J’aimerais tant qu’on se revoie… mon fils - Exultet · 2015. 9. 15. · Laurence J’aimerais...
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J’aimeraistantqu’onserevoie…monfils
Laurence
J’aimeraistantqu’onserevoie…monfils
DialoguesavecleProfesseurHenriJoyeux
François-XavierdeGuibert
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«Vousaveztrèsbienfait.»
Audébut je n’aimais pas cela,mais finalement, àmon tour,j’ai cessé de répondre au téléphone, les visites « surprise »qu’on ne pouvait éviter me sont devenues insupportables.Certains n’ont pas compris, pensant que c’était moi qui nevoulais pas qu’on vienne te voir (de quel droit auraisje pudécidercela?).D’autrespensaientqu’ilfallaitteforceràvoirdumonde,qu’ilfallaitquetutebouges!Nousavonsvécuenvaseclos,pendantdeuxmois,jusqu’àtamort.
«Jepréfèredirejusqu’àsondépart.»
Aujourd’hui,jecontinueàmecomporterdelamêmefaçon.Jefiltre les appels, les visites me sont difficiles et je n’invitepersonne. J’ai l’impression que j’essaie demaintenir la mêmeambiance,commesij’avaispeurdetetrahirenfaisantrevivrelamaison.
«Celaestparfaitementnormal.»
Mais régulièrement, j’étouffe à la maison ! Besoin d’air !Alorsnouspartonsdeuxoutroisjoursavectonpère,àdroite,àgauche, peu importe le lieu du moment que l’on quitte cettemaison.
«Oui, celadoit êtreune impressionphysiquequivousdémontre que votre corps vous crie de changerd’attitude, mais cela ne peut se faire du jour aulendemain.Ilfautcomprendreetacceptercequevousne
pouvezchanger.»
Mais lorsque nous revenons, c’est à chaque fois le mêmescénario.Jem’enveuxdem’êtreoctroyéecesquelquesjoursderépit:tun’yasjamaiseudroitpendanttamaladie.Combiendefoisavons-nousdit,dèsquecelaserapossible,quandtuneseraspasenaplasie,quandtun’auraspasd’examenmédicalàpasser,quand tu n’auras plus cette résine, quand, quand… Ça n’estjamais arrivé… tu n’as jamais pu souffler, ne serait-ce quequelquesjours.Alorspourquoiyaurai-jedroit?Celameplongeàchaquefoisdansunétatdetension,deculpabilitéaveccrisesd’angoisse:larmes,difficultéàrespirer,sentimentdepanique…
«C’estcequisuitqu’ilvafalloirgérercarvousnedevezpasvousfairedumal. Il faut tout fairepourévacuercesentiment de culpabilité car il n’a pas de sens. Vousdevez vous contraindre doucement à reprendre une vienormale. Demandez à Tristan de vous aider et vouspercevrezsonaide.»
Tusais,Tristan,jenevispasvraimentaujourd’hui.J’attends,j’attends… Je crois que j’attends ton retour… Je ne veux pascroireàtamort…
«Àsondépart…Lacoupureducordonautrementplusdurequecelledelanaissance…Necomptezpassur letemps. Tristan est à la fois dans le présent et dansl’éternité.VivezcetempsprésentcommesiTristanétaitlàetn’hésitezpasàluiparler intérieurementavecvotrecœurdemère, immense…Vous avezdes ressources au
plusprofonddevousqu’ilfaututiliserpoursortirdeladéprime.Regardezaveclesyeuxdevotrefils,admirezlanature et le chant des oiseaux comme s’il était là. Jeresteàvotredisposition.»
Ouais, facile à dire, différent à vivre… Te parlerintérieurement, je le fais enpermanence, tum’habites,mais cen’estpascequejeveux!Tumemanques,jeveuxt’entendre,tevoir, te toucher, jeveuxquetumefassesrire.Tues tropbeau,trop intelligent, tropattachant,mon fils…J’imagine sansarrêtcequetuauraisditoupensé,tesreparties,tonhumour,tusaisquejesuistapremièrefan.Alors,oui,vivreintérieurementavectoi,possible,maisTUMEMANQUES!
« Lourde perte, dure épreuve qui exige une luttepermanente…Maiscethumour,illegardecertainementlàoùilestetilvoudraittellementvousenfaireprofiter,le vivre avec vous,même loin de vous car l’amour n’apasdedistanceetl’amouresthorsdutemps.»
Teparlerintérieurementnemesuffitpas.Lapreuve,c’estquejeparlede toi avecun« inconnu»àqui jedemandede jouerbiendesrôles:psy,confident…Jesuistrèsétonnéed’agirainsietjetrouvequejemanquedepudeur.C’estsansdoutel’écritetl’anonymatde cemodede communicationquim’autorisentuntelcomportement.Ilnefautpasquej’yréfléchisse…Ilfautquejeprennecequiestbonàprendre.Nepasseposerdequestions.Il y a quelqu’unquim’écoute, à qui je livre ceque j’ai sur lecœuretdontlesmessagesmerassurent.Ilsmedeviennentmêmeindispensablesmais jeme dis que cela ne pourra pas durer lanuit des temps, un jour ces courriers cesseront et ils me
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Gagné!Lelivrem’apermisdepleureràchaudeslarmesdanslesbrasdetasœur.J’aiévidemmenttouttransféréàl’InstitutdeCancérologie. Certaines scènes m’ont beaucoup interpellée,notammentcelleoùOscarditàRosequedepuisquesesparentssavent qu’il va mourir, ils ont peur de lui. C’est ce que j’airessentiavectoi,lesderniersjours…Quantaufilmquej’aivudeuxjoursaprès, ilm’abeaucoupmoinstouchéemêmes’ilesttrès fidèle au livre. Je connaissais certainsdialoguespar cœur.Maismêmepaspleuré!Tudoisêtrefièredemoi!
«Peut-êtrelalecturedufilmvousavaitbétonnéeavantlefilm…oudumoinsvotreimaginairevousapermisdetransformerOscarenTristanetderevivrefortementdesmoments vécus avec lui, mais aussi de faire desdifférences.»
