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1 HMA 1951539 Célèbre organiste, Pachelbel fut également un compositeur prolifique. Les Délices musicales sont un véritable joyau de la musique instrumentale du XVII e siècle, tout comme son désormais très célèbre Canon et Gigue, dans lequel Pachelbel associe avec la plus grande habileté ses connaissances contrapuntiques et sa créativité dans le domaine de la variation. Johann Pachelbel (1653-1706) Canon & Gigue Chamber Works Bien que la renommée de Johann Pachelbel (1653-1706) ait été d’abord associée à son activité d’organiste, il fut aussi un compositeur très prolifique : essentiellement consacrée à l’orgue, son œuvre comprenait également de la musique pour clavecin, pour ensembles de chambre et diverses formations vocales. Pachelbel était né à Nuremberg, l’une des cités “autonomes” de l’Empire (comme Hambourg et Leipzig). En ce XVII e siècle, c’était un centre musical important : sa réputation en matière de composition, de facture instrumentale et d’édition musicale n’était plus à faire. Notre compositeur y fit ses premiers pas musicaux, apprenant la théorie et la composition, et s’initiant à l’orgue ; et c’est à Nuremberg que Pachelbel, alors au faîte de sa carrière, retourne en 1695, prenant la charge d’organiste à Saint-Sébald et occupant ainsi la position musicale la plus en vue de la vieille cité. Entre-temps, Pachelbel assume diverses fonctions dans le monde de l’orgue : il séjourne pendant quelques années à Vienne comme suppléant à la cathédrale Saint-Étienne, où il a pu recevoir des cours du célèbre organiste Johann Kaspar Kerll et n’aura vraisemblablement pas été insensible au goût italien si prégnant au cœur de l’Empire de Habsbourg. On le retrouve ensuite au centre de l’Allemagne, à Eisenach et Erfurt, où il se lie d’amitié avec plusieurs membres de la famille Bach, dont Ambrosius, père de Jean-Sébastien. Les incursions de Pachelbel dans le monde de la fugue pour clavier, de la variation et du choral ne furent pas sans influencer ce dernier. Il faut dire que l’importance quantitative de la production de Pachelbel était sûrement due aux nombreuses charges qu’il occupa tant dans les églises (Nuremberg, Vienne, Erfurt) que dans les chapelles de cour (Eisenach, Stuttgart, Gotha). Un peu à l’image de son collègue nordique Buxtehude (l’un des dédicataires en 1699 de l’Hexachordum Apollinis, chef-d’œuvre de Pachelbel en matière de variations pour clavier), Pachelbel écrivit aussi pour diverses formations à cordes. A l’exception d’un recueil imprimé retrouvé dans la bibliothèque du Comte de Schönborn et regroupant d’autres œuvres instrumentales du XVII e siècle, toutes ces compositions ne nous sont parvenues que sous forme de manuscrits. Ce répertoire, presque exclusivement constitué de suites de danses, a très probablement dû être exécuté à la cour en guise de Tafelmusik (“musique de table”) – à moins qu’il fût aussi servi comme Hausmusik, dans des cercles musicaux amateurs, ou au contraire lors des réunions des divers collegia musica de Nuremberg, ces associations dont certaines auditions étaient ouvertes au public (ce type de manifestations évoluerait d’ailleurs vers la conception moderne du concert public). Le recueil des six Partie présentées ici fut imprimé à Nuremberg après 1695 sous le titre de Musicalische Ergötzung (“Les Délices musicales”), avec une indication d’exécution supplémentaire : “verstimbte stükh tzu 2 Violin und Bass” (“pièces désaccordées pour deux violons et basse”, autrement dit, pour deux violons scordatura). Pour Pachelbel, ce concept de “désaccord” semblait refléter l’invitation des interprètes à une sorte d’expérience acoustique plutôt que la volonté de faciliter l’exécution d’ardues doubles ou triples cordes, fait coutumier du Biber des sonates du Mystère par exemple, dont l’écriture violonistique était techniquement si audacieuse. L’accord de l’instrument chez Pachelbel correspond au premier et au cinquième degrés du mode ou de la tonalité propre à chaque composition.

