobre 1937.147. C’est le nom que le groupe trotskiste belgevient de prendre après son exclusion de la social-démocratie belge et de la faillite de sa politiqued’entrisme dans le POB.

proclamèrent les marxistes pendant laguerre impérialiste de 1914/1918, quec’est pour cette raison qu’ils sont dé-noncés comme provocateurs et agentsdu fascisme. » (...) « Le Groupe des Tra-vailleurs Marxistes affirme en substanceque la guerre d’Espagne est une guerreimpérialiste. » Le Parti Socialiste Révo-lutionnaire lui fait savoir qu’il posera laquestion aux organes dirigeants de laIV° Internationale et à sa section auMexique, mais aucune réponse n’estparvenue aux deux fractions.

Les deux fractions organisent desréunions de discussion en commun.L’une de ces réunions a donné lieu à uncompte rendu sur Bilan (numéro 43,septembre - octobre 1937) d’une inter-vention de Vercesi (148). A cette époqueVercesi commence à défendre sa théorieparticulière sur la guerre impérialistecontre le prolétariat. Lui-même ildit : « on sait que je défends, sur la si-tuation mondiale actuelle, une thèse quin’est nullement adoptée par l’ensemblede notre fraction, ni par la fractionbelge. Je crois devoir mettre en gardeles camarades contre une erreur : il nes’agit point de discuter pour prédire s’ily aura oui ou non une conflagrationmondiale. Pour ce qui me concerne, jecrois que cette conflagration ne seterminera pas et que désormais la seuleforme de guerre correspondante à l’évo-lution historique actuelle est la guerrecivile entre les classes, alors que lescontrastes inter impérialistes peuventêtre dirigés vers la voie d’une solutionnon violente. » Ce qui le conduit à pen-ser ainsi, c’est la guerre impérialiste enEspagne.

Cela entraîne des conséquences. « Jepense que cette forme de travail interna-tional se trouve être dépassée (celle desbolcheviks pendant la guerre de 1914-18ou le travail fait à Zimmerwald) et quenous devons entrer dans l’autre phasedu travail en vue de la constitution desfractions de gauche. D’ailleurs l’expé-rience en Belgique où cette fraction apu se constituer prouve, à notre avis,que les conditions objectives existentpour un travail dans cette direction. »Et, il poursuit par la nécessité de créerégalement une Fraction française de laGauche communiste. Pour être plusclair, Vercesi pense que pour répondre àla guerre civile, il faut armer le proléta-

148. Ottorino Perrone, dit Vercesi (1897 - 1957) estle principal animateur de la Gauche italienne dansl’émigration et membre de sa CE (1928 –1939),cf. thèse sur L’histoire de la ‘Gauche’ Italiennedans l‘émigration : 1926-1945, Michel Roger, Pa-ris, 1981.

riat par la création de ses organisationsde classe : les fractions.

Si dans les mois qui suivent les deuxfractions créent le Bureau internationalde la gauche communiste internationalece n’est pas parce qu’elles sont totale-ment d’accord avec la position de Verce-si, il coexiste plusieurs conceptions poli-tiques. Certains camarades dont lesBelges pensent qu’il est nécessaire decréer une coordination entre les deuxfractions possédant un accord politiquesur les questions essentielles face à la si-tuation politique présente. Cela seconcrétise dans la publication d’unManifeste sur la guerre impérialiste si-gné par les deux fractions. (Com-munisme n° 8, 15 novembre 1937)

Création de la GauchecommunisteInternationalejanvier-février 1938

Les deux fractions décident de créer unBureau international de la Gauche Com-muniste Internationale et un journalcommun, Octobre, dont le premier nu-méro paraît le 1er février 1938. LaGauche italienne arrête la parution deBilan en janvier 1938 (numéro 46) maiscontinue la publication de Prometeo enitalien en tant qu’organe de la fractionainsi que Il Seme en tant que bulletin dediscussion. La Fraction belge, de soncôté, continue la publication de Com-munisme (Communisme salue la créationdu bureau dans son numéro 11 du 15 fé-vrier). On comprend bien que le désac-cord politique qui existe au sein desfractions mais aussi dans le bureau inter-national ne permet pas de publier une re-vue qui se doit de prendre position surles grands événements de la situationinternationale.

Retournons en 1938.

Dans le Manifeste du premier février1938, on peut lire : « Les fractions de lagauche communistes (..) viennent defonder un Bureau International en rai-son d’une tension internationale qui serépercute dans tous les pays, car danstous l’Union sacrée des classes se nour-rit de la production pour la guerre. Lebureau se doit d’indiquer aux réactionsprolétariennes qui s’affirment danschaque pays contre l’Union sacrée lavoie qui permit à Lénine et aux bol-cheviks d’atteindre Octobre 1917 : laconstruction des fractions de la gauchecommuniste internationale. » (Octobren° 1)

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Une Résolution sur la constitution dubureau (BI) est également adoptée dontles têtes de chapitres sont : I - Classe –Parti – Fraction ; II - La formation duparti de classe est un processus interna-tional ; III - La nature progressive duprogramme de la révolution com-muniste ; IV - L’enjeu historique dans lecapitalisme décadent (149) ; V – L’évolu-tion actuelle (Union sacrée, Economiesde guerre) ; VI – La Quatrième interna-tionale. » (150)

Le dernier point, le point VII, dit « LesFractions belge et italienne (..) as-signent à celui ci (le BI) comme objectifcentral de favoriser la constitution et laliaison des fractions de gauche danstous les pays. »

Enfin elles publient un Règlement inté-rieur du bureau. « le bureau se composeprovisoirement de quatre membres effec-tifs : deux délégués pour la fraction ita-lienne (151), deux délégués pour la frac-tion belge (152). Il s’adjoint deux membresreprésentant chacune les deux fractionset ayant vote consultatif. »

Toujours dans le numéro 1 d’Octobreparaît l’article ‘la vie des Fractions dela gauche communiste’. Cet article setermine par un passage très significatifde l’état d’esprit de la GCI à ce momentlà et surtout de ce quelle estime être sonrôle dans une période où tous les autresgroupes révolutionnaires ont jeté par-dessus bord tous les principes com-munistes.

« Avec la guerre d’Espagne, toutes lesdivergences avec la Ligue (groupe deHennaut) et les autres groupes s’expri-mèrent par une rupture marquant lachute de ces groupes de ‘communistesde gauche’ dans le marais des idéolo-gies capitalistes. Une nouvelle phases’ouvrait, celle de la formation des frac-tions de gauche contre tous les groupesexistants, sur la base des notions pro-grammatiques proclamées par la Frac-tion, en commun avec la minorité de la

149. « Depuis l’ouverture de la phase impérialistedu capitalisme au début du siècle actuel, l’évolu-tion oscille entre la guerre impérialiste et la révo-lution prolétarienne ». C’est de cela dont il s’agitquand la GI parle de ‘décadence’. Il n’est pas in-intéressant de citer le passage ci-dessus pour biendistinguer la vision de la GCI de celle de Trotskiqui pense à tort, en parlant de décadence, que les« forces productives ont cessé de croître ».150. Il s’agit de la véritable internationale non pasde celle de Trotski avec les socialistes de ‘gau-che’.151. Vercesi et Jacobs pour la FI. Benjamin Fein-gold, dit Jacobs, né à Anvers. Pendant la guerre ilest réfugié à Marseille. Il est arrêté par la Gestapoen en 1943, il disparaîtra dans un camp en Alle-magne.152. Un des délégués belge sera Melis dit Jehan.

Ligue belge, sur l’Etat et le parti. Ceteffort a reçu sa consécration avec laformation du Bureau des fractions degauche et la transformation de Bilan, enOctobre. »

Les questions de l’Etat et du Parti sontdeux questions qui marquent la GCI etles séparent de tous les autres groupes.En effet, la question de l’Etat et de la so-ciété de transition au communisme (153)

est un des axes de réflexion, toujours endiscussion, dans les deux fractions etplus particulièrement de la fractionbelge tout au long des années 1930.C’est un des points sur lequel elle feraœuvre originale. En ce sens la Fractionfrançaise de la Gauche communiste(Internationalisme) dans les années d’a-près guerre ne fera que continuer ce tra-vail de réflexion entrepris à cetteépoque.

En avril 1938 la GCI diffuse un « Mani-feste contre la guerre ! Pour le défai-tisme révolutionnaire ! Pour la révolu-tion mondiale » ! Il dresse l’état ducapitalisme tout au long du XX° sièclequi a déjà commis l’irréparable avec lapremière guerre mondiale. Puis, il dé-clare la faillite de l’IC et des autresgroupes politiques communistes degauche comme les trotskistes qui, parexemple, disent aux prolétaires « Faitestout votre devoir dans la lutte contre leJapon (154).» Enfin il indique qu’il « n’y aqu’un ennemi pour le Capitalisme,qu’une force de salut pour l’humanité :le Prolétariat ! »

Quelles sont les hypothèses pour le capi-talisme :

« Soit que nous assistions à un élargis-sement de la tendance à la localisationdes conflits impérialistes et à la généra-lisation des compromis inter impéria-listes sur la base d’une solidarité dansEtats ‘riches’ s’exerçant au bénéfice (ondirait aujourd’hui au détriment) desEtats ‘pauvres’.Soit que, depuis la guerre italo-éthio-pienne, nous soyons entrés dans une vé-ritable conflagration internationale oùles Etats fascistes apparaissent actuelle-ment comme les vainqueurs alors que,probablement, tous subiraient la défaitefinale, comme ce fut le cas en 1914-1918. (…)Pour chacune de ces hypothèses, lesévénements prouvent en traits sanglants,que le seul enjeu des situations, est le

153. Dans le cadre de ce travail il ne nous ait paspossible d’en rendre compte de façon correcte,c’est pourquoi nous préférons ne pas en rendrecompte.154. Guerre du Japon en Chine.

Prolétariat et la lutte qu’il mène pour leCommunisme. »

Nous avons longuement cité les deux al-ternatives contenues dans le Manifestecar l’on constate déjà au sein de ce do-cument poindre les désaccords qui vontse développer au sein de la GI puisqueVercesi va développer la deuxième alter-native et ses conséquences. Après laguerre italo-éthiopienne, il défend l’idéeque le capitalisme a dépassé la guerreimpérialiste et qu’une nouvelle périodecapitaliste est ouverte avec un nouvelaprès guerre.

La GCI grâce à ses efforts soutenus ob-tient une nouvelle victoire avec la créa-tion de la Fraction française de la gauchecommuniste en mai 1938. La résolutioncontenue dans Octobre n° 4, « Pour uneFraction française de la gauche com-muniste » est là pour l’indiquer (155). Leséléments qui composent cette Fractionsont des éléments autour de Marc Chiric.Ils ont quitté l’Union Communiste aumoment de la guerre d’Espagne. Ils dé-fendent des positions internationalistescontre la guerre impérialiste qui se dé-roule en Espagne et dénoncent la partici-pation de la CNT et du POUM au gou-vernement de la bourgeoisie républi-caine.

Dans le numéro 19 de Communisme (15octobre 1938) une édition flamande dubulletin est annoncée, comme la créationd’une Fraction de gauche au Mexique. Ilsemble qu’il y ait eu 3 ou 4 numéros dela publication en flamand de décembre1938 au début de l’année 1939 avant l’é-clatement de la guerre. Tout cela montrequ’au début de l’année 1938, la GCI estquelque peu euphorique et tombe dansune phase où elle espère, après des an-nées noires, que la situation de la classeouvrière va en s’améliorant.

155. cf. notre brochure La gauche communiste deFrance, éditions du CCI, Paris, 2001.

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Avant la guerre,dissolutionde la Gauche italienne,maintiende la Gauche belgeLa situation générale en Europe, et no-tamment en Belgique, se détend suiteaux accords de Munich de septembre1938. L’Allemagne avait décidé en mars1935 le rétablissement du service mili-taire obligatoire ; elle a remilitarisé laRhénanie en mars 1936 ; en novembre1937 Hitler dans une conférence dévoileses objectifs de guerre (156); en 1938 c’estl’annexion de l’Autriche. Et, enfin à laConférence de Munich entre Hitler,Mussolini, Daladier et Chamberlain, ilest octroyé à l’Allemagne le territoiredes Sudètes qui est, en fait, l’acte de dé-cès de la Tchécoslovaquie. Cet accordsigné par la France, l’Angleterre et Hit-ler donne l’impression que la guerre aété évitée et la situation se détend. L’onpeut comprendre l’erreur faite par Ver-cesi.

Parallèlement à cela, le fonctionnementà plein de l’économie de guerre depuisle début des années 1930 engendre unesituation économique plus favorablepour la classe ouvrière, le chômage dé-croît fortement. Et, malgré tout, l’écono-mie de guerre pèse aussi sur les condi-tions de travail de la classe ouvrière. EnFrance les nécessités de la défense natio-nale poussent la bourgeoisie à reprendreles acquis des 40 heures considéréescomme « incompatibles avec l’effort deréarmement ». En Belgique, de nom-breuses grèves éclatent ainsi qu’une me-nace de grève générale en novembre1938 qui n’a pu finalement avoir lieu.

La GCI a du mal à comprendre la nou-velle situation. Comment comprendreles accords de Munich ? Est-ce vérita-blement que la guerre impérialiste auraitété évitée et le capitalisme aurait résolumomentanément ses contradictions ous’agit-il d’une pause dans l’évolution del’impérialisme ? Ou est-ce le réveil de laclasse ouvrière en France comme enBelgique ou ailleurs dans le monde quifait obstacle à la guerre?

Voilà comment, à la veille de la guerreen août 1939, la GCI comprend la situa-tion et les difficultés politiques qu’ellerencontre. Trois conceptions sur la situa-tion politiques voient le jour au sein dela GCI.

156. « Conquête d’un nouvel espace vital aumoyen de la force ».

« Les 3 conceptions découlent doncd’un bilan établi pour une période déci-sive qui a vu trois guerres « localisées »et des transformations économiques etsociales dans plusieurs pays (expériencedu front populaire, grève générale enFrance, en Belgique, économie deguerre s’implantant dans tous les paysindistinctement).La pluralité des centres névralgiques dela lutte des classes montrant que lecapitalisme, en évitant la guerre mon-diale en Abyssinie, en Espagne, enChine, se précipitait vers une générali-sation de la tension sociale où ses forcesde gauche et d’extrême gauche allaients’épuiser. (...)Tout était-il clarifié (bilan que des frac-tions sur la base de la situation des an-nées antérieures) au moment de la fon-dation du Bureau ? Deux points impor-tants restaient à l’état de discussion.L’évolution de la situation en courscontenait les principaux facteurs qui al-laient propulser les accords de Munich,mais ces accords pouvaient donner lieuà des interprétations différentes. (..)Un deuxième point restait en suspens.Comment aborder la nouvelle phase devie des fractions (…) ce que certainsn’entre nous ont appelé leur ‘translationstructurelle’. (..)C’est ici que débute véritablement notre‘crise’. (..) Qu’elle est la cause de la lé-thargie dans laquelle tombe le bureausix mois après sa constitution.Il y a d’abord la situation internatio-nale…(..)Ni au sein du Bureau, ni au sein desdeux fractions, nous ne parvenons àréaliser intégralement, le cours d’événe-ments qui vont se jeter dans Munich. (..)Dans la fraction belge, deux courantsont tenté de se délimiter ; dans la frac-tion italienne la délimitation est moinsnette. Jusqu’ici, la divergence centrale aporté sur ce problème quelle est la na-ture du développement capitaliste aprèsMunich et quelle sont les positions queles fractions doivent revendiquer pourrester reliées aux luttes sociales ? Il n’apas encore été possible de déceler la na-ture des divergences et de déterminerleur portée sur le développement desdeux fractions. » (157)

La majorité de la Fraction belge voit« l’accentuation des contrastes sociaux(qui) s’est manifestée au travers de lamodification de la politique extérieureet intérieure du capitalisme ‘démocra-tique’ nécessitant par contre coup, la‘réadaptation’ des partis ’ouvriers’ àcette nouvelle donne » (celle de

157. Octobre, n°5, août 1939.

Munich). « Dès lors il devait infaillible-ment s’en suivre une fermentation idéo-logique au sein des organismes se re-vendiquant du prolétariat révolution-naire. » (158) Elle se retrouve avec deuxtendances coexistant en son sein dèsseptembre 1938 et surtout il existe undésaccord sur l’intervention politique àréaliser dans cette situation, notammentdans la lutte de classes. Elle s’interrogesur les organisations avec lesquelles ellepeut travailler.

« La divergence s’est concrétisée sousforme de deux résolutions se différen-ciant aussi bien sur l’analyse de la si-tuation que sur la tactique qui en dé-coule pratiquement. » (..) « La résolu-tion du courant qui était jusque là l’ex-pression du groupe dans son ensemble »défendait l’idée que la situation en direc-tion de la guerre mondiale n’avait pasété modifiée. « Il ne pouvait êtrequestion d’assigner aux remouscontingents qui s’étaient manifestésdans la classe ouvrière en septembre,une portée qui eut été celle d’une rup-ture avec les forces idéologiques et poli-tiques de l’ennemi. » (159)

Quant à l’autre courant. La résolutiondéposée considère que « ‘si au lieu de laguerre généralisée, le capitalisme mon-dial s’est rallié aux accords de Munich,c’est en raison de l’épuisement del’antifascisme’ (résolution) permettant àla classe ouvrière de recourir plus faci-lement à l’action révolutionnaire dans lecas d’une menace de conflagration gé-nérale. » (160) Après plusieurs discussionsdans le groupe cette dernière résolutiona obtenu 5 voix contre 4 et une absten-tion (161). Nous constatons que l’interven-tion au sein de la classe ouvrière prendune toute autre couleur si l’on suit cettenouvelle majorité au sein de la FB.

La minorité déclare. « Tout en partici-pant (…) la minorité affirme toutefoisque son attitude ne peut être assimilée àune marque de solidarité politique avecla tactique intervenu… Elle resteconvaincue qu’un (..) travail en com-mun avec d’autres groupes dénoncés,jusqu’ici, comme des expressions de l’i-déologie de la bourgeoisie, constitueune lourde entrave (…) au développe-ment de la conscience prolétarienne (..)même si l’action se limite à un frontunique syndical. » (162) (souligné dans letexte). En effet, la nouvelle majorité,

158. Communisme, n°24, mars 1939, La tactiquede la Fraction.159. Communisme, op.cit.160. Communisme, op.cit.161. Cela permet de savoir que le groupe comportede 10 membres en 1938.

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forte de la croyance qu’il pouvait y avoirune autre sortie, dans cette situation, quela guerre généralisée a proposé un frontunique syndical à la LCI et aux trots-kistes du PSR. Elle écrit une lettre à cesdeux organisations pour leur proposerune réunion commune et l’ouvertured’une discussion politique pour créer unfront unique syndical, proclamer le dé-faitisme révolutionnaire et la créationd’une revue commune car «les accordsde Munich nous apparaissent donc, noncomme la manifestation de la volonté dela paix du Capitalisme, mais comme l’é-puisement de l’antifascisme qu’il avaitadopté pour entraîner les ouvriers dansle giron de la guerre impérialiste. » (163)

Le front unique syndical se révélera êtreun échec. Parce qu’ « en l’absence delutte ouvrière, l’échec du front uniquesyndical proposé, trop tard, par les frac-tions aux courants de ‘gauche’ était in-évitable. » (164) C’est un peu court !

Comment travailler politiquement entreles deux fractions avec des divergencesaussi importantes ?

Du fait de ses divergences, le Bureauinternational est bloqué entre mai 1938(numéro 4 d’Octobre) et août 1939 (nu-méro 5 d’Octobre), il n’a rien publié.L’on peut mesurer à cet arrêt de la publi-cation, l’ampleur de la crise de la GCId’autant plus que le denier numéro, lenuméro 5 d’Octobre est uniquement ro-néoté ce qui dénote un problème généralqui n’est pas que financier. Par contre,pendant toute la période, la Fractionbelge a réussi à publier tous les mois,soit au total, 15 numéros de son mensuelqui contient toujours un contenu poli-tique et théorique inestimable.

A une lettre de la GI du 10 janvier 1939,la Fraction belge (FB) répond ainsi le 31mai 1939:

« 1°) Les divergences politiques existantau sein des deux fractions auront néces-sairement leurs répercussions dans l’or-gane du Bureau. Cependant, en dépit deces divergences, la résolution constitu-tive du bureau reste valable dans sonensemble (…) Les articles seront doncsignés pour autant qu’ils traduiront lesdivergences actuelles. Mais le Bureauagira, comme par le passé, sur la basedes principes conditionnant son activitéau sein du mouvement ouvrier interna-tional.

162. Communisme, op.cit., Déclaration de la mino-rité, page 4.163. Communisme, op.cit., lettre, page 12 etsuivantes.164. Communisme, n°28, juillet 1939, Les tachesdes Fractions dans la période actuelle, pages 1 à12.

2°) Dans le prochain numéro d’Octobre(ronéotypé) le Comité de Rédaction pu-bliera, au non du bureau, une déclara-tion résumant la situation actuelle desfractions, les tendances qui s’y mani-festent, les points de vue qui s’y op-posent ainsi que les raisons expliquantle silence du Bureau depuis mai 1938.

3°) Tout en offrant un maximum de pos-sibilités à l’expression des tendances ausein des fractions, l’activité propre duBureau ne pourra désormais êtresuspendue aussi longtemps qu’elles’inspirera de la résolution constitu-tive. » (165)

Il n’y aura pas de numéro 6 d’Octobre,toutefois la réponse du 31 mai 1939 dela FB permettra la parution du numéro 5comme il est dit dans la lettre citée ci-dessus : « l’accord établi, quant à la Re-vue, permettra donc la reprise de la pu-blication de l’organe du Bureau. »

Au sein de la Gauche italienne la posi-tion Vercesi pèse très lourd du fait de laplace centrale qu’il occupe dans la GI.On l’a vu se dessiner lentement au coursdes années puisqu’elle est déjà contenuedans le Manifeste contre la guerre (166)

d’avril 1938 (cité ci-dessus). Elle s'ap-puie sur une appréciation superficiellede la situation qui prévaut à l'époque en1937-38 :

* sur le développement de l'économie deguerre. Pour lui, le redémarrage de l'éco-nomie provient du fait du développe-ment de l’économie de guerre qui doitrésoudre la crise générale du capita-lisme. C’est la réplique des capitalistes àla crise économique.

* la résorption du chômage est laconséquence directe de cette politiqueéconomique sur les capacités de révoltede la classe ouvrière.

Ainsi, pour Vercesi, les contradictionsdu capitalisme international semblentdépassées. De ce fait, il pense que l'éco-nomie de guerre est la solution à la crisedu capitalisme et, il théorise l'idée que lecapitalisme pourrait s'éviter les guerresgénéralisées. De son point de vue, la si-tuation de "guerres localisées" qui pré-valait à l'époque, comme en Espagne, enEthiopie ou en Mandchourie, etc., achangé la fonction de la guerre impéria-liste. De plus, la guerre est devenue uneguerre contre la classe ouvrière. La solu-tion des guerres localisées suffit à ac-complir la tâche de résorption momenta-née des contradictions impérialistesmême si elle se termine par des mas-sacres d'ouvriers comme en Espagne.

