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Quatorzième An née. Le numéro : 1 fr. 50 MENSUEL == N° 159 16 FRANCS PAR AN ABONNEJIIENTS Librairie FRANSSEN, 1, place Paul-Painlevé, Paris sJUILLET 1.938 Compte chèques postaux : Paris 462-58 ===== REDACTION ===== lt\. PIERROT, 2, rue des Haudriettes, 2, Paris 3e SOMMAIRE La morale cl'Epicure........................ M. SOLOVJNE. Le Sacerdoce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. ALEXANfll-lE Un projet de contrôle des entreprises. AVIS AUX LECTEURS INTERRUPTION ANNUELLE Par suite des conditions économiques « PLUS LOIN » NE PARAITRA PAS EN AOUT NI EN SEPTEMBRE Le prochain numéro (n° 160) paraîtra au début d'octobre. Le numéro d'octobre. - Le numéro que vous avez sous les yeux contient une étude de Solovine sur l'épicur isme, ou plus exactement l'avant-propos d'une étude sur la · morale d'Epicure. C' est dans :Je prochain numéro, c'est-à- dire clans le numéro d'octobre, que Solovine entrera dans le vif du sujet. On peut se demander : Que vient faire Epicure au milieu des préoccupations du monde moderne ? En quoi ceux qui participent au mouvement social et qui luttent pour conquérir plus de sécurité, plus de justice, plus de liberté, peuvent-ils s'intéresser à l'épicurisme ? C' est à ces questions que répondra Pierrot dans une étude intitulée : l'épicurisme comme morale d'énianc·ipa- 'lion. De son côté, Astié exposera le rôle social de l'esthé- thique : « l' esthétique perfectionne la morale et la ren- force. » Lans ac montrera l' influence épicurienne dans La Fontaine : les · idées de La Fontaine et celles d'Epicure. Mineur traitera de ce sujet, qui s'apparente aux pré- dents : le sad'ism.e et le poiivoi1". Ajoutons que Mineur, qui s'intére sse aux sujets de philosophie pure, donnera un art icle sur : la notion âe l'Et .re; son intérêt Enfin la question agraire sera reprise dans son ensemble. LA QUESTION DU RIZ L'articl e, paru sous ce titre dans le dernier numér o, (n ° 158), est le dernier d'une série, et doit porter le n ° XII et non n ° I, comme il a été imprimé par erreur. Autre erreur sur l' auteur du gros livre, les pays.ans du Delta tonkinois (aux éditions de l' art et de l'histoire), dont le nom exact est Pierre Gourou. Enfin le début du quatrième alinéa de la deuxième colonne, à la page 3, est fort peu compréhensible. Je Je rectifie comme suit : Sur le premi er point il n'y a qu'à se reporter à ce qui a été dit plus haut. Si un cultivateur de ce pays arrive à joindre ·]es cieux bouts, en tant que petit propriéta ir e, il n'y arrive plus quand il cultive la terre au corr.pte d'autrui et qu'il a à payer des redevances à un gros pro- priétaire, presque toujours doublé d'un usurier. Quand nous disons (premie r point) que les paysans devrai ent être tous propriétaires, cela veut dire, dans notre esprit, possesseurs du sol., etc. BIBLIOGRAPHIE La Gazette des A mis ëes Livres, trimestrielle, rédigée par Adrienne Monnier, 7, rue de l' Odéon, (Paris (6'), abonnement annuel 20 fr. Le numéro 2 vient de paraît re et contient des renseigne- ments bibliographiques très tprécis sur les ouvrages trai - tant de I'astronomie, de la géophysique et de la géologie, de la géobiologie, de la géographie humaine, des races, du langage, de la société primit ive. Les gazettes suivantes continueront la bibliographie sur les autres activités de l'esprit humain. Bi bliographie vivante, intéressante, extrêmement utile.

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Quatorzième Année. Le numéro : 1 fr. 50

MENSUEL == N° 159 16 FRANCS PAR AN

ABONNEJIIENTS Librairie FRANSSEN, 1, place Paul-Painlevé, Paris s•

JUILLET 1.938

Compte chèques postaux : Paris 462-58 ===== REDACTION ===== lt\. PIERROT, 2, rue des Haudriettes, 2, Paris 3e

SOMMAIRE

La morale cl'Epicure........................ M. SOLOVJNE. Le Sacerdoce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. ALEXANfll-lE Un projet de contrôle des entreprises.

AVIS AUX LECTEURS

INTERRUPTION ANNUELLE

Par suite des conditions économiques

« PLUS LOIN » NE PARAITRA PAS

EN AOUT NI EN SEPTEMBRE

Le prochain numéro (n° 160) paraîtra au début d'octobre.

Le numéro d'octobre. - Le numéro que vous avez sous les yeux contient une étude de Solovine sur l'épicurisme, ou plus exactement l'avant-propos d'une étude sur la ·morale d'Epicure. C'est dans :Je prochain numéro, c'est-à­ dire clans le numéro d'octobre, que Solovine entrera dans le vif du sujet.

On peut se demander : Que vient faire Epicure au milieu des préoccupations du monde moderne ? En quoi ceux qui participent au mouvement social et qui luttent pour conquérir plus de sécurité, plus de justice, plus de liberté, peuvent-ils s'intéresser à l'épicurisme ? C'est à ces questions que répondra Pierrot dans une

étude intitulée : l'épicurisme comme morale d'énianc·ipa­ 'lion. De son côté, Astié exposera le rôle social de l'esthé­ thique : « l'esthétique perfectionne la morale et la ren­ force. » Lansac montrera l'influence épicurienne dans La

Fontaine : les ·idées de La Fontaine et celles d'Epicure. Mineur traitera de ce sujet, qui s'apparente aux précé­ dents : le sad'ism.e et le poiivoi1". Ajoutons que Mineur, qui s'intéresse aux sujets de

philosophie pure, donnera un article sur : la notion âe l'Et.re; son intérêt Enfin la question agraire sera reprise dans son

ensemble.

LA QUESTION DU RIZ

L'article, paru sous ce titre dans le dernier numéro, (n ° 158), est le dernier d'une série, et doit porter le n ° XII et non n ° I, comme il a été imprimé par erreur. Autre erreur sur l'auteur du gros livre, les pays.ans du

Delta tonkinois (aux éditions de l'art et de l'histoire), dont le nom exact est Pierre Gourou. Enfin le début du quatrième alinéa de la deuxième

colonne, à la page 3, est fort peu compréhensible. Je Je rectifie comme suit : Sur le premier point il n'y a qu'à se reporter à ce qui

a été dit plus haut. Si un cultivateur de ce pays arrive à joindre ·]es cieux bouts, en tant que petit propriéta ir e, il n'y arrive plus quand il cultive la terre au corr.pte d'autrui et qu'il a à payer des redevances à un gros pro­ priétaire, presque toujours doublé d'un usurier. Quand nous disons (premier point) que les paysans devraient être tous propriétaires, cela veut dire, dans notre esprit, possesseurs du sol., etc.

BIBLIOGRAPHIE

La Gazette des A mis ëes Livres, trimestrielle, rédigée par Adrienne Monnier, 7, rue de l'Odéon, (Paris (6'), abonnement annuel 20 fr. Le numéro 2 vient de paraître et contient des renseigne­

ments bibliographiques très tprécis sur les ouvrages trai­ tant de I'astronomie, de la géophysique et de la géologie, de la géobiologie, de la géographie humaine, des races, du langage, de la société primitive. Les gazettes suivantes continueront la bibliographie sur

les autres activités de l'esprit humain. Bibliographie vivante, intéressante, extrêmement utile.

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LA MORALE D'EPiCURE

.,. Pour saisir l'importance et la signification de la morale d'Epicure, il est nécessaire de mettre en lumière les prin­ cipes fondamentaux: sur lesquels elle repose et les liens par lesquels elle se rattache à ses doctrines physiques. Sa hardiesse et son originalité deviennent surtout manifestes quand on la compare aux conceptions morales qui l'ont précédée en Grèce et à celtes qui ont eu cours ensuite dans l'histoire de l'humanité. Par une aberration inccrn­ préhensible on a pris l'habitude, dans l'antiquité, aussi bien que dans les temps modernes, de juger les actes 1e l'homme non pas en tenant compte des besoins et des tendances inhérents à sa constitution physique, mais en se servant de critères abstraits basés sur des croyances religieuses et des considérations métaphysiques.

Cette façon bizarre de procéder est une application par­ ticulière d'une attitude mentale qui consiste à regarder le monde matériel comme illuscire et trrîèr-ieu r.: derrière lequel se cacherait la réalité véritable et ahcol ue, saisis­ sable seulement par I'Esprit, au moyen de concepts et d'idées. Pour Platon, par exemple, qui est le représentant typique de cette tendance, le monde matériel était le non-être, tandis que 'l'être véritable était le monde intelli­ gible ou le monde des Idées. C'est celui-ci qu'il s'attachait à connaître et il n'avait pas assez de dédain pour l'autre. En ce qui concerne l'homme, il estimait qu'il ne peut prétendre à être considéré comme être moral qu'à parti I' du moment où il aura renoncé aux satisfactions sensibles, qui ne représentaient pas, à ses yeux, un bien. « Vous poursuivez le plaisir, dit-il, comme s'il était un bien. )> (Protag 354 c.). On saisit d'un coup le contraste violent entre sa façon

de voir et celle d'Epicure quand on lit dans la ·lettre à Ménécée cette ph rase : « Nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse ». Et tandis que Platon rejetait Je monde matériel, Epicure le place au premier plan et 'le considère cr mme l'unique et véritable réalité. Et les sensations qui étaient considérées par Pla­ ton comme trompeuses, dépourvues, par conséquent,' de toute valeur cognitive, sont considérées par Epicure, non seulement comme le seul moyen de connaître le monde, mais aussi comme le ,eul critère de la vérité. Môme quand il s'agit d'atteindre ce qui n'est pas directement saisissable par les sens. ce qui c-;t le cas de l'atome, c'est encore des phénomènes qu'il faut partir peur en déter­ miner la nature et rien ne doit. fi;~·urer clans cette déter­ mination qui ne soit contorme aux -c1onnées de l'expé­ rience. Le principe d'analogie est ansi considéré comme le principal instrument de recherche, et étant donné que les sensations nous font constamment sentir la présence du monde, et de ses forces, nous sommes, pal' elles étroi­ tement reliés à lui, et plus nous l'étudicns et plus il nous devient familier. On ne comprend pas comment cet immense univers qui offre à notre activité intellectuelle des possibilités i1l imités cle s'exercer, et qui est aussi la principale source des sentiments élevés et des puissances esthétiques a pu être traité avec tant de dédain par les

