Intervention y sintomer

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1 Démocratie locale, Démocratie participative : Quel futur pour la démocratie ? Yves SINTOMER Membre Sénior de l’Institut Universitaire de France Professeur de sciences politiques Chercheur au CSU – CRESPPA (CNRS / Université de Paris 8) Jeudi 26 Septembre 2013

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Démocratie locale, Démocratie participative : Quel futur pour la démocratie ?

Yves SINTOMER

Membre Sénior de l’Institut Universitaire de France Professeur de sciences politiques

Chercheur au CSU – CRESPPA (CNRS / Université de Paris 8)

Jeudi 26 Septembre 2013

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Je voudrais partir d’un paradoxe. Aujourd’hui, nous n’avons jamais eu autant de pays formellement démocratique à l’échelle internationale et il n’y a plus d’adversaire global de la démocratie comme système de gouvernement. On a vu avec les révolutions arabes que les peuples qui en étaient privés, étaient désireux de l’avoir. En même temps, il y a une profonde méfiance qui s’est installée dans les anciennes démocraties et on voit bien avec les évolutions récentes que l’instauration de régimes formellement démocratiques ne résout pas, en Egypte par exemple, tous les problèmes d’un seul coup. La défiance qui s’est installée n’est pas un phénomène conjoncturel. Elle se confirme année après année. Lorsque l’on demande aux citoyens ce qu’ils pensent de leurs responsables politiques, les réponses sont injustes par rapport à tous ceux qui s’engagent dans cette activité. On sait que les maires sont la figure la plus reconnue et appréciée par les citoyens. Il n’empêche que c’est sur une base tout de même extrêmement faible avec y compris, d’ailleurs, des impressions de corruptions massives du système politique qui renvoient sans doute au fait non pas de la corruption au sens fort du terme, mais au sentiment subjectif que les élus s’occupent d’abord d’eux-mêmes et non pas des citoyens. Lorsqu’on demande les institutions dans lesquelles les citoyens ont confiance, les chiffres se confirment également. Hôpitaux, police sont bien accueillis, mais les partis politiques viennent en bon dernier, deux fois moins que les banques en pleine crise du capitalisme financier. On pourrait se dire que finalement ce sont les pays les plus touchés par la crise économique et sociale qui sont comme ça, or en Allemagne, les élections ont reconduit la chancelière Angela MERKEL au pouvoir et finalement la participation a raugmenté aux dernières élections. Et pourtant, lorsque l’on demande aux citoyens allemands ce qu’ils pensent de la politique, les réponses ne sont pas très différentes et lorsqu’on leur demande en particulier, s’ils pensent que leurs responsables peuvent répondre au défi du futur, seuls 10 % répondent positivement. Ce chiffre est extrêmement faible, malgré la bonne tenue économique du pays. Les choses sont à peu près les mêmes dans la plupart des pays européens. Parallèlement, un nombre important parmi les citoyens européens se déclarent prêts à participer à la politique, au-delà des élections et ont des forts doutes sur le fait que les responsables politiques pourraient ouvrir des voies réelles pour leur permettre de réaliser ce souhait. Il me semble que ce constat renvoie à une crise extrêmement profonde, ou plus exactement à la coïncidence de crises qui sont en elles-mêmes largement indépendantes les unes des autres, mais dont les effets se font sentir et se cumulent aujourd’hui. Une crise d’un modèle de développement du capitalisme financier qui, on le voit bien, n’a toujours pas été véritablement affrontée, mais également, sur un temps plus long, un mode de développement industriel qui pose des problèmes écologiques croissants. Sur un temps encore plus long, l’Europe est en voie d’être provincialisée dans un monde dont les équilibres ne sont plus du tout ce qui s’était instauré lorsque la colonisation avait mis l’Europe au centre du monde. L’Etat est de moins en moins capable nationalement d’agir et la démocratie qui s’était coulée dans l’Etat nation, est de ce fait, également remise en question. Au-delà, il y a des facteurs proprement politiques : lorsque l’on regarde l’importance des transformations sociales – pensez à la société française avant et après internet et les réseaux sociaux et pensez à la politique au même moment – finalement, l’évolution du système politique est beaucoup moins importante et on peut avoir l’impression que ce système politique fait largement du surplace, avec un facteur spécifique qui aggrave. Pendant une bonne partie du XXème siècle, les partis politiques avaient été capables d’organiser la société autour d’eux, au travers des associations, des municipalités, etc. Ils jouaient un rôle de canal de communication efficace entre la société civile et l’Etat. Aujourd’hui, les partis restent, continuent à sélectionner le personnel politique et ne représentent plus ce canal de communication et d’organisation de la société qu’ils pouvaient représenter autrefois. Cela n’est pas un phénomène spécifiquement français, loin de là.