165. Octobre, n°5, août 1939, page 5.166. Octobre, n°3, avril 1938.

Pour Vercesi, Munich est un véritabletraité de Versailles. Munich signifiait lafin de la guerre impérialiste et elle apour corollaire la possibilité du resurgis-sement du prolétariat comme en 1917, àla fin de la première guerre mondiale.On peut lire dans Octobre un résumé dela position défendue par Vercesi :

« Deux points sont évidents avantMunich :* la tendance du capitalisme à triom-pher du prolétariat, grâce au stimulantdes guerres localisées, peut éloigner l’é-chéance des luttes décisives maisaboutit inévitablement à une concentra-tion des contrastes sociaux au sein del’économie de guerre ;* enfin, la tendance à une conversionvers la droite – car les forces du FrontPopulaire correspondent à une situationde fermentation déclarée et de bataillesouvrières. (…)Nous avons été fixés, quant aux ten-dances à l’évolution du capitalisme, parl’ampleur des événements de septembre1938. (…) L’ampleur de ces événementsfut telle que nous pouvions espérerqu’ils illumineraient des couches deprolétaires et leur révèleraient leur che-min de classe. (...) Mais que nos espoirsaient été déçus ne change rien à la sub-stance de ces situations ni aux conclu-sions que nous en avons tirés. (…) l’é-chéance des luttes décisives… contientdésormais des batailles finales et déci-sives.» (167) On ne peut qu’être frappé parla cécité politique de cette position quicomprend l’histoire à contre sens. Alorsqu’on va vers la guerre et qu’on a unécrasement idéologique du prolétariat,ceux qui défendent la position de Verce-si, continuent à dire « que nos espoirsaient été déçus ne change rien à la sub-stance de ces situations. » (souligné parnous)

Et, son auteur, Emix, n’en reste pas là,dans l’article, il en rajoute même.« C’est dans ce sens que, dès aujourd’-hui, nous employons l’expression ‘rup-ture idéologique’ qui marque déjà lanouvelle orientation que la lutte declasses a fécondée à l’époque de forma-tion et d’apogée du Front Populaire. »Ou en parlant des masses ouvrières, ilest dit que «les péripéties de leur évolu-tion particulière marquent le passage duprolétariat dans un ‘nouveau climat’ quiest pour nous un terrain qu’il s’agit deprospecter.» (168)

167. Octobre, n°5, août 1939, Peut-on dégager lestendances de la situation en France ? - pages 17et suivantes.168. Idem, Octobre….

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Il existe une importante minorité dans laFraction italienne (dans toutes ses sec-tions) et aussi en Belgique autour de Ja-cobs qui est le deuxième délégué de laFraction italienne au Bureau Internatio-nal de la GCI qui s’oppose à Vercesi.Une minorité de la FB s’y oppose égale-ment, autour de Jehan. Ces divergenceset l’impossibilité de trancher entraînentla « syncope » (169) de la GCI comme ellele décrit, elle-même, dans ses textes.

C’est alors qu’éclate la guerre impéria-liste !

Or, la conception majoritaire aboutit, enseptembre 1939, à ce que de nombreuxcamarades autour de Vercesi dans laGCI ne comprennent plus rien auxcauses du déclenchement de ladeuxième guerre mondiale. Puisque laguerre impérialiste a éclaté, le prolétariatest donc battu, pensent-ils. C’est pour-quoi, Vercesi accomplit une nouvelle« pirouette » pour justifier sa nouvelleargumentation ; il en arrive à théoriser"la disparition du prolétariat" duranttoute la période de l'affrontement impé-rialiste et il déclare la dissolution de laGCI comme n’ayant plus rien à fairedans cette période défavorable à laclasse ouvrière. Citons la "déclarationpolitique" de la Conférence de la Frac-tion italienne en 1944 qui rend comptede la conception de Vercesi:

« L'état actuel de l'organisation est lasuite, la continuation d'une crise qui asurgi dans le sein de la fraction dès1937. Elle est inaugurée par l'abandon(...) de l'analyse de l'époque historiquequi s'est ouverte en 1914 dans la phasede décadence du régime capitaliste. (...)On a substitué (..) une nouvelle doc-trine:1° Négation de l'exacerbation des anta-gonismes inter-impérialistes, allant (...)à la négation de l'inévitabilité de laguerre impérialiste et à l'exclusion de laguerre impérialiste généralisée dans laphase décadente du système capitaliste.2° Substitution à la guerre impérialiste(..) de la théorie des" guerreslocalisées" (..), de la notion de "guerrecivile de la bourgeoisie contre le prolé-tariat".7° (...) la phase décadente ne serait plusla phase de destruction, de la reproduc-tion rétrécie mais elle serait (sauvée)grâce à l'économie de guerre, comme laphase de plein épanouissement desforces productives.8° L'économie de guerre ne serait plusune manifestation de la crisepermanente du régime (...) mais le "mo-

169. Octobre, n°5, août 1939, lettre de la GI du 7juin 1939, page 6.

ment de la plus grande production de va-leur" (Vercesi) (...) »

En août 1939, au moment de l'éclate-ment de la guerre, le Bureau internatio-nal de la Gauche communiste se dissoutdonc, l'organisation et les sections sedisloquent. Verdaro (Gatto Mammone),membre de l'organe central, part, parexemple, s'installer en Suisse à Locarno.Il s'isole avant de devenir membre de lasocial-démocratie de gauche suisse. (ilne retournera pas dans la gauche ita-lienne à la fin de la guerre; malgré lesefforts de ses anciens camarades pour lefaire revenir et il rompt définitivementavec eux (170)). Jehan et Jacobs, tous deuxmembres du BI de la GCI s’établissentun temps à Marseille où ils vont puis-samment aider à la reconstitution de laFraction italienne à Marseille dès les an-nées 1940, surtout en 1941. C’est aucours d’un voyage en Belgique pour lareprise de contacts que Jehan sera arrêtépar la Gestapo.

***

Certains pourront voir dans la « syn-cope » de la GCI un échec total de sespositions politiques et un désaveu de soncombat. C’est vrai conjoncturellement,mais si l’on s’élève à une dimensionhistorique, l’on se doit de considérer quela GCI n’a pas trahi la classe ouvrièremême si son organe central n’a pas sufaire face à la nouvelle situation. Elle nesoutient aucun camp impérialiste. Le bi-lan théorique de son travail d’avant laguerre est immense notamment sur lesquestions, de la guerre impérialiste dansla période de décadence du capitalisme,et, de l’Etat dans la période de transitionau communisme. C’est sur ce bagagethéorique qu’elle a été capable d’enri-chir et de reconstituer que la GI s’est ànouveau remise en ordre de bataille uneannée après l’éclatement de la guerre.

Il est clair que c’est en grande partiegrâce aux camarades de la GCI et no-tamment aux représentants de la Frac-tion belge que la Gauche italienne a puse reconstituer à Marseille et faire face àses responsabilités pendant la deuxièmeguerre impérialiste. Le rôle de Jehan, deJacobs mais aussi d’Aldo Lecci (171), a été

170. Cf. livre publié sur Verdaro sur sa vie enSuisse de 1940 à 1945 par des universitairessuisses.171. Dit Mario Marini, dit Tullio. Il s’oppose auxthéories de Vercesi sur l’économie de guerre à lafin des années 30, il est délégué au BI pour la GI.Ensuite, il est membre de la CE de la fraction re-constituée à Marseille pendant la guerre. Après1945, il est membre du comité central du PartiCommuniste Internationaliste (PCint). Il estmembre du PCint jusqu’à sa mort en 1974.

déterminant d’autant plus que ces cama-rades représentent réellement la conti-nuité organique avec l’ancien Bureauinternational de la GCI. Ils possédaientla légitimité nécessaire pour proclamersa reconstitution. C’est aussi grâce à cesacquis théoriques et politiques que lagauche italienne existe toujours au-jourd’hui à travers le PCI, le PC Interna-tionaliste et le CCI.

ANNEXECommunisme n° 1, avril 1937

DECLARATIONDE PRINCIPESDE LA FRACTION BELGE1. Le Parti est une fraction du proléta-riat. Dans l’ère des révolutions proléta-riennes, le Parti exprime effectivementla conscience et la capacité politique duprolétariat dans une phase de flux révo-lutionnaire, où se pose directement leproblème du pouvoir.

La Fraction est un élément du Parti, or-ganique ou extra organique selon le rap-port des classes. Sa nature procède de lanature même du parti. Pas plus que ce-lui-ci, la fraction n’émane uniquementde la volonté d’individualités révolution-naires, mais elle exprime avant tout unproduit de la lutte des classes surgissantlorsque le mouvement prolétarien traceune courbe descendante. Elle apparaîtcomme une nécessité assurant la sur-vivance de la fonction historique du par-ti, lorsque ce dernier devient la proie del’opportunisme.

Quand le parti passe ouvertement aucapitalisme en trahissant, la fractionconstitue la base de formation, le noyaudu parti en devenir qui reprendra la suc-cession historique du parti défaillant.

De par sa substance sociale, la fraction,loin de s’isoler de la lutte des classes,reste étroitement liée à toutes les réac-tions prolétariennes qui s’y déterminentet elle s’enracine par conséquent à toutle développement ultérieur de cette lutte.De son côté, le prolétariat malgré la dé-faite, trouve dans la fraction l’endroitpolitique où peut se concentrer et se raf-fermir sa conscience de classe, conditionde sa capacité d’action dans les situa-tions mures de demain.

La trahison des partis de la IIIe Interna-tionale a fécondé les conditions histo-riques pour l’apparition de nouveauxpartis communistes. Cependant, leurcréation ne dépend pas du libre arbitredes communistes, mais elle résulte d’une

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maturation des contrastes sociaux alorsque s’ouvre la phase de la transforma-tion des fractions en partis sur la basedes nouvelles données historiques queles fractions ont élaborées.

Dans la période actuelle, les fractions degauche vivent en substance une situationanalogue à celle vécue par les courantset les fractions de gauche de la IIe Inter-nationale pendant le déchaînement de laguerre impérialiste, qui va de la trahisonde 1914 à octobre 1917, alors que seconstituent les prémices de la nouvelleInternationale.

Aujourd’hui que les fractions de gaucheont dû rompre totalement avec les partisde la IIIe Internationale et que la situa-tion les empêche d’agir comme des par-tis, elles se trouvent – ou à peu près –exclusivement confinées dans les limitesdu travail théorique au sein d’une évolu-tion qui précipite la société capitalistevers le gouffre de la guerre impérialiste.

Outre la formation des cadres du futurparti, la tâche fondamentale des frac-tions est de forger l’arme doctrinale quifraiera à la lutte du prolétariat la voievers le triomphe de la révolution.

Le noyau issu de la scission qui s’estopérée au sein de la Ligue des Com-munistes internationalistes déclare seconstituer en fraction en s’inspirant desconsidérations qui précèdent.

Elle se revendique du communisme surla base des principes fondamentaux po-sés par les deux premiers congrès del’Internationale.

Communiste, elle se situe par consé-quent dans la lutte prolétarienne en tantque continuité historique de la théoriemarxiste fondée sur le déterminismeéconomique, le matérialisme dialectiqueet lutte des classes. Elle s’affirme en tantqu’organisme progressif se fixant l’ob-jectif central de pousser le mouvementcommuniste à un stade supérieur de sonévolution doctrinale, en apportant sacontribution propre à la solution interna-tionale des problèmes nouveaux poséspar les expériences de la révolutionrusse et de la période de déclin du capi-talisme, solution que la IIIe Internatio-nale n’a pu élaborer de par les condi-tions historiques.

En outre, la fraction a comme tâche derépondre aux problèmes spécifiques dela lutte prolétarienne en Belgique, enfonction des principes généraux régis-sant la lutte mondiale du prolétariat.

La fraction, oeuvrant pour la reconstruc-tion du parti du prolétariat et celle del’internationale prolétarienne, pose

comme condition fondamentale de cettetâche le refus catégorique de se relier or-ganiquement ou non à des courants poli-tiques historiquement condamnéscomme forces rétrogrades et ennemies :social-démocratie, partis de la IIIe Inter-nationale, ou bien encore à des groupe-ments communistes qui ont altéré leursbases politique et idéologique en se rat-tachant directement ou indirectement àdes forces appartenant à ces courants.Par-là, la fraction sauvegarde son propredéveloppement en même temps que letriomphe de la révolution prolétarienne.

La fraction déclare accepter uniquementles affiliations individuelles sur la based’une adhésion sans réserve à la pré-sente déclaration de principes.

La fraction, dès sa fondation, marque saposition internationaliste en affirmantvouloir collaborer dans l’élaboration dutravail théorique avec tout organismepolitique se revendiquant d’un autre pro-létariat, pourvu que cet organisme agissedans la voie de la fraction telle qu’elleest tracée dans cette déclaration.

Sur cette base, et voulant marquer saferme volonté contre la confusion ext-rême qui domine actuellement le mou-vement communiste, résolue à contri-buer au renforcement du prolétariat, lafraction affirme sa conjonction interna-tionale avec la fraction italienne se re-vendiquant déjà de la position princi-pielle affirmée ci-dessus et décide d’a-dopter la dénomination de fraction belgede la gauche communiste internationale.

Les points suivants posent les notionspolitiques essentielles appelées à s’inté-grer à la charpente idéologique et pro-grammatique de la révolution proléta-rienne.

2. Les fractions communistes ne peuventforger l’arme théorique indispensable autriomphe de la révolution qu’à la condi-tion de comprendre le mécanismeinterne de la société capitaliste dans saphase de déclin historique et de relierétroitement l’analyse des événements àla signification de l’époque.

L’Impérialisme ou dernière étape duCapitalisme a orienté l’évolution socialevers une impasse; les forces productivesdans leur ensemble, ne peuvent plus sedévelopper dans le cadre du systèmecapitaliste parce qu’elles ont atteint leniveau maximum compatible avec la na-ture de ce système. En d’autres termes,la forme socialiste de la production et lemode bourgeois de production et de ré-partition des produits est entrée en unconflit irréductible qui nourrit la crisegénérale de la société bourgeoise évo-

luant dans les limites d’un marché saturéde marchandises. Le reflux des forcesproductives pose objectivement lanécessité de la révolution prolétarienneet de l’avènement du communisme enmême temps qu’il ouvre une phase déci-sive de la lutte des classes : " L’époquede la décadence capitaliste est l’époquede la lutte directe en vue de la dictaturedu prolétariat. " (IIe Congrès de l’I.C.)

L’antagonisme fondamental entre labourgeoisie et le prolétariat devient l’axede l’évolution historique autour duquelgravitent tous les contrastes secondaires,y compris les contrastes inter impéria-listes. Cela veut dire que désormais lavie de la société capitaliste oscille entreles deux issues ouvertes par l’évolutiondes rapports sociaux: Guerre impéria-liste ou Révolution prolétarienne.

La guerre impérialiste est la rançon san-glante de la survivance anachronique duCapitalisme, lorsque le prolétariat estimpuissant à imposer sa propre solu-tion : le Communisme, au travers de sadictature de classe.

Le capitalisme pourrissant ne peut sub-sister qu’en dévorant sa propre sub-stance, en provoquant des pertesénormes de travail accumulé (chômagedes machines, destruction des produits,dévaluations monétaires) et de travailhumain (chômage, utilisation pour laproduction de guerre, etc.).

Quand la guerre éclate, c’est que lescontrastes internes de la productionbourgeoise ne trouvent plus d’autre issueque celle constituée d’une part par ladestruction massive des richesses pro-ductives qui, parce qu’elles ont dû re-fluer dans le cadre des économies deguerre, ont engendré leur propre néga-tion en se transformant en moyen dedestruction; d’autre part, par le massacredu prolétariat, vivante antithèse de la so-ciété capitaliste.

C’est la nature de cette société, fondéesur l’antagonisme irréductible entre labourgeoisie et le prolétariat qui dé-termine le mobile fondamental de laguerre impérialiste et son contenu social,mais non la lutte entre les Etats capita-listes ou entre fractions bourgeoises d’unmême Etat : les antagonismes inter im-périalistes sont seulement l’expressionde la contradiction entre la tendance àl’universalité du système capitaliste et sadivision en nations résultant de l’appro-priation privée des richesses.

Dans l’époque de la décadence bour-geoise, le prolétariat doit se désolidariserde toutes les guerres dirigées par le capi-talisme ou ses agents démocratiques,

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que leur drapeau soit celui de la Révolu-tion bourgeoise ou des nationalités op-primées, ou de l’émancipation nationaledes colonies, ou de l’antifascisme, ouencore du " socialisme en un seul pays ".

Le prolétariat reconnaît et accepte uni-quement la guerre civile déclenchée parses propres forces et sous le contrôle duparti de classe, contre et pour l’abolitionde l’Etat capitaliste.

La Révolution prolétarienne trouve sacondition objective dans la condamna-tion historique du capitalisme, mais laforce seule capable de la propulser doitêtre recherchée dans l’économie, maissur le terrain politique : une sociétépourrie ne peut tomber que sous la pous-sée d’une classe révolutionnaire. Le pro-létariat en forgeant son parti de classedevient cette classe révolutionnaire ca-pable d’abattre la bourgeoisie, d’empê-cher la guerre et la décomposition de lasociété.

3. La démocratie bourgeoise est l’ex-pression politique du " libéralisme " éco-nomique qui a favorisé l’accumulationdu capital dans la phase de croissance dusystème bourgeois de la production.

En même temps, derrière le paravent de" l’égalité " politique, elle tendit à dissi-muler au prolétariat croissant en nombreet en force politique, la réalité de la so-ciété divisée en classes. Bien que le pro-létariat ne pouvait encore poser concrè-tement le problème au pouvoir, il s’op-posa cependant à l’Etat capitaliste enfondant ses propres organisations declasse et, par-là, heurtait aussi leprincipe démocratique qui constituait lacharpente de l’édifice juridique-poli-tique de la bourgeoisie. Les organismesprolétariens de lutte surgissaient contrela volonté de l’Etat démocratique et nonpas grâce à l’existence de cet Etat; maisen même temps, ils se laissaient pénétrerpar la corruption de l’idée démocratique,d’autant plus puissante qu’elle baignaitdans une ambiance de prospérité.D’autre part, le capitalisme pouvait don-ner satisfaction partielle aux revendica-tions ouvrières alors que celles-ci ne me-naçaient pas encore le fonctionnementmême du système capitaliste, mais pou-vaient au contraire se greffer sur son dé-veloppement.

Par contre, la décadence du capitalismenon seulement s’oppose à une élévation(absolue aussi bien que relative) desconditions de vie du prolétariat maisexige l’exploitation intensive de celui-cisur la base de l’étranglement de sesluttes.

Pour la défense de ses intérêts, le prolé-tariat ne peut pas s’accrocher aux insti-tutions démocratiques, celles-ci n’étantpas son oeuvre propre, mais celle de labourgeoisie et qu’elles ne subsistent quedans la mesure où elles empêchent leprolétariat de poser ses revendicationsde classe et d’acquérir la conscience po-litique qui lui fasse découvrir la nécessi-té de détruire l‘Etat bourgeois démocra-tique.

La démocratie et le fascisme sont deuxformes de domination d’une mêmeclasse: la bourgeoisie mondiale.

Leur choix est déterminé en fonctionnon d’intérêts particuliers et contradic-toires de cette classe, mais de son intérêthistorique, fondamental : l’écrasementdu prolétariat.

Le prolétariat ne peut empêcher l’avène-ment de la domination fasciste que dansla mesure où, appuyé sur ses organisa-tions de classe il s’oppose à la réalisa-tion du programme capitaliste visant àson anéantissement en tant que classe,dans la mesure où il parvient à s’ache-miner vers son propre objectif : la révo-lution communiste.

Les expériences " démocratiques " de-puis 1918, ont démontré que la défensede la démocratie était la négation de lalutte des classes, étouffait la consciencedu prolétariat et conduisait son avant-garde jusqu’à la trahison — aujourd’huiconsommée — des partis communistessans empêcher l’instauration du fas-cisme là où il s’imposait, mais en ycontribuant : la tragédie du prolétariatespagnol jeté dans le gouffre de laguerre antifasciste a définitivement mar-qué au fer rouge les défenseurs,conscients ou non, de la démocratiebourgeoise.

4. La position des communistes à l’é-gard des syndicats se rattache au critèrecentral qui affirme que le programme delutte pour les revendications immédiatesdoit être le pôle de concentration du pro-létariat dans une phase où celui-ci n’agitpas en tant que classe consciente de sesbuts historiques et où ce programmeapparaît comme le seul qui heurte defront le programme capitaliste. Laconscience prolétarienne peut renaîtredans la mesure où les batailles écono-miques partielles se développent jusqu‘àatteindre la phase supérieure politiquequi pose le problème du pouvoir. " Al’époque où le capitalisme tombe enruines, la lutte économique du proléta-riat se transforme en lutte politiquebeaucoup plus rapidement qu’à l’époquedu développement pacifique du régime

capitaliste. Tout conflit économiqueimportant peut soulever devant les ou-vriers la question de la révolution. " (IIeCongrès de l’I.C.).

Les communistes ont pour devoir de mi-liter dans les syndicats réformistes quisont actuellement les seules organisa-tions unitaires de masses. Mais, c’est àla condition de ne pas devoir sacrifierleur activité, sauvegarde de la lutte pro-létarienne, que les communistes légiti-ment leur présence dans les syndicats.

Les syndicats fascistes ne sont pas desorganisations ouvrières, mais des créa-tions du capitalisme qui empêchent touttravail révolutionnaire.

Lorsque l’arme économique des prolé-taires a été anéantie par le Fascisme, lescommunistes ont pour devoir d’oeuvrerà la constitution de nouveaux syndicatsde classe. Ceux-ci ne peuvent cependantsurgir que du bouleversement des rap-ports sociaux. De même un nouveautype d’organisation unitaire ne peut êtreun produit artificiel, mais un phénomènesocial surgissant de situations révolu-tionnaires où le prolétariat se dirige versl’instauration de son propre pouvoir etest amené à en créer les organes de base,tels les soviets.

5. La Révolution prolétarienne d’Oc-tobre 1917, par ses traits fondamentaux,détermine le contenu des révolutionsprolétariennes de demain.

Dans le développement de la lutte desclasses, elle représente la continuité pro-gressive de la Commune de Paris et dela Révolution russe de 1905 et apporte lavivante preuve historique des prémissesthéoriques suivantes :

a) la révolution prolétarienne ne se réa-lise que par la destruction de l’Etat capi-taliste et la fondation de l’Etat proléta-rien, qui est inévitable dans la phase detransition entre le capitalisme le com-munisme;

b) pour atteindre son objectif historique— l’extinction des classes — le proléta-riat doit instaurer sa propre dictaturesous la direction de son parti de classe.Le parti n’étant que la fraction la plusconsciente du prolétariat n’a pas d’inté-rêts se différenciant de ceux de la classe,mais il exprime les intérêts d’ensemblede cette classe, leur finalité sociale.

