· L ’ A B B A Y E FO N T EV R AU LT N O T I CE H IST O R I QU E ET AR CH ÉO LO G IQU E CHAPIT...
Transcript of · L ’ A B B A Y E FO N T EV R AU LT N O T I CE H IST O R I QU E ET AR CH ÉO LO G IQU E CHAPIT...
L’
AB BAYED E
O N TEVRAULTN O T ICE HIST O RIQUE ET ARGHÉDLO G IQUE
PA R
G . M A L I F A U D
Cap it ain e au 86° de l i gneMEMBR E D E LA SO C IET E FR AN "AI SE D
’
AR CH É O LO G I E
D E U " I "ME É D I T I O N
T O U R S
IMPR IMER I E D E J . B O U S ER EZ
1 8 6 8
I l es t écr it Ma maison sera une ma isonde pr ière e t vous en a—
vez fai t une cavernede vo leurs .
(Ér a ngz‘
l e se l on 8 . Lu c ,ch . "I " , 5 14, v er se t
L’
A B B A Y E
FO N T EV R AU LT
N O T I CE H IST O R I Q U E ET AR CH É O LO G I Q U E
CHAPIT R E PREMIER
O rigines de l’
O rdre de Fon tevrau l t . R obert d’
Arbrissel .
Quand on arrive , par la route de Loudun , sur la colline
qui dom ine Fontevrault , l’œil charm é découvre tout à coup
u n frai s vallon,au m ilieu duquel s ’élèvent de vastes édi
fices,une grande et m agnifique église
,des m onum ents
de couleur sombre et de form e bizarre,environnés de
m assifs de verdure, qu i les encadrent sans les cacher ce
sont les restes d ’
une riche et pu issante abbaye la plu s
rem arquable peut—être, qu i ai t jam ais exi sté dans le m on de
chrétien .
C’
es t dans ce vallon,alors inoul te et désert
, que pri t
naissance,vers l a fin du x i
° siècle,1 1 Uustre institu t mo
mastiqu e de Fon tevrault,form é de religieux des deux
sexes,soum i s à la juridiction spi rituelle et temporelle
d ’
une femm e et qu i vécut sept siècles en conservant cette
s ingulière constitution .
Nous allons essayer d ’
esqu isser son histoire . Si l ’on
visite ces m onum ents que le m arteau a respectés,quel
ques détails sur leur origine,leur u sage e t les personnages
qu i les ont habités , aj outeront sans doute à l’ i ntérê t
qu’
in spire toujou rs la vue de ces œuvres grandioses , éle
vées par la foi de nos pères et qui semblent défier l ’action
du tem ps .
Le fondateur de cet ordre célèbre fut un prêtre breton,nommé Robert d ’
Arb rissel,l ’un des prédicateurs ardents
dont la parole entraînait les peU ples à la délivrance du
tombeau du Christ . L ’ influence qu ’ il exerça sur son siècle
par son adm i rable éloquence , les conversions innomb ra
bles qu ’ il opéra,font de cet homm e
,aujourd ’hui presque
oublié,une des grandes figures qui caractérisent son
époque . Il naquit ( I ) vers 1 047 , à Arbrissel ou Ab ruissel ,petit vil lage du diocèse de Rennes son père D amal iochus
sa m ère O rguendis , étaient de simples paysan s et sa vie
se serai t sans doute écoulée tout entière dans la modeste
condition où l e hasard l ’avait fai t naître,si son in tel l i
gence précoce et un vif dési r de s’
in stru ire n ’avaient
i nspiré à ses parents la pen sée de le diriger vers le sacer
( 1 ) Le P . N ique t ;
9
-d 0 ce: En ces temps d e barbarie'
et d ’
oppression , c’étai t
en la seule carri ère ouverte à l’
enfant du peuple,
la — seule du m oins où il pu t trouver la science et la
liberté .
R obert fit ses prem ières é tudes dans -nu couvent du
V oisinage,qu ’il abandonna quelques années après
,pou r
aller chercher a Paris,les m oyens de compléter son ins
tra ction . Il s ’y fit bientôt rem arquer par son vaste savoi r
et surtou t par son éloquen ce douce et persuasive ; mais
les rares qualités de cette âm e d ’élite semblaient devoir
rester longtemps encore stériles, quand des ci rconstances
inattendues vinrent leur donner l ’occasion de se montrer
dans tout leur éclat .
Par une de ces bizarreries que l ’on rencontre souven t
dans l ’histoire du moyen âge,l e siégé épi scopal de
Rennes étai t occupé depui s peu * de temps par un vieux
chevalier , Sylvestre de la Guerche , très—recomm andable
par ses vertus et par la bravoure qu ’il avait déployée
avant de changer le casque pour lam itre,m ai s qui
,m al
heu reusem ent,avait trop longtem ps fai t la guerre pour
posséder toutes les qual i té s nécessaires à un évêque
au ssi chaqu e j our amenait—il de nouvelles complications et
le pauvre pasteq r , i ncapable de les résoudre , dem eurait
fort embarrassé du soin de condu ire son troupeau . Dans
sa peine , il se souvint de Robert , qu i était né son suj et e t
dont il conn ai ssai t le m érite i l l’
appela près de l u i pour
l u i confier,avec le titre d ’
archip ré tre ,le gouvernem ent
du dio cèse . Pendant quatre années,le vicai re de l ’évêque
I O
su t déployer , dans cette difficile m ission,toutes les res
sou rces du génie organisateur dont la nature l ’avait s i
largement doué sous son adm ini stration sage et vigen
reuse,l ’ordre et la paix renai ssaient partou t
,quand Syl
vestre m ouru t Robert restait désorm ais sans appui . La
haine de ceux qu ’
il ava 1 t j ustement froissés se déchaîna
contre l ui avec un e telle fureur,qu ’il se vi t forcé de cher
cher son salut dans l a fu ite il se retira à Angers et fut
appelé à l’
U n iversi té de cette ville,où il professa la théo
logie avec un succès éclatant .
Sa renomm ée se répandi t bientôt au dehors . De tou tes
parts,on vint écouter ses leçons ;m ai s aussi m odeste que
savant et lassé de l ’adm iration enthousiaste dont il était
l’obj et
,il parti t un jour sans rien dire de son dessein et
,
accompagné d ’
un vieux prêtre,qui avait consenti à parta
ger sa solitude,i l se cacha dans la forêt de Craon
,afin
de s’
y livrer à la vie contemplative . Sa retraite ne resta
pas longtemps ignorée elle fu t envahie par une foule
avide de se consacrer à Dieu sous sa direction . Après
avoir résisté quelque temps,vaincu par un e in"uence
secrète,il se résigna à la tâche qu i s
’
imposait a lui , et
se retira avec ses disciples dans l ’abbaye de Notre—Dam e
de la R o ê que Baignan t , seigneur de Craon , venait de
fonder .
Ce fut à peu près vers cette époque,que le pape
Urbain II vint en France pour y prêcher la croisade le
nom de Robert arriva j usqu ’à lu i et ce qu ’on disai t de sa
m erveilleuse éloquence l ui i nspira le désir de le co n
“
naître .
- Le nouvel abbé de Notre—Dam e de la Roe se
fit entendre pour la prem ière fois devant le pon tife ro
main,le I O février 1 096
,a l ’occasion de la dédicace de
l’église Sai nt—Nicolas à Angers , et tel fut l’effet produit
sur son illustre auditeu r p ar le charm e irrésistible de sa
parole, qu
’
U rbain s’
écria publiquem ent que le Saint-Es
prit lui—m êm e avait parlé par sa bouche . Il venait de
reconnaître en lui un auxiliaire trop précieux pou r“
n e point songer à l ’utili ser,aussi s
’
em pressa— t - il de
lu i donner,avec le titre de prédicateur apostolique
,l a
m i ssion de prêcher l a guerre contre les infidèles . Robert
parcou ru t les diocèses voi sins,où le succès couronna
partout ses efforts pendant que les seigneurs,ven
dant ou engageant leu rs biens,partaient pour la Terre
Sainte,des chrétiens
,qui cherchaient u ne voie moins
périlleuse pou r arriver a leur salut,s
’
at tachèren t en
foule a ses p as . C ’étai t,dit l ’historien de sa vie
,un
camp volant de véritables Israéli tes,qui ne marchai t
et ne s’
arrêtai t que sur son ordre Homm es,
femmes , honnêtes ou de m auvai se vie,de tout âge
,
de toute condition,mêm e la plu s illustre
,brisant
tous les liens sociaux,su ivirent l ’éloquen t apôtre a
la tête de cet te m u ltitude,gross ie chaqu e j ou r de
nouveaux convertis,il traversai t les villes et les cam
pagnes .
A rrivé su r les confins du Poitou,n o n loin des bords
( l ) l z l a B . l tober /c‘
a ucto re B a ld r z‘
co .
1 2
de la Loire,dans un vallon inculte et désert ( I ) , arrosé par
un e source abondante,Robert s ’arrêta Sa troup
'
e,‘
t rop nombreuse devenait de jour en jour plus difficile°
äcondu i re ; i l craignai t d
’
ai lleu rs de voir le désordre et’
la
licence se glisser au m ilieu de cette foule composée d ’
élé
m ents si divers,où les bonnes résolutions n ’étaient pas
encore bien afi’
erm ies .
Ce fut en cet endroit que,d ’
après les conseils et avec
l ’autorisation (3) de Pierre II , évêque de Poitiers , son am i,
il se déterm ina à fonder cet ordre dont la modeste o r 1gm e
ne pouvait guère alors fai re présager les illustres desti
nées . Son prem ier so in fut de séparer par des fossés
profonds les hommes,les femm es honn êtes et l es péche
resses converties ; des cabanes de feuillage , des loges
creusées dans le t uf,su r les "ancs du vallon , les abri
tèren t d ’
abord et,en m êmetemps entre les deux camps ,
s’
éleva un pe ti t oratoire sur les bords de l a fontaine .
Un brigand fam eux,dit la légende
,y avait autrefois
établi sa dem eu re ; il s’
appelai t Ev rau l t et l ’on montre
encore parm i les monum ent s de l ’abbaye,la tour qui
,
su ivant la tradition,l u i servai t de repaire .
Quoi qu ’il en soi t de l ’existence du redoutable person
( l V i l a B . Rober t i a u cto re Ba ld r z‘
co , p . 80 .
( 2) Plus de personnes .
(3 ) G a l l ia chr i s t im za , E ccl esz‘
a Pi cta cen s z‘
s, p . 4 3 1 4 . Chartes de
P ierre I I,évêque de Po i t iers
,en 4406
, por tan t confirmat ion du l ieude Fon tevraul t e t des b iens e t possess ions qu
’ i l pouvai t avo i r . (C a r t n
l a z‘
r e d e l’
a bba ye, tome I , p .
1 3
nage, qui a laissé son n om au pays , la forêt au m il ieu
de laquelle Robert s’était arrêté
,ne jouissai t pas d
’
une
bonne renomm ée,s i l ’on en croit une vieille chronique
de Tours (2 ) aussi les seigneurs auxqu els el le appartenai t
ne crurent pouvoir en faire un m eilleur usage que de la
céder à la pieuse colonie . Une noble dame,Aram bu rge ,
donna le vallon les com tes de Montreuil—Bellay,la terre
de Born et la forêt de Fontevrault ; Gauthier de Mon tso
reau et qu elques autres seigneurs suivi rent cet exemple,
et tous,nobles et vilains
,s’
empressèren t de porter des
vivres et des vêtements aux serviteurs de Dieu,en atten
dant qu ’ il s pu ssent se suffire à eux—mêm es .
Après avoir pourvu aux premiers besoins de ses di sci
ples,Robert les soum i t à une règle sévère . Peut—être
faut—il chercher dans un beau sentiment,les motifs qui
lui dictèrent les Constitutions de son Ordre les mœurs
barbares de l ’époque à laquelle il vivait,avaient fai t à la
femm e une posi tion bien humble dans la société son
gea-t—i l a l a réhabiliter" à préparer son ém ancipation
civile en lui donnant l ’ém ancipation religieuse" fut -il
seulem ent inspiré par sa dévotion pour la Mère du Sau
veur"On l ’ign ore .
( 4) Dans les environs de Fon tevrau l t , i l existe encore une port ion dece t te forêt , qui por te le nom de T r a n checo l , nom qui lui fut donné ,
di t-on, parce qu
’
Évraul t e t ses compagnons coupaien t la gorge aux
voyageurs qui la traversa ien t .
G a l l i a chr is t i a n a ,E ccl es z
‘
a P icl a cen s z‘
s, p . 4 343 .
( 3 ) Ibid ., p . 4 344 .
44
En tête de ses Constitu tions,il inscrivi t ces paroles du
Christ expirant à Mari e et à Jean son disciple bien-aimé
Mère,voilà votre fils ; fils , vo ilà votre m ère " et il en fit
l a base de la règle .
La femm e devait être tout dans l ’institut monas
tiqu e de Robert d’
Arb rissel ( I ) le religieux placé près
d ’elle,nou rri par elle et ne pouvant m ême disposer des
restes de sa table,n ’était qu ’
un serviteur soum i s à sa
volonté,comme un fil s doit ’ être à la volonté de sa
mère . S ingulier renversem ent des lois de l a nature et de
la société " De combien de critiques am ères , de calom
nies (2 ) m êm e , cette bizarre Constitution ne fut—elle pas le
prétexte " Elles empoisonnèrent les derniers j ours de
Robert et l ’on s ’en sert encore aujourd ’hui pour outrager
sa m émoire m ais l ’estim e dont il fu t honoré par les sei
gn eurs les plus illustres de son temps , qui lu i confièren t
(4 ) D’
après un savan t Bénéd ict in,R ober t n
’
aura i t fai t que sui vredan s ses Const i tutions
,un usage fréquen t à son époque . Lorsqu ’ i l
fonda son ordre , i l existai t déjà p lusieurs abbayes où l ’homme é ta i tsoumis . à la femme , en tr
’
au tres , les abbayes de Sa in te—Cro ix,
à Po i
tiers,de Sain te-Chris tine a Trévise
,de Sa in t—P ierre à Lucques . V oyez
D on Chamard , V ies d es sa in ts p ersonn ages d e l’
A nj on ,c ie d e R ober t
d’
A r br i ssel .