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Célèbre organiste, Pachelbel fut également un compositeur

prolifique. Les Délices musicales sont un véritable joyau

de la musique instrumentale du xviie siècle, tout comme

son désormais très célèbre Canon et Gigue, dans lequel

Pachelbel associe avec la plus grande habileté ses

connaissances contrapuntiques et sa créativité dans le

domaine de la variation.

Johann Pachelbel (1653-1706)

Canon & Gigue

Chamber Works

Bien que la renommée de Johann Pachelbel (1653-1706) ait été d’abord associée à son activité d’organiste, il fut aussi un compositeur très prolifique : essentiellement consacrée à l’orgue, son œuvre comprenait également de la musique pour clavecin, pour ensembles de chambre et diverses formations vocales. Pachelbel était né à Nuremberg, l’une des cités “autonomes” de l’Empire (comme Hambourg et Leipzig). En ce xviie siècle, c’était un centre musical important : sa réputation en matière de composition, de facture instrumentale et d’édition musicale n’était plus à faire. Notre compositeur y fit ses premiers pas musicaux, apprenant la théorie et la composition, et s’initiant à l’orgue  ; et c’est à Nuremberg que Pachelbel, alors au faîte de sa carrière, retourne en 1695, prenant la charge d’organiste à Saint-Sébald et occupant ainsi la position musicale la plus en vue de la vieille cité. Entre-temps, Pachelbel assume diverses fonctions dans le monde de l’orgue : il séjourne pendant quelques années à Vienne comme suppléant à la cathédrale Saint-Étienne, où il a pu recevoir des cours du célèbre organiste Johann Kaspar Kerll et n’aura vraisemblablement pas été insensible au goût italien si prégnant au cœur de l’Empire de Habsbourg. On le retrouve ensuite au centre de l’Allemagne, à Eisenach et Erfurt, où il se lie d’amitié avec plusieurs membres de la famille Bach, dont Ambrosius, père de Jean-Sébastien. Les incursions de Pachelbel dans le monde de la fugue pour clavier, de la variation et du choral ne furent pas sans influencer ce dernier. Il faut dire que l’importance quantitative de la production de Pachelbel était sûrement due aux nombreuses charges qu’il occupa tant dans les églises (Nuremberg, Vienne, Erfurt) que dans les chapelles de cour (Eisenach, Stuttgart, Gotha).Un peu à l’image de son collègue nordique Buxtehude (l’un des dédicataires en 1699 de l’Hexachordum Apollinis, chef-d’œuvre de Pachelbel en matière de variations pour clavier), Pachelbel écrivit aussi pour diverses formations à cordes. A l’exception d’un recueil imprimé retrouvé dans la bibliothèque du Comte de Schönborn et regroupant d’autres œuvres instrumentales du xviie siècle, toutes ces compositions ne nous sont parvenues que sous forme de manuscrits. Ce répertoire, presque exclusivement constitué de suites de danses, a très probablement dû être exécuté à la cour en guise de Tafelmusik (“musique de table”) – à moins qu’il fût aussi servi comme Hausmusik, dans des cercles musicaux amateurs, ou au contraire lors des réunions des divers collegia musica de Nuremberg, ces associations dont certaines auditions étaient ouvertes au public (ce type de manifestations évoluerait d’ailleurs vers la conception moderne du concert public).Le recueil des six Partie présentées ici fut imprimé à Nuremberg après 1695 sous le titre de Musicalische Ergötzung (“Les Délices musicales”), avec une indication d’exécution supplémentaire : “verstimbte stükh tzu 2 Violin und Bass” (“pièces désaccordées pour deux violons et basse”, autrement dit, pour deux violons scordatura). Pour Pachelbel, ce concept de “désaccord” semblait refléter l’invitation des interprètes à une sorte d’expérience acoustique plutôt que la volonté de faciliter l’exécution d’ardues doubles ou triples cordes, fait coutumier du Biber des sonates du Mystère par exemple, dont l’écriture violonistique était techniquement si audacieuse. L’accord de l’instrument chez Pachelbel correspond au premier et au cinquième degrés du mode ou de la tonalité propre à chaque composition.

