L'ILLETTRISME. · 2011. 3. 12. · BENTOLILA estime que les problèmes de méthodes de lecture sont...

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••',* ~i ' -<-J L'ILLETTRISME. Bibliographie : V.ESPERANDIEU ; A.LION ; J.P.BENICHOU (1984) : Des illettrés en France. Rapport au Premier Ministre (La Documentation Française). F. DE SINGLY (1993) : Les jeunes et la lecture (Les Dossiers Education et Formations, n°24, janv. 1993,MEN,DEP). A. BENTOLILA (1996) : De l'illettrisme en général et de l'école en particulier (Pion). B. LAHIRE (1999) : L'invention de 1' »illettrisme » (La Découverte). B. LAHIRE (2004) : La culture des individus (La Découverte). A.M. CF1ARTIER (2007) : L'école et la lecture obligatoire (Retz). Repères n°35, 2007 : Les ratés de l'apprentissage de la lecture à l'école et au collège (INRP) Argos, n°43 Diversité, Ville, Ecole, Intégration, n°152, mars 2008 (l'illettrisme après l'école). C.LELIEVRE (2008) : Les politiques scolaires mises en examen (ESF) (p.37-54). Naissance de l'illettrisme. Le mot illettrisme est apparu dans le grand public dans les années 1980. Or la réalité scolaire n'a pas fondamentalement changé. Le nombre d'élèves qui ne savent pas lire reste le même mais la vision sociale a changé. Le mot illettrisme a été créé, puis popularisé, en 1977 par l'association ATD-Quart-Monde qui a vu dans l'illettrisme la source de toutes les misères, les origines de l'exclusion, du chômage et de la pauvreté... Le mot illettrisme est donc hors champ scolaire. Des reportages télévisés ont montré des illettrés faire leurs courses en supermarché. On passe de la notion d'illettrés (des individus) à la notion d'illettrisme (un phénomène de masse). Il y a aussi la maîtrise de la lecture pour être citoyen : défendre ses droits (mais c'est aussi savoir parler, savoir écrire). Il y a eu deux constats dans les années 1970 : la reconversion de chômeurs dont le niveau de lecture est trop faible... C'est devoir apprendre après l'école. Et la création du collège unique en 1975 : beaucoup d'élèves de 6è maîtrisent insuffisamment l'écrit pour pouvoir utilement poursuivre leurs études en collège. C'est la notion récente d'illettrisme scolaire. L'action d'ATD-Quart-Monde, qui avait des relais dans les hautes sphères de l'Etat, a conduit à un rapport mterministériel concernant les personnes nées en France et de langue maternelle française, rapport rendu en 1983 et paru en 1984. Ses conclusions ont conduit à la création du GPLI (Groupe Permanent pour la Lutte contre l'Illettrisme) qui aura comme présidents Mrs BELORGEY (1984-1987), BAYROU(1987-1993)... Le GPLI est logé au ministère des affaires sociales (l'illettrisme n'est pas d'abord un problème de l'éducation nationale). Au sein de l'éducation nationale, c'est le ministère de la formation professionnelle qui s'intéressera à l'illettrisme (qui concerne d'abord les personnes âgées). Première définition de l'illettrisme : Au 18è siècle, un illettré était une personne peu cultivée ; c'est au 19è siècle que l'illettrisme va concerner la lecture. On oppose parfois analphabète (celui qui ne sait pas lire car il n'a jamais été confronté à l'écrit) et l'illettré (qui ne sait pas lire malgré une fréquentation normale de l'école). En fait, ATD-Quart-Monde a évité le mot analphabète à cause de la syllabe « bête » qui renvoie au mot « bête ». -du

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    La définition actuelle : l'illettré est un individu d'au moins 16 ans (qui est donc sorti del'école) qui ne maîtrise pas assez l'écrit pour les usages simples de la vie courante, pourdonner sens à un texte court et simple (qu'est-ce qu'un texte simple ?).De là, on s'est mis à compter les illettrés avec des bases fort diverses, des articles de presse àsensation : « Tous les illettrés » : le lecteur est l'adulte qui lit régulièrement des livres et desrevues ; s'informe autant dans la presse écrite que télévisée... On arrive à 70% d'illettrés.