Par définition, comme du point de vuede la réalité historique, il y a identifica-tion absolue entre dictature de classe etdictature du parti.

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Par contre, il existe une opposition irré-ductible entre la dictature prolétarienneet la dictature de l’Etat.

Le prolétariat ne peut sauvegarder sadictature de classe et, par conséquent,son programme historique qu’en asser-vissant l’Etat à la réalisation de ce pro-gramme.

La dégénérescence prolétarienne trouveson terrain spécifique non dans la dicta-ture du parti, mais dans l’incorporationdu parti à l’appareil d’Etat. Par contre, lecontenu positif des révolutions proléta-riennes, sans cesse grandissant, résidedans le dépérissement de l’Etat et nondans le développement de ses organescoercition et de répression.

L’une des tâches essentielles des frac-tions communistes est d’élaborer une so-lution de principe au problème capitalde la gestion d’un Etat prolétarien, solu-tion que les bolcheviks n’ont pu donner,faute de matière expérimentale.

Les enseignements tirés de la révolutionrusse fournissent dès à présent les don-nées suivantes du problème :

a) la révolution prolétarienne ne peutsuivre un cours autonome qui serait fon-dé sur l’originalité du milieu géogra-phique et social. Elle n’est pas la résul-tante de prémices matérielles dévelop-pées dans le pays où elle surgit, mais leproduit dune maturation politique des

contrastes de classe, et ce à l‘échelleinternationale. Le critère de maturitééconomique ou culturelle est à rejetertout aussi bien pour les pays à dévelop-pement supérieur, que pour les pays re-tardataires. La maturité de la révolutionprolétarienne est donnée par l’époquehistorique, telle que nous l’avons définieau point 2.

b) la révolution prolétarienne prend ra-cine sur le terrain national, mais ne peutse développer qu’en se greffant à la luttedu prolétariat mondial et en mettant l’E-tat prolétarien au service de cette lutte.L’affirmation centrale du marxisme quela révolution économique doit précéderla révolution politique, n’acquiert sapleine signification que sur l’arène inter-nationale, sur la base d’un écrasementpolitique du capitalisme au moins dansses centres vitaux.

c) le socialisme mondial, préface aucommunisme, ne peut pas être la jux-taposition d’économies "socialistes" na-tionales, mais il est l’expression de la di-vision internationale du travail, tellequ’elle a surgi du développement capita-liste, une organisation unitaire composéede secteurs interdépendants et solidaires.

d) même après la fondation d’un Etatprolétarien, et jusqu’au triomphe de larévolution mondiale, les lois de la pro-duction capitaliste continuent à s’exercer- dans une plus ou moins grande mesure

- au sein de cet Etat, sous la pression desclasses ennemies expropriées, mais nondétruites, et du capitalisme mondial. Ce-lui-ci ne peut pas être vaincu sur le ter-rain des compétitions économiques,mais sur le terrain politique, au traversd’une exacerbation de la lutte mondialedes classes. A celle-ci doivent donc êtresubordonnées les tâches d’un prolétariatvictorieux par rapport à sa propre écono-mie. Les limites du programme écono-mique sont tracées par la place spéci-fique qu’occupera l’économie proléta-rienne dans l’organisation socialistemondiale;

e) en outre, le contenu social de la révo-lution prolétarienne ne se mesure pas es-sentiellement au développement desforces productives, mais au mobile et àla destination de la production, au degréde satisfaction des besoins des masses.

L’URSS, en rompant avec le prolétariatmondial, sur la base du socialisme natio-nal, a imprimé à son économie un courscapitaliste se dirigeant vers l’issue de laguerre impérialiste : l’industrialisationsoviétique se traduit par l’édificationd’une économie de guerre.

Le devoir des fractions communistes estde rejeter toute défense - même condi-tionnée - de l’URSS, instrument de l’im-périalisme mondial.

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Chapitre V

De la reconstruction de la GCI (1941)

aux années 1970

Au début de la guerre le Bureau Interna-tional de la Gauche Communiste se dis-sout, la Fraction belge s’éparpille, Jehanatterrit à Marseille fin 1939. Mais, lacentralisation ayant disparu, elle conti-nue, vaille que vaille, à se maintenir lo-calement. De même la Fraction italiennese disperse mais certaines sections dansle sud de la France se maintiennent ;elles possèdent une vie politique au ra-lenti.

La fin de la deuxièmeguerre mondialeCatherine Legein écrit, (page 27 du nu-méro 27 des Cahiers du CERMTRI - op.cit) : « le groupe War Van Overstratense décompose petit à petit, il ne compteplus que trois membres en 1938. » Onpeut répondre : non ; non seulementcette tendance ne se décompose pas,mais encore elle acquiert une dimensionhistorique. Quelques précisions méritentd’être apportées par rapport à cette affir-mation de Catherine Legein :

1/ On ne peut plus caractériser les deuxgroupes issus de la LCI, comme étantencore « le groupe de War VanOverstraten », puisque ce dernier ne mi-lite plus depuis le début des années1930. Il s’agit d’autres groupes poli-tiques.

2/ Elle fait, en fait, un raccourci en par-lant du groupe de War Van Overstraten.Elle doit vouloir parler de la Ligue desCommunistes Internationalistes (groupede Hennaut). Elle ne traite pas du tout del’histoire de la Fraction Belge de laGauche communiste ; elle ne la men-tionne même pas.

3/ Enfin, en ce qui concerne la Fractionbelge, - qui est l’objet de notre travail -non seulement elle ne se décompose pas,mais elle prend une importance politiquemajeure du fait de la qualité de sa ré-flexion théorique qui a mûri au coursdes années. C’est, en grande partie,grâce à ses analyses politiques et théo-riques que la Gauche italienne a politi-quement nourri sa réflexion tout au longdes années 1930 et qu’elle s’est reconsti-tuée à Marseille. Puis, la Fraction belge

a rapidement repris sa place au sein de laGauche communiste, après la guerre, enBelgique avant de donner naissance àdes cercles de réflexion encore à la findes années 1970.

La reconstitution de la Fractionitalienne (FI) en 1941

La guerre mondiale rend la poursuite detoute activité très difficile, et notammentle maintien des liaisons entre les dif-férentes sections de la GCI du fait de laligne de démarcation entre le sud et lenord de la France.(172)Dès juin 1940, l'ac-tivité politique se rétablit au sein dugroupe de Marseille. Une question sepose : doit-on rétablir les liens avec lesautres sections ? Dans un premier temps,Jacobs (membre de la Gauche italienneet du bureau international des deux frac-tions) s'y oppose. Rapidement cepen-dant, la décision est prise de reconstituerla fraction et de rétablir les liaisons avecLyon, Toulon, Aubagne, ensuite Paris etenfin Bruxelles.

A partir de 1941 les premiers effortspour la reconstitution de la Fraction ita-lienne se concrétisent à partir de sonCentre à Marseille. La fraction tient dèscette date une conférence annuelle. Lapremière élit un organe central composéde trois membres dont Aldo Lecci (Ma-rio Marini ou Tullio), Otello Ricceri ditPiccino du fait de sa petite taille et MarcChiric. Giovanni Bottaioli (Butta) est as-socié à ce travail car il n’habite pas àMarseille, mais à Paris où il est unmembre très actif.

Ce travail aboutit enfin, en 1942, à lacréation du "Noyau français de lagauche communiste" à partir d'un cerclede 10 membres environ.

Dès sa recréation, la GI se pose laquestion de prendre position contre laguerre. Mais, la section de Marseille nepossède aucun matériel ; il faut déjà seprocurer une machine à écrire. Les pre-miers tracts seront tapés plusieurs foisavec des carbones avant d'être distri-bués. Les membres de la Fraction n'é-

172. Voir comment les liaisons entre le nord et lesud de la France sont décrits par Jean Malaquaisdans Planète sans visa (éditions Phébus, Paris).

taient pas préparés à cette situation d’oc-cupation particulière et de guerre et en-core moins à la clandestinité dans desvilles qu’ils ne connaissaient pas pour laplupart. C’était d’autant plus difficileque tous les membres de la Fractionétaient des réfugiés politiques italiens et,une grande partie d'entre eux, ne possé-daient pas de papiers légaux. L'éclate-ment de la guerre voulait dire pour euxque, en tant qu'italiens, ils faisaient par-tie du camp ennemi. Les émigrés italiensdevaient faire une déclaration profran-çaise pour éviter de retourner en Italie ;ne pas le faire, signifiait l’envoi dans lesgeôles fascistes. Certains membres de laFraction sont pris par la police pétainisteou la gestapo et remis aux autorités ita-liennes, d'autres retournent en Italieclandestinement comme Danielis "Gigi"ou Mauro Stefanini vers la fin de laGuerre. Ces faits expliquent la désor-ganisation de la Fraction italienne etpourquoi il faudra quelques mois, et at-tendre 1941, avant que la Fraction ne re-prenne une activité politique organisée.

Les réactions de la classe ouvrièreexistent certes mais sont bien faiblesdans cette période de contre-révolutionce qui veut dire que :

1 - contrairement à la tendance "révi-sionniste" de Vercesi qui défendent l’i-dée que la classe ouvrière disparaît pen-dant la guerre, pour la GI reconstituée laclasse et ses organisations existent à toutmoment, même pendant la guerre ou lespériodes contre-révolutionnaires. Les or-ganisations révolutionnaires s’oriententalors vers une autre fonction : la sauve-garder des acquis théoriques et poli-tiques révolutionnaires tout en n’ayantpas peur d’intervenir à contre-courant.

2 - il ne peut, malheureusement, y avoiralors de place pour des partis révolution-naires et surtout ils ne peuvent pas exer-cer un impact déterminant dans la classeet ses luttes.

A la reprise des relationsavec les autres sectionset avec la Belgiquese pose la question des positionspolitiques de Vercesi

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Au début de la guerre mondiale, Vercesidéfend la position selon laquelle le pro-létariat avait disparu en tant que classe etque, de ce fait, les communistes n’a-vaient “ plus rien à faire ”. FabioDamen (173) le rappelle dans son texte :« Fraction et Parti dans l’expérienceitalienne de la gauche italienne » ,“ Après 1939 (..) il conclue (il s’agit deVercesi) par le classique ’il n’y a plusrien à faire’ vu que le prolétariat dispa-raît comme classe dans les périodes deguerre. ” (ibid., page 21) Cette positionest inacceptable pour la FI qui vient dese reconstituer et qui va intégrer de nou-veaux éléments au cours de la guerre surdes positions internationalistes et gagnerde nouveaux camarades comme lecamarade Robert Couthier de Bel-gique. (174)

Vercesi perd le nord politique !

A la libération, Vercesi participe très ac-tivement comme animateur principal auComité de Coalition Antifasciste deBruxelles et même le dirige ; il publieainsi que Pieri (175) des articles dans “ L’I-talia di domani ” (176) Organe de la Coali-tion Antifasciste du 7 octobre 1944 au12 mai 1945 (soit 13 numéros en 1944et 18 en 1945). Dans le numéro 1 d’oc-tobre 1944, on peut lire une Déclarationpolitique de la Coalition (cf. documentci-après) signée conjointement par laFraction italienne de la gauche com-muniste, le Parti catholique, le Particommuniste, par Giustizia e liberta (177),le Parti libéral, le Parti républicain, leparti socialiste et par des syndicalistes.Ce dernier élément est le plus gravepour la FI car il engage, par sa signatureindividuelle, la Fraction tout entière etnotamment dans une coalition avec despartis de la bourgeoisie (mais ce qui estplus original, c’est que la Fraction a étédissoute par lui-même… (!?), de sonpoint de vue, il ne peut pas signer pourun organisme qui n’existe plus). Mais,c’est encore plus fort, il signe sans

173. Fils d’un des fondateurs du PC Internationa-liste (PCint) et également fondateur du PC d’Italieen 1921.174. Trotskiste belge qui sera acquis aux positionsde la Gauche communiste à Marseille dans les an-nées 40. A son retour en Belgique après la guerre,il adhère à la Fraction belge.175. Dans le numéro 12 du 23 décembre 1944 deL’Italia di domani, par exemple apparaît la signa-ture de Fernando Borsacchi dit ‘Pieri’ (1882-1982[?]), membre du Comité central de la fraction de-puis 1928 au premier congrès à Pantin. Puismembre du PCInt dans lequel il reste après 1952contrairement à Vercesi/Perrone.176. cf. fac-similé ci-après de L’Italia di domaniavec la signature de Vercesi/Perrone dans l’articlede tête.177. Organisation démocratique bourgeoise et anti-fasciste.

consulter ses camarades et surtout ceuxqui l’ont reconstituée à Marseille. C’é-tait la moindre des choses ou bien Verce-si égale la fraction à lui tout seul et enfaire ce qu’il en veut. De quel droit sesent-il dépositaire ou propriétaire de laFraction ?.

Numéro 2 en français, 1945, Edito signéOttorino PERRONE (Vercesi).

Numéro 1, samedi 7 octobre 1944.Page 5, la FI est engagée par sa signatureaux côtés du PCI ou du Parti socialiste, etc.

C’est pourquoi, la conférence de la Frac-tion italienne de mai 1944 prendra posi-tion, sur la base d’une déclaration poli-tique, contre le courant révisionniste deVercesi. De même, en janvier 1945, laConférence constitutive de la FractionFrançaise vote une résolution à l’unani-mité (y compris la tendance ‘Frédérique’[Suzanne Voute] et Al.) en présence desdélégués de la Fraction italienne, qui :“ condamne le courant de Vercesicomme courant révisionniste et appelleavec le groupe de la fraction italienneen France, la GCI à se délimiter et àrompre avec ce courant.” (Internationa-lisme n° 1)

L’attitude de Vercesi est d’abord minimi-sée par la PCInt dans une « Résolutiondu Comité central » du 4 novembre1945 sur les incidents au sein de la Frac-tion à l’étranger:

“ Le Comité central, après avoir enten-du la relation du camarade Vercesiconcernant la question de groupe belgede la fraction italienne et de son adhé-sion au Comité de Coalition Antifascisteaprès avoir discuté la question sur basedu rapport du camarade Tullio (178) re-présentant du groupe de Paris, affirme :

1/ que le groupe de Paris ne pouvait pass’octroyer le rôle du CE de la fraction ;

2/ que la mesure disciplinaire à l’égarddu camarade Vercesi ne correspond pasà la réalité des faits parce qu’elle était‘originée’ (les guillemets sont de nous)par des nouvelles qui se sont révéléesinexactes par la suite, (179)

3/ que la participation du groupe belgeà la Coalition Antifasciste telle commeelle avait été organisée, c’est à dire entant qu’organisme prévalant (com-prendre : essentiellement d’assistance),peut être retenue plus ou moins oppor-tune, mais elle n’a pas constitué unerupture de principe avec la positionidéologique du Parti,

4/ Que par conséquent la mesure est dé-clarée nulle. ”

En fait, les événements réels reprochés àVercesi étaient mal connus du PCInt del’époque car, malgré tout, l’argument es-sentiel est de dire que la section de Parisne pouvait pas prendre une telle déci-sion. Toutefois, il faut là aussi rectifierles choses ; il ne s’agissait pas de la sec-tion de Paris mais de la CE de la Frac-

178. Aldo Lecci.179. Les documents reproduits ci-dessus montrentbien que les nouvelles n’étaient pas inexactes.

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tion italienne reconstituée à Marseillequi avait pris une mesure disciplinaire àl’encontre de Vercesi. C’était la partie dela FI qui avait sauvé l’honneur de laFraction puisque c’est elle qui a mainte-nu les principes internationalistes et pro-létariens pendant toute la guerre ainsique sa continuité politique et organisa-tionnelle.

Enfin, dans un projet de résolution duBureau international de la Gauche com-muniste (date inconnue) où l’on essaied’excuser Vercesi, le PCInt prend une at-titude plus juste en condamnant l’appar-tenance au Comité antifasciste deBruxelles :

“ (…)Cela n’enlève toutefois pas lagravité à l’attitude prise par ces cama-rades qui, pour accéder à cette poli-tique, ont du non seulement sous-éva-luer le rôle historique du prolétariatpendant la guerre impérialiste, mais ce-lui particulièrement important et fon-damental de ses forces politiques d’a-vant garde, puisque aucun des prob-lèmes de classe n’a été posé qui ont parcontre caractérisé l’expérience de laFraction de Gauche en Italie dont a prissa source le Parti Communiste Interna-tionaliste (lutte contre la guerre, aucunealliance même provisoire et limitée àdes buts d'assistance et de culture -comme dans le cas du Comité de Coali-tion Antifasciste de Bruxelles -avec desforces qui se solidarisaient avec laguerre).[Le Bureau international de la Gauchecommuniste] reconnaît pourtant erronéeet en contraste avec les idées et la tac-tique de la Gauche Communisten'importe quelle formulation théoriquequi voudrait essayer de justifier une at-titude tactique comme celle de la parti-cipation au Comité de Coalition Antifas-ciste de Bruxelles, que le B.I. condamnesoit en tant que ligne de principe, soitdans son application pratique, tandisqu’il s’élève contre la campagne déclen-chée par des groupements à caractèreinternational et tendant à accuser lescamarades en question et toute la G.C.I.de participation à la guerre impéria-liste.”

La Fraction Française de la Gauchecommuniste (180) qui a défendu une posi-tion intransigeante d’internationalismeprolétarien et de séparation claire d’avecles organisations bourgeoises (comme leComité Antifasciste de Bruxelles) n’esttoujours pas reconnue par le PCint en

180. Lire notre brochure, La Gauche communistefrançaise, publiée par le CCI, Paris, 2001. Il fautavoir en tête scission au sein de la Fraction fran-çaise intervient au cours du mois de juillet 1945.

Italie (181) à la fin de la guerre. C’est, toutde même, cette Fraction Française de laGauche communiste qui exprime lacontinuité d’avec le groupe français duPCInt comme ce denier le reconnaît aposteriori et post festum en 1951 dansl’Avertissement aux lecteurs du Bulletinfrançais de la GCI numéro 1. « Durantla deuxième guerre impérialiste en1942, un groupe de militants (...) a dé-noncé le caractère bourgeois de toutl’appareil d’Etat, du parlementarisme etdes élections. » Mais, le groupe qui pu-blie le Bulletin dont Suzanne Voute (182),n’a jamais expliqué l’origine de sa rup-ture avec la Fraction française et pour-quoi cette dernière a été écartée de laGCI. C’est une autre histoire nous ne ladéveloppons pas davantage, ici, nousrenvoyons le lecteur à L’histoire de laGauche Communiste de France (183) oùnous en traitons plus largement.

La Fraction belge (1945)

Bruxelles est libérée en septembre 1944mais, l’offensive allemande dans lesArdennes belges en décembre met ànouveau la pression ce qui retarde d’au-tant la mise en place d’un travail poli-tique sérieux en Belgique.

La réorganisation

La Fraction Belge se remobilise avecune expression politique tournée versl’extérieur au sortir de la guerre ; ellepublie le journal L’Internationaliste (lenuméro 1 est de janvier 1945). Elle re-prend ses activités politiques début1945 ; elle regroupe alors des camaradescomme Edouard et Anne Manne, RobertCoutier, Henri Heerbrant dit ‘Hilden’.Vercesi ou Perrone, n’étant pas rentré enItalie après la guerre, adhère à la Frac-tion belge. A cette date, aucune scission

181. Autour du PCint se reconstitue en 1943 laGCI.182. L’histoire de cette fraction n’a jamais été faitepar ses militants. Autour de « Frédérique » unedeuxième Fraction Française se créé en 1944, elleadhère à la GCI. De 1945 à 1949, elle publie enFrance L’Internationaliste. Elle subit une crise en1949. « Depuis 2 ans, nous avons interrompu lapublication de notre journal ‘L’Internationa-liste’ ». A cette époque une partie de ses militantsadhérent à Socialisme ou Barbarie : « depuisnotre publication, nous avons eu au sein de notregroupe une crise organisationnelle qui s’est tra-duite par le départ de certains de nos militants,qui ont adhéré au mouvement Socialisme ou Bar-barie. Malheureusement, le causes politiques decette rupture sont restées confuses. » in Bulletinfrançais de la GCI numéro. Ensuite ce groupe arompu avec la GCI et le PCInt en 1952 pour mili-ter autour de Bordiga et du PCI (Programme com-muniste). Voir aussi : La critique de ‘Socialismeou Barbarie’, de Lucien Laugier, éditions duPavé, Paris, 2003. Lucien Laugier était membrede la 2ème Fraction française à cette époque.183. Brochure du CCI, Paris, 2001.

politique au sein de l’ensemble de laGauche Communiste Internationale n’é-tait encore intervenue mais la reprise desrelations entre les pays s’opère très len-tement du fait de la continuation desopérations militaires.

Dans le numéro un de l’Internationalistela fraction belge prend position sur lapossibilité d’un surgissement de la classeouvrière. Tous les révolutionnairesavaient cru, un moment, à un réveil desluttes révolutionnaires de la classe ou-vrière du type de ce qui s’était passéaprès la première guerre mondiale. LaGCI avait également comme modèle lesgrèves insurrectionnelles de 1944 en Ita-lie et quelques réactions de la classe ou-vrière allemande à Dresde ou à Berlindans certains quartiers ouvriers. Bienvite, il a fallu revenir à la réalité. « Laguerre s’est achevée sans qu’il soitapparu, dans aucun secteur, des sur-sauts prolétariens pouvant engendrer laguerre impérialiste en guerre civile. (…)La reconstruction du prolétariat en tantque classe indépendante ne pouvait pas-ser par le même chemin que celui qui futemprunté par le prolétariat russe en1917.» Et dans un autre article : « Le sc-héma de Lénine en 1917 et en 1945 », laFB critique les trotskistes « et plusieursautres courants ‘ouvriers’ (qui) ont en-tonné au lendemain de septembre 1944les trompettes révolutionnaires. »

La FB adopte un document (avril 1945)fixant les Conditions d’admission à laFraction. On peut noter la formulesuivante qui est très parlante.

« Les Fractions de Gauche ont accom-pagné le prolétariat mondial jusqu’àson dernier souffle, jusqu’à ce que laguerre impérialiste permit à l’économiede se survivre par la destruction demontagnes de produits invendables. Laguerre pulvérisa la structure politiquede la classe ouvrière. Elle fit tournoyerdes millions de prolétaires dans le marc-hé infernal de l’économie de guerre. Cesont les conditions objectives qui ame-nèrent la Fraction à poursuivre pendantla guerre son oeuvre dans les limitesétroites de son organisation. »

1 - Elle reste, avec ce texte, fidèle à l'es-sentiel des positions de la GCI, de la FBet du groupe qui éditait 'Bilan' avant-guerre sur la question de la décadencedu capitalisme et, de l’économie deguerre ainsi que de la guerre, comme so-lution à la crise permanente du système.

