je ne sais quoi 1

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Le Je-ne-sais-quói 11 Ya quelque chose qui est pour ainsi dire la mauvaise conscience de la bonne conscience rationaliste et le scrupule ultime des esprits forts; quelque chose qui proteste et « remurmure » en nous contre le succes des entreprises réductionnistes. Ce quelque chose est compa- rable, sinon aux reproches intérieurs de la raison devant 1'évidence bafouée, du moins aux remords du for intime, c'est-a-dire au malaise d'une conscience insatisfaite devant une vérité incomplete. 11 y a quelque chose d'inévident et d'indémontrable a quoi tient le coté inexhaustible, atmosphérique des totalités spirituelles, quelque ChOS[) dont l'invisible présence nous comble, dont l'absence inexplicable nous laisse curieusement inquiets, quelque chose qui n'existe pas qui est pourtant la chose la plus importante entre toutes les choses importantes, la seule qui vaille la peine qu'on ne puisse dire! Comment expliquer l'ironie passablement déri- soi'i1: de ce paradoxe : que le plus important, en toutes choses, soit pas ou dont l'existence, a tout le moins, est le plus douteuse, amphibolique et controversable ? Quel malin génie empeche que la vérité des vérités soit jamais prouvée sans équivoque ? Autant demander pourquoi c'est justement le mal qui est tentant, le plaisir nuisible qui nous attire, le devant-etre qui nous répugne! Ce n'est p';s le lieu de nous interroger sur l'ataxie constitutionnelle qui fait de ladonnée trompeuse une évidence obvie et inambigue, de l'unique chQse essentielle un absconditum et un mystere, qui nous sous- trait celui-áen nous amusant avec celle-la... LaJ}ostalgie de qUelquQ chose le sentiment qu'il ya autre chose, le-piitnos dlmcomplé- --- \ .., 11 '<../ I '1 " ;) ""

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  • Le Je-ne-sais-qui

    11 Ya quelque chose qui est pour ainsi dire la mauvaise conscience de la bonne conscience rationaliste et le scrupule ultime des esprits forts; quelque chose qui proteste et remurmure en nous contre le succes des entreprises rductionnistes. Ce quelque chose est comparable, sinon aux reproches intrieurs de la raison devant 1'vidence bafoue, du moins aux remords du for intime, c'est-a-dire au malaise d 'une conscience insatisfaite devant une vrit incomplete. 11 y a quelque chose d 'invident et d 'indmontrable a quoi tient le cot inexhaustible, atmosphrique des totalits spirituelles, quelque ChOS[) dont l'invisible prsence nous comble, dont l'absence inexplicable nous laisse curieusement inquiets, quelque chose qui n'existe pas qui est pourtant la chose la plus importante entre toutes les choses importantes, la seule qui vaille la peine d'etrejLt~se~~t~st~~ent qu'on ne puisse dire! Comment expliquer l'ironie passablement drisoi'i1: de ce paradoxe : que le plus important, en toutes choses, soit prcisemeilr~;'existe pas ou dont l'existence, a tout le moins, est le plus douteuse, amphibolique et controversable ? Quel malin gnie empeche que la vrit des vrits soit jamais prouve sans quivoque ? Autant demander pourquoi c'est justement le mal qui est tentant, le plaisir nuisible qui nous attire, le devant-etre qui nous rpugne! Ce n'est p';s i~i le lieu de nous interroger sur l'ataxie constitutionnelle qui fait de ladonne trompeuse une vidence obvie et inambigue, de l'unique chQse essentielle un absconditum et un mystere, qui nous soustrait celui-en nous amusant avec celle-la... LaJ}ostalgie de qUelquQ chose d'autr~" le sentiment qu'il ya autre chose, le-piitnos dlmcompl--- \ ..,

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  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN tude enfin animent ~e' ~;P~'~~~d~Philosoph~~qui a toujours t en marge et parfOls aCetr~ta: pi'TosopliTeexotrique. Platon, qui sait, quand il dit les choses fd'iaEles,'ao3:iidonner le discours dialectique pour le rcit mystriologique, Platon parle dans le Banquet d'un quelque chose d'autre dont les ames des amants sont prises, qu'"'enes"e'~peuv''irexp1'Ilner, qu'elles devinent seulement et suggerent en nigmes : &).)..0 TL ~oUAofLv1) ;XIXTpOU Y
  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET L'OCCASION

    nuances et ce ballet des ombres vaines dont le nom platonicien tait Skiagraphia. Chrtien et surnaturaliste, Gracin ne manque pas une occasion de prciser que la 'vrit seule importe, et il oppose volontiers

    r-J' homme substantiel 1 a l' homme d'ostentation . Il dit qu 'il 1 faut prfrer le solide de la substance au vide de l'ostentation, la vraie j royaut a la vanit, le rel au luxe des crmonies. Le livre du Discret, r;l t__qui raconte I'apologue du Paon, I'oiseau d'ostentation, explique tho

    logiquement comment ce primatdu substantialisme s'accorde avec une rhabilitation relative des mod-lits:,_:J.~..,Crateur a confr a ses cratures le:Paraitteerii~rne~ten;ps q~.:J~.fu!ii et ceei par surer.o~'''\ car, commei'affifiCeest Une secona; nature qui double et eorse la ! premiere, ainsi la maniere d 'etre est un second etre ou un supplment ~

  • " "

    LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET L'OCCASION

    pas 1. Qmun~si! Gracin aurait pU dire : c~JJ.ui nesevoit pas n'existe pas; oril crit: 1'invisible estautant dire';.-ne,xGt~I!1. La-~p1edeuf ne

    .'.:t'pos~'pas1avaT'r;'mls 'elre'l~r me{ 'enc>WireiTLa'~p'utation ou renom, . .

    't':.P~.rii!D_-~~onc l'ave~~~nt_'!Ll:~t~} un ~B ~~@. tant entendu que le langage nous trahit encore; car le langage veut des substantifs, et secondairement des verbes dont ces substantifs soient les sujets. En fait, il n 'y a pas un etre avant, un etre apres, et un soc1e

    , .

    ;

    ,.1 ~ou support du changement 1, mais c'est I)Y~Il~.Illent-!:J..:-Yt[eQ1..est t:

    la ~~JIJ~,_s!!b.~J,~,2f,e; et l'autre lui-meme n'est autre que secondairement et par la grace de I'altration. En disant que l'altration est un passage du meme al'autre ou une transition d'autre en autre, nous nous laissons derechef garer par le mythe substantialiste du systeme de rfrence, par la prsance grammaticale du statique sur le cinmatique et du cinmatique sur le cintique, et enfin par une pente invincible a confondre le mouvement se-faisant avec le trajet effectu. En fait l'altration prcede et pose I'altrit comme la position elle-meme prcede et pose la positivit, laquelle, une fois pose, dpose , refroidie, devient sance tenante un dp6t et une ngativit. Ne disionsnous pas ici meme que le resplendissement prcede et rayonne la splendeur? Le mode a son tour n'est un mode que lorsqu'il est en train de remplacer le prcdent et sur le point d 'etre refoul par le suivant : la modification est donc a la lettr~.i~tion de modes; elle e;t un autre no~~pour""'cti~~-histoire ou biographie de 'Ya substance dont les phmrides et les tats successifs, immobiliss apres coup dans une chronologie, se dtermineront pour nous les uns les autres en tant que modalits. La modification ne dfinit pas les modes en les changeant" caril faudrait,pouretrechangs, qu 'ils

    ~~i~~a:~e~:tpl:a~~:;~~\~:11~:~~~~'lt1n~ifIut~~ic~tr:n~'~ petit. La qualit, c'est-a-dire la proprit d'etre ainsi ou autrement, se qualifie elle-meme par rapport a des qualits dissemblables : c'est le temps qui droule pour nous cette varit pittoresque et dtermine

    1. Bergson, La Pense el le Mouvanl, p. 144 sq. (La perception du changement).

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    , la spcificit qualitative de ces nuances, c'est dans le temps que notre ' 1\ regard en parcourt la pluralit, en compare les tonalits diffrentielles, :\ en apprcie les nouveauts. lei encore la relation prcede et dtermine

    les termes relatifs. Bergson nous a familiariss avec le paradoxe de ce renversement qui seul permet d'opposer a la ngativit de la positivit ~-.., i : la plnitude de la position. Comme ces o~lger~~a- " (~:.: rl!illent gue dan~l~J!!Q!;l.~~~nt, l'etr:....~:~~,"~E.~tr.~.9~~c!~nsle chan- l :=v 11 gement qui luj fait quitter son etre, en soi inexistant, pour un autre,t etre qui ne"sera' pas moins inexistant. Et pourtant, par la grace de

    I'altration, ~~~te! L'etre, disions-nous, est tout entier opration '. ,et maniere de devenir et maniere de cette maniere a I'infini et devenir des manieres; et vice versa le devenir n'est rien d'autre que de I'etre /toujours naissant; le devenir n'est pas seulement ontologique, il est i ~ncore et surtout, si I'on ose dire, ontogonique, ou plus simplement. :,,~encore : il est cration perptuellement recommence; si humble que );oit cette cration, elle est positiond'etreoontinue, et elle est une' thaumaturgie crative en cela. L'ontogonie fait sans doute toute la .diffrence entre l'Apparaitre et le Pa~1tre, celui-Ia qui a pour vo~o ,. L!'.~PPa.EitjPQ.i~, celui-ci qui n'e~ frianp que d'apparence(bicles.~ L'apparence, maniere a fleur de peau~pas pris la peine de'~i effectivement ce qu'elle parait; mieux : elle s'est dispense du devenir qui est I'effectivit par excellence, et elle ressemble a un fruit muri

    ,hop vite auquel il ne manque presque rien sinon prcisment I'essen\.!!e1, I'arme inimitable, le bouquet , le je-ne-sais-quoi; de I'etre

    , lentement et completement devenu elle n'imite, la futile, la prmature, que les dehors et I'aspect extrieur, la suavit superficielle, mais I'ame du je-ne-sais-quoi et la maniere de la maniere, elle ne I'aura ;i jamais. Voila ce qui arrive quand, faute de lenteur et de pudeur, on

    \ se soustrait a la loi du temps. L'apparence fait peu de cas de cette \, paisseur d'historicit et de tradition temporelle qui seule prouve : et confirme les etres, elle ne sera donc jamais qu'un etre diminu!..,~ne l mince image irise et un fantasme sans cn~.il~' Plus encor que

    ; l'ppareICeaf'Ve;TrCde"par1treeStt'rapp d'irralit : car pour celui qui a dcouvert le pouvoir de jouer et bluffer avec les apparences, paraitre n'est pas seulement I'artifice d'une conscience trop presse, mais la ruse d'une conscience fraudeuse; Paraitre, mani par I'ingenium industrieux, est plutt une escroquerie qu'un processus mta

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    initiateur que l'etre imit. C'est ainsi qu'on trouve chez La Rochefoucauld, La Bruyere, Kant, toute une thorie de la contrefa90n morale : les"acreB conformes au devoir imitent ce qu'on peut imiter, attrapent ce qu'on peut attraper, une ponctuation par-ci, un pas de danse par-la, des intonations, des mines contri tes et del> simagres; l'imposteur a cet gard n'est rien d'autre qU'u!l'singe.':L'appropriation imitative reste donc toujours sur le plan der' avoir le plus parcellaire... Telle n 'est pas l' imitation de Oieu que recommandent, par mtaphore, les spirituels, telle n'est pas l' homceose ou assimilation d'essence, ou union fruitive, dont parlent les mystiques : celui qui ressent pour de bon un sentiment le sent en fait comme si c'tait la premiere fois, et de la meme fa90n (I'itration tant ici indiscernable de l'invention et la rptition indiscernable du commencement) celui qui revit, refait, recre effectivement est luimeme le crateur en personne. Ce qui est vrai du remords, de la commisration et de l'amour ne l'est pas moins de I'intuition. La vie affective, a condition d 'etre sincere et pure de tout apocryphe, est donc une lenteur et un attardement, une dure qui prend le temps de durer pour s'imprgner de la saveur qualitative du vcu. Et quant au devenir en gnral, s'il n'est pas a la lettre une cration gniale de chaque instant, il est pourtant bien une sorte de renaissance continue, et c'est-a-dire une naissance continueIlement rebondissante, aussi inlassablement reconduite que les contractions du cceur, aussi perptuellement relance que le sang."da.Qs..!~-rteres . exist.er,.J1 'estoce pas renaitre ainsi d'instant en instant par un mirac1e de chaque seconde? On comprend maintenant pourquoi I'apparition se confond avec I'apparaitre dans la coule d 'un devenir sans cesse apparaissant, au lieu que I'apparence se dtache du paraitre par I'effet d'un subit escamotage; c'est ainsi que la fa90n du devenir s'oppose a la contrefa90n du sembler , que la fa90n de faire est singe par la contrefa90n du