Celivrenecorrespondpasàcequej’aiimaginéenlisant:niles lieux (l’Institut deCancérologie est récent, les locaux sontneufs), ni le Pr Düsseldorf – ton oncologue doit avoir aumaximum35ans–,nilepersonnel–lesaides-soignantesetlesinfirmières qui ne sont vraiment pas à leur avantage dans leurrelation avec les patients, si jeunes soient-ils. Nous avons euaffaire, tous les quatre, à une équipemédicale formidable, dugardiende nuit auxmédecins. Je ne t’ai jamais raconté ce quim’estarrivéledernierweek-end.J’étaisdehors, ildevaitêtre2ou3heuresdumatin, tuétaisàpeuprès tranquille, jene saispassi tum’asentenduquitter tachambre.Jebuvaisuncaféetfumaisunecigarette.Legardienque j’avaisvudéjà àdeuxoutroisreprisesestvenus’asseoiràcôtédemoi.Ilm’ademandéde
tesnouvelleset, lesyeuxbrillantsde larmes, je luiaiexpliquécalmementcommeladouceurd’unenuitdeprintempsinviteàlefaire, que tu allaismourir… Il n’a rien dit, il a juste posé samain sur la mienne… J’ai eu l’impression d’une totalecommunion entre lui et moi. Il était à ce moment-là, aussiimportant, voire plus, que tous les médecins. Une belle«rencontre»…
« Voilà une splendide et forte expérience qui montrebien comment la Providence se sert parfois des plushumbles, des plus inattendus pour nous faire bouger,avancer.Etcelapasseparlecœurpourrejoindrela“finepointedenotreêtre”qui, jecrois,n’estautrequenotreâmelaquelle,d’unecertainefaçon,souventinconsciente,animetoutnotreÊtre.»
Tu sais, la dernière nuit, peut-être t’en es-tu rendu compte,nous sommes allés à l’invitation des deux jeunes infirmièresprésentesdans le servicecettenuit-là,boireunautrecaféavecJean-Pierre.Avantdedescendre,jeleuraifaitjurerdenepastelaisser seul une seule seconde!Quandnous sommes remontés,ellesétaientassisesautourdetonlit,chacunetenantunedetesmains,ettuétaiscalmealorsquenoust’avionslaissétrèsagité.Je crois que tu ressentais notre angoisse et tu n’en avais pasbesoin,excuse-nous,c’étaittellementdur.
«C’estbiencequisepassedans le filmetquimontrebien nos fonctionnements anthropologiques que j’aimeopposeràcequiest“anthropo-illogique”.»
Par contre, tu n’as pas profité de notre absence pour partir,contrairement à Oscar et je t’en remercie, je ne me le seraisjamais pardonné.Non, j’étais là, je t’ai parlé et lorsque jemesuistue,tuasfaitunepauserespiratoire,puisc’estreparti,unefois, deux fois, puis plus rien. J’ai courudans le couloir pourappeler une infirmière en lui disant que tu ne respirais plus,comme si je voulais qu’on te réanime. C’était stupide de mapart…Jeluiaidemandéd’allercherchertonpèreettasœur,tonpoulsétaitsifaibleetnousétionslàtouslesquatrelorsquetuascesséderespirer.
«Oui,vousluiavezpermisdepartirenpaix,danscettepaix inouïe qu’il veut certainement désormais vousrendre. C’est une paix indéfinissable, impalpable maisbien réelle.Elleestde l’ordredumondede l’Invisible,dumondeduspirituel»
Tuvois,Tristan,mevoilàen trainde raconterceque lapsyvoulaitquejeluidiseetquejenepouvaisraconter.
«C’estunebonnelibération.»
Je commence à aller mieux je crois. Je commence à penserquetunesouffresplus,quetuesheureuxlàoùtuesetquetun’as plus besoin demoi, et surtout que tume veux heureuse.C’estpeut-êtrevrai,tuestoujoursprésent,jepeuxteparler,tum’entends et je t’entends m’encourager et vouloir que jecontinueàvivre…mêmesanstoi.
«Jelecroisprofondémentmaislàencore,lespreuvesne
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me sens anéantie…Une« invitation» à l’ICL, avec la presse,pourremercierlesfamillesetleursdonsquiontserviàacheterdumatériel informatique aux patients… Je n’ai pas envie d’yaller…J’ai l’impression,mêmesi les intentions sont louables,qu’ilscherchentà«profiter»de toi…Dis-moiceque jedoisfaire… Je ne te cache pas que je n’ai pas du tout envie d’yretourner.JPettasœursontd’accordavecmoisurlefaitdenepas s’y rendre. Je crois que tu ne le voudrais pas. Dis-moi !C’estdifficiledeprendreunedécisionàtaplace…Bon, nous avons décidé de ne pas nous rendre à cette
«cérémonie»ennousdisantquetun’auraispasaimécela.
«Vivelafamille.Vousavezfaitlebonchoix.»
C’estdrôle,aprèstondépart, laruptureavecl’ICLaététrèsbrutale. Tout à coup, le vide. Je sais que tu n’aimais pas êtrehospitalisé,jecomprendsbien,maisreconnaisqu’àforce,ons’ysentait un peu comme chez nous.Les lieux, déjà, rappelle-toi,onasillonnécescouloirstantdefoisdanstonfauteuilroulant,le moindre recoin. Le personnel aussi : tu as été rapidementidentifié. Toujours un mot gentil : « Tu vas bien, Tristan ? »C’estvraiquependantcesdixmois, jen’ai jamaisvud’autresjeunesmaladesquetoi…Onamêmecruquetuétaisleseul…C’était faux, je l’ai su après. On voyait quelques très jeunesenfants,enonco-ped.,avecleurmasquesur lenez…Àchaquefois,çatefaisaitmalettudisaisquecequ’ilsvivaientétaitbienpire que ta propre situation… Enfin, je peux te le direaujourd’hui,c’était tellementrassurantpourmoi, l’ICL.J’avaismoinspeur,peurque tu tombes,peurque tuaiesmal,peurdetout…Etmêmesi je restaisavec toide8heuresdumatinà8heures du soir, lorsque j’arrivais à lamaison, je savais que je
pouvaisdormir tranquille,que tuétaispris encharge…etqueriennepouvaitt’arriver.Alors oui, la rupture avec le monde médical qui devient
«notre»mondependantlamaladie,c’esttrèsdifficile…
« Je comprends très bien d’autant plus que vousm’écrivezetque j’essayedesuivrevotrepensée.Qu’enpenseJean-Pierre?»
