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Gedi 5349179_3 1 TIERS ET PROCEDURE LUXEMBOURG Franck FARJAUDON Avocat à la Cour, B&F Avocats, Luxembourg Myriam PIERRAT Avocat à la Cour, Elvinger, Hoss & Prussen, Avocats, Luxembourg INTRODUCTION 1.- Tiers et situation juridique de référence.- Le tiers est par définition une « personne étrangère à une situation juridique » (Vocabulaire Cornu, v° Tiers, sens 1 1 ). Pour définir le tiers, il faut donc préciser la situation juridique de référence : celle auquel il est étranger. 2.- La situation juridique procédurale : le lien d’instance.- En procédure, la situation juridique qui vient d’abord à l’esprit est le lien d’instance (ou rapport d’instance). Dans un passage célèbre, Motulsky définit le lien d’instance comme une « situation juridique nouvelle » créée par l’acte introductif : « L’idée essentielle est celle-ci : à la situation juridique substantielle se superpose une situation procédurale impliquant une série de conséquences. On peut retrouver cet aspect dans les trois contentieux : dans le contentieux civil, les parties à un contrat (par exemple) deviennent des plaideurs – demandeur et défendeur – avec un nouveau réseau de droits et d’obligations ; dans le contentieux pénal, le « suspect » devient la personne poursuivie (inculpé, prévenu, accusé) ; dans le contentieux administratif, les « intéressés » deviennent respectivement « requérant » et « défendeur » (rôle que tient le plus souvent l’administration). » (Motulsky, Droit processuel, texte de MM Capel, Cours Saint Jacques, 1973, p. 145) En bref, le lien d’instance est un réseau de droits et d’obligations procédurales qui se greffe sur le rapport de droit substantiel. Le lien d’instance affecte d’abord les parties elles-mêmes, et ceci dès la signification de l’acte introductif 2 . Mais il faut souligner que le juge lui-même est pris dans le lien d’instance : comme nous y reviendrons, l’instance engendre pour lui des rapports de droit distincts de ceux existant entre les parties : par exemple, il a une obligation de faire respecter la contradiction, de requalifier les faits, etc. Si l’on hésite à dire que le juge est partie à l’instance, il est en tous cas impliqué dans ce rapport de droit procédural. En tout état de cause, on peut d’abord définir le tiers comme celui qui est étranger à ce rapport de droit procédural que constitue le lien d’instance. 1 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 10 ème édition 2 Malgré quelques hésitations, la jurisprudence luxembourgeoise confirme que ce rapport de droits et d’obligations nouveaux naît entre parties dès l’acte introductif, et non pas seulement au moment de son enrôlement auprès de la juridiction : voir T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 525.

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TIERS ET PROCEDURE LUXEMBOURG

Franck FARJAUDON

Avocat à la Cour, B&F Avocats, Luxembourg

Myriam PIERRAT Avocat à la Cour, Elvinger, Hoss & Prussen, Avocats, Luxembourg

INTRODUCTION 1.- Tiers et situation juridique de référence.- Le tiers est par définition une « personne étrangère à une situation juridique » (Vocabulaire Cornu, v° Tiers, sens 11). Pour définir le tiers, il faut donc préciser la situation juridique de référence : celle auquel il est étranger. 2.- La situation juridique procédurale : le lien d’instance.- En procédure, la situation juridique qui vient d’abord à l’esprit est le lien d’instance (ou rapport d’instance). Dans un passage célèbre, Motulsky définit le lien d’instance comme une « situation juridique nouvelle » créée par l’acte introductif :

« L’idée essentielle est celle-ci : à la situation juridique substantielle se superpose une situation procédurale impliquant une série de conséquences. On peut retrouver cet aspect dans les trois contentieux : -­‐ dans le contentieux civil, les parties à un contrat (par exemple) deviennent des

plaideurs – demandeur et défendeur – avec un nouveau réseau de droits et d’obligations ;

-­‐ dans le contentieux pénal, le « suspect » devient la personne poursuivie (inculpé, prévenu, accusé) ;

-­‐ dans le contentieux administratif, les « intéressés » deviennent respectivement « requérant » et « défendeur » (rôle que tient le plus souvent l’administration). » (Motulsky, Droit processuel, texte de MM Capel, Cours Saint Jacques, 1973, p. 145)

En bref, le lien d’instance est un réseau de droits et d’obligations procédurales qui se greffe sur le rapport de droit substantiel. Le lien d’instance affecte d’abord les parties elles-mêmes, et ceci dès la signification de l’acte introductif2. Mais il faut souligner que le juge lui-même est pris dans le lien d’instance : comme nous y reviendrons, l’instance engendre pour lui des rapports de droit distincts de ceux existant entre les parties : par exemple, il a une obligation de faire respecter la contradiction, de requalifier les faits, etc. Si l’on hésite à dire que le juge est partie à l’instance, il est en tous cas impliqué dans ce rapport de droit procédural. En tout état de cause, on peut d’abord définir le tiers comme celui qui est étranger à ce rapport de droit procédural que constitue le lien d’instance.                                                                                                                          1 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 10ème édition 2 Malgré quelques hésitations, la jurisprudence luxembourgeoise confirme que ce rapport de droits et d’obligations nouveaux naît entre parties dès l’acte introductif, et non pas seulement au moment de son enrôlement auprès de la juridiction : voir T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 525.

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3.- Les tiers au rapport de droit substantiel et la procédure.- Pourtant, au regard de l’analyse motulskienne, l’on pourrait également s’attacher aux tiers à la relation substantielle, et ceci dans une perspective proprement procédurale. Il faut éviter un malentendu. L’intervention dans la procédure de tiers à la relation substantielle n’est pas en soi une question procédurale. Dans de très nombreuses hypothèses, le droit autorise des tiers à agir sur le fondement de situations juridiques substantielles auxquelles ils sont étrangers ou pour les combattre : un tiers au contrat peut agir en responsabilité délictuelle pour violation du contrat ; l’action oblique3 permet au créancier d’agir contre le débiteur de son débiteur négligent4 ; l’action paulienne permet d’agir en inopposabilité d’un acte conclu entre des tiers ; un administré peut agir en nullité d’un permis de construire accordé à son voisin ; etc. Mais, dans de telles hypothèses, le tiers agissant n’est tiers qu’au regard de la situation substantielle : par hypothèse, il devient partie au procès comme demandeur. Aussi, pour l’essentiel, ces questions relèvent de l’étude du droit substantiel, et non de la procédure. Ce qui en revanche présente un intérêt spécifiquement procédural, c’est l’implication de tiers à la relation substantielle non pas seulement dans la procédure, mais au service de la procédure. En ce sens, la procédure a besoin des tiers.

                                                                                                                         3 L’article 1166 du Code civil dispose que « les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne. » Cependant, il a été jugé que : « L’exercice du droit conféré aux créanciers par l’article 1166 du Code civil d’exercer tous les droits et actions de leur débiteur, constitue une immixtion grave dans les droits des propriétaires et ne saurait être autorisé que si le créancier se trouve dans la nécessité d’agir pour sauvegarder ses intérêts ; l’exercice de ce droit doit être refusé au créancier qui n’a aucun intérêt sérieux à s’immiscer dans les affaires de son débiteur, ce dernier étant in bonis et notoirement solvable. » (Diekirch, 26 janvier 1905, Pas. 7, p. 113 ; Lux., 4 décembre 1912, Pas. 8, p. 415) Les conditions de la recevabilité de l’action oblique ont été rappelées dans un arrêt récent de la Cour d’appel (Cour d’appel, 2 mai 2007, n°30577 du rôle, BIJ 7/2007, p. 137):

1) il faut que le créancier qui entend agir en lieu et place de son débiteur soit titulaire d’une créance certaine, liquide et exigible ; 2) il faut qu’il ait un intérêt sérieux et légitime pour exercer l’action oblique ; 3) il doit se heurter à une inaction de son débiteur qui lui porte préjudice ; 4) il faut que l’exercice de l’action oblique reconstitue l’actif du débiteur permettant ainsi à son créancier d’exercer utilement les voies d’exécution ; 5) et finalement, ainsi qu’en dispose expressément l’article 1166 du Code civil, il ne faut pas que les droits en question soient exclusivement attachés à la personne du débiteur.

4 Sinon, par ailleurs, il est à noter que, en cas d’action oblique, la question de l’éventuelle extension de l’autorité de chose jugée de la décision rendue au débiteur négligent (qui est dans ce cas, a priori, tiers à la procédure, sauf mise en cause exprès) ne semble pas avoir été tranchée en droit luxembourgeois. Toutefois, le droit luxembourgeois étant, sur l’autorité de chose jugée, proche du droit civil français, il semble possible de faire référence à la doctrine française majoritaire qui estime qu’ « il faut s’en tenir alors au principe de l’effet relatif de la chose jugée : la décision rendue à la demande du créancier n’aura pas autorité de chose jugée à l’égard du débiteur » (W. Dross, « Contrats et obligations, Effet des conventions à l’égard des tiers, Action oblique », J.-Cl. civil, art. 1166, Contrats et obligations fasc. 38, n° 109). Si l’action oblique aboutit, les biens recouvrés vont intégrer le patrimoine du débiteur, l’action oblique ayant précisément pour but de reconstituer le patrimoine du débiteur négligent et le droit de gage général des créanciers pour qu’ils puissent ensuite efficacement exercer les voies d’exécution (W. Dross, op.cit., points-clés, n°2) ; Cependant, le créancier agissant au nom et pour le compte du débiteur négligent « ne bénéficiera d’aucun privilège particulier sur ces biens du fait de son action. » (O. Poelmans, Le droit des obligations au Luxembourg. Principes généraux et examen de jurisprudence, Larcier, 2013, n°177, p. 228).

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Le plus éminent d’entre eux, c’est le juge lui-même. Si le juge est pris dans le lien d’instance, il n’en est pas moins tiers à la relation substantielle. C’est même là une condition fondamentale de son office : le juge doit être impartial. Ceci veut dire que son implication dans la procédure suppose qu’il soit extérieur à la relation substantielle qui existe entre les parties. 4.- Plan.- Si l’on évoque les tiers au lien d’instance, les questions qui surgiront seront, d’une part, de savoir si ces tiers à la procédure (I) peuvent être ou non affectés par la procédure à laquelle ils sont étrangers, d’autre part, s’ils ont ou non vocation à y entrer. En revanche, si, d’un point de vue procédural, l’on s’attache aux tiers à la relation substantielle, on pourra montrer que la présence de tiers dans la procédure (II) est indispensable à l’activité juridictionnelle.

I. LES TIERS A LA PROCEDURE Ce sont des tiers qui ne sont pas a priori partie au procès. Mais ils peuvent être autorisés à y entrer en tant que partie (ou à s’opposer à la décision après coup en tant que partie) :

-­‐ soit parce qu’ils sont intéressés (A) ; -­‐ soit, plus rarement, alors même qu’ils ne sont pas intéressés (B).

Toutefois, il y a lieu de rappeler que, en principe, les personnes représentées figurent dans la procédure en tant que parties, via leur représentant. Ce sont donc de faux tiers à la procédure (Remarque préliminaire).

Remarque préliminaire : le faux tiers, la représentation Si le principe de la représentation peut sembler simple, les problèmes soulevés par le mécanisme de la représentation et les questions d’autorité de chose jugée sur les représentés ne le sont pas en pratique au vu de la complexité de certaines situations juridiques. Principes et exemples.- Ainsi (et sans vouloir être exhaustif), les mandataires légaux (époux communs en biens, syndicat de copropriété représentant les propriétaires pour les parties communes, etc.), les mandataires conventionnels (époux – article 218 du Code civil –, associés – article 1849 du Code civil –, assureur qui assure la direction du procès – article 92 alinéa 1er de la loi sur le contrat d’assurances5, etc.), les ayants cause universels ou à titre particulier (le sous-locataire représenté par le locataire, etc.) ou coobligés solidaires, sauf pour le cas où la caution aurait un moyen personnel à faire valoir6, sont autant d’exemples de représentation d’une personne par une autre lors d’un procès.                                                                                                                          5 Par exemple, l’article 92 alinéa 1er de la loi sur le contrat d’assurance (à propos des contrats d’assurance de la responsabilité) prévoit expressément qu’« [a]ucun jugement n'est opposable à l'assureur, à l'assuré ou à la personne lésée que s'ils ont été présents ou appelés à l'instance. Toutefois, le jugement rendu dans une instance entre la personne lésée et l'assuré est opposable à l'assureur, s'il est établi qu'il a, en fait, assumé la direction du procès. » 6 S. Guinchard et alii, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz action (2012-2013), n° 551.171 ss.

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Le mandant occulte, en cas de simulation par exemple7, entre dans la même catégorie : le mandant occulte est représenté à la procédure par son mandataire occulte et « le jugement rendu contre le prête nom a autorité de chose jugée à l’égard du mandant occulte »8. Comme l’acte occulte ne peut nuire aux tiers à cet acte (il n’a pas d’effet « contre » les tiers selon l’article 1321 du Code civil), ceux-ci peuvent en tirer profit : ils ont le choix entre l’acte apparent et l’acte occulte9, qu’ils exercent via l’action en déclaration de simulation. Les représentés – représentés par leurs représentants – ne sont alors pas étrangers à la procédure. Les conséquences de la représentation sont connues : le recours à la tierce-opposition est en principe fermé aux personnes représentées, sauf si elles ont un moyen propre à faire valoir (personnel à l’intéressé et que lui seul pouvait faire valoir) ou en cas de fraude de la part de leur représentant10. Limites.- Toutefois, « Il est admis qu’une personne puisse avoir été présente au premier procès en une certaine qualité, et fasse tierce-opposition en une autre qualité11. » Par exemple, un représentant légal d’un incapable pourra faire tierce-opposition à titre personnel ou ès qualités de représentant d’un autre incapable12, puisque, dans un tel cas, il agirait à un autre titre et non comme représentant du représenté-partie à l’instance. La jurisprudence luxembourgeoise retient encore que « en principe l’appel ne peut être relevé que contre ceux qui étaient en cause en première instance. Mais, si depuis le jugement, il est intervenu un changement d’état ou de qualité dans la personne de l’assigné, l’appel peut être interjeté contre son représentant légal13 ». Extension de l’autorité de chose jugée de décisions civiles sur certains « tiers » considérés comme ayant été représentées à l’instance par une partie14.- Il est admis que certaines décisions civiles peuvent être revêtues de l’autorité de chose jugée à l’égard de « tiers » s’ils peuvent être considérés comme ayant été représentées à l’instance par une partie ayant finalement des intérêts communs avec ce « tiers ».

