J’ai un rapport à la foi un peu rock’n’roll

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www. pa no ramCHAQUE MOIS, UN SUPP1ËMENT D’ÂME

RÉCIT

LA VÉRITABLE VIE DE

CHARLES DE FOUCAULD

CARNET DE BORD

EN TCHÉQUIE,UN MONASTÈRE

TOUT NEUF

LÉ A S AL AM É

journaliste

J’ai un rapport

à la foiun peu rock’n’roll

JANVIER 2021 N°580 6€ BELGIQUE :6€ SUISSE : 8,20 FS CANADA : 7,50 $ CEE, DOM TOM : 6 € ISSN 0299-

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J’ai un rapport à la foi

un peu rock’n’roll

  PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-CHRISTINE VIDAL   PHOTOS : ÉRIC GARAULT POUR PANORAMA U

Vous pensez connaître Léa Salamé, journaliste à France Inter, intervieweuse

pugnace et néanmoins reconnue ? Vous allez être surpris ! Pour Panorama,

elle accepte de passer du côté de l'interviewée. Elle évoque son Liban natal,

sa carrière et sa foi. Avec une sincérité désarmante.

Vous avez un emploi du temps de folie.

Pourquoi avez-vous aeeepté eet entretien ?

Parce que Panorama est un magazine de spi

ritualité. La spiritualité m’a toujours intéressée,

comme la foi, la religion. Ce n’est ni un intérêt

lointain, ni une curiosité journalistique. C’est

quelque chose qui m’accompagne intérieure

ment, intimement, depuis l’enfance.

Vous êtes une intervieweuse pugnaee.

Votre livre Femmes puissantes

eommenee par un couplet de la chanson

J’aime les gens qui doutent. Pourquoi ?

J’ai découvert cette chanson d’Anne Sylvestre

très récemment, et j’en suis tombée littéralement

amoureuse. « J’aime les gens qui doutent, les

gens qui trop écoutent leur cœur se balancer.

(...) J’aime les gens qui passent moitié dans leurs

godasses et moitié à côté. » J’ai trouvé ça très

très beau. Ce qui m’a stupéfaite chez ces douze

femmes puissantes que j’ai interviewées, c’est de

voir combien le questionnement intérieur les tra

verse. Leurs témoignages disent que toute tra

jectoire s’accompagne du doute. Cette chanson,

c’est moi, en fait.

C’est-à-dire ?

À chaque fois que je rencontre quelqu’un,dans ma vie privée comme dans ma vie profes

sionnelle, la première chose qu’il me dit, c’est :

« Quelle assurance ! Mais tu n’as jamais peur ? »

Et ma réponse est : « Je n’ai pas d’assurance et

j’ai très peur. » Quand vous interviewez tous les

matins des hommes politiques sur la première

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matinale de France, quand vous présentez la

grande émission politique du service public en

prime time, au moment où le générique part, ce

n’est plus le moment de douter. Mais tout le reste

du temps, c’est le doute.

Vous décrivez votre complice

de France Inter, Nicolas Dcniorand,

comme « quelqu'un bourré de failles ».

Est-ce votre cas ?

Les gens qui me connaissent savent que je

suis cabossée. Avec des failles. Les failles, c’est

quoi ? C’est l’ultrasensibilité. Ma vie a laissé des

cicatrices sur moi, en moi, avec lesquelles je vis.On est tous le produit de ces cicatrices qu’ont

laissé sur nous les souffrances de l’enfance.

« L’enfance décide », dit Sartre.

Revenons à votre enfance,

et à votre grand-mère.

C'était une femme puissante ?

Oui. Si l’on admet que la puis

sance est intime — contrairement au

pouvoir qui est extérieur - la mère

de mon père était puissante. Elle est

morte il y a presque dix ans. J’étais

un peu sa chouchoute. Elle est sans

doute la femme, avec ma mère, que

j’ai le plus aimée. Chef lingère dans

un hôtel 5 étoiles de Beyrouth, ellea élévé ses cinq enfants avec peu

d’argent. C’était la femme forte

de la famille. Pour que mon père

devienne professeur d’université,

diplomate international, en venant

d’une famille pauvre, il a fallu que

ses parents le décident. La décision

est venue de sa mère. Elle était

bourrée d’orgueil. Il ne fallait pas

tomber, il fallait rester droit. Elle

m’a appris ça.

Vous a-t-elle appris

à surmonter l'échec ?

