Introduction a Lapproche Narrative

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INTRODUCTION A L’APPROCHE NARRATIVE Marie-Nathalie Beaudoin Ph.D. Au début des années 1980, la psychologie devait à nouveau faire face à des idées radicalement différentes de la pensée occidentale contemporaine. Plusieurs cliniciens avaient déjà cessé de travailler uniquement sur l’individu et commencé à tenir compte des relations familiales. Avec le développement du mouvement post-moderne, la psychologie se dirigeait maintenant vers une approche encore plus globale, tenant compte de l’influence de la culture, de l’environnement spécifique des individus et de la relativisation des perspectives. De nouvelles questions préoccupaient de nombreux psychologues, telles que: Si une personne vivait dans une société dénuée de concept de classe ou de race, en quoi serait-elle différente? Puisque chaque personne est influencée par sa propre expérience, comment le thérapeute peut-il aider son client à se diriger vers ce qui lui convient le mieux et éviter de lui imposer ses propres valeurs? Que peut-il arriver si le thérapeute aide son client à développer son potentiel et se concentre sur son bien-être, au lieu de traiter une pathologie? Et s’il n’y avait pas de pathologie? Qui décide ce qui est normal et ce qui ne l’est pas? Et si les critères de la normalité sont erronés? Si une personne est sûre d’elle dans une circonstance donnée mais timide en une autre, qui est-elle vraiment? Intrigués par ce genre de questions et fascinés par les travaux de Michel Foucault et de Gregory Bateson, Michael White, avec la participation de David Epston, élabora une nouvelle approche clinique : la “thérapie narrative”. Cette forme de thérapie devint progressivement connue pour ses résultats rapides et efficaces, son intérêt pour les récits personnels, la déconstruction sociale des problèmes et normes de santé, ainsi que son accent sur l’expertise individuelle de chaque client. Passons maintenant en revue et avec plus de détails, les bases fondamentales de la thérapie narrative. Puisque les idées peuvent être plus facilement comprises par des exemples et des expériences, je me propose d’illustrer ces concepts en vous invitant, vous lecteur, à y réfléchir en mettant à profit votre propre expérience. Dans la seconde partie de cet article, à l’aide d’un exemple clinique, en l’occurrence le cas d’une adolescente souffrant de dépression et d’anorexie, je vous exposerai les étapes du processus d’une démarche narrative. Cette explication est enrichie par un texte de la cliente qui vous raconte son expérience dans ses propres mots . Les histoires et les récits Un concept fondamental utilisé en thérapie narrative est celui de la narration ou l’histoire des expériences de vie d’un individu. Ce concept se fonde sur

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  • INTRODUCTION A LAPPROCHE NARRATIVE

    Marie-Nathalie Beaudoin Ph.D. Au dbut des annes 1980, la psychologie devait nouveau faire face des ides radicalement diffrentes de la pense occidentale contemporaine. Plusieurs cliniciens avaient dj cess de travailler uniquement sur lindividu et commenc tenir compte des relations familiales. Avec le dveloppement du mouvement post-moderne, la psychologie se dirigeait maintenant vers une approche encore plus globale, tenant compte de linfluence de la culture, de lenvironnement spcifique des individus et de la relativisation des perspectives. De nouvelles questions proccupaient de nombreux psychologues, telles que: Si une personne vivait dans une socit dnue de concept de classe ou de race, en quoi serait-elle diffrente? Puisque chaque personne est influence par sa propre exprience, comment le thrapeute peut-il aider son client se diriger vers ce qui lui convient le mieux et viter de lui imposer ses propres valeurs? Que peut-il arriver si le thrapeute aide son client dvelopper son potentiel et se concentre sur son bien-tre, au lieu de traiter une pathologie? Et sil ny avait pas de pathologie? Qui dcide ce qui est normal et ce qui ne lest pas? Et si les critres de la normalit sont errons? Si une personne est sre delle dans une circonstance donne mais timide en une autre, qui est-elle vraiment? Intrigus par ce genre de questions et fascins par les travaux de Michel Foucault et de Gregory Bateson, Michael White, avec la participation de David Epston, labora une nouvelle approche clinique : la thrapie narrative. Cette forme de thrapie devint progressivement connue pour ses rsultats rapides et efficaces, son intrt pour les rcits personnels, la dconstruction sociale des problmes et normes de sant, ainsi que son accent sur lexpertise individuelle de chaque client. Passons maintenant en revue et avec plus de dtails, les bases fondamentales de la thrapie narrative. Puisque les ides peuvent tre plus facilement comprises par des exemples et des expriences, je me propose dillustrer ces concepts en vous invitant, vous lecteur, y rflchir en mettant profit votre propre exprience. Dans la seconde partie de cet article, laide dun exemple clinique, en loccurrence le cas dune adolescente souffrant de dpression et danorexie, je vous exposerai les tapes du processus dune dmarche narrative. Cette explication est enrichie par un texte de la cliente qui vous raconte son exprience dans ses propres mots . Les histoires et les rcits