« idéalistes », dont le plus extravagant, je Yeux d.re Plct.n, rougissait de honte de voir son âme habiter un corps et qui affirmait encore que « la matière est la cause du mal ». (I. 8. 14.). Sous l'apparente subl imi té de ces « idéalistes » se cache

au fond une grossièreté déplaisante, pUiSC[UÏIS mettent SUI'

Je même plan l'univers matériel, son c rdre et sa beauté, tels que les conçoit l'hc mrne et les Y iles sat isf'actions rnatérietles des débauchés. Et c'est aussi une étrange conception, et fatalement

vouée à l'échec, que celle qui vise à dépouiller l'homme de ce qui constitue sa nature réelle et ù le réduire à un schéma conceptuel. C'est bien à cela, en effet, que se ramène le dédain des biens dont, selon les circonstances et les moyens, nous pouvons réellement joui r, et 'la iecher­ che du bien souverain, qui correspond à la substance absolue sous-jacente aux phénomènes et qui est impossible à atteindre, puisqu'il ne doit par définition, rien contenir de sensible. Les conditions somatiques et terrestres s'op­ posent' fi son acquisition et seul l'esprit pur, l ibéré du cachot où il est enfermé, pourra l'obtenir. Une telle con­ ception conduit, fatalement d'une part, au mépris de la vie et de ses valeurs relatives, et d'autre part, à l'idée de la survivance et de l'au-delà. C'est aussi à quoi abou­ tissait Platon, qui disait que toute la vie du sage est une préparation à la mort.

Mais les vues de Platon, qui dénotent une incapacité foncière, clans le domaine physique aussi bien que dans le domaine me rai, d'aborder les problèmes de Iacon à en pouvoir donner une solution valable, ne pouvaient pas ;atisfai re les esprits positifs. Aussi voit-on surgir à la même époque les Sophistes, les Cyniques et les Cyrénaï­ ques, qui suivent des voies totalement différentes. Les premiers dirigent leurs attaques contre la connaissance, la morale et la justice absolues; ils montrent qu'elles sont créées par l'hcmme, parce qu'elles correspondent à des nécessités humaines, qu'elles peuvent changer selon les cir­ constances et qu'elles n'ont pas de valeur objective mais seulement humaine et relative. Les cyniques affirment de leur côté que Je bonheur et la vertu résident clans le mépris des richesses, des honneurs et cles convenances, c'est-à-dire dans une vie dégagée des préjugés courants et réduite à sa plus grande simplicité. Les cyrénaïques, par contre, soutiennent que la seule

valeur de la vie est la jouissance à tout prix. A ces ten­ dances il faut encore ajouter celles des sceptiques qui doutaient de tout de la réalité du monde, comme des principes de la connaissance et de la mr ra le et dont le chef était Pyrrhon d'Elis .. Toutes ces tendancs si intéres­ santes à tant d'égards, sont cependant insuffisantes pa_r ·Je fait qu'elles sont unilatérales et exclusives et ne consr­ clèrent pas l'ensemble des problèmes que présentent la nature et l'homme . L'immense importance que présente la philosophie

d'Epicure, c'est qu'elle rejette résolument ce qui est st~rile et encombrant dans le domaine de la recherche et quelle offre une solution positive aux problèmes raisonnablement r.osés. Et il a 1~11 " arriver arâce à la méthode sûre dont . , n il s'est servi, qui consiste à ne rien admettre comme va la-

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ble s'il n'est pas confirmé par 'les faits. Déjù sa maruere d'aborder les recherches met en lumière sa perspicacité d'esprit et le souci qui 'l'animait de donner une solution durable aux problèmes. En effet, au lieu de chercher à se distinguer après tant d'autres par quelque conception éblouissante, qu'il n'aurait pu faire accepter que par des artifices de rhétorique ou de dialectique, il reprend en les modifiant et en les complétant, les conceptions de Démocrite, exactement comme font les savants de nos jours qui reprennent les idées de leurs devanciers, les per­ fectionnent et font ainsi faire un pas nouveau à la science. Ceux donc qui ont reproché à Epicure de manquer d'ori­ ginalité, mont i ent seulement qu'ils ignorent le véritable esprit de la recherche positive et qu'originalité ne sîg n if ie pas tc ujours fécondité. Dans le cloute qu'on peut avoir pour décider de la valeur de diverses doctrines c'est celle qui présente une réelle fécondité qui doit déterminer notre choix. C'est bien le cas de la doctrine d'Epicure. Les principales modifications qu'il apporte aux concep­

tions de Démocrite sont les suivantes : Tandis que celui-ci disait que l'atome peut avoir n'importe quelle grandeur, Epicure affirme qu'il reste quantitativement au-dessous du seuil de la sensibilité, et si Démocr.te soutient que l'atome est insécable et constitué d'une masse unie, Epicure dit qu'il est composé de parties inséparables. A ces clive1·ge1ices s'ajouterait encore une troisième, s'il était possible d'accepter comme fondée l'idée étrange qu'on lui attribue que les atomes à I'c rigine tombaient tous verti­ calement clans 'le vide et que pour rendre possibles leur rencontre et, par la suite la formation des choses et des mondes, ils ont spontanément et légèrement dévié de côté. Ce serait aussi cette déviation répétée qui rendrait compte de nos actes libres. Sans elle nous serions soumis à la nécessité inflexrhle et incapables d'agir librement. Il nous paraît tout à fait impossible qu'Epicure ait pu

souteni I' une idée pareille. Notons d'abord que dans les écrits qui nous restent de lui on n'en trouve pas la moin­ dre trace. Est-il vraisemblable qu'Epicure, qui dans la lettre à Hérodote a développé avec tant de soin 'les prin­ cipes fondamentaux de sa doctrine, ait pu omettre de parler d'un ·point aussi capital ? Qu'on regarde seule­ ment avec quelle patience inlassable il revient sur I'indl­ ,·isibilité de l'atome, en apportant des arguments variés pour prouver qu'elle s'impose nécessairement et que la conception de la divisibilité à l'infini est dénuée de sens. Et s'il était vrai que Ia déviation spontanée de l'atome rend mule possible nos actes libres, Epicure aurait dû en parler clans la lettre à Ménécée, où il dit préclsérnen t que tout ce qui arrive dans le monde est dû soit à la nécessité, soit au hasard, soit à notre volonté. Mais, dit-on, puisque plusieurs auteurs anciens, pa: mi

lesquels se trouvent deux épicuriens fervents, Lucrèce et Diogène cl'Œnoanda, en ont parlé, il faut bien qu'elle vienne. d'Epicure et si on ne la trouve pas dans les écrits existants el le a dû figurer clans les écrits perdus, suppo­ sition fragile, puisque dans les fragments clu grand ouvrage d'Epicure intitulé « Su·r la Nature », que les fouilles rl'Herculanum ont mis au joui', on n'en trouve non plus aucune trace.

L'argument dcnc que l'idée Liu clinamen doit remc nter à Epicure, parce qu'on la trouve chez Lucrèce, ne serait probant que s'il était prouvé que ce dernier a fait dans son poème un exposé rigoureusement fidèle des doctrines d'Epicure, qu'il n'en a rien enlevé et qu'il n'y a rien ajouté. Or, en comparant les sujets traités par Epicure dans les écrits existants avec les sujets simrlaires traités par Lucrèce, on y constate avec surprise des divergences plus ou moins importantes. Cal' il est certain que Lucrèce, dont les Il uanges dithyrambiques d'Epicure ont créé l'illu­ sion que son poème représente fidèlement et uniquement les doctrines d'Epicùre, a procédé avec une liberté très grande clans son exposé. Qu'on compare, par exemple, l'explication qu'il donne de l'attraction du fer par l'ai­ mant avec celle qu'en donne Galien en I'attribuant à Epi­ cure; sa conception de la nature de l'âme avec celle d'Epicure, telle qu'elle se trouve clans la lettre à Hérodote, et telle qu'elle figure clans le document venant d'Aétios, et l'on verra, après avoir encore examiné d'autres sujets, qu'il faut bien se garder de prendre son exposé comme l'exacte express.on cles conceptions d'Epicure. Son but n'était pas de Ia ire œuvre d'historien, c'est-à-dire d'étudier l'œuvre d'Epicure de point en point et d'en faire un exposé r·gourcux ét complet. Il avait essentiellement pour dessein de tournlr à ses compatriotes une explication rationnelle des choses. Beaucoup des exp! 'cations qu'il donne des phénomènes ne viennent pas uniquement d'Epicure, mais d'autres philosophes, surtout d'Empédocle. La déviation spontanée de l'atome était certes déjà connue ayant Lucrèce, puisque, au rapport de Cicéron, Carnéade de Cyrène (214-219) avait pris position centre elle; ce n'est cependant pas Epicure qu'il nomme, mais les épicurens .. Et la façon dont Cicéron lui-même en parle, montre à l'évidence qu'il ne l'a pas puisée dans l'œuvre même d'Epi­ cure. Il l'expose à sa façon, c'est-à-dire en y mettant beau­ coup d'art et peu de pensée. Tout ce qu'il nous dit d'ailleurs d'Epicure est entaché d'erreurs et cle lourdes méprises. Le texte d'Aétios, par contre, présente clans sa briéveté

plus d'intérêt. « Epicure, dit-il, admettait deux sortes de mouvements : le vertical et celui de déclinaison. » Dans un autre endroit il s'exprime ainsi : « Les atcrnes effec­ tuent tantôt un mouvement ·vertical, tantôt un mouve­ ment de .cléclinaiso11. » Le même passage présente dans un autre manuscrit une variante qui a son importance. « Les atomes effectuent, l'un un mouvement vertical, l'autre un mouvement de déclinaison. » Aétios, comme on te voit, ne dit pas que le même atome change spontané­ ment sa direction verticale en une direction obi ique, il dit simplement qu'Epicure admettait cieux sertes de mou­ vements, ce qui veut dire que les atomes effectuent ou bien un mouvernent vertical, ou bien un mouvement ohl.que. Notons en passant que d'après Stobée (Ec'I. I 19, 1), Aris­ tote distinguait trois sortes de mouvements clans l'espace: le mouvement en ligne droite, le mouvement circulaire et le mouvement mélangé, par lequel il entendait le mou­ vement incliné, dont le terme grec a le même sens qu celui employé par Epicure Quant à Diogène d'Œnoanda, il attribue aussi le clinamen à Epicure et croit que san

