Kadath Chroniques Des Civilisations Disparues - 019

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    COMITE DE REDACTION : ivan verheyden, rdacteur en chef patrick ferryn, secrtaire de rdaction jean-claude berck, robert dehon, jacques gossart, jacques victoor ASSISTE DANS LA DOCUMENTATION PAR : jacques dieu, jacques keyaerts, christiane peins, dith pirson, albert szafarz, albert van hoorenbeeck ECHANGES AVEC LES REVUES : bres (j.p. klautz et a. gabrielli, la haye) nouvelle cole (alain de benoist, paris) question de (louis pauwels, paris) MAQUETTE DE GERARD DEUQUET

    Au sommaire la grande pyramide : le dbat reste ouvert, Andr Pochan . . . . notre cahier inde

    protohistoire de linde, Jean-Claude Berck . . . . . . . . les vimanas, mythe ou ralit ?, Jacques Keyaerts . . . . .

    new grange : le soleil de grainn, Robert Dehon . . . . . . . observation mgalithiques de la lune, Alexander Thom . . . . . comment je dchiffre lcriture maya (2), Antoon Vollemaere . . . post-scriptum : la rponse de jean-pierre adam . . . . . . .

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    A la recherche

    De kadath

    II y a de cela prs de deux ans, KADATH alors toute jeune revue organisa dans une modeste salle loue pour la circonstance, une runion publique de ses lecteurs. Quelques fidles de la premire heure y avaient rpondu. Cette assemble ne fut en fin de compte, quune aimable rencontre qui ne dboucha sur rien de bien concret, linfrastructure faisant cruellement dfaut. Entre-temps, un objectif important nous accapara, et cest vers lui que convergrent tous nos efforts : nous dfinir avec clart, et asseoir la rputation de notre revue dans le petit monde de larchologie. Nous pensons, dans la mesure de nos moyens, avoir atteint ce premier but, tmoins les chos qui nous parvinrent. Tmoin aussi, lallure cour-toise et de haut niveau que prit lmission tlvise de Jean-Marie Mersch, Carrefour-17 (le 30 mai dernier), o nous fmes confronts avec des hommes duniversit, et o le dialogue savra possible, et mme souhaitable. Mais on nest jamais trop lorsquil sagit dentreprendre une tche d honnte homme . Nous croyons donc quil est opportun maintenant douvrir dautres portes, et dlargir le dbat. KADATH a grandi, gr-ce ses lecteurs, et grce aussi aux nouveaux collaborateurs qui rejoignirent nos rangs. Nous savons par le courrier, quil en est que la simple lecture de KADATH ne suffit plus, et qui voudraient des rapports plus directs avec notre groupe, soit parce quils disposent dinformations complmentaires, soit parce quils sont eux-mmes auteurs dun travail original. Un de nos collaborateurs va donc mettre sur pied un groupe de travail avec ceux qui dsirent en faire plus . Mais entendons-nous bien : il nest pas question de runir une joyeuse amicale de KADATH, mais bien de crer un laboratoire , dont la tche serait tant ltude de ce qui a t fait que de ce qui reste faire. Et il reste beaucoup faire... Cet atelier, dont les activits seront parallles celles de notre quipe, tiendrait des sances rgulires, et ses rsultats pourraient paratre dans la revue. Des membres du comit de rdaction y assisteront. Afin dorganiser avec efficacit un tel laboratoire, nos lecteurs intresss sont pris de nous en informer rapidement, en nous signalant le jour de la semaine qui leur agrerait le mieux pour une premire ren-contre, tant bien entendu que la date de celle-ci nest pas encore fixe. Nous serions dsireux de connatre leur spcialit ventuelle et leurs suggestions. Aprs quoi, notre quipe reprendra personnel-lement contact avec eux.

    KADATH

    Lcriture encore indchiffre de Mohenjo-Daro en Inde.

  • Andr Pochan est membre de notre comit dhon-neur. II est lauteur dun magistral ouvrage paru chez Laffont : Lnigme de la grande pyramide . Sans verser dans la nave pyramidologie, Po-chon y aborde le monument avec un il neuf, dans un tat desprit constructif, et sans jamais quitter le chemin du raisonnement logique. Pourtant, il se heurte constamment aux thses officielles, et d-fend longueur douvrage sa chronologie longue qui suffit le classer sans rmission dans la catgorie des francs-tireurs de larchologie. Andr Pochan est n en 1891, fut professeur de physique et de mathmatiques au lyce du Caire et dport Mau-thausen en 1943 pour ses activits dans la Rsis-tance. Archologue amateur, il fit plusieurs commu-nications lInstitut dEgypte. Nous le situons dans ce que nous appelons la troisime voie , qui est aussi la ntre : en marge de la voie officielle, mais en marge galement de la voie des farfelus, nen dplaise Jean-Pierre Adam. Le principal contradicteur de Pochan se nomme Jean-Philippe Lauer. II avait crit en 1948 un livre intitul Le problme des pyramides dEgypte ; sa remise jour, Le mystre des pyramides , a paru aux Presses de la Cit en 1974. Louvrage, contrai-rement ce que son titre pourrait laisser croire, est un modle de conformisme et dorthodoxie. Lauteur y consacre plusieurs pages aux thories de Pochan, quil traite avec un mpris teint de commisration. N en 1902, Jean-Philippe Lauer est architecte et archologue expert au Service des Antiquits de lEgypte, vice-prsident de lInstitut dEgypte dont il est membre depuis 1951, et correspondant de lAca-dmie des Inscriptions et Belles-Lettres. II travaille essentiellement Saqqarah et Gizeh. Lauer nest pas, loin sen faut, le chef de file des gyptologues. II ne peut pas prtendre lautorit dun Vercoutter, Vandier ou Mekhitarian par exemple. Mais il fut le seul rompre le silence, le seul donner un avis propos des thories dites sauvages. Comme il fallait sy attendre, il met allgrement dans le mme sac les pires illumins et les chercheurs de la troisime voie dont je parlais plus haut. Voici quelques annes dj, les deux auteurs furent mis en prsence au cours dun dbat contradictoire lancienne ORTF. II fallut se rendre lvidence : on ne pouvait que renvoyer les deux interlocuteurs dos dos, les interprtations de lun tant aussi dfendables que celles de lautre. Cest bien pour-quoi, pour nous, le dbat reste ouvert. Nous aurions voulu un expos de chacun, mais lorthodoxie de J.P. Lauer ne pouvait que lui interdire une publica-tion quelconque dans une revue telle que la ntre.

    Mais heureusement, sa controverse avec Andr Pochan se rduit quelques pages dans son livre. Si celui-ci les reprenait en toute objectivit, la diffi-cult pouvait tre surmonte. Cest ce qui fut fait, et nous avons pu le vrifier. Seule la verve de Pochan confre cet article une touche polmique, mais il doit tre crdit du fait que cest lui qui est pris partie. Cela tant, nous estimons que larticle peut tre considr comme un compte-rendu assez fidle dudit dbat tlvis. Toutes les rponses que Pochan donne aux criti-ques de Lauer concernent des points prcis qui ont t soit traits soit effleurs dans KADATH. II convient donc de rappeler brivement nos positions cet gard. Dans le n 3 de notre revue, Jean-Claude Berck a trait le problme du choix entre la chronologie courte et la chronologie longue. Selon lui le choix est impossible car... les deux sont proba-blement inexactes ! En effet, lavenir nous rserve certainement des dcouvertes capitales qui vien-dront ncessairement rectifier lune ou lautre, si pas les deux. Dans ltat actuel des choses, les deux thories se valent, sur le plan de la logique aussi bien que sur celui de la vraisemblance. Je rappelle que larchologie officielle nadmet pas la chronologie longue. Dans KADATH n 5, je me suis efforc de sparer le bon grain de livraie propos de la pyramide de Chops. Dans lensemble, les lments que jai retenus comme valables corres-pondent assez bien lopinion officielle actuelle. Cependant, certaines parmi mes assertions, quel-ques-unes de mes interrogations restent des nor-mits pour la science conformiste. Je les rappelle brivement afin que ces choses soient claires et que le lecteur puisse nous situer dans la polmique Po-chon-Lauer. 1. On na pas pu dmontrer que la Grande Pyramide est rellement un tombeau ; 2. son systme de galeries est unique ; 3. le monu-ment est-il une borne godsique commmorant lantique basculement des ples ? 4. les couloirs intrieurs et les chambres constituent-ils un par-cours initiatique ? Le cahier Chops de notre n 9 contient galement quelques ides quil est bon de soulever nouveau 1. existe-t-il une chambre sou-terraine inconnue ce jour ? 2. les pyramides sont-elles plus anciennes que prvu ? 3. Didoufri est-il un tranger qui apporta Chops le calendrier sothia-que permettant de prvoir avec exactitude la crue du Nil ? 4. le soleil-R tant la cl de ce calendrier, est-ce Chops qui introduisit en Egypte le mono-thisme de R ? Mes banderilles tant ainsi poses, Andr Pochan peut descendre dans larne

    J. V.

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    On a vite tait de dire : cest puril. Ce qui est puril, cest de se figurer quen se bandant les yeux devant lInconnu, on supprime lInconnu.

    Victor Hugo, Contemplation suprme .

    LA GRANDE PYRAMIDE : LE DEBAT RESTE OUVERT...

  • Le nouveau titre de louvrage de Jean-Philippe Lauer nous semble bien mal choisi car, pour cet auteur, rien nest moins mystrieux que les pyra-mides, ces dernires ntant, selon lui, que des tombeaux royaux dont la complexit de lamna-gement intrieur navait dautre but que de d-courager les ventuels spoliateurs. Si nous pre-nons la peine de rfuter les critiques de Lauer notre gard, ce nest certes pas pour tenter de le faire changer dopinion, laquelle est et restera toujours intangible. Car toute interprtation qui nest pas sienne nest, pour lui, que pure imagi-nation, lui seul possdant la vrit ! Si nous nous sommes dcid rfuter ses dires, ce nest nulle-ment son intention, mais simplement pour ren-seigner le lecteur qui, de la sorte, sera mme de juger. Au sujet de la chronologie longue. A la page 222, Lauer sexclame : Pochan re-pousse ainsi lpoque de lunification de lEgypte par Mms de plus de 2500 ans (!) par rapport celle gnralement admise, et situe Chops prs de 2200 ans avant le sicle que lui assignent aujourdhui lensemble des gyptologues et des historiens, qui se fondent tant sur les parallles et les contacts avec les civilisations voisines que sur les donnes du carbone-14 . A ce sujet, il importe de faire le point : il ny a divergence entre les deux chronologies que de la Ire la XVIIIme dynastie (1595). Or, les seuls renseignements certains que nous possdons sur la Msopota-mie (liste de Khorsabad) ne remontent pas au-del de lan 1653 avant J.-C. avec le roi Assur-Dugul, fils de personne ! Aucun fait historique se rapportant lEgypte ny est mentionn, et aucun parallle nest donc possible pour la prio-de historique antrieure au pharaon Ams. Quant aux rsultats des tests au C-14, ils sont le plus souvent favorables la chronologie longue, mais ils sont trs contests par les atomistes eux-mmes lorsquon remonte trop loin dans le temps : la marge derreur devient alors trs im-portante. Lauer ment en affirmant que lensemble des gyptologues et des historiens sont partisans de la chronologie courte : Champollion, Gardiner, Maspero, Bissing, Wiedeman, Newberry, Jquier, Schiaparelli..., tous gyptologues denvergure taient partisans de la chronologie longue et, chose remarquable, Sir Flinders Petrie lui-mme situe la mort de Mns en 5546, soit notre r-sultat mathmatique douze annes prs ! II faut

