Khalid Chraibi - La réforme du calendrier musulman en 12 questions 290413

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La réforme du calendrier musulman en 12 questions Khalid Chraibi « Le soleil et la lune (évoluent) selon un calcul (minutieux) » (Coran, Ar-Rahman, 55 : 5) « C’est Lui (Dieu) qui a fait du Soleil une clarté et de la Lune une lumière ; il en a déterminé les phases afin que vous connaissiez le nombre des années et le calcul du temps » (Coran, Yunus, 10 : 5) « Les ulémas n’ont pas le monopole d’interprétation de la charia. Evidemment ils doivent être consultés au premier plan sur les questions de la charia. (Mais) ce ne sont pas eux qui font la loi religieuse, de même que ce ne sont pas les professeurs de droit qui font la loi, mais les parlements » (Ahmed Khamlichi, Point de vue n° 4) Question n° 1 : Pourquoi faudrait-il réformer le calendrier musulman fondé sur l'observation mensuelle de la nouvelle lune, pour lui substituer un calendrier basé sur le calcul ? Un calendrier a pour raison d'être d'associer une date spécifique à chacun des jours d'une semaine, d'un mois ou d'une année donnée, afin de permettre aux hommes de gérer toutes leurs activités sur une longue période. Il doit leur permettre de prévoir, de planifier et d'organiser longtemps à l'avance tout ce qui a besoin de l'être. Or, les sociétés musulmanes se basent sur l'apparition de la nouvelle lune, à chaque fin de mois lunaire, pour déclarer le début du nouveau mois. Un tel calendrier ne permet pas de planifier d’activités, en associant des dates à des jours déterminés, au-delà du mois en cours. De plus, les dates du calendrier sont associées à des jours différents dans différents Etats musulmans. Par exemple, le 1er chawal 1426, jour de célébration de l’aïd el fitr, correspondait au mercredi 2 novembre 2005 dans 2 pays ; au jeudi 3 novembre dans 30 pays ; au vendredi 4 novembre dans 13 pays et au samedi 5 novembre dans 1 pays. Cet état des choses n’est nullement exceptionnel, mais se renouvelle chaque mois. Par conséquent, nul ne songerait, de nos jours, à dater un contrat, à faire des réservations de billets d’avion ou de chambres d’hôtel, ou à programmer une conférence internationale sur la base des données de ce calendrier. Les faiblesses du calendrier musulman résultent de l'interprétation que les oulémas ont donnée à un célèbre hadith du Prophète sur le début des mois de Ramadan et de Chawwal. Le mois lunaire islamique s'est retrouvé déconnecté de ses fondements conceptuels et méthodologiques astronomiques, ce qui a rendu caduques les fonctions du calendrier musulman. Par contre, quand il est basé sur le calcul, le calendrier lunaire est en mesure de remplir parfaitement toutes les fonctions que les sociétés modernes en attendent. Question n° 2 : Quels sont les fondements conceptuels et méthodologiques du calendrier lunaire ? Le mois lunaire débute au moment de la « conjonction » mensuelle, quand la Lune se trouve située sur une ligne droite entre la Terre et le Soleil. Le mois est défini comme la durée

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Un tour méthodique du calendrier musulman, son histoire, ses faiblesses, les propositions de réforme, les considérations théologiques, les arguments des réformistes, les communautés musulmanes qui ont décidé d'adopter le calendrier lunaire basé sur le calcul astronomique à travers le monde

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La réforme du calendrier musulman en 12 questions

Khalid Chraibi

« Le soleil et la lune (évoluent) selon un calcul (minutieux) » (Coran, Ar-Rahman, 55 : 5)

« C’est Lui (Dieu) qui a fait du Soleil une clarté et de la Lune une lumière ; il en a déterminé les phases afin que vous connaissiez le nombre des années et le calcul du temps » (Coran, Yunus, 10 : 5)

« Les ulémas n’ont pas le monopole d’interprétation de la charia. Evidemment ils doivent être consultés au premier plan sur les questions de la charia. (Mais) ce ne sont pas eux qui font la loi religieuse, de même que ce ne sont pas les professeurs de droit qui font la loi, mais les parlements » (Ahmed Khamlichi, Point de vue n° 4)

Question n° 1 : Pourquoi faudrait-il réformer le calendrier musulman fondé sur l'observation mensuelle de la nouvelle lune, pour lui substituer un calendrier basé sur le calcul ?

Un calendrier a pour raison d'être d'associer une date spécifique à chacun des jours d'une semaine, d'un mois ou d'une année donnée, afin de permettre aux hommes de gérer toutes leurs activités sur une longue période. Il doit leur permettre de prévoir, de planifier et d'organiser longtemps à l'avance tout ce qui a besoin de l'être.

Or, les sociétés musulmanes se basent sur l'apparition de la nouvelle lune, à chaque fin de mois lunaire, pour déclarer le début du nouveau mois. Un tel calendrier ne permet pas de planifier d’activités, en associant des dates à des jours déterminés, au-delà du mois en cours.

De plus, les dates du calendrier sont associées à des jours différents dans différents Etats musulmans. Par exemple, le 1er chawal 1426, jour de célébration de l’aïd el fitr, correspondait au mercredi 2 novembre 2005 dans 2 pays ; au jeudi 3 novembre dans 30 pays ; au vendredi 4 novembre dans 13 pays et au samedi 5 novembre dans 1 pays. Cet état des choses n’est nullement exceptionnel, mais se renouvelle chaque mois.

Par conséquent, nul ne songerait, de nos jours, à dater un contrat, à faire des réservations de billets d’avion ou de chambres d’hôtel, ou à programmer une conférence internationale sur la base des données de ce calendrier.

Les faiblesses du calendrier musulman résultent de l'interprétation que les oulémas ont donnée à un célèbre hadith du Prophète sur le début des mois de Ramadan et de Chawwal. Le mois lunaire islamique s'est retrouvé déconnecté de ses fondements conceptuels et méthodologiques astronomiques, ce qui a rendu caduques les fonctions du calendrier musulman.

Par contre, quand il est basé sur le calcul, le calendrier lunaire est en mesure de remplir parfaitement toutes les fonctions que les sociétés modernes en attendent.

Question n° 2 : Quels sont les fondements conceptuels et méthodologiques du calendrier lunaire ?

Le mois lunaire débute au moment de la « conjonction » mensuelle, quand la Lune se trouve située sur une ligne droite entre la Terre et le Soleil. Le mois est défini comme la durée

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moyenne d’une rotation de la Lune autour de la Terre (29,53 j environ). La lunaison (période qui s’écoule entre deux conjonctions) varie au sein d’une plage dont les limites sont de 29, 27 j au solstice d’été et de 29,84 j au solstice d’hiver, donnant, pour l’année de 12 mois, une durée moyenne de 354,37 j.

