JUILLET - SEPTEMBRE 2008 N°3 - CLUB JURASSIEN NEUCHATELOIS

15
J UILLET -S EPTEMBRE 2008 du Club Jurassien Nature et patrimoine 143 e ANNÉE N°3 SOMMAIRE Liste des membres du Club Jurassien décédés en 2007 ......................... 34 HAPKA R., Sieben Hengste, Hohghant, Schrattenfluh (5 e partie) ............... 34 VAUTHIER B., Le Talent et sa Pêche ..... 42 VAUTHIER B., Variétés de Prune (suite), 46 Amélanchier (Amelanchier ovalis) en fleurs le 5 mai dernier dans les gorges de l’Areuse (CN 551.175; 201.645). Le fruit comestible de cet arbuste était jadis appelé brelette à Neuchâtel (photo B. Vauthier).

Transcript of JUILLET - SEPTEMBRE 2008 N°3 - CLUB JURASSIEN NEUCHATELOIS

JU I L L E T - SE P T E M B R E 2008

du Club JurassienNature et patrimoine143e ANNÉE

N°3

S O M M A I R EListe des membres du Club Jurassien

décédés en 2007 ......................... 34HAPKA R., Sieben Hengste, Hohghant,

Schrattenfluh (5e partie) ............... 34VAUTHIER B., Le Talent et sa Pêche ..... 42VAUTHIER B., Variétés de Prune (suite), 46

Amélanchier (Amelanchier ovalis)en fleurs le 5 mai dernier dans lesgorges de l’Areuse (CN 551.175;201.645). Le fruit comestible de cetarbuste était jadis appelé brelette àNeuchâtel (photo B. Vauthier).

SIEBEN HENGSTE, HOHGANT, SCHRATTENFLUH5e partie : les découvertes spéléologiques de la Schrattenfluh

34

Introduction

Nous voici parvenu à l’avant-dernierdes textes du Rameau de Sapin consa-crés aux grands lapiés et cavités souter-raines du nord du lac de Thoune. Aprèsles explorations des Sieben Hengste, leprésent article est consacré aux décou-vertes de la région de la Schrattenfluh,dont le massif constitue l’un des plusbeaux et plus impressionnants lapiaz deSuisse ; mais les cavités, gouffres etgrottes qu’il renferme sont loin d’at-teindre un développement aussi consi-dérable que ceux des Sieben Hengste,dont paradoxalement les lapiés en sur-face ont une envergure plus modeste. Çane signifie pas pour autant que cetterégion est moins intéressante pour lesspéléologues qui continuent à y fairedécouvertes sur découvertes. Pour résu-

mer cette intense activité sportive etscientifique nous avons fait appel àRoman Hapka qui, avec l’hydrogéologueMiguel Borreguero, est un des meilleursconnaisseur de ce site. Licencié ensciences humaines de l’Université deNeuchâtel, actuellement secrétaire ro-mand de Pro-Natura, Roman Hapka aété secrétaire-adjoint de l’Union interna-tionale de spéléologie et ancien prési-dent de la société suisse de spéléologie,ainsi que du Spéléo Club desMontagnesneuchâteloises. Il est membre de nom-breuses commissions scientifiques et aorganisé plus de dix expéditions spéléo-logiques et archéologiques à travers lemonde; il explore le Massif de la Schrat-tenfluh sous l’égide de la GemeinschaftHöhlenforschung Schrattenfluh (GHS)depuis 1979. Son texte comprend deuxparties, à savoir tout d’abord une syn-

Le dimanche 9 mars dernier au château de Colombier a eu lieu l’assemblée géné-rale administrative du Club Jurassien, superbement organisée par la sectionChaumont et menée avec panache par notre président central, Denis Robert. La listedes membres décédés étant introuvable à cette occasion, nous vous en donnantconnaissance présentement tout en manifestant, aux familles et amis des disparus,nos sincères condoléances (les années de sociétariat figurent entre parenthèses) :

Section Béroche : Witold GRUENBAUM, Chez-le-Bart (14) ; Marcelle et XavierROOSLI, Saint-Aubin (16) ; Jean WALDVOGEL, Bevaix (21).

Section Chaumont: Dora HAEFLIGER, Neuchâtel (22) ; Jean KUNZ, Corcelles (37).Section Col-des-Roches: Marie-Jane BOLE, Le Locle (37) ; Charles HAESLER

Boudry (24) ; Liliane HENCHOZ, Le Locle (10).Section Pouillerel : Jean-Louis GRABER, Orbe (67) ; Willy LANZ, La Chaux-de-

Fonds (57) ; Lucette LOURADOUR, La Chaux-de-Fonds (42) ; Jean-PhilippeMONNIER, Hofstetten SO (72).

