JEU THÉÂTRAL ET PRATIQUES D'ÉCRITURE - SPIRALE Revue de ...

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Spirale - Revue semestrielle de l'École Normale de Lille - N°6 1991 (89-127) Francis RUELLAN JEU THÉÂTRAL ET PRATIQUES D'ÉCRITURE INTRODUCTION Permettre à nos élèves d'être de véritables usagers de la com- munication, c'est bien un souci fondamental qui se présente à qui en- seigne le français. Comment apprendre à parler, à écrire, à lire, dans l'établissement scolaire, en créant les conditions d'une communication réelle ? S'agissant précisément des apprentissages de lecture/écriture, on est amené à proposer des situations de communication assurant à l'élève les interlocuteurs qui vont lui permettre de vivre les dimen- sions langagières de l'écrit. Vivre avec les enfants n'est-il pas d'au- tant plus nécessaire que l'objet auquel on souhaite leur donner accès est plus distant, plus abstrait, plus étranger ? C'est sûrement le cas de l'apprentissage de l'écriture qui pour beaucoup d'enfants est de l'ordre du non-vécu avant l'apprentissage en milieu scolaire, surtout quand sa fonction langagière n'est pas du tout perçue. Si la didactique du français a pour visée permanente la construction du sens par l'enfant (par la lecture, l'écriture, le dialo- gue, les débats,...) la sémantique pragmatique révèle que ce n'est pas par la connaissance seule de la langue comme système, comme objet d'analyse, que la signification s'élabore. La pratique des discours à partir de diverses situations vécues (quels projets ?) doit viser à mettre en lumière le fonctionnement réel de la langue dans toutes ses implications. Cela exige que l'enseignement fasse entrer l'écrit dans les cir- cuits de communication intégrant les habitudes de vie des enfants. Il est important que l'enfant puisse parler en classe comme il parle à la maison et que ce soit effectivement sa façon de parler et d'être qui soit prise en compte comme point de départ de travail à opérer sur lui-même et pour lui-même. Comment mettre en œuvre des pratiques de productions et d'échanges écrits et oraux sinon en favorisant ces échanges dans la dynamique d'un projet collectif ? Un projet à réaliser ensemble per- met aux enfants de n'être plus seulement voisins de classe mais aussi partenaires et interlocuteurs dans l'ensemble des tâches à accomplir. La réalisation du projet suppose alors que la vie du groupe ne soit pas ignorée mais qu'on en favorise l'émergence par une relation pédago- gique adaptée.

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Spirale - Revue semestrielle de l 'École Normale de Lille - N°6 1991 (89-127)

Francis RUELLAN

J EU THÉÂTRAL

ET PRATIQUES D'ÉCRITURE

INTRODUCTION Permettre à nos élèves d'être de véritables usagers de la com-

munication, c'est bien un souci fondamental qui se présente à qui en-seigne le français.

Comment apprendre à parler, à écrire, à lire, dans l'établissement scolaire, en créant les conditions d'une communication réelle ? S'agissant précisément des apprentissages de lecture/écriture, on est amené à proposer des situations de communication assurant à l'élève les interlocuteurs qui vont lui permettre de vivre les dimen-sions langagières de l'écrit. Vivre avec les enfants n'est-il pas d'au-tant plus nécessaire que l'objet auquel on souhaite leur donner accès est plus distant, plus abstrait, plus étranger ?

C'est sûrement le cas de l'apprentissage de l'écriture qui pour beaucoup d'enfants est de l'ordre du non-vécu avant l'apprentissage en milieu scolaire, surtout quand sa fonction langagière n'est pas du tout perçue. Si la didactique du français a pour visée permanente la construction du sens par l'enfant (par la lecture, l'écriture, le dialo-gue, les débats,...) la sémantique pragmatique révèle que ce n'est pas par la connaissance seule de la langue comme système, comme objet d'analyse, que la signification s'élabore.

La pratique des discours à partir de diverses situations vécues (quels projets ?) doit viser à mettre en lumière le fonctionnement réel de la langue dans toutes ses implications.

Cela exige que l'enseignement fasse entrer l'écrit dans les cir-cuits de communication intégrant les habitudes de vie des enfants. Il est important que l'enfant puisse parler en classe comme il parle à la maison et que ce soit effectivement sa façon de parler et d'être qui soit prise en compte comme point de départ de travail à opérer sur lui-même et pour lui-même.

Comment mettre en œuvre des pratiques de productions et d'échanges écrits et oraux sinon en favorisant ces échanges dans la dynamique d'un projet collectif ? Un projet à réaliser ensemble per-met aux enfants de n'être plus seulement voisins de classe mais aussi partenaires et interlocuteurs dans l'ensemble des tâches à accomplir. La réalisation du projet suppose alors que la vie du groupe ne soit pas ignorée mais qu'on en favorise l'émergence par une relation pédago-gique adaptée.

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Afin de provoquer ces pratiques de communication et de faire en sorte que la vie du groupe puisse donner de "bonnes raisons" à chacun de communiquer oralement et par écrit, nous avons souhaité exploiter les ressorts du jeu pour l'enfant en instaurant en classe des échanges qui répondent à une nécessité réelle créée par le jeu théâ-tral.

Si enseigner consiste aussi à provoquer des activités créatrices de désir, nous avons souhaité associer des pratiques d'écritures et de jeu théâtral en considérant que parler, lire, écrire, sont des activités dont les apports bénéfiques pour l'enfant se nourrissent mutuelle-ment par la dynamique du projet.

Le projet qui sera présenté dans cet article s'est déroulé durant l'année scolaire 1986-1987. Il a abouti à une représentation au théâ-tre La Fontaine, le vendredi 19 juin 1987 à 20 heures, dans le cadre du mois du jeune théâtre. Durant une journée, le directeur, Mon-sieur PILLOT, a mis les installations du théâtre (régie technique, ac-compagnement par un comédien) à la disposition des 58 enfants des trois classes de l'école St Joachim (CE2/CM1, CM1/CM2, CM2) du quartier de Lille-Pellevoisin.

"La forêt aux mille chansons" était le titre du spectacle conçu à partir de textes d'auteurs et de saynètes créés par les enfants. Nous centrerons essentiellement l'analyse sur le travail réalisé dans la classe de CM1/CM2 (20 élèves dont 13 en CM1 et 7 en CM2).

Nous tenterons de situer la progression des activités de jeu théâtral puis celle des pratiques d'écritures inhérentes au projet tout en éclairant leur nécessaire articulation. Nous privilégierons l'étude des exigences et des contraintes qu'entraîne la prise en compte des dimensions matérielles du projet (conditions de mise en scène, échéances à respecter, destination du spectacle,...) pour l'écriture.

Mais auparavant, l'ambiance de travail, le climat de classe seront évoqués. Les échanges entre élèves, l'accueil des propositions, l'écoute, le dialogue, la façon dont est envisagé le rapport à l'erreur dans la classe, nous semblent être des éléments déterminants à prendre en compte, dès le début de l'année, dans un projet où sont engagées des activités de communication.

I. L 'AMBIANCE DE TRAVAIL : PRÉALABLE AUX APPRENTISSAGES ? Le projet consistait donc à établir une histoire qui puisse servir

de support à un spectacle de jeu théâtral. Il s'agit bien d'un projet qui s'actualise grâce aux activités qu'occasionne le jeu théâtral dès la rentrée.

Dès les premiers jours de l'année, il nous semble en effet pri-mordial de veiller à établir un climat de classe basé sur la simplicité et la confiance qui favorise les échanges et les relations interpersonnel-les. Peut-on considérer que le climat de travail est un préalable aux apprentissages de l'écriture dans la mesure où l'enfant est amené à

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se livrer, à s'engager personnellement dans ses productions ? Comme l'écrit Pierre BARTH 1:

"Si les enfants s'engagent totalement dans leur création en fai-sant appel à ce qu'ils ont de plus intime, ils prennent le risque consi-dérable de se remettre en question et d'affronter le regard critique des autres tout en éprouvant le plaisir de fonctionner dans leur totali-té et dans le dépassement de leurs propres limites."

Dans cette perspective, l'accueil de toutes ces propositions est essentiel. Ce n'est pas seulement le maître qui est attentif à accueillir les propositions des élèves mais aussi tous les membres du groupe-classe pour chacun d'entre eux. Socialiser les apprentissages, ne se-rait-ce pas aussi, en classe, aider le groupe à se constituer, c'est-à-dire à devenir un élément d'auto-formation pour chacun de ses mem-bres et à évoluer de façon à permettre une vie affective intégrée à l'école ? Parvenir à ce que chaque enfant puisse se situer comme l'un des pôles de la communication, c'est parier sur le développement so-cio-affectif autant que sur le développement cognitif tout en jouant sur les nécessaires articulations.

La vie du groupe va permettre à l'enfant d'essayer toute une sé-rie de comportements sociaux relevant de l'intégration (être accepté) et de la différenciation (jouer son rôle propre). S. Mollo a pu écrire : `

"C'est vers neuf-dix ans que la solidarité des enfants atteint son apogée. Le groupe des camarades est extrêmement valorisé. C'est l'âge des copains. Le groupe dépasse les seuls liens affectifs ; il est le véhicule des pratiques sociales et permet un renforcement de la per-sonnalité en faisant pénétrer l'enfant dans les diverses catégories de rapport à autrui… La socialisation est bien une interrelation entre l'enfant et le milieu, interrelation à laquelle le groupe procure un sup-port privilégié. Le groupe est une donnée fondamentale de la psycho-genèse "

Clarifier les enjeux et les objectifs du projet ainsi que les fonc-tionnements au niveau des échanges dans le groupe pour permettre à l'enfant de construire sa personne en même temps qu'il construit son savoir serait une manière de s'engager à faire de la classe un milieu de vie où le droit pour l'enfant de se sentir reconnu est considéré comme une exigence éducative fondatrice. Cependant, au delà des slogans généreux, le climat de travail et la vie de la classe, s'ils peu-vent être considérés comme des "préalables" aux apprentissages ré-ussis de l'écrit, n'en sont pas pour autant des éléments sur lesquels on peut compter dès les premiers jours de l'année. Le dynamisme du groupe et l'intégration d'un enfant à la vie du groupe ne sont pas des données acquises d'emblée mais des réalités à construire.