    \'-.CLparaitre-faire . Pour tout ce qui regarde son intret, la surconscience menteuse coincide avec soi dans une misrable inconscience vgtative. Qui s'occupe de tromper les autres n'a pas lui-meme le loisir de devenir effectivement un autre; qui se compose pour jouer les roles de son etre, par dfinition meme ne se dcolle jamais reIlement de cet etre. Bien au contraire! Plus il se grime, plus il adhere a soi; plus il croit etre un autre, plus il reste le meme. Le meme p~~t.-~Lnon

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    LA MANIERE ET L'OCCASION

    ~s lui-!.!H::m.e! Car on peut admettre que le devenir permette a I'ipsit e se raliser en se dveloppant; tandis que la semblance et la simu

    lation sont, a la lettre, une tautousie , c'est-a-dire une tautologie vcue; le semblant n 'est pas ce qu 'il semble, mais plus que jamais il est ce qu'il est, et plus il semble, plus incurablement il s'enfonce dans ce qu'il est. Ce qu 'il est, au sens grossierement substantiel et massiLdl:l " verbe etre, s'appelle l'Ego. L'autre du simulateur est un alibi--d I'ego" )

    ....... 'J.'

    et un Alias Autos, comme I'altruisme du simulateur esC'ne priphrase de I'goi"sme, comme en gnral I'altrit du simulateur est une pseudo-altrit et un camouflage de I'identit la plus compacte, comme l'altration simulatrice enfin n'est qu'une immutabilit truque : le moi a beau tirer sur sa chaine pour etre un autre et ailleurs, il reste le meme et sur place... Ailleurs en effet n 'est vraiment ailleurs et l'Autre n'est vraiment autre que plus tard : n'est-ce pas le mouvement qui conditionne l'alibi, I'altration qui conditionne I'altrit L_ Le mouvement et le changement eux-memes ne prennent-ils pas du \ temps? Or on sait que la semblance, fabricatrice de simili ou de faux- ,~ semblants, escamote la traverse des intermdiaires et prtend gober d'un seul coup I'paisseur du temps :ile moi nuc1affil, prfrant la solution expditive de la grimace a la s'(;I-utO'1-a6oru~edu devenir, reste stupidement le meme et abonde dans son identit. Comment le moi incapable de devenir un autre moi communierait-il extatiquement avec le toi? Cet autre moi-meme qu'il appelle Toi est bien moimeme, mais ce n 'est pas un autre! Le masque que l'on peut mettre, enlever, remettre, et qu'on garde quelques heures pour s'amuser un soir de carnaval, le masque symbolise suffisamment cette frivole altrit a f1eur d 'piderme qui donne sr peu le change : l'altrit du simulateur est aussi peu srieuse et aussi phmere que le dpaysement des bals masqus. Les poques favorables a l'immutabilit de la substance se sont amuses avec ces piquantes mtamorphoses, avec ces prodiges plaisants et saugrenus - une nymphe change en fontaine, un carrosse en citrouille, un dieu en nuage d'or - qui ne sont que de petits dguisements anecdotiques a f1eur d 'etre et, en quelque sorte, des variations pidermiques sur le theme de la substance. La volubit, le polymorphisme et I'arbitraire de ces mtamorphoses d 'Ovide sont-ils un alibi de I'imagination friande d ''!.1.t~rations sur le dogmatisme immobiliste ? ~reOsmiim~pp~~a t, pour une conscience ~j

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  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    ignorante de l'volution, un moyen d'honorer I'altrit. Entre feindrC! .et devenir la distance est aussi grande qu 'entre I'altrit ludique dO travestissement et l'altration magique de la rincarnation : en fai de transition, l'homme travesti n'a travers que le laps de temp ncessaire pour se dvetir, puis se revetir, c'est-a-dire le temps d'u

    __dguisement adialectique et rversible, non mdiatis par la douleu r des mtamorphoses et le dchirement des mtempsycoses; il reste' L_,onc f(jJl,(;ierement ce qu'il tait - ou si I'on prfere : ce qu'iLg(git\

    iH'est enco~, son prsent substantiel et son prtrit se ressoudant de partet~iitre de la superficielle et tres provisoire mtabole. Comme celui qui porte illgalement des dcorations sans en avoir acquis le droit, sans les avoir mrites par ce stage d 'preuves auquel toute crature est soumise, sans avoir accompli ses priodes , ainsi l'homme qui fait la roue en prtendant esquiver le purgatoire du devenir n'obtient qu'un renouvellement passager de son etre; et, puisque le temps est seul fondateur, l'apparence que cet usurpateur emprunte est une apparence infonde. Il arrive sans doute qu'il prenne got a son plumage et acquiere peu a peu, par I'habitude, l'etre de la neuve apparence : mais c'est qu'il a, bon gr mal gr, obi au principe du " dlai, de la temporisation et de I'expectative. Il est pris au piege de son' propre piege. Le devenir, qui est apparition, c'est-a-dire,e~()Nrce des

    !tapparences temporellement fondes et continuelIeme1ltremani~, le . Udevenir qui fait surgir le phaenomenon bene fundatu~'So~tenu par le profond pass et la profonde histoire, le devenir est la dimension selon laquelIe I'etre se transfere lui-meme tout entier dans une autre ralit ontique, ou mieux passe d 'etre en etre continuellement, l'etre ~tatique n 'tant achaque moment qu 'une coupe instantane dans ce transfert. L't~egevie}!tuI1_u.tr.e. ~tr~ P?l:lIPl;.L1. gu 'iI)II11~!!.e.l~_t~~ps. On dirait volontiers que le devenir est palingenese continue ou, en

    r-.dtournant lgerement de leur sens les mots du PhiIebe, y\iem~ d~ oucr[(X\I. i Modification et mtamorphose, transformation et meme transfiguI ration dsignent des processus trop partitifs et empiriques pour pouvoir L---..signer cette transmutation thaumaturgique, cette transfusion irrversible et vraiment ontogonique qu 'est le devenir. Peut-etre faudrait-il dire transsubstantiation... La transsubstantiation, qui est une petite rsurrection de chaque instant, s'oppose a la transformation secondaire, simulacre d 'altration ou le changement n'atteint pas I'essence de

    40 '.~/ J-"', \.t

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  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN besoin du changement comme un symptme de notre dchance; alors que ce besoin, mme dans ses formes les plus frivoles, annon dja la divination d'un tres important mystere... Nous avons montrl

    que le Tp:7tl\l et partant la ~()nvefsion elle~rnm~ ~t~.i~~~J?!1!.~ / de mystere que les tropes de la rhtorique : a partir d 'ici, il n 'y a plu L-gue les tropes pneumatiques et la tournure de I'ame ; s'il n'eST .,

    pas de recettes techniques du tour de main , aplus forte raison I tournure de I'ame, qui est purement intentionnelle, chappe-t-elle a-----;----~-._-.-_ _.~. ~., .. _.-__ .0 _" toute mensuratlOn. Tpit~-'i"1j

  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET L'OCCASION .~~:;;;iqiY1~")~c-ne:~~i~c-'~~
  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    temporaire: elle justifie donc non pas l'agnosticisme, mais un prudent relativisme qui est en quelque sorte une pudeur d'affirmer. Temporaire' et locale, elle est par la meme inessentielle : comme elle ne concerne pas le tout d 'une ralit, elle n 'en concerne pas non plus la racine. On s'explique, dans ces conditions, que le je-ne-sais-quoi puisse passer pour une illusion : c'est comme un faiblissement de l'esprit fort, un

    ti certain tat de vague a l'ame qui tient peut-etre a l'humeur et qui nous . 11 inspire parfois des manieres de parler vasives, approximatives et en .

    quelque sorte atmosphriques; la tete la plus positive, quand elle se trouve en humeur de capituler, devient capable de revenir ainsi a l'age thologique et d'hypostasier son ignorance. Baptiser je-ne-saisquoi, quand on pourrait le calculer, le dterminisme encore inexpliqu d'une aberration astronomique, ce n'est pas de la mtaphysique, mais . de la psychasthnie; tout mathmaticien peut etre dmissionnaire a ses heures, et il n 'y a rien a conc1ure de cela.

    Mai~,1l;:recours au je-ne-sais-quoi peut etre aussi une ngligence ~ou un"ddain de l'esprit fort. Le logos a ses limites, et il faut bien en

    ~~enir cmr;te. Chez nos c1assiques, chez Corneille, Racine, Bossuet, Pascal, le cardinal de Retz, Montesquieu \ le je-ne-sais-quoi exprime

    ,...le premier dsarroi du rationaliste scandalis par les causes drisoires de l'amour, par la disproportion des causes et des effets, si injurieuse pour la raison, enfin par ces branlements infinitsimaux et ces motivations microscopiques qui sont les seules raisons ~--Crefr. Ici 1'esprit fort n'a pas pris le temps de dnombrer, dbrouiller ou faire ~l apparaitre tous les lments d 'une totalit ouverte : dsesprant d 'en ?finir, il dit et caetera prmaturment. Tantot les lments du complexe sont si nombreux qu'on n'a pas eu le loisir de recenser celui qui manque; tantot ils sont si enchevetrs qu'on n'a pas les moyens de

    OH.! . les dmeler ni d'isoler des autres le facteur critique; tantot le facteur critique ou problmatique est si tnu que nous sommes incapables d'en dpister la prsence. Impatience, paresse et impuissance technique! C'est l'insuffisance slective et c'est le pouvoir trop peu grossissant de l'organe et de l'instrument qui favorisent le plus notre inca-

    I. Pascal, Penses, 11, fr. 162 (Brunschvicg). Montesquieu, Essai sur le gout: Du je-ne-sais-quoi.

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    LA MANIERE ET L'OCCASION

    pacit de compter, distinguer, recenser, apercevoir. Surtout l'homme 1/f moderne dcouvre, au XVII e siec1e, des totalits complexes, ouvertes, I fii comme les ports de mer du Lorrain, sur I'horizoniPfini : des lments ji . positivement innombrables, un imbroglio inextricable, des quantits infinitsimales; de part et d'autre l'ultra et l'infra, enserrant la zone de l'existence moyenne; d'un cot la grandeur infinie dan~'le nombre des lments, de l'autre la petitesse infinie de ces lments eux-memes, ceux-ci tendant vers zro par rapport a celle-la; entre les deux une zone intermdiaire, quivo

  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    une complexit avec exposant .. on dirait volontiers que ce n'est pas une complication simple, mais une complication el1e-meme complique, et complique par une rciprocit d'interaction. Cette complication de la complication est une complication infinie, gnratrice de contradictions diaboliques autant qu 'insolubles; el1e suscite la t!!8die, la contradiction, I'ambivalence; elle a donc, au me~ettre que le dObi;-~fini,~p-cara~re .rntapJn:~jq.IJ.~... ou du moins mtempirique. Qui dmelera cet embrouilIement 1 ? Des carrefours ramifis a I'infini, des bifurcations infiniment bifurques rendent presque inextricable le labyrinthe de la complication complexe. Or s'il n'y a pas de clef unique pour ouvrir tous les cadenas du mystere, et si I'indchiffrable de la conscience menteuse, au contraire du secret d'un coffre-fort, ne se dchiffre pas grace a un chiffre simple qu 'il suffirait d'apprendre comme on apprend un mot de passe, mais s'interprete a l'infini, a jortiori l'indbrouil1able des complexus de complexes ne se dbrouille pas a I'aide d'une analyse finitiste : il y faut une analyse infinie et, seul accord a ces complexes de complexes, un raffinement de la finesse. Peut-etre la finesse avec exposant pourra-t-elle lire dans la complication avec exposaI1t? La ou une grosse posologie arithmtique ne fait qu'augmenter la confusion, une mathmatique fine , serrant de plus pres l'impondrable de la qualit et \'imperceptible de la fiuxion, apportera peut-etre la lumiere ? Hlas! la crasse grossieret de nos organes, aggrave par la pesanteur et I'hbtude d'un incurable esprit de gomtrie, prpare mal l'entendement obtus a saisir les impondrables. L'entendement est plutot fait pour dnouer des cables que pour trier des fils d'araigne! Ce sont, dit Marivaux, des objets de sentiment si compliqus, et d'une nettet si dlicate, qu'ils se brouilIent des que ma rfiexion s'en mele 2. Un objet infiniment dlicat veut un esprit dli infiniment. Comme on a trouv le microscope pour corriger la myopie lamentable des hommes et allon-