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Toutes les Partie présentées ici sont des cycles de mouvements de danse précédés d’une sonata ou d’une sonatina d’introduction en un seul mouvement. Dans le contexte “sonate en trio” de la Musicalische Ergötzung, ces sonate répondent à une technique contrapuntique stricte avec entrées fuguées à trois voix et strettes si elles sont désignées par l’indication de tempo “allegro” (n°1 et 3), alors que celles qui sont désignées par l’indication “adagio” sont structurées en plusieurs sections, juxtaposant des rythmes lents et plus rapides. Dans la Partia IV en mi mineur, par exemple, l’adagio fait appel à des rythmes pointés très incisifs qui, un peu plus loin, se dissoudront dans des figures en imitation plus rapides, évoquant ainsi le parcours caractéristique d’une ouverture à la française. Dans la section centrale de la “sonata” de la Partia V en Ut, c’est un rythme lent de sarabande sur un tétracorde descendant qui sert de fondement au dialogue très soutenu des deux violons.Le célèbre et désormais très populaire Canon montre à quel point Pachelbel savait combiner habileté contrapuntique et ses dons dans la technique de la variation : l’assise du morceau est un simple ostinato de deux mesures à la basse, motif perpétuel de type passamezzo sur lequel une mélodie simple sera traitée en canon à trois voix. Pachelbel rivalisera d’imagination tout au long de ces vingt-huit variations, en créant une densité sans cesse croissante. Quant à la brève gigue qui suit, elle adhère malgré ses apparences anodines à une écriture fuguée rigoureuse.Les trois autres Partie ou suites, toutes parvenues jusqu’à nous sous forme de manuscrits, sont destinées soit à quatre instruments à cordes, soit à une formation de cordes typiquement française, à cinq voix – deux violons, deux altos, basse de huit pieds (violone) pour renforcer la basse de clavecin. Ici, Pachelbel exploite un ordre de danses très en vogue dans l’Allemagne de l’époque, où la succession allemande-courante-sarabande-gigue était farcie de quelques-unes des toutes dernières danses françaises : gavotte, ballet, bourrée. Mais là aussi, chaque suite commence par une “sonata” ou une “sonatina”. L’effet d’écho utilisé dans la sonatina de la suite à 5 (en Sol) est devenu très populaire en cette fin de xviie siècle : il crée une impression orchestrale un peu à l’image de l’opposition concertino/ripieno d’un concerto grosso. A l’exception des gigues, fuguées, Pachelbel se cantonne à la polarité violon/basse, tout en clarté. Cette texture bien stratifiée donne la part belle au violon, tandis que les voix intermédiaires occupent essentiellement le rôle de remplissage.La tonalité de fa dièse mineur employée dans l’une de ces suites (à 4) s’avère tout à fait rare au xviie siècle. Dans son Neueröffnetes Orchestre (1713), où il la classera comme le seizième ton d’un système tonal élargi de douze modes (ou tons) à vingt-quatre, Mattheson juge cette tonalité “plus languissante, voire sensuelle, que morbide, bien qu’elle tende à une grande tristesse”. En fait, la raison principale de l’emploi si rare de fa dièse mineur repose surtout sur ses potentialités de “décalage tonal” dans le système mezzotonique prévalant alors, qui renforcerait bientôt son trait de caractère “misanthropique” (“etwas abondoniertes, singuliäres und misanthropisches”), pour reprendre les termes de Mattheson. Pachelbel a dû expérimenter différents types de tempérament  ; c’est un tempérament “ajusté” décrit dans un traité d’orgue d’Andreas Werckmeister qu’il utilisa. Son collègue Buxtehude, qui témoignait d’une grande amitié avec Werckmeister, utilisa fa dièse mineur seulement deux fois (dans l’un de ses préludes pour orgue écrits dans le stile fantastico et dans une partie lamento de la Sonate op.2 en La pour cordes). Quoi qu’il en soit, si la musique de chambre de Pachelbel s’affichait nettement moins dans le registre de la virtuosité que celle de ses contemporains Buxtehude et Biber, elle sut en tant que Musicalische Ergötzung parfaitement remplir sa fonction de “Délices musicales”.

Eva LinfiELd

Traduction Christian Girardin