En effet, nous ne voudrions pas tenir des propos angéliques et donner à penser que le climat de travail s'instaure "naturellement" et que le spectacle se construit de façon magique. Le préalable évoqué

1 Pierre BARTH : L'écriture buissonnière. Une pédagogie du récit. Neufchâtel. Dela-chaux et Niestlé. 1987.

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est plus sûrement un préalable de principe qu'un préalable chronolo-gique dans l'évolution du groupe. Il s'agit essentiellement d'une atti-tude positive à instaurer dans la relation pédagogique et c'est préci-sément les propositions de jeu théâtral et les nombreux échanges pour susciter et communiquer les productions écrites qui contribue-ront à orienter le climat de classe.

Libérer la parole et libérer l'écriture, c'est une chose de le dire, c'est autre chose de l'organiser. Pour cela, l'enseignant aura sans doute le souci d'assumer pleinement entre autres rôles, celui d'ani-mateur. Il s'agit d'être prudent pour ne pas décourager par une re-marque ou une attitude trop catégorique, une tentative timorée, ébauchée sous l'emprise de la timidité. Il s'agit aussi d'être suffisam-ment ferme pour canaliser des prises de paroles intempestives et des tempéraments volcaniques. Soutenir et guider le sentiment de soi qui s'éveille dans l'appropriation de la connaissance par l'activité person-nelle, c'est là la tâche délicate qui incombe au formateur dont le sou-ci est de permettre à l'éduqué de devenir progressivement son pro-pre éducateur en l'invitant à s'engager sur les voies de la conquête de l'autonomie. La dynamique qui naît est alors de nature à lever les "barrières psychologiques" et les plus audacieux entraînent ceux qui le sont moins. Le premier impératif est de susciter les attitudes men-tales positives que l'enfant pourra développer vis-à-vis de ses prati-ques de communication. Il est donc souhaitable de procurer une "sé-curité affective" qui évite ou tempère les blocages de tous ordres et provoque la curiosité vis-à-vis des fonctionnements linguistiques.

Tout ceci, dans la vie quotidienne de l'élève, se convertit en terme d'organisation entre bienveillance et rigueur : encourager les prises de parole et en même temps susciter le dialogue et l'écoute, encourager le premier jet des projets d'écriture et guider les réécritu-res de chaque enfant. Organiser le travail et organiser les échanges en classe de façon à pouvoir présenter un spectacle d'une heure trente au théâtre La Fontaine nécessite des habiletés d'enseignement interactives qui ne s'élaborent pas en un jour ni même en un an. Les choix que nous présentons dans cet article et qui n'excluent pas d'autres choix résultent de six ans de pratique de jeu théâtral à l'école. C'est au fil des années, qu'on mesure mieux les fantastiques apports (le mot n'est pas trop fort) du jeu théâtral pour l'enseigne-ment du français. Peut-on songer à tous les élèves qui traversent le système scolaire (2 ans à 18 ans) sans avoir vraiment appris à com-muniquer devant le groupe avec lequel ils vivent six heures par jour ?

Bien sûr, ce que nous venons d'évoquer n'est pas en soi, spécifi-que à la didactique du français mais s'il s'agit d'engager des élèves à réaliser des projets favorisant des activités de communication, il semble être profitable de privilégier les objectifs à dominante socio-affective durant les deux premiers mois. C'est d'ailleurs à cette inten-tion que nous avons programmé une classe "rousse" fin octobre, dans les Vosges, cette année là, durant une semaine. Par expérience, nous avons pu constater que même en assumant tout à fait son rôle

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d'animateur, l'enseignant devenait progressivement co-animateur du groupe. Très vite, il est amené à partager les pouvoirs de décisions en invitant les membres du groupe à gérer eux-mêmes l'animation. Bien entendu, il reste toujours très présent en tant que guide ou conseiller voire arbitre éventuellement.

Le désir d'apprendre, la passion de l'élève, s'éveillent quand il sent l'enseignant se passionner devant lui, avec lui, s'impliquer dans le savoir qu'il propose. La relation qu'entretient le formateur avec le savoir induit pour une certaine mesure le comportement de l'appre-nant dans son rapport au même savoir. Être passionné, savoir inté-resser, c'est une dimension appréciable de l'attitude de l'enseignant mais elle doit s'accompagner d'un souci d'exigence qui consiste à s'assurer des acquis transitoires, les référer aux objectifs visés, en un mot, évaluer en favorisant l'auto-évaluation. Cela nécessite sûrement une différenciation des outils et des situations d'apprentissage pour que chacun puisse cheminer selon un itinéraire personnel même si cet itinéraire s'appuie sur le vécu du groupe. Ceci est important dès lors que l'on évoque la construction d'un personnage ou les réécritures d'un texte au sein d'un projet d'un jeu théâtral.

De telles activités de jeu théâtral et d'écritures révèlent que la prise en compte des dimensions socio-affectives n'excluent pas la conquête des objectifs à dominante cognitive mais qu'elles les favori-sent plutôt. Ainsi, les moments d'animation sont assurés pour facili-ter les processus d'auto-socio-construction des savoirs par les en-fants. Rire en classe, dire ce qu'on a sur le cœur, parfois même avec beaucoup de vigueur, échanger très souvent à bâtons rompus, n'est pas incompatible avec d'autres moments de silence total nécessaire à la réalisation de tâches qui exigent une concentration que certains élèves ne peuvent trouver que dans le calme absolu. D'autres mo-ments se vivront aussi dans une ambiance très tendue parce qu'une échéance est imminente, parce qu'un travail engagé a du mal à abou-tir, parce qu'on a l'impression que le projet n'avance pas, que cer-tains objectifs s'avèrent trop ambitieux. C'est sûrement avec la pos-sibilité de vivre une pluralité de situations se disposant selon les dif-férents registres de l'émotion qu'un climat de travail propice aux ap-prentissages réussis pourra s'instaurer en classe en favorisant no-tamment le plaisir/désir de lire/écrire.

Toutes ces dispositions relatives à l'accueil positif de proposi-tions des élèves, visent à encourager les élèves à oser : oser exprimer ses idées, oser faire des remarques, oser dire un avis contraire, oser demander un aménagement de l'emploi du temps, oser essayer, oser se tromper, oser avouer qu'on n'a pas compris, oser faire des erreurs. On aime lire une saynète, on désire la représenter, on veut prendre des moyens pour y arriver, on essaye de la jouer à trois, on situe les difficultés, on échange sur la façon de les lever, on recommence et on recommence encore. "On", c'est par exemple, trois élèves qui ont décidé de travailler un texte en octobre pour le représenter un mois plus tard face aux élèves. Essayer parce qu'on aime cela, se tromper,

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recommencer, faire des erreurs, accepter le risque d'erreurs, étudier les erreurs, les analyser spontanément ou avec le recul obtenu éven-tuellement par l'apprentissage d'une technique appropriée.

C'est précisément ce rapport à l'erreur au cœur même de l'ap-prentissage qu'il s'agit d'évoquer EXPLICITEMENT en classe. Travailler sur l'erreur en prenant le temps qu'il faut et en se construisant des procédures d'analyse. C'est NORMAL de faire des erreurs et c'est en toute confiance, même si celle-ci s'instaure progressivement, que chaque élève est invité à travailler sur et contre ses erreurs. Comme l'écrit Yves Reuter :

"Le statut de l'erreur est indissociable du mode de travail péda-gogique. Il s'agit de parier sur la confiance et l'importance de la pro-duction d'hypothèses pour le développement de la vie intellec-tuelle2."

Instaurer un climat de travail encourageant la prise d'initiatives et développant la confiance en soi permet aussi les nécessaires struc-turations cognitives à partir de la détection et de l'analyse des er-reurs comprises comme des moments inhérents de l'apprentissage.

II. VIVRE LE PRO JET : CONSTRUIRE UN SPECTACLE DE J EU THÉÂTRAL a - Présentation du projet Nous avons souhaité que les activités de jeu théâtral "vitalisent"

les apprentissages de français et que les élèves soient impliqués dans diverses pratiques d'écritures inhérentes au projet. Durant cette an-née scolaire 1986-1987, le jeu théâtral n'a pas été vécu comme une activité de type "atelier", par exemple, immuablement une heure et trente minutes à tel jour de la semaine et toute l'année. Au contraire, et selon l'évolution du projet, les activités ont été vécues à des mo-ments différents de la semaine, souvent trois fois par semaine pour des séances d'environ trente minutes.

Vitaliser l'enseignement du français ? C'est-à-dire partager en-semble des émotions grâce à des textes drôles qui évoquent, sous bien des aspects, notre propre vie à l'école et à la maison pour nous, élèves de CE2, de CM1 et de CM2. Lire ce texte à plusieurs parce qu'il y a des dialogues, le jouer même parce que c'est trop drôle et à force de le lire et de jouer plusieurs histoires de ce type, avoir envie d'en écrire soi-même, tout seul ou à deux, parce que c'est vraiment génial toutes ces histoires

Le choix est délibéré : approcher le jeu théâtral par les textes en constatant les intérêts suscités chez les élèves et en assumant les limites d'une telle approche basée sur la rencontre par les élèves des livres écrits par Sempé et Gosciny évoquant les histoires du "Petit Nicolas" (Éditions Folio et Folio Junior). C'est d'ailleurs l'intérêt spon-tané des élèves pour ces histoires qui, six ans auparavant, nous ont

2 Yves REUTER - "Pour une autre pratique de l'erreur" Pratiques n° 44, décembre 84 (117-124) p. 121.

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amenés à nous engager, sans formation personnelle préalable, dans les activités de jeu théâtral. La difficulté d'introduire le jeu théâtral en classe tient peut-être à la relative rareté des textes susceptibles d'intéresser les enfants de cet âge (huit-onze ans). Trop enfantin ou trop difficile à aborder, c'est très vite l'écueil. Bien entendu, on peut aborder le jeu théâtral autrement que par les textes, et l'évocation de la progression du projet montrera qu'un travail corporel et que des propositions d'improvisation collective relayeront ce travail sur les textes.

Simplement, ces saynètes à trois ou quatre personnages adap-tées des histoires du Petit Nicolas, constituent des situations de communication plus que probantes pour les élèves qui sont très sen-sibles à l'univers familier évoqué (école, maison) et à l'humour qui s'en dégage. Leur degré d'implication dans la lecture et la mémorisa-tion de ces textes est à la mesure de leur enthousiasme pour les mille et un petits faits qui arrivent à Nicolas et à ses camarades. Pourquoi se priver de ce qui "marche" en classe quand les enfants s'investis-sent avec un réel plaisir ?