    Vers une définition plus rigoureuse :A. BENTOLILA a testé les capacités de jeunes français de 18 à 23 ans à partir d'un texte

    court, narratif. Problèmes : texte peu « simple » et français testés, des conscrits, doncsurtout des hommes (les femmes sont plus « compétentes » en lecture »). Il a classé lesillettrés en faction de leur insuffisance de maîtrise de la lecture. Voici le tableau desrésultats.

    Familles'

    A

    B

    C

    D

    E

    Personnes

    qui se situent en deçà de la lecture de mots simpleset isolés (situation d'analphabétisme)

    qui se situent en deçà de la. lecture de phrases simples,elles ne sonr capables que d'identifier des mots isolés

    qui se trouvent en deçà de la lecture de textes courts ;elles ne sont capables que de lire des phrases simples

    qui se situent en deçà de la lecture approfondie d'un texte court ;elles ne sont capables que d'en extraire quelques informations

    capables de lire un texte court de 'manière approfondie-

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    Le résultat important est qu'il y a des degrés d'illettrisme. Le mot d'analphabète revient (celuiqui ne sait pas lire un simple mot.. Cela entraînera des divergences de lectures : pour leministère, le lecteur qui est capable d'extraire des informations d'un texte n'est pas illettrés,d'où des chiffres variant entre 9% et 20% d'illettrés.BENTOLIA a aussi étudié le lien entre illettrisme et marginalité (les détenus, les allocatairesde RMI). Il y a des corrélations : 9% d'analphabètes chez les détenus ; 53% des allocatairesde RI sont des lecteurs accomplis. S'il y a des corrélations, il n'y a pas causalité. Des illettréssont bien intégrés socialement avec un emploi, une vie de famille...Plus important, BENTOLILA étudie la façon dont lisent les illettrés : ils ne retiennent quequelques mots, surtout au début de texte, et inventent alors une histoire (cf. constatd'A.FLORJN sur la compréhension de l'oral en maternelle). Ils ignorent les petits mots quisont pourtant essentiels pour la compréhension (à, sur, parce que...). L'illettré « construit dusens » mais de façon aléatoire. Il ne respecte pas le texte.

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  • Cette faiblesse se retrouve à l'oral où l'illettré emploie un langage de connivence pensant quel'interlocuteur comprend (cf. langage en situation et en évocation). Ex .p. 39 : »Tu sais,l'autre jour, le mec là, il me dit que les autres, là-bas, ils disent que c'est moi qui ai piqué letruc parce qu'il n'est plus là-bas et alors, ils me cherchent » (il s'agit d'un vol d'un ballon debasket).L'illettrisme serait donc un ensemble de détresse linguistiques indissociables : lecture,écriture, langue parlée... C'est un mauvais rapport global au langage et à autrui (savoirreformuler, dire qu'on n'a pas.compris...).

    Actions auprès des adultes :Comme l'illettrisme concerne d'abord, des individus ayant quitté l'école s'est posée laquestion de l'école après l'école. L'illettrisme touche des salariés surtout dans certainssecteurs : le bâtiment, le nettoyage, l'agroalimentaire... Au travail, il y a trois types d'écrits :les consignes à lire ; les réponses à donner, souvent par écrit (ex. écrire une déclarationd'accident !) et les consignes de sécurité. Il y a les knmigrants dont la maîtrise de la langue estfort variable. On peut aussi désapprendre à lire faute de lectures après l'école (notion de sur-apprentissage).La formation es difficile car l'illettrisme est honteux, inavouable. Un approche nonstigmatisante concerne les consignes de sécurité. C'est aussi une formation obligatoire.Voir texte joint.

