Kadath Chroniques Des Civilisations Disparues - 005

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    COMITE DE REDACTION : ivan verheyden, rdacteur en chef jean-claude berck, robert dehon, jacques dieu, guy druart, patrick ferryn, jacques gossart, jacques victoor AVEC LA COLLABORATION DE : willy brou, paul de saint-hilaire professeur marcel holmet, pierre mreaux-tanguy, albert van hoorenbeeck,alfred weysen MAQUETTE DE GERARD DEUQUET

    Au sommaire

    rencontre avec un magicien, entretien exclusif avec Jacques Bergier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . lnigne des migrations polynsiennes, Jacques Dieu . . . . notre cahier chan-chan au pays des pyramides, Pierre Honor . . . . . . . chan-chan, la mystrieuse, Marcel Holmet . . . . . . mgalithes oublis des les balares, Robert Dehon . . . . la grande pyramide, une utile mise au point, Jacques Victoor . .

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    A la recherche

    De kadath

    Ctait en 1933. Le petit tudiant juif avait un nez pointu, chauss de lunettes rondes derrire lesquel-les brillaient des yeux agiles et froids. Sur son crne rond se clairsemait dj une chevelure pareille un duvet de poussin. Un effroyable accent, aggrav par des hsitations, donnait ses propos le comique et la confusion dun barbotage de canards dans une flaque. Quand on le connaissait un peu mieux, on prouvait limpression quune intelligence boulimique, tendue, sensible, follement rapide, dansait dans ce petit bonhomme malgracieux, plein de malice et dune purile maladresse vivre, comme un gros ballon rouge retenu par un fil au poignet dun enfant. Vous voulez donc devenir alchimiste ? , deman-da le vnrable professeur ltudiant Jacques Bergier. Ctait en 1973. Attabls dans un snack des Champs-Elyses, nous coutions Jacques Bergier. Nous avions retrouv le mme personnage dcrit affectueusement par Louis Pauwels. Mme accent rocailleux, mme gentillesse, mme regard ptillant dintelligence. Il avait fait KADATH un accueil aussi chaleureux quinattendu : un homme si occup, tellement sollicit de partout, allait-il se donner la peine de nous envoyer des encouragements ? Oui, par retour du courrier, il nous disait tout le bien quil pensait de notre action, et nous invitait son bureau. Nous avions beaucoup de questions poser Jacques Bergier. Il avait fait, quelques mois auparavant, une intervention trs remarque dans un dbat lORTF. Connaissant la diffrence de mthode qui lloigne dun Robert Charroux ou dun Erich von Dniken, nous avions entrevu un dbut dexpli-cation, et nous ne pouvions quapplaudir. Mais il allait nous en apprendre plus. Car cet homme, lorsquil se manifeste en public, a une attitude de prime abord paradoxale. Et cest souvent cet aspect que sarrte le lecteur ou le tlspectateur moyen. Comme pour Salvador Cali, on ne comprend pas et on prfre sourire. Et pourtant...

  • Ce qui nous avait toujours gns, cest que les journalistes ne posaient jamais Jacques Bergier les questions qui auraient pu rsoudre ces apparents paradoxes. On sarrte laspect insolite, voire folklorique du personnage. Bien sr, il a sa part de responsabilit. Lorsquil se prsente, ne vous offre-t-il pas une carte de visite rdige en ces termes : Jacques Bergier, amateur dinsolite et scri-be des miracles ? Mais il faut aller au-del de lanecdote. Car on ne passe pas sa vie, sans raisons, se balader aux frontires du fantastique, sans avoir une petite ide derrire la tte, bref sans faire usage dune mthode. Cest cette mthode que nous voulions lui faire dvoiler, ou du moins en recueillir des bribes. Jacques Bergier sest ouvert nous sans la moindre rticence. Plus nous lui posions de questions, plus il nous fournissait dexemples (avec rfrences prcises, il faut le souli-gner), et plus se dessinait une mthode de prospection. Elle nous a fascins, car elle fleure bon lair pur : Bergier ouvre toutes grandes les fentres de limagination -- et il en faut actuellement dans le monde touffant de larchologie. Aucune ide nest assez folle quand il sagit de tout remettre en question. De cet entretien, nous avons recueilli deux articles. Lun sera linterview qui suit, avec des claircissements et des orientations dordre gnral. Lautre sera un article exclusif, sign Jacques Bergier, que nous vous proposerons dans un prochain KADATH, et o il expose ses vues sur la n-cessit des hypothses folles en archologie, pour en arriver un dbut dexplication sur ce quil appelle les intermdiaires . Nous croyons que cest la premire fois quon lira un ce que je crois de Jacques Bergier, et cest pour nous un grand honneur.

    Un hebdomadaire de la capitale a parl, notre sujet, de ractivation archologique . Lexpression ne nous dplat pas. Mais nous nen tions pas encore arrivs ce stade. Maintenant, cest chose faite. Avec des gens comme Jacques Bergier ou Marcel Homet, il pouvait difficilement en tre autrement. Car, jusqu prsent, nous navons fait que vous proposer, gentiment , quelques lments dune remise en question du pass de lhumanit. Nous en tenons encore une masse en rserve. Mais il ne suffit pas dtre approuv, il faut aussi provoquer des ractions. Cest pourquoi nous allons mettre le doigt sur quelques vritables scandales concernant la vrit historique, scandales qui se portent bien, merci, car les plus luxueux livres dart en regorgent, tout en les ignorant. Le Professeur Marcel Homet, en butte depuis plus de trente ans aux pontifes assis derrire leurs bureaux, craignait de nous voir nous heurter des gens comme ceux du Muse de lHomme. Tant pis pour nous ! Nous avons lenthousiasme de la jeunesse et lcoute du public. Peut-tre aussi les temps sont-ils mrs pour nous ? Nous avons t ahu-ris de dcouvrir, au fil des longs entretiens que nous avons eus avec Marcel Homet, la trame qui se noue pour relguer dans lombre luvre de gens considrs par ailleurs comme dincontestables cher-cheurs. Simplement parce que, sur le terrain, leurs fouilles ont mis jour des pices qui branlent les thories patiemment labores sous les votes du Palais de Chaillot. Le Muse de lHomme est une merveille. On y retrouve, avec un luxe de dtails, tous les aspects de lart humain. Mais quelle indigence dans les explications quon vous fournit ! Ny cherchez pas les fresques du Tassili, elles sont camoufles derrire celles de Lascaux. Ne cherchez pas de traces de Glozel, les tablettes sont dans les caves. Ne cherchez pas la magnifique statue rame-ne de lle de Pques par Alfred Mtreaux : les palissades vous guideront de faon ce que vous ne la voyiez pas, cache dans le fond du hall dentre. Et la pauvre tte pascuane ramene par Pierre Loti, elle se range dans les peuplades primitives . Ne cherchez pas Chan-Chan, toute lhistoire pruvienne drive de Chavin. Cest ce qua dcrt le duo pensant du Muse, feu Paul Rivet, et son fidle disciple Jacques Soustelle. Alors que la science officielle refuse daccor-der aux civilisations prcolombiennes la moindre anciennet, elle fait inexplicablement lexception pour Chavin. En niant un bon nombre dvidences, cela arrange tout le monde, coupe court toute spculation concernant Tiahuanaco ou Chan-Chan, et maintient en place les thories. Pour entrer au Muse de lHomme, il sagit de montrer patte blanche. Chan-Chan ne jouit pas de ce privilge. Aussi faudra-t-il forcer la porte. Car, ce que vous explique notre cahier spcial, est le fruit de longues annes deffort sur place, et qui plus est, confirm aujourdhui par les fouilles du-ne quipe amricaine. Nous avons pri le Professeur Homet de souligner au passage ces confirma-tions a posteriori. Mais lorsquen ces temps, il sollicitait laide du Muse de lHomme, Paul Rivet lui rpondit : Je suis au regret de vous faire savoir quil mest absolument impossible de vous aider pour votre prochaine expdition, attendu que le Muse de lHomme na pas actuellement de crdits disponibles. Jespre nanmoins, que vous voudrez bien, votre retour, nous faire connatre le r-sultat de vos recherches et, galement, dans la mesure de vos possibilits, enrichir nos archives photographiques, comme vous lavez fait dj si aimablement avant la guerre. Faut-il ajouter que, par la suite, ce nest que lenrichissement des archives qui intressa le noble organisme, et en au-cun cas le rsultat des recherches ? Car celles-ci remettaient en question la prsance de la civilisa-tion de Chavin. Cette chronologie classique, nous lavions dailleurs reprise dans notre petit mmen-to du premier numro de KADATH. Aujourdhui, nous la remettons en question, du moins en ce qui concerne Chavin et Chan-Chan. Il ne sagit pas l dune erreur de notre part. Cest plutt un aspect de notre mthode et, je crois, de la dynamique de notre revue : procder par tapes. Cest de larchologie vraie, mais parallle. IVAN VERHEYDEN.

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  • KADATH. LORTF a diffus, voici quelques mois, le film tir du livre dErich von Dniken, Souvenirs du futur . Dans le dbat qui a suivi, vous vous tes violemment heurt ceux que le tlspectateur croyait tre de votre bord. A tel point que pour certains, votre attitude davocat du diable tait parfaitement incomprhensible. Pou-vez-vous nous expliquer pourquoi ? JACQUES BERGIER. Oui, jai fait tout un scanda-le en me disputant avec Charroux et von Dniken, parce que, selon moi, ils y vont un peu fort ! Re-marquez, il y a pire. Ganzo, qui part a est un pote et un sculpteur de talent, est venu me voir un jour. Il avait trouv une civilisation disparue en Fort de Fontainebleau. Il mapportait des traces de cette civilisation, dont une plaque en crami-que, o taient graves les lettres mystiques W et C . Evidemment, l... Non, je crois que lattitude de votre revue est la bonne. Car enfin, je veux bien quon puisse dplacer de petits objets par la force de la volont, mais pas dpla-cer les statues de lle de Pques, qui psent des dizaines de tonnes. Il y a tout de mme la conser-vation de lnergie ! A la limite, on ne peut pas avoir plus dnergie quil ny en a dans le corps humain. Mais surtout, le problme vritable et qui, mon avis, na pas encore t pos, cest ce que jappelle le problme des intermdiaires. Autre-ment dit, moi je veux bien que les statues de lle de Pques ou le grand menhir de Locmariaquer aient t mis en place par antigravitation... cela, je veux bien. Mais avant darriver lantigravitation, il faut passer par des tapes : llectricit, la machi-ne vapeur, etc., peut-tre considres dune faon tout tait diffrente, mais nanmoins analo-gue. Or, on ne trouve pas de machine laver fossile, ni de locomotive fossile, rien ! K. Prcisment, propos de machines laver, vous parlez dans Le livre de linexplicable de lobjet de Coso. Ne pourrait-il sagir dune forme de machine laver fossile , disons un rsidu technique ? J.B. Certainement ! Mais un rsidu technique de qui ? Lobjet de Coso a lair dtre un gnrateur lectromagntique, vieux de 75.000 ans. Mais on narrive pas cela sans intermdiaire... De plus, il a t dcouvert dans un coin o on a fouill pas mal dans les dbris techniques : lpoque de cet objet, les gens nont pas le feu, ils ont tout juste des outils de silex. Une fois de plus, les interm-diaires manquent. Alors, videmment, on peut pro-poser, comme je lai fait dans Les extra-terrestres dans lhistoire , que ces objets qui sont en nombre limit : la machine dAnticythre, lobjet de

    Coso, etc. , ont t apports travers lespace, ou mme travers le temps. Seulement, si vous voulez, cest de la mythologie de science-fiction ou de bande dessine ; cest remplacer une mytholo-gie par une autre. Lhypothse nest pas toujours trs convaincante. Il me parat difficile de croire que si des extraterrestres nous ont visits, on nait pas observ leurs instruments ou quelque chose dana-logue, maintenant que nous sommes dans le cos-mos. Vous me direz quil y a des alignements sur la lune, dont vous parlez dans votre numro deux, qui sont rellement curieux. a ne rsout tout de m-me pas en masse le problme terrestre. Prenez les gigantesques dalles de Baalbeck. Elles ont t dcoupes, il y a des traces de scie. Si ctaient des extraterrestres, ils lauraient au moins dcou-pe au laser ou au chalumeau atomique !... A mon avis, il faudrait en archologie ce que je ne pr-tends pas tre , un Pasteur ou un Darwin. Il nous faut une hypothse rellement folle, comme lvolu-tion des espces ou la transmission des maladies par des microbes. K. Nous publions des extraits danciens textes sacrs. Vous les connaissez, bien sr, mais pen-sez-vous que ltude des livres dits mythiques peut fournir dautres renseignements ? J.B. Srement. Tenez, il y a un livre maudit qui vient de paratre et dont je croyais moi-mme quil tait mythique. Cest le Livre des trois impos-teurs , les soi-disant imposteurs tant Mahomet, Mose et Jsus. Le livre en question, il y a peu prs trois cents personnes qui ont t brles de-puis le XIVe sicle, pour lavoir possd. Mme Sprague de Camp avait dit quil tait mythique et je nen avais pas parl dans Les livres maudits .

