Ironman d’Hawaii : comment ne pas passer à côté ?

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Parmi les courses de longue distance en triathlon, l’Ironman (IM) d’Hawaii possède une saveur atypique. Tous pourchassent en effet bec et ongles cette qualification, un sésame de plus en plus difficile à obtenir pour amateurs comme professionnels – ce qui en fait d’ailleurs l’épreuve du circuit la plus dense. Ainsi donc à juste titre, Hawaii demeure la course dont la phase précompétitive doit être le moins sujette aux doutes. En théorie en tout cas, car malheureusement, force est de constater que les pratiques courantes des engagés restent (ici comme ailleurs) focalisées sur la partie ‘Charges’ des séances d’entraînement. Des pratiques qui omettent ainsi certains facteurs clés de la performance sur IM 1 avec lesquels il faudra pourtant composer le jour J. Pour ne citer qu’eux : Dans ce contexte, c’est une approche plurifactorielle de la préparation qui s’impose. Voici alors quelques billes pour optimiser cette organisation précompétitive atypique d’une amélioration de la résistance à la fatigue le jour J. Une cuillère à soupe de pacing_____ Ainsi, l’effort développé est caractérisé par une baisse progressive de l’intensité d’exercice. Rapportée à Hawaii, une telle observation est d’ailleurs susceptible d’être renforcée. Dans une configuration où la confrontation aux autres athlètes est exacerbée, on s’engage en effet (toujours ?) spontanément sur les allures concurrentes. Mais quand bien même on serait prêt à assumer des états de souffrance extrêmes en se répétant « je m’accroche au maximum, cette fois ça va peut-être passer », ce genre de stratégie ne passe jamais sur IM, avec bien souvent une grosse défaillance durant le marathon. L’intensité critique renvoie à la relation linéaire entre l’intensité et le temps ; en bref, plus l’épreuve est longue, moins l’intensité est élevée. C’est une approche efficace ayant fait ses preuves sur distance IM. Le bon pacing, c’est la stratégie de gestion de l’effort qui permettra de dégager la puissance mécanique la plus élevée sur l’ensemble de l’épreuve. En contraste avec les pacing stables ou en forme de J généralement préconisés pour des épreuves de longue durée, Abbiss & Laursen 3 ont présenté la stratégie de gestion typiquement adoptée sur distance IM par 27 coureurs (ci-dessous). Adopter un pacing « optimal », c’est donc d’abord s’y confronter durant sa préparation. Pour cela, nous faisons le choix de raisonner à partir du concept d’‘intensité critique’ de l’athlète. Explications : • La baisse des réserves en glycogène, qui peuvent devenir pratiquement épuisées 2 après 4h30’ de vélo à 71% de ̇ O 2 max ; Un état d’hyperthermie critique si la course se déroule en conditions chaudes (> ~28°C) ; • L’apparition de dommages musculaires ; La baisse de la commande centrale (au niveau nerveux) qui réduit l’intensité de la contraction musculaire ; • La baisse de motivation. Ironman d’Hawaii : comment ne pas passer à côté ?

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Parmi les courses de longue distance en triathlon, l’Ironman (IM) d’Hawaii possède une saveuratypique. Touspourchassent en effet bec et ongles cettequalification, un sésamedeplus enplusdifficileàobtenirpouramateurscommeprofessionnels–cequienfaitd’ailleursl’épreuveducircuitlaplusdense.Ainsidoncàjustetitre,Hawaiidemeurelacoursedontlaphaseprécompétitivedoitêtre le moins sujette aux doutes. En théorie en tout cas, car malheureusement, force est deconstaterquelespratiquescourantesdesengagésrestent(icicommeailleurs)focaliséessurlapartie‘Charges’desséancesd’entraînement.Despratiquesquiomettentainsicertainsfacteursclésde laperformancesurIM1aveclesquelsilfaudrapourtantcomposerlejourJ.Pourneciterqu’eux:

Dans ce contexte,c’estuneapprocheplurifactoriellede lapréparationqui s’impose.Voicialors quelques billes pour optimiser cette organisation précompétitiveatypiqued’uneaméliorationdelarésistanceàlafatiguelejourJ.

Unecuillèreàsoupedepacing_____

Ainsi, l’effort développé est caractérisé par une baisseprogressivedel’intensitéd’exercice.RapportéeàHawaii,unetelleobservation est d’ailleurs susceptible d’être renforcée. Dans uneconfigurationoùlaconfrontationauxautresathlètesestexacerbée,on s’engage en effet (toujours?) spontanément sur les alluresconcurrentes.Maisquandbienmêmeonseraitprêtàassumerdesétats de souffrance extrêmes en se répétant «je m’accroche aumaximum,cettefoisçavapeut-êtrepasser»,cegenredestratégie

nepassejamaissurIM,avecbiensouventunegrossedéfaillancedurantlemarathon.