2 – Elle reprend la position de Vercesi-Perrone sur la disparition du prolétariatpendant la guerre : « La guerre pulvéri-

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sa la structure politique de la classe ou-vrière. »

3 – Elle se retrouve, de fait, en diver-gence avec la Fraction italienne repliée àMarseille et la Fraction française ainsique, sur un certain nombre de questions,avec le PC Internationaliste (PCInt).

Dans les Conditions d’admission ontrouve, au point 6, la formule suivantesur la question de la dictature du proléta-riat :

« Le parti n’impose pas sa dictature auprolétariat c’est celui-ci qui donne délé-gation au parti pour le représenter aupouvoir. » La formule est ambiguë caron dit que le parti n’exerce pas la dicta-ture mais qu’il représente le prolétariat ;toutefois, la formule montre qu’il existeune véritable question autour de quiexerce la dictature du prolétariat (le partiou la classe). La réflexion sur cettequestion qui se produisit avant la guerreest toujours présente dans la Fractionbelge.

Sur la question de la violence qui ren-voie, bien évidemment, à Kronstadt ilest dit, au point 7:

« La violence est revendiquée contre laclasse capitaliste et (elle est) principiel-lement interdite contre les travailleurs etleurs groupements, même s’ils s’op-posent ouvertement au Parti. » Cetteprise de position est très importante carelle diffère de celle que prendra le PCIProgramme communiste quelques an-nées plus tard.

De même, le point 8 – c) reconnaît « ledroit et le soutien des fractions au seindu Parti de Classe. »

Et dans le point 8 – b) il est précisé « ladictature du prolétariat est fondée sur lapossibilité d’expression la plus largepossible pour le prolétariat, le droit degrève, la liberté complète de la propa-gande, de réunion, de presse, assurée àtous les partis, à condition qu’ilsagissent au sein des organisationsélémentaires de la classe ouvrière. »L’on peut constater le caractère novateurde cette réflexion qui va totalement dansle sens de ce que défendait la GCI avantla guerre et la Gauche Communiste deFrance (Internationalisme) à la mêmeépoque sur la dictature du prolétariat. LaFB reconnaît donc la plus grande libertéde penser au sein de la classe ouvrière etla possibilité de fractions dans le Parti enpériode révolutionnaire au moment où leprolétariat exerce sa dictature de classe.

(184) Cette réflexion renvoie immédiate-ment à la question de Cronstadt et à laviolence au sein de la classe ouvrièreelle-même. Ce n’est pas la position ac-tuelle du PCI Programme communiste.

La situation politique générale

En 1945, dans un premier temps,comme pour le PCInt en Italie au mo-ment des grandes grèves insurrection-nelles de 1944, il y a eu chez les révolu-tionnaires une période d’euphorie aprèsla guerre. Très vite cette euphorie est re-tombée.

La Fraction belge publie également unerevue trimestrielle Entre deux mondes ;et dans ce premier numéro en décembre1946 prend position sur la situation poli-tique. « L’impossibilité de recréer unmouvement révolutionnaire puissantprovient de ce que ces groupements (ils’agit des PC, des trotskistes, anarcho-syndicalistes, etc..) ne possèdent pas leprogramme de la révolution. Ne possé-dant pas ce programme, ils ne peuventappliquer qu’un programme bourgeois.Toute leur action, par conséquent, évo-lue DANS LES CADRES de la sociétécapitaliste et cette action ne peut mettrele capitalisme en danger. Voilà pourquoile mouvement ouvrier est en 1945 com-plètement en faillite. Voilà pourquoi lecapitalisme en pleine décadence n’ajamais disposé d’un pouvoir politiqueaussi fort, aussi puissant, aussi souple,aussi riche en ressources qu’aujourd’-hui, malgré que cette décadence se soitsoldée par des années de crise mon-diale, par des millions de cadavresd’ouvriers et par l’appauvrissement gé-néral de toute l’humanité.Un des slogans politiques qui empêcheà l’heure actuelle le prolétariat de re-prendre la lutte révolutionnaire est le di-lemme fascisme- antifascisme. Tous lespartis ouvriers sont antifascistes et, parconséquent, partisans de la démocra-tie. Et c’est autour de ce dilemme quegravitent toutes les situations politiquesqui emprisonnent le prolétariat dansl’Union sacrée, qui empêchent la re-prise de la lutte révolutionnaire. » Il estimportant de noter le contenu de l’ana-lyse qui reprend celle de la III° Interna-tionale et de la GCI d’avant la guerre,

184. Il est intéressant de noter que ces citations ontété relevées dans un texte de discussion « critèresde fonctionnement d’un groupe politique dansune société de classe » au sein du PCI (Pro-gramme Communiste) qui est une organisation quise réclame de la gauche italienne et qui aujourd’-hui défend des positions contraires à celles-ci surla dictature du prolétariat et la violence de classe :notamment la défense de ce que les bolcheviksont fait à Kronstadt. Ces militants ont pourtantappartenus à cette même organisation qui a donceu des positions différentes auparavant.

sur le fait que les conditions objectivespour la révolution soient remplies : lecapitalisme connaît sa phase mortelle oude décadence. Les conditions subjectivesfont défaut et l’une d’entre elles estl’embrigadement du prolétariat dans l’i-déologie antifasciste.

L’analyse développée par la FB contrel’antifascisme est tout à fait juste, cepen-dant, elle évite, malheureusement, deprendre position sur la question du Co-mité antifasciste de Bruxelles dirigé parVercesi-Peronne ce qui est tout à faitextraordinaire pour un courant se ré-clamant de la Gauche italienne (la GCIayant toujours eu une position extrême-ment tranchée sur le fascisme et lesfronts antifascistes). A notre connais-sance, il n’y a pas eu de prise de positionformelle de la FB semblable à celle qu’aprise le Bureau International de laGauche communiste.

L’ouverture au débat politique avecles autres groupes révolutionnaires

La Fraction belge reste, tout comme ellel'avait fait avant la guerre, beaucoupplus ouverte aux discussions internatio-nales. Ainsi, fin 1945 - début 1946, laFraction Belge demandera des explica-tions complémentaires au PCInt sur lesmotifs de la non-adhésion de la Fractionfrançaise de La Gauche Communiste.

Elle ne pense pas que la Fraction fran-çaise doive être mise à l’écart de la GCI.C’est ce qu’elle dit dans une lettrequ’elle adresse aux Communistes Révo-lutionnaires (CR) et aux RKD (Revolu-tionäre Kommunistische Deut-schland) (185) et qui a été publiée dans LeProlétaire, numéro 2, de janvier février1947 : “ Il ressort de tous vos écrits quele fond des divergences qui séparent laFF (Fraction Française – la 2ème Fractionfrançaise, celle de Suzanne Voute) d’uncôté, le groupe M-M (Marc-Mousso) etvous de l’autre côté, que les divergencesreposent plus sur des malentendus et defausses interprétations que sur des di-vergences réelles. ”

La Fraction belge est un groupe politi-quement très vivant, elle conserve latradition bien vivante d’une discussionpolitique ouverte. En séance plénière, le

185. RKD qui s’étaient réfugiés en France avant ladeuxième guerre, continuent leur processus derupture avec le trotskisme et participent à la for-mation des noyaux de Communistes révolution-naires français (CR) sur leurs positions contre laguerre impérialiste. Les membres principauxétaient les autrichiens Karl Fischer (1918-1963) etGeorges Scheuer. Cf. le livre de G. Scheuer, Seulsles fous n’ont pas peur, Syllepse, Paris, 2002.

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11 janvier 1946, elle adopte la résolu-tion (186) suivante :

« sur le problème des relations interna-tionales entre les différents groupes d’a-vant-garde :

* Constate le malaise et le manque deprécision théorique qui règne non seule-ment dans les relations entre les dé-férents groupes de la Gauche Com-muniste Internationale mais aussi entreles différents groupes d’avant-garde quis’efforcent de représenter les intérêtshistoriques du prolétariat (RKD, CR,GCI, Raden hollandais, etc..) ; (…)

* Décide de lancer un appel à tous lesgroupements pour organiser pratique-ment et régulièrement des échanges dedocuments et de renseignements sur lasituation de leurs pays respectifs ;

* Décide de publier le plus régulière-ment possible des documents de basesur les principaux problèmes afin decouper court aux méthodes actuelles deconfusion ;

* Lance un appel pressant au PartiCommuniste Internationaliste d’Italiepour que les camarades à l’étrangersoient enfin tenus au courant d’une fa-çon régulière et permanente de la situa-tion en Italie. »

De même, elle propose un journal théo-rique en collaboration avec les trots-kystes belges autour de Vereecken avantque ce groupe ne se perde définitive-ment en s'intégrant, à nouveau et pour latroisième fois, dans la 4ème Internatio-nale. Cette proposition, de revue, serarefusée, à juste titre, par le PCInt. Dupoint de vue de la GCI d’avant guerre, ilest normal d’avoir des relations poli-tiques et de polémiquer, mais réaliserune revue en commun avec des organi-sations confuses, est inconcevable.

Elle engage aussi un débat politiqueavec les RKD et les CR (communistesrévolutionnaires de France). Sa lettre(octobre 1945) de réponse qui engageune discussion politique, est publiéedans Le Prolétaire, numéro 2.

En mai 1947, elle participe à laconférence internationale de contactsconvoquée par le CommunistenbondSpartacus des Pays-Bas qui regroupe,pour la Belgique, des groupes apparen-tés au Spartacusbond, la Fraction belgede la GCI ; pour la France : la GaucheCommuniste de France, le 'Prolétaire',les Communistes révolutionnaires (CR) ;les RKD (Revolutionäre Kom-

186. Le Prolétaire (des RKD), n°2, janvier – fé-vrier 1947.

munistische Deutschland); le groupe'Lutte de classe' (Suisse) et la Fractionautonome de Turin du PCint.

Les années 1950En 1950-52 la période n'est plus auxespoirs de reprise des combats révolu-tionnaires comme lors de la fin de laPremière Guerre mondiale. De nom-breuses organisations révolutionnaires sedisloquent. La Gauche Communiste deFrance (Internationalisme) se disperseégalement avec le début de la guerrefroide. A y regarder de plus près, en1952 l’ensemble des groupes de laGauche Communiste traverse, peu ouprou, une grave crise politique.

Deuxième crise de la GaucheCommuniste Internationale

Il faut se mettre devant la réalité poli-tique de la situation des années 1950pour comprendre les difficultés rencon-trées par les révolutionnaires. La fin dela deuxième guerre n’a pas vu surgir ànouveau des luttes ouvrières significa-tives. La Gauche communiste se re-trouve dans une situation à contre cou-rant. Et, pour ne rien arranger, de nou-velles tensions guerrières se développenttrès fortement. Elles aboutissent à laGuerre de Corée et aux prémices de la‘Guerre froide’.

La deuxième Fraction Française de laGauche Communiste qui est donc aprèsla rupture avec Internationalisme la« section » française reconnue par laGCI et la Gauche italienne connaît unecrise importante.

« Depuis la scission de 1950 dans laFFGC la situation du groupe a accuséla désorganisation et l'incertitude poli-tique qui se manifestait depuis de longsmois, déjà, dans la fraction. Tout le tra-vail accompli durant la période qui s'é-tend de 1950 à 1952 se résume dans lapublication d'un seul numéro d'un bulle-tin, dont le principal objectif consistait àdéfinir une solide délimitation vis-à-visdu groupe "Socialisme ou Barbarie". Enréalité, bien que les conséquences poli-tiques des positions défendues par cecourant aient été vigoureusement atta-quées dans ce bulletin (notamment dansun article intitulé "Deux ans de bavar-dage") le fond des divergences entre cegroupe et la ligne de la Gauche Com-muniste n'y était pas clairement défi-ni. » (187)

187. Rapport succinct sur la situation du groupe dela Fraction française présenté par le groupe deMarseille à la réunion organisative du PCInt le 25avril 1953.

En effet, le groupe parisien du PC Int,seul groupe relativement important enFrance (c’est à dire dépassant deux di-zaines de membres) se trouve littérale-ment décimé par le départ de la presquetotalité de ses militants et sympathisantsen direction du groupe "Socialisme oubarbarie". « La crise politique et or-ganisationnelle de la Fraction Fran-çaise est arrivée à son point d'éclate-ment. Après le cycle de discussions avecle groupe "Socialisme ou Barbarie", lespositions politiques au sein de la Frac-tion se sont précisées. » (188) Le PC Inter-nationaliste demande son avis à la Frac-tion Belge sur la crise de la Fractionfrançaise (lettre non datée.) Si nous ci-tons ce courrier c’est pour souligner quela Fraction belge continue son activitépolitique sans problème. Mais, il est in-téressant de noter que la centralisationn’est pas très forte à cette époque dans laGCI. Chaque groupe milite dans sonpays respectif et les fractions vivent côteà côte sans réelles relations politiquesentre elles. A une époque où la fractionfrançaise subit une grave crise, les autresparties de la GCI n’en sont pas du toutconscientes et surtout ne participent pasde façon politique aux questions rencon-trées par les autres.

C’est à cette même époque qu’il y a rup-ture dans le PC Int entre la tendance deDamen et celle de Bordiga. Vercesi serattache à la tendance de Bordiga,comme la Fraction belge. Bordiga sou-haite recentrer le travail de l’organisa-tion sur l’approfondissement politique :ce qu’il appelle la « restauration » dumarxisme contre ‘l’immédiatisme’ qui asévi dans la Fraction Française et qu’ilcroit percevoir dans le PC Int. Il est éga-lement question de « réarmement » théo-rique du parti. C’est le fond de la rupturedans le PC Int entre le courant de Bordi-ga et celui de Damen.

On constate bien que la situation poli-tique générale n’est plus favorable auprolétariat et, par conséquent, aux or-ganisations révolutionnaires ce qui se ré-percute dans la GCI. Ainsi, toutes lesparties de la GCI subissent la crise quiprend des formes différentes en Italie ouen France et en Belgique mais qui fon-damentalement possèdent toutes lesmêmes raisons politiques : La GCI doitrompre avec ses illusions d’après guerreet se recentrer sur l’essentiel : la ré-flexion politique et théorique pour af-fronter une nouvelle période difficile,une nouvelle période de traversée du dé-sert à contre courant.

188. Lettre de la Fraction Française au PCInt (Pa-ris le 03 mars 1950).

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Il est temps de faire une premièreconclusion de ce chapitre. Il montrel’importance de deux questions centralespour la GCI :

* le manque de centralisation véritableau niveau international depuis le débutdes années 1940,

* la perte du cap politique du fait del’euphorie d’après guerre. Il a entraînéun certain immédiatisme et, tout desuite, dans ce cas, une sanction se faitjour : le déboussolement politique.

Et après ?

La rupture de Bordiga avec le PCint n’pas aidé à la clarté politique de la Frac-tion belge comme au PCI, parti né aprèsla scission. En effet, il existait d’autresdésaccords plus profonds entre Vercesiet Bordiga, qu’entre ce dernier et lePCint. Indépendamment de la positiontrès claire de Vercesi sur la question syn-dicale, il défendait l’idée qu’il fallait dé-noncer les syndicats et les quitter(contrairement à Bordiga et, en partie,de Damen), il reprenait les positions dé-fendues durant la deuxième guerre mon-diale de « disparition » de la classe ou-vrière.

Pendant la période de rupture entre lePCint et Bordiga, ce dernier a privilégiéle combat contre le PCint en ménageantVercesi. Mais, ensuite, le désaccord s’estmanifesté au grand jour. L’attitude deBordiga par rapport à Vercsi n’est pas àporter au crédit de celui-là. Dans unelettre d’octobre 1957 de Suzanne Vouteà Lucien Laugier il est écrit « Pour lapremière fois, il lui avait interditNaples ». Elle précise ensuite « sansdoute Vercesi était devenu depuis long-temps un obstacle, surtout pour lesBelges.»

En effet, la position politique de Vercesin’a pas aidé la Fraction belge à évolueret, indirectement, l’a poussée à ne plusêtre présente dans les luttes de classes etdans le combat politique. Mais, engrande partie, l’attitude infra politiquede Bordiga « interdisant Naples » à Ver-cesi ne permettait ni la discussion poli-tique ni le moyen de faire la clarté parrapport aux questions soulevées par Ver-cesi. En outre, cette situation a hâté lamort de Vercesi (il est décédé 6 moisaprès) qui était très lié à Bordiga commele mentionne Suzanne Voute dansd’autres courriers de l’époque à LucienLaugier.(189)

189. Vercesi avait perdu son flair politique depuisla fin des années 30, il était très déstabilisé danscette période mais l’attitude de Bordiga a effecti-vement entraîné sa disparition.

A la mort de Vercesi en 1957, le groupe[la Fraction belge (190)] en Belgique refusede se soumettre aux positions du PCI etse disloque peu à peu dans les annéessuivantes. De petits groupes de réflexiondemeurent un certain temps dont legroupe Bilan qui existait encore àBruxelles autour d’Anne et d’EdouardManne dans les années 1970 (191). Cettedernière a assisté à un Congrès du CCIen 1977. Robert Couthier se retrouveisolé, mais il assiste régulièrement auxcongrès du CCI jusque dans les années1990 (ensuite du fait de son grand age etde sa maladie, il suit de loin son activitéavec intérêt).

Henri Heerbrant en octobre 1981 étaitencore actif ; il collaborait à la revueFils du temps de Roger Dangeville.

Avant de finir, il faut préciser que lechoix de Bilan comme nom de groupen’était pas anodin ; il s’agissait, pour cesmilitants, de se relier à l’expérience dela Gauche italienne d’avant la guerreque ces derniers estimaient être aban-donnée par le Parti Communiste Interna-tional (PCI).

C’est également le fond de la réaction deJacques Camatte et Roger Dangevillequand ils quittent le P.C.I. en 1966 ; ilsestiment que le PCI a perdu sa boussolepolitique. En effet, la revue ProgrammeCommuniste et son bimensuel Le Prolé-taire, dénoncent, à cette époque, l'« op-portunisme » du PCF et la « capitula-tion » de l'URSS devant les Etats-Unis,vantent les « révolutions » coloniales, etappellent les troupes prolétariennes à lesrejoindre. C’est cela qu’ils n’acceptentpas car c’est un énorme recul politiqueet théorique pour des internationalistesqui ont dû pendant la deuxième guerreimpérialiste dénoncer tous les camps etnotamment la Russie et son arméerouge. Comment peut-on encore dé-fendre l’URSS et parler de sa « capitu-lation » devant les USA ?

A cette époque là, Jacques Camatte etRoger Dangeville voulaient poursuivrel'oeuvre de Bordiga qu’ils estimaientêtre « trahie » par le P.C.I. Rapidementils se séparent.

Roger Dangeville publie Le Fil duTemps dans une tradition bordiguiste or-thodoxe, sans les aspects visionnaires deBordiga, mais sans l'agitation vaine duPCI de l’époque. De son côté, la revueInvariance, tente de faire une synthèse

190. Le 14 octobre 1956 on trouve encore unelettre du groupe de Paris du PCI, à la FB et auPCI. Cf. : Inventaire du Fonds Perrone (brochurede l’université libre de Bruxelles.191. Ils possédaient une imprimerie à Bruxelles –souvenirs de Robert Camoin.

entre la gauche allemand et italienne(numéros 7. 8 et 9 de l'ancienne série)avant de sombrer dans l’inconsistance etdisparaître.

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Contribution à une discussion parue dans LES CAHIERS D'ETUDE numéro 2de la Ligue des Communistes Internationalistes (janvier 1936).

Le problème de la guerre1- L'impérialismePartant de l'affirmation centrale duManifeste communiste que : « L'histoirede toute société jusqu'à nos jours n'a étéque l'histoire de luttes de classes », nouspourrions en déduire que la guerre, n'é-tant qu'un aspect de la vie des sociétésdivisées en classes, n'est en même tempsqu'une manifestation de la lutte desclasses elle-même, le produit d'un rap-port déterminé des classes antagoniques.La guerre est "la tunique de Nessus" col-lée à toute organisation sociale fondéesur l'exploitation.

L'histoire n'a toujours été que l'illustra-tion des antithèses sociales, descontrastes sociaux, des luttes socialesmenant à des guerres ou à des révolu-tions. Mais, avec l'avènement du sys-tème bourgeois de production, les luttesde classes antérieures, aux aspects mul-tiples et variés, se sont graduellementsimplifiées jusqu'à se synthétiser en unelutte entre la bourgeoisie et le proléta-riat. Comme disait Antonio Labriola :"Le secret de l'histoire s'est simplifié."Cela fut la résultante du fait que le capi-talisme, mode de production le pluspuissant et le plus extensif par rapportaux modes antérieurs, parvint à subor-donner et à plier à la loi du capital toutesles formes sociales survivantes, pendantque la bourgeoisie, en étendant sa domi-nation, développait aussi inévitablementson contraire, le prolétariat, et éliminaitprogressivement les classes intermé-diaires.

D'autre part, la société capitaliste, touten transposant à l'échelle mondiale sonantagonisme fondamental de classe op-posant bourgeoisie et prolétariat, appro-fondissait en même temps le contrastedivisant la bourgeoisie elle-même et quin'était que l'expression du fractionne-ment en économies nationales, en Etatscapitalistes antagoniques, d'un systèmeéconomique à caractère mondial certes,mais marqué d'une tache originelle ex-cluant toute stabilité et tout équilibre.

Pour essayer de définir l'impérialisme,nous pourrons évidemment commencerpar dire qu'il n'est que la phase suprêmede l'évolution et du développement capi-taliste, qui enregistre un niveau tech-nique et une puissance de productiontels que l'on peut affirmer que les condi-

tions objectives, les bases matériellespour l'instauration du socialisme mon-dial sont réalisées.

Mais si nous voulons nous rattacher àune explication marxiste de l'évolutioncapitaliste, nous devrons surtout mar-quer que l'impérialisme est la manifesta-tion sur le plan mondial de l'incoerciblenécessité qui s'imposa à la bourgeoisie,sous peine de voir dégénérer son sys-tème de production (réalité aujourd'hui)de poursuivre l'accumulation du capital.Ce fut cette loi fondamentale et motricedu "PROGRES" capitaliste qui poussa labourgeoisie à transformer sans cesse encapital une fraction de plus en plusgrande de plus-value extorquée aux ou-vriers et, par conséquent, à développersans cesse les capacités productives dela société. C'est ainsi que se révéla samission historique et progressive. Parcontre, du point de vue de classe,"PROGRES" capitaliste signifia proléta-risation croissante et exploitation sanscesse intensifiée des prolétaires.

Le surproduit "LIBREMENT" soustraità la consommation du prolétariat, loinde pouvoir être consommé entièrementpar la classe dominante, devait, pour saplus grande partie, être transformée encapital, c'est-à-dire en un nouveaumoyen d'exploitation permettant desoustraire au prolétariat un surproduitsupplémentaire. Ce phénomène s'élargità chaque cycle de la production. Le sur-produit engendrait un surproduit. Laplus-value attirait la plus-value. Autre-ment dit, l'exploitation du prolétariat sedéveloppait suivant une progressiongéométrique. La loi de la valeur tendaiten effet à ramener constamment le prixde la force de travail (c'est-à-dire lesalaire) au niveau de son coût d'entre-tien, tendait donc à faire baisser ce prixpar rapport à la productivité croissantedu travail et au développement gigan-tesque de la masse de produits consom-mables. En d'autres termes, le pouvoird'achat (qui, en régime capitaliste, dé-termine le pouvoir de consommation)décroissait constamment par rapport à lacapacité générale de production. C'estcette contradiction économique oppo-sant le travail accumulé (le capital) autravail vivant (la force de travail) quis'exprimait par la contradiction de classe

opposant de plus en plus violemmentbourgeoisie et prolétariat.