Sur le plan astronomique, les mois lunaires n’ont pas une durée de 30j et de 29j en alternance. Il y a parfois de courtes séries de 29 j suivies de courtes séries de 30 j, comme illustré par la durée en jours des 24 mois lunaires suivants, correspondant à la période 2007-2008 : « 30, 29, 30, 29, 29, 30, 29, 29, 30, 30, 29, 30, 30, 30, 29, 30, 29, 29, 30, 29, 29, 30, 29, 30. »

Cependant, les astronomes ont posé, depuis des millénaires, la convention que des mois de 30 j et de 29 j se succédaient en alternance, ce qui permet de faire correspondre la durée de rotation de la Lune sur deux mois consécutifs à un nombre de jours entiers (59), laissant à peine un petit écart mensuel de 44 mn environ, qui se cumule pour atteindre 24 h (soit l’équivalent d’un jour) en 2,73 ans. Pour solder cet écart, il suffit d’ajouter un jour au dernier mois de l’année, tous les trois ans environ, de la même manière qu’on ajoute un jour tous les quatre ans au calendrier grégorien.

Le calendrier lunaire basé sur le calcul astronomique peut ainsi être établi avec la plus grande précision, sur une base annuelle, longtemps à l'avance, avec des données mensuelles identiques pour l'ensemble de la planète,

Question n° 3 : Comment le calendrier musulman a-t-il été déconnecté de ses fondements astronomiques ?

Dans l’Arabie pré-islamique, les bédouins étaient habitués à observer la position des étoiles, de nuit, pour se guider dans leurs déplacements à travers le désert, et à observer l’apparition de la nouvelle lune pour connaître le début des mois.

Quand les fidèles interrogèrent le Prophète sur la méthode à appliquer pour connaître le début et la fin du mois de ramadan, il ne fit que les conforter dans leurs habitudes ancestrales, en leur disant de commencer le jeûne avec l’apparition de la nouvelle lune (au soir du 29è jour du mois de chaâbane) et d’arrêter le jeûne avec l'apparition de la nouvelle lune (du mois de shawal). « Si le croissant n'est pas visible (à cause des nuages) comptez jusqu'à 30 jours. »

Or, la nouvelle lune ne devient généralement visible que quelque 17 h après la “conjonction”, et sujet à l’existence de conditions favorables résultant de facteurs tels que le lieu où l’on procède à l’observation ; le nombre d’heures écoulées depuis la conjonction ; les positions relatives du soleil, du croissant lunaire et de l’observateur ; l’angle formé avec le soleil au moment du coucher ; l’altitude de la lune au coucher du soleil ; les conditions d’observation (pollution, humidité, température de l’air, altitude) ; la limite de détection de l'œil humain ; etc...

Si la “conjonction” se produit tôt dans la journée, la nouvelle lune sera peut-être visible, le même soir, après le coucher du soleil, dans des régions déterminées du globe terrestre où des conditions favorables d’observation seront réunies. D'un mois à l'autre, ces conditions favorables existeront dans des sites différents du globe terrestre. Sinon, dès le deuxième soir après la “conjonction”, la nouvelle lune pourra être observée facilement à partir de nombreuses régions du globe. C'est pour cette raison que différents Etats et communautés du monde musulman débutent souvent le nouveau mois lunaire en des jours différents, avec un décalage de 24 h les uns par rapport aux autres, au cours des 48 h qui suivent la “conjonction”.

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Il va de soi qu'un calendrier qui dépend chaque mois de l'observation de la nouvelle lune pour démarrer le décompte des jours du mois ne peut être d'aucune utilité pour planifier des activités au-delà du mois en cours.

Question n° 4 : Peut-on déterminer à l’avance les lieux les plus favorables à l’observation de chaque nouvelle lune ?

Des astronomes musulmans renommés, tels que Ibn Tariq (8è s.), Al-Khawarizmi (780 ?-863), Al-Battani (850-929), Al-Bayrouni (973-1048), Tabari (11è s.), Ibn Yunus (11è s.), Nassir al-Din Al-Tousi (1258-1274 ?), etc. ont accordé un intérêt particulier à l’étude des critères de visibilité de la nouvelle lune, dans le but de développer des techniques de prédiction fiables du début d’un nouveau mois.

Mais, ce n’est que récemment que des astronomes et des informaticiens réputés ont réussi, en conjuguant leurs efforts, à établir des procédures permettant de prédire à l’avance, chaque mois, dans quelles régions du globe les conditions optimales seront réunies pour observer la nouvelle lune. Ainsi, en 1984, un physicien de Malaisie, Mohamed Ilyas, a pu tracer au niveau du globe terrestre une ligne de démarcation, ou ligne de date lunaire, à l'ouest de laquelle le croissant est visible le soir du nouveau mois, alors qu’il ne peut être vu à l’est de cette ligne que le soir suivant. Aujourd’hui, les cartes détaillées des zones de visibilité de la nouvelle lune sont établies de manière mensuelle, à l’avance, et publiées dans des sites tels que « Moonsighting.com ».

Question n° 5 : L’observation de la nouvelle lune, où qu’elle se fasse, ne devrait-elle pas marquer le début du nouveau mois pour tous les musulmans ?

Les premiers astronomes convertis à l'islam (et dans leur sillage les juristes musulmans) savaient bien que la durée du mois lunaire se situait entre 29 j et 30 j, entre deux « conjonctions », ou entre deux observations de la nouvelle lune, comme le Prophète l'avait souligné dans différents hadiths. En ce qui les concernait, le début du mois et sa durée étaient, évidemment, indépendants de la présence ou de l'absence d'observateurs et des conditions de visibilité.

Par conséquent, la première observation d'une nouvelle lune devait, logiquement, marquer le début du nouveau mois lunaire pour l'ensemble de la Terre, et la durée de tout mois lunaire, entre deux nouvelles lunes, devait être identique pour toutes les communautés.

Mais, une fois ces principes posés, encore fallait-il les mettre en œuvre, ce qui n'était guère facile. En effet, une fois la nouvelle lune observée de manière fiable, quelque part, comment cette information serait-elle portée à la connaissance de populations vivant sur de vastes territoires, ou parfois même en des régions très éloignées (comme l'Espagne par rapport à l'Arabie) ? A qui cette information s'imposait-elle avec toutes ses implications (telles que commencer le jeûne, célébrer la fin du ramadan, etc.) ?

Les juristes des premiers temps de l'islam donnèrent un vaste éventail de réponses à ces questions épineuses. On peut en dégager un noyau central de principes fondamentaux, qui continuent d'être d'un grand intérêt aujourd'hui :

(1) L'observation de la nouvelle lune ne peut être prise en compte que par les communautés auxquelles l'information parvient.