    le clamer bien haut : la chronologie courte, chef-duvre de la phalange de Berlin ayant sa tte Eduard Meyer, nest quun leurre, voire un faux dlibr ! Rappelons que la divergence des chro-nologies ne porte que sur la priode antrieure la XVlllme dynastie, dans laquelle, fait capital, sinsre lExode, cl du problme. Pour des rai-sons sentimentales dans lesquelles lhonneur semble stupidement engag, il tait indispensa-ble de montrer la fausset de la thse gyptienne dApion prtendant que les Hbreux ntaient quun ramassis de lpreux ayant t chasss dEgypte en tant que malades ! Au contraire, lantithse de Flavius Josphe, historiographe juif de lempereur Vespasien, affirmait lidentit des Hbreux et des Hyksos, les matres de IEgypte sous la XVllme dynastie. Pour ce faire, Josphe identifia astucieusement Thoutmsis, le pharaon de lExode, Ams, le premier roi de la XVlllme dynastie, le prtendu vainqueur des Hyksos. Mais cette identification ne pouvait rsister aux dcouvertes chronologiques ultrieures. Pour dmontrer lidentit Hbreux-Hyksos, il fallait ncessairement amnager les listes royales, y compris celles de Josphe ! II importait surtout descamoter un premier roi bien gnant : Meno-phrs-Amenoptah, dont le rgne constituait un repre chronologique formel, le renouvellement de la priode sothiaque thbaine en 1322. Cet escamotage dAmenoptah fut suivi dun second, celui dun autre roi non moins gnant : Thoutm-sis, le roi de lExode lui-mme ! Ces deux opra-tions chirurgicales pratiques, lantithse de Jo-sphe, patronne par Eduard Meyer et Raymond Weill, redevenait soutenable. Lheure est venue de dnoncer limbroglio. II est vident que la thse gyptienne dApion est men-songre, mais mensongre galement est lanti-thse de Josphe. Ni esclaves lpreux, ni Hyk-sos donc. Rfugis Tanis, les Hbreux quitt-rent cette ville sous la conduite de Mose le matin du 22 mars grgorien 1462, le 15 pharmouthi, le lendemain de la Pque, cest--dire de lqui-noxe de printemps. Le contingent de lExode, dont limportance est pour le moins dcuple dans le texte biblique, devait se composer de Hbreux en majorit, mais aussi de bagnards gyptiens et de prisonniers de guerre, camara-des de malheur des carrires de Tourah et dAbou-Zabal. Dans la nuit du 26 mars, par plei-ne lune et grande mare dquinoxe, eut lieu Sel le franchissement des marais de Baal qui taient en communication avec la Mditerrane. Cette traverse fut masque par la fume des feux de tamaris et de roseaux dessches.

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    Andr Pochan

  • A laube du lendemain 27 mars, Thoutmsis et ses chars se lancent imprudemment la poursui-te des fugitifs. Mais le flot montant de la mare dquinoxe, particulirement violent et rapide car pouss par un vent dune rare imptuosit, sub-merge la charrerie embourbe. Thoutmsis y perd la vie, et iI en est de mme pour une grande partie de ses troupes. Cette traverse eut lieu au gu de Pi-Hahiroth , la stle-frontire du dieu Horus-au-bras-qui-tranche, que Mose devait connatre pour lavoir utilis clandestinement lors de sa premire fuite hors dEgypte. Cest ainsi que se fit la lgende attestant la toute-puissance du dieu Yahv. Lendroit de la traverse fut re-port au sud de Suez et la mer des roseaux devint la mer Rouge, alors quau bord de celle-ci aucun roseau ne peut pousser vu le taux de sali-nit ! Quimporte ! Le propre des lgendes est davoir la vie longue... Celle du Passage de la mer Rouge est loin de steindre ! II faut le re-gretter, car le tragique franchissement des marais de Baal par la pleine lune constitue un fait histori-que sensationnel et unique dans les annales, tout la gloire non dun dieu, mais dun homme : Mo-se ! (voir KADATH n 14. NDLR) Au sujet du papyrus de Turin. Pour Lauer, la chronologie longue nest quun retour aux errements des premiers gyptolo-gues... qui mettaient bout bout toutes les du-res de rgnes donnes par Manthon . Et daf-firmer (p. 221), faussement dailleurs, que lar-chologie a prouv que nombre de ces rgnes ont t concomitants... et que bien des noms de rois se trouvent ports deux fois par suite de transcriptions diffrentes et quenfin, les lon-gueurs de rgnes donnes sont sujettes cau-tion, car elles ne concident gnralement pas avec celles portes sur le papyrus de Turin, dans le cas o elles existent encore sur ce dernier . Faire intervenir le papyrus de Turin pour fixer la chronologie est une gageure ! Poussire de mor-ceaux rajusts tant bien que mal, et o les rares annes restant lisibles peuvent tre attribues de quelconques rois dune quelconque dynastie. Et cest un tel document qui constituerait le plus solide tai de la chronologie courte ? On croit rver ... Mais la chose tonnante, que Lauer se garde bien de dire, est que le nombre de rois donns par le papyrus, nombre dtermin surtout par les espaces vacants, correspond et surpasse mme celui des listes manthoniennes ! Le papy-rus serait donc favorable notre chronologie ! Exemple : pour la XIVme dynastie le papyrus devait, selon Maspero, donner 86 noms de rois, alors que les listes manthoniennes nen men-tionnent que 76 (pour 184 ans). Pour en terminer avec ce ridicule avorton quest la chronologie courte , il convient de mentionner la gne de ses promoteurs, obligs de placer le dbut de la

    Xlllme dynastie vers 1785 et celui de la XVlll-me en 1580, soit 205 ans pour loger cinq dy-nasties, comportant daprs le papyrus de Turin lui-mme, plus de 150 rois ! A noter que les listes manthoniennes dAfricanus donnent 217 rois pour ces cinq dynasties, ce qui implique une moyenne de rgne de moins dun an ! Au sujet du successeur de Chops. A la page 219, Lauer crit : Tout dabord, dans le texte que nous venons de citer, Pochan pr-sente Khphren comme successeur direct de Chops, alors quil est reconnu depuis longtemps que Djedefr, le constructeur de la pyramide dA-bou-Roache, doit tre insr entre ces deux rois ... . Si le fait tait reconnu depuis si long-temps, pourquoi Lauer, la page 143 (en note), place-t-il ce roi entre Khphren et Mykrinos ? Simple erreur videmment ! Lauer aurait-il la pr-tention dtre non seulement le pontife des pyra-mides mais aussi celui de la chronologie ? Nous avons pu en effet, grce aux trois calendriers antiques gyptiens mconnus jusqu ce jour des sphres gyptologiques, rtablir sans conteste possible la chronologie gyptienne au jour calen-daire prs depuis la mort de Mms, survenue en lan 5558. Les deux sries de priodes so-thiaques parallles (priodes thbaines et prio-des dAththis) conjointement avec les priodes tropiques, concordent exactement avec les listes manthoniennes, lesquelles sont manifestement correctes. Or ces dernires ne mentionnent ni Didoufri, ni Hordjedef, ni Baoufr. Sur le monu-ment de la reine Meritefs, Didoufri nest pas mentionn : pourquoi ces absences ? Une seule rponse logique : daprs Manthon, le rgne de Chops dura 63 ans et celui de Khphren 66 ans. Ces rgnes furent donc particulirement longs. On doit en dduire que Djedetr-Didoufri ne fut que corgent et quil mourut avant Chops. II ne fut donc jamais pharaon et cest la raison pour laquelle son nom est absent des listes roya-les tenues avec soin par les prtres dHliopolis et que Manthon, devenu grand prtre sous les Lagides, eut entre les mains. Cest donc Kh-phren qui succda Chops. De mme pour Hordjedef et Baoufr, qui moururent avant Kh-phren, laissant le sceptre Mykrinos. A noter pour terminer que selon Drioton et Vandier ( Les peuples de lOrient mditerranen p. 172),... bien que Didoufri soit plac sur les listes roya-les entre Chops et Khphren, il semble plus logique de le placer vers la fin de la dynastie . Nous ajouterons quil nest pas du tout certain que Didoufri soit fils de Chops ; sa gnalogie pose un problme pour le moment insoluble. Selon nous, sa corgence ne dut pas excder une quinzaine dannes, vu ltat dinachvement de sa pyramide dAbou-Roache. (voir ce sujet KADATH n 9. NDLR).

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  • Les deux grandes pyramides de Gizeh taient peintes. Lauer prtend (p. 73 en note) avoir fait une com-munication lInstitut dEgypte le 2 mars 1953 concernant la peinture des pyramides. Or, cest prcisment ce jour-l que fut prsente notre seconde communication qui apportait le rsultat des analyses spectrographiques obtenues avec laide de la Sorbonne. Le bulletin XXXV de lInsti-tut dEgypte ne reproduit que notre communica-tion, et si Lauer en avait fait une cette date, le bulletin naurait pas manqu den faire tat. A cette poque, deux thories taient en prsence : 1 celle de Mr Lucas, alors directeur du laboratoi-re du Muse Egyptien, affirmant que la couche colore superficielle provenait simplement de laction des agents atmosphriques provoquant un phnomne de migration vers lextrieur des molcules de fer et de manganse contenues lintrieur mme de la roche. 2 la ntre, qui ad-mettait au contraire un apport extrieur sous for-me dun enduit base de granit pil et de mograh , genre dhmatite rouge utilise par les carriers gyptiens. Somme toute, si la thorie de Lucas tait exacte, on devait pouvoir dceler des traces de fer et de manganse lintrieur mme de la roche. Seul le spectrographe tait capable de rsoudre ce problme. A cet effet, nous nous adressmes au Professeur Boulanger qui, aid de sa fille Mlle Franoise Boulanger, employa le grand spectro-graphe de la Sorbonne, Les spectres obtenus ont t reproduits dans le bulletin sus-mentionn. Ils

    sont formels : le corps de la roche est entire-ment dpourvu de molcules de fer et de manga-nse ! Une migration dions inexistants est donc du domaine de limpossible et ce verdict est sans appel Voici la conclusion de Mlle Franoise Bou-langer : Nous pensons avoir vrifi lhypothse de Mr Pochan, savoir que la pyramide a bien t peinte. Caviglia (1825) et Vyse (1836) taient du mme avis. Nous-mme, en compa-gnie de Mr Baraize, alors directeur des fouilles du plateau de Gizeh, avons constat sur les vesti-ges des blocs de revtement de la face-sud des bavures denduit rouge correspondant aux cassu-res des blocs immdiatement superposs. Pour nous, tout le reste nest que littrature. Au sujet de la pente de la pyramide de Meidom. Page 142-220-307, Lauer veut dmontrer que la Grande Pyramide nest pas la seule prsenter la pente a pi , cest--dire la pente gyptienne (5 ). II fait siennes les ides de Borchardt au sujet de la pyramide de Meidom. Daprs lui, cette pyramide, construite sept gradins, aurait t ensuite recouverte dun parement de vraie pyramide, ce qui nest quune hypothse gratuite. Cette pyramide prsente un soubassement rev-tu dun parement dont la pente, que nous avons dtermine avec soin, est de 538, soit 5 ou pente isiaque, qui est celle de la pyramide de Khphren et de la plupart des pyramides gyp-tiennes, et non 5 qui est celle de la Grande Pyramide. Jusqu preuve du contraire, la pyra-mide de Chops est la seule prsenter la pente pi .