    Un concept fondamental utilis en thrapie narrative est celui de la narration ou lhistoire des expriences de vie dun individu. Ce concept se fonde sur

  • le choix que nous faisons de retenir, de classer et daccorder une signification certains vnements de notre vie. La plupart des gens vont raconter de manire cohrente lhistoire de leur vie et mettre en vidence certaines expriences leur apparaissant particulirement significatives. Cette narration est habituellement colore par notre culture, notre communaut, le point de vue de la famille et des amis et ainsi diffrera dun individu lautre. Le travail de recherche du lecteur

    Pour dbuter, je vous invite vous rappeler trois gestes effectus ou paroles dites, peut-tre en tant que jeune adulte, et qui vous ont fait ressentir de la honte ou de la culpabilit. Ces vnements peuvent avoir dcoul de mauvais choix, que vous avez regretts par la suite ou dune absence de dcision qui a eu des effets ngatifs.

    Si quelquun, lorsque se sont produits ces vnements ou mme maintenant en prenait connaissance, quelles conclusions pourrait-il en tirer sur votre identit? Outre ces vnements, si cette personne vous connat trs peu, pouvez-vous penser en quelques phrases comment elle vous dcrirait. Ces phrases pourraient tre perues comme reprsentant lhistoire complte et dfinitive de votre identit, ne tenant cependant compte que des plus mauvais choix de votre vie. Pouvez-vous imaginer comment cette personne pourrait vous considrer et combien serait difficile une relation influence par cette seule histoire? Pouvez-vous seulement raliser quels en auraient t les effets si vous aviez commenc croire que vous tes une mauvaise personne, une personne dboussole ou perturbe? Ainsi, autant vous-mme que dautres personnes, vhiculant ces ides sur votre identit, peuvent profondment influencer ce que vous devenez.

    Comme deuxime partie de cet exercice, je vous invite vous rappeler trois

    choses que vous avez accomplies et pour lesquelles vous avez ressenti de la fiert. Encore une fois, si quelquun ne connaissait de vous que ces trois incidents, quelle sorte dhistoire serait-il enclin construire? Comment cela influencerait-il son attitude envers vous? Quels en seraient les effets sur votre propre identit et sur votre confiance envers autrui?

    A ce stade, vous allez probablement penser que cette dernire histoire est galement une perception inexacte de ce que vous percevez de vous-mme! Vraisemblablement, une troisime histoire pourrait tre raconte. Mon point de vue ici est leffet que plusieurs histoires de la vie dune personne peuvent tre racontes en fonction des vnements retenus et selon la faon dont ces derniers sont interprts et associs dautres.

    Ainsi, une personne peut sadresser un thrapeute se dcrivant comme terriblement timide et appuyer ses dires par de nombreux exemples. La plupart du temps, cette mme personne na pas remarqu qu elle ne fait pas preuve de timidit dans dautres contextes. Malheureusement, nombreux sont les gens qui ne remarquent pas labsence de problmes, comme par exemple se lever le matin et se rjouir de labsence de maux de tte. Laisss nous-mmes, nous avons plutt tendance remarquer la

  • prsence dinconfort, y accorder de limportance et en rechercher lorigine, que cette analyse soit utile ou non. Hypothses sous-jacentes aux problmes

