Internationalisation Du Capital Et Processus Productif

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 Groupe S.I.F.I. Wladimir Andreff Ghislain Deleplace Françoise Dubœuf Lucien Gillard F. Gonzales-Vigil J.-L. Lespes L. Sardais Internationalisation du capital et processus productif : une approche critique In: Cahiers d'économie politique, n°1, 1974. pp. 9-121. Citer ce document / Cite this document : Groupe S.I.F.I., Andreff Wladimir, Deleplace Ghislain, Dubœuf Françoise, Gillard Lucien, Gonzales-Vigil F., Lespes J.-L., Sardais L. Internationalisation du capital et process us productif : une approche critique. In: Cahiers d'économie politique, n°1, 1974. pp. 9-121. doi : 10.3406/cep.1974.870 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cep_0154-8344_1974_num_1_1_870

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Internationalisation du capital et processus productif

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  • Groupe S.I.F.I.Wladimir AndreffGhislain DeleplaceFranoise DubufLucien GillardF. Gonzales-VigilJ.-L. LespesL. Sardais

    Internationalisation du capital et processus productif : uneapproche critiqueIn: Cahiers d'conomie politique, n1, 1974. pp. 9-121.

    Citer ce document / Cite this document :

    Groupe S.I.F.I., Andreff Wladimir, Deleplace Ghislain, Dubuf Franoise, Gillard Lucien, Gonzales-Vigil F., Lespes J.-L.,Sardais L. Internationalisation du capital et processus productif : une approche critique. In: Cahiers d'conomie politique, n1,1974. pp. 9-121.

    doi : 10.3406/cep.1974.870

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cep_0154-8344_1974_num_1_1_870

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  • Groupe S.I. F.I.

    INTERNATIONALISATION DU CAPITAL

    ET PROCESSUS PRODUCTIF:

    UNE APPROCHE CRITIQUE *

    * Cet article a t discut et labor collectivement d'avril 1973 janvier 1974 au sein du groupe SIFI, qui se compose de : W. Andreff (Paris I), G. Deleplace (Amiens), F. Dubuf (Paris I), L. Gillard (C.N.R.S.), F. Gonzales-Vigil (Paris I), J.-L. Lespes (Paris I) et L. Sarclais (Commissariat Gnral du Plan) ; SIFI (Stratgie Industrielle de la Firme Internationale) a t constitu dans le cadre du Groupe d'Etude sur les Relations Economiques Internationales (GEREI), Equipe de Recherche Associe n 283 du C.N.R.S., dirige par B. Ducros, Professeur l'Universit de Paris I (90, rue de Tolbiac, Paris 75013).

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    SOMMAIRE

    INTRODUCTION GNRALE

    1 La contradiction principale dans le mode de production taliste.

    2 * Justification de notre approche critique. 3 * La priodisation de l'analyse de l'internationalisation du capital. 4 La spatialisation de l'analyse de l'internationalisation du

    tal. 5 * La sectorialisation de l'analyse du mode de production

    liste. 6 La nature de l'Etat dans l'analyse du mode de production

    taliste.

    Premire partie :

    Rapports de production et rapports politiques et idologiques. a propos de l'internationalisation du capital selon n. poulantzas.

    A - LES CONCEPTS

    Al * La priodisation et l'internationalisation du capital. A2 La bourgeoisie intrieure et l'internationalisation du capital.

    B - LA CRITIQUE

    Bl * Rapports de production ou rapports politiques et idologi- giques ?

    B2 * Bourgeoisie intrieure et crise du capitalisme.

    Deuxime partie :

    Rapports de production et rapports marchands. A propos de l'internationalisation du capital selon C. Palloix.

    A - NOTES DE LECTURE

    Al * Les concepts utiliss. A2 * Les conclusions thoriques.

    B - LA COHERENCE DE LA RECHERCHE DEVELOPPEE PAR PALLOIX

    Bl * Caractrisation des deux priodes du mode de production capitaliste.

    B2 * La logique de l'volution historique.

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    C - CRITIQUE

    Cl * Critique de l'approche des rapports sociaux capitalistes. C2 Critique de l'approche en termes de branche. C3 Critique de l'approche des relations entre capitaux individuels.

    Troisime partie :

    Rapports de production et rapports de proprit et de rpartition. A PROPOS DE L'INTERNATIONALISATION DU CAPITAL SELON LA

    THORIE DU CAPITALISME MONOPOLISTE D'ETAT.

    - PRESENTATION ET COHERENCE DE LA THESE

    Al Expos des concepts. A2 L'articulation thorique des concepts propos de

    l'internationalisation du capital.

    B - CRITIQUE

    Bl Rapports de production ou rapports de proprit ? B2 L'impossible analyse du Capitalisme Monopoliste d'Etat

    comme phase spcifique.

    CONCLUSION

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    INTRODUCTION GENERALE

    La recherche entreprise collectivement par le groupe S.I.F.I. porte sur la faon d'analyser la logique de reproduction du capital, comme rapport social, en l'abordant sous l'angle de son internationalisation.

    Cette approche nous situe d'emble dans une problmatique en terme de contradiction, ainsi que nous l'indiquons tout d'abord ( 1). Mais la rfrence Marx ne suffit pas produire des analyses satisfaisantes de la ralit sociale, et nous prciserons de quel point de vue on se placera ici pour critiquer certaines des analyses qui sont aujourd'hui les plus courantes en France, chez les marxistes ( 2).

    A travers ces critiques nous dgagerons les bases principales de cette reconstruction thorique qui, au-del du prsent article, constitue l'objectif de notre recherche. Ces apports forment dorxc l'envers positif de notre dmarche critique, et devront tre sans cesse gards l'esprit pour saisir le sens de la dmonstration. Ils concernent respectivement la priodisation ( 3) et la spatialisation ( 4) de l'analyse de l'internationalisation du capital ; et d'autre part la nature du secteur ( 5) et celle de l'Etat ( 6), telle que nous les concevons pour analyser le mode de production capitaliste (M. P.C.). Ces six points feront donc l'objet de notre introduction.

    *

    1. La contradiction principale dans le M.P.C.

    Le mode de production capitaliste se caractrise la fois par la sparation conomique entre les travailleurs et leurs conditions de travail (moyens de production, moyens de subsistance), et par l'organisation de leur travail, qui apparat comme exigence rationnelle, extrieure eux-mmes. Cette exigence est triple, en ce que le procs de travail est en mme temps (1) :

    production gnralise de marchandises, c'est--dire reproduction, une chelle largie, de la sparation entre travail concret, par lequel s'exprime le travailleur, et travail social abstrait qui est substance de valeur ;

    production de plus-value, c'est--dire absorption par le capital de travail vivant crateur de valeur. Ainsi, dans le procs de production, ce n'est plus l'ouvrier qui utilise les moyens de production mais les moyens de production qui utilisent l'ouvrier (2) ;

    (1) K. Marx, Le Capital, Critique de l'Economie Politique, Livre I, ainsi que Un chapitre indit du Capital. Union Gnrale d'Editions coll. 10/18. Paris, 1971.

    (2) K. Marx : Un Chapitre indit du Capital, p. 138-139.

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    production de capital, c'est--dire reproduction des rapports sociaux eux-mmes> les travailleurs produisant une chelle largie les conditions du travail (moyens de production, moyens de subsistance), qui ensuite leur feront face.

    La division sociale du travail, et la hirarchie qui lui est lie, rpondent ainsi dans le MPC aux seules ncessits de la valorisation du capital.

    Cette dfinition situe la contradiction principale en fonction de laquelle doit tre analys le capitalisme (et aussi bien les rponses qu'il tente d'y apporter que la nature des contradictions secondaires). Il ne peut s'agir d'une contradiction entre pays (riches/ pauvres), entre bourgeoisies (amricaine/autres), ni entre monopoles et besoins sociaux. La contradiction principale se situe entre capital et travail.

    Dans cette optique, le capital se conoit videmment comme rapport social, l'inverse de la conception dominante qui en fait une abstraction a-historique (un facteur de production). Mais, contrairement aux conceptions dfendues par un certain nombre d'auteurs se rclamant du marxisme, il nous semble que le capital :

    1) n'a pas principalement un caractre national. Et c'est l'objet de la prsente contribution de prouver la ncessit d'une analyse du capital conu directement au niveau mondial, les nations ne devant tre qu'un systme de fractionnement du capital dans son processus mondial de valorisation. Encore la pertinence de ce dcoupage reste-t-elle discuter (3) ;

    2) ne peut tre pens comme simple instrument de production, indpendant de la relation sociale qu'il implique dans le systme (et sans laquelle il ne serait mme pas du capital). D'o il rsulte que, pour nous, la notion de forces productives n'est pas une notion gnrale, mais qu'elle doit tre spcifie pour le M.P.C. Or celui-ci est production gnralise de marchandises, donc ngation des travaux concrets travers le processus de formation du travail abstrait. Le dveloppement des forces productives est alors essentiellement reproduction des conditions de mise en uvre du travail vivant, c'est--dire reproduction largie des rapports de production capitalistes ;

    3) relve d'une analyse qui privilgie sa forme productive, c'est--dire le moment du cycle dans lequel le capital se valorise (en reproduisant l'cart entre valeur de la force de travail et productivit du travail). Certes, la faon dont s'avance le capital la production et la faon dont il se rcupre modifient les conditions de valorisation ; il convient donc d'analyser le cycle du capital social dans l'unit de ses trois moments. Du moins, la production

    (3) Nous voquerons cette question propos de la mthodologie sectorielle, cf. infra, p. 17

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    comme moment du cycle reste-t-elle dterminante (y compris pour le capital-argent et le capital-marchandise eux-mmes).

    2. Justification de notre approche critique.

    Cette conception du capital comme rapport social nous a servi de rfrence pour critiquer les analyses de l'internationalisation du capital que proposent certains auteurs franais se rclamant du marxisme (4).

    C'est dire que les propos qu'on va lire ne sont pas noncs au nom de la critique de l'conomie politique en tant que science, ni au nom de la fidlit authentique tel ou tel auteur, non plus qu'au nom de telle ou telle pratique politique. Nous sommes conscients que notre analyse n'est pas neutre par rapport ces diffrents points de vue, mais nous n'avons pas dsir ces consquences en tant que telles. Notre travail s'est voulu essentiellement thorique.

    Pour cela, nous partons des hypothses que :

    1) La critique d'auteurs se rclamant du marxisme est un moyen pour forger ou prciser les concepts que le groupe S. I.F.I. entend utiliser pour sa propre analyse.