    I ger leur courte vue, trouverons-nous I'appareil qui aiguise notre "-- facult de discernement si nlOuss~t1}, alfl1Je la pointe cache de notre

    pouvoir critique et discriminteur, affine notre dl ~gital, apaise ;.\/

    1. Pascal, Penses, YII, fr. 434 (Brunschvicg). 2. La Vie de Marianne, IY partie.

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    LA MANIERE ET L'OCCASION

    enfin, tel le No~ d'Anaxagore, notre perplexit devant le chaos de la contradiction et I'entrecroisement des quivoques? - Mais il est di~"\ que, dans notre zone mitoyenne, les complexes avec exposant seront '[ ambigus jusqu'au bout et jusqu'au bout entretiendronU~ion dialectique. Deux attitudes sont en effet possible~.. devant la totalit j ouveife,l"Une qui correspon.cl~ lJqgiquefine..et a l'anaIyse.. mfiie de"U:ibniz, I'autre qui correspond a I'irrationalisme de Pascal. Cette duplicit s'explique elle-meme-par Prriplbotiede ..F-inani : selon qu'on la considere comme ce qui noU;"iilfre'sallsfiii'o.tcomme ce qui nous chappe a I'infini, I'infinit sera soll;!ti,oncontinue ou probleme ternel, c'est-a-dire mys"ier:Voto'bord le point de vue de la pn{tude et de la rjouissante positivit : la complexit infinie n 'est que I'aspect problmatique d 'une intel1igibilit intelligible el1e-meme a I'infini; I'esprit s'enfonce avec ravissement dans \'paisseur de cette intel1igibilit, et notamment de cet infini intrinseque qui s'appel1e continuit, et il la dcouvre ~lii}}a~-i~e signification, comme la goutte d'eau de la Monadologie, jusqu'en ses profondeurs les plus extremes. Dans ce vaste probleme ou le donn ne cesse de poser de nouvel1es questions et de promettre de nouvel1es rponses, ou I'esprit ne cesse d'apporter de nouvelles solutions et a nouveau d'interroger, il y a en quelque sorte a penser infiniment, comme il y aura, dans I'avenir, a dvelopper inpuisablement et a connaitre sans fin. Un temps infini, riche en passionnantes dcouvertes, est donc la carriere d'une science totale. Mais cet optimisme renvoie a un pessimisme corrlatif qui en est, pour ainsi dire, le verso. L'infini n'est pas seulement le futur toujours ouvert devant \'effort de notre esprit et la pntration de notre pense; il est encore, pour qui s'attendait a la perfection et a la circonscription de la chose, I'inachevement; il est I'informe et I'indterxpin; il n'est pas seulement une possibilit Tripuisable de mditation, il si~nifie encore l'impossibilit d'enserrer; on n'en a jamais fini de corr;:pI:endre'-(a~ sens ou comprhension signifie in:teIrctin)c~q'il' est imp.ossible. decomprendre (au sens ou comprendre signifie embrasser) : I'esprit de finesse, de plus en plus 1 attir dans les entrailles de I'intelligible, est de plus en plus saisi' d'angoisse devant la grandeur immense a treindre, de plus en plus incapable de traiter le tout comme une chose. Cette dcourageante ngativit n'est-el1e pas une positivit lue a l'envers? Mobilis d'un

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  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    ct par 1'infinie docilit du rel qui cede sous son effort, stopp d'autre part, comme les ma

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    LE JE-NE-SAJS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    intentionnelle des procds; et comme le mouvement thique rayOnne la valeur, ainsi le geste potique porte le sens. - Si l'indivisible mystere est parfois un myt~ourJk.fahricant, l'atomismemet~l et

    la~ur toursoot ncessairement des mtaphores gwssieres pour le consommateur qui se place au point de vue de la qualit sentie : uel que soit le mode de production dont ils sont la rsultante, la saveur d' fmit, le bouquet d'un vin, le parfum d'une rose sont des irrductibles' et cette odeur de fume et d 'herbes roties qui nous trou e parfois si trangement a l'entre du village, elle est elle aussi une spd:cte 'IlavSTh1e"'efin-OfiIssa~ aussi disons-nous, un peu c~TiCe~l:fii'"elr'eslSiIgeneris : ainsi nous faisons

    '. comprendre qu'on ne peut la rduire a autre chose ni la subsumer , sous une catgorie quelconque et qu 'elle est a elle toute seule son , propre genre; nous n 'acceptons pas de comparer ou dfinir, et rpondons a la question par la question; lagualit,~.,s.'~~!?~9..ue.E~)~.9.ualit, se justifie qualitativement, comme l'amour immotiv qui, tournant dans le cercle de sa tautolo ie incondiuq"qw:lIe, refuse de rendre des comptes et de rpon re Parce-que aux Pourquoi. Ce qui peut bien avoir t combin comme un amalgame est recu comme une qualit simple; et le je-ne-sais-quoi dsigne ici non point le principe secondaire et supplmentaire de la synthese qui a posteriori fait du tal une totalit et de la somme une unit, mais le charme Qrigjnaire

    g.rac.e auquelle percu est immdiatement un sans .a.v.o.i.r:_J.'~.m._~~musieurs : loin que les centres nerveux soient le creuset OU la mixture s""";ait ..eroye, la qualit s'impose d'elle-meme comme simple de nais~~sa1~e. Et il arrive encore, dans le cas des percep;s'les'pus'comPai

    1/ s~te'saux associations et aux souvenirs, qu'un contexte idal pour .' ainsi dire infini conditionne nn.~.E!i.~':?le de la qualit : tout a l'heure la qualit tait indivisible parce qu'on ne pouvait y distinguer des

    \ 'j".lments; et maintenant (ce qui revient au meme) ell~es~J~divisible T\ parce qu'on y pourrait distinguer une infinit d'lments vir:!!Iels. La

    a J

    continuit,,poiii'.pa"iJef':ia-n.:liga~rgsomen,n'est-elle pas la limite d'une disc2.n!!r.!!!!t..!Qdfiniment morceTa6D Car l'impond

    rabTe~estMTiIard, et trilliarddernTlliards, et-~ plus encore! C'est pourquoi il n'y a ri~jL9ire, en meme temps qu'il y a in~gjmell1.a dire

    - __ o, - . __ ....., ~ ~.. - _,-~---,~~-_ ____-jusqu'a la-cosornmation des siecles sur l'motIOn musicale, cepresquerien que le pass personnel, la rfraction morale, i'ducation artis

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    LA MANIERE ET L'OCCASION

    tique colorent de nuances imprvisibles. C'est pourquoi on peut dire avolont que J.m!!sj~rime rien ou exprime i'inexprimable a i'infini : l'Es.eressivo i'!.!3p'':!!.~P.st son incomprhensible vocatJon. Et tout de mrme l'indicible n'est-il pas un mystere dicible a l'infini ? La philosophie apophatique n 'est-elle pas une philosophie infiniment, inpuisablement, contradictoirement cataphatique? D'innombrables gloses et d'interminables commentaires n'puisent donc pas le charme musical, ou i'puisent, si on peut dire, ti la limite. COIlll2le~mextri

    cable~tmYsSer~ [email protected]:.ce.cbarme fugace est a la fois profond et superficiel: profond parce que l'interprete n'a jamais fini d'en drou-' ler les'inpuisables richesses, et superficiel parce qu'il tient tout entier. dans 1'inscable ph.EQ..Ill~!!:~}~~~_~~!1J2J1.!~r.~..~~Q!Q.!~ ... Le charme n'est pas le sens du poeme, mais il est plutot le sens de son sens, et la quintessence de son essence : la musique rvele le sens du sens, qui est charme, en le soustrayant a nos gloses. Telle est cette divine ternit d'un quart d'heure qui s'appelle la Bal/ade en fa diese de Gabriel Faur; les grammairiens, historiens, esthticiens n'en finiraient jamais d'en commenter la syntaxe et les entours - et en dfinitive c'est le mot de saint lean de la Croix qui convient : de cette reuvre de charme et d 'inexistence, de ce sortilege bergamasque qui nous persuade et endort la souffrance et inspire l'amour et chuchote a l'oreille de notre ame, lorsque le soir descend, les choses passes, les choses secretes, les choses amies, de ce presque-rien on ne ,.E,~ que comme on parle du presque-rien surfi'1urel)..s:.Q,~(l;dbutia.nt , lialbuclbil1lr:-o=-m-raintenant on liteITog-'~ plus l'reuvre d 'art'i es toi"ailts artificiel1es, mais les totalits organiques, totalits qui n 'ont jamais t fabriques a partir des lments, totalits qui se totalisent jusque dans leurs moindres parties, il faudra s'exprimer ainsi : une sorte de charme d'indivision est l'essence meme de l'existence biologique et la vitalit meme de la. vie; parce que 1'organisr'estorganique aYmTJ organis jus(i~ dans 1'infinitSiial, et parce que le consensus entier est je ne sais quoi de flou etd'inassignablegu'influence tout vnement surveliu entout"pointd'e nfre cofps 'ol' a tel moment du temps, la douleur apparait difficile a localiser; la maladie cesse d 'etre une entit nosologique dfinissable et devient vasive, plus ou moins somatique et plus ou moins psychique : de la le caractere quivoque des signes pathognomiques et la possibilit d.'interprter contradictoirement

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  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN les symptomes, de la l'ambiguit de l'tiologie m~dicale et du dterminisme biologique, de la enfin la natur;e-
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    LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET L'OCCASION premier mot! Par un renversement singulier de la logique valable pour les choses finies, c'est le presque-tout qui est comme rien, et c'est le presque-rien qui est sinon totalit en acte, du moins totalit naissante, exaltante promesse! Ce qui est connu n'est pas encore connu; ce qui est connu appartient bien plutot a quelque chose d'absolument inconnu; et vice versa ce que nous croyons, en toute innocence, ne pas connaitre est d 'une certaine fa90n notre seule connaissance vritable. Ne dites donc plus: celui qui sait tout except le presquerien - non pas le presque-rien, lment singulier entre autres, mais le presque-rien pneumatique -, celui-Ia manque a peine la vrit; ne dites plus; tout se passe comme s'il savait; car il s'en faut, au contraire, de I'immensit d'un monde, car il s'en faut littralement du tout au tout! II s'en faut certes de I'paisseur d'un cheveu, et pourtant entre ce qui est su et ce qui resterait aconnaitre la distance est plus vaste que )..'intervalle infini de la terre au cel. Apprcier l\mm.t

  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN/ /

    l'autre, les moments d 'une priode finie ? Incapables l'i 'arriver au bout d'un laps ou intervalle de temps dtermin, d'annu)'r par la locomotion une distance finie, nous serions condamns a1'immobilit et a l'intemporalit. Or le mouvement russit et le temps aboutit, c'est-adire qu'ils puisent l'un le trajet et I'autre I'intervalle sans avoir a dnombrer les innombrables stations ni a plucher tous les instants intermdiaires. Le mouvement et le temps parcourent a la course le continu, d'une allure simple et spontane et comme en se jouant, c'est-a-dire sans faire acception des arrets virtuels, sans rifier les motions, pulsions, fiuxions qui entrent dans la masse du continuo De meme, le processus de rgression indfinie par lequel l'intelligence artificieuse reconstitue les totalits matrielles et organiques, ce processus parcourt en sens inverse et dtaille l'acte simple, centrifuge, spontan qui fait consister la matl~re et fonctionner I'organisme. Or, qu'est-ce que I'intuition, sinon la reproduction gnostique de l'acte drastique par lequel l'infinie complexit nous est offerte comme indivisible simplicit? Que la totalit ait toujours exist comme telle ou qu 'elle ait surgi d 'emble toute adulte et complete, l'intuition dans les deux cas refait l'acte originel qui a pos ou aurait pos ce tout. Et puisque comprendre est colncider avec le mouvement crateur ou organisateur, et non point imiter un dmiurge, mais reproduire et revivre pour son propre compte le geste dmiurgique comme si c'tait la premiere fois, il faut convenir que I'intellection est une forme

    't: gnostique de cration, autrement dit une recration; comprendre, In c'est la fa

  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN itdit, depuis que le monde est monde, sur l'amour et sur la mort;

    comment l'intuition trouve-t-elle encore quelque chose a dire? C'estl que les mysteres de l'homme sont aussi l'affaire personnelle de chacun.~ le sujet d 'tonnement le plus ancien et le plus neuf et, en quelque sorte~j l'ternelle jeunesse d 'une exprience philosophique. Aussi le principei de conservation et son corollaire, la loi d'conomie, n'ont-ils rien al voir avec un domaine ou la gnrosit infinie, la plus folle prodigalit,' la miraculeuse renaissance de chaque instant annoncent dja l'ordre, des choses surnaturelles. Le minuscule, l'immense presque-rien ne doit pas tre trait comme le charbon ou le ptrole, dont les rserves

    r /, s'puisent peu a peu sans que nulle providence les reconstitue au fUf, 11 et a mesu~e, mais plut6t comme l'infatigable recomm,encement de . ,. \ chaque prmtemps, de chaque aurore, de chaque f1oralson; aucune 0 dgradation d 'nergie n 'est ici a craindre : le presque-rien est aussi lmtaphysiquement inpuisable que le renouveau est iJ,llassable, et

    celui qui l'entrevoit dans l'merveillement d'un clai~ I'accueille comme le premier homme accueillerait le premier printemp~ du monde: avec un creur de vingt ans et une innocence de huit heure~ du matin.

