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Introduction Politisation de l’alimentation Vers un changement de système agroalimentaire ? Ève FOUILLEUX et Laura MICHEL Introduction Différents signaux indiquent un intérêt citoyen croissant pour l’alimentation. Au fil des crises et scandales sanitaires des dernières décennies et des angoisses qu’ils ont engendrées dans la population, mais aussi à la faveur d’un besoin contemporain croissant de naturel, d’authenticité et d’une remise au goût du jour de la cuisine et de la gastronomie (Lepiller, 2010), les mangeurs ont refait de la qualité de leur alimentation une préoccupation grandissante. Ceux-ci étant potentiellement également des électeurs, l’alimentation semble aussi être redeve- nue un sujet légitime sur le plan politique, après avoir été complètement absente des débats et de l’agenda des politiques publiques pendant des décennies. Jusqu’en 2015, pratiquement aucun travaux de spécialistes de sociologie électorale ne portait sur l’agriculture ou l’alimentation, ce dont témoigne le fait que très peu de questions ciblées portaient sur ces sujets dans l’Enquête électorale française 1 et l’enquête Dynamiques politiques 2 . Ces thèmes reviennent en force aujourd’hui. Lors des dernières élections présidentielles de 2017, 90 % des personnes inter- rogées estimaient « la transition agricole et alimentaire (c’est-à-dire la mise en place d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement produisant des aliments locaux, plus sains et sûrs) » comme prioritaire 3 . En écho, ces enjeux tenaient une place importante dans les discours de la plupart des partis, allant du programme « Pour une agriculture Écologique et Paysanne » de la France Insoumise aux propositions du Front national (« La France, puissance agricole 1. Enquêtes par sondage visant à comprendre les logiques du vote, menées à l’occasion des élections. Seul le vote des agriculteurs est interrogé. 2. Enquêtes par sondage visant à comprendre les priorités politiques selon les Français. Un nouvel enjeu « agri- culture » y apparaît dans la vague 6 de 2015. 3. Sondage Ifop effectué du 10 au 12 mars 2017 pour le compte de l’association Agir pour l’Environnement auprès de 1 000 personnes. Quand l’alimentation se fait politique(s) – Ève Fouilleux et Laura Michel (dir.) ISBN 978-2-7535-7908-8 — PUR, 2020, www.pur-editions.fr

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IntroductionPolitisation de l’alimentation

Vers un changement de système agroalimentaire ?

Ève Fouilleux et Laura Michel

Introduction

Différents signaux indiquent un intérêt citoyen croissant pour l’alimentation. Au fil des crises et scandales sanitaires des dernières décennies et des angoisses qu’ils ont engendrées dans la population, mais aussi à la faveur d’un besoin contemporain croissant de naturel, d’authenticité et d’une remise au goût du jour de la cuisine et de la gastronomie (Lepiller, 2010), les mangeurs ont refait de la qualité de leur alimentation une préoccupation grandissante. Ceux-ci étant potentiellement également des électeurs, l’alimentation semble aussi être redeve-nue un sujet légitime sur le plan politique, après avoir été complètement absente des débats et de l’agenda des politiques publiques pendant des décennies. Jusqu’en 2015, pratiquement aucun travaux de spécialistes de sociologie électorale ne portait sur l’agriculture ou l’alimentation, ce dont témoigne le fait que très peu de questions ciblées portaient sur ces sujets dans l’Enquête électorale française 1 et l’enquête Dynamiques politiques 2. Ces thèmes reviennent en force aujourd’hui. Lors des dernières élections présidentielles de 2017, 90 % des personnes inter-rogées estimaient « la transition agricole et alimentaire (c’est-à-dire la mise en place d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement produisant des aliments locaux, plus sains et sûrs) » comme prioritaire 3. En écho, ces enjeux tenaient une place importante dans les discours de la plupart des partis, allant du programme « Pour une agriculture Écologique et Paysanne » de la France Insoumise aux propositions du Front national (« La France, puissance agricole

1.  Enquêtes par sondage visant à comprendre les logiques du vote, menées à l’occasion des élections. Seul le vote des agriculteurs est interrogé.

2.  Enquêtes par sondage visant à comprendre les priorités politiques selon les Français. Un nouvel enjeu « agri-culture » y apparaît dans la vague 6 de 2015.

3.  Sondage Ifop effectué du 10 au 12 mars 2017 pour le compte de l’association Agir pour l’Environnement auprès de 1 000 personnes.

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au service d’une alimentation saine »), en passant par les propositions de Benoît Hamon du Parti socialiste en faveur d’un « Contrat alimentaire durable et soli-daire avec nos agriculteurs » (« l’alimentation n’est pas une marchandise »), ou les discours plus attendus de François Fillon sur l’agriculture française. Quant à Emmanuel Macron, à peine arrivé au pouvoir, il a convoqué des États Généraux de l’Alimentation, la mise en scène gouvernementale soulignant l’urgence et la gravité de la situation et la nécessité de mettre en place des politiques publiques adaptées. À cela s’ajoutent des formes nouvelles de politisation de l’alimentation à travers la mise en avant de pratiques spécifiques de consommation porteuses d’une critique éthique et environnementale (végétarianisme ou véganisme par exemple), de préoccupations religieuses (casher, hallal), ou en lien à des enjeux de santé (régimes sans gluten, sans lactose, etc.). L’évolution des comportements indi-viduels (qui ne nous occuperons que très marginalement dans cet ouvrage) trouve son prolongement dans le développement de marchés spécifiques ou encore dans des formes d’action collective plus ou moins violentes, visant à troubler l’ordre public et porteuses d’une critique politique du système alimentaire contemporain.

Partant du constat de cette affirmation croissante du thème de l’alimentation, cet ouvrage s’intéresse à la politisation de l’alimentation comme « requalification des activités sociales les plus diverses, requalification qui résulte d’un accord pratique entre des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou à remettre en cause la différenciation des espaces d’activités » (Lagroye, 2003, p. 360). Nous nous intéressons ainsi à la construction de l’alimentation comme problème public (Gusfield, 1984) en mettant la focale sur différents acteurs qui s’emploient à la sortir de ses espaces d’activités habituels – sphère privée des repas, sphère technique de la production et transformation agricole, sphère économique des relations d’échanges commerciaux entre les différents acteurs des filières – pour la faire entrer dans l’espace public et politique, ou au contraire pour la maintenir dans ces espaces « dépolitisés » et en faire un problème privé, technique, social ou économique. Cette dynamique d’accès à l’agenda public – entendu comme les enjeux au centre de l’attention publique et médiatique (Cobb et al., 1976) – résulte pour partie d’une forme de politisation qui s’opère dans la société civile, depuis les comportements alternatifs de certains mangeurs, en passant par les pratiques alternatives de production ou de distribution jusqu’aux formes de politisation plus visibles sous l’action d’entrepreneurs de la « cause » alimentaire, qui peuvent se heurter à celle de certains veto players (Tsebelis, 2002). Aussi, les controverses à l’œuvre dans différents forums (Jobert, 1994 ; Fouilleux et Jobert, 2017) saisis de la question alimentaire pèsent-elles sur l’accès à l’agenda des politiques publiques – ou agenda politique entendu comme l’ensemble des enjeux qui vont réellement faire l’objet d’un traitement politique par les autorités publiques (Cobb et al., 1976). De ce point de vue, il est tout aussi intéressant de considérer ce que « les autorités publiques décident de faire ou de ne pas faire » (Dye, 2002), à l’instar de l’engagement présidentiel en faveur de l’interdiction du glyphosate, finalement non inscrite dans la loi sur l’Agriculture et Alimentation

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INTRODUCTION

de 2018 4. Une fois la question alimentaire inscrite à l’agenda politique et donc saisie par les autorités publiques nationales et locales (moins au niveau européen malgré une forte pression des acteurs de la société civile 5) le travail politique déployé par les acteurs pour peser sur l’action publique (Smith, 2017) ne s’arrête pas à ce simple niveau de reconnaissance. Comme l’illustre la loi issue des États généraux sur l’Alimentation (EGALIM) de 2017, le passage du problème alimen-taire par le filtre des institutions (cabinets, administrations, parlement…) peut donner lieu à de nouveaux cadrages plus favorables aux acteurs liés au référentiel antérieur, en lien avec des formes de travail politique plus silencieuses relevant du répertoire du lobbying, de l’influence. Enfin, ce travail de politisation se poursuit dans la phase de mise en œuvre, dans la définition concrète ou le paramétrage des instruments qui met en jeu de nouveaux acteurs (sectoriels ou territoriaux), suscite de nouveaux compromis, qui à leur tour peuvent légitimer de nouveaux cadrages, lésant ou favorisant telle ou telle catégorie d’acteurs.

On s’intéresse donc aux formes de régulation politique en jeu dans le domaine de l’alimentation – qu’elles soient accompagnées de mouvements sociaux, de débats politiques et partisans ou au contraire plus silencieuses – et aux contro-verses qu’elles génèrent. Nous cherchons à la fois à comprendre comment est posée, problématisée, la question de l’alimentation dans le débat public et dans le débat de politique publique ; à analyser les recettes, solutions, instruments propo-sés pour la prendre en charge ; et à étudier les rapports de force et les formes de légitimation (Lagroye, 1985 ; Jobert et Muller, 1987), de justification (Boltanski and Thévenot, 1991) ou de traduction (Callon, 1986), qui accompagnent leur adoption. Dans ce processus de politisation, qu’il soit abordé à travers la séquence « problématisation, instrumentation, légitimation » (Smith, 2014) ou encore « problématisation, mobilisation, mise en controverse, changement de politique publique » (Fouilleux et Jobert, 2017), nous cherchons à comprendre les rapports de force sous-jacents entre acteurs, qu’ils appartiennent à l’appareil d’État, à d’autres niveaux de gouvernement, au marché ou au reste de la société. Nous partons donc clairement du travail des différents acteurs – des simples citoyens qui se mobilisent jusqu’aux acteurs les plus structurellement inscrits dans le champ politique – pour politiser la question alimentaire (ou la dépolitiser), tout en étant attentifs aux moments critiques susceptibles de favoriser les changements dans les arrangements institutionnels existants (comme les élections ou les crises sanitaires) ainsi qu’aux opportunités ou verrous que présente le système alimentaire tel qu’il s’est institutionnalisé. En termes plus généraux, nous cherchons à poser les jalons d’une analyse sociologique de l’action publique en matière d’alimentation dans la perspective d’éclairer les évolutions du système alimentaire contemporain, et à poser à partir de là la question : l’alimentation peut-elle constituer un levier de

4.  Loi no 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable.

5.  Claire Stam, « Vers une politique alimentaire commune ? », EURACTIV.com, 8 février, 2019 [https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/news/collective-of-400-eu-stakeholders-call-for-a-common-food-policy/], (consulté le 8 févier 2019).