Le capitalisme ne put tenter d'échapperaux tenailles de cette contradiction fon-damentale qu'en cherchant à élargir et laproduction (par l'accumulation) et lemarché capable d'absorber cette produc-tion, à l'intérieur comme à l'extérieur desfrontières nationales.

De par le fonctionnement même du sys-tème capitaliste, ces deux processusd'expansion ne pouvaient se déroulerqu'au travers du mécanisme de laconcurrence. La concurrence fut l'ai-guillon du développement capitaliste.

Durant la période de croissance du capi-talisme, qui vit la grande productionindustrielle évincer de façon décisive lesformes anciennes de production, laconcurrence se confina dans la lutteentre capitalistes individuels, organesprimaires du nouveau mécanisme pro-ductif. Puis, les exigences croissantes del'accumulation éliminèrent les individus,faisant place à des organismes collectifs,des sociétés anonymes, des cartels, destrusts, entreprises à caractère de plus enplus monopoliste dont les luttes se trans-portèrent essentiellement sur le planinternational. A ce stade, l'accumulationcapitaliste, débordant déjà largement descadres nationaux, se poursuivit sousdeux aspects caractéristiques. L'un,d'une concentration et d'une centralisa-tion organiques sous les formes indi-quées de syndicats, de cartels et de trustsnationaux et internationaux placés sousl'égide du capital financier, formation laplus avancée du capitalisme, synthèsedes intérêts particuliers voire mêmecontradictoires des formations bour-geoises : capital industriel, capitalcommercial, capital foncier, capital ban-caire. L'autre aspect de l'accumulation,ce fut l'annexion au marché capitalistede nouvelles zones, de nouvelles régionsoù survivaient des économies retarda-taires mais où le capitalisme pût écouleret ses produits et ses capitaux.

Pour en revenir à la définition de l'impé-rialisme, nous répétons qu'il ne procèdeque de la loi de l'accumulation capita-liste et qu'il n'exprime que le capitalismeérigé dans le monde en système écono-mique dominant, ayant asservi à ses loistoutes les autres formations écono-

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miques et sociales dont il est le succes-seur historique.

En réalité, les deux manifestations del'accumulation capitaliste que nous ve-nons d'indiquer, à savoir le développe-ment organique ou intensif et le déve-loppement géographique ou extensif nesont nullement conditionnées l'unel'autre, mais la deuxième fut fonction dela première. Ce ne fut pas l'extension dumarché capitaliste qui stimula la produc-tion mais bien cette dernière, dominéepar la loi de l'accumulation, qui obligeale capitalisme à élargir sans cesse sonchamp d'activité, ses débouchés et às'annexer ainsi toutes les régions duglobe.

Cependant, pour les plus vieilles nationscapitalistes, telles l'Angleterre, laFrance, la Hollande, l'expansion colo-niale ne date pas de la fin du 19ème

siècle, mais du début de ce siècle, aprèsavoir été amorcée au 18ème et même au17ème siècle. Ce qui est vrai, c'est que lafin du 19ème siècle, qui correspond à unepériode de haut capitalisme, à l'exten-sion mondiale du système capitalisme,aux compétitions de plus en plus âpresentre Etats capitalistes, enregistre aussiune généralisation des guerres colo-niales, caractéristique propre à la pre-mière phase de l'impérialisme.

Il résulte des considérations que nousavons données pour essayer de dégagerle fondement de l'impérialisme que la si-gnification essentielle de celui-ci ne peutêtre donnée par ses manifestations exté-rieures, qu'il ne s'agit pas, par exemple,de mettre l'accent sur l'existence desmonopoles mais qu'il faut remonter à sasource profonde : l'accumulation. Il nousparaît que, lorsque Lénine nous dit no-tamment (192) « que la substitution dumonopole à la libre concurrence est unfait économique d'une importance radi-cale, que c'est le fond même de l'impé-rialisme », il nous semble qu'une telledéfinition mérite d'être précisée. Léninen'a certes pas voulu entendre que laconcurrence avait disparu puisquenécessairement elle continuait à sub-sister avec un système qui, par nature,excluait l'équilibre et le fonctionnementharmonieux, mais que cette concurrencen'était plus "LIBRE" dans le sens qu'elleétait moins anarchique, moins dissémi-née et qu'elle s'était élevée sur le plansupérieur de la lutte entre grands or-ganismes collectifs constitués par lestrusts verticaux et horizontaux pouraboutir à la lutte entre les "TRUSTS"nationaux que sont les Etats impéria-

192. Contre le courant, tome 2, p. 255 etsuivantes ; voir aussi "L'impérialisme, dernièreétape…"

listes. Mais Lénine ne souligna pas avecla même vigueur que Luxemburg que lefond de l'impérialisme, c'était le phéno-mène de l'accumulation capitalistepropulsé à l'échelle mondiale, phéno-mène qui, dans la dernière phase de l'im-périalisme, se trouva refoulé par impos-sibilité d'extension du marché capita-liste. Nous pensons que, défini de cettefaçon, l'impérialisme illustre et soulignedavantage la dialectique historique, tan-dis que sont réduites à néant les notionsd' "HYPER-CAPITALISME SPOLIA-TEUR", de "BASTILLES" et autres"FEODALITES CAPITALISTES", élu-cubrations vomies par tous les "anti-capitalistes" qui ne sont autres que desagents de la bourgeoisie.

S'il est vrai de dire que l'impérialisme,c'est le déclin, la décomposition du capi-talisme, ce déclin ne commença à semanifester dans toute son ampleur quedans la phase qui s'amorça en 1914 parle déclenchement de la première guerremondiale.

La première période de l'impérialisme sesitua dans le dernier quart du 19ème siècleet fit suite à l'époque des guerres natio-nales par lesquelles s'était cimentée laconstitution des grands Etats nationauxet dont la guerre franco-allemande mar-qua à peu près le terme extrême. Si lalongue période de dépression écono-mique qui succéda à la crise de 1873portait déjà en germe la décadence ducapitalisme, celui-ci put encore utiliserles courtes reprises qui jalonnèrent cettedépression pour, en quelque sorte, par-achever l'exploitation des territoires etdes peuples retardataires. Le capita-lisme, à la recherche avide et fiévreusede matières premières et d'acheteurs quine fussent ni capitalistes, ni salariés,vola, décima et assassina les populationscoloniales. Ce fut l'époque de la pénétra-tion et de l'extension de l'Angleterre enEgypte et en Afrique du sud, de laFrance au Maroc, à Tunis et au Tonkin,de l'Italie dans l'Est africain, sur lesfrontières d'Abyssinie, de la Russie tsa-riste en Asie centrale et en Mandchourie,de l'Allemagne en Afrique et en Asie,des Etats-Unis aux Philippines et àCuba, enfin du Japon sur le continentasiatique.

Mais une fois terminé le partage, entreces grands groupements capitalistes, detoutes les bonnes terres, de toutes les ri-chesses exploitables, de toutes les zonesd'influence, bref de tous les coins dumonde où pût être volé du travail qui,transformé en or, allait s'entasser dansles banques nationales des métropoles,alors se trouva terminée aussi la missionprogressive du capitalisme. Non pas que

le capitalisme eût implanté son systèmede production dans le monde entier, qu'ill'eût substitué à tous les autres systèmespréexistants. Loin de là.

Le capitalisme n'est pas un système pro-gressif par nature, mais par nécessité. Ilresta progressif tant qu'il put faire coïn-cider le progrès avec les intérêts de laclasse qu'il exprimait. La disparition decette coïncidence historique devait in-évitablement provoquer la déchéance ducapitalisme et celle de la société entièresi le prolétariat, successeur de la bour-geoisie, ne parvenait pas à balayer celle-ci.

Il est certain que lorsque la masse totalede plus-value produite dans le monde,non seulement ne parvenait plus à s'ac-croître mais au contraire décroissait,lorsque la masse de surtravail disponiblene correspondait plus aux besoins nor-maux des capitaux existants, lorsque leprofit disparaissait et, avec lui, le mobilede la production capitaliste, il est certainqu'alors devait s'ouvrir la crise généraledu capitalisme s'exprimant, d'une part,par un approfondissement considérabledu contraste fondamental entre la bour-geoisie mondiale et le prolétariat mon-dial et, d'autre part, par l'acuité des anta-gonismes entre les quelques grandsgroupes capitalistes constituant l'essen-tiel de l'économie mondiale.

Au stade du capitalisme décadent, cescontradictions ne peuvent qu'oscillerentre les deux termes de l'alternative : larévolution prolétarienne ou la guerre im-périaliste. La révolution, parce que leproblème du pouvoir est posé objective-ment devant le prolétariat international.La guerre, parce que l'impuissance duprolétariat à réaliser cette tâche histo-rique entraîne inévitablement la sociétédans la direction de l'autre issue, celle dela guerre où doivent irrésistiblement sedéverser les contrastes inter-impéria-listes.

Si on tentait d'opposer à la perspectivede la guerre comme issue aux contrastesdu capitalisme (le prolétariat étant tem-porairement éliminé de la scène histo-rique) l'hypothèse de la formation d'untrust mondial, de l'instauration du Superimpérialisme sur la base d'une exploita-tion effrénée du prolétariat impuissant,on en reviendrait seulement à accorderdes possibilités d'équilibre à une sociétéde classes fondée sur la concurrence etles antagonismes. Nous savons certesque le capitalisme est une économiemondiale mais celle-ci n'en est pasmoins divisée en unités nationales et im-périalistes opposées, surgies des cellulesprimaires : les capitalistes individuels

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qui développèrent la production au tra-vers de la concurrence.

On assiste évidemment à des trêves im-périalistes éphémères, à des compromistemporaires qui constituent précisémentla substance de la "PAIX" capitaliste.Nous analyserons plus loin ce que signi-fie cette paix et l'orientation qui peutêtre imprimée à son évolution en fonc-tion du rapport des classes. Mais unechose est sûre : c'est que c'est la violencequi, en dernier ressort, doit trancher lescontrastes, que ce soit le prolétariat quien use pour libérer la société ou qu'ellereste au service du capitalisme pour ladestruction et le nouveau partage desmarchés.

D'autre part, la nature même de la crisegénérale du capitalisme, dont nousavons esquissé les caractéristiques, en-lève à celle-ci toute possibilité de pou-voir se déverser dans les conquêtes colo-niales. L'ère des guerres spécifiquementcoloniales est définitivement close (nousreviendrons plus loin sur cette affirma-tion). Comme le disait Luxemburg (193) :« La guerre hypocrite et ténébreuse detous les Etats capitalistes entre eux, surle dos des peuples asiatiques et afri-cains doit conduire tôt ou tard à un rè-glement de comptes général. » Ce règle-ment de comptes, c'est la guerre impé-rialiste pour un nouveau partage desmarchés entre les vieilles démocratiesimpérialistes, riches d'ancienne date etdéjà parasitaires, et les jeunes nationscapitalistes arrivées tardivement à la cu-rée.

De ce qui précède, il ressort déjà que laguerre impérialiste se place dans uneambiance historique où le capitalismeest devenu le système économique et po-litique qui régit la société tout entière,qui subordonne aux lois de son évolu-tion propre et aux nécessités historiquesse rattachant à cette évolution, le destinde toutes les formations sociales compo-sant l'économie mondiale, quel que soitle degré de développement de leur modede production et de leur organisation po-litique.

Ce sont les quatre grandes formationsimpérialistes existantes qui contrôlentaujourd'hui la plus grande partie de cetteéconomie mondiale, qui règlent la viedes nations capitalistes secondaires etpeu développées ainsi que la vie deséconomies retardataires "BARBARES",incorporées au système impérialiste.

La décadence continue, qui caractérisedésormais tout le cours du capitalisme

193. "La crise de la social-démocratie"

mondial, exclut tout progrès, indéfecti-blement lié à l'avènement de la révolu-tion socialiste.

L'ère des guerres impérialistes et des ré-volutions prolétariennes n'oppose plusdes Etats réactionnaires et des Etats pro-gressistes dans des guerres où se forge,avec le concours des masses populaires,l'unité nationale de la bourgeoisie, oùs'édifie la base géographique et politiqueservant de tremplin aux forces produc-tives.

Elle n'oppose plus davantage la bour-geoisie aux classes dominantes des colo-nies dans des guerres coloniales fournis-sant air et espace aux forces capitalistesde production déjà puissamment déve-loppées.

Mais cette époque oppose des Etats im-périalistes, entités économiques se parta-geant et se repartageant le monde, inca-pables cependant de comprimer lescontrastes de classe et les contradictionséconomiques autrement qu'en opérant,par la guerre, une gigantesque destruc-tion de forces productives inactives etd'innombrables prolétaires rejetés de laproduction.

Du point de vue de l'expérience histo-rique, on peut affirmer que le caractèredes guerres qui ébranlèrent périodique-ment la société capitaliste, ainsi que lapolitique prolétarienne correspondante,doivent être déterminés, non seulementpar l'aspect particulier – et souvent équi-voque – sous lequel ces guerres peuventapparaître, mais par leur ambiance histo-rique issue du développement écono-mique et du degré de maturité des anta-gonismes de classe. C'est ce qui ressortclairement d'un examen historique despositions adoptées par les marxistes enface du problème de la guerre.

2- Les guerres nationalesLes guerres nationales furent le supportdes révolutions bourgeoises du siècledernier.

Le capitalisme, sous la poussée de satransformation industrielle, eut besoin,pour développer initialement son marc-hé intérieur, d'un milieu géographiquestable et unifié, couronne d'une super-structure politique, juridique et idéolo-gique adaptée aux exigences croissantesde la production capitaliste de marchan-dises. Il eut besoin des grandes nationsmodernes libérées de toutes les entravesféodales.

Il eut besoin d'un appareil d'Etat qui fûtl'organe d'oppression et de coercition dela bourgeoisie, capable d'assurer le fonc-

tionnement "NORMAL" du systèmecapitaliste, d'organiser et de légaliserl'exploitation d'un prolétariat fraîche-ment surgi des rapports capitalistes deproduction, de contenir aussi ses luttesdans les limites de l'"ORDRE" bourgeoisou de les briser, capable enfin de rallierle prolétariat autour du drapeau de la na-tion, entité bourgeoise présidant à l'ex-pansion d'une production qui devaitnécessairement déborder de ses cadresétroits et se diriger vers les antagonismesentre Etats capitalistes. Cette nation, labourgeoisie la réalisa à l'intérieur, au feudes luttes contre les classes réaction-naires et, à l'extérieur, au feu des guerrescontre les Etats féodaux et despotiques.

La conception de la guerre progressivene fut donc que le reflet idéologique etthéorique d'une époque historique quivit, d'une part, une classe bourgeoise ac-cédant au pouvoir politique, obligée d'é-largir ses assises sociales en vue de favo-riser l'expansion de son système de pro-duction et contrainte, par conséquent,d'ébranler par la guerre les pays encoreécrasés sous la carapace féodale. Epoquequi vit, d'autre part, un prolétariat encoredisséminé, informe, naissant seulementdes nouveaux rapports de production etqui dut encore se laisser porter par le flotmontant des forces bourgeoises.

Les mouvements d'indépendance natio-nale, qui déferlèrent sur toute l'Europeaprès la révolution française de 1789(qui conduisit sous leur forme la plusclassique les guerres progressives contreles coalitions féodales) et après la révo-lution de juillet 1830, placèrent peuaprès Marx et Engels devant des prob-lèmes pour la solution desquels ils nepouvaient s'appuyer que sur l'expériencede la Grande Révolution. Marx se rap-porta au fait que celle-ci suivit unecourbe ascendante, tracée par la domina-tion successive des Constitutionnels, desGirondins et des Jacobins, pour eninduire que, dans les prochaines révolu-tions bourgeoises, le prolétariat, soulevépar le dynamisme de la bourgeoisie, au-rait la possibilité de substituer ses objec-tifs propres à ceux de la classe bour-geoise.

Cette position fut reprise dans le Mani-feste Communiste paru en janvier 1848 :les communistes devaient rechercher unpoint d'appui auprès de la bourgeoisierévolutionnaire qui luttait contre lesclasses réactionnaires ("les prolétairesne combattent pas encore leurs propresennemis, mais les ennemis de leurs en-nemis") afin de pouvoir, par après, enga-ger la lutte contre la bourgeoisie elle-même. Marx et Engels, en traçant ce sc-

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héma, eurent surtout en vue la révolu-tion bourgeoise qui mûrissait en Alle-magne.

La révolution de février 1848, à Paris,qui eut son épilogue sanglant en juin,apporta le premier démenti à l'hypothèsede Marx sur le rythme progressif des ré-volutions bourgeoises. Elle fournit lapremière preuve historique que "pouratteindre ses fins politiques, la bour-geoisie ne peut déjà plus mettre enbranle le prolétariat tout entier"(comme en 1789). Marx, quelques an-nées plus tard, dans son "18 Brumaire",constata que "le parti prolétarien appa-raît comme une simple annexe du partipetit-bourgeois démocrate, qu'il est tra-hi et abandonné par ce dernier pendantles journées de juin." Et il en conclutque la révolution de février avait par-couru un processus inverse de celui suivien 1789.

La deuxième expérience historique ap-portée par la révolution allemande qui sedéroula de mars 1848 jusqu'à la fin decette même année, convainquit définiti-vement Marx de son erreur et l'assuraque la bourgeoisie allemande ne pouvaitdéjà plus être (comme la bourgeoisiefrançaise de 1789) "la classe qui défendtoute la société contemporaine contrel'ordre établi" parce que, tout comme labourgeoisie française de 1848, elle vit sedresser devant elle un prolétariat quis'accroissait avec l'industrie et qui déjàluttait sur le terrain économique.

En même temps, éclata la vanité de latactique préconisée par Marx après ladéfaite sanglante de juin du prolétariatparisien : c'est-à-dire parer au coup ter-rible porté ainsi à la révolution occiden-tale en dressant toutes les forces démo-cratiques dans une guerre contre la Rus-sie qui était à cette époque le pilier de laréaction européenne. Dans la pensée deMarx, cette guerre devait avoir pourfonction de ranimer le mouvement révo-lutionnaire en Allemagne, d'y favoriserl'instauration de la république unitaire enmême temps que de favoriser ces mou-vements de libération des polonais et deshongrois. C'est au contraire la réaction laplus noire qui l'emporta, qui écrasa la ré-volution hongroise avec l'aide des russeset, par après, celle de Berlin. Les bour-geoisies d'Europe, loin de s'appuyer surle prolétariat pour balayer les autocratiesapeurées (comme le fit la bourgeoisiefrançaise en 1792), appelèrent aucontraire ces autocraties à vaincre deconcert la révolution montante.

Par la suite, on vit même la bourgeoisieoccidentale soutenir de ses capitaux laréaction tsariste, obligée de passer aux

réformes après sa défaite en Crimée, etl'aider à contenir les forces révolution-naires qui se levaient en Russie.

D'autre part, la bourgeoisie allemande neput réaliser ses objectifs nationaux de1848 qu'au travers de la guerre de 1870.

A propos de la guerre franco-allemande,ce qui permit à Marx de la qualifier dedéfensive pour l'Allemagne, ce fut préci-sément le fait qu'elle réalisa l'unité alle-mande à laquelle s'était toujours opposéNapoléon III, pendant qu'elle portait à cedernier des coups qui devaient l'abattreavec son régime réactionnaire.

Mais l'appréciation de Marx se modifiaradicalement après la chute du SecondEmpire français et l'avènement de la Ré-publique, lorsque le militarisme alle-mand eut découvert ses projets deconquête et, surtout, après la défaite dela Commune.

L'exemple d'une fraternisation de deuxarmées ennemies, qui s'effectua en vued'un massacre en commun du proléta-riat, lui parut décisif pour dénoncer do-rénavant la guerre nationale comme« une pure duperie gouvernementale quin'a pas d'autre but que d'éviter la luttede classe et dont il ne reste rien dès quela lutte de classe s'embrase en guerre ci-vile. La domination de classe n'est pluslongtemps en état de se cacher sous ununiforme national ; les gouvernementsnationaux sont un vis-à-vis du proléta-riat. » (194)

La dénonciation, par Marx, du caractèrede classe des guerres nationales ne pou-vait signifier qu'une chose : que l'époqueétait déjà dépassée où ces guerres pou-vaient jouer un rôle progressif. Plus tard,en 1907, Kautsky (encore marxiste) putconstater, à son tour, d'après toute l'évo-lution capitaliste qui suivit la guerre de1870, que «… la bourgeoisie hait etcraint la révolution plus encore qu'ellen'aime l'autonomie et la grandeur de lanation… et que les problèmes nationauxqui ne peuvent être résolus, même au-jourd'hui, que par une guerre ou parune révolution, ne peuvent désormaisl'être que par la victoire du proléta-riat. » (195)

Mais c'est Luxemburg, dans "Crise de laSocial-Démocratie", qui nous paraîtavoir démontré péremptoirement que,dans l'ambiance de l'époque impérialiste,même les guerres nationales qui se pré-sentent quasi à l'état pur, comme ce futle cas des guerres balkaniques en 1912et de la guerre de défense de la Serbie en1914, ne sont que des maillons dans la

194. "La guerre civile en France"195. "Crise de la Social-Démocratie" (Luxemburg)

chaîne des événements qui se précipitentinévitablement vers la guerre impéria-liste. Dans les thèses qui cristallisent saposition, Luxemburg dit ceci : « La poli-tique des Etats impérialistes et la guerreimpérialiste ne peut donner à aucunenation opprimée la liberté et l'indépen-dance. Les petites nations, dont lesclasses dirigeantes sont les complices deleurs partenaires des grands Etats, neconstituent que des pions sur l'échiquierdu jeu impérialiste des grandes puis-sances et sont utilisées, tout comme lesclasses ouvrières de celles-ci en tempsde guerre, comme instruments pour êtresacrifiées après la guerre, aux intérêtscapitalistes. » (196)

A la même époque (en 1915), Lénine,attaquant Plekhanov et Kautsky dans"Contre le courant", établit clairementqu'aucune comparaison ne pouvait êtrefaite entre les guerres menées par unebourgeoisie qui se libère des entravesféodales et les guerres de cette mêmebourgeoisie devenue « sénile, impéria-liste, ayant pillé tout l'univers, réaction-naire en outre et alliée aux féodaux dansl'oppression du prolétariat. »

Cependant, peu après (en 1916), tou-jours dans "Contre le courant", Lénines'éleva contre l'affirmation de Luxem-burg que « dans l'ère de l'impérialismeil ne peut plus y avoir de guerres natio-nales » et que toute guerre, de nationaleau début, devait inévitablement acquérirun caractère impérialiste en heurtant lesintérêts de l'un ou l'autre des grandsgroupements impérialistes qui se parta-geaient le monde.