C'est bien l'une des spécificités du jeu théâtral de proposer un lien de communication et d'expression à l'intérieur du groupe qui peu à peu fait l'expérience de ses divers intérêts, de ses habiletés et de ses difficultés à jouer et à créer. Faire correspondre des activités d'apprentissage à des jeux, c'est inviter l'enfant à s'engager totale-ment au point de nous étonner par son aptitude à se dépasser, à s'imposer ou à accepter des contraintes et des épreuves sans com-mune mesure avec ce dont ont le croit ordinairement capable. Et c'est vrai qu'en classe, les enfants nous révèlent des surprises.

"Il est fondamental que les activités théâtrales s'appuient sur le jeu. Pas d'activités théâtrales à l'école sans ateliers de jeu, sans cet espace de liberté, d'exploration passionnée et joyeuse des pouvoirs du corps et de l'imaginaire. C'est par le jeu que l'enfant peut imiter, simuler, modéliser, répéter, reprendre, s'essayer et inventer…

Il y a aussi le désir de se tourner vers l'autre, d'établir un échange, qui permet en retour, de chercher sa propre identité."

Ce qu'écrivent J.-C. Lallias et J.-L. Cabet3 nous fait penser entre autres exemples à Dalila, élève de CM1, qui avait toutes les peines du monde à mémoriser les informations essentielles d'une synthèse d'éveil. Deux jours après avoir pris connaissance d'un texte du "Petit Nicolas" mettant en scène trois personnages (papa, maman, Nicolas), elle avait surpris toute la classe en jouant par cœur le rôle de la ma-man sans en avoir oublié aucun des ustensiles nécessaires à identifier le personnage (tablier de cuisine, casseroles, ingrédients pour la re-cette,...) accessoires qu'elle avait emporté en classe de sa propre initiative.

3 J. C. LALLIAS, J. L. CABET : Les pratiques théâtrales à l'école, CDDP Seine St Denis,

1985, p. 98.

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Créer une dynamique de lecture/écriture dans la classe à partir du jeu théâtral, exploiter le mouvement propre de l'enfant pour l'amener à affirmer les diverses composantes de sa personnalité, c'est bien agir dans le sens de l'entrée dans la démarche pédagogique par le projet dont le souci fondamental comme l'énonce Bachelard, serait de "dynamiser une culture, donner à un psychisme, quelque soit sa vitesse acquise, un besoin de progrès"4. Comment donner du sens à apprendre en agissant à l'intérieur de l'école ? Nous allons il-lustrer concrètement ces intentions en déployant la progression du jeu théâtral qui s'est déroulé durant toute l'année scolaire dans la classe de CE2/CM1.

b - Progression du jeu théâtral Si les textes du Petit Nicolas constituèrent la voie d'accès aux

activités théâtrales, ils ne furent pas le seul support du spectacle. Mais d'abord qu'allait-on proposer aux parents ? Comment et à partir de quoi allions nous construire le spectacle ? Ce n'est que la semaine précédant les vacances de la Toussaint qu'apparut l'idée exploitable, la proposition suffisamment féconde pour inviter 58 garçons et filles à représenter une histoire cohérente sur scène.

Si le travail d'écritures pour le projet ne s'engagea qu'à partir de Novembre, les activités théâtrales commencèrent dès le début de l'année. Il est nécessaire de distinguer les activités qui sensibilisent les élèves au jeu théâtral (septembre-février) et les activités qui fu-rent centrées sur la préparation du spectacle proprement dit (février-juin). La progression présentée s'est déroulée dans la classe de CM1/CM2. Les activités décloisonnées avec les deux autres classes (CE2/CM1/CM2) intervinrent pour la préparation du spectacle à partir de février. Auparavant, chaque enseignant dans sa classe initiait ses élèves selon sa propre sensibilité. En réalité, les échanges entre clas-ses débutèrent dès la fin Novembre pour évoquer ensemble la cons-truction du spectacle et définir le projet commun. Ce point sera abordé dans la partie consacrée aux pratiques d'écriture.

Les différentes étapes sont d'abord présentées puis explicitées ensuite :

1. Jeu théâtral et vie quotidienne (septembre-octobre) 2. Lecture individuelle des livres du "Petit Nicolas" Découverte des saynètes adaptées des histoires de Goscinny et

mise en scène dans la classe (octobre-décembre) 3. Travail sur la voix, mimes et séances d'improvisation collec-

tive (janvier-février) 4. Lecture/mémorisation des textes du spectacle et mise en es-

pace sommaire (mars) 5. Travail spécifique par groupe selon les différentes saynètes

qui allaient constituer le spectacle (avril-mai) 6. Répétitions pour le spectacle (juin)

4 Gaston BACHELARD. Le rationalisme appliqué. Paris, PUF 1949 (42)

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7. Répétition générale (jeudi 18 juin à 14 heures) 8. Représentation (vendredi 19 juin 1987 à 20 heures) 1. J eu théâtral et vie quotidienne Dans la vie quotidienne en classe, ce sont les exigences requises

pour le jeu théâtral concernant la voix et le corps (débit, intonation, respiration) qu'il est souhaitable de mettre dès les premiers jours de la rentrée en septembre. Une heure trente à deux heures chaque ma-tin, les trois premiers jours, sont consacrées aux échanges oraux. Les élèves ont beaucoup de choses à se dire : les vacances, la prépara-tion de la rentrée, les activités sportives qui reprennent (qui fait quoi ?), les films qu'on a vus,... Les premiers soirs à la maison, les élèves annoncent parfois aux parents : "On n'a presque rien fait. On n'a fait que parler les trois quarts du temps." On a parlé, on a appris à échanger, à débattre, à dialoguer, à écouter aussi. On a un peu ap-pris à connaître les intérêts divers, les activités communes des uns et des autres.

Effectivement, dès les premières interventions orales, chacun est encouragé à s'exprimer de façon à être entendu par tous. C'est toute l'organisation des échanges en classe qui se trouve orientée selon ces exigences (bureaux disposés en U) : apprendre à parler fort pour celui qui intervient et apprendre à écouter pour les autres afin d'engager le dialogue.

Ces dispositions à l'écoute et à la prise de la parole peuvent se travailler au cours de toutes les activités de la semaine et quasiment six heures par jour :

- poser une question ou y répondre, - lire un énoncé, - faire un exposé (comment le préparer pour le communiquer ef-

ficacement) - réciter une table de multiplication, - déclamer une poésie. - …/... Selon cette perspective, le jeu théâtral ne fait que systématiser

des attitudes qui facilitent la communication orale à tous les niveaux. Les élèves ont été sensibilisés en CE2 à ces exigences de communi-cation et en favorisant et en organisant les prises de parole, on per-çoit très tôt les différences de maturation dans l'habileté à s'expri-mer. Animer les échanges et observer les enfants durant ces pre-miers moments de vie collective apporte déjà beaucoup d'enseigne-ments sur les tempéraments et les centres d'intérêts qui pourront être exploités à court ou à moyen terme.

Au titre des activités qui nécessitent la prise en compte des at-titudes développées par le jeu théâtral, il faut citer la communication à la classe du texte écrit par un élève. C'est sans doute l'un des meil-leurs moments vécus dans la classe. Pour l'enfant, c'est l'aboutisse-ment de deux à trois semaines d'efforts. Un texte lu à la classe est un texte qui a été écrit sans erreur sur le cahier d'expression écrite et

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illustré. Auparavant, il a fallu en moyenne trois ou quatre réécritures, parfois plus, sur le cahier d'essai. La qualité d'écoute accordée à un élève qui lit le texte qu'il a créé est souvent étonnante.

L'attention des auditeurs et les questions qu'ils poseront à l'au-teur portent à la fois sur le récit et sur les capacités du lecteur à communiquer son texte. Pour la majorité des élèves en début de CM1, ce n'est pas une chose acquise de projeter la voix de façon à être compris par tout le monde. Il s'agit là d'un véritable apprentis-sage relayé par le jeu théâtral. Même si personne n'est "obligé" de présenter son texte, étant donné la mise en scène et la valorisation de cet acte de communication en classe, tous les élèves souhaitent vivre ce moment.

Quand le projet sera lancé, la communication des textes ne sera plus une possibilité offerte à l'enfant mais une nécessité comprise comme telle par tous parce que l'enjeu sera d'une autre envergure. Il ne s'agira plus seulement de raconter une histoire personnelle mais de construire ensemble un scénario qui nous engage tous.

2. Lec tures et mises en situation des saynètes adaptées des livres du "Pe tit Nicolas" Très schématiquement, la découverte des personnages du Petit

Nicolas s'opère par la lecture des livres qui se trouvent dans la biblio-thèque de classe et dans la bibliothèque d'école. Tous les ans, des élèves s'achètent ou se font offrir ces livres et se les échangent. Ils les évoquent au cours des émissions Apostrophes vécues en classe, chaque semaine (4 participants, 20 minutes de présentation-discussion autour de livres choisis et dix minutes de débat avec les autres élèves de la classe qui n'interviennent pas durant la présenta-tion-discussion initiale).

Une quarantaine de saynètes sont proposées aux élèves en dé-but octobre. Parmi celles-ci figurent celles qui sont adaptées du Petit Nicolas. Spontanément, certains élèves demandent à les lire à plu-sieurs, à haute voix, en groupe. Peu à peu, des groupes se forment pour représenter ces saynètes en classe. Il faut prévoir après les va-cances de Toussaint des moments dans la semaine pour lire et met-tre en espace ces textes. Il est fréquent de voir deux ou trois grou-pes travailler sur la même saynète. Celle-ci sera d'abord présentée à la classe par une lecture à haute voix et une seconde fois jouée selon une mise en scène très sommaire élaborée par les élèves. Ce travail est effectué en novembre et en décembre. Les élèves, nullement dé-rangés de voir une saynète présentée par trois groupes, se sont aperçus qu'on pouvait "jouer juste" de plusieurs façons différentes. Ils ont aussi repéré un certain nombre d'éléments qu'il faut travailler avec précision pour assurer une bonne communication avec le public (placement, débit, regard, "jouer avec l'autre",...). Ils ont aussi fait une découverte : la mémorisation des textes est moins difficile que prévu, le jeu sur scène est plus complexe que prévu.