    Parfois les problmes rsultent de la souffrance elle-mme comme dans le cas de traumatisme physique ou motionnel; en dautres occasions, les problmes peuvent survenir du fait que dautres personnes ou la culture dominante jugent inappropries certaines valeurs ou certains comportements qui paraissent naturels lindividu. Ainsi, tre indpendant sera bien peru dans un pays individualiste et au contraire mal vu et problmatique dans un pays collectiviste. Le mme phnomne peut tre observ dans des sous-cultures telles que les milieux scolaires, alors quun enfant peut trs bien fonctionner dans une cole donne et dvelopper un comportement problmatique dans une autre. Notre lieu de naissance, Asie, Europe ou Amrique va profondment influencer la sorte de personne que nous allons devenir et consquemment les difficults rencontres. Dans un tel cadre, la normalit devient tout simplement un reflet du comportement de la moyenne des gens dans la culture locale dominante et non un standard de sant en soi. Reconnatre linfluence profonde de la culture, du contexte et des relations pour dcider ce qui est problmatique et ce qui ne lest pas a des implications trs importantes pour le travail du thrapeute. En particulier, la porte est ouverte permettant de traiter les problmes comme tant "extrieurs" la personne. Permettez-moi de clarifier en revisant les trois prmisses discutes prcdemment: 1. Le contexte contribue de faon significative aux problmes; 2. Personne ne choisit davoir des problmes; 3. Les problmes ne sont pas une reprsentation exacte de la richesse et de la complexit de lidentit dune personne. Si lon accepte ces prmisses, il devient plus logique de traiter les problmes comme "extrieurs" au lieu de les considrer comme des dficiences. On pourrait ici faire une analogie avec un problme dordre mdical. Si un virus, donc un corps tranger qui arrive de lextrieur, nous affecte, il peut agir sur notre humeur nous rendant moins attentif aux autres, ou plus impatient. Les problmes qui touchent notre mode de penser, nos motions et nos comportements peuvent aussi tre perus comme "extrieurs" lidentit de la personne. De fait, si une personne vivait seule sur une le, il est fort possible que le problme lorigine dune consultation, nexisterait mme pas (situation qui pourrait toutefois en crer dautres....). Les problmes ne se dveloppent pas en isolement mais naissent suite des interactions. Extrioriser les problmes dans une approche thrapeutique donne non seulement de la perspective mais offre galement de nombreux avantages cliniques.

    1. "Lextriorisation" modifie en profondeur le point de vue du client. Au lieu de se critiquer personnellement, il se met dtester le problme. Ce processus entrane la cration dun espace qui lui permet de se sentir moins dvaloris, moins paralys et plus enclin passer laction. L"extriorisation engendre lespoir et soutient le passage laction.

    2. "Lextriorisation" permet de considrer les problmes comme des entits

  • palpables que lon peut nommer et circonscrire . Cette nouvelle perspective permet la personne de se dresser contre le problme et de le tenir responsable de ses comportements et ce souvent pour la premire fois. En dautres termes, "lextriorisation met en vidence les effets du problme, renforce la ncessit dagir, rend la personne capable deffectuer de meilleurs choix et contribue changer sa vie;

    3. "Lextriorisation" aide galement lentourage percevoir le problme comme une entit distincte et fait en sorte que chacun commence reconnatre les intentions, les valeurs et les talents particuliers de la personne. Le blme sestompe et fait place au travail dquipe et lapprciation des efforts de la personne pour contrer et solutionner son problme.

    Dun point de vue narratif, le thrapeute conscient de lexistence de ces diffrentes histoires et de leurs effets ngatifs tente daider son client se distancier des histoires problmatiques et se rapprocher des expriences reprsentant davantage ses valeurs et prfrences. Le processus de distanciation se produit si lon prend soin dextrioriser le problme tel quil est vcu par le client, dobserver et rendre visible ses nombreux effets sur le vie du client.

    Le travail de recherche du lecteur Revenons aux histoires de votre vie personnelle dont nous avons fait tat

    prcdemment. Si vous vouliez identifier votre histoire dominante, quelle serait-elle? Quest-ce que vous extrioriseriez comme attitude ou comportement problmatique qui vous a influenc au point de prendre des dcisions lencontre de votre meilleur jugement? Par exemple, si la colre (ou encore le doute de soi, lanxit, lalcoolisme, etc.) tait extriorise, le thrapeute pourrait vous poser les questions suivantes: Quest-ce que la colre vous fait faire que vous prfreriez ne pas faire? Sur quoi la colre vous fait-elle focaliser? Quelle influence la colre a-t-elle sur vos relations interpersonnelles? Comment la colre modifie-t-elle votre personnalit?

    Ainsi, le thrapeute pourrait poser une srie de questions qui vont aider dcrire, articuler et circonscrire les nombreux effets du problme dans diffrentes sphres de la vie, tels les comportements, les motions, les relations interpersonnelles, les connaissances, le corps physique et lidentit. A l'aide de ce processus, le client prend conscience de sa capacit comprendre le rle que joue ce problme dans sa vie et ainsi tre en meilleure position de dterminer par lui-mme quil dsire le changer. Connaissances des personnes et leur faon "prfre" dtre

    Nous avons tous une faon dtre que nous prfrons, que ce soit tre calme, rieur, affectueux ou rflchi par exemple. Le processus dextriorisation rflte que la personne est plus grande que le problme, quelle reprsente beaucoup plus que ce seul problme. Les valeurs de la personne, ses rves, ses aspirations, ses passions, ses prfrences existent gnralement en dehors des problmes. Dun point de vue clinique, une personne qui hsite avant dagir de facon problmatique dmontre la prsence d'autres valeurs ainsi que sa capacit rsister au problme dans des conditions particulires. A titre dexemple, un thrapeute pourrait poser son client les questions

  • suivantes: "quest-ce qui vous a incit voir vos amis et ainsi rsister la dpression qui cherche vous isoler? Dans quelle proportion du temps, tes-vous capable de tenir tte limpulsion de la boulimie? Quelles stratgies avez-vous utilises pour prendre soin de vous pendant le trauma?