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La question que je voudrais poser se formule ainsi : est-ce que la participation peut intervenir pour contribuer à résoudre cette crise du politique et à redonner du dynamisme politique, en particulier si l’on s’attache au niveau local. J’aurai deux grandes parties pour cela. D’abord, un bilan sur la démocratie de proximité à la française, ensuite une interrogation sur d’autres développements, d’autres paradigmes et en conclusion, une réflexion sur la façon dont la participation peut ou non, contribuer à un renouvellement de la démocratie. Les Conseils de Développement sont issus de la loi VOYNET de 99. Elle a posé peut-être mieux les termes d’un débat qui était assez similaire en 99. Lorsque la loi la loi VAILLANT sur la démocratie de proximité est adoptée, 2 ans plus tard, on avait trois positions :

1. On avait des réticents qui affirmaient que finalement on administre bien que de près, mais on ne gouverne bien que de loin. Ils se retrouvaient dans tous les camps politiques. L’idée était que si on donne de la voix et du pouvoir à des citoyens non élus, on va avoir des féodalités qui vont s’instaurer. Ce camp était finalement très minoritaire dans une phase où l’exigence de renouvellement de la vie politique était partagée assez largement par l’ensemble des camps politiques.

2. Le camp des partisans majoritaires de la loi qui a eu une écrasante majorité à l’Assemblée nationale comme au Sénat, proposait une version atténuée du schéma classique. On continuait à avoir des élus qui seuls pouvaient interpréter l’intérêt général et qui en conséquence, pouvaient prendre les décisions. Mais il était reconnu comme légitime et souhaitable que les intérêts particuliers puissent s’exprimer dans le processus participatif, avec du coup, une division du travail entre, d’un côté les élus incarnant l’intérêt général, prenant les décisions et les dispositifs participatifs, apportant des intérêts particuliers et permettant aux élus de prendre cette décision en connaissance de cause. Avec une écoute sélective, les élus essaient d’instaurer un dialogue de qualité et à la fin de ce dialogue, les élus sont les seuls à pouvoir faire la synthèse du débat mené, sans avoir de règle à suivre pour faire ce débat et souvent d’ailleurs, sans avoir de compte à rendre sur des choses qui auraient pu émerger du débat.

3. Il y avait un petit groupe plus participationniste qui opposait à la démocratie de proximité, la démocratie dite participative, dans une perspective d’être plus actifs, avec une implication directe des participants dans la prise de décision et avec, d’une certaine manière, un certain partage du pouvoir. Ce camp était à l’époque très minoritaire.

Aujourd’hui, les mots ont changé. La démocratie participative est employée de façon assez large et n’est plus réservée à un petit groupe. Est-ce seulement un changement sémantique pour dire la même chose ou y-a-t-il eu des transformations ? Si l’on revient sur le bilan des lois de 99 et de 2002, il faut noter que le sens de la proximité à l’époque, était double : la proximité c’était d’abord, priorité au local, proximité géographique, mais c’était aussi un sens communicationnel, proximité entre les décideurs et les citoyens. D’une certaine manière, on était dans un processus qui se faisait sur la vague de la décentralisation. On faisait une étape supplémentaire de la décentralisation, mais sans donner de pouvoir de décision, de codécision au dispositif participatif, avec trois grands dispositifs phares : les conseils de développement, les conseils de quartier et la commission nationale du débat public. Il y en avait d’autres, mais je résume mon propos à l’essentiel :

• Les Conseils de Développement : dans le modèle Conseil de Développement, le public visé c’est un partenariat entre des élus, des milieux socio-professionnels, associatifs, dont on a vu les différents collèges, aujourd’hui.

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• Les Conseils de quartier : les schémas sont extrêmement différents d’une ville à l’autre. Le cœur du Conseil de quartier ce sont des habitants mobilisés, volontaires avec des résultats très contrastés. Pour beaucoup de Conseils de quartiers, on sent un problème de renouvellement et de fonctionnalité de ces instances créées il y a plus de 10 ans. La France est la championne d’Europe des Conseils de quartiers. Leur part représente la moitié de ce qu’il y a en Europe. L’enjeu est d’instaurer cette communication continue entre décideurs et citoyens et très clairement on reste dans un cadre purement consultatif et d’un dialogue qui peut être de plus ou moins bonne qualité en fonction des réalités locales.