Section Soliat : Daniel RUFFIEUX, Travers (40) ; Willy BLANC, Travers (58) ; AndréSTRAHM, Travers (21).

Section Treymont : Didier GUENOT, Boudry (20) ; Frédy GLAUSER, Champ-du-Moulin (33) ; Fritz ALLEMAND, Boudry (34) ; Hervé CARCANI, Boudry (42).

Section Val-de-Ruz : Claude VAUCHER, Dombresson (30) ; Jacques BALMER,Boudevilliers (30).

255e ASSEMBLÉE GÉNÉRALEListe des membres décédés:

35

Eléments historiquesLa spéléologie fait partie intégrante del’histoire du massif karstique de laSchrattenfluh. Dès le XVIIIe siècle, la lit-térature mentionne diverses légendes ausujet des gouffres béants et des formesétranges des rochers. Par la suite, lesnaturalistes et géologues étudient lafracturation du massif, terrain de mesureidéal en l’absence de toute couverturevégétale. Ainsi a été déterminé le Schrat-tenkalk, horizon géologique de l’Urgo-nien alpin.Les premiers scientifiques qui s’inté-ressent aux cavités proprement ditesdécouvrent la Schrattenfluh au milieu duXXe siècle. Le géologue P.-A. Soder sou-lève le premier la question de la résur-gence des eaux du massif, alors que lekarstologue A. Bögli décrit etdéfinit la nomenclature desformations karstiques desurface.En parallèle aux travaux deA. Bögli, la section Sursee dela Société Suisse de Spéléo-logie commence de travail-ler sur le massif. Elle exploreet topographie une dizainede cavités, telles que les im-portantes glacières vertica-les de l’Eiskeller ob Silwän-gen (-84 m) et de l’Eiskellerbei Schlund (-82 m).En 1959, le Spéléo-Clubdes Montagnes neuchâte-loises, sous l’impulsion deDolfi Freiburghaus, un mem-bre originaire de la vallée deFlühli, et de Raymond Gigon,commence un travail deprospection de plus grandeampleur en pénétrant danstoutes les entrées qui sem-

blent intéressantes. Les explorations sesuccèdent à un rythme régulier. Dès lapremière année, la Neuenburgerhöhle(Grotte des Neuchâtelois) est découverte(-191 m, 9 km en 2007), puis le P 55, quideviendra le réseau des Lagopèdes lorsde sa jonction avec le P 68 en 1975(-468, 4160 m). En 1970, la rivière duréseau des Lagopèdes est colorée et lajonction hydrologique avec le lac deThoune est prouvée, créant un regaind’intérêt pour le massif.L’exploration de la G65 (-209, 1200 m)occupe les membres du SCMN à la findes années 70. En 1981, une prospec-tion systématique mène à la découverte,du P155 (-129, 2670 m), une cavité fos-sile qui débouche sur une portion derivière souterraine et du Snellelschacht(-141 m).

Le méandre d’entrée de la Bügeleisenhöhle, l’un des accèsau Warzensystem (ou réseau de la Verrue), le dernier né desgrands systèmes du massif de la Schrattenfluh (développe-ment 5,4 km, profondeur –418 m) (photo Eric Taillard).

thèse des grandes découvertes spéléo-logiques réalisées dans ce massif puisun gros plan sur un exceptionnel«gouffre-glacière» situé au milieu des

lapiés de la Schrattenfluh: l’Eiskeller obSilwängen. Laissons-lui la parole.

Les rédacteurs

36

En 1984 est créée la GemeinschaftHöhlenforschung Schrattenfluh (GHS)qui comprend alors trois clubs neuchâ-telois, le SCMN, le GSTroglolog et leSCVN-D. Le but de la GHS est de coor-donner les recherches sur le massif(exploration, publication, archivage). Lespremiers efforts de prospection systé-matique sont très rapidement récom-pensés par la découverte du P 164 (-220,1300 m. Par la suite, plusieurs autresclubs se joignent aux neuchâtelois demanière plus ou moins épisodique. Lesclubs VHBO et Issak reprennent l’explo-ration de la Neuenburgerhöhle et décou-vrent plusieurs nouvelles entrées etjonctions importantes.