Suivremapensée, pas simple carmoi-même, j’ai parfois dumalàlasuivre!Jean-Pierre, oui, ton père. Je parle peu de lui ? Peutêtre…
Que dire sinon que si je ne l’avais pas, si je n’avais pas tasœur…jepréfèrenepasypenser.C’estbanaletévidentdedireque tout cela a été très difficile pour lui. Chacun a trouvé saplace,sonrôle,assezrapidement.Àmoi,lequotidien,forcémentpuisquejenetravaillaispas.Lorsquej’aidit,autoutdébut,quemonnouveaumétierseraitdet’accompagnerverslaguérisonetque je m’y consacrerai entièrement, JP m’a dit que cela lesoulageaitcarilnesesentaitpascapabledel’assumer.Detoutefaçon,heureusementdansunsens,carjen’auraisjamaislaisséàpersonne le soinde s’occuperde toi !Etpuis iln’avaitpas lechoix,ilfallaitqu’iltravaille!Parcontre,dèsqu’illepouvait,ilétait présent, très présent. Mais tu le sentais souvent trèsangoissé,pleurantdevanttoiparfois.Celat’agaçaitdelevoirsifragilisé, trop prévenant avec toi… Il nous a souvent dit qu’ilsavaitbienquedesquatre,c’estluiquiassumaitlemoinsbien.Jenecroispasquecela soitvrai.Nousavons tous fait cequenouspouvionsavecchacunsespossibilitésprofondes.Etpuis,avec tout le temps que nous passions ensemble tous les deux,jour après jour, nous avions pris des habitudes, des réflexes
même.Jesavaiscequetuvoulais,attendais,parfoismêmesansque tu me le demandes. JP s’est senti parfois exclu de cetteconnivence.Je leregrette…cen’estpascequenousvoulions,maisilacompris…jecrois.
«C’estunbonmari,honnêteetclair.»
Il est d’une extrême sensibilité et je sens bien que si je netienspaslecoup,luinetiendrapasnonplus.L’inverseestvraiaussi.Alorsjenetienspasàcequ’illisemesmessages,qu’ilmesente perdue et profondément malheureuse. Mes larmes ledéstabilisentvite.Ilnetientpasàleslirenonpluscar,medit-il,«cela t’appartient». Il saitque j’ai trouvécemoyenpourêtreaidée et il en est très content. Lui-même fait ce chemin aveccertainsdesescollèguesdetravail,jesaisqu’ilcomptesureuxet qu’il a besoin d’eux pour parler mais il ne me vient pas àl’espritdeluidemandercequ’illeurraconte!C’estpareilpourlui.Etdetoutefaçon,onnesecacherien,onseprotège,c’esttout.Nous parlons régulièrement et d’ailleurs, nous vivons lesmêmes choses, pas aumême rythme… Je l’aime et je ne veuxpas le faire souffrir. Il m’aime aussi, j’en suis sûre, alors quedemanderdeplus?
«C’estcela,levraiamour.»
Surtout, ne pas en rajouter… Je garde parfaitement et trèsclairementen têteque luiaussiaperdusonfils,queMargotaperdusonfrère.Jenesuispaslaseuleàsouffrir,jelesaisetjelesrespectetouslesdeuxdanscettesouffrance.
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«Non, jene croispas, jepenseque lesgensquevousrencontrez sont terrorisés par ce que Tristan a vécu, etvousaveclui.Ilsnesaventpasquoidire,cequicréece“blanc”chezvousetchezeux.Àmonavis,moinsvousleur en parlerez mieux, ils seront. Je comprendsparfaitementqueTristanpuisseagitertoutesvospenséesmaisnecroyez-vouspasques’ilétaitlà,ilvousdirait:“Maman,tumelâcheslesbaskets,please”?Aufond,ilse sert de moi en ce moment pour vous passer lemessage : “Laisse-moi vivre ce que tu connaîtras plustard,ettusaisbienquejet’aime,tulesaisbien!”»
Je leur fais peur, je crois. Le souci, c’est que j’ai encorebesoin de parler de toi et que, quand de grandes boufféesd’amourmesubmergent,j’aidumalàfairesemblant,d’ailleursjen’aimepascela.
«OK,maisvouspouvezgarderdansvotre jardinsecretvos secrets d’amour…C’est la plus belle définitiondel’amour que je connaisse qui m’a été donnée par uneenfantde10ans.»
Alorsjepréfèrenevoirpersonne.Sinon, comme à chaque étape franchie, après un moment
quasi euphorique, je me sens fatiguée et vidée. Mais jecommence à m’y habituer et je sais même que si j’ail’impressiond’unpasenarrière,globalementj’avance.Te lâcher les baskets, c’est exactement ce que tume dirais,
mot pour mot. Je sais bien que c’est moi qui ne veux pas telâcherouquinepeuxpas.Maistoiaussi,arrête,arrête, laisse-moivivre,çasuffit!Mevoilàencolèreaprèstoi…Tucontinues
àobsédermespensées,alorsjefaiscomment?
«Demandez-luidevousapaiser,devousdonnerlapaixparcequ’ilpeutvousfairepasser:“Maman,net’inquièteplus pourmoi et sois heureuse avec papa etMargot ettousnosamis.Nosouci,jeveillesurvous.”»
Ouais,àvoir,pastropconvaincue…
« S’en convaincre coûte que coûte et ça vous coûte etvouscoûtera.Àmonavis,vousn’impliquezpasassezJPdans vos soucis. Il peut aussi vous apaiser et vouspouvezvousapaisermutuellement».
Peut-êtrebienquejen’impliquepasassezJP.Peut-êtrequejeveuxtroptenterdemedébrouiller«seule»parcequejeneveuxpasluifairedemal…Monmédecintraitantm’aditunjourquej’étais trop orgueilleuse mais je ne crois pas que ce soit ça,l’orgueil.
« Non, c’est plus un problème de caractère qued’orgueil.Vousavezpasmaldégustédansvotrevie!Jevouscomprends,mesemble-t-il,maisjepensequevousdevez faire attention à ne pas proposer votre douleur àvosprochesmaisà lapartageraveceux.CelaveutdireenparleravecJPquejeneconnaispas.Ilsouffreaussimais peut-être différemment. Vous ne devriez pas vousfaire du mal mais au contraire partager plusamoureusement. N’est-ce pas ce que souhaiteraitTristan?»
Tuvois,Tristan,ilmesemblequedemediredepartagerplusavec ton père, c’est une façon détournée deme dire qu’il fautquecescourrierss’arrêtent.
« Non, cela signifie un peu (de manière inconsciente)que vous craignez que je vous abandonne. Pour toutvous dire, j’accompagne des malades et leur famillecomme vous le savez, dans le cadre dema fonction dechirurgien et cancérologue, mais avec vous, c’est lapremière fois que j’accompagne après ce départ etlongtemps.Doncj’apprendsbeaucoupsurcettepériodedifficileoùbeaucoupdefamillessontunpeulaisséesàl’abandon. Donc, comprenez bien que tant que vousaurez besoin de moi, je serai là. C’est donc vous quiarrêterez cedialogue (important) quandvous le jugereznécessaire.»