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transformation politique ? Nous montrerons que la politisation de l’alimentation se produit simultanément sur des scènes multiples et différenciées, selon des dynamiques propres à ces différentes scènes. Elle provoque une transformation visible des arènes des politiques agricoles et alimentaires, qui, avec difficultés et résistances, doivent s’ouvrir à de nouveaux acteurs, non issus du monde agricole et industriel, qui portent de nouvelles idées, de nouvelles revendications, et qui confèrent un nouveau sens politique à l’alimentation.

L’alimentation renvoie à un très large spectre d’activités : elle n’est pas seule-ment une affaire de produits échangés entre acteurs économiques ou d’aliments ingérés par des consommateurs, mais met en jeu tout un cycle allant de la produc-tion (terres et modèles de production agricoles) à la transformation (entreprises et procédés industriels, cuisine), au transport (infrastructures), à la distribu-tion (grandes et moyennes surfaces [GMS], commerces de détail, autres types d’échanges) à la consommation (à domicile, restauration collective, cafés, restau-rants), jusqu’à la gestion des déchets (collecte et traitement) issus de ces différentes étapes (Viljoen et Wiskerke, 2012 ; Esnouf et al., 2011). Les politiques publiques régulant ce système alimentaire renvoient ainsi à une diversité de mesures et de procédures, souvent fragmentaires, relevant de secteurs d’action publique différen-ciés, de manière non coordonnée, prises entre différents niveaux de gouvernement (Fouilleux, 2008 ; Candel et Pereira, 2017). Cependant, au-delà de ce constat d’un manque d’intégration et de cohérence, nous partons dans cet ouvrage du postulat que le problème public de l’alimentation – tant ses formes de politisation dans l’espace public que les régulations et politiques publiques auxquelles celle-ci donne lieu – renvoie au contraire à une logique globale univoque et cohérente et est le fruit d’une forte continuité historique. Cette cohérence et cette conti-nuité historique sont liées au modèle « agro-industriel » qui sous-tend le système alimentaire dominant. Ce modèle s’est progressivement institutionnalisé au cours du vingtième siècle. Il renvoie à tout un ensemble d’institutions formelles et informelles que nous proposons ici de décrire brièvement.

Le système alimentaire agro-industriel renvoie tout d’abord à des dimensions sociotechniques, qu’elles concernent la production des matières premières agri-coles destinées à l’alimentation, leur transformation et distribution. Concernant la production des matières premières agricoles, le système agro-industriel est basé sur une forte spécialisation des exploitations agricoles, avec des produits standardisés issus de bassins de production eux-mêmes spécialisés (Rastoin et Ghersi, 2010 ; Colonna et al., 2011), qui sont envoyés loin de leur lieu de production pour être transformés – souvent en plusieurs étapes, puis distribués – souvent encore plus loin. Il s’appuie de façon centrale sur la chimie de synthèse, que ce soit pour la fertilisation (engrais) ou pour la gestion sanitaire (antibiotiques) et phytosanitaire (pesticides). En permettant de s’affranchir de nombreuses contraintes naturelles la chimie rend possible la spécialisation des exploitations et la standardisation des productions. Elle est au cœur du référentiel de la politique agricole corres-pondante, même s’il ne dit pas son nom : on a souvent parlé de politique de « modernisation » de l’agriculture (Muller, 1984 ; Fouilleux, 2003), on aurait tout

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aussi bien pu parler d’une politique d’installation d’une agriculture chimique. Sur le plan de la transformation, le système alimentaire agro-industriel implique aussi une forte spécialisation des processus et des acteurs, les uns en charge des opérations de fractionnement des matières premières (cracking) pour en extraire des composants élémentaires (à usage alimentaire ou non), les autres en charge d’opérations de formulation, c’est-à-dire de réassemblage des composants élémen-taires craqués pour fabriquer in fine des produits alimentaires (Soler et al., 2011).

Ce système est en outre fortement tertiarisé, au sens où les aliments tendent à devenir des services plutôt que des biens matériels. Du point de vue de leur contenu économique, la part des matières premières agricoles décroît fortement dans le prix des produits alimentaires, au profit des prestations de service diverses, du marketing et de la publicité, des intérêts bancaires et assurances, ou encore des marges de distribution, etc. (Rastoin et Ghersi, 2010). Sur le plan de la consommation, le système alimentaire agro-industriel est fondé sur une distan-ciation croissante entre les mangeurs et leur alimentation (Fischler, 1990). Cette distanciation est multiple : géographique, avec un éloignement croissant des lieux de consommation par rapport aux lieux de production des aliments ; économique, avec une multiplication des intermédiaires entre producteurs et consommateurs ; et cognitive, avec une fragmentation des connaissances des différentes étapes de la chaîne alimentaire. Cet accroissement des incertitudes sur l’origine et la qualité des aliments a des effets anxiogènes chez les mangeurs, qui ont le sentiment de perdre le contrôle du système alimentaire et de leur alimentation (Bricas et al., 2013).

Le système alimentaire agro-industriel présente également plusieurs dimensions politiques, qui nous intéressent tout particulièrement dans cet ouvrage. Son développement hégémonique s’est appuyé sur diverses politiques publiques interconnectées. Elles concernent aussi bien : les marchés et structures agricoles, l’aménagement rural et urbain, les dispositifs de sécurité sanitaire, les politiques industrielles, la recherche scientifique, etc. Ces politiques ont institutionnalisé et verrouillé les différentes dimensions sociotechniques du système alimentaire agro-industriel (De Schutter, 2017). Elles s’appuient sur des formes de régulation sectorielles, sur des processus décisionnels spécifiques dans lesquels les représentants du secteur (la « profession agricole », les industries d’amont de l’agriculture, les industries agro-alimentaires) ont un poids particulièrement important. De nombreux travaux ont ainsi souligné la prégnance du néo-corporatisme et du syndicalisme agricole dominant et le poids des industries d’amont et d’aval de l’agriculture dans la définition du référentiel et des instruments des politiques agricoles et alimentaires au niveau national (Jobert et Muller, 1987 ; Fouilleux, 2003 ; Ansaloni, 2015 ; Benoit, 2015) et inter et transnational (Clapp et Fuchs, 2009 ; Clapp, 2012 ; Nestle, 2013 ; Fouilleux et al., 2017). Au niveau du fonctionnement de l’État, cela se traduit aussi par une volonté des acteurs du secteur agricole, dont en particulier le ministère de l’Agriculture en France, de garder la propriété de l’alimentation en tant que problème public, ne laissant que très difficilement les acteurs d’autres secteurs se saisir de la question. Plusieurs

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contributions de cet ouvrage illustrent cette problématique, qu’elle concerne les administrations de l’environnement, de la santé, ou de la culture par exemple. Cette tendance se double d’un biais productionniste qui tend à s’imposer dans les débats sur l’alimentation, cherchant à orienter systématiquement les discussions autour des questions de productivité et de production agricoles et à invisibiliser ou disqualifier les autres dimensions de la question (Fouilleux et al., 2017). Ainsi, les modèles agricoles alternatifs comme l’agriculture biologique, ou plus généralement l’agroécologie, sont régulièrement renvoyés à un statut de marginalité au nom de leur supposée incapacité à répondre quantitativement aux besoins alimentaires dans un contexte de croissance démographique mondiale. Le problème est posé en termes d’augmentation des quantités à produire (légitimant le modèle productiviste) plutôt que de juste répartition de la production en luttant contre la surconsommation et le gaspillage (des plus riches) et pour l’égalité d’accès à la nourriture (au profit des plus pauvres). D’une manière générale les politiques de l’alimentation se sont inscrites dans ce modèle productiviste, visant parfois à en améliorer le fonctionnement ou en corriger certains aspects, sans pour autant le remettre en question. Ces politiques alimentaires se sont en effet développées de manière fragmentaire et cloisonnée en réponse à des problèmes envisagés de façon segmentée, ainsi dissociés d’une critique globale du modèle dans son ensemble. La question est ici de savoir si la politisation particulièrement forte de l’alimentation actuellement à l’œuvre prend le chemin de cette remise en cause ou pas.

Dans la suite de cette introduction, nous faisons le point sur les visions du monde et enjeux portés par les principales politiques publiques en France dans le domaine de l’alimentation. Nous faisons tout d’abord le bilan des politiques dites de la « qualité alimentaire ». Ces politiques renvoient d’une part à la sécurité sanitaire des aliments, qui vise à établir la confiance dans la sécurité des produits alimentaires via l’établissement de normes de production alimentaire : l’enjeu est d’éviter les contaminations lors des procédés de transformation de masse et de faciliter les échanges commerciaux dans le cadre du système agro-industriel. D’autre part, les politiques des « signes de qualité » s’appuient sur des instruments de marché (appellations, labels, certification par tierce partie) et visent principale-ment à protéger légalement et à assurer la compétitivité des produits les plus haut de gamme issus du modèle agro-industriel, et à segmenter le marché alimentaire. Dans une deuxième partie, nous abordons les politiques de santé publique et de nutrition, qui ont quant à elles pour objet de prendre en charge les effets de l’ali-mentation en matière de santé humaine, en se centrant sur les consommateurs et les modes de consommation. Basées sur des instruments d’action publique de type communicationnel (Halpern et al., 2014), elles ont pour conséquence de mettre en cause le comportement des consommateurs plutôt que celui des producteurs et des agro-industries via l’imposition de normes contraignantes. En ce sens, les politiques de santé publique jouent également comme une forme de réassurance, de préservation du modèle agro-industriel.

Ces deux éléments principaux de la politique alimentaire française (sécurité sanitaire des aliments, santé publique et nutrition) – qui se prolongent aussi au

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niveau européen – illustrent la façon dont la logique du modèle agro-industriel se diffuse, s’impose, s’institutionnalise, et pérennise ainsi une agriculture basée sur la chimie de synthèse, une transformation industrielle, et des circuits de distribution et de consommation de masse. La prégnance du référentiel agro-industriel qui en résulte dans l’imaginaire technique des acteurs en fait le cadre principal de réflexion et d’interaction, duquel il est difficile de sortir. Mais, depuis l’origine de son affirmation, l’hégémonie du modèle agro-industriel et du réfé-rentiel de modernisation qui lui est associé (Jobert et Muller, 1987 ; Fouilleux, 2003) n’empêche pas pour autant l’existence de critiques à son encontre et le développement marginal de modèles plus ou moins alternatifs de production, de distribution et de consommation, qui portent d’autres visions du monde, et qui sont souvent adossés à des mécanismes spécifiques de marché. C’est l’objet de la troisième partie de cette introduction générale que d’en rendre compte. Certains de ces modèles ont été reconnus par les pouvoirs publics à travers la mise en place de règlements spécifiques, comme dans le cas de l’agriculture biologique, posant alors la question du potentiel disruptif de ces politiques publiques institutionna-lisant la critique. De même, des politiques alimentaires locales s’affirment et se multiplient depuis quelques années, portées par différents niveaux de collectivités territoriales. Elles mettent en avant une prise en compte de l’alimentation au plus près des citoyens, de manière plus participative et plus transversale, mobilisant même parfois un discours en termes de « démocratie alimentaire ». Mais abordons pour commencer les politiques dites de la « qualité alimentaire ».