Durant les années 90, de nouvelleszones de prospection sont abordées.Elles livrent le Spechtloch (-114), leSumpfloch (-95), le Katalanerloch (-110,538 m), le Blitzloch (-220, 2500 m) et laBügeleisenhöhle (-101, 800 m). En 1999,débutent l’aventure du Warzensystem,un système à entrées multiples totalisantprès de 5 km de galerie pour 418 m dedénivellation à fin 2007.Il faut encore mentionner la petitegrotte de l’alpage de Silwängen ferméeau public, mais visitable depuis quelquesannées par l’entremise d’un guide (voirRameau de Sapin no1/2008). Sur unecentaine de mètres de développement,elle permet de voir de manière particuliè-

rement démonstrative lesprincipaux phénomènesde ce type de karst.La Schrattenfluh compteaujourd’hui plus de 250cavités totalisant trente-trois kilomètres de galeriessouterraines inventoriées.Chaque année ce sontdonc en moyenne cinqnouvelles cavités qui sontdécouvertes, explorées etdocumentées. L’ensembleest systématiquement pu-blié dans la revue Caver-nes.

Dans la petite grottede Silwängen(photo Eric Taillard).

Fig. 25 – Plan de la Neuenburgerhöhle(Grotte des Neuchâtelois),Toporobot, GES, 1994.

37

Fig. 26 – Répartition descavités de la

Schrattenfluh (en rouge)et des pertes (en bleu)

(shéma S. ROTZER, 2000).

Résumé historique de 237ans d’étude et de protectiondu patrimoine karstique de laSchrattenfluh

1770 - Première mention d’unecavité – le Scheibenloch – parGabriel Walzer.1839 - Meyer von Knonau men-tionne un puits situé à l’ouest de l’al-page de Silvängen, probablementl’Eiskeller ob Sivängen.XIXe–début XXe siècles - Diversgéologues parcourent et cartogra-phient le massif.1950 - Alfred Bögli parle de l’exis-tence de plusieurs cavités et eneffectue partiellement l’exploration.Il établit une classification des mul-tiples formes d’érosion du lapiaz.1950-51 - La section Sursee de laSSS explore diverses cavitéssituées à basse altitude.

1959-2007 - Les sec-tions neuchâteloises de laSSS prospectent et ex-plorent systématiquementle massif. Plus de 250cavités sont recensées àce jour1977 - La Schrattenfluhest citée dans l’Inventairefédéral des sites naturelsd'importance nationale.1978 - Le canton deLucerne crée la Réservenaturelle de la Schratten-fluh.

Fig. 27 – Tracé des emplacements desprincipales cavités de la Schrattenfluh

38

Une cavité exceptionnelle :l’Eiskeller ob Silwängen(P 12)DescriptionDans les pâturagesau-dessus de Silwän-gen, à mi-hauteur entrela forêt et le lapiaz,s’ouvre un gouffre auxdimensions respec-tables, à tel point quecela vaut à l’entréel’honneur de figurersous la forme d’unedoline sur la cartenationale au 1: 25000.Mais, à part sa bouchebéante, une autre par-ticularité vaut à cettecavité d’être connuedu monde karstolo-gique: elle agit en tantque spectaculaire gla-cier souterrain, accu-mulant chaque annéeune importante quan-tité de neige qui setransforme peu à peuen glace. L’aspect ex-ceptionnel de ce gouf-fre, profond de 84 m

avec un développement d’environ100 m, et qui intrigue les touristes depassage, est plus intéressant à évoquerque la Neueuburgerhöle par exemple.C’est pourquoi il fait l’objet de cette des-cription.

L’entrée de l’Eiskelleravec, en arrière-plan, leslapiaz de la Schrattenfluh

1984 - Les divers clubs spéléos s’associentau sein de la Gemeinschaft HöhlenforschungSchrattenfluh afin de coordonner les explora-tions et gérer les archives.1996 - Un groupe d’habitants de l’Entlebuchlance le projet de création d’une réserve de labiosphère.1998 - L’Association suisse des sciencesnaturelles place la Schrattenfluh dans la listede l’inventaire fédéral des géotopes d'impor-tance nationale.2000 - L’office du tourisme de Flühli-Sörenberg achète le terrain où s’ouvrent les

entrées de la Neuenburgerhöhle afin d’en évi-ter l’acquisition par une compagnie de trek-king souterrain.2000 - Les habitants des huit communes del’Entlebuch votent en faveur de la réserve dela biosphère.2001 - Suite à la décision positive del’UNESCO, le district de l’Entlebuch (LU)devient la première réserve de la biosphère deSuisse inscrite à l’UNESCO.2007 - La présente réserve de biosphère estcandidate au statut de Parc naturel régional.