    Le travail de recherche du lecteur

    Pouvez-vous vous rappeler quelles actions ou proccupations taient contraires au problme que vous avez vcu dans lhistoire mentionne antrieurement. Quelles prfrences ou valeurs vos moments de rsistance ont-elles reprsentes?

    Du seul fait que vous ayez expriment de la honte et de la culpabilit

    relativement ce problme dmontre bien comment ces vnements sont incongrus avec certaines de vos valeurs et la sorte de personne que vous prfrez tre. Vous avez peut-tre mme eu des moments de succs en rpondant la tentation du problme dune faon qui vous plat. Ces vnements appels rsultats uniques (unique outcomes) dans le jargon, sont bien la preuve ultime que dans un contexte donn, une interaction particulire et un certain tat dtre, le client dmontre quil a la capacit de faire surgir des possibilits dagir plus conforme ses valeurs. Dans une srie de conversations soigneusement structures concernant ces vnements, il est possible damener le client leur donner une signification et mieux comprendre sa propre habilet contrer linfluence du problme.

    Ce processus labor doucement et en collaboration, appel rcriture, va progressivement mettre en vidence les lments qui contribuent ce succs et accentuer le pouvoir qui en dcoule. Non seulement le client se voit peru par son thrapeute dans son moi "prfr", mais il se rend compte du succs, ce qui fait natre lespoir! Le contraste constant entre le problme extrioris, ce quil vous aurait amen faire et ce que votre moi "prfr" vous fait faire, permet au thrapeute de diriger le progrs de son client en limpliquant de plus en plus dans le comment, le quand et le pourquoi du moi "prfr".

    Tout comme avec le problme, le thrapeute va inviter son client focaliser sur les effets des dveloppements "prfrs". Encore une fois, ceci aide le client devenir mieux articul et plus clair, non seulement sur les lments et les implications de sengager dans une manire dtre diffrente, mais aussi sur les raisons pour lesquelles il prfre ces choix.

    Cette dmarche est importante pour tous mais plus particulirement pour les jeunes qui subissent diverses pressions pour devenir ce que les autres veulent. Dans ce processus de recherche fait en collaboration, les jeunes articulent eux-mmes ce quils veulent changer, comment ils entendent le faire et ils sont motivs devenir le genre de personne quils aspirent tre.

    Quand tes-vous votre meilleur? Pendant une certaine priode de votre vie, lorsque vous avez vcu un problme, avez-vous aussi eu des moments montrant votre moi "prfr"? Quel a t le point tournant de ce que vous tes devenu? Y a-t-il eu

  • quelquun qui supportait et appuyait la personne que vous vouliez tre? Quelle diffrence cela fait-il que dtre peru comme la personne que lon prfre tre? Conversations constructives

    Puisque nous nous voyons nous-mmes travers les yeux des autres, quelle est la responsabilit du thrapeute sil veut rellement aider les gens sloigner de problmes paralysant leur vies? Dun point de vue narratif, le thrapeute devient responsable dengager des conversations la fois respectueuses et constructives, afin de crer un espace pour dsamorcer les problmes et se rapprocher de la faon "prfre" d'tre de son client et ce dans le contexte particulier de son entourage. Dans un tel processus, le client est vu comme lexpert de sa propre vie. Lexpertise du thrapeute consiste choisir soigneusement les questions qui permettront dvaluer diffrentes expriences et de dcouvrir les possibilits. Le thrapeute et son client, travaillant en quipe, vont mettre de lavant une exprience plus riche et plus satisfaisante de lidentit du client ainsi quun moi "prfr" beaucoup plus vibrant dans la large arne de la vie.