                                                                                                                         7 L’article 1321 du Code civil dispose que : « Les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu'entre les parties contractantes: elles n'ont point d'effet contre les tiers. » 8 S. Guinchard, C. Chainais, F. Ferrand, Procédure civile, Précis Dalloz, 32ème éd., n° 269 c, p. 245. 9 V. MM. Mazeaud & Chabas, Leçons de droit civil- Obligations, théorie générale, 8ème éd., Montchrestien, n° 823 ; Terre, Simler Lequette, Droit civil. Les Obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., n° 553 ; Malaurie, Aynes, Stoffel-Munck, Les Obligations, Defrénois, 2ème éd., p. 771. 10 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 1250. 11 S. Guinchard et alii, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz action (2012-2013), n° 551.62 : exemple en jurisprudence luxembourgeoise : Cour d’appel, 15 décembre 2010, Pas. 35, p. 540 citée par T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 1250, note de bas de page n° 1276. 12 Fr T. Seine, 14 avril 1905, Gaz. Pal. 1951.2.272 citée dans : S. Guinchard et alii, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz action (2012-2013), n° 551.62 13 Cour, 11 mars 1921, 11, 550 14 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 942.

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Par exemple, c’est le cas des héritiers d’un débiteur15 ou plus généralement des codébiteurs solidaires16 et en cas d’indivisibilité17.                                                                                                                          15 Ainsi, une banque créancière d’un débiteur a demandé aux héritiers de ce débiteur le remboursement d’un prêt, contracté solidairement par le de cujus et un autre emprunteur. Or, dans une instance antérieure, le premier codébiteur avait été condamné à un certain montant ; le second codébiteur était décédé au cours de cette instance sans qu’il y ait reprise d’instance de la part des héritiers. N’ayant pu obtenir paiement du premier débiteur, la banque a ensuite assigné les héritiers du second codébiteur décédé en demandant leur condamnation à un montant supérieur. Les héritiers ont invoqué l’autorité de chose jugée de la décision antérieure et la Cour d’appel a jugé que : « D’une part, en cas de solidarité passive, la décision judiciaire rendue au profit ou à l’encontre de l’un des débiteur est opposable à tous les autres coobligés solidaires, et à autorité de chose jugée à leur égard, à condition qu’elle ne soit pas le résultat d’une collusion frauduleuse et qu’elle n’aggrave pas leur condition (Encyclopédie Dalloz, Vo Chose jugée, no 114, édition 1996 ; Encyclopédie Dalloz, Vo Chose jugée, no 100, édition 1955 ; Encyclopédie Dalloz, Vo Chose jugée no 112, mise à jour 1975). D’autre part les héritiers de l’emprunteur solidaire (…) sont liés par le jugement rendu contre leur auteur (Encyclopédie Dalloz, Vo Chose jugée, no 105, édition 1955), respectivement opposable à celui-ci. (…) C’est partant à juste titre que les appelants se prévalent de ce que l’autorité de chose jugée de l’arrêt rendu le 16 janvier 2002 à l’encontre de X, leur est opposable en leur qualité d’héritiers du codébiteur solidaire X » (Cour d’appel, 9 juillet 2003, n°27054 du rôle). 16 La solidarité des débiteurs, ou solidarité passive, est régie aux articles 1200 à 1216 du Code civil. L’article 1200 dispose qu’« il y a solidarité de la part des débiteurs, lorsqu'ils sont obligés à une même chose, de manière que chacun puisse être contraint pour la totalité, et que le paiement fait par un seul libère les autres envers le créancier. » A cet égard, Olivier Poelmans écrit : « En droit luxembourgeois, on considère également qu'il existe une sorte de « représentation » entre codébiteurs solidaires. La jurisprudence en déduit que la chose jugée pour ou contre l'un des débiteurs solidaires profite, ou est opposable, aux autres. Un jugement rendu en faveur du créancier, ou contre lui, a autorité de chose jugée à l'égard de tous les codébiteurs. » (O. Poelmans, Le droit des obligations au Luxembourg. Principes généraux et examen de jurisprudence, Larcier, 2013, n° 339, p. 425) La solidarité entre époux (article 220 du Code civil) et entre partenaires (article 7 de la loi du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats) a également donné lieu à certaines décisions intéressantes: par exemple, dans une affaire où des époux avaient assigné leur banque en paiement d’une certaine somme du chef d’un « crédit en portefeuille », la banque avait formé une demande reconventionnelle en paiement à l’encontre d’un des époux qui avait été déclarée non fondée. Or, une décision antérieure avait débouté la banque de la même demande en paiement formée (accessoirement à une demande en validation de saisie-arrêt) par la banque contre le seul mari relativement au même compte débiteur. Sur la demande formée cette fois contre la banque par les titulaires du compte litigieux, la banque a fait valoir que la précédente décision n’avait autorité de chose jugée qu’à l’égard du mari et qu’elle était en droit de demander reconventionnellement la condamnation de l’épouse. Cette demande a été déclarée irrecevable en première instance, les juges ayant retenu l’exception de chose jugée. La Cour d’appel a confirmé le jugement en ces termes : « La chose jugée pour ou contre l'un des débiteurs solidaires profite, ou est opposable aux autres. Ainsi le jugement rendu, soit en faveur du créancier, soit contre lui, a autorité de chose jugée à l'égard des tous les codébiteurs (Jurisclasseur civil, article 1197 à 1216, fasc. 20, p. 20, n°93). Il s'ensuit que la partie M. [l’épouse] peut se prévaloir du jugement du 14 décembre 1994, de sorte qu'elle peut invoquer à son profit le moyen d'irrecevabilité « non bis in idem » » (Cour d’appel, 12 janvier 2006, Pas. 33, p. 130). En matière de bail, il a également été jugé que le bailleur pouvait réclamer paiement de la dette de loyer à chacun des deux époux, même si le bail a été signé seulement par l’un d’eux (JP Esch-sur-Alzette, 15 avril 2005, n°928/05 : citée dans O. Poelmans Le droit des obligations au Luxembourg. Principes généraux et examen de jurisprudence, Larcier, 2013, n° 336, p. 420). 17 L’obligation indivisible est régie aux articles 1222 à 1225 du Code civil. L’article 1222 dispose que « [c]hacun de ceux qui ont contracté conjointement une dette indivisible, en est tenu pour le total, encore que l'obligation n'ait pas été contractée solidairement. » Ainsi, dans une affaire où deux jeunes filles avaient passé plusieurs nuits dans un hôtel sans payer le prix de la chambre, il a été jugé qu’elles « se sont présentées conjointement à l’hôtel A. en vue de trouver un logement commun », bien que la fiche d’hébergement n’ait été remplie que par l’une d’entre elles et la facture établie à son nom. Les juges ont retenu que le contrat d’hôtelier « a un seul et même objet : il porte sur une seule chambre. Cette prestation est indivisible, les prix étant fixés par chambre et non par personne logée. » ; dès lors, les deux

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Une décision rendue par la Cour d’appel le 15 mai 2002 (n° 25975 du rôle) énonce ainsi que :

« Afin de restreindre le domaine de la tierce-opposition, doctrine et jurisprudence utilisent la notion de représentation pour accroître l’étendue de l’autorité de la chose jugée. Elles ont à cet effet recours à une représentation implicite et même fictive. Tel est le cas de co-intéressés, qui ont des intérêts communs avec une des parties à l’instance ; ils sont réputés être représentés par cette partie. En présence de codébiteurs solidaires ou liés par une convention d’indivisibilité, le jugement rendu contre l’un d’eux ou obtenu par l’un d’eux a autorité de la chose jugée à l’égard des autres »18.

A cet égard, M. Hoscheit semble toutefois suggérer qu’une décision rendue par la Cour de cassation en date du 21 janvier 1999 à propos de l’incidence de l’article 6 §1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme sur l’autorité de chose jugée des décisions rendues en matière pénale (Cf. ci-infra n° 8) devrait être transposée à ces situations19. Nous nous demandons toutefois si le mécanisme de la représentation même à caractère « implicite ou fictif » ne serait pas un obstacle difficile à surmonter dans la mesure où, dans de tels cas, ces « tiers » semblent considérés par la jurisprudence comme représentés par leur représentants et donc théoriquement considérés comme « parties » ayant participé « implicitement ou fictivement » au procès invoqués contre eux. Mais sans doute que ces cas de représentation (indivisibilité et solidarité passive) présentent un caractère si fictif qu’ils justifieraient une nouvelle analyse ?

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           filles étaient tenues envers l’hôtelier du paiement de l’intégralité du prix des nuitées, sans préjudice du partage à instituer entre elles (Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 20 janvier 2011, BIJ 8/2011, p. 138). En matière de bail, il a également été jugé que les colocataires d’un bien étaient chacun tenus de l’intégralité des montants des loyers et des charges locatives, dans la mesure où ces frais sont indivisibles entre les différents colocataires, le bailleur pouvant alors demander paiement de l’intégralité de sa créance à l’un quelconque des locataires (Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 11 mai 2007, n°107385, BIJ 6/2007, p.106). Le paiement d’un des colocataires profite aux autres. 18 Dans cette affaire, deux associés s’étaient engagés à reprendre à leur nom tout le passif de leur société dissoute. Un créancier de la société réclamait paiement de factures et avait dans un premier temps assigné à la fois la société et les deux associés. La société et un associé avaient été condamnés et il avait été sursis à statuer à l’encontre du deuxième associé aux motifs qu’il n’avait pas été touché par l’assignation. Dans un deuxième temps (probablement faute de paiement), le créancier a lancé une nouvelle assignation contre le deuxième associé qui faisait valoir qu’il n’était pas lié par le décompte retenu dans l’autre instance dans la mesure où le principe de la représentation fictive par son coassocié aurait été contraire à l’article 6 §1 de la CEDH. La Cour d’appel n’a toutefois pas retenu ce raisonnement et a jugé que : « Aux termes de l’article 1351 du code civil, le plaideur qui en cours d’une instance entend se prévaloir d’un jugement antérieur ayant force de chose jugée ne peut en invoquer l’autorité que dans la mesure où les deux litiges présentent entre eux une triple identité de parties, d’objet de cause. En ce qui concerne les parties, il est admis que la chose jugée ne peut nuire ou profiter qu’aux seules personnes ayant été parties à l’instance que le jugement a éteint. Est considérée comme ayant été partie à une instance toute personne y appelée, alors même que le jugement est intervenu à la suite d’un débat auquel elle n’a effectivement pas participé. Sa présence ou sa vocation au procès lui ont en effet permis de faire valoir ses moyens. Afin de restreindre le domaine de la tierce-opposition, doctrine et jurisprudence utilisent la notion de représentation pour accroître l’étendue de l’autorité de la chose jugée. Elles ont à cet effet recours à une représentation implicite et même fictive. Tel est le cas de co-intéressés, qui ont des intérêts communs avec une des parties à l’instance ; ils sont réputés être représentés par cette partie. En présence de codébiteurs solidaires ou liés par une convention d’indivisibilité, le jugement rendu contre l’un d’eux ou obtenu par l’un d’eux a autorité de la chose jugée à l’égard des autres » (Cour d’appel, 15 mai 2002, n° 25975 du rôle). 19 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 942.

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A. Les tiers intéressés 5. Idées générales.- Les principes.- De prime abord, les questions auxquelles nous sommes confrontés concernant les tiers intéressés semblent pouvoir tourner autour de deux idées distinctes :

-­‐ premièrement, le procès peut affecter les droits de ces tiers ; -­‐ deuxièmement, le principe de la contradiction20 semble alors commander qu’on leur

laisse la possibilité de faire valoir leur intérêt. Néanmoins, il n’y a pas d’obligation de principe de mettre en cause tous les intéressés. Simplement, ces tiers intéressés sont protégés par plusieurs mécanismes:

-­‐ pendant le procès, ils peuvent agir en intervention21 ; -­‐ après le procès, s’ils n’ont pas agi, la décision n’a en principe pas autorité de chose

jugée à leur égard (relativité de la chose jugée22) et si la décision est opposable23 aux tiers par principe (sans avoir autorité de la chose jugée à leur égard), les tiers (non parties au lien d’instance) peuvent s’en protéger par un recours en tierce opposition24.

Les exceptions.- Il existe toutefois des exceptions à ces règles. Ainsi, il existe parfois une obligation légale de mettre en cause certains tiers intéressés : les actions attitrées exigent une certaine qualité en plus de l’intérêt ; on pense particulièrement à la question de la mise en intervention nécessaire du Centre Commun de la Sécurité Sociale (CCSS) ou du Fonds pour l’Emploi en certaines matières ou plus généralement en cas d’indivisibilité.

De même, la question de l’autorité absolue de la chose jugée (effet erga omnes de certaines décisions) semble actuellement en régression (exemple : en matière pénale) dans la mesure notamment où il porte atteinte au principe de la contradiction.

                                                                                                                         20 Section 6. - La contradiction (Nouveau code de procédure civile) : Art. 63. Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée. Art. 64. Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense. Art. 65. Le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. Art. 66. Lorsque la loi permet ou la nécessité commande qu’une mesure soit ordonnée à l’insu d’une partie, celle-ci dispose d’un recours approprié contre la décision qui lui fait grief. 21 Article 483 ss. du Nouveau code de procédure civile. 22 Article 1351 du Code civil. 23 La jurisprudence luxembourgeoise ne semble pas rigoureuse sur ces notions: en principe, tout jugement semble opposable à toute personne (même non partie) en ce sens qu’il peut être a priori invoqué au soutien d’une prétention dans tout procès (comme un fait), mais il n’est pas nécessairement revêtu de l’autorité de chose jugée contre un tiers en ce sens qu’il ne lie pas et ne s’impose pas en principe à un tiers par exemple (effet relatif). 24 Article 612 ss. du Nouveau code de procédure civile.