    Les problèmes posés :ATD-Quart Monde et BENTOLILA on fait un lien fort en illettrisme et pauvreté, violence,marginalité. BENTOLILA lie aussi fortement maîtrise de la langue, orale et écrite, etcitoyenneté. Mais, s'il y a 20% d'illettrés (chiffre de BENTOLILA), il n'y a pas 20% dechômeurs ou de délinquants. B. LAHIRE montre que la majorité des illettrés est biensocialisée. Un problème français est que des emplois demandant peu de qualification sont,pourvus prioritairement par des personnes maîtrisant la lecture. Mais la lecture concernedésormais les actes simples de la vie quotidienne (retirer de l'argent, acheter à une billetterie..)ou dans une entreprise, saisir un stock, (aussi maîtriser un peu l'informatique).Autre idée contestable : l'illettré n'a pas accès à la culture. C'est d'abord souvent privilégierune culture classique et livresque, la culture « reconnue » (P.BOURDIEU, 1979, LaDistinction, Ed. de Minuit). Contre BOURDIEU qui raisonne de façon statistique, B.LAHIRE part des individus et la situation est plus complexe. Des personnes « cultivées »aiment la culture « populaire » : SARTRE, les westerns ; WITTGENSTEIN, les stands de tir àla foire ( que dire des matchs de foot). Et l'opéra reste prisé par des gens du « peuple ».F. DE SINGLY a enquêté sur la lecture des jeunes surtout au collège. Le niveau de la lecturea augmenté (ZOLA, VIAN...) et c'est dû à l'école. Mais il n'y a plus de grands lecteurs car ily a d'autres activités « culturelles » ( le sport, la vidéo, internet...). La lecture est devenue undomaine privé (entre jeunes, on parle d'abord télévision ; celle-ci par les films et feuilletonsjoue sur la lecture : on veut savoir la fin très vite ; avant d'acheter un roman, on regarde lenombre de pages...).Enfin la question de l'illettrisme a remis en cause l'efficacité de l'école incapable d'éradiquerl'illettrisme. D'où la querelle des méthodes : importance du sens, du décodage... ?BENTOLILA estime que les problèmes de méthodes de lecture sont secondaires par rapport àla question de la maîtrise du vocabulaire (on ne peut pas apprendre à lire sans un minimum debagage lexical -M.VERDEILHAN). La lecture à l'école est-elle la même en 1900 et en 2000 :oraliser un texte contre une lecture silencieuse pour comprendre un texte, pour le critiquer...

    L'illettrisme scolaire.

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    Au départ, on parlait d'illettrisme pour des individus ayant quitté l'école (le plus grandnombre d'illettrés se situe toujours, cependant, chez les personnes âgées). Ce sont les enfantsen difficulté à l'entrée du collège. Tous ne sont pas illettrés mais il y a des lecteurs lents quiauront du mal à suivre le collège. La notion de mauvais lecteur est à questionner(distinctionentre mauvais lecteur et dyslexiques).C'est avec la loi d'orientation de 1989 que l'illettrisme va concerner l'enseignement primaire :création des cycles, les évaluation en CE2 et en 6è. On s'est beaucoup penché sur la lecture encycle 2, peu en cycle 3 (passage de la lecture à apprendre à la lecture pour apprendre), or ceserait une étude à faire. Pour cela, une formation des enseignants est nécessaire.Question polémique : la presse, l'opinion publique ont surtout considéré le niveau de lecturedes élèves et pas celui de maths, alors que les résultats en maths (selon les évaluationsnationales et internationales) sont plus inquiétantes.

    Essais de solution :L'illettrisme concerne tous les pays d'Europe. Ce sont souvent des associations (parfoisbénévoles) qui se voient confier la lutte contre l'illettrisme. La solution française, avec leGPLI, est originale car elle engage tous les ministères (armée, justice, agriculture...).On a aussi mis l'accent sur la fréquentation précoce du livre : actions dans les bibliothèques(heure du conte) ; livres objets pour les tout petits. Travail à la maternelle : les livres pourenfants, le travail sur le code...Enfin, on s'aperçoit, notamment dans les pays du tiers monde, que les campagnesd'alphabétisation sont elles-mêmes insuffisantes s'il n'y a pas une post-alphabétisation (ex. enInde. Le maintien des acquis ne va pas de soi. C'est une fréquentation régulière des acquis quiles stabiliseront et les amélioreront (c'est de même pour l'orthographe).

    Octobre 2008PauiSTOLZE.