• La Commission Nationale du Débat Public (CNDP) et ses équivalents régionaux est un instrument qui a pris de l’ampleur. Imitée dans d’autres pays européens, elle n’est pas cantonnée au local mais a vocation à s’étendre à l’échelle de grands projets au niveau du pays. Elle reste toutefois dans le paradigme de la proximité également au sens où, c’est un débat public qui n’a aucun caractère décisionnel, qui n’a même pas de recommandation en soi. Il y a simplement à l’issue de ce processus, un état du débat et des discussions qui ont été menées. De ce fait, il y a une contestation croissante de cette procédure par des groupes qui disent que l’option 0, l’option de refuser le projet, n’est pas véritablement envisagée et que du coup s’engager dans ce processus de débat revient à cautionner des décisions qui dans leur détail peuvent être modifiées, mais qui dans leur fond ont déjà été prises. Ce qu’il faut noter également, c’est que sont apparus – ce n’était pas prévu par les lois de 99 et 2002, mais s’est beaucoup développé au cours de la dernière décennie – les jurys de citoyens et autres dispositifs assimilés qui eux, s’adressent, comme la CNDP ou les Conseils de Quartiers, aux habitants volontaires ou aux forces organisées comme les Conseils de Développement, mais qui au contraire, procèdent par tirage au sort pour avoir un échantillon représentatif ou au moins divers sociologiquement, de la population : Moins de tête grises, plus de jeunes que dans un Conseil de Développement ou dans un Conseil d’Université, d’ailleurs. Ces dispositifs restent la plupart du temps dans le cadre de la proximité. Ils sont généralement consultatifs. On a cependant quelques expériences, notamment dans la capitale allemande, qui consistaient à donner un fond d’un demi-million d’euros à chacun des Conseils des jurys citoyens structurés de cette manière dans les quartiers politiques de la ville. Donc, un pouvoir de décision sur des sommes modestes mais non négligeables qui permettent déjà de faire des choses dans un quartier, tous les ans ou tous les deux ans, selon les cas.

Je voudrais maintenant aborder d’autres paradigmes : nous sommes à la frontière suisse. Nous avons beaucoup de frontaliers dans cette région et j’en fais partie d’une certaine manière, même si je viens de plus loin. Il me semble que nous pourrions nous inspirer d’une certaine pratique qui se fait largement de l’autre côté du Jura. Il y a, au-delà de la Suisse, un développement tout à fait net à l’échelle internationale, des procédures de référendum, d’initiatives populaires, de référendum révocatoires. Dans les vagues de démocratisation successives qui ont parcouru le monde, presque à chaque fois, ces procédures sont institutionnalisées plus ou moins fortement. Plus en Amérique latine, plus aujourd’hui en Allemagne qui a vu se répandre cette modalité à l’échelle locale et régionale, presque inconnue il y a encore une ou deux décennies. On pourrait dire que cela revient à faire un primo populisme, à donner du pouvoir de décisions aux incompétents ; mais finalement, regardons la Suisse, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’au minimum, ces procédures de démocraties directes qui existent à tous les niveaux depuis le quartier jusqu’à la fédération, n’ont pas empêché la Suisse d’être l’un des pays les plus prospères d’Europe. Il faut noter que dans les pays anglo-saxon, c’est quelque chose d’assez différent qui est en cours, largement partagé par tous les bords politiques et qui renvoie à l’expérience de Berlin. C’est l’idée qu’il faut donner du pouvoir, que la décentralisation doit aller jusqu’aux communautés locales, le langage anglo-saxon appelant les communautés locales ce qu’on appellerait, nous, les habitants d’un quartier. L’idée est que cette décentralisation doit aller au plus près, aboutir à donner un véritable pouvoir aux instances participatives micro-locales et dans le monde anglo-saxon, comme dans une partie du sud global, ces dispositifs se développent de façon non négligeable, avec l’idée que cela permet un engagement beaucoup plus important. Les citoyens voient le résultat direct des actes et