39

Fig 28 – Plan et coupede l’Eiskeller ob

Silwängen (dessin S.ROTZER, 2003)

L’Eiskeller ob Silwängen amarqué l’his-toire spéléologique de la Schrattenfluh,puisque, depuis cinquante ans, chaquegénération d’explorateurs a cherché àpercer ses secrets en tentant de s’enfilerentre la roche et la glace, pour accéderpeut-être à un hypothétique réseau sou-terrain.Ce n’est cependant pas la présence dece glacier vertical de plus de 50 m dehauteur qui marque les esprits, mais sapresque disparition à la fin du sièclepassé témoignant de manière spectacu-

laire de l’évolution drastique du climat.En effet, le volume du névé a diminuéde manière incroyable au cours des der-nières années du millénaire. En 1951,lors des descentes de la SSS Sursee, lepuits d’entrée était rempli de neige et deglace jusqu’à la cote -20 m. Les explora-teurs estimaient alors le volume total dunévé à 7000 m3 (il est difficile d’évaluerce volume de manière exacte mais onpeut néanmoins admettre une fourchetteallant de 4000 à 7000 m3). En 1989, lenévé était visible à une dizaine de mètres

40

sous la lèvre du puits. Aujourd’hui, mêmeen se penchant périlleusement au-des-sus du vide, on ne voit que les paroislisses du puits et les vires pleines decaillaisse en équilibre instable. Du glacieroriginel, il ne reste que quelques misé-rables m3 de neige et de glace sale, vers60 m de profondeur.Ce magnifique tube de 63m est creuséjusqu’à -20 m dans les couches friablesdes grès de l’Eocène. Au-delà, leSchrattenkalk (calcaire Urgonien alpin),gris et luisant d’humidité, s’avère richeen formes karstiques verticales. Un planpresque parfait sépare ces deux niveaux,marqué par ailleurs par une belle terrasserécoltant, puis redistribuant gracieuse-ment, moult blocs et roches sur lestéméraires.Un petit névé résiduel occupe encorepartiellement le fond du puits. Au sud-est, un méandre de 1 m de largeur et de3 m de hauteur permet d’accéder à troispetits puits parallèles sans suite. A mi-parcours et au fond du troisième (cote-84), il est possible d’enfiler le torse dansdes orifices débouchant sur une trémie.La présence de blocs de grès de formearrondie et de bois indique qu’il s’agit ducomblement du puits d’entrée. Aucuncourant d’air n’est perceptible.

HistoriqueDe par ses dimensions d’entrée im-pressionnantes, le P12 Eiskeller ob Sil-wängen, est l’une des plus anciennescavités citées et connues du massif de laSchrattenfluh. En 1839, Meyer VON KNO-NAU (1838-39, Erdkunde der Schweizeri-schen Eidgenossenschaft, 2 vol.) parled’un grand gouffre à l’ouest de Silwän-gen.Le P 12 fut exploré pour la première foisle 12 août 1951 par la section Sursee dela SSS, sous la conduite de Hans Moseraccompagné par André Grobet de Sion.Ce dernier, grâce à une échelle et untreuil, atteint la côte -60 m en s’enfilantentre le glacier et la paroi rocheuse.

En octobre de la même année, l’équiperécidive, atteint le fonds du puits d’en-trée de 67 m et explore un départ latéralet trois petits puits. La côte -80 m va res-ter pour plus 50 ans le point bas del’Eiskeller ob Silwängen, sévèrementgardé par les chutes de pierre, la neige etla glace. Le gros point d’interrogationapposé au côté du chiffre -80 m va évi-demment attiser l’envie des nombreuxspéléos poursuivant l’exploration dumassif. En effet, le P 12 est facile d’ac-cès presque toute l’année et idéalementsitué sur une des failles importantes dumassif ; un accès direct sur un collecteurest un doux rêve pour qui se débat avecles étroitures déchirantes et lesméandres boueux de la Schrattenfluh.Arrivée sur le massif en 1959, la finefleur du SCMN, s’attaque bien évidem-ment au grand gouffre glacé sous laférule savante de sa cheville ouvrièreRaymond Gigon. Le 22 août 1959, laSchrattenfluh est (tiens donc?) voilée parun épais brouillard : «Peu avant midi,Tann (Gauthier) repère un gouffre quiparaît bien atteindre 40 à 50 m de pro-fondeur ; Raymond, de son côté,