• L’intensité critique renvoie à la relation linéaire entrel’intensitéet le temps;enbref,plus l’épreuveest longue,moins l’intensité est élevée. C’est une approche efficaceayantfaitsespreuvessurdistanceIM.

Lebonpacing,c’estlastratégiedegestiondel’effortquipermettradedégagerlapuissancemécaniquelaplusélevée sur l’ensemble de l’épreuve. En contraste avec les pacing stables ou en forme de J généralementpréconisés pour des épreuves de longue durée, Abbiss & Laursen3 ont présenté la stratégie de gestiontypiquementadoptéesurdistanceIMpar27coureurs(ci-dessous).

Adopter unpacing «optimal», c’est doncd’abord s’y confronter durant sa préparation. Pour cela, nousfaisonslechoixderaisonneràpartirduconceptd’‘intensitécritique’del’athlète.Explications:

• Labaissedesréservesenglycogène,quipeuventdevenirpratiquementépuisées2après4h30’devéloà71%de�̇�O2max;• Un état d’hyperthermie critique si la course se déroule en conditionschaudes(>~28°C);•L’apparitiondedommagesmusculaires;• La baisse de la commande centrale (au niveau nerveux) qui réduitl’intensitédelacontractionmusculaire;•Labaissedemotivation.

Ironmand’Hawaii:commentnepaspasseràcôté?

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• Bien que la gestion d’allure à vélo soit propre à chaqueathlèteparrapportàsarelation individuellepuissance-temps,onpeuttoutefois faireressortirunepuissance moyenne qui peut être maintenue sur le parcours vélo d’un IM entre 75-80% de lapuissancecritiquepouruneduréed’effortde~5h,et70%pouruneduréede~6h.

Sur cet entraînement, nous pouvons voir que la puissance et la FC sont restées relativementstables sur l’ensemble de la séance avec une cadence de pédalage@80 rpm de moyenne – quireprésente un bon rapport entre force et vélocité sur distance IM. Cette séance a permis unevalidation de ce pacing tant au niveau mécanique (puissance), physiologique (peu de dérivecardiaque),queperceptifavecunRPEde4,5/10(lacotationdel’effort).Àlasuitedecetteséancevélo,l’athlètearéaliséunenchaînementcourseàpiedcomposéde20’@15Km/h+10’@12Km/h,quiaégalementmontrédebonnesdispositionsmécano-physiologiques.

Ladernièreséance longueencourseàpiedaétéréalisée le lendemaindecetteséancevéloensituationdepré-fatigue.Elleétaitcomposéede50’@11-13Km/h+2h00’@14Km/h[±0,5Km/h]+10’@10-12Km/h(ci-dessous).

• Lepacing à vélo nedoit absolument pas être perçu commel’intensité qui permettra de réaliser la meilleure performancedans cette discipline,mais comme celle autorisant lameilleuregestiondesaréserved’énergiepouraborder lemarathondansdebonnes conditions.Lepacingest une affaired’anticipation.Objectif: réaliser la meilleure performance globale «dans etpour»chaquediscipline!

• Différents tests de terrain permettent de définir la puissance / vitesse critique (cf. articles parallèles).L’intensité critique pouvant être maintenue 60’, une approche simple consiste à effectuer un effort àintensitémaximalesur60’pourobteniruneapproximationdecesvaleurs.Àpartirdecelles-ci,etselon leprofilduparcours(platoumontée),nouspouvonsmodéliserl’intensitéquipourraêtremaintenuesurIM.

Exemple:casconcretd’unathlèteenpréparationpourl’IMHawaii2016(ci-contre).

Ladernièreséancevélospécifiqueaétéréalisée à J-3 semaines de l’IM d’Hawaii,elleétaitcomposéede50Km@160-200W+ 130 Km@220-240W (qui est la basedupacing préconisé pour l’athlète sur cetteépreuve)(ci-dessous).

Rouge:FC

Orange:Cadence

Rose:Puissance

Pacing !

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Commepourlaséancevélo,nouspouvonsvoirunetrèsbonnerelationintensité-FCsurlepacing@ 14 Km/h, une faible dérive cardiaque à cette intensité et une bonne cadence de foulée@188ppm,touscesélémentsmontrantunbonrendementmécanique.