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    Au pied de la pyramide : ce qui reste du revtement en calcaire blanc de Tourah

  • Au sujet du niveau de dpart du couloir descendant. A la page 220, Lauer affirme que le point de d-part de la descenderie de la Grande Pyramide se place la 19me assise, en invoquant les dires de Maragioglio et Rinaldi. Or ces derniers se sont bass sur Lauer ! Le cercle vicieux est vident... Pour trancher la question sans appel, citons le rapport dEmile Baraize, ancien directeur des fouilles du plateau de Gizeh. Ce rapport concer-ne les travaux de Baraize et Barsanti en 1916-1917 et est paru dans les Annales du Service des Antiquits dEgypte , tome XXI, fasc. 31, p 169. Nous lisons : Au dbut de 1917, de nou-veaux travaux furent entrepris... ils consistrent surtout dans le nettoyage de la galerie dite des voleurs ... II fut en effet reconnu quil y avait tout avantage utiliser cette galerie, presque horizon-tale, dont lentre est au niveau de la 5me assi-se de la pyramide tandis que louverture normale est la 15me assise. Je maintiens donc que la descenderie part de la 15me assise actuelle qui devait correspondre la 16me ou 17me lorsque le revtement tait en place. Le puits de la pyramide et le blocage du canal ascendant. A ce sujet, Lauer crit, p. 219 : La solution pr-conise pour le blocage du couloir ascendant aurait t irralisable sans utilisation du puits dchappement ; en outre, la logette quil

    (Pochon) situe en N sur sa figure na laiss aucu-ne trace, et la sape dAI-Mamoun que nous trou-vons sa place naurait pas d tre fore jusque l si cette logette avait exist. Ici, Lauer, qui a fort bien compris, joue lincomprhension ; il ne faut pas tre grand clerc s-architecture pour comprendre lutilisation de ltroit cheminement mnag sous les blocs de granit et aboutissant en T dans la syringe. II est vident que notre solution, la seule possible, du blocage du canal ascendant gne beaucoup Lauer, car elle ruine son enfantine et impossible thorie du stockage des blocs de fermeture dans la grande galerie.

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    Le blocage du canal ascendant, prconis par Andr Pochan. (La syringue (B) est la descenderie qui mne la chambre souterraine ; au tiers de son parcours, elle croise le couloir ascendant vers la grande galerie - voir la coupe ci-dessus).

    sape dite dAl-Mamoun banquette de la syringe logetteentrept trou mnag pour la retraite des ouvriers et rouvert par les spoliateurs

    A : B : N : T :

    1. 2. 3. : blocs-tampons 1 2 3 : position dattente

  • Evidemment la logette de stockage na laiss aucune trace car elle fait actuellement partie de la grande sape dite dAI-Mamoun : si ce dernier na pas tent dlargir le pertuis qui passait sous les blocs de granit pour atteindre la logette ce qui eut t la solution la plus simple cest par crainte de provoquer lboulement catastrophique des quatre blocs de granit. Prudemment il se contenta de rouvrir une sape millnaire, rebou-che son extrmit-nord par une vingtaine de blocs de parement. Daprs Maoudi en effet, la sape dAI-Mamoun fut denviron vingt coudes soit 9 m 20, alors que la sape entire actuelle mesure 38 mtres. Cette logette de stockage devait tre analogue mais plus importante que celle situe dans la paroi-ouest du couloir hori-zontal prcdant la chambre souterraine. Ce couloir particulirement troit (1 m 10 de haut sur 0 m 97 de large) ne permettait pas le croisement de deux ouvriers : une logette-refuge tait donc indispensable. Aprs le blocage du canal ascen-dant, il nexistait quune seule voie de sortie pour les ouvriers ayant procd la manuvre : l-troit pertuis reliant la logette de stockage la syringe en passant sous les blocs de granit mis en place. Quant au puits , sa partie suprieure reliant la grotte la grande galerie est un travail post-rieur lrection de la pyramide : pratique aprs coup travers le noyau de la pyramide, cette entaille des blocs savre grossirement faite, certaines artes de blocs faisant saillie lint-rieur du puits dont le diamtre est constam-ment variable. Le but de ce percement tait das-surer la liaison de la Chambre Souterraine, lieu de linitiation isiaque mineure, avec la Chambre du Milieu rserve finition majeure suprme. II nest pas interdit de penser que la mauvaise fac-ture du puits tait voulue, car sa prilleuse as-cension devait faire partie des preuves physi-ques rserves aux rcipiendaires. Mais il est vident que le but principal du raccordement de la grande galerie la syringe fut dassurer la ven-tilation de la Chambre du Milieu, dont les conduits psychiques dbouchs devinrent les conduits daration ; sans eux, aucune tenue initiatique ne pouvait avoir lieu. Que Lauer ces-se de nous ressasser que la Chambre Souterrai-ne tait, dans un premier plan et avant son aban-don, la crypte funraire royale ! II est impossible dy introduire fusse un sarcophage denfant ; vu ltroitesse du conduit qui y aboutit, il ny a pas demplacement pour les herses de fermeture ; il y a un trne taill dans le roc et un canal sans is-sue... Tout concourt au contraire pour en faire un antre dinitiation selon la coutume antique, et il se peut que lextrmit du canal sans issue soit exactement laplomb du sarcophage du dieu Chops, toujours prsent sous sa pyra-mide par 58 mtres de profondeur !

    De lexistence formelle dune plate-forme surmontant la pyramide. La plate-forme est mentionne par Hrodote (430), Diodore de Sicile (56) qui mentionne la largeur de son ct : 6 coudes lithiques, soit 4 m 62 ; Pline galement en parle et donne pour le ct 16,5 pieds romains soit 4 m 87. Les auteurs arabes qui la dcrivent sont nombreux gale-ment, et ils sont formels : avant AI-Mamoun (1196), la pyramide tait intacte. A titre dexem-ple, citons AbouI Solt el-Andalousi : AI-Mamoun fit monter sur la pyramide un homme muni dune corde... lhomme en arrivant au som-met trouva quelle se terminait par un plateau dune surface gale la place quoccuperaient huit chameaux agenouills . De tous les rcits des auteurs anciens, grecs, romains ou arabes, il ressort que la Grande Pyramide, reste intacte jusquen 1196 de notre re, tait surmonte du-ne plate-forme de 4 m 90 de ct, comme lest encore la pyramide de Khphren. La Grande Pyramide ne fut jamais coiffe dun pyramidion. Aucun pyramidion na t retrouv sur le plateau de Gizeh. Le plus grand pyramidion retrouv en Egypte est celui dAmenemhet III : sa base est de 1 m 86 comme son arte, son volume est de 1,517 m3, il pse 4,5 tonnes et a t hiss 74 mtres de hauteur. Que penser alors du titanes-que pyramidion dont, par anastylose sans doute, Lauer a devin lexistence ? Dun poids suprieur 75 tonnes, il aurait t hiss 144 mtres de hauteur ! Nous attendons que Lauer nous expose sa technique car celle quil prconise la page 282 est nettement insuffisante et sa figure 63, reprsentant douze marionnettes atteles un pyramidion de 75 tonnes est hautement enfantine et ridicule... En supposant mme que, les dieux aidant, ce monstrueux monolithe ait pu tre mis en place, sa destruction et t impossible aussi longtemps que le revtement de la pyramide tait intact ; or il tait toujours en place sous AI-Mamoun et les auteurs arabes sont unanimes pour affirmer que la pyramide se terminait par une plate-forme. Par contre, lrection et la des-truction dun petit oblisque-gnomon ne posent pas de problme. Sa destruction fut certainement luvre des prtres de Ptah Memphis qui en-tendaient ainsi dtruire toute trace de ce dieu usurpateur Khnoum, dieu solaire des Cataractes, que symbolisait la sphre lumineuse surmontant loblisque terminal de la pyramide. Car il nest pas impossible que cette sphre ait t dore et quen consquence, elle devait briller telle une toile, sous les rayons solaires, lunaires ou m-me stellaires, vu la luminosit du ciel dEgypte, donc tre constamment visible vingt kilomtres la ronde. Pour terminer, un fait curieux sur la 17me lame danciens tarots, lame reprsentant la Mort, figurent plusieurs pyramides dont deux

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  • sont surmontes dune boule-gnomon. Lusage des tarots se perd dans la nuit des temps et il nest pas tout fait impossible que cette 17me lame soit une lointaine rminiscence dun fait historique. La Grande Pyramide tait-elle surmonte du-ne sphre-gnomon ? A la page 245, Lauer crit : Pochan, pour sa part, affirme que les faces de la Grande Pyrami-de, curieusement creuses, permettaient la fixa-tion des quinoxes moins de douze heures prs, tandis que lombre de son gnomon, se d-plaant sur lesplanade qui stend devant la fa-ce-nord, permettait la dtermination des solstices dhiver, des heures et particulirement du midi solaire vrai. En note, Lauer ajoute : Pochan se fondant, nous lavons vu (?), sur une mauvaise transcrip-tion du dterminatif de la pyramide de Chops dans le nom de celle-ci grav sur un mastaba plus tardif (fin Vme dynastie), soutient, en effet, que cette pyramide, lencontre de toutes les autres, naurait pas comport de pyramidion, mais se serait termine par un petit oblisque surmont peut-tre par une boule de mtal. Or, outre le fait que le dterminatif de la Grande Py-ramide nest exprim nulle part ailleurs par celui des monuments solaires, il est certain quau point de vue architectural, un immense socle en tronc de pyramide mesurant quelque 230 mtres la base et se dressant 143 mtres de hauteur pour porter un trs petit oblisque haut seule-ment de 3 ou 4 mtres serait un vritable non-sens . On croit rver lorsque lon voit faire intervenir une question desthtique concernant le diamtre de la sphre-gnomon, diamtre qui ne relve que dun calcul astronomique. Que Lauer apprenne donc que la valeur de ce diamtre (d) nest fonc-tion que de la hauteur (h) du gnomon et de la latitude du lieu : d=k.h , k tant un coefficient variant selon la latitude. k tant voisin de 0,0125 pour le plateau de Gizeh, le diamtre de la sph-re-gnomon devait tre voisin de 1 m 84 pour oc-culter entirement le disque solaire lors du solsti-ce dhiver. Au sujet du gnomon, Lauer crit p. 219 : Pochan fait tat pour lorthographe du nom de la pyramide de Chops, dune transcrip-tion fautive du dterminatif de la pyramide inter-prt comme celui dun temple solaire, prise dans un mastaba de la fin de la Vme dynastie Gi-zeh, pour assurer sans autre preuve que la Gran-de Pyramide aurait comport son sommet un petit oblisque au lieu du pyramidion attendu. Mais qui attendait donc ce pyramidion ? II y a lieu, tout dabord, de relever une grave er-reur de la part de Lauer, qui place le grand-prtre Merrou la fin de la Vme dynastie, alors quil tait effectivement grand-prtre sous Menkaoura-Mykrinos. Lauer, grand-pontife es-chronologie a

    simplement confondu le roi Menkaouhor (fin de la Vme dynastie), avec Menkaoura (IVme). Le texte de linscription est rapport par Reisner dans les Annales du Service des Antiquits, tome XIII, page 247. Reisner est un gyptologue s-rieux quon ne peut accuser de faux ou de lg-ret. Le dbut de linscription est net et prcis ; on lit : Le tombeau de Pen Merrou, chef des prtres du roi Menkaoura, est situ dans le lieu dternit des prtres de lme, prs de la pyrami-de lhorizon lumineux du dieu Khoufou . Lins-cription date donc du rgne de Mykrinos, cest--dire de la IVme dynastie, contrairement ce quaffirme Lauer avec sa srnit coutumire. Une question se pose : sur quoi Lauer sest-il bas pour affirmer que nous avions fait une transcription fautive ? La question est srieu-se, car en avril 74, accompagn de M. Loutfy El Tambouly du Centre de documentation sur lEgypte ancienne , nous sommes all sur le plateau de Gizeh pour nous assurer de la ralit du dterminatif propre aux temples solaires. M. El Tambouly retrouva le mastaba n 2197 et son inscription, mais sa grande surprise, le dtermi-natif en cause et lui seul tait fractur, la fracture savrant rcente ! Fracture accidentelle ou non, peu nous importe ! Nous considrons le texte de Reisner comme exact.