(2) L'observation de la nouvelle lune dans un pays d'Orient marque, sur le plan théorique, le début du nouveau mois pour tous les pays situés à l'ouest du lieu de cette observation. Car, au fur et à mesure que l'âge de la nouvelle lune augmente, entre le moment de sa naissance (à la

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conjonction) et son premier coucher, la possibilité de l'observer s'améliore. C'est le cas en allant d'Est en Ouest, de la Mecque vers Casablanca, par exemple, du fait que la nouvelle lune est âgée de 3 h de plus à son coucher au Maroc qu'à son coucher en Arabie Saoudite.

(3) Une observation de la nouvelle lune doit être considérée comme nulle, lorsqu'elle est rapportée alors que la conjonction n'a pas encore eu lieu.

(4) En règle générale, compte tenu des difficultés de communication entre les communautés musulmanes, sur le plan géographique, les habitants de chaque pays doivent appliquer la décision des autorités nationales, concernant le début des mois lunaires.

Aujourd'hui, seul ce dernier principe est scrupuleusement respecté dans le monde musulman. En conséquence, du fait de la multiplicité des Etats et des communautés musulmanes à travers le monde, le même début de mois est, parfois, égrené comme un chapelet, en plusieurs jours successifs, dans différents pays. Il en fut ainsi pour « Eid al fitr » ou 1er chawal 1429, qui fut célébré en 5 jours différents à travers le monde : dans 1 pays le 29 septembre 2008, dans 19 pays le 30 septembre, dans 25 pays le 1er octobre, dans 5 pays le 2 octobre, et dans 1 communauté le 3 octobre 2008.

Un tel dérapage du calendrier musulman est contraire à la Raison. Il ne serait d'ailleurs pas possible, si les trois premiers principes énoncés ci-dessus étaient respectés. C'est la thèse soutenue dès 1965 par Allal el Fassi, un 'alem de l'université Qarawiyine de Fès et ministre marocain des affaires islamiques, dans un rapport sur « le début des mois lunaires » préparé à la demande du roi Hassan II.

D'après lui, si un consensus islamique pouvait être réalisé autour de l'application des trois premiers principes énoncés ci-dessus, un tel « retour aux sources » pourrait constituer une « voie de progrès » considérable, dans le but d'unifier les dates des célébrations à caractère religieux à travers le monde musulman. En effet, grâce aux technologies modernes de communication, la première observation d'une nouvelle lune où que ce soit sur Terre, confirmée par les autorités musulmanes compétentes du lieu d'observation, pourrait être très rapidement portée à la connaissance des autorités compétentes de tous les Etats et communautés musulmanes de la planète, à charge pour ces dernières de diffuser la nouvelle chacune dans son pays.

Question n° 6 : Pourquoi existe-t-il dans le monde musulman une multiplicité de méthodes pour déterminer le début des mois lunaires ?

Les principaux Etats et communautés musulmans, dans le souci d’affirmer leur souveraineté et d'affiner leurs procédures, ont défini, chacun pour son propre usage, différentes méthodes en matière de détermination du début des mois lunaires.

Ainsi, l'Arabie Saoudite se base-t-elle sur l'observation mensuelle, à l'oeil nu, de la nouvelle lune pour déclarer le début des mois associés à des célébrations religieuses (Ramadan, Eid al Fitr, dhul Hijja, etc.). Des commissions spécialisées sont chargées, en de telles occasions, de scruter le ciel à l'oeil nu pour apercevoir la nouvelle lune, avant que le Haut Conseil Judiciaire d’Arabie Saoudite ne décrète le début du nouveau mois.

En Inde, au Pakistan, au Bangladesh, à Oman, au Maroc, au Nigéria, à Trinidad, etc., l'observation de la nouvelle lune doit être attestée par un cadi (juge) ou une commission officielle spécialisée.

En Egypte, le nouveau mois débute après la conjonction, lorsque la nouvelle lune se couche 5 minutes au moins après le coucher du soleil.

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En Indonésie, en Malaisie et à Brunei, il débute après la conjonction, lorsque l'âge de la nouvelle lune est supérieur à 8 h, l'altitude < 2° et l'élongation > 3 ° .

Il débute, en Turquie, après la conjonction, quand la nouvelle lune forme un angle de 8° au moins avec le soleil, à une altitude d'au moins 5 ° .

En Libye, sous l'ancien régime de Kaddhafi, le nouveau mois débutait si la conjonction se produisait avant l'aube (« fajr »), heure locale.

L'étude de cas spécifiques démontre, cependant, l'existence d'un écart important entre les règles que les différents Etats et communautés islamiques affirment appliquer et leurs pratiques.

Question n° 7 : Est-il licite pour les musulmans d'utiliser un calendrier lunaire basé sur le calcul ?

Le Coran n’interdit pas l’usage du calcul astronomique.

Néanmoins, le consensus des oulémas s'est solidement forgé, pendant 14 siècles, autour du rejet du calcul, à part quelques juristes isolés, dans les premiers siècles de l’ère islamique, qui prônèrent l’utilisation du calcul pour déterminer le début des mois lunaires. Sur le plan institutionnel, seule la dynastie (chi'ite) des Fatimides, en Égypte, a utilisé un calendrier basé sur le calcul, entre les Xè s. et XIIè s., avant qu’il ne tombe dans l’oubli à la suite d’un changement de régime.

Les oulémas s'appuient sur le postulat selon lequel il ne faut pas aller à l’encontre d’une prescription du Prophète. Ils estiment qu’il est illicite de recourir au calcul pour déterminer le début des mois lunaires, du moment que le Prophète a recommandé la procédure d’observation visuelle.

De nombreux oulémas soulignent, de plus, que le calendrier basé sur le calcul décompte les jours du nouveau mois à partir de la conjonction, laquelle précède d’un jour ou deux l’observation visuelle de la nouvelle lune. S’il était utilisé, le calendrier basé sur le calcul ferait commencer et s’achever le mois de ramadan, et célébrer toutes les fêtes et occasions religieuses, en avance d’un jour ou deux par rapport aux dates qui découlent de l’application du hadith du Prophète, ce qui ne serait pas acceptable du point de vue de la charia.

Cependant, ce dernier argument ne résiste pas à l'analyse.

Ainsi, d'après une étude de Kordi publiée en 2003, sur 42 rapports d'observations de la nouvelle lune du Ramadan, annoncées par le Conseil supérieur de la magistrature d'Arabie saoudite (Majlis al-Qada 'al-A'la) entre 1962 et 2001 (1381 H - 1422 H), plus de la moitié des observations avait été faite trop tôt, sur des bases erronées (telles que la confusion avec une étoile, une planète lumineuse comme Vénus, une traînée d'avion à l'horizon...).

De même, de nombreuses études réalisées par des astronomes musulmans au cours des dernières années, démontrent que les mois décrétés dans les pays musulmans sur une période de plusieurs décennies débutaient en des jours différents dans différents pays . « Eid al mawlid annabawi » (anniversaire de la naissance du Prophète) ou « Laylat al Qadr » (nuit du destin) sont ainsi célébrés en des jours différents dans différents pays musulmans (parfois avec un écart de deux ou, même, trois jours).