La « qualité alimentaire » française : consolider la confiance dans le référentiel agro-industriel productiviste

La qualité d’un produit n’est ni atemporelle ni objective : les critères d’éva-luation de la qualité évoluent dans le temps et diffèrent en fonction des lieux considérés (Stanziani, 2005). Ce sont des construits politiques. En France les politiques publiques visant la « qualité alimentaire » sont de deux grands types : les politiques de sécurité sanitaire des aliments, prérogative étatique dans les états industrialisés au début du vingtième siècle, d’une part, et les politiques dites de « labels » d’autre part. L’enjeu politique central derrière ces formes de régula-tion, qui ont fortement évolué dans les dernières décennies, est la construction de la confiance dans les aliments échangés, achetés et consommés (Kjaernes et al., 2007). En d’autres termes les différentes politiques françaises de la qualité alimentaire, souvent prolongées au niveau européen, ont tendu à consolider le référentiel dominant.

Politiques de sécurité sanitaire des aliments : entre impératifs industriels et libre marché

Le système alimentaire agro-industriel, du fait des masses d’aliments traitées, accroit fortement les risques sanitaires – ou tout du moins leur impact potentiel

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sur les populations. Accompagnant le développement du modèle agro-indus-triel, les politiques de l’alimentation se sont rapidement focalisées sur la sécurité sanitaire, mettant en jeu des dispositifs réglementaires spécifiques. Au niveau de l’État français, la politique de sécurité sanitaire implique principalement la direction générale de la Concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du ministère des Finances qui s’assure de la loyauté des transactions de produits frais et transformés (étiquetage, additifs, résidus), et la direction générale de l’Alimentation du ministère de l’Agriculture qui a entre autres pour mission de garantir la santé des consommateurs en s’assurant de la qualité sanitaire des produits échangés sur le territoire. Particularité française, le ministère de la Santé a une position historiquement marginale dans la politique de sécurité sanitaire des aliments, son intervention s’étant longtemps cantonnée au contrôle de la qualité des eaux potables.

Mais la sécurité sanitaire est une affaire dont la régulation va bien au-delà des frontières nationales, impliquant de multiples enjeux de pouvoir, luttes inter-institutionnelles et inter-sectorielles, marquée par le rôle des lanceurs d’alertes (Chateauraynaud et Torny, 1999) mais aussi celui d’agences transnationales, en particulier au niveau européen (Thomann, 2016). Dès l’origine de la construc-tion communautaire en effet, dans le sillon de la politique agricole commune, l’alimentation a été touchée par la réglementation européenne, principalement autour de l’objectif de réalisation du marché intérieur (harmonisation technique, standardisation des produits, surveillance des conditions de concurrence afin de garantir la libre circulation des marchandises), aboutissant à la définition de plus petits dénominateurs communs acceptables par les différents États membres en matière de standards sanitaires (Borraz et al., 2006). Au milieu des années 1990, le paysage institutionnel de la sécurité des aliments a été profondément ébranlé par la crise de la « vache folle 6 », qui a fait office de révélateur tant des particu-larités du modèle de production industriel (des herbivores nourris à partir de farines animales pour des raisons d’efficacité économique) que des défaillances dans le contrôle de la filière par les pouvoirs publics. De nouvelles institutions en charge de la politique de sécurité des aliments ont alors émergé, avec en parti-culier la création de l’Agence française de sécurité sanitaire et alimentaire (Afssa) en 1998 (devenue Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – Anses – en 2010) et de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) en janvier 2002. Ces nouvelles institutions, directe-ment façonnées par les crises (Besançon et al., 2004), ont été fondées sur l’idée de séparer l’évaluation des risques de leur gestion.

Elles confèrent un rôle majeur aux experts et aux procédures d’expertise. Nées de la dénonciation d’une expertise antérieure inefficace dans l’anticipation des risques, non pluraliste, opaque, et soumise à de fortes pressions et influences, l’Anses comme l’Efsa ont proposé un modèle d’évaluation des risques reposant sur une procéduralisation de l’expertise censée garantir transparence et mise à

6.  ESB, encéphalite spongiforme bovine, forme dérivée d’une maladie du mouton.

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distance des intérêts professionnels et économiques (indépendance). Mais une « purification » complète de l’expertise est impossible en pratique tant du fait de la nécessité de prendre en compte la réalité des contextes professionnels et économiques, que de la coproduction des avis entre chercheurs et personnels de l’agence, ces derniers étant plus directement liés à certaines contraintes poli-tiques (Granjou, 2004). La frontière entre évaluation et gestion des risques est finalement très floue (Demortain, 2008 ; De Krom et al., 2013). En matière de gestion des risques, le début des années 1990 marque l’imposition dans le domaine alimentaire, aux niveaux européen et international, d’une méthode parti-culière, issue de la Nasa américaine : la méthode HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point). Elle renvoie à une procédure basée sur une succession de points de contrôle au long du processus de fabrication, mise en place par le fabriquant lui-même. David Demortain (2011) a montré le rôle crucial d’un petit groupe de scientifiques originaires des USA incarnant l’élite de la microbiologie dans la sociogenèse de cette norme. L’influence de ces microbiologistes, particulièrement mobiles et polyvalents, fait de l’HACCP un cas idéal-typique de préemption par des experts de la production des standards internationaux. On retrouve aussi ce rôle majeur des « collèges invisibles » d’experts scientifiques, pesant lourdement sur la régulation, au sujet des procédures et tests d’évaluation des risques pour la santé liés à la consommation alimentaire de plantes génétiquement modifiées (Demortain, 2013), ou encore concernant les « nouveaux aliments » (novel food), issus des laboratoires de recherche et développement des industriels et incluant des composants non traditionnellement alimentaires ou prétendant avoir des effets spécifiques en termes de santé (aspartame, margarine sans cholestérol, etc.) (Demortain, 2008).

Ces politiques d’évaluation et de gestion des risques sanitaires ont aussi été décrites comme un exemple d’importation et d’usage des savoirs managériaux caractéristiques du projet néolibéral dans une politique sectorielle, non pas en tant que résultat mécanique de pressions internationales, mais plutôt en tant qu’opportunité pour certains acteurs de renouveler leurs registres de légitimation, de montrer leur « modernité » et d’améliorer leur positionnement dans l’espace administratif (Alam et Godard, 2007). D’autres ont souligné les tensions et concurrences, particulièrement ravivées au moment des réformes de la fin des années 1990, autour de la définition et du contrôle de la politique de sécurité sani-taire des aliments, notamment entre les administrations de l’Agriculture et de la Santé en France (Borraz et al., 2006 ; Alam et Godard, 2007) ou au niveau inter-national, notamment dans le cadre du Codex Alimentarius (Demortain, 2011). Plus généralement, les travaux décrivent l’évolution des politiques de sécurité sanitaire vers une procéduralisation et une standardisation des contrôles, avec une responsabilisation accrue des acteurs économiques et un rôle croissant de la régulation privée transnationale (Fuchs et al., 2011 ; Henson, 2011).

Le rôle accru des procédures d’audit (Campbell et Le Heron, 2007 ; Bonnaud et Joly, 2012) et la généralisation des standards privés de sécurité sanitaire (comme

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GlobalGAP, BRC 7 ou IFS-Food 8 par exemple) ont été soulignés, de même que leurs conséquences socio-économiques. Théoriquement volontaires mais de facto obligatoires puisqu’exigés par la plupart des distributeurs auprès de leurs fournis-seurs, ces standards privés correspondent à des listes de pratiques et dispositifs organisationnels spécifiques à mettre en place par les producteurs, afin d’accroître la sécurité sanitaire de leurs produits. Certifiés par tierce partie, ils excluent du marché les plus petits producteurs qui ne peuvent en assumer les coûts (possibi-lités et coûts de mise aux normes, coûts de certification). Cela a été bien analysé pour les pays en développement (Otsuki et al., 2001 ; Henson et Jaffee, 2008), certains voyant même dans ces standards une forme de « réinvention des relations alimentaires coloniales » (Campbell, 2005). La généralisation des procédures HACCP dans la réglementation publique a eu des effets similaires : initialement pensées pour – et donc particulièrement adaptées aux – entités et processus de production et de transformation industriels, elles sont inaccessibles car trop complexes ou trop coûteuses pour de nombreux petits producteurs qui sont alors évincés du marché, et qui de fait, mécaniquement, sortent aussi du débat politique (Wengle, 2016). Dans l’Union Européenne, les nouvelles exigences sanitaires introduites au début des années 1990 ont ainsi causé la disparition de nombreux producteurs d’aliments à la ferme (volailles, yaourt, fromages, etc.), et induit divers conflits du fait de leur incompatibilité avec les techniques de fabrication traditionnelle (Marchenay et Bérard, 2008) ; nous y reviendrons à la section suivante.

Les différentes conceptions du risque que portent les politiques et normes de sécurité sanitaire des aliments renvoient enfin à des conflits de régulation à l’échelle internationale, et en particulier à l’OMC 9 (Büthe, 2009 ; Rosso, 2013). Cette arène a en effet été le lieu d’expression de nombreux différends politico-économiques entre États dans le domaine alimentaire, opposant souvent l’Union Européenne et les États-Unis qui portent des conceptions souvent différentes du risque (refus européen des OGM, du bœuf aux hormones, ou des poulets désinfectés à la javel par exemple). À travers les arbitrages qui y sont rendus, elle est de facto un lieu important de fabrication des normes dans le domaine de l’ali-mentation. Elle est aussi le lieu de la construction d’une hiérarchie des normes et d’une priorisation, au nom du commerce international, des enjeux sanitaires au détriment notamment des enjeux environnementaux et sociaux (Aginam, 2008).

La procéduralisation, la privatisation de la régulation, ainsi que la focalisa-tion des dispositifs réglementaires sur les enjeux du commerce (qu’il s’agisse du libre marché européen ou des échanges internationaux), apparaissent comme

7. British Retail Consortium.8. International Featured Standards.9.  L’accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (accord « SPS ») détermine les conditions

dans lesquelles un État peut adopter des mesures de santé animale, de sécurité alimentaire ou de protection des végétaux ayant une incidence directe ou indirecte sur le commerce international, et l’accord sur les obstacles techniques au commerce (accord « OTC » ou « TBT ») concerne les prescriptions en matière de composition et d’étiquetage. Au nom de ces accords, un État peut dénoncer les politiques sanitaires d’un autre État devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC.