    Conclusion. Pour en terminer avec les critiques de Lauer rela-tives notre ouvrage nous ne pouvons cacher notre sentiment son gard. II nous semble que Lauer considre toutes les pyramides gyptien-nes comme un champ dinvestigation qui lui est rserv en propre. La vrit ne peut sortir que de son seul cerveau linstar de Minerve sortant tout arme de la tte de Zeus ! Douter un seul instant de la justesse de ses vues constitue ses yeux un crime lse-anastylose et mettre une ide contraire la sienne ne peut tre que pure fantaisie ! Quil fasse preuve dun peu de patien-ce, car il se peut quun proche avenir nous rvle dtonnantes choses qui branleront quelque peu ses autoritaires affirmations.

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  • Le passe present

    Enfants, navons-nous pas tous rv dune Inde ferique aux mille visages, o sentremlaient les aventures les plus invraisemblables ? Ctait un pays de maharajahs prodigieusement riches, et o de fascinants fakirs excutaient dinquitantes prestidigitations. Terrain idal des rves inache-vs, le continent indien nous a effectivement of-fert, au cours de son histoire, luxe et mystres. Mais ce serait mconnatre ce pays que de consi-drer seulement son aspect fastueux. Le Taj-Mahal nest pas toute lInde. Pour nous Occiden-taux, lInde voque la fois plusieurs notions qui ont du mal former un tout. On a le sentiment de se trouver devant un univers hermtique, dont lessentiel nous chappe. Quest-ce enfin que lInde ? Elle est une terre de mysticisme et de matres spirituels. Elle est aussi terre de misre, o la prsence de mendiants, parfois de mou-rants, vient confirmer la dcadence actuelle. Les vaches sacres et les castes sont le symbole dune certaine impuissance devant le monde daujourdhui. A cela, sajoute le foisonnement de la mythologie et des philosophies, qui rend plus difficile encore lorganisation sociale. La com-plexit de lInde est aussi dtermine par sa configuration gographique. Sappuyant au nord sur le haut rempart himalayen, qui ne comporte pas moins de cinquante pics dpassant les sept mille mtres et dont certains avoisinent mme les neuf mille mtres, elle semble comme isole du reste du monde. Lunivers indien au sens large, dans une plnitude territoriale qui ignore les divi-sions politiques modernes, offre laspect dun triangle massif, limit louest par le plateau ira-nien et lest par la pninsule indochinoise. Bor-d par la mer dOman et le golfe du Bengale, il trouve sa ligne de force dans la fertile plaine indo-gangtique. Ses climats, ses moussons, le font osciller entre des extrmes. Sur cette terre excessive, la vgtation connat tous les stades, depuis le dsert louest jusquaux savanes du Bengale, en passant par la flore luxuriante du centre. Terre de contrastes, lInde possd des populations allant du type blanc jusqu llment

    noir, et en comptant galement des races qui sapparentent celles de lIndochine et de la Malaisie. La diversit est la caractristique la plus vidente de lInde. De plus, le pass a toujours influ sur le prsent en sunissant lui, produi-sant une riche synthse dides et dinstitutions. Lart ou plutt les arts de lInde offrent aussi ce double aspect de diversit et de continuit. Cependant, il se dgage, de formes trs diffren-tes, une certaine homognit qui fait le style indien. II ny a pas de distinction fondamentale entre lart brhmanique et lart bouddhique. Lart indien exprime, en dernire analyse, une pense globale. Traons maintenant, les grandes lignes originel-les de ce vaste continent. La prhistoire de lInde demeure encore assez confuse, bien que les diffrentes tapes de celle-ci soient reprsentes sur son sol. Divers stades de civilisation se sont dvelopps simultanment en des points souvent loigns les uns des autres. Lexistence de

    PROTOHISTOIRE DE LINDE

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  • lhomme est atteste, en terre indienne, la p-riode palolithique, laquelle est contemporaine de la deuxime glaciation himalayenne, aux envi-rons de 400.000 avant J.-C. On peut y distinguer trois phases, portant les appellations de pr-Sohan , Sohan moyen et Sohan tardif , du nom des premiers sites dcouverts dans la valle de la Sohan, au Panjab, dans le nord de lInde. Cette zone palolithique, trs dense dans le nord, stend largement travers tout le sous-continent indien. Le sud, et plus particulirement le plateau du Deccan, est riche en outils et objets divers. Le centre et lest, par contre, du moins au vu des dcouvertes, offrent moins dintrt, bien que les rgions du Bengale, du Bihar et de lOris-sa participent ce mouvement premier. Les deux phases initiales se caractrisent par un outillage variant localement, mais dont les lments com-muns principaux sont : clats, coups-de-poing et outils tranchants. La troisime phase est surtout prsente dans le nord, dans la rgion du Potwar, au Panjab. Elle perfectionne les types prc-dents. Lexcution est plus soigne et les formes plus rduites. A cette priode palolithique suc-cde un msolithique caractris par des microli-thes en silex et en pierres semi-prcieuses, r-partis travers lInde de Peshawar Ceylan. Les trouvailles sont nombreuses sur le haut-plateau du Deccan et principalement dans lEtat de My-sore. Ces microlithes deviennent abondants au nolithique. Ils apparaissent alors, tous les ni-veaux, associs tantt au cuivre, tantt au bron-ze. Comme nous le voyons, lhomme prhistori-que indien prsente de nombreuses affinits avec celui de lEurope occidentale. Finalement, ne se rattache-t-il pas, pour lessentiel, au fond commun de lhumanit primitive ? Ds le dbut du quatrime millnaire avant notre re, lInde fait partie du vaste monde protohistori-que de lEurasie. Nous assistons la sdentari-sation de peuplades nomades. Lagriculture nat et se dveloppe. La cramique apparat. On utili-se les mtaux. Larchitecture se perfectionne : emploi de la brique et de la pierre. A cette po-que, entre 3500 et 3000 ans avant J.-C., un foyer trs actif, connaissant le cuivre, sest dvelopp dans le nord-ouest. Daprs les recherches les plus rcentes, les premiers villages dagriculteurs firent leur apparition en Afghanistan, dans le B-loutchistan et dans le Sind, ces deux dernires rgions tant situes dans le Pakistan actuel. Ces premiers foyers sont nombreux et dfinissent chacun un type de culture particulier. Ils semblent avoir jou un rle important dans les relations entre lInde du nord-ouest et lAsie occidentale. En tout cas, de vastes courants dchanges se dessinent du Sind la Mditerrane, en passant par le golfe Persique. Les relations avec Bahrein et Koweit sont dj effectives. Actuellement, le Bloutchistan est trs aride. Et, si la plupart de ses habitants sont redevenus

    nomades, il nen a pas toujours t ainsi. De nombreux tells indiquent lexistence antrieure dtablissements permanents. Des digues de pierre, enfouies sur la cte du Mekran, font ga-lement penser que les pluies devaient tre plus abondantes qu prsent. Plusieurs varits de poterie tourne ont t identifies dans ces r-gions. Elles se diffrencient par la couleur de la cramique et par les caractres des dessins peints. Cest grce ltude de cette cramique quon a pu distinguer des cultures spcifiques et en tablir les points communs et divergents. Des poteries rougetres dcor noir ont t trouves dans la valle du Zhob, Rana Ghundai, dans le nord du Bloutchistan. Les rcipients dcouverts sont orns de dessins reprsentant des vgtaux et surtout des animaux dont llongation verticale contraste avec ltirement horizontal habituel. Les terres cuites deviennent plus claires dans la r-gion de Quetta et plus encore Togau et Nal, sites du Centre-Bloutchistan. L, les crami-ques combinent les lments gomtriques avec des dessins naturalistes. Plus au sud, dans les localits de Chahi-Tump et surtout de Kulli, les habitants fabriquaient une poterie grise quils dcoraient en noir ou en rouge. On y a gale-ment trouv de petites statuettes en terre cuite. Dans le Sind, le caractre linaire de la poterie supplante toute autre considration. A la suite de travaux entrepris sur les sites que je viens dvo-quer brivement, on peut en dduire que ds le quatrime millnaire, sest amorce une dynami-que culturelle, lie des migrations douest en est. La zone de terres, inscrite entre la mer Cas-pienne et la mer dOman, participe tout ce mou-vement En effet, lindustrie cramique des pre-miers temps au Bloutchistan, reflte les styles de la tradition iranienne, tout en les adaptant son gnie propre. Ainsi, on remarque Mundigak (Sud-Afghanistan), puis Kulli et Nindowari, dans le sud du Bloutchistan, des animaux tra-vestis en figures gomtriques, comme ctait le cas prcdemment Suse. Toutefois, le bovid et la feuille du pipal, typiquement indiens, rempla-cent, au cours du temps, les motifs iraniens. Quittons le Bloutchistan et abordons les sites pr-indusiens, cest--dire les tablissements antrieurs la civilisation de lIndus, situs gale-ment dans cette mme valle ou ventuellement sur ses hauteurs. Les deux centres principaux sont Amri et Kot-Diji. On a pu parler dune culture dAmri, antrieure sa propre priode indusien-ne. Ds 1959, Jean-Marie Casal y a effectu des fouilles systmatiques. II sagit dune culture chal-colithique. Des fragments de cuivre et de bronze sont prsents ds la premire des quatre phases que comporte cette culture. Les deux dernires phases sont caractrises par des constructions en brique crue. Les meilleures poteries sont bandes brunes ou cercles et losanges sur fond clair. Les formes animales, fort schmatises,