En conséquence, l'argument de précision des mois basés sur l’observation de la nouvelle lune ne peut être retenu.

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De fait, depuis le début du XXè s., quelques penseurs islamiques, ainsi qu’une poignée d’oulémas de renom, remettent en cause les arguments en faveur de la méthode d'observation de la nouvelle lune pour la détermination du début des mois lunaires.

A leur avis, le Prophète a simplement recommandé aux fidèles une procédure d’observation de la nouvelle lune, pour déterminer le début d’un nouveau mois. Les bédouins étant habitués à se baser sur la position des étoiles pour se guider dans leurs déplacements à travers le désert et pour connaître le début des mois, le Prophète n’avait fait que les conforter dans leurs pratiques ancestrales.

L’observation du croissant n’était qu’un simple moyen, et non pas une fin en soi, un acte d’adoration (‘ibada). Le hadith relatif à l’observation n’établissait donc pas une règle immuable, pas plus qu’il n’interdisait l’utilisation du calendrier astronomique.

D’ailleurs, d'après un consensus des juristes, le hadith du Prophète sur cette question ne préconise pas une observation visuelle de la nouvelle lune par chacun des fidèles, avant de commencer le jeûne du ramadan par exemple, mais simplement l’acquisition de l’information que le mois a débuté, selon des sources fiables (telles que les chefs de la communauté, les autorités du pays, etc.).

Cette dernière interprétation ouvre de toutes autres perspectives dans la discussion de cette question.

Question n° 8 : Quels sont les arguments des juristes musulmans qui prônent l’utilisation du calcul ?

Le cadi égyptien Ahmad Muhammad Shakir mérite une mention à part dans cette discussion. Il s'agit d'un juriste éminent de la première moitié du XXè s., qui occupa en fin de carrière les fonctions de président de la Cour suprême de la charia d’Égypte (tout comme son père avait occupé la même fonction au Soudan). Il reste, de nos jours encore, un auteur de référence en matière de sciences du hadith.

Il a publié, en 1939, une étude importante et originale axée sur le côté juridique de la problématique du calendrier islamique, sous le titre : « Le début des mois arabes … la charia permet-elle de le déterminer en utilisant le calcul astronomique ? ».

D’après lui, le Prophète a tenu compte du fait que la communauté musulmane de son époque était « illettrée, ne sachant ni écrire ni compter », avant d’enjoindre à ses membres de se baser sur l’observation de la nouvelle lune pour accomplir leurs obligations religieuses du jeûne et du hajj.

Mais, la communauté musulmane a évolué de manière considérable au cours des siècles suivants. Certains de ses membres sont même devenus des experts et des innovateurs en matière d’astronomie. En vertu du principe de droit musulman selon lequel « une règle ne s’applique plus, si le facteur qui la justifie a cessé d’exister », la recommandation du Prophète ne s’applique plus aux musulmans, une fois qu’ils ont appris « à écrire et à compter » et ont cessé d’être « illettrés ».

Les oulémas d’aujourd’hui commettent donc une erreur d’interprétation lorsqu’ils donnent au hadith du Prophète sur cette question la même interprétation qu’au temps de la Révélation, comme si ce hadith énonçait des prescriptions immuables, alors que ses dispositions ne sont plus applicables à la communauté musulmane depuis des siècles, en vertu des règles mêmes de la charia.

Shakir rappelle le principe de droit musulman selon lequel « ce qui est relatif ne peut réfuter l’absolu, et ne saurait lui être préféré, selon le consensus des savants. ». Or, la vision de la

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nouvelle lune par des témoins oculaires est relative, pouvant être entachée d’erreurs, alors que la connaissance du début du mois lunaire basée sur le calcul astronomique est absolue, relevant du domaine du certain.

Il rappelle également que de nombreux juristes musulmans de grande renommée ont pris en compte les données du calcul astronomique dans leurs décisions, citant à titre d’exemples Cheikh Al-Mraghi, président de la Cour suprême de la charia d’Égypte ; Taqiddine Assoubki et Takiddine bin Daqiq al-Eid.

Shakir souligne, en conclusion, que rien ne s’oppose, au niveau de la charia, à l’utilisation du calcul pour déterminer le début des mois lunaires et ce, en toutes circonstances, et non à titre d’exception seulement, comme l’avaient recommandé certains oulémas.

Il observe, par ailleurs, qu’il ne peut exister qu’un seul mois lunaire pour tous les pays de la Terre, basé sur le calcul, ce qui exclut la possibilité que le début des mois diffère d’un pays à l’autre. L’utilisation du calendrier basé sur le calcul rendra possible la célébration le même jour, dans toutes les communautés musulmanes de la planète, d’événements à caractère hautement symbolique sur le plan religieux, tels que le 1er muharram, le 1er ramadan, l’aïd al fitr, l’aïd al adha ou le jour de Arafat, lors du hajj. Cela renforcera considérablement le sentiment d’unité de la communauté musulmane à travers le monde.

Cette analyse juridique du cadi Shakir n’a jamais été réfutée par les experts en droit musulman, trois-quarts de siècle après sa publication. Le professeur Yusuf al-Qaradawi s’est récemment rallié formellement à la thèse du cadi Shakir. Dans une importante étude publiée en 2004, intitulée : « Calcul astronomique et détermination du début des mois », al-Qaradawi prône pour la première fois, vigoureusement et ouvertement, l’utilisation du calcul pour l’établissement du calendrier islamique, une question sur laquelle il avait maintenu une réserve prudente jusque-là. Il cite à cet effet avec approbation de larges extraits de l’étude de Shakir.

Question n° 9 : Comment s'explique l'ambiguïté du sort de l'opinion du cadi Shakir, qui n'a été réfutée par aucun expert en droit musulman, mais n'a été adoptée par aucun Etat musulman, non plus ?

Il s'agit d'un paradoxe de plus, à ajouter à la liste des paradoxes dont la situation du calendrier musulman est entourée. Pourtant, ces paradoxes mériteraient une sérieuse considération de la part des responsables politiques et religieux, pour qu'ils en tirent les conclusions appropriées, au lieu de les ignorer. Par exemple :

a) Le calendrier musulman basé sur l'observation de la nouvelle lune n'est utilisé dans les sociétés musulmanes contemporaines que pour déterminer les dates des célébrations religieuses. Pour répondre à tous leurs autres besoins, les musulmans du monde entier utilisent, depuis de nombreux siècles, le calendrier grégorien basé sur le calcul astronomique, sans la moindre appréhension qu'ils pourraient, ce faisant, violer des prescriptions religieuses.