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    Rencontre avec un magicien

  • Eh bien, les Russes en ont retrouv un exemplai-re, des trangers lont rachet tout de suite et en ont publi des reproductions. Ce qui dmontre une fois de plus que tous les mythes ne sont pas des mythes. Prenez le Ncronomicon, par exem-ple. Cest une production romance dEl Alach, qui a t mis mort par les musulmans au IXe sicle, pour communications avec le dehors : cest dans les attendus. Alhazred est invent par Love-craft, mais El Alach, sur qui Alhazred a t copi, est authentique... LEcole Centrale de Paris me propose de mettre des fonds ma disposition, sous forme dheures dordinateur, afin dy introduire toutes ces choses-l et de voir sil ny a pas de correspondances. Savez-vous, par exemple, que jai trouv dans un livre italien sur les Etrusques, paru bien aprs la mort de Lovecraft, le nom de Cthulhu, un de ses Grands Anciens. Or, cela avait t dcouvert en 1942, et jamais signal avant. Il serait vraiment intressant de reprendre tout cela par ordinateur. Il serait intressant aussi que les gens ne gardent pas indfiniment leurs secrets. Dautant plus que, trop souvent, il me semble que ce sont des se-crets primaires. Prenez la qute du Graal: mon avis, il est absurde de rechercher un Graal mat-riel quon puisse tenir entre ses mains. Il sagit plutt dune force, dune atmosphre, dune ide. Remarquez, les Allemands lont fait. Pendant loccupation, ils ont retourn les Pyrnes la recherche du Graal. Ceci tant dit, il y a certaine-ment quelque chose dans lide mme, il y a par exemple lOrdre du Graal, qui est quelque part, qui conserve un certain ordre des choses, et dont on parle de temps en temps... K. Parlant dune autre difficult pour obtenir des renseignements, comment faites-vous pour vri-fier les informations en provenance des pays com-munistes ?

    J.B. Je reois constamment des trucs des Soviti-ques, et ce qui est bien, cest quils restent malgr tout prudents et ninventent pas trop de choses. Ce qui est plus difficile, cest dtablir des contacts avec les Chinois, car ils ont une pense absolu-ment diffrente. Ils ont digr le marxisme, ils en ont sorti une espce de no-religion absolument incomprhensible. Mais l, il existe des choses trs curieuses. Par exemple, je leur ai pos une question qui mintrigue beaucoup, pourquoi est-ce nous qui avons invent le magntomtre, la ma-chine vapeur ou les avions, et pas eux, puis-quils avaient tous les lments en main. Ils avaient des expriences de laboratoire et tout, et puis brusquement, ils ont cess dinventer le pro-grs technologique. En un sicle ou deux, ctait fini, alors quavant cela, ils avaient des sismogra-phes, des boussoles magntiques, limprimerie, les fuses. On a des traces de tout cela, des mas-ses de volumes lUnesco, y compris des points o ils taient en avance sur nous : le miroir magi-que qui transmettait des images dun coin lau-tre, lalchimie (ils fabriquaient des bronzes dalumi-nium), et puis plus rien... Alors, la thse officielle, celle de Needham, est une thse marxiste. Il pr-tend que, parce quen Chine il ny avait pas de proltariat proprement parler, il ny avait pas de lutte de classes, donc pas de moteur de progrs. Bon, moi je veux bien. Mais quand jen ai parl des Chinois, ils mont rpondu : Cest un imbci-le rudit. La ralit, cest que les liens avec les Immortels ont t coups . Alors je leur ai de-mand si on ne peut en savoir plus. Oh ! nous allons publier , disent-ils. Ils ont peut-tre publi, mais on ne reoit rien ! De mme, ils ont dclar un moment donn avoir identifi des inscriptions dans le roc, reprsentant des engins volants qui dateraient de 43.000 ans. Jesprais les voir avec nous une confrence internationale de savants en mai 70 New York, mais au dernier moment, on a reu une belle lettre sur parchemin, disant que, comme on avait invit les dlgus de For-mose, ils ne viendraient pas. K. Revenons nos propos du dbut. Parmi les hypothses folles que vous avancez, il y a celle dune civilisation de plasmodes . J.B. Oui, mais ce seraient aussi des extraterres-tres. Evidemment, il y a tout de mme la possibili-t difficilement concevable, dune civilisation telle-ment diffrente, quon en retrouve des objets sans savoir ce que cest. K. Pourrait-il y avoir une civilisation tellement diff-rente, que nous ne russirions jamais en trouver de traces ? J.B. Il est extrmement difficile de concevoir quel-que chose qui ne laisse aucune trace, tant donn la finesse de nos moyens dinvestigation.

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  • Vous savez quon mesure la vitesse du vent dil y a 30.000 ans, par les variations dans les isotopes doxygne. Alors, que dire dune centrale de cent mgawatts, mme si elle utilisait des nergies cosmiques ? Jai un grand ami, qui sappelle Fran-ois Bordes, et est un palontologue extrmement distingu, mais aussi un grand auteur de science-fiction, sous le pseudonyme de Francis Carsac. Bordes nest pas du tout daccord avec mes ides, et il ma envoy lautre jour un travail quil avait fait publier dans La revue du Quaternaire . Il a retrouv en Dordogne des traces de campements dil y a 20.000 ans, avec les trous des piquets de tente. Et il ma dit : Si je retrouve des piquets de tente vieux de 20.000 ans, je trouverai bien une locomotive ou une machine laver ! Ou alors, il faut en revenir Ren Gunon. Jai fait rcemment un effort dimpartialit pour valuer Gunon. Il mavait beaucoup irrit par son racis-me, par son insolence, par sa faon de dire : je nai pas donner de rfrences, cest moi, liniti, qui parle , ce qui est toujours extrmement g-nant. Je naime pas les gens qui ne donnent pas de rfrences. Mais malgr tout, jai relu peu prs tout Gunon. Eh bien, il y a l des choses curieuses, et en particulier la rfrence constante au fait que la gographie de la terre ne serait pas totalement connue, quil y aurait une gographie sacre, et des pays, voire mme des continents autres que ceux que nous connaissons. Il a une autre ide qui parat trs intressante, cest celle de la cristallisation . Cest--dire que, selon lui, les lois naturelles ont chang, dans un pass trs rcent, mettons cent mille ans. Et plus on remonte vers le pass, plus la nature est mallable et obi-rait la simple volont humaine. Eh bien, rien que a expliquerait pas mal de choses, des monu-ments gants et ainsi de suite. Il a peut-tre vingt ou trente ides folles comme a, qui mriteraient dtre rexamines de sang-froid. Personnelle-ment, je ny crois pas. Mais Gunon, cest un point de vue qui mriterait dtre dcrit dans KADATH en tant quhypothse folle, condition de bien dire que cela nengage pas la rdaction. K. Certains articles de KADATH vous ont-ils dj rappel lune ou lautre de ces hypothses fol-les ? J.B. Oui. Prenez, par exemple, dans le numro deux, ces sites de Mohenjo-Daro et lle de Pques, qui sont spars par une trop grande distance pour que lalphabet ait pu tre communiqu. Je r-ponds : Oui..., par des moyens naturels ! Mais sils taient tlpathes ? Car cela peut aller assez loin. Imaginez un chamane de Sibrie, dans son climat glac, qui communique par tlpathie avec un sor-cier de lAmazonie, et qui voit autour de lui un mon-de abondant, avec de beaux fruits partout, le soleil luisant et de la vgtation luxuriante. Il invente le paradis... Pendant ce temps-l, lautre qui a une

    vision de ces terrains glacs, il invente lenfer. Cela mriterait dtre explor. Voir, par exemple, sil y a une correspondance srieuse entre les hirogly-phes de lle de Pques et ceux de Mohenjo-Daro, et si oui, mettre cette hypothse. Ce serait de la tlpathie, non seulement dans lespace, mais aus-si dans le temps, puisquil y a une diffrence de combien de sicles ? Mais l, au moins, ce serait une hypothse ouverte. Je le rpte : si on ne fait pas une perce en partant des ides rellement folles, eh bien, on restera indfiniment o on est. Jai limpression que la science officielle va un jour avoir un coup dur, et sera oblige de faire une rvi-sion dchirante de ce quon croit savoir, car sinon, on ne sen tirera jamais.

    K. Cest votre conclusion ? J.B. Oui. Je dirige actuellement, chez Albin Michel, deux collections. Lune, intitule Les chemins de limpossible , marche trs bien. Lau-tre est une collection scientifique, Science par-lante , et a na pas pris du tout. Le public a lair dtre indiffrent, sinon hostile, envers la science. Cest un phnomne gnral, et je me demande sil nest pas explicable par lattitude insolente que prend la science. Aprs tout, les savants sont des fonctionnaires pays par le contribuable, et quand on leur pose une question sur quelque chose qui intresse le public : les civilisations disparues, les extraterrestres ou autre chose, ils traitent les gens dimbciles et rpondent par des injures. Alors, jai limpression que le public le leur rend bien...