    2) Cette critique peut tre faite sur la base de l'adquation des concepts l'objet d'analyse (le capital) et de la cohrence interne dans l'articulation de ces concepts. Elle pourrait l'tre galement sur l'aptitude d'une analyse reproduire thoriquement les phnomnes concrets du capitalisme, et guider les pratiques sociales (par transformation des acteurs et des conditions de leur lutte). Mais nous pensons que les deux premiers niveaux de critique sont suffisants pour fonder la ncessit d'une autre approche.

    Les limites de notre travail tant ainsi prcises, il nous reste souligner trois points fondamentaux auxquels renvoie constamment notre critique. Ils concernent l'aspect historique, l'aspect spatial et l'aspect structurel de l'analyse de l'internationalisation du capital.

    3. La priodisation de l'analyse de l'internationalisation du capital.

    La contrainte globale de valorisation du capital pse sur l'ensemble du mode de production capitaliste. C'est--dire qu'elle pse l'chelle mondiale, que le M. P.C. soit plus ou moins tendu go- graphiquement, que les forces productives soient plus ou moins dveloppes et que le stade de dveloppement soit plus ou moins monopoliste.

    (4) N. Poulantzas, C. Palloix et les thoriciens du Capitalisme Monopoliste d'Etat.

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    L'internationalisation du capital nous parat donc un phnomne inhrent au capitalisme lui-mme ; celui-ci se dveloppe simultanment en largissant son champ d'exploitation vers les sphres non capitalistes et en l'approfondissant dans sa sphre d'implantation initiale.

    L'internationalisation apparat comme une catgorie logique (faon de rsoudre les problmes du capital). Elle n'est pas l'aboutissement de l'volution du mode de production capitaliste, ni le reflet externe des contradictions nationales du M. P.C. et/ou des changements intervenus au niveau d'autres phnomnes (capital financier par exemple).

    Si on dsirait priodiser l'volution du M. P.C., c'est en fonction de la spcificit des rapports de production qu'il faudrait sans doute le faire. C'est--dire partir de catgories logiques ayant des contenus spcifiques, et non pas sur la base des formes changeantes que prennent les mmes concepts au cours du temps.

    Marx nous invite d'ailleurs lui-mme une telle sociologie historique du salariat quand il distingue la subordination formelle de la subordination relle du travail au capital (5). Dans l'une (et dans un premier temps) on voit apparatre la plus-value sur la base des mthodes techniques existantes (allongement de la dure du travail). Dans l'autre (et aprs largissement des bases techniques de la production), c'est la plus-value relative qui prvaut (baisse de valeur de la force de travail et du temps ncessaire la production du travailleur par rapport au temps de travail total).

    Nous renonons dire pour notre part que nous sommes actuellement ou que nous ne sommes pas dans une nouvelle phase ou stade du M.P.C.

    Nous pensons pouvoir dire par contre que la rponse cette question doit passer par une analyse de la nature du salariat en s 'interrogeant sur les contenus et les formes que peuvent prendre le travail improductif, le travailleur collectif (qui ne se rduit pas une simple interdpendance technologique entre travailleurs individuels) voire le travail international (qui ne se rduit pas non plus aux migrations, ni la firme multinationale).

    Cela nous spare totalement des auteurs analyss ici chez qui : 1) ou bien, on ne peut expliquer comment un changement de

    dominance (de l'conomique l'idologique) est possible, tout en restant dans le mme mode de production (Poulantzas) ;

    2) ou bien, les formes de l'internationalisation se modifient sans liens explicites avec les conditions d'extraction de la plus-value (Palloix) ;

    (5) K. Marx : Un chapitre indit du Capital, op. cit., pp. 191 et ss.

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    3) ou bien, le fonctionnement et l'extension du M.P.C. se modifient sans que la priodisation ne soit relie des changements d'expression du rapport de production fondamental (quelle que soit d'ailleurs l'interprtation qu'on peut donner de ce rapport dans la thse du Capitalisme Monopoliste d'Etat) (6).

    4. La spatialisation de l'analyse de l'internationalisation du capital.

    Paralllement aux concepts de phases et de stades, les auteurs qui analysent l'internationalisation du capital (et de manire plus explicite chez Poulantzas et Palloix) font galement rfrence aux concepts de centre et de priphrie (et les imbriquent d'ailleurs trs souvent avec eux. Encore une fois, il nous semble qu'il faudrait attribuer ces catgories nouvelles une porte thorique ou logique beaucoup plus que spatiale ou politique.

    Ces catgories sont utiles en ce qu'elles invitent penser le capital dans sa totalit. Car les deux liens de valorisation en question appartiennent bien au mme systme mondial et le sous-dveloppement nat prcisment de l'intgration de la priphrie au M.P.C.

    Dans notre esprit, la pertinence de ces catgories peut se dfendre dans l'analyse des seuls capitaux, c'est--dire de la division internationale du travail et du dveloppement polaris des forces productives d'une part, et aussi du mode de valorisation de ces capitaux respectifs (la modification ingale du prix de la force de travail et de la productivit du travail selon les lieux).

    Ds que ces catgories de centre et de priphrie sont utilises pour l'analyse des rapports entre bourgeoisies (avec tous les systmes d'alliances et d'intrts que cela implique, y compris l'intrt que les bourgeoisies locales peuvent trouver dans le sous-dveloppement de leur propre pays) ; ds qu'elles sont transfres aux analyses des rapports entre pays (pays industrialiss/pays sous-dve- lopps), sans considration de l'htrognit des capitaux et des modes de valorisation locaux, ces catgories deviennent tout fait inadquates, notre sens.

    Les contradictions du centre rejaillissent sur les relations existant la priphrie, y compris sur la frontire entre le centre, les relais et. la priphrie. Et l'analyse du fonctionnement du systme passe ncessairement par l'tude de ces phnomnes, contrairement :

    1) Poulantzas pour qui on ne peut dgager aucune loi structurelle des relations entre les priphries ( amas conjoncturel ),

    (6) On verra que dans cette thse ce qui permet de caractriser le M.P.C. est la nature de la proprit des moyens de production, cf. infra, p. 91

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    et pour qui la domination amricaine occulte les contradictions in- ter-imprialistes ;

    2) Palloix qui assimile trop rapidement les catgories thoriques (centre/priphrie) avec les catgories concrtes (pays, bourgeoisies), sans aucune analyse des passages, c'est--dire de la faon dont l'articulation entre les divers capitaux traverse les pays et les bourgeoisies ;

    3) aux analyses du C.M.E. qui juxtaposent les Etats (du centre), sans analyse des contradictions, et sans revoir le rle fonctionnel attribu l'Etat.

    5. La sectorialisation de l'analyse du M.P.C.

    Pour intgrer notre conception de l'internationalisation, dveloppe dans les deux paragraphes prcdents, avec notre conception du capital nonce au dpart, une analyse en termes de contrainte globale nous parat devoir se substituer une analyse des comportements. Car les stratgies d'entreprise ne font qu'indiquer plus ou moins parfaitement des problmes qui les dpassent mais qu'il s'agit d'interprter en priorit. C'est en grande partie parce qu'ils ne sont pas clairs sur ce point (et qu'ils glissent souvent, par exemple, du concept de capital celui de capitaux) que les auteurs dont nous faisons ici la critique s'interdisent de poser les deux problmes suivants, que nous jugeons pour notre part fondamentaux :

    1) Les formes techniques de l'accumulation sont-elles, ou non, d'une autre nature avec et sans internationalisation (7) ? La littrature tudie traite plus volontiers des formes marchandes d'allocation du capital en divers lieux et activits, ainsi que des formes de rcupration du capital sur diffrents marchs.

    2) La relation entre les forces productives et les rapports de production est-elle, ou non, d'une autre nature avec et sans internationalisation ? Les auteurs tudis n'abordent pratiquement pas les problmes d'achat/vente de la force de travail, non plus que l'analyse du profit en elle-mme (mode d'extraction de la plus-value, loi de tendance, mcanisme de prquation ou de polarisation).

    En aucun cas, la rponse de telles questions ne pourra provenir d'une analyse des comportements. Dans le fonctionnement du systme capitaliste, les comportements s'inscrivent l'intrieur l'une logique de reproduction de ce systme : c'est--dire, l'int-

    (7) Cf., ce propos, les thses ( soutenir en 1974) de J.-L. Lespes (Transferts de techniques et accumulation du capital) et de F. Gonzals-Vigil (Progrs technique et formes monopolistes d'accumulation). Au sein du groupe SIFI, F. Dubuf et L. Sardais prparent galement chacune une thse sur les processus productifs, la premire en relation avec les produits nouveaux et la seconde sur le cas concret de la France.

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    rieur d'une contrainte globale qui les dpasse et qui les sanctionne toujours en dfinitive.

    Or, cette contrainte ne rsulte pas d'une simple sommation de comportements individuels, mme si ces derniers contribuent involontairement la reproduire. Il nous parat donc fondamental d'aborder la reproduction du M. P.C. directement au niveau de la contrainte, y compris ventuellement pour interprter ensuite les comportements.

    Et il faudrait notre avis entreprendre cette dmarche d'un double point de vue :

    1) Par l'articulation du capital social dans son ensemble et des capitaux individuels (8) : ceci pour voir sous quelles formes spcifiques se reproduit la contrainte de valorisation du capital social.

    2) Par l'articulation des diffrents cycles du capital social, la contrainte ne jouant pas le mme rle aux diffrents moments du cycle : ceci pour rendre compte la fois des formes techniques, des formes financires, et des formes marchandes de l'accumulation.

    Nous avons appel secteur l'outil d'analyse qui permet de penser cette articulation entre les diverses composantes et les diverses formes du capital social.

    En effet, qu'il s'agisse d'analyser la logique fondamentale du M. P.C. (avec les changements dans les conditions de reproduction de la force de travail et des moyens de production), ou qu'il s'agisse d'analyser les mouvements des capitaux individuels qui l'expriment concrtement (avec la concentration, la centralisation, l'internationalisation...), une nouvelle catgorie thorique nous parat ncessaire.

    Dans notre esprit, le seteur reprsenterait alors diffrentes fonctions sociales que peuvent et doivent assumer les divers capitaux individuels dans la reproduction du systme. Envisag comme une faon de regrouper les capitaux individuels (et la fois de fractionner le capital social) sur la base des conditions ncessaires cette reproduction, le secteur devient ainsi un instrument d'analyse de l'accumulation du capital social (et donc des mouvements de fusion, internationalisation, etc., des capitaux individuels).