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3. Travail sur la voix, séances d'improvisation collective Toujours vécues sous le mode du jeu, ces séances programmées

en janvier et en février ne s'attachent pas au texte mais tentent d'approcher au contraire les registres non-verbaux. Les enfants ont perçu un certain nombre de contraintes relatives à la communication théâtrale durant le travail sur les saynètes du Petit Nicolas. Les pro-blèmes et les obstacles sont envisagés explicitement et travaillés en fonction du projet de représentation. Les élèves sont véritablement mentalement disposés pour un tel travail. Les improvisations collecti-ves, à partir de consignes très simples, visent à libérer les énergies, lever les inhibitions, éprouver le plaisir du jeu individuel dans le relatif anonymat du groupe. En effet, si les consignes proposées amènent d'abord les élèves à réagir, dans le même moment, individuellement (adopter une attitude, faire une grimace, représenter un sentiment) elles les invitent ensuite, graduellement, à collaborer dans l'improvisa-tion (machine infernale, parade de cirque,...) à partir de situations diverses.

Les gromelos ("mots" incompréhensibles proférés à voix forte) et les jeux de diction complètent avec l'analyse de la pièce HOATME que nous étions allés voir au théâtre La Fontaine, une sensibilisation plus technique au jeu théâtral.

4. à 8. Les activités décloisonnées Si la phase 4 concernant la lecture et la mémorisation des textes

du spectacle a pu se vivre à l'intérieur de chaque classe, les phases 5 à 8 ont nécessité un décloisonnement entre les classes. En effet, cer-taines scènes étaient jouées par des élèves de plusieurs classes.

A partir du début avril, il fallut convenir d'horaires plus précis pour les activités de jeu théâtral, de façon à rendre possible les échanges d'élèves entre classes. La souplesse que nous souhaitions durant les six premiers mois dans la gestion de l'emploi du temps n'était plus envisageable dès lors que s'engageait une collaboration entre 58 élèves. C'était en effet le postulat essentiel : tous les élèves de l'école participeraient au spectacle, interviendraient sur scène. Les rôles se sont partagés au fil des semaines.

Bien entendu, un tel travail ne peut s'effectuer sans une coopé-ration et une concertation suivies entre enseignants. Plus qu'une mul-tiplication de réunions, c'est plutôt un état d'esprit favorisant l'échange permanent et le dialogue qui semble profitable pour mener à bien un tel projet.

Si le projet est entrepris dès le début de l'année, ne serait-ce que par le dialogue entre enseignants, alors chaque jour apportera des occasions, exploitées ou non, pour avancer à quelque niveau que ce soit (conception, partage des responsabilités, démarches à entre-prendre,...). Encore une fois, les choses ne se font pas facilement mais il est essentiel de se parler beaucoup pour être au clair par rap-port aux idées que se font les uns et les autres du projet : cinq minu-

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tes de discussion à la récréation, vingt minutes à la sortie des classes le soir, un quart d'heure à 11 h 30…

Ces échanges, ces "réunions informelles" sont très précieuses. Le petit nombre de personnes engagées, trois enseignants, permet un tel fonctionnement. Cela n'empêche pas les conflits passagers, les incompréhensions provisoires, car certains choix sont parfois difficiles à faire et à assumer.

Mais si on se permet parfois de déranger son collègue en ou-vrant la porte de sa classe pour lui confier une "idée géniale" qui est apparue subitement, on peut difficilement agir ainsi pour la communi-cation avec les parents ou entre élèves. Deux réunions (second et troisième trimestre) pour les parents désireux de participer au projet, en plus de l'appel lancé au cours des réunions de parents dans cha-que classe en début d'année, étaient relayées au troisième trimestre par une lettre hebdomadaire écrite par les enfants (annexe 1).

Nous étions particulièrement attentifs au fait que les activités du projet n'envahissent pas, aux yeux des parents, tout l'emploi du temps. Des échanges informels entre enseignants doivent s'accom-pagner d'une grande rigueur dans l'organisation du travail pour les élèves vis-à-vis de la réalisation du projet. Ce ne fut pas toujours fa-cile de tenir les horaires que nous nous étions fixés pour les répéti-tions du mois de juin. D'ailleurs, le mot "répétition" n'a été employé que le plus tard possible.

Auparavant, c'est un travail spécifique par groupe qui réunissait les élèves. En avril et mai, tous les élèves ne décloisonnaient pas né-cessairement en même temps dans chaque classe. C'est lorsqu'il fal-lut penser l'enchaînement des saynètes et assurer la cohérence du spectacle que des répétitions s'imposèrent pour tous les élèves en-semble. Elles eurent lieu durant la première quinzaine de juin. C'est probablement le moment le plus difficile à gérer dans la communica-tion avec ceux qui, parmi les parents, ont un rapport quasi-obsession-nel aux "programmes" et à l' "emploi du temps". Ces parents sont très peu nombreux et c'est ceux-là que nous voulons convaincre le jour de la représentation. C'est ce jour là, en effet, que sera éprouvée la mesure du travail effectué par les élèves : voix audibles, mises en scène précises, enchaînements réglés.

Mais ces moments sont vécus avec beaucoup d'intensité. Les enfants, sur l'immense scène du théâtre La Fontaine, face aux trois cent sièges qu'occuperont leurs familles le soir, vont se préparer à réaliser le rêve d'une année. Et ce moment là ne repassera pas une seconde fois. C'est ce soir, ce vendredi 19 juin 1987 à vingt heures que les deux pans du rideau vont s'écarter pour révéler le décor de la cour de récréation après la complainte de Nicolas qui avouera quitter sa maison parce que sa maman l'a grondé encore une fois pour une toute petite tâche sur le nouveau tapis du salon.

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III. PRATIQUES D'ÉCRITURES INHÉRENTES AU PRO JET Vivre un projet de jeu théâtral révèle que c'est aussi par le jeu,

par la satisfaction de ce "besoin naturel" pour l'enfant, qu'il est pos-sible de former l'apprentissage de l'écriture. L'entrée dans la démar-che pédagogique par le projet semble pertinente en tant qu'elle per-met aux enfants d'y rencontrer des situations globales, fonctionnel-les, selon lesquelles on lit, on écrit, on parle, on dialogue, on commu-nique vraiment, "pour du vrai", "pour de bon",...

Ainsi, on est confronté réellement aux difficultés de la communication. On apprend à les lever quand c'est possible, on essaie de les déjouer, de les contourner. Parfois aussi, on se retrouve dans l'impossibilité d'avancer et il faut bien essayer de comprendre ce qui se passe, tenter d'analyser les dysfonctionnements (mise en scène, élaboration des décors, construction de l'histoire, incohérences morpho-syntaxiques).`

Il s'avère ainsi que des moments d'analyse plus structurée, invi-tant à plus de cohérence, deviennent indispensables. Comment les organiser de façon à les articuler avec des situations de communica-tion par lesquelles se vit le projet ?

a - Quelle démarche pédagogique ? Une démarche pédagogique fondée sur la libération de la parole

et de l'écriture en situations fonctionnelles qui vise à éveiller les élè-ves aux fonctionnements de la langue ne peut, en effet, guère s'éla-borer sans la structuration de leurs conquêtes linguistiques selon des situations d'apprentissage relatives aux disciplines du français (or-thographe, grammaire, conjugaison, vocabulaire). Une démarche co-hérente s'efforce de prendre en compte, dans leur rapport dialecti-que, la libération de la parole et la structuration de la langue.

Conformément à la démarche proposée par le Plan Rouchette (1972), les différents moments pourraient être ceux-ci :

1. Susciter d'"authentiques" situations de communication (des-tinataire effectif, enjeu réel et perçu par les élèves) selon le projet.

2. Mettre en œuvre des apprentissages notionnels : - en fonction des besoins décelés en 1. - en prévision des obstacles d'avenir. 3. Tout en établissant l'opportunité et le ré-investissement de

ces acquis dans d'autres contextes et notamment en 1. Le tableau suivant tente de figurer cette articulation dialectique

des deux réseaux d'activités. Il est très largement inspiré de celui de Beaumont, Furet et Goureau5.

La complémentarité de ces réseaux d'activités se conçoit aisé-ment de façon théorique. Mais pratiquement, au quotidien, il reste à créer les conditions pour vivre en classe cette complémentarité dy-

5- R. BEAUMONT, B. FURET, M. GOUREAU : La langue écrite et son apprentissage, Lectureuil, Magnard, 1985, p. 159.

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namique. Encore une fois, c'est une chose de poser l'articulation dia-lectique comme nécessaire pour assurer des apprentissages réussis, c'est autre chose d'organiser concrètement pour vingt-cinq élèves entre quatre murs dans cinquante mètres carrés. Quelles "passerel-les" est-il possible d'opérer entre les situations fonctionnelles et les apports notionnels structurants ?

Cette question se vit tous les jours dans la classe et s'éprouve généralement dans l'approximation. Ce qui importe pour le maître, ce n'est pas de supprimer l'approximation (est-ce possible de répondre instantanément aux besoins manifestés par chaque élève même si ceux-ci peuvent être en mesure, progressivement, d'y répondre eux-mêmes ?) mais de s'en servir dans l'analyse critique des observations par un traitement plus rigoureux des informations émanant des prati-ques d'écritures vécues par les élèves.

PROJET

Situations de langage et de communica-

tion orale

Situations de lecture et de communica-tion écrite

Activités de libération

Écouter/Parler

PRATIQUE ET ANALYSE DE LA

LANGUE

Lire/Écrire

Activités de structuration

Maîtriser l’élocution Apprendre à écouter, à dialoguer Développer la cons-cience phonologique

Systématisations - morphosyntaxiques - lexicales

Développer ses ca-pacités de lecture Gérer les réécritures selon les types de textes

SCHÉMA D'UNE DÉMARCHE PÉDAGOGIQUE

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La démarche globale décrite par D. Brassart et C. Gruwez6 qui établit en relation explicite des "situations langagières problèmes" et des temps d'"exercisation-objectivation" de la compétence de com-munication dans ses divers aspects, permet de préciser l'articulation entre les situations fonctionnelles "initiales" et les situations "décro-chées" d'entraînement intensif d'un savoir-faire. Ces propositions re-prises par J.-P. Jaffré avec le concept de situations différées qui ont pour but de "résoudre les problèmes que l'on juge exemplaires en rai-son de leur fréquence d'apparition au cours des situations fonction-nelles7 répondent également au souci d'intégrer l'évaluation aux ap-prentissages (auto-évaluation, grille d'évaluation, élaboration de cri-tères,...), dimension que nous ne pourrons développer dans cet arti-cle.

C'est par une telle démarche que nous avons tenté de promou-voir un projet qui incitait les élèves à écrire tous les jours et à jouer au théâtre le plus souvent possible tout en développant des exigen-ces de questionnement vis-à-vis de leurs pratiques langagières.

