Introduction : qualité, évaluation, européanisation et gouvernance de l'éducation

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INTRODUCTION : QUALITÉ, ÉVALUATION, EUROPÉANISATION ETGOUVERNANCE DE L'ÉDUCATION Sotiria Grek et al. De Boeck Supérieur | Education et sociétés 2011/2 - n° 28pages 5 à 19

ISSN 1373-847X

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Grek Sotiria et al., « Introduction : qualité, évaluation, européanisation et gouvernance de l'éducation »,

Education et sociétés, 2011/2 n° 28, p. 5-19. DOI : 10.3917/es.028.0005

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D O S S I E RQualité et pilotage de l’éducation

Introduction : qualité, évaluation, européanisation et gouvernance de l’éducation

Sotiria GREKCES (Centre for Educational Sociology), University of EdinburghSt John’s Land, Holyrood RoadEdinburgh EH8 8AQ Royaume-Uni<[email protected]>

Martin LAWNCES (Centre for Educational Sociology), University of EdinburghSt John’s Land, Holyrood RoadEdinburgh EH8 8AQ Royaume-Uni<[email protected]>

Jenny OZGAUniversity of Oxford, Department of Education15 Norham GardensOxford OX2 6PY Royaume-Uni<[email protected]>

Traduction de Thierry Bessy, ENS de Lyon-Institut Français de l’Éducation

Données et gouvernance de l’éducation en Europe

e dossier d’Éducation et Sociétés porte sur la production incessante de don-nées pour suivre la qualité et la performance de l’éducation en Europe et sur

leur interprétation en termes de gouvernance de l’éducation et d’européanisation.CDOI: 10.3917/es.028.0005Pages 5 à 20

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Qualité et pilotage de l’éducation

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Les auteurs examinent dans quelle mesure ces données et le souci de l’assurancequalité et de l’évaluation qu’elles traduisent peuvent être considérés comme uneforme de fabrication, voire de gouvernance de l’éducation européenne. Ce textes’appuie sur une recherche collaborative analysant la façon dont les données deperformance ont changé la gouvernance et le contrôle de l’éducation. Intitulée“La fabrication de la qualité dans l’enseignement européen”, elle a rassemblé deschercheurs d’Angleterre, du Danemark, de Finlande, d’Écosse et de Suède pen-dant trois ans (2006-2009). Financée par les agences nationales de recherche despays respectifs (l’université Umea pour la Suède) elle a été coordonnée par laFondation européenne pour la science.

Il s’agit de dépasser ici la simple présentation de données sur l’assurancequalité et ses effets. Au cœur de ce dossier figurent l’européanisation et les chan-gements de gouvernance à l’origine du mouvement pour la création d’un espacepolitique européen de l’éducation. Le débat porte sur la façon dont les stratégiesnationales encouragent ou non un processus d’européanisation plus large et fabri-quent ainsi un espace politique européen de l’éducation gouverné par les données.L’idée d’une européanisation de l’éducation et de la formation est l’objet d’unintérêt plus vif de la sphère politique et universitaire : au moment où un champpolitique de l’éducation voit le jour (Lingard & Ozga 2007), l’orientation don-née à l’Europe par les politiques éducatives, les discours et les pratiques fait l’objetd’une plus grande attention (Dale & Robertson 2007, Fairclough & Wodak 2008),notamment quant à la mesure de la performance et à l’amélioration de la qualité.Bien que la recherche dans les domaines de la gouvernance et de la régulation sedéveloppe rapidement, soit ambitieuse et de grande envergure, elle n’aborde guèrele champ politique de l’éducation et son fonctionnement spécifique commemoyen de gouvernance et de régulation (Walters et al. 2005). Cette situations’explique en partie par le fait que les disciplines dominantes dans les étudeseuropéennes –sciences politiques et droit– s’inscrivent dans des cadres qui nesaisissent pas l’importance de l’éducation et par le nationalisme méthodologiquede la recherche en éducation au point que, même si l’européanisation est leurobjet, elles l’envisagent plus du point de vue national que comme processus inte-ractif susceptible de refléter et de modifier simultanément l’échelon national eteuropéen. Pour toutes ces raisons, les instruments et processus plus informels depolitique publique, tels que l’assurance qualité, sont moins visibles dans la recher-che en éducation et en sciences politiques sur l’européanisation.