    J t"". 1, ,. f) \..)..,

    5. L'ENTREVISION. - le ne sais pas quoi. Mais non point, notez-le : je ne sais rien, purement et simplement; ni : je ne sais pas, sans prciser et sans distinguer. le ne sais pas rien du tout, et je ne dis pas non plus qu'il n'y a rien. Il ya quelque chose, et c'est mon savoir seul qui r~est en dfaut; pourtant ce dficit de savoir est mille fois plus savant que la nescience pure et simple. Mieux encare : je ne dirais mme

    pas : le ne sais quoi , si, d 'une certaine maniere, je n 'en savais long, si je n 'tais dja en quelque mesure dans le secret. le ne sais pas quoi, donc j'ai vent de quelque chose; donc je suis vaguement au courant de la vrit. Nescio quid : ce qu'est ce noumene, je ne le sais pas; mais il y a autre chose que je sais, quelque chose que je n~_veux ou ne peuxJlas dire et a quoi je fais indirectement allusion '.S-~~s.(;~lte ~!iYe. Le mot Encore, chez le P. Rapin, ne signifiait pas autre' chose : attendez, je n 'ai pas tout dit; on n'a jamais tout dit; il arrive ainsi qu'au terme de la plus minutieuse analyse et du plus complet dnombrement, un post-scriptum ou un post-dictum jet ngligernment et comme en passant remette tout en question, ou bien nous suggere, sans avoir I'air d'y toucher, quelque chose de

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    LA MANIERE ET L'OCCASION

    dcisif, de suffisant et de tres essentiel qui aurait rendu les longs discours inutiles. C'est la conscience qui dsigne a mots couverts la terre inconnue, la terre innomme et sans doute innommable et s'exprime, comme I'amant du Banquet, en termes cryptiques, par sousentendus et hiroglyphes : ;'CXVTEUETCXL.. , xcxl CX(V(TTETCXL, L'ame,-drPlotin, asoalli'apen;u sans avoir vu comment : dg$.~.ElI, E:~cx('Pv'1J

  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET L'OCCASION

    Ji: ne sais pas et j'ignore ce que je pressens, je_sais_f,l1.~,U:tSLS~/ 'li1comparables toutefois et dissymtriques, le oi et le non qui s'ass cient dans cette nescience presciente; autrem'iltail, c~ que ]'lgnofl n'est nullement du meme ordre que ce que je sais : ceci est a ce}, comme le que est au ce-que; ce-que rpondrait (s'il pouvait icj

    i'"Tpondre) a la question quoi ?, et inversement le quod (qui est pafa~ i doxalement ici ce que je connais) ne peut jamais etre le complmenti J d~~5::!,_~l1a chose ~u.g_~~.?ir. On dira que cette dispari t caractrise; ljustement le presque-rien des totalits mineures ou closes :J.es,qi q~)

    SJ!'!:L~~ygJ.':.JlJ1[li! Mais le quod en ce cas est aussi troit que le quid, et; il reste sans rayonnement ni signification : il concerne en effet un l- ' ment comme les autres dans la totalit incomplete, et cet lment, seul; et, d'autre part, il ne dsigne pas I'effectivit d'un quid inconnaissable, effectivit qui serait connue d 'une connaissance spcifique et irrationnelle, il est simplement le quod d'un quelque chose que par hasard on ne connait pas encore, mais qu'on saura demain, et qui est . de l'ordre du nondum. Le quid de cet H-y-a si banal, a son tour, cor- ' respond a un simple dtail ou a un renseignement spcial qui s'nonce dans telle ou telle catgorie, celle du Combien, par exemple, ou ceBe i: du Quand : nescio quantum, nescio quando... l. C'est un nombre qui me manque! En ralit, le presque-rien dont j'ignore ici le quid et dont je sais le quod est une chose comme les autres, et il n 'est je-nesais-quoi que dans le sens circonstanciel le plus trivial : je ne sais quel age, quel poids, quelle date, quel numro... Toutes les transitions existent entre le Nescioquid vulgaire, auquel manque telle ou telle modalit, et le Ngscio!JYi.d mystique. Le premier est une notion incomplete, prive des dt~imlations qui en feraient une scie~~: car comme l'intersection des coordonnes du lieu permet leetep~ univoque d'un objet, ainsi le recoupement des catgories de Ileu, de date, de maniere, permet de prciser l'exprience vague , experientia vaga, c 'est-a-dire de fixer le savoir qui fiotte et qui coqnait sans connaitre le fin mot , c'est-a-dire le mot fin et prcis, q~i ;s1. do.p.c comme 1'(X7mpov du PhiIebe; I'esprit sait, au lieu 5t'{lvqir(,~/de

    -!,j' ,.;' r ,~, \.1 ',J\ I ~

    L Touda, Kouda, To, Tchto, cornrne dans la lgende ru~e cornrnen~e-par Iouri Sokolov, le Folklore russe, p. 236. \

    \. 6~

    .'Jo

    quelque chose. le saurai plus tardo Ou bien je ne saurai peut-etre jamais, mais un autre sait; quelqu'un sait! ou bien, a la limite: personne ne sait ni ne saura (bien que dans l'infini du temps le secret tende a se divulguer), mais il ne serait pas absurde ou contradictoire, " ou miraculeux de l'apprendre un jour. C'est la limite ..a .E.arti!_,,de \ laquelle le secret devient tangent au mystere~'LevraiCis"iystriolo- . . gique'srceTou non seuTefflent la tigi1ette' dmarcation entre science .-l et nescience spare l'effectivit et les modes d'etre, mais ou les modes d'etre sont ignors dfinitivement, par tous et toujours, non faute d'instruments appropris, mais pour des raisons constitutionnelles. Dans le presque-rien des totime'Sil1tiles, le qud'inOU~;-st'p~s simplement un je-ne-sais-combien ni simplement un je-ne-sais-ou ni un je-ne-sais-d'ou; ce n'est pas au seul point de vue de la quantit, ou du lieu, ou de la date que mon savoir est en dfaut : c'est a tous les points de vue a la fois et sous toutes les catgories; le quoi de ce je-ne-sais-quoi doit etre pris dans son sens le plus gnral et le plus comprhensif; non seulement toutes les dterminations du je-ne-saisquoi nous sont inconnues, mais encore elles le resteront toujours; et non seulement elles ne peuvent pas etre connues, mais encore cette impossibilit, qui est universalit et ternit conjointes, tient sans doute a la nature des choses : il ya. des myst..en~s qIlLe.x.i~.t~n.tincomprhensiblement sans nuBe dtermination concrete; aucune, j;;tmais. Nul ne sait quoi nr:nesaui'CJaalsquoi. Le qidinconnaissabl~du presque-rien, en tant qu'il s'impose anou&.canunencessit,--JlrJarl; \ exprime done une rlit(mystrieuse. La quoddit de ce mystere, a ' son tour, se rv~le c~mme-pr fit-que : nous connaissons qlJ,'.unJe"ne~ " '

    sais-quf>i-e~ns savoir en quoL.!{J_~bQse. consiste. xis,ter san~"'" ~!1sister. ~!?:]ii9LJ?ee-sOlCr';est~ce pas le droutant, dc~vat; i-ri:' tant paradoxe du Charme? - Donc nous connaissons le quod du jene-sais-quoi et nous en ignorons le quid; c'est la, semble-t-il, ne savoir la vrit qu 'a moiti! Et de fait, si le presque-rien surnaturel consistait en quelque chose, ou en un pluriel fini de choses, comme les composs terreux et physiques de l'empirie, la connaissance incomplete que nous en prenons serait une demi~ tous points comparable, a la demi-conscience. Mais la d~mi-conscien~ mauvaise conscience et conscience malheureuse parce-q'''e1re-~p~rait etre complete et ' totalement dtache du sujet. Or, le je-ne-sais-quoi est une existence

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  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    qui ne consiste en rien et oil il n'y a, en un sens, rien a savoir. Tout ,l fois, cette existence ne parait inconsistante qu'en raison de sa riches ~ mme et de la subtilit infinie de sa contexture : aussi gardons-.nou$' \~ le droit de parler d'une demi-gnose. Que le Nescioquid ait un conten '

    inpuisablement profond, innombrablement multiple et infinimen complexe, ou qu 'il n'ait pas de contenu du tout, cela revient au ~"'meme : tantt nous avons de la vrit diffuse et diffluente un senti.~

    ment vague, insatisfait, nostalgique oil s'expriment, comme l'indique: I le nom Je-ne-sais-quoi JJ, l'impuissance a connaitre exhaustivement~,

    t--etle_~ de laisser chapper des significations vasiv~,~!~uses;'; \>'11tl'entrevision se concentre d~lIis l'blossemen d 'une intuition, , . ma~cee-ltui~ ne dure que l'clair d'un instant. Lorsque nous

    savons d'un savoir chronique, et dan~ la continuation de l'intervalle,: c'est que nous savons le quid sans le quod, ou pressentons le quod sans ' le quid: ce savoir dilu obit dans les deux cas a la loi de l'option ou de l'alternative; notionnel ou hypothtique, il se satisfait d'une' consistance inexistante; converti a l'effectivit, il prfere une existence inconsistante... Le premier dit Scio quid et Nescio an, et il sait dans :. les moindres dtails quelque chose qui peut-tre n'existe pas; le second dit Nescio quid et Scio quod. Le premier cas est celui de l'anti-mystere ' par excellence : les consciences sont au courant de tous les potins de la continuation, mme si la continuation est un long rve dont on se rveille a la mort, et elles ressemblent a des somnambules qui se

    ; racontent leurs songes sans omettre aucune anecdote. Quand le savoir trouvera-t-i1 1'existence consistante et la consistance existante, le quid

    !avec le quod, [es-incornpssi6Iesu~ui~: ~-disJo;;ction -transcende, la vrit dans toutes ses dimensions ? Hlas! il ne trouve tout cela

    :l que pour le reperdre sur-le-champ... L'alternative vaincue dans 1'ins, tant est-elle vraiment vaincue? En fait, l'intuition dplace l'incompl

    tude; a 1'insuffisance ee IOflgitudinale JJ d 'un savoir amput de sa moiti quidditative (ou quodditative) se substitue 1'insuffisance ee verticale JJ d)i!le intuition privede toute continllillion, de toute prennit, de tout le~demai~. 11 nousfaut donc choisir entre deux dichotomies dont la premiere elle-mme se subdivise : ou bielLl.'inreryalie-discursif sansinstant, et, en ce cas, le quid disjoint du quod ou le quod disjoint du quid, ou bien I'instant sans intervalle; jamais nous ne pouvons vritablement conjoindre la plnitude ontologique a la pl