Unepincéedenutrition_____

Un impact de la chaleur sur la stratégie hydrique ? Enambiance tempérée nous sommes généralement sur unequantité de liquide ingéré de 500ml.h. Mais à Hawaii laprésence de chaleur et d’humidité augmente les perteshydriques.Danscecontextelesapportsliquidienspourrontêtre élevés à ~750ml.h intégrant également unrenforcement au niveau des électrolytes pour compenserles pertes sudorales. Toutefois, cette

supplémentation ne devra pas concerner les apportsglucidiquesqui,encasdesurdose,augmenterontletravailgastrique.

Commepourl’entraînementphysique,ilestrecommandédes’entraînerauniveaunutritionnelsurletypedestratégieetdeproduitquevousallezutiliserdurant la compétition afin d’accoutumer vos intestins et votre estomac.Unerègled’or:pasd’improvisationnutritionnellelejourJ!

Rouge:FC

Orange:cadence

Vert:Vitesse

L’enjeumental:Leslonguesséancesdepacingontégalementunintérêtindispensable,celuiderenforcerlarésistancementaleàl’effortpermettantd’endurerlemaintiend’uneintensitécibledurant plusieurs heures, et ce malgré une augmentation desniveauxdefatigueetd’inconfortdurantlacourse.

?

La dépense énergétique sur distance IM est très élevée, de l’ordre de 8500 à 11500 Kcalavec unemoyenneautourde9040Kcal4.Orlestockdeglycogèneestpratiquementépuisé2aprèsuneffort>4h30’.Unapport exogène enhydratesdecarboneestdonc indispensablesurdistance IM. Il est généralementrecommandé pour des épreuves d’ultra-endurance (>4h) d’opter pour un apport de glucides de 90g.h.Attention:l’utilisationdecedosageenglucidesn’estrenduepossiblequ’àconditiond’opterpouruneboissoncontenant 2 transporteurs intestinauxde glucides,unpour leglucose (leSGLT1) etunpour lefructose (le GLUT5). En effet, les intestins ne seront pas capables d’absorber une quantité de glucides>60g.h si les apports nutritionnels ne contiennent qu’un seul transporteur de glucose. Ainsi unecompositionadaptéedelaboissonpourratabléesur2/3deglucideset1/3defructose.

Résiste !

K+Ca2+

Mg2+

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L’adaptation cétoniqueen perspective? Les débats actuels en nutrition du sportif d’endurancesontportéssurl’adoptionetlesbénéficesinduitsparunrégimeLCHF(pour«LowCarb&HighFat»).Eneffet, lesapportsénergétiquesenultra-endurance sontessentiellementbasés sur l’utilisationd’acides gras libres (~60%); optimiser l’adaptation de l’organisme à fonctionner sur ce type deressources (en limitant lesapportsenglucides)pourraitalorsaméliorer sonefficienceà l’exercice.Commentçamarche?

Cependant,ilestànoterquelaréductionenglucidesassociéeàcetypederégimepeutaussinuireàlaperformanceetsuggèredoncuneutilisationprudenteetavertied’uneméthodecommeleLCHF.

_____Unzestdejetlag

Larythmicitéestàlabasedelastructuredusommeil.Logiquementundécalagehorairededouzeheures (métropole vs. Hawaii) perturbe cette temporalité. Si elles sont minimes sur les activitéscourtes,lesconséquencesd’unmanquedesommeilsontmagnifiéeslorsd’épreuvesd’enduranceenraisonde labaissedes réservesmusculairesenglycogèneetde laplusgrandepénibilitéà l’effort.Alors, pournepas se retrouverparfaitementdésynchronisé(e) sur la lignededépart àHawaii, lesrecommandationspratiquesconvergentvers l’idéed’ajustersonhorlogebiologiqued’1à2hpar

jour pour chaque heure de décalage – suggérant icide réguler ses heuresd’endormissementunedizainede jours avant l’épreuve. Toutefois, l’avantaged’Hawaii (12h)c’estque l’onpeutchoisirdedécalersescouchersplustôt,ouplustard!

L’expositionàlalumièreetlatempératureducorpssont les principaux régulateurs de l’activitécircadienne.Oncomposeradoncaveceuxpourforcerl’endormissementou l’éveil (pleinspharesetdouchefroide au lever). De même, les actions favorisant lesommeil (relaxation, température ambiante douce,douche chaude, repas léger, boisson lactée au miel,écoute de son cycle de sommeil, etc.) comme celles

permettantdeleretarder(café,exercicephysiqueintense,bruit,smartphone,filmàémotions,etc.)prennentdanscecontextetout leursens.Lessiestesmodérées (pasplusd’uneheure)constituentenfindeprécieusesaidespourencaisserledécalagesileprochaincoucherestéloigné.