    LE PROCESSUS CLINIQUE, TAPE PAR TAPE

    La section qui suit, divise en quatre parties, dcrit en dtail chaque tape dun cas de thrapie narrative, faisant alterner lexplication du travail du thrapeute et le compte-rendu crit du cheminement de la cliente, Alice. A la fin de notre travail, comme cest souvent le cas en thrapie narrative, Alice a rdig lhistoire de son parcours quelle peut ainsi partager. Session #1: Le point de vue du thrapeute

    Alice a 16 ans au moment de notre premire rencontre et se prsente avec des problmes de dpression, de timidit, danorexie et une faible performance lcole. Son anorexie est devenue tellement grave quelle a entran des problmes mdicaux: amnorrhe, maux de tte, insomnie et palpitations cardiaques. Elle vit chez ses parents dans des conditions matrielles difficiles mais se sent supporte par eux. Ils ont tout tent pour essayer de sortir Alice de sa dpression et de son anorexie; sans succs.

    Lors de ma premire rencontre avec Alice, je me suis intresse sa propre perception du problme et dautres aspects delle-mme nullement relis au problme, tels que ses centres dintrt, sa musique favorite, ses meilleurs amis etc...Mme si elle mtait rfre pour dpression et anorexie, je me suis mise discuter avec Alice lui demandant de dcrire son exprience propre quand les choses devenaient difficiles. Il est devenu clair trs rapidement quelle vivait avec des penses ngatives et critiques qui, leur tour, contribuaient largement des sentiments de dpression et un comportement anorexique. Nous avons convenu de nommer ces penses problmatiques la Voix critique. Ctait vident, comme ce lest pour la plupart des clients, quune autre partie des penses d'Alice tait logique et positive. Ces penses affirmatives et encourageantes faisaient surface lorsquelle tait joyeuse, heureuse et agissait dune manire quelle aimait. Alice a dcid de nommer cette partie delle-mme la vraie Alice. Puisque la thrapie

  • narrative valorise les expriences des personnes et qu'Alice tait fortement attache ces deux noms voix critique pour son problme et la vraie Alice pour son moi "prfr", nous avons commenc largir lexamen de ces deux expriences. La thrapie narrative reconnaissant lexistence de plusieurs moi, plutt que dun seul moi, cest lexprience du client qui est privilgie car selon le contexte et les circonstances, cest lun de ces moi qui sera mis de lavant. Une fois le problme "extrioris", on poursuit ltude des multiples effets du problme sur sa vie, cest--dire sur ses penses, ses motions, ses comportements, ses attitudes et ses relations interpersonnelles. Ceci peut aussi inclure ce que la voix critique lui vole dans sa vie et comment cela affecte ses rves et ses talents particuliers. Nous compilons ce que nous appelons une carte des effets, ce qui renforce "lextriorisation" du problme et ce faisant, accrot lhabilet du client gagner de la perspective et se distancier du problme. Ce processus confre habituellement du pouvoir au client, qui commence percevoir son problme pour ce quil est, cest--dire spar de son identit, et devient consquemment plus dtermin dans son dsir et son habilet le solutionner. Session # 1: le point de vue d'Alice

    Pendant ma premire session de thrapie, jai ralis quil y avait plus dun moi. Cest devenu encore plus vident le lendemain matin en route pour lcole. Lautobus est arriv plus tt qu laccoutume et, pour une raison que jignore, jai hsit courir pour lattraper. Jtais arrte et consciente du dbat qui svissait entre diffrentes parties de moi-mme. Une partie de moi disait: tout le monde va te voir traverser la rue en courant, ils vont trouver que tu as lair stupide, tu peux tomber, tu seras humilie, de toute faon tu vas manquer lautobus et le chauffeur ne se souciera pas dattendre pour toi. Lautre partie de moi-mme disait: tu peux le faire, vas-y, fonce, au moins essaie, sinon tu devras attendre une autre heure pour lautobus suivant. Aprs cet incident, jai ralis que ces dbats taient constamment prsents dans mon esprit et que je discutais avec moi-mme propos de tout! Il y avait cette petite voix faible, celle qui me supportait, qui croyait en moi, qui voulait que jaie du plaisir et que je sois libre. Il y avait aussi cette autre voix critique qui cherchait toujours me rabaisser et qui commentait ngativement sur tout.

    Je me rappelle encore cette voix grondeuse et hargneuse qui disait: tu ne mrites rien de bon, tu es laide, personne ne taime, tu devrais perdre du poids, tu devrais faire une dite, tu devrais faire plus dexercice, tu nas pas de volont, personne nest l pour toi de toute faon, tu devrais cacher ton corps, tes jambes, tu as encore tout rat, tu ne russiras jamais, tu es ennuyeuse, tu es responsable de lchec, tu es sans valeur, tu fais tout de travers, que va-t-on penser de toi? A cause de cette voix critique, je me sentais sans pouvoir et sans espoir. Cette voix critique compilait une encyclopdie de ce que je faisais mal, me culpabilisait et me rendait responsable de tout ce qui nallait pas. Elle tait toujours prsente et les choses les plus simples, faire mes devoirs, lire haute voix ou me prsenter en face de la classe devenaient difficiles. Elle me disait: nessaie mme pas, tu auras lair dune folle, tu ne russiras pas et ils vont tous rire de toi. Et je la croyais. Ctait comme porter un sac dos trop lourd et mal ajust qui sans arrt tiraille votre paule et vous fait mal au cou. La voix critique tait particulirement forte lorsque je