41

retrouve un gouffre signalé par l’équipede Sursee: l’Eiskeller de Silwängen. Vers14 h toute l’équipe se rend à l’Eiskeller,vaste gouffre de 14 m de diamètre,exploré par nos prédécesseurs jusqu’àla profondeur de -80 m. René entreprendla descente pour préparer une futureexpédition ; à 45 m, après un parcourstrès exposé aux chutes de pierres, il par-vient à l’extrémité des agrès, sans avoirpu prendre pied; il est là, entre le roc etla glace qui occupe tout le centre de cevaste puits. Il faudra revenir avec d’avan-tage de matériel. » (GIGON 1959, Caver-nes, Activités SCMN, p 87.)En fait, ce n’est que le 18 février 1989qu’une nouvelle équipe se risque dansl’Eiskeller. Entre temps, la GemeinschaftHöhlenforschung Schrattenfluh a étécréée et c’est donc sans surprise quel’on retrouve les membres de trois clubsréunis pour une mémorable tentative.Laissons la parole à Miguel Borreguero(GSTrololog, Yvan Grossenbacher(SCVN-D), Eric Taillard et Roman Hapka(SCMN): «Cela faisait un bout de tempsque l’envie nous titillait d’aller voir cegrand gouffre (annoncé -80, arrêt sur riendu tout, dernière explo en 1959) de plusprès. Neige : Jura 0 cm, Schrattenfluh1,50 m ! La montée ne fut pas des plusfaciles (pas de skis). 13h45: tempête deneige au bord du trou, une entrée de20 m de diamètre, nous commençons àconstruire un igloo pour nous changer etmanger tranquillement. Miguel et Romanéquipent le superbe puits qui est au troisquarts plein de glace bleutée et de neigequi nous coule par-dessus. Vers -60 m,le bas du puits semble atteint (en fait lafin de la pénétration humaine car il mesemble que la glace continue plus bas),mais nous empruntons le méandre vupar nos valeureux prédécesseurs. Etc’est définitivement la fin de l’explorationaprès quelques petits ressauts (~70-80 m de profondeur). Les premiersexplorateurs n’étaient pas descendus aufond du dernier puits et avaient mis un

point d’interrogation sur leur dessin.Nous refaisons la topographie totale(Yvan et Eric). Dehors, il pleut.» (RomanHAPKA, 1989, Rapport de sortie SCMN).La désillusion est évidement à la mesuredes espoirs ; mais du moins pensons-nous avoir maintenant une topographierépondant aux normes modernes. Teln’est pourtant pas le cas à cause d’unedonnée chiffrée manquante. Il faudradonc revenir.Ce sera chose faite quatorze ans plustard, lors du camp Schrattenfluh ’03.Profitant du réchauffement planétaire(thermométrique et non pas spéléomé-trique !) et des conditions climatiquesexceptionnelles de l’été qui ont, à lagrande surprise des explorateurs, faitdisparaître le névé, une nouvelle des-cente est organisée. La topographiecomplète est relevée par MiguelBorreguero et Roman Hapka. Les pointsd’interrogations subsistant sont définiti-vement gommés (les techniques deminage ayant fait de gros progrès…) etavec eux disparaît tout espoir d’atteindrele collecteur mythique par cette voiefacile.

Roman HAPKA(avec la collaboration de

Pierre-Olivier ARAGNOpour les schémas)

Bibliographie :

GIGON R. (1959), «Activités SCMN» inCavernes 4/1959, p 85-91.

HAPKA R., Rotzer S. (2003), Contributionà l’inventaire spéléologique de laSchrattenfluh, p18-20.

MEYER VON KNONAU (1838-39), Erdkundeder Schweizerischen Eidgenossen-schaft. 2 vol.

ROTZER S. (2000), Le Massif de laSchrattenfluh, travail de semestreCIFOM-ETMN Le Locle (non publié).

Qui se doute qu’Echallens et Nidausont situés au bord de la même rivière etque l’ancienne abbaye de Thièle ne setrouve ni à Yverdon, ni au Landeron, maisen plein Jorat, à Montheron? Les motsTalent et Thièle sont en fait deux formesd’un même nom d’origine celte conservésous sa forme latine Tela. Thièle en est lecas sujet et Talent le cas régime (com-plément). Un déplacement de l’accent aentraîné un changement de voyelle et degenre: Thièle féminin est devenu Talentmasculin. Une fois la déclinaison à deuxcas tombée en désuétude, la forme prin-cipale s’est appliquée à la partie navi-gable de la rivière et la forme dérivées’est reportée sur sa partie amont.

Un cours insoliteLe Jorat, château d’eau duPlateau vaudois, donne nais-sance à plusieurs rivières dontla Mentue, les principauxaffluents de la Broye, les coursd’eau de la région lausannoiseet le Talent. Ce dernier est ali-menté par des sources situéesau sud de Froideville. La princi-pale (270 l/min), dite de Saint-Hippolyte, est captée par la ville

de Lausanne depuis 1887 et les autres(230 l/min) depuis 1978 et 1984. Le débitd’étiage s’en trouve notablement dimi-nué.Le Talent possède une pente de cinq àvingt pour mille sur sa plus grande lon-gueur. Après Saint-Barthélémy, unemoraine de l’ancien glacier du Rhônel’empêche de rejoindre la Venoge etl’oblige à faire un coude vers le nord pourgagner la plaine de l’Orbe. Sa pente n’estplus ensuite que de un pour mille.Jusqu’au début des années soixante, ilgèle assez souvent en amont du barragede Saint-Barthélémy, si bien que lesgamins d’Echallens peuvent le parcouriren patins.