Oui.Mais je sens bien que cesmessagesme sont plus quenécessaires et quemalgré tout, il faudraqu’ils cessent un jourou l’autre. Peut-être que je suis en train deme dire qu’il fautqu’ilss’arrêtentdéjàetcelam’angoisseparavance,rienqued’ypenser…Dur…C’est drôle, j’aurais pensé que je n’étais pas la seule qu’il
aidait,Tristan…Bon,OK,ProfesseurJoyeux,alorssic’estmoiquichoisis,et
bienjechoisisdecontinuer…
*
Tiens,Tristan,j’aivusurlesitedeFamillesdeFrancequeHJvenaitdonneruneconférenceàLyon,jeluisouhaitebienvenue
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Mais jem’égare.Ce jour-là,pourtant,Tristan s’était levéendisantqu’ilavait trèsmaldormiàcausedecettedouleur…Cen’était pas la première fois… mais que faire ? Un anti-inflammatoire, le rendez-vous chez la rhumatologue est prévupourlafindumois,onnevapasgâcherunesibellejournéedeprintemps!Bref. Voilà deux semaines que cette vidéo me narguait, je
savais exactement où la trouver, il m’est arrivé même de laglisserdanslelecteurmaisaumomentd’appuyersurlatouche« lecture »… Impossible ! Je la toisais, la regardais d’en hautdepuis neuf mois, lui disant : « Ton tour viendra, mais pasmaintenant.»C’estgrave,docteur,voilàquejeparleàunDVD!… Ce qui m’a fait franchir le cap le matin, c’est la peurd’oublier, enparticulier savoix.Et d’ailleurs, j’ai bien fait, jen’aiétésurpriseparaucunedesesattitudesoureparties,maissavoix!J’avaisdéjàoubliéàquelpointelleétaitgrave…
Entre sourires et larmes, j’ai vu et entendu mon grandpetithomme, celui-là quimedit aujourd’hui: «Yala,maman, on sereverra.»
Laurence
*
Bonjour,Merevoilà,aprèsplusieursjourssansvousécrire.
«Jemedisaisqu’ilyavaitunproblèmecarjememéfieduNonews,goodnews.»
Je n’en avais plus envie. Je ne sais pas vraiment pourquoi.Peut-être n’ai-je plus envie que mes émotions prennent ledessus,outoutaumoins,plusenviedelesexprimer,leslaisservenirenmoi,lesvivre,maisnepluslesexprimer,niàvous,niàpersonned’autre. JenesuispassûredeME comprendre.Peut-être que ces émotions deviennent tout doucement moinsdifficilesàvivre,moinsenvahissantes,moinspressantes,unpeuplusfacilesàvivre…Jenesaispascommentvousdire.
«Sic’estcela,c’estbonetàpoursuivre».
Cematin, routeenneigée,grandbleudans leciel, et… troisbiches égarées, apeurées, tout étonnées par cette neige tardive,hésitantessurlaroute…J’airalenti,mesuisarrêtée,m’excusantpresqued’êtrelà…Magique!J’enaiprispleinlesyeuxetpleinlatête…
« Voilà bien des signes d’apaisement, des hasardssignificatifs.»
*
Etparfois, ilmevientàpenserquevousdevezvousdireenparlantdemoi:«Ellen’aqu’àsebouger,seremuer,s’occuperplutôtquedes’écouter…»
«Jesensquevousvoulezpenseràmaplacemaiscequevousmedîtes,Christinemel’aditetjeluiairépondu:Tunesaispascequec’est,illuifaudradutemps.»
Jevous faispeut-êtreunprocèsd’intentionmaisc’estparcequec’estcequejemedissouventmoi-même:Laurence,bouge!Iln’empêche,jevoustrouvetrèspatientetpersévérant!
«Monmétierm’arenduainsi,c’estvraietunpeuplusphilosophe.»
Pourrait-il y avoir de ma part une certaine forme decomplaisanceàlasouffrance,c’estunpeulaquestionquejemepose.
«C’estpossiblemais jene l’aipassentichezvous,dumoinspasencoreetsic’étaitlecas,jevousledirais.»
Etsioui,pourquoi?
« Ilyadesgensquipassent leurvieà seplaindre.Onretrouve parfois des abandons dans l’enfance ou desblessuresnonsurmontées.»
J’aidumalàfairelapartdeschoses.Quememanque-til,«àpart » Tristan ? J’ai beaucoup d’amour autour de moi, dusoutien, de l’écoute aussi, si tant est que je la demande.Maischaquejourquipasse,aprèsunenuitrarementréparatrice,jemelèveenmedisant:«Carpediem,Laurence…»,maislesheuresquipassent,lesbonnes«résolutions»s’atténuent,lamotivations’émousse,engluéequejesuisparcesimagesquimehantent…
«Oui,vousavez toutpourêtreheureusesaufceluiquiest devenu ESSENTIEL à votre survie. Vous devez
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«Jenecroispasquecesoitdelafragilitéplusoumoinsfamiliale,c’estdelafragilitéHUMAINE.»
Je n’osemême pas imaginer ce qui arriverait si de nouveaul’und’entrenousdisparaissait…Jesais,mauvaisepenséemaisdifficiledenepasl’envisager.J’aiproposéàJPdesefaireaidermaisilneveutpas,jenesaispaspourquoi.
«Parcequ’ilestunhommed’abord.Àbientôt,ditesàJPquejesuisàsadisposition.Bienamicalement.Henri.»
*
«TrèsbonnejournéesansnuagevolcaniqueàvousetàJP.JevousécrisdeFèsoùnoussommesauFestivaldeCulturesoufie.Jepréparemaconférence,L’amourplusfort que la mort. Difficile et passionnant à la fois. Jepense beaucoup à vous et, en plus, je me suis surprisdemandant à Tristan de m’aider… et il m’aide. Enfin,c’est une impression fugitive mais réelle. Vous m’avezfait tellement réfléchir –MERCI – que je navigue avectous ceux que j’ai accompagnés que je ressensextrêmement présents. Des prénoms se succèdent dansmatête,mêmelanuitdansmesrêves…»
Vousavezundonpourarriveràmefairepleurer!
«Jecomprendsetpartagevotreforteémotion.»
Merci de me dire que Tristan existe vraiment pour vous etqu’enplus ilvousaide !Pourquoimoi, sapropremère, jen’y
parviens pas ? Votremessageme touche énormément…mêmes’ilmefaitpleureretmêmesijenecomprendstoujourspasenquoijevousaifaitréfléchir.Jevousaijustelivrécequej’avaisau plus profond demoi, demon cœur, à distance, car je saisqu’enlive,en«direct»,rienneseraitarrivé.C’estcommeça.