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lut on ne pourrait pas rendre l'homme responsable de ses actes; c'est une simple répétition des affirmations de Lucrèce et de Cicéron, et il en est de même du passage de Plutarque. Examinée en elle-même, la conception de la déviation

spontanée de l'atome <le sa chute verticale est dépourvue de sens, et quand on sait avec quelle rigueur Epicure avait -coutume de penser, rl est impossible d'imaginer qu'elle vienne de lui. En effet, avant la formation des choses et des mondes, les atomes ne pouvaient pas tomber verticalement, car la chute verticale n'a de sens que par rapport à un observateur qui occupe un lieu déterminé, plus précisément un corps cloué de pesanteur. Epicure, je le répète, ne le dit nulle part et il a dû tout simplement. partager l'opinion de Démocrite, selon laquelle les atomes à l'origine se meuvent clans tous les sens, arrivent ainsi à se rencontrer, à s'entrelacer et à constituer les choses. S'il ne l'a pas affirmé expressément, c'est que cette façon de voir lui paraissait tout à fait naturelle. Epicure ne tenait pas à répéter uniquement ce qu'avait affirmé Démc­ crite, comme le lui reprochent les esprits superficiels ou malveillants. I'l a adopté à son égard une attitude criti­ que en modifiant et en complétant certaines, de ses con­ ceptions, comme par exemple celles des simulacres et du langage. Ce qu'il n'a pas relevé et critiqué, il faut suppcser qu'il l'a tacitement approuvé. Si par consé­ quent il ne parle pas du mouvement originel des atomes et de la façon dont ils entrent en contact les uns avec les autres, c'est prcbabternent parce qu'il ne trouve rien à objecter à ce que Démocrite avait dit à ce sujet. Et c'est précisément le silence d'Epicure sur ce point qui a déterminé quelque épicurien mal avisé de fournir une explication, en supposant que les atomes se mouvaient à l'origine verticalement comme les corps qu'on -lance en l'air et ajoutant qu'ils ne peuvent entrer en contact que grâce au clinamen.

On en faisait ensuite une application morale. Mais le rôle qu'on fait jouer au clinamen clans le domaine me ral nous paraît encore plus _incompréhensible. Tout acte humain doit avoir un mot.if, et, pour nous mettre en garde contre les impulsions instinctives et les mirages, il faut nécessairement réfléchir avant d'agir. Après avoir dans une situation donnée, pesé le pour et le contre, ncus nous décidons à agir ou à ne pas agir. Je pourrais même, après m'être engagé dans une action que j'ai jugée d'abord morale, être amené à l'interrompre, si je m'aper­ çois que, contrairement à mes prévisions, elle peut avoir des conséquences fâcheuses pour moi ou mes semblables. Je puis, d'autre part, après avoir décidé de ne pas agir, revenir sur cette décision, si, par suite d'un nouvel examen du cas, je m'aperçois que mon abstention .. J5ourrait avoir des conséquences fâcheuses pour moi ou mes semblables. Comment clans ces cas se représenter le rôle du clina­ men ? Si c'est lui qui me permet de prendre ma décision clans un sens ou clans l'autre, ma réflexion n'y est pour rien, et je ne suis pas libre. Mais si c'est ma réflexion qui m'y détermine et aussi mon expérience passée, ce que tout homme sensé doit admettre, je ne vois pas à quoi sert le clinamen.

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Il devient enfin tout à fait évident que l'idée clu clima­ men est complètement étrangère à l'esprit d'Epicure, quand on sait que l'âme, d'après lui, est constituée d'un genre particulier d'atomes, différents des atomes ordi­ naires. Comme il distingue en outre l'âme rationne-lie, qui a son siège dans la poitrine, et l'âme irrationnelle qui est répandue clans tcut le corps, il établit par là même une distinction entre les actes instinctifs qui sont dûs à cette dernière, et les actes réfléchis ou libres, qui sont, dûs à la première. Si l'on veut avoir une preuve de plus que le clinamen ne peut pas venir d'Epicure, on la trouvera dans 'la lettre à Ménécée. Là il est dit que tout ce qui arrive dans le monde est dû soit à la nécessité, soit au hasard, soit à la volonté. Classification judicieuse qui montre que le cr urs général des phénomènes est détc.rminé par des le is rigoureuses auxquelles il faut nous soumettre parce que nous ne pouvons pas les changer; que l'interaction des individus constitua nt une société a pour résultat des événements qui peuvent nous être ut-iles ou dangereux, que nous ne pouvons prévoir qu'imparfaitement et sur lesquels nous avons peu de prise; enfin qu'interviennent les réalisations ducs à notre prc pre volonté, qui, elle aussi, se détermine d'après des motifs. Il était nécessaire, avant d'exposer la morale d'Epicure,

d'éclaircir cette question du clinamen, parce qu'il trouble la belle ordonnance de la physique et de la morale épi­ curiennes.

(A suivre). M. SOLOVINE.

LE SACERDOCE

I

L'apparition dans l'histoire de la première forme du prêtre : le sorcier, le faiseur de pluie, a coïncidé avec la transformation du fétichisme primitif en religÎon, par l'adjonction du mystère. Tant que les hommes pouvaient trouver des fétiches protecteurs dans tcus les objets indis­ tinctement, on n'établit aucune différence entre les caté­ gories d'objets divinisables. Chacun avait ses fétiches, ses auxl'Iiai res particuliers, et si tous ne possèdent point des fétiches également puissants et dévoués, tous au moins restaient en communication personnelle, directe, avec leurs gris-gris protecteurs. Mais Je jour vint, où parmi les plus favorisés, il se trouva un individu, plus astu­ cieux et plus fourbe que les autres, qui conçut l'idée de

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mettre, moyennant une rétribution déterminée. les pou­ voirs de son fétiche au service de ses semblables (1). Peu à peu, les hommes perdent l'habitude d'avoir leurs

fétiches individuels c u s'ils les gardent, ils s'accoutument .à les considérer comme inférieurs à celui du sorcier. C'est .à celui-là qu'ils recourent clans les grandes occasions. De ce fait, il s'établit insensiblement entr= les fétiches une hiérarchie qui est le terme logique de celle qui demain, mettra le gouvernement de la société aux mains des prêtres. L'homme qui dispose des faveurs des puis­ sances supérieures devient nécessairement, tôt ou tard, le maître de ses semblables. Après être restés longtemps .au service des pères de famille et à celui des chefs de tribu, qui se cléchargaient sur eux, moyennant salaire, des soins du culte, les prêtres - peu importe leurs formes - ont partout exigé, non seulement l'indépen­ dance, mais la souveraineté. C'était fatal. Intermédiaires indispensables, puisque uniques, entre les hommes et leurs dieux, dépositaires des formules secrètes qui pou­ vaient apaiser la colère divine, ils avaient pour com­ plices l'ignorance générale, la crainte et l'espérance. Cependant Je prestige du sorcier et de son gri-gri a

besoin d'un long temps pour produire son effet sur l'imaginatirn rles hommes. Les sauvages ne voient rien d'extraorclinafre à ce que l'un d'entre eux ait mis la main sur un Iétiche plus efficace que les autres, ni qu'il en use à son profit pour le plus grand bien de ceux qui savent reconnaître et surtout rétribuer ses services. Là, où le mystère commence à prendre des proportions capables de frapper les imaginations, c'est quand la concurrence s'établit entre plusieurs sorciers et leurs gris-gris. 'Or, quand Je métier est bon, la concurrence existe . nécessairement. Alors, pour attirer la clientèle, chacun s'applique à multiplier les pratiques extraor­ dinaires, eertains parce qu'ils croient sincèrement à leur art, d'autres pour abuser de la crédulité publique. L'influenee exercée sur les naïfs par un oracle réussi, par une prédiction à peu près accomplie, par une gué­ rison inattendue, ne tarde pas à se traduire par une considération spéciale. Alors au lieu de changer de gri­ gri arbitrairement, on finit par ne plus considérer qu'un fétiche unique, plus puissant que les autres. Il devient celui de la famille ou de la tribu. On lui élève une demeura fixe, un temple;· on attache à son service les sorciers, seuls capables d'une telle besogne. Enfin il se distingue de tout le reste, il s'élève en dignité. Cette distinctic n et cette supériorité mêmes l'enveloppent d'une

(1) Il ne semble pas que ce processus soit exact. Il y a, au­ dessus des fétiches particuliers, le fétiche ou le totem du clan,

1et c'est ce fétiche qui a suscité le culte collectif. Il n'en est pas moins vrai que le sacerdoce s'est emparé peu à peu de ce culte collectif et en a codifié les rites. Mais les prêtres n'ont pas créé les croyances, ni la forme de ces croyances, dont le point de départ est, avec l'influence des coïncidences, }a croyance à la chance et à la malchance, où interviennent les plus ou moins bonnes ou mauvaises dispositions de tout ce qui entoure les humains. Tl est même arrivé que par politique les prêtres d'une nouvelle relfgion ont adopté certaines pratiques du culte précé­ dent pour assurer plus facilement le triomphe de leur Eglise.