L’approche retenue ici met en avant le travail de gouvernance réalisé autravers de technologies politiques, souples ou rigoureuses. Elle offre une formed’analyse interdisciplinaire qui soutient une mise en perspective critique et éclai-rante de la façon dont le problème de la gouvernance est traité dans l’éducationet l’apprentissage. Alors que l’éducation est considérée comme une question desubsidiarité au sein de l’Union européenne et relève donc largement de la res-

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ponsabilité des gouvernements nationaux, nos travaux montrent une évolutionspectaculaire au moment où elle devient un élément clé de l’économie de laconnaissance portée par l’Europe. Dès lors, on assiste au passage de l’éducationsous des formes ordonnées et institutionnalisées à la formation, phénomène plussouple et international, lui-même soumis en permanence à un suivi et à desmesures à des fins d’harmonisation et de normalisation en fonction des données.L’enquête empirique de ces perspectives passe par l’examen attentif du travaild’audit, d’inspection, d’évaluation et de régulation de la performance des systè-mes et des individus, devenu la norme dans la majeure partie de l’Europe et au-delà, exigeant toujours plus de données des systèmes nationaux. La profusion dedonnées et leur utilisation à des fins de comparaison internationale et d’audit desperformances sont désormais monnaie courante ; des budgets considérables sontconsacrés à la production de données supplémentaires et à leur amélioration.Cette explosion ne s’est pas produite uniquement parce que les nouvelles tech-nologies permettent le flux et le traitement de grandes bases de données maisconstitue plutôt une évolution politique majeure qui exige une recherche systé-matique. Ce recueil d’articles reflète donc l’intérêt pour l’européanisation, lagouvernance et leur interdépendance, comme l’illustre l’utilisation à tous leséchelons des données dans les systèmes d’assurance qualité. Sont traités les liensentre les exigences transnationales et leurs traductions nationales, les négociationsentre les échelons, l’émergence de réseaux qui remettent en cause les formesd’organisation verticale dans la gouvernance de l’éducation et le développementsimultané des comparaisons de performance et des pratiques locales renforcées.De ce point de vue, l’essor de l’évaluation comme forme de gouvernance est trèsimportant pour comprendre la politique éducative et la progression d’une sociétéde la connaissance comme objectif clé de l’Union européenne ; il reflète aussides changements significatifs de gouvernance de l’éducation en Europe (Lawn &Lingard 2002, Novoa & Lawn 2002). L’innovation porte ici sur l’analyse del’impact des données et le lien “évaluation-performance” (Clarke 2009) dans lagouvernance de l’espace européen de l’éducation. À l’opposé de la plupart de lalittérature qui interprète les évolutions de la mesure et de la gestion de la perfor-mance selon le sens commun (comme vecteurs d’une meilleure prise de déci-sions et de pratiques pédagogiques mieux informées), les articles remettent encause l’hypothèse selon laquelle les régimes d’assurance qualité et d’évaluationdoivent, par nature et malgré leurs coûts significatifs en temps et en argent, con-tribuer à l’amélioration du système et des individus (Dahler-Larsen 2004, Sege-rholm 2001).

Le concept de qualité est au cœur de nombreuses tentatives de contrôle etde développement des systèmes et des organisations, y compris les institutionséducatives. La gestion et l’évaluation de la qualité du management servent àintégrer des activités, sans référence à l’éducation en soi. Dès lors l’abstraction

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du concept de qualité et son essor deviennent possibles. Des prescriptions géné-rales en termes de qualité circulent d’une organisation à une autre et l’influencedes experts de la qualité augmente (Power 2003). Les établissements scolaires,les universités et les hôpitaux deviennent des institutions décontextualisées, abs-traites et l’évaluation de leur qualité s’exerce dans un espace imaginaire de con-currence parfaite. Cet espace est fabriqué par des experts ès qualité qui créentdes classements sur la gestion des systèmes et garantissent ainsi à la classe politi-que et à l’opinion publique que leurs attentes d’amélioration des performances etd’efficacité de ces systèmes sont satisfaits. Les tests internationaux et les bilansqui s’ensuivent servent de plus en plus à montrer à l’opinion publique où va sonargent et pour quels résultats. La gestion de la qualité apporte la preuve du ren-dement des systèmes. Les consultants ou les experts font tampon entre les admi-nistrations et le public dans le traitement des résultats des tests internationauxpar exemple. Les régimes de gestion de la qualité, tels que le programme PISA,définissent leurs propres règles d’évaluation, de coopération et d’innovation. Lesexperts propagent le “mythe de l’efficacité” qui tient compte de la gestion de laqualité et les professions sont transformées en protagonistes actifs des systèmesde qualité. Les experts sont choisis pour leur capacité à apporter ce qu’ils appel-lent des conseils techniques sur les systèmes de qualifications, les tests servant àdéfinir des normes (benchmarks), les indicateurs ; d’ailleurs la présence mêmed’experts compte en soi comme indicateur de qualité (Lawn & Lingard 2002).