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6. Les mécanismes permettant à un tiers d’intervenir (volontairement ou non) dans le procès pendant ou après le procès.- Les deux mécanismes principaux permettant à un tiers d’intervenir dans la cause sont connus : il s’agit de l’intervention et de la tierce-opposition. L’intervention.- L’intervention est définie comme étant une « demande incidente par laquelle un tiers entre dans un procès déjà engagé, de son propre mouvement (intervention volontaire) ou à l’initiative de l’une des parties en cause (intervention forcée) » (Vocabulaire Cornu, v° Intervention, sens III25). Le siège de la matière se trouve aux articles 483 et suivants du Nouveau code de procédure civile et à l’article 594 du Nouveau code de procédure civile26. On distingue donc l’intervention volontaire et l’intervention forcée :

- l’intervention forcée27 est le mécanisme qui permet à une partie de faire intervenir au procès une personne qui jusque-là n’était pas impliquée afin qu’elle devienne partie au procès. L’intervention forcée conservatoire tend à rendre le jugement rendu commun au tiers pour qu’il ait l’autorité de chose jugée à son égard en vue d’empêcher ainsi une tierce opposition ; l’intervention forcée agressive tend à la condamnation personnelle du tiers ;

- l’intervention volontaire28 est le mécanisme qui permet à un tiers d’intervenir dans une instance préexistante afin d’y faire valoir ses propres moyens et demandes, auquel cas il s’agit d’une intervention volontaire agressive, ou d’appuyer la demande d’une partie afin que ses propres intérêts ne soient pas compromis, auquel cas il s’agit d’une intervention volontaire conservatoire.

A défaut de disposition similaire à l’article 66 du Code de procédure civile français (selon lequel l’intervention est « la demande dont l’objet est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires ») en droit luxembourgeois, la doctrine luxembourgeoise estime que « [l]’intervention est l’acte par lequel un tiers, c’est-à-dire une personne qui jusque-là n’était ni partie ni représentée à l’instance, devient désormais partie à la procédure avec toutes les conséquences qui s’attachent à cette qualité »29. L’intervenant perd donc sa qualité de tiers. Le jugement lui sera déclaré commun, ce qui met en échec la règle de la relativité des jugements. Le tiers ne pourra plus exercer la voie de recours extraordinaire qu’est la tierce opposition. La tierce-opposition.- La tierce-opposition se définit comme la voie de recours qui offre la possibilité à un tiers au litige originaire qui s’estime lésé par la décision intervenue dans le cadre de cette instance de porter le litige une deuxième fois devant la même juridiction dans le but de faire valoir ses moyens et arguments et de faire réexaminer le litige. L’article 612 du Nouveau code de procédure civile prévoit deux conditions à l’exercice de la tierce opposition :

                                                                                                                         25 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 10ème édition 26 Article 594 du Nouveau code de procédure civile : « Aucune intervention ne sera reçue, si ce n'est de la part de ceux qui auraient droit de former tierce opposition. » 27 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 1023 ss. 28 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 1027 ss. 29 M. Thewes, Les variations du champ processuel, Ann. Dr. Lux. 2002, p. 105 ss, spécialement p. 106.

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- le tiers ne doit pas avoir été partie à l’instance ayant abouti à la décision dont il recherche la réformation et

- il doit avoir un intérêt à agir en ce sens que la décision visée porte atteinte à ses droits.

N’est pas considéré comme tiers une partie qui, tout en ayant été appelée, sur assignation, citation ou convocation, n’a pas comparu à l’instance. Si elle a été défaillante, la voie de la tierce opposition lui est fermée. N’est pas non plus tiers et ne peut donc pas former tierce-opposition le créancier chirographaire d’une partie, sauf en cas de fraude, de dol ou d’excès de pouvoirs30. En effet alors qu’une banque voulait former tierce-opposition contre un jugement condamnant son débiteur (en état de déconfiture et défaillant) sur le fondement d’une atteinte à son droit de gage général, il a été jugé qu’« en principe, les créanciers chirographaires (…) sont représentés à l’instance par leur débiteur (…) Exception est faite dans le cas où le créancier chirographaire invoque un droit qui lui est propre, et que par conséquent le représentant n’aurait pu invoquer31 ». La même solution a été retenue pour le subrogeant32. Quant à l’intérêt à agir, il a été jugé que les bénéficiaires économiques ultimes d’une société avaient qualité et intérêt pour former tierce opposition contre un jugement de dissolution et de mise en liquidation de la société.33 Il a de même été retenu que « [s]’il n’est pas exigé que, pour pouvoir attaquer un jugement par la voie de la tierce opposition, il cause un préjudice direct et nécessaire, il faut cependant qu’il forme un préjugé défavorable à la prétention des tiers-opposant.»34, préjugé « contraire aux prétentions que le tiers opposant aurait intérêt à élever et à soutenir »35. Concernant la certitude du préjudice, on a retenu que le préjudice éventuel suffisait pour avoir intérêt à former tierce opposition.36 Sans parler de réelle troisième condition, il semble que la mise en œuvre de la tierce-opposition ait été aménagée et précisée par la jurisprudence luxembourgeoise : ainsi, dans une affaire où le liquidateur provisoire d’une société avait fait tierce opposition contre un jugement auquel il n’était pas partie, il a été jugé que : « Le tiers lésé par un jugement frappé d'appel ne peut pas former une tierce-opposition devant le premier juge et celui-ci doit se déclarer incompétent pour connaître de la tierce-opposition, si le jugement est frappé d'appel dans toutes ses dispositions. Si le jugement n'est frappé par l'appel que sur certains chefs de la demande, une tierce-opposition devant le tribunal reste possible sur les chefs passés en force de chose jugée. Il est loisible au tiers d'intervenir à l'instance d'appel. »37.

                                                                                                                         30 Cour d’appel, 15 décembre 2010, Pas.35, p.540, citée par T. Hoscheit dans Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 1250, note de bas de page n° 1275. 31 Cour d’appel, 22 novembre 2000, n° 23498 du rôle : dans l’espèce en cause, le tribunal a retenu que la banque n’invoquait pas un droit propre et restait en défaut de prouver une fraude à ses droits (la défaillance du débiteur pouvant s’expliquer par d’autres raisons que l’intention de nuire) : dès lors la banque, « en tant que créancier chirographaire n’ayant pas de droit propre, n’a pas qualité pour former tierce-opposition. 32 Cour d’appel, 27 novembre 2002, n° 25649 du rôle ; citée par T. Hoscheit dans Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 1252, note de bas de page n° 1274. 33 Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 10 avril 2008, jugement n° 476/2008, n° 112712 et 112716 du rôle. 34 Tribunal d’arrondissement de Diekirch, 26 novembre 1896, Pas. 4, p. 336. 35 CSJ (cassation), 14 février 1974, Pas. 22, p. 374. 36 CSJ (appel), 6 février 1914, Pas. 9, p. 256 ; Cour d’appel, 7 avril 2011, BIJ 1/2013, p. 2. 37 Cour d’appel, 14 juillet 2004, Pas. 32, p. 612

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Par conséquent, un tiers à la procédure peut en principe être impliqué dans un procès s’il y a un intérêt. 7. Les mécanismes obligeant une partie à mettre une personne désignée dans le procès.- Le mécanisme de l’action attitrée oblige une partie à assigner une personne désignée par la loi ou à mettre dans la cause, en plus d’autres défendeurs, une personne désignée par la loi. Les actions attitrées.- Les actions attitrées sont définies comme une « action en justice dans laquelle le droit d’agir (de discuter au fond de la prétention soumise au juge) n’est pas ouvert à tout intéressé (action dite banale) mais réservé aux personnes que la loi qualifie à cet effet, de telle sorte qu’en ces cas la demande n’est recevable que si elle émane d’une personne qui justifie de la qualité à laquelle est attaché le droit d’agir, également nommée sujet attitré ou titulaire de l’action » (Vocabulaire Cornu, v° Attitré38). Le meilleur exemple d’action activement et passivement attitrée39 est l’action en divorce ouverte aux seuls conjoints et dirigée contre leur conjoint (ou leur représentant ès qualité en cas de tutelle etc.) (article 230 et suivants du Code civil) : une action en divorce n’est pas ouverte à tout intéressé (enfants, beaux-parents…), la qualité de conjoint est nécessaire en demande et en défense. Le but est d’éviter l’ingérence d’autrui40. De même pour l’action en recherche de paternité qui n’est ouverte activement qu’à l’enfant (article 340-2 du Code civil) et passivement que contre le père prétendu ou ses héritiers (article 340-3 du Code civil) et si certains faits sont prouvés (340-1 du Code civil : inconduite notoire ou preuve par le prétendu père qu’il ne pouvait être le père). Idem en matière de filiation : « L'action en réclamation d'état ne peut être intentée que par l'enfant, par ses parents ou par ses héritiers » (article 329 du Code civil). Si ces personnes doivent avoir qualité pour agir, il n’est pas nécessairement exigé qu’elles aient un intérêt. Autres exemples de mise en intervention obligatoire de tiers en certaines matières (droit du travail et assurance).- En matière d’assurance (CCSS41) ou en droit du travail (Fonds pour                                                                                                                          38 G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 10ème édition 39 Ce verbo ne donne aucun résultat dans la jurisprudence luxembourgeoise accessible via le service de documentation du Parquet général (JUDOC) au 15 septembre 2014. 40 Sur ces questions voir aussi : G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, PUF, Thémis, 2ème édition, 1996, n° 77 (les sujets de l’action) 41 En matière d’accidents de droit commun, l’article 453 du Code de la sécurité sociale (originairement 183bis du Code des assurances sociales) prévoit que : « Mise en intervention des institutions de se curite sociale Art. 453. (alinéa 1er) Les agents de la force publique et les officiers de police judiciaire charge s de l’instruction d’une infraction pouvant donner lieu a un recours des institutions de se curite sociale en vertu des dispositions le gales en vigueur, ve rifieront si la victime de l’infraction a ou avait la qualite d’assure social. Ils recherchent les institutions de se curite sociale qui posse dent un droit le gal a re paration. (alinéa 2) Dans les affaires porte es devant les juridictions re pressives, les officiers du ministe re public sont tenus d’informer en temps utile les institutions de se curite sociale inte resse es de l’ouverture de l’instruction, de les inviter a prendre inspection des dossiers de s la clo ture de l’instruction et de leur notifier une copie de la citation a l’audience de livre e aux pre venus. En cas de constitution de partie civile, la victime ou ses ayants droit, ainsi que le tiers responsable peuvent, en tout e tat de cause, me me en appel, appeler les institutions de se curite sociale en de claration de jugement commun ou re ciproquement. Les juges peuvent ordonner, me me d’office, l’appel en de claration de jugement commun des institutions inte resse es.

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l’Emploi42), il y a obligation de mettre un tiers désigné par la loi en intervention : cette obligation générale est d’autant plus importante que parfois le tiers en question n’a pas d’intérêt (si par exemple le Fonds pour l’Emploi n’a pas payé d’indemnités de chômage au salarié, il n’a en réalité pas d’intérêt dans un tel cas). En droit du travail, ceci a posé de multiples questions et entraîné une jurisprudence abondante (notamment sur le problème des transactions entre salarié et employeur en cours de procès) : la jurisprudence a précisé notamment que le Fonds pour l’Emploi était seulement titulaire d’une action accessoire43 et en a conclu que l’Etat (représenté par le Fonds pour l’Emploi) ne pouvait plus soulever la nullité d’une transaction éventuelle entre employeur et salarié à laquelle il n’aurait pas été partie : à la suite de la renonciation du salarié (désistement d’une demande de licenciement abusif), l’action en intervention introduite par l’Etat est éteinte sans qu’il puisse s’y opposer44.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            (alinéa 3) Dans les affaires porte es devant les juridictions civiles ou commerciales, le demandeur doit appeler les institutions de se curite sociale en de claration de jugement commun, sous peine d’irrecevabilite de la demande. Les juges peuvent ordonner, me me d’office, l’appel en de claration de jugement commun de ces institutions. Il en est de me me pour les affaires porte es par citation directe devant les juridictions re pressives. (alinéa 4) Les droits de la victime assure e et de l’institution de se curite sociale inte resse e sont indivisibles. Les actes conservatoires accomplis par l’assure sortent leurs effets a l’e gard de l’institution de se curite sociale inte resse e et inversement. » 42 L’article L.521-4 (7) du Code du travail prévoit que « lors de la saisine de la juridiction du travail compétente du fond du litige, le Fonds pour l’emploi est mis en intervention par le salarié qui a introduit auprès de l’Agence pour le développement de l’emploi [Fonds pour l’emploi] une demande en obtention de l’indemnité de chômage complet. A défaut de cette mise en intervention du Fonds pour l’emploi, la juridiction saisie peut l’ordonner en cours d’instance jusqu’au jugement sur le fond. Il en est de même pour le Fonds pour l’emploi qui peut intervenir à tout moment dans l’instance engagée ». Dans ce contexte, le mot « jugement » a été considéré dans son sens le plus large, à savoir « toutes les décisions rendues par une autorité judiciaire dans ses rapports avec le justiciable. Ainsi, (…) la notion de « jugement sur le fond » englobe l’arrêt que la Cour sera amenée à prononcer pour terminer le litige. » (CSJ, 13 juillet 1995, n° 16870 du rôle, Lebon c/ Bofrost). La Cour a considéré que cette interprétation était confirmée : -­‐ par la dernière phrase finale de l’article L.521-4 (7)du Code du travail qui prévoit que « le Fonds pour

l’emploi (…) peut intervenir à tout moment dans l’instance engagée », c’est-à-dire « l’ensemble de la procédure contentieuse jusqu’à son aboutissement définitif.