N. D. L. R.

atmosphère mystique à travers laquelle ses adorateurs n'osent plus lever les yeux sur lui, De même, le rituel du sacrifice, d'abord assez simple et exercé au com­ mencement par les pères de famille ou les chefs de la tribu, se complique progressivement et passe aux mains des prêtres. C'est ainsi que les intermédiaires entre l'Iiomme et les dieux participent quelque peu de la divinté, car la considération et le respect qu'inspirent les puissances invisibles rejaillissent sur leurs ministres. Le règne du sorcier commence. Et le sorcier c'est déjà le prêtre, car c'est parmi les sorciers que se sont recrutés les clergés.

Chez les sauvages, la condition principale pour devenir sorcier est d'avoir reçu de la nature ou d'avoir acquis par l'exercice de pratiques spéciales, une santé suffisam­ ment mauvaise pour se trouver aux confins de la folie. Chez les Patagons, on ne leur demande pas d'autres preuves de leur mission. L'épilepsie ou la chorée, suffi­ sent pour prétendre au sacerdoce! Les Chamans de Sibérie choisissent, pour les instruire dans leur pro­ fession, les enfants sujets aux convulsions. Chez eux, cette profession tend d'ailleurs à devenir héréditaire dans les mêmes familles, en même temps que les prédisposi­ tiens à l'épilepsie qui l'accompagnent. toujours. Il n'y a pas d'exception à cette règle. Quand le sorcier n'est pas épileptique, il s'applique à. en avoir l'air. Il se grise de bruits, de cris, de tournoiements, de narcotiques, jus­ qu'à ce qu'il atteigne au moins une sorte de folle mo­ mentanée. La rellgion est tellement en dehors de l'in­ telligence, qu'elle emploie tous les moyens pour la trou­ bler et la pervertir, non seulement chez ses adeptes mais encore chez ses ministres. L'apprentissage eu la pratique de la sorcellerie ne

sont pas une petite affaire. Nous venons de voîr que, chez les peuples sauvages, la fonction sacerdotale a tou­ jours des rapports étroits avec l'état morbide. Cet état est produit par divers agents qui, en contrariant les fonctions organiques, se traduisent par des troubles pathologiques qui sont attribués à l'influence divine. Le jeûne volontaire ou forcé joint à une foule d'autres privations et à de longues rêveries solitaires, sont autant de moyens qui contribuent efficacement à troubler les fonctions de l'esprit et à produire les visions extatiques. Les Peaux-Rouges imposent de longs et rigoureux

jeûnes aux garçons et aux filles dès l'âge le plus ten­ dre ; cette pratique est générale chez les tribus indiennes du continent américain. On la retrouve à Haïti où elle constitue la plus grande partie de l'éducation de qui­ conque se destine à la {onction de « boyé » sorcier magicien et exorciste. Chez les Malais, les Zoulous, les Antillais, mêmes pratiques concourant aux mêmes buts. Les indigènes de l'Afrique noire, de l'Océanie, du Brésil, du Pérou, du Mexique, du Canada, pratiquent également ces usages. Nous aurons une idée de l'état mental et physique des

pauvres diables soumis à ces procédés barbares d'ini­ tiation, en disant que la répétition de ces traitements cruels se continue jusqu'à ce que le candidat arrive à l'état de convulsionnaire, et mérite par là ta confiance

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de ses compatriotes. Or· cette confiance se mesure sur­ tout à la fréquence et à la gravité des phénomènes morbides et des désordres cérébraux que· produisent fatalement les pratiques. précitées. Les voyageurs et les explorateurs nous ont apporté une foule de récits à ce sujet, parmi lesquels il n'y a qu'à choisir. Nous pour­ rions multiplier les exemples. C'est dans cet état que les sorciers reçoivent I'inspi­

ration et prononcent leurs oracles, ou trouvent l'inspi­ ration nécessaire pour guérir les maladies et exercer les mystérieuses fonctions de leur ministère. Aux yeux des sauvag_es, le sorcier devient un être supérieur, doué de facultés spéciales qui lui permettent de se mettre en relations intimes et fréquentes avec les esprits. On le considère comme l'intermédiaire indispensable entre ce monde-ci et l'autre. La ëlistinction entre les cieux ordres de choses s'établit et se marque de plus en plus pro­ fondement par l'extension de l'influence magique con­ centrée· entre )es mains d'un petit nombre de privilégiés. Les sorciers qui ont tout .ntérêt à accroître leur pres­ tige accentuent encore cette destination. Les pratiques religieuses individuelles tombent en désuétude et la puissance du sorcier, seul, subsiste. Cette puissance qu'eux seuls possèdent finit par étonner les autres et provoquer en eux des réflexions d'un ordre nouveau. La vénération et la crainte qu'inspirent les divinités s'étendent aux êtres qui en sont les ministres et c'est ainsi, que peu à peu, s'établit la prépondérance des grands fétiches des magiciens attitrés. Les puissances clont ils sont les agents sél èven t clans

un lointain de plus en plus mystérieux et c'est de ce mystère que naît, petit à petit, l'impression qui finit par produire le sentiment religieux, dans le sens actuel du mot. Ce sentiment, à son tour, en se dégageant des autres, en se précisant par une distinction de plus en plus tranchée entre le monde des esprits et celui des réalités tangibles, engendre ridée religieuse, c'est-à-dire, la croyance à une catégorie d'êtres supérieurs à la nature qu'ils gouvernent et dont le pouvoir s'exerce par des moyens autres que ceux que peuvent mettre en œuvre les puissances humaines. Le prestige et le pouvoir des charlatans. sacrés croissent d'autant et leur puissance spiritue1le s'étend à toutes les activités de la vie des hommes en attendant de s'emparer du pouvoir temporel.

'Généralement Je sorcier croit à sa science et à son. art, et la sorcellerie n'a pas toujours son origine dans la fraude. Ce serait une grave. erreur de croire que tous les sorciers sont des imposteurs. Le plus souvent ils sont les premières dupes de leurs propres jongleries .. l'apprenti sorcier apprend de bonne foi _une 'profession qu'il croit digne de vénération et dans la suite, parvenu à la maîtrise, il continue à ajouter plus ou moins. de. foi à ce qu'il enseigne. Dans la plupart des cas, les. fidèles attribuent à l'effi­

cacité de la sorcelierie ce qui. est simplement l'œuvre de la nature ou l'effet d'une coïncidence heureuse. Pour les autres où .Ï'é,;énement cléjoJ:e- tcus l!3S ~q-i:til_èg~s, )e talent. rtu s.ôr't:ièr r-onsiste pi"~cisément à · 9-Jténuer, · à . ' .- . : ~- . " ... , .

force d'adresse et d'audace, la portée de ses insuccès., Ainsi, il s'exprime en termes ambigus de façon à se donner à choisir entre plusieurs interprétations diffé­ rentes. De plus, il multipliera dans la pratique, les observances minutieuses et il rejettera la rusponsab i litè des déceptions sur l'oubli ou la négligence de quelque formalité. Il lui est ainsi facile d'échapper dans une large mesure aux démentis cinglants· que les faits lui infligent. Il échappe à cette réfutation par le prétexte fort élastique d'un peu plus ou d'un peu moins. Un exemple : ceux qui croient à l'influence de la lune sur Je temps font observer que, si les changements · n'ont pas eu lieu à la clate précise, ils se sont du moins pré­ cédés ou suivis à deux ou trois jours de distance, ce qui leur donne une latitude de six jours sui· sept! De tout temps ont existé des chape! les, plus ou moins

remplies d'ex-voto offerts par des personnes reconnais­ santes ayant vu Jeurs vœux exaucés. Les desservants de ces chapelles ne manquent pas d'en tirer la preuve de la puissance de leur dieu eu de leur saint. Mais qui dira le nombre de ceux qui n'ont point vu leurs prières. accueillies? Malgré cela, les fidèles n'en demeurent pas moins convaincus de l'efficacité des vœux. Une fois de. plus, en cela comme en bien d'autres choses, les absents ont toujours tort! Pour affirmer que les sorciers sont tous des impos­

teurs, il faudrait aussi expliquer comment ils pourraient s'être élevés au-dessus des croyances de Jeurs contempo­ rains. En admettant la chose pour quelques-uns il con­ vient toutefois de faire des réserves pour les autres, car· l'observation prouve que l'esprit humain et surtout celui qui ne ccnnaït pas de méthode critique, contient des trésors de bêtise. Comment, en serait-il autrement clans des intelligences où la limite clu raisonnable __ et de l'ab­ surde n'existe pas, puisqu'elles sont également incapables de comprendre et d'expliquer l'un ou ]'autre? Où auraient­ elles appris a faire la ~différence entre ce qui est possible et ce qui ne l'est pas? Cette dist.inction ne peut exister en dehors d'un développement scientifique- qui en· four­ nisse les bases. L'absurde, qui ri'ex iste · que par sa con­ tradiction aux lois constatées par· l'intelligence humaine, est un mot vide de sens pour qui, comme le sauvage, ne soupçonne pas l'existence de ces. lois, aussi bien que pour le déiste qui suppose à côté et au-dessus cle .l'intelligence humaine, .une intelligence divine qui se trouve; elle, pla-. cée en dehors de toute· loi.

II

La croyance à ia sorcellerie est unherselle, Elle (~St, singulièrement répandue tout 'aussi bien chez :1es races,', dites inférieures-que parmi les -ignorants des races,- dites: supérieures. L'.Àfri.que ·noire nous. présente l'image des fÔrmes que.'

peut affecter; chez des peuplades peu civilisées, l'in;tit,u- 1

tion sacerdotale. Ici, la ·sorcellerie· est ·une. -profession - libre"; là," existe ··déjà une hiérarchie. Généralement· le· sorcier; cumule la, médecine, · la prédiction du ·temps, I'in-. terpréfatirn __ des, songes, la découverte de l'i:1.venir, la

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les ·offrandes et .les aliments dont ils entendent s'arroger l'usage. Toute violation du tabou entraîne la mort, et la levée de l'excommunication donne lieu à d'innombrables et minutieuses cérémonies purificatrices.