Nóvoa et Yariv-Mashal (2003, 426) voient dans la comparaison un nou-veau mode de gouvernance. Les comparaisons internationales telles que PISA,“spectacle international”, servent à l’administration de la preuve, source de légi-timation de l’action politique. Selon Nóvoa et Yariv-Mashal, ce spectacle inter-national : “… symbolise le contrôle centralisé sur le mode du spectacle et de lasurveillance. La surveillance passe par l’exposition à l’opinion publique à traversl’affichage spectaculaire d’indicateurs qui, in fine servent au contrôle des indivi-dus et des performances. Le spectacle est quant à lui soumis à des règles de sur-veillance (études, audits, etc.) qui concourent à l’uniformisation de l’action et dela pensée” (Nóvoa & Yariv-Mashal 2003, 421).

La production de données sert apparemment à jauger ou refléter l’opinionpublique, d’où un besoin perpétuel de données supplémentaires qui justifientl’activité : “un régime d’urgence à l’origine d’un besoin permanent d’autojustifi-cation” (Nóvoa & Yariv-Mashal 2003, 427). L’impact de ces données, au fur et àmesure qu’elles pénètrent les systèmes, constitue ce que Scott (1998) appelleune “optique de gouvernance étatique”. Les statistiques nationales ont rendu lanation lisible. Les indicateurs et les données font à leur tour de l’Europe unespace politique lisible et gouvernable et, dans cet espace, pilotent la productionde savoirs. Il existe des liens intimes, voire inextricables, entre le développementde structures administratives étatiques que Latour (1987) qualifie de “centres de

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calcul” et le développement de la standardisation, des approches méthodologi-ques, des technologies et des schémas cognitifs des statistiques et de la réflexionscientifique qui y sont liés (Porter 1996, Desrosières 1998). Par rapport à l’espacefabriqué de la comparaison, à l’origine de la qualité, l’observation de Porter(1996, ix) selon laquelle la “quantification est une technologie de la distance”prend une nouvelle résonance, alors que Desrosières (1998, 324) observe, lui,que : “La construction d’un système statistique ne peut être séparée de la cons-truction d’espaces d’équivalence qui garantissent la cohérence et la permanence,à la fois politique et cognitive, de ces objets destinés à fournir un cadre de réfé-rence lors des débats. L’espace de représentativité des descriptions statistiquess’exprime par un espace de représentations mentales communes porté par unlangage commun et marqué principalement par l’état et le droit”.

Il poursuit : “La création d’un espace politique implique la création d’unespace de mesure commun au sein duquel les choses peuvent être comparéesparce que les catégories et les procédures d’encodage sont identiques” (1998, 9).

Porter (1996) montre que l’usage politique des nombres “crée des normesqui sont parmi les formes de pouvoir les plus modérées mais aussi les plus con-vaincantes des démocraties modernes” (45). En outre, si les nombres sont vali-dés, alors “les mesures réussissent à orienter les activités mesurées” (45). Dans lamesure où les processus à l’origine des indicateurs et des classements sont décritscomme étant “techniques” ou “scientifiques”, ils forment un procédé d’inscrip-tion selon Rose (1999, 198), c’est-à-dire qu’ils constituent ce qu’ils cherchent àreprésenter. Les nombres deviennent alors une “technique rhétorique” de “miseen boîte noire”, c’est-à-dire qu’ils rendent invisibles et donc incontestablesl’ensemble complexe de jugements et de décisions qui entrent dans la mesure,une échelle, un nombre” (Rose 1999, 208).