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des facteurs de verrouillage du référentiel agro-industriel. Un autre mécanisme renvoie à la focalisation des politiques de sécurité sanitaire sur la science comme base d’information exclusive et sur la stabilité de court terme, qui empêche de penser différemment le risque, et en particulier de se centrer sur des approches de la durabilité sur le plus long terme, qui impliqueraient de réfléchir à des changements plus structurels des politiques et des pratiques dans l’agriculture et les industries alimentaires (De Krom et al., 2013). En effet, l’alimentation – et la construction de la confiance – ne renvoient pas uniquement à des questions de qualité sanitaire des produits ou de commerce, mais également à d’autres dimensions du système alimentaire, qu’elles soient environnementales, sociales ou culturelles. Loin des forums et collèges d’experts sanitaires, ces dimensions sont de plus en plus fortement revendiquées comme fondamentales par les porteurs de cause qui politisent l’alimentation.

Labels et signes de qualité : assurer la compétitivité des produits haut de gamme du système productiviste

Outre ses mesures sanitaires, la politique alimentaire française s’est longtemps distinguée à travers son dispositif spécifique dit des « signes de qualité alimen-taire », qu’elle a d’ailleurs exporté au niveau européen dès le début des années 1990. Ce dispositif a vocation à « segmenter » le marché des produits alimentaires, en s’appuyant sur des labels apposés sur les produits afin que les consommateurs finaux distinguent des qualités de produits différentes. La politique française comprend quatre signes officiels de qualité principaux : les indications géogra-phiques d’origine (IG) censées délimiter le marché des produits de terroir, les labels rouges (LR) censés renvoyer à une qualité supérieure, l’agriculture biolo-gique (AB, sur laquelle nous reviendrons plus en détail dans la section suivante) censée définir le marché environnemental, ou écologique, et la certification de conformité produits (CCP) qui vise surtout à construire la confiance et la traça-bilité des produits au sein des filières. Cette politique se positionne clairement dans le cadre du modèle agro-industriel dans la mesure où ses différents dispositifs visent à distinguer une qualité de produits par rapport aux produits industriels standards, ou encore à assurer la confiance entre les différents intermédiaires de la filière agroalimentaire.

Le plus ancien signe de qualité est l’appellation d’origine contrôlée (AOC) qui remonte au début du vingtième siècle. Elle vise à protéger une notoriété établie et à garantir au consommateur une qualité alimentaire résultant d’un terroir particulier. Elle renvoie à un nom de lieu qui identifie un produit agricole, brut ou transformé, dont les qualités sont dues essentiellement aux caractéristiques géographiques (comprenant des facteurs naturels et humains – savoirs locaux, etc.) du lieu où il est produit. Elles sont certifiées par tierce partie depuis 2006. En 1992, les AOC françaises ont inspiré la mise en place d’un règlement européen relatif aux indications géographiques ; en plus de l’AOP (appellation d’origine protégée, équivalent européen de l’AOC française), il introduit les notions d’indication

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géographique protégée (IGP) et de spécialité traditionnelle garantie (STG), dont les cahiers des charges respectifs construisent un lien de force décroissante au territoire concerné. Ces politiques ont donné lieu à une littérature abondante dans les années 2000, traitant de savoirs et savoir-faire techniques locaux (Bérard et Marchenay, 2006), de développement territorial (Bowen, 2010). Divers travaux analysent ainsi les tensions entre ces politiques, censées mettre en valeur et protéger le terroir, et d’autres politiques européennes, dont en particulier la réglementation sanitaire. Les nouvelles exigences sanitaires européennes se sont en effet souvent trouvées incompatibles avec les techniques de fabrication traditionnelles (Marchenay et Bérard, 2008), générant des tensions politiques importantes, sous-tendues par des enjeux de compétition économique. La guerre du Camembert opposant le géant Lactalis aux producteurs historiques autour de l’obligation ou non d’utiliser du lait cru pour fabriquer le célèbre fromage normand en est une illustration (Roux et Rémy, 2010). La résolution de ces tensions est souvent passée, après négociations et constructions de compromis entre acteurs, par des adaptations des procédés traditionnels, comme dans l’exemple de la gerle, une cuve en bois utilisée dans la fabrication du fromage Salers – alors que la législation la voudrait en inox (Bérard et Montel, 2012). Au niveau international, les politiques de protection des terroirs renvoient à des enjeux de propriété intellectuelle et ont été l’objet de divers conflits commerciaux (Hughes, 2006 ; Josling, 2006).

Deux autres signes de qualité du dispositif français sont la marque collective Label Rouge, qui date des années 1960, et la Certification de conformité produits des denrées alimentaires, introduite dans les années 1990. Toutes deux visent à garantir une « qualité supérieure ou spécifique » du produit, qui renvoie à un aspect particulier du processus de production (Fouilleux, 2012). Toutes deux font appel à la certification par tierce partie pour leur contrôle, mais tandis que dans le premier cas l’enjeu de ce contrôle est de garantir une crédibilité du produit pour le consommateur final (le Label Rouge est une norme dite « business to consumer »), dans le deuxième il vise une construction de la confiance aux différentes étapes de la filière industrielle (la CCP étant une norme de type « business to business »). Le certificat qui accompagne les différents conditionnements du produit tout au long de la chaîne permet de garantir aux différents acheteurs intermédiaires certaines caractéristiques du produit (et donc de sa qualité) qui ne sont pas visibles à l’œil nu.

Tout en visant à permettre à certains produits de s’en distinguer en partie (mais en partie seulement) à travers des instruments de marché 10, la politique française et européenne des signes de qualité s’inscrit clairement dans le cadre du développement du modèle agro-industriel. Elle a ainsi intégré l’agriculture biologique à travers sa reconnaissance par les pouvoirs publics au début des années 1980, alors que celle-ci représentait pourtant initialement une virulente critique de l’agriculture chimique et de l’industrialisation de l’alimentation. En en faisant

10.  La réglementation sur l’étiquetage des denrées alimentaires inclut par ailleurs la possibilité de diverses mentions (« fermier », « montagne », « artisanal », « pur », etc.) répondant à des définitions plus ou moins strictes en fonction des produits, mais sans label ni certification.

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le quatrième signe de qualité du dispositif français, elle l’a institutionnalisée, au prix d’une simplification extrême de sa définition, réduite à une agriculture refusant l’usage de produits chimique et traduite dans des cahiers des charges figés listant les pratiques et produits interdits et autorisés. La mise en politique publique de l’agriculture biologique – à travers une approche essentiellement réglementaire, sans aucune subvention dédiée – l’a cantonnée à un marché de niche tout en poussant à sa conventionnalisation. Ce faisant, elle a relégué sa dimension politique aux associations continuant de promouvoir des dispositifs de qualité privés (comme Nature et Progrès ou plus récemment Bio Cohérence par exemple) [Fouilleux et Loconto, 2017a, 2017b].

Ce phénomène était d’autant plus renforcé par la rigidité de la politique fran-çaise des signes de qualité, assise sur une segmentation stricte des marchés : l’AB pour le marché de l’environnement, les IG pour celui du terroir, le LR pour la qualité « supérieure » (et plus récemment les qualités organoleptiques). Une telle segmentation, guidée par un raisonnement strictement économique, a empêché toute fécondation croisée entre cahiers des charges (qui aurait pu induire un brouillage des signes de qualité) et a ainsi joué comme un frein à l’améliora-tion des pratiques de production, notamment concernant l’usage des pesticides (Ansaloni et Fouilleux, 2008). Il semblerait que les choses aient un peu évolué de ce point de vue dans la dernière décennie, sous la pression des attentes envi-ronnementales accrues de la société, qui poussent l’État à en faire plus. On peut ainsi s’interroger sur la façon dont le dispositif public émergent de certification des exploitations et de labellisation de produits autour de la notion d’agriculture à « Haute Valeur Environnementale » (HVE) – qui existe officiellement depuis 2011 mais ne semble bénéficier d’un soutien public actif que depuis très récem-ment, va s’insérer – ou venir brouiller – le dispositif français de segmentation de la qualité… Si le ministère et ses promoteurs répètent à l’envi qu’il n’y a pas lieu de craindre de concurrence avec l’agriculture biologique, la simple annonce de l’objectif « d’un tiers de bio, un tiers de HVE, un tiers de conventionnel à horizon 2030 11 » semble d’ores et déjà annoncer une fissuration du référentiel de segmentation du marché, cœur historique des politiques de qualité en France.

Politiques nutritionnelles : le versant consommation du modèle agro-industriel

Outre les politiques de qualité des aliments, les politiques nutritionnelles occupent une autre place importante parmi les politiques publiques de l’alimen-tation, en France. Après de longues années de résistance de la part du ministère de l’Agriculture, elles sont désormais coordonnées par le ministère de la santé.

11.  Annonce faite lors des Premières rencontres nationales de la Haute Valeur Environnementale, Paris, minis-tère de l’Agriculture, 13 février 2019.

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De la sous à la sur-alimentation, la construction d’un problème public par la responsabilité individuelle

Dans les pays développés, la connexion entre alimentation et santé a d’abord été problématisée autour des carences nutritionnelles, incriminées au début du xxe siècle comme favorisant les maladies infectieuses (tuberculose, diphtérie, …), alors premières causes de mortalité humaine. Les actions publiques menées visaient alors à permettre de manger plus (Nestle, 2013). À partir des années 1950, avec la prise en charge de la question sociale par l’État-Providence et l’avènement de la consommation de masse, la question alimentaire a quasiment disparu de l’agenda comme problème de santé publique, pour réapparaître récemment, avec un cadrage nutritionnel autour des injonctions à manger moins. Le problème identifié (à l’OMS et dans les différents programmes nutritionnels nationaux) est désormais celui de la suralimentation, incriminée dans les maladies cardio et cérébro-vasculaires, certains cancers, l’obésité, le diabète de type II, qui consti-tuent les premières causes de mortalité dans les pays occidentaux. La nutrition serait également à l’origine de certaines allergies. Bien qu’ayant d’abord émergé aux USA avec un angle social dans les années 1980 sous l’effet conjugué de la crise et de la régression massive des politiques sociales fédérales de la présidence Reagan (qui a marqué le retour de la faim dans une partie de la population), la question alimentaire a rapidement glissé vers une approche de santé publique. Le cas de la politique alimentaire pionnière de Knoxville en est une illustration patente (Larchet, 2015). La question sociale a ainsi été problématisée, passant d’un problème de sous-consommation par les plus pauvres à un problème inverse de sur-consommation, touchant potentiellement l’ensemble des citoyens et donc politiquement plus porteur.