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gèrent les projets qu’ils ont adoptés. Cette idée d’un développement communautaire, dans le langage anglo-saxon « d’un empowerment », d’un pouvoir d’agir plus important donné aux habitants, est l’un des grands ressorts de la participation à l’échelle locale, dans le monde en général et en particulier dans le monde anglo-saxon pour ce qui est de l’Europe, alors que la France reste presque « indemne » de ce genre de développement. On peut citer un autre dispositif : ce sont les budgets participatifs qui permettent à des citoyens non élus d’être associés à la définition des budgets publics. Il y a eu, il y a une vingtaine d’année, un développement extrêmement important de ce type d’instance à l’échelle internationale. La Pologne, par exemple, est l’une des championne du monde parce qu’elle a instauré une loi qui oblige ou incite en tout cas très fortement, toutes les communes rurales à développer ce genre de procédure, si elles veulent recevoir des subventions de l’Etat central. C’est quelque chose qui a été inventé au Sud et importé dans les pays du Nord, finalement assez peu fréquent. En général, l’innovation démocratique venait des pays d’Europe ou d’Amérique du Nord et elle était exportée dans le sud de la planète. Aujourd’hui, on a des mouvements en sens inverse et avec plus de temps, je l’aurais expliqué pour les dynamiques d’empowerment, le pouvoir d’agir, avec des expériences en France, notamment à l’échelle régionale. A l’échelle municipale, elles ont assez largement échoué ou en tout cas, elles se sont étiolées, à l’inverse d’une série de nos voisins européens et notamment allemands où les budgets participatifs se font à travers internet essentiellement. L’une des raisons qui explique sans doute le succès des budgets participatifs, c’est qu’ils instituent un mode différent de participation par rapport aux conseils de quartier. Dans le mode de participation traditionnel sont organisées des séries de discussions entre les décideurs et un groupe de citoyens d’un quartier, des décideurs et un groupe de décideurs d’un autre quartier ou, au-delà des quartiers, d’une partie de la société(club de foot ou les clubs de sports, les associations culturelles, etc). Dans cette logique de dialogue vertical entre un groupe de citoyens et les décideurs, la pente naturelle est que le groupe de citoyens défende ses intérêts. Il réclame tel investissement en « râlant » pour l’avoir ou à l’inverse refuse telle implantation peu souhaitable, en disant « ça peut se faire, mais pas ici ». Cet esprit de clocher tend assez naturellement à être favorisé par ce type de participation. J’aime à citer l’exemple de la rue Jourdain à Tours, municipalité avec une volonté de participation tout à fait réelle : Un conseil de quartier demande un sens unique dans la rue Jourdain parce que la circulation est gênante. Les services techniques de la ville étudient la proposition et disent qu’après tout, c’est raisonnable et le font. Mais du coup la circulation se déporte dans l’autre quartier qui demande à son tour, l’interdiction de la circulation. Les services techniques se disent « après tout, pourquoi pas ? », mettent un deuxième panneau sens unique, et du coup, la rue Jourdain devient piétonne. Le Maire dit « vous voyez bien s’il n’y avait pas les élus pour incarner l’intérêt général, ce serait le Bazard ». Mais on peut se demander si le problème n’est pas dans le dispositif adopté et précisément, ce qui change avec les budgets participatifs, c’est qu’après ces discussions entre les décideurs et un groupe de citoyens, sont organisées des discussions horizontales entre les différents groupes de citoyens. Du coup, les citoyens sont obligés de se justifier par rapport à d’autres citoyens pour expliquer pourquoi notre demande est prioritaire à la vôtre ou notre refus d’avoir telle implantation polluante peut se justifier et pourquoi il vaudrait mieux que ce soit chez vous plutôt que chez nous. Du coup, c’est une autre construction de l’intérêt général qui est visée. Nous ne sommes plus dans le cadre de la proximité de la loi VAILLANT, où l’intérêt général est le monopole des élus et où les intérêts particuliers sont exprimés par le citoyen, mais dans le cadre d’une dynamique où l’intérêt général se construit collectivement. Après tout, pensons à beaucoup de choses qui se font dans société. Les réseaux sociaux fonctionnent largement ainsi. Pensons aussi aux romans : l’avant-garde littéraire du XXème siècle avait inauguré les romans à plusieurs voix qui avaient été des échecs commerciaux, il y a un siècle. Aujourd’hui, dans les gares, on achète des romans qui sont à plusieurs voix et la politique reste étrangement beaucoup plus monologique qu’autrefois. Une des caractéristiques, des Conseils de Développement, c’est d’associer différents secteurs de la société et je crois que c’est une des forces des Conseils de Développement. A l’échelle nationale, d’une certaine manière, avec d’autres modalités, le grenelle de l’environnement a représenté quelque