« Oui, c’est comme ça, vous m’avez apporté plus quevous ne croyez et je le mesure ces jours-ci dans lapréparation de ma conférence. Ça a bougé au fond demoi.»
J’espère que vous allez bien, bonjour à Christine que je neconnaispas.
« Je lui disais que des nouvelles ne tarderaient pas devotre part: pas une once de reproche mais une douceamitiéquis’estinstalléeentrevous,JPetnousdeux.Jevous envoie de beaux chants soufis qui riment etrythmentnosjournéestrèsnourrissantessouslesoleiletlapluiedeFès.»
Celasignifieque, si jen’écrispas,vousne le ferezpasnonplus?
«Oui, j’attendraissansoubliercarjenepeuxqu’êtreàl’écoutedeceuxquisouffrent.»
Bonnesemainemarocaine,bonjouràtouslesFassisquevousrencontrerez. Je vous envoie toutes les bonnes ondes dont jedisposepourvotreconférence,demain.
« GrandMERCI. Inch’Allah! Nul doute que ces ondestraverserontlaMareNostrumetpercerontlesnuagesduvolcan.Préparezvousàvenirl’annéeprochaineavecJPàce festival. Une ambiance délicieuse, enrichissante etfraternelle. Tristan et vous êtes très présents pourexprimerquel’amourESTplusfortquelamort.J’enaiacquis la certitude intérieure. Je vous envoie plein desoleil.HJ.»
*
Voilà,nousysommes.Le2maibientôt…Tristanaura(auraiteu?) vingt ans… Je tremble à l’idée de voir arriver cette dateanniversaire…NousenparlonsavecJP,histoiredes’ypréparer.J’aimeraisquecejoursoitunefête,pasunregret…
«Vousavezraisonetcommentnepasespérer,imaginerqu’ilfêteratoutcelaavecvous,c’estceladontilfautsepersuader avec les élans du cœur, les fulgurances ducœur comme disent les Soufis. Une absence plus fortequetouteslesprésences.»
NON.Nemeditespascela!Jenepourraipasl’embrasser,luisouhaiterunelongueetheureusevie…Alorsàquoibon?JPenlarmesvientdemedemanderdel’accompagneraucimetièreetilm’a raconté sondernier rêve. Il était chercheuret ildécouvraitunmoyenderetirerchaquecellulecancéreuseducorpsdesonfils,presqueà lapinceàépiler, l’uneaprès l’autre,doucementmaissûrement…
«Ilacertainementungrandbesoindeparler,dedireses
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compréhensionetdesonamitié, ilfautquej’yarrive.Deplus,elle est très occupée par son nouveau poste de responsable del’accueil de jour de personnes atteintes de la maladied’Alzheimer.
« Il faudra que je vienne dans votre département pourexpliquer comment avoir unAlzheimer, donc commentnepasl’avoir.»
Et puis toujours ces cauchemars, les mêmes en fait, cesimages de souffrance qui me hantent, ces moments de grandeconfusionoùjenevoisplusclairdutout…
«Toutvamieuxmaisilyauratoujoursdeshautsetdesbasmais chaque“bas” seraplushautque ledernier.Àbientôt.HJ.»
SalamAlikoum.Quevousveniezparlerd’Alzheimercheznous?Figurezvous
quec’estprévudepuisdelongsmoisparIsaquisuitdepuis ledébut,sansleslire,nosmessages!Àvoirplusprécisémentàlarentrée…
«Bism’Allah!Il faudravoir lesdatesassezvite carmoncalendrier seremplitsanscesse.Trèsbonnejournée.Hamdoul’Allah.HJ»
OK.Alors,quevousreste-t-ilcommecréneaulibre?
«J’aiuntroulemercredi10novembre.Oùsedérouleraitlaconférence?»
Jenesaispasencore,vousalleztropvite!Parcontre,sivousvouleztoujoursvenirsanslaneige,celarisqued’êtrepérilleux,cetteannée,nousl’avonsvuedeseptembreàmai!
«J’essaieraid’amenerdusoleil.»
Vous pouvez le garder,maismerci quandmême.Nous n’enmanquons pas à cette altitude, c’est plutôt la chaleur qui faitdéfaut…
« Dans le cœur, c’est là qu’elle rayonne le plus et lemieux.»
Le10novembre?Veilledu11novembre,jourférié,pourquoipas…?
«Oui,celatombebien»
Si vous voulez toujours profiter de votre venue dans notrerégionpourquel’onserencontretouslesquatre,pasdesouci.IlyajustementunevieillefermeperduedansunhameauduHaut-Forezquinedemandequ’àvousaccueilliretvoushébergersilecœurvousendit.
« OK pour être chez vous mais je ne connais pas leprogramme de Christine. Je vous dirai mais nous ne
voulonspasvousdéranger.»
Nousdéranger?Vousnenousconnaissezpasencoreassez!Sinousvousproposonsdevousaccueilliràlamaison,cen’estpasunesimple formuledepolitesse, c’estparcequecelanousfaitplaisir.N’importequinerentrepasàlamaison,seulsceuxquisontlesbienvenusypénètrent.
«MERCIbeaucoup.Trèsbonnesoirée.HJ.»
*
J’enaiassez!Jeviensd’apprendreenquarante-huitheuresledécèsdedeuxpersonnesque j’aimebeaucoup: lebeau-pèredemes deux sœurs (elles ont épousé deux frères) que je connaisdepuis l’âgede10ans, il faitpartiede la famille,mesenfantsl’appellent«papy».Etpuis,lematinmêmedel’enterrementdecemonsieur,uncoupdetéléphone:«Odetteestpartie.»Notrevoisine,notreamie,88ans,oui,l’âgedemouriraussimaisc’esttoujourstroptôt!Odetteaperdudeuxdesestroisenfants,nousparlionssouventdeTristanqu’elleadorait.J’enparlaisavecelle«entoutesécurité»,encoreune«initiée».Ellem’encourageaitsanscesseenm’assurantqu’avecletemps,jevivraisereinementaveclesouvenirdeTristan.Jesavaisqu’elleme«mentait»,ellen’estjamaisparvenueàcettepaixavecsespropresenfants.Nosconversationsvontterriblementmemanquer.
«J’imaginefacilement.»
Me vient à l’esprit que si toutes les personnes que j’aime
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queTristanm’entend,qu’il estquelquepartoù jene suispas,qu’ilvabien,qu’ilm’aideetmeprotègeetquejevaislerevoir?