Dès lors cette interprétation de la qualité est en rapport direct avec laquestion de la gouvernance. L’attention doit notamment être attirée sur la com-plexité de la régulation dans l’environnement actuel, sur l’émergence de ten-sions au sein des administrations centralisées et décentralisées et entre elles, àl’origine d’un changement à tous les échelons vers une gouvernance “par lescapacités de l’entité gouvernée” (Dean 2007) ou vers l’auto-gouvernance (Rose1996). Ainsi les tensions inhérentes à la qualité se reflètent dans les tensionsentre la gouvernance “douce” et la gouvernance “dure” (Lawn 2006) ; entre larégulation par les tests servant à définir des normes (benchmarks) et les objectifset la promotion de l’autoévaluation et de l’amélioration de la qualité, signesd’une orientation vers une gouvernance “plus douce” et de la promotion del’autorégulation comme base adéquate d’amélioration continue. Malgré ces évolu-tions, la tendance à voir la gouvernance comme un processus vertical et commeun affaiblissement de l’État-nation perdure dans la littérature universitaire,notamment lorsqu’elle traite de l’européanisation (Giraudon & Favell 2007).

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Ainsi, là où la différenciation est au cœur même des nouvelles formes de gouver-nance, par exemple dans le “régime différencié” de Rhodes (1997), elle s’accom-pagne de l’hypothèse qu’on vide l’État d’en haut (par l’Union européenne) etd’en bas (par les Régions). L’abondante littérature sur la gouvernance multini-veaux explique en Europe l’impact de l’Union européenne sur les États-nationset “l’incorporation” qui souligne l’approche verticale de l’européanisation commegouvernance (Radaelli 2004).

Nos travaux montrent que l’enseignement public relève toujours de lacompétence politique des États ; les responsables locaux disposent également decompétences en la matière, à des degrés divers selon les nations, si bien quel’adoption de politiques mondiales ne va pas de soi. Il convient toutefois de gar-der à l’esprit les sens fluctuants du “local” (Lendvai & Stubbs 2006). En revan-che, alors que l’État-nation (comme gouvernement) dispose toujours du pouvoiret l’exerce, il n’est plus l’autorité souveraine des processus de gouvernement qu’ilétait il y a plusieurs décennies, du moins lorsqu’il s’agit de gouverner via lesstructures hiérarchiques (Pierre & Peters 2000). La régulation dans les sociétésmodernes est si complexe qu’il n’est plus possible à l’État-nation de gouvernersans produire certains effets contre-productifs (Pierre & Peters 2005). Souvent,il fait face à ses moyens limités de gouvernement en introduisant une régulationindirecte et en recherchant à coordonner. La coopération public-privé en éduca-tion, le choix parental et d’autres méthodes du nouveau management publicainsi que divers réseaux locaux, nationaux et internationaux ont modifié l’envi-ronnement de l’État-nation en matière de gouvernance (Pierre & Peters 2000,Sassen 2007). Pierre et Peters (2005) ajoutent que, pris dans des systèmes écono-miques et politiques internationaux, il englobe à son tour des acteurs infra-étati-ques et non gouvernementaux. Soulignant l’ambiguïté des initiatives des États-nations, Sassen (2007) démontre qu’ils contribuent à l’établissement de nou-veaux cadres de mondialisation déstabilisant ainsi leur capacité de gouverne-ment. Cet engagement à l’échelle mondiale exige un “consensus imposé” quientraîne “certains types de travail et non la simple prise de décisions” (37). Dansle domaine de l’éducation en Europe, le travail sur la construction d’indicateurs,de tests, de manuels d’inspection et le recueil et traitement de données sontautant d’exemples de ce consensus imposé.

Pour les besoins de l’analyse et de l’organisation de ce travail, nous avonssélectionné des pays où les types d’assurance qualité et d’évaluation et leurs inte-ractions avec les processus européens sont fortement contrastés. C’est le cas enÉcosse et en Angleterre, malgré la contiguïté géographique des espaces politi-ques (Grek & Ozga 2010). Les articles de ce dossier montrent ces différences etcomment les systèmes d’assurance qualité et d’évaluation interagissent avec lespratiques et les discours de gouvernance propres à chaque pays. Ils comparent ledegré de convergence et divergence politique de ces systèmes, notamment le