Chez les peuplades cle la Sibérie, le pouvoir spirituel est représenté par les Chamans, prêtres sorciers. Ceux­ ci ne prêchent pas. des dogmes compliqués, mais ils s'en­ tendent à merveille à exploiter l'ignorance et la teneur qu'ils inspirent. Ils constituent des familles sacerdotales fort révérées et pour entretenir leur pouvoir, ils usent de tous les moyens qui peuvent faire croire à leur in­ fluence surnaturelle. Adroits faiseurs de pluie habiles. vendeurs d'amulettes, ils simulent comme les fakirs hin­ dous' des mutilations corporelles. Ils se transpercent vo­ lcntiers de coups de couteaux qui ne leur font pas plus de mal que ceux que se donnent les illusionnistes de nos. music-halls et on peut les voir se trancher la langue, plusieurs fois de suite, sans que ces mutilations les· empêchent de se livrer aux hurlements forcenés dont" ils accompagnent leurs danses. La clémence, d'abord arti-, ficielle et intermittente, devient finalement leur état

Ainsi organisé en classe et armé de pouvoirs multiples normal. Renforcée par l'éducation qu'ils reçoivent et. ~t redoutés, le clergé africai n arrive en certaines régions par une préd.sposition héréditaire à la névrose, la folie a un très haut degré cle puissance. A Wida, le grand les étreint tous. Ils inspirent une ,crainte superstitieuse prêtre commande à divers collèges, domine le peuple et le aux nâèles qui croient fermement à leur sainteté et roi lui-même. A Fernando-Pô, le pontife suprême donne appréhendent leur puissance. Les sorciers des Innuits l'investiture aux souvcra ins. Le « Chitomé » du Conao ou Esquimaux ne diffèrent pas des Chamans sibériens.

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realise l'idéal des ponti l'es de Rome. Sa demeure est C'est par des lnTiiations semblables et par des exercices. sacrée, son autonomie absolue, son autorité sans limite. équivalents qu'ils acquièrent leur savoir et leur empire ..

i les puissants, ni les plébéiens ne· discutent ses ordres· Dans toutes les tribus indigènes de l'Amérique, du, il. frappe 'et punit à son' ·:g-ré. Les gouverneurs sont .nom- nord au sud, le jeûne prolonge, les macéra Lons cruelles, rncs par lui, et le _plus grand honneur que puisse obtenir et exténuantes, l'abus ries drogues enivrantes sont les. un haut personnage est d'être- piétiné par le « ·chîtcmé ». moyens les plus en usage pour atteindre à la sainteté. Une dîme très forte lui est "réservée · sur tous les biens Ces pratiques constituent les conditions o rdinai res em-. meubles et immeubles de son pays. C'est un dieu vivant ployées. par les sorciers clu Nouveau Mondé, pou!' se qui est craint et servilement· obéi' pal' les· croyants fana- mettre en rapport avec les « esprits », dont l'homme tisés. Au-dessous de ces hauts sacerdoces.' il y à Je· même a peuplé la terre, et acquérir les pouvoi rs magiques qui fretin des sorciers ambulants· qui font, à. travers les pays, donnent la puissance. A côté de ces prêtres déjà re- des tournées plus ou moins tructueusss. ·. · cloutés cles tribus sauvages, le Nouveau Cont.nent a En Polynésie, certaines tl'lbtis ~.dm~ttèÏ1t "1a iiberté. clu C0)1hU des organ isat ir ns sacerdotale~ . \'l'aiJ1:1ent achevées

sacerdoce ,· est· sorcier qui ,,·e ·t· · ,.1 · . .- avec officiants, sacrificateurs, confréries régulières, ves- . . li ' JJOUl'VU qu J puisse JUS- . . . ' • • . .

tifier sa· vocation No' u s avens 1 1 t ·. 11- t tales, participant a des ceremomes pompeuses. Au Mexi- < • · « vu, p us Ld.Ll , que es son · • · . · .

les· co11ct1·t1·011s requises hez les · · . 't 1-. que, le grand prôrre sacrait les empereurs. -Ll . y avait- . c sa1:1vages, pour pre encre . . . . · · au ·droit d'exercer le sacerdoce A T. ·h.·t·· _ N , 11- _ des vierges sacrees a Izamal, clans le Yucatan çomme ~ . a 1 1, en ou, e e . . . -. . . . . . . , . . . Zélande l'autorité ·civile s'est arrôué .les fonctions sacrées. Ji y en avait a ·Cuzco (Per01.1). L empereur Inca étart A' Tohga, mi. grand prêtre. comm:ncie à to~Ùé là hi éra r- le chef cle la hié1?rchie civi le, militaire et te]!gieuse,. Chie 'sacerdotale. Ces sorciers président · aux sacriftces, rn_ais '. il_ reconmri~s.~_i_t l'_aut,orité Suprême du souverain règkirl.t•'les'._'·èé1·émoriies religieuses, participent ·aux. 'rites, P?ntife résidant c!;l~S _la_ \ïlle sau~t_e: Les _I?l'êtl'eS pé_nl~- font1. :dé là' m:édecine. Mais · ils usent' au surpfus 'd'une :'lei~\ \l~rnnçant .'.~a,s_ ~u1:es dai:is la YOl~ cl~ 1·~- tl:~~P~_?-~t.e, at'rtle';s1'Jiritûelié,::··eori1paràble . à 'l'üifei.;dit '<e( 'a J!°eXCOl1"1-· fahï'iquaient certaines pat?.s et ·Ce1itames l_1qu~U1'S· 'dfü?JC-1'.1t_ m~niè/:tfiofr.: cles::papes_' cafholiques," r<Yest Je:·« tI1bo~1-\; CJ.ll:Î !)M1ïf:~, :qu'ils_"··~fa-ï~_aieï~-~ -~\1alel' ... a\L.'( -~êfèles::· ~~~s': !'Uil~;~ .. frappé· tëus-Iestobjets dont les 'cheîs'i et te· ;l,·f·é '·eÜ: 11~1Jh1enses-des1,t.empl'eS ((lll ·COUVJent lAnahu_ac; le !uca-· , S ple I S \ r-•, ,' ••. p• . , r~-··· .. 1. r,. , •. w,-.:_i.,• r T ,:" le~ntr,

8-.,..,,. '§' ·•--r,1·'-- r~' .;, .·.·, ,., .. , -:· ,-.·····r· ... ·:, ...... r.-· tan la Col0i1'!~1ie:TJe erou montrent a"plaee·1·ujportantt,'

· ·1::' ·re erv-er., u ~·Jouissance exclusive." A:"·Hawar,' a ' • . ' . . .. . . . · Tong1a·,J.:· à ·'Fahitr:;: ·~.h 'Aûstralié,' · en Not.i~eiiel2:élan'de · Jïés q.u,e; i .tena.fünf.aioo1s sles ::n1on~t~s-,,·a:2teqt0:e, riYa.iyaf :ttl.ücHrê ~t. poiitiffü;" 'èh·c16nnèù't 1è',:tabou· et 'mettent ; Joli/; u~-i'' tei~lp~ iméa,,.j1!Jes -~nii1fliisrt;:J ·es "des g'ra11'(lêS'..:·: 1·eJ,rg_ïons r·_:an'lëf'fü~i-~'M/_: phrs i 'ôùi; ~moi-h's rni-ig·/) sous' ïa: ~-èpencia11c1 · a•Afo1.1a,'')à'.fah · "t:iiIÜl-bf)e !ji:Jt ·1i'.Ks_il/''ô'iit" · cci5nun 'Ji fonfrài-s~eNf _ è'111dg,\f des~ têi-iehrè's";t, lés ~êfrb's; les. 1'd'ol-es/: fos ·a:l·n1ei, 'ies·" cibJets tci"i.~'t'éY i··t&~ fcW'tné's_i1éjhé "nôµs·'-~110lti(J-e 11S'a_s~~/i err1 ré{i{i'ê'.') US'll'é]§};":res fèê'0Îlé'sf éet'faFfrés }Jl:'l,i:lies( citi':11ia.fs) et-! Sl~rtcfùt'' Ih'1'hs j,î"it·Hü'cfl?~'iEgfptd;''T~'s1llcJiêl.{-t'"1P1~ï1Bm1.Yila]J)if0 at\1qüWI!

_::--7!U_::-

recherche des objets perdus, l'exorcisme, avec les · prati­ ques du cu l te. Il arrive également qu'à chaque fonction est attachée une classe de prêtres spécialisés, qui a son 110m particulier et son rang -dans la hiérarchie sacrée. Ceux-ci ont atîa i re aux météores, aux orages, à la pluie; ceux-là, à la sécheresse, aux ennemis de l'agriculture. Les uns jettent des sorts, consultent les oracles, font retrouver les objets perdus et les animaux égarés; les autres protègent les chasseurs et les pêcheurs, préservent les guerriers, assurent la victoire. Certains fabriquent les talismans, les gris-grts, sacrifient aux fétiches, évoquent les âmes des trépassés, purifient les maisons hantées. La naissance, la puberté, le marlagc, la. grr ssesse, les mala­ dies, la mort ont leurs magiciens attitrés. li y a aussi les prêtres accusateurs et juges et ceux qui dansent, chan­ tent et hurlent en l'honneur cle quelque divinité. Cette division clu travail, en classant les esprits par catégories, prépare la transition entre l'animisme diffus et le poly­ théisme. Elle assure à la caste sacerdotale une prépondé­ rance et une autorité quasi absolue clans la. société civile.