Je ne vais pas vous mentir :

l’échec, c’est un problème dans ma

vie. J’ai été éduquée avec ce modèle

de ma grand-mère, et celui de mon père, qui netolérait pas l’échec et nous poussait vers une

exigence folle. Toutes les sagesses vous disent

que l’important, c’est le chemin, que tomber

fait partie du chemin. Pour moi, c’est encore

très douloureux. C’est l’homme avec qui je

vis depuis cinq ans qui m’a appris à poser les

armes. Il a un rapport beaucoup plus léger avec

l’échec, s’amuse des hauts et des bas de la vie.

Chez moi, les hauts sont toujours extatiques et

les bas dépressifs.

C’est votre côté oriental, ça !

Oui, c’est dramatique d’être marquée par

ses origines comme ça! Ben oui, je suis uneMéditerranéenne ! J’ai appris la tempérance

en vieillissant, avec mon compagnon et en

devenant mère. La maternité participe aussi

des choses qui vous permettent

de relativiser, d’arrêter de monter

dans les aigus ou de descendre dans

les graves. Toutes les banalités sur

la maternité, les tartes à la crème

que je m’étais juré, avant d’avoir un

enfant, de ne pas dire et de ne pas

ressentir, je suis tombée dedans.

Etre mère, c’est quelque chose de

désarmant.

Vous parlez beaucoup

de votre père, moins

de votre mère...

Je lui ai dédicacé mon livre, à ma

mère. Mais vous avez raison. Les

douze femmes que j’ai interviewées

constatent que la figure qui les a pro

mues ou bloquées, c’est leur père.C’est un rapport qui conditionne

la puissance future des femmes.

Ce fut aussi le cas pour moi. J’aivraiment eu une figure paternelle

écrasante, très forte. Ma mère prendla vie avec beaucoup plus de phi

losophie. Malheureusement, chez

moi, ce sont les préceptes paternels

qui sont le plus facilement entrés

dans mon crâne.

BIO EXPRESS

1979

Naissance à Beyrouth.

1984-1986

Allers-retours entre

le Liban et la France.

1986

Installation en France.

Depuis 2014

Journaliste à la matinale

de France Inter.

2014-2016Chroniqueuse à On n’est

pas couché (France 2).

Depuis 2016

Anime L’Emission politique,

puis Vous avez la parole

(France 2).

2017

Naissance de son fils Gabriel.

2020

Publication de Femmes

puissantes, Éd. Les Arènes,

302 p.,20€.

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Vous revendiquez une intranquillité.

D'où vient-elle ?

Il ne faut pas aller chercher très loin : c’est le

Liban ! Je suis née dans une zone aussi inflam

mable qu’enflammée, une nuit de grand bombar

dement. Ma mère raconte qu’elle a dû monter les

quatre étages de la clinique à pied, alors qu’elle

perdait les eaux. Il n’y avait plus d’électricité,

donc pas d’ascenseur. Mon père n’a pas pu pas

ser de Beyrouth Est à Beyrouth Ouest. Quand

vous êtes née une nuit comme ça, déjà, cela vous

marque à vie. Les cinq premières années de ma

vie ont été effectivement marquées par une

guerre très violente.

En avez-vous des souvenirs ?

Oui, des souvenirs auditifs. Je suis quelqu’un

de très résilient mais j’ai, par exemple, toujours

beaucoup de mal avec les feux d’artifice. Vous

savez ce sifflement, et puis boum ! J’ai aussi le

souvenir des nuits où, toute petite, je prenais mon

le suis née dans unezone aussi inflammable

qu’enflammée,une nuit de grand

bombardement.

oreiller pour frapper à la porte de mes parents

en disant : « On va à la baignoire ! » J’y dormais

les soirs de bombardement car la salle de bains

n’ayant pas de fenêtre, c’était la pièce la plus sûre.

Quand j’avais 5 ans, on a commencé à faire des

allers-retours entre Beyrouth et Paris. J’étais ins

crite dans deux écoles en même temps, une au

Liban, une en France. Six mois là-bas, six mois ici.

Ça, c’est la grandeur de la France. Dans les années

1980, les écoles françaises, publiques et privées,facilitaient énormément l’inscription des petits

Libanais. Au début, on faisait des allers-retours et

puis, à un moment, on n’est pas repartis au Liban.

Mais vous y êtes toujours retournée

régulièrement, non ?