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    LA MANIERE ET L'OCCASION

    nitude chronologique. Plus toutefois que l'intervalle fantomal, l'instant, malgr son presque-rien de dure, est sur le point de surmonter I'alternative, car en mme temps qu'il cumule le quid et le quod il remplit une des deux conditions d'un devenir intense et d'une vraie ferveur temporelle. Entre les deux dissymtries, plutt celle-la.J Quoi qu'il en soit, il n'y a que la gnose divine qui cumule au suprme degr non. seulement le quid et le quod, mais encore, dans le miracle d'un recommencement continu, l'instant suraigu et la chronicit de l'intervalle. C'est cette gnose qui serait le ee G,rand Matheme JJ Ici-bas.il manque toujours quelque chose, hlas! Ta~t6i; cOll1me dans le savoir spectral des choses quotidiennes, nous avons la consistance subsistante sans l'existence ni l'effectivit; tantt comme dans le pressentiment vague du je-ne-sais-quoi, nous avons I'effectivit subsistante sans consistance; tantt enfin, comme dans l'intuition instantane, c'est-a-dire dans une entrevision qui est tout le contraire de la vision chronique des visionnaires, nous avons l'existence avec la consistance, mais sans la subsistance. On peut simplifier ces distinctions de la maniere suivante :

    QUID

    " QUODDlT ESPACE/1. Inexistence Consistance 2. Existence Inconsistance 3. Existence (In)consistance 4. Existence Consistance

    TEMPS Subsistance (Savoir discursif) Subsistance (Sentiment vague) ID' i Insubsistanc (Entrevision) \ eml-gnose \ :Subsistance (Gnose)

    En dehors de la gnose, qui est le quatrieme cas, rien n'chappe a la disjonction de l'alternative : tantt nous savons le quid a 1'tat complet, mais sans la quoddit qui le fonderait; tantt nous devinons une quoddit a demi quiddifie, c'est-a-dire avec la moiti seulement du quid qui l'tofferait, ou, plus simplement, prive de toute quiddit; car le quid mutil n'est plus le quid! On voit que les deux premiers cas sont inverses l'un de I'autre et que la ngation se dplace du premier au troisieme pour ne disparaitre qu'au niveau de la gnose : elle nie

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  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    l'effectivit dans le savoir discursif, la rit ou consistance archit, nique et structurale dans la divination du presque-rien, la persista " temporeHe dans l'entrevision intuitive. Une existence consist mais prive de persistance, redevient inconsistante a sa maniere: . qu 'estoce qu 'une consistance mort-ne, une consistance non viab qui ne se survit pas, fUt-ce une seconde, a elle-meme? A vrai

  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    le quid du nescioquid, ni la chose de notre nescience : le mystere est le Nescioquid tout entier. Gardons-nous toutefois d 'hypostasier ici un concept! L'artic1e dfini, en soulignant la positivit de la ngation, semble faire du Je-ne-sais-quoi un lment plus distingu que les autres, mais somme toute un lment comme les autres... Certes, nous n'avons pas pris conscience de la pure quoddit pour faire ensuite de

    "a l'effectivit sans nature une nouvelle nature, ni pour difier autour . du Nescioquid une espece de nescioquidisme dogmatique qui ne serait qu 'un nouveau systeme a cot des autres... Si forte pourtant est la fascination de la chose , si irrsistible la tentation rifiante que la philosophie du je-ne-sais-quoi devient elle-meme une profession et une spcialit substantialiste : comme le Cogito, en tant qu'a la fois il fonde et implique, ou meme prsuppose I'existence de I'etre pensant, s'paissit en cogitatio puis en res cogitans, ainsi la nonchose, en tant qu'elle est a son tour quelque chose d'existant, se

    ii dgrade en chose ou en res quodditativa. Telle est la dgnrescence \1 qui, au sortir d 'une 1'volution embourgeoise, d 'une libration ' ji ~ avachie, laisse apres soi I'amere dception et fait dire aux hommes : ' ,

    Non, cela n'en valait pas la peine. S'il n'y a d'etre que I'etre de la chose, alors la non-chose est ncessairement non-etre;, alors le je-nesais-quoi est ncessairement ou quelque chose ou rien du tout; et meme si le Nescioquid est aliquid, il est encore comme rien, si peu que , rien, inexistence pure et mirage du sujet visionnaire. Rn fait, le je-ne}sais-quoi n'est pas quelque chose, et a cet gard il n' est vraiment irien, au sens copulatif du verbe etre , puisqu 'il n 'est ni ceci ni cela \:t qu'il refuse, comme le Dieu de la thologie ngative, toute prdication; a proprement parler il n'est meme pas tant ; on ose a peine direqu'il est, purement et simelement, tout court, absolument et tlgTqnffilT;mieuxerico'i"": -{if:It etre sans etre lui-meme, tant entendu que ce qui fait etre est bien'l'ne-certane'sorted>etreet meme igfipil1,}.smLPlus.suLun.etre~ Sans doute la formule la mieux adapte a ce rgime i'2~p.si~ble de la non-chose ou de I'anti-res, ce serait

    \, peut-etre:, Il ya, qui est la formule impersonnelle de la pure auto;\j position sans sujet substantiel ni copule ni attribut : ces trois syllabes n'impliquent-elles pas le renoncement du logos aux noncs exprimables et discursifs ainsi qu'aux propositions d'inhrence articules en concepts? A I'ultimatum An... Annon, a la disjonction du

    LA MANIERE ET L'OCCASION

    tout-ou-rien, du oui-ou-non, Il-y-a rpond par un pari. Voici rsum le paradoxe de ce renversement dialectique : si le je-ne-sais-quoi est quelque chose, il n'est rien; ce qui s'appelle : rien du tout... , pure fantasmagorie et zro de toute ralit; par contre si le je-ne-sais-quoi n'est rien, rien de toute rit, c'est-a-dire s'il n'a rie'n d'une chose, alors il redevient, comme dit Leibniz de Dieu, 1' exis!~!!Jifi_I11npar excellence. Ce n'est pas en effet I'amphibolie imolils droutante du je-ne-sais-quoi que cette continuelle oscillation entre, rien.etquelque chose, ~ ce dfi perptue! au principe du tiers exc1u. Osdllation

    toot~-comparable a celle qui sans treve nous renvoie duCogito au Sum et, du Sum au Cogito : par la pense nous prenons consdence de,l '~tre,'ma.~inversement il.faCaJ~e.~i'sier.porpens~r ;'1 'existence n'est que T5or-t~rpeiisee';"mais l pense elle-meme est pense d'un etre pensant, c'est-a-dire de que!qu 'un qui existe se!on certaines coordonnes de temps et de lieu. Ce qujJ5

  • LA MANIERE ET L'OCCASIONLE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    I:cc-entrevoyons qu'il y a (quod) un nombre infini sans pouvoir dtermi~ner combien grand (quantus) est ce nombre: au contraire des que

    nous voulons chiffrer un tel nombre, prciser le quot, dire une quantit particuliere, le nombre devient ipso Jacto grandeur finie, infiniment loigne de 1'infini. En ce sens, l'infini est comme Dieu Jere

    ! f absconditus : car nous pressentons que Dieu est, sans savoir s'il est Vtel ou tel, et de meme nous devinons l'infini sans pouvoir l'valuer a

    I'~ tant ou tanto En l'espece, nous ne pouvons dcider s'il est pair ou impair, tout nombre pair renvoyant a un nombre impair plus grand que lui et rciproquement. C'est le quantum fix, nombr, assign qui consacre la mconnaissance de l'infini. En vertu d'un actualisme nominaliste valable pour ce monde d'alternative et machiavlique

    r-- ment appliqu au tout-autre-ordre par l'effet de notre mauvaise foi, \ [l.a dtermination implique finitude comme la reprsentation parti(_culiere implique un arret de la pense. Toute rponse a la question e Combien nous condamne a la rsidence force dans l'en-de9a...

    Autant se demander si Dieu est blond ou brun! Car, comme celui qui choisit pour Dieu la limitation unilatrale d'une figure prfere par la meme le petit dieu palen a l'Absolu sans forme, ainsi celui qui dit le nombre de 1'infini choisit le stationnement et la domiciliation dans le fini. Ce je-ne-sais-combien dont on ne peut dire s'il est pair ou impair est-il et l'un et l'autre a la fois (utrumque) ? Ou bien n'est-il ni I'un ni l'autre (neutrum) ? 11 n'est, a vrai dire, ni un hybride ni un tiers etre. Sans doute serait-il plus juste de reconnaitre en lui le mou-,j

    ?ement spirituel infini qui, en chaque point virtuel ou on l'arrete, ( dpose ou l'un ou l'autre (alterutrum) , tant6t l'un et tant6t l'autre, \, alterna1i'{~meLl'1.!I!...~Ll'aut[e... Mais comme d'autre part qui veut t faire l'ange fait la bete, comme une oscillation dialectique' infinie 1chasse l'insaisissable d'un extreme a l'autre et le renvoie du Pour au

    Contre, on ne peut s'en tenir non plus a l'alternative. De sorte que l'infini a la fois implique la conjonction, et la neutralit, et la disjonction, et rcuse tout cela; il n'e.s! pas moyen, nijnterm..diaire_en1J:e les trois, mais il est justement l(~diation infi~ie et le dmon mdiate~!. De meme le je-ne-sais-quoi ':~irpi6premehfparlerUesynthese de qualits contradictoires, a moins quepaL .synthese on n'entende 1'incomprhensible miracle d 'unet:oincidefl~i~~p~~!!.o_.!_Y!!l~ Pas davantage il n'est neutre entre ces quaufs, puisque d'innom

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    brables dterminations possibles sont contenues dans son brouillard. Mais en un autre sens il est a ia fois cehe syrithese-et.cette neutralit. On peut donc dire ensemble qu 'il nie la neutralit et la cumulation, qu 'il cumule la cumulation et la neutralit; qu 'il dit et non et oui et a Neutrum et a Utrumque. Mais ce n'est pas tout : il est a la fois la ngation et l'affirmation de ce double non et de celtouble out, et ainsi indefiriimeriCCequ'if-l1'e'sfjamais,"c;esCli{teruirz; car il ne deviendrait telle proprit singuliere en acte que s'il se rifiait. 11 refuse la disjonction, mais par contre la conjonction cumulative et la ngation sont simultanment et antinomiquement vraies et fausses a son sujeto 11 n'est rien de tout cela, et il est tout cela ensemble. 11 est tout cela, et en plus quelque chose d'autre qui n'a de nom dans aucune langue humaine; un peu rien, un peu tout, et encore autre chose que nous avons a peine effleur... Dans la mesure ou la synthese implique une conciliation dfinitive, statique et satisfaite, elle ne vaut guere mieux que le total, et notre je-ne-sais-quoi reste encore immensment au-dela, comme une inapaisable aspiration. coutons ce que dit, parait-il, de lui-meme le peintre Jacques Villon : Peut-etre' cubiste, peut-etre impressionniste, plus je ne sais quoi, et que je cherche... Le peintre du xxe siecle dit En plus comme le P. Rapin disait Encore ! Tous deux pensent peut-etre a un acte potique infini qui dpose sur son passage les dterminations, figures et poemes, et qui se dveloppe dans le temps. 11 y a autre chose! ou mieux : il y a quelque chose qui n'est rien. Cette paradoxologie exprime sous la forme dcevante d'une litote ce qui s'exprimerait aussi bien sous la forme inverse, dans la surprenante dcouverte d'un rien aussi vaste que le monde. La prdication contradictoire qui fait du rien l'attribut de quelque chose prend un sens grace a l'impersonnel 11 y a : tandis que s'autopose l'effectivit de la pure prsence, s'vanouit soudain la rit de la chose pose; ce quelque chose qui de pres n'est plus rien est donc un presque-rien. Le je-ne-sais-quoi implique bien 1'apparition disparaissante, en sorte qu'au lieu de dire : il y a quelque chose qui n'est pas une chose, il faudrait dire tout simplement : il advient un'presque-rien. " -

    Comm~nt-i'lmpondrable,impalpable, inattingible presque-rien ne serait-il pas merveilleusement facile amanquer? Notre amour est chose lgere , dit le poete dmod qui inspira a Gabriel Faur

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  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    quelques-unes de ses plus exquises musiques 1. Le poete dmod ne se doutait probablement pas qu 'il retrouvait ici les paroles de Platon dans l'Ion: le poete est chose lgere, aile, sacre, xo

  • - ~. Lo t\!--\, , .. ,-1

    " LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRES6uE-RI~ - LA MANIERE ET L'OCCASION i'

