Kenya-kakamega

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22 15 juillet 2010

REPORTAGE

La dernière forêt tro

A l’orée de la forêt, l’entrée du futur parc à serpents, destiné à montrer aux habitants l’utilité des reptiles.

Meshak Agweyu (avant-dernier à droite) avec sa famille. Signe de

richesse, il a épousé trois femmes.

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picale du KenyaKakamega, à l’ouest du Kenya,est le dernier îlot kenyan de la forêt tropicale humide quicouvrait l’Afrique de la Guinéeéquatoriale à l’océan Indien.Après des décennies de déforestation et d’agressions,les habitants se sont organiséspour protéger ce trésor écologique tout en assurant le développement économiquede la région.

Un reportage (texte et photos)

de Clément Girardot

Benjamin Okalo président de KEEP, parle de sa forêt avec passion.

Une vache attenddevant l’église

pentecôtiste Kasali. De nom-breuses Eglises

protestantes sont présentes

à Kakamega.

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REPORTAGE

Benjamin Okalo est intarissa-ble sur sa forêt. L’esprit vif,

il peut sillonner les yeux fermésce sublime labyrinthe vert qui abien failli disparaître. Cela fait25 ans que ce guide parcourt cemicrocosme où l’homme est siminuscule face à la nature: ici,les arbres peuvent atteindre 30mètres de haut et ils abritent unécosystème unique.La réserve nationale de Kakame-ga est la dernière forêt équato-riale du Kenya: un trésor écolo-gique de 240 km2 situé à l’ouestdu pays, à proximité de l’Ou-ganda. Cette zone luxuriante re-cèle la plus grande biodiversitédu pays: plus de 500 espècesanimales dont une bonne partieest endémique. 7 espèces de sin-ges, 300 d’oiseaux et 40 de ser-pents sont les hôtes de ces boisoù l’on dénombre aussi plus de350 sortes d’arbres. Ici, toutsemble n’être que luxe, calme etvolupté; mais le cri rauque dusinge bleu vient sortir le visiteurde sa rêverie pour lui rappeler la

fragilité de cette forêt tropicaledont la sauvegarde est crucialepour lutter contre le changementclimatique.Dix fois plus grande en 1918, laforêt de Kakamega a été grigno-tée par la population locale. «En1995, j’ai pensé qu’il fallait don-ner un rôle à la communauté deKakamega pour en finir avec lesactivités illégales comme la cou-pe de bois, déclare Benjamin Oka-lo, président de KEEP, le pro-gramme d’éducation environne-mentale de Kakamega. Si nousn’avions rien fait, la forêt auraitdisparu en l’espace de vingt ans.»KEEP, né cette année-là, veut sen-sibiliser les habitants à la préser-vation de leur environnement etdévelopper des activités écono-miques respectueuses de la na-ture.

CATASTROPHE IMMINENTEL’ouest du Kenya est densémentpeuplé: 240’000 habitants viventautour de la forêt, constituantautant de destructeurs potentiels.

La pauvreté, le chômage et lasurpopulation ont poussé beau-coup de riverains à s’en prendreà la forêt pour survivre: ils s’yapprovisionnent en bois pour sechauffer ou fabriquer du char-bon. Les petits agriculteurs – quipossèdent des terrains d’unesurface inférieure à 0,5 hectares– sont les plus dépendants de laforêt. «Avant, j’allais dans la fo-rêt pour pouvoir nourrir ma fa-mille, raconte Maridah Khalawa,mère de cinq enfants. Aujourd’hui,je suis trop occupée par le tra-vail dans les champs de thé etd’ocimum (plante médicinale).»Les autorités comptent aussi surla peur du gendarme pour em-pêcher les prélèvements illégaux.Les contrôles des garde-fores-tiers sont réguliers et les peinesdissuasives: 75 francs ou 3 moisde prison pour qui coupera dubois dans la forêt. Mais la ré-pression à elle seule ne résoutpas les problèmes et exclut lespopulations locales des politi-ques de conservation. En février

Point de contrôleà l’entrée dela réserve de

Kakamega. Les gardes ré-priment sévère-ment le pillagede la forêt.

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d’un terrain de recherche parti-culièrement riche, les touristesd’un espace de grande beauté etl’Etat d’une partie des revenustouristiques nationaux».

ALTERNATIVES AU PILLAGEKEEP met l’accent sur l’éduca-tion populaire pour changer lesmentalités et s’attaque aux cau-ses économiques de la défores-tation sauvage: «Notre but estque les gens gagnent plus d’ar-gent pour qu’ils ne viennent pluschercher leurs revenus dans laforêt, affirme Benjamin Okalo.La monoculture du maïs ne vapas aider les paysans à sortir dela pauvreté, c’est pour cela qu’ilfaut proposer des alternatives!».Depuis 1984, la forêt est proté-gée des défriches illégales parune zone tampon, une ceinturede plantations de thé qui a le dou-

La flore deKamamega est

très riche. Denombreusesespèces sontendémiques.