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degré d’européanisation de l’éducation, les différences et similitudes d’assurancequalité et d’évaluation. Est abordé ici ce qu’impliquent, pour l’approche compa-rative, l’analyse de la pénétration des espaces de décision politique nationauxpar les processus européens d’assurance qualité et d’évaluation et les exigencesde recueil des données pour l’instruction obligatoire. Le dossier interroge aussidans quelle mesure ces exigences européennes modifient la construction, la pro-duction et l’utilisation des données nationales. Voir comment ces processus sontliés les uns aux autres et dans quelle mesure ils forment une technologie de gou-vernement cohérente est nécessaire

Quelques ressources pour comprendre la gouvernance

e raisonnement théorique s’appuie ici sur la littérature de sciences politi-ques qui aborde ce tournant de la gouvernance, c’est-à-dire le passage de

hiérarchies verticales et centralisées à un fonctionnement horizontal, décentra-lisé et en réseaux. Même s’il est largement reconnu que la gouvernance reflèteles forces politiques dominantes, il faut aussi noter qu’elle marque un continuumqui “va du transnational à l’infranational, du macro au micro, de l’informel àl’institutionnalisé, du centripète au centrifuge, du coopératif au conflictuel”(Rosenau 1999, 294). Quelle que soit sa position sur ce continuum, cette nou-velle gouvernance se trouve face à une énigme : comment gouverner sans gou-vernement. Elle produit donc un ensemble d’instruments de pilotagesophistiqués –standardisation, étalonnage de la qualité et harmonisation desdonnées– autrement dit des savoirs de gouvernance. Elle encourage le recueil etl’utilisation de données comparatives sur la performance comme moyen de con-trôler et formater le comportement (Lawn 2006). Au cœur de ce système figurel’inculcation de nouvelles normes et valeurs par lesquelles des mécanismes derégulation externes transforment la conduite des organisations et des individusen agents “maîtres de leur épanouissement” afin d’atteindre les objectifs politi-ques par “l’action distanciée” (Miller & Rose 1993, 1). Ces mécanismes serventde technologies politiques qui cherchent à aligner les personnes, les organisa-tions et les objectifs. Ce tournant de la gouvernance trouve un écho particulieren Europe où l’éducation constitue sa ressource principale voire la pierre angu-laire de l’européanisation (Grek 2008). L’éducation relève du principe de subsi-diarité, c’est-à-dire de la compétence nationale où les publications se font dansdes revues nationales, les travaux s’appuient sur des méthodologies nationales etla recherche ne sort pas des frontières. Cependant, au moment où l’éducationarrive sur le devant de la scène dans la nouvelle économie de la connaissance,elle passe d’une organisation institutionnalisée à un fonctionnement transnatio-nal plus fluide, plus souple sous l’influence des flux de données (Nóvoa & Lawn

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2002). Au cours de ce processus, l’éducation se transforme en formation. Elle faitalors l’objet de politiques publiques à l’échelle de l’Union européenne et parti-cipe de la création de l’identité européenne (Commission européenne 2001a, b,2002).

Cet espace politique a vu le jour après une série de changements majeursdans l’Union européenne : adoption de l’accord de Bologne visant à harmoniser40 systèmes différents d’enseignement supérieur européen par la même architec-ture des diplômes (Keeling 2006) ; processus de Bologne et Méthode Ouverte deCoordination (MOC) où l’étalonnage et la comparaison sont au cœur de lasociété apprenante influencée par les réformes économiques, la citoyenneté,l’employabilité et le recours aux outils de l’OCDE (Programme PISA par ex.).L’implication de la Commission européenne dans des actions de pilotage variéesen lien avec l’éducation implique davantage d’accompagnement : échanges oudétachements d’experts, observatoires, comités consultatifs et groupes de travail,réseaux d’information et portails, consultation des parties prenantes, consortiadans les programmes-cadres, revues par les pairs, conférences, séminaires et sym-posiums, suivi, évaluation et recherche focalisée sur des problèmes clés et créa-tion de l’espace européen de la recherche.

La transformation du champ de l’éducation touche les populations et lesinstitutions à travers le remplacement des vieilles institutions de la scolaritéobligatoire et de l’enseignement supérieur par des maquettes de formation toutau long de la vie qui exigent de nouvelles qualifications accessibles et transféra-bles et le développement de nouvelles attitudes qui inculquent la responsabilitéet l’engagement de mettre à jour ses compétences. Elle touche aussi la gestion etla création des savoirs par la promotion de nouvelles relations entre la produc-tion de savoirs et la prise de décisions, par la politique de recherche de la Com-mission, y compris le pilotage de la recherche et l’amélioration de la mobilité despersonnes et des idées. Elle touche enfin les liens nouveaux entre la gouver-nance et la création d’instruments politiques consacrés à la production de don-nées et à leur comparaison en matière de performance.