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chose de similaire. Il y avait sans doute une part de coup politique, au moins pour certains acteurs, dans le grenelle de l’environnement et en même temps, il y avait plus qu’un coup politique et il n’y avait pas seulement des avis, mais des recommandations assez fortes pour qu’il y ait des législations adoptées à l’issue du Grenelle. Comme on sait, les suites ont été contrastées. Il n’en reste pas moins que c’est sans doute un des dispositifs qui pourrait être considéré comme un exemple. On peut citer le fait qu’au Brésil, des choses de ce type existent régulièrement et sur beaucoup de questions sociales et Dilma ROUSSEF a dû d’ailleurs se mordre les doigts de ne pas en avoir organisé sur le thème des transports au centre des manifestations de juin dernier. Cela part du local pour aller jusqu’au national avec plusieurs millions de brésiliens qui participent à ces dynamiques. Il est probable qu’on en ait plus d’échos y compris en Europe, dans les années qui viennent. Le tirage au sort que j’avais évoqué à l’échelle micro-locale et consultative avec les jurys citoyens a pu être utilisé dans d’autres procédures. Dans un des Etats fédérés du CANADA, il s’agissait d’adopter une nouvelle loi électorale et il avait été jugé qu’il valait mieux donner l’initiative de rédaction de cette nouvelle loi électorale, plutôt qu’au parti qui était juge et parti, à une assemblée citoyenne tirée au sort, qui a travaillé pendant un an, fait des propositions qui ensuite, ont été soumises à référendum. L’une des choses intéressante dans cette perspective, c’est que la justification qui avait été donnée, c’était de dire « nous allons créer de nouveaux types de représentants ». J’ai été amusé lorsque tout à l’heure vous avez dit que les membres du collège des citoyens volontaires représentaient les 29 communes du pays de Montbéliard, mais qu’ils n’étaient pas des représentants au sens élu du terme. En même temps, on peut penser que les représentants, ce ne sont pas simplement des élus qui constituent certes, le cœur de nos systèmes démocratiques, mais que la représentation est beaucoup plus plurielle et que de nouveaux types de représentants peuvent s’ajouter aux anciens, comme ici, dans cette expérience, où l’idée était d’avoir des représentants tirés au sort, en tant que citoyens ordinaires, pour une durée limitée, avec un mandat extrêmement précis et sans être des professionnels de la politique. En conclusion, sur la participation et le futur de la démocratie, je voudrais défendre une thèse. J’en étais à peu près convaincu depuis un certain temps mais les évolutions politiques me la font exprimer avec sans doute plus de vigueur qu’auparavant : je pense que le paradigme de la proximité, dans lequel la démocratie participative à la française, avec ses deux lois, notamment, mais pas simplement, a permis plein d’expérimentations. Certaines de piètre qualité, beaucoup de grande qualité. Il y avait beaucoup de choses positives, mais à l’évidence cela n’a pas résolu la défiance par rapport à la politique, cela n’a pas résolu la crise du politique et aujourd’hui ce qui était, il y a douze ans, un pas en avant, risque si on en reste là, de se transformer en piège. Il me semble qu’il faut aller au-delà de la proximité et il est urgent de mettre en place d’autres dynamiques. Cela ne renvoie pas à une dichotomie qui serait entre le local et le national. Dans les exemples que j’ai cités - par exemple, le développement communautaire à l’anglaise, les budgets participatifs inventés dans le sud et importés dans le nord, les référendums d’initiatives populaires, voire des jurys citoyens - il peut y avoir une autre construction plus collective, plus coopérative de l’intérêt général que dans ce qui était imaginé par les concepteurs de la loi de 2002. Il peut y avoir un portage du pouvoir beaucoup plus important que celui qui est généralement envisagé dans notre pays. La proximité au sens où je l’ai employé ici, était certes le local, mais aussi de façon intrinsèque, l’idée de cette communication de proximité, dans qu’il y ait une véritable reconnaissance d’une construction collective de l’intérêt général et d’un véritable partage du pouvoir. Il me semble que dans cette perspective là, aller au-delà de la proximité ne veut pas dire se passer du local, mais faire du local un tremplin pour entamer des démarches qui peuvent valoir au niveau local, mais aussi national. J’ai fait quelques allusions rapides dans mon exposé à ce genre de dispositifs qui peuvent avoir une ampleur locale, régionale et nationale. Il me semble que de ce point de vue, nous avons une mutation en cours importante dans le dispositif participatif : pour partie, il y a des effets de mode évidents, des effets d’opportunités politiques, mais il me semble que cela va également au-delà et qu’il y a un développement impressionnant, un peu partout en Europe et un peu partout dans le monde. On a un peu l’impression qu’un basculement est en cours, qu’il n’est pas acquis, mais qu’il est assez largement engagé. Dans cette évolution, la