(2) V o ici ce qu’
on reprochai t à R obert Feminarum quasdam ,l
u t
dici tur,n im is famil iari ter tecum hab i tare perm it tis qu ibus pr i vata
verba sæpius loqueris e t cum ipsis et iam e t in ter ipsas , nee tu fra
queuter cubare non erubesms . H inc t ib i videris,u t asser is
,Dom in i
Sal vatoris d igne bajulare crucem ,cùm ext inguere conaris male ac
censum carn is ardorem . H oc s i m od o a g is , c el a l iqua nd ô eg i s l i ,
novum e t inauditum sed infructuosum genus martyrii inven is ti .
(Let tre de Geoffroy , abbé de V endôme , à R ober t d’
Arbrissel . )
A
2
Q
A
45
l ’éducation de leu rs enfan ts,le respect que n e cessèrent
de lui porter les religieux de son ordre et l es précautions
infinies qu ’il prit pour séparer les deux sexes,témoignent
assez hautem ent con tre d ’
odieu ses allégation s qui ne repo
sent sur aucune preuve sérieuse . La sévérité de la règle
s ’accorde m al d ’
ailleurs avec les habitudes que l ’on prête
au vénérable fondateur .
Les religieuses et rel igieux devaien t observer le
silence le plu s rigou reux ; i ls ne pouvaient user que de
sign es et seulem ent pour les choses absolum ent n éces
saires ( I ) .
Leurs vêtem ents devaient être fai ts des plus viles étoffes
du pays et de la couleur naturelle de l a laine
Il était expressément ordonné aux religieux de ne point
m anger de viande,et de n e b o ire qu ’en très—petite quantité
le vin qu i fait mêm e apostasier les sages
Et,comm e si Robert eût voulu prévenir la m édisance
,
qu i s’
attaque aux choses les plus respectables,il défendi t
aux prêtres de pénétrer dans le lieu réservé aux sœurs,
sous quelque prétexte que ce fût les m alades ne pouvaient
recevoir les derniers sacrem ents que dans l a chapelle de
l’
infirm erie .
Quand l ’une d ’elles était m orte,les religieuses l ’en seve
l i ssaient , après l ’avoir revêtue d ’un cilice,et portaient
C on s t i t u t ion s d e Rober t , 5 I ,
(2 ) I d .
(3 ) R egn l a o rd in i s Fon t i sebr a ld i, cap . xcv
, p . 477 .
1 6
son cercueil près de la grille,dans la grande église ; le
prêtre en dehors m ontait à l ’au tel et disait les prières ;
l ’office terminé,tou tes se retiraient dans leurs cloîtres
,
excepté la célérière ( 1 ) et l’une des anciennes
, qu i restaient
pour ouvrir la grille ; les frères en leva1 en t alors le cer
cueil et l ’en terraien t dans le cim etière commun,sans
qu ’ il fût j am ais perm i s aux sœurs d ’aller au lieu de la
sépu lture
(4 ) La célérière étai t chargée de l’
en tret ien et de la d istr ibut ion detous les objets n écessaires au dor to ir pour le repos des sœurs
,au
réfectoire pour leurs repas et à l ’infirmerie pour les so ins à donner auxmalades . (R egu la ord in is Fon t isebr a l d i
,cap . xxx1
, p .
(2) C ons t i tu t ions de R ober t , 5 V II .
CH API T R E I I .
Fondation du Grand-Monastère . Extension cons idérab le de l ’O rdre .
Cho ix d ’
une Abbesse,chef sp iri tuel e t tempore l . Mot i fs al lé
gués par le fondateur pour fa ire tomber ce cho ix sur une femme
p lutôt que sur une vierge élevée dans le c loî tre . Pé tron i l le de
Chemil lé, premiére abbesse de Fon tevrau l t . Mort de R obert
d’
Arbrissel .
Quand les prem i ères difficultés d ’
un établi ssem ent aussi
considérable furent vaincues,et que Robert eu t donné des
lois aux ( 1 ) religieux des deux sexes , qui compo
saien t désorm ais l ’O rdre de Fon tevraul t,i l songea à leur
construire des dem eu res plus favorables à l’
ob servan ce
de la règle,et su rtou t plus comm odes . Les devoirs de son
apostolat , qu’il ne cessai t point de rempl ir
,ne lui permirent
pas de s ’occuper lui-m êm e de l ’édification des bâtim ents
d ’
ailleurs ces détails répugnaient à son génie ; il en com
m it le soin à H ersende de Champagne,veuve du seigneu r
( 4) Servos e t anc i l las D ci plus quam ad duo ve l ci rc i ter ad triam il l ia congrcgav it . » ( V i l a B ea t i I l o ber t i , a n e/o r e l l a l d r i co , p .
2
1 8
de Montsoreau,et à Pétro n il le de Chem i l lé
, qui’
fut l a
prem ière abbesse de l ’O rdre .
Bientôt,grâce aux m agnifiques présents qu i l recevait
des m ains les plus illustres de vastes et beaux édifices
s’
élevèren t là , où ,quelques années auparavan t
,i l n
’
y
avait qu ’
un désert . Quatre couvents furent bâtis,voisins
,
m ai s complétem ent séparés les uns des autres le Grand
Moutier,où i l plaça 300 dam es l es plus instruites ;
'
la
Magdelaine, où les pécheresses converties pouvaien t
expier les déréglem en ts de leur vie passée ; Saint—Lazare
ou Sai nt-Ladre,pour les laïques des deux sexes atteints de
la lèpre,cette affreuse maladie si commune au m oyen
âge et enfin Saint—Jean—de—I ’H ab it,réservé aux religieux.
L ’
activité de Robert et la sagesse avec laquelle il diri
gea l ’établi ssem ent de son œuvre,lui donnèrent en peu
de temps une grande extension le nombre de ses
disciples s’
accrut s i rapidem en t que,d ’après le tém o i
guage de l ’abbé Suger (2) , m ini stre de Loui s le Jeune , l’
ab
baye renfermai t à son époque près de religieu ses . Des
fam il les entières,acco
'
urant à Fontevrault , y consacraient
leurs personnes et leurs biens au service de Dieu ; la
charité des seigneurs semblai t inépuisable , et les donation s
atteigni rent un chiffre s i élevé,que quelques années seu
lement après sa fondation,et du tem ps m êm e de Robert
( 4) Les se igneurs de Loudun , de Mon treu i l —Be l lay et de Mon tsoreause charg
‘
eren t d’élever a leurs frais l es bât imen ts du Grand-Mout ier .
(D om Chamard,V ies d es sa i n ts p er sonn ag es d e l
’
Ani ou , p . 4 9
(2) Let tre de l’
abbé Sugar au pape Eugène II I . Le P . N ique t .
20
secret,les raisons qui l ’avaient di rigé
,et leur demanda
s ’i ls étaient résolus à persévérer dans leurs prom esses,
ce qu ’ il avait accom pl i n ’
ayant eu d ’au tre bu t que les
servantes du Seigneur
Tou s renouvelèrent leur vœu ;m ais , quoique leur adhé
sion don nât à Robert la certitude que sa volonté serai t
respectée,il vou lu t
,avant d ’exécuter le projet qu ’il m édi
tait,l e soum ettre à un e assemblée de dignitai res eccl é
s iast iques . Les évêques et les abbés des diocèses voisins
se rendirent à Fontevrault su r sa pri ère il s ’
ouvrit à
eux du dessein qu’ il avai t form é de choi si r une femm e
pou r être le chef Spirituel et temporel de l ’O rdre,et dis
euta longuem ent les m otifs qu i devaient fai re tomber ee
choix sur u n e religieuse ayant passé un e parti e de sa vie
au m il ieu des orages du m onde .
Comm ent,leur dit— il
,un e fille élevée dès son en
fance dans l a sol itude e t le cloître,qui n ’
v a appri s
qu’
à chanter des psaumes et des hym nes,pourra—t-elle
bien garder notre tem porel N ’
ayan t jam ai s appliqué
son esprit qu ’
aux choses spirituelles,et n ’
ayant ni
l ’u sage du m onde,ni des affai res de la terre
,pou rra
t —elle,dans les occasions
,prévoi r et dissiper les fourberies
ordinaires,et rom pre les m échants desseins des gens
de m auvai se foi avec qui i l faudra qu ’elle trai te " Où
trouvera-t-elle l ’adresse n écessaire pou r fai re un bon
choix de ses offici ers,et avoir l ’œil su r eux san s leur fai re
(4 ) V i ta B . Ro ber t i , a n eto r e F. A nd r ea , Bea t i Rober t i confesso re et so cio .
2 1
parai tre de défiance "Qui l ui apprend ra à converser
sagem ent et ingénieu sem ent avec les grands
Les raisons alléguées par Robert étaient trop évi
dentes pou r ne pas convaincre ses auditeu rs ; il s approu
vèren t sa résolution et l ’invi tèren t a choisir parm i les
dam es celle qui possédai t au plu s haut degré les qualités
nécessaires au chef d ’un Ordre au ssi considérable . Pour
donner à cette élection un caractère plu s so lennel,i l
convoqua sept mois après un e nouvelle assemblée de
gens sages qu’ il voulai t consul ter sur l a perso nne a la
qu elle il dés i rai t conférer'
l e titre d’
abb esse . C ’étai t
Petronille de Craon veuve du seigneur de Chem il lé,
dont il avai t pu apprécier l ’intelligence dans les fon c
tions de pr ieu re,qu ’elle avait remplies au m om ent le
p lu s difficile de la fondation de l’
O rdre . T ou s‘
applaud iren t
à ce choix,que les religieux des deux sexes aocueil l iren t
avec la j oie la plus vive une seule personne en resta
consternée ; ce fut Pét ron il le ,dit—on ; m ai s n i ses larm es
n i ses prières ne purent changer l a résolution de Robert .
La satisfaction de voir enfin son Ordre à l ’abri des
incertitudes sembla rendre pou r quelque temps des
forces au vénérable fondateu r . I l se hâta d ’en profiter
pour dem ander au Pape . de confirm er l e lect io n de la
nouvelle abbesse,et
,toujours préoccupé du succès de son
œuvre , il reprit , m algré ses souffrances,les pénibles
voyages qu ’il fai sai t au trefoi s pou r visi te r les m onas
( 4 ) V i ta Il . I to ber t i , / I nd r ea , p . 477 .
(2) D om Fleury .
22
tères et en achever l ’organisation . So n corps,u
'
sé p ar
l’
âge et l a m aladie,ne put résister longtemps à cette der
n ière épreuve ; un jour, épuisé par la fièvre,il
'
fut obligé
de s ’arrêter à Orsan,petit village du Berry
,où il avait
fondé un couvent .
La maladie fit des progrès rapides ; bientôt tout espoir
de le sauver fut perdu ; le n om de Fontevrault revenai t
souvent sur ses lèvres ; on l’
en ten dait se plaindre de
m ourir lo in d ’un lieu qui lui était s i cher . Léger,arche
vêque de Bourges , son am i , était venu l’
assister dans ses
derniers moments .Pétron il le,abbesse , et Angarde , prieurédu Grand-Monastère
,m andées par un exprès
,accoururent
à l a hâte .
Quelques instants avant de m ourir,Robert recommanda
ses filles à so n am i et lui exprim a le désir d ’ê tre inhumé
à Fo n tevrau l t , au milieu de ses religieuses et de ses ma
lades ; i l ne réclama pour sa dépouille mortelle que la
boue du cim etière priant que la mort même ne l e
séparât point de ceux qu ’il avai t tant aim és pendant sa vie
et,le salut de son œuvre l ’in spiran t encore a cette heure
suprêm e,il ajouta que si plus tard quelques-uns de ses
enfants,oubliant leurs prom esses
,se laissaient entraîner
par l ’esprit de révolte,l a vue seule de sa tombe suffirait
pour les ram ener à des sentim ent s meilleurs .
L’
archevêque refusa d’abord de promettre à son ami d ’o
b éir à sa dernière prière il dési rait garder près de lui
( 4) V i ta B . Rober t a“
, A nd rea .
cette préci euse relique,e t d ’ailleurs les habitants d ’
O rsan
craignan t qu ’on ne v înt l ’en lever,faisaien t su rveiller toutes
les 1 ssu€s du village . Enfin,après bien des supplications
,
Léger eon sen t it au dési r de Robert , qui rendit le de rniersoupir
—
le 2 1 avril 1 1 1 7 emportant le consolant espoir
de repo ser bientôt dans ce monastère , berceau de l’
O rdre
que so n génie avait créé il était âgé de soixante—dix ans .
A insi m ourut cet homm e extraordinai re,à qu i des en
n em is,jaloux de s a gloire , n
’
épargn èren t aucune des per
sécu tion s qui accueillent trop souvent les novateu rs
heureux . Il suffit,pour l ’adm irér
,de l ’étudiér dans ses
œuvres ; car personne a son époque ne connu t m ieux
que l ui les res sorts secrets qu i font agir l’
âm e huma ine,
et ne su t plus habilem ent les fai re servi r a ses dessein s .
Par l ’ incroyable pui ssance de sa parole il rem ua des
m illi ers d’homm es
,les pou ss a vers l ’O rien t
,et contribua
ainsi à la transform ation sociale qu i n aquit des croi sades .