En France, la problématique de la surconsommation de graisse et de sucre à l’origine des « maladies de l’abondance », « de civilisation » a été importée dès la fin des années 1970 (Lepiller, 2012), alors que le lien entre santé et alimentation n’était pas encore fermement établi. Dans un contexte de montée en puissance de l’épidémiologie, l’obésité a finalement été étiquetée « épidémie » à la fin du vingtième siècle (Poulain, 2009), à partir d’une objectivation chiffrée de la hausse du poids moyen. Notons que les études épidémiologiques impliquées, menées sur la base de données individuelles (et non plus familiales ou par groupes sociaux), ne visent plus à combler les besoins de certaines catégories (les ouvriers par exemple) mais à prévenir l’apparition de maladies chez les individus (Depecker et al., 2013). Cette forme de « sanitarisation du social » (Fassin, 1998) renvoie aussi à la montée en puissance des professionnels de la nutrition, progressivement construite comme science (Depecker et al., 2013).

Un autre pan des politiques alimentaires en lien avec la santé humaine et les enjeux sociaux renvoie aux questions de sécurité/insécurité alimentaire, et aux politiques de coopération et de développement des pays dits « du Nord » en direction des pays dits « du Sud » dans ce domaine. La « sécurité alimentaire » (qu’il faut bien distinguer de la sécurité sanitaire des aliments) est définie comme

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le fait de pouvoir disposer d’une quantité suffisante de nourriture de qualité, adaptée à ses besoins nutritionnels et culturels. En termes de problématisation et d’instrumentation, les politiques de lutte contre l’insécurité alimentaire ont été historiquement façonnées de manière essentiellement agricole, axées presque exclusivement sur des politiques d’aides et des projets visant l’augmentation des rendements ou de la production agricole, laissant de côté les divers enjeux d’iné-galités économiques, sociales et politiques, d’accès aux infrastructures, de santé, de culture, etc. qui sous-tendent pourtant centralement le problème (Fouilleux et al., 2017). Ce constat d’un phagocytage agricole des questions de sécurité alimentaire fait directement écho à l’ascendant déjà souligné du secteur agricole sur les politiques alimentaires en France et dans de nombreux autres pays, et renvoie aussi à un processus d’exportation du système alimentaire agro-industriel au « Sud ». Dans les dernières décennies, sous l’influence néolibérale, la défini-tion de la sécurité alimentaire, autrefois préférentiellement fondée sur le niveau international ou national, s’est de plus en plus centrée sur une approche indivi-dualisée (foyer, genre) plutôt que par groupe ou catégories de population (Jarosz, 2011), avec pour corollaire le développement d’instruments spécifiques respon-sabilisant les individus, comme les dispositifs de « travail contre nourriture » par exemple. Comme le soulignent de nombreux travaux depuis plusieurs décennies, les problématiques d’insécurité alimentaire autrefois uniquement cantonnées aux pays « du Sud », concernent de plus en plus les populations précaires des villes « du Nord », pour qui l’accès à une alimentation abordable, saine et nutritive est de plus en plus difficile (Sonnino, 2014).

D’une manière générale, le cadrage politique de l’alimentation a ainsi évolué d’un problème abordé en termes sociaux, notamment à travers le prisme des inégalités sociales et concernant les catégories les plus pauvres, à un problème plus général de santé publique concernant potentiellement chaque individu. Il en découle la mise en œuvre d’instruments de politique publique et correspondant, dont en particulier la multiplication des programmes de type informationnel en direction des consommateurs.

Nutrition : des dispositifs informationnels

En France, le lien entre santé et alimentation a progressivement été formelle-ment consacré par les différents Programmes nationaux nutrition santé (PNNS), en 2001, 2006, et 2011 (Romeyer, 2015), qui marquent l’avènement d’un proces-sus de « nutritionnalisation » des politiques alimentaires (Poulain, 2009). Pour la première fois dans le cadre de ces programmes, la nutrition a échappé au ministère de l’agriculture pour être appropriée par le ministère de la santé, et s’émanciper ainsi des lobbies agro-industriels pesant sur le premier 12. Les dégâts de l’alimentation en matière de santé publique ont alors pu commencer à être imputés aux industriels (Romeyer, 2015). Ces derniers étaient incriminés de 12.  Le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation conserve néanmoins le Plan national pour l’Alimenta-

tion (PNA), articulé au PNNS, de même que le Programme éducation santé du ministère de l’Éducation.

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longue date dans le surpoids par certains nutritionnistes, à la fois en raison des process industriels (trop de sucre, de gras et de sel) et des stratégies marketing visant à vendre toujours plus de produits. Mais les politiques de nutrition restent néanmoins des compromis politiques entre savoirs scientifiques et intérêts de l’industrie agroalimentaire, celle-ci disposant de nombreux leviers d’influence sur les pouvoirs publics, légaux pour l’essentiel (Nestle, 2013).

Ainsi, à l’instar d’autres politiques nationales, le PNNS ne vise pas à interdire certains produits, mais à limiter l’impact des publicités sur les consommateurs en général, et les enfants en particulier. À partir de 2007, les industriels ont eu obli-gation d’insérer des messages nutritionnels dans leur publicité ou de financer un fonds chargé de diffuser de tels messages ; tous ont opté pour le premier choix et ont signé une charte de bonnes pratiques. Ainsi, l’approche nutritionnelle retenue impute en partie la responsabilité des maladies liées à l’alimentation aux indus-triels, mais par le choix d’instruments informationnels elle pointe également le comportement des consommateurs, censés modifier leur comportement alimen-taire et faire un choix éclairé face au marketing des industriels (Lepiller, 2012). L’expertise scientifique collective récente sur la mise en œuvre de cette politique (Inserm, 2017) reflète la faible mise en perspective politique et sociologique des travaux sur le sujet. La plupart traitent de l’impact des messages nutritionnels sur les récepteurs (les consommateurs) et discutent du contenu des messages, plus ou moins clairs et susceptibles de produire des résultats contraires au but recherché. Ils analysent les types de médias ciblés (TV, réseaux sociaux, etc.), plus ou moins adaptés, ou bien soulignent la nécessité de tenir compte des profils psychologiques des consommateurs (cognitifs, affectifs, émotifs, etc.). S’ils concluent globalement à une faible efficacité des dispositifs informationnels retenus, ils ne les remettent pas en question pour autant, proposant simplement des améliorations techniques.

A contrario certains nutritionnistes interrogent le choix d’instruments d’action publique uniquement basés sur le marketing en soulignant que des politiques agissant sur les prix des denrées alimentaires (subventions aux produits « sains », taxes sur les produits de mauvaise qualité nutritionnelle) s’avèrent plus efficaces, même si ces actions bénéficient davantage aux ménages de revenu moyen qu’aux plus précaires et sont donc susceptibles d’accroître les inégalités alimentaires (Darmon et al., 2014). Certains s’intéressent à l’influence du contexte de récep-tion des messages (Depecker et al., 2013), ou de l’appartenance à des groupes sociodémographiques et culturels. Ils montrent que les messages nutritionnels sont facilement intégrés par les classes favorisées, car proches des représenta-tions qu’elles valorisent et de leurs pratiques déjà en place (rapport au corps, éducation des enfants, etc.). En revanche dans les catégories populaires, l’accès à une nourriture riche et abondante à consommer pour le plaisir et sans restric-tion (notamment pour les enfants) est le premier luxe accessible, les injonctions nutritionnelles entrant alors en contradiction avec leurs valeurs et provoquant rejet ou indifférence (Régnier et Masullo, 2009). Finalement, la question sociale s’efface à nouveau derrière la question de santé publique et ces politiques inci-tatives contribuent à diffuser une norme du « bon comportement » alimentaire,

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qui disqualifie par opposition les « mauvais comportements », attachés à certaines catégories sociales.

Ces approches plus sociologiques amènent à interroger les représentations politiques qui sous-tendent la définition du problème alimentaire de l’obésité et le type d’instruments proposés. En particulier, le fait que les instruments retenus fassent exclusivement appel à la responsabilité individuelle, selon une logique libérale (Weatherill, 2013), n’est pas interrogé par les travaux de marketing – majoritaires – et de psychologie. Or, la réglementation informationnelle est peu contraignante pour les industriels et fait peser sur le consommateur la responsa-bilité (le « choix ») de prendre soin de lui. Sous couvert de libertés individuelles et de se préserver de dérives hygiénistes, la politique française véhiculerait ainsi une représentation de l’obésité relevant de la responsabilité individuelle, non de la santé publique (Friant-Perrot, 2017). Agir sur la publicité plutôt qu’opter pour une réglementation contraignante ne permet pas véritablement de s’attaquer au problème.

En outre, la France a délégué en grande partie la régulation nutritionnelle aux acteurs privés, comme dans le cas de la charte de bonnes pratiques publi-citaires signée par les industriels (Friant-Perrot, 2017) ou du partenariat public privé (collectivités et firmes) pour la lutte contre l’obésité des enfants dans les villes (Bergeron et al., 2011). Cette privatisation de la régulation témoigne à nouveau d’un renoncement à la contrainte directe. De façon plus générale, les instruments retenus s’apparentent à une technique de gouvernement à distance, par lequel l’État s’immisce dans le gouvernement des conduites individuelles pour les faire évoluer dans le sens d’un bien collectif (Bergeron et al., 2014). Diverses études économiques justifient quant à elles l’intervention de l’État en montrant le coût de la surconsommation (à travers les maladies qu’elle favorise) qui pèse sur les comptes publics, certaines maladies comme l’obésité pouvant constituer un véritable « gouffre financier » (Poulain, 2009). Les citoyens sont ainsi rendus implicitement responsables non seulement de leur maladie, mais également de la détérioration des comptes publics, comme le suggère le courant actuel des réformes sociales en Europe en faveur de « l’activation » des bénéfi-ciaires d’aides publiques, enjoints de prendre en charge leur situation (Palier, 2008). Mais l’argument économique sert parfois néanmoins à faire pression sur les acteurs économiques : un rapport récent de l’Ademe (2018) souligne les coûts pour la collectivité d’un système alimentaire non durable et pointe la responsa-bilité économique des industriels. Dans le cas de la nutrition, les instruments retenus ne permettent pas d’obtenir le niveau de résultat recherché, mais malgré tout, certains industriels se conforment aux injonctions publiques, en particulier lorsque ces dernières coïncident avec leur logique économique (différenciation, image) [Déplaude, 2013].

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La montée des critiques du référentiel agro-industriel et l’amorce de politiques alternatives. Vers le changement ?