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venaient s'ajouter les rois dévinisés réclamaient une foule de desservants. Plusieurs cultes, plusieurs dieux rivaux exigeaient le concours d'une multitude de servi­ teÜrs sacrés, tcus nourris · aux frais du peuple, tous exempts de l'impôt et des servitudes militaires, tous soustraits au pouvoir civil, sauf à l'autorité royale qui s'était tout simplement attribué le caractère divin. La vie égyptienne était dominée par la pensée constante de la mort et par les soins et la vénération des cada­ vres. Elle obligeait l'homme à une foule d'observances minutieuses, source inépuisable de profits pour les prê­ tres qui réglementaient et acccmplissaient les cérémonies funèbres : embaumement des corps, décoration des cer­ cueils, des tombeaux, des chambres funéraires, etc., etc ... Toute la vie égyptienne était sous la main des collèges sacrés. Le sacerdoce disciplina la royauté, n'abdiqua ja­ mais, même aux pires époques, s'imposa aux Pharaons et gouverna toujours la nation. C'est pour échapper au joug des pontifes d'Osiris que Mena transporta la royauté à Memphis où ses successeurs furent aux prises avec les prêtres de Phtah, Entre le 17• et le 12' siècle avant notre ére, le cléricalisme égyptien détruisit de fond en comble, l'édifice élevé par la monarchie thé­

•baine. Lorsque le pharaon de la 18" dynastie, Amenho­ tep IV, essaya de s'affranchir de la tutelle des prêtres d'Ammon, en tentant de simplifier la vieille mythologie, les prêtes déchaînés fomentèrent une guerre civile qui dura 32 ans. Sous la 20· dynastie, les prêtres égyptiens avaient envahi toutes les hautes fonctions, et finalement le cbef des prêtres d'Arnmon déposséda le pharaon régnant et ceignit la couronne. Que le sacerdoce soit identifié ou subordonné au pouvoir civil, qu'il lui soit allié ou étranger, partout et toujours il a réclamé pour lui-même et la direction sociale et les· bénéfices de la puissance absolue. Ses luttes, ses complots, ses triom­ phes, ses défaites ont rempli la terre de querelles, de persécutions et de sang. Pendant les successives con­ quêtes de l'Egypte par les rois de Syrie, d'Assyrie, de la Perse, par les armées grecques et romaines, le clergé égyptien, ignorant ces vicissitudes, garda ses privilèges et ses richesses. Il résista cinq siècles à la pénétration chrétienne, et il disparut enfin, victime de l'avidité des évêques, des fureurs des ascètes et des brutalités de l'empereur Théodose. En Assyrie, la royauté écrasa le sacerdoce pour s'en

faire un instrument, mais l'autorité des mages n'en fut pas moins puissante pour cela. L'histoire nous les montre, assistant aux côtés du maître à toutes les cérémonies et à toutes les processions triomphales. Chez les Isréalites, les lévites, serviteurs du coléreux

Iahvé, ne réussirent pas à s'élever au-dessus des rois, mais le grand prêtre fut toujours en droit, sinon en fait, lft. premier personnage de la nation juive. Aussi loin que l'on remonte dans le passé des races

indo-européennes, on trouve le culte ccnstitué dans la famille ou dans la tribu et desservi par un véritable clergé. Le père ou le roi offre le sacrifice aux divinités, mais ce sont les différents prêtres qui prononcent les

hymnes sacrées et règlent l'ordre des cérémonies, Quand on connaît l'importance attribuée citez ces peuples au sacrifice et à la prière, on ne s'étonnera pas que, fina­ lement, la caste des prêtres prit la première place. Le brahmane, l'ascète, s'établit au-dessus de toute loi et de toute riva.lité, il exige des guerriers et des rois, des mar­ ques de respectueuse déférence; quant au reste de la population, il ne compte que pour le nourrir, l'enrichir et lui servir de paillasson! La réforme tentée par Bouddha avorta parce qu'elle s'adressait à des popula­ tions veules, aliruûes par des siècles de domination théo­ crat.ques. Ses prêtres, malgré la pureté morale et la douceur cle la religion bouddhique, n'ont guère été moins funestes que ceux de l'Indochine, de la Chine et de la Mongolie. Evoquerons-nous le Lamaïsme, théocratie absolue qui a couvert le Thibet de couvents pleins de prêtres, de moines, qui vénèrent le Dalaï Lama, dieu vivant. En Perse, après la mort de Cambyse, les mages ten­

tèrent de s'emparer du pouvoir. L'ambition, la soif de la puissance temporelle sont partout la vraie raison d'être du pontificat! En Europe occidentale le druide continue le mage et

le sorcier. Dispensés clu service militaire et exempts de toute autre charge, ils règlent les choses du culte, inter­ prètent les traditions sacrées et instruisent la jeunesse. Ils sont juges et géomètres. Ils interviennent le plus qu'ils le peuvent dans la vie des individus et clans la conduite de la scciété. Comme les sorciers de l'Océanie ils usent de I'a nme redoutable cle l'interdit, et les malheureux excommuniés sont abandonnés de tous. Au­ dessus des druides, il en est un qui a sur les autres pleine et entière autorité. L'initiation et la science des druides sont secrètes. Strabon mentionne parmi eux trois classes. Les druides tenaient la jeunesse riche par l'éducation,

les pauvres par l'ignorance. Au nom des dieux, ils avaient mis la main sur la justice, et leur pouvoir spirituel s'arrogeait le droit de diriger à la fc is les affaires privées et la vie publique. Il n'y eut jamais, à proprement parler, de caste sacer­

dotale en Grèce. L'autorité du sacerdoce de Delphes fut plus morale que religieuse. La mythologie grecque a pu sans obstacle s'étendre et se compliquer au gré des fan­ taisies-1ocales, des relations internationales et même des conceptions philosophiques. Ce fut une avalanche de dieux, de déesses, de personnificatic ns des phénomènes célestes et terrestres, de divinités : de tous genres. Nulle part la vie religieuse n'a été si intense, nulle part les prêtres n'ont eté si nombreux et chargés de fonctions si diver­ ses. Malgré cette ingérence constante des prêtres, la Grèce fut Je seul pays où l'idée théocratique a eu le moins d'emprise. La multiplicité des dieux, le morcelle­ ment du territoire par tribus, par cités, par colonies, la laïcité du , prêtre qui ne cessait · jamais d'être un citoyen astreint aux obligations civiles et militaires, la libre recherche philc sophique furent autant d'obsta­ cles, à la constitution d'un pouvoir spirituel prépondé-

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rant chez les Hellènes. Les prêtres grecs furent des conseillers plus ou moins sévères, mais leur caractère sacré ne leur conféra jamais aucune suprématie sur leurs concitoyens.

En Italie, le sacerdoce débuta par le culte pnve des mânes, des lares, pénates et génies. Chaque tribu, cha­ que fédération ava it en plus, son culte public. Sous les .rois, l'orgunisation sacerdotale cc mprenait quatre grou­ pes distincts, et le groupe des clergés attachés aux dieux de l'état. était sous la direction des souverains, suppléés par le pontife principal. Ils exercèrent sut· la plèbe superstitieuse une autorité sans bornes, et clans la suite, les empereurs s'arrogèrent le souverain-pontificat. Ils participèrent aux plantureux bénéfices du clergé romain tout en faisant de la religion un instrument politique. L'histoi rc du sacerdoce chrétien déborderait le cadre

de ce travail. Nous la résumerons succinctement. On ignore les noms des premiers pasteurs qui gou­

vernèrent le faible troupeau des premiers chrétiens et il faut attendre jusqu'au rx" siècle, pour que se réunisse le premier concile œcuménique (Nicée 325), chargé de faire disparaître les divergences doctrinales entre les pasteurs. Il fallut encore plusieurs siècles pour que l'évêque de Rome devienne une primauté sur les autres eveques, qu'il prétende gouveruer la terre entière et réclamer la direction complète des âmes et des corps en joignant au pouvoir spirituel le pouvoir temporel. Le désordre épouvantable jeté dans le monde du Moyen Age et dans le monde moderne par les rivalités et la rapacité des ordres religieux, par les fureurs sanglantes des guerres de religion, par les massacres des Albigeois, des Mexicains et des Péruviens, par la férocité de l'inqui­ sition, par le cè1ibat des prêtres et les subtilités morales du Jésuitisme, par les ambitions théccratiques de la papauté, par les doctrines de l'obéissance passive et du renoncement, par la confession et les vices des ordres religieux prouvent les méfaits de cette institution, mé­ faits qui ne peuvent être contrebalancés -par tes services relatifs rendus aux malheureux, ni par les vertus indi­ viduelles de quelques rares apôtres ; vertus que l'on retrouve d'ailleurs chez les adeptes d'élite des autres religions. Nous nous contenterons de marquer les traits qui ratta­

chent le clergé catholique à la série des clergés que .nous avons passés en revue. Tcut comme le sorcier afri­ cain le prêtre chrétien interprète la volonté des dieux, parle et commande au nom des puissances surnaturelles. Comme le prêtre péruvien, il consacre des pâtes et des liqueurs, et, autant que le mage perse, il fait descendre la divinité sur l'autel et il la consacre clans l'offrande que viennent dévorer les fidèles. Il est magicien, et croit à la sorcellerie. Il a peuplé le monde d'êtres surnatu­ rels, anges, démons, intercesseurs divers qui font les courses de la divin ité et sont les commis-voyageurs des crr yants. Le prêtre croit aux talismans, aux amulettes, aux g-énuflexions, aux gestes rituels, aux paroles sacrées. Il conjure les esprits et pratique l'exorcisme : les cris

de souffrance des pauvres diables accusés d'être possédés par Satan, et sacrifiés par la magie orthodoxe de Dieu,' retentissent encore à nos oreilles ! Comme le druide ou le féticheur océanien, il excommunie les mécréants, brûle les livres mis à l'index et jette l'anathème sur les savants et les travaux hétérc doxes. Bref, il -n'a pas une parole, un geste, une façon de penser ou d'agir qui le différencie de ses devanciers dans l'histoire. Mais cette ressemblance avec ceux qui l'ont précédé ne s'arrête pas là ; elle est plus profonde qu'on ne le croit et l'on peut hardiment affirmer que l'assimilation faite entre le prê­ tre chrétien du 20• siècle et le faiseur de pluie du centre africain, ne se borne pas à des ressemblances extérieures, ni à des pratiques rituelles analogues. Elle est essen­ t'ellemen t psychologique et, prêtre et sorcier sont l'exacte réplique l'un de l'autre à tout point de vue : physique, moral et intellectuel.