Mai s,triste destinée de l ’homm e de génie dont nous avons
raconté la vie l son nom était au trefoi s dans toutes les
bouches,i l éveille à peine un souveni r parm i nou s ce
qu ’on s ait de son histoire,ce sont ses pré tendues fai
blesses ; les grandes choses qu ’ i l a faites sont oubhees l
On peut apprécier la vénération dont Robert étai t
l’obj et par les honneu rs qu i l u i furent rendus . Sa m or t
fu t considérée comm e un m alheur public de toutes parts
les personnages les plus illustres accou rurent à ses ob
sèques Léger,archevêque de Bourges , R adu lphe , évêque
d’
Ange rs , des abbés , des prêtres sans nombre , Foulques
24
le Jeune , com te d’
Anjou ,et un e foule con sidérab le d e
seigneurs se joigni rent aux habitants de Fontevrault qu i ,l a tête et les pieds nu s m algré la rigueu r de l a sai son
allèrent eu—devan t du cercuei l déposé dans l ’égli se de
Candes,au con"uent de la Loire et de la Vienne .
Ce fu t au m il ieu d ’
un concours imm ense de popula
tions en deuil que le corps fut transporté au Grand—Mo
n as tère le prem ier j our,i l reposa dans l ’église du Grand
Moutier,pui s u n j our dans chacun des prieu rés de la
Magdelaine,de Saint—Lazare et de Sai nt—Jean-de— I ’H ab it .
Il fut en suite exposé sur le parvi s de la grande égli se . On
raconte qu’
à ce m om ent,Robert étant dans sa bière
,à
découvert,revêtu de ses habits sacerdotaux
,un seigneur
du pays,nomm é Geoffroy de Ful cré
,s ’approche du m ort
et lu i fit donation de deux fiefs,dont il l ’invest it
,comm e
s ’ il eût é té vivant,en lui m ettant
,su ivant la coutume de
l ’époque,un cierge allum é dans la m ain Le vénérable
fondateur avai t m anifesté le désir de reposer dans le
cim eti ère comm un ; en ne sou scrivit poin t à sa prière .
Ses restes furent inhum és,près du grand au tel sous u n
m odeste m ausolée . On y voyai t sa statue,revêtue d ’
hab its
sacerdotaux,avec le bâton pastoral et l ’ann eau au doigt .
C ’était désorm ai s su r Pétron il le de Chem il lé que
reposai ent les destin ées de l’
O rdre quelque temps
avan t sa m ort,Robert avait abdiqué toute son au torité
en tre ses m ain s,et don n é a ses religieux l’exemple de
(4) Charte 432 du cartulaire de l’
Abbaye , ci tée par le P . N iquet .
2 5
l ’ob é i ssance qu i l eur é tai t imposée . Il avai t du reste confié
le … so in de continuer son œuvr'
e*
à une femm e de tête et
de cœu r,dont l ’activi té et l a v igilance ne se ralentirent
pas un seul instant ; douée d’
une adm i rable beauté , d’
une
intell igence rare,elle j oignai t à ces précieux dons de l a
nature u n e parole élégante et facile et un caractère d’une
énergie peu comm une . I l fallait en effet de la résolution
et de la sagesse pou r gouverner cette grande famille de
Fontevrault,dispersée par toute la France , et a laquelle
sa prospérité touj ou rs croi ssante su scitait de redoutables
ennem i s . Qui le croirai t " le plus acharné de tous fut un
évêque U lgériu s , évêque d’
Angers . Sept ou huit ans
après la m ort de R obert,u n différend s
’
éleva entre l ’ab
besse et lu i à propos d ’une m i sérable propriété ( 1 ) les
conséquences en furent terribles ; les gens de l’évêque
abattirent les m ai sons,ru inèrent les biens de ceux qui
soutenaient les droi ts des religieuses,et les choses en
vinrent a un tel point que saint Bernard,abbé de Clair
vaux,et l e pape Innocent II furent obligés d ’intervenir .
Ce ne fu t pas l a seule persécu tion que Pétron il le eu t à
souffrir; m ai s son âm e,vigoureusem ent trempée
,ne se
lai ssa point décou rager,et
,guidée p ar les enseignem ents
du m aî tre don t l ’espr i t étai t touj ours vivan t dans le
(4 ) Lis orta est prop ter nescio quam (u t loqu i tur Bernardus) possessiunculam maled 1 c tam
,No te du Père Mabil lon , manuscri t
de la b ib l io thèque d’
Angers , car ton 792.
O n pense que l’
obje t de ce d i fférend é tai t l ’hôte l de la Haute-Mule ,qu i servai t à loger les rel igieux de l
’
O rdre envoyés à Angers pouré tud ier à l ’ U n ivers ité de ce t te v i l le . (No te de l ’auteur . )
26
m onastère , elle poursuivit l’achèvement de son œuvre
elle visita les cours des roi s et des grands partout,son
adresse,les charm es de sa personne et l ’estim e qu
’
in sp i
rait sa vertu lui gagnèrent les cœurs et assurèren t le succès
de ses entrepri ses .
Sou s sa forte e t prudente admin istrati on l’
O rdre
v int au comble de la prospéri té elle mourut le 24 avril
1 1 49,après avoi r gouverné 34 ans .
28
6 . Ma thi l d e I I I , m ourut en 1 207 .
7 . Ma r i e d e C ham p agn e , duchesse de Bou rgogne ,
m ouru t le août 1 208 .
8 . A l ix d e B o u r go gn e , fille de Eudes II,duo de Bour
gogne,m ouru t le 1 0 octob re 1 209 .
9 . Al is o n d e C ham p agn e , fille de Thibau lt IV ,com te de
Bloi s,petite-fille de Louis VII
,roi de France m ou ru t
le 29 octobre 1 220 .
1 0 . B er th e,m ourut le 25 mai 1 228 .
1 1 . Ad èl e d e B r e t agn e , m ourut le 1 1 octobre 1 24 4 .
1 2 . Mab i l l e d e l a Fe r t é,m ou rut le 2 1 octobre 1 265 .
1 3 . J e an n e d e B r en n e , fille de Robert III,com te de
Dreux,descendant de Loui s le Gros
,m ourut le 2 m ai
1 276 .
1 4 . I s ab eau d’
Av o ir , m ourut le 2 juin 1 284 .
1 5 . Ma r gu e r i te d e Po c ey , m ourut le 1 octobre
1 304 .
1 6 . Ah en o r d e B r e t agn e , fille de Jean I I,duc de Bre
tagne,et de Béatrix
,fille de Henri III
,roi d ’
Angleterre
mourut l e 1 7 m ai 1 342 .
1 7 . I s ab e a u d e V a l o is , arrière—petite—fil le de saint Louis ,
mourut le 1 1 novembre 1 349 .
1 8 . T héo ph e i gn e d e C ham b o n ,m ou rut le 1 3 août
1 35 3 .
29
1 9 . J e a n n e d e Ma ugey , m ou rut le 2 m ai 1 372 .
20 . Al ix de V en t ado u r,m ourut le 1 1 octobre 1 375 .
2 1 . Al i en o r d e Pa r then ay ,m ouru t le 1 2 janvier
1 38 1 .
22 . B l an che d ’H a r c o u r t , cousine germ ain e de Char
les VI,roi de France
,m ou ru t le 1 3 octobre 1 43 4
23 . Ma r ie d’
H a r c o u r t,m ourut le 1 4 décembre 1 4 5 1 .
24 . Ma rgu er i t e d e Mo n tm o r en cy , m ourut le 1 3 avril
1 4 5 2 .
2 5 . Ma r ie d e Mo n tm o r en cy , fille de Mathieu de Mont
m orency ,connétable de France
,m ourut le 1 2 février
1 4 5 7 .
26 . Ma r i e d e B r e t agn e , cousine de Louis XII,roi de
France,m ouru t le 1 9 octobre 1 477 .
27 . An n e d’
o r lea n s , sœur de Lou i s XII , roi de France ,m ourut le 1 9 septembre 1 49 1
28 . R en ée de B o u r b o n ,fille de Jean II
,com te de V on
dôm e,trisaïeu l de Henri I V ,
roi de France,mourut
le 8 novembre 1 5 34 .
29 . L o u i s e de B o u rb o n,m ou ru t le 2 1 septembre
1 5 75 .
30 . E l éo n o r e d e B o u r b o n,m ourut le 26 mars 1 6 1 1 .
3 1 L o u i s e de B o u r b o n de L a v eda n ,m ourut le 1 1 jan
vie r 4637 .
30
32 . J ea nn e-Ba p t is t a de B o u r bo n , 1 1 1 16 de H enri IV,
roi de .Fran ce,m ourut le 46 j anvier 4670 .
33 . Ma r ie -Mad e l a in e-G a b r ie l Ie-Ad el a‘
i d e d e R o che
cho u a r t d e Mo r tem a r t d e V iv o s n e,m ourut le 1 5 août
1 704 .
34 . L o u is e-Fr an ço is e d e R o ch echo u a r t d e Mo r t em a r t ,
m ouru t le 1 6 février 1 742 .
35 . Loui s e-C la i r e d e Mo n tm o r in d e S a in t—H er em ,
gouvern ante des quatre princesses du sang,filles d e
Louis XV,qui furent élévées à Fontevrault
,m ouru t en
1 75 2 .
36 . Ma r ie—L o u is e de T h im b r u n e de V a l en ce , mourut en
1 75 5 .
37 . J u l i e-5 0 ph ie—G i l l e t te d e G o n dr in de Par dai l la n
d’
An tin ,m ou rut en 1 793 .
Les fai ts et gestes des premières abbesses nous sont
peu connu s,et l ’épitaphe de l ’une d ’elles peut résumer
tou te leur hi stoi re : « El les vécurent pieusem ent, gou
vern èren t pai siblem ent , et m ou rurent saintem ent l ) ;
m ais n e négligèrent sans doute pas les intérêts temporels
de l ’O rdre,dont les richesses devinrent incalculables .
Les rois d ’
Angl eterre surtou t se montrèrent ses pro
tecteurs dévoués (2) et lui firent des dons magnifiques
(4 ) Le P . N ique t .
(2) Let tres de R ichard Cœur-de-Lion ,char les 23 et 24 , carton 4
-5 0 ,
anciens t i tres , archi ves de l ’Abbaye .
( 3) Bul le du pape H onoré I I I .
Ils étaient com tes d’
Anj ou , arm a1 en t les bord s de laLorre ,
et avai ent une prédilection toute particulière pour le
u monastère de Fontevrault,où plusieurs princesses de
* *Ieur fam i lle avaient p I'
l S le voile ; car il s le visitèrent sou
vent,et voulu rent y reposer après leu r mort . Les beaux
ombrages de l ’abbaye semblai ent,dit-on
,avoi r pour
Henri II un charm e i rrési stible : il en fai sait le but de
fréquentes excursions,et l ’o n montrai t encore
,il y a
soixante an s,le Pont—aux-Nonnains ( 1 ) qu
’il avait fait con
stru ire su r la Vienne à Chinon , et par lequel il passai t pour
se rendre à Fontevrault .
On sait quelle fut la triste fin de ce prince : j uste,h"
m ain,généreux
,adoré de ses suj ets qu ’i l nourrissait de
son épargne dan s les tem ps difficiles,i l m ourut victime
de l ’ ingrat itude de ses fil s,Richard Cœdr—de—Lion et
Jean Sans—Terre,qui s ’étaient Iigués avec le roi de France ,
son m ort el en nem i,pour lu i ôter sa couronne . Forcé de
signer un trai té désavantageux,après avoir vu ses Etats
envahis et ses villes prises,Henri II
,accablé de douleur
,
se retira à Chinon,où il tomba m alade . Sen tant venir la
m ort , i l se fit porter dans l’une des églises du château et
expira,après avoir prié l ’archevêque de Bourges d ’
ac
compagner so n corps à l ’abbaye fondée par Rober t d’
Ar
b rissel .
Deux jours après,l e funèbre cortège se dirigeai t vers
Fontevrault le m on arque infortuné étai t couché dan s sa
( 4 ) Touchard -I .afosse , La Lo ir e h i s to r iqu e , p . 22 .
32
bière,revêtu de ses habits royaux
,la couronne d ’or sur
la tête,le sceptre a l a m ai n
,l ’épée au côté
,quand paru t
tou t a coup Richard Cœu r—de—Lion,le fils rebelle . Comme
il s ’
approchai t du cercueil,le sang en rui ssela de tou tes
parts,et le peuple épouvanté interpréta cette perte de
sang comm e un cry de vengeance contre Richard ,
qui avoit fai t m ouri r son père de douleur
A la v ue de ces restes in anim és,le prince farouche
s’
at ten drit,les larm es jaill i rent de ses yeux et n e cessèren t
de couler pendant tou te la cérém onie . Le corps de
Henri I l fu t déposé sous la clôture des religieuses,dans
u n caveau,
.qui prit le n om de cim etière des Rois . Là,re
posèrent plus tard,auprès de l ui
,Richard Cœu r—de—Lion
son fils,et É léonore de Gu i enn e
,sa femme
,qui
,après sa
m ort,prit le voile à Fontevrault ; le cœur de Jean Sans
Terre fut placé dans un e coupe d ’or à ses pieds . On voyai t
encore leurs tombeaux avant l a Révolution mais a cette
époqu e,l a fureu r populaire
,qui ne respectait m êm e pas
le repos des m orts,viola leur sépulture et j eta l eurs
cendres au vent . Ingrati tude née de l ’ignorance,
car
Henri fut le bienfai teur de l ’Anjou Cette magn ifique
levée qu i protège le pays contre les débordem ents d ’un
"euve capricieux fu t son ouvrage i l fit bâtir l ’H ôtel-Dieu
d’
Angers pour les pauvres m alades , et quelques-unes des
institutions utiles dont i l dota ses Etats de France sub
sistent encore . Ce prin ce m ou ru t pleuré de ses sujets
( 1 ) Le P . N iquet .