Outre les deux grands pans de politiques publiques de l’alimentation que nous venons de décrire (politiques de la qualité alimentaire, politique de santé – nutri-tion), il est une autre dimension politique très importante du système alimen-taire agro-industriel dont il convient ici de commencer l’analyse, qui sera ensuite prolongée dans les différentes contributions de cet ouvrage. Il s’agit de la montée des critiques à l’encontre du système alimentaire agro-industriel, corollaire de son affirmation hégémonique depuis les années 1950-1960, et des systèmes alterna-tifs qu’elles ont pu engendrer. Diverses pratiques en matière de production et de commercialisation des aliments ont en effet émergé, porteuses d’une « promesse de différence » par rapport aux pratiques dites conventionnelles (Le Velly, 2017).

Vers des formes de production et de consommation plus durables ? Une régulation par le marché

L’agriculture biologique ou le commerce équitable sont des exemples emblé-matiques de ces promesses de différence. De nombreux sociologues s’y sont intéressés, le plus souvent autour des questions de consommation engagée et de marchés de niche, en essayant de mettre au jour les nouveaux arrangements marchands impliqués (Dubuisson-Quellier, 2003 ; Le Velly, 2006 ; Cochoy, 2008 ; Dubuisson‐Quellier et al., 2011). Ils décrivent les formes d’hybridation multiples sur lesquelles reposent ces agencements de marché, autrement dit sur le fait que l’on trouve du conventionnel dans l’alternatif et que le conventionnel s’ouvre de plus en plus à des éléments alternatifs (Le Velly et Dufeu, 2016).

La spécificité des mécanismes de régulation mobilisés par ces pratiques alter-natives a également été soulignée. Ils associent souvent un cahier des charges, autrement dit une liste de spécifications techniques concernant les pratiques mises en œuvre au niveau de la production (on parle de « standards volontaires » car ces cahiers des charges sont adoptés volontairement par les producteurs), des procédures de certification (le certificateur contrôle la conformité des pratiques du producteur au cahier des charges), des procédures d’accréditation (certifi-cation du certificateur), et un label apposé sur ses produits par le producteur à destination des consommateurs (Loconto et Fouilleux, 2014 ; Alphandéry et al., 2012). Ces dispositifs permettent de construire la confiance dans les échanges marchands à longue distance, qui sont caractéristiques du système alimentaire agro-industriel, c’est-à-dire entre des producteurs et des consommateurs très éloignés avec des intermédiaires de la filière qui ne se connaissent pas et ne sont pas amenés à se rencontrer. Nous avons déjà évoqué ces mécanismes en matière de sécurité sanitaire et de signes de qualité. Combinant systèmes experts (stan-dards, certification, accréditation, tests biologiques) et gages symboliques (labels) [Daviron et Vagneron, 2012], ils visent en l’occurrence à assurer la crédibilité d’un système dans lequel le consommateur choisit un produit pour des qualités

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intrinsèques, liées à la mise en œuvre de pratiques alternatives sur le plan social et environnemental par le producteur mais qui ne sont pas décelables à l’œil nu sur le produit acheté.

Dans le cas de l’agriculture biologique, c’est une réglementation publique nationale (1982) puis européenne à partir de 1992, qui a mis en place ce système de régulation. Cette institutionnalisation s’est traduite à la fois par une explosion du secteur de l’agriculture biologique, en particulier dans la dernière décennie, avec une demande croissante de produits bio par les consommateurs et une accélération des conversions chez les producteurs, associées à un affaiblissement de la portée critique du projet initialement véhiculé par l’agriculture biologique (Fouilleux et Loconto, 2017b). Non seulement celle-ci est légalement réduite à un simple refus de l’usage de produits chimiques de synthèse, mais l’exigence de la certification par tierce partie s’est traduite par une bureaucratisation et une marchandisation croissantes à travers une multiplication de marchés de services imbriqués (Fouilleux et Loconto, 2017a). On constate ainsi une tendance globale à la « conventionnalisation » de l’agriculture biologique (Darnhofer et al., 2010 ; Fouilleux et Loconto, 2017b ; Poméon et al., 2018), c’est-à-dire son rappro-chement progressif de l’agriculture conventionnelle tant dans ses méthodes de production (monocultures, simple substitution d’intrants chimique par des intrants autorisés en agriculture biologique sans changement fondamental de pratiques, etc.), que concernant la nature des aliments biologiques proposés (de plus en plus d’aliments ultra-transformés issus de procédés industriels) que sur les formes de leur commercialisation (de plus en plus de ventes en grandes surfaces), et, en conséquence, sur les comportements des mangeurs (Desquilbet et al., 2018). En d’autres termes on peut considérer que la façon dont l’agriculture biologique a été intégrée par les pouvoirs publics a facilité et accéléré son absorp-tion, sa récupération par le système alimentaire agro-industriel. Cette tendance plus ou moins forte à la conventionnalisation de l’agriculture biologique ne renvoie pas uniquement aux dispositifs de régulation imposés au niveau européen et national, mais se retrouve aussi dans une certaine mesure dans les politiques publiques mises en place au niveau régional (comme on le verra dans la suite de l’ouvrage). Il faut noter pour finir que les mêmes tendances à l’hybridation et à la conventionnalisation que celle qui étreignent l’agriculture biologique ont été décrites dans le cas du commerce équitable (Le Velly, 2006).

Le même type d’instruments de régulation a d’ailleurs été saisi par les multi-nationales de l’agro-alimentaire pour contrer les critiques qui leur étaient faites au sujet de la façon dont elles opèrent sur les marchés globalisés de matières premières. Dans les années 1990, les campagnes de sensibilisation orchestrées par différentes ONG internationales se sont multipliées pour dénoncer les conditions de production des matières premières (huile de palme, soja, café, cacao, etc.) entrant dans la fabrication des aliments et leurs effets délétères sur le plan envi-ronnemental (déforestation en particulier) et social. Elles appelaient au « boycott » ciblé de produits phares du modèle agro-industriel (Kitkat, Dove, Pepsi-Cola, par exemple), constituant de fait une forte menace pour les marques correspon-

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dantes. Depuis le début des années 2000 on a ainsi vu fleurir une multitude de standards volontaires privés transnationaux dits de « durabilité » (sustainability voluntary standards) certifiés par tierce partie. Portés par les acteurs de l’agri-business et de l’agro-alimentaire comme Unilever, Syngenta, Nestlé ou HSBC en association avec des ONG internationales comme le WWF ou Oxfam, ces instruments prétendent permettre de mieux gérer les effets environnementaux de la production agricole et de mieux respecter les droits sociaux des travailleurs dans les chaines globales de valeur (Alphandéry et al., 2012 ; Fouilleux, 2013 ; Cheyns et al., 2016). Au départ « business to business », ces standards étaient alors des instruments de cohésion et de transparence pour les différents intermédiaires du système industriel et ne s’adressaient pas directement au consommateur final des aliments. Ils sont désormais mobilisés dans les stratégies marketing des firmes et dans le débat politique ; le standard RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil) par exemple a été mis en avant par les industriels dans les controverses fran-çaises autour de la « taxe Nutella » en 2016-2017, comme gage de durabilité de l’huile de palme. Ces derniers ont ainsi réussi à éviter que des dispositions légales soient prises. Symboles d’une transnationalisation croissante de la régulation au même titre que les standards privés de sécurité sanitaire évoqués plus haut, les standards volontaires de durabilité correspondent clairement à des stratégies de neutralisation par les acteurs du système agro-industriel, des critiques qui leur sont adressées au sujet de leurs pratiques environnementales et sociales dans le processus de fabrication des biens alimentaires qu’ils produisent et commercia-lisent (Fouilleux et Goulet, 2012 ; Fouilleux, 2013).

À l’opposé de ces dispositifs de régulation globalisés, le renouveau dans les dernières décennies des « circuits courts » alimentaires, qui s’opposent aux échanges de longue distance impliquant de nombreux intermédiaires caractérisant le modèle agro-industriel, est un autre type de pratique alternative induite par les critiques du référentiel agro-industriel, qui a pris une ampleur croissante dans les dernières décennies. Les nombreux travaux sociologiques qui s’y sont intéressés insistent sur la grande diversité – et sur les menaces qui pèsent sur cette diver-sité – des dispositifs de circuits courts existants et des identités collectives qui s’y jouent (Chiffoleau, 2017). Les circuits courts renvoient directement à une autre forme de critique du système alimentaire agro-industriel qui émerge de façon plus feutrée, à l’échelle locale, et qui se traduit par la multiplication des politiques alimentaires mises en œuvre par des collectivités territoriales, qui deviennent de plus en plus visibles sur ce sujet 13.

La montée des politiques locales de l’alimentation

Alors que depuis des décennies les échelons infranationaux ne jouaient quasi-ment plus aucun rôle dans la régulation des secteurs agricole et alimentaire, ils

13.  On peut ainsi mentionner l’organisation des « Premières Assises territoriales de la Transition agro-écolo-gique et de l’Alimentation durable », à Montpellier, sous le haut-patronage du ministère de l’Agriculture, en février 2019.

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revendiquent de plus en plus leur action dans ces domaines à travers la mise en œuvre de politiques dites « alimentaires », ce qui peut être lu comme une forme de remise en cause indirecte de l’action publique étatique.

À partir des années 1990, et plus fortement encore à partir des années 2000, c’est tout particulièrement le cas des villes (Steel, 2013) qui déploient des dispo-sitifs de food planning (Pothukuchi et Kaufman, 2000). Longtemps considérée comme « a rural issue » (Morgan, 2009), l’alimentation est désormais vue comme interpellant les aménageurs et les sciences de l’aménagement. Une communauté de chercheurs se mobilise en faveur d’une « géographie territoriale intégrée » inclu-sive des dimensions économique, environnementale, sociale, de santé, culturelle, au fondement d’une « nouvelle équation alimentaire » (Sonnino, 2014 ; Viljoen et Wiskerke, 2012). Des chercheurs de plus en plus nombreux s’y intéressent (Perrin et Soulard, 2017), avec un axe important autour de la gouvernance alimentaire territoriale, incluant les questions d’agriculture urbaine et de politiques alimen-taires locales (Perrin et Soulard, 2014 ; Bonnefoy et Brand, 2014). Ils montrent que les choix d’aménagement passés (banlieues lointaines, GMS non desservies par les transports en commun, autorisations de fast-food, etc.) ont des consé-quences sur l’accès à la nourriture (Pothukuchi et Kaufman, 2000), avec notam-ment le développement de « food deserts » (Cummins et Macintyre, 2002) dans les quartiers les plus pauvres, avec des conséquences sur la santé des populations concernées. L’approvisionnement public, notamment à travers la restauration collective publique, est ainsi analysé comme un levier à disposition des gouver-nements locaux pour favoriser l’accès des plus pauvres à une alimentation de qualité dans une dynamique de justice alimentaire, ou pour favoriser l’approvi-sionnement en produits locaux (Morgan et Sonnino, 2013). Souvent présenté par ce type de littérature comme un choix technique (il s’agit d’apprendre aux technocrates à s’intéresser à la question et de leur montrer comment procéder), il s’agit pourtant surtout d’un choix politique, qui reste peu étudié en tant que tel. Dans certaines villes sinistrées, des mouvements sociaux en faveur de la justice alimentaire et environnementale ont également émergé : aux USA, les populations défavorisées, souvent des minorités de couleur, reconquièrent des espaces urbains abandonnés au profit d’une autoproduction alimentaire (Paddeu, 2017). Mais des mouvements plus fortement politisés se sont également organisés autour du corporate food system dénoncé comme élément d’un racisme institutionnel (Horst et al., 2017).