Pourquoi serait-il licite pour les musulmans (y compris les oulémas) d'utiliser le calendrier grégorien basé sur le calcul astronomique pour répondre à tous leurs besoins, tandis que l'utilisation du calendrier musulman fondé sur le même calcul serait illicite?

b) La même situation peut être observée au niveau des États musulmans. Ainsi, l'Arabie Saoudite ne voit-elle aucun problème à utiliser le calendrier d'Umm al Qura, basé sur le calcul, pour la gestion de toutes les affaires administratives et budgétaires du pays, tout en insistant sur le fait qu'il serait illicite de l'utiliser pour la détermination des dates de célébrations religieuses.

Sur quelles règles de la Charia cette proposition paradoxale se fonde-t-elle ?

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c) L'utilisation par l'Arabie Saoudite du calendrier basé sur le calcul pour gérer ses affaires administratives est la preuve, au-delà de tout doute possible, que le calendrier lunaire basé sur l'observation mensuelle de la nouvelle lune est impropre à une telle utilisation. La question doit donc être posée : « Quand le Prophète a indiqué à ses Compagnons d'observer la nouvelle lune pour connaître le début du mois de Ramadan, était-il dans son intention de déconnecter le calendrier arabe de ses fondements astronomiques, le rendant impropre à toute utilisation pratique ? Ou bien a-t-il simplement donné, au temps de la Révélation, une réponse appropriée à la question qui lui était posée, basée sur les pratiques courantes des Arabes de l'époque? »

Dans ce dernier cas, n'aurait-on pas dû revoir cette réponse pour l'adapter aux besoins des sociétés musulmanes au fur et à mesure qu'elles ont progressé sur les plans scientifique, culturel et social ? Ne serait-il pas temps de procéder à cet examen et à cette adaptation maintenant?

d) Pourquoi les horaires des prières sont-ils déterminés sur la base de calculs astronomiques, sans que personne ne doute de leur conformité avec la charia, mais on rejette l'utilisation du calcul pour la détermination du début des mois lunaires islamiques ?

Sur la base des considérations précédentes, de nombreux penseurs et organismes musulmans estiment qu'il est parfaitement licite pour les musulmans d'utiliser un calendrier basé sur le calcul, en substitution à la méthode d'observation mensuelle de la nouvelle lune pour déterminer le début du mois. Mais il existe de grandes divergences entre eux au sujet des spécificités qu'un calendrier musulman basé sur le calcul, à vocation « universelle », devrait avoir, ainsi qu'il ressort des principales propositions qui ont été faites en ce domaine au cours des dernières années.

Question n° 10 : Quelles sont les principales propositions de réforme du calendrier musulman à l'étude aujourd'hui ?

Au cours du dernier demi-siècle, la Ligue arabe, l’Organisation de la Conférence Islamique et d’autres institutions similaires ont présenté à leurs Etats membres plus d'une demi-douzaine de propositions dans le but de développer un calendrier islamique commun. Bien que ces propositions n’aient jamais abouti, jusqu’ici, les efforts continuent dans cette voie, à la recherche d'une solution acceptable pour toutes les parties concernées.

a) La proposition du Conseil du Fiqh d'Amérique du Nord (CFAN)

Le Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN), qui s’est senti depuis des années interpelé par cette question, a annoncé au mois d’août 2006 sa décision mûrement réfléchie d’adopter désormais un calendrier islamique basé sur le calcul, en prenant en considération la visibilité de la nouvelle lune où que ce soit sur Terre.

Utilisant comme point de référence conventionnel, pour l’établissement du calendrier islamique, la ligne de datation internationale (Greenwich Mean Time (GMT)), il déclare que désormais, en ce qui le concerne, le nouveau mois lunaire islamique en Amérique du Nord commencera au coucher du soleil du jour où la conjonction se produit avant 12 : 00 GMT. Si elle se produit après 12 : 00 GMT, alors le mois commencera au coucher du soleil du jour suivant.

La décision du CFAN est d’un grand intérêt, parce qu’elle conjugue avec une grande subtilité les exigences théologiques des oulémas avec les données de l’astronomie. Le CFAN retient le principe de l’unicité des matali’e (horizons), qui affirme qu’il suffit que la nouvelle lune soit observée où que ce soit sur Terre, pour déterminer le début du nouveau mois pour tous les

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pays de la planète. Après avoir minutieusement étudié les cartes de visibilité du croissant lunaire en différentes régions du globe, il débouche sur la conclusion suivante :

Si la conjonction se produit avant 12 : 00 GMT, cela donne un temps suffisant pour qu’il soit possible d’observer la nouvelle lune en de nombreux points de la Terre où le coucher du soleil intervient longtemps avant le coucher du soleil en Amérique du Nord. Étant donné que les critères de visibilité de la nouvelle lune seront réunis en ces endroits, on pourra considérer qu’elle y sera observée (ou qu’elle aurait pu l’être si les conditions de visibilité avaient été bonnes), et ce bien avant le coucher du soleil en Amérique du Nord.

Par conséquent, sur ces bases, les stipulations d’observation de la nouvelle lune seront respectées, comme le prescrit l'interprétation traditionnelle de la charia, et le nouveau mois lunaire islamique débutera en Amérique du Nord au coucher du soleil du même jour. Si la conjonction se produit après 12 : 00 GMT, alors le mois commencera en Amérique du Nord au coucher du soleil du jour suivant.

La décision de 2006 du Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN) a suscité de l’intérêt dans de nombreux pays musulmans, dans la mesure où elle tient compte des exigences de l’interprétation traditionnelle de la charia, tout en permettant d'établir à l’avance un calendrier islamique annuel, qui peut en fait s’appliquer à l’ensemble du monde musulman. Le début des mois de ce calendrier serait programmé sur la base du moment (parfaitement prévisible, longtemps à l’avance) auquel la conjonction se produira chaque mois.

Des astronomes d’une dizaine de pays se sont ainsi réunis au Maroc, en novembre 2006, en vue de discuter de la possibilité d'adoption d'un calendrier islamique universel. D’après un rapport publié par Moonsighting.com en décembre 2006, à une très forte majorité, comprenant l’Arabie Saoudite, l’Egypte et l’Iran, les astronomes ont estimé que le calendrier adopté par le Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord pouvait être utilisé comme calendrier islamique universel.

b) Un calendrier lunaire basé sur le calcul, à vocation « universelle » aux paramètres de la Mecque

L'Arabie Saoudite utilise depuis plusieurs décennies, à des fins administratives, un calendrier annuel, basé sur le calcul, connu sous le nom de « calendrier d'Umm al Qura. » Il tient compte à la fois de la "conjonction" et des horaires de coucher du soleil et de la lune aux coordonnées de La Mecque, le soir du 29è j de chaque mois. Le coucher de la lune après celui du soleil indique le début du nouveau mois. Dans le cas contraire, le mois en cours aura une durée de 30 jours.