    (propos recueillis par I. Verheyden et P. Ferryn)

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  • anciens rois de la mer

    Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les rsultats dune expdition originale simprimrent sur tous les tlscripteurs des agences de pres-se : un radeau construit en bois de balsa avait travers le Pacifique. Lexpdition du Kon-Tiki fit beaucoup de bruit lpoque et son chef, le Nor-vgien Thor Heyerdahl, fut considr comme un hros. Ses rcentes expditions dans lAtlanti-que, bord du R, ont remis en mmoire son exploit de lanne 1947. Parti de Callao au Prou, le 28 avril, le Kon-Tiki schoua sur les rcifs de Raroa, le 7 aot de la mme anne. Quel tait donc le but de lexpdition ? Le grand public, parfois aid par la presse mais aussi par le film ramen par Heyerdahl, ny vit souvent quun mer-veilleux exploit sportif. Et pourtant... lobjectif prin-cipal tait de prouver que les Indiens dAmrique du Sud avaient atteint les les du Pacifique il y a plusieurs centaines dannes. Cette hypothse fut lorigine de nombreuses controverses. En ralit, Thor Heyerdahl ne dmontrait pas nces-sairement do taient venus les Polynsiens, mais bien comment ! En cela, lexpdition fut une merveilleuse exprience. Car, comme le faisait si bien remarquer Eric de Bisschop, le problme polynsien tant avant tout maritime, cest en marin quil faut ltudier. (1) Avant dexaminer les diverses thories relatives aux migrations, il est intressant de reconnatre lOcan Pacifique (voir la carte au verso). LOca-

    nie qui forme lensemble des terres du Pacifique a t divise en quatre zones raciales : la Micron-sie, la Mlansie, lAustralie et la Polynsie. La Micronsie, ou les petites les , se situe au nord de lquateur. Elle se compose des les Marshall, Mariannes, Carolines, Palaos et Gilbert. La Mla-nsie, cest--dire les des Noirs, comprend de vastes archipels qui schelonnent autour de la Nouvelle-Guine : larchipel Bismarck, les les Salomon, la Nouvelle-Caldonie, les Nouvelles-Hbrides, les les Fidji et larchipel de la Louisade. La Polynsie embrasse tout le reste des les du Pacifique. Celles-ci sinscrivent dans un immense triangle situ lest et au centre de lOcan. Le sommet est compos de larchipel des Hawaii au nord de lquateur. La base du triangle est une droite qui va de lle de Pques, au sud-est, la Nouvelle-Zlande, au sud-ouest. A lintrieur, nous trouvons des groupes importants tels que les Sa-moa, les Tonga, les Marquises, les Tuamotus, les les Cook, Australes et de la Socit.

    LENIGNE DES MIGRATIONS POLYNESIENNES

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    Nous inaugurons ici une nouvelle rubrique. Afin de mieux prsenter les nigmes de larchologie sous forme de faisceaux qui, nous lesprons, finiront bien par converger , nous y avons regroup les articles en rapport avec la mer : expditions transatlantiques avant Christophe Colomb, mystrieuses cartes de Pir Ris, migrations polynsiennes. Il y a dailleurs de fortes chances pour quils se rvlent tre un lien entre de nombreux mystres de la primhistoire, cette histoire que les ocans ont balaye, et que nous rvlent peu peu les courants marins et les vestiges sur les les. Ce premier essai, qui doit mettre en vidence le caractre marin de la civilisation polynsienne, ne peut servir que dintroduction dautres, o seront tudies les traces laisses par ces rois qui rgnaient sur deux tiers du monde : lOcan.

    Do venons-nous ? Qui sommes-nous ? O allons-nous ? (titre dun tableau de Paul Gauguin, Tahiti 1897).

    (1) Cest Eric de Bisschop qui nous explique la diffrence entre un marin et un navigateur. Le premier se sert dune embarcation pour courir vers le large, attir par le mystre des horizons et de ce quil peut y avoir au-del... (exemple : le Polynsien). Le second se sert dun bateau pour se dplacer sur leau, avec une destination dfi-nie quil sait pouvoir atteindre (exemple : lEgyptien).

  • Selon le professeur amricain D.L. Oliver, ce fu-rent des ngrodes, appels Ngritos qui, les pre-miers, peuplrent lOcanie. Ces Ngritos taient de petite taille et avaient le crne court (brachycphale). Ils taient apparents aux n-grodes dAfrique et occupaient le sud de lAsie avant la dernire glaciation. Ils furent refouls vers les diverses parties de la Malaisie, franchirent les dtroits et occuprent la Nouvelle-Guine, lAus-tralie et les les voisines. Les ngrodes ocaniens sont aussi diviss en deux familles bien distinc-tes : celle des Ngritos et celle des Papous. Ceux-ci seraient rests sdentaires et certains types purs ont t retrouvs rcemment dans les valles inaccessibles de la Nouvelle-Guine. Les Ngritos devenus nomades envahirent les les du Pacifi-que. Cette premire migration dura probablement plusieurs millnaires. Les moyens utiliss pour atteindre les les orientales demeurent un probl-me. Peut-on admettre que des hommes dits primi-tifs des poques classiques msolithique et noli-thique aient pu sembarquer bord de bateaux ou radeaux et dcouvrir lle de Pques ? Jusquen 1950 environ, les fouilles archologi-ques dans le Pacifique semblaient superflues. On ne pouvait imaginer que ces peuples primitifs aient pu laisser des objets intressants. Et cest ainsi que sans avoir recours larchologie, on labora de nombreuses thories. Cest avec sur-prise que lon constata en 1957-58 et grce la datation au radiocarbone, que les Marquises taient dj habites au IIe sicle avant J.-C. Comme lexplique Henri de Saint-Blanquat, larchologie du Pacifique, ayant vu ses recher-ches samplifier, ses rsultats se multiplier au cours des dernires annes, a provoqu son tour bien des surprises. Surprises limage de celle que les archologues ont prouve en d-couvrant litinraire suivi par les techniques de lagriculture pour arriver dans certaines les de la Sonde (Java et Sumatra). Lle de Borno a ainsi reu lagriculture non pas de louest, comme on aurait pu le croire, non pas de Java, mais des Philippines qui lavaient elles-mmes reue de la Chine. La diffusion sest donc faite plus aisment et plus rapidement par mer. Or, il semble bien, la lumire des connaissances actuellement ac-quises, que litinraire suivi par les anctres de la civilisation polynsienne ait lui aussi vit, court-circuit le bloc trop compact des les de la Sonde. Ceci pour une premire et fort simple raison : le Nolithique, niveau technique avant lequel les hommes nont pas pratiqu la navigation, a t connu sur les ctes de lIndochine avant de ltre en Malaisie et dans les les de la Sonde. Il sen-suit que des les comme les Philippines, par exemple, ont pu tre atteintes avant des rgions pourtant plus rapproches des masses continen-tales. Pour le Nolithique, cette route marine a reprsent un raccourci. Ces premiers marins

    ont donc pu aller trs tt trs loin. Aux les Ma-riannes, larchologue Spoehr a obtenu, pour un chantillon, la datation de 1527 avant J.C. Le savant pense que ces les ont pu tre peuples il y a quatre mille ans, une poque o lon parlait encore sumrien en Basse-Msopotamie. Primi-tifs ou pas, ces peuples venus de louest taient dj de fameux marins et cela depuis plusieurs millnaires.

    Dans un chapitre consacr lle de Tahiti et aux murs et caractre de ses habitants, Bougainville crit la fin du XVIIIe sicle : Le peuple de Tahiti est compos de deux races dhommes trs diff-rentes, qui cependant ont la mme langue, les mmes murs et qui paraissent se mler ensem-ble sans distinction. La premire, et cest la plus nombreuse, produit des hommes de la plus gran-de taille... Rien ne distingue leurs traits de ceux des Europens ; et, sils taient vtus, sils vivaient moins lair et au grand soleil, ils seraient aussi blancs que nous... La seconde race est dune taille mdiocre, a les cheveux crpus et durs comme du crin ; sa couleur et ses traits diffrent peu de ceux des multres . Premire constatation : une race peau blanche, une autre peau fonce. Cette diffrenciation se retrouvait dans toutes les les formant lactuel triangle polynsien. Ayant embar-qu des indignes avec eux comme pilotes, Bou-gainville et ensuite Cook, constatrent que lors-quils arrivaient dans une autre le, leur pilote se faisait trs bien comprendre par les habitants. Seconde constatation : une mme langue tait donc parle dans toutes les les. Cook fit mme quelques comparaisons entre le malais et le poly-nsien. Dautres, plus tard, reprirent cette compa-raison et lapprofondirent. Ainsi naquit lembryon dune thorie, dite officielle, du peuplement de la Polynsie par louest. Car le problme des migra-tions polynsiennes est surtout un problme de savants ; en quelque sorte une rivalit de thories et dhypothses concernant lorigine dun peuple dont les traces du passage restent encore trs vagues. Depuis la dcouverte du Pacifique par les Euro-pens, peu prs tous les pays du monde ont t proposs comme berceau pour ces Polynsiens peau blanche. Pour une meilleure comprhension du problme, nous avons divis ltude des hypo-thses en quatre questions : a. Sont-ils originaires de louest, cest--dire de

    lAsie ? b. Sont-ils originaires de lest, cest--dire de

    lAmrique du Sud ? c. Sont-ils autochtones, et ont-ils entrepris des

    voyages dexploration vers lAsie et lAmrique du Sud ?

    d. Sont-ils les derniers survivants dun vaste conti-nent disparu ?

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    Le problme polynsien.

  • A ct et paralllement ces questions de base, nous en trouvons dautres galement sans rpon-se dfinitive, telles que : colonisation et dispersion successives dans les les, poques darrive, etc. Ltude pousse des divers moyens de transport (bateaux, radeaux, pirogues) et lvolution de ceux-ci, ainsi que des mthodes de navigation utilises pourra donner la solution de lorigine des Polynsiens. Il nest pas permis dtudier leurs migrations avec le mme esprit quon tudiera lhistoire des migrations europennes. Mme travers les dserts dAsie, crit Marcel Brion, nous suivons la piste danne en anne, presque de jour en jour, les vagabondages des Huns, des Mongols. Nous retrouvons leurs pistes travers les cultures et les langues. Nous reconnaissons leur main dans tel monument quils ont difi, ou tel autre quils ont dmoli. Le trac de leurs voya-ges, sur une carte, constitue un rseau si prcis que nous ne les perdons pas de vue un seul ins-tant . Lhistoire des Polynsiens sinscrit dans un territoire de cent quatre-vingt millions de kilom-tres carrs, environ le tiers de la surface de la terre. La mer est llment commun des dix mille les. Les migrations sont donc avant tout mariti-mes et llment humain est dabord marin. Ses connaissances de la navigation seront troitement lies celles des vents, des courants et des cons-tellations. Lorsque les archologues et les marins auront compar leurs recherches respectives, un pas immense sera franchi.

    Un chercheur voulant trouver lorigine des Polyn-siens louest se heurte dj plusieurs probl-mes : viennent-ils dAsie, de lIndonsie, de lInde, de lEgypte ou dEurope ? Tous ces pays ont t proposs ! La plupart des polynsiologues ont choisi louest et quelques-uns font figure de chefs de file. William Ellis publia en 1829 ses Polynesian Researches . Etudes importantes sur la Polyn-sie en gnral et analyses plus particulires des les de la Socit, les Tubuai ou Australes, la Nou-velle-Zlande et les Hawaii. Il soutient la thse dune origine sud-est asiatique. Nanmoins, il ad-met que certaines expditions furent organises vers lAmrique du Sud, suivies dun retour vers le centre du Pacifique. de Quatrefages a crit dans son ouvrage Les Polynsiens et leurs Migrations (1866) quils ne peuvent tre venus que de la Malaisie. Abraham Fornander publia Londres en 1878 un volumineux ouvrage : An Account of the Poly-nesian Race : its Origin and Migrations . Dorigi-ne sudoise, lauteur se fixa aux les Hawaii et se maria avec Pinao Alanakapu, une alii ou chef f-minin. Cest sa femme qui linitia aux traditions, gnalogies et chants des les Hawaii. Aprs avoir rcolt tous les renseignements du folklore ha-waiien, Fornander fit des comparaisons entre la culture hawaiienne et les autres les polynsien-nes ainsi quavec les autres races de la terre. Le

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    Cap lest.