III

En effet, qu'est dcnc le prêtre chrétien? Sinon un être humain avec des sens, un sexe, un cœur, un cerveau, une conscience. L'homme ne parvient à la plénitude de son existence que lorsqu'il peut laisser s'épanouir ses facultés naturelles. Sa vie a pour base la vie de la raison, Ja vie de la conscience, la vie du sexe. Le prêtre entend parvenir au sommet de sa vie par une voie opposée, en annihilant, en contrariant toutes ses facul­ tés. Pour dominer l'existence, il la déserte ; pour être pur, il se veut anormal; pour être fort, il abdique sa puissance. Si son initiation au sa.ceraoce n'exige pas la pratique des cruelles coutumes de ses confrères en magie sacrée des pays sauvages, elle n'en reste pa moins une besogne d'émasculation de dévirilisation in­ tellèctuelle, morale et physique, qui l'amène à un état équivalent de celui des féticheurs ctes peuplades pri­ mitives. L'enfant destiné au sacerdoce est pris dès le com­

mencement dans les rêts d'un fiiet habilement conçu. · Dès le début, au premier jour, on s'efforcera d'arrêter net et de paralyser l'épanouissement de toutes ses tendances. Une Jente mais courte besogne étouffera chez le néophyte tout ce qu'il pourrait ressentir de spontané et de fort. Et on Poussera la duplicité jusqu'à Je faire rougir des sentio1en.ts de l'esprit et du cœur, quand ils demanderont à éclore. Avant tout le futur prêtre doit être un décérébré :

avoir un cerveau, c'est avoir la possibilité de penser, et penser c'est critiquer, raisonner, édifier, c'est surtout vouloir vivre pleinement. Un cerveau peut se reprendre, se rejeter dans l'existence, batailler pour un idéal, créer une vie con.forrt1e à ses besc ins, à ses désirs, à ses espoirs, se révolter .et briser ses chaînes. Ce sera donc sur cef organe que les éducateurs porteront leurs efforts les plus destructeurs. Il faut anéantir ou du moins violenter le cerveau de telle sorte qu'il ne puisse jamais plus fonctionner avec sa vigueur première. Pour suppléer à l'absence de pensée, on lui imposera la foi, c'est-à-dire l'obligaticn de croire aveuglément aux ensei-

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gnements du séminaire. Seule, la doctrine de l'Eglise représentera la Vérité. Et commencera alors un viol systématique de la raison . et de la vérité. Avec un peu de science - juste ce qui est nécessaire pour figurer honorablement dans les salons - l'histoire, la morale, la métaphysique que professent ses maîtres, conjugués avec de puérils exercices de piété et des macérations reli­ gieuses, seront les aliments offerts à ce jeune esprit. On ne lui demandera pas de comprendre mais d'accepter, de retenir, de répéter l'enseignement de ses initiateurs. Comprendre est une souillure, raisonner un danger, mais croire sur parole, même si c'est absurde, c'est être pur, c'est se rapprocher des conditions idéales pour atteindre à la sainteté. Une déforma,tion générale de l'aspect <!t uu sens de la vie se poursuivra patiemment. D'après la doctrine chrétienne, la terre est un lieu d'opprobre et de péché ; la nature est maudite, la chair est impure. Seul le paradis, séjour divin est le lieu parfait: L'homme est composé de deux parties : d'un corps périssable, matière vile et passagère, et d'une âme immortelle, émanation divine. L'humanité comprend deux groupes : l'un, celui des fidèles qui possède toute la vérité ; l'autre, celui des mécréants en qui réside toute l'erreur. La conclusion s'impose d'elle-même. Pourquoi chercher à vivre, puis­ que nous sommes sur la terre comme des étrangers, que notre vraie patrie est le ciel et que quelques courtes années d'exil et de misères nous en séparent? Pourquoi nous ·efforcer d'enrichir notre cerveau ; pourquoi la science, le travail, l'action, puisque le néant est au bout de nos efforts et que nous ne sommes que pour­ riture? Pourquoi soigner nos corps, pourquoi la sen­ sualité, le désir, l'amour, puisque la nature est une tromperie, et la vie un châtiment? Pourquo: chercher à connaître, pourquoi raisonner et poursuivre la re­ cherche d'une vérité illusoire alors qu'il n'y a pas de vérité en dehors de Dieu et que tout ce que nous devons savoir nous a été révélé et se trouve inclus dans le dogme?

Après des années de cette culture, il est rare qu'elle n'atteigne pas son but. Elle a formé l'outil qu'elle vou­ lait. Le novice a l'âme suffisamment émasculée et polluée; ses liens avec le monde sont presque nuls, ses énergies vitales brisées, son cerveau atrophié, son enten­ dement deformé. Il n'est plus un homme distinct, mai un simple membre, sans individualité propre, dans 1e troupeau des gens d'Eglise. L'instinct et l'intelligence ne vivent plus en lui que d'une vie trop ralentie pour que ses maîtres aient à en redouter quelque éclat. L'Eglise use de ses armes ; pour toutes questions, elle tient .prête une réponse à ce point enveloppée d'abstractions que toute capacité d'intuition personnelle s'engourdit à essayer de la résoudre. A l'issue de l'initiation le prêtre n'est plus un être normal. Il est devenu Ûn organisme artiü­ ciel, dont le fonctionnement va cornmencer dans la so­ ciété humaine. Mais l'Eglise ne se contente pas de la discipline clu

séminaire pour imposer sa volonté à ses ministres. Pen­ dant toute sa vie elle maintient le prêtre dans une

servitude rigoureuse. Et cet homme aura pour mission de présider aux destinées spirituelles des hommes. Lui qui n'a ni science, ni liberté, ni facultés humaines nor­ males se présentera comme le dépositaire de la Vérité, comme J'éducateur par excellence comme l'apôtre, l'é­ claireur, le guide indispensable. Ce sont ces gens uni­ quement bourrés de latin et :i;: s e icncc religieuse, c'est­ à-dire des élucubrations des saints, des spéculations des pères, des homélies et des décrets des conciles, qui sont chargés d'enseigner la science qu'ils méprisent et haïs­ sent. Conçoit-on quelle dèformat.on leur enseignement fera subir aux découvertes positives du savoir moderne, et la puissance d'induction et de déduction que possè­ dera un es pri t formé par une méthc de d"éducation simi­ laire ~ celle du séminaire? Ces prêtres fermés à toute vérité, prétendent l'enseigner aux autres et débutent en essayant de concil ier le eu.te des mythes avec l'exposé cles acquisitions scientifiques du siècle. Mais il y a mieux encore. Ces prêtres dont la vie est un verpétuel vie! des lois de la nature, s'immiscent dans la vie privée des individus normaux, veulent codifier l'union des sexes et mettre des barrières à l'amour! Ils prétendent au sur­ plus réglementer la vie tout entière des hommes; de la naissance à la mort, ils les ligotent dans un réseau serré de défenses, de tabous, d'obligations morales, ri' in terdictions de tous genres.

Non contents d'exercer une tutelle continuelle sur l'in­ dividu et de convertir, par l'éducation et la terreur de l'enfer, la majorité des humains en nonsnornmes de pâte sans pensée ni volonté, ils exigent des fidèles l'obéis­ sance passive et la résignation à leur sort. Par· l'espoir d'une vie future, meilleure que la présente, par la croyance à un paradis inexistant où toutes les misercs et les douleurs de ce monde seront dédommagées avec usure, ils maintiennent les masses pauvres dans l'es­ clavage, perpétuent le salariat, justifient l'explo.tation de l'homme par l'homme, et favorisent la servitude intellectuelle et morale des 9/10· de leurs fidèles. Puissamment organisés, intelligemment groupés, solidai­

res les uns des autres, les gens cl'Eglise forment une so­ ciété dans la société et tentent partout de conquérir le pouvoir civil. Par l'or, la parole, l'écrit, le cinéma, par l'enseignement, la presse, la. radio, ils propagent leurs idées, répandent leurs dogmes, exaltent leur idéal, leurs croyances camouflées et adaptées aux nécessités de l'heure. Leurs créatures, sinon eux-mêmes, intriguent et complo­ tent, envahissent l'armée, le parlement, la police, la magis­ trature où ils arrivent à commander en maîtres : combien d'emplois rémunérateurs et de places importantes ne se donnent actuellement sans leur aveu et leur influence? Ils s'insinuent partout, tâchant de s'emparer à tout prix des leviers de commande des pays où ils se trouvent, n'ayant qu'un but : organiser la société civile à leur pro­ fit, rétablir la domination de la théocratie, diriger le peu­ ple et ses conducteurs, réaliser l'idéal autocratique de la papauté, car, « les lois civiles sont soumises au pape ; elles ne tiennent que de lui la force d'obliger et en aucun cas le pontife romain ne peut et ne doit se réconcilier

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ni transiger avec le progrès, le libéralisme et la civili­ sation moderne ». (Syllabus, Art. 19, 20, 80).

IV

Le sace rdoco constitue au sein de l'humanité une vaste famille où se succèdent et coexistent des groupes, des gen­ res, des va ri étés sans nombre, toutes - reliées par un caractère commun : la prétention de servir d'intermé­ diaire entre l'homme et les puissances surnaturelles. C'est dans cette prétention que réside le fait capital d'où pro­ cèdent tous les actes sacerdotaux et. qui persistent à travers toutes les différences de climat, de régime social .et politique, de culture intellectuelle et morale.