En 2007, le CFAN modifia sa position pour s'aligner sur une décision du Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche (CEFR), qui utilisait les paramètres du calendrier saoudien d'Umm al Qura pour déterminer le début des mois islamiques (la « conjonction » se produisant « avant le coucher du soleil aux coordonnées de la Mecque », et "le coucher de la lune ayant lieu après celui du soleil" aux mêmes coordonnées.)

Le CFAN et le CEFR décidèrent d'utiliser leur propre calendrier, au lieu de celui d'Umm al Qura, du fait que ce dernier faisait parfois l'objet d'"ajustements" pour faire coïncider certaines dates avec celles retenues par les autorités saoudiennes pour des célébrations à caractère religieux (telles que le début et la fin du ramadan et la date du hajj en particulier). Mais, ils substituèrent les paramètres de la Mecque à ceux retenus par le CFAN en 2006 dans le but de favoriser le développement d’un consensus des musulmans à travers le monde sur cette question.

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D’après le CFAN, les données du calendrier ainsi établi ne diffèrent que de manière marginale de celles obtenues par l’application de sa méthodologie d’août 2006, même si cette dernière reste la version préférée des astronomes concernés par cette question.

Les décisions du CFAN et du CEFR ont eu les retombées importantes suivantes, sur le plan institutionnel :

- Le principe d’utilisation du calendrier basé sur le calcul est officiellement parrainé par des leaders religieux connus et respectés de la communauté musulmane ;

- Il est adopté officiellement par des organisations islamiques dont nul ne conteste la légitimité ;

- Les communautés musulmanes d’Europe et d’Amérique sont disposées à l’utiliser pour la détermination du début de tous les mois, y compris ceux associés à des occasions à caractère religieux.

Question n° 11 : Quel est actuellement “l'état des lieux” sur cette question ?

Cinq ans après l'adoption des décisions du CFAN et du CEFR, il est possible de dresser un état des lieux, sur la base des annonces faites par différents Etats et organismes musulmans, à l'occasion du 1er ramadan 1433 (Juillet 2012). Il en ressort qu'il subsiste des différences majeures entre les principaux États et organisations musulmanes concernées, au sujet des paramètres et spécifications d'un calendrier musulman à vocation universelle.

Ainsi, en application de sa politique déclarée, le Conseil du Fiqh d'Amérique du Nord (CFAN) a annoncé au début de Juillet 2012, donc bien à l'avance, que « le premier jour du Ramadan 1433 correspondrait au vendredi 20 Juillet, 2012 et l'Aïd al -Fitr, au dimanche 19 Août 2012. »

Le CFAN a expliqué que :

a) il reconnaissait le calcul astronomique comme une méthode acceptable, dans le cadre de la charia, pour déterminer le début des mois lunaires, y compris ceux de Ramadan et Shawwal ;

b) il utilisait Makkah Al-Moukarrama comme le site au niveau duquel les calculs astronomiques devaient être effectués, et

c) la conjonction devait avoir lieu avant le coucher du soleil à La Mecque et la lune devait se coucher après le soleil. "Sur la base de cette méthode, les dates du ramadan et Eid Fitr pour les 1433 ans AH étaient établies comme suit: 1er Ramadan le vendredi 20 Juillet 2012 et le 1er Shawwal le dimanche 19 Août 2012 ".

Mais, le Conseil européen pour la Fatwa et la Recherche (CEFR), qui est basé à Dublin, semble avoir changé de position, du moins pour le moment, par rapport à sa décision de 2007. Il a également annoncé, bien à l'avance, que le 1er Ramadan 1433 serait le vendredi 20 Juillet 2012, mais a expliqué que cette conclusion était « fondée sur des critères de calcul postulant qu'il doit y avoir la possibilité d'observer le croissant à l'oeil nu ou à l'aide d'un télescope en un endroit quelconque de la Terre. Pour que cette possibilité d'observation du croissant dans un quelconque endroit de la Terre puisse être vérifiée, les conditions suivantes doivent être réunies :

a) La lune doit se coucher après le coucher au site où cette observation doit être possible ;

b) L'altitude de la lune au coucher du soleil doit être d'au moins 5 degrés ; et

c) L'élongation (distance angulaire apparente entre les centres du Soleil et de la Lune) doit être d'au moins 8 degrés. »

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Les autorités saoudiennes, quant à elles, continuent d'affirmer qu'elles s'appuient exclusivement sur l'observation visuelle de la nouvelle lune afin de déterminer les dates de événements associés à des cérémonies religieuses. Elles ont ont ainsi annoncé, dans la soirée du jeudi 19 Juillet, 2012, que la nouvelle lune avait été observée et que le jeûne du Ramadan débuterait le vendredi 20 Juillet.

La déclaration saoudienne contredisait les déclarations faites par les astronomes dans les sites spécialisés, affirmant qu'il serait impossible d'observer la nouvelle lune dans la région du Moyen-Orient dans la soirée du jeudi 19 Juillet. Toutefois, sur la base de l'annonce saoudienne, quelques 70 pays et communautés musulmanes à travers le monde ont entamé le jeûne du Ramadan le vendredi 20 Juillet. Cela constituait un record historique du nombre de pays musulmans commençant le jeûne à la même date. 32 pays et communautés entamèrent le jeûne le samedi 21 juillet, après avoir observé la nouvelle lune la veille au soir.

Pour leur part, les principales associations musulmanes de France ont annoncé, elles aussi, que le 1er Ramadan 1433 serait le vendredi 20 Juillet 2012. Elles se sont fondées sur un calendrier basé sur le calcul astronomique, en tenant compte des critères de la possibilité d'observation de la nouvelle lune en quelque endroit que ce soit sur Terre.

Les musulmans turcs d'Asie Mineure et de nombreuses communautés musulmanes d'Europe de l'Est ont également entamé le jeûne du Ramadan 1433 le vendredi 20 Juillet 2012, sur la base du calendrier musulman de la Turquie. Ce dernier est calculé des années à l'avance (actuellement jusqu'à 1437 AH/2015 CE) par la présidence turque des affaires religieuses (Diyanet Isleri Baskanligi).