«ChèreLaurence,Jemedisaisnonewsgoodnews.Mesuis-jetrompé?Tristan, comme tous ceux qui nous précèdent dansl’éternité qui nous est promise (je veux le croire pourdonner sens àma viemême si pour certains, c’est uneformed’opium),respecteinfinimentceuxqu’ilalaissésetnepeutquepartagervotresouffranceaffective.Ilvousveut du bien dans votre tête et plus encore dans votrecœur.Ilestheureuxlàoùilestetnepeutintervenirquepardespetitsmessagestrèsdélicatsquivousredonnentespoir, espoir qu’il va bien, très bien, espoir deretrouvailles (leplus tardpossiblecarvotremission icin’est pas terminée: famille, plus tout ce qui tourneautour et tous ceux qui peuvent avoir besoin de vous).Sesmessages ne sont ni des fax ni desmails, des toutpetitssignesdelanature,desproches,desamis…peut-êtredesmotsqu’ilmefaitvousécrire…VoilàbeaucoupdesoleildeMontpellier.»
Savez-vouscequiestdifficileaujourd’hui?C’estl’inversiondes rôles.DifficiledepenserqueTristanmeprotège,qu’ilmeguide, qu’il me voit, m’observe, sait plus que moi,m’accompagne,setaitplusqu’ilnedit,qu’ilmevoit…Tristandevenu«sage»…Celamefaitsourire.
« Oui, c’est difficile de penser ainsi et même del’imaginer.»
Manqued’habitudeaprèsdix-neufans…MaispuisseTristan,si vous avez raison,me donner un peu de l’immense humilitédont il a faitpreuveetdont jemanque…Continuezàmediretout cela, évoquer que peut-être Tristan est encore avec nous,celamefaitdubien.
« Il est plus présent que jamais mais d’âme à âme.Souvenezvousdesquatrepartiesdenotreêtre.L’âmeestcellequines’éteintpas.Lavôtreaussines’éteindrapas.Nousenreparleronsdansl’Au-Delà!Ilfauts’yprépareravec amour et humour. Les deux mots sont trèsproches.»
Nous allons nous voir bientôt, je ne sais pas combien detempsvouspasserezcheznous,unechoseest sûre, ce tempslàneserajamaisassezlongpourvousdiretoutcequitournedansmatête,alorsjeprofiteencoredecetemps«écrit».MerciQuandarriverez-vous?
« Le 10 dans l’après-midi et nous repartirons lelendemainmatinpour retourdegardeà l’hôpital, le11ausoir.»
Jesuiscontentedevousrencontrerenfinmêmesicelaseradecourtedurée.
« Je me suis rendu compte que je n’ai pas répondu àcertainsdevosmessages. Je les lirai donc et répondraiquesicelameparaîtimportant.»
Laissez tombercesmessages,neperdezpasvotre temps.Cequi était vrai un jour dans ma tête ne l’est pas forcément lelendemain,lessentimentssonttoujoursconfusdansmonespritetvarienttrèsvite…
« Oui, j’ai remarqué et ils démontrent une profonderecherchedesenschezvous,cequiesttrèslogiquepourleshumainsquenoussommes.»
Jecrois surtoutqu’ilsdémontrent lapagaillequi règnedansmonespritetmonincapacitéàyvoirclair!
*
« J’ai fait prendre la garde par un jeune collaborateur.Nous pourrons rester le 11 novembre si vous êtesOK,chezvousetrepartironsle12aumatin.»
Dernier message avant votre arrivée. J’ai un sentimentd’urgence quimonte enmoi, depuis quelques jours, comme sicetterencontreallaitmettreuntermeàunehistoireàlaquellejem’étaishabituée,commesiunepageallaitsetourner…devaitsetourner.
«Franchement,jenecroispas.»
Iln’empêche,bienvenuecheznous,merci,mercipourtoutceque je ne vous dirai certainement pas jeudi. C’était laminute«nostalgie»
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l’und’entrenousvamal,c’estl’autrequi«assure»…Unesorted’équilibrequipermetdenepassombrer.Onsesoutient.Tantmieuxetenmêmetemps, j’aimerais tellementquenousallionsbien ensemble ! Cette fois-ci, je n’ai pas réfléchi, je n’ai pascherché à lutter, jeme suisprécipitée chezmonmédecin, sansattendre, en lui demandant deme prescrire desmédicaments !Ducoup,c’estmieux,pasd’euphorie,unpeuquandmême,maisun grand calme intérieur reposant, appréciable et apprécié. Jesais que ces anxiolytiques ne sont pas une solutionmais tantpis,j’enaiassezdepassermesjournéesàressassermalgrémoitouslesévénementsquiremontentmaintenantàunanetdemi.Combiendetempscelava-t-ildurer?…Je viens de relire tous nosmessages depuis le début. C’est
drôle,jen’aipasl’impressionqu’uneautrelesaitécritsetqu’unautre y ait répondu, mais et c’est encourageant, je mesure lecheminparcourumêmes’ilestchaotiqueetlaborieux.Ilfaudrafairequelquechosedetantd’écriture!
« Jeme suisdit lamêmechose. J’ai toutgardécommetoi,certainement.»
Sijeparled’écriture,c’estparcequejemesuislancéedepuispeu… J’écris, j’écris à Tristan : beaucoup de bonheur et desouffrance à la fois, mais par le biais des mots, je me sensencoreplusprochedelui.J’essaiedeluidiretoutcequejen’aipaspuousuouoséexprimerpendantsamaladie.Toutestallétellementvite…Voilà. Jeme sensmieux, unmieux « chimique », je le sais
maisjeprendscequiestbonàprendre.