(2) Bod in , R echer ches sur l’
A nj o u .
33
il s n ’
avaient point oublie qu ’en 1 1 76, pendant une
affreuse disette,on distribua par son ordre et a ses frai s ,
depuis le moi s d ’avril ju squ ’à l a récolte,le blé et le vin
nécessaires pour nou rri r personnes par j our
Les roi s d’
Angleterre n’étaient pas les seuls protecteurs
de l ’abbaye de hauts personnages la visitaient souvent
et leurs bienfai ts les au torisaient même à pénétrer dans
l ’intérieur,comm e l ’in dique un fait
,exagéré sans doute
à dessein par l’écrivain (2) qui nou s l
’a transmi s .
Un prince,dont l ’histoi re a cru devoir tai re le n om
,
étant entré dan s la parti e du m onastère réservée aux
sœu rs,rem arqua
,parm i el les une j eune fille dont la rare
beauté le frappa d ’
adm i ration . Oubliant le respect qu ’ il
devai t à la sain teté du lieu et celui qu ’i l se devait à lu i
m êm e,i l osa charger un de ses gentilshomm es d ’
ap
prendre à l a j eune religieuse l ’im pression qu ’elle avait
fai te sur lu i . Frappée de honte et de douleur,elle de
m anda a l ’indign e m essager , ce qui , dans sa figure , avait
plus particulièrem ent séduit le prince Ce sont vos
yeux,lui dit—i l . Attende z m a réponse s ’eoria—t—elle
et elle s ’éloigne . Quelques instants après,la porte se
rouvri t et la n ob le fille reparu t,les orbites sanglants
,
tenant su r un plat ses yeux qu ’elle s ’étai t arrachés et
qu ’elle tendit au misérable il recula d ’horreur et s ’enfu it
épouvanté .
Pénétré du plus vif repentir pou r un m alheur dont i l
( 4) Touchard-Lafosse , La Lo i r e his to r iqu e .
2) Jean V al lée , re l igieux de Fon tev . C a n t iqu e d es C a n t iq ues , p . 5 0 .
34
étai t cause et qu il ne pouvait réparer,le prince se retira
,
après avoir enrichi par des dons considérables,ce mo
n astère,où la vertu inspirait de pareil s actes d ’
hér0 1 sm e
Les prem ières années de l ’ordre de Fontevrau lt s ’étaient
écoulées dans un e paix profonde ; ses richesses augmen
taien t sans cesse et l a prospér i té du présent semblai t
présager un long avenir de calm e et de bien être,m ais
les mauvai s j ours ne tardèrent p as‘
a venir . Une adm inistra
tion san s énergie,des prodigal i té s aveugles et su rtout les
exactions des gen s de guerre, qu i metta ient la France au
pillage,firent passer l ’O rdre
,m algré ses biens imm enses
,
par toutes les épreuves de l a p lus affreu se m isère . Elle
devint telle sous Mathilde de Flandres,
cinquièm e ah
besse,que le chapitre général
,convoqué pour régler des
affa ires u rgentes , ne put être assemblé , à cause,disai t
elle dans sa lettre aux Pr ieu res,de l ’excessive oherté
du blé et de l ’extrême pauvreté des religieuses de Fon
tevraul t Les luttes incessantes des Anglai s et des
Françai s accru rent à un si hau t degré l a détresse dans
laquelle le Grand—Monastère étai t plongé,qu ’il se vit ré
duit a la douloureuse nécessité de faire m endier ses rel i
gieux (3) et que les religieuses furent forcées de vivre du
travail de leurs m ains .
La pauvreté met souvent l a désunion dans les fam illes ,
( 4) Le P . N ique t , p . 4 4 . Ce fai t donna l ieu a la fondation du cou
ven t de Sain t-Benoît dans l’
Abbaye .
(2) Le P . N ique i .
( 3 ) Mandemen t de l’
Evêque de Chartres , c i té par le P . N iquet .
On ne pouvait fai re d ’
ailleurs un choix plu s sage en un
pareil m om ent,car T héopheign e étai t un e femm e d ’
une
intelligen ce et surtou t d ’
une ferm eté rem arquab l es . Sous
son gouvernem ent sévère,l a paix reparut dans l ’O rdre
pendant son règne de quatre an s, peu de religieux osèrent
songer à l a révolte,m ais il fut m alh eureusem ent de t rop
cou rte durée,pour détru i re sans retour cet espri t d ’
indis
cipl in e qu i étai t devenu une habitude dans les couvents .
Quelques instants avant de m ourir,T héopheign e se fit
porter dans l ’église,ainsi que le permettaient les con s titù
tions de Robert et rendit le dernier soupir au milieu des
religieu ses assemblées . La crosse tombai t à peine de sa
m ain m ou ran te que ce feu, qu i couvai t sous la cendre , se
réveilla dévorant les luttes recomm encèrent et i l fallu t
l ’inte rvention du pape Innocent VI,pour faire reconnaître
Jeanne de Maugey , qu i lu i avai t succédé sur le siége ah
batial .
Le”
relâchem ent de la discipline fut la triste censé
quen ce de cés troubles continuels ( 1 ) le désordre,favori
sant la dissipation de revenus énorm es avait produit
partou t la m i sère : l es constitutions de Robert n ’étaient
plus observées m algré la défense expresse (3) du fondateu r
les rel igieux s ’étaien t imm iscés peu à peu dans l ’adm i
( 4 ) Le P. N ique t , p . 349 .
(2) Gi lles , so ixan te-quatormeme évêque de Nevers fut délégué en 4297
par Bon i face V I I I , pour régler le n ombre des rel igieuses du G rand
Monas têre à l ’occasi on d ’
une grande d i ssipat ion de revenus, qui é tai t
survenue . Le P . N ique t .
(3) C on s t i tu t ion s d e R ober t , 5 I l .
n istrat ion du temporel e t avaient fini par l’
usurper entie
rem ent : l ’autorité de l’abbesse était souvent m éconnu e
quelques m aisons même lui rési staient ouver tem ent
encore u n mom ent et la ruine de l’
O rdre était consomm ée ,
s i une prompte et sévère réform e n’
arrêtait les progrès
du m al .
-Marie de Bretagne comprit que là seu lem ent était le
salut : elle exposa cette déplorable situation au pape
Pie II,le suppliant d ’y porter rem ède il se rendit à sa
prière et délégua ( 1 ) G uillaume Chartier , évêque de Paris ,
l es abbés de G orm eri,d
’
Airvau l t et le doyen de l’ égli se de
No tre-Dam e de Paris pour faire un e enquête et procéder
à l a réform at ion .
Après un examen approfondi,les comm i ssaires d u
Saint—Siégé reconnurent qu ’il n ’étai t pas possible de rê
m ettre l ’O rdre dans son prem ier esprit et qu ’i l fal lai t m o
difier l es con stitutions de Robert pou r en atténuer la
sévérité . Ils allèrent j u squ ’à au tori ser les religieuses à
sorti r de leurs couvents avec l a seule perm ission de l a
Prieure . Cette prem i ère réform e parut tou t a fai t in suffi
san te aMarie, qu i abandonna Fontevrau lt et se reti ra au
m onastère de la Magdelaine près d ’
O rléan s,où le vœu de
clô ture étai t observé et où elle se proposai t de préparer
u ne réform e plus sérieuse . Pendan t seize an s,elle y tra
va l l la san s relâche,fit recueilli r les sta tuts de l ’O rdre
,les
o rdonn an ces des abbesses qu i l’
avaien t précédée e t les
Bu l le da tée de Man toue 4 45 0 .
38
p résenta au pape Sixte IV,en le priant de les exam iner
e t d ’en appuyer l ’exécution de son autorité apostolique .
Le 28 avril 1 474,il délégua les archevêqu es de Lyon
,
de B ou rges,de Tou rs et qu elques autres dignitai res
ecclésiastiques,avec plein pouvoir pour les réviser et y faire
les m odification s qu ’ il s jugerai ent nécessai res . La nouvelle
règle fu t prom ulguée qu elque tem ps après les reli
gieux des deux sexes furent m is en dem eu re de l’accepter
ou de la refuser ; huit m ai sons seulement consentirent à
l a su ivre et Marie m ourut,sans avoir vu ses efforts cou
ron nés de succès .
Ce fut surtou t chez les religieux que ces tentatives de
réform e sou levèrent les réclamations les plus vives . Soit
par inexpérience des affaires , soit plutôt par insouciance ,
les Prieures des couvents leu r avai ent abandonné presque
complétem en t l ’adm ini stration du temporel aussi se
résignaient—ils avec peine à qu i tter les positions,qu ’il s
s ’étaient créés,pour redescendre au m odeste rôle que les
Consti tu tion s de Robert leur avaient assigné . Quand on
discuta les articles de l a nouvelle règle,i ls dem andèren t
la faveu r d ’
assister,comm e ils l ’avaient fai t j usqu ’
à ce j our,
les abbesses,leurs m ères
,dans l ’administration des biens ,
suppliant qu ’on leur épargnât l ’hum il iation de voir confier
ce soin à des personnes sécu l ières . Leu r prière étai t sans
doute désintéressée,m ais l ’expérience du passé avai t ou
vert les yeux à l ’abbesse et aux délégués du Saint-Siège
(4 ) Le P . R i que t, p . 382 e t 386 .
39
jugeant qu ’une pareille concession serait dangereuse,ils
furent u nanim es pour la refu ser : cependant , comme en
définitive,les rel igieux étaient directement intéressés au
bon état des affaires,il fut décidé
, qu’
à l ’avenir,la reddition
des comptes au rait l ieu devant le Père Confesseur assi sté
de deux frères
( 4) R egu l a O rd . Fon t i seb . , cap . xxxrv, p . 45 4 et 4 5 3 .
CH API T R E I V .
La R éformation (sui te) . R enée,Louise et Jeanne-Bap t iste de Bour
bon . D e la jur id iction sp ir i tuel le et temporel le des abbesses .
Démêlés de l ’O rdre avec les évêques au sujet de la confession desR e l igieuses. La l inot te du pape Jean "" I I .
Renée de Bourbon fut plus heureuse que Marie dans
ses essais de réform at ion,m ais au prix de quelles luttes "
Tourmentée par une cruelle maladie,elle oublia ses souf
frances pour ne songer qu ’à l ’œuvre dont l ’accompl isse
ment lui avait été légué . Cependant ses efforts seraient
sans doute restés stériles,si elle n
’
eût trouvé dans sa
fam ill e des auxiliai res pu i ssants dont le concours ne lu i fit
jam ais défaut .
Renée aim ait les religieuses dont le sort lui était
confié,elle étai t bonne
,m ais elle étai t femme
,ambitieuse
,
et il m anquait à sa royauté le plus beau fleuron de sa
cou ronne,Fontevraul t
,car le Grand—Monastère ne voulai t
pas de la réfo rm a tio n . La bul le de Sixte IV à l a
42
m ain,elle invoqua l
’
autorité du roi,celle du Parlement
et fit condu ire de gré ou de force en d ’
autres bouven ts…
tous les religieux ou religieu ses, qu i refusaient d
’
obéir
à la nouvelle règle . Ce ne fut p as sans peine cependant . Le
1 2 octobre 1 5 05,les religieux qu ’elle avait exilés de
l ’abbaye,y revinrent sans son autorisation
,pénétrèrent
dans le couvent de l ’H abit et en chassèrent les frères ré
formés . Le roi,averti
,envoya aussitôt un conseiller du
Parlem ent de Paris . M . le prince de Condé,frère de
R enée,lui prêta ses gentilshomm es
,pour m ettre à la
raison les rebelles, qu i , obligés de céder , vinrent à la
grille du Grand-Moutier supplier l ’abbesse de les recevoir
à m i séricorde . Elle pardonna et,le 26 j uillet 1 5 1 7
,m ai
t resse enfin de ce m onastère dont elle avait fa it presque
un désert,elle y inaugu ra le décret de réform at ion .
Ces actes de vigueu r achevèrent de briser les résis
tances et presque toutes les m aisons consent i rent à
adhérer aux nouveaux statuts aussi quand,après qua
rante—troi s années d ’
un règne agité,Renée sentit la vie
lui échapper,elle dut reposer ses regards avec un légitime
orguei l,sur les quatre R qu ’elle avait fai t sculpter dans
sa modeste cellule aux quatre coins de son écu et qui
disai ent toute son histoi re
R en ée, R el igieuse, R éform ée, R éform an te .
Elle légua la crosse abbatiale a Louise de Bourbon,sa
n ièce,don t le gouvernem ent fu t plus calm e malgré les
guerres de rel igion qu i désolaient la France .
44
de Bourbon et le scandale qu ’ils causèren t ne dura pas
moins de vingt an s . Les rebelles osèren t compose r contre
l’
Abb esse de grossiers pamphlets, qui , par arrêt du Parle
m ent,furent lacérés devant la grille du couvent des Filles
Dieu,à Paris
,et les procureu rs des religieux
,auteurs des
libelles,se virent contraints par ordre du roi de se p ré
senter devant l ’abbesse et de fai re am ende honorable .
Ce fu t le dernier effort de ces révoltes, qu i , pendant
près d ’un siècle et dem i,j etèrent la désunion dan s l ’O rdre
et en comprom irent souvent l ’existence . Elles euren t
presque touj ou rs pour cau se,les tentatives faites par les
couvents pour se soustraire à la j uridiction des abbesses et
les m esures énergiques prises par celle—ci pour m ainteni r
leur autorité .