  • rsultat de ses recherches fait trois volumes totali-sant plus de 900 pages. On peut en dduire que les Polynsiens sont issus de deux trs anciens peuples : les Cushites et les Aryens pr-vdiques. Pendant une priode de plusieurs sicles, ils oc-cuprent le sud-est asiatique, les les de la Sonde et pntrrent par le dtroit de Torrs dans le Pa-cifique la fin du Ier sicle aprs J.-C. Une priode de dix sicles fut ncessaire pour coloniser suc-cessivement les Fidji, les Samoa, les Tonga, les Hawaii (Ve s.), et enfin, les Marquises et les les de la Socit (XIe s.). Percy Smith est considr comme un des plus importants chercheurs et porte la paternit de la thorie officielle. Il fonde en 1891 la Polynesian Society de la Nouvelle-Zlande. Sa premire thorie est publie en 1910 dans son Hawaiiki , et sa seconde en 1921. Celle-ci a paru dans le Journal of the Polynesian Society , volume XXX, et est en quelque sorte la version dfinitive et indiscutable de lorigine et des migrations des Polynsiens. Selon P. Smith, les Polynsiens sont Caucasiens et galement une branche de la race proto-aryenne de lInde. Chasss de ce pays vers le dbut du IVe sicle av. J.-C., ils migrrent vers lIndonsie. Vers 65 de notre re, ils quittent Su-matra, Java, Borno et les Clbes pour gagner les les Hawaii. Un second groupe atteint les Fidji, les Samoa et les Tonga vers 450. Le reste de la Polynsie fut envahi entre 700 et 900. Lesson considre la Nouvelle-Zlande comme le berceau de la race polynsienne. La thse de Lesson sinscrit pratiquement dans le cadre dune origine autochtone, du fait que la Nouvelle-Zlande se situe dans le triangle polynsien. Il y aurait encore citer William Churchill, Peter Buck, Tregear, etc., mais leur nom apparatra dans de prochaines tudes.

    Sont-ils originaires de lAmrique du Sud ? Hypo-thse dj formule en 1870 par le Franais Jules Garnier. Il invoquait lappui de sa thorie lin-fluence des vents et des courants, des analogies de langues et des comparaisons entre les murs et coutumes de la Polynsie et de lAmrique. Linfluence des vents dest fut lun des principaux arguments de Thor Heyerdahl. Lexpdition du Kon-Tiki dmontra de faon maritime que la tra-verse Prou-Polynsie tait possible. Les autres arguments ntaient pas apparents dans son pre-mier ouvrage. Ils furent dvelopps dans American Indians in the Pacific (1952). On a beaucoup crit sur les thories du Norvgien. Il en est rsult une vritable controverse, o lon de-vait tre pour ou contre. Edwin Ferdon fut un des collaborateurs de Heyerdahl lors de son expdi-tion lle de Pques, pourtant il reste neutre et propose la paix en ces termes : La controverse, sur lest et louest comme source unique du peu-

    ple et de la culture de la Polynsie, a tendu non seulement masquer la complexit du problme mais aussi faire oublier les nombreuses autres possibilits. Bien que cette controverse ait stimul la recherche sur la Polynsie, un effet second, et nfaste, a pour rsultat dannuler les rsultats ventuels de ces nouveaux et vigoureux efforts. On a tendance actuellement interprter toute connaissance nouvelle pour en faire un argument dans la querelle est-ouest, comme si lun et lautre ne pouvaient pas se rencontrer, et comme si au-cune autre interprtation ntait possible .

    Nous en venons maintenant une thorie dfen-due pratiquement par un seul homme : Eric de Bisschop. Qui se rappelle encore ce grand marin et ses expditions bord de divers bateaux : le Fou-Po II (jonque chinoise), le Kaimiloa (double pirogue polynsienne), le Kaimiloa Wakea (pirogue double balancier), le Cheng-Ho (jonque) et finalement les Tahiti-Nui I, II et III (radeaux) ? Il navait quun seul but : sillonner les mers et surtout le Pacifique afin dtudier les cou-rants et contre-courants quatoriaux. Cest dans son livre Cap lEst , quil sexplique : Le rsultat final de mes recherches peut se rsumer ainsi : 1 la civilisation du Polynsien fut, contraire-ment toutes les civilisations connues, une civili-sation essentiellement maritime. 2 Cette civilisa-tion maritime ne peut avoir pris naissance et stre dveloppe que dans le Pacifique mme. 3 La civilisation de ces marins du Pacifique, plusieurs sicles dj avant J.-C. (et probablement bien plus tt) eut une norme diffusion, tant vers louest par des voyages surtout de migrations , que vers lest par des voyages surtout d exploration et de contacts .

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    Cap louest.

    Lieu dorigine : la Polynsie.

  • Ce survol des principales hypothses serait in-complet si nous ne parlions pas du continent de Mu (2). Dj en 1834, dans son Mmoire sur les les du Grand Ocan , Dumont dUrville propo-sait une hypothse : Ne serait-il pas plus simple de supposer quun continent ou grande le, com-me lAustralie, dut jadis occuper une partie de lOcanie habite par un peuple, dont les tribus polynsiennes ne sont que des dbris chapps quelque grande convulsion du globe ? Le Belge Morenhout est ds 1837 un autre partisan de la thorie selon laquelle les Polynsiens nont pu venir ni dAsie, ni dAmrique. Le foyer primitif fut peut-tre sur un continent situ lest du Pacifi-que, mais ne touchant pas lAmrique. Cent ans plus tard, le Dr. J.M. Macmillan Brown professe une thorie qui se situe entre la thse officielle et celle du continent disparu. Dans son ouvrage The Riddle of the Pacific , il explique que les Polynsiens ne sont pas les plus vieux habitants mais sont descendus par la Sibrie, le Japon et larchipel micronsien des Carolines. Ils auraient construit un puissant empire (a great Oceanic Empire, Hawaiki now resting deep under the waters of the Pacific), dont la culture polynsien-ne ne serait que le vestige. Les statues de lle de Pques en seraient une preuve. Eriger des sta-tues de plusieurs tonnes suppose des moyens importants que lle seule naurait pu fournir. Eric de Bisschop parle de lexistence mystique de ce fameux continent de Mu avec quelque prudence car, dit-il, quun continent existt dans le Grand Ocan une poque gologique ancienne, il est permis de le croire ! , mais il sinsurge contre les mthodes employes par le colonel Churchward pour le dmontrer. Nous pensons que de Biss-chop aurait apprci les ouvrages du professeur Louis-Claude Vincent.

    Nous avons, tout au long de cet expos, insist particulirement sur laspect marin attach aux tudes des migrations polynsiennes. Les ouvra-ges consacrs aux embarcations utilises lors des grandes traverses sont peu nombreux. Les au-teurs des premiers rcits concernant lexploration du Pacifique ne nous ont laiss que trs peu din-formations sur la science de la navigation des anciens Ocaniens. Quelques chercheurs isols, tels Alain Gerbault et Eric de Bisschop avaient ds les annes trente compris que les Polynsiens taient les possesseurs dune science merveil-leuse. Ils connaissaient toutes les toiles du ciel. Ils connaissaient lart de se diriger presque sans instruments sur les mers (3). La recherche de cette science maritime est revenue la mode de-

    puis une dizaine dannes. Les marins sont deve-nus des savants, ou linverse, et tout comme on fouille la terre pour retrouver les traces dune civili-sation, ils ont parcouru les mers pour mieux la connatre. Lexprience personnelle de David Lewis en est un exemple. A bord dun catamaran de quarante pieds, il effectua avec succs et sans instruments nautiques la traverse Tahiti - Nouvelle-Zlande. Il utilisa uniquement les vieilles techniques polyn-siennes (tenue du cap daprs la direction du lever et du coucher du soleil et des toiles, observation des toiles znithales ainsi que des signes annon-ant la terre, etc.) Le rsultat de ceci parut dans un ouvrage intitul : We, the Navigators , au-quel nous emprunterons un extrait du dernier cha-pitre : Avant larrive des Europens dans le Pacifique, il existait en Ocanie des systmes hautement labors et complexes constituant une vritable science de la navigation. Cette science secrte, laquelle participait parfois la magie, variait selon les archipels mais comprenait tou-jours les listes dtoiles dont les mouvements ap-parents dans le ciel taient parfaitement reprs, des systmes dorientation et une information trs abondante sur les signes et phnomnes terres-tres et maritimes intressant la navigation. Len-tranement des initis, terre comme en mer, tait conduit avec rigueur et durait plusieurs annes. Toute cette science orale ncessitait de la patien-ce dans lobservation, du raisonnement et de la mmoire. Bref, une civilisation JACQUES DIEU

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    (2) Voir les n 1 et 3 de KADATH. (3) Alain Gerbault - Un paradis se meurt , p. 236.

    Un continent disparu.

    Connaissances maritimes. BIBLIOGRAPHIE. P.H. BUCK - Les migrations des Polynsiens -

    Payot 1952. Robert C. SUGGS - The hidden worlds of Polyne-

    sia - Mentor Book, New York 1965. Lords of the blue Pacific - Cassel, London 1963. Les civilisations polynsiennes - La Table ronde - 1962.

    Dr. C.H.M. Heeren-Palm - Zwerftochten door de Zuidzee - Boom & Zoon, Meppel 1956.

    Eric de BISSCHOP - Cap lest , Plon 1958. Vers Nousantara , La Table ronde 1962.

    BOUGAINVILLE - Voyage autour du monde -Collection 10/18, Paris 1966.

    Thor HEYERDAHL - Sea routes to Polynesia - George Allen and Unwin, London 1968. LExpdition du Kon-Tiki - Albin Michel 1951.

    Henri MAGER - Le monde polynsien - Schlei-cher Frres, Paris 1902.

    D.L. OLIVER - Les les du Pacifique - Payot 1952.

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    Fidle sa mthode de travail, KADATH vous propo-se maintenant un cahier sur Chan-Chan. Des ruines... un art et une science... puis une nigme, celle de ses origines. Enigme sur laquelle le lecteur pourra alors porter son jugement en connaissance de cause. Ce sera, par la mme occasion, le deuxime volet dune srie de trois, par laquelle nous dsirons vous pr-senter les dcouvertes pratiquement indites du Pro-fesseur Marcel Homet. Le premier article nous a fait pntrer dans la Cordillre des Andes, peuple de ses vritables habitants, les Queshuas et non les Incas : ce sont eux qui dressrent les premiers plans de Cuzco. Aujourdhui, nous sommes sur le littoral pruvien, dans lempire des Chimus. Leur capitale, Chan-Chan, avait une flotte qui eut de frquents contacts avec lAncien Monde. Et les Chimus eux-mmes sont venus du nord, cest ce que nous ver-rons dans le troisime volet : leur dieu sappelait Wo-tan, hros de la mythologie scandinave. Ainsi aurons-nous port un regard neuf sur la protohistoire amrin-dienne, ce qui laissera nanmoins encore dans lom-bre au moins deux sites inclassables : Tiahuanaco et Nazca, dont nous vous prsenterons, dans un proche avenir, des photos tout fait indites. Le Professeur Marcel Homet est n le 23 mars 1897 Rochefort-sur-mer, dune famille dofficiers de mari-ne du Roy. Il nhsite pas rappeler quil dbuta com-me balayeur dans une gare de triage Paris. Puis, muni dun diplme dingnieur-topographe, il cre le premier champ daviation de Rabat, et une voie ferre dans lex-Congo belge. Plusieurs livres tmoignent de ses aventures : Congo, terre de souffrance , Afrique du nord, terre dattente , Afrique noire, terre inquite . Lorsquil arrive Londres, en 1940, il est accueilli lInstitut Franais par Denis Saurat, alors prsident du Pen Club International. Comme technicien des affaires musulmanes et noires , il devient agent de lIntelligence Service. Aprs la guer-re, il prsente lUniversit dAlger, une licence dara-be classique, et une autre dethnologie et darcholo-gie prhistorique. Muni dun ordre de mission perma-nente que lui a dlivr lEcole dAnthropologie de Paris en 1936, il part en expdition en Guine, en Arabie, en Amazonie, puis au Prou. De 1958 1963, il travaille plus spcialement sur le site de Chan-Chan, dont il met jour de nombreuses murailles et fortifications. Le livre de Marcel Homet, Les fils du Soleil , rela-tant ses dcouvertes en Amazonie et abordant le problme atlante, est publi en 1958 en Allemagne et en Suisse. Mais louvrage, qui devient vite un best-seller (douze ditions internationales, dont une en U.R.S.S.), a t, ce jour, refus quinze fois par les diteurs franais, suite des pressions manant du Muse de lHomme, dont il dtruit certaines thories datant de soixante ans.