Lénine affirma au contraire que « desguerres nationales contre les puissancesimpérialistes sont non seulement pos-sibles et probables mais qu'elles sont in-évitables et doivent avoir un caractèreprogressiste et révolutionnaire. »

Mais cette hypothèse, Lénine l'émit enpleine guerre impérialiste alors que s'ou-vrait la perspective d'un ébranlement gé-néral du système capitaliste pouvant dé-terminer des mouvements nationaux,surtout dans les colonies. Chez Lénineperça nettement le souci d'évaluer cesmouvements en fonction de la révolu-tion prolétarienne montante puisqu'ilconsidère que leur succès était subor-donné à la participation d'immensespopulations coloniales appuyées par l'in-surrection du prolétariat dans l'une oul'autre métropole.

Il est évident que Luxemburg, dans sathèse sur l'impossibilité de guerres natio-nales, ne visait que les révolutions bour-

196. Idem

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geoises – des colonies ou d'Europe – in-capables de s'affranchir de la dominationde l'impérialisme mondial, et non lesluttes des classes opprimées des coloniescontre la classe dominante alliée à l'im-périalisme, les guerres civiles aboutis-sant à la révolution avec l'appui du pro-létariat des métropoles.

Ce fut bien aussi la conception deLénine, indépendamment d'argumentssecondaires qu'il apporta dans sa po-lémique contre Luxemburg, notammentlorsqu'il tenta de démontrer que si uneguerre nationale pouvait se transformeren guerre impérialiste, l'inverse pouvaitaussi se vérifier et lorsque, pour étayercette pure hypothèse, il fut obligé del'illustrer de faits datant d'un siècle : parexemple, les guerres de la Grande Révo-lution française commencèrent par êtrenationales et révolutionnaires, mais de-vinrent "IMPERIALISTES" sous Napo-léon et engendrèrent, à leur tour, desguerres d'émancipation nationale contrel'"IMPERIALISME" de Napoléon !

Un an plus tard, les "thèses d'Avril", éli-minant toute équivoque, apportèrent lapreuve que les conceptions de Lénine etLuxemburg n'étaient pas fondamentale-ment divergentes. En ce qui concerne lanature des guerres qui pouvaient surgir,ces thèses précisèrent que "le caractèrepolitique et social de la guerre n'est pasdéterminé par la «BONNE VOLONTE»des individus, des groupes ou même despeuples, mais par la situation de laclasse qui fait la guerre, par la politiquede classe dont la guerre est la continua-tion, par les relations du capital, forceéconomique dominante de la sociétémoderne, par le caractère impérialistedu capital international." Luxemburgn'avait pas dit autre chose.

3- La question nationale

et les mouvementsnationauxdes coloniesLa question nationale et le droit d'auto-détermination des peuples sont étroite-ment liés aux problèmes des mouve-ments nationaux d'émancipation et desguerres nationales.

Si le prolétariat proclame et revendiquele droit d'autodétermination des peuples,il affirme en même temps que sa réalisa-tion est incompatible avec l'existence ducapitalisme, que la politique impérialistequi imprègne la vie de tous les Etats,capitalistes ou non, vise à étouffer toutmouvement de libération ou à le détour-ner au profit de l'impérialisme.

Versailles apporta un brutal démenti àceux qui escomptaient que la guerre "dudroit" apporterait la délivrance aux petitspeuples opprimés tandis que la preuvefut faite que ceux-ci changeraient seule-ment de domination, avec le concours deleurs bourgeoisies respectives. Les na-tions secondaires, comme la Pologne, laTchécoslovaquie, l'Autriche, la Hongrie,les pays balkaniques, devinrent le jouetdes impérialismes vainqueurs et "DE-MOCRATIQUES" d'Occident en mêmetemps que l'objet de la convoitise desimpérialismes vaincus.

La résolution du parti bolchevik sur laquestion nationale d'avril 1917 « recon-naît à toutes les nationalités faisant par-tie de la Russie le droit de s'en séparerlibrement et de former des Etats indé-pendants. » Lénine indiqua que « lesfrontières doivent être déterminées parla volonté des populations » mais, dansson esprit, il s'agissait essentiellement derésoudre ce problème en fonction de larévolution prolétarienne.

Cependant, les événements d'après laRévolution d'octobre montrèrent que ledroit d'autodétermination était incapablede s'exprimer réellement dans les ré-gions où le prolétariat n'avait pas encorepris le chemin de la révolution, tandisque celui-ci était le plus souvent rejetédans les bras de la bourgeoisie suscitantdes mouvements séparatistes au profitde l'un ou l'autre impérialisme ; ce fut lecas des pays baltes et de la Finlande. Parcontre, en Ukraine ou en Géorgie où lesmouvements de classe purent se conju-guer avec l'intervention de l'Etat sovié-tique, celui-ci dut passer outre auprincipe démocratique d'autodétermina-

tion pour éviter que ces mouvements nedeviennent la proie de l'impérialisme.

Les thèses du 2ème congrès de l'Interna-tionale Communiste sur la question na-tionale furent d'ailleurs basées sur lanécessité de dissiper le mensonge démo-cratique de l'égalité des nationalités.Elles affirmèrent que « la question na-tionale ne doit pas être résolue d'aprèsdes principes abstraits et formels, maisd'après une notion claire des cir-constances historiques et économiqueset d'après la dissociation précise des in-térêts nationaux en général représentantceux de la classe dominante et des inté-rêts des classes laborieuses exploitées. »C'est-à-dire que, pour le prolétariat, lasolution du problème national devaits'inspirer d'un critère de classe.

Nous examinerons maintenant d'un peuplus près les conditions qui régissent lesmouvements nationaux aux colonies.

Marx et, après lui, Rosa Luxemburg ontsouligné la contradiction née des besoinsde l'accumulation capitaliste, exigeantd'une part l'existence d'un marché non-capitaliste sur lequel pût être réalisée laplus-value non consommée par la bour-geoisie et, d'autre part, la transformationde ce marché non-capitaliste en marchécapitaliste afin que pût se poursuivre latransformation en capital de la plus-va-lue réalisée ; trouver d'abord de nou-veaux acheteurs pour les produits capita-listes et, ensuite, faire de ces acheteursdes salariés ou des capitalistes, voilàquelle était la hantise du capital.

La thèse marxiste d'une extension de laproduction bourgeoise sur la base d'unedestruction des économies retardatairesn'était évidemment valable que commetendance de l'évolution capitaliste et noncomme perspective certaine de la substi-tution totale du système capitaliste àtous les systèmes sociaux préexistants.L'histoire du capitalisme révéla, aucontraire, qu'il entra dans sa phase dedécomposition avant d'avoir pu acheversa mission progressive du fait que lacontradiction entre la capacité de pro-duction et la capacité d'achat se dévelop-pa beaucoup plus rapidement que la pro-gression du type capitaliste de produc-tion à l'échelle mondiale, déterminantainsi l'impossibilité d'adjoindre de nou-velles forces productives à celles déjàexistantes. Autrement dit, le marchémondial se trouva saturé de marchan-dises avant d'avoir pu être transformécomplètement en marché capitaliste àl'état pur.

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Entré dans sa crise générale, le capita-lisme mondial, loin de poursuivre l'ex-pansion de ses capacités productives, sevit contraint de les comprimer, de lesadapter à sa phase de dégénérescence enprocédant "pacifiquement" à desdestructions de valeurs d'échange et decapitaux, prélude à la destruction vio-lente et sanglante dans la guerre impé-rialiste.

La décadence capitaliste n'a évidemmentpas mis fin à la destruction des écono-mies pré-capitalistes. Dans les coloniesse poursuit toujours la désagrégation descommunautés primitives, des économiesdomestiques, de l'artisanat paysan et leurincorporation à l'économie marchande.On peut même dire que le rythme decette désagrégation se précipite dans lamesure où les contradictions spécifiquesdu capitalisme impérialiste s'approfon-dissent. La contraction de la masse totalede plus-value produite dans le mondeentraîne une aggravation inouïe de l'ex-ploitation des populations coloniales, in-connue des prolétariats des métropoles.

Le domaine colonial, l'élément vital, de-vient de plus en plus le support du capi-talisme métropolitain. Seulement, auxcolonies, les rapports capitalistes de pro-duction sont encore peu développés : leprolétariat y existe à l'état embryonnaire,le surtravail n'y est pas extorqué princi-palement à des salariés, mais il parvientau capital par des voies détournées, parle mécanisme des emprunts, des ga-belles, des impôts, dont le fonctionne-ment est assuré par les classes domi-nantes.

Les productions fondamentales sontcelles des matières premières nécessairesaux métropoles.

Le capitalisme métropolitain, écrasésous le poids des instruments productifsqu'il ne peut plus faire fonctionner inté-gralement, ne peut tolérer aux coloniesla constitution de nouveaux Etats capita-listes industrialisés capables de surgir enconcurrents, tout comme ce fut le casd'anciennes colonies telles le Canada,l'Australie, les Etats-Unis.

L'impérialisme s'y oppose à toute indus-trialisation développée, à toute émanci-pation économique comme à toute révo-lution bourgeoise nationale. Il s'efforced'y conserver les formes de productionpré-capitalistes avec l'appui des classesdominantes indigènes bien qu'une ex-ploitation accrue ne puisse y résulter qued'un épuisement incessant de ces formesde production.

Si on admet aujourd'hui la possibilité deguerres progressives dans les colonies,

c'est qu'on admet aussi qu'une bourgeoi-sie indigène soit capable d'y présider àune industrialisation que l'impérialismes'efforce précisément d'entraver. En réa-lité, les mouvements nationaux bour-geois des colonies sont tous condamnésà se résorber au profit de l'impérialisme.Les bourgeoisies indigènes, craignant unébranlement des masses opprimées pou-vant s'ériger en menace pour leur propredomination, renonceront à jouer un rôleprogressif, d'ailleurs dépassé par l'évolu-tion historique, pour se borner à vivredans le giron de l'impérialisme assurantleurs privilèges. A cet égard, les expé-riences d'après-guerre nous paraissentpéremptoires et les hypothèses émisespar Lénine en 1916 (197) « d'une guerrenationale émancipatrice par l'alliancede la Perse, de l'Inde et de la Chinecontre les puissances impérialistes » ontété controuvées [contre-prouvées ?] parles événements. Aux Indes, le mouve-ment national bourgeois, suscitant lafermentation de grandes masses passantà des actions de classe, détermina labourgeoisie hindoue – Gandhi en tête –à trahir la révolution nationale et àconclure un compromis avec l'impéria-lisme anglais. En Chine, le Kuomintang,dans son expédition contre le nord, s'ap-puya en mars 1927 sur l'insurrectionprolétarienne de Shanghaï pour, un moisaprès, l'étouffer dans le sang avec l'op-portunisme complice de l'InternationaleCommuniste et du Parti Communistechinois. La déroute de ce dernier futcomplète lors de la défaite de l'insurrec-tion prolétarienne de Canton en 1927.Avec la disparition du prolétariat dispa-raissaient aussi les perspectives de déve-loppement économique que la bourgeoi-sie s'avéra incapable de conduire par sesforces propres tandis qu'elle se vit obli-ger de confier ses destinées aux volontésdes groupements impérialistes domi-nants.

En 1931, la bourgeoisie chinoise ne fitque confirmer son incapacité de s'oppo-ser à l'attaque brutale de l'impérialismejaponais tandis qu'il apparut que le ren-force ment de celui-ci n'était que le pro-duit des défaites prolétariennes de 1927.

Ces expériences nous paraissent avoirdémontré clairement que, même aux co-lonies, l'ère des révolutions bourgeoisesétait close, que l'avant-garde com-muniste n'avait pas à y soutenir de pseu-do mouvements nationaux démocrates-bourgeois, qu'enfin l'industrialisation nepouvait s'y réaliser que sous l'égide duprolétariat victorieux des pays dévelop-pés.

197. "Contre le courant"

D'ailleurs les thèses du 2ème Congrèsavaient déjà fait la différenciation entremouvements démocratiques bourgeois etmouvements nationalistes révolution-naires. Mais, en outre, la discussion elle-même laissa pressentir la conclusion quidevait se dégager des expériences ulté-rieures. D'après Lénine notamment, l'i-dée qui perça de cette discussion fut que« les mouvements bourgeois pour l'é-mancipation des colonies doivent êtresoutenus par les communistes seulementdans le cas où ces mouvements sontréellement révolutionnaires, lorsqu'ilsne s'opposent pas à ce que les com-munistes donnent aux paysans une édu-cation révolutionnaire et une organisa-tion et qu'ils n'empêchent pas de donneraux grandes masses exploitées une pré-paration pour l'action révolutionnaire.Si cela est impossible, les communistessont obligés de combattre la bourgeoisieréformiste tout comme ils combattent leshéros de la 2ème Internationale. » (198)

En résumé, toute évolution progressivedes colonies est devenue fonction, nonpas de guerres soi-disant d'émancipationdes bourgeoisies "OPPRIMEES" contrel'impérialisme oppresseur, mais deguerres civiles des prolétariats et massespaysannes contre leurs exploiteurs di-rects, de luttes insurrectionnelles menéesen liaison avec le prolétariat avancé desmétropoles.

4- La 1ère et la 2ème

Internationalesdevant le problèmede la guerreNous avons déjà esquissé l'évolution dela pensée marxiste en regard du prob-lème de la guerre et par rapport aux si-tuations historiques qui se succédèrentau cours du 19ème siècle.

Il ne faudrait pas en déduire que cetteévolution se reflète fidèlement et auto-matiquement dans les résolutions des 1ère

et 2ème Internationales, tout comme dansla politique des partis ouvriers. Laconfusion, l'imprécision, le particula-risme imprégnèrent longtemps la poli-tique ouvrière et ses formes de luttecontre la guerre et s'expliquèrent fortbien par l'enchevêtrement, le chevauche-ment « des diverses périodes du capita-lisme et des rapports de classe cor-respondants. C'est ainsi que «défensenationale» et «défaitisme» s'opposèrentsouvent. Par exemple, pendant la guerrefranco-allemande et avant la chute del'Empire, beaucoup de socialistes fran-çais étaient défaitistes et toute l'opposi-

198. Discussion au 2ème congrès de l'Internatio-nale communiste

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tion républicaine bourgeoise refusa levote des crédits de guerre, tandis que del'autre côté les ouvriers allemands seconsidérèrent comme «forcés de subirune guerre défensive comme un mal in-évitable. » (Manifeste de Brunswick)

Après Sedan, au contraire, les ouvriersfrançais adoptèrent une attitude de dé-fense nationale (qui fut même à l'originede l'insurrection de la Commune) tandisque les ouvriers allemands s'élevaientcontre les projets de conquête du milita-risme prussien, réclamaient une paix ho-norable pour la France et protestaientcontre l'annexion de l'Alsace et de laLorraine.

Précédemment, la 1ère Internationale n'a-vait pas grandement contribué à la clari-fication de la politique ouvrière : lescongrès de Lausanne en 1867 et deBruxelles en 1868 n'avaient adopté quedes solutions à caractère démonstratif(suppression des armées permanentes,organisation des milices, organisation dela grève générale).

La lutte de la 2ème Internationale contrela guerre se caractérisa par deux posi-tions centrales : la première, de luttecontre le tsarisme, défendue jusqu'auCongrès de Stuttgart et le seconde, delutte contre l'impérialisme, préconisée àpartir de Stuttgart jusqu'à la guerre mon-diale.

La première période – de 1889 à 1907 –se caractérisa par le fait que le mouve-ment ouvrier n'était pas encore parvenuà déceler et à définir clairement l'époqueimpérialiste.

La politique internationale de la Social-Démocratie continua à s'inspirer desconceptions de Marx en 1848 sur laRussie, axe, à cette époque, de la réac-tion européenne. Le tsarisme, en luttecontre la révolution montante, avait ce-pendant déjà reçu depuis l'appui poli-tique et matériel de la "DEMOCRATIE"française. Engels lui-même, en 1892,resta sur cette position. Considérant, à cemoment, la Social-Démocratie alle-mande comme le pivot de l'Internatio-nale et surestimant les perspectives révo-lutionnaires en Allemagne, Engels envi-sage, contre les forces coalisées de laFrance et de la Russie, une guerre de dé-fense nationale où les ouvriers auraientretrouvé l'élan révolutionnaire des jaco-bins français en se substituant au gou-vernement bourgeois. (199)

Le Congrès de Zurich de 1893 resta surla formule : « Le tsarisme, principal en-nemi ! » Le progrès se marqua cepen-

199. "Crise de la Social-Démocratie"

dant par l'abandon de l'opposition deprincipe de la Social-Démocratie à lagrève générale, opposition due jusque làà la conception apolitique desanarchistes sur la grève générale. Lecongrès repoussa toutefois la propositionde Domela Nieuwenhuis, de considérerla grève générale comme moyen de luttecontre la guerre. Les marxistes de cetteépoque motivèrent leur opposition : Ple-khanov, en déclarant que l'acceptationde la proposition signifierait « l'a-néantissement de la culture occidentalepar le despotisme oriental » ; Guesde,que ce serait « désarmer l'Occident so-cialiste devant la barbarie asiatique. »

Mais les guerres hispano-américaines etrusso-japonaise, les multiples expédi-tions coloniales qui se succédèrent à par-tir de 1880, la croissance des monopolesfirent mieux déceler l'ambiance histo-rique dans laquelle évoluaient le capita-lisme et le mouvement ouvrier. L'écrase-ment de la première révolution russe de1905, avec le soutien indirect de la"CULTURE OCCIDENTALE" décou-vrit brutalement la duperie de la formule« le tsarisme, principal ennemi »".

Le Congrès de Stuttgart de 1907 put ain-si déterminer avec beaucoup plus declarté que la lutte contre la guerre nepouvait être séparée de la lutte de classeset que les guerres étaient le produit ducapitalisme. Il dut à la gauche marxiste,dirigée par Lénine, Luxemburg et Mar-tov, d'avoir pu marquer que les condi-tions objectives de l'époque mettaient enconnexion la guerre et la révolution etd'avoir pu formuler, pour la premièrefois, que « dans la guerre le prolétariatdevra utiliser la crise économique et po-litique pour abattre le capitalisme »,formulation que, plus tard, Lénine trans-posa dans son mot d'ordre de « transfor-mation de la guerre impérialiste enguerre civile. »

Le Congrès de Bâle en 1912, qui se dé-roula dans une atmosphère internatio-nale de plus en plus surchauffée, radica-lisa encore davantage la résolution deStuttgart. Mais, en réalité, le contenu declasse de la 2ème Internationale ne cor-respondait nullement au contenant deses résolutions internationalistes. Ces ré-solutions couvraient une unité fictive quis'exprimait par l'adhésion des oppor-tunistes à toutes les formulations présen-tées par les gauches marxistes, mais n'endissimulait pas moins une profonde criseidéologique qui ravageait le mouvementouvrier.

Si la 2ème Internationale présida à la créa-tion et au développement des grandes

organisations de classe du prolétariat,par contre elle fut contemporaine del'expansion impérialiste du capitalisme.

L'opportunisme fut précisément le pro-duit de toute cette période "PACI-FIQUE" du capitalisme qui s'extériorisapar le pillage, le meurtre des peuples co-loniaux et l'afflux, dans les métropoles,de masses énormes de plus-value contri-buant à la corruption du mouvement ou-vrier et à sa régression idéologique.

L'opportunisme, "théorisé" par le "bern-steinisme" fut précisément puissant parses relations intimes avec le capital dontil n'était que l'agent au sein des organisa-tions ouvrières. Et cependant, bien queprépondérant dans l'Internationale, l'op-portunisme fut obligé de dissimuler sonnationalisme en usant de la phrase inter-nationaliste, en se ralliant aux résolu-tions révolutionnaires. Il lui fut impos-sible de se placer en opposition ouverteavec la réalité historique, clairement per-çue par le prolétariat, qui pendant desdécades avait assisté à la formation, augrand jour, des constellations impéria-listes, à la préparation de la guerre mon-diale. Les faits parlaient un langage tel-lement clair que toute distinction subtileentre défaitisme et défense nationale,entre agresseur et agressé, entre démo-cratie et autocratie s'avérait extrêmementpérilleuse, surtout par la présence d'unegauche marxiste agissante bien que nu-mériquement faible.

C'est ce qui explique que l'abcès oppor-tuniste ne creva que dans la fièvre pa-triotique de 1914 où s'entrecroisèrent lesmots d'ordre de « lutte contre le tsa-risme », « lutte contre le militarismeprussien », « pour la démocratie »,« pour la civilisation ».

Les "justifications" chauvinistes, la dé-fense du capitalisme n'eurent l'occasionde se démasquer que lorsque la guerreexplosa et non avant.

Dans Contre le courant, Lénine a fortbien marqué « qu'il est impossible d'ex-pliquer «LA TRAHISON» sans établirson lien avec l'opportunisme considérécomme une direction ayant derrière ellela longue, longue histoire de toute la2ème Internationale. »

Que ce serait le "SENTIMENT NATIO-NAL" des masses qui aurait déterminéleur volte-face foudroyante en 1914, je-tant le désarroi et la surprise dans lessphères dirigeantes de l'Internationale,est pure fantaisie puisque les résolutionsde Congrès témoignèrent d'une parfaiteconnaissance du cours et de l'orientation

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des événements et du caractère de l'é-poque.

Mais ce fut seulement 1914 qui révélaque l'idéologie opportuniste avait exercédes ravages beaucoup plus étendus quen'avait pu le laisser paraître l'unité de fa-çade de la 2ème Internationale. Et lagrande trahison découvrit aussi que lesprotagonistes en furent les partis socia-listes des pays hautement développés,appuyés sur de vastes organisations,mais n'ayant pas eu à livrer de grandesbatailles révolutionnaires, tandis que leparti bolchevik, représentant d'un paysarriéré mais trempé par une décade deluttes gigantesques contre l'autocratie etl'opportunisme, offrit aussi la plusgrande résistance à la tourmente capita-liste.

5- La guerre et la paixD'une part, la guerre n'est que la poli-tique de "paix" du capitalisme acculé àses conséquences extrêmes sous la pous-sée des contradictions économiques etdes contrastes de classe, à qui nes'offrent plus comme issue que ladestruction de vies et de richesses maté-rielles.

D'autre part, la paix est l'enregistrementdes modifications apportées par laguerre dans le rapport de force des Etatsantagoniques en même temps que la re-prise, par le capitalisme, de sa politique"PACIFIQUE" s'orientant inévitable-ment vers une nouvelle guerre si le pro-létariat ne parvient pas à y opposer la ré-volution.

Guerre et paix ne sont donc que deuxmanifestations alternées de l'évolutiondu capitalisme.

La période de trêve du capitalisme, quiva de 1918 à 1935 et qui est bien prèsd'atteindre son terme extrême, par sabrièveté même, exprime le rythme puis-sant qui, dans sa crise décadente, préci-pite l'ensemble de la société bourgeoisevers une nouvelle guerre mondiale, dèsque le prolétariat, en tant que classe ré-volutionnaire détenant la clef du progrèshumain, disparaît provisoirement de lascène historique.