Depuis 1 Muharram 1400 AH (21 Novembre 1979), le calendrier lunaire turc est basé sur la règle suivante: « Le mois lunaire est supposé commencer le soir où, quelque part sur Terre, le centre calculé de la nouvelle lune au coucher du soleil local est de plus de 5 ° au-dessus de l'horizon et l'élongation de plus de 8 °. "

On peut tirer les conclusions suivantes à partir des remarques précédentes :

a) l'utilisation d'un calendrier lunaire musulman basé sur le calcul ne cesse de gagner des adhérents, en particulier au sein des communautés musulmanes d'Amérique du Nord et d'Europe occidentale. Mais il ya encore des différences importantes quant aux spécifications du calendrier lunaire à utiliser, comme en témoignent les différentes méthodologies utilisées par CFAN, CEFR, les associations musulmanes de France ou les musulmans turcs ;

b) le nombre d'États qui ont entamé le jeûne du ramadan sur la base de l'annonce saoudienne a connu un développement considérable ;

c) la stratégie et les objectifs de l'Arabie saoudite en matière de détermination des mois lunaires associés à des pratiques religieuses continuent d'être déroutants pour l'observateur. Les autorités saoudiennes annoncent régulièrement l'observation d'une nouvelle lune à des dates où les astronomes professionnels indiquaient clairement, longtemps à l'avance, qu'une telle observation serait impossible à réaliser. Elles utilisent le calendrier d'Umm Al Qura (qui est basé sur le calcul astronomique) à des fins civiles et administratives mais, assez régulièrement, elles avancent ou reculent d'un jour la date du début d'un mois associé à des célébrations religieuses, pour des raisons inexpliquées.

Ces manipulations du calendrier d'Umm al Qura en réduisent la crédibilité et amenuisent ses chances de servir comme un calendrier musulman à vocation universelle, susceptible d'être adopté par les différentes communautés musulmanes du monde entier. C'est ce qui explique que les communautés musulmanes d'Amérique du Nord et d'Europe ont préférer établir leur

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propre calendrier musulman basé sur le calcul astronomique, en utilisant les paramètres de leur choix.

Question n° 12 : Parmi toutes les méthodes proposées pour l'élaboration du calendrier lunaire basé sur le calcul, y en a-t-il une qui se détache nettement des autres ?

Une telle méthode devrait à la fois satisfaire toutes les exigences techniques, et être susceptible de recueillir un maximum d'adhésions de la part des Etats Islamiques et des communautés musulmanes à travers le monde. En effet, l'objectif recherché, c'est l'élaboration d'un calendrier lunaire musulman « universel » qui réponde parfaitement aux besoins quotidiens de tous les musulmans, où qu'ils soient. La méthode choisie doit ainsi faire débuter le mois lunaire le même jour sur toute la Terre, comme le spécifiait le cadi Muhammad Shakir dans son opinion juridique de 1939.

Sur le plan théorique, le calendrier lunaire basé sur le calcul, élaboré par les observatoires astronomiques internationaux, répondrait parfaitement à un tel cahier des charges. Mais, de plus, la communauté musulmane cherche, aujourd'hui, à associer avec subtilité des critères relevant de l'observation (même virtuelle) de la nouvelle lune aux calculs astronomiques. Les modèles suivants répondent aujourd'hui à ces spécifications :

- Le calendrier saoudien d'Umm al Qura : les calculs astronomiques sont effectués aux paramètres de La Mecque ; la conjonction doit avoir lieu avant le coucher du soleil à La Mecque et la lune doit se coucher après le soleil. D'après les autorités saoudiennes, ce calendrier doit uniquement servir à des fins administratives et budgétaires. Il fait périodiquement l'objet d' « ajustements » de la part des autorités saoudiennes (dates avancées ou reculées d'un jour)

- Le calendrier musulman du CFAN : tout comme le calendrier d'Umm al Qura, il utilise la Mecque comme le site au niveau duquel les calculs astronomiques doivent être effectués ; la conjonction doit avoir lieu avant le coucher du soleil à La Mecque et la lune doit se coucher après le soleil. Il a été conçu en priorité pour répondre aux besoins des populations musulmanes d'Amérique du Nord. La seule différence avec le calendrier d'Umm al Qura réside dans le fait qu'il ne fera pas l'objet d' « ajustements ».

- Le calendrier musulman de Turquie : le mois lunaire commence le soir où, quelque part sur Terre, le centre calculé de la nouvelle lune au coucher du soleil local est de plus de 5 ° au-dessus de l'horizon et l'élongation de plus de 8 °.

- Le calendrier astronomique du CEFR : il est « fondé sur des critères de calcul postulant qu'il doit y avoir la possibilité d'observer le croissant à l'oeil nu ou à l'aide d'un télescope en un endroit quelconque de la Terre. Pour que cette possibilité d'observation du croissant dans un quelconque endroit de la Terre puisse être vérifiée, les conditions suivantes (similaires à celles de la Turquie) doivent être réunies :

a) La lune doit se coucher après le coucher au site où cette observation doit être possible ;

b) L'altitude de la lune au coucher du soleil doit être d'au moins 5 degrés ; et

c) L'élongation (distance angulaire apparente entre les centres du Soleil et de la Lune) doit être d'au moins 8 degrés. »

La comparaison des résultats donnés par les calendriers d'Umm al Qura, de Turquie, du CEFR et du CFAN sur une période de 5 ans montre que les différences sont négligeables (1 ou 2 résultats différents par modèle de calendrier, par rapport aux autres, sur 60 observations).

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Le critère décisif de sélection parmi les quatre modèles n'est donc pas à caractère technique, mais purement stratégique et politique. Lequel de ces modèles est le plus susceptible de recueillir un maximum d'adhésions de la part des Etats islamiques et des communautés musulmanes à travers le monde ?

Procédons par élimination. Le calendrier d'Umm al Qura et celui du CFAN utilisent les mêmes critères techniques. Mais la crédibilité du calendrier d'Umm al Qura souffre des manipulations dont il fait l'objet de la part des autorités saoudiennes. Le modèle a plus de chances de recueillir des adhésions quand il est parrainé par le CFAN, qui en garantit l'intégrité.

Le calendrier musulman de Turquie et celui du CEFR utilisent, eux aussi, les mêmes critères techniques, mais le modèle a plus de chances de recueillir les adhésions quand il est parrainé par le CEFR que par la seule Turquie.

On peut donc considérer que les deux modèles restant en lice sont ceux du CFAN et du CEFR. Les deux propositions étant également valables sur le plan technique, le choix doit se faire sur la base de considérations purement stratégiques et politiques. Si toutes les communautés musulmanes d'Europe adoptaient le modèle du CEFR, cela constituerait un très grand progrès dans la situation, débouchant sur un ensemble de poids dans le monde musulman. Il en serait de même si toutes les communautés musulmanes d'Amérique du Nord et du Sud adoptaient le modèle du CFAN. De tels ensembles constitueraient des modèles pour les autres communautés musulmanes d'Afrique, d'Asie, etc., ce qui faciliterait la convergence vers un modèle unique, à terme.

L'essentiel, c'est que les musulmans s'habituent, sur le plan culturel et social, à disposer de calendriers élaborés des années à l'avance, de manière stable, répondant à tous leurs besoins et leur permettant de gérer toutes leurs activités dans la plus grande sérénité. Les calendries du CFAN et du CEFR permettent d'atteindre cet objectif.