La puissance spiri tuelle,qui leur avait été conférée par
les Constitutions de Robert et l es bulles pon t ificales , étai t
très-étendue relevant directem ent du Saint—Siège de qui
elles tenaient leurs droi ts spirituel s,elles ne les exerçaient
point elles—mêm es,mais les déléguaient a des vicai res
choisis par elles parmi leurs religieux et révocab les . à leur
volonté .
Le seul fait de leur nom ination donnait à ces vicai res
le droit de v isi te, c’est—à—dire
,le d roit d ’user des censu res
ecclésias tiques non—seulem ent contre les personnes
(4 ) Les vicaires exerçaien t ces dro i ts , quand beso in é tai t . O rd inariaipsius abba tissœ auctori tate . Bul le de C lémen t V l l . R eg . O . Fo n t i s
ebra ld i, p . 342 .
(2) Jusqu’
à l’
excommun ication,i nclus i vemen t .
4 5
appartenant à l’
O rdre,m ai s encore contre les sécu liers
pou r les crim es et délits comm i s dans l ’enceinte des
prieu rés .
Le Saint—Siège éta it représenté par un v isi teur ap o ÿsto
l igue, él u pou r trois ans , et choisi par la communauté
parm i les religieux in struits,âgés de plus de quarante
an s ( 1 ) chaque année,i l con trôlait l ’administration de
l’
Abbesse et des Prieu res et prononçait,qu and il était né
cessaire,en vertu de l’au torité qu i lui était dévolue . Sa
visite ne pouvait,sauf les cas extraordinaires
,durer plus
de six j ours,pour chacun desquels
,il lui était alloué un
dem i écu d ’
o r,payé par la comm unauté
,sans qu ’ il lui fût
perm i s d ’exiger davantage
N u l ne pouvait être adm i s dans l ’O rdre sans l a li cence
de l ’Abbesse qu i avait au ssi le droit de nomm er les
confesseurs des couvents et de les révoquer
C ’était particuli èrem ent pour remplir les fonctions sacer
dotales que Robert avai t placé des religieux près des
sœurs,aussi exigeait-on de ceux qui se présentaient a la
profession des mœu rs non suspectes et une instruction
très-étendue Compter au nombre des confesseurs était
un honneur généralem en t accordé aux prêtres âgés que
leur expérience et l eur sagesse en rendaient dignes ; le
( l ) R eg . O rd . Fon t . , cap . L"" , p . 245 .
(2) Regu l a O rd in is Fon t i sebra ld i , cap . L" ", p . 247 .
(3) Manuscri t appartenan t à M . Chr is taud ,d irecteur ac tue l de la
Ma iso n cen trale .
(4 ) R eg . O r . Fo n t,cap . p . 287 .
46
choix qu ’on en fai sai t était entouré d ’une foule de c—pré
cau tions . Le Père confesseu r,prieur de Saint-Jean-de
l’
H ab it, qu i , depuis l a réfo rm at ion
,étai t le supérieur des
religieux présentai t à l ’Abb esse u n certai n nombre
de candidats don t il était responsable vis a vis d ’elle,
et parm i lesquels,elle désignait ceux qu ’elle voulait
nommer .
Ce droit leur fut,à plu sieurs repri ses
,contesté par les
évêques,dans les diocèses desquel s se trouvai en t les cou
vents une polémique très—vive s ’engagea entre eux et les
religieux de l ’O rdre, qu i regardaien t avec raison comm e
une de leurs plu s belles prérogatives celle de diriger > la
conscience de leu rs rel igieuses . De volum ineuxm émoi res (2)
furent rédigés a ce suj et,et il serait auj ou rd
’hui fort
curieux d ’exam iner les raison s alléguées par les parties
adverses pou r conquérir ou conserver ce précieux pri
v ilége .
Les dam es de Fontevrault trouvaient déjà fort désa
gréab l e d’
avou er leurs péchés à leu rs frères , si l’on en
croit u n e anecdote racontée par Rabelais et dont nous lui
laissons toute l a responsabilité (3)
J’
ai ou ï compter,dit— i l
,que le pape J ean XXII
,pas
sant u n j our par Fontevrault,fut requi s de l ’Abb esse
et des Mères discrètes,leu r concéder un i ndult
,m oyen
n an t lequel se pu ssent confesser les unes ès aul tres,
( 4 ) R eg . O rd . a t ., cap . v i
, p . 5 3 .
(2) Manuscri ts de la b ibl io thèque d’
Angers , carton 792 .
(3) R abelais , t . I I, p . 40 .
A
A
A
A
A
A
A
A
A
A
A
A
I'\
A
A
A
A
l\A
47
alléguant que les femmes de religion ont quelques
p etites im perfection s secret tes,lesqu el les honte in sup
portable leur est déceler aux homm es confesseu rs : plus
librem ent,plus fam il ièrem ent les diro ien t unes aux
au l tres soub s le sceau de confession .-I l n ’y ha rien
,
respo ndit l e pape , que volontiers ne vou s o ctroye ;
m ais j ’y voi un inconvénient,c
’est que l a confession
do ib t être tenue secrette ; vous au l tres femm es a peine
le céleriez . Très—bien,dirent— elles
,et plu s que ne
font les homm es . Au j ou r propre,le Père sain ct leur
bailla une boite en garde dedans laquelle il avoit
faict mettre une petite linotte,les priant doucettem ent
qu ’elles l a serrassent en quelque lieu sûr et secret,
leur prom ettant en foi de pape,octroyer ce que por
toi t leur requeste,si elles la gardo ien t secrette . Ce
n éan tm o in s leu r fai sant deffen se rigou reu se qu ’elles
n’
eussen t à l ’ouvri r en façon quelconqu e,
so ub s
peine de cen sure ecclésiastique et d ’
excomm un icat ion
éternelle . La defien se n e fu t sito st faiete,qu ’elles gril
lo ien t en leu rs entendem ents d ’
ardeu r de voir qu’
esto it
dedan s et leu r tardo it que le pape fut ja hors pour y
vaquer . Le Père sain ct après avoir donné sa benedic
tion sus elles,se retira en so n logis . Il n ’
éto i t encore
troi s pas hors l’
abbaye,quan d ces bonnes dam es
,
tou tes à la fo ul le,accou ruren t pou r ouvrir la boite
deffendue e t voi r qu’
esto i t dedans .
Au lendem ain,le pape les vi sita en in ten tion (ce
leur semb lo it) de leu r d0 5 pechcr l’
indul t ; m ais avant
48
d’
entrer en propos comm anda qu ’on lu i apportast sa
boite : elle l ui fut apportée,m ai s l ’o iselet n ’y esto it
plus .
Adon cques leu r rem ontra que chose trop difficile
leur sero i t receler les confessions,vu que n
’
avo ien t si
peu de temps tenue en secret la boite tant recom
mandée .
Si les bonnes religieuses de Fontevrault n’
ob t in ren t‘
pas du pape le droit de se confesser en t r ’
el les,elles co n
servèren t du m oins celui de n’
avouer leurs fautes qu ’à
l eurs religieux . Mai s quelqu e honorable que fût pour
ceux— ci une m i ssion aussi délicate,elle ne suffisait pas a
leur am bi t ion a plu sieurs repri ses ils se joignirent aux
adversai res de l ’O rdre pour décliner la j uridiction spiri
t uel le des Abbesses, qui fut confirm ée cependant par les .
papes a chaque contestation,et le 1 5 décembre 1 638
,l a
cause ayant été portée devant les docteu r s de la Sorbonne,
par Madam e Jeanne—Bap ti ste de Bourbon,l a sacrée Fa
cu l té répondit après mûre dél ibération qu ’en sa qualité
de Chef et Générale de l ’O rdre,Madam e l ’abbesse avai t
vraie j uridiction spirituelle sur les religieux des deux
sexes
Leur j uridiction tem porelle n’étai t pas m oins étendue .
Comm e el les avaient l a surintendan ce des biens , nu l n e
pouvai t agir en contracter (2 ) san s leu r perm i ssion elles
( 4 ) Le P . N ique t .
( 2) Cartulaire de l’
Abbaye , manuscri t de Jean Lard ier , R . de F. t . 1
b is, p . 835 .
49
annulaient les contrats passés par les Prieures au p réju
dice de leurs maisons,obligeaient les adm inistrateurs des
couvents à leur rendre com pte de leur gestion et punis
saien t les délinquants .
Elles pouvaient nomm er su spendre ou révoquer les
Prieures et les autres dignitai res ou officiers de l ’O rdre,
défendre aux personnes, qui leur étaient soum ises , de com
paraître devant les vicai res des évêques soit comm e
tém oins,soit autrement et avai ent le droit d évoquer tou tes
leurs cau ses au gran d con seil .
Des privilèges au ssi considérables,u ne autorité aussi
absolue sur un Ordre,comprenant cinquante—trois m onas
n astères,et comptant par centaines les villes ou
’
villages,
qui lui payaient des redevances,expliquent assez pou r
quoi,depuis Robert
,le titre d ’
Abb esse fu t ambitionné
par des femmes de la naissance l a plus illustre .
Parm i les trente— sept dames qui gouvernèrent Fonte
vrau lt , o n ne compte pas m oins de quinze princesses de
sang royal et parm i les religieuses plusieurs reines (2) et
une multitude de j eunes filles,appartenant à l a plus hau te
noblesse de France o u d ’
Angleterre .
(4 ) Archi ves de l’Abbaye , charte 26 , carton 4
-5 0 .
(2) Eléonore de Guienne, re ine de France , pui s re ine d’
Angleterre ,Bertrade de Mon tfort
,reine de France
,e tc .
, priren t le vo i le à Fon tevraul t .
5 2
fit en collaboration avec Racine la traduction du Banquet
de Platon Tous ses contemporains ont tém oigné la pl us
vive adm i ration pou r son m érite , et les lettres de M… de
Sévigné,écho des brui ts de son tem ps , p arlent dans les
term es les plu s fl atteu rs de l a distinction de cette femm e
aim able Au ssi appréciée à la cour brillante de Lou i s " I V
qu e dans son abbaye où elle étai t adorée,elle lai s sai t
tous ceux qu i l’
appro chaien t , éblou i s et charm és . Malgré
l ’existence m ondaine a l aquelle les i ntérêts de son Ordre
et la position de sa sœur la condam n aien ty sa réputation
resta toujours sans tache,exemple rare dans une cour
où les désordres du Roi autorisaient bien des faiblesses "
Elle déploya dans le gouvernem ent de son imm ense com
m unau té les talen ts les plus rem arquables,et m ouru t à
Fontevrault,âgée de 5 9 an s
,regrettée de tou s ceux qu i
l ’avaient connue et surtout de son Ordre, qui l
’avai t sur
n omm ée la R ein e des Abbesses .
On voy ait avant la Révolution,dans l ’une des salles
de l ’Abb aye , son portrait,avec ces vers
,expression
exacte de la vérité .
Cette femm e illu stre éclataPar un profond savo ir , rare au temps où n ous sommes ,
Et par ses vertus m éritaL
’
hon n eur de comman der aux hommes
( 4 ) I l exi ste à la Bib l iothèque d ’
Angers un très-beau P laton qui aappar tenu à Mm e de R ochechouart ; son nom y est écr i t de sa main .
(2) Lacour , Mon um en ts de l’
A nj ou , Fon tevra u l t .
(3) Bodin ,Recher ches su r l
’
A nj ou , t . I I , p . 64 4 .
'
La prospérité dont il j o u l ssai t ,'
eu t pour l ’O rdre des
conséquen ces,moins apparentes
,m ai s plus graves peut
être que les troubles dont nous avons raconté l’histoi re .
Las visites deM… de Montespan à sa sœur et le séjou r de
Mesdam es de France,qui furent élevées à l ’abbaye
,appri
rent a laCour le chem in de Fontevrault . Des fêtes m on
daines succédèrent aux pieuses m éditations sou s les em
brages du Grand —Mo nastère et altérèrent bientôt la
s implicité des premiers temps . On ne saurai t l ire , sans
être touché,l a lettre pastorale de la dernière Abbesse
,où
la m ère désolée rappelle ses religieu ses a l ’ob servance de
la règle et aux sentim ents de piété qu i doivent anim er les
servantes du Seigneu r Cette Abbesse,avec laquelle finit
l’
In st i tu t m onastique de Robert d ’
Arbrissel,étai t“Mm e d
’
An
tin,fil le du duc d ’Épern on ; elle succéda , le 5 août 1 765
,à
M… de Valence et sa prise de possession fu t l ’occasion de
cérém onies et de réj ou i ssances, qu i eu rent , hélas "un triste
lendem a in . Une religieu se de ce temps nous en a lais sé la
relation fidèle on lira,sans dou te avec quelque intérêt
,
ces lignes écrites à la veille de ce j our d ’orage, qui em porta
tou tes les viei lles institu tions ; le sentim en t d’
aveugle con
fian ce qu ’elles respirent tém oigne assez de quel les illu sions
on se flatta i t dans le pai s ible m onastère .
(2 ) Le son des cloches nous ayant averties d’
aller
Le t tre pas torale de Mm e d’
An t in aux p rieures ,du 1 9 juin 4786 ,
manuscri t de la b ibl iothèque d’
Angers , carton 792 .
( 2) Manuscri t de la sœur de l’
H osp i tal , R o l igieuse de Fon tevraul tb ib l io theque d
’
Angers ,car ton 792 .