Richesse piscicole...Au début des années 1960, le Talentcanalisé aux Prés-Neufs, peu avant sajonction avec l’Orbe, est le tronçon de

42

Rivières de Suisse romande:LE TALENT et sa pêche (première partie)

L’abbaye de Thielle : façade occidentale avecles trois fenêtres de l’ancienne salle

capitulaire.

Amont d’Echallens en mars 1985(photo Paul Cornaz, Echallens)

La scierie à eau de Saint-Barthélémy est ladernière en service dans le canton de Vaud,avec celle de Saint-Georges gérée par uneassociation de sauvegarde du patrimoine. Le8 août 2007, une crue emporte le barrage quil’alimente et qu’on vient d’équiper d’uneéchelle à poissons fort onéreuse. Ce barragesera probablement reconstruit, ne serait-ceque... pour justifier l’existence de l’échelle apoissons!

rivière le plus riche en espèces du cantonde Vaud. On y trouve notamment laperche, le vengeron, la vandoise, le gou-jon, le barbeau, la tanche, l’ablette, labrème, le nase et surtout la rare loche derivière.Plus en amont et dans les années 1950,chaque gô* abrite jusqu’à trente che-vesnes [ou chevaines] dont plusieursatteignent le poids d’un kilo. Au prin-temps, à la remonte, il est possible d’enpêcher plusieurs dizaines en quelquesheures. On se sert d’hameçons eschésde sauterelles ou de criquets flottant ensurface. La chair du chevesne est excel-lente mais pleine d’arêtes. Quand l’avan-cement de la saison en a altéré le goût,on met le poisson quelques jours envivier. Mais c’est la truite qu’on vise aumoulin d’Eclagnens quand, à chaque fer-meture d’écluse, on place un treillis à tra-vers le canal de fuite pour retenir lespoissons qui se laissent dévaler : unedizaine d’un kilo et une cinquantained’une livre. C’est la part du meunier !Actuellement dans la «zone à ombre»,entre Saint-Barthélémy et Goumoens-le-Jux, la croissance de l’ombre est sensi-blement plus lente que dans l’Orbe à laVallée de Joux, le chevesne revient timi-dement, la loche se porte bien et le vai-ron prospère. Le chabot en revanche, quiapprécie encore moins la pollution queles fonds molassiques, est rare ou dis-paru.

Blé qui lève, blé qui mûritEn amont deMontheron, la «faune ben-thique» du Talent est remarquablementriche, grâce à la natureforestière et herbagèredu bassin. C’est d’ail-leurs là que survit l’écre-visse à pattes blanches.Sitôt le cours d’eau par-venu dans les terresouvertes, son « indicede diversité» chute rapi-dement. Cet indice estétroitement surveillé par

le Service des eaux. Et le Talent est malnoté ! Le grenier à blé du canton de Vaudn’a pas le pouvoir purificateur des vol-cans d’Auvergne. Entre 1950 et 1990, lacampagne a été transformée en damier,comme entre Echallens et Goumoens.L’usage de machines agricoles toujoursplus grosses a rendu nécessaire laconstruction de chemins bétonnés, lasuppression de tout obstacle, la mise enterre des ruisseaux et l’assèchement desmoindres «mouilles».A Oulens, en trente ans, le nombre despaysans coulant du lait est passé dequinze à un seul et les herbages ont étéconvertis à la céréaliculture. L’extensiondes surfaces labourées, l’agrandisse-ment des parcelles et l’application dedésherbants et d’hormones (cinq ou sixfois pour le blé) fragilisent les terres etchargent les eaux de limons qui, la cruepassée, colmatent les frayères etasphyxient la microfaune. A Morrens, etdepuis 1995 environ, les bassins de lapisciculture sont chaque été envahisd’algues filamenteuses.Les crues arrachent les berges et par-fois même leur cordon boisé. Para-doxalement, elles nivellent le lit : vers1970 à Eclagnens, on compte dix-sept

43

Morrens, cruedu 11 octobre1988 (photoSection lausan-noise de laSVPR) et étiagehivernal le 26février 2008.

44

ou dix-huit gôs* de plus d’un mètre deprofondeur là où, actuellement, il ne s’entrouve plus que deux.