-­‐ et par l’utilisation « à deux reprises de l’expression « juridiction » (et non pas « tribunal » du travail »). 43 Antérieurement, la loi du 30 juin 1976, modifiée par la loi du 12 mai 1987, les jugements ou arrêts déclarant abusif le licenciement du travailleur devaient d’office condamner l’employeur au remboursement des indemnités de chômage payées par le Fonds pour l’emploi : cette disposition ne se retrouve toutefois plus reproduite dans le texte de la loi du 26 février 1993 concernant le travail volontaire à temps partiel de sorte que « cette condamnation ne peut intervenir que sur la demande expresse du Fonds pour l’emploi » (en ce sens : CSJ, 10 mars 1994, n° 15276 et 15332 du rôle, Floener c/ Munhowen Distribution SA). Mais ceci ne permettait généralement pas à la juridiction de prononcer une condamnation faute d’éléments sur « le montant exact des indemnités de chômage indûment versées dès lors que (…), les données dont disposaient jusqu’alors les juridictions invitées à prononcer une condamnation « d’office », étaient en règle générale, en l’absence du Fonds pour l’emploi, insuffisantes pour statuer sur le remboursement » (CSJ, 30 mai 1996, n° 18472 du rôle, Lima Fernandes c/ Schaeffer). L’Etat ne dispose pas d’une action principale en recouvrement des indemnités de chômage versées au salarié : « l’action et le droit de l’Etat dépendent au vœu de l’article L.521-4 (7) du Code du travail de la saisine par le salarié de la juridiction du travail compétente au fond du litige ». Si le salarié n’agit pas, l’Etat ne peut pas faire valoir son droit à remboursement : la Cour en déduit que « l’intervention de l’Etat est à qualifier d’accessoire », qu’il s’agit donc d’une intervention volontaire dite accessoire ou conservatoire sans droit propre (par opposition à une intervention principale l’intervenant ayant un droit propre (CSJ, 21 février 2008, n° 32262 du rôle, Etat c/ Thiry). 44 La Cour de cassation a rendu un arrêt en date du 18 mars 2004 (arrêt n° 23/04) et décidé qu’ « en retenant que l’action en intervention de l’Etat était éteinte à défaut de condamnation de l’employeur à la suite d’une transaction entre celui-ci et son salarié, les juges du fond ont correctement appliqué la loi ».

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Même en cas d’action passivement attitrée, la situation est toujours régularisable45.- La jurisprudence luxembourgeoise la plus récente montre que la régularisation est possible, et suggère même que le juge doit l’ordonner d’office, concernant l’obligation de mise en cause du CCSS par exemple 46 (une décision ancienne et caduque admettait le contraire47). Ceci est encore confirmé par la jurisprudence abondante en droit du travail48. A ce sujet, M. Hoscheit indique d’ailleurs à propos du « défaut de mise en cause de toutes les parties concernées » qu’il « faut (…) admettre que l’irrégularité peut être redressée par une mise en intervention ultérieure de la partie omise »49.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           Dans le même sens : CSJ 6 avril 2006, n° 29833 du rôle, Etat c/ Salis ; CSJ, 22 novembre 2007, n° 30859 du rôle, Etat c/ Noé ; CSJ, 26 mai 2001, n° 35607 du rôle. En effet, si la transaction est inopposable à l’Etat, elle met fin au litige emportant le dessaisissement de la juridiction du travail pour statuer sur la demande en remboursement de l’organisme ayant payé les indemnités de chômage (CSJ, 5 juillet 2007, n° 31482 du rôle, Etat c/ Skikar c/ Medialux). La Cour d’appel semble suggérer qu’il en serait autrement en cas de fraude ou d’abus du droit d’agir (CSJ, 5 juillet 2007, n° 31482 du rôle, Etat c/ Skikar c/ Medialux ; CSJ, 26 mai 2001, n° 35607 du rôle). 45 A cet égard, l’article 126 du Code de procédure civile français dispose que: « Dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue. Il en est de même lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l'instance. ». 46 V. G. Ravarani, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, Pas, 3ème éd., 2014, n° 1318 ; ainsi, plusieurs décisions se sont référées à l’avis du Conseil d’Etat relatif à l’adoption de l’article 453 pour juger qu’une assignation voire un appel ne sont pas irrecevables du fait de la non mise en cause de l’organisme de sécurité sociale concerné et que cette mise ne cause peut encore intervenir en cours d’instance (Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 4 novembre 2008, n°192/08 XI et 3 mars 2009, n°61/09 XI). 47 CA 30 juin 1982, n° 5599, citée en p. 118 de l’article de Marc Thewes, Les variations du champ processuel, Annales du droit luxembourgeois, vol 12, 2002. 48 L’Etat (représenté par le Fonds pour l’emploi) « est autorisé à intervenir à tout moment dans l’instance engagée devant la juridiction du travail compétente pour connaître du fond du litige, que ce soit en première instance ou devant la juridiction d’appel » (CSJ, 24 septembre 1998, n° 20976 du rôle, Entreprise de travaux européens c/ Dos Santos c/ Etat du Grand-duché de Luxembourg ; dans le même sens : CSJ, 20 janvier 2000, n° 22746 du rôle, Hamun c/ Simao c/ Etat). Dans le même sens : Cour de cassation, 31 janvier 2013, n° 6/13, n° 3109 du registre : l’Etat peut intervenir à tout moment, même sous la forme d’un appel incident d’intimé à intimé. De même, « l’omission de l’appelant d’intimer en l’espèce l’Etat, partie en première instance, (…) ne saurait cependant entraîner l’irrecevabilité de sa voie de recours, la régularisation de la procédure consistant en la mise en intervention de cette partie omise » (CSJ, 30 janvier 1997, n° 18909 du rôle, Steffes c/ Promme). La jurisprudence relève encore que les dispositions de l’article L-521-4 (7)du Code du travail « présupposent nécessairement une indivisibilité de fait et d’intérêt entre les trois parties en cause, employeur, salarié et Etat en ce sens que le litige n’est susceptible que d’une solution unique (…) une décision de réformation aurait des conséquences pour toutes les parties ». « Or, en matière indivisible, l’appel régulièrement interjeté contre l’une des parties qui ont obtenu gain de cause devant les premiers juges est opposable aux autres, et conserve à l’appelant son droit à l’encontre de celle-ci, s’il a omis de les intimer dans les délais légaux. A l’égard de ces parties, l’appel pourra être formé ou régularisé à tout moment, tant que le juge d’appel n’aura pas définitivement statué » (CSJ, 12 février 1999, n° 20704 du rôle, Maximo c/ Eilux c/ Etat). La « demande de l’Etat ne saurait trouver une solution définitive avant une décision intervenant définitivement quant au licenciement » (CSJ, 25 février 1999, n° 22619 du rôle, Elektrohandel c/ Dondelinger c/ Etat). Une autre jurisprudence admet que « l’appel peut être formé ou régularisé à tout moment, tant que le juge d’appel n’a pas définitivement statué (Cour 11 février 1999, 31, 13) » (CSJ, 24 mai 2007, n° 31438 du rôle, Carreiro c/ Hela Bettembourg SA). 49 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 987 ; v .ég. p. 464 para 1 in fine: «Il a été admis que l’absence de qualité pour agir au jour de la demande pouvait être régularisée en cours de procédure»

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Par conséquent, s’il est fait obligation au demandeur de faire intervenir un tiers à un procès, cette obligation est régularisable en cours de procès. 8. Effet des décisions de justice sur les tiers (l’autorité de chose jugée et les tiers) 50.- Traditionnellement, en dépit du principe de l’effet relatif de l’autorité de chose jugée (article 1351 du Code civil), l’autorité de chose jugée pouvait être étendue à des personnes n’ayant pas été parties à une instance : la portée d’une décision n’était donc pas nécessairement limitée aux parties à l’instance (V. également Remarque préliminaire in fine). Une évolution en la matière semble cependant se dessiner. Absence d’autorité erga omnes des jugements rendus en matière pénale.- Concernant les décisions pénales au fond définitives, il était traditionnellement admis qu’elles exerçaient une autorité sur les décisions au civil et qu’elles étaient opposables erga omnes, c’est-à-dire à l’égard de toute personne, qu’elle ait été partie ou pas à l’instance pénale, et indépendamment de la question de savoir si elle y avait pu étayer sa cause par ses moyens et arguments, ceci pour que le juge civil ne puisse remettre en cause la culpabilité d’un individu retenue au pénal. Ainsi, par le passé, plusieurs décisions avaient retenu le principe de l’autorité absolue d’une décision pénale contre l’assureur d’un condamné bien que l’assureur ait été tiers au procès pénal51 ou « contre un tiers qui revendiquait les fonds saisis »52.

                                                                                                                         50 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 941ss.. 51 Par exemple, dans une affaire, une dame, – condamnée au pénal pour avoir causé un accident en conduisant en état d’ivresse (1,18 g/litre de sang) – a demandé au civil réparation à son assureur du dommage causé à sa voiture. L’assureur a demandé à ce que soit ordonnée une expertise pour faire constater que le taux d’alcoolémie était supérieur à 1,2 g/litre de sang pour exclure la garantie. Le tribunal statuant en première instance ainsi que la Cour d’appel ont jugé que l’autorité de la chose jugée au pénal ne pouvait plus être contestée même par un tiers, en l’occurrence l’assureur, dans le cadre d’une action civile ultérieure. La Cour d’appel a retenu que « l’autorité du criminel sur le civil représente une garantie essentielle pour les parties au procès pénal (…) qui sur base précisément des Droits de l’Homme doit primer toute autre considération tirée de cette convention » et a opposé « un refus à toute demande quelle qu’elle soit émanant de l’appelante et tendant à remettre en cause ce qui a été nécessairement et certainement jugé par la juridiction pénale » (Cour d’appel, 3 février 1998, n° 19787 du rôle, cité dans l’arrêt de cassation du 21 janvier 1999 (n° 05/99)). Dans le même sens : Cour d’appel, 26 novembre 2008, BIJ 2009, p. 36. Dans une autre affaire opposant un assuré condamné au pénal et un assureur (Cour d’appel, 4 décembre 2002, n° 26396 du rôle), les juges ont confirmé cette solution, mais distingué entre les dispositions d’ordre pénal et civil pour refuser l’argumentation tirée de l’autorité de chose jugée : « Lorsque le juge pénal a, accessoirement à l’action publique, statué sur une demande en dommages et intérêts, seules les dispositions d’ordre pénal ont une autorité absolue. En revanche, la décision intervenue sur l’action civile concernant des intérêts purement privés, ne fait autorité, conformément à la règle posée par l’article 1351 du Code civil, qu’entre les parties qui ont figuré à l’instance ou qui y ont été représentées. Le juge pénal a, en effet, rendu deux décisions distinctes, l’une répressive et l’autre civile qui, toutes deux, obéissent aux règles qui leur sont propres. Il est constant en cause que la compagnie d’assurance X, qui n’a pas été informée des poursuites pénales dirigées à l’encontre de son assurée Y, n’a pas elle-même participé à l’instance pénale. Elle n’a pas non plus été représentée à cette instance, aucun élément du dossier ne permet d’admettre le contraire. X doit partant être considérée comme un tiers au jugement correctionnel du 25 janvier 2001. Dans ces conditions, l’argumentation de Z, tirée de l’autorité de la chose jugée au civil sur le civil, tombe à faux, la condition d’identité de parties faisant défaut ». 52 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 942 ; Dans une affaire où une dame réclamait à sa banque de lui restituer un certain montant pour avoir encaissé un chèque falsifié, ce qui lui aurait causé une perte, les juges lui ont opposé une décision pénale à laquelle elle était tiers en jugeant que :

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Cependant, par la suite, en application du principe du procès équitable de l’article 6 §1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, la Cour de cassation a effectué un revirement de jurisprudence et décidé que ce principe de l’autorité erga omnes des décisions pénales était contraire aux garanties du procès équitable. En date du 21 janvier 1999, la Cour de cassation a donc cassé l’arrêt d’appel attaqué en indiquant que : « (…) l’article 6 § 1 de la Convention a un effet direct et prime le principe de droit interne consacrant l’autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil, au cas où une partie, dans un procès civil se voit opposer l’autorité d’une décision rendue dans une instance pénale à laquelle elle n’a pas participé ».53 L’action de groupe (class action).- Le droit luxembourgeois ne connaît pas encore l’action de groupe. Cependant, la Commission de l’Union européenne a émis le 11 juin 2013 une recommandation relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation dans les Etats membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l’Union54. Cette recommandation tend à faciliter l’accès à la justice, que ce soit pour des actions en cessation ou en réparation de préjudices de masse causés par une violation des droits conférés par le droit de l’Union, tout en interdisant les dommages-intérêts punitifs. La recommandation invite les Etats à favoriser les modes alternatifs de règlement des conflits collectifs et les transactions collectives. Les Etats membres devraient transposer les principes énoncés dans la recommandation jusqu’au 26 juillet 2015 au plus tard.55 Cependant, cette recommandation n’a pas encore été suivie d’effet en droit luxembourgeois à ce jour. 10. Brève conclusion intermédiaire.- Au vu de ce qui précède et sous réserve de l’évolution de la jurisprudence en matière de représentation fictive ou implicite (Cf. Remarque préliminaire), il semble que le tiers intéressé à la procédure soit efficacement protégé des effets des jugements auxquels il n’a pas

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           « La fonction essentielle de l’autorité de la chose jugée au pénal est probatoire en ce sens que le plaideur qui invoque en sa faveur les affirmations du juge pénal ayant autorité de chose jugée, possède des éléments de preuve que le juge civil ne peut ni méconnaître, ni remettre en question (Encyclopédie Dalloz, Vo Chose Jugée, numéro 208, mise à jour avril 1996). (…) Les affirmations concernant des questions de nature civile ont une autorité absolue si le juge pénal a dû nécessairement les envisager pour justifier sa décision (Encyclopédie Dalloz, Vo Chose Jugée, numéro 227, mise à jour avril 1996). Tel est le cas en l’espèce où la juridiction pénale doit, aux fins de pouvoir ordonner la mesure pénale de la restitution des sommes saisies par la police, s’exprimer sur la question de leur propriété. Or, le jugement du 18 février 1999 énonce à cet égard expressément que X « n’a pas prouvé que les fonds saisis étaient sa propriété », retenant qu’il résulte tout au contraire des éléments du dossier répressif tels qu’y spécifiés « que le montant de 33.337,20.- Dollars US est la propriété d’Y » et qu’ « il y a partant lieu d’ordonner la restitution des fonds saisis suivant procès-verbal n°923 du 7 juillet 1994 à son légitime propriétaire », soit Y. » (Cour d’appel, 6 juin 2001, n°24649 du rôle). 53 Cour de cassation, 21 janvier 1999, n° 05/99. 54 Recommandation 2013/396/UE, publiée au Journal officiel de l’Union Européenne du 26 juillet 2013, L 201. 55  Etant rappelé qu’aux termes de l’article 288, alinéa 5 du Traité sur le Fonctionnement de l’union Européenne, « Les recommandations et les avis ne lient pas »  

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participé par les différents mécanismes et règles actuellement en vigueur au Grand-duché de Luxembourg. B. Les tiers désintéressés 11. Idées générales.- Les tiers désintéressés (les penitus extranei) n’ont pas d’intérêt personnel à faire valoir et n’ont donc en principe pas vocation à entrer dans le procès. En conséquence, leur intervention dans le procès est normalement irrecevable faute d’intérêt56. Toutefois, des tiers désintéressés sont parfois autorisés à intervenir en tant que partie au procès pour défendre des intérêts qui ne sont pas les leurs : ce sont des parties qui ont le droit d’agir sans intérêt personnel. Métaphoriquement, ces parties sont autorisées à se mêler de ce qui ne les regarde pas directement. C’est le cas de figure particulier des actions attitrées57 (hypothèses où la qualité pour agir se substitue à l’intérêt : cf. supra n° 7) ou plus généralement des actions des associations défendant des intérêts collectifs58, des syndicats ou du ministère public par exemple quand il est partie principale.