5 4
à l ’église en habit de chœu r,les religieux de Saint-Jean
de-I ’H ab i t s ’y rangèrent par dehors . On leur fit part des
lettres de Mesdam es de France et de celle de Mou sei
gueur l ’évêqu e d ’
O rléan s,chargé de la feu i l le des b én é
fices, qu i m andaient à Madam e
,sa nom ination de l a part
du Roi
Aussi tôt que les bulles d institution furent arn
vées,on envoya chercher un notaire apostolique du dio
cèse de Poitiers pou r les porter à l ’O fficial auqu el elles
étaient adressées,quoiqu e nou s soyons dépendan tes
imm édiatem ent du Sai nt—Siégé . Mai s comm e i l avai t
m andé qu ’il ne viendrai t pas les fulminer , on les lui
envoya par le no tai re apostoliqu e,avec un officier de
l ’abbaye auquel on confia l a profession de foi de Madame
l’
Abb esse et les dépositions de l a Mère Prieure du
cloître et des anci ennes,
ainsi que celle du Gran d
Prieur de Saint—Jeann e— I ’H ab it sur la vie et les mœurs
de Madam e . Elle avait invité le Sénéchal de Saumu r
et un ecclésiastique du dio cèce de se trouver a Fonte
vraul t pour assister a cette cérém onie comm e tém oins ;
le Grand Prieur fut chargé de tenir l a place de l ’O fficial .
Les personnes,dont nous avons parlé
,étant revenu es
de Poitiers,apportèrent la procuration de l ’O fficial
,et
le m ercredi 1 0 ju illet,la comm unau té se rangea au
chœur . Vers 1 heu re on ouvrit la grande grille ;l e Grand Prieur a l a tête de ses religieux
,accom pagné
du notai re apostol ique,des deux tém oins et des officiers
de l ’abbaye , traversa le chœur et invita Madam e l’
Ab
A
A
A
A
A
AA
AA
AA
AA
AA
A
A A
AA
AA
AA
A A
AA
AA
AA
AA
AA
AA
AF\
5 5
besse à se rendre au chapitre . Elle se m i t à sa place
de Grande Prieure,les religieuses du chœu r dans les
hauts bancs,nos religieux dans les places qu ’ il s o ccu
pent en ces occasions . Le Grand Prieu r,le notai re et les
deux témoins se placèrent près du si ége abbatial . On l u t
les bulles,on dem anda à la comm unauté et aux reli
gieux, s’ils reconnai ssaient Madam e d ’
An t in pou r leur
Abbesse la Prieure du cloître et le Gran d Prieur
ayant répondu pour tous,le Grand Prieu r l ’in tron isa
dan s son siège abbatial ; la m ère Sacri stine traversa le
chœur portant l a crosse de l ’abbaye,qui est toujou rs
dan s le trésor . Aussitôt le Grand Prieur l a présenta à
Madam e avec les sceaux .
Après un T e D eum , on m ena Madam e au chapitre,
on y lu t le b refdu Pape et on la fit asseoi r sur le siège
abbatial . De là,on l a condu i si t au réfectoire
,on la fit
asseoi r a sa table et on dressa procès—Verba l de sa prise
de possession . Madam e retou rna au chapitre su ivie des
religieu ses du chœu r et y installa comm e Grande
Prieure,Madam e de Flam arens . Elle se rendit ensu ite
au logi s abbatial,tandis que les au tres supér ieures et
le couvent placèrent au chœu r la nouvelle Grande
Prieure dans son siégé .
Les troi s jou rs su ivants,la communauté a régalé
Madam e,l a Mère Grande Pri eure
,l a Mère Prieu re du
cloître et les relig ieu ses ont été adm i ses tour a tou r à
ces repas . Le prem ier j our,les pensionnai res vêtues en
be rgères,réci tèren t u n dialogue en vers composé par
5 6
un de no s religieux sur la joie publique e t les b elles
qual ités de Madame V ers hui t heures du soir; il
parut au bou t du j ardin de l ’abbatial,un feu d ’artifice
,
qui réussit assez bien .
Le 5 août,Madame a t enu le chapitre général de
l’
O rdre ; la veille, un de no s religieux sou tint une thèse
de théo logi e au grand parloir , dédiée à Madame;. e l le
y assista accompagnée de la Grande Prieure'
et de sa
Chapelaine,tou tes trois ‘en hab it de chœur s
’
y
trouva nombreux auditoire et à chaque argument, en y
fit l ’éloge de Madam e . Le lendemain matin,les com
m issaires des couvents présentèrent à Madame les
lettres qui lui marquaient celui que leur communauté
avai t élu pour Visi teur de l ’Abbaye . Elle donna ensuite
AA la l i ste des confesseurs,qu ’elle plaçait dans les cou
vents,aux religieux qu ’elle avait nomm és pour ses
vicaires,dans les quatre provinces de France
,de
Gu ienne,d
’
Auvergne et de Bretagne , ce qui leur donne
droi t de Visiteu r apostoliqu e pendant les trois années
de leur vicariat ; Madam e leu r donna les sceaux et les
pouvoirs scellés .
Le dern ier j our , 68 d’
août,les religieux vinrent de
leur couvent dans notre égli se,re‘vêtus d ’
ornem en ts
sacerdotaux et apportèrent processionnellem en t le”
Saint
(4 ) Les Dames de Fon tevrault é taient en t ièremen t v êtues de b lanc ,
sauf le vo i le qu i é tai t no ir : dans les cérémon ies , e l les prenaient l’
ha bi t
d e chœu r , qu i con si stai t en une longue robe d’
êtamine no ire, passée
sur les au tres vê temen ts .
5 7
« Sacrement , firent troi s tours dans l’
église saluen t Ma
u dame l ’Abbesse , deux a deux , chaque fois qu’
il s pas
serent devant la grille , où elle étai t sur son prie—Dieu ,
la crosse auprès d’elle … . A 2 heures
,il y eut encore
u ne thèse de théologie soutenue par un en tré religieux ;
Madame y reçut des complim en ts comme à la première .
Le jour du chapitre , les religieux ti rèrent sur les had
teurs d es bois un feu . d ’artifice,qui se pouvait voir de
to us côtés .
Les habitants ont aussi donné des marques de leur
j o ie par des illuminations
D epuis qu elques années,les idées avaient m arché ;
l’
O rdre de Fontevrault subit de vives attaques , m ais l es
temps étaient bien changés à la veille de 89,on se
préoccupa i t beaucoup m oins des droits spirituels des
Abbesses que des p riviléges exorbitants dont leurs biens
j ouissaient . Ce fut pour en obteni r l a confirm ation que
Madam e d ’
An tin se rendit à Paris,peu de temps après sa
prise de possession,sou s le prétexte de se faire béni r . La
nouvelle Abbesse fut bénite par l’évêque de Chartres ,
premier aum ônier de l a Reine,dans l ’abbaye royale de
Saint—Cyr,en présence de Mesdam es V ictoire et Sophie
de France, qu i avaient é té élevées au Grand—Monastère et
d ’une illu stre et nom breuse assemblée .
Aussitôt après cette cérém on ie,Madam e d ’
An tin com
m ença ses dém arches, qui ne durèren t pas m oins de deux
an s, quo iqu
’
el le comptât des protecteurs ju squ e dans la
fam ille royale . Elle ob tin t enfin les lettres patentes s i des i
5 8
rées, qui exemp ta ien t de tous subsides, ta i l les, ga bel les,
n on —seu lem en t les officiers et ferm iers, m a is en core les do
m est igues de l’
a bbay e san s en l im i ter le n om bre et la dégre
v o ien t du décim e de guerre, imp ôt auquel le c lergé lu i
m êm e éta i t soum is .
Heureuse de ce triomphe inespéré,Madame d ’
An t in
s ’empresse de reveni r à Fontevrault,où elle fut reçue avec
les dém onstrations de la j oie la plus vive .
( 1 ) Madam e passe par Saumu r,où on lui rendit
de grands honneu rs,l ’abbaye ayant un dom aine fortA
étendu dans cette ville . Nos officiers et un e compagn ieA
de 5 0 cavaliers , composée des principaux bourgeois ,
partirent de grand m atin pour l ui fai re escorte . Madam e
l’
Abb esse arriva à Fontevrau lt vers les onze heures , ,
lesA
gardes de l a prévôté de Saum ur l ’accompagnèren t (etA
c’est leur devoi r) , 1 2 cerab in iers d
’
un régim ent, qu iA
étai t en garnison à Saum ur s ’y joignirent,6 d
’
en tr’
euxA A
j ouèrent de l a "ûte,de l a trompette et du hautbois
,A
tant que dure la m arche . En entrant dan s le bourg,leAA
sénéchal de Saumur,qui l ’avai t au ssi accompagnée
,laA A
harangue . Elle trouve sou s les arm es,tambou r battant ,A
tous les dom estiques en habits et chapeaux bordés d ’or,
A
le drapeau a ses arm es,les gardes et le suisse de
Fabbaye . ) i
Madam e d ’
An t in y fit son entrée dans son carrosse,
(4 ) Manuscr i t de la Sœur de l’
l Iosp ital . Bibl io thèque d’
Angers ,
carton 792 .
60
eurent aboli les p riviléges et déclaré les biens“du elerg
‘
é ë
propriétés nationales,des comm is sai res se présentèrent a
l’
abbaye , en emu l sèren t les habitants et en prirent posses3
s ion au n om de la loi .
Quel s regrets durent attri ste r l ’âme des pauvres reli
gieu ses , exilées de cette demeure qu’elle s aima ient e t où
beaucoup d ’
en tr’
el les avaien t toujours vécu depuis leu r
en fance "Quelles craintes durent les assailli r,au moment
de rentrer dans cette société,don t les sépara i ent leurs
c royances,leurs préj ugés et qui se m anifestait à elles par
un tel acte de rigueur " Heureu ses encore celles à qui il
restait une fam i ll e ; les au tres n’eu rent pour vivre que la
m odeste pension allouée par l ’É tat en échange de leurs
b iens et les secours que leu r offra ient les personnes touchées
de leur m isère .
Les jours de la Terreur arrivèrent les vas saux de
l ’abbaye,qui avaient m angé le pain des religieuses et
courbé si souvent leur front devant elles,accoururent en
foule pour se venger d ’
une oppression qu i s’étai t toujou rs
tradu ite par des bienfaits,et cru rent
,en détru isant tou t
,
faire acte de ci toyens libres . Les au tels furent profanés,les
écu ssons brisés,les statues des Rois m u tilées ou traînées
dan s l a boue et les cendres de ces m orts illustre s j etées au
vent .
Quand la fureur popu laire fut assouvie,les portes de
l ’abbaye se referm èrent et longtem ps l ’herbe crut dans les
cloîtres déserts et sur le parvis des nefs silencieuses .
Auj ou rd ’hu i de tou t ce t Ordre imm ense,il ne reste plus
64
qu ’un petit couvent a Chem ille humble débris de ce
grand naufrage le m onastère de Robert d ’
Arb rissel est
un e Maiso n de force et de correction
Ce couven t a deux pet i tes succursales,l ’une à Brioude (Haute
Loire ) , l’
au tre à Boulaur (Gers ) . La dern ière re l igieuse de l’
abbayede Fon tevrau l t est morte en 1 85 4 à Chemi l l é . E l le étai t âgée de 90 ans .
N ée "
l e 34 janvier 4764 , el le se nommai t El isabeth - Jeanne —Bapt isteG uy
—O -Thro,et étai t fi l le d ’
un r iche armateur de N oirmoutiers : e l lefit ses vœux le 44 mars 4784 . (Godard-Faul trier ,
R ép er to ir e a r cheo
l og ique d e l’
A nj ou , année 4860 , p .
CH API T R E V I
LES MO N UMEN T S D E FO N T EV R AU LT
L’
Égl ise du Grand-Mout ier . Le tombeau de R obert d’
Arhrissel .
Le c imet ière des R o is . Les Cloîtres . Le R éfecto ire . La Sal ledu Chap i tre . La Fontaine Sain t—R obert ou Fon t-É vraul t . La
Tour d ’
É vraul t et la chapel le sépu lcrale Sain te—Catherine‘
.
L‘É g l i s e d u G r a n d -Mo u t i e r .
Malgré la destruction d ’une grande partie des anciens
bâtim ents,les modifications apportées à ceux qu ’on a
conservés et les con structions nécessitées par la nouvelle
destination qu ’on lui a donnée,l ’abbaye de Fontevrault
est digne de fixer l ’atten tion des curieux et des archéo
legues car tous les genres d ’architecture,depuis la fin
du x i ° siècle jusqu ’au xvm "
,s ’y trouvent réunis .
Le plus beau reste de l ’ancien monastère est l ’égli se
du Grand—Moutier,bien que ce rem arquable édifice
66
ait subi des transformations, qui ont complétement
al téré sa physionom ie prim itive . commencée en 1 1 0 1
ou 1 1 02 ( 1 ) et achevée vers le m il ieu du xn° siècle
,el le
appartient par ses caractères architecton iques à la
période rom ane secon dai re,époqu e à laquelle le style
bysan t in vint modifier p rofondément le rom an . La
seule partie qui ait été respectée,et qui comprend les
transepts et l ’abside,sert aujourd ’hui de chapelle aux
détenu s u ne rangée de colonnes à chapi teaux frustes,
supportant des petites arcades byzantin es d ’une élégante
simplicité,règne autou r du chœur et form e des bas—côtés
sur lesquels s ’ouvrent des chapelles rayonnantes . O n sait
que dans la symbolique des églises,cette disposition
,com
mun e au moyen âge,représente la couronne d ’
ép in es pla
cée au tour de l a tête du Christ,dont le corps est figu ré
par la nef et les bras p ar les transepts . Dans l ’une de ces
chapelles,on voyai t avant Louise de Bou rbon de Levedan
le tombeau de Pierre II,évêqu e de Poitiers
,am i de R 0
bert d ’
Arb rissel leurs cendres furent réunies par ordre
de cette Abbesse et placées sou s un mausolée qu ’elle fit
constru ire en 4623 .
L ’égli se du Grand—Moutier présentait autrefois cinq
m agnifiques coupoles reposant sur d ’immenses ares à plein
cintre,dont une seule
,celle du chœur , sub siste encore telle
qu ’elle étai t au xue siècle ; les autres ont été malheureuse
m ent coupées pou r y asseoir un plancher .