    (8) La notion de capital individuel renvoie pour nous la notion de concurrence (c'est le rsultat de la concentration/centralisation) ; mais elle renvoie aussi l'appropriation (comme vhicule de l'approfondissement des rapports sociaux), et aussi une certaine dcomposition du cycle du capital social (en tant que masse

    de valeurs engage dans une phase ou une forme spcifique). Cela distingue chacun des capitaux individuels, la fois des fractions et aussi des firmes, pour les dsigner comme autant de foyers de l'accumulation globale.

  • INTERNATIONALISATION DU CAPITAL 19

    Cet instrument permet d'abord de ne pas situer l'analyse au niveau des motivations individuelles ou de la rationalit des agents. Il permet aussi de ne pas s'en tenir au cadre national, qui nous parat insuffisant pour caractriser le rseau des contraintes dans lequel s'inscrit la valorisation du capital mondial.

    Encore que plusieurs d'entre nous (9) aient dj rflchi individuellement ce concept, on ne saurait prtendre que sa construction soit totalement acheve.

    Ce qui a t fait autorise cependant conclure que le dcoupage en branches, retenu tant par les auteurs marxistes que par les autres, est parfaitement inadquat pour l'analyse de la reproduction du capital. Il exprime simplement que le fonctionnement du M.P.C. s'effectue sous contrainte de march, alors que cette contrainte ne spcifie qu'un des moments du cycle, et pas le principal d'entre eux (10).

    6. La nature de l'Etat dans l'analyse du M.P.C.

    L'approche de l'Etat emprunte principalement trois directions, dont chacune rpond plus ou moins bien aux problmes que les autres laissent en suspens ; mais aucune n'tant pleinement satisfaisante.

    L'approche fonctionnelle attribue l'Etat un rle collectif bien autonomis par rapport aux autres rles sociaux. Mais son finalisme introduit dans l'analyse le problme de l'automatisme des fonctions de rgulation conomique, et celui de l'autonomie (et de la rationalit) des pratiques politiques par rapport aux conditions de la lutte sociale (des classes).

    L'approche institutionnelle rpond en partie ces problmes, puisqu'elle envisage l'Etat comme organisation (enjeu) qui intriorise les luttes sociales, et dans laquelle s'inscrivent les sujets concrets, avec leur finalit propre. En mettant trop l'accent sur le niveau de conscience, cette analyse limine cependant le problme des contraintes structurelles qui requirent certaines pratiques politiques, et la fonction idologique dont sont porteurs les sujets, indpendamment de leurs motivations individuelles.

    D'une certaine faon encore, l'approche structurale rsoud ces problmes en prsentant l'Etat sous la forme d'une combinaison hirarchise d'instances politiques, idologiques et conomi-

    (9) L. pillard : Le secteur comme concept thorique, Thse Paris, 1971 ; G. Dele- place : Rpartition et accumulation du capital - Essai sur la diffrenciation des taux de profit, Thse, Paris, 1972 ; W. Andreff : Dveloppement de la firme multinationale et sectorialisation mondiale de la production, Thse, Paris, soutenir en 1974.

    (10) Cette critique est particulirement dveloppe propos des auteurs du C.M.E., infra, p. 98, et propos de Palloix, p. 60.

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    ques, qui sont caractristiques du mode de production considr, et ne peuvent tre penses indpendamment de l'extension et de l'approfondissement du rapport social. Il reste que la faon dont la dterminance de l'conomique continue de jouer en dernire instance reste problmatique dans cette analyse, et aussi bien la logique historique de la reproduction de l'Etat lui-mme mesure du dveloppement des luttes de classes (le changement de pratiques, le degr d'autonomie, etc.).

    Les diffrentes thories que nous analysons dans notre tude sur l'internationalisation du capital privilgient en fait telle ou telle approche de l'Etat, sans que ce soit ncessairement toujours la mme aux diffrents moments de l'analyse ; et sans rechercher titre principal comment s'articulent ces trois niveaux que sont la forme, le contenu et la fonction de l'Etat.

    Nous pensons l'inverse que ces trois niveaux doivent tre penss dans leur unit, et que leur articulation dpend fondamentalement des rapports de production eux-mmes.

    C'est pourquoi nous nous proposons ultrieurement d'interprter la nature de l'Etat et sa liaison avec l'internationalisation du capital autour des trois principes suivants :

    1) Prendre soin de bien localiser d'abord la contradiction principale du mode de production tudi, et considrer que l'Etat est l'un des produits de cette contradiction.

    2) Se garder de figer une fois pour toutes les comportements tatiques et le rle de l'Etat par rapport aux divers agents ou classes sociales.

    3) Analyser en priorit comment le contenu, la forme et la fonction tatique s'articulent entre elles, en liaison avec les problmes de valorisation du capital dans son ensemble.

    Parce qu'elles ont mal localis la contradiction principale du M.P.C., nous estimons que les analyses de l'internationalisation du capital que nous tudions ici sont, du mme coup, incapables de fournir une interprtation satisfaisante de la nature de l'Etat par rapport aux processus conomiques ; et notamment qu'elles ne peuvent pas priodiser correctement les interventions publiques par rapport la logique historique du systme capitaliste (le problme de la gense et de la reproduction de l'Etat est toujours esquiv).

    Pour ce qui concerne l'tude de la phase actuelle du M. P.C., cette insuffisance fondamentale s'exprime travers une articulation tronque de trois niveaux d'analyse, qui juxtapose plutt des arguments de nature institutionnelle et fonctionnelle chez les thoriciens du C.M.E. (avec glissements permanents du premier au deuxime niveau), plutt de nature fonctionnelle et structurelle chez Palloix ( vrai dire trs peu intgrs au raisonnement sur

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    l'internationalisation) et plutt de nature structurelle et institutionnelle chez Poulantzas (pour qui l'Etat n'est plus dot d'aucune fonction par rapport l'extraction de plus-value).

    Aussi bien pour ce qui concerne les facteurs explicatifs du dveloppement du M. P.C. (dans le temps, avec la priodisation, ou dans l'espace, avec l'internationalisation) que pour ce qui concerne les lments permettant d'tudier son fonctionnement dans une priode donne (branche, Etat), on voit donc que les thories analyses de l'internationalisation du capital renvoient toujours une apprhension du processus productif et de la nature du travail salari incompatible avec notre propre problmatique (contradiction principale).

    Dans cet article, nous soutiendrons cette thse en trois parties qui illustreront, propos des Poulantzas, de Palloix, puis des thoriciens du C.M.E., autant de dviations possibles dans la faon d'analyser la reproduction du M. P.C.

    Nous montrerons que, implicitement sinon explicitement, cette analyse est mene entirement par Poulantzas en termes de rapports politiques et idologiques, par Palloix en termes de rapports marchands, et par les thoriciens du C.M.E. en termes de rapports de proprit et de rpartition.

    Que l'on soit ou non d'accord avec la dfinition de ces rapports donne par les auteurs (11), ils ne peuvent tre prsents :

    ni comme le rapport social fondamental, puisqu'ils ne rendent pas compte de la reproduction des rapports de production ;

    ni comme l'expression de ce rapport social fondamental, puisque leur articulation avec celui-ci n'est pas produite thoriquement (12).

    (11) Notre objectif n'est pas ici de critiquer ces dfinitions ou d'en proposer d'autres.

    (12) Pour la commodit de l'expos et afin de faciliter les recoupements d'un auteur l'autre, nous les prsenterons selon une dmarche identique, en reprant d'abord les concepts fondamentaux de chacun et leur cohrence, puis en critiquant leurs positions respectives.

  • 22 S.I. R I.

    Premire Partie

    RAPPORTS DE PRODUCTION

    ET RAPPORTS POLITIQUES ET IDOLOGIQUES

    A propos de l'internationalisation du capital selon N. POULANTZAS (1)

    N. Poulantzas se propose d'tudier la nouvelle phase de l'imprialisme, plus prcisment les nouveaux rapports des mtropoles imprialistes entre elles et leurs effets sur les appareils d'Etats (2). D'une manire plus ambigu, Poulantzas cherche analyser les relations de ces Etats avec l'internationalisation du capital ou les firmes multinationales (2). En clair, l'objet de l'tude est l'internationalisation du capital et les contradictions imprialistes. Pour cela, Poulantzas utilise un certain nombre de concepts dont nous essayerons de dceler et critiquer la cohrence.

    A LES CONCEPTS

    A1. - La priodisation et l'internationalisation du capital

    Ail. - La priodisation

    Pour caractriser le capitalisme contemporain, N. Poulantzas divise l'volution du mode de production capitaliste en stades qui eux-mmes se partagent en phases (3) le stade imprialiste, correspondant au capitalisme monopoliste est marqu par le dplacement de la dominance la fois dans la formation sociale et dans la chane imprialiste, de l'conomique au politique {l'Etat) (4). Poulantzas ajoute que la priodisation en phases de l'imprialisme lui-mme est lgitime dans la mesure o le mode de production capitaliste prsente cette particularit l'gard des modes prcapitalistes d'tre marqu par deux stades, qui se distinguent par une articulation diffrente de sa structure (5).

    Trois phases de l'imprialisme sont distingues par l'auteur. Une phase de transition va du stade capitaliste concurrentiel

    au stade imprialiste. Elle s'tend de la fin du xixe sicle jusqu' la priode de l'entre deux guerres.

    (1) L'internationalisation des rapports capitalistes et l'Etat Nation (Les Temps Modernes, fvrier 1973).

    (2) P. 1456. (3) Poulantzas prcise qu'il ne s'agit pas d'une succession ncessaire. (4) P. 1460. (5) P. 1462.

  • INTERNATIONALISATION DU CAPITAL 23

    Elle est caractrise par un triple quilibre instable : entre le capitalisme concurrentiel et le capitalisme

    monopoliste, entre l'exportation de marchandises et l'exportation de

    capitaux, entre la dominance de l'conomique et la dominance du

    politique, c'est--dire de l'Etat.

    La phase de consolidation du stade imprialiste : Au sein des mtropoles, le capitalisme monopoliste tablit sa dominance sur le capitalisme concurrentiel, connotant la dominance du politique de l'Etat au sein de ces formations ... Dans la chane imprialiste c'est l'exportation des capitaux qui l'emporte sur l'exportation des marchandises, et c'est le politique qui prvaut dans les rapports mtropoles formations domines et dpendantes (6).

    La phase actuelle de l'imprialisme. Elle commence la fin de la deuxime guerre mondiale. Cette phase est caractrise par deux traits essentiels : la dominance des effets de dissolution imposs par le capitalisme monopoliste sur les formes prcapitalistes et concurrentielles ; d'autre part par la modification des rapports mtropoles priphrie due au fait que le mode de production des mtropoles se reproduit... l'intrieur mme des formations domines et s'tend de faon dcisive au domaine de leurs appareils d'Etat et de leurs formes idologiques (7).