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France est une puissance moyenne, un peu comme elle l’est au niveau économique. Nous avons des choses, mais nous ne sommes pas à l’avant-garde et nous ne sommes pas à la pointe. Il me semble qu’il y a intérêt à avoir une réflexion, y compris en regardant les pratiques des pays voisins, mais aussi des pratiques venues des pays émergents pour essayer d’aller au-delà ou du moins de ne pas être distancé. A l’évidence, il n’y a pas de solution clefs en mains. A l’évidence, on ne peut pas appliquer mécaniquement un modèle et l’imaginer dans un pays et l’appliquer dans un autre. A l’évidence, il faut de l’expérimentation… et ce n’est sûrement pas non plus, les professeurs d’Universités qui vont donner les clefs de la chose, d’ailleurs ils réfléchissent très largement à partir des innovations des acteurs. Ce qui est sûr, c’est que la crise du politique est une crise durable, qu’elle ne se résoudra pas simplement par des aménagements à la marge et que dans cette situation structurelle, la participation est peut-être une opportunité. Est-ce qu’on a le choix, finalement de la développer ou pas ? Oui et non. On a le choix parce qu’on n’est pas obligé de développer des instruments participatifs. Il me semble que si on veut redynamiser la politique, alors, on n’a pas le choix. Pour conclure, je voudrais aborder les scénarios du futur. Evidemment la futurologie est toujours un exercice délicat. C’est vrai pour la météo, c’est encore plus vrai quand on essaie de se pencher sur les évolutions sociales ou politiques. Il me semble qu’en essayant de voir quelles sont les tendances actuelles et en essayant de projeter les tendances actuelles sur le futur, quels sont les scénarios peu réalistes , quels sont les scénarios réalistes d’évolution de notre système politique ou des systèmes politiques européens, en général :

1. Un scénario qui me semble irréaliste, c’est le statu quo . Nous sommes dans une crise à la fois spécifique du politique et une crise plus globale des sociétés européennes qui rend peu plausible le fait qu’on puisse ne rien faire et se contenter d’aménagements à la marge. Malheureusement, il me semble qu’au niveau national, l’essentiel du personnel politique a du mal à se projeter dans une réforme beaucoup plus forte du système politique et que d’ailleurs, très largement, mes collègues professeurs de sciences politiques sont aussi polarisés là-dessus.

2. Deuxième scénario improbable : un retour en arrière . Un retour dans les grandes années des trente glorieuses, de l’Etat providence, des partis de masse, recréation de nouveaux partis qui retrouveraient une grande légitimité. Il me semble que l’histoire ne présente pas ou très peu d’exemple de retours en arrière réussis. En général, ce sont plutôt des régressions. Par ailleurs, on n’a aucun exemple à l’échelle européenne, de véritable retour en arrière. Dans le meilleur des cas, on a des statuquos qui ne sont pas trop contestés et dans la plupart des cas, on a une forte contestation de ce qu’il se passe.

3. Troisième scénario peu réaliste : Une domination ouverte de la technocratie . On mettrait finalement de côté les responsables politiques. On les cantonnerait à un rôle d’apparat. On aurait des technocrates qui prendraient des décisions politiques au nom de leur savoir expert. Il me semble que ce scénario de la domination ouverte de la technocratie soit peu probable. On a vu avec l’évolution du gouvernement italien, un technocrate arrive et gouverne pendant un an. Mais lorsqu’il s’agit de se projeter dans une nouvelle étape, il disparaît de la scène politique. L’autre scénario évoqué dans les franges radicales du mouvement écologiste, l’idée que finalement on peut laisser le centre et que l’important se passe dans les marges et les périphéries, certes, insiste sur la créativité des marges et des périphéries - et sur internet ce n’est pas négligeable - mais c’est l’impasse trop facilement sur la nécessité de régulation centrale.