    Dgot, Marcel Homet sinstalle Stuttgart. Il y rdi-ge une vritable thse de doctorat, Chan-Chan, la mystrieuse , qui sera juge trop onreuse par les diteurs. Seul, en Belgique, Luc Canon, rdacteur en chef de la revue Techniques Nouvelles , en com-prend limportance et, durant plus de deux ans, en publie de larges extraits. En 1965, A la poursuite des dieux solaires repart, avec cette fois une dition franaise, sur la lance des Fils du Soleil, dont cest la suite. Infatigable, le Professeur Homet vient dachever la rdaction de trois autres ouvrages : un essai sur les origines, Le nombril du monde , un roman dar-chologie-fiction, Les dieux blancs dans lnigme de la pyramide sacre , et son autobiographie, Les chemins dun balayeur . Voici presquun an, il parrai-nait le lancement de notre revue KADATH. Depuis 1969, une quipe dtudiants amricains et trangers, sous la direction du Professeur Michael Moseley, a entrepris des fouilles Chan-Chan. Il tait temps dailleurs, car le gouvernement pruvien sest mis dans la tte de restaurer cette ville qui stire sur des dizaines de kilomtres. Avec largent recueilli gr-ce des taxes supplmentaires sur les timbres-poste, ils reconstruisent tout en bton... estimant que cest ce qui ressemble le mieux aux briques de terre quavaient utilises les constructeurs. Chan-Chan va mourir une seconde fois. Avant quil ne soit trop tard, une expdi-tion de lAssociazione Studi Preistorici italienne est partie raliser un film et photographier Chan-Chan pour illustrer le livre de Marcel Homet. Car en mme temps que ce numro de KADATH, sort enfin, chez Sugar Editore, Milan, Chan-Chan, la mystrieu-se . Ces cinastes, Adriano et Damiano Zecca, nous ont transmis les diapositives qui ont paru dans la re-vue italienne Pi Kappa et seront projetes lors de nos confrences. Mais nos illustrations nous sont gale-ment indites, car elles furent ralises bien avant que les pluies dvastatrices naient fait de la cit de Chan-Chan ce quon en voit actuellement dans la plupart des ouvrages darchologie. Hormis celles qua pu-blies Techniques Nouvelles , elles paraissent pour la premire fois dans une revue franaise. I. V.

    LE PASSE PRESENT

  • Le littoral du Prou est aujourdhui encore une rgion sche, sablonneuse, presque dsertique. L, pas trace de cette vgtation exubrante, en-vahissante qui, dans dautres contres mso-amricaines, engloutit des villes entires en quel-ques sicles. L, pas de jungle qui puisse enseve-lir les anciennes civilisations sous son fouillis de verdure impntrable. Les tmoins du pass y gisent nus, sous le ciel torride. Quand on part aujourdhui, par avion, de Trujillo pour longer la cte du Pacifique, on distingue dans ltroite plai-ne littorale du Prou des pyramides qui surgissent les unes aprs les autres, dix, vingt, trente, cent, des centaines, sur le ruban de sable large de cinquante kilomtres et long de 1.500. Prs de lembouchure du Jequetepeque, dans les ruines dune ville qui pourrait bien tre lantique Pacatnamu, on en dnombre, davion, plus de soixante-dix. Quand on survole les vestiges de ce qui fut la grande Chan-Chan, ce sont des douzai-nes de ces difices qui apparaissent. Dans la val-le de Chiras, une pyramide de briques trois tages et haute de 120 mtres repose sur une base qui a 90 mtres de ct. Cest celle de Chi-ra, non loin de Sujo. Dans la valle de Casma, on a trouv les ruines dune pyramide qui a d sur-passer autrefois toutes les autres dans le voisina-ge par sa hauteur, celle de Mojeke. Elle nest plus aujourdhui quun amas de terre. Il en va de mme du temple ddi au dieu Pachacamac, orgueil des princes de Guismanca dans le pass, et des in-nombrables petites pyramides leves en lhon-neur de ce dieu qui tait plus grand que tous les autres. Ecroul aussi le temple du dieu de Rimac. Mais ce ne sont l que quelques-unes des innom-brables pyramides de cette rgion. Elles se distin-guent de celles de lAmrique Centrale par le fait quelles sont construites en adobe, en brique crue sche au soleil, exactement comme celles de Hauwara et de Illahun au bord du Nil... Un escalier extrieur escalade leur flanc pour conduire la plate-forme qui supporte le temple. La plupart de ces ruines sont notre poque telles que les virent

    les premiers Espagnols arrivs dans le pays. Au Prou, on peut entrer de plain-pied dans le domai-ne de larchologie. L, pas de contes brodant au-tour de villes disparues sans laisser la moindre trace, comme au Mexique o, pendant des sicles, ils furent les seuls tmoins rappelant le souvenir de civilisations englouties. L, les innombrables et minuscules fragments patiemment rassembls par les archologues, ont restitu le visage dun autre peuple indien : celui des Chimus.

    Les Chimus avaient autrefois tabli leur empire sur le littoral du Prou, en rassemblant ce que lon a appel les petits royaumes, disperss dans les valles. Cela, les anciennes chroniques nous lont appris. Ces principauts, comme celles de Lam-bayeque, Chirastal, Quito, avaient t fondes par des hommes venus de la cte mexicaine du Paci-fique sur des radeaux, et tablis en Amrique du Sud au dbut de notre re. Appartenant lpo-que archaque du Mexique, ils apportaient avec eux la lgende du grand dluge peut-tre m-me avaient-ils quitt leur pays en raison de cette catastrophe et ils stablirent dans la rgion que lon appela par la suite pays chimu . Au point de vue archologique, on divise ces an-ciennes civilisations ctires du Prou en cultures de Salinar, de Gallinazo, de Mochica (ou protochi-mu, vers -400) et Chimu tardif. Ces Chimus taient lorigine, des roitelets ou des chefs de tribu tablis dans des chteaux-forts et des tem-ples le long du rio Moche. Ils parlaient le mochica, qui devint par la suite la langue de toute la rgion ctire. Ctait galement le nom de leur peuple avant quil ne prt celui de Chimu. Au cours des sicles, ils triomphrent de tous leurs voisins et arrivrent dominer lensemble de la ban-de ctire pruvienne. Daprs les anciennes chroni-ques, un de leurs plus grands souverains vcut la fin du Ve ou au dbut du VIe sicle de notre re. Connu sous le nom de Grand Chimu , il tendit considrablement ses domaines. Le terme de Chi-mu, qui signifie simplement grand chef , fut

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    AU PAYS DES PYRAMIDES Pierre Honor

    Le Grand Chimu.

    Sous le pseudonyme de Pierre Honor se cache un rudit danois, professeur de philosophie et lettres. Amricaniste passionn, parlant couramment cinq langues, il a parcouru le monde la recherche de la vrit cache derrire le mythe. A Sao Paolo, sa rencontre avec le Professeur Homet fut dterminante et le confirma dans son intuition : que le dieu blanc prcolombien , initiateur des peuples aztque (Quetzalcoatl), maya (Kukulkan) et inca (Viracocha), ntait quune seule et mme divinit. Son livre Jai dcouvert le dieu blanc paru Francfort, fut traduit en franais sous le titre Lnigme du dieu blanc prcolombien . Alors que foisonnent aujourdhui les collections o le meilleur ctoie le pire, cet ouvrage extraordinaire et malheureusement introuvable, paru en 1962 dans la splendide collection de Bernard Heuvelmans ( Dun monde lautre ), mriterait dtre rdit. Les travaux du Professeur Homet lont inspir, cest pourquoi nous nen reproduisons, avec lautorisation de lauteur, quun extrait destin actualiser la civilisation de Chan-Chan.

  • appliqu par la suite non seulement au souverain mais au peuple entier lorsquil tablit sa suprma-tie sur tous les royaumes du littoral. Les sicles passrent. La puissance des Chimus ne cessait de grandir, de mme que leur richesse, aussi leur empire tait-il celui de lor et le plus vas-te de tous quand les Incas arrivrent. Ceux-ci le dtruisirent alors que Chimo Capac en tait le roi. Les chroniqueurs rapportent quau dbut du XVe sicle, Chimo Capac perdit une bataille contre llnka Tupac Yupanqui, et que ce fut la fin de lem-pire chimu. Mais sa civilisation et son art survcu-rent encore pendant longtemps, puisquils ne dis-parurent dfinitivement qu lpoque espagnole. Lempire lui-mme avait dur prs de quinze si-cles et lon divise son histoire en trois grandes priodes. La premire, archaque, stend depuis larrive dans le pays et la conqute des terres jusqu 500 aprs J.-C. environ ; la seconde est celle de lapoge sous le rgime du Grand Chimu de la fin du Ve au IXe sicle, et enfin la troisime sachve avec la conqute inca, vers le milieu du XVe sicle. Ce que les hommes de la Conquista trouvrent dans ce vieux pays nous est dcrit par les chroniqueurs.

    Les premiers voyageurs qui traversrent ces plaines ctires du Prou o avait fleuri lancien empire des Chimus, furent les Espagnols. Cest en 1602 que leurs guerriers brutaux apparurent, sous la conduite de Montalva, non pas pour admirer le paysage ni se rjouir la vue des difices anti-ques, mais uniquement pour chercher de lor. Lorsquils arrivrent dans le voisinage de lactuelle Trujillo, ils reconnurent les silhouettes de grandes pyramides. Lune delles, la Pyramide du Soleil, haute de vingt mtres, se dressait sur une plate-forme qui en mesurait autant. Ce gigantesque difice attira les Espagnols.

    Arrivs devant lui, ils constatrent quil tait construit en briques et conclurent quil serait bien difficile et pnible de le dmolir pour chercher ses trsors cachs. Sans hsiter, ils dtourn-rent le cours du Moche pour que le rio se jett contre la pyramide et fit leur travail. Lentreprise russit pleinement : les murs scroulrent, de leurs dbris un trsor fut retir... et disparut dans la poche des Espagnols. Ceux-ci trouvrent des armes en argent et de la vaisselle en alliage dor et de cuivre, ainsi quune figure dor pur qui, selon le chroniqueur La Calancha, tait haute dune aune partir de la ceinture et avait lappa-rence dun vque . Il ne restait de la pyramide pille quun amas de terre. Les pluies ont achev de ronger les murs, et cest sous cet aspect que nous voyons les ruines aujourdhui. Les conqurants espagnols raflrent un butin par-ticulirement riche la Huaca de Toledo, le tom-beau royal des Chimus. Gobelets, coupes, figures et un poisson, le tout en or, leur tombrent entre les mains, un trsor dont la valeur du seul mtal dpassait les cent millions de francs belges. Dans le temple de Moche, ils volrent de lor et de lar-gent pour 300.000 pesetas-or. Dans un autre, Escobar Corchuelo et ses compagnons sempar-rent de 600.000 pesetas de cuivre et dor sans compter ce quils ne racontrent pas , dclare un chroniqueur dsabus. La petite pyra-mide dite de la Lune, ct de la grande, ne tenta pas les Espagnols : elle leur parut secondaire et indigne de leurs efforts

    Ce que les soldats espagnols pillards avaient laiss fut retrouv par les voyageurs des sicles suivants. Ils dcouvrirent ce qui navait visible-ment pas intress leurs prdcesseurs : la capi-tale du roi des Chimus, Chan-Chan. Elle couvre une superficie de 18 km2. Situe entre Trujillo et la cte du Pacifique, huit kilomtres environ au

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    La Pyramide du Soleil ou Huaca del Sol.