Oui, les années où ça ne tapait pas trop. Après

la guerre, dans les années 1990, j’ai passé quasi

ment tous mes étés à Beyrouth, mes étés d’ado

lescente, puis de ma vingtaine. C’était super fes

tif. Comme à Berlin après la chute du Mur, tout

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était par terre mais la population nourrissait un

immense espoir, qui s’est cassé par la suite, avec

les assassinats politiques, et les guerres avec Israël

et la Syrie.

Le Liban est-il toujours dans un eoin

de votre cœur?

Au-delà même du cœur, il est dans ma chair.

C’est pour moi une vibration existentielle. Dieu

sait que j’ai le cuir épais, mais l’explosion du

4 août dernier m’a foutue par terre pendant une

semaine. J’ai des proches qui sont morts, mes

cousines ont perdu leur maison, l’appartement

de ma mère a été dévasté. Donc le Liban, oui...

Je crois que j’ai mis du temps à comprendre que

ce côté oriental faisait ma spécificité. J’ai tellement

rêvé, à 15 ans, d’avoir un grand-père de la Creuse

chances, sans retour. Ce que je trouve beau, c’est

d’accepter d’être composée d’un mille-feuille. Il

n’y a pas de drame à être de tous ces pays. Ce

n’est pas une trahison vis-à-vis du Liban de dire

que je me sens très française, et je ne pense pas

trahir la France en disant que je me sens très

libanaise. J’ai mis du temps à l’accepter mais c’est

devenu quelque chose de très serein chez moi,

et de très puissant. Quand je repense à la souf

france que ces identités multiples m’ont causée à

l’adolescence, je me trouve un peu ridicule. Mais

il faut en passer par là.

Entre la journaliste entrée il y a dix-

huit ans ehcz Publie Sénat et eelle

d'aujourd’hui, voyez-vous une différence,

en dehors de l'expérienee ?

Ce que je trouve beau dans l’exil, c’est d’accepterd’être composée d’un mille-feuille.

et une grand-mère de Vendée. Je ne comprenais

pas pourquoi je ne m’appelais pas Justine ou Julie,

pourquoi je n’étais pas blonde. Mes souffrances

d’adolescente, c’était : « Pourquoi suis-je si diffé

rente ? » Dans ma gueule, dans mon corps, dans

mes expressions, dans mes sentiments, dans ma

sensibilité. « Pourquoi suis-je aussi sensible ? »

J’ai mis du temps à comprendre que c’est cela qui

ferait ma chance. Ouh là là... Vous n’imaginez pas

combien de temps j’ai mis.

Vous sentez-vous exilée en France ?

Oui. Quand vous êtes exilé, vous le restez

toujours. C’est ce qu’Aznavour disait. Il était

arménien, ce que je suis en partie, puisque j’ai

une grand-mère arménienne. Ce qui est sûr, c’est

que je n’ai pas une once de sang français. L’exil a

été ma chance. J’ai aimé et j’aime passionnément

le pays qui m’a accueillie, petite exilée que j’étais.

Je pense qu’au Liban, je n’aurais pas eu le des

tin que j’ai eu en France. Il a fallu ce chemin-là.

Mais vous savez, il y a quelque chose de beau

dans l’exil. Une poésie, une mélancolie. Surtout

dans un exil comme le mien qui est, à 99 % de

Qui est capitale (rires) ! L’âge, les expériences,

les hauts, les bas, les succès, les échecs vous

apprennent à temporiser. La fille de 23 ans était

beaucoup plus ambitieuse que la femme qui est

en face de vous. À 23 ans, j’avais un appétit de

tout. Une rage en moi, une volonté de prouver

insatiable. Je voulais la lumière. Je voulais sortir

du lot. Je voulais exister. Je voulais être connue.

Je voulais avoir la reconnaissance de mes pairs. Je

voulais devenir une grande journaliste. Je voulais

tout ça.

Tout ça, c’est coché...

U y a des choses qui sont cochées, oui. Mais

grâce à beaucoup de travail. Longtemps, j’ai tout

donné à ma carrière. C’est moins le cas depuis

la naissance de mon fils, depuis que je vis avec

l’homme que j’aime, depuis le succès, aussi. Le

succès apaise, on ne va pas se mentir. Vous reve

nez à des choses plus essentielles. Aujourd’hui,

je suis - je l’espère - moins narcissique, nombri-

liste, arrogante. Mais, même à 23 ans, je n’ai jamais

voulu tuer quelqu’un pour avoir sa place. Je suis

droite. Je ne regrette rien de ce que j’étais.

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Qu’est-ee qui vous passionne dans l’art

de l'entretien?