Ungrandbold’acclimatation,etquelquesglaçons_____

La cétogenèse correspond à la synthèse de corps cétoniquesdansl’organisme(auseindesmitochondriesdufoie)encasd’excèsd’acides gras libres.Derrière le régimeLCHF, l’idéedemeuredoncd’augmenter la disponibilité en graisse de l’organisme (tout enlimitant celle en sucre) dans le but d’augmenter la concentrationsanguine en corps cétoniques. Dans l’idéal, ces derniers pourrontservirdesubstratsénergétiquesàl’exercicephysique.

Enmoyenne,latempératureambianteàHawaiienpérioded’IMs’élèveà~30°avecun taux d’humidité >50% (générant une température ressentie de +5-6°C). Ce typed’ambiancethermiqueinduitunepertede~2%,~7%et~16%pourdesduréesd’effortde ~6min, ~30min et ~70min, respectivement; imaginez donc la décadence deperformancelorsd’unIMenchaleursivousn’yêtespaspréparés…

12h

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Pour cela, rien de plus simple!Essayez 3 semaines avant lacompétitionde réaliser ≥3 séances«light» (durée >70min) parsemaine dans une pièce (salle debain/garage) chauffée à ~30°C. Sivous y allez progressivement etresteràl’écoutedevossensations(pas de surcharge!), alors vousapprendrez à votre corps à mieux tolérer (mental!) et évacuer (physiologie!) la chaleur qu’ilemmagasine à l’exercice. Derrière ce protocole réside l’idée de faire monter votre températureinterneunpeuplushautqu’àl’habitude(~1°C).Après10-12séances(sanstropd’écartentreelles),vousconstaterezparvous-mêmeàquelpointcettestratégied’acclimatationà lachaleurpeutêtreefficace.Parexemple,onenregistreungainde~3%deperformancesurun20kmàvéloaprèsuneacclimatationàlachaleur–ungainencoreunefoismagnifiésurlesépreuveslongues…

_____Saupoudrezletoutd’affûtage

Maisl’affûtagec’estavanttoutuneaffairepersonnelle,chaqueorganismeyréagitdemanièredifférente.Nousdevonsalorsresterà l’écoutede l’athlètepour connaître ses réactions propres et individualiser cette période. Surdistance IM, nous avons pu remarquer auprès des athlètes que nousentraînons qu’un affûtage d’une durée comprise entre 8 et 14 joursn’apportaitpasentièresatisfaction.Cetteannéenousavonsainsiutilisé(avecsuccès)uneapprochesur3semainesassociéeàuneréductionprogressiveduvolumed’entraînement(-20%enS-3,-40%enS-2,-60%enS-1)permettantunerupturedecharge

moinsimportantequiapermisd’améliorlessensationsressentiesparlesathlètesdurant la période d’avant-course. La fréquence des entraînements a étéconservée, mais les séances intensives ont vu leurs périodes de récupérationaugmenterpourpasseràunratioeffort-récupérationde1:1(afind’entretenirlesadaptationsphysiologiques).Enfin,lapérioded’affûtageétaitcaractériséeparuntravailimportantdepacingdanschaquediscipline.

Pourqu’Hawaiiresteunbonsouvenir,voirelemeilleur…

Pour aller plus loin: 1Burnley & Jones, 2007; 2Noakes et al. 2000; 3Abbiss & Laursen, 2008; 4Laursen &Rhodes,2001;5Mujikaetal.1996;6Mujika&al,2002;7Bosquetetal.2007

De plus, lors de la course, tout moyen rafraichissant permettant d’éviter de faire«cocotte-minute» sera bon à prendre: eau fraiche sur la peau, casquette, glaçonsdanslesgants,zonesd’ombre,bandeaufroid,rinçagedeboucheavecdelaglacepilée(~10sec),etc.Lesvêtementsàbasedementholsemblentaussiapporterunesensationcutanéedefraicheur,bénéfiquepourabaisserl’impressiond’effort.

Train Hot

Keep fresh

Affûtage

L’affûtageestunemanœuvrequiconsisteàmanipulerlevolumed’entraînementpourdiminuerlafatigueaccumulée sans pour autant perdre les adaptations si péniblement acquises. Plus précisément il vise àrenforcer les ajustements physiologiques aux niveaux moléculaire et cellulaire, mais également à évacuerl’état de fatigue ressentie. Les diverses études scientifiques sur le sujet préconisent des durées d’affûtageentre4et28jours5,6.Àpartird’unerevuedela littérature,Bosquetetal.7évoquentquantàeuxuneduréeoptimaleentre8et14jours.