Les éléments essentiels qui ont jalonnécette période peuvent s'esquisser commesuit :

La première guerre impérialiste ébranlele système capitaliste jusqu'à ses fonde-ments. Avant même qu'elle ne se termi-nât, dès 1917 le front de classe du capi-talisme mondial se rompit sur son sec-teur le plus faible : le prolétariat russe,en instaurant sa dictature, montrait lavoie au prolétariat mondial.

Cependant, en Europe centrale etoccidentale, bastions du capitalisme, unebourgeoisie plus résistante et plus expé-rimentée put canaliser le flux révolution-naire vers des dérivatifs démocratiques,en tirant parti de l'immaturité idéolo-gique et de l'inexpérience des partiscommunistes embryonnaires et en s'ap-puyant sur une Social-Démocratie en-core solidement enracinée dans lesmasses ouvrières. Une recrudescenceéconomique, réponse aux immenses be-soins comprimés par la guerre et aux gi-gantesques destructions, vint par surcroîtà la rescousse du capitalisme.

La défaite du prolétariat allemand en1923 mit le point final aux convulsionssociales qui venaient d'ébranler tout l'é-difice capitaliste.

Au cours de la période 1924/1928, lemonde capitaliste parvint à recouvrer unéquilibre relatif qui, sur le front desclasses, s'exprima par la "STABILISA-TION" de l'Etat soviétique sur la base du"SOCIALISME EN UN SEUL PAYS".

Economiquement, cette "STABILITE"capitaliste se manifesta par une fiévreuseactivité, non pas sur la base d'une exten-sion du marché mondial (ce qui étaitimpossible dans la crise générale ducapitalisme), mais sur la base d'une re-constitution des forces productives au-delà même de leur niveau primitif, cequi conféra à l'essor un aspect de pros-périté.

La bourgeoisie put se donner l'illusiond'un retour aux beaux jours d'antan etson optimisme se refléta dans son activi-té diplomatique.

Ce fut l'époque des idylles "PACI-FISTES" et démocratiques qui engen-drèrent :

- en 1925, le pacte de Locarno, inspi-ré par Briand le "Pèlerin de la paix",pacte qui exprima la tentative defaire consacrer par l'Allemagne– favorablement disposée par sonessor économique – le rapport desforces établi violemment par Ver-sailles, et qui se conclua par l'entréede l'Allemagne à la Société des Na-tions ;

- en 1928, le pacte Briand-Kellog,summum des effusions diploma-tiques, fut une manifestation plato-nique de la bourgeoisie mondialeclamant sa "renonciation solennelleà la guerre, en tant qu'instrumentde politique nationale" et à laquelles'associa l'URSS, s'accrochant à sa"thèse" du désarmement général

qu'elle venait de présenter à Ge-nève.

Mais les limites définies, dans lesquellesdevait évoluer désormais le capitalisme,firent que cette pseudo prospérité géné-rale dut s'orienter vers une croissance dunationalisme économique qui se caracté-risa, entre autres, par une interpolationpartielle des débouchés, de l'extérieur àl'intérieur, des économies impérialistes,phénomène qui ne fit que s'amplifier aucours de la crise mondiale.

De plus, les fonctions économiques del'Etat bourgeois croissaient avec lanécessité d'une adaptation du mécanismecapitaliste à la phase de décomposition.Tout le poids de cette adaptation se portavers une intensification de l'exploitationdes ouvriers, des paysans et des couchespetites-bourgeoises. Ce fut la ripostecapitaliste à la dégénérescence de l'Inter-nationale Communiste et de l'Etat prolé-tarien absorbés par la "Construction duSocialisme" en Russie pendant que leprolétariat international s'éloignait de sespositions de classe et perdait la vision deses tâches historiques.

Le capitalisme accentua sa pression à lafin de 1928 lorsque, ayant épuisé toutesses possibilités de reconstitution, la criseéconomique mondiale le prit à la gorge.

A l'offensive capitaliste contre les condi-tions de vie du prolétariat corresponditen Russie la mise en train du premierplan quinquennal, avec l'appui des capi-taux américains, anglais, français etmême allemands. Le prolétariat interna-tional vit croître le "SOCIALISME" enRussie soviétique en même temps qu'ilvit décroître ses salaires.

La résistance et l'adaptation du capita-lisme à la crise se traduisirent par desfluctuations conjoncturelles, très in-égales, des destructions massives decapitaux, des dévaluations monétaires,des batailles de tarifs, des guerres moné-taires. Chaque Etat capitaliste accélérasa transformation en économie de guerresuivant un rythme adapté aux capacitésde résistance de chacun d'eux. C'étaitl'importance de leur base impérialistequi déterminait leurs capacités. Ceux quivivaient sur une assiette trop étroite, quimanquaient d'éléments capables d'amor-tir les contrastes économiques et so-ciaux, devaient recourir à la violence dufascisme. Déjà le capitalisme italien n'a-vait pu résister à la tourmente de 1921 etavait dû abattre le prolétariat.

En 1933, dans la cinquième année decrise, c'était la bourgeoisie allemandequi usait de la violence fasciste sur un

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prolétariat impuissanté par la politiquede l'Internationale Communiste.

Cette dernière brèche du front capitalisteune fois formée, il ne faisait aucun douteque les antagonismes inter-impérialistesdevaient s'aggraver et que devait s'ac-célérer le cours de l'évolution capitalistevers la guerre mondiale.

Le "Pacte à quatre" de juillet 1933 appa-rut comme une suprême tentative diplo-matique des impérialismes vainqueursde maintenir le statut territorial dans lecadre des traités virtuellement caducs ;alors même qu'il dut contenir les velléi-tés expansionnistes d'une Allemagne po-sant le problème de l'Anschluss.

Bien que le projet primitif du pacte,d'inspiration italienne, comportait la ré-vision des traités et le principe de l'égali-té des droits, ces deux éléments ne setrouvèrent pas inclus dans le texte défi-nitif. D'ailleurs, dans les desseins ita-liens, le pacte était moins une tentativerévisionniste qu'une transition de la poli-tique italienne de l'Allemagne vers laFrance, qui permit une détente des rap-ports franco-italiens et prépara les ac-cords de Rome de janvier 1935. Ceux-ci, conclu par Laval et Mussolini, don-nèrent carte blanche à ce dernier enAfrique orientale tout en consolidantl'influence française en Europe centraleet balkanique.

Sur le terrain des classes, après l'avène-ment du fascisme en Allemagne, on as-sista, au sein des "DEMOCRATIES"occidentales, à l'effritement des der-nières positions du prolétariat et à ladispersion des dernières bribes de saconscience, préparant le terrain pour saconformation idéologique en vue de laguerre.

Dans cette œuvre de corruption capita-liste, l'Etat prolétarien et l'InternationaleCommuniste jouèrent un rôle prépondé-rant. La première expérience historiqued'une coexistence d'un Etat prolétarienavec le monde capitaliste a démontréque cet Etat ne pouvait se maintenir entant que position avancée du prolétariatmondial qu'à la condition de s'intégrerau front international de la lutte proléta-rienne, au lieu de traîner le prolétariat àla remorque de sa politique d'Etat "SO-CIALISTE" s'opposant aux Etats capita-listes, au lieu de faire sanctionner par leprolétariat sa politique du "SOCIA-LISME EN UN SEUL PAYS" et de lutte"PACIFIQUE" entre deux systèmes so-ciaux, tout en le détournant en mêmetemps de ses luttes spécifiques contre lecapitalisme.

L'accord de Rapallo, en 1922, portait engerme les éléments qui allaient détermi-ner, non un renforcement de l'Etat sovié-tique en tant qu'instrument de la révolu-tion mondiale, mais une scission entrecette fonction révolutionnaire et sa poli-tique d'Etat.

La participation de l'URSS à la comédiedu pacte Kellog, en 1928, fut précédéeen novembre 1927, nous l'avons dit,d'une proposition de Litvinov à Genèveen faveur du désarmement général. Cetteproposition s'opposait encore à la thèsefrançaise de la sécurité ainsi qu'à la mé-thode de pactes de garantie, bien quesous sa forme d'intransigeance doctri-nale perçât déjà une offre de collabora-tion "sincère et objective" avec la bour-geoisie, en vue du désarmement intégral.

La deuxième proposition, faite en mars1928, abandonnait la revendication dudésarmement intégral pour celle dudésarmement partiel.

A la Conférence du désarmement, sié-geant en mai 1934, Litvinov dut enre-gistrer l'échec complet de son pro-gramme, ce qui lui fit substituer à lathèse du désarmement partiel celle des"GARANTIES DE LA PAIX" et qui l'a-mena ainsi à se rallier à la thèse fran-çaise de la "SECURITE".

L'adhésion de l'URSS à la Société desNations (Société des Brigands, en 1917)fut justifiée par ce motif : que la fonc-tion de cet organisme impérialiste se se-rait "PROFONDEMENT" modifiée etce, parce qu'il n'était plus une coalitionimpérialiste dirigée contre la Russie so-viétique mais le lieu de concentrationdes "FORCES DE PAIX" des impéria-lismes vainqueurs intéressés à uneconservation "pacifique" de leur butin.

D'un point de vue de classe, la réponseest aisée à la question de savoir qui achangé : la SDN ou… L'URSS ? Cetteréponse est donnée par toute l'évolutionde l'URSS. Son changement d'orienta-tion politique s'ébaucha à la Conférencede Gênes, en 1922, où les Soviets, par lavoix de Tchitcherine, envisagèrent lapossibilité d'une coexistence pacifique etindépendante de deux systèmes de pro-duction antagoniques, où ils allèrentmême jusqu'à offrir leur collaboration envue d'une reconstruction de l'Europe ex-sangue – ce qui ne pouvait signifierautre chose qu'une reconstruction ducapitalisme sur le fond d'un écrasementdu prolétariat international – (comme lesévénements ultérieurs le démontrèrent).

Cette position trouva évidemment sonorigine dans les profondes modifications

du rapport de forces entre bourgeoisie etprolétariat intervenues à la suite du re-flux de la vague révolutionnaire.

Nous venons de marquer que le prob-lème du désarmement fut l'une despierres de touche des changements inter-venus dans la politique de l'URSS etqu'à la Conférence de 1934 elle quittadéfinitivement le terrain de classe pourse rallier ouvertement à l'impérialismefrançais et au maintien du statu quo ter-ritorial, sous le couvert d'une politiquede "DEFENSE DE LA PAIX CONTRELES FORCES DE LA GUERRE". Cetteposition "POUR LA PAIX", "CONTRELA GUERRE", dans le cadre où elle seplaça, fut évidemment la négation radi-cale de la réalité qui comportait la sur-vivance d'une société divisée en classeset elle consista à rejeter la lutte desclasses elle-même qui excluait évidem-ment toute idée de "PAIX". En outre,cette politique impliquait la reconnais-sance du système capitaliste en tant quetype de société capable d'évoluer dansdes formes "PACIFIQUES" normales,harmonieuses, sous l'égide d'organismesjuridiques internationaux, telle la Sociétédes Nations. Elle sous-entendait que lemaintien de la paix dépendait de la "VO-LONTE" des "ELEMENTS PACI-FIQUES" du capitalisme, mettant à laraison les "ELEMENTS PERTURBA-TEURS" fauteurs de guerres spolia-trices.

La guerre n'apparaissait donc pluscomme la manifestation la plus violenteet la plus catastrophique d'une société oùs'opposaient bourgeoisie et prolétariat,où le maintien et le renforcement de ladomination bourgeoise conduisait inévi-tablement à la guerre, tandis que la révo-lution prolétarienne seule pouvait menerà la libération de la société tout entièreet, par conséquent, à la paix. Le di-lemme capital n'opposait donc plus lecapitalisme au socialisme, deux types desociétés s'excluant réciproquement, maisil opposait, par exemple, la démocratieau fascisme, deux formes de vie d'unemême société, non contradictoires maisexprimant la continuité de la politiquebourgeoise.

Ainsi les socialistes et les centristes qui,durant "LA PAIX IMPERIALISTE" au-ront coopéré à l'œuvre bourgeoise decorruption du prolétariat et de ses instru-ments de classe – l'Internationale Com-muniste et l'Etat prolétarien – pourronttranquillement dénoncer le massacre gé-néral comme le "CRIME" des puis-sances néfastes du capitalisme, tout endissimulant qu'il n'est que le produit deleurs trahisons conjuguées.

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L'alternative guerre-paix sera de ce faitfrauduleusement substituée à l'alterna-tive guerre-révolution, pôles d'attractiondes deux classes fondamentales de la so-ciété capitaliste.

La signification concrète du pseudo di-lemme guerre-paix est donnée aujourd'-hui par la phase transitoire qui préface laguerre mondiale dont la maturation sepoursuit activement.

Certes tous les clans impérialistes ne setrouvent pas devant la même impérieusenécessité, dans le temps, de recourir à laguerre. Les uns à masque démocratique,appuyés sur de puissants empires colo-niaux, peuvent encore, dans une certainemesure, résister à la poussée descontrastes fondamentaux du capitalismeau moyen d'une "POLITIQUE DEPAIX" pour laquelle ils se sont assurésla collaboration de l'URSS, autre "FAC-TEUR DE PAIX" ; politique qui, en der-nière analyse, ne vise qu'à la conserva-tion du butin acquis au cours des siècleset que la première guerre mondiale n'afait qu'élargir.

Les autres, les Etats fascistes - les moinsrésistants à la crise, où le processus depréparation à la guerre est le plus avan-cé, où l'économie de guerre est la plusdéveloppée en raison de cette moindrerésistance économique – se trouvent ac-culés à devoir déverser leurs contrastesdans la guerre.

La bourgeoisie italienne, qui fut la pre-mière à briser l'échine du prolétariat, estaussi la première à devoir recourir à laguerre, précisément parce que le fas-cisme, s'il a résolu temporairement unproblème politique en consolidant la do-mination bourgeoise, n'a nullement réso-lu – et ne pouvait résoudre – (pas plusqu'une autre forme de domination bour-geoise) des problèmes économiques quise trouvent intimement reliés auxcontradictions de la crise générale ducapitalisme.

Mais il ne peut dépendre de la volontéd'aucun autre impérialisme, plus puis-sant, d'échapper à la guerre qui se révè-lera, en ordre secondaire, comme unmoyen de défendre sa propre positiondans le monde et, en ordre principal,comme l'inéluctable issue aux contrastesque le capitalisme mondial ne peut pluscomprimer dans sa crise historique dedégénérescence.

L'adhésion de l'URSS à la "POLITIQUEDE PAIX" des impérialistes puissants si-gnifie que l'Etat prolétarien (et avec luil'Internationale Communiste) a rompuavec le programme de la révolution pro-létarienne et s'est trouvé, de ce fait, irré-

sistiblement happé par le courant diri-geant l'ensemble de la société vers uneguerre mondiale. La politique de l'URSSa acquis le caractère conservateur de lapolitique du capitalisme, dès qu'il s'estvérifié qu'elle ne greffait pas son renfor-cement sur la progression de la révolu-tion mondiale mais sur la consolidationde ses positions économiques d'Etat par-ticulier, s'effectuant au travers des plansquinquennaux. Sa politique de paix écla-ta en trahison ouverte à la conclusion dupacte franco-soviétique qui la poussa àreconnaître la "légitimité" du milita-risme français et également au traversdes décisions du 7ème Congrès de l'Inter-nationale Communiste mettant virtuelle-ment les partis communistes à la dispo-sition du capitalisme, en tant que forcesgouvernementales.

Les défaites prolétariennes ne sont doncpas le fait de la trahison de la 2ème Inter-nationale, comme le centrisme s'est plu àl'affirmer à maintes reprises et à proposdes événements d'Allemagne, d'Autricheet d'Espagne, puisque 1914 fut l'enre-gistrement historique de cette trahisonde la Social-Démocratie passant définiti-vement au service du capitalisme, maisces défaites furent le produit de l'oppor-tunisme de la 3ème Internationale enchaî-née aux intérêts nationaux de l'Etatrusse. Et, contrairement à ce qui s'est vé-rifié en 1914, la trahison du centrismeest consommée avant même l'explosionde la guerre impérialiste, laissant le pro-létariat international sans guide à laveille d'événements tragiques.

Le programme national de l'Etat russeest devenu l'objectif que la classe ou-vrière aura à défendre dans la prochaineconflagration, la justification de l'adhé-sion qu'il donnera au massacre avec leconcours conjugué des deux Internatio-nales traîtres réunies sous le signe de"L'UNITE OUVRIERE".

Pour les ouvriers des Etats "DEMO-CRATIQUES" : la défense de l'URSS, lalutte contre le fascisme ; pour les ou-vriers écrasés sous la botte du fascisme :la lutte contre les impérialismes rapacess'opposant au partage des richesses dumonde. Voilà quels seront les motsd'ordre essentiels qui cimenterontl'Union Sacrée entre prolétariat et bour-geoisie dans la prochaine guerre mon-diale.

La participation de l'URSS à cette guerrene pourra nullement en altérer le carac-tère impérialiste qui sera déterminé, nonpar la nature ou le régime politique desEtats qui y participeront mais, commenous l'avons vu, par l'existence du capi-talisme, type de production continuant à

régir l'évolution de la société entière, ycompris l'URSS.

6- Le conflititalo-abyssin,prélude à la guerremondialeNous avons indiqué pourquoi le systèmecapitaliste de production est historique-ment liquidé avant d'avoir pu paracheverson extension au monde entier, avantd'avoir pu éliminer toutes les formes deproduction préexistantes.

Et nous répétons que, dans la réalité,cette situation s'est traduite par l'impos-sibilité pour le capitalisme d'admettreque l'industrialisation des colonies sepoursuive. D'où est résultée la nécessitépour les grands groupes impérialistes deréaliser des compromis, de conclure destrêves là où la domination impérialisten'a pu s'affirmer directement par l'occu-pation territoriale, mais indirectement àcoups d'emprunts, de concessions, detraités, de conventions commerciales,c'est-à-dire dans les pays dont l'indépen-dance seulement formelle fait encoreillusion aujourd'hui, comme la Chine oul'Abyssinie. Ces compromis ou trêves sesont tous basés sur le statu quo écono-mique et politique qui excluait toute pré-dominance de l'un ou l'autre de cesgroupes, toute modification du rapportdes forces, des influences qui ne peutintervenir qu'au travers d'une nouvelleguerre impérialiste. Ce fut à laConférence de Washington, en1921/1922, que précisément se conclutle plus important de ces compromis, ce-lui qui enregistrait le système d'équilibredes quatre principales puissances impé-rialistes : Etats-Unis, Japon, Angleterreet France, dans la zone du Pacifique eten Chine.

Puisqu'il était établi que dans l'ère de ladégénérescence du capitalisme iln'existait plus aucune possibilité de pro-céder "PACIFIQUEMENT" au dépeçagede la Chine (pacifiquement, dans le sensd'une conquête militaire, par l'un desgroupes, qui ne se heurtât pas violem-ment aux intérêts d'un impérialisme ad-verse, comme cela put se vérifier dans laphase des guerres coloniales du siècledernier), la Conférence de Washingtonconvint du statu quo en Chine, du res-pect de son "indépendance" qui ne signi-fiait que le maintien de son intégrité ter-ritoriale, tout comme la Chine s'engageaà ne céder à bail aucune parcelle de sonterritoire. Le régime de la porte ouvertecontinua donc à subsister bien que leJapon, de par sa position géographique(indépendamment d'autres facteurs), dût

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en retirer des avantages prépondérants,comme les événements ultérieurs le dé-montreront.

En Abyssinie, un compromis réglant lestatu quo politique et territorial intervintdès 1906 entre l'Angleterre, la France etl'Italie et ce sans consultation aucune del'Abyssinie. (Nous n'examinerons pas icipourquoi l'Abyssinie a pu, jusqu'à cejour, échapper à une conquête militaire).L'accord intervenu confirma les droitsanglais sur le Nil Bleu et le lac Tsana,régla les intérêts italiens en Erythrée eten Somalie et les intérêts français à Dji-bouti. Par la suite on perçut des tenta-tives de réviser ce compromis :

Le traité secret de Londres, en 1915,prévoyait des compensations à accorderà l'Italie, en Erythrée et en Somalie ainsiqu'en Libye ; mais elles ne reçurent pasd'application à la conclusion de la paix.

Ensuite, l'accord secret de décembre1925 entre l'Angleterre et l'Italie (concluà l'insu de la France et de l'Ethiopie) sti-pulait une mainmise effective de l'An-gleterre sur les eaux du lac Tsana et ac-cordait à l'Italie la concession d'un che-min de fer devant relier l'Erythrée à laSomalie ainsi que l'hégémonie écono-mique sur les territoires situés à l'ouestde ce chemin de fer. Mais l'oppositionde la France empêcha toute conclusionpratique.

Enfin, le Pacte à quatre acquit une va-leur concrète en ce qui concerne laFrance et l'Italie puisque l'accord franco-italien de Rome en janvier 1935 permetà la France de consolider ses positionsen Europe centrale et balkanique avecl'appui de l'Italie qui prenait l'engage-ment de défendre l'Autriche contre lesvelléités d'Anschluss ; par contre, l'Italiereçut quelques territoires en Libye (parapplication du pacte de Londres de1925), sur la côte de Somalie et eut lesmains libres pour une pénétration enAbyssinie. De plus, la France assurait àl'Italie son soutien financier.

L'Angleterre riposta à cet accord enimposant à l'Abyssinie une concessionsur le lac Tsana en vue de la construc-tion d'un barrage. Mais l'Italie, en ren-forçant ses bases militaires en Afrique,s'était déjà engagée sur le chemin de laguerre.

Pour un marxiste, il est certain que ce nesont pas les formes de domination ducapitalisme (démocratie, fascisme) quidétermineront la nature et la tendancegénérale de la politique bourgeoise, maisbien l'existence du système de produc-tion capitaliste lié à des nécessités histo-

riques imposées par l'approfondissementdes contradictions, mais nécessités quise mesurent aux particularités structu-relles de chaque Etat capitaliste.

Dans ce sens, si on envisage le cas de l'I-talie, il ne peut être question de pro-clamer une soi-disant faillite de la poli-tique du fascisme qui se dissocierait dela politique du capitalisme en général.

Le fascisme, forme de domination bour-geoise, ne peut revendiquer un pro-gramme particulier de gestion qui puisses'abstraire de l'évolution d'ensemble ducapitalisme mondial. Le fascisme estseulement l'expression politique de lafaiblesse constitutionnelle d'un Etatcapitaliste, faiblesse qui, à un momentdéterminé, se réfléchit sur le terrain desclasses par une tension aiguë des rap-ports sociaux et une menace révolution-naire. La bourgeoisie passe alors à ladispersion du prolétariat mais ne résoutpas par-là, comme nous l'avons déjà dit,les contrastes économiques dont ellereste prisonnière.