Ce que j’aime par-dessus tout, c’est poser des

questions, provoquer un moment, aller chercher

la personne dans ses retranchements. Obtenir

quelque chose d’une vérité humaine, quelle que

soit la personne en face. Tous les après-midi, à

15 heures, on prépare le grand entretien avec

Nicolas Demorand. C’est un vrai plaisir d’arti

san. « Quelle première question ? À quel moment

faut-il accélérer le rythme ou décélérer ? Faut-il

aller vers l’intime ou au contraire vers des

questions graves ? Est-ce que qu’on lui rentre

dedans ? » Je ne me lasse pas de ce bonheur-là.

Après l’entretien, quand il s’est passé quelque

chose, je suis extatique. Mais quand je rate, il me

faut deux heures pour redescendre. Le pire, c’est

l’interview banale, où il ne se passe rien.

Votre meilleur souvenir d’interview?

Comme ça en vrac, j’ai aimé le moment où

Nicolas Hulot a annoncé en direct sa démission,

l’interview qu’Alain Delon nous a donnée pour

la première émission de Stupéfiant ! à Palerme

(Sicile), dans le palais du Guépard. Les interviews

dont je suis la plus hère, ce sont celles des Femmes

puissantes. Vous n’imaginez pas les milliers de

messages que j’ai pu recevoir après ces entretiens.

Vous dites avoir alors touché une forme

de vérité. Est-ee une de vos quêtes ?

Ce devrait être quelque chose d’important

pour tous les journalistes. Dans cette période,on est tous confrontés à des fake news (fausses

informations, ndlr), à des choses qui nous font

douter. Vous avez beau appartenir, et je mets

mille guillemets, à une sorte de « cercle de la

raison », dans lequel on vous a appris qu’il faut

vérifier, survérifier les faits, parfois, vous lisez des

choses qu’on pourrait traiter de complotistes, qui

vous font douter. Vous vous dites alors : « Où est

la vérité ? Qui a raison ? Est-ce que ce n’est pas

moi qui me trompe ? » Je pense qu’aujourd’hui,

cette quête de la vérité fait cruellement défaut. Il

en va de même avec la sincérité. C’est le granddrame des hommes politiques : on ne ressent

plus leur sincérité. Ils ont été cornaqués par la

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communication. Je les écoute tous les matins,

à côté de moi, à la radio. Quand j’entends les

éléments de langage qu’ils assènent, tac tac tac,

des propos que vous connaissez par cœur... les

bras m’en tombent. Il n’y a plus la place pour la

conviction, pour une forme de rage, aussi. Les

politiques se sont aseptisés et cela devient très

difficile de les interviewer.

D'où vient votre goût pour la politique ?

Sans doute de mon père qui nous a, depuis

toujours, plongées, ma sœur et moi, dans le bain

de la politique. Après, c’est un goût personnel.

Sans doute cela rejoint-il l’idée de la puissance

des femmes. Longtemps, la question du pou

voir, du rapport de force, dans ma vie profes

sionnelle ou dans ma vie personnelle, dans ma

pour vous plaire. Dieu sait que ça a été la grande

bataille que j’ai eue à mener dans ma vie.

Pour vous, qu'est-ce que réussir sa vie ?

C’est trouver son axe.

Est-ce que, pour le trouver, votre foi

vous aide ?

Ma foi a toujours été un refuge, un moteur,

une consolation. Elle vient de ma grand-mère,

qui m’a appris les prières. D’ailleurs, quand j’ai

quelque chose à demander au bon Dieu, je passe

par elle, par son truchement : « S’il te plaît, donne-

moi ça ! » Quand il m’arrive quelque chose de

bien, je crois que c’est le bon Dieu qui me l’a

donné. Quand il m’arrive quelque chose de mal, je

lui demande quel message il veut me transmettre.

Ma foi a touiours été un refuge, un moteur,une consolation.

relation aux hommes, a été l’alpha et l’oméga.