Un renouveau de l’agriculture urbaine est également mis en avant. Suite à la disparition des terres agricoles au profit de l’urbanisation ou face aux friches industrielles laissées vacantes, certaines politiques locales visent à accompagner, en partie par le foncier, une relocalisation de la production à l’intérieur ou à la périphérie immédiate des villes pour favoriser des circuits courts ou promou-voir des circuits alimentaires alternatifs, au profit des consommateurs urbains (Renting et al., 2003 ; Watts et al., 2005 ; Deverre et Lamine, 2010 ; Viljoen et Wiskerke, 2012 ; Brand et al., 2017). Le concept de métabolisme urbain cherche ainsi à rendre compte du fonctionnement du système alimentaire et à élabo-

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rer des outils pour évaluer la capacité des territoires – des villes en général – à répondre à leurs besoins alimentaires en lien avec leur hinterland. De même, la littérature américaine sur les foodsheds étudie les surfaces nécessaires pour satisfaire les besoins alimentaires d’une ville (Horst et Gaolach, 2015). Ce thème renvoie également aux circuits courts, qui visent à alimenter les villes à partir de l’agri-culture locale, souvent activement soutenus par les municipalités, notamment à travers l’installation de marchés de plein-vent spécifiquement destinés aux agricul-teurs locaux ou mettant en place des dispositifs d’étiquetage des produits locaux (Chiffoleau et al., 2017). L’engouement dont ce type de dispositif a fait l’objet dans les dernières décennies a été accompagné par des chercheurs, de manière pas toujours distanciée (Paranthoën, 2015). Ils sont ainsi présentés comme des formes d’empowerment et d’innovations démocratiques (Chiffoleau et Prevost, 2012) ou comme des dispositifs permettant de diffuser des pratiques et des normes en faveur d’une consommation plus durable auprès d’un public non engagé (Chiffoleau et al., 2017).

D’une manière générale, ces différentes politiques publiques et dispositifs posent la question du local, et des enjeux politiques liés aux constructions sociales de la « localité ». Depuis plusieurs décennies désormais, la consommation de produits issus de l’agriculture locale est souvent présentée comme environne-mentalement plus soutenable et socialement plus juste (Princen, 1997). Pourtant une telle affirmation porte à controverses. D’une part le débat sur les « food miles » a mis en évidence que l’achat de produits locaux ne réduit pas forcément l’empreinte carbone des produits alimentaires liée au transport (Coley et al., 2009 14). Ensuite, l’origine locale des produits alimentaires est parfois abusive-ment construite comme synonyme de qualité environnementale, alors que l’agri-culture locale peut tout aussi bien être industrielle et néfaste à l’environnement, cela étant décrit comme un « local trap » (Born et Purcell, 2006). De même sur le plan social, les circuits courts par exemple font l’objet de critiques soulignant leur caractère élitiste, les populations défavorisées y ayant peu accès. Des initiatives visant à connecter, via des épiceries solidaires, bénéficiaires de l’aide alimentaire et agriculteurs locaux en difficulté ont ainsi été développées dans un objectif de justice alimentaire, mais se heurtent à de nombreuses difficultés (Carimentrand et Paturel, 2018). Nous rencontrerons cette question de la construction politique du « local » par les acteurs sociaux et institutionnels dans plusieurs contributions de cet ouvrage.

Enfin, les villes ont aussi été le lieu d’innovations procédurales et institution-nelles dans le domaine alimentaire. Ainsi des food policy councils sont-ils apparus dans plusieurs grandes villes nord-américaines à partir des années 1990 (Stierand, 2012). Ces dispositifs institutionnels ont en commun de regrouper une diversité d’acteurs (chercheurs, professionnels, militants associatifs, entreprises, etc.) pour participer à la construction des politiques alimentaires locales. Leur organisation institutionnelle est variable, plus ou moins intégrée aux structures municipales, et 14.  Les nombreux déplacements locaux de petites quantités générés par les circuits courts peuvent induire

une empreinte carbone supérieure au transport maritime de grandes quantités sur des distances longues.

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leurs objectifs le sont tout autant : accès à la nourriture des populations les plus démunies (Toronto, Baltimore), santé et bien-être (King County), préservation de terres pour l’alimentation locale (Marin County California). Ces institutions ont souvent été accompagnées par des chercheurs revendiquant leur implication via la recherche action. Principalement issus de géographes, ces travaux soulignent que « politics matter ». Le soutien politique s’est ainsi avéré décisif dans la réussite de la politique alimentaire de Belo Horizonte (Rocha and Lessa, 2009), tandis que le succès du Toronto Food Policy council s’appuierait d’abord sur la capacité de ses membres à construire des coalitions en leur faveur, malgré un manque de soutien politique effectif et de ressources financières (Blay-Palmer, 2009). La continuité de la politique alimentaire de Londres, initialement destinée à réduire les inégalités de santé, est quant à elle menacée par le changement de majorité et par un food system dominé par les multinationales (Reynolds, 2009). Mais pour nombreux qu’ils soient, si les travaux portant sur les politiques locales de l’alimentation soulignent bien leur caractère politique, à l’exception de quelques-uns (Michel et Soulard, 2017 ; Brand et al., 2017), ils n’interrogent pas directement les débats à l’œuvre, ni les luttes de pouvoir autour de la construction de la question alimen-taire comme problème public, des instruments mis en œuvre ou de la sélection des acteurs légitimes. Pourtant, à l’inverse de la technicisation des débats autour des politiques de qualité alimentaire ou nutritionnelles décrites plus haut, les poli-tiques alimentaires locales font l’objet d’un fort affichage politique qui interroge directement la science politique.

Convergence des luttes ? La politisation de l’alimentation comme vecteur de transformation du système alimentaire contemporain

Cherchant à définir les dimensions politiques propres au système alimentaire mondial, une abondante littérature critique, principalement anglo-saxonne, décrit la concentration et les asymétries de pouvoir qui caractérisent le modèle agro-industriel contemporain (voir par exemple Friedmann et McMichael, 1989 ; Campbell, 2009 ; Clapp, 2012 ; McKeon, 2015 ; Clapp et Scott, 2018). Suite aux protestations altermondialistes du début des années 2000, d’autres travaux réfléchissent aux possibilités d’amélioration du fonctionnement démocratique au sein des instances internationales de décision dans le domaine alimentaire. Ils ont notamment étudié l’innovation démocratique majeure qu’a constitué la réforme du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) de 2009, qui, pour la toute première fois, tous secteurs confondus, permet à la société civile d’être directement et pleinement partie-prenante dans des négociations au niveau international (Duncan et Barling, 2012 ; Duncan, 2015 ; Brem-Wilson, 2017). Si la réforme du CSA n’a pas débouché sur une reconfiguration majeure sur le fond des débats sur les politiques de sécurité alimentaire, qui restent fortement biaisés par une vision agricole et productionniste des enjeux (Fouilleux et al., 2017), elle y a néanmoins ouvert une large brèche qui se traduit de fait par une

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attention plus grande accordée aux enjeux de l’agriculture familiale ou à l’agroé-cologie (Duncan et Claeys, 2018 ; Loconto et Fouilleux, 2019). La lutte pour la publicisation (publicisation struggle) qui s’y joue du côté des mouvements sociaux (Brem-Wilson, 2019) force les acteurs dominants à se positionner par rapport à ces enjeux qu’ils préféraient jusqu’à lors ignorer complètement.

D’une manière générale, les rapports de force complexes et les asymétries de pouvoir qui caractérisent le système agro-industriel génèrent des verrouillages sociotechniques qui empêchent les institutions du système alimentaire agro-indus-triel de prendre en compte les critiques sociales, environnementales, sanitaires et nutritionnelles qui lui sont adressées (IPES-Food, 2015, 2016, 2017). Si les asymétries de pouvoir sont dénoncées et des solutions institutionnelles éventuel-lement proposées dans un objectif de démocratie alimentaire, peu de travaux s’intéressent aux conditions politiques effectives pour la faire advenir concrète-ment. On peut citer néanmoins Booth et Coveney (2015), ou Neva Hassanein (2003) qui prend comme point de départ de sa réflexion les conflits de valeur inhérents aux débats sur l’alimentation et souligne la politisation dont elle est l’objet. L’auteure replace les mouvements sociaux et les citoyens (food citizens) dans leur travail politique de construction des problèmes (définition, publicisation) et d’agrégation de soutiens à travers la constitution de coalitions réunissant des acteurs aux visions et intérêts hétérogènes, mais situés du même côté critique à l’égard du système agroindustriel dominant. La démocratie alimentaire s’appa-rente alors à une méthode qui permet d’avancer de manière incrémentale, à partir de compromis successifs. Qu’un réel changement en résulte ou pas est l’objet du travail de l’analyste, non un point de départ normatif. Elle ouvre ainsi la voie à un programme de recherche jusque-là peu investi. De même, s’éloignant des querelles théoriques sur la légitimité de la gouvernance globale et les critères qui devraient guider la participation (all-subjected versus all-affected par exemple), Joshua Brem-Wilson (2019) prend comme point de départ la réalité concrète et analyse la façon dont l’espace politique et les débats sont reconfigurés par la société civile, qui énonce les problèmes à traiter (affectant directement les personnes sur le terrain), construit des raisonnements normatifs mettant ces problèmes en lien avec des défaillances de l’action publique, propose des solutions, met en place des infrastructures de communication permettant de relier les différents mouvements sociaux impliqués au rythme des réunions des instances globales, et organise concrètement leur participation aux débats pour faire valoir leurs positions (en l’occurrence au CSA).