La phase de transformation de l'écono-mie en appareil de guerre (et dont lerythme s'accélère là où domine le fas-cisme) est précisément celle durant la-quelle le capitalisme recherche une issueà ses contradictions tout en s'orientant ir-résistiblement vers la guerre. Le milita-risme est le marché artificiel qui vientcombler partiellement et temporairementles déficiences du marché mondial,comme Rosa Luxemburg l'avait déjà lu-mineusement établi dans son "Accumu-lation du capital".

Nous avons déjà indiqué également quesi l'Italie aujourd'hui doit recourir à laguerre, c'est parce que, d'une part elle aété la première à écarter la révolutionprolétarienne, un des pôles de l'évolu-tion du capitalisme, tandis que, d'autrepart, elle est arrivée au terme extrême ducours opposé qui ne laisse plus aucunchoix en dehors de la guerre.

Et lorsque les socialistes et les centristes,unis pour la défense de la démocratie,proclameront que "LE FASCISME,C'EST LA GUERRE", ils ne feront quefalsifier la réalité capitaliste pour les be-soins de la politique bourgeoise "DE-MOCRATIQUE", parvenant au traversdes rassemblements "antifascistes" à dé-voyer le prolétariat de sa ligne de classeet à l'orienter vers la guerre impérialiste.

Si maintenant, on considère que laguerre engagée par l'Italie est une guerrecoloniale, une guerre d'expansionnismeéconomique, on méconnaît par-là mêmeles caractères de la phase ultime de dé-

composition du capitalisme, de l'époquedes guerres et des révolutions et, parconséquent, on estompe la cause pro-fonde de l'entrée en guerre de l'Italie.

On pourrait être tenté de démontrer qu'ilexiste encore des possibilités de guerrescoloniales dans la crise générale du capi-talisme en arguant du fait que le Japon,depuis dix ans, poursuit sa pénétrationen Mandchourie sans rencontrer degrands obstacles… En effet, il s'agit bienici d'une expansion de l'impérialismejaponais qui, déjà réalisée en Mandchou-rie, menace de s'étendre vers l'ouest, à laMongolie, et au sud, à la Chine du nord,bien que cette expansion ne puisse dé-terminer une industrialisation, une ex-tension de la production capitaliste à cesterritoires, mais qu'elle se manifeste parune organisation économique en vued'une exploitation rationnelle des ma-tières premières (chemins de fer, ports,barrages, etc.) Encore importe-t-il desouligner que l'expansion japonaise estliée à des circonstances qui sont particu-lières à l'Asie (circonstances historiques)aussi bien qu'à la situation géographiquefavorable du Japon. Les accords de Wa-shington, en fixant le statu quo, enre-gistraient par-là même la situation favo-rable déjà acquise en Mandchourie parle Japon, par ses conquêtes de 1895 et1905 mais, en outre, ils ne pouvaientconstituer aucune entrave à une expan-sion ultérieure du Japon, sur la base decette situation.

La première guerre impérialiste ne putrésoudre le problème du Pacifique et del'Asie. Dans l'après-guerre, le capita-lisme mondial dut reléguer ce problèmeau second plan bien qu'il fût pour luid'une importance décisive. Par contre, leJapon put se prévaloir de sa situationavantageuse en Asie pour s'y poser enrempart du capitalisme mondial contre leflot montant de la révolution chinoisetout en consolidant, en même temps, sespositions. Et aujourd'hui, nous le voyonsélargir brutalement la brèche qu'il a eu lapossibilité d'ouvrir dans le compromisasiatique.

En ce qui concerne l'Italie, il ne peut êtrequestion d'assimiler son expédition afri-caine à une guerre coloniale. D'une part,parce que l'Abyssinie, pour longtemps,ne pourra constituer pour le capitalismeitalien un débouché capable d'amortirses contrastes économiques immédiats,qui ne lui sont pas particuliers maisreliés à la crise générale du capitalisme ;mais cette guerre sera le champ où pour-ra se déverser le formidable potentiel deguerre de l'économie italienne. Et d'autrepart, parce que l'Italie tente précisément

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de rompre un de ces compromis réglantle rapport des forces entre les groupesimpérialistes et qu'elle fait à un pointparticulièrement vulnérable du frontcapitaliste.

Nous considérons que des guerres colo-niales ne sont plus concevables dans lesens qu'il ne peut plus surgir de conflitsse localisant entre un Etat capitaliste etun pays pré-capitaliste pour se conclure,en fin de compte, par une extension dumarché capitaliste mondial (puisqu'unetelle hypothèse s'oppose à la notion departage complet du globe et à la réalitéde la crise générale du capitalisme) maisque si de tels conflits éclatent, ilsdoivent inévitablement se développer enconflits inter-impérialistes préfaçant laguerre mondiale. Un tel schéma est véri-fié d'ailleurs par le cours imprimé auconflit italo-éthiopien.

Toute l'année 1935 fut jalonnée de tenta-tives pour détourner l'entreprise ita-lienne de son dénouement violent. Quece fût le voyage d'Eden à Rome ou laConférence tripartite de Paris ou les pro-positions du Comité des Cinq de Ge-nève, aucune de ces manœuvres capita-listes n'est parvenue à substituer un autrecompromis au Compromis de 1906,parce qu'il ne peut exister une formuled'accord qui puisse représenter une solu-tion aux contrastes du capitalisme ita-lien, irrésistiblement entraîné vers laguerre, en même temps qu'une solutionaux contrastes de l'impérialisme anglais– dont les intérêts sont directement enjeu parce qu'une rupture d'équilibre surun des points du front capitalisteentraîne l'ébranlement de tout le précairesystème d'équilibre qui règle l'existencedu capitalisme dans sa phase de décom-position.

Tout comme il ne peut dépendre de lavolonté de la bourgeoisie italienne de re-courir ou non à la guerre et qu'il n'y aque les agents du capitalisme pour iden-tifier fascisme et guerre, pour dénoncerle fascisme comme l'ennemi de la paix,de même il ne dépend pas de la volontédes pseudo forces de paix que sont lespuissants groupes impérialistes de s'op-poser, non seulement à la guerre de l'Ita-lie en Afrique, mais au courant desévénements conduisant à la guerre mon-diale, en dépit des tentatives désespéréesde la diplomatie bourgeoise pour résisterà ce courant.

Si l'impérialisme anglais, chargé decrimes coloniaux séculaires, peut appa-raître aujourd'hui comme le championde la paix et du droit international, c'estparce qu'une telle attitude coïncide avecla défense de ses intérêts vitaux menacés

par l'Italie. Le maintien de la paix capi-taliste ne peut se concevoir qu'avec lerespect du rapport de forces enregistré àVersailles. Mais même le statu quo nepeut plus être assuré parce qu'il ne resteà peu près plus de place pour la moindremanœuvre "PACIFIQUE" du capita-lisme.

Nous avons indiqué pourquoi l'équilibremondial a déjà pu être rompu en Asiesans qu'il en résultât un conflit générali-sé (bien que les derniers événements enChine vont incontestablement en préci-piter la maturation). Ce qui est certain,c'est que l'expédition africaine nonseulement menace les intérêts anglaismais surtout réagit beaucoup plus sensi-blement sur l'ensemble du mécanismecapitaliste, à un stade très avancé de l'é-volution du capitalisme vers la guerre.

La moribonde Société des Nations, brus-quement ranimée par la volonté de l'An-gleterre qui l'a mise ouvertement à sonservice, est l'arme de corruption destinéeà parachever cette maturation ; elle sertde pôle d'attraction des ouvriers despays "démocratiques" autour de laconstellation impérialiste "agressée" dé-fendant son butin contre le fascisme"agresseur", cependant qu'au sein de laconstellation adverse la mobilisation desouvriers pourra s'effectuer au nom de ladéfense des Etats "pauvres" contre lesEtats "riches".

Que la politique des sanctions, d'inspira-tion anglaise, puisse être le moyen d'évi-ter la guerre, cela les faits l'ont déjà dé-menti. La décision de Genève de se limi-ter aux sanctions économiques n'a pasempêché l'Angleterre d'envoyer sa flotteen Méditerranée, pas plus que la menacede sanctions n'a fait capituler l'Italie. Aucontraire, la menace des sanctions afourni à l'Italie une justification pour lesmesures d'organisation de la misère et del'affamement des ouvriers.

Quant à l'indépendance de l'Abyssinie,nous pensons avoir marqué d'une façongénérale ce que l'indépendance nationalesignifie dans l'ère de décomposition del'impérialisme.

Le traité tripartite de 1906, le traité se-cret anglo-italien de 1925, les récentestentatives d'accord apportent la preuveque l'indépendance de l'Abyssinie n'estqu'un mot et que sa défense équivaut àcouvrir tant le régime d'exploitationesclavagiste et féodale qui y survit quel'impérialisme anglais.

D'un point de vue de classe, la défensede l'Abyssinie ne peut être autre choseque la lutte des exploités abyssins contrela domination du Négus et l'oppression

impérialiste, lutte qui ne peut se déve-lopper qu'avec l'appui du prolétariatinternational et du prolétariat italien enparticulier.

7- Le prolétariatet la guerreLa lutte contre la guerre ne peut évidem-ment s'identifier qu'avec la lutte desclasses, avec la lutte contre le capita-lisme en vue de son renversement et del'instauration de la dictature du proléta-riat. A la guerre ne peut s'opposer que larévolution.

Mais, ce n'est pas sombrer dans le pessi-misme et le fatalisme que de considérerque, devant l'imminence d'une nouvelleguerre impérialiste et en l'absence d'unparti capable de guider le prolétariat, lesconditions pour engager une telle lutten'existent pas immédiatement.

Puisque la situation que nous vivons au-jourd'hui n'est que le produit et le termede tout un enchaînement d'événementscomportant l'élimination progressive duprolétariat de la scène historique, situa-tion qui se dénouera, non par la libéra-tion des forces productives, mais parleur destruction, il ne dépend nullementde la volonté seule d'infimes minoritésrévolutionnaires, si résolues soient-elles,d'en renverser le cours le temps relative-ment court qui s'écoulera jusqu'à l'explo-sion du conflit.

Mais le problème est de savoir si les ou-vriers parviendront, dans le court délaiimparti, à se regrouper sur des positionsde classe pour la défense de leurs condi-tions d'existence et à forger, au traversde leurs luttes s'élargissant sans cessejusqu'à la lutte politique, le parti d'avant-garde capable de les conduire à l'assautdu capitalisme.

La réponse qu'impose la sombre réalitéd'aujourd'hui est que la réalisation d'unetelle hypothèse est très peu probable etqu'une résurrection de la conscience pro-létarienne ne surgira vraisemblablementque du bouillonnement des événementsde la guerre, de l'ébranlement de tout lesystème capitaliste et du bouleversementtotal du rapport des classes.

La reconstruction du prolétariat, en tantque classe capable d'accomplir sa tâchehistorique, nécessitera non seulementune situation objective favorable maisencore l'intervention, dans les événe-ments, du parti d'avant-garde, facteursubjectif apportant au prolétariat laconscience et la vision de ses buts.

Aujourd'hui, c'est précisément la tâchefondamentale des communistes de

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gauche d'élaborer et de coordonner, àl'échelle internationale, les principes ti-rés de l'expérience de la Révolutionrusse et des phénomènes propres à laphase de dégénérescence de l'impéria-lisme, en même temps que de construireles cadres du parti de demain.

Pour les communistes de gauche, la luttecontre la guerre est fonction du travailidéologique préparant le support de larévolution de demain. Dans la phase ac-tuelle, préface à la guerre mondiale, lescommunistes ne peuvent que se borner àindiquer que les bases, sur lesquelles unregroupement des ouvriers est possible,sont les organisations de classeexistantes, mobilisées pour la défense deleurs revendications spécifiques ; que lapoursuite de ces objectifs initiauxconvaincra les ouvriers, au travers dudéveloppement même des situations, del'inévitabilité de devoir passer à desformes de lutte de plus en plus élevéesjusqu'à l'aboutissement à l'insurrectionarmée.

Quant aux mots d'ordre de boycottage,de guerre à la guerre, de grève générale,d'insurrection qui pourraient être lancésà la déclaration de guerre par des cou-rants politiques à tendance pacifiste ouanarchiste, une connaissance marxistedes conditions ayant permis à la guerrede mûrir et d'éclater doit permettre dedénoncer l'inanité de tels mots d'ordre.

Vouloir "BOYCOTTER LA GUERRE",vouloir répliquer à la guerre par la révo-lution revient à vouloir reconstituer"SPONTANEMENT" des facteurs révo-lutionnaires qui ont été désagrégés aucours de tout un processus historiquedont le terme ne peut pas être la révolu-tion, mais la guerre.

Il va donc de soi que les marxistes, touten rejetant ces mots d'ordre, doiventnéanmoins participer aux actions declasse qui peuvent surgir au seuil ou aumoment de la guerre, en posant devantles ouvriers la signification concrète detelles manifestations et en essayant desemer les germes qui s'épanouiront enconscience prolétarienne lorsque lesévénements de la guerre auront mûri lesconditions d'une situation révolution-naire.

Des possibilités d'un tel épanouissementne peuvent évidemment être maintenuesque si les communistes proclament quela lutte de classe ne peut être interrom-pue pendant la guerre, qu'il ne s'agit pasde la différer jusqu'à la période de paixni de la mitiger sous une forme ou sousun prétexte quelconque, mais que les ou-vriers doivent au contraire pouvoir en

élargir les bases en essayant de tirer partides situations tendues qu'engendre laguerre pour parvenir à les conclure parune rupture du front capitaliste.

Il est évident que, pendant la guerre, lalutte de classe ne peut se concevoir– tout comme pendant la période depaix – qu'en opposant chaque prolétariatnational à sa propre bourgeoisie, etqu'une telle position vaut pour les prolé-tariats des métropoles tout comme pourceux des colonies, ce qui découle del'appréciation que nous avons donnée dela dernière phase de l'impérialisme éli-minant toutes perspectives de mouve-ments nationaux bourgeois ou deguerres progressives. Elle vaut aussipour le prolétariat russe écrasé sous l'op-pression du centrisme, force contre-ré-volutionnaire au service du capitalismemondial.

La lutte révolutionnaire conséquente dechaque prolétariat contre sa propre bour-geoisie trouvera sa manifestation oppo-sée dans la moindre résistance del'appareil bourgeois qui se manifesteratant par l'approfondissement descontrastes sociaux à l'intérieur que parl'affaiblissement de la capacité de luttecontre l'antagoniste extérieur; Autrementdit, la lutte de classe sera conditionnéepar l'acceptation du défaitisme révolu-tionnaire. Lutter contre sa propre bour-geoisie, ce sera contribuer à sa défaitesans restriction aucune. Et il ne s'agitmême pas de réfuter la thèse contre-ré-volutionnaire qui affirme que puisqu'unesimultanéité dans tous les pays d'actesrévolutionnaires et défaitistes seraitimpossible à obtenir, la position du dé-faitisme est indéfendable.

Il est bien évident pour un marxiste quele défaitisme ne peut dépendre d'uneréalisation de sa simultanéité, mais quecette simultanéité – ou tout au moinsl'extension du défaitisme – surgit del'exemple d'actions défaitistes révolu-tionnaires données par un ou plusieursprolétariats ; tout comme un prolétariatne peut "attendre" pour faire son insur-rection que la révolution éclate à l'é-chelle internationale, tandis que l'inversese vérifiera toujours : à savoir que la ré-volution éclatera sur le secteur le moinsrésistant du front capitaliste en tantqu'expression d'une maturation interna-tionale des contrastes sociaux pouvantexploser en une révolution internatio-nale.

L'acceptation du défaitisme implique, enoutre, le rejet des formulations pacifistesformulées par les agents, conscients ounon, du capitalisme. Le prolétariat re-

pousse catégoriquement les motsd'ordre : "NI VICTOIRE, NIDEFAITE", "PAIX A TOUT PRIX", quipeuvent parfaitement convenir, parcontre, à la défense des intérêts de l'unou l'autre clan impérialiste, en fonctiondu rapport des forces antagoniques fluc-tuant dans le déroulement de la guerre.

Le désir de paix des masses, qui surgitinévitablement à un moment déterminéde la guerre, doit être orienté dans lavoie révolutionnaire. Le mot d'ordre depaix n'a pas en soi de contenu de classe.Il n'en acquiert que s'il se croise avec lesmots d'ordre de défaitisme et de guerrecivile. Le changement d'attitude des ou-vriers envers la guerre impérialiste setraduira par la renaissance de leurconscience de classe, seulement s'ils par-viennent à orienter leurs luttes vers la ré-volution sous la direction du Parti.

Mais, pas plus qu'il ne peut dépendre dela volonté de faibles groupes marxistesde renverser brusquement le cours desévénements conduisant à la guerre, pasplus il ne dépend d'eux de créer lesconditions d'une transformation de laguerre impérialiste en guerre civile, enlutte insurrectionnelle pour la conquêtedu pouvoir.

Une telle transformation ne pourra êtrele produit d'une action artificielle, maisse situera au terme d'une évolution dessituations et des événements dans le feude la guerre, au terme de maturité descontrastes sociaux et sous la poussée dela dislocation de l'armature capitaliste.La reconstruction du prolétariat révolu-tionnaire surgira d'une renaissance desactions de classe des ouvriers parvenantà se désintoxiquer de l'idéologie de laguerre impérialiste pour se pénétrer del'idéologie communiste, et à s'armer duprogramme de la révolution qui aura étéélaboré par l'avant-garde prolétariennedans le procès de maturation descontrastes.

Ce rapport n'aborde pas l'analyse desfacteurs qui peuvent conditionnerl'existence durable et l'expansion d'unerévolution prolétarienne, notammentpour ce qui concerne la notion de guerrerévolutionnaire. Il s'agit là d'un prob-lème dont la solution se rattache auxdonnées principielles qui découleront dela détermination de la fonction d'un Etatprolétarien et de sa gestion par l'Interna-tionale prolétarienne. Et c'est aux frac-tions communistes de gauche qu'ilappartiendra d'élaborer ces principesnouveaux qui viendront enrichir lascience marxiste.

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D'autre part, les considérations que nousvenons d'émettre quant à la lutte du pro-létariat pendant la guerre impérialiste nepréjugent évidemment pas des tâches

générales et programmatiques que lesfractions de gauche élaboreront et préci-seront au cours même du travail deconfrontation et de clarification idéolo-

gique qu'elles doivent engager sans re-tard.

Jehan (novembre 1935)Ligue des Communistes Internationalistes

Bibliographie ciblée

Revues des années 1920-39Bulletin communiste, 1924 à 1933.Contre-courant, 1927 à 1929.Bilan, 1934 à 1938.Octobre, 1938-1939.Bulletin de la Ligue des communistes internationalistes,(belge) 1932-1939.Communiste, (belge) 1937–1939.

Revues et journaux ultérieurs.Internationalisme, (première Fraction française) 1945 à1952.L’Etincelle, (première Fraction française) 1944-45.L’Internationaliste, (deuxième Fraction française) 1946.L’Internationaliste, (Fraction belge) 1945.Entre deux mondes, (Fraction belge) 1946.Le Prolétaire, RKD, 1945-46.L’Italia di domani, 1945-1946.Bulletin français de la GCI, (du PC internationaliste puis dePC International) 1952-1953.

Archives et Documents de L’IC.Archives de la Houghton Library de l’Université de Har-vard.Archives Perrone, BDIC et Fonds Perrone et son inventairede l’Université libre de Bruxelles.Archives Davoust, BDIC.

Livres et documentsPrésence Marxiste, Robert Camoin, n° 23-24, décembre2001.Cahiers du CERMTRI n°27 article de Catherine Legein.Les cahiers Léon Trotski, Institut Léon Trotski.Léon Trotski, Writings, Pathfinder Press, New York,Damien Durand, Opposants à Staline, L’Opposition degauche internationale et Trotski (1929-1930), La penséesauvage, Aubenas, 1988.Léon Trotski, Le mouvement communiste en France, Mi-nuit, Paris, 1967.Léon Trotski, Oeuvres, Institut Léon Trotski.G. Vereeken, La Guépéou dans le mouvement trotskiste, Lapensée universelle, Paris, 1975.Planète sans visa, Jean Malaquais, (roman) éditions Phébus,Paris, 1999 (réédition).

La gauche italienneThèse sur L’histoire de la ‘Gauche’ Italienne dans l‘émigra-tion : 1926-1945, Michel Roger, Paris, 1981.Contribution à une histoire de la Gauche communiste d’Ita-lie, publication du CCI, 1991.Contribution à une histoire de la Gauche communiste ger-mano-hollandaise, publication du CCI, 1990.Contribution à une histoire de la Gauche communiste enFrance, publication du CCI, 2001.La dégénérescence de l’IC : le cas du parti communistefrançais (1924-1927), Fraction interne du CCI, 2003.La critique de ‘Socialisme ou Barbarie’, Lucien Laugier,éditions du Pavé, Paris, 2003.

Aquoi reconnaît-on un groupe politiquede la Gauche Communiste internationale (GCI) ?

Aujourd’hui, un groupe appartenant à la GCI met en œuvre trois caractéristiques,

1/ faire une critique de gauche des positions politiques et théoriques de la III° Internationale ;2/ se rattacher au combat des Fractions de gauche de la III° Internationale et assumer un lienorganique avec ces dernières, notamment se concevoir explicitement comme continuateur desGauches communistes italiennes ou germano hollandaises.3/ se reconnaître d’une façon critique du programme de la III° internationale par opposition autrotskisme qui reprend intégralement les 4 premiers congrès de l’IC. Si l’on prend l’exemple de laGauche communiste italienne, cette dernière se rattache uniquement et de façon critique, aux deuxpremiers congrès de l’IC.

C’est toute la différence entre un courant ouvrier qui se réclame de toute une continuité politique, etdes ‘modernistes’ qui croient avoir tout inventé le jour de leur éveil à la politique et qui ne souhaitentsurtout pas se rattacher à la longue histoire du mouvement ouvrier qu’ils jugent dépassée ou ringarde.En tant que courants petits bourgeois, ils manifestent une grande prétention, ils croient tout connaîtreet avoir tout vu. Les courants dits « ultra-gauches » ne cherchent nullement à se rattacher auxGauches communistes et surtout pas s’en reconnaître. Voilà leurs caractéristiques essentielles.

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La Gauche communiste belge possède une place toute particulière au sein de la Gauche communiste.Elle était en prise avec la situation politique concrète belge. Elle a été un laboratoire politique trèsefficace pour la Gauche communiste Italienne malheureusement coupée de la situation italiennepuisque ses militants se trouvent en exil dans de nombreux pays du monde. La Gauche italienne areconnu l’expérience inestimable acquise aux côtés de la Fraction belge. Cette dernière a accompagnéle prolétariat belge tout au long de sa descente aux enfers depuis la fin de la vague révolutionnaire desannées 20 jusqu’à la deuxième guerre impérialiste mondiale en passant par sa préparation notammentavec la guerre d’Espagne. Elle a donc été de tous ses combats mais aussi de toutes ses défaites,jusqu’à la catastrophe finale, la guerre mondiale.

février 2005