A partir de la seconde semaine de classe, les élèves disposaient de trente minutes (8 h 30-9 h 00) pour écrire et réécrire leurs tex-tes, ou les lire (fichiers de lecture) ou/et réaliser des activités de re-médiations (fichiers individuels d'entraînement). Ce temps, qu'ils ap-prenaient à organiser de façon autonome est passé à 45 minutes (8 h 30 - 9 h 15) après les vacances de Toussaint pour atteindre une heure au retour des vacances de Noël et ce jusqu'à la fin de l'année. L'articulation entre les situations fonctionnelles et les situations de structuration au niveau du vécu quotidien de l'élève peut-être repré-senté de la façon suivante :

( I )

TEXTES Séances collectives (écritures et réécritures) ( II )

FICHES D'ENTRAÎNEMENT ( III )

L'apprentissage consiste ici à engager des démarches qui

conduisent des questionnements sur les productions écrites à la né-cessité du recours aux séances collectives de structuration (I) et des

6 D. BRASSART et C. GRUWEZ, "Pour une didactique de la communication", REPÈRES n° 62, 1984 (62,80). Nous retrouvons dans les activités de jeu théâtral, l'esprit des "Prati-ques Provoquées de Communication (P.P.C.)" et notamment les deux temps constitués selon un système ouvert :

- un temps de production effective de langage liée à une consigne donnée - un temps d'évaluation-objectivation afin d'apprécier la pertinence des stratégies re-

tenues. 7 Jean Pierre JAFFRÉ : "Construire des savoirs sur la langue : le cas de l'orthographe".

Documentation du Ministère accompagnant la mise en place du dispositif d'évaluation CE2-6ème.

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activités d'approfondissement à la réécriture/amélioration des textes (III).

Il y aurait beaucoup à dire sur ce point8 mais nous nous conten-terons de préciser l'esprit selon lequel les élèves pourront se cons-truire des itinéraires personnels tout en profitant du travail par deux (entraides sur les réécritures) et en petit groupe (groupe des besoins et écritures des saynètes à 3 ou 4).

La mise en place de cette organisation vise essentiellement à (ré) activer le questionnement de l'enfant qu'il doit pouvoir exercer de façon permanente. Ce questionnement qu'on engage sous la conduite du maître durant les différents moments d'une séance col-lective visant la maîtrise d'un objectif spécifique (ex : savoir différen-cier l'emploi du participe passé en E ou du verbe à l'infinitif en ER), il est important de l'engager quand on se trouve seul face à une fiche d'entraînement et surtout face à son texte.

(I) - Des séances collectives sont proposées en fonction des be-soins constatés dans les productions écrites (fréquence des erreurs, hiérarchie des traitements,...)

- tous les élèves ne participent pas nécessairement à ces séan-ces,

- d'autres séances collectives sont programmées à partir de progressions préétablies de façon plus linéaire,

- sur l'emploi du temps, ces séances interviennent après le temps de travail autonome.

(II) - Certains élèves ont besoin de travailler individuellement pour s'approprier la notion à l'issue de la séance collective. Possibilité de travailler par deux.

(III) - Certains élèves n'attendent pas une séance collective pour expliciter et structurer des intuitions. Recours aux fiches (grammaire, conjugaison, orthographe) avec l'aide éventuelle du maître et du ca-marade.

Il est important que l'enfant prenne conscience que la séance collective de structuration n'a pas de but en elle-même mais tente de répondre à un besoin de précis qu'il aura lui-même décelé, pour au-tant que ce soit possible - grille d'évaluation ? Élaboration de critè-res ? -, dans son entreprise de réécriture (REPÉRAGE). De même le savoir conquis en situation d'apprentissage systématique (TRANS-FERT) pour qu'il s'inscrive par exemple comme un indicateur reconnu d'une compétence de communication orale ou écrite tout en sachant qu'il faudra parfois mobiliser les ressources d'une manière originale. A cet égard, le texte constitue le test ultime des acquisitions (EXPRES-SION).

Les quatre degrés d'appropriation de la connaissance qu'évo-quent P. Meirieu (repérage)9 et D. Hameline (maîtrise, transfert, ex-

8 Une description plus approfondie des réécritures et de la progression du jeu théâtral figure dans la mémoire de DEA Pratiques d'écriture au cours moyen, UFR de Sciences de l'Éducation, 1987, LILLE III.

9 Philippe MEIRIEU : Apprendre, oui, mais comment, 1987, p. 151, E.S.F.

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pression)10 l'élève les éprouve dans la réalisation du "chantier d'écri-ture".

A titre d'exemple, les prolongements des séances collectives ou les "remédiations" à partir de ses productions, c'est l'élève qui sera invité progressivement à les situer en utilisant la batterie d'outils dont il apprendra le maniement en les créant (cahier d'orthographe, tableau de conjugaison, répertoire de vocabulaire, grilles personnelles d'évaluation, dictionnaires,...). Ces outils répondent au souci de diffé-renciation des itinéraires, dans la mesure où ils peuvent être consul-tés au gré des besoins individuels manifestés. Mais il faut bien cons-tater qu'au départ, le degré d'implication des élèves dans de telles démarches est très variable et le fait d'échanger sur les "méthodes" d'organisation dans le travail est profitable à tous.

D'ailleurs, au cours des séances plus ou moins improvisées, de tels cas sont envisagés. Les élèves expriment leurs difficultés et échangent à propos des procédés (habitudes de rangement, conseils d'organisation, gestion mentale,...) qui permettent progressivement la construction des itinéraires personnels. Les premiers à savoir jon-gler avec habileté avec ces différents éléments décrivent à la classe leur manière de procéder. Cette notion d'échange et d'entraide est très importante à vivre dans le groupe. On se partage des solutions pour mieux se définir des stratégies d'apprentissage, c'est-à-dire des façons d'opérer sur les consignes et les matériaux à disposition pour remplir les tâches fixées.

Les textes des saynètes ont été écrits et réécrits selon cette organisation. Chacun d'entre eux, qu'il ait été ou non intégré -selon quels critères ? - au spectacle, figure dans le cahier d'expression écrite du ou des enfants concernés et a été communiqué à la classe oralement (lecture) et par écrit (journal "nos impressions après le spectacle").

b ) Organigramme des activités d'écriture Il faut distinguer les activités d'écriture qui se sont réalisées

avant le projet de construction du spectacle (septembre-octobre-novembre) et celles relatives au projet (novembre à juin).

1. Activités de début d'année avant le projet. Des projets d'écriture à long terme n'ont jamais débuté les pre-

mières semaines de l'année. Il y a eu beaucoup à faire pour familiari-ser les élèves à l'écrit, sécuriser et motiver pour inviter chacun à s'engager dans un projet personnel d'écriture.

10 Daniel HAMELINE : Les objectifs pédagogiques en formation initiale et en formation

continue, 1983, E.S.F., p. 159-161.

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** "Un des moments préférés de mes vacances" Puisque nous avons beaucoup évoqué oralement nos vacances

dès les premières heures de la rentrée, le deuxième jour cette propo-sition est faite aux élèves :

"Et si on écrivait un petit texte sur le moment préféré de nos vacances ? Même si on l'a déjà un peu raconté oralement aux autres on aura l'occasion de préciser ce qu'on voulait dire et de révéler d'au-tres choses aussi, peut-être. Si on ne l'a pas raconté, tant mieux ce sera une surprise pour tout le monde parce que le but du jeu, c'est de lire, de communiquer à toute la classe ce qu'on aura écrit. On peut décider tout de suite de ne lire à la classe un texte que dans la me-sure où il sera effectivement communicable."

Une des premières discussions sur l'écriture, les réécritures, les fautes que l'on va faire, les erreurs qu'on va essayer de corriger avec le maître ou avec un camarade… va naître tout de suite après cette proposition. Ce sera une première occasion de dédramatiser le rap-port à l'erreur, de mettre en acte l'accueil positif de toutes les pro-ductions d'élèves, de montrer que le premier souci est de construire le sens du "message", de l'histoire qu'on veut raconter sans s'angois-ser avec des questions d'orthographe, de majuscules, d'accord, etc.

Ce travail d'écriture qui a commencé le second jour se prolonge-ra entre un peu plus d'une semaine et près de trois semaines selon les élèves. Nous ne pouvons pas ici préciser les conditions de l'orga-nisation des réécritures mais la façon dont elles auront été vécues par les élèves sera très importante pour le lancement d'autres pro-jets.

** "L'école de mes rêves" Vers la fin septembre un nouveau projet est lancé. Il a été envi-

sagé après de nombreuses discussions que nous avions eues sur ce thème. Étant donné la passion qui s'engagea dans les échanges, les élèves se sont spontanément investis dans ce travail.

Passer d'un projet à un autre n'est pas simple en classe quand tout le monde n'a pas fini en même temps et quand les délais entre ceux qui communiquent leurs textes à la classe les "premiers" et ceux qui passent les "derniers" avoisinent les quinze jours. Que faire ? Invi-ter les "premiers" à attendre ? Leur proposer d'engager de suite un autre projet d'écriture à leur convenance ? Par expérience, nous constatons que lorsque la souplesse est de rigueur, quand écrire ne revêt pas un caractère d'obligation, quand les enfants peuvent amé-nager des "plages de respiration" entre les projets, quand est accor-dé à ceux qui en ont manifestement besoin le temps nécessaire pour réécrire, alors les choses se passent bien. C'est vrai, "on n'est pas aux pièces" en classe, pourquoi faudrait-il toujours courir ? Ceci ne si-gnifie pas pour autant qu'il y ait un mépris total des échéances, sur-tout si les échéances des uns ne sont pas les échéances des autres. Reste pour le maître, en instaurant cette dynamique des projets, à

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naviguer avec plus ou moins de précision entre "partition program-mée" et "improvisations permanentes".

** "Le bébé veut attraper la casserole" Vers la mi-octobre, quatre images séquentielles sont proposées

aux élèves. Les mettre dans l'ordre, les décrire. Cette fois-ci, il n'y a pas à raconter ni à inventer mais il s'agit de décrire avec précision. Le travail d'écriture est engagé après une heure d'animation portant sur les échanges oraux. Sept ou huit élèves terminent le texte après les vacances de la Toussaint. Il nous a semblé important de préciser le déroulement de ces activités car les attitudes, les comportements, les habitudes de réécriture et d'organisation développées seront bien évidemment reprises par les activités d'écriture inhérentes au projet même si, contrairement aux trois premières activités, un grand nom-bre d'entre-elles s'effectueront par deux ou en petits groupes de trois ou de quatre (voir organigramme).