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    apparaissent la fin de la priode. Certaines poteries peintes sont probablement dorigine ira-nienne. Ce qui ne signifie nullement, comme cer-tains voudraient le faire croire, que les popula-tions du plateau iranien, possesseurs de techni-ques comprenant la mtallurgie et la fabrication de la poterie au tour, se soient installes jusqu lembouchure de lIndus. Toutefois, linfluence est certaine. Cette poterie sapparente, en fait, ses voisines du Bloutchistan. Si la chronologie de ces poteries entre elles est encore discute, il semble pourtant que celles du Bloutchistan fu-rent fabriques avant celles dAmri. Quant au site de Kot-Diji, explor en 1955 par F. A. Khan, il est encore plus remarquable. On peut dj y noter lexistence dun village fortifi avec citadelle et dont les maisons taient cons-truites en briques sches. Kot-Diji comporte seize niveaux doccupation, dont les douze pre-miers correspondent une culture pr-indusienne. Les trois niveaux infrieurs date-raient de 3000 2600 ans avant notre re. Les derniers stades de la culture kot-dijienne, comme la seconde priode dAmri, chevauchent les foyers proprement indusiens. Ici, le cuivre et le bronze ne se retrouvent pas dans les couches infrieures. Seuls, des lames et du silex noir ont t exhums des premiers niveaux. La poterie, reprsentant souvent des taureaux, est en argile rose. Elle est lgre et quasi translucide. Cette culture anticipe sur celle de lIndus, car deux de ses lments caractristiques sont dj prsents. La cramique est orne du motif des cailles et les pains en terre cuite se manifestent pour la premire fois. Ces pains , trouvs dans des canalisations, servaient, sans doute, la toilette de la population. Si une interpntration entre la culture kot-dijienne et celle des cits de lIndus ne peut pas tre objectivement affirme, une certaine filiation ne peut plus tre ignore. Pour le moment, il est impossible dtablir les origines matrielles de la civilisation indusienne sur luni-que base artisanale et artistique. Mais de nom-breux sites nont pas encore t fouills systma-tiquement. Pourtant, certains indices matriels semblent en faire remonter quelques-uns une date trs lointaine. Je pense plus spcialement au tumulus important de Judeirjo-Daro. Lavenir nous apportera encore bien des satisfactions dans le domaine de la recherche, peut-tre aussi quelques surprises. La tche de lUNESCO, qui sintresse enfin ces sites, sannonce dure et longue. Cependant, si au nord-ouest de lInde se consti-tue et se dveloppe un premier foyer culturel, le reste de la pninsule demeure un stade relati-vement primitif. Le nolithique se prolongera dans le sud de lInde, et plus spcialement dans lEtat de Mysore, jusquau IIme sicle avant J.-C. A Brahmagiri et Aiholli se dressent encore

    de nombreux menhirs et dolmens. Des sarcopha-ges et des urnes funraires ont t mis au jour prs de Madras et de Cochin. Ces Indiens sem-blent vivre et penser comme les populations m-galithiques dEurope occidentale. Ce paralllisme culturel me semble intressant signaler et mri-terait, sans doute, une tude plus approfondie. Cest en 1921, il y a un peu plus dun demi-sicle, que dbutrent les fouilles de Sir John Marshall et E. Mackay, qui rvlrent au monde la brillante civilisation protohistorique dite de lIn-dus. Par la suite, une exploration archologique mthodique effectue par Sir Mortimer Wheeler et plus tard par Jean-Marie Casal, sortit littrale-ment de terre les anciennes capitales du sous-continent indo-pakistanais Harappa et Mohenjo-Daro. Cest vers 2500 avant notre re que ces cits, ainsi que de nombreuses autres, apparais-sent sur les rives de lIndus et de ses affluents. Cette valle tait alors trs fertile et sauvage, peuple notamment dlphants et de rhinocros. Les localits se dressaient majestueusement au-dessus des plaines et semblaient dj avoir at-teint leur maturit. Cette civilisation ne sest pas limite, comme on la cru longtemps, au bassin indusien. Elle stendait au sud jusquau golfe de Cambay et lest jusqu la valle du Gange, avec des sites tels Alamgirpur ou Hastinapura. Elle couvrait en fait, une zone aussi large que les civilisations gyptienne et sumrienne. Mohenjo-Daro au bord de lIndus, et Harappa sur la Ravi, taient distantes lune de lautre de 560 kilom-tres. Mais des localits moins importantes sta-laient sur une rgion encore plus vaste, appro-

  • chant les 2500 kilomtres et stendant des monts Simia Sutkagen-Dor, et de l jusqu Rangpur. Cette civilisation, dont lorigine reste controverse, dura, ne loublions pas, plus dun millnaire. Elle devait conserver, en lamliorant, la forme quelle avait prise ses dbuts. LIndus reprsente, essentiellement, la premire phase de la vie urbaine volue. Culturellement parlant, ce peuple se situait un niveau comparable celui des populations des premires dynasties dEgypte et de Sumer. II habitait des cits larchitecture monumentale. Mohenjo-Daro et Harappa, les deux villes princi-pales, avaient un primtre de plus de cinq kilo-mtres. Les cits de cette culture indo-gangtique taient protges par des citadelles, entoures de murs trs pais, faits de briques. Les rues taient traces nettement et se cou-paient angle droit. Ce grillage rectangulaire des surfaces urbaines contraste, dailleurs, avec lirr-gularit de ces mmes plans en Msopotamie. Les urbanistes indusiens se sont inspirs des localits de la priode sargonide en Akkad ( 2400 avant J.-C.), mais ils nont pas connu leurs hsitations et commis leurs erreurs. Les rues taient pourvues de canalisations aboutissant des gouts. Tout un systme de drainage des

    eaux tait creus dans les rues principales. Les maisons taient construites en briques, crues pour les fondations et cuites dans les construc-tions slevant au-dessus du sol. Ces briques taient scelles par un mortier base de gypse. Les habitations possdaient quelquefois plu-sieurs tages avec escaliers. Elles taient cou-vertes de terrasses, et taient fortement compar-timentes comme les ntres. Les pices usage domestique (cuisines, lavoirs, salles de bains), tout comme les chambres et salles de sjour, existaient dj. Les rivires alimentaient, par ca-nalisations, les puits et bains des habitations. En dehors des murs denceinte des citadelles, qui enserraient le centre urbain, se trouvaient dau-tres ensembles habits. Ceux-ci formaient des quartiers, tantt populaires, tantt rsidentiels, entours leur tour dune vaste zone agricole et artisanale. Lactivit agricole tait trs intense. Ces popula-tions urbaines vivaient du produit des cultures des zones rurales environnantes. Le bl tait la crale la plus courante ; les greniers en taient toujours remplis. Le riz, originaire des rgions situes aux confins de la Chine et du Vietnam ntait pas encore connu. II ne se rpandra travers lAsie qu partir de 1700 avant J.-C. Quant aux techniques, nous savons que la mtal-lurgie et la taille des pierres prcieuses taient pratiques. Les recherches de E. Vats ont mon-tr quils connaissaient galement le systme dcimal. Un systme de poids et mesures trs avanc tait appliqu. La poterie au tour et la fabrication de la faence taient en plein essor. Lcriture tait essentiellement de caractre pic-tographique, les signes gravs sur des sceaux, usage commercial, le prouvent. Mais cette critu-re tait aussi trace sur la poterie et ensuite sur des tablettes de cuivre. Ces signes, une vingtai-ne de caractres, ne sont toujours pas dchiffrs. On a seulement acquis la certitude que cette criture se lit de droite gauche. Elle na pu en-core tre rattache aucun systme connu, bien que des signes aient une ressemblance avec ceux de la race mditerranenne. Ce nest ce-pendant pas lavis de lcole russe I. K. Fedorova voit dans ces caractres un prolongement des langues dravidiennes. Lorsquon analyse les divers lments connus de lIndus, ce qui frappe lobservateur, cest le haut degr dorganisation et de discipline civique de ce peuple. Tout indique une socit organise et stable. Un pouvoir militaire ne semble pas avoir t la base de cette discipline. Peu douvrages de dfense et de rares armes, typiquement indu-siens, sont arrivs jusqu nous. Aucun signe prcis dautorit royale ne nous est parvenu, que ce soit sous la forme de palais ou de tombes remarquables. Toutefois, les indices dun pouvoir la fois civil et religieux concordent avec les ha-

    13 Ci-contre, une ruelle typique sparant les mai-sons du quartier rsidentiel de Mohenjo-Daro. Les rues principales avaient 13 m 70 de large. Ci-dessous, reconstitution dune grande mai-son dhabitation avec puits, salle de bains, et plusieurs pices groupes autour dune cour centrale.

  • bitudes de lpoque. Leurs rgles de vie taient-elles religieuses ? Cette socit avance tait-elle thocratique ? Seules, leurs grandes citadelles rpondront peut-tre un jour cette interrogation. Ces constructions slevaient souvent une soixantaine de mtres et mesuraient environ 475 mtres de long et 250 mtres de large. La citadel-le de Mohenjo-Daro, largement restaure, nous offre ldifice le plus remarquable et le plus com-plet de lpoque. Elle se distingue des monuments de mme type par la prsence en son centre du-ne piscine. Cette dernire, dlimite par des mar-ches, est entoure de logettes qui font penser des cabines de bains, le tout voquant la pratique des bains rituels chez les Hindous. A proximit de ce bain public, slevaient dimportantes construc-tions communautaires, civiles ou religieuses. Si aucun temple na encore t identifi avec certitu-de, il est probable que la suite des recherches va en rvler deux ou trois dans des zones dj mi-ses au jour. Nous savons, grce la dcouverte de figurines en terre cuite, que ce peuple adorait une Desse-Mre, comme de nombreuses popu-lations anciennes. Par ailleurs, nous avons retrou-v des pierres suggrant un culte du phallus ou linga, et plusieurs divinits graves sur des ca-chets ou en cramique. Ces desses combinaient les traits animaliers et humains. Ainsi, une divinit, coiffe dun casque cornu et les bras chargs de bracelets, tait un prototype hindouiste vident de iva. A Harappa, lautre capitale, on a mis au jour un cimetire, dont on a recueilli une soixantaine de squelettes, orients nord-sud, la tte au nord. Les anthropologues qui ont dcrit ces squelettes, ainsi que dautres, dcouverts Lothal et Kalibangan, estiment que le type dolichocphale avec l-ments mditerranens et indo-europens, devait prdominer dans la valle de lIndus. Notons que ces crnes seraient, daprs Stoessinger, quasi indentiques ceux qui furent trouvs dans les spultures prdynastiques de lEgypte. Lothal, dans la plaine ctire du Kathiawar, est le troisi-me centre important de la culture indusienne. Les trois plans classiques se retrouvent : citadelle, ville basse et cimetire dinhumation contigu la cita-delle. De plus, on a dgag en 1954, une enceinte avec parois en briques cuites, de 213 mtres de long sur 36 mtres de large. II sagissait dun bas-sin de cette ville portuaire sur le golfe de Cambay. Et cest l son originalit : Lothal tait le grand port inclusion qui se trouvait en relations avec les mar-chands du golfe Persique. Les autres sites sau-rashtriens de Rangpur, Rojdi et Somnath servaient de pointes avances de leur mtropole, sur la cte. Elles contribuaient largement au dveloppe-ment maritime de Lothal. Les cits de lIndus entretenaient des relations commerciales avec Ie bassin mditerranen. Cet-te culture, dont soixante-dix cits ont t fouilles,