    :~ sualiste. Le presque-rien est ce qui manque lorsque, au moins en 1\ apparence, il ne manque rien : c'est l'inexplicable, irritante, ironique

    insuffisance d'une totalit complete alaquelle on ne peut rien reprocher et qui nous laisse curieusement insatisfaits et perplexes. De quoi au juste ne sommes-nous pas satisfaits? p;ourquoi ne sommes-nous pas combls? Et d'ou vient ce mcontentement immotiv tout semblable a " celui de Mlisande heureuse-mais-trist~ ? Or c'est justement quand la totalit est sans dfauts que l'invidenct: d'une lacune toujours contestable, d'un manque toujours controversable, d'une absence toujours. indmontrable pose le vrai probleme 'mtaphysique! Quand rien ne manque, il manque quelque chose qui n'est rien; il manque donc presque rien. Iln~,.,~n efJe.t..s~l'essentiel! Tel est le cas d'une beaut parfaite'et impiufate, complete et paradoxalement incomplete, impeccable et si bizarrement insuffisant~ dont nous cherchons en vain 7~a localiser ou assigner le point faible; en dsespoir de cause nous fiJappelons Charme cette absence anoIlJme,.~ce KOqOV xp'ij;.a; plus arien iqu'un poete, plus vaporeux qu'un :(fuvet,)plus diffus que la brume }Ld'un matin de printemps, plus imperceptible que la brise ou chuchote ')l'esprit de Dieu, plus silencieux que l'ange de la mort dut, qui est, ala lettre, le tout-et-rien du bienfait. La bienveilIance n 'esteIIe pasnqt~lque sorte le (charme ~ de la bien(aisance? Entre' I'acte inspir par l'amour et l'apparence conforme 1I peut n'y avoir aucune diffrence, tant est douteux et ambigu le bon 'mouvement, qui est I'ame intentionnelle de la bonne action... lei commence le domaine du controversable, celui qu'Aristote eut appel 1i;.qcr01JT~cr;.OV et qui est essentiellement le domaine moral; apartir d 'id la contestation devient libre, I'impur semble aussi pur que le pur, I'injuste ne se distingue plus du juste et les traitres rivalisent avec les patriotes en bonne volont; apartir d'ici l'vidence thique n'est plus index sui, n'a plus les moyens de dmontrer elle-mme sa propre univocit aux menteurs et a la mauvaise foi. Et pourtant la distance est infiniment infinie, a bienfait quivalent, entre une bienfaisance sans bienveillance, ou le creur n'est pas, et une bienfaisance bien intentionne dont toute I'ame et toute la ralit rsident dans un insaisissable bon vouloir. Et ainsi la vertu qui n'est, atitre d'excellence assignable, qu'un talent technique ou une farce burlesque, la vertu retrouve comme effet d'ensemble une certaine sorte d'vidence qui permet de diffrencier le bon et le mauvais. C'est I'intention (rrpoa;[pecrc;), dit Aristote, qui fait le sophiste 1. Kant allait plus loin et doutait qu 'il y eut jamais eu dans toute l'histoire de I'homme un seul acte inspir par le ]?ursentiment du devoir; cette fine pointe adamantine du dsintressem:eit"'pattpport a laquelle tout gauchissement trahi(la'maXme-Slispecn~;tel1Totiftmpur; l'impratif hypothtique, le mlange d'intrt propre, cette fine pointe exprime a sa maniere le caractere improbable et presque irrel de la tres fugitive intention. Comment une puret plus instable que la plus candide blancheur ne serait-elle pas inexistante ou tout au moins semelfactive n, semelfactive ou du moins rarissime? Dans I'quivoque gnrale, ceux qui nient et ceux qui affirment le je-ne-sais-quoi ont donc a la fois tort et raison : mais ceux qui nient ont pneumatiquement tort d'avoir grammatiquement raison, et ceux qui affirment ont en esprit raison d'avoir littralement tort! - Ainsi s'explique enfin

    1. Rhtorique, J, 1, 1355 b, 17-18.

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  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    la forme n~ative que revet pour nous le je-ne-sais-quoi. Non pas que la 'ngatvit 'soit dans sa' miture ell-meITe:car le je-ne-sais-quoi est avant tout mystere, et le refus, l'absence, la froide abstraction sofle'contraire' mime dm.Ystere; par exempf:'''c--'st pas la soUrde hstilit de notre prochain qui est un je-ne-sais-quoi, mais c'est plut6t le manque d 'un je-ne-sais-quoi qui explique cette hostilit. Pas davantage le je-ne-sais-quoi n'est un concept privatif ou un simple dficit. Le positivisme de la chose tiendrait volontiers pour ngatif i tout ce qui est non-chose; et pour la philosophie ngative ou apopha

    tique, au contraire, c.:~stce!t~ ~Y~~I.i.76

    LA MANIERE ET L'OCCASION

    brouillard ... La conscience nie explicitement pour affirmer implicitem-enl;'ciif'elle ne se dirait ignorante si ~1!en~_~~"-~~!_9.uelque chose--7 d'sotrique. De la l'ambigult de nos certitudes quant fT1tme-:-rrmt[_J donoSTeom d 'ame a ce qui est toujours autre chose sans etre jamais chose; l'ame rsume ce je-ne-sais=quo"(f'riparpiiDJ~-ce'iesfirouresduinvisible que le mcanisme des esprits forts peut bi'n ngliger, mais qui manquera toujours pour expliquer totalement la vie_~..t-Jap0nse .._..l Cette quoddit sans contenu se fait jour d'abQr.dJia.~mphiQ9lie du temps; et de fait le je-ne-sais-quoi n'apparait sous l'a~pect tr~rl: sitif et'oprationnel que parce que le devenir lui-meme est le je-ne-saisquoi par excellence. Le temps est cela mme dont je devine le quod sans en savoir le quid; mieux encore : le temps est l'effectivit toute pure, rduite au ~faiJ de devenir; en rapport avec la chronologie, l'inexprimable ~ a .tlont nul ne peut rien dire, doit etre interprt ainsi : ildevient ,-e( par consquent il advient ou survient c'est-a-dire, en gnral, il vient . On montrera que l'vnement ou avenement est le devenir sous l'aspect instantan, comme le devenir est le il ya sous la forme continue. Qu'il s'agisse de devenir ou qu'il s'agisse d'advenir et de survenir, le temps dans les deux cas est . une sorte d'vidence, mais une vidence fondante et qui s'vanouit pour peu qu'on la fixe directement du regard. ros lui aussi disparait des que Psych, ou notre conscience, notre conscience amoureuse de l'amour lui-meme, prtend savoir le nom de cet amant divin : ~

    maJhe.\lE~~!!~..!i!:,~2i~_.~U:Aim.e l! La fable de Psych, si souvent mdite par un siecle qui chercha dans la simplicit du je-ne-sais-quoi un contrepoids a sa super-conscience, cette fable rejoint la parabole d'Animus et Anima; elle raconte l'innocence tente par la curiosit; l'innocence acceptait de vivre l'vidence quodditative de son bonheur sans en apprendre le nom ni en apercevoir le visage a la lumiere de la raison; le pch consiste, au mpris de l'alternative, a complter la demi-gnose, a conjoindre la vision avec l'entrevision, a cumuler enfin ce qui n'est jamais donn ensemble, sauf dans les instants bnis de

    1. Moliere, Psych, IV, 3. Le mylhe de Psych a l lrait aussi par Comeille el La Fonlaine. Cf. Pascal, Discours sur les passions de l'amour: Il faul quelquefois ne pas savoir que I'on aime.

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  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    J,JJlt-Yition : I'effectivit remplie par la quiddit, la quiddit fonde et rendue effective. Au premier regard indiscret de Psych, Chronos I'ineffable s'annihile encore plus vite que I'ineffable ros. C'est peutetre pourquoi Aristote crivait : le temps n'existe qu'a grand-peine

    et brumeusement, OUX i!cmv ~ flA~ XlXl etfluapw~ 1. Semblable a bieu en 'L cela, le temps, s'il est objet, n'est que zro; s'il est quelque chose, le!' 1\ pre~,q~;Jj~~.t.Ln'estplusrien : la rfiexion qui pese un tant soit peu

    (-lOur~~J!!.l::.I?.!-s~rfutlee6fiepfualiseet'T(g#e!:T1po~~; a la place de la-aure, nous"n 'vons' pluseritre les doigts qu-~des contenus immo-" biles, analogues a des choses, ou un contenant qui est la dimension formel1e de ces choses. Personne ne peut donc sincerement prtendre penser le temps, en ce sens que le temps serait complment direct ou objet pensable d'une pense transitive : comme celui qui croit

    r f< penser la musique pense a des anecdotes autour du fait musical, ~ pense a autre chose ou ne pense a rien, ainsi celui qui croit penser le l i ,temps pense a des vnements danS'te"""temps..peSe'iiiX"co nus qui deviennent, mais non pas a !1'insaisissable(~~nir lui-meme, ipsum, mais non pas a I'ipsit du t~pSTT'Iiivisible coura porel, Rui n 'est meme pas un courant, ne se lit ni dans le vide abstrait du coMe

    i . nant ni dans la morphologie des contenus, ni dans aucune existence lijjl ~ actuelle. La mditation du temps, comme la mditation de la I\\!) mort ou la mditation de la musique, est donc un v~de rec1!eillement ~ \ sans matiere. Et puisqu'on ne peut dire ce qu'est l'Etre, l'Etre tant

    lui-meme I'universel attribut de tous les sujets, on ne peut viser davan...{..tage le devenir, ni faire attention au devenir (car a quoi l'attention i( \ pourrait-elle bien se prendre?) si le devenir est la maniere qu 'a la \~nscience d'etre en n'tant pas; on peut couter la mloi.!~Jl~~

    vie-intrj~ure..~, mais on ne peut concevoir le devenir, et J'on ne peut meme pas poser qu' il ya devenir - car ce serait encore rifier le temps; on entrevoit seulement que cela devient . - Chacun des trois moments du temps confirme a sa fa

  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    une pr:~yi&io--.~g.llCt:.p.t.ueJJe qui l'ternise ou dans un futur antrieur qui le passise. L'avenir i;};previSit,1e''l:ttr't'aventme, 'd'o'firfiOtis savons seulirieilf qu'il sera, de par le pur fait de la futurition, sans savoir . ce qu'il sera, jour de fete ou jour de ~jour faste ou nfaste, cet' avenir est amphibolique comme es{~hQli9.~,~J'~~Yi9.~}1.9.L~quivoque du nomq~i dont nous ne pouvons dterminer s 'il est pair : .~~i~!..9.!!L~~ttl~J~is..Il!}j!.J?J!)mpair, qui n'est ni pair ni impair. ;' 'Cest le rgime de l'entrouverture!qui fait la passionnante aventure. ;1 Le caraet~ieartoid'ilntii presque cach,fere absconditus, appa- . ralt plutOt dans I'attente que dans I'esprance : car I'esprance parie dja pour une certaine orientation du destin, pour un certain visage du futur, pour un certain ~ode d'etre plus spcialement souhait, pour un lendemain bienveillant; au lieu que le temps d'expectative . eS!.~Il~_.gl!r~,9LI.!!~'-.}ln_e,.~llI~~,OQ.vatric.~ .dont nuBe anticipation ne vient rduir~J'inceItit~Fimprmjbilit. La quoddit substantielle de la. futurition s'oppose ainsi a un avenir model par nos efforts' comme la temporalit qui est le fait du temps s'oppose au temps

    q:>'~!J."iv ou comme le destin s'oppose a la carriere de la destine. Tel est f! le cas de la mort, dont je pressens par intuition I'effectivit quoique ;1 ~c ~ ~ je n'en sache ni le jour ni I'heure : o,)x otBIX't"e: yocp rr-re: XIXLp~ cr't"LV... li ~ oy,/: ~ !J.e:crOVX't"LOV ~ OCAe:X't"OpOq:>WV[IX~ ~ rrpw[ 1. On ne sait quand, dit Leonid Andreiev 2 Vous ne savez si ce sera le soir ou a minuit, au chant du coq ou le matin. Dies certa, hora certa : voila la science insoutenable, voila la prcision que nulle crature ne doit savoir; et Platon dit 3 que Promthe, pour rendre aux hommes I'esprance et le got d 'agir, leur a soustrait la prescience de leur mort. Malheur a qui profanerait ce secret! Nous connaitrons notre mortalit mais non pas Hora, le chiffre sur I'horloge, la date sur le calendrier, le nombre qui dsigne I'lge... U!le sorte de sincure mtaphysique nous protege, On dira qu 'i1 y a symtrie:'sous~~'~~ppoii,' ;treT1afiIils:' slilile-'pass du dja-vu et I'incertain avenir: car la vague reconnis~' llnce"s~is'Tocafisaon-esCcoiieTa~prescience de'cet vnementsans

    1. Me, xm, 33, 35. Mt, XXIV, 42 : 0,))( ttBIX't"e: rro[c: ~!J.pc: ... 2. Rcit des sept pendus, 1 : neizvestno kogda . 3. Gorgias, 523 d.