Il me fallait dominer. On n’est pas loin de la

politique. Mais l’idée de la puissance est à mon

avis plus enrichissante que celle du pouvoir. Je

pense que c’est Nathalie Kosciusko-Morizet

(ancienne femme politique, ndlr) qui, dans mon

livre, donne la définition la plus percutante de la

puissance. Elle dit que l’on est puissant lorsque

l’on a trouvé son axe. Qui que vous soyez, quand

vous vous sentez à votre place, dans votre axe, à

ce moment-là, il émane de vous une puissance

que l’on peut très difficilement arrêter. J’ai mis du

temps à comprendre que, pour en arriver là, il faut

monter, descendre, prendre des coups, accepter,

grimper. Tu ne trouves pas ton axe à 30 ans. Ce

n’est pas vrai. Moi, je n’y suis pas encore. Mais je

m’en approche à grands pas. J’avoue que la com

binaison vieillesse, maternité, succès, et « avoir

prouvé » - c’était obsessionnel chez moi - fait

que j’accepte de déplaire. J’ai longtemps voulu

absolument plaire et, maintenant, je m’en fiche

un peu. Cela me rend plus forte. Je suis comme

je suis. Vous aimez, c’est bien; vous n’aimez pas,

je reste dans mon axe. Je ne vais pas changer d’axe

Tout le temps. J’aime me ressourcer dans des lieux

particuliers. Au Liban, sur la tombe de ma grand-

mère. À Paris, quand je ne vais pas bien, je vais

à Saint-Julien le Pauvre, l’église grecque melkite

catholique, mon rite. À côté, vous avez Saint-

Séverin. Derrière le chœur, près d’une colonne

torsadée, il y a une Vierge que je suis allée voir un

jour de grande tristesse. Je vais aussi à la chapelle

de la Médaille miraculeuse, rue du Bac, en hom

mage à ma grand-mère qui, à chaque fois qu’elle

venait à Paris, m’y emmenait. D’ailleurs, je porte

toujours mes grigris : un bracelet avec la Médaille

miraculeuse et un autre du monastère de Sifnos,

en Grèce.

l'riez-vous souvent ?

Hors confinement, je vais à la messe deux à

trois dimanches par mois. Pour faire un point sur

ma semaine, pour prendre un moment de prière.

J’essaye d’y trouver quelque chose et parfois, je

n’y trouve rien. Je m’ennuie. J’ai l’impression

que je prie mal. François Sureau (écrivain, ndlr),

avec qui j’ai eu une conversation sur la foi, m’a

beaucoup aiguillée. Je lui ai dit : « Je suis nulle en

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prière ! Il ne se passe rien. Je n’arrive pas à entrer

dans la prière. » Il m’a répondu : « Mais ce n’est

pas grave ! Il n’y a pas une bonne manière de prier.

Laisse-toi aller et puis, même si tu penses à autre

chose, il se passe quand même quelque chose.

Dieu te connaît. Il sait les choses. » Parler avec

François Sureau m’a beaucoup libérée, en fait.

Avez-vous toujours été pratiquante ?

Non. J’ai un rapport à la foi un peu rock’n’roll.

C’est un prêtre qui m’a ramenée à l’église. J’allais

avoir 25 ans. Un jour, je disais à un ami : « Je ne

me sens pas d’aller à l’église. Toutes ces familles

très cathos, très BCBG, bien habillées, ce n’est

pas moi. » Il m’a parlé d’une messe, à Saint-Roch,

avec un prêtre génial. En plus, elle était à 12h 15.Comme je faisais des fêtes dantesques le samedi

soir, c’était parfait. On y retrouvait les artistes, les

gens seuls, les homosexuels. Je me sentais à l’aise

avec cette foule-là. Au fond, je n’allais à la messe

que pour les sermons de ce prêtre. Il était très

littéraire, parlait de Baudelaire et de Bernanos,

du message du Christ qu’il résumait à deux mots,

amour et pardon. Il m’a bouleversée pendant des

années. Depuis dix ans qu’il est mort, je n’ai pas

retrouvé un prêtre qui parle à mon cœur. Je rêve

de retrouver le prêtre qui va me galvaniser.

Dans ce monde confiné, arrivez-vous

à percevoir la présence de Dieu ?

Parfois, on se demande où il est. Moi, je le

sens dans ma prière. Au fond, les périodes deconfinement assez dures nous imposent de bais

ser les masques. On fanfaronne moins, on fait

moins semblant. Puisqu’on ne peut plus sortir,

on revient à l’essentiel, au foyer, à l’intime. C’est

peut-être une chance. Peut-être que j’y vois un

peu Dieu... On s’éparpille trop dans nos vies,

on essaie perpétuellement de combler le vide. En

tout cas, c’est mon cas. Là, on est forcés d’arrêter.

Je ne vois aucun message de Dieu dans le virus,

mais j’entends cette injonction à ralentir.

Que peut-on vous souhaiter pour 2021 ?

Après cette année terrible que l’on a tous

vécue, souhaitez-moi que 2021 soit un peu plus

douce, pour moi et pour le monde entier.