  • L'une des grandes difficultés viéntdu fait queles adultes relevant "de rOlettrisme .consacrentune grande partie de leur énergie à dissimulerleurs difficultés ou au moins leur degré degravité. Le plus souvent, des « complicités » per-sonnelles ou professionnelles leur permettentde différer la confrontation avec l'écrit, de làcontourner. Ainsi, de fait, la hiérarchie (saufcelle de proximité dans certains cas), ignore leproblème, ou en tout cas sa «gravité».De toute façon, même en dehors des situationsd'illettrisme, les difficultés de compréhension,au sens d'appropriation, sont toujours sous-estimées, et la clarté théorique d'un documentcensé tout expliquer est pour beaucoup uneévidence incontestable. Là encore, des expé-riences analysées en entreprise en témoignent.

    Qu'appelle-t-on illettrisme?

    La définition communément admise est celle que leGroupe permanent de lutte contre l'illettrisme (GPU)propose en 1995 : « Personnes de plus de 16 ans, ayantété scolarisées.et ne maîtrisant pas suffisamment l'écritpourfaire face aux exigences minimales requises dansleur vie professionnelle, sociale, culturelle et person-nelle. Ces personnes, qui ont été alphabétisées dans lecadre de l'école, sont sorties du système scolaire enayant peu ou mal acquis les savoirs premiers, pour desraisons sociales, familiales ou fonctionnelles, et n'ontpas pu user de ces savoirs, et/ou n'ont jamais acquis legoût de cet usage. Il s'agit d'hommes et de femmespour lesquels le recours à l'écrit n'est ni immédiat, nispontané, ni facile, et qui évitent et/ou appréhendent cemoyen d'expression et de communication. » :

    On a pu souvent constater un décalage doulou-reux existant entre la naïveté des prescripteurs '- «Il suffit défaire comme c'est écrit...»-, etl'inavouable difficulté de nombreuses person-nes à donner du sens à ce qui est écrit Les .compétences sont documentées, les réalitéscodifiées, les gestes définis, les procédures écri-tes, les aléas dépouillés, les productivitéscomptabilisées, les responsabilités identifiées...Rien n'échappe à l'écrit, mais l'écrit échappe àbeaucoup.Et, de fait, «l'observation des situations de travailmontre que les opérateurs ne lisent jamais lesdocuments, qu'ils apprennent en copiant sur levoisin, qu'ils développent des stratégies decontoumement de lecture et d'écriture, etsurtout qu'ils font leur travail en s'appuyant surdes procédures qu'ils ont inventées au cours deleur expérience professionnelle. »

    Le contexte et les types de pressions qui s'exer-cent amènent les salariés à «mentir». Ils sesentent dans l'obligation de reconnaître uneimportance aux écrits de leur entreprise, mêmesi, dans-leur réalité quotidienne, ils en ignorentun grand nombre.Pour ceux, incontournables, qu'ils doivent trai-ter, ils développent de plus ou. moins subtilesstratégies. Parfois, la solidarité joue entre sala-riés, ou entre salarié et cadre de proximité pour«lire » ou «remplir» tel ou tel document.Devant la difficulté de certains écrits, les opéra-teurs emploient des expressions verbalessimplifiées, voire erronées pour désigner leséléments des dispositifs sur lesquels ilstravaillent, ce qui entraîne des confusions oudes erreurs. Parce qu'ils ont une faible pratiquede la lecture, les opérateurs de faible niveau dequalification effectuent un codage très sélec-tif des informations qu'ils lisent. Les connais-sances non apprises par la lecture sont rempla-cées par des stratégies pragmatiques.

    Des recherches en psycho-socio-linguistiqueapportent un éclairage précis sur le fonction-nement .cognitif mis en œuvre dans cescontextes. Lors delà lecture, les opérateursprivilégient les noms, et principalement les

    noms d'objets, surtout lorsqu'ils ont un sens pour euxLes adjectifs sont.peu lus, peu traités comme informa-tion. La recherche de cohérence de l'ensemble est rare-ment prise en compte, car c'est une opération tropcomplexe. Le réflexe est de rapprocher d'un environne-ment sémantique familier le mot qui apparaît. Les proces-sus, sont fondamentalement interprétatifs... et doncsource d'erreurs.Tout cela amène à évoquer la nécessité d'agir selondeux axes convergents pour favoriser un point de rencon-tre efficace : il faut adapter les aides au travail aux salariés

    " en difficulté, et il faut former les salariés pour favoriserleur appropriation de ces documents.

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