Le cas du ministère public partie jointe est sans doute plus délicat au regard de la notion de « tiers » dans la mesure où il rend en principe un avis destiné à aider le juge : en tant que partie jointe il est a priori « partie ». Cependant, si, d’un côté, il semble être exigé qu’il soit impartial (puisque la procédure de récusation lui est applicable), il semble aussi qu’il puisse être considéré comme un adversaire objectif59. 12. Le droit d’agir des groupements.- Le droit d’agir des groupements est reconnu depuis longtemps par la jurisprudence luxembourgeoise. La loi a toutefois récemment précisé certaines conditions à remplir pour les groupements de protection des intérêts collectifs des consommateurs. Les groupements en général.- L’action des groupements est généralement admise dès lors que le groupement a la personnalité juridique, que son objet social protège les intérêts qu’il entend défendre en justice60 et que « l’action collective est dictée par un intérêt corporatif caractérisé et qu’elle a pour objectif de profiter à l’ensemble des associés »61.                                                                                                                          56 Sur la question de l’intérêt à agir, voir T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 896 ss.. 57 Sur ces questions voir aussi : G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, PUF, Thémis, 2ème édition, 1996, n° 77 (les sujets de l’action). 58 S. Guinchard, C. Chainais, F. Ferrand, Procédure civile, Précis Dalloz, 32ème éd., n° 144 ss. c, p. 156. 59 Un magistrat indépendant - comme le commissaire du gouvernement - : qui est considéré comme l’ « adversaire objectif » d’une partie simplement parce qu’il a donné un avis favorable à l’autre. CEDH, 7 juin 2001, n° 39594/98, Kress c. France, spéc. paragraphes 81 et 82. 60 Il a même été jugé que la protection d’intérêts ne devait pas se limiter à un domaine en particulier mais qu’il était admis que le groupement pouvait œuvrer dans un domaine plus large que l’intérêt défendu. (Tribunal administratif, 30 juin 2008, n°22984). 61 Conseil d’Etat, 9 avril 1979, Pas. 25, p. 5 ; Conseil d’Etat, 17 février 1987, Pas. 27, p. 7.

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Elle est en principe refusée lorsque l’intérêt collectif se confond avec l’intérêt général de la collectivité, parce que « par leur action, elles [les associations] empièteraient sur les attributions des autorités étatiques, administratives et répressives, auxquelles est réservée la défense de l’intérêt général (tribunal administratif du 21 mai 2003, n°15449) »62. C’est ainsi que « sera généralement exclue l’action des groupements qui se sont constitués à des fins autres que la défense en commun des intérêts particuliers – au sens traditionnel du terme – de leurs membres »63. Les groupements de protection des intérêts collectifs des consommateurs.- Le législateur luxembourgeois a expressément reconnu à des groupements de protection des intérêts collectifs des consommateurs le droit d’exercer des actions en cessation de certaines activités contraires aux dispositions du Code de la consommation :

- pour y être autorisée, l’association doit avoir comme objet la protection des intérêts collectifs des consommateurs ; elle doit avoir, à la date de la demande d’agrément, au moins une année d’existence, justifier d’une activité effective et publique en vue de la défense des intérêts collectifs des consommateurs, réunir à la date de sa demande d’agrément, un nombre de membres suffisant et elle doit encore être valablement constituée au regard de la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et les fondations sans but lucratif (article 313-1 du Code de la consommation) ;

- à ces conditions relatives à l’association même s’ajoutent deux conditions quant à l’action : (i) les intérêts protégés par ces organisations doivent être lésés et (ii) l’action qu’elles intentent doit être justifiée par leur objet social (article 313-2 du Code de la consommation). Ces conditions valent également pour les organisations inscrites sur la liste publiée au Journal officiel de l’Union européenne en application de l’article 4, point 3 de la directive 2009/22/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs lorsqu’elles veulent agir devant la juridiction luxembourgeoise compétente pour faire cesser ou interdire tout agissement illicite ;

- les actions en cessation pour violation de différentes dispositions du Code de la consommation sont prévues aux articles 320-1 – 320-7 dudit code. Il s’agit notamment des dispositions relatives à l’indication des prix, aux pratiques commerciales déloyales et agressives, aux clauses abusives et aux des contrats à distance.

                                                                                                                         62 M. Feyereisen et B. L. Pochon, L’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, Promoculture Larcier, 2015, p. 536. 63 M. Elvinger et D. Spielmann, « Les associations et groupements de personnes dans la vie juridique luxembourgeoise », Bulletin du Cercle François Laurent, 1995, I, p. 175. Dans une affaire où une association sans but lucratif qui œuvrait pour la protection de l’environnement avait formé un recours contre une décision ministérielle autorisant une société à raccorder 225 kV d’un poste haute tension à un autre, la Cour administrative a reconnu l’intérêt à agir de ladite association en jugeant que : « Eu égard à la circonstance qu'en matière pénale, l'Etat a admis que, parallèlement à sa propre action, un autre organisme qui s'est chargé de la défense de l'intérêt général, puisse faire contrôler, par le juge, le respect de la réglementation en vigueur, la reconnaissance de l'intérêt à agir pour la défense de l'intérêt général est d'autant plus importante en matière administrative où, contrairement à la matière pénale, il n'y a pas deux acteurs parallèles pouvant déclencher une action en justice, puisque l'un des acteurs potentiels, à savoir l'Etat, n'est conceptuellement pas appelé à agir contre des violations de la législation sur l'environnement, étant donné qu'il est l'auteur de la décision à laquelle il est reproché de porter atteinte à la législation afférente. Etant donné, par ailleurs, qu'il se peut qu'une autorisation illégale n'affecte pas individuellement une personne pouvant alors justifier d'un intérêt à agir personnel, les associations de défense de l'environnement peuvent, le cas échéant, être les seules à pouvoir faire contrôler et sanctionner, par un juge, une violation alléguée de la législation environnementale » (Cour administrative, 22 mars 2010, n°26739C du rôle).

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Dans ces conditions, il semble que les groupements lorsqu’ils ne défendent pas directement leur intérêt personnel peuvent à la fois agir en tant que demandeur initial et intervenir volontairement en cours de procès. 13. L’intervention du Ministère Public dans les affaires civiles.- L’intervention du Ministère Public peut revêtir deux formes dans les affaires civiles : Le Ministère Public, partie principale.- Parfois, le Ministère Public joue un rôle analogue à celui qu’il a en matière pénale : il est partie principale au procès civil. Il a alors « toutes les prérogatives et les charges »64 d’une partie. Il peut être partie principale tant en demande qu’en défense65 (dans ce dernier cas, il doit être « assigné directement, en l’absence de partie défenderesse identifiable » par exemple66). Mais c’est seulement lorsque le Ministère Public est partie principale qu’il peut déclencher le procès ex officio67 en tant que demandeur. Des dispositions spéciales prévoient que le Parquet peut agir comme partie principale68. L’opinion traditionnelle voulait qu’il ne puisse le faire que dans ces cas spécifiés par la loi69, la défense des intérêts privés étant en principe laissée aux parties privées. C’est la solution que suggère l’alinéa 1er de l’article 74 de loi du 7 mars 1980 sur l'organisation judiciaire : « En matière civile, le ministe re public agit d'office dans les cas spécifiés par la loi». Il faut toutefois aussi tenir compte de l’alinéa 2 du même article : « Il poursuit d'office l'exe cution des lois, reglements et jugements dans les dispositions qui intéressent l'ordre public. » Sur le fondement de textes analogues, une jurisprudence ancienne octroyait au Ministère Public une faculté générale d’agir comme partie principale pour la défense de l’ordre public70. En France71 et en Belgique72, la solution a été consacrée par des textes explicites. Même si ces textes n’existent pas au Luxembourg, il semble que la solution traditionnelle doive être maintenue73. Le Ministère Public, partie jointe.- Dans d’autres hypothèses, le Ministère Public n’est que partie jointe. En principe, il intervient alors seulement pour « exprimer son avis sur l’affaire dont le Tribunal est saisi »74. Dans ce cas, il n’est pas partie au procès « à part entière »75 et                                                                                                                          64 Solus & Perrot, Droit judiciaire privé, t. 3, Procédure de 1ère instance, n° 231. 65 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-Duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, 2014, n° 588 ; v. ég. Cornu & Foyer, Procédure civile, PUF, 1996, n° 115 a. 66 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-Duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, 2014, n° 588, paragraphe 2. 67 Comp. M. Lemaire, Rep. Proc. Civ. D. 1956, v° Ministère Public, n° 115. 68 A titre d’exemples, on peut évoquer l’article 339 alinéa 2 du Code civil (contestation d’une reconnaissance en matière de filiation naturelle ; v. p. ex. TAL, 5 décembre 1980, JUDOC 98008954), l’article 444-1 du Code de commerce (demande en interdiction d’exercer contre des dirigeants sociaux) ou l’article 203 de la loi sur les sociétés (demande en liquidation). 69 M. Lemaire, Rep. Proc. Civ. D. 1956, v° Ministère Public, n° 115. 70 M. Lemaire, Rep. Proc. Civ. D. 1956, v° Ministère Public, n° 116 sq. 71 V. article 422 du Code de procédure civile français : « Le ministère public agit d'office dans les cas spécifiés par la loi. » et article 423 : « En dehors de ces cas, il peut agir pour la défense de l'ordre public à l'occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci. » 72 V. Code Judiciaire belge article 138 bis al 1er in fine : « Le ministère public agit d'office dans les cas spécifiés par la loi et en outre chaque fois que l'ordre public exige son intervention. » ; et v. ég. G. Leval & F. Georges, Précis de droit judiciaire, t. 1, Larcier, 2010, n° 384. 73 Comp. TAL, 27 janvier 1988, JUDOC 98811551 & 98809858. 74 Solus & Perrot, Droit judiciaire privé, t. 3, Procédure de 1ère instance, n° 231. V. ég. article 424 du Code de procédure civile français : «Le ministère public est partie jointe lorsqu'il intervient pour faire connaître son avis sur l'application de la loi dans une affaire dont il a communication. »

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ne dispose pas de tous les droits d’une partie : ainsi, sous certaines réserves, il semble que l’appel dirigé à son encontre soit irrecevable76, et qu’il ne puisse pas non plus relever appel77. En principe, le Ministère Public peut devenir partie jointe dans toutes les affaires civiles. Aux termes de l’article 183 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile, il a la faculté de « prendre communication de toutes les (…) causes dans lesquelles il croira son ministere necessaire ». Le Tribunal peut aussi ordonner d'office la communication78. La solution vaut devant la Cour d’appel par l’effet de l’article 587 du Nouveau code de procédure civile79. Toutefois, rien n’est prévu devant les juges de paix et les juridictions du travail80. Dans certains cas, la communication au Ministère Public est non seulement possible, mais obligatoire. En toute rigueur, les termes d’ « affaires communicables » ne devraient être employés que dans cette dernière hypothèse81. Lorsque l’affaire est communicable, le Parquet est obligé de déposer82. L’obligation de communiquer au Parquet est imputée au juge et non aux parties (Règlement grand-ducal du 29 juin 1990, article 2383), qui n’ont donc pas à assigner le Parquet. Le cas échéant, le défaut d’intervention du Ministère Public peut entraîner la nullité du jugement84. L’irrégularité est en principe sanctionnée par la requête civile (article 617. 8° du Nouveau code de procédure civile85) ; mais le recours en cassation est possible « si le défaut de communication en première instance a été invoqué en appel et si ces conclusions ont été rejetées »86. Un certain nombre d’affaires communicables sont visées à alinéa 1er de l’article 183 du Nouveau code de procédure civile : « Seront communique es au procureur d’Etat les causes suivantes: 1) celles qui concernent l'ordre public; 2) celles qui concernent l'etat des personnes, a l'exception des causes de divorce et de se paration de corps, et celles qui sont relatives a l'organisation de la tutelle des mineurs, a l'ouverture, a la modification ou a la mainlevee des tutelles ou curatelles des majeurs ainsi qu'a la sauvegarde de justice; 3) les re glements de juge, les recusations et renvois; 4) les prises a partie; 5) les causes concernant ou inte ressant les personnes presumees absentes. ».