Dans la même logique, nous nous intéressons dans cet ouvrage aux dyna-miques des débats de politiques publiques impulsées par la politisation croissante de l’alimentation dans la dernière décennie, et à la façon dont l’espace politique est reconfiguré par la multiplication des critiques du système alimentaire agro-industriel. En tant qu’elle donne lieu à des problématisations transversales et inter/multisectorielles, l’alimentation débouche en effet sur une mise en cause de ce dernier (incluant en particulier le modèle agricole intensif productiviste qui lui est associé) et du compromis fondateur des politiques sectorielles à partir desquelles

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il s’est développé et qui tendent à fortement l’encadrer. Alors que depuis plusieurs décennies la thématique environnementale, portée par quelques ONG et militants écologistes, n’est pas parvenue à mobiliser assez largement pour remettre en cause radicalement le système agroalimentaire industriel, l’alimentation pourrait receler un potentiel de transformation inédit dans la mesure où, touchant individuelle-ment, plusieurs fois par jour, dans leur chair, leur culture, leurs relations sociales, tous les citoyens en tant que mangeurs, ces derniers seraient susceptibles de se mobiliser plus largement. En tant que vecteur de la critique, l’alimentation serait ainsi susceptible de donner lieu à des innovations institutionnelles, sociales et politiques majeures, qu’il s’agit de mettre au jour et de comprendre. Pour mettre à l’épreuve cette hypothèse, nous analysons les controverses engendrées par la question alimentaire, et les formes de confrontation, d’hybridation, de bricolage, et de compromis qui se construisent concrètement au fil des interactions poli-tiques qu’elles impliquent.

Plan de l’ouvrage

L’alimentation peut-elle jouer comme un levier de changement politique ? Quel est en d’autres termes le potentiel transformateur pour le système agroali-mentaire contemporain de la politisation croissante du thème de l’alimentation ? Pour répondre à ces questions, cet ouvrage est organisé en quatre parties suivies d’une conclusion générale. La première partie illustre la multitude des formes d’émergence de la problématique alimentaire sur l’agenda politique contempo-rain et les modalités de sa mise en débat. Olivier Lepiller et Chelsie Yount-André décrivent la façon dont la dimension politique de l’assiette a été mise en lumière par les sciences sociales, et comment certaines catégories de mangeurs ont fait de leur alimentation un objet d’engagement politique. Ils interprètent la défiance alimentaire chez les mangeurs en France et aux États Unis comme une politisation « à petit feu » car elle donne lieu à des contre-modèles, qui, bien que récupérés et réinterprétés par les industriels, montrent qu’un système alimentaire alternatif est possible. À partir d’une étude de cas sur les légumes « moches », c’est-à-dire ne répondant pas aux normes et canons exigés par le système alimentaire agro-industriel, Marie Mourad étudie ensuite la mise en politique du « gaspillage » alimentaire. Elle montre que le cadrage du sujet écarte la question des quantités produites et la façon dont elles sont produites, et se focalise sur la responsabi-lité des consommateurs. La mise en politique du sujet entraîne finalement une remise en circulation et une remarchandisation des produits jusqu’alors jetés. Sidonie Naulin analyse l’affirmation de la gastronomie sur l’agenda politique et institutionnel français et international, à la croisée entre enjeux de politique économique et de politique culturelle, et l’ascendant des premiers sur les seconds. Enfin, Yannick Sencébé et Florence Pinton montrent la façon dont la question de l’alimentation a été installée sur l’agenda politique brésilien par le gouverne-ment Lula, en grande partie par les mouvements sociaux ayant alors accès aux arènes de définition des politiques publiques – comme instrument d’une politique

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intersectorielle de développement soutenable incluant des dimensions sociale, éducative, redistributive, écologique et territoriale. De multiples innovations institutionnelles participatives en sont nées avant d’être fortement ébranlées par la crise politique que vit le pays depuis la destitution de Dilma Youssef en 2015, puis l’élection de Jair Bolsonaro.

Bien visible sur l’agenda politique à travers des formes et des enjeux variés, l’alimentation semble ainsi être (re ?)devenue un enjeu politique légitime. Elle n’est plus confinée aux marges du débat public ; sa présence sur l’agenda poli-tique est consensuelle. Mais si elle est saisie et mise en avant par la quasi-totalité des acteurs politiques dans le souci de montrer qu’ils cherchent à répondre aux attentes des citoyens, passer du discours aux politiques publiques, autrement dit à leur instrumentation fait ressurgir les conflits de valeurs qui caractérisent le politique (Smith, 2017), que ces derniers renvoient à une problématisation non partagée entre acteurs ou à la remise en cause de compromis historiques et à la déstabilisation d’acteurs anciennement dominants. La seconde partie de l’ouvrage s’intéresse ainsi aux difficultés dont témoignent les acteurs profession-nels historiquement au cœur du système alimentaire agro-industriel pour se saisir des questions d’alimentation nouvellement repolitisées ou débattues, et aux résistances dont ils font preuve. À partir d’une enquête de terrain auprès d’une de ses fédérations départementales, Alexandre Hobeika nous expose ainsi les dessous anthropologiques et sociologiques des résistances de la FNSEA aux nouvelles problématisations de l’agriculture, qu’il s’agisse d’alimentation ou de protection de l’environnement. De même, à partir de l’exemple de l’agriculture dite « raisonnée », Pierre Mayance analyse les stratégies déployées dès le début des années 1970 par l’industrie des produits phytosanitaires et le syndicalisme agricole dominant pour faire face aux critiques sur l’usage agricole des pesticides et des dangers environnementaux et alimentaires qu’il implique. Muriel Surdez, Jérôme Debons et Lorène Piquerez étudient quant à eux comment la question de l’antibiorésistance, définie au niveau mondial comme un problème émergent mais urgent, introduit possiblement de nouvelles régulations dans le domaine du contrôle sanitaire des aliments. À travers l’exemple suisse des professionnels d’État en charge de ce secteur d’action publique, ils nous expliquent les difficul-tés rencontrées par ces acteurs pour se départir de l’utilisation systématique des antibiotiques propre aux systèmes de production alimentaires industriels, ceux-ci s’efforçant alors de cadrer le problème de telle sorte à ne pas changer trop rapi-dement et drastiquement leurs pratiques professionnelles.

Malgré ces résistances indéniables, de nouvelles politiques émergent néan-moins, notamment à l’échelon infranational, ainsi que nous l’avons souligné plus haut. La troisième partie de l’ouvrage prend donc au sérieux l’hypothèse d’une territorialisation des politiques alimentaires, mais plutôt que d’affirmer la nature disruptive d’un tel processus comme la littérature a souvent tendance à le supposer implicitement, nous interrogeons l’affichage politique « d’inno-vations territoriales » et le discours de différenciation qui lui est lié. Les diffé-rentes contributions de cette troisième partie mettent en évidence d’une part les

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INTRODUCTION

usages politiques du nouvel objet « alimentation » par les politiques locales – y compris dans ses dimensions de marketing territorial – et d’autre part les fortes continuités qui caractérisent la mise en œuvre des politiques correspondantes et les verrouillages qui s’y opèrent. Les trois premières contributions s’intéressent ainsi aux conseils régionaux comme nouveaux acteurs des politiques alimentaires. Jeanne Pahun analyse la construction du mot d’ordre du « Manger local » par les politiques agricoles et alimentaires en régions Bretagne et Grand-Est et ses consé-quences politiques. Élise Poisnel expose les difficultés rencontrées par les élus de la région Nord-Pas-de-Calais pour construire une politique alimentaire régionale. Et Léa Sénégas étudie les politiques de la Bretagne et de l’Auvergne Rhône-Alpes en matière d’agriculture biologique. Les trois auteures nous montrent ainsi la façon dont la « cogestion agricole » se prolonge du niveau national vers le niveau régional, et, en écho à la partie précédente, participe des résistances à la prise en charge des questions alimentaires en dehors du seul secteur agricole. Les deux contributions suivantes s’intéressent à l’alimentation en tant qu’élément crucial du compromis social et politique en ville. Antoine Boyet, Max Rousseau et Tarik Harroud analysent la contradiction croissante dans la gouvernance de l’appro-visionnement des villes marocaines, entre un référentiel conservateur axé sur la préservation de l’ordre social et politique, et un référentiel modernisateur porté notamment par certains acteurs locaux. Enfin, Nabil Hasnaoui, Laura Michel et Christophe Soulard analysent la construction des compromis successifs qui ont permis à la politique agroécologique et alimentaire d’accéder à l’agenda de la métropole de Montpellier et de s’y maintenir au prix d’innovations à la marge en termes « d’agroécologie nourricière » mais d’un renforcement de la place de l’agriculture sur l’agenda métropolitain. Les contributions de cette troisième partie mettent également en relief les usages politiques voire partisans de la question alimentaire : l’alimentation accède parfois à l’agenda politique à l’occasion d’élec-tions comme monnaie d’échange au sein des coalitions gauche-EELV-Société civile (Montpellier, Nord-Pas-de-Calais) ; elle apparaît aussi comme une ressource qui peut être utilisée pour rétribuer (de nouveaux alliés Verts ou société civile), étendre son emprise au-delà de son territoire (partenariats entre la métropole de Montpellier et des EPCI voisins) ou au contraire affaiblir des adversaires (suppression des subventions au réseau alternatif dans la nouvelle région AURA).

Pour finir, la quatrième et dernière partie de l’ouvrage analyse la réappro-priation par les acteurs du marché d’enjeux et d’innovations militantes à des fins commerciales. Diane Rodet compare les cas des AMAP et de « La Ruche qui dit oui ! ». Ces deux formes de construction de systèmes alimentaires alternatifs en circuit court sont a priori assez antagoniques, l’une portée par des acteurs mili-tants, issus du milieu agricole, plutôt marginaux et assumant une politisation de la question alimentaire à travers leurs initiatives, et l’autre lancée par des acteurs insérés dans des activités économiques et financières tout autre que l’agriculture et l’alimentation et assumant un business model libéral. L’auteure conclut pourtant sur les points communs qui les rapprochent et le fait qu’elles permettent finale-ment de diffuser une critique du système alimentaire agro-industriel auprès de

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publics très différents. Les deux contributions suivantes posent la question d’un aliment particulièrement sensible à la fois sur le plan environnemental et sur le plan alimentaire : le poisson. Guillaume Rieu s’intéresse au poisson sauvage pêché en mer et nous expose le timide chemin d’écologisation adopté par le secteur français de la pêche, au cours de la longue temporalité d’action publique pour la construction d’un écolabel « pêche durable ». L’auteur revient pour cela sur la problématisation de cette question et sur le choix des instruments adoptés aux niveaux supranationaux et privés, qui précèdent, expliquent et conditionnent pour partie la démarche publique nationale. Il expose les rapports de pouvoir et les différents arrangements entre intérêts divergents qui structurent ce processus ainsi que les changements, marginaux mais perceptibles, impliqués par le décloi-sonnement des enjeux et l’injonction participative résultant de cette démarche et de sa progressive procéduralisation. Caitríona Carter se penche quant à elle sur les poissons d’élevage et nous décrit les modalités différentes adoptées par le secteur aquacole en Écosse, en Aquitaine et en Grèce, pour commercialiser et communiquer sur la durabilité de leurs produits.

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