En outre, il convient d'ajouter qu'un projet de "classe rousse" s'est concrétisé la dernière semaine de classe en octobre 1986. Les trois classes sont parties à Fresse sur Moselle, dans les Vosges. Nous nous étions promis dans chaque classe de bâtir un journal de classe pour les parents. Ce fut l'occasion de relater la vie quotidienne et les activités du séjour : visites (sculpteur sur bois, sabotier, fromagerie, musée du bois), veillées, grands jeux, etc. Le journal fut bouclé en trois semaines après les vacances de Toussaint. Le temps consacré à l'écriture des articles reporte d'autant la construction de l'histoire destinée à être représentée en spectacle au moins de juin. La plupart des articles furent écrits par deux. Ce qui facilita l'organisation des réécritures et l'émulation, la coopération dans le travail.

2. Organigramme des pratiques d'écriture relatives au projet de jeu théâtral. La production d'écrits émanant du projet s'oriente selon deux di-

rections : - communication d'informations relatives au projet à l'extérieur

du groupe-classe : - aux autres classes de l'école : messages concis qui tradui-

sent chaque semaine l'évolution du projet à partir du mois de mars, - aux correspondants, - aux parents (lettre du troisième trimestre pour l'évolution

matérielle du spectacle : décors, costumes, sonorisations, éclaira-ges…),

- affiches, programmes, tickets d'entrée. - élaboration des textes : - pour la construction du spectacle (saynètes, transmission

entre les saynètes, montage audio-visuel, présentation, remercie-ments),

- pour le journal de classe : nos impressions à l'issue du spec-tacle (20-30 juin 1987),

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- pour relater la séance que nous étions allés voir au Théâtre La Fontaine : "AGATHE 3".

c ) Travail collectif d 'écriture et de mise en scène : élaboration du spectacle Deux semaines avant les vacances de Toussaint, le projet de

spectacle est explicitement évoqué dans la classe. Quelle histoire, quels textes permettront aux élèves des trois classes de l'école de se produire sur la scène fin juin ? Quelle sera l'idée de départ ? Associe-ra-t-on des textes d'auteurs avec les textes d'enfants pour la créa-tion du spectacle ? Si oui, comment parvenir à les articuler ensemble pour former une histoire cohérente ?

Quatre fois vingt minutes sont prises cette semaine-là (9 h - 9 h 20) dans la classe de CM1-CM2 pour évoquer le projet. Il faut propo-ser des idées. Elles sont toutes retenues dans un premier temps, ins-crites sur une affiche disposée en classe. Il faut aussi s'encourager mutuellement à rechercher des pistes dans nos lectures personnelles et dans la vision des films, feuilletons, documentaires. Rendez-vous est donné après la "classe rousse" et les vacances de Toussaint pour mettre au point un premier texte qui serait le point de départ objectif des recherches à mener pour bâtir le texte du spectacle. Ce texte de départ doit proposer un cadre et en même temps être ouvert à de multiples apports. Ce doit être un pré-texte sur lequel se focaliseront imaginations et recherches.

Voici la situation de départ, point de lancement véritable du pro-jet. C'est le personnage de Nicolas qui a été retenu. Il fallait trouver une mésaventure suffisamment crédible qui puisse être exploitée pour construire un fil rouge convaincant. L'intitulé a été rédigé collec-tivement durant la première semaine de novembre, durant deux séances d'une heure (9 h 15 - 10 h 15)

"Nicolas Martin, à 8 ans et demi, a quitté sa maison depuis 48 heures. Il s'est enfui. Les recherches entreprises par la gen-darmerie, dans la ville, n'ont rien donné. A l'école, ses camara-des veulent retrouver Nicolas. Ils pensent que Nicolas n'est pas dans la ville. C'est sûrement dans la forêt qu'il est parti. Il faut s'organiser pour retrouver Nicolas. Certains n'ont pas envie de partir parce que la forêt fait peur. On dit qu'elle a des pouvoirs étranges. Mais on dit aussi qu'elle possède des secrets. Par groupes de deux ou trois, les enfants partent à la recherche de Nicolas. Pour eux, les découvertes inattendues vont com-mencer." Retrouveront-ils Nicolas ?

Il a fallu penser l'enchaînement de ces phrases ainsi que leur

agencement avec beaucoup de rigueur. En commençant le texte, nous savions une seule chose : Nicolas avait quitté sa maison. En ré-

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digeant, il fallait être assez précis pour proposer des pistes de travail et pas trop précis pour laisser la porte ouverte à de nouvelles idées. Sélectionner les idées d'abord, choisir les mots ensuite. Certains élè-ves se montraient très pointilleux sur le choix des expressions et l'ar-bitrage entre les propositions ne fut pas facile. Finalement, c'est ce texte qui fut communiqué aux deux autres classes, étant entendu que c'est la classe de CM1-CM2 qui avait la responsabilité de lancer le pro-jet.

Le t tre hebdomadaire aux parents

(troisième trimestre)

Mots d 'accueil aux parents de remerciements (représentation)

AFFICHES JOURNAL D 'ÉCOLE : TICKETS D 'ENTRÉE Relater la séance au PROGRAMMES au Théâtre La Fontaine JOURNAL DE CLASSE : Impressions sur le spectacle.

ACTIVITÉS

D'EXPRESSION ÉCRITE

Textes personnels racontant la pièce représentée au Théâtre La Fontaine Agathe Textes dialogués Recherches sur les - histoires policières et auteurs La Fontaine, d'aventures Perrault et les genres littéraires (contes - - création de saynètes, fables - balades) de transitions. Adapta tions de : - texte du montage - fables audio-visuel Le loup et l'agneau - récits Le Petit Nicolas

Dans l'esprit, ce message annonce assez bien ce que fut finale-

ment le spectacle. Concrètement, ce ne furent pas des groupes de deux ou trois qui partirent à la recherche de Nicolas, mais seulement deux enfants, un garçon et une fille.

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Comment exploiter l'idée de départ ? Dans les faits, les six semaines de novembre et de décembre ne

donnèrent pas de résultats probants. Il y eut deux raisons à cela : --> toute l'école était partie en classe rousse et les trois premiè-

res semaines furent consacrées au journal comme annoncé précé-demment.

--> dans la classe, les trois semaines précédant les vacances de Noël, les propositions de textes affluèrent. Les enfants s'étaient mis par deux pour écrire (cinq groupes). et les autres écrivaient seuls. La proposition de départ avait libéré les imaginations et chacun propo-sait sa version des recherches entreprises. On ne s'était donné au-cune consigne pour l'écriture et les histoires dialoguées "partaient dans tous les sens".

La lecture des premiers textes apporta les enseignements sui-

vants : - Il serait très difficile, voire impossible de représenter sur une

scène les histoires écrites (lieux d'actions trop différents dans l'évo-lution du récit, dialogues peu significatifs…). Ces constats se sont opérés au fil des lectures au cours des échanges qui suivaient quand on évoquait la perspective d'une histoire cohérente pour le spectacle. Mais quel fil rouge construire ? Peut-on retenir des éléments dans les textes écrits (des idées, des dialogues) ?

- Il est nécessaire de proposer des points d'appui pour structurer le récit, pour se donner des repères dans l'histoire à construire :

- dans quelles circonstances Nicolas est-il parti de chez lui ? - quels sont, très précisément, les groupes qui partiront à sa

recherche ? A quel moment cela sera-t-il décidé ? - quelles rencontres les groupes feront-ils ? - …/...

Les enfants ne pourront à eux seuls apporter toute la matière du texte du spectacle. Il faudra trouver des textes d'auteur.

Chacun est invité à résoudre toutes ces questions durant les va-cances de Noël.

A la rentrée de janvier, les ardeurs nouvelles des uns et des au-

tres doivent s'engager vers la réalisation des objectifs précis qui constituent des moments déterminés dans la trame du spectacle. Chacune des classes est dorénavant appelée à participer à l'élabora-tion de l'histoire. Des moments sont prévus pour débattre et deux élèves par classe se rencontrent pour effectuer la coordination des propositions (le mardi et le vendredi). A l'issue des trois premières semaines, il a été décidé que :

- Un bulletin d'information annoncera un matin sur RVN à 8 heures, que Nicolas a quitté sa maison depuis 48 heures. Le bulletin sera rédigé par trois élèves de CM1.

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- Une scène aura lieu dans la cour de récréation au tout début du spectacle Une douzaine d'élèves évoqueront l'absence de Nico-las et les recherches éventuelles à entreprendre. Elle sera écrite par trois élèves de CM1 et deux élèves de CM2. - Les groupes de recherche rencontreront des Clairères annon-cées par des mélodies interprétées à la flûte ou au chant. Ces clairières seraient des royaumes de l'imaginaire où tout serait possible. - Dans chaque clairière seront représentés des textes d'auteurs ou écrits en collaboration avec les auteurs. Chaque clairière déli-vrera un "message" susceptible de nous renseigner sur la desti-nation de Nicolas.

L'écriture des saynètes et le choix des textes d'auteur seront

achevés la dernière semaine avant les vacances de Pâques. Il restera en plus à écrire les transitions entre chaque saynète ou tableau. La transition est écrite par les élèves de la classe qui assure la saynète suivante dans le spectacle. L'écriture des transitions s'effectuera quand les répétitions auront commencé. C'est en jouant qu'apparais-sent vraiment les éléments qui déterminent les choix pour l'écriture des transitions. Celles-ci mettent souvent en scène les enfants fina-lement choisis pour opérer les recherches. Les enfants commente-ront ce qui s'est passé avant d'annoncer la suite. Parfois, ils vont in-tervenir à la fin des saynètes, dans les clairières, pour interroger les personnages.

Voici un tableau représentant les différents cas de figure qui ont présidé à l'écriture des textes.

TEXTES

D'ENFANTS TEXTES

D'AUTEUR avec la

collaboration d 'un auteur

Mme. Vandewlle

TEXTES D'AUTEUR

adaptés par les enfants

TEXTES D'AUTEUR

I. Nicolas quitte la maison CM1-CM2 (Sempé-Gosciny)

2. Bulletin d'in-formation CM1-CM2

3. La cour de ré-création CM1-CM2

6. (PRAZ)

La ponctuation en comédie CM1-CM2

7. Les aventures de Marcelin CM1-CM2

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8. La forêt musi-cale CE2-CM1 et CM2

9. LA CLASSE CM1-CM2 Clotaire à des lu-nettes (Sempé-Gosciny)

Le code secret (Sempé-Gosciny)

On a eu l'inspec-teur (Sempé-Gosciny)

FINAL : . Les chansons françaises (La bande à Basile) . Remerciements. . On voudrait faire cette chanson (Y. Duteil).