Mauvais paludsLes marécages, vastes éponges capa-bles d’absorber l’eau, sont maintenantasséchés. Avec eux ont disparu desrégulateurs de débit. Malapalud, juste-ment, doit son nom à un marécage déjàpartiellement drainé dans les années1930 quand on y pose un collecteur sou-terrain. Il y restait un joli petit marais...remblayé dans les années 1970!A Oulens, les rialets* parcourant lesbassières* sont remplacés vers 1955par des drains enterrés. Le caractèremarécageux de ces bas-fonds a dis-paru.Faute de marécages susceptiblesd’atténuer la violence des crues, onaménage des zones inondables artifi-cielles. Tel est le cas le long d’un petitaffluent du Talent, le Larrit, qui avaitpris un caractère torrentiel et érodaitses berges. En 2007, on le remet à cielouvert en aval de Villars-le-Terroir,dans un bassin de rétention d’unecontenance de 1300 m3 dont le tuyaud’évacuation fait office de régulateur, nelaissant couler que 2 m3/s au maximum.Ce seuil étant dépassé, le bassin se rem-plit, écrêtant la crue. En cas d’alerte à lapollution, une vanne permet de fermermanuellement le bassin afin de préserverle ruisseau en aval.

A vau-l’eauLe tout-à-l’égout est une invention duXXe siècle. Village agricole, Oulens ins-talle sont premier tronçon d’égout en1924. Jusqu’en 1960, le modeste réseauvillageois, tout comme celui d’Ecla-gnens, n’évacue guère que des déchetsménagers qui engraissent truites et che-vesnes. Dans les années 1960, laconsommation d’eau augmente et, avecelle, le volume et la nuisance des rejets.

Le Talent est empoisonné en 1938 pardu purin provenant de la porcheried’Oulens. En 1957, mille truites demesure et douze mille alevins périssent àSaint-Barthélémy. En 1969, on ramasse1080 truites mortes à la suite d’unempoisonnement industriel. En 1978 et

1987, d’autres toxiques amenéspar la Mortigue – bien nommée –empoisonnent la rivière jusqu’à laSTEP d’Eclagnens! Depuis 1990 etmême dans les endroits apparem-ment préservés, les insectes aqua-tiques, en particulier le ver d’eau*diminuent considérablement sansqu’on sache bien pourquoi.Les pouvoirs publics ne restentpas inactifs. Ainsi, Froideville sedote d’une station d’épuration en1964 qui sera désaffectée en 1994,Le Larrit et son «bac de rétention».

Eté 1944 au Moulin d’Eclagnens:toilette hebdomadaire au bord du canal(coll. Rose-Marie Hennard, Oulens).

45

en faveur d’une nouvelle instal-lation commune avec Bretigny,Montheron et une partie de Cu-gy. Echallens inaugure sa STEPen 1975. Eclagnens, Oulens etGoumoens-la-Ville s’équipenten 1982 et Goumoëns-le-Jux en2001. Les effets positifs del’épuration sont incontestablesmais insuffisants.

Feu la loutreet l’écrevisseLes pêcheurs n’ont plus guère àcraindre le retour de la loutre : la rivièreest à l’abri d’une amélioration de son étatde santé telle que le carnassier puisserevenir ! Le dernier exemplaire capturé àOulens est piégé en janvier 1948. Uneloutre est encore observée en 1956 dansle canal du moulin d’Eclagnens.

Naguère, le Talent moyen foisonned’écrevisses à pattes blanches. On lesprend simplement avec un morceau deviande attaché au bout d’une ficelle ou,comme à la fin des années 1950 au mou-lin d’Eclagnens, au moyen de viandemise dans un fagot préparé pour allumerle feu. Ainsi se procure-t-on, une fois parannée en début de saison, de quoiconfectionner une cassée* d’écrevisses.

Les souvenirs concordent quant àl’époque de disparition de ce crustacé.Vers 1960, des produits chimiques sontdéversés par une fabrique d’Echallens.En 1962 à Eclagnens, on constate que,durant plusieurs semaines, le canal duMoulin (1,6 km), servant de bassin d’ac-

Le garde-pêcheSamuelClavel et laloutre qu’ilvient de tueren 1948(coll. Jean-Daniel Clavelà Oulens).

Prise d’eau du moulin d'Eclagnens, état actuel(photo Alain Vulliamy, Oulens) et extraits d’un plan

de 1904 (coll. Charles Roulin, Oulens)

46

cumulation durant la nuit, est jonchéd’écrevisses mortes au point que, enamont de la «pelle», on n’en voit plus lefond sur une distance de 15 à 20 m etune largeur de 2 à 2,5 m. En cet été degrande sécheresse, les enfants qui,après les foins, vont se baigner dans larivière se plaignent d’allergies et lestruites ont un goût de pneu et demazout !Une écrevisse à pattes blanches estencore observée en 2000 à la piscicul-ture de Morrens, provenant sans douted’un des bras du Talent coulant à la hau-teur du Chemin des Paysans et épargnéjusqu’ici.(A suivre.)