    Par ailleurs la phase actuelle du capitalisme voit en plus de la dmarcation mtropole formations domines, l'tablissement d'une nouvelle ligne de dmarcation dans le camp des mtropoles entre U.S.A. d'une part, les autres mtropoles de l'imprialisme, et en particulier l'Europe de l'autre (8).

    A12. - La structure de la chane imprialiste

    La chane : les rapports entre mtropoles et formations domines, et entre les mtropoles elles-mmes, constituent la chane imprialiste. En effet les maillons de la chane semblent tre des mtropoles et des formations sociales domines, places dans un cadre hirarchique : Ds les dbuts de l'imprialisme, un clivage fondamental a aussi marqu la chane imprialiste : celui entre, d'une part les mtropoles imprialistes, d'autre part les formations sociales domines et dpendantes.

    Le centre et la priphrie : Cette distinction correspond la division imprialiste du travail qui renvoit pour l'essentiel la

    (6) (7) (8)

    P. P. P.

    1463. 1464. 1465.

  • 24 S.I.F.I.

    division entre ville (industrie) et campagne (agriculture) (9) Ajoutons que si la structure de domination et de dpendance de la chane imprialiste organise les rapports mtropoles formations domines, ceci vaut galement pour les rapports entre les formations du centre elles-mmes.

    Les mtropoles. Il apparat ainsi que le maillon de base de la chane est la mtropole. Le centre est constitu par les mtropoles dominantes, la priphrie par les formations conomiques domines. Finalement l'analyse des formes d'accumulation du capital et de la spcialisation internationale revient l'analyse des nouveaux rapports des mtropoles imprialistes entre elles (10).

    Les relations entre ces lments. Ces divers lments sont hirarchiss en fonction des concepts de dominance et de dtermi- nance. Le concept de dominance renvoit une conception structuraliste. C'est de cette conception qu'il tire son sens. Poulantzas lui-mme l'a dfini dans ses prcdents travaux (11). Si un mode de production dsigne une combinaison spcifique d'instances (ou de niveaux), le type d'unit qui la caractrise est celui d'un tout complexe dominance . La dominance en dernire instance, celle de l'conomique est appele dtermination. Mais la dtermination de la structure du tout par l'conomique ne signifie pas que l'conomique y dtient toujours le rle dominant ... L'conomique n'est en fait dterminant que dans la mesure o il attribue telle ou telle instance le rle dominant, c'est--dire dans la mesure o il rgle le dplacement de la dominance d la dcentration des instances (12).

    Retenons donc qu'au sein d'un mode de production, une rgion domine et les dplacements de la dominance doivent tre recherchs dans le fonctionnement de l'conomique. Notons cependant qu'au sein d'une formation sociale, plusieurs modes de production coexistent mais l'un d'eux est dominant. Il s'agit l d'une seconde signification du concept.

    A2 - La bourgeoisie intrieure et l'internationalisation du capital

    Aprs avoir pos que l'Etat et les institutions n'ont pas de pouvoir propre, mais ne font qu'exprimer et cristalliser des pouvoirs de classe, N. Poulantzas s'attache dfinir un concept de bourgeoisie intrieure par opposition la bourgeoisie nationale et la bourgeoisie compradore.

    (9) P. 1461. (10) P. 1456. (11) Poulantzas : Pouvoir politique et classes sociales, Maspero, 1971. T. 1. (12) Id., pp. 8 et ss.

  • INTERNATIONALISATION DU CAPITAL 25

    La bourgeoisie nationale est la fraction autochtone de la bourgeoisie qui, partir d'un certain type et degr de contradictions avec le capital imprialiste tranger, occupe dans la struture idologique et politique une place relativement autonome et prsente ainsi une unit propre (13). La bourgeoisie compradore au contraire serait la fraction bourgeoise qui n'a pas de base propre d'accumulation du capital, qui agit en quelque sorte comme simple intermdiaire du capital imprialiste tranger (14).

    L'auteur pense que ces dfinitions sont insuffisantes pour tudier les situations concrtes des bourgeoisies des mtropoles imprialistes dans leurs rapports avec le capital amricain. C'est ainsi qu'il dfinit le concept de bourgeoisie intrieure qui sera la synthse des deux autres concepts en ayant les caractres de l'un et de l'autre. En raison de la reproduction du capital amricain au sein mme de ces formations... la bourgeoisie intrieure... est imbrique, par de multiples liens de dpendance, aux procs de division internationale du travail et de la concentration internationale du capital sous la domination du capital amricain..., mais en plus, en raison de la reproduction induite des conditions politiques et idologiques de cette dpendance, elle est affecte par des effets de dissolution de son autonomie politico-idologique face au capital amricain (15).

    L'Etat, appareil de cohsion de l'unit d'une formation et de reproduction de ses rapports sociaux, concentre et rsume les contradictions de classe de l'ensemble de la formation sociale, en consacrant et en lgitimant les intrts de classe et fractions dominantes face aux autres classes de cette formation, tout en assumant des contradictions de classes mondiales (16). Le rle des Etats consiste prendre en charge les intrts du capital imprialiste dominant au sein de la formation nationale ; il a donc une fonction d'intriorisation complexe des intrts du capital imprialiste dominant.

    B - LA CRITIQUE

    B1 - Rapports de production ou rapports politiques et idologiques?

    Bll. - La contradiction entre la dfinition et le fonctionnement des concepts

    Pour montrer comment fonctionnent et se reproduisent les rapports de production, l'analyse de l'internationalisation du capital doit rendre compte des conditions d'extraction de la plus-value

    (13) P. 1484 de l'article. (14) P. 1484. 15) P. 1485. (16) P. 1491.

  • 26 S. I. F. I.

    et tudier les contradictions inhrentes au procs de reproduction largie l'chelle mondiale (17). Le centre de cette analyse est l'internationalisation du cycle du capital social.

    Nulle part, dans le texte de Poulantzas, il n'est question des diffrentes formes que peut prendre la valeur-capital. Il n'est pas question non plus du cycle total du capital (18) pris comme unit des trois cycles. Le rle du capital financier est dcrit lui aussi d'une manire sommaire (19). Aussi, chez Poulantzas, les rapports entre capitaux semblent tre gouverns par leur appartenance l'une ou l'autre des aires gographiques ; l'auteur ne cesse d'opposer les capitaux US aux capitaux europens ; la spcificit du capitalisme contemporain rside alors dans la dominance des capitaux US sur les capitaux europens. Certes, Poulantzas parle d'une interconnexion , mais il se rfre une juxtaposition de nations. Sans doute Poulantzas se propose-t-il d'tudier les nouveaux rapports des mtropoles imprialistes entre elles . Mais d'une part, le concept de chane imprialiste qu'il propose juxtapose linairement des lments semblables et homognes (les nations) (20), d'autre part il n'analyse pas correctement les rapports entre cette chane et ses diffrents maillons.

    Si on n'analyse pas les contradictions internes aux maillons nationaux, encore faudrait-il, pour comprendre l'internationalisation du capital, pouvoir trouver la contradiction pertinente au niveau de la chane. Mais les relations entre les divers lments sont ambigus : Le concept de dominance est l'objet d'une pluralit de significations dont aucune n'est prcise et qui confre l'analyse un caractre indtermin. Ce concept s'applique aussi bien la dominance du politique dans le stade imprialiste, la dominance du capitalisme monopoliste sur le capitalisme concurrentiel dans les mtropoles, la dominance des mtropoles sur les formations domines, la dominance du capital amricain...

    On peut s'interroger sur la cohrence de l'utilisation d'un mme concept pour analyser des phnomnes aussi htrognes (modes de production, formations sociales, lieux de valorisation...).

    Par ailleurs deux remarques peuvent tre faites sur la dominance du politique, c'est--dire de l'Etat, au sein des mtropoles. D'une part, l'Etat est assimil au seul politique ; d'autre part c'est la dominance du politique qui a pour connotation la dominance du capitalisme monopoliste. Pour viter de faire des relations entre

    (17) Cf. notre introduction gnrale, p. 13 (18) Une allusion y est faite mais ne semble pas tre intgre au texte. Elle

    n'est en tout cas, pas articule au reste de l'argumentation (p. 1469). (19) L encore, une affirmation de son rle mais non articule au reste et vite

    abandonne. (20) Voir pp. 1457, 59, 60, 61, 63.

  • INTERNATIONALISATION DU CAPITAL 27

    imprialismes des rapports externes bass sur la concurrence, il faudrait analyser les causes et les formes de la division internationale du travail. Or, Poulantzas prend celle-ci comme une donne.

    Les diverses conomies nationales ne peuvent tre identifies des capitaux nationaux entrant en concurrence. Dans le procs de valorisation du capital, les capitaux individuels s'opposent plus ou moins.

    N'ayant pas fond thoriquement la reproduction des rapports sociaux de production, donc les conditions de valorisation du capital, Poulantzas fait surtout fonctionner dans son argumentation des rapports idologiques et politiques et ne parvient pas convaincre sur deux de ses conclusions essentielles : la priodisation et la bourgeoisie intrieure.

    B12. - Les critres de la priodisation Un premier problme est pos par la lgitimit de cette

    coupure entre capitalisme concurrentiel et capitalisme monopoliste. Selon Poulantzas, elle est fonde sur une articulation diffrente de sa structure c'est--dire, en d'autres termes, sur deux tats de la structure. Cela renvoit une certaine conception structuraliste de l'articulation selon laquelle ces tats de la structure sont des modes de production. Est-ce dire que le stade concurrentiel et le stade monopoliste correspondent deux modes de production diffrents ? Et que les changements de forme peuvent ne pas influencer la nature du contenu ?