    nest pas un phnomne isol. On peut la compa-rer avec les sites de Suse en Iran, et de Sumer en Iraq. Le Bloutchistan effectue, lui, la liaison entre lAsie Occidentale et lIndus. On a dcouvert des sceaux en statite, semblables ceux de Mohen-jo-Daro, Ur et Tell-Asmar ; rciproquement quel-ques cachets sumriens furent trouvs Harappa. Des pierres semi-prcieuses indusiennes ont t recueillies Ur et Kish, du bois de teck indien Babylone. La turquoise de Perse et mme la jadi-te blanche du Tibet se retrouvent en terre indien-ne. Toutefois, les civilisations indusienne et mso-potamienne sont distinctes, pour lessentiel, et largement indpendantes. Le rsultat des fouilles entreprises sur ces sites est loquent et nous donne une ide assez prci-se de leur art. Les objets et les outils rcolts sont principalement des couteaux en bronze lame incurve, des terres cultes, des pierres semi-prcieuses, des objets en or, argent, bronze ou ivoire, parfois en cuivre ou en calcaire. Ces objets ont une relle valeur esthtique. Les silhouettes sont tantt audacieuses, tantt hiratiques. Cest un art htrogne. Voici deux exemples qui repr-sentent bien ces deux tendances contradictoires. La statuette dite la danseuse de Mohenjo-Daro est un chef duvre de vitalit. Le contraste avec la grandeur hiratique qui se dgage du roi-prtre , autre uvre saisissante de Mohenjo-Daro, est frappant. La disparition dune civilisation est toujours com-plexe. Dans ce cas-ci, les indices que lon poss-de, montrent que la dcadence est certainement due plusieurs vnements qui ne se sont pas raliss partout et en mme temps dans ce vaste monde indien. Les deux principales causes du dclin sont larrive de tribus indo-europennes et un changement dans lorientation du cours de lIndus. R. L. Raikes et G. F. Dales ont prouv que le relvement de la cte et laccumulation dallu-vions dans larrire-pays du Mekran, avaient prci-pit la fin de cette culture. De nombreux sites ha-rappens, tels Sutkagen-Dor et Balakot, se trou-vaient finalement ensevelis, alors que dautres, comme Mohenjo-Daro, taient inonds irrgulire-ment la suite de ces mouvements marins. A tout cela sajoute un certain dclin conomique d un milieu naturel us et, par consquent, des changes commerciaux plus limits. Voyons prsent, plus en dtail, les mouvements de populations qui se sont oprs au cours de ce second millnaire. Des Aryas, chasss des step-pes asiatiques, envahissent les hauts-plateaux iraniens. Et une branche de ces envahisseurs, passant les dfils de Kaboul et de Kandahar, dferlent dans la valle de lIndus, chassant de-vant elles les populations montagnardes. Ces tri-bus aryennes se rclament de leur dieu Indra. Elles progressent jusquau delta du Gange, com-

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  • battant les autochtones quelles rencontrent sur leur route et quelles appellent les Dasa. Larrive de ce nouveau peuplement correspond lge vdique, qui stend jusquau troisime sicle avant notre re. Les Aryens navaient ni le raffine-ment, ni le degr de culture des populations indo-gangtiques quils supplantrent. Ils staient constitus en petits royaumes qui saffrontaient constamment. De grands pomes piques, dont les plus anciens remonteraient 1500 avant J.-C., en retracent les luttes. Ainsi, le Mahbhrata vo-que, en cent mille vers, la guerre que se firent deux clans aryens, les Kauravas et les Pandavas. Ils se disputaient les terres situes louest de la valle du Gange. Le Rmyana, autre pope importante, relate les luttes intestines entre le roi Rma et Ravana, le monarque de Lanka (Ceylan). En dehors de ces rcits, mi-chemin entre lhistoi-re et la lgende, leur civilisation nous est principa-lement connue par des Vedas (recueils de prcep-tes religieux) et des Brhmana (commentaires thologiques). Dans cette vaste somme littraire, qui offre une certaine parent avec lAvesta de lIran, sont dj plants les principaux jalons philosophico-religieux de lInde future. Cette civilisation post-indusienne

    a prolong certaines traditions de la priode ant-rieure. En fait, elle progresse lentement dans le Doab, pays des deux rivires , le Gange et la Jumna, tout en fondant quelques cits importan-tes. Des fouilles pratiques proximit de centres urbains anciens de la valle du Gange, tels Bhita, Mathura et Kausambi, ont dj projet quelques lueurs sur cette culture. Toutefois, peu dlments matriels nous sont parvenus. On peut distinguer trois priodes. La phase initiale, qui oscille entre 1500 et 1200, correspond aux premires fon-dations. Elle se caractrise par une poterie ocre et des outils en cuivre. Les tablissements aryens se dveloppent au cours de la deuxime priode dite P.G.W. (painted grey ware) poterie grise pein-te, laquelle lui succdera, vers 500, une troi-sime phase, la N.B.P. , (northern black potte-ry), poterie noire polie. Ces deux stades de civili-sation se caractrisent aussi, dabord par lemploi du verre et de la terre cuite allie un outillage de cuivre et de bronze, et ensuite par lutilisation du fer. Cette dernire priode concide avec les d-buts historiques du sous-continent indien. On esti-me gnralement, que la socit vdique est lar-gement implante en terre indienne ds la fin du premier millnaire avant notre re. Elle est, lorigine, divise en quatre castes, selon

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    La danseuse de Mohenjo-Daro (statite 17 cm - Muse National du Pakistan Karachi), et le roi-prtre de Mohenjo-Daro (bronze 11 cm - Muse National de lInde Delhi).

  • une discrimination raciale : les brhmanes (sages), les kshatriyas (guerriers), les haishyas (paysans) et les soudras (serviteurs). Bientt, les populations conqurantes et autochtones se fon-dent en une nouvelle communaut. Lorganisation rigide de la vie sociale volue sensiblement. La discrimination raciale sestompe. Si les castes principales se maintiennent, de nombreuses sous-castes sociales se crent. Aux environs de lan 600 avant J.-C., les dieux aryens imports ont t assimils aux cultes traditionnels. Dunique lori-gine, la divinit devient trinit : Brhma (llment crateur), iva (llment destructeur) et Vishnou (llment protecteur). Un grand mouvement reli-gieux saccomplit. Le vdisme des Aryas prend le nom de brhmanisme et se transforme en un culte panthiste doubl dune mtaphysique autour de laquelle se grefferont de nouvelles philosophies jusqu notre poque. Un hindouisme tolrant as-similant les nouveaux dogmes est ainsi cr. Au sixime sicle, les brhmanes conservateurs ten-tent dtouffer les rformes sociales visant sup-primer les castes. Par raction, deux nouvelles religions naissent presque simultanment : le ja-nisme de Vardhamana et surtout le bouddhisme de Siddharta Gautama. L Illumin , prince -kya, naquit aux confins du Npal, sous la seconde dynastie du Magadha. II vcut sous les rois Bimbi-sra et Ajatasatru, qui construisirent une capitale, aux murs cyclopens, Rjagriha, dans le Bihar. Lhindouisme, branl par ces nouvelles ides bouddhiques, prendra son tour une orientation plus sociale et morale. Si jvoque cette rgion du Magadha, cest que prcisment elle joua un rle considrable dans lHistoire indienne. Contraire-ment aux autres petits Etats, ns de ces mouve-ments de populations, ses rois dominrent tout le bassin gangtique au sixime sicle. Le Magadha, lactuel Bihar peut tre considr comme le ber-ceau politico-religieux de lInde ancienne. Cest vers la mme poque que les Perses ach-mnides semparrent du bassin de lIndus. En effet, en 518 avant J.-C., Darius Ier est matre du nord-ouest. Cette hgmonie iranienne sy main-tiendra jusqu la victoire dAlexandre le Grand sous Darius III en 331 avant J.-C. Au quatrime sicle, la mort dAlexandre Babylone, la dynas-tie des Maurya supplante celle du Magadha. Plus tard, sous Aoka ( 250 avant J.-C.), le grand Maurya bouddhiste, lunification politique de lInde est ralise pour la premire fois. Ce roi est consi-dr comme le fondateur de lInde historique. Son empire englobe les divers royaumes aryas, de lIndus au Gange. II stend galement au sud, jusquau plateau du Deccan. Vers 187 avant J.-C., les dynasties ungga et Knva prennent la relve. Mais elles ne rsistent pas aux coups de boutoir des Grecs dans le Panjab et des Andhra dans le sud. Les campagnes grecques neurent pas de grande rpercussion sur la culture indienne. Et, seuls les emplacements de Charsada, Peshawar

    et Tesla ont gard un souvenir tangible de leur passage. Par contre, le Deccan est marqu de Iempreinte bouddhique des Andhra. Lempire indien est donc nouveau divis et pour de longs sicles. Arrtons ici ce survol des premiers temps de lInde ancienne et demandons-nous finalement, ce quest lindianit ? Pour essayer de rpondre cette question, il nous faut parcourir la masse des textes indiens qui nous sont parvenus. Cette litt-rature, tant en sanskrit quen langues vernaculai-res, est essentiellement religieuse. Mme les trai-ts scientifiques se rattachent aux croyances. En fait, la reflexion rationnelle tient la fois de la phi-losophie et de la thologie. La religion est aussi omniprsente dans la vie quotidienne. II suffit d-voquer les extraordinaires temples hindous et bouddhistes pour sen persuader. LInde pense en termes religieux et par consquent, ses valeurs sont immuables. Cest probablement l que se trouve lessence mme de cette indianit. LInde, comme la si bien crit Jeannine Auboyer dtient dans sa terre un mystrieux pouvoir dindianisa-tion qui transforme ceux qui viennent sy tablir. Cest ainsi que malgr une apparente diversit, une profonde unit a ciment les foules humaines qui se sont succdes sur son sol en leur impri-mant une marque indlbile, en les maintenant dans une voie minemment civilisatrice .

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  • Entre les lignes

    Le vimna est un engin volant utilis par les dieux et accessoirement par les hros de lanti-que lgende indienne, thme mythologique aussi rpandu sur les rives du Gange que le loup-garou dans nos campagnes. On ne pourrait, dans le cadre restreint dun article, prsenter in extenso tous les textes qui le mentionnent. A ce jour, il nexiste dailleurs aucune recension com-plte dans ce domaine. Le char arien parut en Europe ds que des tudes srieuses sur lan-cienne littrature sanskrite y furent entreprises ; il figure en bonne place dans les popes, mais les chercheurs qui le dcouvrirent ny attachrent pas plus dimportance quaux autres merveilles dcrites par les potes. Rverie imaginative com-mune tous les peuples encore dans lenfance ! Telle fut la conclusion. Lide dun vhicule a-rien plus lourd que lair navait, au XIXme sicle, aucune signification, sauf pour quelques esprits davant-garde souvent qualifis de visionnaires. Seul lun ou lautre sotriste avait pris laffaire en considration. Lattitude changea dans la se-conde moiti du XXme sicle pour des raisons que nous exposerons plus loin ; un enthousiasme dlirant agita les amoureux dinsolite. Pousss par une imagination plus fertile que constructive, divers auteurs lancrent des hypothses hasar-deuses, nhsitant pas torturer les faits, et, le plus souvent, de la meilleure foi du monde. II sagit maintenant de montrer un peu plus de sang-froid. Les conclusions htives doivent tre cartes. II nous faut reprendre ltude des l-ments concrets en les rtablissant dans leur contexte rel, et rectifier les erreurs dues un amateurisme imprudent. Un fort long travail, qui demeure inachev ce jour. Cest un champ de

    fouilles. Les lettres indiennes forment un vaste continent mal explor, parsem de terres incon-nues qui nous rservent sans doute bien des surprises encore. En ce qui concerne les vim-nas, les nombreux extraits cits dans dautres publications devront tre vrifis dans leur tra-duction et reproduits accompagns de la rfren-ce exacte qui manque le plus souvent. Cet expo-s na dautre but que de remettre quelques l-ments en place. Une pierre donc dans un impo-sant difice et non une conclusion dfinitive. Pleins feux sur les vimnas. Si les chars volants pilots par les dieux du pan-thon indien nont pas spcialement attir latten-tion du public cultiv au sicle dernier, la situation volua aprs le deuxime conflit mondial. Notons que les vimnas surgissent souvent dans le ca-dre dune guerre dvastatrice. A titre dexemple, je rappellerai un texte souvent cit, extrait du Mausalaparvan. II ne sagit pas dun ouvrage distinct, comme on pourrait le croire la lecture de divers auteurs, mais bien dune section appar-tenant lune des deux grandes popes, le Ma-hbhrata. Le titre lui-mme est significatif ; on peut le rendre en franais par : chapitre (relatif un conflit livr) coups de massue (musala) ; les mots entre parenthses expriment les ides sous-entendues dans lexpression sanskrite, mais videntes la lumire du contenu. II est donc bien question dune guerre la manire antique ; larme utilise ne laisse aucun doute ce sujet. On est, ds lors, assez surpris la lec-ture de lexploit accompli par un des combattants du nom de Cukra (brillant, lumineux) : bord de

    LES VIMANAS MYTHE OU REALITE ?