GlossaireBassière (n. f.) – Partie d’un pré ou d’unchamp où l’eau s’accumule en période plu-vieuse, marécage (Oulens).Cassée (n. f.) – Contenu d’une casse oucasserole (Eclagnens...)Gô (n. m.) – Endroit surcreusé dans unerivière (Cugy, Echallens, Oulens...). Ce mot est

fréquent en microtoponymie: Gô de Bottens,Gô à Rod, Gô de la Maguie...Rialet (n. m.) – Naguère, fossé de drainage(Oulens).Ver d’eau (n. m.) – Trichoptère avec fourreau(Assens, Saint-Barthélémy...). On parle de«bûcheron» ou de «maçon» selon la naturedu fourreau (Morrens). Le ver d’eau bûcheronest plus jaune que le maçon.

Remerciements:Société de pêche du Gros de Vaud, par sonprésident, M. Louis Bezançon, Echallens ;Société de pêche de Lausanne par son prési-dent M. Yves Nicolet, Froideville ; MM. Ber-nard Büttiker à Vufflens-la-Ville, Pierre Capt àCheseaux-Noréaz, Alexandre Cavin à Echan-dens, Charles Dutruy à Lausanne, AlphonseFavre à Saint-Barthélémy, Eric Glauser àVillars-le-Terroir, Jacques Lambercy àEchallens, Max Leresche à Lignerolle, LaurentMagnin à Echallens, Jean-Michel Métrailler àAssens, Jean-François Reber à Echallens,Michel Rosset à Echallens et Charles Roulin àOulens.

Bernard VAUTHIER, Bôle(L’auteur tient ses références à disposition)

VARIÉTÉS DE PRUNES (suite)Prune à COCHONL'appellation Prune à Cochon est connue anciennement en France où elle désignedes variétés fort différentes. Il en est de même en Suisse romande. Naguère àCheyres, c'est une grosse prune rouge foncé. A Corbeyrier, l’appellation était syno-nyme de Damaizone*. Au début du XXe siècle à Fresens, elle s’applique à une«grosse prune bleue, assez fade de goût et au noyau adhérent à la chair» dont nevoulaient pas les «crampets» (marchands qui ravitaillaient les Montagnes).Les deux types de Marin et Fiez décrits ci-dessous sont hâtifs, de même quel’étaient les Prunes à Cochon de Courlevon, Grolley et Lugrin (Chablais).

Prune à COCHON ICe fruit de Marin ressemble à la Prune de la Saint-Jean*.Fruit sous-moyen long de 23 à 27 mm.Chair fade ou légèrement aigrelette, adhérant générale-ment au noyau.Maturité au débutd’août.Echantillon prélevéchez Henri Vessaz àMarin.

47

IMPRESSUMLe Rameau de Sapin est l’organe du Club Jurassien. Il paraît quatre fois par an.

Abonnement: Marina Haas,8 rue Miéville, CP 19, 2105 Travers,0328634333 (privé) ou 032861/8634343(prof.), [email protected]: Fr. 12.- (compris dans la cotisation desmembres de l’association).

CCP 20-5168-8, Club Jurassien, Neuchâtel.Tirage: 1700 exemplaires.

Rédaction: Bernard Vauthier,3 rue des Sources,2014 Bôle, 0328424410,[email protected]

Edition: Comité central du Club Jurassien,Denis Robert, 17 rue des Esserts,2054 Chézard, 0328531958.

Numéro ISSN: 1660-4687.Délai rédactionnel : 15 juillet 2008

Prune à COCHON IICe fruit de Fiez doit son nom à une détermination récente.Fruit sous-moyen longde 23 à 28 mm (7,3 g).Chair juteuse, rafraîchis-sante, peu sucrée, quit-tant bien le noyau.Maturité à la fin de juillet.Echantillon prélevé chezMichel Thévenaz à Fiez.

Prune COCON DE CAËLCette variété de Salinsn’est probablement pasindigène. Le mot «co-con» signifie oeuf maison ignore tout du motCaël.Gros fruit long de 45 à58 mm (62 g).Chair douce, sucrée, pastrès juteuse, adhérant aunoyau mais sans se déchi-rer.Maturité à fin août etdébut septembre.Echantillon prélevé chez Gilda Delèze à Salins.

Une prune Coco mûrit en Haute-Saône (Franche-Comté).