    C'est ce qui semble ressortir de la suite du texte, notamment des dveloppements concernant les nouvelles formes des rapports de production mondiaux (22). Des modifications importantes portent sur l'articulation actuelle de la proprit conomique et de la possession, savoir sur les formes des rapports mmes de production (23). Poulantzas veut-il dire que le rapport de production spcifique du capitalisme a chang ? (24). Ou bien ce que l'auteur appelle la rsorption de l'cart entre proprit conomique et possession, signifie-t-il simplement que le capital est de plus en plus matre du procs de travail et de l'affectation des ressources et des moyens de production ? Et comment rsoudre ce problme sans se demander si les formes du procs de travail ont galement chang cette occasion depuis l'apparition du machinisme et de la grande industrie

    Poulantzas ne peut rpondre la question de savoir si les rapports de production capitalistes, loin de se modifier, s'largissent et se renforcent. C'est ce point qu'il est ncessaire d'tudier. Pour ce

    (22) P. 1472 (1465 aussi). (23) ibid. (24) Sur le concept de rapport de production, voir l'Introduction gnrale de

    notre article supra, p. 12

  • 28 S. I. F. I.

    faire, il faut analyser le processus d'internationalisation du capital et s'interroger sur ce qui dtermine et ce qu'est la division sociale internationale du travail. De mme, caractriser le stade imprialiste par le dplacement de la dominance de l'conomique au politique est une hypothse envisager. Encore faudrait-il montrer pourquoi apparat ce dplacement de dominance ! La rponse cette question implique une tude en termes de reproduction des rapports de production. A dfaut de procder de telles tudes, l'auteur est contraint de saisir les rapports de production l o ils apparaissent , c'est--dire au niveau idologique (26). Ds lors, il n'est pas trs tonnant de constater que ceux-ci se transforment.

    Un autre point mrite d'tre soulign : la phase actuelle du capitalisme voit en plus de la dmarcation mtropole formation domine, l'tablissement d'une nouvelle ligne de dmarcation au sein des mtropoles .

    L encore son analyse de l'internationalisation du capital produit ses effets. Effets non fonds nous semble-t-il, car : la reproduction largie l'chelle mondiale est l'objet d'un dveloppement ingal et contradictoire ; il n'y a jamais un centre uni face une priphrie homogne ; de multiples lignes de dmarcation , des rapports divers de domination ont exist de part et d'autre. En fait, il s'avre que le sous-dveloppement ou la semi-industrialisation qui ne date pas d'aprs la guerre est prcisment li aux contradictions entre capitaux du centre et non pas aux rapports des mtropoles entre elles (27).

    B13. - La domination du capital amricain

    Toute l'argumentation de Poulantzas vise montrer la domination du capital amricain sur le procs productif mondial. Mais l encore, il lui manque une conception thorique de l'internationalisation du capital et il recourt la description empirique la plus courante. Poulantzas tombe dans le travers qu'il dnonait (28). Il prsente des pourcentages, et essaye partir de ces chiffres, d'introduire les rapports de production. Mais un rapport social n'a jamais t enferm dans un pourcentage

    Comme nous l'avons dit prcdemment, la reproduction largie l'chelle mondiale est l'objet d'un dveloppement ingal et contradictoire. Or, on ne sait pas dans la problmatique de Poulantzas si la domination se dveloppe conjoncturellement ou si elle est structurelle.

    (26) II faudrait d'ailleurs tablir le statut thorique de la priodisation c'est-- dire montrer en vertu de quel critre thorique peut s'effectuer une priodisation en stades et phases. Cf notre introduction gnrale, p. 14

    (27) Voir sur ce point la critique que nous faisons galement aux thoriciens du Capitalisme Monopoliste d'Etat (infra, p. 108).

    (28) P. 1472 et p. 1470.

  • INTERNATIONALISATION DU CAPITAL 29

    D'autre part, la valorisation du capital sur le plan mondial se fait d'une manire ingale selon la structure de l'espace dans lequel elle se dveloppe. Ainsi serait-il ncessaire de diffrencier les zones dans lesquelles se dveloppe l'accumulation du capital, c'est--dire de diffrencier les maillons de la chane, imprialiste. Par exemple, l'accumulation du capital ne peut avoir la mme forme en Italie ou en France o existe un secteur public important et en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Aussi faut-il tudier partir de quels facteurs se ralise la division sociale du travail, et non simplement prendre ces rsultats comme une donne. En d'autres termes s'attacher au processus explicatif et non la reprsentation idologique du phnomne.

    Enfin, Poulan^tzas privilgie la domination amricaine alors qu'il faudrait, selon nous, situer la contradiction principale au niveau du procs d'ensemble de reproduction. Cette contradiction concerne la valorisation elle-mme du capital, et agit comme une contrainte globale du dveloppement du capitalisme l'chelle mondiale. Or, il semble que Poulantzas confonde presque toujours la domination du capital amricain sur le processus de production mondial et les contradictions propres ce processus.

    B2 - Bourgeoisie intrieure et crise de l'imprialisme

    B21. - La bourgeoisie intrieure

    La valorisation du capital l'chelle mondiale dtermine un type particulier de rapport social. Or la dfinition du rapport social de production n'apparat pas chez Poulantzas comme le support de la dfinition des classes. N'ayant pas su apprhender le processus d'internationalisation du capital, l'auteur ne peut poser le problme des classes sociales. C'est ce qu'illustre son concept de bourgeoisie intrieure.

    Poulantzas pose toujours le problme en termes de relations entre conomies nationales : il oppose les bourgeoisies des imp- rialismes secondaires au capital amricain. C'est oublier, comme il a t dit plus haut que l'accumulation du capital social, domine par tels ou tels capitaux individuels, constitue un tout. Bien sr, l'intrieur de cette totalit, les capitaux individuels ne jouent pas tous le mme rle. Mais au lieu de parler systmatiquement de dominance du capital amricain, il faudrait plutt analyser pourquoi et comment les capitaux individuels dominent ou non le processus mondial. En d'autres termes, il faudrait les reprer non en fonction de leur appartenance un territoire national, mais en les regroupant sur un critre thorique (29).

    Poser ainsi le processus de l'internationalisation du capital,

    (29) Voir l'introduction gnrale de notre article sur le concept de secteur.

  • 30 S. I.F.I.

    c'est se permettre de montrer comment se structure la bourgeoisie mondiale. C'est aussi se permettre, au plan mondial, de montrer comment s'oprent les transferts de plus-value entre les diffrentes composantes du capital mondial, que ce soit les composantes rgionales, individuelles ou fonctionnelles (bancaire, commerciale ou industrielle). C'est enfin, montrer que les contradictions internes la bourgeoisie mondiale sont directement lies aux conditions de valorisation du capital au plan mondial, c'est--dire aux conditions d'extraction et de rpartition de la plus-value. C'est en un mot tudier l'internationalisation du capital en rapport avec la reproduction des rapports de production.

    D'autre part en opposant systmatiquement bourgeoisie intrieure et capital amricain, ou bien Poulantzas assimile capital amricain et bourgeoisie amricaine et il retombe dans le problme des rapports externes qu'entretiennent entre eux les diffrents maillons de la chane imprialiste ; ou bien il pense le capital comme un rapport social et alors il oublie que ce rapport doit permettre de comprendre l'articulation entre les rapports de production et le dveloppement des forces productives au niveau mondial. C'est d'abord la structuration du capital qu'il conviendrait d'analyser, non la structuration de la bourgeoisie. Au demeurant cette analyse elle-mme s'enferme chez Poulantzas dans une homognit de la bourgeoisie amricaine qu'il faudrait galement critiquer.

    Pour Poulantzas, la contradiction principale passe ainsi suivant la conjoncture, au sein des contradictions du capital imprialiste dominant et de l'internationalisation qu'il impose, ou encore au sein mme de la bourgeoisie intrieure et de ses luttes internes (30). Ainsi le concept clef de Poulantzas devient un amas conjoncturel (30). D'autre part, dfaut de donner un statut prcis au concept de conjoncture, et par rapport aux prcdents concepts de stade et de phase, l'analyse de Poulantzas devient compltement indtermine. Selon quelles lois se dplacent, se localisent les composantes du capital (ou de la bourgeoisie) ? On ne peut le dire. On ne peut dduire aucune loi structurelle partir des contradictions secondaires. C'est ainsi que reste sans rponse le problme de savoir pourquoi et comment les composantes du capital (ou de la bourgeoisie) s'emparent tour tour de l'Etat et s'en servent. Le rle mme de l'Etat est ambigu : les fonctions conomiques de l'Etat sont en fait les expressions de son rle politique d'ensemble dans l'exploitation et la domination de classe (31) .

    Reste le problme de l'identification de la contradiction principale. Les relations entre bourgeoisies ne peuvent s'apprhender au niveau politico-idologique mais doivent s'appuyer sur l'analyse

    (30) P. 1488. (31) P. 1494. O la dnonciation lgitime de l'conomisme conduit l'excs

    inverse.

  • INTERNATIONALISATION DU CAPITAL 31

    des relations entre les capitaux individuels pour le partage de la plus-value mondiale. Or Poulantzas ne fait pas davantage cette analyse de la rpartition. De plus, si la logique de l'accumulation du capital l'chelle mondiale reste la production de la plus-value, la contradiction principale reste donc entre la bourgeoisie et le proltariat. C'est cette contradiction qui joue le rle dirigeant chaque moment du dveloppement du processus. Les contradictions au sein de la bourgeoisie sont secondaires, elles dpendent des problmes poss par l'extraction de la plus-value. Ce n'est donc pas un hasard si le proltariat n'apparat pas dans l'analyse de Poulantzas. Car il n'a pas en fait d'analyse en termes de reproduction des rapports de production. Cela revient dire que si la bourgeoisie interne ne peut mener bien la rvolution, c'est parce qu'elle est dpendante et non parce qu'elle est bourgeoise.

    On retrouve cette absence de l'analyse des rapports de production dans la manire dont Poulantzas approche la crise de l'imprialisme.

    B.2.2. - La crise de l'imprialisme.

    La crise de l'imprialisme est chez Poulantzas un effet de la monte des luttes de classes au plan mondial, aussi bien la priphrie qu'au centre : Ce qui est actuellement en crise... c'est l'ensemble de l'imprialisme sous l'effet des luttes de classes mondiales qui atteignent aujourd'hui la zone mme du centre (32)... C'est l'accumulation de ces luttes qui confre des conionctures dtermines de cette phase (de l'imprialisme) le caractre de crise de l'ensemble du systme (33). A notre avis, la crise de la phase actuelle de l'imprialisme, si crise il y a, ne peut tre apprcie que si l'on part des problmes poss par la mise en valeur du capital, c'est--dire si l'on examine les conditions de la reproduction des rapports sociaux de production. Les luttes de classes traduisent la contradiction entre le capital et le travail tout au long du dveloppement du capitalisme. Seul l'examen de cette contradiction, du mode d'extraction de la plus-value dans les diverses phases du capitalisme, peut permettre de comprendre la signification relle des luttes de classes. L'analyse des luttes des classes ne peut tre spare de celle du processus productif sous peine de prendre un contenu arbitraire. Ce n'est pas un hasard si la crise de l'imprialisme est chez Poulantzas un effet de l'accumulation des luttes dans des conjonctures successives ; la crise du systme est finalement dfinie par une rptition de phnomnes. Elle n'est, de fait, pas conue comme crise du mode de production mais se ramne une somme d'vnements visibles et concrets.