(4) Chron ique de Sain t-Floren t , c i tée par D om Chamard,V i es d es
sa i n ts Person n a ges d e l’
A nj o u , p . 20 .
T o m b e a u d e R o b e r t d’A r h r i s s e l .
Madam e Louise de Bourbon de Lavedan,3 1
°
abbesse
fit changer l ’autel, qu i exi stait depuis 1 1 1 9 et dont l
’
ar
chitecture étai t san s élégance on l ’avait respecté ju s
qu’
al ors parce qu ’il fut consacré,le j our de la dédicace de
l a grande église par le pape Calixte II . Elle le remplaça
par un au tre beaucoup plus beau qui se trouve aujourd ’hui
dan s l ’église paroi ssiale de Fontevrau l t . Il fut consacré ,
le 8 octobre 1 623, par Philippe Co spéan , évêque de Nantes ,
qui y enferm e les reliques de la sainte Vierge,des saints
Jeen-Bapti ste et Jean l ’Evangél iste et de saint Louis , roi de
France
Le m odeste tombeau du fondateur,que l ’on avait été
obligé de déplacer pour construi re l ’au tel,fut un peu
reculé,pour le fai re reposer sous un m ausolée revêtu ,
en divers endroits,de plaques de marbre n oir sur les
quelles des traits de l ’Ecriture sainte étaient gravés en
lettres d ’or .
On y voyait la statue du Bienheureux Père en marbre
blanc avec les habits sacerdotaux et le bâton pastoral,
gisant sur u n e tombe en m arbre noi r,sous l e cambrure
de l ’arcade .
Quand on ouvrit l ’ancien tombeau,on t rouve des os
entiers qu ’on recueill i t dans un coffret de plomb,et l ’on
( 4 ) Le P . Niquei .
— 69
y joignit les cendres que l’
on t rouve dans le tombeau deA
Pierre,évêqu e de Poitiers
,son am i .
Ce coffret portai t l ’in scrip t ion'
su ivante
En cette capse sont les os et cendres du digne corps du
vénérable Robert d ’
Arb rissel,instituteur et fondateur de
l ’ordre de Fontevrau lt,selon qu ’on le trouve en son
tombeau,quand il fu t levé et érigé en ce lieu pou r faire
le grand autel par le comm andem ent et bon se ing de
digne Abesse et chef du dit ordre,Madam e Loyse de
Bourbon,le 5 octobre 4622
Lorsqu ’en 1 8 1 3,en fit les démolitions nécessitées par l a
destination nouvelle donnée à l ’égli se,on tro uve ce coffret
i l fut cédé depuis par l’
adm ini stration de l a Maison Cen
tral e au couvent des Fon tevris tes de Chem il lé,après avoir
été ouvert deux foi s,en 1 847 par M . le curé de Saint—Mau
rille et le 1 2 avril 1 860 par M . Barbier de Mon taul t,cha
u e ine d ’honneur de la basil ique d ’
An agn i , directeur du
Mu sée diocésain,en présence d’une comm ission n ommée
par l ’évêqu e d ’
Angers . On y trouva
1° Un suaire en dam es de soie j aune parai ssant appar te
n ir eu x…" siècl e ;2° Un autre suai re en soie ou vêtem ent ecclési astique
fort ancien ;3° Quelques cordelettes ou galon s de soie ;4° Une assez grande quantité de cheveux dont quelques
un s encore adhérents au crâne ;
Le P . Niquei , p . 4 25 -4 27 .
70
5° Un mélange confus”de scories noirâtres
,de chaux
,
craie,tuf
,etc
6° Des ossem ents noirci s ayant appartenus à un seul et
m êm e suj et ;
7° De petits fragm ents d ’
o ssem en ts blancs appartenant
certain ement à un sujet différent (Pierre I I , évêque de
Poitiers) ;8° De la poussière d ’
o ssemen t s .
Qu elques parcelles des reliques furent détachées pour le
diocèse de Poiti ers ; on réserve les m orceaux d ’
étofie pour
le Musée diocésain,l a cepse fut ensu ite scellée et remise
auxFon tevristes de Chem illé
Lorsque le corps de Robert fut transporté au Grand
Monastère,son cœur fut conservé à Orsan et placé dans
l ’église du couvent,sous u n e petite pyram ide de pierre ,
q ui fut dégradée pendant les guerres de Religion et avait
disparu depu is longtem ps qu and la Révolution survint ;
cependant la précieuse relique ne fu t pas perdue tout
entière,car
,en 1 648
,un religieux de l ’O rdre
,nomm é
Jean Lardier,pou r obéir à un vœu qu ’ il avait fait pendant
un e grave m aladie,rapporte à Fontevrault un e partie du
cœur de Robert . Il fit fai re une petite capse où étai t
clos u n e portion de ce saint cœur,laquelle capse est
renferm ée dans un grand cœur au des du
( 4) Procès—verbal de l ’ouverture de la capse de p lomb renferman t les
ossemen ts de S . P ierre I I , évêque de Po i t iers et du B. R obert d’
Arbris
sel . Barb ier de Montaul t,Rép er to i re a r chéo l og ique d e l
’
Anj ou ,
p . 207 , année 1 860 .
7 1
quel sont gravés ces mots Vo tum J oan n . Lard . R el ig .
Fon t is Ebra ldi, bea to R ober to, ob o i tam ip s i res t i tutam
die 25 j un i i 1 648 . Au piédestal de ce cœur,auss i
argenté est ciselé,est renferm é un livre intitulé R o ber
tus i l lus tra tus, contenant l a règle de Fontevrault et le
nom de tou s le s religieux,qui ont été dan s l ’O rd re
,tent
a Fontevrault qu e dans les au tres couvents . Le 1 2 avril
1 649,fu t posée la prem i ère pierre du m onum ent élevé
par le su sdit Jean Lardier,dans l ’église de Saint-Jean
de-l ’H ab it à cô té de l ’É vangile , orné de deux anges , qui
sont aux côtés dudit cœur , de marbres , nappes et
tableaux
Cette relique se trouve aujourd ’hui dans la chapelle
des Fon tevristes de Chem il lé .
Bodin,auteur d ’un rem arquable ouvrage sur l ’Anjou ,
suppose que la statue,dont il a été question plus haut
,
est celle qui avait été placée au xu° siècle sur le tem
b eau de Rober t ; c’est un e erreur . Un vieux com pte m e
nuscrit ne lai sse aucun dou te à cet égard . Quand on
con struis i t le nouveau m ausolée,l ’ancienne statue fut
rem placée par une autre faite à Paris d ’
après les ordres
de Lou ise de Bou rbon ; el le coûte 800 livres et
arrive a Fon tevrault le 1 0 j uin 4624 elle a disparu
pendant la Révolution . Les plaques de m arbre dont le
tombeau était revêtu se trouvent aujourd ’hui au château
de Sain t-Médard,commune de Chou z é (Maine—et—Loire)
( 4 ) Cartulaire de l’
Abbaye , t . I°P
, p . 437 .
(2) Cartu laire de l’
Abbaye , t . I I, p . 288 .
72
elles ont été sciées pour en faire des dessus de chemi
née les inscriptions qui y sont gravées sont tournées du
cô té du mur
Le tombeau de Robert d ’
Arb rissel ,dégradé en 93 , ests itué dans l a petite sacri stie de la chapelle de s détenus
il n ’offre rien de remarquable .
L e C i m e t i è r e d e s B o l s .
Presqu’
en face,mais dans la nef
,aujourd ’hui trans
form ée en réfectoi re,on voyait autrefoi s le caveau connu
sous le nom de Cim etière des Rois .
(2 ) En 1 5 04 , Renée de Bourbon fit poser la grille,qui
devait séparer le chœur de la partie réservée aux reli
gieuses , on tran sporte les effigies placées sur les tom
beaux des princes,un peu plus loin
,mai s toujours dans
la clôture des sœurs . Cette Abbesse changea aussi la
disposition des cercueils,car on n ’a point trouvé Richard
Cœur—de—Lion aux pieds de son père,n i Jeanne d ’
Angle
terre auxpieds d ’Eléonore de Guienne,sa mère
,lorsqu ’on
y a fouillé en 1 638 . Depuis Renée j usqu’à cette époque
,
( 4 ) Godard-Fau l trier , R ép er to i re a rchéo l og iqu e d e t’
Anj ou , année4864
, page 247 .
(2) Le P . Niquei .
73
les effigies étaient placées de la m anière suivante Henri II,
Richard,É léonore de Gu ienne
,Jeanne d ’
Angleterre ,
R eine de Sicile , sœur de Richard et m ère de Raym ond,
comte de Tou louse ; ces quatre statues étaient couchées
les unes à côté des autres . Plus près , vers la grille , on
voyait l ’effigie d ’
I sabeeu d’
Angoulêm e , femm e de Jean
sans—Terre et la statue de R aym on d . Ell e r eprésentait ce
prince,à genoux
,se frappant la poitrine
,pour marquer
le repentir qu ’il avai t éprouvé de s ’être laissé sédui re par
les erreurs des Albigeois
En 1 638,il n ’y avait que ces six statu es sur les dalles
,
qui recouvraient le caveau . Outre“les corps des person
nages que—n ous avons nommés,i l renferm ait ceux d ’
Ala
et de Mathilde,duchesses de Bourbon
,de Mathilde
,du
chesse de Nevers,de Sybille
,fille d ’un empereur de
Constantinople,de Marguerite
,fille et d ’
Agathe , nièce de
Thibault,com te de Champagne . Le cœur de Béatrix
,fille
de R ichard Cœur—de—Lion,ceux de Jean-sens-Terre et de
Henri III , roi d’
Angl eterre , y étaient déposés . En 1 638 ,
sous Madam e Jeanne-Bapti ste de Bou rbon , il fallut encore
rem uer ces m onum ents pour fai re la fondation de deux
arcades,dont l ’une devai t couvrir l e tombeau des roi s et
l a disposition des effigies fu t encore changée .
Au—dessous de la statue de Henri II,on lisai t cette
épitaphe
( 1 ) Le P . N ique t .
74
R ex H enm‘
cus eram,m ihi p lur imo regna subeg
‘
i .
Mul t z‘
p l icique modo , duæque, comesque fu i .
Cu i sa t is ad votum non essen i omn ia ter ræ
C l ima ta , terræ modè sufficit octo p edum .
Qu i l egis hæc, p ensa d iscr im ina mor t is et in me
H umanæ specu lum cond it ion is babe .
S ufficit ha ie tumu lus cui non suffecera t orbis .
J ’étai s le roi Henri, j
’
ai soum i s plusieu rs royaum es
et par divers m oyens j’
ai été duc et com te . Hu i t pieds
de terre su ffisent à celui dont l ’ambition n ’eut pas été
rassasiée par tous les pay s du m onde . Vous, qu i l isez
ces m ots,voyez en m o i un utile exem ple des arrêts de
la mort et des vicissi tudes de la condition hum aine,un
tombeau suffit à celui qui trouvai t l ’univers trop
borné
Richard Cœu r—de-Lion,son fils
,m ourut au siége de
Chalus . Le bruit s ’étant répandu qu ’un seigneur poitevin
avai t trouvé u n t résor composé de douze statues en or
massif,représentant un em pereur rom ain à table avec
sa fam ille,Richard
,auqu el ce seigneur en avai t offert une
partie,exigee que tout lu i fût rem i s . Le gentilhomme se
retira dans le château de Chalus,où V icm ar
,com te
de Lim oges,l u i donne asile somm é de l ivrer son hôte ,
V icm er refuse,et Richard
,furieux de cette résistance ,
(4) La p laque de marbre qui por tai t cet te inscr ip tion se trouv eactuel lemen t au château de Sain t-Medard ; e l le y forme un dessus de
che m inée .
76
l e premier des souverains anglais qui prit des arm oiries .
Sa mèreétait Aliénor ou É léonore de Guienne . Répudiée
par Lou is VII , roi de France , el le épousa Henri II,roi
d’
Angleterre , qui l e rendit fort m alheu reuse,et lui
fit expier p ar seize ans de prison , le tort , bien perdon
nable chez une femme,de ne point vouloir supporter les
infidél ités de son m ari . Après l e m ort de Henri 1 1 , elle
vint,sous Mathilde de Flandres
,5°abbesse
,prendre le
voile au Grand-Monastère,où elle m ouru t le 3 1 mars
1 204 . Elle y fut inhum ée à côté de son mari .
Auprès d ’elle reposai t Isabeau d ’
Angoul ême , femm e de
Jean-sans-Terre, qui l
’avai t enlevée,le j our m êm e de ses
noces,à son fiancé
,Hugues de Lusignan
,comte de la
Marche . Il avait répudié,pour l epouser , Avicie de Glo
oester,m ais i l du t souvent se repentir de sa faute
,cer
Isabeau,légère
,vindicative et m échante
,fit le tourm ent
de sa vie . Aussitôt qu ’elle fut veuve,elle se hâte de don
ner se main à son ancien fiancé,qui n’ avai t j amai s cessé
de l ’aim er . Elle m ouru t quelque temps après e t son fil s
Henri I II l e fit inhumer à Fontevrault
.Des six statues,qui existaient au temps de Jeanne
Baptiste de Bourbon,qu atre furent épargnées pendan t la
Révolution : longtem ps elles restèrent oubliées dans la
pou ssière,au milieu des tombeaux détruits . En 1 81 7 , le
prince—régent d ’
Angleterre les dem ande au gouvernement
( 4) Touchard—Lafosse,La Lo i r e his to r iqu e .