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    Alors, les habitants des cieux, descendant du firmament, arrtrent leurs vimnas dans lespace et sadressrent au roi Naishadha.

    (Nalopkhynam I-V in Mahbhrata, III, 53-57)

  • son vimna, il lance, sur une ville ennemie, un projectile qui contient les puissances de luni-vers ; une fume pareille dix mille soleils enva-hit les cieux. Une description de ce genre nvo-que rien pour un rudit du XIXme sicle ; elle veille des chos sinistres dans lesprit dun contemporain. Devant lui, se dresse le spectre du champignon atomique, Hiroshima et Nagasaki rapparaissent dans toute leur horreur. Insistons sur ce point, car il a son importance : dans une socit tribale parfaitement reconnaissable, les auteurs anciens introduisent des vnements dallure moderne qui ne pouvaient logiquement avoir, pour eux, aucune signification prcise. On est en droit de se demander pourquoi et com-ment.

    Quand ces donnes furent mises la porte du grand public, les sanskritistes professionnels restrent de glace et rien, ce jour, nest venu secouer leur indiffrence. Je ne voudrais pas tre mchant vis--vis de mes collgues, mais je me demande parfois ce qui pourrait troubler un philo-logue, absorb par des problmes de syntaxe et de morphologie ; il traduirait la description int-grale dun engin nuclaire dans un texte du pre-mier millnaire avant Jsus-Christ sans smou-voir outre-mesure ; la prsence dun adverbe mal plac linquiterait davantage. Lattitude des

    chercheurs parallles est trs diffrente : ils saf-folent et lon assiste alors une raction en cha-ne non contrle (puisquil est question dnergie atomique). Le rsultat nest pas toujours heureux, mais ces pionniers de linsolite auront nanmoins le mrite davoir pos le problme. Ils peuvent lavoir mal fait ; leurs dductions sentent lama-teurisme, mais ils lont fait et sans eux, ces lignes nauraient jamais t crites. Cest une leon pour Iavenir : la science a besoin desprits ration-nels et de potes. Les deux sont ncessaires la recherche, les seconds pour lancer des hypoth-ses parfois dlirantes, les premiers pour les tu-dier posment avec toute la rigueur voulue. Nest-ce pas tout lidal de KADATH ?

    Voyons plus concrtement les choses. Forts de ces prcieux tmoins du pass indien, quelques crivains, mi-scientifiques mi-potes, mirent lide dune civilisation techniquement suprieure la ntre et qui aurait disparu, de sa propre fau-te, par lemploi abusif darmes un peu trop radica-les. Par association mentale, lAtlantide ressurgit du fond des mers et des ges. Dautres allaient suivre aussitt Mu, Hyperbore, le Gobi. Bien que ce ne soit pas notre propos, il est utile de suivre schmatiquement lvolution du mythe atlantique. Platon qui, le premier (tout au moins

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    Le char omniprsent en Inde : la pagode de Konarak, ddie Surya (XIIIme sicle). Une des roues est dessine en dtail sur notre couverture.

  • au stade actuel de nos connaissances) le signale son public, dcrit le peuple atlanten en des termes qui ne diffrent pas de ceux que lon utili-serait pour brosser le tableau de nimporte quelle nation mditerranenne appartenant lge du bronze ou du fer. II na pas la moindre ide dune culture hyperscientifique. Au XIXme sicle, Hl-ne Blavatsky affirme que ces tranges insulaires taient psychiquement trs volus ; ils ont pri par excs de magie noire. Elle crit une poque o les surs Fox voquaient les mes dfuntes. Un pas est accompli par un autre thosophe du nom de Scott-Eliott qui dcrit des vimnas atlan-tens, mais les prouesses de ces engins ne d-passaient gure celles quun esprit davant-garde romantique pouvait imaginer un moment de lhis-toire o lide dun engin volant plus lourd que lair flottait dans latmosphre et dans les cerveaux des chercheurs. Une Atlantide hautement technique, dtruite par les forces de lunivers ne pouvait na-tre qu lpoque contemporaine. Une tape restait franchir et elle le fut : lAtlanten moyen, lointain descendant dune mission extraterrestre sur notre plante. Dans le domaine des vimnas, lintrt sest large-ment renforc la suite de lindiscrte intrusion des OVNI dans notre petite routine quotidienne. Le vimna ne serait-il pas, btement, une soucou-pe volante antdiluvienne ? Evitons un malenten-du : je nattaque pas lufologie et nai nulle envie de le faire ; je constate simplement un rapproche-ment que dautres ont mis en lumire. Songeons seulement Desmond Leslie. Son livre: Les soucoupes volantes ont atterri laisse rveur. En termes mesurs, il savance beaucoup. Recon-naissons-lui le mrite davoir compuls des textes authentiques, en traduction anglaise il est vrai, mais pour un chercheur rationnel cet envol roman-tique est prcieux. Convenablement mond, lou-vrage peut servir de base un travail plus serein. (1) Position du problme. Poser correctement le problme, cest se donner une chance unique dy rpondre un jour, proche ou lointain, dune faon adquate. II se rduit trois questions essentielles. 1) Compte tenu du fait que lutilisation dengins volants en Inde lpoque historique est impensa-ble (elle aurait laiss des traces), peut-on voir dans le vimna et dans les autres techniques es-sentiellement destructrices, un lointain souvenir dune civilisation antrieure anantie, dune ma-nire ou dune autre, au point quaucun vestige archologique indiscutable na pu tre identifi ? 2) Une partie de cette science sest-elle transmise, dge en ge, par voie sotrique, cest--dire de bouche oreille, et trouve-t-on des lments de preuve dans la littrature sanskrite ? 3) Accessoirement et pour tre complet, car je ny

    crois pas fort, les devas, savoir les dieux de lIn-de, promoteurs de ces engins, seraient-ils des astronautes venus jadis nous visiter dans on ne sait trop quel but ? Ces questions sentent le ro-mantisme plein nez. Ce nest gure tonnant. Elles ne font que systmatiser les hypothses exprimes par les potes de linsolite. Les savants officiels hausseront peut-tre les paules. A tort ! II nest pas rare dans lHistoire humaine quun rveur intuitif ait eu raison sur un esprit positif, prcisment parce quil sentait les choses, mme confusment. II suffisait alors de dbrous-sailler son uvre pour exhumer lhypothse vala-ble et constructive que son intuition mme lui avait rvle. Or, nous sommes ici en prsence dun travail dpassant dj les limites du simple flair . Des recherches ont dj t entreprises et des crits intressants retrouvs. Labondante littrature indienne pose une srie de problmes. Bien des textes dorment encore dans lun ou lautre temple, ou sont en possession de sectes religieuses particulires. Beaucoup ont t recenss, sans que la traduction soit faite. Les diverses universits en sont propritaires, ou des organismes privs. Les travaux philologiques en-trepris en Inde mme sont en gnral peu connus en Occident, sinon totalement ignors. II y a ca-rence dans lchange des informations. Une ques-tion linguistique se pose galement : le public identifie trop souvent lettres indiennes et langue sanskrite. Or, il existe dautres idiomes dans la pninsule : le tamil (plus connu sous la forme ta-moul), le malaylam, le kannara etc., savoir tous les parlers dravidiens. Ce domaine est peine explor. Nous pouvons donc nous attendre des dcouvertes pour lavenir. Le Mahbhrata. Comme je lai dj signal ci-dessus, le Mahbh-rata est lune des deux grandes popes, la plus ancienne en juger par la langue relativement archaque compare au sanskrit classique. Cest une vaste composition disparate, une sorte de bassin littraire o divers confluents viennent se jeter. Luvre comprend dans les cent mille disti-ques de trente-deux syllabes chacun. Les rcits se sont labors au cours des sicles et il vaut mieux ne pas se prononcer sur lpoque dorigine. Louis Renon date la rdaction dfinitive au dbut de lre chrtienne, mais sans grande conviction (2). Selon Anne-Marie Esnoul, la composition se serait tendue du IVme sicle avant Jsus-Christ au IIIme aprs (3), mais son apprciation nest pas

    (1) Desmond Leslie et George Adamski : Les sou-coupes volantes ont atterri , Jai Lu n A260.

    (2) Louis Renon : Les Littratures de lInde (Que Sais-je ? n 503) P.U.F.

    (3) Anne-Marie Esnoul : LHindouisme , Fayard/Denol 1972.

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  • plus catgorique. Malgr les apparences, ces considrations ne sont pas trangres notre sujet. Dans lhypothse o nous nous plaons, il est exclu quon puisse y trouver un tmoignage direct dune guerre atomique au cours de laquelle des vimnas de combat auraient t utiliss . Ne sursautons pas ; ce sont des affirmations im-prudentes que lon rencontre. Le rcit principal rapporte le conflit qui opposa deux familles princires : les Kauravas et les Pandavas. Pour les amateurs dhistoire-fiction, je signale que ces derniers ont une gense curieu-se. Leur pre tait lgalement bigame et ses deux pouses avaient reu la facult denfanter un enfant issu des uvres de nimporte quel dieu. Les cinq Pandavas sont donc semi-divins. Voil qui rappelle un passage bien connu de la Gense (4), et les frasques amoureuses du roi-paillard trnant sur lOlympe. Libre chacun den tirer des conclusions plus prcises. On possde plusieurs recensions du Mahbhrata, ce qui explique les divergences dans le contenu des diffrents extraits reproduits par les auteurs mo-dernes. En ce qui concerne notre sujet, deux chapitres sont particulirement intressants : le Dronaparvan et le Karnaparvan, respectivement : sections (qui relatent les exploits) de Drona et de Karna. Je reprends Michel Bougard (5), la tra-duction dun extrait du second : Nous aper-mes dans le ciel quelque chose qui ressemblait un nuage carlate, comme les flammes cruelles dun feu ardent. De cette masse, mergea un norme vimna peint en noir qui lana de nom-breux projectiles flamboyants ; le bruit quil faisait en se rapprochant de la Terre ressemblait celui de mille tambours roulant tous ensemble. Le vi-mna se rapprochait du sol une vitesse in-croyable en lanant de nombreuses armes tin-celantes comme lor, des milliers de foudres ac-compagnes dexplosions violentes et des cen-taines de roues de feu. Ce fut un affreux tumulte, pendant lequel on vit tomber les chevaux, les lphants de guerre et des milliers de soldats tus par les explosions. Larme en droute fut poursuivie par le terrible vimna jusqu ce quel-le fut anantie. Jai choisi ce passage pour la nettet de la des-cription. On croirait entendre le rcit dun tmoin direct qui a vcu lattaque par un engin arien trs moderne dans sa conception. Lauteur cit ci-dessus franchit le pas et parle de tmoin oculaire . Lerreur est comprhensible et ce dautant plus que le rcit dbute la premire personne du pluriel. Cest tout de mme une er-