    La chasse aux trsors.

    Chan-Chan, la ville des serpents.

  • nord du rio Moche, elle a t autrefois un port, mais la sdimentation et lexhaussement du ter-rain lont loigne de locan. On a trouv dans les ruines les fondations de deux trs vastes palais entours de murailles. Celui que lon appelle le grand palais tait un difice gant de 400 mtres sur 500, qui contenait un immense rservoir deau. Devant celui-ci, un btiment tait divis en de nombreuses petites pices que lon prit dabord pour des cachots, do le nom de prison quon donna lensemble. Le deuxime palais tait plus petit et plus proche de la mer. Comme lautre, il tait entour par une double muraille avec chemin de ronde et l aussi on trouva les restes dun btiment avec de nom-breux petits couloirs et cachots. Les palais de Chan-Chan comprenaient des cours, de vastes salles, des appartements privs et des jardins. La salle dite des arabesques a t rendue clbre par sa dcoration en relief, de sty-le svrement hiratique avec des damiers et des losanges. Dans les deux difices, les chambres taient construites en pierre de taille ; on y a re-trouv les restes dtoffes, de momies, de figures humaines et animales, de statues en bois repr-sentant des dieux et de coquilles nacrires. Il ne pouvait donc sagir l de cellules. Ces grands bti-ments diviss en nombreuses pices ont d servir au culte. On y levait des serpents, dieux vivants. Un culte tout fait similaire existait dans lAn-cien Monde, en Egypte : la desse Buto tait un serpent que lon conservait vivant dans le tem-ple. Cet animal de leau et des rgions inferna-les trne sur tous les murs de Chan-Chan. Et quand on voit ces interminables accumulations dimages, on ne peut douter que la ville ait t celle du culte du Serpent. Au reste, son nom mme en tmoigne. Chan signifie serpent en mexicain, et Na Chan, maison des serpents ; dans la langue des Chimus aussi, Na est un des termes pour dsigner la maison. La religion de ces derniers tait essentiellement un culte de leau. Toute leur vie tait intimement lie la mer, leau tait leur lment, avec ses symboles, poisson et serpent, celui-ci reprsen-tant souvent le jeu des vagues dans les fres-ques qui recouvrent les murs. Aujourdhui, ceux-ci sont en ruines, les forteresses et les temples anantis. Seul de tout cet hritage dilapid de-meure lart de la cramique, lun des plus ac-complis du monde entier, aujourdhui encore, et dont limportance artistique gale celle des tra-vaux dorfvrerie. Nous connaissons maintenant les chefs chimus, dont les visages nous parlent, models sur les vases de poterie. Leur duret respire la grandeur et la puissance. Ils ont r-gn autrefois sur un empire.

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    Les Chimus : un Empire ? Y eut-il rellement un Empire , tel que nous pouvons le concevoir aujourdhui ? Certainement pas, si lon sait que les Chimus navaient pas darme impriale gardant les frontires des quatre ou cinq royaumes de races et religions diffrentes plus ou moins englobs dans lorbite de Chan-Chan. Ils navaient pas non plus dadministration impriale assujettissant leurs voisins une capitale impriale . Alors, pourquoi ce titre d Empire ? La rponse est aise si lon veut bien considrer le problme dans son ensem-ble. Prenons dabord quatre exemples : Toti-huacan, btie sur une lagune de la rive de vas-tes mers intrieures ; Venise, difie sur une lagune aussi, au plus profond dune mer longue et troite ; Carthage, cre sur une terre ingra-te bordant une large mer ; et enfin Tyr, cons-truite sur un rocher reli la terre ferme par un pont artificiel. Ctaient donc simplement quatre villes. Et ctaient aussi quatre Empires. Ces Empires avaient-ils des troupes impriales garantissant leurs intrts extrieurs ? Non. Ainsi Venise ne contrlait pas militairement lAlbanie, la Dalmatie, la Lombardie, la Mac-doine, larchipel Egen, la Crte ni les grands ports du Levant. Et pourtant, ctait bien lEmpi-re de la Srnissime Rpublique. Bien avant dans lHistoire, Tyr et Carthage avaient-elles des armes sur les territoires guinens, les Canaries, les Aores et les ports du Levant ? Non. Cela nempche que ctaient deux grands Empires, dont le second mit en danger le puissant tat romain. Enfin Totihuacan avait-elle des soldats sur les rives du Pacifique et du Golfe du Mexique ? Non, au contraire, comme il en fut pour Chan-Chan avec les Chib-chas, la capitale aztque avait de continuelles complications avec les Totonaques, formant pourtant une des plus importantes parties de son Empire commercial . De fait donc, employant rarement la force mais toujours une subtile diplomatie, ces quatre villes avaient russi, en des territoires peupls par des races aux langues diverses, crer un vritable march commun , ce qui, en rali-t, tait la seule chose qui les intresst. En effet, leur puissante industrie, servie par une forte marine, fournissait leurs clients des quantits considrables de produits finis, rece-vant en change, des prix intressants, tout ce qui tait indispensable aux besoins de la vie quotidienne. Car il faut bien se fixer sur un point trs important : aussi bien le territoire de la ville de Tyr et ses environs immdiats, que ceux de Carthage, Venise ou Totihuacan, ne suffi-saient en aucun cas aux besoins de lagglom-ration urbaine... do lobligation absolue de crer un Empire. Changeons donc les noms de Totihuacan, Venise, Tyr et Carthage, par celui de Chan-Chan, et nous aurons lEmpire chimu. M. H.

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    Dans un manuscrit conserv la Bibliothque de Lima, lhistorien Miguel Feyjoo nous dcrit les jardins dor, dargent et de pierres prcieuses dont taient agrments les palais et les temples de Chan-Chan. On y voyait des pis de mas en or, dont les barbes taient si finement ciseles quelles frmissaient au moindre vent. Les fleurs avaient des tiges dargent cisel et des ptales en or. Les arbres, de la hauteur dun homme, avaient leurs troncs et branches en argent, les feuilles et les fruits en or. Sur les branches taient poss des oiseaux dont les plumes fr-missaient, et dont les yeux taient faits de pier-res prcieuses. Il y avait aussi des insectes aux ailes mobiles au moindre vent. Tout cela tait si parfaitement soud que les plus fortes temptes nen dtruisaient rien, car les soudures, ralises laide de sels de cuivre appliqus sous la cha-leur, rsistaient tout effort. Les muses dEurope et dAmrique nous mon-trent dimportantes collections artistiques en m-tal provenant de lEmpire de Chan-Chan. On est donc assez bien renseign sur leurs productions. Toutefois, peu de textes nous sont parvenus quant aux procds employs. L encore, les cramiques ne demandent qu parler. Cest ainsi que nous voyons des ouvriers penchs sur des pices mtalliques ; ils tiennent entre les mains des instruments non identifiables. Mais par diffrentes couleurs et autres indications, on saperoit quils dorent ou argentent des mtaux, et ce avec une telle adresse que leur travail peut tre compar aux rsultats apports par le pro-cd moderne de la galvanoplastie. On les voit aussi approcher lune de lautre deux pices

    quils runissent soigneusement. Dans quelle intention ? Comme lanalyse dcle lusage de sels de cuivre, nous savons que cette cramique nous montre comment les ouvriers pouvaient, chaud, procder de remarquables soudures. Quant leur mthode pour le travail de lor, on reste perplexe, les cramiques nous montrant simplement comme pour le travail du bronze dailleurs des ouvriers, marteau en main, bat-tant des feuilles dor ou des pices de bronze. Ny avait-il pas un procd corollaire ? Ce mar-tellement tait-il suffisant ? On ne voit pas... On voit dautant moins que nos meilleurs techniciens actuels nhsitent pas dclarer que seuls nos plus puissants laminoirs modernes permettraient dobtenir des feuilles aussi minces et aussi sou-ples. Et que dire des paisses planches dor pour les temples et les palais ? Et les aiguilles en or durci, aussi fines et solides que les ntres en acier ? Et les masques funraires, les vases ou coupes rituelles avec incrustations de turquoise ou de jade accompagnant de dlicates ciselures du mtal ?...

    Pour le bronze aussi, les techniciens sont surpris. On en connat la composition : 86 % de cuivre et 14 % de zinc. Rien dextraordinaire. Toutefois, comme ils ne connaissaient ni le fer ni lacier, les artisans ont d employer le procd du martela-ge, comme les cramiques nous lont montr. Mais de l obtenir des instruments et des ar-mes la duret et au fil identiques ceux qui sortent de nos modernes usines... Autre fait : il est impensable que des procds comme celui dit la cire perdue aient pu tre imagins en vertu de ce que lon nomme le dterminisme industriel . Or, ce procd tout particulier, que lon retrouve en diverses contres de lEurasie et mme en Afrique, les Mayas le possdaient, de mme que les Chimus de Chan-Chan. Do le tenaient-ils ? Par ailleurs, ils avaient invent ou reu ? une mthode de fabrication de fours et de moules en argile rfractaire, ce qui leur per-mettait, 1 000C, de raliser des sujets de gran-de taille, en or, tels des jaguars ou des serpents.

    Les arts et les sciences

    Masque dor dune momie chimu.

    Mtallurgie et Orfvrerie.

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    Cest le mme procd qui leur permettait de fabriquer de hautes idoles, ainsi que des cannes de commandement, dont la grosse poigne, bou-le dor massif, sornait de pointes du mme mtal, tellement dures et aigus quelles constituaient une redoutable arme de guerre. Bref, les Chimus de Chan-Chan paraissaient capables de raliser tout ce quils dsiraient.

    Comme pour les palais et tant dautres choses nexistant actuellement plus que sous forme de ruines, ce sont les cramiques qui nous rensei-gnent ; tandis quau Muse archologique de Cuzco, des centaines de crnes retrouvs dans les tombes nous apportent dindniables aspects dune chirurgie parfaitement dveloppe. Comme la indiqu Mircea Eliade, connatre le mythe, cest connatre la vie . Et les mdecins de lanti-que Prou comme ceux dailleurs de lAfrique noire avaient pour base de leurs traitements, la connaissance du mythe . En effet, pour connatre le mal, il fallait en connatre lorigine... non pas, par exemple, comment on avait pris froid, mais bien lorigine cosmique du mal. Et donc, le mdecin devait remonter le temps. Ce qui se compliquait dautant plus que, presque toujours, ces mythes comportaient le serpent. Bref, sil est exact que les mdecins chimus connaissaient certains mdicaments, ceux-ci ne seront efficaces quaprs incantation. Voici, sur une cramique, un homme qui se pen-che sur un individu couch au crne complte-ment ras, et qui, une grosse boule de feuilles dans la bouche, semble endormi. Lhomme de-bout tient la main un couteau en forme de T lgrement incurv. On peut penser quil est en train doprer celui qui, couch, est insensibilis par cette boule de feuilles de coca quil a m-ches. Donc, le chirurgien ouvre un volet dans la bote crnienne ; dlicatement, il retire la tumeur quil sait exister l, referme le volet et cautrise. Cela peut sembler extraordinaire car, pour cela, il faut connatre parfaitement lanatomie du cer-veau. Et pourtant, les mdecins actuels, qui ont tudi les crnes trpans de Cuzco, sont dac-cord sur ce point : nombre de patients des chirur-giens chimus ont t trpans plusieurs fois, et chaque fois, ils ont survcu. Je termine par un autre exemple. L encore, un homme, insensibilis, est couch sur le sol. Il a le ventre ouvert, le chirurgien pratique une laparoto-mie. Que lon ne sursaute pas, lintervention est termine, ce que nous indique une autre crami-que montrant le chirurgien, qui vient de prendre, dans un bassin ct de lui, une grosse fourmi noire quil tient par son corselet. Comme il ne possde pas de catgut, il prsente la pince de la fourmi deux bords de lintestin soigneusement runis. Linsecte mord et, immdiatement, lopra-teur coupe le corselet. Ainsi, de fourmi en fourmi, lintestin est recousu... Et lopr gurit, les cra-miques le prouvent.