Les contours de cet espace dépendent de plus en plus des évolutions de laproduction de données en Europe qui permettent les calculs dans le champ édu-catif. La gamme des instruments sophistiqués de pilotage s’étend. Standardisa-tion, étalonnage de la qualité et harmonisation des données fondent ensemble letournant de la gouvernance en Europe, qui repose sur de nouveaux instrumentspolitiques qui “orientent les relations entre la société politique (via l’exécutifadministratif) et la société civile (via les administrés) par des dispositifs qui asso-cient des éléments techniques (mesure, calcul de l’autorité de la loi, procédure) etdes éléments sociaux (représentation, symbole)” (Lascoumes & Le Galès 2007, 6)

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Programme de la mesure

es États membres de l’Union européenne réunis à Lisbonne en mars 2000ont convenu de faire de l’Europe “l’économie de la connaissance la plus

dynamique et la plus compétitive du monde d’ici 2010”. Cet objectif est connusous le nom de “Stratégie de Lisbonne” car la politique éducative reste du ressortde chaque État membre selon le principe de subsidiarité. Plutôt que d’accepterque ce principe fixe la place de l’éducation/formation dans la politique del’Union européenne, cette dernière est définie par convergence sous l’effet d’uneplus grande coordination et de l’utilisation d’indicateurs et d’évaluations compa-ratives (benchmarks). Ce rôle de pilotage se traduit dans la “Méthode Ouvertede Coordination” (MOC) qui fixe des directives à l’Union européenne et lecalendrier précis pour atteindre les objectifs de Lisbonne. Dans la mesure où lesindicateurs et les comparaisons sont au cœur de la MOC, la production de don-nées communes prend une importance particulière. La MOC exige la productiond’indicateurs et d’évaluations comparatives quantitatifs et qualitatifs qui étalon-nent les États membres face aux meilleurs élèves du monde. Cette productionpasse par l’ajustement des pratiques et des évaluations des systèmes nationauxpour se conformer aux exigences de l’Union européenne. En outre, la MOCexige des confrontations permanentes par un suivi à intervalles réguliers, l’éva-luation et l’examen par les pairs : on encourage l’adhésion par cette forme degouvernance “douce” (Lawn 2006).

La Stratégie de Lisbonne porte sur ce qui est mesurable et la réussite éduca-tive est essentielle à la prospérité économique. Les aspects de l’éducation quisont plus difficiles à jauger ou qui n’ont apparemment pas de lien direct avec laprospérité économique sont moins visibles. La priorité est l’amélioration de laqualité de la réussite plus que de la quantité dans la mesure où la démocratisa-tion a été atteinte et les retours sur investissement sont moindres. La qualité sedéfinit par des mesures liées à la performance face à la concurrence et à la capa-cité économique.

Comment parvenir à améliorer la qualité ? Pour rappel, la MOC fonc-tionne par indicateurs et évaluations comparatives, pas par la loi. Ce constatcache peut-être son impact considérable car la visibilité de la performance en estun élément cardinal. Des systèmes différents étant mesurés et comparés les unsaux autres, la lecture des résultats accroît la pression entre nations. La MOCexige la production d’indicateurs et de données publics dont les médias rendentcompte, faisant ainsi pression sur les autorités publiques attachées à tenir ouaméliorer leur rang dans les classements publiés. Ces indicateurs et mesures deperformance ont des retombées en cascade sur l’ensemble du système : les autori-tés éducatives, les établissements scolaires, les enseignants et les élèves. Àl’échelon international, les indicateurs les plus visibles et les plus influents sont