  • me trouvais seule, ou en face dun groupe de personnes, ou quand on ne mcoutait pas, ou avec des personnes qui taient en position dautorit. Lorsque jtais devant un miroir elle me critiquait sans piti; ctait probablement le pire. Elle me comparait aux autres filles et me faisait souhaiter tre comme elles. Je pouvais me changer de vtements plusieurs fois avant de sortir, car rien ne mallait. La voix critique me faisait dtester mon corps et avoir honte de moi. Je tentais dsespramment de modifier mon apparence. Souvent la voix critique mempchait de manger mme si je crevais de faim et lorsque je ne pouvais plus la tolrer, je mempiffrais. Je venais alors douvrir la porte encore plus grande la voix critique pour quelle puisse me faire sentir coupable, me faire compter les calories que je venais dingrer et me faire jener pour compenser ce manque de contrle. Parfois javais de la difficult me concentrer en classe car je pensais sans arrt la nourriture et la ncessit de faire une dite. Cette voix sarcastique mempchait daller danser, moi qui adore danser, de parler aux gens et de maffirmer. Ironiquement, cette mauvaise image de moi-mme faisait que je me sentais si inscure quil marrivait de prononcer des paroles absurdes. Je ne pouvais jamais gagner. Je me suis mise penser que si je navais pas de copain, cela signifiait que je ne valais rien. Ctait comme si le but de la voix critique tait de me dtruire, de menlever mon courage, ma confiance, tout plaisir dans la vie et de misoler. Elle tait si forte que parfois j'oubliais que javais des amis et une mre qui maimaient. Je croyais de plus en plus cette voix: jtais nulle et je ne pouvais rien faire de bien. Je ralise maintenant que la voix critique mempchait de penser de faon sense. Ctait comme essayer de lire un livre avec un stroboscope. Au milieu de la thrapie: la version du thrapeute

    Une fois le problme "extrioris" et bien expos, il est souvent possible damener le client procder une dconstruction culturelle des discours qui supportent le problme. Les questions telles: quest-ce que la beaut, qui dcide de ce qui est beau, pourquoi faut-il rencontrer ce standard, pourquoi est-ce plus important pour les femmes que pour les hommes, en quoi lapparence dune femme est-elle relie sa valeur, quels effets ces standards ont-ils?. Lors de conversations thrapeutiques de dconstruction, Alice a commenc remarquer la nature des messages qui portent sur limage du corps des jeunes femmes. Elle a dcouvert que dans une socit capitaliste et patriarcale, les canons de la beaut tels que dfinis par les messages publicitaires ne reprsentent quune vision trs troite de la femme et de la beaut.

    Cette dconstruction culturelle a renforc la dtermination d'Alice de combattre la voix critique et la aide voir le monde autour delle de manire plus libre. Si les canons de la beaut ne sont que dtroites constructions socio-culturelles plutt que de stricts impratifs, elle peut donc choisir plus librement ce qui correspond le mieux ses valeurs personnelles. On vient consquemment de crer un espace thrapeutique qui peut faire place la possibilit dtre diffrent. Au milieu de la thrapie: la version d'Alice

    Aprs avoir dmasqu la prsence constante de la voix critique dans ma vie, jen suis devenue fatigue et ennuye. Pendant ma session de thrapie, jai ralis que ce ntait pas ma voix mais la voix de tout et chacun dans la socit. Ils ne sont pas MOI. Ds que jai eu compris cette ralit, jtais sur le bon chemin pour reprendre le contrle

  • de ma vie et choisir un style de vie plus heureux. Jour aprs jour, jai mis une sourdine la voix critique. Je me suis regarde dans le miroir et pris connaissance de mes grandes qualits autant intrieures quextrieures. Au 3/4 de la thrapie: la version du thrapeute

    Notre travail devint de plus en plus orient vers les rsultats uniques (unique outcomes), cest--dire les succs obtenus rsister au problme. Ce processus a permis Alice de mieux comprendre les ingrdients de son moi "prfr" et d'augmenter sa capacit mettre de lavant et de faon consciente son moi "prfr" dans diffrentes circonstances. Alors que les premiers rsultats uniques sont un peu perus comme le fruit du hasard, le client arrive progressivement les associer des efforts particuliers et articule les ingrdients de ces succs. Cette tape est habituellement trs excitante pour le client puisquil commence exprimenter plus de contrle et ragir pour contrer linfluence du problme.