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Il me semble qu’il y a quatre scénarios plus réalistes :

1. Le premier qui me semble le plus réaliste pour notre pays, est un scénario de ce qu’un collègue comme, Colin CROUCH, en Angleterre, appelle la post-démocratie. La façade politique reste. Le système continue, c’est le statu quo, mais les décisions les plus importantes sont prises ailleurs. Il me semble que c’est malheureusement le scénario le plus probable, aujourd’hui au moins, à l’échelle nationale. L’échelle locale permet sans doute plus de marge de manœuvre. Aujourd’hui, lorsque l’on pense à la force des agences de notation, des marchés, mais aussi de l’ensemble de ces commissions qui à toute les échelles et pas simplement à l’échelle européenne, prolifèrent, on a une dynamique d’évolution dans laquelle la politique représentative telle que nous l’avons connue, continue largement intacte en apparence, mais voit son pouvoir, sa sphère d’influence, ses marges d’actions, se restreindre de plus en plus. Dans ce cadre, on comprend les sondages que j’évoquais initialement sur la défiance que les citoyens peuvent avoir quant à la politique pour répondre au défi du futur.

2. Deuxième scénario : une involution autoritaire . On l’a vu dans plusieurs pays européens, y compris à l’intérieur de la communauté économique européenne. Je crois que l’on ne peut jamais exclure un scénario autoritaire et que la France n’est pas indemne à priori et que le futur est ouvert. Ce n’est pas le plus probable, mais le futur me semble ouvert.

3. Le scénario de l’écroulement : on n’en est pas là, heureusement. Mais dans l’union européenne, il y a des pays qui sont fortement touchés par ce scénario. Là encore, les choses ne doivent jamais être exclues.

4. Le dernier scénario serait celui d’une démocratisation de la « démocratie » : la participation viendrait rejoindre la politique traditionnelle. Je l’appelle le « scénario islandais », parce que le pays était mis à genoux par la crise de ses banques, un peu comme la Grèce, qui a eu un vaste processus passant par de nouvelles élections, un nouveau gouvernement – puis d’ailleurs encore un autre, l’an dernier – des manifestations de rue, des réunions entre syndicats et patronats pour réélaborer un nouveau pacte social, des assemblées citoyennes tirées au sort pour essayer de poser les bases sur lesquelles devait se refonder le pays, l’élection d’un comité constituant de 25 personnes composé de citoyens ordinaires. Les responsables politiques de profession ne pouvaient pas s’y présenter pour rédiger un projet de nouvelle constitution. Un changement de majorité politique l’an dernier, rend peu probable l’adoption du projet tel qu’il avait été élaboré. Il n’empêche qu’on a eu un processus avec un élargissement de la démocratie qui ne niait pas un rôle central aux élections et à la politique représentative et au parlement classique, mais qui les insérait dans un processus beaucoup plus ample.

Il me semble que la politique au XXIème siècle ne sera pas la politique du XXème siècle. Ceux qui pensent qu’on peut continuer ainsi se trompent. Au XXème siècle, on a eu des changements radicaux par rapport au XIXème siècle, sur le plan socioéconomique, mais aussi sur le plan politique. Il me semble que nous avons intérêt aujourd’hui, depuis l’échelle locale jusqu’à l’échelle internationale, à nous projeter dans ce que pourrait être les scénarios dynamiques du futur. J’avais noté dans l’introduction de Pierre LAMARD, les mots fortement prononcés, d’innovation, de créativité sur le plan culturel et économique. Il me semble qu’il faut faire preuve également d’innovation et de créativité sur le plan politique, faute de quoi, le politique continuera de susciter une défiance croissante et que dans cette projection. La participation qui se fait aujourd’hui, en France et ailleurs, peut être un tremplin. Dans un tel cadre, il est presque sûr que la place des élections et des représentants élus continuera d’être importante, mais sera relativisée. Sera-t-elle relativisée au profit d’instances citoyennes, permettant en partie une participation de l’ensemble des couches de la

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société ? Sera-t-elle relativisée au profit d’instances technocratiques purement et simplement, et du pouvoir des marchés ? La chose est ouverte, mais il me semble que l’enjeu n’est pas négligeable.