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           75 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 586 76 En ce sens, v. T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 586, qui cite notamment CA, 5 avril 2000, n° 24145 et CA, 19 décembre 2000, n° 24333. Toutefois l’arrêt de CA, 18 novembre 1998, 31, 69 semble n’exclure l’appel contre le Ministère Public partie jointe que lorsqu’il n’a pas conclu contre l’appelant en première instance. 77 V. T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 586, qui cite un arrêt de la Cour d’appel rendu le 4 décembre 2002, en note 514. 78 Pour un exemple, v. TAL, 7 mai 2001, JUDOC 99833569. 79 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 587. 80 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 587. En France, en revanche, la solution a une portée générale – V. Solus & Perrot, Droit judiciaire privé, t. 3, Procédure de 1ère instance, n° 231. 81 S. Guinchard, C. Chainais & F. Ferrand, Procédure civile. Droit interne et droit de l’UE, Précis Dalloz, 32ème éd., 2014, n° 859 et comp. ég. n° 860 ; Solus & Perrot, Droit judiciaire privé, t. 3, Procédure de 1ère instance, n° 233. 82 S. Guinchard, C. Chainais & F. Ferrand, Procédure civile. Droit interne et droit de l’UE, Précis Dalloz, 32ème éd., 2014, n° 860. 83 Article 23 du Règlement grand-ducal du 29 juin 1990 : «La communication au ministe re public est, sauf disposition particulie re, faite a la diligence du juge. Elle doit avoir lieu en temps voulu pour ne pas retarder le jugement. Lorsqu'il y a eu communication, le ministe re public est avis. de la date de l'audience.» 84 V. T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 587 ; Doc. Parl. n°° 5213/4 et CA, 29 juin 1999, 31, 159 qui exige même l’intervention orale du Parquet à peine de nullité. 85 V. ég. Cass. 15 février 1996, 30, 1. 86 Doc. Parl. n° 5213/3 ; et v. Cass. 26 février 1998, 30, 415.

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Des textes spéciaux prévoient encore une obligation de communiquer certaines affaires au Ministère public. Par exemple : procédure de faux incident civil (article 347 du Nouveau code de procédure civile), désaveu d’un avocat constitué (article 503 du Nouveau code de procédure civile), etc. A cet égard, M. Hoscheit note également que « si les juges estiment avoir décelé une infraction pénale, l’article 23 du Code d’instruction criminelle les oblige à donner connaissance des faits au Ministère Public »87: ceci ne correspond toutefois pas nécessairement à un véritable cas de « communication », dans la mesure où, à lire ce texte, le juge civil pourrait sans doute informer le Parquet à l’insu des parties (sauf les difficultés qui pourraient en résulter au regard des droits de la défense). 14. Brève conclusion intermédiaire.- Certains tiers désintéressés se voient donc reconnaître un droit d’agir et d’intervenir dans la procédure. C’est le cas lorsqu’ils défendent un intérêt corporatif caractérisé qui profite à l’ensemble de leurs associés (c’est aussi un peu le mécanisme des ligues de défense, constituées spécialement pour défendre les intérêts communs de leurs membres). Il en est de même pour les associations de consommateurs dans les limites précisées par la loi. Le Ministère Public, qui représente in fine l’intérêt général de la société a également la faculté d’intervenir à la procédure s’il l’estime nécessaire ou même a le devoir d’intervenir si les affaires sont dites communicables, ce qui vise notamment les causes concernant l’ordre public. Dans cette dernière fonction, à savoir comme partie jointe, le rôle du Ministère Public se rapproche toutefois de de celui d’un « tiers » dans la procédure dans la mesure où il ne dispose pas de tous les droits d’une partie et devrait rendre un avis destiné à éclairer le juge.

                                                                                                                         87 v. T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 588 in fine-

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II. LES TIERS DANS LA PROCEDURE Au regard de l’analyse motulskienne mentionnée en introduction, il y a également lieu d’évoquer les tiers à la relation substantielle qui sont parties prenantes du processus de justice et en tant que tels impliqués dans la procédure ou plutôt au service de la procédure. En effet, la procédure a nécessairement besoin des tiers (a minima : le juge, sinon les experts judiciaires, les témoins, etc.). Pour qu’une décision soit rendue, il faut donc encadrer l’implication des tiers qui collaborent à la justice dans la mesure où ces tiers dans le procès sont amenés à participer à la prise de décision : des obligations spécifiques reposent donc sur eux. Nous distinguerons à nouveau les tiers désintéressés (A) et les tiers intéressés ou éventuellement intéressés (B). A. Les tiers désintéressés 15. Idées générales.- Puisque ces tiers sont censés collaborer à la décision, on leur demande d’être totalement tiers, totalement désintéressés : l’obligation d’impartialité (obligation de ne pas être partie, ni liés aux parties ou de ne pas prendre parti) s’impose à ces acteurs du procès. Le meilleur exemple est le juge. Si le juge est tiers par rapport aux parties88, il n’est pas tiers à la procédure : il est pris dans le lien d’instance89, ce qui lui impose certaines obligations. En plus de l’obligation fondamentale d’impartialité, le juge a une obligation de statuer (sinon il y a déni de justice90), de requalifier91, de relever d’office les moyens de droit92, de respecter et faire respecter le principe de la contradiction93, etc. La jurisprudence française94 a eu ainsi l’occasion de rappeler que le premier juge par exemple n’est pas une partie : « l’auteur de la décision n’est qu’un rouage du processus de justice,

                                                                                                                         88 S. Guinchard, C. Chainais et F. Ferrand, Procédure civile, 32è édition, n° 1014 ss. : les auteurs relèvent que selon la doctrine italienne, « l’activité du juge est spécifique, est juridictionnelle, parce qu’elle intervient comme un tiers, comme un étranger aux intérêts en cause qu’il y ait litige ou non » ; « il faut que celui qui procède à la vérification de la situation juridique par une constatation soit un tiers étranger aux intérêts en cause, inspiré par le seul souci de faire respecter la légalité » (n° 1015, 1)). 89 S. Guinchard, C. Chainais et F. Ferrand, Procédure civile, 32è édition, n° 382 (le juge élément de l’instance). 90 Article 4 du Code civil. 91 V. Bolard, La Cour de cassation consacre l’obligation de requalifier – A propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2011, JTL 2012, n° 19, p. 8. 92 S. Menétrey et V. Bolard, Le plein office du juge et le rôle des parties, note sous Cour de cassation, 24 octobre 2013, n° 63/13, n° 3231 du registre et Cour de cassation, 24 octobre 2013, n° 62/13, Jurisnews, Vol. 2, n° 3-4/2013. 93 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 44 ss.. 94 Civ. 2e, 7 juin 1989, n° 88-11.1414, Bull. civ. II, n° 125 : cité dans Guinchard et alii, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz action (2012-2013), n° 551.61, note de bas de page n° 5.

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insusceptible d’interférer dans une procédure au-delà de sa mission95 », ce qui s’applique au juge et à l’arbitre. Ils ne peuvent donc agir par la voie de la tierce-opposition. Ceci vaut certainement pour l’expert judiciaire ou encore l’amicus curiae96 : « Le technicien commis dans le cadre d’une procédure judiciaire est tenu des mêmes obligations que le juge : il doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité, et il doit veiller en tout état de cause à préserver le caractère contradictoire de ses opérations97 ». 16. Le juge, acteur éminent du processus de justice.- Le juge est un acteur prépondérant du procès. Ceci explique les garanties particulières mises en place pour maintenir et sauvegarder son indépendance par rapport à toute pression extérieure et les règles diverses applicables permettant de préserver son impartialité et guider son office. Un tribunal indépendant et impartial.- L’instance doit se dérouler devant un tribunal indépendant et impartial. L’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme98 est incontournable en la matière. Cet article a notamment justifié la condamnation du Grand-duché dans le fameux arrêt Procola (CEDH, 28 septembre 1995, série A, n° 326) : la confusion de fonctions consultatives et de fonctions juridictionnelles dans le chef de conseillers d’Etat « est de nature à mettre en cause l'impartialité structurelle » du Conseil d’Etat99 ; La Cour Européenne des Droits de l’Homme a eu l’occasion de se prononcer et « a jugé que pour déterminer si un organe peut passer pour indépendant, notamment à l’égard de l’exécutif et des parties, elle doit avoir égard « au mode de désignation et à la durée du mandant de ses membres, à l’existence de garanties contre des pressions extérieures et au point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance » (CEDH arrêt Delcourt, 17 janvier 1970 : Campbell et Fall, 28 juin 1984 ; Sramek, 22 octobre 1984)100 » ;

                                                                                                                         95 S. Guinchard et alii, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz action (2012-2013), n° 551.61. 96 S. Menétrey, L'amicus curiae, vers un principe commun de droit procédural? Paris, Dalloz, 2010, 506 pages. 97 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 754. 98 Article 6 alinéa 1 CEDH : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. ». 99 Dans l’affaire Procola contre Luxembourg portée devant la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour a jugé que : « (…) il y a eu confusion, dans le chef de quatre conseillers d'Etat, de fonctions consultatives et de fonctions juridictionnelles. Dans le cadre d'une institution telle que le Conseil d'Etat luxembourgeois, le seul fait que certaines personnes exercent successivement, à propos des mêmes décisions, les deux types de fonctions est de nature à mettre en cause l'impartialité structurelle de ladite institution. En l'espèce, Procola a pu légitimement craindre que les membres du comité du contentieux ne se sentissent liés par l'avis donné précédemment. Ce simple doute, aussi peu justifié soit-il, suffit à altérer l'impartialité du tribunal en question, ce qui dispense la Cour d'examiner les autres aspects du grief. » (CEDH, 28 septembre 1995, série A, n° 326, point n° 45). 100 S. Guinchard, C. Chainais et F. Ferrand, Procédure civile, 32è édition, n° 1032.

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En ce qui concerne l’impartialité, la jurisprudence interne101 utilise les mêmes concepts que la Cour Européenne des Droits de l’Homme et distingue entre l’impartialité objective, « c’est-à-dire selon les fonctions exercées et les actes accomplis antérieurement par les magistrats composant la juridiction » et l’impartialité subjective, « fondée sur les pensées du juge en son for intérieur »102. En droit luxembourgeois, plusieurs bases légales assez dispersées visent à garantir l’indépendance et l’impartialité des juges:

- si aucun article de la Constitution ne consacre expressément le principe d’indépendance des juges, ce principe résulte implicitement des règles constitutionnelles concernant le statut personnel des juges, leur nomination, leur inamovibilité, la fixation de leurs traitements et les incompatibilités relatives à leurs fonctions. Si, à la suite d’une révision constitutionnelle le 20 avril 1989, le principe de l’inamovibilité a d’ores et déjà remplacé la nomination à vie prévue à l’article 91 de la Constitution103 - ceci dans le but de « protéger les juges contre toute ingérence ou pression de la part des pouvoirs politiques leur garantissant qu’une fois nommés, ils ne pourront plus être révoqués104 » -, une proposition de révision (Doc. parl. n° 6030) de la Constitution propose aujourd’hui de confirmer leur indépendance.

- le Nouveau Code de Procédure civile prévoit également certains garde-fous : l’article

511 du Nouveau code de procédure civile permet à une partie de demander le renvoi à un autre tribunal si l’une des parties a des relations familiales avec un juge siègeant dans l’affaire105 et l’article 521 du Nouveau code de procédure civile énonce certains cas de récusation106 ;

                                                                                                                         101 Dans une affaire où un juge-commissaire avait siégé dans une action en comblement de passif introduite par le curateur, la Cour d’appel a ainsi jugé que : « Par opposition à l'impartialité subjective, l'impartialité objective s'entend d'une « démarche (qui) conduit à se demander, lorsqu'une juridiction collégiale est en cause, si, indépendamment de l'attitude personnelle de tel de ses membres, certains faits vérifiables autorisent à mettre en cause l'impartialité de celle-ci ». En d'autres termes, il s'agit de s'assurer qu'un juge ou un tribunal « (offre) des garanties suffisantes pour exclure (…) tout doute légitime (quant à son impartialité) » (…) Il faut dès lors observer les circonstances, relever des faits objectivement vérifiables pour savoir s'ils sont ou non de nature à justifier un tel doute. Dans l'arrêt MOREL, la Cour de Strasbourg a assigné de strictes limites à l'exigence de l'impartialité objective. Ainsi – « le simple fait, pour un juge, d'avoir pris des décisions avant le procès ne peut pas passer pour justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité », « la connaissance approfondie du dossier par le juge n'implique pas un préjugé empêchant de le considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond » et « l'appréciation préliminaire des données disponibles ne saurait non plus passer comme préjugeant l'appréciation finale ». » (Cour d’appel, 28 novembre 2012, n° 38199 du rôle). 102 S. Guinchard, C. Chainais et F. Ferrand, Procédure civile, 32è édition, n° 1033. 103 Article 91 de la Constitution : « «Les juges de paix, les juges des tribunaux d’arrondissement et les conseillers de la Cour sont inamovibles. » - Aucun d’eux ne peut être privé de sa place ni être suspendu que par un jugement. - Le déplacement d’un de ces juges ne peut avoir lieu que par une nomination nouvelle et de son consentement. Toutefois, en cas d’infirmité ou d’inconduite, il peut être suspendu, révoqué ou déplacé, suivant les conditions déterminées par la loi. » 104 Doc. parl. n° 3234, exposé des motifs, p. 1. 105 (Article 511 du Nouveau code de procédure civile) le renvoi devant un autre tribunal peut ainsi être demandé lorsque l’autre partie « aura deux parents ou alliés, jusqu'au degré de cousin issu de germain inclusivement, parmi les juges d'un tribunal de première instance, ou trois parents ou alliés au même degré dans une cour d'appel; ou lorsqu'elle aura un parent audit degré parmi les juges du tribunal de première instance, ou deux parents dans la cour d'appel, et qu'elle-même sera membre du tribunal ou de cette cour ». 106 L’article 521 du Nouveau code de procédure civile prévoit que : « Tout juge peut être récusé pour les causes ci-après:

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- concernant les conseillers de la Cour de cassation, l’article 37 de la loi modifiée sur

l’organisation judiciaire du 7 mars 1980 dispose que : « Les membres de la cour supérieure de justice qui ont concouru à l'arrêt ou au jugement attaqué, ou qui ont connu de l'affaire antérieurement comme juges, ne peuvent pas siéger en cassation; il en est de même pour les officiers du ministère public promus aux fonctions de juge qui ont pris antérieurement des conclusions dans l'affaire. » Concernant les juges du tribunal d’arrondissement et les conseillers de la Cour d’appel, aucune disposition législative ne prescrit qu’ils ne doivent pas siéger dans une affaire en appel dans laquelle ils ont déjà siégé en première instance. La Cour de cassation a toutefois jugé que « la juridiction du second degré doit avoir une composition entièrement différente de celle du premier degré107 » sous peine de nullité à soulever d’office par la Cour de cassation le cas échéant.