Ce jeune guide de KEEP s’engage pour

protéger un siteunique.

Le soleil se lève chaque jour à 5h50 sur la forêt équatoriale de Kakamega.

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2003, des scientifiques françai-ses tiraient la sonnette d’alarme:«Si rien n’est fait, la situation se-ra bientôt catastrophique. D’unepart, l’augmentation inexorablede la pauvreté conduira très pro-

bablement à la disparition desagriculteurs les plus pauvres, for-cés à l’exode rural. D’autre part, la forêt de Kakame-ga ne cessera de diminuer en vo-lume, privant les scientifiques

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REPORTAGE

ble mérite de stopper l’extensiondes habitations et de nécessiterune importante main-d’œuvre.Parmi les autres activités alter-natives, la culture de la plantemédicinale Ocimum kilimand-scharicum est la plus lucrative;elle est distillée sur place dansune usine pour produire unehuile essentielle commerciali-sée sous le nom de Naturub. «Jegagne beaucoup d’argent aveccette plante, raconte fièrementMeshak Agweyu, 50 ans. Avecl’argent récolté, j’ai pu construi-re une nouvelle maison.» Sur-tout, il ne se rend plus dans laforêt pour voler du bois, lui quia été arrêté à de nombreuses re-prises. L’ocimum est une variété indi-gène de lavande qui peut êtrerécoltée tous les trois mois sansêtre replantée; elle pousse aussià l’état sauvage dans la forêt. Ceprojet, lancé avec 50 paysans en2000, bénéficie aujourd’hui à 500

personnes à Kakamega. Il est no-tamment soutenu par l’ONG suis-se Biovision.

DÉVELOPPEMENT DE L’ÉCOTOURISMELa forêt recèle un autre trésorbien caché: les papillons. 400espèces sont représentées à Ka-kamega. Dans une clairière sedresse la ferme de KEEP où sontélevés des dizaines de papillonsmulticolores sous un immensefilet. «Les papillons se dévelop-pent très vite, note BenjaminOkalo. Ils pondent beaucoupd’œufs et les chrysalides se ven-dent de 2 à 10 dollars l’unité.»Les clients sont des chercheurs,des collectionneurs ou, plus ori-ginal, des couples qui souhai-tent effectuer un lâcher de pa-pillons pendant leur cérémoniede mariage.Des projets d’apiculture, d’arbo-riculture et d’élevage de vers àsoie sont aussi développés par

KEEP. Benjamin Okalo placebeaucoup d’espoirs dans le dé-veloppement de l’écotourisme.A cet effet, un petit village debandas (huttes traditionnelles) aété construit au cœur de la forêtpour accueillir les voyageurs depassage. En lisière, le rutilant«parc à serpents» n’attend plusque l’arrivée prochaine des rep-tiles pour ouvrir ses portes.Une tour d’observation en boisse dresse au milieu de la forêt.De son sommet, on peut consta-ter la lente avancée du mur devégétation sur la savane voisine.Sans doute le fruit du colossaltravail entrepris depuis quinzeans par Benjamin Okalo et sescollègues de KEEP pour préser-ver la forêt de Kakamega: «Lechangement a été rapide, confie-t-il. Maintenant la communautélocale et les paysans sont unispour sauvegarder ce trésor éco-logique». ///

Clément Girardot

Enfants trans-portant de lacanne à sucre.

Cueilleuse dethé. Activitééreintante, lacueillette du thé nécessiteune importantemain-d’œuvrequi vit en bor-dure de la forêt.

REPÈRES

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Superficie: 582’640 km2

Population: 39 millions d’habitantsCapitale: NairobiLangues officielles: anglais, swahiliIndépendance: le 12 décembre 1963 du Royaume-UniSystème politique: république. Président: Mwai Kibaki. Premierministre: Raila OdingaReligions: chrétiens, musulmans, animistes.La première culture vivrière est le maïs, qui couvre 62% des ter-res cultivables. Le sorgho, les pommes de terre, les haricots, lesarachides et le tabac sont également cultivés sur les hauts pla-teaux, principale région agricole.La principale culture commerciale est le thé. L’industrie des fleurscoupées représente 15% des exportations. Le Kenya est le pre-mier fournisseur de roses de l’Union européenne.

© B

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Certains arbres culminent à plus de 50 mètres. Avec ses cinq niveaux de végétation, la forêt de Kakamega est unique.A droite: Linet, 19 ans, travaille depuis un an à la distillerie d’ocimum.

Kakamega

Nairobi

Mombasa

ÉTHIOPIE

SOM

ALIE

OUGANDA

SOUDAN

TANZANIE

KENYA

océanIndien

LacTurkana

Lac

Vict

oria