    A cette tape, avec Alice, les conversations cliniques se concentrrent sur lanalyse des vnements rcents, mettant en contraste ce que la voix critique lui aurait dict de faire et ce que sa propre voix lui dictait. Cette mise en parallle enrichit beaucoup la prise de conscience du client et renforce la connaissance de sa propre voix, de ses valeurs et de son pouvoir. En mme temps, on peut colliger les effets de ces dveloppements "prfrs". Une fois de plus, ensemble nous examinons les effets dcouter sa propre voix sur ses penses, ses sentiments, ses comportements, son attitude et ses relations interpersonnelles.

    Par exemple, quelles sont les consquences et les implications lorsquelle coute sa propre voix plutt que dcouter le bavardage ngatif de la voix critique. Quel impact ont ces choix "prfrs" non seulement dans le contexte de la rsistance mais dans la vie au quotidien?. Que nous apprennent ces succs, lorsquelle rsiste au problme, sur ce quelle est et sur ce quelle peut faire? Quels sont les autres aspects de sa vie quelle dsire soustraire linfluence de la voix critique? Au 3/4 de la thrapie: Alice

    Un changement significatif sest produit lorsque jai os sortir et dcid daller une fte, car jadore danser. Je me sentais trs bien, entoure de mes amis et pleine de confiance ce qui me permettait dignorer la voix critique, de danser librement et avec insouciance. Mais bien sr, plaisir et libert nallaient pas se produire si facilement. Une autre fille a pass un commentaire ngatif sur mon apparence (elle tait peut-tre aux prises avec sa propre voix critique): Oh! tu as vraiment lair bizarre quand tu danses. Et...lincroyable sest produit. Je me suis entendue dire: si tu naimes pas ma faon de danser, tu nas qu ne pas me regarder et jai fait de mon mieux pour loublier et me concentrer sur la musique. Ctait incroyable que jaie t capable de dire cela! Dans le pass, cette remarque maurait compltement assomme et la voix critique sen serait donne coeur joie. Je naurais mme plus entendu la musique. Ce soir-l jai ralis que je pouvais vraiment le faire, que je pouvais ignorer une remarque dsobligeante, taire la "voix critique" et ne pas gcher mon plaisir. A partir de ce moment, jai dcid dcouter de plus en plus mon vrai moi et de me donner plus de chance dtre moi-mme. Jai dcid darrter de me soucier de ce que les gens pensaient de moi et dessayer de les impressionner. Jai recherch ce qui tait le

  • mieux pour moi. Je pouvais contribuer mon propre bonheur en ncoutant plus lavoix critique ou quiconque tenant le mme discours. Jai arrt de sortir maquille en tout temps et commenc ressentir que javais une place dans ce monde. Je voulais devenir quelquun, plutt qutre nimporte qui. Jai travaill pour en venir maccepter moi-mme , mon corps et chacune de ses parties. Jai amlior mon alimentation en mangeant rgulirement et fait de lexercice pour mon plaisir plutt que pour changer mon corps. Jai arrt de me peser sans cesse et accept que le poids du corps soit variable. Lorsque je regarde en arrire, je ralise que la voix critique dformait tout de manire ngative et plus particulirement lapprciation que javais de mon corps. Je ne paraissais pas tre une personne en bonne sant; maintenant je mange mieux, jai moins de maux de tte, plus dnergie, je suis moins fatigue et jai un meilleur tonus musculaire. Jai moins de difficult me lever le matin et je ne jette quun rapide coup doeil au miroir lorsque je mhabille. Je ne passe que trs peu de temps devant le miroir car je trouve maintenant que cela na pas beaucoup dimportance et cela limite la possibilit dun retour en arrire. Jai aussi dcid de croire en mes qualits et mes talents. Cet aspect a t particulirement difficile car je navais jamais cru quelque chose de trs positif en moi, en dpit du fait que les gens me le disaient. A cause de la voix critique javais toujours pens quils essayaient dtre gentils et que ce ntait pas vrai. Maintenant je suis capable de dire merci et den prendre plaisir. Pour la premire fois, jai t capable de reconnatre, comme la plupart des autres humains, que jai des forces. Je peux maintenant voir que je suis une personne intelligente, dtermine, rapide, crative, amicale, ouverte desprit, que je mabstiens de juger les autres et que je peux russir. Jai commen frquenter des gens qui mappuient MOI plutt que la voix critique. Jai t capable de me mettre en colre contre des gens qui ne me traitent pas bien et qui ne me respectaient pas. Je mritais mieux. Je me suis sentie renatre, je me suis sentie vivre. Maintenant cest 90% MOI et 10% la voix critique. Dernire partie de la thrapie: identit