Encadrement de l’office du juge.- Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que le juge a l’obligation de requalifier108 (Cass. 10 mars 2011, n° 18/11) ; cette obligation est toutefois limitée aux faits spécialement invoqués par les parties dans la mesure notamment où                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            1° s’il est parent ou allié des parties, ou de l’une d’elles, jusqu’au degré de cousin issu de germain inclusivement; 2° si le conjoint ou le partenaire, au sens de la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats, du juge est parent ou allié de l’une des parties, ou si le juge est parent ou allié du conjoint ou du partenaire d’une des parties, au degré ci-dessus, lorsque le conjoint ou le partenaire est vivant, ou qu’étant décédé, il en existe des enfants; s’il est décédé et qu’il n’y ait point d’enfants, ni les beaux-parents, ni le gendre, ni la bru, ni les beaux-frères ni les belles-sœurs pourront être juges; La disposition relative au conjoint ou au partenaire décédé s’applique au conjoint divorcé ou au partenaire en cas de fin de partenariat, s’il existe des enfants du mariage dissous ou du partenariat ayant pris fin; 3° si le juge, son conjoint, leurs ascendants et descendants ou alliés dans la même ligne, ont un différend sur pareille question que celle dont il s’agit entre les parties; 4° s’ils ont un procès en leur nom dans un tribunal où l’une des parties sera juge; s’ils sont créanciers ou débiteurs d’une des parties; 5° si, dans les cinq ans qui ont précédé la récusation, il y a eu procès criminel entre eux et l’une des parties, ou son conjoint ou ses parents ou alliés en ligne directe; 6° s’il y a procès civil entre le juge, son conjoint, leurs ascendants et descendants, ou alliés dans la même ligne, et l’une des parties, et que ce procès, s’il a été intenté par la partie, l’ait été avant l’instance dans laquelle la récusation est proposée; si ce procès étant terminé, il ne l’a été que dans les six mois précédant la récusation; 7° si le juge est tuteur, subrogé-tuteur ou curateur, héritier présomptif, ou donataire, maître ou commensal de l’une des parties; s’il est administrateur de quelque établissement, société ou direction, partie dans la cause; si l’une des parties est sa présomptive héritière; 8° si le juge a donné conseil, plaidé ou écrit sur le différend; s’il en a précédemment connu comme juge ou comme arbitre; s’il a sollicité, recommandé ou fourni aux frais du procès; s’il a déposé comme témoin; si depuis le commencement du procès il a bu ou mangé avec l’une ou l’autre des parties dans leur maison, ou reçu d’elle des présents ; 9° s’il y a inimité capitale entre lui et l’une des parties; s’il y a eu, de sa part, agressions, injures ou menaces, verbalement ou par écrit, depuis l’instance ou dans les six mois précédant la récusation proposée. » 107 « Bien que l’incompatibilité entre les fonctions du magistrat qui a concouru au jugement de première instance et celles du magistrat qui doit connaître en instance d’appel de ce jugement frappé d’appel, ne soit décrétée ni par l’art. 43 de la loi du 18 février 1885 sur l’organisation judiciaire, lequel ne vise que la composition de la cour de cassation, ni par aucun autre texte de loi, cette incompatibilité, même en l’absence de tout texte, doit toutefois être admise en vertu du principe même du double degré de juridiction qui constitue une des règles fondamentales de notre organisation judiciaire et qui a pour conséquence nécessaire que la juridiction du second degré doit avoir une composition entièrement différente de celle du premier degré. Il s’ensuit que la présence, au sein de la juridiction d’appel, d’un magistrat qui, en première instance, avait concouru au jugement frappé d’appel, constitue une cause de nullité de la décision d’appel, et cette nullité, étant d’ordre public, doit être soulevée d’office par la cour de cassation. » (Cass. 1er juin 1954, Pas.16, p. 109). 108 V. Bolard, La Cour de cassation consacre l’obligation de requalifier – A propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 2011, JTL 2012, n° 19, p. 8.

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« les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à (…) fonder leurs prétentions » (article 55 du Nouveau code de procédure civile) et où « le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat » (article 56 du Nouveau code de procédure civile). Mais, bien entendu, le juge peut inviter les parties à fournir les explications de fait qu’il estime nécessaire à la solution du litige (article 57 du Nouveau code de procédure civile). De même, le juge a l’obligation de relever d’office les moyens de droit (Cass. 24 octobre 2013, n° 63/13 - visant expressément l’article 61 du Nouveau code de procédure civile109), tout en préservant les droits de la défense en appliquant notamment le principe de la contradiction (Cass. 24 octobre 2013, n° 62/13– visant notamment l’article 65 du Nouveau code de procédure civile sur la contradiction): « dans les procédures écrites soumises à la mise en état, les plaideurs doivent pouvoir prendre position dans des conclusions écrites110 » (par opposition à une position orale lors de l’audience des plaidoiries), ceci afin de garantir in fine l’effectivité de la contradiction. Même s’il doit être le seul à statuer (comp. articles 438 et 449 du Nouveau code de procédure civile), le juge n’est pas le seul acteur du processus de justice: le juge peut ainsi s’entourer d’autres personnes et de manière générale « commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien » aux termes de l’article 432 du Nouveau code de procédure civile. 17. Le technicien désigné par le juge.- Le Nouveau code de procédure civile énonce plusieurs types de mesures dont peut être chargé un technicien désigné par le juge : constatation, consultation ou expertise (article 432 du Nouveau code de procédure civile)111. Toutefois, l’article 351 du Nouveau code de procédure civile dispose qu’une mesure d’instruction ne peut être « ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver » (alinéa 1er), sous la limite qu’elle ne peut être ordonnée pour « suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve » (alinéa 2). Si la conciliation de ces deux alinéas peut paraître difficile à première vue, il semble que l’interprétation proposée par M. Hoscheit soit pleine de bon sens et doive être suivie: « il faut (…) lire l’article 351 dans sa globalité, et ne pas considérer la deuxième phrase de façon isolée. (…). La partie qui a détaillé avec suffisamment de précision les faits pertinents pour soutenir son argumentaire et qui met en avant les éléments de nature à en établir la réalité a suffi à ses obligations tenant à l’administration de la preuve. Il se peut que ces développements soient insuffisants pour établir avec la certitude requise la preuve de ces faits, ce qui dépend en fin de compte de l’appréciation que va porter le juge et qui est ignorée                                                                                                                          109 Article 61 du Nouveau code de procédure civile : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. » Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. » 110 S. Menétrey et V. Bolard, Le plein office du juge et le rôle des parties, note sous Cour de cassation, 24 octobre 2013, n° 63/13, n° 3231 du registre et Cour de cassation, 24 octobre 2013, n° 62/13, Jurisnews, Vol. 2, n° 3-4/2013, p. 23, 2ème colonne. 111 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 736 ss..

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de la part du débiteur de la preuve tant que la décision n’est pas rendue. Or, à ce moment, et si le juge estime que la preuve n’est pas suffisante, il est trop tard (…). Il paraît dès lors normal [que] le juge puisse ordonner des mesures d’instruction supplémentaires » 112. Un expert judiciaire indépendant et impartial.- En vue de garantir son objectivité et son impartialité notamment, le technicien désigné par le juge a grosso modo les mêmes droits obligations que le juge: si les parties doivent coopérer avec l’expert et lui fournir les documents qu’il demande (article 471 du Nouveau code de procédure civile), elles sont en droit d’attendre de lui une impartialité sans faille. Ainsi, « l’impartialité de l’expert doit être appréciée tant selon une démarche subjective en essayant de déterminer ce que l'expert pense dans son for intérieur que selon une démarche objective qui amène le juge à s'assurer que l'expert offre des garanties suffisantes de nature à exclure tout doute légitime quant à son impartialité. (…) Le principe de l'impartialité objective est centré sur la théorie de l'apparence, même si dans son for intérieur l'expert a pu agir avec une totale impartialité et une parfaite indépendance. (…) Le fait qu'un expert ait été dans le passé le médecin traitant d'une personne est de nature à créer dans l'esprit d'une autre personne un doute raisonnable quant à son impartialité113. » Les techniciens (quelle que soit leur mission) peuvent « être récusés pour les mêmes causes que les juges » (article 434 du Nouveau code de procédure civile). Si le technicien s’estime récusable, il doit immédiatement le déclarer au juge et il peut refuser sa mission (article 435 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile). Le Nouveau code de procédure civile ne semble pas imposer au technicien désigné de justifier d’un quelconque empêchement, mais en pratique les conflits d’intérêt, le manque de temps ou de compétences dans le domaine concerné sont souvent mentionnés pour justifier un refus d’accepter la mission. Pour le cas où il y aurait une cause de récusation dans le chef du technicien nommé judiciairement ou pour le cas où il manquerait à ses devoirs, les parties peuvent demander son remplacement114. En cas de demande de récusation ou de négligence du technicien, il a été jugé que le juge devait entendre le technicien concerné. L’intervention de l’expert au procès.- Il semble que les deux premières catégories de mesure (constatation et consultation) n’aient pas soulevé trop de difficultés en jurisprudence. La question de l’expertise a cependant donné lieu à plus de débats. A cet égard, la doctrine a défini l’objectif de l’expertise judiciaire comme « le moyen pour le tribunal d’obtenir, en vue de régler un litige, de la part d’une personne compétente (l’expert), des explications nécessitant des investigations complexes pour lui fournir sur des questions de fait des renseignements et un avis technique que le tribunal ne peut se procurer lui-même »115.

                                                                                                                         112 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 646. 113 Cour d’appel, 2 juin 2010, Pas. 35, p. 239 (dans cette affaire, la Cour d’appel a rejeté le rapport d’expertise d’un médecin). 114 « Les seules hypothèses dans lesquelles le remplacement de l’expert peut être poursuivi à l’initiative des parties sont ou bien l’existence d’une des causes de récusation limitativement prévues par la loi, à savoir par [l’article 521 du Nouveau code de procédure civile] auquel renvoie [l’article 434 du Nouveau Code de procédure civile], ou bien le manquement de l’expert à ses devoirs dans le cadre de la mission lui confiée, hypothèse visée par [l(article 435 du Nouveau code de procédure civile]. » (Cour d’appel, référé, 2 mars 1993, Pas. 29, p. 78.) 115 T. Hoscheit, Chronique de droit judiciaire privé - Les mesures d’instruction exécutées par un technicien , Pas. 32, p. 49

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Comme le but est toujours la recherche de la vérité et d’éclairer efficacement le juge, la preuve de faits dont la connaissance et l’appréciation ne requièrent pas le concours d’un spécialiste ou sur lesquels les parties ne sont pas d’accord doit se faire par enquête, et non par expertise » ; « l’expertise judiciaire n’est qu’une mesure d’instruction destinée à fournir, en vue de la solution du litige, des renseignements d’ordre technique que le juge ne peut se procurer lui-même et qui ne peuvent s’obtenir qu’avec le concours d’un spécialiste dans une science, un art ou un métier »116. Un tribunal a donc déclaré irrecevable une offre de preuve par expertise lorsque « [l]a mission, telle que libellée par l’appelante, constitue un amalgame de faits constants (…), d’appréciations techniques déjà développées par l’expert (…), des faits contestés (…) et d’appréciations d’ordre juridique (…) réservées au tribunal117 ». Le but de la nomination d’un expert n’est pas de décharger le juge de sa mission (trancher le cas d’espèce) : par conséquent, le juge doit s’abstenir, lorsqu’il rédige la mission de l’expert, de lui demander de déterminer les droits et obligations des parties, « la responsabilité dans la survenance d’un dommage, le partage des responsabilités dans un litige de construction »118. Toutefois, si l’article 446 du Nouveau code de procédure civile précise de manière expresse que « [l]e juge n'est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien », il semble qu’en pratique les juges s’y rallient de manière étonnamment systématique en usant d’une formule désormais bien rôdée : « Les tribunaux ne doivent s’écarter des conclusions de l’expert qu’avec la plus grande circonspection et uniquement dans le cas où il existe des éléments sérieux permettant de conclure qu’il n’a pas correctement analysé toutes les données qui lui ont été soumises »119. 18. Brève conclusion intermédiaire.- Les tiers participant au plus près à la prise de décision de justice (juge et expert judiciaire) sont donc soumis à des obligations fondamentales qui visent à maintenir leur indépendance et leur impartialité et garantir qu’ils restent « tiers désintéressés » au procès. B. Les tiers intéressés ou éventuellement intéressés 19. Idées générales.- A première vue, évoquer l’idée que des tiers pourraient être présents dans une procédure comme « tiers intéressés » peut sembler étonnante : s’ils sont dans la procédure et participent dès lors au processus de justice, leur intéressement devrait les disqualifier au vu du risque de partialité évident qui risque de les animer. La diversité et la complexité des situations à prendre en compte permettent toutefois d’identifier certains tiers intéressés ou éventuellement intéressés qui peuvent être impliqués dans une procédure. Ainsi, si historiquement les témoins devaient incontestablement être considérés comme « tiers désintéressés dans la procédure », une évolution législative (fin du reproche à témoin depuis 1985) et jurisprudentielle - sous l’influence du principe de l’égalité des armes et de la

                                                                                                                         116 Cour d’appel, 9 juin 1993, Pas. 29, p. 269. 117 Cour d’appel, 9 juin 1993, Pas. 29, p. 269. 118 M. Redon, « Mesures d’instruction confiées à un technicien », Répertoire de procédure civile, Dalloz, date de fraîcheur : juin 2014, n° 359, p. 49. 119 Cour d’appel, 8 avril 1998, Pas. 31, p. 28.