Que le sacerdoce scit accidentel, intermittent ou dura­ ble; qu'il soil conféré à la suite d'une initia tion plus ou moins ba rbu ro , décerné par une élection ou imposé par la rbi t raire d'un despote; qu'il soit privé ou public, domestique ou national, associé ou hostile au gouverne­ ment civil, détenteur des cieux pouvc irs ou attaché aux familles puissantes, aux castes dominantes, il demeure pa,·tout et toujours semblable à lui-même en ceci qu'il parle, agit, commande, condamne, absout, promet et sur­ tout reçoit au nom de la divinité. Rien, ni dans le temps ni clans l'espace, ne lui enlève cc caractère. Le sacerdoce est aussi le parasite par excellence. Il ne

vit et ne peut vivre que d'autrui et sur autrui. Il est contraint pour assurer son parasitisme, d'explc iter les plus tristes défaillances et les sentiments les plus bas des puissants et des pauvres. Chez ceux-ci la crédulité sans iborne, l'ignorance profonde, la cra inte et la douleur; chez ceux-là, l'orgueil, la ruse, la rapacité, l'égoïsme absolu, la vanité imbécile, l'outrecuidance bête. Un seul principe le guide : l'instinct de conservation. Tout son art, toute sa science consistent à se rendre utile aux faibles et indis­ pensable aux forts. Il impose aux uns son appui et apporte aux autres son concours et il partage avec le vainqueur les dépouilles du vaincu, quand il ne peut se les approprier tout entières. Le sacerdoce a apporté à l'humanité la plupart des

maux qui ont troublé sa vie collective et sa vie indivi­ duelle. Sa nocivité résulte moins de sa forme spirituelle que de sa forme temporelle. Si les religions ont déchaîné tant de luttes, si elles ont inondé le globe de sang et de larmes, c'est plus parce que les clergés ont toujours r1·ôtonau survivre à leur milieu natal que par la nocivité des dogmes eux-rn.êmes. Toute religion se compose de cieux parties : la théorie et la pratique, la métaphysique et le rite. La première contient une conception particulière des conditions d'existence et du gouvernement du monde. La seconde varie en raison même des croyances relatives aux origines : animisme, fétichisme, poly eu monothéisme et détermine les rapports du monde et ceux de l'homme avec la divinité. Si la religion résume les illusions des hommes, elle

leur rend surtout l'immense service de les dispenser de comprendre et de vouloir, grâce à la facultè de rem­ placer les dispositions intellectuelles et morales par des pratiques tr ut extérieures. Un autre avantage de ce

procédé est de déplacer le centre de la puissance divine et de la ramener tout entière entre les mains des prêtres. En donnant aux formules, aux cérémonies, une impor­ tance suprême, ils font de l'apprentissage du sacerdoce une étude longue et difficile ; ils excluent des fonctions sacrées tous les profanes ; ils fondent la caste sacerdotale en faisant de celle-ci la dépositaire .unique des. vclontés divines, en s'attribuant à eux seuls le drc it de connaître et de formuler les prières efficaces, d'exécuter les rites prescrits et les cérémonies expiatoires; ils prennent en réalité le gouvernement du monde et se placent au-dessus des hommes, au-dessus du dieu lui-même. Maîtres du ciel, ils veulent aussi être maîtres de la terre; tout doit plier devant eux. Les rois eux-mêmes ne sont que les instruments de leur toute puissance. C'est ainsi que s'af­ firmera la théocratie qui a, partout, supprimé le progrès au profit des· prêtres omnipotents. Un jour vint cependant où des hommes ont observé ce

que leurs yeux pouvaient voir. La science exista alors et l'intelligence humaine commença à concentrer son atten­ tion sur les faits et à rassembler en un faisceau toutes les notions connexes. Elle établit entre ces noticns une sorte de hiérarchie logique de principes et de consé­ quences, qui, en s'étendant progressivement élimine ou transforme les notions contradictoires et divergentes. C'est ainsi que se construisirent les théories scientifiques par voie de généralisation et de déduction. Dès lors, des hom­ mes se sont aperçus que certains spectres n'avaient vrai­ ment aucune réalité. et l'humanité a commencé à voir la lumière du jour, la lumière de la liberté intellec­ tuelle.

C .. ALEXANDRE.

Quelques évêques français, vers le 12 avril, après six se­ maines de sécheresse désastreuse pour l'économie agricole, out décidé de faire des prières publiques pour implorer la pluie, mais en spécifiant que par convenance religieuse les prières ne com­ menceraient qu'après les fêtes de Pâques.

UN PROJET DE CONTROLE DES ENTREPRISES

Au banquet du 25 mars, notre camarade Vivant, du groupe des J. E. U. N. E. S., nous a exposé un « plan de contrôle des entreprises de production et de répartition ». Vivant constate que les entreprises, considérées dans

leur ensemble, vivent de plus en plus difficilement. Il estime que l'entrepreneur (1) aurait dès aujourd'hui, dans bien des cas, intérêt à se contenter d'être le gestionnaire de son entreprise, plutôt que son propriétaire. ' Mais i'l ne peut douter de la répugnance des entrepre-

(1) Nous désignons par 1!' terme d'entrepreneur tout chef dent reprisn industrielle ou commerciale.

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neurs à tout transfert gratuit de propriété, même d'une propriété qui, dans les conditions économiques actuelles,

- ne leur apporte que des charges. ·or, il est évident qu'il ne faut pas songer une minute au rachat des entreprises par la vc ie budgétaire. Comment donc procéder graduel­ lement à ce transfert sans provoquer les résistances des entrepreneurs ? C'est à la solution de ce problème que s'applique le système préconisé par Vivant et ses amis des J. E. U. N. E. S.

Ce système est un système de contrôle appliqué aux entreprises par des équipes bénévoles. Le contrôle devra, autant que possible, être institué par la persuasion, et Vivant croit que beaucoup de chefs d'entreprise y con­ sentiront parce qu'ils y verront un intérêt. Le but final est le rachat de 'l'entreprise par un procédé non budgétaire. Le contrôle sera exercé par une équipe locale de J. K

U. N. E. S. qui apportera aux entreprises contrôlées « l'appui d'une collaboration de tous les instants, l'appui « de ses études techniques, et, ce qui est plus important « encore, le •bénéfice ù'une coordination à éianli , entre « elles ». L'équipe se proposera notamment la création de Syndicats de consommateurs; le recensement des entre­ prises et teur ·acceptation du contrôle; le recensement des consommateurs à canaliser vers les entreprises contrôlées et ce, par tous les moyens de propagande possibles (mee­ tings, journaux locaux, tracts, et surtout par un démar­ chage incessant effectué par des jeunes gens actifs et dédç!és) . .

QueJ. sera l'intérêt de l'entrepreneur qui aura consenti au contrôle ? Il sera double : 1 ° celui d'avoir une clien­ tèle assurée; 2° celui de s'assurer également une indem­ nité de rachat, alors que dans la déroute présente de l'économie il risque de perdre à la fois, par la ruine de son industrie ou de· son cornmrce, ses investissements et sa fonction.

Dans la discussion qui a suivi, diverses objecticns ont été faites au système exposé. La première est que la portion de « secteur privé »

ainsi prospectée, ne peut sortir isolément de l'économie marchande. ElJe reste dans le régime, or Vivant recon­ naît que l'application du plan des J. E. U: N. E. S. com­ mence par « dégager >) des chômeurs dont le remploi ne devient possible qu'après Je rachat. Et Pierrot fait remar­ quer que· les coopératives elles-mêmes, dont le point de départ est beaucoup plus favorable et plus rationnel que celui des J. E. U. N. E. S., se sont heurtées à des obstacles 'paraissant encore insurmontables en regrme capitaliste pour la conquête graduelle du secteur privé. La seconde, c'est que le consentement d'un nombre

impressionnant de chefs d'entreprise n'est nullement cer­ tain. Sans doute, dans Plus Loin nous avons déjà écrit qu'il était d'expression courante, chez un certain nombre de chefs d'entreprise éclairés, que « charbonnier ne pou­ vait plus être maître chez lui »; mais bien plus grand est le nombre de chefs d'entreprise rebelles à toute conces­ ·ion. Que se passera-t-il si la persuasion ne suffit pas,

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dans une tocalité, à déterminer quelques commerçants et industriels à_ ~c~~p~e!· le c~mt~ôl~ ?. Essaiera-t-on de leur susciter un concurrent ncuveau ? Pourra-t-on assurer à ce concurrent la fourniture des matières premières ou pro­ duits finis nécessaires à la frubrication ou à la vente ? Par exemple, si un marchand de chaussures s'msta.tc en vue de l'expérience (ou même si un marchand déjà établi a accepté le contrôle), comment astreindre les fabri­ cants de chaussures, marchandise. actuellement trustée, comme elles finiront toutes par l'être, à approvisionner 'le fonds contrôlé ? Ne sera-ce pas au contraire le trust qui, en Iavorisant de bas prix le commerçant qui !ui sera resté fidèle, ou en installant un dépositaire vendant à bas prix, fera sauter l'entreprise contrôlée ? Car, com­ ment J'équipe des J. E. U. N. E. S. pourra-t-elle, dans ces cas, soutenir le crédit de cette entreprise ?

II ne suffit pas de pouvoir compter sur la clientèle, mais aussi sur les fcurnisseurs. Ceux-ci peuvent parfai­ tement soutenir de leur côté les entreprises non contrôlées, leur permettre de vendre à perte pendant six mois, un an, jusqu'à ce que I'entreprise' contrôlée doive mettre les pouces. Si, actuellement, les coopératives de consomma tion menaçaient sérieusement la totaliié du secteur com­ mercial, sans tenir compte de l'obligation dans laquelle elles sont de s'adresser, pour une bonne partie de leurs articles, à des fabricants ncn coopérateurs, il n'est pas douteux que ces derniers, sous la poussée des trusts, cesse­ raient de les approvisionner et que la coopération, n'ayant pas encore un rayonnement suffisant 11011r satisfaire pa; ses seuls moyens à tous les besoins de: sa clientèle, dev 1:nit s'incliner; comme devraient s'incliner aussi les· fabrrcnnts qui voudraient quand même I'alimentcr, de crainte de se voir enlever la clientèle non cor ~éra.ive.

Q ... s'inquiète, assez légitimement à nos yeux, de ce que, sans préparation, et sa1'1JS sortir du régime capitaliste, nos jeunes camarades réformateurs croient fermement 1.'11ssir là où le capitalisme se montre césormais ir.q.u.s sant malgré une expérience longtemps victorieuse; et il :;<. demande également si, en cas de succès assez peu pro­ bable, ces mêmes réformateurs grisés par les résultats momentanément obtenus ne se Iaiss-u'aient pas à leur tour emporter par le courant mercantile. Enfin mettons en doute le postulat d'où Vivant est

parti, à. savoir que les commerçants et lès industrjels sont actuellement dans l'ensemble acculés de plus en plus au désespcir. Ils sont, il est vrai, accablés par les impôts, ils se plaignent, mais, en dépit des faillites, ceux qui

·restent et qui sont le plus grand nombre, vivent de leurs affaires et en tirent quelquefois des bénéfices substantiels.

Pour résumer ce débat, disons que le système de con­ trôle volontaire, tel que Vivant nous l'a exposé, semble devoir conduire ses promoteurs à quelques déceptions.

lmp. Toulousaine, (LION ET FILS) Le Gérant L. rlAUSSARD.