Le travail d'écriture, depuis la fin janvier, n'a pu faire abstraction

des exigences de mises en scène. Les élèves avaient déjà été sensibi-lisé à cet aspect avec la mise en espace des saynètes du Petit Nicolas et l'adaptation de trois d'entre elles. Mais la façon dont fut écrite la saynète intitulée "La cour de récréation" est très significative à ce sujet. (voir en annexe : document 2).

Elle fut rédigée fin janvier et février et demanda quatre semaines d'efforts, quatre fois par semaine et à raison de vingt minutes par séance. Les auteurs de cette saynète (3 CM1 et 2 CM2) s'étaient bien rendus compte qu'on ne pouvait plus laisser libre cours à l'imagi-nation. Il fallait absolument respecter les dimensions pratiques, concrètes exigées par la situation. Cette saynète, hormis le prologue, avec Nicolas seul devant les spectateurs -clamant sa volonté de quit-ter la maison et de ne revenir que lorsqu'il serait grand et qu'il aurait une auto et un avion- serait véritablement la première du spectacle. Elle devrait "accrocher" les spectateurs à l'histoire, la rendre crédible et mettre les éléments nécessaires à sa compréhension. Le "cahier des charges" comportait donc les points suivants :

- annoncer avec certitude le départ de Nicolas pour la forêt. - révéler de manière allusive, les pouvoirs étranges de la

forêt. - proposer la création de groupes de recherches. - faire intervenir les audacieux et les réticents dans un mini-

débat contradictoire. - placer les dialogues en respectant le caractère des personna-

ges (Clotaire, Alceste, Agnan, Eudes, Rufus, Marie-Edwige, ...). - équilibrer les réparties. - créer des dialogues suffisamment convaincants pour que les

spectateurs s'investissent dans l'histoire. Le résultat fut que la rédaction s'effectua au prix de discussions

acharnées : - Faut-il placer cette phrase dans les propos d'Agnan ou de Ru-

fus ?

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- Parle-t-on des clairières ? - Faut-il parler de la maîtresse ? - Demande-t-on la permission à nos parents pour partir à la re-

cherche de Nicolas ? Certains jours, vingt minutes de travail ne donnèrent pas plus de

trois ou quatre phrases de dialogue. Mais, connaissant les conditions de l'énonciation, sachant qu'il fallait surprendre les spectateurs, les enfants œuvraient à la construction du sens en respectant les diffé-rents équilibres. Une dimension de l'évaluation de leur travail put être établie lorsqu'il fallut communiquer la saynète au public que consti-tuaient les élèves de l'école (cinquante moins cinq). L'attention mani-festée par ces derniers ainsi que les rires qui ponctuèrent la présenta-tion de la saynète montrèrent que le pari de la confiance pouvait être tenu. Cette saynète, comme toutes celles qui furent réussies à leur présentation, engageait les enfants à redoubler d'énergie pour mener à bien le projet qui les réunissait.

La façon dont fut écrite cette saynète par les cinq élèves fut très différente de celle adoptée par les élèves (souvent par deux) qui avaient décidé de continuer à écrire sur leur lancée d'avant Noël. Ils n'avaient aucune autre contrainte, dans la conduite de leur récit, que celle de suivre l'"esprit" du texte proposé comme situation de départ. Pour eux, les mots et les phrases défilaient sous la plume. Quinze pa-ges de classeur 21 x 27 étaient "remplies" par Caroline et Christine, élèves de CM2 (voir annexe 3). Elles prenaient visiblement plaisir à écrire et, après les réécritures d'usage et la dernière mouture sur le cahier d'expression écrite, à communiquer leur texte à la classe. La typologie générale des personnages était tout à fait respectée, mais, fin janvier, on ne savait pas comment il aurait été possible d'intégrer leur histoire dans le texte du spectacle (voir un extrait en annexe). Leur histoire a effectivement intéressé les élèves de la classe mais elle faisait intervenir trop d'éléments (le passé de Nicolas dans sa fa-mille, lieux selon lesquels se déroule l'histoire, moments différents de l'histoire qui apparaissent "trop éclatés") pour pouvoir être représen-tée. Il aurait été possible de développer un court extrait avec un plus grand souci de précision en respectant certains impératifs de la mise en scène. Cela aurait conduit au type de travail engagé par le groupe de "la cour de récréation".

Cependant des idées exposées dans de tels textes ont été rete-nues et exploitées notamment pour l'écriture des transitions. Tatiana et Aurélie, Jean Paul et Ludovic ont vécu la même mésaventure que Christine et Caroline. Si la communication du texte à la classe est déjà une satisfaction en classe, Tatiana et Aurélie n'ont pas accepté de bon cœur de voir que leur texte n'était pas retenu selon les décisions prises collectivement à partir des échanges et analyses des uns et des autres. Il restait à prouver dans ces cas là que ce qui était écrit pouvait techniquement être mise en scène. C'est par de telles discus-sions que les enfants prennent conscience des contraintes spécifi-

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ques du jeu théâtral. D'ailleurs, plus on avançait dans la réalisation du projet (février-mars), plus il était difficile de dissocier écriture et mise en scène. La difficulté pour les élèves, était d'intégrer les exigences techniques de mise en scène par rapport à l'écriture. Les textes écrits spontanément dans l'enthousiasme suscité par le projet ne purent, tels quels, entièrement en tout cas, s'articuler à l'histoire.

Globalement, le projet aura suscité de nombreux textes. Les ca-hiers d'expression écrite en attestent. Les textes retenus pour être joués, en proportion, sont peu nombreux (trois sur onze) et répon-dent toujours à un objectif précis : ils ont été écrits en fonction des besoins présumés au fur et à mesure de la construction de l'histoire. C'est ce que nous avons découvert chemin faisant car la plupart des textes non retenus ont été entrepris en décembre au moment où le projet s'élaborait à peine, au moment où personne ne savait quelle allure aurait le spectacle. C'est en avançant, en opérant des choix, c'est-à-dire en refusant de s'engager sur un certain nombre de pistes proposées que l'on s'est aperçu, élèves et enseignants, que l'écriture qui vise une communication théâtrale, qui permet aux acteurs de tra-duire des émotions et de les partager avec le public ne peut s'enga-ger comme cela au fil de l'imagination sans se situer en fonction de paramètres qu'il est économique de déceler au plus vite.

Susciter le goût et le désir d'écrire, c'était un objectif visé par la mise en place du projet. Pourtant, la majorité des textes écrits n'ont pas été joués sur scène. Ils ont été lus à la classe. Il n'est d'ailleurs pas certain que l'un des textes écrits sous les contraintes des exigen-ces pragmatiques ("la cour de récréation") ait donné autant de plaisir à leurs auteurs que ceux qui se sont contentés d'écrire sous l'impul-sion d'un généreux élan quand fut lancée la chasse aux idées une fois le premier cadre fixé.

CONCLUSION Nous avons tenté de montrer très partiellement comment les

pratiques langagières (parler, lire, écrire) pouvaient être stimulées en situation de communication par le projet théâtral.

Les dimensions pratiques de notre entreprise se développent se-lon deux exigences dialectiquement complémentaires au cœur même de l'apprentissage : susciter le désir de lire/écrire et inciter à l'amélio-ration du texte pour le rendre communicable par un travail de struc-turation morpho-syntaxique et lexical. Nous avons constaté qu'il fal-lait avoir le souci de la personne sans renoncer à celui du groupe. En effet, c'est la dynamique instaurée par le projet qui porte les élèves à progresser pour le groupe et pour eux-mêmes. Cela conduit à exploi-ter les ressources qu'apporte la vie du groupe/classe et à guider le déploiement des itinéraires personnels tout en favorisant l'interdisci-plinarité. L'amélioration des textes individuels ne peut s'opérer qu'en organisant les conditions favorisant les itinéraires personnels pour

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intérioriser les acquis notionnels et méthodologiques en fonction des besoins réels de chacun (grilles d'évaluation, contrats didactiques).

Si l'on s'accorde avec D. Hymes pour dire que "ce qui importe ce n'est pas de mieux comprendre comment le langage est structuré, mais de mieux comprendre comment il est utilisé"11, on conviendra que pour apprendre le français, il y a autant d'expériences à vivre que de savoirs à s'approprier. Cependant, instaurer le jeu théâtral favori-sant d'authentiques expériences langagières ne dispense pas de la recherche d'une cohérence didactique en se donnant "les moyens d'éviter la parcellisation à laquelle conduit aussi bien une pédagogie conçue exclusivement en termes d'objectifs opérationnels, qu'une pédagogie conçue en termes de disciplines juxtaposées". Cette cohé-rence consisterait notamment à harmoniser la progression des activi-tés vécues selon le projet et les "esquisses" de répartition posées dans chaque discipline de français. Problème tentaculaire et épineux que de réaliser cet équilibre instable. Il ne peut, nous semble-t-il, s'engager que dans la mesure où on permet à chaque enfant de bâtir son cheminement personnel (quelles plages de temps libre lui accor-der ?) en lui apprenant à situer ses besoins en situations fonctionnel-les et en lui apprenant à y remédier en situations de structuration (collectives, individuelles ou par groupes).

Les perspectives de cohérences visées entraînent un certain nombre d'exigences que nous devons assumer à la fois :

- au plan des "élucidations théoriques" nécessaires pour situer les véritables enjeux des apprentissages en didactique de la langue et de la communication (apports linguistiques ?)

- au plan des "réalisations pratiques" qui conditionnent les initia-tives et les responsabilités prises par l'enfant pour rendre ses ques-tionnements opérants.

Rechercher cette articulation nécessaire entre motivation et ri-

gueur dans l'organisation des apprentissages peut constituer aussi une garantie de crédibilité aux yeux des parents qui s'inquiètent de voir le théâtre se développer à l'école.

"Pensez donc, pendant ce temps là, ils ne travaillent pas !" Quel enseignant n'a pas entendu de telles réflexions en mettant

en œuvre ces activités dans le but de construire un spectacle ? Ce sont souvent aussi les mêmes parents qui se soucient de la place qui sera réservée à la dictée, à l'orthographe, à la grammaire en début d'année, qui viennent nous trouver en fin d'année pour se féliciter de l'évolution de leur enfant qui s'est ouvert, vient détendu à l'école, a plus confiance en lui, parle plus volontiers de ce qu'il vit en classe….