*
Bonjour,Jesuisdansunegrotteprofonde, trèsprofonde,cylindrique,
comme un goulot aux parois lisses recouvertes de glaise. Audébut,jeplane,jeflotte,jesuiscommeenapesanteur,parfoisenhautverslalumièreparfoisenbasverslefondnoirethumide.Mais jen’atteinsni l’unni l’autre.Jeplaneentre lesdeux.Cen’estpasdésagréable…Unjour,pourtant,alorsquejenem’yattendspas, je tombe,
je tombe lourdementaufonddecettegrotte. Il fait froid, jenevois rien car j’ai le visage enfoui dans la glaise. Je restelongtemps ainsi, incapable de bouger mais bientôt je ne peuxplus respireralors jemeredresse:c’estunequestiondevieoudemort.Jenechoisispas,jem’assois,c’estl’instinctdesurviequimeguide.Puis l’effroi, lapeur s’emparentdemoi : il fautquej’agisse,jenepeuxnineveuxpasserlerestantdemesjoursdanscetrounoir,humideetfroid,àattendrelamort.Ilfautquejeremonteverslalumièrequejenevoispasmaisjesaisqu’elleest là, que l’ascension seradifficile, périlleuse…J’observe lesparoisen les touchantmaiselles sont lisseset lorsque j’essaied’yplantermesdoigts, lachaleurdemoncorpsréchauffecetteglaise et la liquéfie. À force de chercher, je découvre sur cesparoisdelargesplates-formes,desrochersspacieuxsurlesquelsjepeuxmehisser etme reposer. Jen’hésitepas, l’accèsparaîttellement aisé, ils sont si confortables.Mais, régulièrement, lapierre s’effrite et finit par céder sous mon poids et je meretrouveàchaquefoisaufonddutrou, leschutessontdeplusenplusdouloureuses.J’ylaissebeaucoupdeforceetd’énergie.Jesuisdésemparée,l’idéemevientsouventàl’espritquejeneremonterai jamais à la surface, parfois même je l’espère carl’effort consenti est trop dur. Et puis un jour, en tâtonnant, jedécouvre que cette paroi, en apparence, lisse, laisse apparaîtreici et là des aspérités, comme de petits bouts de rochers,
nombreuxet réguliers.Jegrimpe, jegrimpesans tropréfléchir,j’aiconfiance, laremontéeest longue,elledure,elleduremaiscettefoisjecontinue,jesaisqu’ellememèneverslasortie.Unjour pourtant, plus d’aspérités, plus de cailloux auxquels meraccrocher.Maisjen’aipluspeurcarj’aiprissoinderamasseretd’emporteravecmoicespetitsboutsderochers.Grâceàeux,enlesassemblant lesunsauxautres, jevaispouvoirconstruirecettedernièreplate-forme,cerochersolidequimepermettradequittercettegrotte.Déjàjevoislalumière,lasortieestproche.Cettedernièremarche,cettedernièreétape,c’estceque j’écrisjouraprèsjouràTristan,c’estellequimemèneverslalumièreetverslui.
« Oui, tu as raison, c’est ce que Tristan te permet defaire.»
Pardon pour la longueur du texte. Lorsque je faisais de laspéléo, si beaux qu’aient pu être ces lieux, si intenses cesvictoiresphysiquesetmoralessurmoi-même,leplusbelinstantétait toujours pour moi la sortie de grotte, la surface, lalumière…
«Tuchercheslalumièreettuyparviens,goutteàgoutte,pasàpas.Trèsbonnenuitet trèsbelle journéeavecdusoleildanslecœur,àtoietàJean-Pierre.Luias-tufaitlirecetexte?Amitiés.Henri.»
*
Bonsoir,Hierausoir,JPestrentréduboulotavecungrandbesoinde
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c’estTristanquialeplussouffert,jamais…Jevoulaisjustequetucomprennesmieuxmaréactionàcelivre.
Nosfils,ànouslesmères,cesontnosproprestripes,onne peut rien y faire. Les filles, elles, ont plusd’autonomieparrapportànousetnoussommespeut-êtreplusvulnérablesparnosfils…quoiqu’onnesachejamais ce que la vie nous cache ou nous réserve. Enpensant à mes filles, s’il leur arrivait quelque chose,j’ai autant envie de hurler. Je préfère prier. Dessouffrances,ilyenatantautourdenous.
Hurler,oui,celasoulagemomentanément.Quantàprier,jenesais pas faire je crois. Je sais aussi qu’il y a des souffrancesautourdenous,jenel’oubliepasnonplus,crois-moietj’ysuissensible…aupointden’avoirjamaisracontétoutcela,pournepasfairedumal,etencore…J’aifaitcourt…Ilyauraitdequoienfaireunlivre,raconterceparcoursducombattant,maisçaadéjàétéfait!…Tu sais, pendant ces dix mois où j’ai fréquenté l’ICL, j’ai
beaucoupparlé…obligée…àd’autresmamansessentiellementmaisaussiàcemonsieuratteintdusidaetd’uneleucémieetquisedemandaitsicelavalaitlecoupde«subir»sontraitement,jecrois vraiment que c’est le bon mot, quoi qu’en dise G.Corneau… Il n’a rien su de Tristan, il ne m’a même pasdemandépourquoi j’étais là, tellement ilétaitensouffrance,etje ne lui ai rien dit, j’ai essayé de le convaincre… de se«soigner»maisçafaittellementmaldesesoignerdanscecas-là…Tellement d’autres encore… JAMAIS je neme servirai deTristan, jen’aipasde leçonàdonner…et jenecherchepasàmefaireplaindre,j’espèrequetulesais…
Bien sûr, c’est la souffrance de l’enfant qui brûle lamère ! J’ai trop bien compris, c’était très clair. Pourmoi,c’estlaprièrelaseuleissueàmonimpuissance,jeremetsàl’Autre.Carilyauneprésence,uneaide,unailleurs,jelesais.C’esttoutcequejepeuxdire…Prier,c’estparlerdans soncœur,avec soncœur,àQui peutnousentendre.Jeteremerciedetaconfianceetj’espèrenepast’avoirblessée.Jet’embrasse.»
Certainementpas,ne t’inquiètepas. J’aigrandidepuisdeuxans,quedis-je,depuistroisansdéjà…Jet’embrasseaussi.
*
Salut,j’espèrequetuvasbien…J’airêvédetoi…pasquedetoi, rassure-toi… Comme d’habitude, tout était mélangé. Tuétaistrèsprésentemaisdansunpremiertemps,tubrillais…partonsilence!Témoin…Ma première sœur était présente, je veux dire « la première
qui s’est suicidée »…Oups ! Je n’ai pas rêvé d’elle depuis…depuis… bien longtemps et tellement peu… Bref, tout celaremonte à… laisse-moi calculer… oh là ! presqu’à… trenteans…Déjà…Oui, c’est ça, l’année de mes 20 ans, tu parlesd’un cadeau… Beaucoup de monde dans ce rêve: toiaujourd’hui,Hélènehier,mafamille…Henriaussi,Jean-Pierreet Margot… Il me semble qu’il s’agissait d’une « fête defamille »…Et tout à coup, tu intervenais car jem’évertuais àappeler « Tristan » ! J’étais trop contente de le revoir. Jem’étonnais qu’il ne me réponde pas et pour cause… Et toi,tranquillement,tumedisais:«Arrête,Laurence,c’esttasœuràqui tu t’adresses… Ce n’est pas Tristan. » Oups ! Réveil
bizarre…Sinon,j’aiungrandbesoindemeretrouverseuledansunlieu
où je n’aurais aucune contrainte «matérielle » et pourtant, jen’enaipasbeaucoupdansmavieactuelle!Maisencoreplus,unlieuoùjen’auraisaffairequ’àmoi,genrehôtel-restomaissanslafroideurdeceslieux…Unlieu…beau…àlacampagne,avecpossibilité de parler ou pas… avec des gens « intelligents »,ouverts,prêtsàentendre.L’idéal:êtreentenduesansparler!Pasexigeantedéjà !Unmonastèrepeut-être, jenevoisquece lieuquipuisseréunirtoutoupartiedemesenvies…Uneautreidée?