Pour le moment, on peut simplement noter que, dans le sillage du cadi Shakir, de Yusuf al-Qaradawi, et des maîtres à penser du CFAN et du CEFR, une nouvelle génération de penseurs musulmans ne voit aucun obstacle religieux à l'adoption d'un calendrier basé sur le calcul astronomique. Elle ne constitue encore qu'une minorité, comparée à l'ensemble de la population musulmane du monde, et se situe principalement en Amérique du Nord, en Europe et dans certains pays d'Afrique du Nord, aujourd'hui. Mais, elle ne cesse de gagner du terrain, avec l'appui de quelques penseurs, leaders politiques et sociaux, juristes influents et théologiens célèbres du monde musulman.

Cette minorité musulmane sera-t-elle en mesure de convertir à ses propositions la grande majorité de ceux qui, aujourd'hui, continuent de défendre l'approche traditionnelle pour la détermination du début des mois lunaires ? Ou bien, ces derniers resteront-ils fidèlement au côté des mouvements conservateurs qui, aujourd'hui plus que jamais, prêchent vigoureusement le respect de l'orthodoxie et des traditions en matière religieuse ?

Dans ces premières années du 21ème siècle, le calendrier basé sur le calcul devient, à son tour, un symbole et un enjeu dans la confrontation rituelle, récurrente entre ceux qui défendent les traditions et ceux qui veulent promouvoir la modernité dans les sociétés musulmanes.

28 avril 2013

* Je tiens à exprimer toute ma gratitude à Mme Rachida Benchemsi et à MM. Said Branine, Mark Huband, Daniel Martin Varisco et Khalid Shaukat, ainsi qu'au site Oumma.com. Le présent texte est basé sur cinq articles traitant du calendrier musulman publiés par le site Oumma.com entre 2006 et 2012 (http://oumma.com/Khalid-Chraibi).

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Ouvrages et documents utilisés

En français

Nidhal Guessoum : Le problème du calendrier islamique et la solution Képler

Mohamed Nekili : Vers un calendrier islamique universel

Conseil Français du Culte Musulman (CFCM): Ramadan moubarak

Nidhal Guessoum : Quel sera le premier jour du mois de Ramadan 2012 ?

Emile Biémont : Rythmes du temps, Astronomie et calendriers, De Borck, 2000, 393p

Louisg : Le Calendrier musulman

Louisg : Le début des mois dans le calendrier musulman Karim Meziane et Nidhal Guessoum : La visibilité du croissant lunaire et le ramadan, La Recherche n° 316, janvier 1999

Jamal Eddine Abderrazik : « Calendrier Lunaire Islamique Unifié », Editions Marsam, Rabat, 2004.

Ahmad Muhammad Shakir – notice biographique

Khalid Chraibi: 1er muharram, calendrier lunaire ou islamique ? Oumma.com

Khalid Chraibi : La problématique du calendrier islamique, Oumma.com

Khalid Chraibi : Le calendrier musulman en 10 questions, Oumma.com Khalid Chraibi, La charia et le calendrier, Oumma.com Khalid Chraibi, La réforme du calendrier musulman: les termes du débat, Oumma.com

• En arabe

Ahmad Shakir: « Le début des mois arabes … est-il licite de le déterminer sur la base du calcul astronomique ? ». (publié en arabe en 1939) reproduit par le quotidien « al- madina », 13 octobre 2006 (n° 15878)

Yusuf al-Qaradawi: « Calcul astronomique et détermination du début des mois » (en arabe)al-Haj: « Le faqih, le politicien et la détermination des mois lunaires » (en arabe)

Allal el Fassi: « Aljawab assahih wannass-hi al-khaliss ‘an nazilati fas wama yata’allaqo bimabda-i acchouhouri al-islamiyati al-arabiyah » (… concernant le début des mois islamiques arabes), rapport préparé à la demande du roi Hassan II du Maroc, Rabat, 1965 (36 p.), sans indication d'éditeur

Abi alfayd Ahmad al-Ghomari: Tawjih alandhar litaw-hidi almouslimin fi assawmi wal iftar (Pour l'unification des dates de jeûne des musulmans), 160p, 1960, Dar al bayareq, Beyrouth, 2nd ed. 1999

Nidhal Guessoum, Mohamed el Atabi et Karim Meziane : "Ithbat acchouhour alhilaliya wa mouchkilate attawqiti alislami" (Détermination du début des mois lunaires...), 152p., Dar attali’a, Beyrouth, 2è éd., 1997

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Muhammad Mutawalla al-Shaârawi : Fiqh al-halal wal haram (Fiqh du licite et de l'illicite), édité par Ahmad Azzaâbi, Dar al-Qalam, Beyrouth, 2000

• En anglais

http://www.moonsighting.com/

http://www.moonsighting.com/1427zhj.html

Zulfikar Ali Shah: The astronomical calculations: a fiqhi discussion

Fiqh Council of North America - Announcements - Ramadan & Eid Mubarak 1433 (2012)

Fiqh Council of North America: Calendars

Robert Harry Van Gent: The Umm-al-Qura calendar of Saudi Arabia Anver Saad: « The Untold Story of Ramadhan Moon Sighting » Daily muslims, October 07, 2005 Ahmad Muhammad Shakir

European Council for Fatwa and Research (ECFR) announcement

Gouvernement de Turquie : Calendrier musulman

Robert Harry van Gent: The Islamic calendar of Turkey

Moonsighting.com: How Islamic months begin Moonsighting.com: Selected articles on the Islamic calendarIslamic Crescent’s Observation Project (ICOP): Selected articles on the Islamic calendar Saudi Arabia High Judiciary Council: Announcement of beginning of months 2000-2012 Helmer Aslaksen: The Islamic calendar Mohammad Ilyas: Lunar crescent visibility criterion and Islamic calendar Mohamed Odeh: The actual Saudi dating system Robert Harry van Gent: Predicting the First Visibility of the Lunar Crescent : bibliography on lunar crescent visibility

Fiqh Council of North America: Islamic lunar calendar decision of 2006

Islamic Center of Boston, Wayland: Moonsighting Decision documents Khalid Chraibi: Issues in the Islamic Calendar, Tabsir.net Khalid Chraibi: Towards a global Islamic calendar, SaudiDebate.com Khalid Chraibi: Can the Umm al Qura calendar serve as a global Islamic calendar?Tabsir.net Khalid Chraibi, The reform of the Islamic calendar: the terms of the debate, Tabsir.net,September 2012A video by Dr.Muzammil Siddiqi on “Fiqh Council of North America about using astronomical calculations to affirm the month of Ramadan”

A video by Dr. Jamal Badawi on “To see or not to see: the Moon Sighting controversy in Islam” A video by Javed Ghamidi: The issues regarding moon-sighting A video by Dr. Tahirul Qadri on moonsighting and calculation Sighting and Calculations by Dr. Muneer Fareed

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Different proposals for the reform of the Islamic calendar