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ceux produits par l’OCDE pour les tests PISA dont les résultats ont un impactsignificatif sur les politiques nationales. D’aucuns affirment que ces tests concou-rent à la définition de bons ou de mauvais systèmes éducatifs et de “solutionsrequises” ; par ailleurs, les grands médias conseilleraient de suivre ces recomman-dations parce qu’ils rapportent ces résultats “d’une manière qui ne fait que ren-forcer le besoin de décisions urgentes suivant une logique apparemmentincontestée en raison de son caractère international” (Nóvoa & Yariv-Mashal2003, 425). Le Conseil européen de Lisbonne a fixé des visées ambitieuses pourl’éducation et la formation et ces objectifs chiffrés ont fortement augmentédepuis 2001. Ces indicateurs poussent non seulement à la production de donnéesdans chaque système national mais ils définissent aussi ce qui relève de la qua-lité. Ils ont en outre des effets sur la façon dont les données sont recueillies. Ellesdoivent être compréhensibles dans des environnements différents, ce qui impli-que de fournir dans chaque pays des données comparables et donc plus homogè-nes. Ainsi se dégage et se diffuse un programme politique européen enéducation. Comme le fait remarquer un de nos informateurs à la Commission,les analystes à la Commission européenne en savent plus sur les systèmes de cha-que pays que les membres de ces mêmes pays. Dès lors, les systèmes nationauxsont exposés aux regards, constitués et reconstitués par l’Europe et prennentdans le même temps des initiatives en réponse aux pressions transnationales.

Données et (stratégie de) gouvernance

e projet de recherche cherchait à analyser la capacité de données apparem-ment objectives et neutres à orienter le système et le comportement indivi-

duel, à inculquer un sentiment de vigilance qui pousse à l’autorégulation. Ainsi,les données servent à discipliner –ou gouverner– le système ou les individus pourqu’ils se conforment aux normes convenues, en l’occurrence l’éducation/la for-mation doit se mettre au service de la croissance économique. Les normes sem-blent désormais prendre la place autrefois occupée par les politiques ou lesvaleurs. Par exemple, l’Europe formait le projet culturel de l’après-guerre etl’accent était mis sur la culture et l’éducation comme passeurs ou promoteurs devaleurs partagées. Le projet européen s’incarne désormais dans la réalisation desobjectifs de Lisbonne mesurés par les indicateurs et les évaluations comparatives.La formation tout au long de la vie est présentée comme une communautéd’apprenants responsables (à tous les niveaux de leurs systèmes) qui ont en per-manence l’œil rivé sur leurs performances et qui s’investissent dans leur forma-tion pour minimiser les risques et optimiser le capital humain. Il existe certes unfossé entre ce programme et son emprise réelle sur les divers systèmes nationaux.Bien que tous les pays de l’Union européenne doivent faire face aux mêmes exi-

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gences de production et d’utilisation des données, ils ont chacun une relationparticulière à l’Europe. Ils ont tous des histoires et des traditions qui oriententleur façon de comprendre la qualité en éducation et répondent donc aux exigen-ces d’harmonisation des données et aux pressions de façon spécifique. Les parte-naires suédois du projet de recherche –la Suède a rejoint tardivement l’Unioneuropéenne– ont constaté que les efforts de la Commission européenne enfaveur d’une plus grande convergence politique ne suscitaient que peu d’enthou-siasme. En Suède, l’assurance qualité et l’évaluation reflétaient avant tout desobjectifs suédois. Il n’existait aucune traduction directe des indicateurs del’Union européenne dans le système suédois. L’égalité, la réflexion critique etl’indépendance constituaient l’identité suédoise qu’il convenait de mettre enavant. Néanmoins, les autorités prennent conscience qu’il est compliqué demesurer ou de tester la qualité de ces attributs et qu’ils pourraient être remplacéspar des attributs plus facilement mesurables et susceptibles d’apporter des avan-tages économiques.

Christina Segerholm et Joakim Lindgren montrent les tensions considéra-bles au sein du système d’assurance qualité et d’évaluation suédois, reflet de dif-férences et de conflits idéologiques fondamentaux. La Finlande satisfaitdavantage aux injonctions internationales fixées par l’OCDE qu’à celles fixéespar l’Europe. En raison de leur réussite spectaculaire aux tests PISA, les autoritésfinlandaises sont très sensibles à la valeur marchande des comparaisons interna-tionales. Au cours des entretiens, l’OCDE est apparue comme l’institution quipermet à la Finlande de “s’asseoir à la même table que les pays du G8”. En effet,la Finlande fait figure d’élève-modèle. Les définitions de la qualité, à dominanteéconomique, sont fortement appuyées par les responsables politiques nationaux.Au Danemark, les travaux montrent l’importance de la tradition de la responsa-bilité publique en matière d’instruction, ce qui a largement atténué les tensionsautour de l’assurance qualité et de l’évaluation. Peter Dahler-Larsen défendl’importance de la contingence dans l’interprétation de ces évolutions. AuRoyaume-Uni, l’approche de l’Angleterre est différente de celle de l’Écosse. Lesresponsables anglais de l’éducation à l’échelon national adhèrent à la corrélationentre éducation et économie de la connaissance et par conséquent adaptent leurpays à la concurrence mondiale. Ils soulignent l’importance de leur système iné-galable de production de données : “Grâce aux évaluations nationales à plusieurs éta-pes de la scolarité, nous sommes, sans nous vanter, probablement l’administration depointe dans le monde pour ce qui est des mesures de la valeur ajoutée” [responsablepolitique].