    (32) P. 1498. (33) P. 1465.

  • 32 S. I. F. I.

    L'existence et la spcificit des classes sociales, leur antagonisme doivent tre compris la lumire de l'exploitation ncessaire de la force de travail par le capital. C'est travers les luttes de classe que se reproduit le systme capitaliste. Il y a crise quand le mode de domination d'une classe sur l'autre, condition ncessaire la reproduction du mode de production capitaliste, se trouve compromis. L'ampleur et la dure de la crise ne peuvent dpendre que de la capacit du capitalisme imposer au proltariat des solutions aux problmes de la reproduction largie des rapports sociaux de production.

    Poulantzas n'atteint donc pas son objectif initial qui est d'apprcier l'internationalisation du capital et la nature des contradictions inter-imprialistes. Malgr l'affirmation constante que le capital doit tre conu comme un rapport social et que les conditions d'exploitation de la force de travail sont essentielles pour mener bien cette analyse, il n'en est pas tenu compte au cours de la dmonstration. La domination du capital US n'est jamais prouve qu'empiriquement. L'intriorisation des intrts de la bourgeoisie dominante par les bourgeoisies intrieures n'est justifie que par des relations idologico-politiques, malgr l'hypothse dfendue par Poulantzas selon laquelle ce sont les formes d'accumulation du capital et de division internationale du travail qui sont la base de la dpendance de ces bourgeoisies par rapport la bourgeoisie US.

    La critique fondamentale que l'on peut faire Poulantzas n'est pas que le politique domine l'conomique . Il le proclame d'emble. Il faudrait une argumentation historique pour le nier, ce que nous ne faisons pas. Mais, alors que tout dplacement de la dominance est dtermin par l'conomique, c'est--dire par les rapports de production, ces rapports de production ne sont pas analyss dans la phase actuelle pour expliquer la dominance du politique.

  • INTERNATIONALISATION DU CAPITAL 33

    Deuxime Partie

    RAPPORTS DE PRODUCTION

    ET RAPPORTS MARCHANDS

    A propos de l'internationalisation du capital, selon Christian Palloix

    Dans un rcent ouvrage (34), C. Palloix fournit un certain nombre de matriaux thoriques ( un corps d'hypothses provisoires ), destins apprhender le procs d'internationalisation Notre objet est ici de rechercher quelle logique vhiculent ces matriaux (mme et surtout si l'auteur se targue d'une certaine incohrence), et c'est cette recherche que, par commodit, nous prsenterons en trois points :

    Une note de lecture de l'ouvrage, qui en prsentera les concepts et les conclusions thoriques ;

    Notre interprtation de la cohrence de la recherche dveloppe par Palloix. Il ne s'agit pas de reconstruire l'ouvrage partir de ses morceaux, mais de montrer ce qui, explicitement ou implicitement, runit les conclusions thoriques partielles, en raison des concepts utiliss ;

    Notre critique, qui pourra alors se situer uniquement au niveau des concepts. Cette critique sera axe sur la rduction, opre par Palloix, des rapports sociaux capitalistes des rapports marchands.

    Par cette critique, nous ne prtendons pas discuter de la lecture que fait Palloix du Capital , auquel il se rfre souvent. Mais Marx peut nanmoins introduire utilement la lecture de notre auteur :

    La sphre de la circulation des marchandises, o s'accomplissent la vente et l'achat de la force de travail, est en ralit un vritable Eden des droits naturels de l'Homme et du citoyen. Ce qui y rgne seul, c'est Libert, Egalit, Proprit et Bentham. (...)

    Au moment o nous sortons de cette sphre de la circulation simple qui fournit au libre-changiste vulgaire ses notions, ses ides, sa manire de voir et le critrium de son jugement sur le capital et le salariat, nous voyons, ce qu'il semble, s'oprer une certaine

    (34) Les firmes multinationales et le procs d'internationalisation, Paris. Mas- d. 1973. pero,

  • 34 S. I. F I.

    transformation dans la physionomie des personnages de notre drame. Notre ancien homme aux cus prend les devants et, en qualit de capitaliste, marche le premier ; le possesseur de la force de travail le suit par-derrire comme son travailleur lui ; celui-l le regarde narquois, l'air important et affair ; celui-ci timide, hsitant, rtif, comme quelqu'un qui a port sa propre peau au march, et ne peut plus s'attendre qu' une chose : tre tann.

    K. Marx Le Capital. Critique de l'Economie Politique . Livre I, T section, chap. VI.

    A - NOTES DE LECTURE

    A.1. - Les concepts utiliss :

    A. 1.1. Les rapports sociaux capitalistes et le cycle global du capital social :

    Palloix se rfre explicitement Marx pour dfinir les rapports sociaux qui caractrisent le capitalisme : Marx, premire vue, ne fait qu'approfondir, rassembler et formaliser les diverses approches de ses prdcesseurs, l'approche mercantiliste du capital argent A.. A' l'approche de Quesnay du capital marchandise M'. ..M', l'approche classique du capital productif P...P'. Ne sombrons pas dans l'illusion de ne voir en Marx qu'une prodigieuse facult de synthse, car, dans l'unit, de ces cycles, l'unit du procs de production et du procs de circulation, il fait surgir le mouvement des rapports sociaux, des rapports de classe au sein de la mise en valeur du capital (p. 146).

    De la dfinition du capital comme rapport social, Palloix tire deux consquences :

    a) Certes, la question des rapports de production dans le procs de production est dialectiquement lie au capital comme rapport social (ces rapports fondent le capital comme rapport et inversement) ; mais il est impossible de faire surgir en soi la question de tels rapports dans le procs de production, en tant que tel, hors de l'acte de circulation (p. 162). Le procs de production capitaliste en soi fait abstraction de la forme capitaliste en tant que telle (p. 145) ; il n'est que travers par le capital comme rapport social (p. 162).

    b) C'est le cycle du capital argent (A... A') qui fait surgir la question du rapport capitaliste fondamental, savoir l'achat de la force de travail (A-T) par le capital face l'appropriation des moyens de production par ce mme capital (A-Mp), de sorte que

  • INTERNATIONALISATION DU CAPITAL 35

    force de travail et capital (pass dans les moyens de production) se font face de manire antagonique (p. 147). Par ailleurs, ce rapport social s'exprime dans le cycle du capital marchandise (M'. ..M') qui fait apparatre, en lui, le capital comme rapport de classe, comme opposition de a (plus-value capitalise) A (valeur capital avance) (p. 148).

    Conclusion : La mise en vidence des rapports capitalistes s'effectue au niveau des cycles A.. .A' et M'. ..M' (p. 147), c'est-- dire dans le procs de mise en valeur du capital (opposition de A-T A-Mp) et quand le capital est mis en valeur (opposition de m-a-m M-A-M) (p. 162).

    C'est ce que Palloix traduit par la dominance de la circulation des marchandises vis--vis des rapports de production eux-mmes, tout comme vis--vis du procs de production au sens strict (p. 148).

    Le procs de circulation apparat alors comme la condition des mouvements des forces productives, d'o le caractre dominant qu'on peut lui attribuer, donc du mouvement du procs de travail et de l'intensification du procs d'exploitation : de ce point de vue, le procs de production a bien un caractre dterminant , car le point de dpart, et le point d'application se situent du ct du procs de production, dans le procs d'extraction de la plus-value.

    L'ambition annonce maintes reprises par l'auteur est de placer l'internationalisation de la production (forces productives et rapports de production) dans une perspective dynamique (cf. p. 10, 58). C'est--dire d'tudier comment ses modifications sont conditionnes par les rythmes et les modalits d'largissement de la circulation marchande (cf note 34 p. 19).

    Car il existe une interaction complexe et sans cesse changeante ( non linaire et non mcanique p. 25), entre l'accroissement de la masse des plus-values cre dans la sphre productive et le mouvement de concentration, centralisation du capital argent (cf p. 20) ainsi que le mouvement d'extension des domaines de valorisation un nombre de marchandises sans cesse accru (cf p. 57).

    II n'y a pas de mouvement en soi de l'volution des forces productives et du procs de travail lors du mouvement du capital et de la dominance du procs de circulation (p. 20).

    Comme nous allons le voir, c'est le concept de capital financier qui va permettre de penser l'articulation entre procs de production et procs de circulation ; et de penser cette articulation en dynamique comme tant elle-mme un procs sans cesse mouvant (cf p. 53).

  • 36 S. I. F. I.

    A.I. 2. Formes et fractions du capital:

    L'analyse du cycle global du capital social exige que soient distingues les formes et les fractions de ce capital : capital-argent, capital productif, capital marchandise ne sont pas des fractions du capital industriel ou du capital social ; ce ne sont que des formes d'existence fonctionnelles que le capital prend et rejette successivement ; mais, dans le cours de ce cycle, des noyaux de capital vont se fixer pour prcisment assurer au capital social sa capacit prendre ces diverses formes : capacit d'assurer sa conversion de capital-argent en capital productif, de capital productif en capital-argent, par la mdiation du capital-marchandise (p. 164).

    Palloix insiste donc sur la question de la "conversion" (capital-argent - capital productif - capital marchandise) qui pose le problme du mode d'existence de diverses fractions autonomes du capital social - capital commercial, capital bancaire, capital financier, capital industriel au sens troit - et celui des formes que grent ces fractions par rapport la conversion - forme montaire, forme marchandise, forme productive (p. 171).

    L'autonomisation de ces fractions traduit l'existence d'une division du travail entre capitalistes. Celle-ci confre un rle dominant (p. 171) au capital financier. Ce dernier est dfini par Palloix par rapport un double procs :

    le procs d'articulation du processus productif et du processus de circulation au sein de la branche ou industrie, en faisant jouer la dominance du procs de circulation ;

    le procs d'articulation des branches dans le systme industriel : localisation centrale des cycles du capital social engag dans les diverses branches du systme industriel (p. 18).

    Il apparat donc que l'analyse du capital financier doit se faire au niveau de la branche, et non au niveau global (p. 18).

    Nanmoins, Palloix montre ensuite que si le capital financier possde un rle dominant, c'est qu'il intervient dans le procs de conversion du capital-argent en capital productif travers la permutation technique de la forme montaire qui, d'instrument de circulation du capital-argent sous une forme montaire, devient instrument de reproduction pour l'ensemble du capital social (p. 17). Nous verrons plus loin (35) que la cohrence de ces deux approches est assure par une conception trs particulire du cycle du capital social.