    La plus grande partie des arts et des sciences des Chimus de Chan-Chan ntait appuye sur aucun document didactique. Avec cependant une restriction : il existe certainement dans les livres dhistoire crits sur les murs et les palais de Chan-Chan, des documents relatifs lapplica-tion des sciences que lon a pu relever chez eux. Et il est assur quun nouveau Champollion ap-porterait bien des surprises. Toutefois, lexemple que lon possde de lgypte pharaonique, o la plupart des hiroglyphes ont t dchiffrs, tend prouver que lon ne pourrait dcouvrir que des rcits dapplications pratiques des sciences, les-quelles ne sont mme pas voques, comme par exemple celles caractrisant les mathmatiques clestes appliques, entre autres, la Pyramide de Chops. De ce fait, cette partie de leur civilisa-tion montrait, non une ascension, mais une dca-dence, o seules des traditions aveuglment respectes permettaient certaines ralisations. On est donc bien en droit de se demander quel peuple, en quelle rgion prcise, avait pu difier une telle civilisation... MARCEL HOMET.

    des Chimus de Chan-Chan

    Hache votive figurant une trpanation.

    Mdecine.

  • O se trouve Chan-Chan, et quel fut son empire culturel ? Il suffit, pour le savoir, de prendre un atlas ou un dictionnaire, et de chercher au mot inca . Cest un nom que tout le monde connat. Mais le lecteur de KADATH, qui se souvient de larticle consacr Cuzco dans le premier num-ro, nignore plus que cette civilisation dite incaque tait, en ralit, la continuation ou lintelligente adaptation de la civilisation que connaissait lempire chimu de Chan-Chan. On mexcusera donc de dbuter cet expos par la dcadence dudit empire. Une extrme richesse et facilit de vie et un orgueil fou avaient amen Chan-Chan mpriser les autres peuples de son empire, en bonne partie queshuas, lesquels, peu peu, se dtachaient de la mtropole. Et cest l un point crucial sur lequel, notre connaissance, lHistoire est, jusqu ce jour, reste muette. Cest regrettable, car cette tonnante pro-gression, en une centaine dannes, dun petit peuple de trois mille guerriers queshuas depuis les rives du Lac Titicaca, ntait absolument pas possible si elle navait ralli sur sa route des peu-ples de son sang. Aussi bien, fort de ses succs andins, lInka intervint. Il dcida de semparer de

    Paramonga et des pyramides-forteresses que nous avons dcouvertes prs de Cajamarca. Il mit, selon les chroniqueurs, de trois cinq ans pour sen emparer, mais y perdit 20.000 hommes ; et lui-mme, le gnral en chef Pachacuti, y laissa la vie. Si, ce moment-l, Chan-Chan tait inter-venue, elle se ft sauve. Mais, gostement, elle ne broncha pas, mme lorsque ses ennemis sem-parrent de Cajamarca. LInka attaqua, mais forte de ses inexpugnables murailles, la ville impriale se rit de ses assaillants, lesquels abandonnrent le sige. Pourtant Chan-Chan avait son point faible. Vi-vant au milieu dun dsert de sable, elle allait chercher leau dans les Andes, par des canaux comme ceux de la Cumbre (113 km), de Chica-ma (120 km), et divers autres faisant de 70 100 km. Et pour son service intrieur, elle pos-sdait un aqueduc de 1.500 mtres, surplom-bant la ville quinze mtres de hauteur, et dis-tribuant leau dans les maisons, en particulier pour alimenter les baignoires en or et argent massif des nobles. Certains bassins, aliments par des canaux souterrains, avaient jusqu 180 mtres de long sur 18 de large... Un an aprs son premier chec, lInka revint et coupa les aqueducs. Sans eau, Chan-Chan se rendit. Comme de coutume, lInka (Tupac Yupanqui) fut habile et gnreux. Il se contenta de razzier la totalit des ingnieurs, artisans et ouvriers sp-cialiss qui, en compagnie des plus belles u-vres dart, prirent le chemin de Cuzco, o des coles avaient t prpares leur intention. Lempereur chimu Min-Chan-Caman (le Grand Serpent) tenta encore une rvolte. Alors lInka revint et, impitoyablement, rasa la ville. Ctait en 1457 de notre re. Et, de ce jour, Chan-Chan tomba dans loubli universel, tandis que, en 78 ans, le nouvel empire queshua, allait, sous son chef religieux, lInka, atteindre son apoge, et ceci grce Chan-Chan, capitale du grand empire

    ARCHEOLOGIE PARALLELE

    CHAN-CHAN, LA MYSTEREUSE Professeur Marcel Holmet

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    Commenons par la fin.

  • queshua-chimu, qui avait donn son sang et les valeurs dont elle avait en partie hrit de ses prdcesseurs queshuas, lesquels avaient, en deux quatre mille ans, lentement perfectionn leur tonnante civilisation.

    Lensemble monumental de Chavin (un peu plus au sud de Chan-Chan, mais dans la Cordillre des Andes) est, avec ses deux pyramides, assurment un des plus beaux qui se puissent connatre. Cha-vin fut dcouvert, par hasard, par un homme jeune et sans gure de connaissances : Julio Csar Tello. Et il eut le mrite incontestable de se for-mer lui-mme , afin darriver des rsultats pro-bants. Malheureusement pour lui, il dut uvrer en une priode nfaste, car sil voulait dominer le travail auquel il stait passionnment attach, il navait pas le choix : il lui fallait souscrire toutes les thories, originellement bonnes mais dj d-passes, du Dr. Paul Rivet, Directeur du Muse de lHomme Paris. Il faut ajouter que son chauvi-nisme culturel outrancier (un grand problme dans ltude des civilisations prcolombiennes), allait ly aider, mais nanmoins, le temps passant, de nou-velles dcouvertes et de nouveaux travaux venaient modifier des thses laborieusement et honntement construites, comme le furent dailleurs celles de Tello lui-mme. Ces thses allaient de : Chavin-origine-de-toute-la civilisation-protohistorique-du-Prou, Chavin-origine-de-certaines-civil isations-mayas-du-Mexique. Et cest l que se rvle le chauvinisme. Car, de fait, Chavin est bien maya, avec cette dif-frence quelle est dorigine maya. De ceci, actuel-lement, les archologues de bonne foi en poss-dent toutes les preuves. Tout comme dailleurs, lencontre des thories pruviennes, Chan-Chan est, elle aussi, maya et de beaucoup plus ancien-ne que Chavin. De cela nous avons des dates, chose rare en archologie, et ces dates sont au-thentifies, tant par des savants de renomme mondiale, que par les plus rcentes fouilles amri-caines actuellement en cours sur le terrain. En gros, disons que lon retrouve dans le nord pruvien un peuple, appel Mochica, du nom de la bourgade Moche sur la petite rivire du mme nom, qui baigne lun des piliers de la formidable Pyramide du Soleil. Les datations officielles rai-sonnables concernant les cramiques de ce terri-toire, sont de 350 avant J.-C., elles-mmes hriti-res dautres cultures, telles celle de Viru (650) et Cupisnique (920). Ce qui implique que, culturel-lement, Chan-Chan avait de qui tenir... Toutefois, la science sen tient l, refusant dadmettre la thorie dAlfred Mtreaux, grand spcialiste lUNESCO, lorsquil dclare : Tous ces peuples et leurs guerriers, y compris ceux qui furent plus tard les soldats de lInka, avaient les mmes

    coutumes, le mme armement et les mmes cos-tumes . Et, partant de cette ngation a priori , on veut ignorer quau Mexique existent des tribus muchiks , anctres des Mochicas. Lhomme qui, durant plus de vingt ans, a ralis des tudes concrtes sur ce problme, est un sa-vant allemand de renomme mondiale, travaillant pour le compte de lUniversit de San Francisco : Max Uhle. Il a suivi pas pas les ascendants de Chavin et de Chan-Chan, et voici ce quil en dit : Le nom de Chavin est en relation avec celui dun volcan prs du rio Tungara, en Equateur, lui-mme troitement li au Nicaragua. Lidiome de Chavin est, lui aussi, en relation avec celui de lAmrique Centrale. Toujours en Equateur, prs de Curson (lac de San Pablo), 2.600 mtres daltitude, trois urnes spulcrales sont dans le plus pur style Palen-que (Yucatan). La province de Esmralda en Equa-teur, ainsi que la rgion de Tumbez au Prou (plus particulirement lle de Puna prs de Guayaquil) sont remplies de cramiques mayas. Max Uhle y a ainsi dcouvert prs de trois mille de ces crami-ques de style Uxmal, sur la rivire dont le nom est Chan-Chan. Arrtons-nous un moment. Aussi bien les Pru-viens tels Jorge Muelle, Directeur du Muse Mag-dalena de Lima, que les amricanistes comme le Professeur Hermann Trimborn, Directeur des Etu-des Amricaines lUniversit de Bonn, estiment que Chavin fut construite vers lan 300 avant notre re, alors que Palenque date de 633 aprs J.-C. Tout ceci signifierait donc et on a tout lieu de le penser , que ds avant sa construction, et tout au long de celle-ci (qui dura certainement plu-sieurs sicles), la ville de Chavin aurait t soumi-se linfluence culturelle des Mayas. A ce sujet, on peut galement signaler les grandes urnes dcouvertes sur la plateforme de la pyramide dAramburu Moche, et qui sont ornes dun motif en relief montrant le symbole du remous , caractris par un trs grand serpent qui repr-sente Quetzalcoatl, le dieu maya des Mexicains. Or, tout ceci appartient la civilisation proto-chimu, cest--dire les prdcesseurs des Mochi-cas et de lEmpire chimu de Chan-Chan. Les difi-ces proto-chimus sont, eux aussi, nombreux, et on peut signaler, en particulier dans le style de Copan au Yucatan, certaines des pyramides des valles de Chincha, Pisco, Trujillo et jusqu Huancayo au nord de Lima, qui portaient diffrentes figures de Quetzalcoatl. Max Uhle signale encore sa propre dcouverte, entre mille autres, Manta en plein pays proto-chimu, dun petit vase qui, avec deux ttes de serpents, rapporte une gravure dans le plus pur style de Cholula au Mexique, et de ce fait forme le premier type proto-chimu. De mme, en Equateur et dans la Pyramide de la Lune Chan-Chan, des bouteilles noires aux

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    Chavin ou Chan-Chan ?

  • goulots bifurqus, rigoureusement identiques cel-les quon rencontre chez les Tarasques de Mexico. Un vase rcemment dcouvert au Prou, montre le dieu maya de leau, Chak, avec son ornement fron-tal. Et enfin, pour ne pas trop mtendre, je rappelle-rai linformation provenant du Dr. Vaillant, qui a si-gnal des vases proto-chimus comportant des mas-todontes identiques ceux dUxmal au Mexique.