On “garde un œil” sur l’Europe mais “elle ne dicte pas notre réflexion”. “Nosdonnées nationales sont bien plus sûres que n’importe quelle étude internationale”. EnAngleterre, il est largement répandu que les données doivent être utilisées à tousles échelons du système pour éclairer les pratiques.

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L’Écosse ne dispose pas de ressources à la hauteur de celles de l’Angleterremais a une tradition particulière d’assurance-qualité et d’évaluation centrée surl’autoévaluation et l’importance des données contextualisées : “Nous répartissonsles données sur l’ensemble des établissements scolaires et incluons des critères commel’environnement d’apprentissage, l’environnement social, etc. Ça ne se fait pas forcémentailleurs” [responsable politique].

En outre, aux yeux des responsables politiques écossais, l’Europe est unearène qui défend cette spécificité de façon collaborative plus que concurren-tielle. Leur méthode est de vanter les mérites et la qualité de leur système éduca-tif auprès des pays membres les plus récents : “Quant à l’engagement d’apporter desréponses là où les choses peuvent être améliorées, à ma connaissance, il n’y a jamais eu dedébat sur notre volonté ou non d’y participer. La seule question qui se pose, c’est de savoircomment on peut y participer au mieux. Qu’est-ce qu’on peut apporter ?” [responsablepolitique].

Même au Royaume-Uni, les autorités publiques marquent leurs différenceslorsqu’il s’agit de faire référence à l’Europe pour défendre telle ou telle stratégied’assurance qualité et d’évaluation.

Conclusion

lle nous ramène au point de départ de la discussion et à notre mécontente-ment face aux approches conventionnelles de l’européanisation qui igno-

rent ou sous-estiment l’importance de l’éducation et de la formation commearène politique et les conséquences des données sur les systèmes nationaux.L’objectif est d’attirer l’attention sur l’impact de ces pratiques normalisatrices surla création des identités et des relations entre l’échelon national et l’écheloneuropéen. S’il est désormais avéré que la politique d’éducation et de formations’homogénéise et qu’émerge un champ mondialisé de politique éducative (Ozga& Lingard 2007), il convient aussi de prêter davantage attention aux leviers oumécanismes qui contribuent à l’universalisation dans chaque pays (Dale 1999) etd’examiner comment une politique internationale (en l’occurrence pour amélio-rer la qualité) peut être arbitrée par l’histoire et la politique locale/nationale. S’yajoute notre vision de la réorganisation de la gouvernance comme une remise enquestion de la souveraineté des États-nation (Pierre & Peters 2000, Sassen2007). Dans ces nouvelles formes de gouvernance, les données jouent un rôleéminent : elles rendent les espaces à gouverner visibles et comparables et per-mettent un fonctionnement en réseaux horizontal et flexible en lieu et placed’une organisation plus hiérarchisée.

Les articles de ce dossier présentent quelques exemples de travaux qui exami-nent comment l’éducation/la formation est construite ou fabriquée, notamment

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par les données. Le terme fabrication traduit également l’idée de malhonnêteté, detromperie surtout face aux preuves. Le titre de ce dossier marque d’ailleurs unedouble ambition : analyser l’européanisation de l’éducation, domaine jusqu’icinégligé, où ce terme revêt des pratiques et des processus tels que le recueil dedonnées sur les systèmes et leur performance ; adopter une perspective critiquesur la façon dont ces données fabriquent un système et un espace partagé d’édu-cation européenne susceptible de présenter une image simplifiée, voire défor-mée, du monde. Ce dernier point souligne l’importance de donner du sens à latraduction des imaginaires en opérations/pratiques et en institutions.

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