    Enfin, l'approfondissement de cette division du travail entre capitalistes se traduit aujourd'hui par l'autonomisation de nou-

    (35) Cf. infra, p. 59.

  • INTERNATIONALISATION DU^CAPITAL 37

    v elles fractions du capital social qui, selon Palloix, ne grent pas les formes traditionnelles du capital, mais prennent en charge les fonctions de conversion des formes nouvelles : forme scientifique et technique , forme information , forme signe (p. 171- 172). Dans des documents plus rcents (36), l'auteur introduit mme la forme engeneering charge de la gestion des normes productives, commerciales et financires. Cette gestion intervient tout particulirement au niveau international, et devient le support concret de l'internationalisation de la valeur.

    A. 1.3. La branche et V ensemble-marchandise :

    Produit-marchandise, processus productif et processus de circulation sont les lments qui dans leurs interrelations composent la branche, ou industrie (p. 30). Seule cette catgorie conomique (...) donne un sens au concept de cycle du capital social (p. 14), et permet d'tudier la reproduction de ce cycle. Nous avons vu en effet que cette reproduction a pour instrument le capital financier, dont la branche constitue le lien concret d'engagement.

    Pour la mme raison, seule la catgorie de branche indique le niveau pertinent pour apprhender le taux de profit, puisque ce sont les taux de profit de branches qui constituent l'instrument de dcision de la firme (p. 14) et que la rgulation opre par la tendance leur galisation est lie la permabilit des barrires l'entre et la sortie de l'industrie (p. 14).

    Ainsi, cette permabilit joue un rle dynamique dans le fonctionnement du capitalisme contemporain , de sorte que la branche devient le lieu oprationnel pour se livrer une tude du mouvement du capital (p. 15). Ce mouvement s'exprime par des restructurations industrielles, mais qui ne sont le plus souvent que l'effet de la restructuration des rseaux de circulation des marchandises (p. 19).

    Cette restructuration tend s'oprer par fusion de plusieurs branches diffrencies en une seule, livrant un ensemble-marchandise (p. 34-35).

    Il apparat donc que, dans la catgorie de branche, la caractristique de march domine celle de production.

    A. 1.4. Le procs d'internationalisation et les stratgies des firmes multinationales :

    Palloix explique ds l'entre que l'internationalisation ne se rvle pas au niveau de la firme, laquelle n'est qu'une forme sous laquelle se prsente l'apparence des choses. L'analyse de la

    (36j L'imprialisme et le mode d'accumulation international du capital, janv. 1974, texte prsent la Conference of Socialist Economists ; Londres, 4-5 janvier 1974 ; ou encore La fraction capital engeneering, document Cordes, 1973.

  • 38 S. I. F. I.

    firme multinationale en soi (...) risque d'effacer ce dont elle est prcisment le produit, savoir le procs d'internationalisation progressif qui caractrise le capitalisme contemporain (p. 9).

    En ce sens, une firme peut tre engage dans le processus d'internationalisation sans tre elle-mme une firme multinationale (p. 17).

    Loin d'analyser la stratgie des firmes multinationales, il faut donc tudier les deux bases sur lesquelles elle s'appuie : La stratgie de la firme multinationale est une stratgie de la mise en valeur du capital sur la base des lments de la mise en valeur, l'internationalisation de la branche et l'internationalisation du capital, vis--vis du procs de la mise en valeur, le procs d'accumulation du capital (p. 173).

    Le procs d'internationalisation est donc analys trois niveaux :

    les transformations des branches (chapitre I) ; les caractristiques du cycle global du capital social

    (chapitre 5, p. 137-173) ; le dveloppement du procs d'accumulation du capital

    (chapitre 5, p. 173-182).

    Les deux premiers niveaux sont ncessaires pour rendre compte concrtement et abstraitement du procs d'internationalisation, car le premier exprime le mouvement du capital rel , et le second le mouvement du capital abstrait (p. 49). Le troisime niveau est ncessaire pour analyser ce procs comme rsultat historique du dveloppement du mode de production capitaliste (37).

    C'est ces trois niveaux que Palloix fait apparatre un certain nombre de conclusions (cf. infra A.2.) ; cette approche exclut pour lui que l'analyse du procs d'internationalisation soit simplement mene en termes d'extension gographique :

    a) L'internationalisation du capital se traduit certes par l'extension de l'espce gographique o s'accomplit chaque cycle (argent, productif, marchandise) mais elle est surtout internationalisation du rapport social qu'exprime l'unit de ces cycles. La dfinition de ce rapport social (cf. A. 1.1.) conduit Palloix reprer l'internationalisation du capital, non dans l'internationalisation du procs de production (38), mais dans celles 1) du procs de mise en valeur du capital et 2) du capital mis en valeur (cf. le schma p. 149).

    (37) Ainsi la rflexion : Rien n'a-t-il vraiment chang depuis Marx ? Non, mais tout s'accomplit (p. 175).

    (38) Dans son dernier article L'imprialisme... , op. cit., Palloix semble rhabiliter l'internationalisation du cycle du capital productif. Nous verrons plus loin que cela se rduit en fait la raffirmation de la mme approche (cf. infra C. 2).

  • INTERNATIONALISATION DU CAPITAL 39

    De mme, l'internationalisation du capital ne se traduit pas seulement par l'extension de l'espace gographique o s'opre chaque fraction (p. 172), mais par l'internationalisation des fractions comme expression de l'internationalisation des formes (du capital) et de la conversion (p. 173).

    b) L'internationalisation du procs d'accumulation du capital n'est pas seulement sa mondialisation, mais l'allocation internationale des diverses tapes de ce procs , qui rsulte de l'approfondissement de la division sociale et de la division technique du travail et dtermine les stratgies des firmes multinationales.

    A.1.5. L'articulation entre les FES (formations conomiques et sociales) :

    Dans le cours de l'ouvrage, Palloix utilise galement les concepts suivants :

    FES : articulation entre plusieurs modes de production sur la base d'une nation ;

    Centre et priphrie : ces termes recouvrent pour l'un, l'ensemble des FES capitalistes avances et pour l'autre, l'ensemble des FES domines et exploites ;

    Capital dominant : c'est un capital qui s'assujettit d'autres procs (p. 154), soit au centre (ainsi, le capital US traverse la reproduction des capitaux europens (p. 153), soit la priphrie (ainsi les capitaux du centre vis--vis des capitaux locaux). Certains capitaux du centre (par exemple europens) peuvent jouer le rle de relais dans la dominance du capital US sur les capitaux de la priphrie (p. 153).

    A.2. - Les conclusions thoriques (39)

    A.2.1. L'internationalisation de la branche et du capital financier :

    Si l'exportation du capital est devenue, avec le capitalisme le fondement de l'internationalisation, c'est en raison mme de la transformation des relations entre branches et cycle du capital social (p. 51). Alors que l'imposition de la loi de la valeur du mode de production capitaliste l'conomie mondiale se faisait, en capitalisme concurrentiel, travers les rgles de l'change (p. 51), elle se rvle aujourd'hui travers de nouvelles rgles, savoir l'exigence de normes internationales auxquelles doivent se conformer les principaux concurrents s'ils veulent continuer de mettre leur capital en valeur.

    (39) Nous n'avons retenu ici que les conclusions qui nous semblent les plus importantes, du point de vue de la cohrence de l'ouvrage, telle qu'elle sera dgage en B.

  • 40 S.I.F.I.

    Les catgories conomiques qui permettent d'apprhender concrtement, et de mesurer ce phnomne sont la branche et la fraction du capital social qui y est engage (p. 29). Car c'est sur ces lments que s'appuie prcisment le M.P.C. dans son processus d'internationalisation, pour les mettre en avant de manire dominante (p. 51).

    La branche est pertinente dans cette analyse (p. 30 et sq.) car ses diverses composantes situent exactement les lieux d'apparition des normes internationales (40), norme du produit marchandise (standardisation, changement des contenus des branches), normes techniques de production (tendance un processus dominant, homognisation des qualifications requises, et des procs de travail), et normes de commercialisation. La fraction de capital engage dans la branche est aussi pertinente dans cette analyse (p. 42 et sq.), car elle permet de localiser formellement quelles fractions du cycle de capital social s'internationalisent et pourquoi.

    C'est ainsi que pour rpondre aux problmes poss par la ncessaire adaptation aux nouvelles normes de marchandises, aux nouvelles formes techniques, et aux nouvelles stratgies de vente, le cycle du capital social voit ses formes se modifier (p. 17). Modifications qui se lisent tant au niveau du capital bancaire (financement et mobilisation d'pargne mondiale) qu'au niveau du capital productif (restructurations industrielles) ou celui du capital commercial (rseaux de vente).

    Mais les modifications de forme du cycle du capital social l'occasion de l'internationalisation se lisent surtout au niveau du capital financier. Celui-ci se trouve dsormais engag dans toutes les branches (p. 17) et il les articule un niveau de plus en plus international (p. 18). De mme l'internationalisation est l'occasion pour lui de faire jouer de plus en plus la dominance de la circulation dans l'articulation qu'il opre entre les diffrents moments des cycles du capital (production, circulation). La normalisation et la standardisation des produits au plan de la sphre de la circulation sont les conditions pour que se modifie et se dveloppe le systme des forces productives (p. 57). Et il faut dissiper l'ide reue que la restructuration industrielle pse directement sur la rationalisation de la production, alors qu'elle vise avant tout la matrise de la circulation des marchandises (p. 76).

    On notera deux consquences de ces phnomnes d'internationalisation sur les diverses conomies nationales (41) : 1) quant leur tissu industriel : la branche tait initialement lie des cycles de capitaux mis en valeur rgionalement ; l'internationalisation dplace le lieu de la sous-traitance, les types d'interdpendance et la

    (40) Cf. supra la dfinition de la branche (A. 1.3). (41) Notamment dveloppe pages 21 et 51.

  • INTERNATIONALISATION DU CAPITAL 41

    nature des industries motrices ; 2) quant leur comptitivit : c'est au niveau de la branche (non pas de l'conomie globale) qu'il faut se situer pour voir quelles sont les conomies susceptibles de poursuivre leur progression au sein de l'conomie internationale. Et l'autonomie relative des nations se mesure au contrle et la position dominante que celles-ci ont acquises dans l'internationalisation d'une ou plusieurs branches stratgiques (p. 16).