77
français : M . de " ism es qui étai t alors préfet de Maine
et—Loire , in siste au nom du départem ent pou r que ces
statues fu ssent considérées comm e un monument n ational
et propo se de les placer dan s da tou r d’
É vraul t . Le m i
n ist re ne crut pas devoir donner suite a ce proj et,m ai s
les effigies fu rent laissées à l’abbaye . Un peu avant 1 848 ,
on les tran sporte par ordre du roi Louis-Philippe,à Ver
sailles,pu i s au mu sée du Louvre
,où elles furent repeintes
et restaurées elles allaient prendre le chem in de Versailles
et peu t—être celui d ’
Angleterre , quan d le 24 février survin t
le départem ent de Maine—et-Loire les réclam e et elles lui
furent rendues
Aujou rd ’hui,elles reposent dans un e petite …chapel le
sombre pratiquée au fond du transept de droite ; on y voi t
aussi une plaque de m arbre noire , qu i se trouvait sur le
tombeau de J eanne—Baptiste de Bourbon .
Ces quatre statues curieux spécim en de l’
art au
xm° siècle
,ont la couronne sur la tête
,elles sont couchées
et de grandeur colossale , excepté celle d’
Eléon ore de
Guienne, qu i est de grandeu r natu relle .
Henr i II,le sceptre a la m ain
,est vêtu d’une tuniqu e
rouge,avec m anteau bleu . La tuniqu e d ’Eléon o re de
Gu ienne est gris— perle,lo z angée d
’or,son m anteau est
bleu .
( 1 ) Le ttremanuscri te de ce fonc tionnaire . Bibl iothèque d’
Angers ,
carton 792 .
( 2) Congrès archéo logique tenu à Saumur en 4862 .
78
Richard Cœur—de—Lion es t vê tu d ’
une tunique rouge ,avec m anteau bleu .
Isabeau d ’
Angleterre a une tunique bleue , avec drape
r 1 e j aune doublée de vert ; elle tient un livre ouvert a l a
m ain .
Troi s de ces statues son t en tuf,l a quatrièm e
,celle
d’
É léono re , est en bois .
L e s C l o î t r e s . L e B é fe c t o i r e . L a S a l l e
d u C h a p i t r e .
Chacun des couvents de l ’Abbaye possédai t autrefois
un cloître distinct de ceux qui existent encore,un seul ,
celu i du Grand—Moutier,est vraim ent digne de fixer l ’at
tention des visiteurs . Sa construction rem ontai t au temps
où les prem iers bâtim ents furent élevés,mai s sous Renée
et Louise de Bourbon de Lavedan,son état de délabre
ment étai t tel,que ces deux abbesses le firent entière
ment rebâti r au ssi présente-t i l le mélange de plusieurs
genres d ’architecture dont l ’ensemble ne manque pas de
grâce .
Le côté qu i longe le réfectoire des religieu ses est dû ,
comm e ce bâtim ent,a Renée de Bourbon
,les trois
autres sont l ’œuvre d’
un architecte nommé La Barre,
79
avec lequel Louise de Bourbon" ( 1 ) traite pour les
réparations aeffectuer dan s le Grand-Monastère . Quoiqu e
exécutées à des époques“
t rès— rapprochées,ces restau ra
t ions présentent des différences notables,ce qui t ient sa ns
doute à ce que les architectes se sont attachés à repro
duire les caractères di stinctifs du morceau dont la répa
ration leur étai t confiée . C’est ainsi que dans les trois
côtés dus a Louise,les voûtes sont a ogive sur
bai ssée,transition du roman au genre ogival
,du plein
cintre à l’arc en tiers—point a peine sensible ici tandi s
que celui deMm e Renée offre toute l ’élégance,l a légèreté
et l a hardiesse du sty le ogival . Les voûtes sont ornées
d’
arceeux ou nervures,constru its en ligne diagonal e
,se
réun issen t en un fl euron,qui forme clef de voûte .
Les galeries du cloître donnent sur la cour par de
larges ouvertures à plein— cintre . séparées à l ’ex térieur
par des colonnes gém i nées d ’ordre ionique,appartenant
selon tou te apparence au siècle de Loui s XIV et qui pro
duisen t u n assez bel effet . Ces colonnes sont remplacées
du côté du réferto ire par des contreforts près de l ’un
desquel s,on voit u n e sculpture
, qu i paraît ancienne et
représente le m onogramme du Chri st,figuré par deux
poissons,emblèm e des chrétiens
,régénérés par l ’eau du
baptême .
En divers endroits du cloître et particulièrement du
côté de l a salle cap itul eire , on remarque des sculptures
( 4) Manuscri t de la Bibl io thèque impér iale .
80
récemm ent restaurées représentant les attributs de la
Passion elles appartiennent à la Renaissance .
Le réfectoire des religieu ses,dans lequel la tour
d’
Evraul t est enclavée , m érite d’être visité
,quoiqu ’ il ait été
coupé par un plancher dans toute sa longueur à l ’une des
extrémités,on voit les restes de la stel le dans laquelle se
pl açai t l ’Abbesse,quand elle assi stai t aux repas ; elle y
avait sa table particulière . Les voûtes du réfectoire sont
o givales à nervures,comme celles du cloître .
La salle du chepî tre est due,comme les bâtiments
qui en dépen den t , a Louise de Bourbon de L‘avedan .
Elle appartient au genre ogive": les murs sont ornés de
peintures en très—mauvai s état,représentant des sujets
tirés de la Passion,avec les portrai ts de plusieurs Ah
besses . Elle s ’ouvre sur le cloître par un portail chargé
de sculptures de mauvai s goût,qui
,avec les fenêtres à
plein-cintre reposant sur des colonnes d ’ordre ionique,
a ltère complètement le caractère de l a sal le deux piliers,
s’
arron dissan t en voûte ogivale,s’
élançaien t du sol ; la
parti e inférieure en a été brisée et rem placée par deux
colonnes à chapiteau corinthien d ’un effet déplorable .
La salle capitulai re donne sur une petite cour,qui
était autrefoi s le cim etière de sœurs,comm e le prouvent
les inscriptions tumulai res que l ’on y rem arque . Les
religieux des deux sexes eurent d ’abord,
a insi que le
(4 ) Les restaurat ions exécutées dans l ’abbaye son t dues en grande
par tie à l ’ in i tiati ve de M . Chr istaud,d irec teur actue l de laMaison
cen trale .
8 1
prescrivaient les Constitutions de Robert , un e sépulture
comm une , près du couvent de la Magdel ein e , m ais plus
tard,l ’u sage d ’
inhum er les sœurs dans l ’intérieur de leur
clôture s’
in t rodu isit à Fontevrault et fut consacré par le
décret de réfo rm atio n
L a Fo n t a i n e S a i n t-R o b e r t o u Fo n t-E v t a u l t .
La fontaine,dont il a déj a été question au oomm en
cem ent de l a notice,jaill it
,dit la l égende
,à la voix de
l’apôtre pour désal térer ses disciples ; la vérité est qu ’elle
existai t depu i s les temps les plus reculés et que l’
abon
dance et la limpidité de ses eaux déterm inèrent Robert
à s ’arrêter dans le val lon où elle coule . Après le m ort de
ce saint personnage,en lu i donne son n om (2) qu
’elle a
con servé depuis .
L ’entrée de cette fontaine se trouve auprès de l ’an cien
couvent de laMagdelein e ; elle est protégée par u n e tou r
de form e ci rcu laire,au fon d de laquelle on descend par
quelques m arches . L ’eau arrive,fraîche et pure
,dans les
réservoirs , par un can al sou terrain de deux pieds de lar
geur environ , recouvert d’
une voû te à plein—cintre,assez
( 1 ) Regu l a O r d . Fon t iseb .
,cap . x…
, p . 472 e t cap . r.xxrv , p . 268 .
( 2) Char te de 4 462 , car tu l . de l’
Abbaye , t . p . 4 36 .
82
élevée pou r qu ’
un homm e pu i sse faci lement s’
y tenir
debout su r les deux petits trottoirs, qu i règnent de cha
que côté . Au bou t de qu elques m ètres,le can al se partage
en deux branches ; celle de gauche finit presque imm é
dia tem en t à l ’une des sou rces ; l’autre
,beaucoup plu s
considérable,se prolonge sou s les j ardins . Nous avons en
l a curiosité d ’y pénétrer ; au bou t de trente m ètres les
trottoi rs cessent et l ’on est obligé de m archer dans l eau
dont la profondeu r m oyenne est de 4 0 centim è tres . Le
can al,après avoir décrit plusieurs sinuosi tés
,se term in e
à une assez grande distance de son ouvertu re .
La fon tain e Saint—Robert fou rnit l’eau en si grande
abondance,qu ’elle suffit aux besoins de plu s de
personnes et qu ’elle alim ente en outre la buanderie et la
m achine à vapeur de l a forge,près de laquelle elle est
s ituée .
L a T o u r «l’E v r a u l t e t l a C h a p e l l e s é p u l c r a l e
S a i n t e -C a t h e r i n e .
La Tour d ’
Evrau l t est , sans contredit , le m onum ent le
plus intéressant de l ’Abb ay e , n on — seulem ent p ar le b iz ar
rerie de sa fo rm e et le rôle que lu i ont assigné l es t ra
d it ion s populai res , m ais en core par l’
incerti tude , qui
84
qu il a été bâti en même tem ps que le chœur de la grande
église .
O n a,depuis
,supposé que c
’était un e chapelle sépul
cral e et l ’on a basé cette opinion su r sa ressemblance
avec la chapelle Sainte—Catherine , qui se trouve au m il ieu
de l’
ancien cimetière de la paroi sse et dont l ’usage ne
saurai t être l ’objet d ’aucun doute
Quelques savants assignent a l a tour d’
Evraul t un rôle
beaucoup m oins poétique,m ais
,à leur avi s
,plus con
form e aux usages du moyen âge . Selon eux,ce serai t ,
tout simplement,l ’ancienne cuisine (2) de l
’
abbaye . Mal
heureusement,on n ’
avance aucune preuve authentique
et l ’on se base sur des analogies contestables . Il n ’y a
douc e ce t égard aucune certitude ; il serait cependant
faci le de vérifier l ’exactitude de l ’une ou de l ’autre de
ces opinions si contraires,en faisant pratiquer des feuil les
,
ou exécuter un e coupe dans les m urs . Si la tour d ’
Evraul t
était autrefoi s u ne cuisine,la fumée et les huiles empy
reum atiques ont dû imprégner profondém ent la pierre
poreuse et tendre dont elle est bâtie .
La Tou r d’
Evrau l t est auj ourd ’hu i classée parm i les
m onuments historiques .
( 4 ) Charte de Berthe ,d ixième Abbesse
,confirman t le don d
’
Ala,da
cheese de Bourbon,re l igieuse deFon tevraul t e t fondatr ice de la chapel le
Sain te-Catherine . ( G a l l ia Chr i s t ia n a ,E ccl es ia Picta cens is ) .
(2) V io l let-le-D uc , D ict ion na i re d’
a r chi tectu re, t . IV .
85"
Les autres édifices de Fon tevrault,à l ’exception de
l egli se Saint—Michel,séculari sée par le pape Léon X et
devenue église paroissiale,ont subi tan t de m odifications
,
qu ’ils offrent peu d ’intérêt .
Quant aux couvents de la Magdelein e et de l’
H ab it,il
n ’en reste plus que quelques vestiges in sign ifian ts .
T ABLE D ES MAT IER ES
C HAP I T RE I .
O r igin es de l’
O rdre de Fon tevrau lt . Robert d’
Arbrissel .
CHAP I T RE I I .
Fon dation du Gran d-Mon astère . Exten s ion con s idérab le
de l’
O rdre . Cho ix d ’
un e Abbesse,chef sp irituel et tem
pore l . Mot ifs al l égu és par l e fon dateur pou r fa ire tomber ce cho ix sur u n e femm e plu tôt que sur un e v ierge
élevée dan s le clo ître . Pétron il le de Chem i l l é, prem ière
Abbesse de Fon tevrau lt . Mort de Robert d ’
Arbrissel .
CHAP I T RE I I I .
Fon tevrau lt sou s les prem ières Abbesses . Hen r i 1 1,
Richard Cœu r-de-L i on et J ean —san s-T erre ro is d ’
An gle
terre,à Fon tevrau lt . Héroïsm e d
’
un e jeun e re l igieuse .
T roub les et quere l les dan s l ’O rdre . B i z arre é lect ionde T héophe ign e de Chambon . D écaden ce ; Mar ie deBretagn e ; l a R éfo rm a l io n .
7
CH AP I T RE I V
La R éform e tion (su i te) . Ren ée,Lou ise et J eann e-Bap
t iste de Bou rbon . D e la J uridict ion sp ir i tuel le et tem
p erel le des Abbesses . D émêlés de l ’O rdre a vec les Evê
ques au sujet de la con fession des religieu ses . La lin ottedu pape Jean "" II .
CH AP I T RE V .
Beaux jours de l’
O rdre . La Rein e des Abbesses . La
Régen ce à Fon tevrau l t . Madam e de Parda i l lan d’
An
t in . Cérém on ies de l ’ in tron isat ion Confirm ation
des priv i l èges de l’
Abbay e . La n u it du 4 août et l e dé
cret du 2 n ovembre 1 789 . Mort de la dern ière Abbesse .
CH AP I T RE V I .
Les m on um en ts de Fon tevrau lt . L ’ égl ise du Gran d-Mout ier . Le tom beau de Robert d’
Arbrissel . Le c im etière
des Ro is . Les Clo îtres . Le Réfectoire . La sa l le du
Chap i tre . La Fon ta in e Sa in t-Robert ou Fon t—É vrau l t .
Le tour d ’
Evrau l t et la chapel le sépu lcrale Sa in te—Ca
therin e
T o n u s . IMPR IME R I E D E J . n o u s n nn z .