    La toute dernire tape du cheminement en thrapie narrative aborde le dveloppement de racines de lidentit la plus en harmonie avec les valeurs du client. Les racines se dveloppent en explorant des vnements passs qui auraient pu nous laisser entrevoir que le client avait ce potentiel pour un moi "prfr" et des talents. Le client est alors amen revoir les vnements de sa vie et identifier des exemples passs qui laissaient voir des lueurs de cette identit "prfre". Ce processus peut impliquer des membres de la famille qui voudront bien partager des histoires et des anecdotes du succs d'Alice lorsque dans une situation difficile, elle sest affirme et a exprim son point de vue. Ce processus enrichit lidentit "prfre" et cimente le dveloppement d' une nouvelle histoire de soi. Puisque une histoire est faite de plusieurs vnements relis dans le temps par un thme dominant, le client et le thrapeute de concert rcrivent lhistoire de lidentit du client. Une fois faite llaboration de lhistoire nouvelle et prfre, des observations trs prcises sont faites pour dterminer ce qui est ncessaire pour prolonger cette histoire dans le futur. Ces dernires conversations peuvent tre mouvantes pour le thrapeute et pour le client, car nous en sommes spculer sur la nouvelle direction que la vie du client va prendre, sous linfluence de lhistoire " prfre". Pour Alice, lhistoire

  • de son identit a t intitule une guerrire libre. Dernire partie de la thrapie: Alice

    Maintenant, je me sens comme une "guerrire", une "guerrire libre". Jai rcemment dcouvert que la voix critique tait allergique lacceptation et lamour. Alors, jai commenc aimer mon nom, faire des chansons avec mon nom et reconnatre que jtais une personne unique! Je suis MOI et je peux faire ce que je veux. Mes rsultats scolaires se sont beaucoup amliors et je peux maintenant rver de poursuivre mes tudes et davoir un bon travail. Rcemment quelquun ma dit quelle naimait pas mes vtements. Jai immdiatement rpliqu: a mest gal, ce nest pas toi qui les porte et je ne men suis plus soucie! Jai trouv un moyen de rpondre ces critiques en me respectant et sans toutefois attaquer ces personnes. Je comprend quelles sont probablement elles-mmes aux prises avec une grossevoix critique.

    Mes parents racontent que jtais une enfant fire et dtermine quand jtais petite. Jaime bien entendre leurs histoires de qui jtais parce que je me rends compte que jai toujours eu la force de me dfendre et de dire ce que je pensais rellement. La voix critique et la socit avaient enfoui ces talents mais je les ai maintenent retrouvs avec joie! Les gens qui mentourent ont remarqu que je suis plus affirmative et que je ne men laisse pas imposer. Je crois quils me trouvent plus amicale, plus attentive et plus amusante (je ne mets plus en doute chacune de mes paroles). A lcole, jai une meilleure rputation et je suscite moins de commrages. Jai dcouvert que lorsque vous pensez quil y a quelque chose qui ne va pas chez vous, les autres sont rapides le croire. Maintenant je suis fire de moi. Ma voix me dit que je mrite de maimer et je me sens en harmonie. Je suis contente de dire: MOI! cest ce que je suis! Cest tout ce que je peux tre! Cest ce que je veux tre! Je suis ici et il est temps de maimer MOI!

    Bibliographie Freedman, J. & Combs, G. (1996). Narrative therapy. New York: Norton. Madsen, W. (1999). Collaborative therapy with multi-stressed families. Guilford Press, NY. White, M. & Epston, D. (1990). Narrative means to therapeutic end. W.W. Norton & Company, NY. White, M. & Morgan, A. (2006). Narrative therapy with children and their family. Dulwich Centre Publications, Adelaid, Australia.. Zimmerman, J. & Dickerson, V. (1996). If problems talked. New York: Guilford Press. Quelques notes sur l'auteur Marie-Nathalie Beaudoin,Ph.D.est Directrice de l'entranement clinique au Bay Area Family Therapy Training Associates. Elle enseigne aussi au John F. Kennedy University et reoit en pratique prive des enfants, des femmes,

  • des familles pour les aider se librer de divers problmes. Elle a crit de nombreux articles et publi trois livres sur l'application de l'approche narrative. Elle est originaire de Montral, Canada et vit maintenant en Californie avec son mari et ses deux enfants.

    INTRODUCTION A LAPPROCHE NARRATIVE