    reur. En effet, il sagit dun artifice littraire cou-rant et quutilise aussi la tragdie grecque : la relation des vnements est faite par un messa-ger un souverain ou un chef qui na pas as-siste la bataille, ce qui explique lemploi du pro-nom personnel nous . Dautre part, nous cons-tatons une fois de plus que cette scne digne de la science-fiction contemporaine intervient au cours dune guerre tribale o, par ailleurs, les armes les plus classiques sont utilises : arcs, flches, lances, glaives, chars, etc. Rappelons-le : les potes indiens de lAntiquit ne pouvaient logiquement concevoir une opration militaire de ce genre ; lHistoire ne leur offrait aucun modle permettant de limaginer, et cependant ils lont fait. Incontestablement, nous sommes ici en pr-sence dun fait insolite authentique, une donne fortenne perdue au sein de la littrature pique. Jextrais du Dronaparvan un autre passage as-sez rvlateur ; il nest certes pas question de vimnas, mais bien dune de ces armes dpou-vante qui paraissent constamment dans le mme contexte, au point que lon peut difficilement trai-ter lun sans lautre. Entour darchers, Bha-rata, poussant un rugissement de lion, Bhshma prit une masse terriblement destructrice et la jeta avec violence dans les rangs des ennemis. Com-me la foudre dIndre quand Indra lui-mme la lance, Roi, ce puissant projectile crasa tes soldats. Et la Terre entire fut remplie dun vacar-me effrayant. Lorsquil eut tout embras, Roi, le terrible projectile suscita leffroi de tes fils. Tes guerriers fuirent en poussant des cris de terreur quand ils le virent foncer vers eux, tout environn dclairs, dans une course forcene. Ces lignes nexigent pas un commentaire approfondi. Les conclusions sont les mmes. Le procd littraire relev plus haut apparat ici clairement : un t-moin prsum et non effectif fait son rapport au roi Bharata. Le Rmyana. Le Rmyana relate les aventures de Rma, hros semi-divin qui fut considr par aprs com-me une incarnation (avatara) de Vishnou. Plus rcente que la premire pope, luvre est cen-se rapporter des faits antrieurs la guerre des Bhratas. En rsum, Rma qui est fils du roi dAyodhya est cart du trne par des intrigues. II part en exil avec son frre et son pouse St. Rvana, chef des dmons Rakshasas, enlve la jeune femme dans un engin volant et lemprison-ne dans la forteresse de Lanka (Ceylan). Avec laide dHanuman qui rgne sur le peuple des singes, le prince combat le ravisseur et le vainc. Le Mahbhrata donne dj un rcit abrg de cette histoire. Voici la traduction de quelques passages significatifs. 1. Lenlvement de St (Rmyana, livre VI, 7) Sans voir les habitants des forts, tmoins de

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    (4) Gense VI, 1-4. II sagit du texte fameux trai-tant du mariage des fils divins avec des filles de la Terre.

    (5) Michel Bougard : Au cur de lAsie in revue Inforespace n 14, 1974.

  • ce triste et honteux forfait, le puissant Rkshasa enleva la malheureuse femme sans dfense et linstalla dans son char cleste tir par des nes, ails de vitesse, irradiant comme lor, aussi lger que le coursier cleste dIndra... Alors, le char cleste sleva au-dessus des collines et des vallons boiss... 2. Intervention des dieux (Rmyana, livre X, 10) (Aprs la seconde bataille pour la prise de Lanka, les dieux dcident dintervenir en faveur de Rma pour quil puisse emporter la dcision). Indra envoya ses armes et son char lendroit o le guerrier humain se trouvait. Hte-toi, Matali, dit Indra, hte-toi avec mon char cleste, l o, de-bout Rma le juste rencontre au combat son en-nemi mont (sur le sien). Dpche-toi, car les jours de Rvana sont termins ; les heures (qui lui restent vivre) sont courtes et peu nombreu-ses. Rma lutte pour le droit et lordre moral. Les dieux assistent le brave, lhomme de vrit ! Le vaillant Matali mena le char tir par des coursiers pareils aux rayons du soleil lendroit o Rma, le juste, lhomme de vrit, cherchait son ennemi pour un combat mortel. II donna au noble Rma les armes clestes tout tincelantes... Prends ce char, dit Matali, (ce char) que te donnent les dieux secourables, prends ces coursiers, lattela-ge du char en or dIndra. Prends cet arc et ce

    carquois royaux... Vishvakarman a forg cette armure dans les flammes du feu divin 3. La mort de Rvana (id. XI). Le combat lissue incertaine dura jusqu ce que Rma, dans sa colre, brandit larme mortel-le de Brahma, flambant de feu cleste. Larme que le sage Agastya avait donn au hros, em-penne comme le javelot brillant dIndra, fatale comme la foudre du ciel, enveloppe dclairs, bondissant de larc arrondi, pera le cur de fer de Rvana et laissa le hros sans vie sur le sol... 4. Le retour du hros (Rmyana, livre XI, 4). (Aprs la bataille, le couple princier retourne Ayodhya, la capitale, sur un char cleste qui, cette fois, est tir par des cygnes. Le pote en profite pour nous offrir un fort joli tableau de lIn-de vue des airs). Naviguant au-dessus de l-ther sans nuages, le char fleuri de Rma parut et dix mille voix clamrent son nom joyeux ... A son commandement, les cygnes dargent descendi-rent du ciel et le char se posa sur le sol, tout charg de fleurs divinement belles. Le lecteur familier du sujet remarquera sans dou-te que jai repris, dans une large mesure, les pas-sages cits par Raymond Drake dans son livre : Astronautes de lancien Orient (6). Lauteur se base sur la traduction de Romesh Dutt, parue dans The Wisdom of India (7). Le choix est judicieux. Encore fallait-il publier les extraits uti-les, ceux qui permettent de saisir toute la porte du texte, tout en cartant les invitables redites si nombreuses dans les uvres indiennes, ce que je me suis efforc de faire. Je ne prtends pas que Drake agit dessein ; ce serait laccuser dune malhonntet quil ne mrite pas. Mais, tirs de leur contexte, les vers, tels quil les pr-sente, autorisent la conclusion quil en tire. On lit en effet : Ce merveilleux pome quest le R-myana nous intrigue beaucoup aujourdhui par ses frquentes allusions des vhicules ariens, des armes prodigieusement efficaces toutes choses que nous considrons comme des inven-tions de notre XXme sicle. Ceux qui tudient la littrature sanskrite sont bien obligs de rviser leurs ides prconues et dadmettre que les hros de lInde ancienne taient apparemment quips davions et de missiles encore plus com-plexes que ceux dont nous tirons gloire aujourd-hui n (page 51 de ldition franaise). Cette manire de procder devrait tre une le-on. II est ais de renverser son argumentation, car elle est mal fonde. Ce genre dimprudence ne facilite pas la tche des chercheurs parallles, volontairement ouverts toute ide neuve

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    Bas-relief du temple du Baphon Angkor (XIme sicle) : Rma conduisant son char vers Lanka. Ci-dessous, Rma aux prises avec Rva-na (combat excut par les danseurs de Bali).

    (6) Raymond W. Drake : Astronautes de lan-cien Orient , Albin Michel, 1976.

    (7) The Wisdom of India , edited by Lin Yutang, Four Square books.

  • (mme fantastique) ; elle sape laudience quils pourraient acqurir. Une lecture mme sommaire des passages que jai choisis convaincra ais-ment tout esprit avis que la guerre mene par Rma et Rvana est tout fait classique. Les moyens utiliss sont limage de ceux couram-ment employs lpoque de la rdaction : des arcs, des flches des vhicules traction anima-le. Les fictions potiques, ltranget des attela-ges, la notion mme de char volant ne doivent pas faire illusion. Lauteur antique a laiss courir ses facults cratrices ; il manie des figures de style, comme la fume et les clairs qui entourent le javelot, lirradiance dore de la carrosserie, mais ses modles de base ne dpassent pas ce que la socit de son temps pouvait lui fournir. Nous sommes loin de la lourde atmosphre futu-riste qui caractrise le Dronoparvan. Aucune ex-plosion atomique ne se dresse lhorizon. Chose curieuse, il est effectivement possible de tirer argument du texte en faveur de la thse que

    Drake dfend, mais il sy prend mal. Nous lavons dit : le Mahbhrata est antrieur au Rmyana, or cest bien le premier qui contient les visions apocalyptiques dont nous avons donn deux exemples plus haut, ces visions qui font frmir le contemporain, car elles lui rappellent trop bien un destin qui le guette. Vues sous cet angle, les descriptions du Rmyana apparaissent comme une interprtation a posteriori de thmes lgen-daires dont le pote ne saisissait plus la significa-tion ; des scnes de ce genre navaient aucun

    sens ses yeux, et il les a reprises en se confor-mant aux schmas mentaux de son poque. On les retrouve dans toute littrature pique et le processus psychologique qui prside llabora-tion de ces images est parfaitement connu. Les lments mythologiques davant-garde prcdent donc dans le temps. A ma connaissance, le Ma-hbhrata est, cet gard, unique en son genre, sous rserves, bien sr, de donnes qui me se-raient apportes ultrieurement. Intermde mystique. Le vif souci de dmystification qui manime mo-blige mentionner un crit ne mritant pas un intrt particulier, sauf pour les spcialistes de la psychologie des profondeurs II a t plusieurs fois prsent au public dOccident, grand fracas dailleurs. Force nous est donc den parler ! II y a quelques annes, un organisme peu connu,

    lAcadmie internationale de recherche sanskri-te de Mysore en Inde publiait des extraits en langue sanskrite et en traduction anglaise dune uvre au titre prometteur : Vaimnika-shstram , savoir : Trait relatif aux vim-nas . Lauteur annonc tait le Maharshi (Grand Sage) Bharadvadja, et lon signalait en exergue quil sagissait dun manuscrit du pass prhistori-que ( a manuscript from the pre-historic past ! !). Les caractres indiens (que lon appel-le des devanagari) taient peu lisibles, suffisam-

    22

    Miniature peinte vers 1765, o lon assiste Ienlvement de Sit, lpouse de Rma, par le roi-dmon dix ttes, Rvana Ici, le vautour Jatayu tente vainement de retenir le char volant de

    Rvana.

  • ment cependant pour se rendre compte que ces lignes taient rdiges en sanskrit correct, avec peut-tre une trace de post-classicisme. En voici quelques extraits. (Le livre dcrit la construction dun vimna) : qui peut circuler sur terre, sur mer, par sa propre force, comme un oiseau qui peut voyager dans le ciel, de rgion en rgion, de continent en continent et dunivers en uni-vers . (On nous promettait) : le secret de construction dengins volants quon ne peut bri-ser, quon ne peut fendre, qui ne prennent pas feu et ne peuvent tre dtruits ; le secret de les immobiliser ; le secret de les rendre invi