Au delà du propos anecdotique, mener un projet au long cours nous engage à établir une communication régulière avec les parents :

11 Del HYMES in introduction à "Functions of language in the classroom". Teachers

college. Columbia Univ. New York. 1972.

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sécuriser, clarifier, accueillir aussi ceux qui souhaitent s'associer concrètement à la construction du spectacle.

En terminant, nous voudrions relever les réactions spontanées des enfants à la fin des séances de jeu théâtral quand l'échéance de la représentation apparaît plus précise. Avant d'aller en récréation, il est urgent, pour certains, de se demander :

" Est-ce que j'ai parlé assez fort ?" " Cette fois-ci, je ne me suis pas mis le dos au public, hein ?" " Est-ce que ce chapeau là, ça va ?" " La prochaine fois, il ne faut plus que j'oublie cette répartie !" " Monsieur, vous ne croyez pas que Bruno devrait attendre

moins longtemps avant de lancer sa réplique ?" " On devrait baisser l'éclairage pour cette scène-là !" " Et comment on va faire pour le salut final ?" Nous aimerions parfois obtenir autant de vivacité à questionner,

de promptitude à analyser à l'issue des séances sur l'accord du parti-cipe passé par exemple. Cette remarque mériterait d'ailleurs d'être nuancée car il est fréquent de constater que les capacités d'analyse engagées avec intensité dans des activités à dominante socio-affective sont mises en œuvre également dans des activités à domi-nante socio-cognitive dans la mesure où l'enfant a clairement perçu l'utilité de celles-ci.

Ceci nous amène également à travailler certaines approximations qui nous conduisent notamment :

- à mieux articuler les situations de communication par lesquelles se vit le projet et les situations d'analyse où l'on prend conscience du fonctionnement de la langue.

- à affiner les procédures d'évaluation et d'auto-évaluation (ce point n'a pas été abordé dans cet article).

Ces questions ouvrent à de nouvelles actions et résolutions pra-

tiques selon l'esprit que définit Georges Jean : "Tout enseignement devrait tendre à vivre perpétuellement en avant de lui-même. Tous les pédagogues devraient parfois se considérer comme des conqué-rants du possible, non comme des archivistes et répétiteurs du déjà connu"12.

Francis RUELLAN Centre de Formation Pédagogique

LILLE

12 BACHELARD. L'enfance et la pédagogie, Ed. Scarabée, 19, p. 116

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ANNEXE 1

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ANNEXE 2

Nicolas est parti de chez lui. Il est parti dans la forêt. La radio a annoncé que Nicolas Martin est parti de sa maison.

LISE "Où est Nicolas ?". CLOTAIRE "Mais tu n'as pas écouté la radio ce matin, Nicolas est parti de

chez lui". ALCESTE "Oh ! c'est dommage, il allait m'inviter chez lui et j'avais bien en-

vie de manger du chocolat".

La cloche sonne. Ils rentrent en classe. LA MAÎTRESSE "Écoutez les enfants, Nicolas est en danger."

Les heures passent, la récréation sonne. Ils sortent de la classe, la maîtresse prépare le tableau. VIRGINIE "On pourrait aller à sa recherche cet après-midi puisque nous

sommes samedi". EUDES "D'accord, rendez-vous tous à la grille de l'école cet après-midi à

13 h 30". MAISCENT "Moi, je n'y vais pas".

Ils rentrent en classe. Le cours de géographie est prêt au tableau. Quand le cours est fini, les enfants partent chez eux. ALCESTE "Bonjour papa, bonjour maman. Cet après-midi, toute ma classe

sauf Maiscent va à la recherche de Nicolas, il faut des provisions, donne-moi toutes les boîtes de biscuits que tu as achetées ce ma-tin".

MAMAN "Mais écoute-moi, tu es trop jeune et c'est trop dangereux". PAPA "S'il te plait, laisse-le aller où il veut".

Alceste donne deux baisers à son père pour le remercier. Ils commencent à manger.

MAMAN "Dépêchez-vous, il est déjà une heure". Alceste n'a pas encore fini de manger qu'il dit : " J 'ai fini maman, je ne mange pas de dessert".

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MAMAN "Ça m'étonne, d'habitude, tu le réclames toujours". ALCESTE "C'est bien réfléchi, je mangerai quand même un dessert".

L'horloge sonne 13 h 30 minutes. MAMAN "Dépêche-toi Alceste, tu vas être en retard à la grille de l'école".

ANNEXE 3

Dans la cour de récréation

J oachim Avez-vous écouté le bulletin d'informations ? Geoffroy Oui ! Je sais que mon beau chien s'est fait écraser. Agnan Mais que se passe-t-il ? Maiscent Nicolas a disparu. Les élèves Quoi ! Comment ! Ce n'est pas possible. Geoffroy Vous en faites une tête, Clotaire et Alceste. Clotaire Il m'a demandé de lui prêter mon vélo, mais je n'ai pas voulu. Alceste Chez moi aussi Nicolas est venu. Il m'a demandé si je voulais aller

avec lui. Maiscent Et alors ? Alceste Alors, il m'a dit que quand on sera grand, on sera riche et on aura

une grande auto et un avion. Maiscent Et si on faisait notre enquête ? Agnan Ce n'est pas la peine puisque la gendarmerie le recherche. Geoffroy Oui, mais nous avons Clotaire et Alceste. Maiscent Deux indices qui vont nous aider à ramener Nicolas. Eudes Les copains, j'ai reçu une lettre de Nicolas ce matin, dans ma

boîte aux lettres. Les élèves Montre. Agnan AIE ! J oachim Qu'y a-t-il ? Agnan Le pince oreille de Clotaire m'a pincé l'oreille. Maiscent Bon, revenons à la lettre.

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Les copains Je suis parti dans la forêt pour y trouver le secret et quand je

reviendrai j'aurai une auto et un avion. Nicolas

Geoffroy Mais que pouvons-nous faire pour aider Nicolas ? Clotaire Il faut aller le chercher dans la forêt. Agnan Non, il ne faut pas y aller, il paraît qu'elle a des pouvoirs surnatu-

rels et maléfiques. Geoffroy Maléfique ! C'est dangereux pour Nicolas. Agnan D'abord, puisqu'il est parti, il reviendra. Eudes C'est quoi maléfique ? Maiscent Je ne sais pas, demande à Monsieur "je sais tout". Agnan Maléfique veut dire incroyable et méchant. Eudes C'est quoi incroyable ? Agnan Incroyable, c'est impossible. Eudes Je n'ai toujours pas compris ce que voulait dire maléfique (Agnan sort un dictionnaire de son cartable) Agnan page 250 dans le dictionnaire Larousse de poche : "qui a une influence surnaturelle et maligne." Eudes C'est quoi maligne ? Agnan Enclin à dire ou à faire des choses malicieuses : un enfant malin. Eudes C'est quoi malicieuses ? Agnan Qui a de la malice, malin, taquin. J oachim Ça va on a compris. Maiscent Revenons à Nicolas. Clotaire On peut faire des groupes. Eudes Comme chez toi Clotaire, quand on a joué aux cow-boys et aux

indiens. J oachim Alors, on les fait ces groupes ? Eudes On peut les faire comme çà : Ier Clotaire et moi 2ème Rufus et Joachim 3ème Maiscent et Agnan 4ème Geoffroy et Alceste Est ce que vous êtes d'accord ? tous oui ! non !

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(en même temps) (le bouillon arrive) Le bouillon Je ne sais pas ce que vous manigancez, mais ça a l'air bizarre. Clotaire Mais qui a dit non ? Le bouillon Qu'est ce qui se passe encore ? Regardez moi bien dans les yeux. Maiscent Nous cherchons qui a dit non. Agnan Eh bien ! moi, quoi ! Les élèves Pourquoi ? Agnan D'abord je dois réviser ma géographie et vous n'avez pas le droit

de m'obliger à venir avec vous. Clotaire Et pourquoi çà ? Agnan Je veux rester avec la maîtresse. (en pleurant) Le bouillon Si vous continuez, je vous mets tous en retenue. (les filles arrivent) (le bouillon s'en va avec Agnan) Christine Vous avez entendu la nouvelle ? Eudes Bien sûr ! Virginie C'est dommage pour Agnan. J oachim Pour Agnan ? Clotaire C'est plutôt dommage pour Nicolas. Les filles Nicolas ? Geoffroy Bien oui, Nicolas a disparu dans la forêt et nous faisons notre en-

quête pour le retrouver. Alceste Et votre nouvelle, c'est quoi ? Virginie Que la maîtresse va faire un stage de 4 jours. Tous Youpi ! On va pouvoir aller chercher Nicolas. Les filles On peut vous aider. On vous sera peut-être utile. Eudes J 'ai une nouvelle idée pour les groupes : Ier Clotaire et moi 2ème Rufus et Christine 3ème Geoffroy et Alceste 4ème Marie et Joachim 5ème Virginie et Maiscent Vous êtes d'accord ? tous Oui !

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(Agnan revient) Agnan Vous êtes fous, vous ne pouvez pas aller dans la forêt, vous sa-

vez bien que c'est trop dangereux. Rufus Et alors, tu veux laisser Nicolas dans la forêt sans lui porter se-

cours ? J oachim Lui porter secours ! Qui te dit qu'il est perdu ? Peut-être sera-t-il

revenu chez lui ce soir ! Maiscent Tu n'en sais rien du tout. Tu ne veux pas aider Nicolas parce que

tu as peur. Agnan Non, je n'ai pas peur. Virginie C'est vrai, il a raison, il faut faire attention. On raconte qu'elle a

des pouvoirs maléfiques. Ce n'est pas pour rien quand même. Chris tine Il faut attendre demain avant d'aller à la recherche de Nicolas. Il

peut encore revenir ce soir. Marie C'est çà, et demain on attendra après demain. Non, non, tout çà,

ce sont des excuses pour ne pas y aller. Chris tine Pourquoi des excuses, on n'est pas des lâches. Il faut faire atten-

tion, c'est tout. Rufus Ça ne sert à rien de parler comme çà pendant des heures. Il faut

se décider. Agnan Il faut attendre et demander conseil à la maîtresse. (la sonnerie de rentrée des classes retentit) Agnan Eh les gars, dépêchez-vous, il faut aller se ranger, la maîtresse va

nous attendre.