    A.2.2. L'internationalisation du cycle du capital social :

    a) L'internationalisation du cycle du capital-argent, comme phase ultime du M. P.C. :

    Les investissements directs l'tranger et le dveloppement de leur financement international sont aujourd'hui les signes d'une internationalisation de l'espace de mise en valeur du capital.

    Mais celle-ci n'est que l'expression de l'internationalisation du capital comme rapport social (A-T/A-Mp), qui en constitue un pralable : Si l'on indique que le cycle du capital-argent est la forme la plus dveloppe du mouvement du capital dans le M.P.C., on ne s'tonnera pas de voir dans l'internationalisation du capital sous la forme A-T et A-Mp le stade ultime de l'imprialisme que dsignait Lnine travers l'exportation de capital.

    L'internationalisation du capital, travers le jeu des firmes multinationales, reprsente le stade le plus achev du dveloppement du M.P.C. (p. 150).

    Comment s'opre cette internationalisation des rapports de classe ? (p. 150) Essentiellement par l'internationalisation de l'acte A-T, c'est--dire par la cration d'une force de travail libre l'chelle internationale (p. 150). Cette cration est elle-mme provoque par l'internationalisation de l'espace de circulation des marchandises, lorsque les changes entre pays se sont suffisamment dvelopps.

    En rsum : Pour que s'internationalise l'acte A-T, pour que s'internationalise le cycle du capital-argent comme expression de l'acte prcdent, il faut pralablement que le cycle du capital-marchandise par l'acte global de circulation, et que le cycle du capital productif, aient suffisamment avanc leurs lments sur l'espace international de faon ce que la force de travail soit devenue une marchandise libre en tous points de l'conomie mondiale afin que le capital puisse se mettre en valeur (p. 151).

    b) L'internationalisation du cycle du capital marchandise comme moyen d'largir le procs de mise en valeur du capital dominant :

    Citant Marx, Pallois rappelle que le cycle du capital-marchandise (M'.. .M') prsuppose M (= T + Mp) comme marchandises

  • 42 S. I. F. I.

    d'autrui entre les mains d'autrui * p. 157. Cela conduit un type particulier de relations entre le capital dominant se mettant en valeur et le capital dpendant mis en valeur la priphrie : la mise en valeur du premier traverse la mise en valeur des capitaux autochtones, qu'il s'assujettit grce la prsence des filiales (...).

    La firme multinationale, travers le contrle qu'elle exerce sur M' - A' - M' (ici M-A-M), inclut dans son orbite de circulation les

    produits des autres capitaux de la mme manire que hier, la circulation nationale et internationale des marchandises agrafait les produits des modes de production autres que le M.P.C., pour en faire des marchandises au niveau de l'acte Ct. (p. 158). (42)

    A.2.3. L'approfondissement du procs d'accumulation du capital et les relations entre le centre et la priphrie :

    Alors que, dans les premires tapes du capitalisme, le procs de la mise en valeur du capital nouveau prend la forme essentielle de l'accumulation dans les moyens de production (p. 176), les interrelations de la mise en valeur du capital travers Mp sont de plus en plus doubles aujourd'hui par des interrelations de la mise en valeur du capital travers Me {marchandises de consommation) (p. 180). Il y a donc approfondissement du procs d'accumulation du capital dans toute son tendue sociale, de la ligne A-Mp ... P ... Mp - A - Mp ... P' ... Mp, vers la ligne A - M ... P ... m - a - m ... P' ... m, puis la ligne A - T (A-Mc) ... P ... Me -A - Me (T-A-Mc) ... P' ...

    (p. 180).

    Ce phnomne a deux consquences :

    a) Le report de la ligne d'accumulation, la relance de celle-ci vers m-a-m et surtout A-T (A-Mc), conduit une nouvelle division sociale du travail l'chelle internationale, o le centre se rserve prioritairement la mise en valeur du capital vers T-A-Mc (p. 181). Il y a donc spcialisation du centre dans les productions en aval et spcialisation (partielle) de la priphrie dans les productions en amont.

    b) Les firmes multinationales investissent prioritairement dans les FES capitalistes avances parce que c'est dans le

    (42) Dans son dernier article L'imprialisme... , op. cit., Palloix semble regretter le caractre trop formel d'une analyse qui se centre sur l'internationalisation de la mise en valeur du capital et non sur l'internationalisation du capital qu'on ne saurait confondre durablement avec elle. Il prfre mettre en avant le dplacement de la valeur au cadre mondial, d'o le caractre dterminant et pralable de la valeur internationale aujourd'hui . Celle-ci n'est plus comme chez Marx une moyenne de valeurs nationales, mais une valeur qui s'impose d'abord au niveau mondial , en particulier par le vhicule que sont les socits d'engeneering (p. 9).

  • INTERNATIONALISATION DU CAPITAL 43

    cadre du centre qu'a lieu la mise en valeur la plus efficiente du capital, non seulement dans les interrelations travers Mp, mais aussi travers Me, parce que la circulation intra-capitaliste des marchandises peut se dvelopper sur une trs large couche ouvrire (p. 181). Accessoirement, les firmes multinationales investissent la priphrie afin de jouer sur le faible niveau des salaires, pour toute production trs normalise et standardise, qui sera ensuite exporte vers le centre (p. 182) (43).

    B - LA COHERENCE DE LA RECHERCHE DEVELOPPEE PAR PALLOIX

    Cette cohrence est trouver, nous semble-t-il, dans l'approche historique que Palloix s'efforce de maintenir. L'auteur cherche en effet situer l'internationalisation du capital dans le dveloppement du M. P.C. ; il fait mme rfrence un stade ultime de l'imprialisme , une priodisation du M. P.C. , au capitalisme contemporain et aux premires tapes du dveloppement du capitalisme .

    Bien que ses lments en soient pars, il est possible de dgager la cohrence du papier travers la caractrisation de deux priodes historiques selon quatre critres :

    l'internationalisation des cycles du capital ;

    l'internationalisation des fractions du capital ;

    la division internationale du travail engendre par le procs d'accumulation du capital ;

    les stratgies des firmes multinationales.

    Mais il ne suffit pas de caractriser ces deux priodes (B 1) pour situer historiquement l'internationalisation du capital dans le dveloppement du M. P.C. ; il faut aussi expliciter la logique de V volution historique.

    Nous tenterons de montrer que la causalit dgage par Palloix dpend entirement de la conception qu'il se fait des rapports

    (43) Dans son dernier article ( L'imprialisme... ), Palloix dveloppe un nouveau modle d'accumulation internationale du capital , dont le trait pertinent est la gnralisation des O.S., la production d'ouvriers non qualifis ou dqualifis . L'intervention des firmes multinationales, dans le bassin mditerranen par exemple, revient assurer les conditions gnrales de la production d'O.S. (p. 23).

  • 44 S. I. F. I.

    sociaux capitalistes et des relations entre capitaux individuels (B2) (44).

    B.1. - Caractrisation des deux priodes du M. P.C. :

    II faut d'abord remarquer que cette priodisation n'apparat chez Palloix que dans ce qu'il appelle le mouvement du capital abstrait (45) et sa traduction au niveau des firmes. Le mouvement du capital rel , c'est--dire les transformations des branches, ne semble pas pouvoir fournir la base d'une priodisation, puisque le capital financier, dont la branche est le lieu concret d'engagement, n'est pas pour Palloix spcifique du capitalisme contemporain.

    Les deux priodes du M.P.C. peuvent tre prsent distingues, selon les quatre critres annoncs.

    B.l.l. Selon l'internationalisation des cycles du capital:

    a) Le capitalisme concurrentiel (46) :

    Le dveloppement des changes entre pays traduit l'internationalisation de l'espace de circulation des marchandises.

    Il n'y a pas de force de travail libre l'chelle mondiale mais des forces de travail spares (dans les FES domines par le M.P.C.) et des producteurs non soumis une exploitation capitaliste (dans les FES modes de production pr-capitalistes). Mais, progressivement, l'internationalisation de la circulation des marchandises unifie les premires et permet au capital dominant de transformer les seconds en force de travail, travers l'inclusion, dans son procs de circulation, des produits des modes de production pr-capitalistes.

    Il n'y a donc pas internationalisation du capital comme rapport social puisque ni l'acte A-T (pas de force de travail libre l'chelle mondiale) ni l'acte A-Mp (l'accumulation, sur une base nationale, se fait dans les moyens de production ; lorsqu'il y a expor-

    (44) Dans son dernier article L'imprialisme... , Palloix dfinit trois priodes, le capitalisme contemporain tant caractris par l'internationalisation du cycle du capital productif (phase mettre en parallle avec celle du no-imprialisme au plan d'une premire approximation grossire) (p. 5). Cela est de nature perturber quelque peu la priodisation voque dans l'ouvrage Les firmes multi-

    (45) Cf. supra, p. 34. nationales , puisque l'internationalisation du cycle du capital-argent y tait dcrite comme le stade ultime de l'imprialisme (p. 150). Surtout, aucune logique de l'volution historique ne justifie l'mergence de cette nouvelle phase ; d'ailleurs, les mmes aspects du capitalisme contemporain lui sont attribus, alors qu'ils l'taient auparavant l'autre.

    (46) Palloix souligne que l'on peut s'interroger sur cette terminologie , mais il l'adopte car elle est coutumire.

  • INTERNATIONALISATION DU CAPITAL 45

    tation de capital, c'est tout au plus pour s'approprier des matires premires) ne sont internationaliss.

    h) Le capitalisme contemporain :

    Aprs l'espace de circulation et l'espace de production des marchandises, c'est l'espace de mise en valeur du capital-argent qui s 'internationalise.

    Il y a une force de travail libre l'chelle mondiale, rsultat du processus amorc la priode prcdente par le capital dominant. Dans les FES capitalistes domines o ce processus est inachev, il est prsent assum par le capital dpendant.

    Il y a donc internationalisation du capital comme rapport social puisqu'il y a internationalisation de l'acte A-T (force de travail libre l'chelle mondiale) et de l'acte A-Mp (qui est le double de l'internationalisation de l'acte A-T, et prend la forme d'un entrecroisement des procs de mise en valeur des capitaux de nationalit diffrente (47).

    B.1.2. Selon l'internationalisation des fractions du capital :

    a) Le capitalisme concurrentiel *.

    L'existence de trois formes du capital, assurant des fonctions particulires de conversion conduit l'autonomisation de fractions du capital qui grent ces trois formes ; ds cette priode, la fraction capital financier est dominante.

    Les formes du capital sont nationales et la conversion intervient dans un espace national ; les fractions du capital sont donc elles aussi nationales.

    b) Le capitalisme contemporain :