«Christine:Ton rêve est très fort et celam’interpelle d’y jouerunrôle!Surtoutdanscerôledetémoinmaistumedécrisassez bien… Mon impression, là, à première vue, estqu’il montre, bien sûr, que tu cherches Tristan, maisaussi que ta sœur t’a donné une idée de la mort quipèse sur ta relation avec ton fils. Et en même temps,c’est lui qui ramène ta sœur à ta mémoire profonde,forgetmenot,etàtafamille…etelleestavecluiquiadûluiapporterbeaucoupdejoiesfamilialesetpeut-êtreuneplusgrandecompréhensiondesafamille……Tu pourrais aller à l’abbaye de Sénanque…naturemagnifiqueprèsduVentoux,petitecommunautédeseptmoinesdegrandequalité,beautédeschantsetliturgiesmaissansaucuneobligation.Ilyaunemaisond’hôtesainsi qu’un très beau magasin librairie et artisanatmonastique… miels de lavande… Nous connaissonsbien. Tu auras beaucoup de calme et de profondeurd’accueil à Sénanque. Tu pourras faire de bellesrandonnéesetpromenadesautour…Belleidée…
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PcommePardon…Je te demande pardon Tristan, pardon pour mes silences,
pardon pourmes larmes, pardon pour trop demots imparfaits,malposés,pardondenepasavoirtoutcomprisparfois,pardondepenserquej’auraispufaireencorepluspourtoi.
PcommePeur…La peur m’accompagne depuis si longtemps, difficile de la
dompter,ellem’envahit.Lapeurd’aborddetesavoirmalade,dete voir souffrir, puis de sentir que tu plies, tu lâches toutdoucement, tu te résignes devant cet adversaire bien trop fort.As-tueupeuraumomentdepartir?Après, j’ai peur de la vie sans toi, peur du monde qui
m’entourequejenereconnaisplusetdontjenefaispluspartie.Peur aussi d’être seule, la terreur que cela recommence, qu’unautres’enaille.Puislapeurden’êtreplusqu’unanimal,éteinte,sans étincelle, un corps qui respire, des jambes qui marchentmaisdesbrasquinesetendentplus,desmainsquinetouchentplus…Puiscettepeurterrifiantedet’oublier…Jeneveuxplusavoirpeur,jeneveuxplusqu’ellemefreineet
meretienne.
QcommeQuatre…Toi, ta sœur, ton père etmoi.Deux fois deux ou deux plus
deux.Ilfautréapprendreàcompter,comptersanstoi.Deuxplusdeux égale trois. C’est cela qu’il faut diremaintenantmais lecompten’estplusbon.
RcommeRêve…Plus tard je te parlerai demes rêves, peut-être. Tu n’as pas
besoindetoutsavoir.
ScommeSensibilité…Des sens en alerte, une sensibilité à fleur de peau. Étaisje
aveugle et sourde avant toi ? Depuis, je vois mieux ce quim’entoure, j’entends mieux ceux qui m’entourent. Les yeuxécarquillés, j’observecettenature sibellequime rassure, je laphotographie, je la dessine pour prolonger ces instantsapaisants. Jamaisplus jene regarderaicommeavant toi.Mercidem’avoirouvertlesyeux.
ScommeSouffrance…Cemotmefaitencorepeuretréveillemacolère.Pourquoia-
t-ilfallutantdesouffrancephysique?Lasouffrancemoraledetesentirpartirsijeunen’était-ellepassuffisante,decomprendreà19ansquetun’auraispasdroitàlasuite.Pourquoi?Quelqu’unen a-t-il décidé autrement ? Et si oui, POURQUOI ? Pourquoitoi ? Questions sans réponse mais qui reviennent toujours…Mais tu n’as plus mal aujourd’hui, n’est-ce pas? J’ai encorebesoin parfois, rarement, que tu me le dises, que tu me leredises:Jevaisbien,maman,net’inquièteplus.
ScommeSilence…Tavoixs’estéteinte…Neplusmesouvenirdetontimbrede
voix ? Insupportable… Ne plus t’entendre ? Impensable.Pourtant,ilfauts’yrésoudre.Alorsjet’entendsintérieurement,c’estbienmieuxquelesilence.
TcommeToi,Tristan…Aumomentderefermercelivre,jemedisdéjàquejenet’ai
pas encore tout dit, que j’ai dit peu de chose sur certaineslettres, que j’ai oublié certains mots comme rire, humour…larmes… mais ça devient difficile alors je vais arrêter pouraujourd’hui.Mais je rouvrirai ce livre régulièrement,pour tout
letempsquimeresteàvivre,jenelerefermeraijamaisjusqu’aujour où nous serons réunis et qu’il sera devenu inutile det’écrire.J’enprendsl’engagement.Quetedired’autre?Te diremerci,merci de t’avoir rencontré.À aucunmoment,
mêmedanslespires,jen’airegrettédet’avoirmisaumonde.Etsijenet’avaispasconnu,tum’auraismanqué.Ce que je souhaite le plus aujourd’hui, c’est de ne pas te
décevoir.Jevoudraisquetusoisfièredemoi.Pourtoi,jeveuxêtremeilleure, jeveuxque tum’aides encoreàgrandir, que tum’aidesàeffacerenmoitoutepenséenégativequineseraitpasà ta hauteur. Tu seras témoin de tout cela, mon témoin, tum’encouragerassiparfoisjemelaissealler,nouscontinueronsàfaireéquipeensemble,touslesdeux.Tuveuxbien?Tristan, tu es enmoi, tu y es retourné, je te porte enmoi à
nouveau, tuesdansmonventre,dansmoncœur,partout.Maiscettefois-citun’ensortirasplus.Jetegardebienauchaud.Tunemequitteraspasunedeuxièmefois,tunemequitterasplus.C’estpeudirequejet’aimemaisjeteledisquandmême:Je
t’aime,Tristan.
Monadressemail:[email protected],sivoussouhaitezmecontacter
Achevéd’imprimersurlespressesdel’imprimerieendécembre2013
N°d’imprimeur:XXXXXDépôtlégal:janvier2014
ImpriméenFrance
CompositionetmiseenpagesréaliséesparCompo66–Perpignan
584/2013