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    LA MANIERE ET L'OCCASION

    date qu'est la mort, un nescio-quando et un nescio-ubi. Mais notre ignorance quant aux modes d'etre circonstanciels du futur a pour cause la contingence et I'indtermination objectives de ce futur et par consquent elle reprsente pour nous un espoir ou un pril effectif; tandis que I'incertitude quidditative du pass, cJans une rgion ou . t tout est fix, dtermin, rvolu, tient uniquement a l'oubli et a notre ) mauvaise mmoire. Mais inversement aussna deml-griosede I'avenir, dans la'rii"esurt.iii elle pressent que demain sera, s'oppose par son caractere formel a l'intuition qualitative et concrete de la passit. Avec cette rserve, le futur est bien un je-ne-sais-quoi ... Et vice versa le je-ne-sais-quoi, a son tour, est une espece de futur; autrement dit, le je-ne-sais-quoi est aussi. un. je-ne-&ais~quand; et par exemple le cha~me qu;~'D.' chercht.ia'd;fi1r"esi ~~~. seulement toujours absent et toujours ailleurs, mais en outre il est perptuellement plus tard; il n'est pas encore et devient a I'infini; il n'est pas ce lendemain empirique qui sera Aujourd'hui dans vingt-quatre h~uJe.,mais il est un perptuel Demain et n'a pas de Maintenant. Le C..hafl11.estqiaqu~'ose qui seIi': donc ce n'est pas quelque chose . - De pres le charme de I'ave'nir, comme celui du pass, n'est plus qu'un prsent mdiocre et une banalit fort prosalque. Faudra-t-i1 admettre que le prsent seul est dnu de posie? Le souvenir et le survenir, le souvenir et I'avenir ne nous offrent que le quid sans le quod, ou le quod..sans,.le,.quid;,or c'est drs'Yaaven,;~'aiitremellrrtttdansle-presi~tdu devenir, que I'existenceet la consistance cOlncideraient : car I'advenir est du meme" coup la limite de I'avenir imminent et du souvenir rcentissime; car I'vnement est a la fois I'avenement en instance et le pass prochain; ....-' ici ce qui survient et ce qui subvient , la plus immdiate aventure et la plus prochaine souvenance, 1~_!!.I!rJl.!lllsantet le..pas.s~ naissant i 1 ne font qu'un... Hlas! cette cOlncidence elle-meme ne dure qu'un i \ ~ instant" mais une dure infinitsimale est-elle encore une dure ? En Jr avante! en arriere se continue l'intervalle qui rendrait possible un savoir chronique ou habituel : hlas! le quid y est donn sans le quod, . ou bien c'est le quod qui est donn a I'tat de reve diffus, dilu et inconsistant. Sur le moment ou sur le fait, tout a I'inverse, I'vnement est donn comme tincelle ou comme scintillement, c'est-a-dire digno- i I tement discontinu de l'tincelle : il est donc a la fois positif et ngatif; il possede d 'une part la ferveur intense et la concentration de I'instant,

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  • i LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    par opposition a ces songes douteux, dlays dans beaucoup de dure, qui s'appellent pressentiment vague ou reconnaissance vague; mais d'autre part l'instant exclut la persistance de quelque chose autrement dit : le point-prsent renonce a l'paisseur pluridimensionnelle de la dure : c'est pourquoi le vrai nom de cette apparition dis

    M.f .. p.araissante,o ~bj.et ~e..... l..'e.ntrevis.ion, es~ Presque-rieno~e~--:la, gnQ~e! lsurmontermt a.lll-01S le~Ldex...a!.ternatIves : celle de l',~ffect~~!.!-~~ i ditative et du \contenu quiddit~ti!. celle de 1'instantanit- fulgurante het de la prennitsllDsistate;'ici il n'y a plus a opter entre un contenu j !hypothtique...cl..une.J:l.ffectivit sans contenuo N'est-ce pas cettecoYncidence incomprhensibleque-Tes-rnysrrques appellent Aeternum Nunc ? Le tableau suivant rsumera ces diverses situations :

    '1 discours quid intervalIe pressentiment-.r~onnaissance Quod intervalIe--

    . entrevlSlon Quod Instant gnose Quod + quid Instant + intervalIe

    l..!

    La libert de l'homme, a cet gard, est quivoque dans le meme sens que le temps de l'homme; et c'est pourquoi nous sommes sans cesse renvoys, a son sujet, de l'vidence au doute, et derechef du pointillisme dterministe a la protestation de l'vidence; le dterminisme a mille fois raison... dans le dtail, comme le mcanicisme est la seule attitude srieuse et la seule mthode fconde, positive, efficace par rapport a la vie; et toute dcision est motive ou tiologiquement fonde; o" et pourtant je suis libre! Que faut-il penser? Et a quoi

    \ "'--uon cet obstin, ce draisonnable Pourtant? Dans ce Pourtant parle l'irrpressible voix de notre mau~'e conscience qui plaide en ~aveur d'un je-ne-sais-quoi toujours(raill jamais annul. L'homme entrevoit qu'il est libre, mais il ne salt as ce qu'est la libert, ni en quoi elle consiste , ni meme si elle consiste en quelque chose; il ne peut donc dfinir la nature, les proprits, les caractristiques de ce qui n'a en gnral ni nature ni contenu; il ne peut se reprsenter ce qui

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    LA MANIERE ET L'OCCASION

    a proprement parlern'est pas un ceci-ou-cela. Aussi la libert ne lui parait-elle vidente queoeloin, soit comme conditionnel pass ou comme illusion qu'il aurait pu aire autrement, soit comme futur ou certitude de"poU-voir jare :Utrement; mats"t' Autrement au conditionnel pass-'"est"silsooute qu'un impuissant.regret, une illusion rfutable et consolable au gr du dterminisme; et quant a la libert comme pouvoir des deux ' et'devancement du choix, elle est plutot . un souhait pieux et un indmontrable postulat, une gratuite spculation sur l'avenir; la volont peut l'un et l'autre a condition qu'elle ne fasse ni l'un ni l'autre, la volont peut les deux (&[Lqui est le for intrieur et la Seconde dcisive de l'HoriabertaFii,fi"argue de loin notre intellect. ooLabile et fragile infiniment, la libert-'est donc ou bien un effet de masse qui se dcompose a l'analyse en kyrielles de motifs, ou bien elle est le presque-rien d'un vIJeInentsans contetlU, vnement dont le message nous parvient da~s un chl1'r':= L savoir par lequel nous savons notre libert est un cas privilgi du demi-savoir par lequel, en gnral, nous nous savons nous-memes. maCl OTL oUx. OraCl, je sais que je ne sais rien, dit Socrate en opposant la conscience de sa'-nesCIenc-e-' a la science quidditative, mais ineffective et inconsciente des politiques, poetes et chirotechniciens ; d 'autre part la science socratique consiste a se savoir soi-meme : le cr~Cl\)T6v qui sert de complment direct a la gnose est en quelque sorte le contenu tout formel d'une gnose sans contenuo Et par suite cr~Cl\)T6v, ou le Soi-meme, est le vrai nom de l'objet connu que le OTL nous annonce; ce soi-meme n'est pas a proprement parler 1'ignorance en tant que concept, il est plutot le fait que je ne sais rien 1. Socrate ne sait pas comment composer des poemes ni

    1. Ap%, 23 b : ...~yvwx.~v OTL oua~v/~ &~L6~ icrTL TIi &A1Jed~ 7tp/~ crO

  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET L'OCCASION

    l~ comment fabriquer des objets, mais il a conscience de sa propre

    . nescience, qui est un objet parfaitement vide et ngatif; et la chose sue est si peu un objet assignable qu 'elle renvoie paradoxalement au sujet

    ,; qui la sait et qui, la sachant, se sait ipso Jacto lui-m~me. Savoir sans 1 rien savoir en particulier, c'est la fonction meme de 1\\mcrT~f.l.7)~ :mcr~f.l.7), de la science a la deuxieme puissance telle que la dfinira le Charmide: car si on peut aimer d'aimer, a plus forte raison peut-on se savoir sachant et ne sachant pas! Comment cette comprhension de notre intermdiarit, si oppose a toute mmoire quidditative, comment .flette conscience de notre vide prsence ne seraient-elles pas le prin/,cipe d'une sagesse? Au clair-obscur de la nature humaine rpond ainsi ~.. la pnombre d'une anthropologie qui est toujours anthroposophie

    '~,~par quelque ct : otilcx f.l.EV 1tOAAeX, oux :1tcrTCX[i~E CXUTWV TOV Tp61tov 1, ' je. sais bien des choses, mais je n'en connais pas la maniere , dit lean Chrysoston: en- empfoy~if le mot trope, comme plus loin l'adverbe ~atgoriel 1tW~, dans son sens phnomnal; par exemple je constate :qomme un fait le vinculum de l'ame et du corps, mais le mcanisme !de cette effectivit et le Co~~rconstanciel de cet inesse, et les modes explicatifs de cette (enou.~je( demeurent incomprhensibles 2; et par consquen(J:uaion'~~meet du corps est dans son ensemble

    "le mystere d 'une:btrogn~.~t d 'une symbiose inexplicables, comme la libert est le 'mysfered'une vidence dmentie par l'observation ps.itive : /)n f.l.EV ~crT~V v T0 crWf.l.CXT~ T0 ~f.l.ETp

  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET L'OCCASION

    1L'indtermination..de q;tte gnose explique pourquoi notre carrithe " :~,lvitale ne se prete jamais a unefl.nalte anticipe et se prete toujours >. a une finalit rtrospective; pourquoi elle aura apres coup suivi une.

    o direction dtermine bien que cette direction soit toujours imprvi- ' sible. Vice versa lorsque I'hommesait-pad~,uy~~e qu'il fait et ce qu'i1 est dans la continuation da.I'il?tervalle quotii~ll1:t dans I'entredeux des extremes, il ignore par la-m~ieI'al;ha et I'omga de sa destine; ce qu'il est, iI le serait encore meme s'il n'existait pas et si

    " son etre tait tout hypothtique, secondaire et spectral. En possession \ de la gnose complete, I'homme saurait a la fois qu'il est et ce qu'i1 est : d 'un mot il saurait qui il est lui-meme, si le Quis, interrogeant

    ,ur I'ipsit de la personne, est bien la synthese du quid et du quod. _ ; ,Wuisque notre destine, et la mort qui en est le profond mystere ~hchatologique, sont I'objet d 'une science moyenne, et puisque la "morale est le domaine privilgi de cette science quivoque, on ne peut s'tonner si le probleme de la destine est lui-meme un probleme moral. Nous avons, de loin et en gros, la certitude qu'il y a une vi-

    Cence morale, mais nous sommes dans la plus complete incertitude touchant les contenus de cette vidence : I'agent se sent lui-meme oblig a quelque chose avant de savoir a quoi, mais des qu'il faut dire quoi, I'impratif thique devient corrimandement rituel, prescription administrative ou ordonnance policiere, c'est-a-dire impratif conditionnel soumis lui-meme a l'apprciation de la conscience; I'obligation _p:~..Jes~(: donc catgorique que si nous n'en pr~j_o.!!.s jarnais-.le_-~nu... Etiange situation que d'e1re condamn a ne jamais savoir ce qu'il faut faire tout en comprenant qu'il faut le faire! i~,; Le dogmatisme du Bie,n a ridiculis la vertu et la perfection en farcis

    t\ sant le devoir avec de~...c.QntenUs.quj9ditatifs : le formalisme justifie \ l'exigence01rctt'ct" la dcision dra;tique en faisant honneur a la quoddit anhypothtique de la loi. Comment peu"t-on etre oblig de faire alors qu'il n'y a rien a faire de particulier, que toute affaire est une quiddification de I'exigence d'effectivit, et que si la bonne

    .xolont de faire-etre en gnral est exigible absolument, le compl

    87

  • J. -.