    La cause est donc entendue : si les cramiques gauloises de la Dordogne ou de lAlsace sont, malgr leurs particularits propres, nanmoins franaises, il faut tenir pour les civilisations pr-colombiennes le mme raisonnement. Cest ce que jai voulu expliquer par le terme de Chimu moyen , lequel, avec ses particularits locales, est en dfinitive dorigine maya, tout au moins en ce qui concerne ses origines non-extracontinentales. A cet gard, on pourrait pres-que riger en axiome cette communication de Max Uhle au XXVIe Congrs des Amricanistes : Presque toutes les populations de lAmrique Centrale migrrent en Amrique du Sud jusqu Lima . Cette vague de cramiques, accompa-gnant ncessairement les peuples migrants, alla jusquau nord de Nazca, car, rptons-le, entre Tumbez et Chancay, toute la culture est lie celle de lAmrique Centrale. Les totoras et les tissus la rescousse. Quand donc aurait alors dbut lEmpire chimu de Chan-Chan ? L encore, nous avons des dates pr-cises. LHistoire nous rapporte que les Queshuas

    qui, entre 1540 et 1500 avant notre re, avaient cr la premire Cuzco (1), soumirent vers lan 1200 les Chimus avec lesquels ils samalgamrent. Donc, cette date, autrement dit neuf cents ans avant le dbut de la construction de Chavin, les Chimus taient sur place. Quy firent-ils ? Il y a un hiatus, on ne sait. On les retrouve seulement quelque 250 ans aprs J.-C., avec une donne toutefois qui laisse supposer que leur importante civilisation avait dbut bien plus tt. Car cest une question que je pense avoir rsolue aussi trange que cela puisse para-tre par la datation de lintroduction, lle de P-ques, de roseaux nomms totoras . Ces roseaux sont encore en usage aujourdhui, pour confection-ner les pirogues des pcheurs Huanchaco, prs de Chan-Chan, mais aussi sur le Lac Titicaca ainsi qu lle de Pques. Pour ma part, connaissant la flotte de Chan-Chan, et ayant not nombre de vestiges pascuans rigoureusement identiques ceux des Chimus (les longues oreilles des statues, les murs antisismiques, les noms des volcans), je savais que ces totoras taient originaires de Chan-Chan. Mieux encore, le carbone 14 avait situ leur arrive sur lle vers lan 250 de notre re. Mais et cest l une confirmation lquipe amricaine actuellement sur place Chan-Chan, vient de faire une merveilleuse dcouverte : les portions de terre o taient cultivs les totoras ! Dcouverte plus importante quon ne croit, car elle implique, pour lEmpire de Chan-Chan, la possession dune puissante flotte, qui assied ainsi la thse dune expansion commerciale et maritime de Chan-Chan dans lOcan Pacifique.

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    (1) Voir larticle paru ce sujet dans KADATH n 1.

  • Dans le Journal de la Socit des Amricanis-tes de Paris, en 1966, Frdric Engel tudie spcialement la question des cramiques au P-rou, pour arriver en situer les dbuts, grce au carbone 14, quelque quatre mille ans avant J.-C. Reprenant ces travaux, Jorge Muelle arrive au mme rsultat : entre 3800 et 3270. Et l, il ntait, en principe question ni de Chavin, ni de Chan-Chan. Or, prsentant dans les Nouvelles littrai-res du 22 mai 1958, lexposition Chavin du Petit Palais, Muelle dclare : Les broderies, tapisse-ries, gazes, toffes de coton et de laine, sont peut-tre ce quil y a de plus authentiquement pruvien, puisquelles font leur apparition une poque an-trieure la cramique, et que leur volution est ininterrompue jusqu la fin des temps prhistori-ques. Et le directeur du Muse de la Magdalena prend bien soin de citer la fois les tissus et les rgions o ils furent dcouverts : Nazca, Huaras, Chancay et Auquen. Peut-tre y eut-il dautres sources de tissus ? Tou-jours est-il que, alors que Muelle parle abondam-ment de Chavin pour ce qui est de la cramique, des ornements et des statues, en ce qui concerne les tissus, il reste muet, totalement muet ! Et per-sonnellement, lors de mes recherches Chavin, je nai jamais entendu parler de tissus dans cet en-semble ! Or, bombe dans le parti des Chavin , lexpdition amricaine qui a dj localis les ter-rains de culture des totoras, vient galement de dcouvrir ces inestimables tissus... Chan-Chan. Ce qui laisse donc supposer que des proto-chimus inconnus, ceux dont parle Max Uhle, auraient connu lesdits tissus, et ceci pour le moins mille ou deux mille ans avant que ne commence la cons-truction de Chavin. Un document de plus en fa-veur des Chimus de Chan-Chan, beaucoup plus anciens que Chavin. (2)

    Que ce soit par des dolmens, des cavernes sa-cres, des cromlechs ou des pyramides, une reli-gion commence toujours par lire, construire ou adopter un difice o devra rsider le dieu. Chan-Chan na pas chapp cette obligation. Toutefois, dans lEmpire chimu, le problme se compliquait du fait que des Chimus staient allis des Ques-huas. LEmpire, ds lors, comportait des Mochicas de religion lunaire et des Queshuas de rite solaire.

    Do la construction, des poques diffrentes, des pyramides solaire et lunaire, cinq kilomtres de Chan-Chan, ct du village situ sur le rio Moche. Chose trange, lEmpire chimu tant lunai-re, on aurait pu croire que la pyramide de ses res-sortissants serait, de beaucoup, la plus importante. Or, tel nest pas le cas, car la Pyramide de la Lune ne slve que de 25 mtres au-dessus dune base de 80 x 60 mtres. Quant la Pyramide du Soleil, les ruines actuelles les montrent encore ce que devait en tre la masse, dpassant de loin la fa-meuse Pyramide de Chops en Egypte. Sur lpo-que de sa construction, les avis sont partags bien que, pratiquement, les historiens lui attribuent une origine maya. Larchologue Squier la croit plus ancienne que la ville de Tiahuanaco. La construc-tion ncessita cinq cent millions de briques, dun poids quadruple, pour le moins, de celles que nous utilisons de nos jours, et avec des dimensions tri-ples. Toutefois, les constructeurs se heurtrent un problme : celui des affouillements de la terre, provoqus par les infiltrations du rio Moche. Il ntait donc pas question dlever, sans plus, le monument dsir : il fallait, auparavant, dres-ser des plans en tenant compte des pressions latrales que la puissance de luvre allait pro-voquer, et ensuite procder une tude gologi-que prcise, de manire concevoir une implan-tation correcte des piliers. Et ce ntait pas une mince affaire, car bien vite linspection des cou-ches rvla quelles taient de contextures fort diverses, allant de largile au sable plus ou moins humide, en passant par le roc. Les archi-tectes se mirent donc luvre. Ils mesurrent exactement sur le terrain, lamplitude de la cons-truction, le nombre des piliers lever, et calcu-lrent alors la masse du monument. Ensuite, ils ouvrirent des tranches sur le primtre choisi, approfondirent les trous l o devaient se poser les piliers, et creusrent jusquau sol stable. Et ainsi sleva la Pyramide du Soleil, sur une base de 238 x 146 mtres. On reste rveur devant un pareil travail pareille poque La plateforme infrieure se compose de deux rec-tangles. On accde au plus petit, au nord, par une rampe longue de 90 mtres et large de six. Sur le grand rectangle, au sud, slve une pyramide de 103 mtres de ct et 23 mtres de haut, surmon-te dun temple qui a aujourdhui disparu. On ac-cde la premire plateforme par cinq terrasses de 3,5 m chacune et un redan de deux mtres. Lensemble de louvrage totalise donc 41 mtres de hauteur, ce qui, videmment, est trs infrieur celle de Chops. Mais qui a pu tudier les deux pyramides de Chan-Chan reste impressionn par la masse et la technique de la Pyramide du Soleil, laquelle ne trouve son quivalent que dans les ziggourats et pyramides orientales, telles celles de Babylone et dUr en Msopotamie.

    (2) Lorsque dans mon livre Chan-Chan, la myst-rieuse , je dcrivais les baignoires et laqueduc de la ville, ce ntait que par ltude de vieux manuscrits encore pratiquement inconnus que javais appris ces dtails. Et de ce fait, jtais convaincu que des fouilles devraient montrer quen outre existaient des rservoirs plus ou moins souterrains. Ceux-l aussi, les jeunes archologues amricains viennent de les dcou-vrir ! (Voir le compte-rendu dans le National Geo-graphic de mars 1973).

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    La double religion de Chan-Chan.

  • Disons tout de suite que les adobes sont tout simplement des briques de terre, cuites au soleil. Si nous examinons nombre de pyramides mexicai-nes entourant les lieux consacrs au serpent-dragon Chan, nous remarquerons que des motifs architecturaux ou allgoriques de leurs faades sont, en relief, constitus par des troncs de cne enfoncs dans la masse. De mme, sur les pyra-mides de Chan-Chan, nous rencontrons dimpor-tantes quantits de briques dadobe, se prsentant tantt sous forme plate et rectangulaire, tantt lgrement hmisphrique, et en grande quantit modeles en cne ou tronc de cne. On peut dail-leurs, encore maintenant, voir sur les faades

    intactes de certaines pyramides pruviennes, des motifs similaires ceux rencontrs en Amrique Centrale. Or, ces cnes sont, sur les monuments pruviens, appliqus en si grand nombre, que les archologues leur ont donn le nom de nids dabeilles ou ruches . Faisons maintenant un bond en Msopotamie, et nous allons y constater deux choses extrmement importantes. Dabord, que les pyramides de cette rgion, les ziggourats, furent construites laide de terre pilonne, et les terrasses relies au sol par de grandes rampes. Exactement comme pour la Pyramide du Soleil de Chan-Chan. Ensuite, quon y retrouve aussi les cnes. Mais l, je prfre

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    Ci-dessus : reconstitution de la Pyramide du Soleil Chan-Chan.

    En bas : la ziggourat dUr en Msopotamie.

    Ltranget des adobes coniques .

  • apporter une documentation qui, pour tre officiel-le, nen est pas moins ce qui nest malheureu-sement pas toujours le cas , rigoureusement concrte et impartiale. Dans son clbre Manuel darchologie orientale , le grand savant, le Doc-teur Conteneau, nous dit : Les ziggourats et les temples de lAsie Occiden-tale et de la Msopotamie, sont des hauts-lieux , des montagnes artificielles pour la divinit. Sur la plateforme de ces montagnes sera construit un habitat pour le dieu. En principe, au dbut cest une simple terrasse, diminutif dune colline natu-relle. Peu peu, la superposition des terrasses successives de diminution constante, a constitu le type de pyramide degrs. A lorigine, cest une masse de terre, consolide par des briques rec-tangulaires en terre sche. On a noy dans la masse des cnes, dont la base affleure la paroi tourne vers lextrieur, donnant limpression de niches de colombier . En particulier, dans le temple de Abou Tell-Asmar, on rencontre des briques rectangulaires plates, dautres lgrement convexes, dautres encore demi-sphriques, et des cnes. Et parmi toutes les ruines des temples msopotamiens, on trouve sur le sol dnormes quantits de ces cnes. Quant la date de cons-truction de ces monuments, elle est plus ancienne que 3500 avant J.-C. Nids dabeilles, disent les Pruviens en parlant de leurs pyramides, nids de colombier, affirme le Dr. Conteneau, il nest gure bes