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jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme en la matière – remet en cause cette analyse. De la même façon, les tiers détenteurs, éventuellement intéressés, sont parfois en possession d’éléments de preuve qui nécessite leur implication de manière incidente dans un procès. Nous verrons également que l’enfant ou plus précisément le mineur capable de discernement a obtenu certains droits dans les procédures qui le concernent à la suite de la signature de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989. 20. La problématique des témoins entendus dans le cadre d’une procédure.- Les témoins participent au processus de justice dans la mesure où ils peuvent être admis à témoigner sur des « faits litigieux dont ils ont personnellement connaissance » (article 399 du Nouveau code de procédure civile) : ils sont donc amenés à collaborer avec la justice et doivent dire la vérité sous peine de sanctions pénales. A noter que, si le reproche à témoin a disparu depuis 1985 (article 405 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile : « [c]hacun peut être entendu comme témoin, à l'exception des personnes qui sont frappées d'une incapacité de témoigner en justice. »), les témoins sont tenus de préciser leur lien de parenté / d’alliance ou de subordination ou de communauté d’intérêts avec les parties aux termes des articles 402 et 410 du Nouveau code de procédure civile. Ceci afin de permettre au juge d’éprouver leur crédibilité si nécessaire. Le Nouveau code de procédure civile tempère toutefois l’obligation d’apporter son concours à la justice en tant que témoin pour certaines personnes dans certaines circonstances : « [t]outefois, les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les conjoints à l'appui d'une demande en divorce ou en séparation de corps. » (article 405 alinéa 2 du Nouveau code de procédure civile). De même, l’article 406 du Nouveau code de procédure civile dispose que « est tenu de déposer quiconque en est légalement requis. Peuvent s'y refuser les parents ou alliés en ligne directe de l'une des parties ou son conjoint, même divorcé ». Le principe traditionnel : nul ne peut être entendu comme témoin dans sa propre cause.- La jurisprudence luxembourgeoise traditionnelle enseigne que « toute personne qui doit être considérée comme étant partie en cause est au vœu de l’article 274 du Code de procédure civile (article 399 du Nouveau code procédure civile), qui ne permet au juge de recevoir que de tiers des déclarations de nature à éclairer sur les faits litigieux, incapable de témoigner120 ». Il a encore été jugé que « pour pouvoir témoigner il suffit d’être tiers à l’instance. Une personne peut être admise à témoigner avant sa mise en cause dans une instance et dès sa mise hors cause. A fortiori une personne qui, après avoir été partie en cause en première instance, ne l’est plus en instance d’appel, peut-elle être admise à témoigner en instance d’appel » (Cour, 8 juillet 1998, Pas. 31, p.53). La notion de « partie » est donc interprétée de

                                                                                                                         120 Cour, 11 juillet 2001, 4ème chambre siégeant en matière commerciale, n ° 24669 du rôle dans le cadre d’une personne morale, citant Cour 23 novembre 1994, P. 29, p. 359 : cité par T. Hoscheit, Chronique de droit judiciaire privé : les témoins, P. 32, p. 5

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manière restrictive 121 « comme ne visant que les personnes directement engagées dans l’instance judiciaire »122. Ce principe a toutefois aussi donné lieu à une jurisprudence foisonnante et non univoque en matière d’admission des témoignages des représentants ou associés de personnes morales123. De même, l’admission des témoignages des époux mariés sous le régime de la communauté légale semble encore soulever des difficultés : les jurisprudences les plus anciennces retiennent généralement que « Lorsque l’objet d’un litige est constitué par un bien dépendant de la communauté, le conjoint d’une partie au procès, étant censé avoir conféré un mandat tacite, est assimilé à une partie au procès et ne saurait partant être entendu comme témoin »124 (Cf. Remarque préliminaire). Plus récemment, les juridictions semblent avoir accepté plus facilement le témoignages des époux même si l’affaire pouvait avoir un impact sur les biens communs: « La notion de partie en cause doit, en effet, être interprétée restrictivement comme ne visant, en principe, que les personnes directement engagées dans l'instance judiciaire, les nouvelles dispositions sur les mesures d'instruction tendant à la simplification et à la libéralisation des modes de preuve ayant élargi le plus possible les moyens susceptibles de conduire à la manifestation de la vérité et ayant aboli de façon significative la possibilité de reproche de témoins. (…) Le fait que la communauté devrait, le cas échéant, subir la répercussion d'un dépassement dans la fourchette bonus-malus appliquée par son assureur n'est pas susceptible de rendre l'époux incapable de témoigner. »125. Cependant, en 2011, il a été décidé que l’attestation testimoniale du conjoint d’une partie était irrecevable puisque les époux étaient mariés sous le régime de la communauté légale et que l’épouse avait un intérêt manifeste à l’issue du litige126. La question de l’admission des témoignages des époux mariés sous le régime de la communauté légale ne semble donc pas définitivement tranchée en jurisprudence notamment au vu des difficultés liées à la représentation… Limite: l’incidence du principe de l’égalité des armes.- La jurisprudence luxembourgeoise127 a cependant eu l’occasion de se prononcer sur l’incidence du principe de l’égalité des armes et notamment de la décision européenne Domboo Beheer B.V. c/ Pays Bas rendue en date du 27 octobre 1993 dont on peut rappeler les motifs :

« 33. […] la Cour considère que dans les litiges opposant des intérêts privés, "l’égalité des armes" implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause - y compris ses preuves - dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire1 […]

                                                                                                                         121 La Cour d’appel (Cour 30 novembre 1992, 1ère chambre siégeant en matière civile, n° 14680 et 14721 du rôle dans la cadre d’une personne morale, cité par T. Hoscheit, Chronique de droit judiciaire privé : les témoins, P. 32, p. 4) retient que « cette interprétation doit certainement être maintenue sous l’empire de la réforme du régime des preuves réalisée par le règlement grand-ducal du 22 août 1985, tendant à la simplification et à la libéralisation des modes de preuves et qui élargit le plus possible les moyens susceptibles de conduire à la manifestation de la vérité. Ceci vaut certainement pour l’enquête, dans la procédure de laquelle notamment la possibilité de reproche de témoin (ancien article 283 du Code de procédure civile) a été de façon significative abolie par la nouvelle législation ». 122 Cour, 23 novembre 1994, Pas. 29, p. 359, 4°, sous l’article 405 du Nouveau code de procédure civile. 123 T. Hoscheit, chronique de droit judiciaire privé : les témoins, Pas. 32, p. 3 ss 124 Cour d’appel, 13 décembre 1990, Pas. 28, p. 125. 125 Cour d’appel, 23 novembre 1994, Pas.29, p. 359 ; dans le même sens : Cour d’appel, 7e ch., 28 mai 2008, n° 32446 du rôle, BIJ 8/2008, p. 169. 126 Cour d’appel, 7e ch., 14 décembre 2011, BIJ 12/2012, p. 226. 127 F. Farjaudon, Nul ne peut être entendu comme témoin dans sa propre cause ?, Jurisnews, Vol. 2, n° 2/2013.

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34. En l’espèce, il incombait à la société requérante d’établir l’existence, entre la banque et elle, d’un accord verbal concernant l’extension de certaines facilités de crédit. Seules deux personnes avaient assisté à la réunion au cours de laquelle il aurait été conclu: M. van Reijendam, représentant Dombo, et M. van W., représentant la banque. Or seul le second de ces protagonistes fut autorisé à témoigner: la cour d’appel refusa à Dombo la possibilité de citer son propre représentant, au motif qu’il s’identifiait à elle. 35. Pendant les négociations pertinentes, MM. van Reijendam et van W. avaient agi sur un pied d’égalité, chacun d’eux étant habilité à traiter au nom de son mandant. Dès lors, on voit mal pourquoi ils ne purent déposer tous deux. La société requérante ayant ainsi été placée dans une situation de net désavantage par rapport à la banque, il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). »

La jurisprudence interne actuelle semble hésitante sur les conséquences à tirer de cette décision ; deux positions diamétralement opposée semblent actuellement coexister :

- dans une affaire d’accident de la circulation, la Cour d’appel (Cour 8 juillet 1998, Pas. 31, 53) s’est fondée sur l’égalité des armes pour écarter le témoignage d’un conducteur non partie à l’instance en considérant que l’autre conducteur, qui était lui partie à l’instance, ne pouvait être admis à témoigner128 ; dans la mesure où « les principes fondamentaux du droit procédural s’opposent à l’audition, en qualité de témoin et sous la foi du serment, d’une personne qui est partie au procès ».

- dans un arrêt rendu en date du 12 mai 2004 (Pas. 32, p. 537), la Cour d’appel a retenu

que l’arrêt Dombo Beheer « ne permet […] pas de retenir […] qu’en consacrant […] le respect de l’exigence de l’égalité des armes au détriment même, le cas échéant, du principe national de l’interdiction pour une partie de témoigner dans sa propre cause, la Cour de Strasbourg ait entendu créer des obstacles à la manifestation de la vérité […] » et ne saurait dès lors impliquer de devoir écarter des débats des moyens de preuve légaux régulièrement recueillis129.

Cette deuxième tendance semble plus cohérente avec les motifs de la jurisprudence européenne et surtout le souci de rechercher la vérité. 21. La production de pièces détenues par des tiers.- Le Nouveau code de procédure civile contient différentes dispositions (article 60 alinéa 2, article 284 et suivants) permettant à une partie de demander au juge - de manière incidente au cours d’un procès - d’ordonner à un tiers de produire des éléments de preuve qu’il détient. Aux termes de l’article 285 du Nouveau code de procédure civile, le juge peut ordonner la

                                                                                                                         128 « Un tribunal ne saurait admettre le commettant, gardien d’une voiture impliquée dans un accident de la circulation, à établir par le témoignage de son préposé, conducteur de la voiture, la version des faits présentée par ce dernier tout en refusant au conducteur de l’autre voiture, qui en est également le gardien et partie au procès, de témoigner sur sa propre version des faits, sous peine de violer le principe de l’égalité des armes posé par la Convention européenne des Droits de l’Homme.». (Cour 8 juillet 1998, Pas. 31, p. 53) : Cité sous l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, Recueil des lois spéciales, Droits de l’Homme, octobre 2012, 21°. 129 Cité sous l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, Recueil des lois spéciales, Droits de l’Homme, octobre 2012, 30°.

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production des pièces sous peine d’astreinte ; l’exécution provisoire de la décision est de droit (article 286). Le droit luxembourgeois ne prévoit pas de mettre en intervention ce tiers, mais, en vue de sauvegarder ses droits, l’article 287 du Nouveau code de procédure civile permet au tiers de demander au juge de rétracter ou modifier sa décision « en cas de difficulté » ou « d’empêchement légitime »130. Concernant le secret professionnel, la Cour d’appel a ainsi jugé que « Ce secret ne constitue pas une cause d'empêchement absolue. Il cède devant la sauvegarde d'un droit d'une partie légalement reconnu ou judiciairement constaté. Il faut que la production forcée d'une pièce ou d'un renseignement soit indispensable à la manifestation de la vérité et que le demandeur ne dispose pas d'autres moyens d'obtenir la pièce ou le renseignement. » (Cour d’appel, 5 novembre 2003, BIJ 1/2004, p. 8). Comme dans cette espèce la connaissance de la réalité des faits était « capitale pour la solution du litige », la Cour a décidé que le secret professionnel de la banque devait céder devant la recherche de la vérité et a enjoint à la banque de produire les pièces. L’article 287 du Nouveau code de procédure civile prévoit encore que « le tiers peut interjeter appel de la nouvelle décision dans les quinze jours de son prononcé », les parties au litige pouvant dès lors seulement contester cette nouvelle décision ensemble avec la décision à intervenir au principal sur le fond131. 22. Le cas particulier de l’enfant pour les procédures qui le concernent132.- A la suite de la signature de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, le législateur luxembourgeois a inséré les article 388-1133 et 388-2134 du Code civil qui permettent l’audition de l’enfant lorsque « son intérêt le commande » « dans toute procédure le concernant » ainsi que sa représentation dans un procès si « les intérêts d’un mineur apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux » (nomination d’un administrateur ad hoc par le juge des tutelles). A cet égard, il est intéressant de noter que l’article 388-1 du code civil précise expressément que « [l]’audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure. »                                                                                                                          130 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 676. 131 T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 679. 132 Sur ces questions, voir T. Hoscheit, Le droit judiciaire privé au Grand-duché de Luxembourg, édition Paul Bauler, n° 729 ss.. 133 Art. 388-1 du Code civil: « (1) Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, la personne désignée par le juge à cet effet. (2) Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d’être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. (3) Le mineur peut être entendu seul, avec son avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n’apparaît pas conforme à l’intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne. (4) L’audition du mineur se fait en chambre du conseil. (5) L’audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure. » 134 Art. 388-2 du Code civil : « Lorsque, dans une procédure, les intérêts d’un mineur apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux, le juge des tutelles dans les conditions prévues à l’article 389-3, ou, à défaut, le juge saisi de l’instance lui désigne un administrateur ad hoc chargé de le représenter. »

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Logiquement, un arrêt de la Cour d’appel a donc rejeté l’intervention d’un avocat qui prétendaient représenter les enfants mineurs et a écarté des débats les moyens qu’il avait fait valoir (Cour d’appel, 7 Mai 2003, BIJ 8/2003, p.157 ; Pas. 32 p. 408) aux motifs que « [l]a précision que « l'enfant peut être entendu sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention » veut dire que l'audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure. Telle est l'interprétation unanimement admise par la jurisprudence. ». 23. Brève conclusion intermédiaire.- Des tiers intéressés peuvent donc être amenés à participer au procès lui-même fut-ce de manière incidente. En fonction de leur rôle, des dispositions spécifiques permettent cependant d’encadrer leur intervention pour éviter que leur implication ou leur refus de s’impliquer cause préjudice à une partie au procès (sanction pénale et obligation de déposer pour le témoin), astreinte pour forcer le tiers détenteur à collaborer). La problématique du mineur est toutefois différente dans la mesure où le but est de permettre de prendre en compte son intérêt pour les procédures qui le concernent.