    :)~., LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    entre sujet et attribut, I'accent tonique, dans quid sil, est sur le ceciou-cela qui est l'intntion memeetlav'ise d 'une hypothtique attribution : nous ignorons les prdicats d 'une substance qui est suppose prexister, mais dont I'existence est laisse dans I'ombre. Employ ~bsotament,intrasiivemt; catgoriquement, le premier Esse est

    (ontOTog

  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    d 'autre, une espece de lustre qui rayonne de la symtrie, T~ crufLfLE:Tplq; l:7t"LAlXfL1t6fLE:VOV 1, et qui la rend digne d 'amour (l:piXcrfLLOV); sans

    \\. une circulation de grace ~ la surface de la be~ut~ (X.iXpL~ l:7t"LOioucrlX Ti;> ~iXAAE:L) 2, le beau et le lald sont absolument mdlscernables et tous les malentendus deviennent possibles. Ce charme ambigu en suspens autour de la forme, habilIant la forme, explique a la fois I'vidence invidente du Bien et du Beau. II en est des' bonnes reuvres pharisiennes conformes au devoir comme des chefs-d'reuvre scolaires conformes aux regles: 'les uns et les autres devraient etre parfaits, et pour un peu nous accuserions notre insatisfaction elle-meme plutot que leur imperfection. Au fait, que lui manque-t-il, a ce studieux pensum, a cet irrprochable theme latin sans dfauts et sans gnie ? Et qu'est-ce qui peut manquer, s'il vous plait, a la dcourageante perfection ? A la perfection de I'reuvre accomplie, par dfinition meme, iI ne manque rien, comme il ne manque rien au bonheur de Mlisande. Ou plutOt : si, il manque quelque chose... II manque tout, puisqu 'il manque une ame! L'reuvre parfaite n'taj.t---qu-~.J.m devoir correct, le bon mouvement n'tait qu'une formalit(P9Iie)Cet im.palpable lment diffrentiel, ce presque-rien pneum'a'tique, ce je-ne-sais-quoi infinitsimal est encore plus subtil lorsqu 'il ,diffrencie entre eux non pas une reuvre d'art et un morceau d'loq~ence, mais deux reuvres (( presque indiscernables. OU est le critdum qui nous permettrait de distinguer entre le mystere d 'intimit de Yermeer et celui de Pieter de Hoogh, entre la fete galante chez Watteau et la fete galante chez ses imitateurs, Lancret ou Pater ? C'est a peIne si, dans le second cas,

    '--t}Yelque chose de vaporeux et de ngligentb je ne sais quoi d 'vasif et d 'alIusif qui rend le trait presque flou, und sorte d 'arienne fantaisie ,1 permettraient d 'authentifier le gnie berg~masque de Watteau. Et L.__~n ce qui regarde le premier cas, il est cer~in que I'univers domes

    tique de Pieter de Hoogh est presque aussi\ mystrieux que celui de Vermeer : mais dans ce Presque il y a un m~nde; il ne s'en faut pas de tres peu, ni d 'une lacune assignable, ni d 't1pe diffrence dtermine telIe que, par exemple, la diffrence entre le rauge de Pieter de Hoogh et le bleu sui generis, I'incomparable bleu qe Vermeer; ou plutot

    1. Enn., VI, 7, 22 (tpiyyo~). 2. Cf. VI, 7, 31, I. 29; V, 3,17, I. 21.

    90 \ ...

    LA MANIERE ET L'OCCASION

    il s'en faut, justement, de presque rien, mais ce presque-rien est une immensit; mais ce nescioquifL~t, CQ.nme le'(1IV'ill fUl:'mS'me;-un 'parto-t-=-ct-nu"Tre part; seul un(saut qualita,tw permettrait de compenser la

    "~.' ,~diffrence infiniment infinie,qiiOique infinitsimale, dont le mystere d'ubiquit est le principe. Ce saut mortel, c'est peut-etrele pas napolonien, le (( pas hroique qu'Henri Bremond entreprend de nous faire accomplir! vasif et prcis, lointain et Q!.ochain,

    ..._. .__~_._..__ ~._ ,~ __ __mystrieuxet""h"_ __ .. '._,:>_. __._. famili~!..L~nigmatique comme le Dleu cach mais cmir comme le jour a mldi : tels sont les prdicats contradictoires q1Jn~ thologie ngative du bleu de Vermeer devrait conjoindre pour e~p;;:;':;er"Frnexprimable! C'est assez dire la misere des localisations picturales; cornme de toute topographie occupe a reprer l'utopie du je-ne-sais-oi!. Pas plus que l' air de famille , qui est une ressemblance pneumatique, le charme n'a de support assignable. Pour fixer les ides nous concentrons cette aura de posie, ce charme transspatial dans le bleu de Vermeer. .. ou dans les cadences plagales de Faur, et nous nous tonnons de ne trouver a la place dsigne qu'une couleur banale, une formule comme toutes les formules, une chose comme toutes les choses. N ulIe part en effet le charme n 'est plus dcevant ni la ralit de ce charme plus indmontrable que dans le plus inexistant de tous les arts, a savoir dans la musique. Inexistante, presque inexistant"--') musique qui n'existe que dans I'instant d'une tr~~slouteuse et fugitive \ exaltation! Ryj~~t et dcevant mirage d'une rnmufe"oppmtonel La musique, cette tres-vaine \limit, n'est-elIe pas tout entiere un-------' quasi-nihil ? Une bulle de savon irise qui creve des qu'on la touche ? La musique, qui ne consiste ni dans la seule mlodie (car le chant nu n'est rien), ni dans I'harmonie seule (car un accord en soi est indiffrent), ni meme dans l'harmonisation de la mlodie, la musique a vrai dire ne consiste en rien et fuit a l'infini nos localisations : a sa suite nous pntronsdns la-~gIon supraspatiale et transmondaine de I'irralit, dans I~Pays des reveset la Patrie deschoses inexistantes','celIe ou rayonne la Jr-usalem-pneumatique du Requiem de Faur, oi! tintent les cIoches de Kitiege, la Ville invisible de Rimski-Korsakov. L'invitation amonter - ocAAoc 3d OCVIXO~VIXL 1 - que Plotin nous adresse

    I. Enn., V, 3, 17. Cf. VI, 7, 16 : fLE:TIXOoclvE:LV ...1tpO~ TO i.vw.

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  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIN LA MANIERE ET L'OCCASION

    ne semble-t-elle pas exprimer pour sa part la vocation dralisan ! de toute musique? En l'absence d 'une vraie critriologie, la spci~l .. ficit irrductible du charme fauren ne se diffrencie de la contre far;on, c'est-a-dire du simili et des procds, par aucune marque uni voque et dcisive. A quoi tient, par exemple, 1'indfinissable, la xcip~ bn6oumx qui pnetre et imbibe l'exquise mlodie de Faur intii tule Le plus doux chemin 1 ? L'oreille, guide par I'analyse gramma"') tieale, hsite entre la saveur olienne de la sensible en fa mineur: (mode de la), la quitude mlancolique des c-d.!

  • LE JE-NE-SAlS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    . prsente.a la chose belle. "Oi.w

  • LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    mais c'est une exprience que fait le patient et dont il rapporte la cause a un autre; de meme on ne peutjamais prouver l'existence d'une

    ! proprit dsignable qui serait le je-ne-sais-quoi et qui m 'appar tiendrait en propre a cette minute meme. .

    ~, e'est parce que le mystere du je-ne-sais-quoiest avant tout une efncacit que son apparition chez l'artiste a toujours le caractere irra- . ( tionnel d'une cration, que l'intellection de cette cration chez l'in- ;

    I terprete. ou l'auditeur a. toujours le.caractere drastique d 'une recra- . l...tWn. Le message que le Sanctus du Requiem nous transmet, Faur ni le formule ni ne l'exprime, mais il le dit en arpeges; et meme iI fait bien mieux que dire , puisqu'il fait : ces pianissimo surnaturels et ces rsolutions simuIes et l'apaisante cantilene des archets,

    ; et le serein murmure des harpes, et la stellaire effusion des chreurs, ttout cela fait partie, sans autres commentaires, d 'une meme opration ; potique et d'une meme suggestion captivante. Or, c'est la musique toutentiere qui est, en ce sens,. un acte. De cette sagesse non point gostique, mais drastique; Rimski-Korsakov nous a lgu, en Fvronia Mouromskaia, une sublime incarnation : Fvronia la tres sage, Fvronia la tres pure, Fvronia, la vierge de Kitiege {'invisible, est, comme Sadko, rossignolet, Soloviouchka; et de meme que le rossignol fait des vocalises, mais non pas des confrences sur les vocalises, de meme Fvronia ne sait que chanter; car son affaire est de faire, et non pas de disserter; Fvronia chante, et les violents se convertissent a I'Harmonie, et l'ours vient pleurer d'amour a ses pieds. Il en est

    ,.Ate l'interprete comme du crateur. Qui n'a pas tenu sous ses doigts! le mystere des six dieses de la Ballade en fa diese, qui n'a pas senti le ( prcis joint au vaporeux palpiter sur les touches noires et sur les ~ blanches, celui-Ia ne peut comprendre Gabriel Faur ni anticiper ce

    'que/que chose de tout autre dont personne ne peut donner l'ide a personne. A cet gard, il n'y a pas un univers, il y a plusieurs univers

    (t une infinit d'univers, il y a des univers d'univers entre la Ballade :: qu'on disseque mentalement et celle qu'onjoue Sur le clavier. L'audition elle-meme, par laquelle nous gofitons au je-ne-sais-quoi, l'auditio.Il t,:t...c.Qm...Il]~exClJtjgll., :ecratri.ce : 1'audition nous donne 1'entrevision de 1'ineffable Kitiege, de cette vil1e invisible mais audible qui est la Kitiege sotrique du charme.

  • "-l._Q--J

    '.LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET L'OCCASION S' ,-,,~'-j '~" -' '~.i..

    recommencent a exister quand ils ne pensent plus a soi, ne sont-ils pas a leur tour les tres fragiles chefs-d 'ceuvre du presque-rien, 1~S.PLcaires etprcieuses cratures de l'amphibolie thique? La fas"ui condarnneTe'remOfCfs: Ta puaeur'fT:"cl1ari'teacrgnrer (in cabo i. nage insincere a l'instant meme OU ils apprennent leur propr rite, . r-~~tte fatalit nous rvele dans 1'innocence la condition vi tale. d.U. j.e-n.e._ sais-quoi. Montesquieu insiste fortement sur ~d.~Ja.gr!~e.LLe charme innocent a quelque chose d'extatique en ceci que, dpourvu lui-meme de consistance, il est tout entier extrovers dans le non-moi et s'exhale, pour ainsi dire, comme un parfum; le charme est l'odeur

    /du je-ne-sais-quoi, et ses effluves volatils embrument la distinction du ~. sujet et de l'objet. Tout ce qui se trouve dans le sillage de la grace enchanteresse participe a l'enchantement : enchanteur et enchant de~iie;t;sTresco:ri~t~iite~ha-ngeables d 'un meme enchantement gracieux. Le charme est-il dans l'objet, comme le suppose la ridicule philosophie des localisations objectives, ou est-il un tat du sujet, comme le psychologisme phnomniste le soutiendrait sans doute? On est tent de rpondre qu'il est l' acte commun du sujet et de l'objet : cet acte par lequel les ames resseiitnt enser5re et

    Fe viorentoe concert a toujours t~_~ppel sympathie; pendant la dure / infinitsimale d'un instant et dans l'espace infinitsimal d'un point, le ( miracle en etfet s'accomplit : le charme charm cOIncide avec le ~harme-agent, l'entrevision non pas seulement gnostique, mais vcue,

    de l'ame enchante ne fait plus qu'un avec l'opration enchanteresse; pareillement on pourrait dire que 1'en1revisi~n

  • . ; r.\ ,,~. ~~ ...'l''''."u \

    LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN

    \2hose .et la prsence en absence. J2.ans...l.:aQ.sence, l'enchantement du i dobre'rega'roretriiveral~usi~.~Jp). Ayant pour impalpable Lvhicule l'ther spirituel ou balgnent e; monades; le captivant mys

    tere atmosphrique se situe partout et ne se localise nulle parto Plotin appelle beaut paresseuse (&pyov XtAAO~) la forme inerte incapable d'mouvoir la vue (o,nv XLVELV),